\u003c\u003c La mention littéraire de חֲלוֹם en Qo 4,17-5,6 entre judaïsme et hellénisme : un modèle d’ouverture autogéré et de mutualité interculturelle \u003e\u003e,
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La mention littéraire de ~Alx] en Qo 4,17-
5,6entre judaïsme et hellénisme:un modèle
d’ouverture autogéré et de mutualité interculturelle
SOMMAIRE
Peut-on tenir compte du thème du songe (~Alx]) en Qo 4,17-5,6
sans briser la cohérence de la péricope ? Pour répondre à cette
préoccupation, cette étude précise le sens de ~Alx]à partir de son
contexte littéraire et en donne les enjeux critiques. Elle identifie ensuite
l’argumentation vétérotestamentaire impliquée dans Qo5,2.6a à partir
du champ lexical qohélétien de ~Alx]. Aussi, une comparaison de la
péricope avec la littérature biblique et extra-biblique conduit-elle à
appréhender une ouverture autogérée du Qohélet au monde grec.
I. – Les aspérités littéraires de la mention de ~Alx] en
Qo5,2.6a
Après avoir mis en lumière les difficultés liées à l’intégration de la
mention de~Alx]dans son contexte, nous ferons un bref parcourt des
recherches fait en la matière. Cela nous permettra d’ouvrir de nouvelles
pistes pour l’interprétation de~Alx]en Qo 4,17-5,6.
1.L’énigme de la mention de~Alx]en Qo5,2.6a
Qo 4,17-5,6 a, pendant longtemps, été déclaré inauthentique.
Pour beaucoup de commentateurs, ce passage, loin de se fondre dans la
trame ordinaire du livre, contraste foncièrement, par son contenu, avec
tout ce qui précède et tout ce qui suit et sa place dans le livre est au
cœur du long développement sur les régimes monarchiques.
Une citation intégrale de ce passage dont nous donnons notre
traduction aidera à mieux appréhender les éléments littéraires qui
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suscitent le doute entretenu au sujet de l’authenticité de la totalité ou du
moins de certaines parties de la péricope.
Qo 4,17-5,6
^yl,g>r: rmov.17
~yhil{a/h' tyBe-la, %leTerv<a]K; xb;z" ~yliysiK.h; tTemi [:moêv.libArq'w>
[r" tAf[]l; ~y[id>Ay ~n"yae-yKi
^yPi-l[; lheb;T.-la;1
~yhil{a/h' ynEp.lirb"d" ayciAhl.rhEm;y>-la;^B.liw>
#r<a'h'-l[;hT'a;w> ~yIm;V'B; ~yhil{a/h' yKi ~yJi[;m. ^yr<b'd>Wyh.yI !KE-l[;
!y"n>[i broB. ~Alx]h; aB' yKi2
~yrIb'D>broB. lysiK. lAqw>
~yhil{alerd<n<rDoTirv,a]K;3
AmL.v;l. rxea;T.-la;
~yliysiK.B; #p,xe!yae yKi ~Lev; rDoTi-rv,a] tae
~Lev;t. al{w> rADTiV,mi rDoti-al{ rv<a] bAj4
ayjix]l; ^yPi-ta, !TETi-la;5
ynEp.li rm;aTo-la;w> ^r<f'B.-ta,
ayhi hg"g"v. yKi %a'l.M;h; ^l,Aq-l[; ~yhil{a/h' @coq.yI hM'l'
^yd<y" hfe[]m;-ta, lBexiw>
~ylib'h]w: tAml{x] brob. yKi6
hBer>h; ~yrIb'd>W
ar"y> ~yhil{a/h'-ta, yKi
V. 17 Prends garde à ta démarche
quand tu vas à la maison de Dieu :
approcher pour écouter vaut mieux que le
sacrifice offert par les insensés,
mais eux ne sont pas conscients de mal agir.
V.1Que ta bouche ne se hâte pas et que ton
cœur ne se presse pas pour proférer une parole
devant Dieu,
car Dieu est dans les cieux et toi sur la terre;
aussi, que tes paroles soient peu nombreuses.
V. 2 Car~Alx]h;survient dans unflot de tracas
et le propos insensé, dans un flot de paroles.
V.3Quand tu fais un vœu à Dieu,
ne tarde pas à l'accomplir,
car Il (Dieu) n'aime pas les insensés.
Le vœu que tu as émis, accomplis-le.
V. 4Mieux vaut ne pas faire de vœu que d'en
émettre un sans l'accomplir.
V. 5Ne laisse pas ta bouche faire une faute
contre toi, être de chaire. Et ne va pas dire au
Messager que c'était par inadvertance :
pourquoi Dieu s'irriterait-il contre tes propos et
ruinerait-il l'œuvre de tes mains ?
V. 6 Car dans un flot de tAml{x], vanités et
paroles nombreuses.
Alors, crains Dieu.
En Qo 4,17-5,6, l’auteur n’aborde plus les questions de la vanité
et des misères de l’existence humaine. Il ne parle plus de ses propres
expériences. Le moi de Qohélet a disparu et « nous avons affaire à un
petit recueil de conseils impersonnels sur la conduite à observer dans
l’accomplissement des devoirs religieux1 ». Or il est rare que les textes
sapientiaux de l’Ancien Testament traitent des questions religieuses ou
1E. PODECHARD, L’Ecclésiaste (Paris 1912) p. 334.
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cultuelles. C’est pourquoi la quasi-totalité des exégètes qui défendent la
thèse de l’inauthenticité de Qo 4,17-5,6 la justifient à partir de la nature
même du thème central de ce passage, à savoir, la critique de la
religion.
Toutefois, les résultats des analyses menées par Norbert Lohfink2
(en 1980), à partir de la délimitation, de la thématique et de la structure
de Qo 4,17-5,6 ont modifié de manière définitive, depuis les années 80,
les conclusions auparavant tenues pour acquises au sujet de
l’intégration de Qo 4,17-5,6 dans l’ensemble du livre de Qohélet3.
En effet, Lohfinka montré que Qo 4,17-5,6 s’intègre sans
difficultés majeures à la section qui commence en Qo 3,16 et qui se
termine en Qo6,9. Toutefois, Qo 4,17-5,6 est bien distinct de l’unité
littéraire qui commence en Qo 5,7-8 où la préoccupation de l’auteur
n’est plus au sujet du culte et de la religion mais plutôt portée vers des
questions socio-politiques. Les bornes de l’unité littéraire constituée par
Qo 4,17-5,6 sont signalées, d’une part, par la formulex:Wr !Ay[.r:w>lb,h, hz<-~g:-
yKi(« car cela aussi est vanité et recherche de vent ») qui marque en Qo
4,16 une conclusion et, d’autre part, par l’exhortation ar"y> ~yhil{a/h'-ta,
yKi(« alors, crains Dieu ») qui signale, en Qo 5,6, une fin. Le mot ~yhil{a/h'en
Qo4,17aapuis en Qo5,6b, et la forme impérative des verbes :
rmov.(« prends garde à ») au début de Qo 4,17 et ar"y>(« crains ») à la fin de
Qo 5,6 déterminent la péricope comme une inclusion.
L’un des mérites de la délimitation et de la structure proposée
par Lohfinkest qu’elles mettent clairement en évidence la façon dontles
7 versets de Qo 4,17-5,6, longtemps considérés par les exégètes comme
disparates voire hétérogènes et sans raison apparente de figurer dans le
livre, trouvent un principe d’unité logique tout en s’articulant de
manière organique avec les différentes parties de l’ouvrage.
2 Cf. N. LOHFINK, Kohelet (NeueEchterBibel ; Wurzburg 1980), trad. en Anglais par S.
MCEVENUE, Qoheleth (Continental Commentaries Old Testament ; Minneapolis MN
2003) p. 7-10 et 74-77 ; IDEM, « Der BibelskeptischeHintertur. Versuch, den Ort des
Buchs Kohelet neu zu bestimmen », Stimmen der Zeit 198 (1980) p. 17-31. 3Cf. I. J. J. SPANGENBERG, « A Century of Wrestling with Qoheleth. The Research
History of the Book Illustrated with a Discussion of Qo 4,17-5,6 », A. SCHOORS (éd.),
Qohelet in the Context of Wisdom, (BETL 136 ; Leuven 1998) p. 83.
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Il faut admettre,cependantet contrairement à ce que donne à
croire Lohfink, que le centre du livre n’est pas en Qo 4,17-5,6. Il coïncide
plutôt avec l’unité littéraire en Qo 6,10-12 comme l’indique, en marge
du texte au v. 10, la mention des massorètes,rp,Seh; ycix]qui correspond à 4~yqiWSp;K.rp,Seh; ycix](« medium librisecundum versus ») précisant le milieu
du livre selon le nombre des versets.
De plus, il n’est pas aisé d’établir, suivant la structure proposée
par Lohfink, un lien thématique entre :
Qo5,6b, ar"y> ~yhil{a/h'-ta, yKi (« alors, crains Dieu »)
etQo 5,2, ~yrIb'D>broB. lysiK. lAqw> !y"n>[i broB. ~Alx]h; aB'yKi(« car le
songe survient dans un flot de tracas et le propos insensé,
dans un flot de paroles »).
Et il n’est pas aisé non plus de voir en quoi le thème du sacrifice en Qo
4,17 correspond à celui du vœu en Qo 5,3-4, ou celui de la prière en Qo
5,1 à celui de l’autojustification mensongère en Qo 5,55.
En outre, Lohfink reconnaît que les mots clefs en Qo5,2.6a sont
~Alx] etrb'D' (« parole ») ; pourtant, il ne prend pas en compte le fait que
ces deux termes pris dans l’acception couramment reconnue dans
l’Ancien Testament « se réfèrent à deux domaines de vie différents6 ».
~Alx]apparaît 60 fois dans l’AT et en dehors de ses deux occurrences
dans tout le livre de Qohélet, son sens bien connu est rêve, songe7. ~Alx]
en Qo5,2a.6a semble donc ajouter à Qo 4,17-5,6 un nouvel élément
thématique dont l’intégration à cette unité littéraire pose d’énormes
difficultés8.
Or en Qo5,2b, la tournure ~yrIb'D>broB. (« dans un flot de paroles »)
fait intervenir la notion lysiK. (« insensé »,Qo4,17ab ; Qo5,2b) et marque,
avec l’insistance sur les paroles pléthoriques, le lien thématique entre
Qo 5,1 et Qo5,2b. Par contre, la construction analogue avec broB. qui est
4Cf. A. SCHENKER, « Glossary of common Terms in the Massorahparva », A. SCHENKERet al. (éds.),
Megilloth (BHQ18 ; Stuttgart 2004) p. XCVI-XCVII et 39. 5 Cf. J.-J. LAVOIE, « Critique cultuelle et doute existentiel : étude de Qo 4,17-5,6 » SR
26/2 (1997) p. 150. 6M. ROSE, Rien de nouveau (Fribourg, Suisse – Göttingen 1999) p. 347. 7 Cf. J. BERGMAN – M. OTTOSSON – G. J. BOTTERWECK, « ~l;x', ~Alx] », TWAT II (Stuttgart –
Berlin – Köln – Mainz 1977) c. 986-998. 8Cf. L. MAZZINGHI, Ho cercato e ho esplorato. Studi sul Qohelet (Bologna 2001) p. 252.
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attestée en Qo5,2a, !y"n>[i broB. (« dans un flot d’occupations ») fait
intervenir le concept ~Alx] qui n’a de lien qu’avec Qo5,6a où le thème du
songe (~Alx]) est repris sans aucune cohérence apparente avec
l’ensemble de l’unité littéraire.
Ainsi, comme le remarque avec pertinence Paul Joüon : « Ou [sic,
nous comprenons ``on´´] ne voit pas ce que les songes viennent faire ici
[…].De plus, !y"n>[i `` préoccupations ´´ s’oppose mal à `` paroles ´´. Enfin,
aB' construit avec B. est suspect. […] Le v. 6a, qui ne donne aucun sens,
semble être une forme encore plus altérée du v. 29 ». L’analyse de
Lohfink n’aborde pas cette difficultéque présente le texte.
C’est pourquoi, à notre tour, et à la lumière des études littéraires,
après Lohfink, dédiées à Qo 4,17-5,6 notre intérêt pour la péricope nous
amène à nous demander comment intégrer le thème du songe (~Alx]) à
ce passage sans en détériorer la cohérence interne ni en détruire
l’articulation organique à l’ensemble du livre.
Pour ce faire, il faut s’efforcer de lever les ambigüités liées à
l’emploi de ~Alx] en Qo5,2.6a.
Mais avant, quelles sont les solutions déjà proposées à ce sujet ?
2.Les équivoques et les apories de l’interprétation de~Alx]en
Qo5,2.6a : un défi herméneutique ?
Suite à l’énigme de la mention de la mention dede~Alx] en
Qo5,2.6al’interprétation du passage donne lieu à plusieurs équivoques.
Ceci dit, avant toute nouvelle tentative de solution, une brève histoire
de la recherche s’impose !
a)Qo5,2.6a : les tentatives de correction de M
Face à la difficulté que soulève l’intégration de ~Alx] (Qo5,2.6a) à
ce contexte d’usage du terme (Qo 4,17-5,6), certains exégètes proposent
de corriger le texte massorétique (M).
9P. JOÜON, « Notes philologiques sur le texte hébreu d’Ecclésiaste », Bib 11 (1930) p.
420-421.
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Karl Budde10, au lieu de ~Alx]h;,propose de lirehl,xoh;(malade) en
Qo 5,2 qu’iltraduit : « Denn der Kranke kommt daher mit vieler Plage /
Und des Toren Stimme mit vielen Worten ».
Paul Joüon11 (en 1930) propose de lire au lieu de ~Alx]h; en Qo 5,2,
TAlleho (folie) qui revient 5 fois12 dans le livre et qui répond mieux à lysiK.
(insensé) utilisé 2 fois dans la péricope(Qo4,17ab ; Qo5,2b).
Martin Rose (en 1999) affirme que « la plus grande difficulté du
verset est la mention du ``rêve´´ » et il corrige ~Alx] en « ~ylx (vocalisé :
~ylixo) ou ~ylil.xo (éventuellement encore par lAxm' ou ~ylixom.). Ces formes
participiales désigneraient celui (ou ceux) qui étai(en)t particulièrement
apte(s) ou formé(s) pour réciter des prières liturgiques13. »
b)Qo5,2.6a : glose, citation ou parenthèse
Comme, il n’y a pas d’unanimité dans les propositions de
corrections de M. Certains exégètes préconisent le maintien des termes
de M et qualifient Qo5,2.6a de glose, de citations ou de parenthèses.
Pour Carl Siegfried14 (en 1898), McNeile15 (en 1904), Georges
Aaron Barton16 (en 1912), Emmanuel Podechard17 (en 1912), Galling18
(en 1940) et Buzy19 (en 1946) les vv. 2.6a sont des gloses relevant d’une
insertion postérieure qu’il convient d’éliminer du texte. L’interprétation
de Qo5,2.6a ne peut se faire de manière rigoureuse qu’en dehors du
livre.
10Cf. K. BUDDE, Die Prediger (HSAT II ; Tübingen 31910) p. 393. 11 Cf. P. JOÜON, « Notes philologiques sur le texte hébreu d’Ecclésiaste », p. 421. 12Qo 1,17 ; 2,12 ; 7,25 ; 9,3 ; 10,13. 13M. ROSE, Rien de nouveau, p. 348. 14 Cf. C. G. SIEGFRIED, Prediger und Hoheslied (HAT II, 3/2 ; Gottingen 1898) p. 50. 15Cf. A. H. MCNEILE, An Introduction to Ecclesiastes with notes and appendices
(Cambridge 1904) p. 25. 16Cf. G. A. BARTON, A Critical and Exegetical Commentary on the Book of Ecclesiastes
(Edinburgh 1912, 21980) p. 123. 17 Cf. E. PODECHARD, L’Ecclésiaste, p. 338. 18Cf. K. GALLING, Der Prediger (HAT 18 ; Tübingen 1940, 21969) p. 76. 19 Cf. D. BUZY, L’Ecclésiaste (La Sainte Bible 6 ; Paris 1946) p. 169.
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Pour d’autres auteurs comme Gordis20 (en 1951) ; H. W.
Hertzberg21 (en 1963) ; Scott22 (en 1965) ; Lauha23 (en 1978) ; Murphy24
(en 1981) ; Ogden25 (en 1987) ; Whybray26 (en 1989) ; Diethelm Michel27
(en 1988) ; Christian Klein28 (en 1994) ; Tremper Longman29 (en 1998) et
M. Gilbert (en 2003) Qo5,2.6a est plutôt une citation et non pas une
glose. En Qo5,2.6a l’auteur renvoie entre autres à Pr 10,19. « En citant le
proverbe (voir aussi Pr 10,19), Qohelet s’inscrit dans une longue
tradition sapientielle30. »
Enfin, pour Crenshaw31(en 1981) seule la seconde partie du v.2
où n’intervient pas~Alx] mais plutôt rb'D' (Qo5,2b) marque un lien
évident avec l’ensemble de ce passage. De même, Michael V. Fox (en
1989) prend le v. 2 pour une parenthèse32 dont seule la seconde partie
(Qo5,2b) est importante dans ce contexte.
En conclusion, les exégètes qui considèrent Qo5,2.6a comme une
glose fondent leurs arguments sur l’identification d’une multiplicité
d’auteurs intervenant dans le livre. Contre la thèse de la pluralité des
auteurs du Qohélet s’inscrivent les exégètes qui préfèrent tenir Qo5,2.6a
pour une brève citation ou une parenthèse, rejetant ainsi l’attribution de
Qo 4,17-5,6 à un auteur différent de celui de Qohélet tout entier.
c) Critique des solutions proposées
20Cf. R. GORDIS, Koheleth – The man and His world. A Study of Ecclesiastes (New York
1951, 21955, 31968) p. 101, 248. 21Cf. H. W. HERTZBERG, Der Prediger (KAT xvii, 4-5 ; Gutersloh 1963) p.118-124. 22Cf. R. B. Y. SCOTT, Proverbs. Ecclesiastes (AB 18 ; Garden City 1965) p. 227. 23 Cf. A. LAUHA, Kohelet (BKAT19 ;Neukirchen-Vluyn 1978) p. 97. 24Cf. R. E. MURPHY, Wisdom Literature : Job, Proverbs, Ruth, Canticles, Ecclesiastes, and
Esther (FOTL 13 ; Grand Rapids, 1981) p. 138 ; IDEM, Ecclesiastes (Word biblical
Commentary 23 ; Dallas, TX 1992) p. 44-56. 25Cf. G. S. OGDEN, Qoheleth (Sheffield 1987) p. 75. 26Cf. R. N. WHYBRAY,Ecclesiastes (Grand Rapids MI–London 1989) p. 91-97. 27Cf. D. MICHEL,Qohelet (EdF 258 ; Darmstadt 1988) p. 142. « ein verfremdetes Zitat ». 28Cf. C KLEIN, Kohelet (1994) p. 70. « Kohelet hier zitiert diesen Spruch ». 29Cf. T. LONGMAN, Ecclesiastes (Grand Rapids MI – Cambridge U.K.1998) p
152.« Qoheletherequotes a proverb ». 30M. GILBERT, Les cinq livres des sages (Paris 2003) p. 138. 31 Cf. J. L. CRENSHAW, Ecclesiastes (Philadelphia, PA 1987) p. 116. 32 « aparenthical remark of proverbial character » : M. V. FOX, Qohelet and His
Contradictions (LHBOTS [JSOT.S] 71 ; Sheffield 1989) p. 211.
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Ces différentes prises de position ne nous semblent pas résoudre
la difficulté que soulève l’apparition soudaine de ~Alx] ou du thème des
songes en Qo5,2.6a, pour plusieurs raisons.
Contre la proposition de corriger M,force est de reconnaître que
les traditions textuelles grecques et latines ont traduit fidèlement ~Alx].
Aussi pouvons-nous lire dans les versions33 :
G : evnu,pnion
V :somnia
Hielem : somnia
Contre l’identification de Qo5,2.6a comme une glose, il convient
donc de noter qu’en général les gloses n’ont pas une allure poétique.
Qo5,2.6a se distingue de l’ensemble de l’unité littéraire par le fait que,
selon les critères d’identification de la poésie biblique34, le style de
l’auteur en Qo5,2.6a répond aux normes de la poésie tandis que dans le
reste de l’unité littéraire son style suit les normes de la prose. Ne serait-
il pas paradoxal d’y voir une glose tardive d’un quelconque rédacteur ?
Certains exégètes qui trouvent en Qo5,2.6a une citation font
exclusivement référence à Pr 10,19. Or ce passage ne mentionne pas le
thème des songes. Le vocable ~Alx] n’est même pas attesté dans le livre
biblique des Proverbes. M. Gilbert relève cette limite d’une référence
restreinte à Pr 10,19 quand il écrit : « voir aussi Pr 10,1935 ».
3.Nos conjectures de départ et hypothèse de solution au
problème littéraire de la mention de~Alx]en Qo5,2.6a
33 Pour les différents sigles G, Hielem, V, nous nous alignons sur l’option faite par le
comité éditorial de la BHQ. Cf. A. SCHENKERet al. (éd.), Megilloth (BHQ 18 ; Stuttgart
2004) p. LXXVII-LXXX ; G : Old Greek ; Hielem : Saint Jérôme ; V : Vulgate. 34Cf. W. G. E. WATSON, Classical Hebrew Poetry. A Guide to its Techniques (LHBOTS
[JSOT.SS] 26 ; Sheffield 1986) p. 44-55. 35M. GILBERT, Les cinq livres des sages, p. 138.
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Pour aller au-delà des différentes tentatives de solutions
proposées, notre hypothèse de départ est que la lecture de Qo 4,17-5,6 à
partir d’une structuresymétrique permet de mettre en évidence la
portée sémantique et la fonction de la mention de ~Alx]en Qo5,2.6a. Ici
c’est le tout, Qo 4,17-5,6 qui explique la partie, ~Alx]en Qo5,2.6a.
Ainsi une analyse sémantique qui tienne rigoureusement compte
du contexte d’usage de ~Alx]en Qo5,2.6a pourrait permettre de
déterminer le sens que prend ici le terme et de faire ressortir la manière
dont il s’intègre adéquatement à Qo 4,17-5,6 et à l’ensemble du livre.
Cette analyserendra possible unecritique littéraire permettant de
déterminer la nature et le degré de parallélisme de Qo5,2.6a avec des
textes bibliques ou extra-bibliques et par conséquent d’établir le
contexte historique de l’auteur voire la date de Qo5,2.6a.
Notre analysesémantique partira donc du contexte large de cet
emploi de ~Alx] : il s’agit de Qo 4,17-5,6. Et à la fin, elle se limitera à son
contexte restreint, à savoir Qo5,2.6a.Ainsi, l’observation des enjeux
sémantiques de la mention de~Alx]en Qo5,2.6a nous permettrad’en
identifier les enjeux littéraires à partir de l’analyse comparative de
Qo5,2.6a à des textes bibliques ou extra-bibliques.
II. – Les enjeux sémantiques de la mention de ~Alx] en Qo 4,17-5,6
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À la lumière de la structure de notre passage nous indiquerons le
sens que prend ~Alx] ici. Cela nous permettra d’illustrer la fonction critique
de cet emploi qohélétien du terme.
1. Qo 4,17 - 5,6 : structure
Contrairement à la proposition de Lohfink36 en 1980, reprise par
Spangenberg37 en 1989 et apparemment abandonnée par ce même
auteur38 en 1998, nous retrouvons ici une structure en forme
symétriqueindiquée par le double emploi derv,a]K;(« lorsque ») en Qo
4,17 et Qo 5,3.
Qo 4,17-5,2 : Ière section (introduite par : ~yhil{a/h' tyBe-la, %leTerv<a]K;)
Qo 4,17 : le sacrifice,
Qo4,17aa : conseil
Qo4,17ab : motivation
Qo4,17b : avis complémentaire
Qo 5,1 : la prière
Qo5,1a : conseil
Qo5,1ba : motivation
Qo5,1bb : avis complémentaire
Qo 5,2 : formule impersonnelle sur le rêve / la parole
~yrIb'D>broB.lysiK. lAqw> !y"n>[i broB. ~Alx]h; aB' yKi « Car ~Alx]h;survient dans un flot de tracas et le propos insensé, dans un flot de paroles »
Qo 5,3-6a : IIème section introduite par : ~yhil{ale rd<n<rDoTirv,a]K;
Qo 5,3-4 : le vœu
Qo5,3aa : conseil
Qo 5, 3ab : motivation
Qo5,3b.4 : avis complémentaire
Qo 5,5 : l’autojustification mensongère
Qo 5, 5aa : conseil
Qo 5, 5ab : motivation
Qo 5, 5b : avis complémentaire
36 Cf. N. LOHFINK, Kohelet, p. 40 ;IDEM, « Warum ist der Tor unfähig, Böse zu handeln ?
(Koh 4,17) », F. STEPPAT (éd.), XXI. Deutscher Orientalistentag vom 24 bis 29 März 1980 in
Berlin : Ausgewählte Vorträge (Zeitschrift der deutschen morgenländischen Gesellschaft
Supplement 5 ; Wiesbaden 1983) p. 116, n. 22. 37 Cf. I. J. J. SPANGENBERG, « Die Struktuur en Strekking van Prediker 4:17-5:6 »,
TeologieseTydskrif 30 (1989) p. 265. 38 Cf. I. J. J. SPANGENBERG, « A Century of Wrestling with Qoheleth », p. 85-86.
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Qo5,6a : formule impersonnelle sur le rêve / la parole
hBer>h; ~yrIb'd>W ~ylib'h]w: tAml{x] brob. yKi « Car dans un flot detAml{x], vanités et les paroles nombreuses »
Qo5,6b : conclusion du passage
Cette forme d’organisation du texte s’écarte aussi des analyses de
Vittoria d’Alario qui, tenant compte de toutes les études faites avant
elle, identifie en Qo 4,17-5,6 une structure en trois parties (Qo 4,17 ; 5,1-
2 ; 5,3-6) articulées autour des trois affirmations fondamentales de la
section39. rv,a]K; en Qo 4,17-5,6 détermine les deux propositions
subordonnées circonstancielles importantes dans l’ensemble de la
péricope40.
Les subdivisions de chacune des sections (Qo 4,17-5,2 et Qo 5,3-
6)indiquées par l’emploi derv,a]K;sont marquées par les termes
~yhil{a/h'(« Dieu »), yKi(« car »), hM'l'(« pourquoi ») et les impératifs qui se
retrouvent de manière identique dans les deux sections et qui
permettent de distinguer la démarche tripartite que l’auteur adopte
pour le développement de chaque subdivision thématique.
Ainsi la double occurrence de la formule impersonnelle en Qo 5,2
et en Qo5,6asuggère-t-elle que le sens de~Alx] est en lien aveclb,h,
(« vanité ») et mis en lumière par le parallélisme synonymique que
l’auteur établit entre ~Alx] et lysiK. lAq(« voix de l’insensé »). Comment
le comprendre ?
2. Le sens de~Alx] en Qo5,2.6a
39Cf. V. D’ALARIO, Il libro del Qohélet. Struttura litteraria e retorica (Bologna 1992) p. 11-
58, 122. 40 Cf. M. GILBERT, Les cinq livres des sages, p. 136.
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Notre proposition est que ~Alx] prend ici le sens de songe illusoire,
de fantasme41.Ce sens est inhabituel dans tout le contexte
vétérotestamentaire. Car ordinairement « ~Alx] n’a pas la nuance
péjorative qu’on veut lui donner42 » ici. Ce sens contraste donc avec
celui qu’offre couramment le champ lexical de ~Alx] dans l’Ancien
Testament où ~Alx]est employé strictement en référence aux songes
d’incubation, ou aux songes symboliques ou non-symboliques43.
Le parallélisme synonymique entre ~Alx], d’une part, et lysiK.
lAq(« voix de l’insensé »), d’autre part, est clairement déterminé en Qo
5,2 par les deux constructions analogues !y"n>[i broB. (« flot de tracas ») et
~yrIb'D>broB. (« flot de paroles »). Ainsi, pour l’auteur, comme l’écrit
Maurice Gilbert, celui « qui ne se contrôle pas en arrive à dire à Dieu
des choses aussi fantasques que le songe d’un homme agité44 ».
~Alx] signifiant fantasme, illusion s’intègre donc de manière
organique à ce contexte. Etle rapport entre l’ensemble de la péricope et
la question essentielle du livre de Qohélet – celle que pose lb,h,
(« vanité ») – est marqué par la double occurrence de ~Alx]
(« fantasme ») attesté dans la remarque conclusive à la fin de chacune
des deux sections de Qo 4,17-5,6 :
~yrIb'D>broB. lysiK. lAqw> !y"n>[i broB. ~Alx]h; aB' yKi
Car du nombre des tracas vient le songe, du nombre des paroles, le ton de l'insensé(Qo 5,2) ar"y> ~yhil{a/h'-ta, yKihBer>h; ~yrIb'd>W ~ylib'h]w: tAml{x] brob. yKi
Car dans un flot de tAml{x], vanités et les paroles nombreuses. Alors, crains Dieu (Qo 5,6)
Dans ce même ordre d’idées, !y"n>[I (« tracas ») porte ici une
connotation négative qui souligne la dimension critique voire ironique du
41Cf. (larvyb 2007) ,zK'ruM.h;!v'Av-!b,a,!ALmi,« ~Alx] » ,!v'Av-!b,a,~h'r'b.a; ; L. SCHWIENHORST-
SCHÖNBERGER, Kohelet(HThKAT ; Freiburg im B. 2004) p. 314 ; E. GLASSER, Le procès du
bonheur par Qohelet (Paris 1970) p. 84-87 ; W. ZIMMERLI, DasBuch des PredigersSalomo
(Göttingen 1962, 21980) p. 128-130 ; M. JASTROW, A Dictionary of the Targumim, the
Talmud Babli and Yerushalmi, and the MidrashicLiterature (London–New-York 1903) p.
465, 471. 42P. JOÜON, « Notes philologiques sur le texte hébreu d’Ecclésiaste », Bib 11 (1930) p.
420-421. 43 Cf. J. BERGMAN – M. OTTOSSON – G. J. BOTTERWECK, « ~l;x', ~Alx] », c. 992-998. 44M. GILBERT, Les cinq livres des sages, p. 138.
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jugement porté par l’auteur45 en privilégiant l’emploi de ~Alx] en
Qo5,2.6a.
3. La sémantique de ~Alx]en Qo5,2.6a : indice d’une polémique
qohélétienne contre les songes
L’allure polémique de cet emploi qohélétien de~Alx] ne fait aucun
doute. Nous l’élucidons brièvement et en donnons l’illustration à partir
des deux parallèles vétérotestamentaires (1 Rois 3,5-12 et 2 Ch 1,7-12) à
l’argument des songes en Qo 4,17-5,6.
a) La sémantique de ~Alx]en Qo5,2.6a : une fonction critique
En Qo5,2.6a, l’auteur réfléchit sur le culte et porte un jugement
critique sur les pratiques religieuses à cause des illusions qui peuvent les
inspirer et s’y mêler46. De même que « l’abondance des paroles devient
langage d’insensé, par l’insistance qu’elle met à vouloir modifier la
décision divine47 », de même, la multiplication des pratiques religieuses
peut maintenir l’orant dans l’illusion qu’il réussirait ainsi à forcer la
main à Dieu. En d’autres termes, de même que l’auteur en Qo
4,17recommande avant toute prière le contrôle des passions, la maîtrise
de soi et la disposition recueillie, de même en Qo5,2.6a il suggère un
exercice mesuré et sans abus des pratiques cultuelles.
Ainsi, la portée sémantique de ~Alx] (« fantasme ») met en
évidence une double critique de la part de l’auteur48. D’une part, elle
s’attaque à la vaine multiplication d’actes cultuels et, d’autre part, elle
met en garde contre les songes liés au contexte cultuel qui peuvent être
45Cf. L. MAZZINGHI, Ho cercato e ho esplorato, p. 164, 216, 252 ; E. GLASSER, Le procès du
bonheur par Qohelet, p. 87. 46Cf. L. MAZZINGHI, Ho cercato e ho esplorato, p. 247-248 et 252 ; W. ZIMMERLI, « Das
Buch Kohelet – Traktat oder Sentenzensammlung? », VT 24 (1974) p. 221-230 ; E.
GLASSER, Le procès du bonheur par Qohelet, p. 84 ; W. ZIMMERLI, Das Buch des Predigers
Salomo, p. 188-190. 47E. GLASSER, Le procès du bonheur par Qohelet, p. 87. 48 Cf. L. MAZZINGHI, Ho cercato e ho esplorato, p. 253-254 ; L. G. PERDUE, Wisdom and
Cult, A Critical Analysis of the Views of Cult in the Wisdom Literature of Israel and the
Ancient Near East (Missoula, MT 1977) p. 178-188.
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de pures illusions dans lesquelles les orants se leurrent. Cette
dimension critique n’est pas sans établir une polémique en parallèle à 1
Rois 3,5-12 et 2 Ch 1,7-12.
b) La sémantique de ~Alx]en Qo5,2.6a : une polémique en parallèle
à 1 Rois 3,5-12 et 2 Ch 1,7-12
Qo 4,17-5,2 présente de manière critique des éléments
thématiques qui évoquent le portrait de Salomon en 1 R 3-11. Sans
fournir ici tous les éléments qui permettent d’établir ces rapports et qui
sont amplement présentés dans les recherches minutieusement menées
par certains exégètes comme L. Schwienhorst-Schönberger, Mazzinghi,
Tita,Schenker, Krüger, Rose49, nous relevons ici quelques points.
En 1 R 3,4-15 Salomon est décrit comme celui qui est allé prier au
lieu du culte et qui reçut la visite de YHWH qui lui parla en songe. En
Qo 4,17, ces mêmes précisions au sujet du contexte cultuel sont attestées
et le terme ~Alx]revient deux fois en Qo5,2.6a tout comme en 1 R 3,4-1550.
De plus, la mise en garde en Qo 5,3-5 au sujet des vœux et de
l’autojustification mensongère évoque Salomon présenté aussi en 1 R 3-
11 comme celui qui n’a pas observé, jusqu’à la fin de sa vie, la promesse
qu’il a faite dans sa prière devant le Seigneur.Et l’invitation à l’écoute
en Qo 4,17qui est motivée par la transcendance divineen Qo 5,1 évoque
les formules en 1 R 8,27a51et 1 R 3,952.
Bref, nous proposons que Qo5,2.6a se présente comme une
relecture critique du songe de Salomon à Gabaon. L‘auteur y
49Cf. L. SCHWIENHORST-SCHÖNBERGER, Kohelet,p. 260 ; L L. MAZZINGHI, Ho cercato e ho
esplorato, p. 247-248 ; HUBERT TITA, GelübdealsBekenntnis : EineStudiezu den
GelübdenimAlten Testament (OBO 181 ; Göttingen 2001) p. 208-210 ; A. SCHENKER,
Septante et textemassorétiquedansl’histoire la plus ancienne du texte de 1 Rois 2-14 (Cahiers
de la Revue Biblique 48 ; Paris 2000) p. 43-44, 142-159 ; T. KRÜGER, Kohelet (Prediger),
(BiblischerKommentarAltes Testament, Bd. 19 ; Neukirchen-Vluyn 2000) p. 209 ; M.
ROSE, Rien de nouveau, p. 336-358 ; L. SCHWIENHORST-SCHÖNBERGER,Nichtim Menschen
gründet das Glück (Koh 2,24). Kohelet im Spannungsfeld jüdischer Weisheit und
hellenistischer Philosophie (HBS 2 ; Freiburg 1994. 21996) p. 135-136. 50hl'y>L"h; ~Alx]B; (la nuit en songe, 1 R 3,5)
~Alx] hNEhiw>(et voilà que c'était un songe, 1 R 3,15). 51#r<a'h'-l[; ~yhil{a/ bveyE ~n"m.auh; yKi : Mais Dieu habiterait-il vraiment avec les hommes sur la
terre ? 52^M.[;-ta, jPov.li [:mevoble ^D>b.[;l. T't;n"w> : mais donne à ton serviteur un cœur qui entende pour
gouverner ton peuple.
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formuleune critique au sujet des actes cultuels et du songe en usant
d’un matériel traditionnel qui lui est bien connu53. L’héritage
vétérotestamentaire est ici mis à contribution pour exprimer des
préoccupations originales, dans une œuvre d’auteur.
Faisant écho à la critique qohélétienne observée dans ce passage,
le livre des Chroniques omet carrément l’emploi de ~Alx] dans son récit
du rêve salomonien à Gbaon (2 Ch 1,7).
c) L’omission de~Alx]en 2 Ch 1,7 parallèle littéraire de 1 R 3,5 : un
indice non qohélétien de lapolémique contre les songes en Qo5,2.6a
En 1 R 3,5 nous avons : %l"-!T,a, hm' la;v. ~yhil{a/ rm,aYOw: hl'y>L"h; ~Alx]B; hmol{v.-la, hA"hy>ha'r>nI !A[b.gIB. À Gabaôn, YHWH apparut la nuit en songe à Salomon. Dieu dit : " Demande
ce que je dois te donner. "
Par contre, en 2 Ch 1,7 nous avons : %l"-!T,a, hm' la;v. Al rm,aYOw: hmol{v.li ~yhil{a/ ha'r>nIaWhh; hl'y>L:B; La nuit même, Dieu se montra à Salomon et lui dit : " Demande ce que je dois
te donner. "
À la différence de 1 R 3,5, le texte de 2 Ch 1,7 ne mentionne pas
~Alx]. Le terme ~Alx] apparaît 2 fois dans le livre des Rois et ces deux
occurrences sont dans la péricope du songe de Salomon (1 R 3,5 ; 1 R
3,15) ; mais ~Alx] n’est attesté nulle part dans le livre des Chroniques.
L’origine du livre des Rois est située entre 560 av. J.-C. (date post quem)
et 400 av. J.-C. (date ante quem)54. Et la composition du livre des
Chroniques est située vers la fin du IVe siècle av. J.-C55.
Or on sait qu’à l’époque perse qui dure jusque vers la fin du IVe
siècle av. J.-C, se développa la conception selon laquelle l’homme ne
peut connaître le monde et la réalité si ce n’est à partir d’une révélation
surnaturelle56. Et dans ce contexte, l’apocalyptique juive avait réhabilité
53Cf. L L. MAZZINGHI, Ho cercato e ho esplorato, p. 248. 54 Cf. JEPSEN, Die Quellen des Konigsbuches(Halle 1953, 21956) p. 4 ; M. J. MULDER, 1
Kings. Vol. 1 : 1 Kings 1-11 (Leuven, 1998) p. 11 ; J. DUS, VT 10 (1960) p. 353-374 ;
Busink, 597f. 55Cf. P. B. DIRKSEN, 1 Chronicles (Leuven 2005) p. 6 ;S. JAPHET, I & II Chronicles. A
Commentary (Louisville, KY 1993) p. 28 ;KALIMI, « Abfassungszeit » (1993) ;
THRONTVEIT, When Kings Speak (1987) p. 97-107 ; WILLIAMSON, Excursus `The Date of
Chronicles´, IBC (1977) p. 83-86. 56Cf. P. SACCHI, « La conoscenza presso gli ebrei da Amos all’essenismo », L’apocalittica
giudaica e la sua storia (Biblioteca di cultura religiosa 55 ; Brescia 1990) p. 220-258.
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les songes et les visions comme instruments privilégiés de la
connaissance : certains chapitres des textes d’Henoch57 généralement
datés au IIIe siècle av. J.-C., en donnent la preuve58.
Aussi l’omission de la mention explicite du terme ~Alx] en 2 Ch
1,7, parallèle du récit du songe de Salomon de 1 R 3,5, est-elle le signe
qu’à une certaine période dans l’histoire de la réception de 1 R 3,4-15,
c’est-à-dire à l’époque de la rédaction de 2 Ch 1, 7-13, probablement
vers la fin du IVe siècle av. J.-C., la considération du songe comme
révélation divine était remise en cause59. On peut déduire de l’option
faite par l’auteur du livre des chroniques que, sans nécessairement
s’inscrire dans la polémique anti-apocalyptique relative aux songes, il
en a tenu compte en omettant ~Alx]en 2 Ch 1,7.
La différence textuelle entre 1 R 3,5 et 2 Ch 1,7 est donc un indice
de la polémique contre les songes perçus comme mode de révélation
divine60.
Toutefois, peut-on affirmer qu’à travers cette critique, l’auteur
s’inscrit totalement ou partiellement dans un courant critique déjà
existant ?
571Hen 1,2 ; 13,8.10 ; 14.1-2.4.8.13 ; de même que 1 Hen 83-90 dans le livre des songes
composé beaucoup plus tard vers 164 avant notre ère, tout comme aussi 1Hen
12,8.14,1 qui est attesté à Qumran (en 4QEnc1vi10). 58Cf. L. MAZZINGHI, Histoire d‘Israël. Dès les origines à la période romaine (Ecritures 11 ;
Bruxelles 22007) p. 104 ; L. MAZZINGHI, Ho cercato e ho esplorato, p. 253. 59Cf. D. MCLAIN CARR, From D to Q. A Study of Early Jewish Interpretation of Solomon’s
Dream at Gibeon (SBLMS44 ; Atlanta 1991). 60 Cf. M. J. MULDER, 1 Kings, p. 139 ;J. GRAY, I & II Kings. Commentary (London 31977) p.
122-127.
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III. – Les enjeux littéraires de la mention de ~Alx] en
Qo 4,17-5,6 : une ouverture autogérée et un dialogue
fécond d’inter-culturalité
Malgré son enracinement vétérotestamentaire, on observe dans
cet emploi qohélétien de ~Alx]un indice d’un probable contact avec le
monde hellénistique. Cela nous met en présence d’une véritable et
authentique œuvre d’auteur qui reste un modèle à imiter en matière
d’interculturalité.
1. La mention de~Alx]en Qo5,2.6a : un indice qohélétien d’un
enracinement vétérotestamentaire
La tradition biblique vétérotestamentaire n’est pas hostile à la
considération des songes comme un mode de révélation divine.
Cependant la polémique contre les songes et la critique du culte et de la
religion est bien attestée dans la tradition biblique vétérotestamentaire61
qui sait bien que ce ne sont pas tous les songes qui sont occasions de
révélation divine.
L’un des éléments de la critique que nous retrouvons dans les
traditions deutéronomique et prophétique62 par exemple, est que le songe
« n’est admis comme mode de révélation divine que s’il ne détourne
pas du Dieu de l’Alliance63 » (Dt 13,2-6 ; Jr 23,25-32 ; 27,9-10).
En Qo5,2.6a l’attitude critique de l’auteur se situe dans la ligne
des traditions deutéronomique et prophétique, sans pour autant se
confondre avec elles. A la différence de Dt 13,2-6 qui renvoie à l’autorité
de l’Alliance comme critère de discernement, l’auteur de Qo5,2.6a
renvoie au pouvoir de l’expérience épistémologique64. Pour lui c’est la
61Cf. H. SIMIAN-YOFRE, Il deserto degli dèi. Teologia e storia nel libro di Osea (Bologna 31994) ; L. G. PERDUE, Wisdom and Cult,p. 135-261. 62 Cf. M. OTTOSSON, « ~l;x', ~Alx] », c. 994-995 ; A. CAQUOT, « Les songes et leur
interprétation Canaan et Israël », Les songes et leur interprétation. Egypte ancienne,
Babylone, Israël, Canaan, Peuples altaïques, Hittites, Cambodge, Persans, Kurdes, Japon, Inde,
Islam, Chine (Sources Orientales 2 ; Paris 1959) p. 117-118. 63A. DA SILVA, La symbolique des rêves et des vêtements dans l’histoire de Joseph et de ses
frères (Héritages et projets 52 ; Montréal 1994) p. 41-42. 64Cf. L. MAZZINGHI, Ho cercato e ho esplorato, p. 162-167, 252.
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sagesse qui est l’instrument privilégié de la connaissance et toutes les
investigations épistémologiques ont pour limites le monde65.
Par ailleurs, quoique l’invitation à ne pas agir de manière
inconsidérée et précipitée en ce qui concerne l’usage de la parole
n’épuise pas le sens deQo5,2.6a, elle évoque d’une manière explicite Pr
10,19 et la similitude du vocabulaire (~yrIb'D>broB. :« flot de paroles ») en
Qo5,2.6a et en Pr 10,19 en donne la preuve :
Pr 10,19
lyKif.m;wyt'p'f. %fExow> [v;P'-lD:x.y< al{ ~yrIb'D>broB.
Abondance de paroles ne va pas sans
offense ; qui retient ses lèvres est
avisé
Qo 5,2 ~yrIb'D>broB.lysiK. lAqw> !y"n>[i broB. ~Alx]h; aB' yKi Car l’illusion survient dans un flot de
tracas et le propos insensé, dans un flot de
paroles.
Qo5,6a hBer>h; ~yrIb'd>W ~ylib'h]w: tAml{x] brob. yKi
Car du nombre des songes viennent
les vanités et les paroles multipliées.
Qohélet s’inscrit donc dans une longue tradition sapientielle66
vétérotestamentaire, en reprenant la mise en garde formulée en Pr 10,19
au sujet du flot de paroles. Pr 10,19 fait partie du recueil des proverbes
qui datent de l’époque royaleet qui sont communément appelés par les
exégètes, sentences de Salomon.
Toutefois la précision du sens en contexte de ~Alx] en Qo5,2.6a
telle que nous l’avons établie plus haut amène à reconnaître que le
caractère inhabituel et atypique de la nuance que prend ~Alx] en
Qo5,2.6a est l’indice d’un élargissement qohélétien de l’emploi
ordinaire du terme. Aussi convient-il de prendre également en
considération les parallèles extrabibliques qui s’imposent par leur
cohérence avec la pensée du Qohélet de sorte à mieux cerner les
conséquences qui résultent de l’établissement d’un champ de
comparaison plus ample.
Ceci dit, la datationdu Qohélet largement reconnue de nos jours
au IIIe siècle av. J.-C. nous inspire sans doutela philosophie grecque
comme possibilité de lieu commun avec l’emploi de ~Alx] en Qo5,2.6a.
65Qo1,13a. 66 Cf. M. GILBERT, Les cinq livres des sages, p. 138.
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2. La mention de~Alx]en Qo5,2.6a : un indice qohélétien d’une
inter-compénétration fructueuse entre judaïsme et hellénisme
D’après Lohfink, Qo5,2.6a fait allusion à la religion populaire
friande d’oracles, d’extases et de prophéties vers le IIIe siècle av. J.-C67.
Mais la difficulté que pose l’analyse de Lohfink est qu’il n’y a ici aucune
mention d’oracles, ni d’extases, ni de prophétie.
Pour Jean-Jacques Lavoie68, plusieurs philosophes grecs ont
attribué aux songes une origine naturelle. Ainsi, dans la pensée de
Diogène le Cynique dont le floruit est 404-323 av. J.-C. les songes sont
considérés comme des fantasmes liés à la vie biologique et
psychologique de l’homme. De même, pour Aristote dont le floruit est
384-322 les songes se rapportent souvent aux préoccupations éprouvées
la veille et sont de purs produits de l’imagination, de l’affectivité et de
l’émotivité. Qohélet partagerait avec ces philosophes la mise en
évidence de causes purement naturelles dans les expériences de songes.
Cependant les philosophes grecs comme Diogène le Cynique et
Aristote, dans les conclusions de leurs réflexions relatives aux songes,
ne s’intéressent pas principalement au culte comme en Qo 4,17-5,6. Or
l’emploi de !y"n>[i en Qo 5,2 souligne le fait que Qohélet, dans sa critique
ici s’intéresse en premier au culte et à la religion. !y"n>[iapparaît 8 fois dans
toute la Bible hébraïque et exclusivement dans le livre de Qohélet. Au
début de son livre, l’auteur l’emploi dans un contexte où il aborde
explicitement les questions épistémologiques, puis il l’emploie en lien
avec l’ensemble des occupations ou activités humaines et enfin, ici en
Qo 5,2 il l’utilise pour désigner les actes cultuels en général.
À partir du développement qui précède nous observons que dans le
Qohélet la Sagesse biblique est en dialogue avec la sagesse
philosophique. Mais, dans la mention de ~Alx](Qo5,2.6a), comment et
dans quelles mesures se faitl’ouverture du Qohélet à ces lieux communs
avec la pensée grecque ?
67 Cf. N. LOHFINK, Kohelet, p. 74-77. 68 Cf. J.-J. LAVOIE, « Critique cultuelle et doute existentiel », p. 160-161.
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3. La mention de~Alx]en Qo5,2.6a : un modèle d’ouverture
interculturelle autogérée et féconde
La mention de ~Alx]en Qo5,2.6a fait entrevoir entre l’auteur et la
pensée grecque un dialogue où nous voyons en filigrane se profiler à
l’horizon une mutualité et une inter-compénétration constructive,
enrichissante et féconde de différentes communautés de rationalité.
L’auteur du Qohélet est, tout à la fois, un théologien et un homme
de sagesse dont la foi et l’attachement à Dieuest sans compromis !
Toutefois,son enracinement dans le milieu culturel vétérotestamentaire
et foncièrement juif ne l’empêche pas d’être ouvert aux cercles
philosophiques grecs de son temps.
Il est donc un homme cultivée qui se situe sur une frontière69, un
homme du dialogue intellectuel qui féconde à la foisl’expérience,
l’intelligence et l’expression de la foi.
Dans l’optique du Concile Vatican Il et de certains textes de Paul
VI qui parlaient de l'Église progressant par le dialogue dans sa
connaissance de la vérité, et dans l’esprit, non seulement de l'Exhortation
apostolique post-synodale Ecclesia in Africa qui a recueilli les résultats
la première Assemblée synodale consacrée à l'Afrique, mais aussi de
l’exhortation apostolique post-synodale Africaemunus sur : « L’Église en
Afrique au service de la Réconciliation, de la et de la Justice et Paix », on
observe que, de nos jours, vue l’ampleur des phénomènes de la
mondialisation et de la sécularisation, la nécessité de véritables
rencontres entre cultures sur différents plans technologiques s’impose,
de toute évidence.
Ces rencontres doivent se placer sous le signe d’échanges
interculturels se déroulant dans un climat exempt de tout conflit. De
même, ces rencontres doivent être gouvernées par une éthique basée
sur des rapports féconds et transparents de communications et de
partages technologiques.
Bien entendu, de manière générale, la culture c’est l’esprit
cultivé : c’est-à-dire l’ensemble des manifestations de l’esprit d’un peuple. Et
à ce titre, au cœur de toute culture la tradition a une double fonction de
légitimation et de subversion. Autrement dit, toute culture est animée
d’un mouvement néguentropique caractérisé de la double impulsion
69
Cf. M. HENGEL, Judaimus und Hellenismus (WUNT, 10), Tübingen, 1969, pp. 210-237.
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concomitante au changement et au maintien. Aucune culture, au risque
de disparaître par entropie, n’est figée.
À travers l’esprit de dialogue qui se dévoile dans la manière dont
l’auteur procède, l’œuvre duQohélet nous procure un véritable modèle,
spécialement dans notre milieu africain où le pluralisme culturel et
technologique bat son plein au risque parfois d’annihilation de
l’individu et de son identité culturelle.
Aussi investir, à la lumière non seulement du Qohélet mais de
tous les livres bibliques, toutes les possibilités de rapports entre la
sagesse biblique et la sagesse philosophique en général, devient-il un
passionnant projet d’actualité dont la réalisation nous revendique en
vue du développement de l’Afrique qui n’est rien d’autre qu’une auto-
prise en charge intégral. Car cette démarche à la fois dynamique,
intellectuelle et critique instaure inéluctablement et de manière
fructueuse des dialogues positifs et transparents entre différentes
communautés de rationalités et est ainsi protagoniste de réconciliation
et de dialogue d’inter-culturalité.
CONCLUSION
Pour finir, tout ce parcours nous a permis de poser le problème
de la mention de ~Alx]en Qo5,2.6a et de dégager les limites des solutions
proposées. Selon nous, l’analyse de la structure et de la composition de
Qo 4,17-5,2 permet de re-préciser le sens de ~Alx]dans ce contexte. Il
signifie fantasme et s’intègre de manière organique à l’ensemble du
livre. Au vu des parallèles grecs avec cet emploi inhabituel de ~Alx] dans le contexte vétérotestamentaire on incline à confirmer l’éventualité
d’un contact entre l’auteur et la pensée. Aussi les nuances atypiques
que prend la sémantique de ~Alx]en Qo5,2.6a témoignent-elles d’une
ouverture autogérée et constructive du Qohélet au monde hellénistique.
Ce dialogue fécond d’inter-culturalité et de d’inter-compénétration
authentique de différentes communautés de rationalité ne reste pas
sans interpeller à plusieurs égards !
PAUL-MARIE FIDÈLE CHANGO, OP Docteur ès-Sciences Bibliques
Prof. d'Exégèse d'Ancien Testament
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