Si la musique grecque m’était contée en quinze dates
Sylvain Perrot
CNRS – UMR 7044 Archimède
Directeur adjoint de la MISHA
Secrétaire de l’ARELAS
Nos connaissances sur la pratique de la musique en Grèce remontent au moins aux temps
minoens et mycéniens, grâce aux textes, images et vestiges que nous avons conservés. La poésie
d’Homère est riche de références à des musiques qui se veulent déjà plurielles, formant un lien
entre les hommes et les dieux mais aussi entre les Grecs et leurs voisins. La musique grecque
ne s’est jamais déclinée au singulier, elle est forte de multiples héritages et échanges culturels.
Il est vain de faire ici une histoire complète de ces musiques, qui requiert des connaissances
encyclopédiques. L’objectif de cette page est plutôt d’inviter le lecteur à un petit voyage à
travers les siècles, autour de quelques dates-clefs que peuvent accompagner des airs qui se sont
transmis par voie écrite ou orale. J’espère susciter de l’intérêt et de la curiosité pour ce
patrimoine en bonne partie immatériel, qui s’offre comme un bien commun à toutes et tous.
408 avant Jésus-Christ : Euripide produit son Oreste à Athènes
Une des plus anciennes partitions que nous ayons conservées de l’Antiquité a été composée
pour cette tragédie. C’est un chant du chœur, interprété par les femmes d’Argos qui déplorent
la folie qui frappe Oreste. La mélodie, inquiète et poignante, correspond à ce que nous savons
du style d’Euripide, empreint de chromatismes. Le texte et son accompagnement musical sont
conservés sur un papyrus de Vienne, connu et transposé depuis 1890, le système de notation
grec nous étant parvenu grâce à quelques traités antiques. Si la mélodie et le rythme sont sûrs,
toute reconstitution de musique antique fait appel à une part d’incertitude et d’imagination. Par
exemple, en 2017, un chœur d’enseignants-chercheurs et d’étudiants a interprété la
reconstitution établie par A. d’Angour à l’Ashmolean Museum d’Oxford, accompagné d’un
aulos, copie exacte d’un exemplaire qui se trouve dans les réserves du musée du Louvre (à
partir de 13’15).
https://www.youtube.com/watch?v=4vVN748-GJ0
128 avant Jésus-Christ : deux hymnes athéniens à Apollon retentissent à Delphes
Les plus longues partitions antiques ont été trouvées en 1893 par l’École française d’Athènes
dans les ruines du trésor des Athéniens à Delphes et déchiffrées par Théodore Reinach. Toute
une série d’inscriptions nous renseigne sur le contexte de leur exécution. Une cinquantaine de
chanteurs et une dizaine d’instrumentistes (aulos et cithare), tous membres de la puissante
corporation des musiciens d’Athènes, sont venus à Delphes dans le cadre d’une grande
procession pour interpréter deux péans au dieu Apollon, d’une part exaltant les victoires du dieu
contre le serpent Python et l’invasion galate de 279 avant Jésus-Christ, et d’autre part vantant
les liens ancestraux qui unissent Athènes et Delphes. Nous sommes en 128 avant Jésus-Christ,
à un moment où ces artistes sont en grande rivalité avec la corporation de l’Isthme et de Némée.
A. Bélis a proposé en 1992 l’édition de référence de ces deux hymnes, qu’elle interprète avec
l’ensemble Kérylos.
https://www.youtube.com/watch?v=R_KmlIX3aHc
Entre 720 et 749 : l’hymnographe Jean Damascène travaille à son Oktoechos
Si la musique des premiers Chrétiens se fait dans la continuité des usages antiques, comme en
témoigne l’hymne à la Trinité conservée sur un papyrus d’Oxyrhynchus du IVe siècle, cet
héritage s’amenuise peu à peu au profit d’autres influences qui confèrent à la musique liturgique
byzantine son originalité. En pleine crise iconoclaste, Jean Damascène ne fut pas seulement un
farouche défenseur des icônes, mais aussi un des premiers grands hymnographes, contribuant à
fixer le système sur lequel se fonde encore aujourd’hui le chant dans la liturgie de rite grec :
l’oktoechos, un ensemble de huit modes prédéfinis (quatre « authentes » et quatre « plagiaux »).
À chaque semaine correspond un de ces modes. L’interprétation se fait par un chantre ou un
chœur d’hommes a capella, et le seul accompagnement autorisé est l’ison, une note continue
grave qui souligne le mode employé. Une des hymnes byzantines les plus célèbres est le
Tropaire pascal, commémorant la résurrection du Christ et chanté habituellement sur le ton 5.
Le voici dans l’interprétation de Petros Gaitanos.
https://www.youtube.com/watch?v=qJ4fx0AJ350
Χριστὸς ἀνέστη ἐκ νεκρῶν,
θανάτῳ θάνατον πατήσας,
καὶ τοῖς ἐν τοῖς μνήμασι,
ζωὴν χαρισάμενος !
Christ est ressuscité d’entre les morts,
foulant la mort par la mort
et à ceux dans les tombeaux
accordant la vie !
25 mars 1821 : les chants d’insurrection contre la domination ottomane
L’histoire raconte que pour les 5000 paysans réunis autour de lui à Patras, le patriarche
Germanos entonne une doxologie. Les insurgés ont pu compter sur l’aide des bandes de
brigands armés habitués à rançonner les riches pour redistribuer leur butin aux pauvres, les
klephtes (« voleurs »). Ils deviennent une force de libération sous la houlette des généraux
Makriyannis et Kolokotronis. Principalement actifs en Épire et dans le Péloponnèse, ils puisent
dans les traditions locales leur musique et leur danse typique, le tzamiko, une danse épirote où
les hommes sont en ligne ou en cercle ouvert. Ils sont devenus des figures quasi mythiques,
auréolés d’une image romantique, que leurs chants (les klephtika) ont contribué à façonner. Les
principaux thèmes en sont la mort de l’un des leurs ou leur mode de vie nomade et au jour le
jour. Voici un des plus célèbres, La vie des klephtes, par Lakis Pappas.
https://www.youtube.com/watch?v=pKMyJPaAJzI
Μαύρη, μωρέ, μαύρη ζωή που κάνουμε (x 2)
εμείς οι δόλιοι κλέφτες, εμείς οι δόλιοι κλέφτες (x 2).
Ποτέ, μωρέ, ποτέ μας δεν αλλάζουμε (x 2)
Ποτέ μας δεν αλλάζουμε, και δεν ασπροφοράμε (x 2).
Καβά-, μωρέ, καβάλα πάμ' στην εκκλησιά (x 2)
καβάλα πάμ΄ στην εκκλησιά, καβάλα προσκυνάμε (x 2)
Με φό-, μωρέ, με φόβο τρώμε το ψωμί (x 2)
Με φόβο τρώμε το ψωμί, με φόβο τραγουδάμε (x 2)
Όλη-, μωρέ, ολημέρις στον πόλεμο (x 2)
Ολημέρις στον πόλεμο, το βράδυ καραούλι (x 2)
Noire, mon gars, et amère est la vie que nous menons,
nous les Klephtes rusés, nous les Klephtes rusés.
Jamais, mon gars, jamais nous ne nous changeons.
Jamais nous ne nous changeons, ni ne portons de blanc.
À cheval, mon gars, à cheval nous allons à l’église.
À cheval nous allons à l’église, à cheval nous nous prosternons.
Avec crainte, mon gars, avec crainte nous mangeons le pain.
Avec crainte nous mangeons le pain, avec crainte nous avançons.
Toute la journée, mon gars, toute la journée à la guerre.
Toute la journée à la guerre, le soir on veille.
14 juin 1821 : l’insurrection crétoise et les traditions musicales anciennes
Les Crétois se révoltent eux aussi et l’emportent sur les Turcs près de La Canée. En l’absence
de soutien international, la Crète reste cependant ottomane jusqu’en 1913 malgré plusieurs
révoltes. Ce mouvement de contestation fut l’occasion de remettre au goût du jour les traditions
musicales héritées de Byzance et influencées par les pratiques ottomanes. Parmi les plus
anciennes chansons crétoises figurent les rizitika (les « chants de racine ») interprétés à l’origine
a capella. On distingue les rizitika tis stratas (« de la rue ») et les rikitika tis tavlas (« de la
table »). Le compositeur crétois contemporain Yannis Markopoulos a largement contribué à
constituer un canon de ces chants au début des années 1970, avec le chanteur Nikos Xylouris.
Parmi les chansons crétoises traditionnelles figurent aussi l’Erotokritos et les tabachaniotika,
souvent joués sur l’instrument emblématique de la Crète, la lyra.
https://www.youtube.com/watch?v=zjXPC8kRdcg
1865 : l’Hymne à la liberté de Dionysios Solomos devient l’hymne national grec
En 1832 est créé le royaume de Grèce qui comprend alors l’Attique, le Péloponnèse, la Grèce
centrale et l’Étolo-Acarnanie. En 1863, la Grande-Bretagne lui rétrocède les Heptanisa (les sept
îles ioniennes). En 1865, le roi Georges Ier, en visite à Corfou, entend l’Hymne à la liberté que
Dionysios Solomos, né 25 ans plus tôt à Zakynthos, avait écrit à Zante en 1823 et que son ami
Nikolaos Mantzaros avait mis en musique dès 1828 : il était en effet devenu l’hymne non
officiel des Heptanisa. Le poème compte à l’origine 158 strophes, mais seules les deux
premières constituent officiellement l’hymne. Solomos avait fait le choix d’écrire le texte en
grec « démotique », c'est-à-dire le grec parlé par la population, en opposition à la katharevousa
de la tradition littéraire qui cherchait à se rapprocher du grec ancien. Depuis 1966, c’est aussi
l’hymne de la République de Chypre. L’usage veut que l’hymne soit interprété à chaque
cérémonie de clôture des Jeux Olympiques.
https://www.youtube.com/watch?v=wskOKGgCCcU
Σε γνωρίζω από την κόψη,
Του σπαθιού την τρομερή,
Σε γνωρίζω από την όψη,
Που με βια μετράει τη γη.
Απ’ τα κόκαλα βγαλμένη,
των Ελλήνων τα ιερά,
Και σαν πρώτα ανδρειωμένη,
Χαίρε, ω χαίρε Ελευθεριά. (× 3)
Je te reconnais au tranchant
de ton glaive redoutable ;
Je te reconnais à ce regard rapide
Dont tu mesures la terre.
Sortie des ossements
Sacrés des Hellènes,
Et forte de ton antique énergie,
Je te salue, je te salue, ô Liberté ! (× 3)
1908 : fondation de l’École nationale grecque par Manolis Kalomiris
Né à Smyrne en 1883, Manolis Kalomiris est la figure de proue de la musique grecque savante
de la première moitié du XXe siècle. Très influencé par Kostis Palamas et Nikos Kazantzakis,
admirateur de la musique de Wagner et de Rimsky-Korsakov, il publie en 1908 un manifeste
appelant à la fondation d’une « École Nationale » de musique grecque. Il s’est principalement
fait connaître pour sa première symphonie (Levendia, « Bravoure »), où il témoigne de son goût
pour des effets dramatiques et pathétiques, dans une orchestration riche et brillante. Sa volonté
de promouvoir le patrimoine culturel grec se voit tout particulièrement dans l’orchestration qu’il
a faite de chansons traditionnelles et dans ses Trois danses grecques (1937), un ballos, une
danse idyllique et une danse de Tzaconie (Péloponnèse), ouvrant la voie à d’autres compositeurs
comme Nikos Skalkottas.
https://www.youtube.com/watch?v=bR6ypDiF-Iw
1913 : la fin des guerres balkaniques et les danses de Grèce du Nord
Après deux ans de guerre contre l’empire ottoman puis la Bulgarie, le premier ministre grec
Eleftherios Venizelos réussit en partie la « Grande Idée » de rassembler tous les Grecs dans un
même État-nation : l’Épire, la Macédoine, la Crète et les îles égéennes sont intégrées au
royaume. Ce nationalisme triomphant repose sur une communauté linguistique et culturelle, en
quête de ses racines antiques et byzantines, après des siècles de domination ottomane et les
influences qui l’ont accompagnée. Parmi les danses qui remontent à l’époque byzantine et qui
étaient particulièrement en ferveur en Macédoine et à Constantinople, le hasapiko et ses
variantes (notamment le hasaposerviko, plus rapide) occupent une place importante :
originellement danse de la guilde des bouchers (kasap en turc), le hasapiko (ou makellarios en
grec) est une danse à quatre temps, pouvant être jouée sur des instruments traditionnels, comme
le kanonaki, le sandouri, le tambouras et la lyra. Dans son album Mediterraneo, l’ensemble
Arpeggiata de Christina Pluhar a enregistré un hasapiko rapide.
https://www.youtube.com/watch?v=-5Hc3w4Tpxs
1922 : la « Grande Catastrophe » et le rebetiko
En septembre 1922, le violent incendie qui ravage Smyrne à la suite de la conquête de la ville
par les nationalistes turcs provoque la mort violente de très nombreux Chrétiens et l’exil forcé
de ceux qui ont survécu. Ce phénomène migratoire s’accentue avec le traité de Lausanne de
1923 qui prévoit un échange de population entre Grèce et Turquie. 1 300 000 réfugiés arrivent
en Grèce et s’installent pour une partie à Athènes dans les quartiers de Nea Smyrni et Nea Ionia.
Ils apportent avec eux leur musique, notamment le rebetiko dans le style de Smyrne, qui se
caractérise par une instrumentation large, la virtuosité des musiciens et un registre de voix plutôt
aigu. Les thèmes dominants en sont l’amour, la douleur et la séparation. À côté se développe le
style du Pirée, qui voit surtout l’utilisation du bouzouki, du baglama et de la guitare, dans un
registre plutôt grave : il est propre à ceux qui se sont installés au Pirée pour des raisons
économiques. Le rebetiko se politise à cause de la censure de Metaxa dans les années 1930, et
d’autres thèmes font leur apparition : le haschisch et l’alcool dans une société anti-système.
Dans les années 1950, Vassilis Tzitzanis donne ses lettres de noblesse au rebetiko, le faisant
sortir des tekkés du Pirée pour les tavernes cossues d’Athènes. Dans les années 1970, Giorgos
Dalaras en sera le plus brillant ambassadeur.
https://www.youtube.com/watch?v=PdwWcZozb30
Το ‘ξερα μια μέρα πως θα ‘ρθεις
και τις τρέλες σου θα βαρεθείς
Μη μου ξαναφύγεις πια, μάγκα μου
Μείνε μες στην αγκαλιά μου
Ήταν άδικος ο χωρισμός
και ανυπολόγιστα σκληρός
Μη μου ξαναφύγεις πια...
Βρέθηκα στη στράτα της ζωής
δίχως μάνα, δίχως συγγενείς
Μη μου ξαναφύγεις πια...
Je savais qu’un jour tu viendrais
Et que tu serais accablé par tes folies,
Ne repars plus jamais, mon gars,
Reste dans mes bras
Notre separation était injuste
Et d’une incommensurable dureté
Ne repars plus jamais...
Je me suis retrouvée sur les chemins de la vie
Sans mère, sans famille,
Ne repars plus jamais...
1942 : lutter « avec les chants, les armes et les épées »
Le 30 mai 1941, Manolis Glezos et Apostolos Santas décrochent le drapeau nazi installé sur
l’Acropole. C’est le symbole d’une résistance grecque qui mène une lutte acharnée contre
l’occupant. Les résistants grecs ont leurs chants, les antartika, dont Ήρωες, Les héros. La
chanson alterne des strophes à l’allure martiale et des strophes plus lyriques et pathétiques, où
la mort est dépeinte comme le « frère noir ». Outre l’Olympe et le Parnasse, où se nichent
certains combattants, quelques hauts lieux du courage grec sont évoqués, du pont de l’Alamana
qui voit la victoire des Grecs sur les Ottomans le 23 avril 1821 à celui de Gorgopotamos, saboté
le 25 novembre 1942 par 150 résistants grecs avec l’aide des Britanniques. La chanteuse Maria
Dimitriadi a consacré en 1981 un album à ces chants de la résistance grecque, dans une
orchestration de Thanos Mikroutsikos.
https://www.youtube.com/watch?v=VDA0mjLmEzU
Ήρωες, άπαρτα βουνά.
Ήρωες, με δώδεκα ζωές,
κάστρα του Ολύμπου
και του Παρνασσού φαντάσματα,
ήρωες μες στα χαλάσματα.
Αίματα, κόκκινο νερό,
αίματα, ποτάμι βουερό,
πυρ στην Αλαμάνα
και φωτιά στο Γοργοπόταμο
και φωτιά στο Γοργοπόταμο.
Εμπρός αδέρφια εμπρός
κι είναι μαζί μας ο λαός
στα πιο μεγάλα μας τα κατορθώματα
μες στις πέτρες και στα χώματα.
Θάνατος, μαύρος αδερφός.
Θάνατος, θα γίνω αθάνατος,
πυρ στην Αλαμάνα
και φωτιά στο Γοργοπόταμο
και φωτιά στο Γοργοπόταμο.
Αέρας στις κορφές
μαύρο φεγγάρι στις καρδιές
έλα και πάρε μόνος σου τη λευτεριά
με τραγούδια, όπλα και σπαθιά.
Héros, montagnes imprenables,
Héros aux douze vies,
Forteresses de l’Olympe
Et fantômes du Parnasse,
Héros au milieu des ruines.
Coulées de sang, eau rouge,
Coulées de sang, fleuve bruyant,
Feu à l’Alamana,
Flammes au Gorgopotamos,
Flammes au Gorgopotamos.
Allons, mes frères, allons !
Le peuple est avec nous
Dans nos plus grandes réalisations
Au milieu des pierres et de la poussière.
Mort, frère noir,
Mort, je serai immortel,
Feu à l’Alamana,
Flammes au Gorgopotamos,
Flammes au Gorgopotamos.
Vent sur les cimes,
Lune noire dans les cœurs,
Viens et prends seul la liberté
Avec des chants, des armes et des épées.
1961 : un Oscar pour la liberté d’Ilya
« Jamais le dimanche » : voilà comment Ilya, prostituée populaire, libre et indépendante,
éconduit ses prétendants-clients une fois par semaine. Parodie du Stella de Michael Kakoyannis
où Melina Mercouri tenait le premier rôle, le film de Jules Dassin (1960) fait la part belle à la
musique de Manos Hadjidakis qui reçut l’Oscar de la meilleure musique de film. Chanteuse de
rebetiko, Ilya séduit le brave Américain Homer qui se rêve nouveau Pygmalion face à sa fair
lady. On connaît la chanson phare, Τα παιδιά του Πειραιά, Les enfants du Pirée, qui s’annonce
dans les grésillements de la platine vinyle. Elle dévoile l’intimité d’une femme partagée entre
sa soif de liberté et son désir de fonder une famille, à la recherche d’un homme qui puisse
partager sa joie de vivre. Le port devient la métaphore de son amour pour l’homme qui pourrait
ravir son cœur.
https://www.youtube.com/watch?v=DyPs49e1V3c
Aπ’ το παράθυρό μου στέλνω
ένα δύο και τρία και τέσσερα φιλιά
που φτάνουν στο λιμάνι ένα και δύο και τρία και τέσσερα πουλιά
Πώς ήθελα να είχα ένα και δύο
και τρία και τέσσερα παιδιά που σαν θα μεγαλώσουν όλα
θα γίνουν λεβέντες για χάρη του Πειραιά
Όσο κι αν ψάξω, δεν βρίσκω άλλο λιμάνι
τρελή να με `χει κάνει, όσο τον Πειραιά Που όταν βραδιάζει, τραγούδια μ’ αραδιάζει
και τις πενιές του αλλάζει, γεμίζει από παιδιά
Aπό την πόρτα μου σαν βγω
δεν υπάρχει κανείς που να μην τον αγαπώ
και σαν το βράδυ κοιμηθώ, ξέρω πως ξέρω πως, πως θα τον ονειρευτώ
Πετράδια βάζω στο λαιμό, και μια χά
και μια χά , και μια χάντρα φυλακτό γιατί τα βράδια καρτερώ, στο λιμάνι σαν βγω
κάποιον άγνωστο να βρω
Όσο κι αν ψάξω..
Depuis ma fenêtre j’envoie
Un, deux et trois et quatre baisers
qui arrivent au port un et deux et trois et quatre oiseaux
Comme je voudrais en avoir
un et deux et trois et quatre enfants qui quand ils grandiront tous
deviendront des braves gars pour l’amour du
Pirée
Autant que je cherche, je ne trouve un autre
port qui me rende folle autant que Le Pirée
qui, quand le soir arrive, ses chansons déroule
change ses accords, et se remplit de garçons
De ma porte dès que je sors
il n’y en a pas un que je n’aime pas
et quand le soir je m’endors, je sais que, je sais que je rêverai de lui
Je mets une parure de pierres autour du cou,
et une perle en amulette parce que le soir quand je sors sur le port
j’attends
quelque inconnu à rencontrer
Autant que je cherche…
1964 : le sirtaki de Zorba
Adapté du roman Alexis Zorba de Nikos Kazantzakis (1946), le film de Michael Cacoyannis,
Zorba le Grec, s’achève sur le fameux sirtaki composé par Mikis Theodorakis, chorégraphié
par Giorgos Provias et interprété par Anthony Quinn. Cette danse n’est pas authentique : c’est
plutôt un assemblage de trois danses différentes, un hasapiko lent, un hasapiko rapide et un
hasaposerviko, d’où l’accélération progressive du tempo qui en fait la renommée. Le nom a été
forgé comme un diminutif de syrtos, qui désigne un groupe de danses traditionnelles, qui en
Crète est une danse exclusivement d’hommes. La danse a un vrai rôle dramatique dans le film :
Zorba avait expliqué à Basil, joué par Alan Bates, que la danse peut tout exprimer, du chagrin
à la colère.
https://www.youtube.com/watch?v=JPuVYti3WVc
1969 : Z ou l’enfant rieur
Le 23 mai 1967, le député communiste Grigoris Lambrakis, qui condamnait les dérives
autoritaires du régime, est assassiné à Thessalonique. Le pays s’enfonce dans une crise politique
qui favorise le coup d’État des colonels le 21 avril, qui interdisent la musique de Mikis
Theodorakis, ami de Lambrakis, et les chants des Jeunesses Lambrakis. Lambrakis est
rapidement devenu un symbole et sur les murs fleurissent des « Z », abréviation de Ζεί, « il est
vivant ». C’est le titre du célèbre film que Costa-Gavras a consacré à l’événement, adaptant le
livre de Vassilis Vassilikos et souhaitant que Theodorakis compose la musique. Mais celui-ci
est alors emprisonné et avec son accord, le réalisateur choisit quelques chansons qui
appartiennent déjà à son répertoire. L’une d’entre elles devient iconique : Το γελαστό παιδί,
« l’enfant rieur », que Theodorakis avait composée pour L’otage, une pièce du dramaturge
irlandais Brendan Behan mettant en scène un jeune militant de l’IRA qui doit être exécuté et un
jeune anglais enlevé par l’IRA en représailles. La chanson suscite toujours une forte émotion,
ainsi au mémorable concert du stade Karaiskakis en 1974 qui a suivi de peu la chute de la junte,
où Theodorakis la fait entendre avec sa fidèle interprète, Maria Farandouri.
https://www.youtube.com/watch?v=svinLIidxK0
Ήταν πρωί του Αυγούστου κοντά στη
ροδαυγή
βγήκα να πάρω αέρα στην ανθισμένη γη
βλέπω μια κόρη κλαίει σπαραχτικά θρηνεί
σπάσε καρδιά μου εχάθη το γελαστό παιδί
Είχεν αντρεία και θάρρος και αιώνια θα
θρηνώ
το πηδηχτό του βήμα το γέλιο το γλυκό
ανάθεμα την ώρα κατάρα τη στιγμή
σκοτώσαν οι εχθροί μας το γελαστό παιδί
Μον’ να `ταν σκοτωμένο στου αρχηγού το
πλάι
και μόνον από βόλι Εγγλέζου να `χε πάει
κι από απεργία πείνας μέσα στη φυλακή
θα `ταν τιμή μου που `χασα το γελαστό
παιδί
Βασιλικιά μου αγάπη μ’ αγάπη θα στο λέω
για το ό,τι έκανες αιώνια θα σε κλαίω
γιατί όλους τους εχθρούς μας θα ξέκανες
εσύ
δόξα τιμή στ’ αξέχαστο γελαστό παιδί
C’était un matin d’août peu avant l’aube de
rose
je suis sorti prendre l’air sur la plaine
fleurie
je vois une fille en pleurs, qui se lamente
dans les larmes,
mon cœur s’est brisé, l’enfant rieur avait
disparu
Il avait de la vaillance et du courage, et je
me lamenterai une éternité
Sur son pas sautillant, son rire, sa douceur.
Maudite soit l’heure, maudit l’instant fatal
où nos ennemis ont tué le garçon rieur.
Si encore il avait péri avec le chef à ses
côtés
Si encore il était mort sous les balles de
l’Anglais,
D’une grève de la faim en prison,
C’eût été un honneur que je perde le
garçon rieur
Mon amour majestueux, je te le dis avec
amour
Pour tout ce que tu as fait, je te pleurerai
une éternité
Parce que tous nos ennemis tu les aurais
anéantis
Gloire et honneur à l’inoubliable garçon
rieur.
1984 : le Nobel et la poésie des femmes
Après Giorgos Seferis en 1963, Odysseas Elytis reçoit en 1979 le prix Nobel de littérature pour
son œuvre poétique, qui inspire plusieurs compositeurs et compositrices, notamment Angélique
Ionatos. La rencontre a lieu en 1984 rue Skoufa et inaugure une série d’entretiens entre les
deux artistes, qui aboutissent notamment en 1988 à la mise en musique du Monogramme
qu’Elytis avait publié en 1972. En 1985, il publie un livre sur Sappho qui inspire à la
compositrice un album qu’elle produit en 1991 avec sa consœur Nena Venetsanou, Sappho de
Mytilène. Ionatos dira : « Au lieu de me sentir étrangère à cette émotion d’une langue dite
“morte” je me suis sentie comme chez moi. Comme si je marchais sur un territoire déjà connu.
Une odeur que j’aurais oubliée, enfouie dans ma prime jeunesse – et qui venait m’inonder de
sa familiarité. Un chant ancien à jamais inscrit dans ma mémoire. J’étais à la fois étrangère et
membre de la famille ».
https://www.youtube.com/watch?v=y_oIS70OBFs&t=74s
1985 : le onzième commandement
En 1943, le poète Nikos Gatsos publie Amorgos, un long poème écrit en une nuit, en écriture
automatique : c’est un des représentants majeurs du surréalisme grec. Il s’est surtout fait
connaître comme auteur de chansons en travaillant avec Manos Hadzidakis, notamment pour
le film America, America d’Elia Kazan (1963). Il se lie d’amitié avec la chanteuse crétoise
Nana Mouskouri, qui aura contribué à populariser la musique grecque sur la scène
internationale. L’album Gloria eterna (2003) reprend les principaux titres qui les ont réunis.
Certains ont été mis en musique par M. Hadzidakis, comme l’incontournable Μίλησε μου
(d’abord interprété par Grigoris Bithikotsis) ou Αθήνα, d’autres par Giorgos Hadzinasios,
comme Ήλιε που χάθηκες et peut-être le titre le plus intriguant, écrit en 1985, Η ενδεκάτη
εντολή, Le onzième commandement, « qui est un verre très pur et un couteau tranchant ».
https://www.youtube.com/watch?v=BEm03F8qrsc
Ρίξ’ ένα βλέμμα σιωπηλό
στον κόσμο τον αμαρτωλό
και δες η γη πως καίει.
Και με το χέρι στην καρδιά
αν δε σ’ αγγίξει η πυρκαγιά,
ψάξε να βρεις ποιος φταίει.
Σα χαμοπούλι ταπεινό
που δεν εγνώρισ’ ουρανό
και περπατάει στο χώμα,
την ενδεκάτη εντολή
δεν την σεβάστηκες πολύ
γι’ αυτό πονάς ακόμα.
Την ενδεκάτη εντολή
δεν την σεβάστηκες πολύ
γι’ αυτό πονάς ακόμα.
Είναι καινούργια και παλιά
σαν της ψυχής την αντηλιά,
σαν της καρδιάς τα βάθη.
Μα μες του κόσμου τη φωτιά
που μπερδευτήκαν τα χαρτιά
κανείς δε θα τη μάθει.
Τράβα να βρεις τον Μωυσή
και ξαναρώτατον κι εσύ
μήπως αυτός την ξέρει
την ενδεκάτη εντολή
που `ν’ ολοκάθαρο γυαλί
και κοφτερό μαχαίρι.
Την ενδεκάτη εντολή
που `ν’ ολοκάθαρο γυαλί
και κοφτερό μαχαίρι.
Στην παγωμένη σου ερημιά
το γέλιο γίνεται ζημιά
κι η ομορφιά σκοτάδι.
Έτσι είναι φίλε μου η ζωή
φέρνει τον ήλιο το πρωί
την καταχνιά το βράδυ.
Κάνε λοιπόν υπομονή
τώρα που φως δε θα φανεί
κι ούτε θα `ρθει καράβι.
Την ενδεκάτη εντολή
την ξέρουν μόνο οι τρελοί
κι όλοι της γης οι σκλάβοι.
Την ενδεκάτη εντολή
την ξέρουν μόνο οι τρελοί
κι όλοι της γης οι σκλάβοι.
Jette un coup d’œil silencieux
sur le monde pécheur
et vois comment la terre brûle
Et avec la main sur le cœur
si l’incendie ne te touche pas
essaie de trouver qui est en faute.
Comme un humble petit oiseau
qui n’a pas connu le ciel
et marche sur le sol.
Le onzième commandement
tu ne l’as pas respecté suffisamment
et c’est pour cela que tu souffres encore.
Le onzième commandement
tu ne l’as pas respecté suffisamment
et c’est pour cela que tu souffres encore.
C’est nouveau et ancien
comme l’éblouissement de l’âme
comme les profondeurs du cœur.
Mais au milieu des flammes du monde
où les papiers s’emmêlent,
personne ne le saura.
Va trouver Moïse
et demande-lui encore une fois
si jamais lui le connaît
le onzième commandement
qui est un verre très pur
et un couteau tranchant.
le onzième commandement
qui est un verre très pur
et un couteau tranchant.
Dans ta solitude glacée
le sourire devient préjudice
et la beauté obscurité
C’est ainsi la vie, mon ami,
Le matin apporte le soleil
Et le soir la brume.
Prends donc patience
maintenant qu’aucune lumière n’apparaîtra
et qu’aucun bateau non plus n’apparaîtra,
Le onzième commandement
Ce sont seulement les fous qui le savent
et tous les esclaves de la terre.
Le onzième commandement
Ce sont seulement les fous qui le savent
et tous les esclaves de la terre.