Le principe d'individualisation à l'épreuve des peines minimales d'emprisonnement - Étude
comparée des systèmes de justice pénale français et canadien
Mémoire Maîtrise en droit - avec mémoire
Yasmine Ben M'barek
Université Laval Québec, Canada
Maître en droit (LL. M.)
et
Université Toulouse 1 Capitole Toulouse,France
Master (M.)
© Yasmine Ben M'barek, 2019
Le principe d’individualisation à l’épreuve des peines minimales d’emprisonnement
Étude comparée des systèmes de justice pénale français et canadien
Maîtrise en droit – avec mémoire
Yasmine BEN M’BAREK
Sous la direction de :
Julie DESROSIERS (Université Laval)
Antoine BOTTON (Université Toulouse I Capitole)
ii
Résumé
Le terme d’individualisation désigne la faculté de modulation de la peine par le juge
selon la nature de l’infraction et les caractéristiques propres au contrevenant. Cette
faculté du juge fera l’objet d’une étude comparée sous le prisme des peines
minimales d’emprisonnement : peines obligatoires imposées par le législateur pour
certaines infractions et qui s’imposent aux juges. Ces dernières, très controversées
en France comme au Canada, semblent constituer un obstacle à la
personnalisation de la sanction entrainant déséquilibres et injustices dans la
détermination de la peine.
iii
Table des matières
Résumé ........................................................................................................................................................... ii
Table des matières .................................................................................................................................... iii
Remerciements ............................................................................................................................................ v
Introduction .................................................................................................................................................. 1
PARTIE 1 L’importance croissante de l’individualisation dans nos systèmes pénaux
et l’évolution parallèle des peines minimales d’emprisonnement : des tendances
paradoxales ? ............................................................................................................................................... 8
Chapitre 1 L’individualisation : fil d’or de la détermination de la peine ...... 9
Section 1 : L’individualisation de la peine : condition de son efficacité ? ........... 10
Section 2 : La réforme du droit pénal : l’intégration progressive du principe
d’individualisation en droit positif français et canadien ............................................. 20
Chapitre 2 L’insertion des peines minimales dans l’arsenal répressif : une
évolution contrastée ........................................................................................................ 35
Section 1 Les peines minimales en France : le frein de l’individualisation ? .... 36
Section 2 L’inflation du mandatory sentencing au Canada : entre dissuasion,
dénonciation et populisme ......................................................................................................... 45
PARTIE 2 Peines obligatoires d’emprisonnement et personnalisation de la
sanction : un mariage indésirable ? ............................................................................................... 52
Chapitre 1 : Les peines minimales obligatoires : atteinte injustifiée au
principe d’individualisation .......................................................................................... 53
Section 1 : Dissuasion et lutte contre la récidive : des objectifs hors de portée
.................................................................................................................................................................. 54
Section 2 : Les déséquilibres créés dans le système de justice pénale ................ 62
Chapitre 2 Les peines obligatoires d’emprisonnement et la Constitution :
une protection insatisfaisante du principe d’individualisation ....................... 70
Section 1 Entre individualisation et proportionnalité : l’enjeu des terminologies
.................................................................................................................................................................. 71
Section 2 Une protection en demi-teinte du principe d’individualisation en droit
français et canadien ....................................................................................................................... 77
iv
Conclusion................................................................................................................................................... 84
Bibliographie .............................................................................................................................................. 88
Annexe A Peines et mesures principales prononcées dans les condamnations en
2017 selon le nombre d’infractions sanctionnées ................................................................... 94
Annexe B Chiffres des condamnations pour l’année 2010 ................................................. 95
Annexe C Taux d’incarcération au Canada et autres pays de l’OCDE ......................... 96
Annexe D Surpopulation carcérale en France et au Québec ............................................. 97
v
Remerciements
À ma mère, pour son infini dévouement.
À mon père, pour ses lectures attentives et ses corrections mais surtout pour le
soutien sans faille lorsque les difficultés paraissaient insurmontables.
À Madame Desrosiers, pour sa bienveillance et ses riches enseignements.
À Messieurs De Lamy et Botton, pour m’avoir aiguillé dans mes recherches.
1
Introduction
« Telle la pierre sous les coups répétés du ciseau, la silhouette du crime et
du criminel émerge progressivement. Sa composition se révèle dans cette
posture qui permet aux tribunaux de saisir chaque forme, chaque relief
nécessaire à la configuration de la peine. »1 Cette métaphore éloquente des
professeurs Desrosiers et Parent révèle la minutie avec laquelle le juge doit
déterminer la peine. Cette dernière, châtiment édicté par la loi à l’effet de
prévenir ou de réprimer une atteinte à l’ordre social qualifiée d’infraction2
obéit, selon les cas, à des logiques punitives différentes. De la rétribution, à
la prévention en passant par la réhabilitation et l’amendement, la sanction
pénale s’est vue attribuer des objectifs divers et variés au gré des mutations
philosophiques, sociales et politico-juridiques. Ainsi les « anciennes
fonctions » de la peine cohabitent désormais avec celles qui pourraient être
qualifiées de « nouvelles » de sorte que le droit pénal est désormais semblable
à « un jardin en friche où la végétation aurait poussé de façon luxuriante »3.
Le mouvement d’individualisation du droit criminel participe sans conteste
à cette diversification de la réponse pénale.4
La personnalisation ou l’individualisation désigne l’action d’adapter une
solution à la personnalité de celui qu’elle concerne5. Appliquée à la sanction
prononcée par le juge pénal, cette définition correspond au mode
d’appréciation de la peine consistant à prendre en compte les circonstances
de l’infraction et la personnalité de son auteur.6
1Hugues PARENT et Julie DESROSIERS, Traité de droit criminel, Tome III : "la peine", Montréal, 2e éd., Thémis, (2016) par. 34. 2Jean-Baptiste THIERRY, L'individualisation du droit criminel, Revue de sciences criminelles et de droit comparé, Dalloz actualité, (2008-05-06) pp.59-68. 3Virginie PELLETIER, Pour une refonte du droit des peines : Quels changements si les préconisations de la Commission Cotte étaient suivis ?, Institut de sciences criminelles et de la justice, Paris, Lexisnexis, (2016) p. 57. 4L'individualisation du droit criminel – Jean-Baptiste Thierry – RSC 2008. 59 5Gérard CORNU, association Henri Capitant (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, 11e éd., Quadrige, Presses Universitaires de France (2016). La personnalisation et l’individualisation seront comprises comme synonymes tout au long de ce travail de recherche, le Conseil constitutionnel français et la Cour suprême du Canada n’établissant pas de distinction entre ces terminologies. 6 Id.,
2
Ce principe d’individualisation reconnu comme principe à valeur
constitutionnelle en France depuis 2005 revêt une importance fondamentale
dans la réhabilitation du délinquant et la lutte contre la récidive. L’impératif
d’individualisation a été intégré en droit français et canadien de sorte à créer
une multiplication des sanctions pouvant être prononcées par le juge. La
crise de la privation de liberté dans nos sociétés contemporaines se
traduisant par une hausse des taux d’incarcération et l’implosion du
système carcéral a conduit le législateur à multiplier les peines substitutives
à l’emprisonnement. En France, surtout, cette diversification de la réponse
pénale s’est traduite par un accroissement des modes alternatifs de
règlement et par la création frénétique de nouvelles peines, jusqu’à
l’avènement de la sanction-réparation en 2007.7
Plus de cent ans après la première édition de L’individualisation de la peine
de Raymond Saleilles parût en 1898, la question de la modulation de la
peine par le juge en fonction des caractéristiques propres à chaque individu
semble être centrale dans nos systèmes pénaux contemporains. L’auteur,
en avance sur son temps, expliquait que « la peine doit être adaptée à la
nature de celui qu’elle va frapper »8 et, qu’en ce sens, liberté doit être donnée
au juge dans son prononcé.
En regardant vers l’avenir, Saleilles explique que la peine, au-delà de son
aspect rétributif, tourné vers le passé, doit permettre à l’individu d’être
réhabilité afin d’éviter qu’il ne persiste encore davantage dans la criminalité.
Il fonde ainsi la peine sur la liberté de l’individu et affirme que la dignité de
ce dernier doit être préservée en tout état de cause (il s’oppose en ce sens
aux peines afflictives et infâmantes). Dans cette logique, et en redonnant au
droit une dimension profondément humaine et humaniste, Saleilles
constate le rôle du jury dans l’individualisation de la peine ainsi que celui
7Jean-Baptiste THIERRY, L'individualisation du droit criminel, Revue de sciences criminelles et de droit comparé, Dalloz actualité, (2008-05-06) pp.59-68. 8 Raymond SALEILLES, L’individualisation de la peine : étude de criminalité sociale, Paris, 1e éd., F. Alcan, (1898).
3
des circonstances atténuantes (introduites dans le Code pénal français en
1824) comme premier levier d’individualisation de la peine. Cependant, il
prône une démarche scientifique et met le juge au cœur du système qui
serait en ce sens « un système d’individualisation judiciaire »9 par opposition
à un « système d’interprétation légale »10. Il préconise alors une discrétion
importante donnée au juge quant à l’appréciation des capacités du
délinquant à se réinsérer dans la société et s’éloigner du crime. Il doit ainsi
tailler sur mesure la sanction pénale en fonction de la personne condamnée,
de sa personnalité, de sa situation et de sa vie passée afin qu’elle soit la plus
juste possible et pour la société (prévention de la récidive) et pour l’individu
lui-même (réhabilitation).
Dans cette optique, si le juge peut s’accommoder des peines
d’emprisonnement maximales en ce sens qu’il peut toujours prononcer une
peine inférieure, il est plus difficile d’admettre l’existence de peines
minimales d’emprisonnement obligatoire (PMO) à la lumière des
enseignements de Saleilles. Il s’agit d’un minimum d’emprisonnement fixé
par le législateur pour une infraction donnée et qui lie le juge quant au
prononcé de la peine. A l’inverse de ce que préconisait l’auteur de
L’individualisation de la peine, ce dernier se retrouve bridé par les
minimums fixés par le Parlement et ne peut éviter de prononcer une peine
d’emprisonnement à l’encontre d’un délinquant pour lequel cette dernière
serait manifestement inadaptée.
Au Canada, si la nature individualisée du processus de détermination de la
peine a été maintes fois reconnue par la Cour suprême11, le principe semble
trouver moins d’écho au Parlement. En effet, ce dernier multiplie les
législations comportant un nombre important de peines d’emprisonnement
9Id., 10Id., 11R. c. L.M. (C.A.) [2008] 2 R.C.S. 163 par.17.
4
obligatoires12 créant ainsi d’importants déséquilibres dans la détermination
de la peine. Le vecteur de l’adoption de ces peines minimales
d’emprisonnement est, entre autres, l’objectif de dissuasion.
En France, c’est la lutte contre la récidive qui a fait figure de justification
lors de l’adoption de la loi 2007-1198 du 10 août 2007 intégrant dans le
Code pénal un système de peines dites « plancher ».
Cependant, on voit les limites d’un tel système dans l’un et l’autre des deux
pays. D’abord, loin de limiter la récidive, les peines d’emprisonnement sont
associées à une hausse du risque de réitération des infractions chez les
individus sortants13. En outre, l’objectif de dissuasion tant mis en avant
n’est ni mesurable ni quantifiable. Faisant le constat de leur inefficacité et
de leur inapplicabilité par les juges, le législateur français finira par abroger
les peines minimales de prison par la loi n°2014-896 du 15 août 2014
justement intitulée loi relative à l’individualisation des peines et renforçant
l’efficacité des sanctions pénales. Outre-Atlantique, en revanche, elles sont
en plein essor.
Il n’y a de principe auquel il est plus difficile de donner corps et tout l’enjeu
de la personnalisation est celui de sa mise en œuvre effective. Aussi il
convient de se demander si l’intégration de peines minimales
d’emprisonnement au sein de l’arsenal répressif est conciliable avec une
application effective du principe d’individualisation ?
Nous nous pencherons plus particulièrement sur deux questions
spécifiques de recherche qui nous permettrons de répondre à notre
12 La loi sur les armes à feu, adoptée en 1995 (L.C. 1995, ch. 39), la loi règlementant certaines drogues et autres substances adoptée en 1996 (L.C. 1996, ch. 19), la loi sur la sécurité des rues et des communautés, adoptée en 2012, (L.C. 2012, ch. 1) introduisent toutes de nouvelles peines minimales obligatoires dans le système de justice pénale canadien. 13 En France, 62% des individus sortants de prison sont à nouveau appréhender dans les cinq ans suivant leur libération tandis qu’entre 2001 et 2011, le taux de condamnation en état de récidive légale est passé de 4,9% à 12,1%. Ces chiffres sont sans appel et remettent en question le choix de l’emprisonnement comme outil de lutte contre la récidive. Prévention de la récidive et individualisation des peines : chiffres clés (2014), <http://www.justice.gouv.fr/include_htm/reforme_penale_chiffres_cles_plaquette.pdf>.
5
problématique générale. D’une part, il convient de poser la question de
savoir en quoi l’individualisation représente un critère essentiel de la
détermination de la peine. D’autre part, les atteintes au principe
d’individualisation causées par un système de peines minimales peuvent-
elles être justifiées par des objectifs pénologiques tels que la dissuasion et
la lutte contre la récidive ? Quelle est la légitimité de tels objectifs ? Doivent-
ils primer sur d’autres objectifs de détermination de la peine tels que la
réhabilitation et la réinsertion du contrevenant ?
Autant de questions que nous allons tenter d’étudier plus en profondeur
dans le cadre de ce travail de recherche. Il m’a semblé, en effet, que les
enjeux posés par l’individualisation et les peines minimales
d’emprisonnement se prêtaient parfaitement à une approche comparée de
deux démocraties possédant deux traditions juridiques différentes mais
faisant face aux mêmes défis quant à la nécessité d’établir des peines justes
et efficaces.
Nous estimons que, dans un système démocratique, l’individualisation de la
peine doit être le principal critère de sa détermination et le juge ne doit pas
être bridé par des minimas imposés par le législateur, du moins, pas de
manière rigide. La justification des peines minimales d’emprisonnement
semble pouvoir être remise en question sur le plan pratique comme
juridique.
L’analyse comparée doit nous permettre d’affirmer que le principe
d’individualisation de la peine reçoit une application effective au Canada
pour ce qui est des infractions qui ne prévoient pas de peines minimales
d’emprisonnement. Dans le cas contraire, lorsqu’une peine minimale est
prévue, tout espoir d’individualisation est anéanti, le juge n’ayant pas la
possibilité de déroger de quelque façon aux dispositions édictées par le
Parlement. En France, si le principe est au centre des récentes réformes de
6
la justice pénale, un examen approfondi permet toutefois d’affirmer que de
nombreux tempéraments lui sont apportés.
Si les minimas fixés par le législateur ne peuvent être supprimés du système
répressif, le juge doit, au moins, avoir des outils assurant une application
effective du principe d’individualisation. Autrement dit, les termes de la loi
doivent permettre d’aller en deçà des minimums fixés par le législateur
lorsque la personnalité du délinquant et les circonstances de l’infraction s’y
prêtent.
L’approche méthodologique adoptée sera une approche de droit comparé. Il
s’agira d’essayer de saisir, à la lumière du droit canadien et du droit
français, toutes les dimensions du principe d’individualisation et les
contraintes causées, à cet égard, par les peines minimales
d’emprisonnement. Il s’agira d’identifier les difficultés communes auxquelles
font face les deux pays s’agissant des peines minimales mais surtout les
solutions qui y sont apportées, le cas échéant. En effet, « on est en général
d’accord pour reconnaître que le droit comparé est appelé à renseigner le
législateur sur les solutions adoptées et les expériences faites dans les
systèmes juridiques des pays étrangers »14.
Par ailleurs, « l’intensification constante des rapports internationaux amène
aujourd’hui le législateur national à suivre et à étudier attentivement le
fonctionnement des institutions juridiques dans les autres pays ».15 En ce
sens, l’étude du droit canadien et de son application nous confortera dans
l’idée que le système français doit rester hostile aux peines minimales, et,
de manière complémentaire, l’étude du droit français, permettra d’affirmer
que le principe d’individualisation doit recevoir plus d’écho en droit
canadien. S’il ne s’agit pas d’aboutir à une suppression complète des peines
14Imre ZAJTAY, « Problèmes méthodologiques du droit comparé » dans Aspects nouveaux de la pensée juridique : recueil d’études en hommage à Marc Ancel, René CASSIN et Maurice ROLLAND, vol.1, Paris, A Pedone, (1975), pp.69‑79, p. 72. 15Groupe consultatif sur la recherche et les études en droit, Le droit et le savoir : rapport au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, Ottawa, Division d’information, Le Conseil, 1983 p. 76‑77.
7
minimales, le système répressif doit permettre au juge de se délier des
minimas imposés par le législateur afin d’imposer une peine juste et efficace.
La recherche comparée nous permettra d’affirmer que ce n’est qu’à cette
condition qu’on peut garantir une application effective du principe
d’individualisation.
La recherche a pour objet d’analyser l’évolution contrastée des peines
minimales d’emprisonnement parallèlement à l’importance croissante du
principe d’individualisation. Ce dernier s’imposant comme le fil d’or de la
détermination de la peine (Partie 1ère). Les effets de ces peines obligatoires
sur la personnalisation de la sanction seront ensuite étudiés (Partie 2ème).
8
PARTIE 1 L’importance croissante de l’individualisation dans
nos systèmes pénaux et l’évolution parallèle des peines
minimales d’emprisonnement : des tendances paradoxales ?
« Il faut que l’on croie à la responsabilité pour qu’une mesure prise contre un malfaiteur soit une peine, mais l’application de la peine n’est plus affaire de
responsabilité, mais d’individualisation. C’est le crime que l’on punit, mais c’est la considération de l’individu qui détermine le genre de mesure qui lui convient »16.
L’individualisation de la peine est le critère de son application. Ce doit être
selon l’illustre Raymond Saleilles, la formule du droit pénal moderne17. En
avance sur son temps, le juriste français expliquait déjà en 1898 la nature
fondamentale du principe et en formulait la théorie. Dès le XVIII siècle, la
répression évolue progressivement pour devenir un processus
essentiellement individualisé en Europe18 comme en Amérique du Nord,
notamment au Canada.
L’évolution du droit pénal dans le sens d’une plus grande considération de
l’individu criminel19 et de ses intérêts a permis au principe de
personnalisation de s’imposer comme le fil d’or de la détermination de la
peine (Chapitre 1er).
Cette tendance générale vers l’individualisation de la peine20 semblait
naturellement marquer l’obsolescence des peines fixes, figure du code pénal
napoléonien, mais aussi des peines minimales obligatoires dites
aussi peines plancher. La réalité n’est pas aussi tranchée et l’évolution des
peines minimales d’emprisonnement en France et au Canada a été sujette à
de nombreux remous législatifs. (Chapitre 2ème)
16Raymond SALEILLES, L’individualisation de la peine : étude de criminalité sociale,1ère éd., Paris, F. Alcan, 1898. p.164. 17Id., 18Sylvie BOISSONADE, « Les prémices de l’individualisation au cours du XIXe siècle en Europe en matière de procédure et de pénologie » (2013) 91:4 Revue historique de droit français et étranger (1922-) 725-739. 19Michel DANTI-JUAN, « Droit pénal, changement social et économie psychique : difficultés du questionnement et plausibilité des rapprochements » (2011) n° 83:1 Cliniques méditerranéennes 7-23. 20Henri VERDUN, Des pratiques judiciaires de correctionnalisation, Étude synthétique et critique, thèse pour le doctorat, Sciences juridiques, Université d’Aix en Provence, (1922), p. 109.
9
Chapitre 1 L’individualisation : fil d’or de la détermination de la
peine
Il paraît nécessaire de définir au préalable la notion d’individualisation au
sens pénal et d’identifier ses principaux caractères afin d’en comprendre les
enjeux (Section 1). De la genèse du principe à l’état actuel du droit positif en
France et au Canada, sera mise en lumière la place croissante de la
personnalisation de la peine dans nos systèmes répressifs modernes
(Section 2).
10
Section 1 : L’individualisation de la peine : condition de son
efficacité ?
Sens commun, sens juridique. L’individualisation dans son sens le plus
commun désigne l’action de rendre individuel quelque chose, de l'adapter à
un individu. C’est une différenciation établie sur la base de caractères
individuels21. Appliquée au droit pénal, l’individualisation consisterait donc
à adapter la peine au délinquant appréhendé en fonction de traits qui lui
sont personnels. C’est ainsi qu’on parle plus justement de personnalisation
de la peine. La définition juridique de ce dernier terme pouvant être donnée
comme suit : « Action d’adapter une solution (mesure, sanction) à la
personnalité de celui qu’elle concerne, plus généralement, à l’ensemble des
circonstances d’une espèce »22.
Buts et fonctions de la peine : le rétributivisme. La peine, strictement
définie, est le châtiment qui réprime une atteinte à l’ordre social, qualifiée
d’infraction23. A priori, elle réprime donc un acte passé dans une optique
purement rétributive : il s’agit de punir le mal par le mal. La peine était, à
cet égard, envisagée par les premiers groupes humains comme une
vengeance : celui qui avait causé une souffrance devait souffrir à son tour.
Cette vengeance privée sera plus tard encadrée par la loi du Talion que l’on
retrouve dans le Code d’Hammourabi (~1750 av. J.-C.)24 et instituée par les
trois religions monothéistes que sont le christianisme, l’islam et le
judaïsme25. Ont beaucoup été utilisés, également, des mécanismes de
compensation pécuniaire qui consistaient à faire payer le prix de l'offense à
l'individu qui causait le préjudice avec l’idée que ce « tribut » ramènerait la
situation à un équilibre antérieur altéré par le délit.26
21Centre national de ressources textuelles et lexicales, en ligne : < https://www.cnrtl.fr/> 22CORNU, préc., note 5. 23Id., 24« TALION - Encyclopædia Universalis », en ligne : <https://www.universalis.fr/encyclopedie/talion/> (consulté le 25 juin 2019). 25 Exode, XXI, 24. Coran, sourate 2, versets 178 et 179. 26Jean-Marie CARBASSE avec la collaboration de Pascal VIELFAURE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, coll. Droit fondamental, Paris, 3e éd., Presses Universitaires de France, (2014) p.13.
11
Théoricien de la justice absolue27, Emmanuel Kant (1724-1804) fonde quant
à lui le jus puniendi sur la rémunération du coupable qui a, par son acte,
atteint arbitrairement l’ordre moral. L’expiation du crime est alors
indispensable au rétablissement de la morale collective, fondement du droit.
Le prussien prête à l’idée de justice un caractère absolu poussant à son
paroxysme l’approche rétributive puisqu’il considère que la répression est
indifférente à toute notion d’utilité sociale. Le criminel par son acte, empiète
arbitrairement sur la liberté de l’autre, et la punition doit en tout état de
cause lui être infligée quand bien même cette dernière s’avèrerait inutile non
seulement pour lui mais aussi pour le corps social28. Tout cela participe
d’une approche rétributive de la peine dont on retrouve l’influence
aujourd’hui tant en droit canadien qu’en droit français.
En droit canadien d’abord, on retrouve l’influence des courants
rétributivistes au sein de l’article 718 qui dispose que « le prononcé des
peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer,
parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la
loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de
sanctions justes ». L’infliction de sanctions justes renvoie bien à la volonté
d’attribuer à la répression pénale une fonction punitive tournée
essentiellement vers la gravité du crime commis, donc, vers le passé. La
peine est alors la simple conséquence méritée de l’acte répréhensible
commis par le délinquant : le juste prix de sa faute.29
A l’instar du législateur, la Cour suprême a reconnu cet aspect de la sanction
pénale qui, entre autres objectifs, doit aussi être infligée en vue de
« sanctionner la culpabilité morale du contrevenant »30. Dans son rapport
27Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, traduit par Vincent DELBOS, Paris, éd., La question morale, Presses Universitaires de France, (2013), pp. 36-45. 28Wilfried JEANDIDIER, Droit pénal général, 2e éd., vol. 1, coll. Domat droit privé, Paris, Montchrestien, 1991. para.46. 29PARENT et DESROSIERS, préc., note 1, para.21. 30R. c. M. (C.A.) [1996] 1 R.C.S. 500.
12
rendu en 1986, la Commission canadienne sur la détermination de la peine
envisage le rétributivisme comme une potentielle justification de la peine
mais non comme un but à atteindre par cette dernière31. En effet, la question
de savoir pourquoi punir ne se confond pas avec la question de savoir dans
quels buts punir. La première s’attachant aux justifications de la peine alors
que la seconde vise les effets que l’on cherche à faire produire à cette
dernière. C’est une distinction qui n’est pas toujours évidente. Les objectifs,
les raisons, les justifications : lorsqu’il s’agit de la sanction pénale les
concepts se brouillent, s’entremêlent et renvoient en réalité à une multitude
de questionnements : Pourquoi punir, comment punir, combien punir ?
Autant de problématiques que théoriciens utilitaristes et rétributivistes ont
tenté de résoudre à travers le temps sans jamais trouver de réponse absolue
et indiscutable. Ces confusions naissent de la définition même de la
peine, comme le souligne à bon droit la Commission canadienne en mettant
en lumière le caractère tautologique de cette dernière :
À la question : pourquoi punir quelqu'un?, il est facile de répondre : parce qu'il a fait quelque chose de mal. Cette réponse en soulève cependant une
autre : doit-on effectivement imposer une sanction pénale à quiconque fait n'importe quoi de mal (est impoli, se tient mal à table, triche aux cartes) ? Non, évidemment. Seuls ceux qui commettent les fautes les plus
répréhensibles devraient être punis. Quelles sont exactement ces fautes ? C'est ce qu'on appelle les infractions criminelles. Et qu'est-ce donc qu'une
infraction criminelle ? C'est un geste légalement défini comme passible d'une peine. Ajoutons que cette définition légale peut varier d'un pays à l'autre ou d'une époque à l'autre (par exemple, on ne brûle plus les
sorcières). Finalement, notre question de départ - pourquoi punir quelqu’un ? - reçoit une réponse très peu instructive : parce que cette
personne a posé un geste que nous jugeons actuellement nécessaire de punir. 32
La peine se définit par l’infraction et l’infraction par la peine. Le
rétributivisme, mis à part donner une justification partielle à la sanction
pénale, ne parvient pas à éclaircir toutes les zones d’ombre de sa définition
31COMMISSION CANADIENNE SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE, Réformer la sentence: une approche canadienne, Rapport, Ottawa, ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1987, p. 155. 32 Id., p.153.
13
ni à cibler ses objectifs. Interviennent alors, nous allons le voir, d’autres
courants de pensée.
En France, la formulation de l’article 130-1, premier article du titre III du
Code pénal, consacré aux peines, issue de la loi du 15 août 201433, attribue
à ces dernières deux fonctions principales. La première étant d’assurer la
punition du coupable :
Afin d'assurer la protection de la société, de prévenir la commission de
nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions : 1° De sanctionner l'auteur de l'infraction ;
2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. 34
Cet article tente de poser une définition du sens de la peine, celle-ci étant
jusqu’à lors absente du code pénal. L’objectif étant d’intégrer de façon claire
et cohérente les fonctions et finalités de la sanction pénale au sein même du
code. L’étude d’impact annexée au projet de loi précise en ce sens :
La peine a pour principale finalité de restaurer durablement l’équilibre social mis à mal par la commission de l’infraction, c’est-à-dire non
seulement de réparer le préjudice causé à la société, mais d’éviter que la réponse pénale ne l’aggrave. De cette finalité de cohésion sociale découle les deux fonctions de la peine : - la fonction rétributive de sanction, liée
essentiellement à la gravité de l’infraction commise ; - la fonction réhabilitante, qui vise à réduire le risque de récidive. 35
La première fonction attribuée à la peine est donc issue des philosophies
rétributivistes et est tournée vers le passé puisqu’elle s’attache à la gravité
du crime commis. L’étude d’impact poursuit cependant en affirmant que le
prononcé de la peine emprunte non seulement aux conceptions rétributives
mais aussi aux conceptions utilitaristes36. En effet, au-delà de la punition
33Loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, n°2014-896, JORF n°0189 du 17 août 2014, p. 13647, Texte n°1. 34Code pénal - Article 130-1. 35Etude d’impact de la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, n°2014-896, JORF n°0189 du 17 août 2014, p. 13647. Texte n°1. p. 69. para. 6. 36Id., p.70.
14
du coupable, la sanction doit être orientée vers sa réhabilitation. A l’inverse
des premières, les secondes se tournent donc vers ce qu’on peut faire
produire d’effets à la peine dans l’avenir.
Buts et fonctions de la peine, l’utilitarisme. L’infraction n’est pas
simplement un tort qui doit être réparé par la peine car ce qui a été fait,
souvent, ne peut être défait : il s’agit davantage de garantir la protection de
la société à l’avenir par la réformation du coupable. Ainsi, le curseur est
déplacé du fait criminel sanctionné par la peine et appartenant au passé,
au résultat de cette dernière, appartenant quant à lui à l’avenir.
Au XVIIIème siècle naît l’école classique et avec elle se développent les
courants utilitaristes. Cette école est représentée par deux figures
centrales : l’italien Cesare Beccaria (1738-1794) et l’anglais Jérémy
Bentham (1748-1832).
Cesare Beccaria, dans son Traité des délits et des peines37 sera parmi les
premiers à s’insurger contre l’arbitraire des lois criminelles et la sévérité
excessive des peines alors en vigueur. Pour lui, les lois doivent avant tout
servir la société et leur seul but est « tout le bien-être possible pour le plus
grand nombre »38. Le fondement du droit de punir réside dans la somme des
portions de liberté cédées par chacun : dépôt nécessaire au maintien d’une
société sûre39. Ainsi, toute peine est excessive et donc inutile si elle n’est
plus « nécessaire à la conservation du dépôt de la liberté publique »40. C’est
ainsi qu’il marque son opposition à la peine de mort. De ce constat, il dégage
les principes de légalité et d’égalité. Nul crime ni peine qui ne soient prévus
par la loi, nul loi qui ne soit strictement interprétée. La figure de ce système
est donc le législateur, le juge n’a aucun pouvoir discrétionnaire et il ne peut
en aucun cas moduler la peine prévue à l’avance par ce dernier, dépositaire
37Cesare BECCARIA, Dei delliti e delle pene, 1e éd. originale, (1764), Livourne. 38Cesare BECCARIA, des délits et des peines, traduit par Collin de Plancy, Paris, éd. du Boucher, (2002), p.8. 39Id., p.12. 40Id., p.13.
15
de la volonté générale41. Les peines doivent, par ailleurs, être proportionnées
à la gravité de l’acte perpétré. Il considère qu’une peine modérée mais
certaine a un meilleur effet dissuasif qu’une peine lourde mais aléatoire.42
A l’instar de Beccaria, Bentham considère que l’homme, envisagé d’un point
de vue rationnel, effectue un calcul hédoniste afin de préserver au mieux
ses intérêts. Le criminel n’est guère différent. Ainsi, la peine doit engendrer
une souffrance plus grande que le profit tiré de l’infraction afin que l’individu
trouve plus d’intérêt à s’abstenir qu’à passer à l’acte43. La sanction ne doit,
quant à elle, engendrer que le mal strictement nécessaire pour remplir son
but.
S’inscrivant dans le même courant de pensée, John Stuart Mill affirme :
Les hommes ne sont autorisés, individuellement ou collectivement, à entraver la liberté d'action de quiconque que pour assurer leur propre protection […]. La seule raison légitime que puisse avoir une communauté
pour user de la force contre un de ses membres, est de l'empêcher de nuire aux autres.44
Les législations pénales occidentales ont été profondément imprégnées par
ces courants. L’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen consacrant le principe de nécessité des peines selon lequel la loi ne
doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires est tout
droit inspiré des écrits de Beccaria, au même titre que le principe de légalité.
Le code criminel canadien dispose quant à lui que « le prononcé des peines
a pour objectif essentiel de protéger la société » et de « contribuer au
maintien d’une société paisible et sûre »45. Rétributivisme et utilitarisme ont
donc tous deux marqué le droit pénal moderne de leur sceau.
41Id., p.16. 42JEANDIDIER, préc., note 26. para.47. 43JEANDIDIER, préc., note 26. para.48. 44John Stuart Mill, De la liberté, traduit par Laurence Lenglet, coll. Folio essais, n°142, Paris, éd. Gallimard, (1990). p.74. 45Article 718 du Code criminel canadien - LRC (1985).
16
Le code pénal napoléonien. S’il n’établit pas de peines fixes, comme ce que
préconisait Beccaria, ce code prévoit un minimum et un maximum :
l’individualisation par le juge était donc possible dans une fourchette bien
définie. Chaque infraction est délimitée et assortie des peines
correspondantes : c’est la naissance de la classification tripartite des
infractions. Si on perçoit des efforts dans le sens d’une plus grande
individualisation des peines, le code est cependant marqué par une extrême
sévérité46 et prévoit de nombreuses circonstances aggravantes mais très peu
de circonstances atténuantes.
L’école néo-classique : défense sociale et individualisation. Le code
pénal de 1810 se situe encore très loin de ce que défend Saleilles et, de ce
que préconisaient, en général, les tenants de l’école néo-classique, tels que
Pellegrino Rossi, Joseph Ortolan, Filippo Grammatica et Marc Ancel. Dont
la formule célèbre « punir pas plus qu’il n’est juste, pas plus qu’il n’est utile »
établie une synthèse entre conception morale de la justice et utilitarisme.
Cette formule, que l’on doit à Rossi et Ortolan marque une adhésion aux
idées de rétribution proportionnée de Beccaria en allant plus loin encore47.
« L’utile et le juste vont de pair car l’utile doit être juste pour être efficace »
résumera le criminologue québécois Maurice Cusson dans Criminologie
actuelle paru en 199848, exprimant la synthèse qui doit être faite entre
rétributivisme et utilitarisme.
Le but général du droit pénal « est de concilier le maximum possible de
sécurité sociale avec le minimum possible de souffrance individuelle. »49
C’est ainsi que « le droit nouveau envisage des êtres sociaux qui ont des
devoirs envers la communauté. Il voit surtout dans le criminel l’individu qui
46Châtiments corporels, peine particulière réservée au parricide (section du poing ayant porté le coup mortel)… 47Jean PRADEL, Histoire des doctrines pénales, coll. Que sais-je?, Paris, 2e éd., Presse universitaire de France, (1991), p.52. 48Maurice CUSSON, Criminologie actuelle, Coll. Sociologies, Paris, 1e éd., Presse universitaire de France, (1998) p.157. 49Adolphe PRINS, La défense sociale et les transformations du droit pénal, vol.1, coll. Actualités sociales, Bruxelles, 1eéd., Misch et Tron, (1910) p.40 para.3.
17
porte atteinte à l’ordre social »50. Il ressort de ces nouveaux courants
humanistes que la peine ne poursuit par un seul but qui serait, selon
l’approche adoptée, la protection de la société ou le rétablissement d’un
ordre moral, mais bien de multiples buts allant de la rétribution, à la
préservation de la paix sociale en passant par la réhabilitation et
l’amendement du coupable.
L’individualisation selon Saleilles. Raymond Saleilles, concepteur de
l’individualisation dans son acception pénale, explique ainsi qu’il faut tailler
la peine, la moduler, en fonction des circonstances de commission de
l’infraction et de la personnalité de son auteur51. Constatant les lacunes des
conceptions classiques de la peine n’envisageant que l’aspect objectif du
crime, il redonne à la sanction pénale toute sa dimension en
affirmant qu’au-delà de la matérialité du fait criminel, correspondant au mal
produit, il faut impérativement considérer l’individu criminel. Saleilles
affirme en ce sens qu’avec une telle conception, « le droit pénal est une
construction toute abstraite qui ne connaît que le crime et ignore les
criminels »52. Négligeant ainsi la personne du délinquant pour ne traiter que
l’acte réprimé, le droit pénal est réduit à un mécanisme de rétribution
automatique dans lequel chaque infraction est assortie d’une peine
correspondante applicable systématiquement qu’importe l’auteur. Rejetant
cette approche mathématique de la répression pénale53, il adopte une
position bien plus humaniste et pragmatique en remettant le curseur sur
l’Homme criminel sans toutefois écarter l’aspect objectif de la criminalité.
Formulation du principe. La peine doit être adaptée à la nature de celui
qu’elle va frapper54. La sanction pénale ainsi envisagée comporte donc une
part de subjectivité découlant de la dimension fondamentalement sociale du
50Id., p.2. 51SALEILLES, préc., note 1. 52SALEILLES, préc., note 1. p.9. 53SALEILLES, préc., note 1. p.10. 54SALEILLES, préc., note 1. p.5
18
droit criminel, judicieusement défini, d’ailleurs, comme « la sociologie
criminelle adaptée à l’idée de justice »55. C’est cette prise en compte du
criminel d’un point de vue tant criminologique que sociologique et
psychologique, qui rompt avec l’école classique et offre, sans aucun doute,
une lecture nouvelle, bien plus réaliste, des fonctions attribuées à la peine.
Les caractères de l’individualisation. Le premier postulat est le suivant :
aucun crime n’est identique comme aucun homme n’est identique. La
réponse pénale ne peut donc s’appliquer mécaniquement de sorte qu’à
chaque infraction s’applique une peine déterminée et inmodulable. Il existe
autant de faits criminels qu’il y a de criminels et chaque circonstance
matérielle gravitant autour de l’acte contribue à le rendre unique : « Il
s'ensuit que la responsabilité, pour chaque crime spécial, varie pour chaque
délinquant, non pas à raison des diversités de natures et de tempéraments
psychologiques, mais à raison des variétés d’exécution de chaque crime en
particulier. »56 C’est là le degré primaire d’individualisation. Il comprend la
prise en compte du crime matériellement commis ainsi que le degré de
liberté de l’agent au moment de sa commission. Ce dernier élément faisant
référence à l’état pathologique (trouble psychique, neuropsychique, abolition
du discernement) de l’individu au moment du passage à l’acte.
Le second degré d’individualisation réside dans la prise en compte du
criminel en tant qu’être social. On envisage la responsabilisation et la
réadaptation de ce dernier comme les principaux objectifs attachés à la
peine. Les conceptions déterministes telles que la théorie du criminel né
établies par Cesare Lombroso, sont balayées au profit d’un homme capable
de se réformer et d’être réintégré à la société. La lutte contre la récidive est
la toile de fond du système pénal et elle passe par l’individualisation de la
peine. Joseph Ortolan affirmait ainsi : « que l’un des buts essentiels de la
55SALEILLES, préc., note 14. p.7. 56SALEILLES, préc., note 14, p.42.
19
peine pour conjurer le danger des récidives, c’est la correction morale »57. La
peine sert la société mais aussi le criminel en l’éloignant du crime. « La
seule utilité que l’on puisse demander à la peine, c’est de faire du criminel
un honnête homme, si la chose est possible, ou sinon de le mettre hors d’état
de nuire », résume Saleilles.58
L’individualisation, critère d’application de la peine. « C’est le crime que
l’on punit, mais c’est la considération de l’individu qui détermine le genre de
mesure qui lui convient. La responsabilité, fondement de la peine, et
l’individualisation, critérium de son application : telle est la formule du droit
pénal moderne »,59 exposait Saleilles. La réadaptation du délinquant passe
par une diversification du traitement pénal qui, pour être juste, doit prendre
en compte les différences entre les individus. 60 L’individualisation se révèle
être la voie royale vers un système de peine efficace fondé sur la
responsabilité, et seule capable de lui conférer l’étoffe et l’élasticité
essentielles à la réalisation de toutes les finalités qui lui sont assignées. Il
n’est donc pas surprenant que les mouvements de réforme depuis le XXème
siècle aient pour toile de fond ce principe désormais directeur dans la
détermination de la peine61 et incorporé peu à peu par le législateur et la
jurisprudence en droit positif.
57Joseph-Louis-Elzéar ORTOLAN, Éléments de droit pénal : pénalité, juridiction, procédure, Paris, 3e éd., vol.2. Tome 1, H.Plon, (1863), p.88. 58SALEILLES, préc., note 14, p.23. 59SALEILLES, préc., note 14, p.164. 60Jean-Hervé SYR, « Les avatars de l'individualisation dans la réforme pénale », (1994), n°2, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, éd. Dalloz, (avril-juin 1994), p. 217-235. 61Id.,
20
Section 2 : La réforme du droit pénal : l’intégration progressive
du principe d’individualisation en droit positif français et
canadien
Un phénomène progressif. Si l’individualisation de la peine paraît
aujourd’hui être aussi évidente qu’indispensable, elle n’a été introduite dans
le système pénal qu’à la faveur de réformes successives. Ces dernières
n’avaient pas nécessairement pour objet l’individualisation en elle-même,
mais faisaient le constat de phénomènes criminels, auxquels devaient être
apportées des solutions pérennes et plus efficaces, telles que la récidive.
Elles injectaient inéluctablement dans le système de l’individualisation par
piqûres successives. Le législateur donne une première forme à la peine en
la façonnant de telle sorte qu’elle s’adapte, à priori, à la nature du
comportement incriminé et à la personne du délinquant. Assortie de
circonstances aggravantes ou atténuantes, accompagnée ou non de peines
complémentaires, elle constitue une première individualisation d’origine
légale. Le juge prend ensuite le relais. Tel un orfèvre, il examine
minutieusement les circonstances de commission (aggravantes et
atténuantes) de l’infraction et les caractéristiques propres à son auteur et
sculpte la peine, la ciselle minutieusement afin qu’elle épouse parfaitement
la silhouette du crime et du criminel.
Une codification tardive. Le principe n’a été intégré dans le code pénal
français que très récemment à l’article 131-2 inséré par la loi du 15 août
2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des
sanctions pénales. Cette codification été jugée nécessaire, « eu égard à
l’importance centrale de ce principe dans le fonctionnement de la justice
pénale et dans la perspective d’une réponse adaptée à la personnalité et à la
situation de chaque condamné, condition sine qua non de la prévention de
21
la récidive »62. Cet article ne fait cela-dit que codifier expressément
l’individualisation de la peine, celle-ci ayant été déjà consacrée comme
principe à valeur constitutionnelle par le Conseil des sages dans une
décision du 22 juillet 200563.
Le principe d’individualisation et la Constitution. Le principe
d’individualisation n'a aucune assise textuelle dans la Constitution. Le
conseil des Sages, en 1981, s’est d’abord montré réticent à le considérer
comme un principe fondamental devant prévaloir sur les autres fondements
de la répression pénale64. Dans sa décision du 20 janvier 1994, il déclare :
L'exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-
ci et préparer son éventuelle réinsertion.65
Les finalités de la peine que sont l’amendement et la réinsertion sont donc
reconnues par le Conseil avant le moyen permettant de les réaliser à savoir
la personnalisation de la sanction. En 1992, sera intégrée dans le nouveau
code pénal une section complète consacrée aux modes de personnalisation
des peines regroupant une panoplie de mesures permettant d’individualiser
la sanction. Il faudra attendre la décision du 22 juillet 2005 précitée pour
voir l’individualisation érigé en principe à valeur constitutionnelle. Le
Conseil des Sages déduit le principe d’individualisation de celui de nécessité
des peines, lui-même consacré par l’article 8 de la Déclaration des droits de
l’homme intégrée au bloc de constitutionnalité par la décision du 16 juillet
197166.
62COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI n°1413 relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines – Rapport n°1974 par Dominique RAIMBOURG, PARIS, Assemblée nationale, (28 mai 2014). 63Décision n° 2005-520 DC du 22 juillet 2005. 64Décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981, par. 16 : « Considérant, d'autre part, que, si la législation française a fait une place importante à l'individualisation des peines, elle ne lui a jamais conféré le caractère d'un principe unique et absolu prévalant de façon nécessaire et dans tous les cas sur les autres fondements de la répression pénale ». 65Décision n° 93-334 DC du 20 janvier 1994, par.12. 66Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971. par.2.
22
Outre-Atlantique : un principe prétorien. A l’origine, le système de justice
pénale canadien ne contenait pas de règles codifiées régissant la
détermination de la peine, celles-ci étant principalement dégagées par la
jurisprudence. Par la loi du 3 septembre 1996, le législateur va engager une
refonte historique du Code criminel67 en y introduisant, notamment, les
articles 718 et suivants qui énoncent les principes applicables à la
détermination de la peine. Cependant, les règles jurisprudentielles
antérieurement consacrées n’ont pas perdu de leur valeur : elles serviront
de support à l’interprétation des nouvelles dispositions législatives68. C’est
le cas du principe d’individualisation, corollaire du principe de
proportionnalité considéré comme « un précepte central de la détermination
de la peine »69. Ce dernier est d’ailleurs consacré par l’article 718.1 du Code
criminel en ces termes : « La peine est proportionnelle à la gravité de
l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant ».
Le principe d’individualisation ne fait donc l’objet d’aucune loi au pays de
l’érable. Cependant, s’il n’est pas considéré comme un principe de justice
fondamental comme pourrait l’être, dans une certaine mesure70, le principe
de proportionnalité71, son importance ne cesse d’être soulignée par la Cour
suprême. La détermination de la peine est présentée comme « un processus
fortement individualisé » dans lequel le juge dispose d’une latitude
suffisante pour adapter la peine aux circonstances de l’infraction et à la
situation du condamné72. En 1996, dans l’arrêt R. c. M. (C.A.), le juge en
chef Lamer rappelait que :
67Code criminel L.R.C. (1985), ch. C-46. 68Jean-Paul PERRON, « la détermination de la peine », Collection de droit 2019-2020, École du Barreau du Québec, vol. 13, Droit pénal : Infractions, moyens de défense et peine, (2019). 69 R. c. Ipeelee, [2012] 1 RSC 433. para.36. 70Safarzadeh Markhali, 2016 CSC 14 par.21. et R. c. Anderson [2014] 2 R.C.S. 167 par.21. dans lesquels la Cour suprême affirme que le principe de proportionnalité n’est pas un principe de justice fondamentale au sens de l’article 7 de la Charte. 71R. c. Ipeelee, préc., note 67, par. 37. : « Le principe fondamental de la détermination de la peine — la proportionnalité — est intimement lié à son objectif essentiel — le maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’imposition de sanctions justes. » 72Id., par.38, voir aussi R. c. Lloyd [2016] 1 RCS 130 et R. c. Safarzadeh Markhali [2016] 1 R.C.S. 180.
23
Le législateur fédéral a conféré expressément aux juges chargés de prononcer les peines le pouvoir discrétionnaire de déterminer le genre de
peine qui doit être infligée en vertu du Code criminel et l’importance de celle-ci73.
L’individualisation du processus de détermination de la peine étant
indissociable du principe de proportionnalité, l’examen de la situation
personnelle du délinquant est essentiel au prononcé d’une peine
correspondant au crime. C’est ce qui a été rappelé dans l’arrêt R. c. Proulx
de la Cour suprême en ces termes :
La justification de cette approche réside dans le principe de proportionnalité, principe fondamental de détermination de la peine
suivant lequel la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Afin que la peine corresponde au crime, le principe de proportionnalité commande l’examen de la
situation particulière du délinquant et des circonstances particulières de l’infraction74.
Récemment, le principe a encore été affirmé dans l’arrêt R. c. Pham dans
lequel la Cour suprême considère, qu’à l’instar des circonstances
aggravantes et atténuantes se rattachant à la gravité de l’infraction et au
degré de responsabilité du délinquant, les conséquences indirectes sur la
situation de ce dernier doivent également être prise en compte au titre de
l’individualisation :
À la lumière de ces principes, les conséquences indirectes découlant d’une
peine s’entendent de tout effet qu’a celle-ci sur le délinquant concerné. Elles peuvent être prises en compte dans la détermination de la peine en tant que facteurs liés à la situation personnelle du
délinquant. Cependant, ces conséquences ne constituent pas, à proprement parler, des facteurs atténuants ou aggravants, puisque, par
définition, de tels facteurs se rattachent uniquement à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant (al. 718.2a) du Code criminel). Leur pertinence découle de l’application
des principes d’individualisation et de parité. Les conséquences indirectes pourraient également être pertinentes à l’égard de l’objectif de la détermination de la peine qui consiste à favoriser la réinsertion sociale des
73R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 90, R v Ipeelee, 1 SCR 433 (SCC). 74R. c. Proulx [2000] 1 RCS 433. par.82.
24
délinquants (al. 718d) du Code criminel). En conséquence, lorsque deux peines sont appropriées eu égard à la gravité de l’infraction et au degré de
responsabilité du délinquant, la peine qui convient le mieux pourrait être celle qui favorise le plus la réinsertion sociale de ce dernier.75
L’importance du principe d’individualisation est ainsi maintes fois
réaffirmée par la Cour suprême et les tribunaux canadiens76 et nous permet
d’affirmer qu’il représente aujourd’hui un principe directeur de la
détermination de la peine. En effet, l’individualisation se révèle être, entre
autres principes, la toile de fond du processus judiciaire de sorte qu’il est
établit que « chaque cas est un cas d’espèce : le juge appelé à configurer la
peine doit en conséquence s’attarder avec minutie à tamiser chacune des
circonstances pertinentes à la lumière des objectifs, principes et facteurs
applicables »77.
Le juge dispose par conséquent d’une entière discrétion dans le choix de la
peine lorsque, pour une infraction donnée, la loi prévoit des peines
différentes en nature ou en degré. C’est ce qui résulte de l’article 718.3(1)
du Code criminel formulé en ces termes :
Lorsqu’une disposition prescrit différents degrés ou genres de peine à l’égard d’une infraction, la punition à infliger est, sous réserve des restrictions contenues dans la disposition, à la discrétion du tribunal qui
condamne l’auteur de l’infraction.
Ce pouvoir discrétionnaire du juge régulièrement réaffirmé par la Cour
suprême78 est le vecteur de l’individualisation :
Notre Cour a statué à maintes reprises que la détermination de la peine est
un processus individualisé, dans le cadre duquel le juge du procès dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer la peine
appropriée.79
75R. c. Pham, [2013] 1 RCS 739. par 11. 76 R. c. Nasogaluak [2010] 1 RCS 206. 77R. c. Paquette, [2007] R.J.Q. 2074, par. 78. 78R. c. L.M. [2008] 2 RCS 163. par. 17 et R. c. Johnson [2003] 2 SCR 357, par. 22. 79SYR, préc., note 58, par. 82. R. c. Nasogaluak [2010] 1 RCS 206, par 43, R. c. Ipeelee, [2012] 1 RSC 433.
25
La peine encourue. Que ce soit en France ou au Canada, le pouvoir
discrétionnaire du juge s’effectue dans le cadre du principe de légalité,
héritage infrangible de l’école classique. Ensemble, la Charte canadienne
des droits et des libertés80 et la déclaration des droits de l’Homme et du
citoyen81 donne à ce principe une valeur supra-législative. Il y a ainsi dans
la définition de l’infraction par le législateur une première esquisse de la
silhouette du crime matériellement commis. Ainsi, les modes opératoires, la
qualité de l’auteur ou de la victime, l’âge, l’habitude, le moment de l’acte, la
densité de la faute (dol spécial, dol général) sont autant d’éléments qui
permettent de donner à l’espèce sa configuration propre. La peine encourue
désignée par le doyen Claude Lombois comme étant « la peine au repos »
assortie chaque infraction de sorte à donner au juge la possibilité de
prononcer une peine adaptée toujours dans le cadre du principe de légalité.
En France, la force de ce dernier est telle qu’aucune peine principale,
alternative ou complémentaire ne peut être appliquée si elle n’est pas
expressément prévue par le législateur pour l’infraction en cause. En outre,
toutes les circonstances aggravantes applicables au crime sont également
prévues préalablement et listées exhaustivement dans le Code pénal pour
chaque comportement incriminé. La situation est différente au Canada où
la portée du principe est moindre de sorte que le juge peut, à l’instar de la
loi, ériger un fait en cause d’aggravation82.
Les circonstances de commission de l’infraction. La prise en compte des
circonstances gravitant autour du fait principal permet de façonner encore
80Charte canadienne des droits et libertés (1982), article 11g) : « 11. Tout inculpé a le droit : g) de ne pas être déclaré coupable en raison d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle est survenue, ne constituait pas une infraction d'après le droit interne du Canada ou le droit international et n'avait pas de caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations; » 81 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), article 7 : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance. » 82 PARENT et DESROSIERS, préc., note 1, para 37.
26
davantage la sanction pénale afin qu’elle corresponde au mieux au contexte
de commission de l’infraction. Les circonstances aggravantes ont l'effet
d'augmenter la peine d'emprisonnement ou d'amende. L’idée est qu’une
même infraction peut se décliner à l’infini de sorte qu’aucun meurtre, aucun
vol, aucune agression n’est parfaitement identique.
En droit pénal français, les circonstances aggravantes sont, rappelons-le,
soumises au principe de légalité des délits et des peines. Ainsi, le code pénal
prévoit deux catégories de faits pouvant aggraver la répression. Les causes
générales d’aggravation d’abord, il n’en existe que deux : la récidive (132-8)
et l’utilisation d’un moyen de cryptologie (article 132-79). Les causes
spéciales d’aggravation83, ensuite, qui ne cessent de se diversifier et de se
multiplier, permettant, sans doute, une meilleure individualisation, mais
causant également une confusion certaine entre éléments constitutifs et
circonstances aggravantes, les deux se confondant parfois (la faute délibérée
à la fois élément constitutif du délit de risque causé à autrui84 et
circonstance aggravante de l’homicide involontaire).85 Ces causes spéciales,
répondant aux fonctions classiques du droit pénal, ont pour but de punir
plus sévèrement les fautes les plus graves en graduant la répression mais
également de prévenir la commission d’infractions aggravées en augmentant
le quantum des peines. Elles peuvent ainsi faire basculer l'infraction d'une
catégorie à l'autre : contravention à délit ou délit à crime. Un vol simple86
est un délit mais il tombe sous la qualification de crime lorsqu’il est
accompagné par des violences ayant entrainé une mutilation ou une
infirmité permanente87.
Les circonstances atténuantes, quant à elle, n’étaient à l’origine prévues que
pour certains délits dans le code pénal napoléonien. Leur champ fut ensuite
83L’âge de la victime, sa qualité ou celle de l’auteur, leur lien de parenté, l’autorité de droit ou de fait qu’exerce l’auteur sur la victime, les circonstances liées au modus operandi (usage d’une arme, effraction, violences, réunion…) 84Code pénal - Article 223-1. 85Code pénal - Article 221-6. 86Code pénal - Article 311-3. 87Code pénal - Article 311-7.
27
élargi à quelques crimes par la loi du 25 juin 182488. Il faudra attendre la
loi du 28 avril 183289 pour que le législateur se décide enfin à les étendre à
tous les crimes, tirant leçon d’acquittements massifs par des jurés préférant
acquitter plutôt qu’infliger au coupable une peine bien trop sévère. Les
circonstances atténuantes sont laissées à la libre appréciation du juge qui,
dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, peut abaisser le quantum de
la peine encourue s’il trouve des causes qui affaiblissent soit la matérialité
de l’action, soit la culpabilité de l’agent90.
En droit pénal canadien, le principe de proportionnalité comprend deux
aspects essentiels : la gravité objective, liée à la nature même de l’acte, et la
gravité subjective du crime, liée aux circonstances factuelles gravitant
autour de l’acte. C’est lors de l’évaluation de ces circonstances aggravantes
et atténuantes que le juge commence son travail d’individualisation. Le
législateur canadien établit une liste de circonstances aggravantes qui n’est
pas exhaustive et dans laquelle on retrouve des causes d’aggravation
communes au droit français : le motif discriminatoire, le lien conjugal, l’âge
de la victime, l’abus d’autorité91... D’autres circonstances sont quant à elles
d’origine prétorienne. Elles sont d’autant plus nombreuses qu’elles
permettent aux juges, au cas par cas, de dégager toute la spécificité d’une
espèce donnée afin d’ajuster la sanction en conséquence. L’usage de la
violence92 et l’existence d’antécédents judiciaires93 sont ainsi des causes
d’aggravation majeures dégagées par la jurisprudence. Les remords
exprimés par le contrevenant94 ou le pardon accordé par la victime95 jouent
en faveur du condamné au même titre que les conséquences négatives de la
88Loi du 25 juin 1824 contenant diverses modifications au Code pénal, JORF du 20 août 1944 p. 515. 89Loi du 28 avril 1832 contenant des modifications au code pénal et au code d'instruction criminelle, JORF du 20 août 1944 p.121. 90René GARRAUD, Précis de droit criminel, coll. Sciences sociales, Paris,11e éd., Hachette, (1912), par. 200. 91Code criminel - Article 718.2 a). 92R. c. Riendeau, 2007 QCCQ 921 93R. c. Viens, 2007 QCCQ 3159 94R. c. Coffin [2006] R.J.Q. 976 95R. c. Mauricette, 2011 QCCA 632
28
peine sur sa situation personnelle96, celle de sa famille97, sa santé98, son
emploi99… Une multitude de circonstances sont ainsi définies par les
tribunaux, contribuant ainsi à moduler la sentence en fonction du degré de
gravité du crime commis et du degré de culpabilité morale du délinquant100.
L’infraction ainsi évaluée à la lumière de toutes ces circonstances de
commission et des caractéristiques propres à l’auteur, donne lieu au
prononcé d’une peine individualisée.
La peine prononcée : la discrétion du juge en droit français. La faculté
de modulation de la peine conférée au juge est également une condition
centrale de la personnalisation de la peine en droit français. Elle revêt un
double aspect : d’abord l’initiative du juge dans le prononcé de la peine et
ensuite la faculté de modulation de cette dernière. D’une part une peine ne
peut être appliquée que si le juge la prononce expressément dans la décision
de condamnation. D’autre part, la discrétion conférée au juge doit être telle
qu’il est maître de la nature de la peine, de son quantum ainsi que de son
régime dans le cadre des dispositions du Code pénal et du Code criminel. Il
peut ainsi décider de prononcer une peine d’emprisonnement assorti d’un
sursis au lieu d’une peine ferme. Il peut également faire en sorte que ce
sursis soit assorti d’obligations particulières auxquelles le condamné devra
se soumettre au risque de voir le sursis révoqué. C’est d’ailleurs à travers la
peine de prison que l’individualisation a d’abord trouvé matière à
s’appliquer.
96R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 97R. c. Pham [2013] 1 R.C.S. 739 98Thibault c. R., [2016] J.Q. No. 1324 99R. c. Martin, 2012 QCCA 2223 100R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206 par.43 : « Il découle de ce pouvoir discrétionnaire du juge d’arrêter la combinaison particulière d’objectifs de détermination de la peine et de circonstances aggravantes ou atténuantes devant être pris en compte que chaque affaire est tranchée en fonction des faits qui lui sont propres, sous réserve des lignes directrices et des principes fondamentaux énoncés au Code et dans la jurisprudence ».
29
L’individualisation de la peine de prison. En France, les lois Bérenger du
14 août 1885101 et du 26 mars 1891102 introduisant la libération
conditionnelle et le sursis à l’exécution de la peine, constituent, deux étapes
considérables vers une meilleure prise en compte de la personnalité du
contrevenant. Elles sont le fruit d’un constat reposant sur une distinction
entre délinquant d’habitude et délinquant primaire. Les effets néfastes de
l’emprisonnement favoriseraient la récidive et pousseraient les primo-
délinquants, en contact avec les délinquants « endurcis », à s’engager dans
une carrière criminelle. On considère qu’il n’existe pas chez eux de tendance
criminelle et la peine ne doit pas venir les pervertir davantage. La libération
conditionnelle permet aux condamnés à une peine de prison présentant des
garanties de réinsertion importantes d’en sortir avant le terme. D’une part,
elle joue comme récompense car elle ne s’applique qu’aux individus ayant
adopté un comportement irréprochable durant la période d’incarcération.
D’autre part, elle agit comme une menace censée encourager la personne
concernée à conserver sa ligne de conduite au risque de se voir réincarcérer
pour la portion de peine qu’elle n’a pas effectuée. Le sursis simple fait, lui
aussi, peser sur le condamné la menace d’une incarcération qui doit, à
l’instar de la libération conditionnelle, avoir pour effet de le dissuader de
réitérer son crime ou d’en commettre un autre. Il s’est décliné en différentes
formes en même temps que le mouvement de diversification générale de la
sanction pénale ayant donné naissance à de nombreuses peines
complémentaires et alternatives dont le sursis mise à l’épreuve (SME) et le
sursis assorti d’une obligation d’accomplir un travail d’intérêt général
(sursis TIG). Prononcé pour plus de la moitié des peines d’emprisonnement
pour crime ou délit, le sursis est une mesure phare du code pénal français.
101Loi du 14 août 1885 CCR, JORF du 15 août 1885 page 4562 102Loi du 26 mars 1891 sur l'atténuation et l'aggravation des peines, JORF du 27 mars 1891 page 1433.
30
En 2017, 63% des peines d’emprisonnement étaient prononcées avec sursis
(toutes catégories) dont plus de 80% assortissaient la totalité de la peine103.
Peines alternatives, peines complémentaires : vers une diversification
de la sanction pénale. Depuis plusieurs années, le législateur ne cesse de
créer de nouvelles sanctions pénales espérant ainsi apporter une meilleure
réponse à la criminalité et donner aux juges tous les outils nécessaires au
prononcé d’une peine adaptée. En sus de la peine principale
(l’emprisonnement et l’amende), la juridiction de jugement peut imposer
d’autres sanctions à condition qu’elles soient prévues par la loi pour
l’infraction en cause. L’interdiction de porter une arme, la suspension du
permis de conduire ou encore l’injonction de soins et la confiscation sont
autant de mesures pouvant assortir la peine principale. Elles sont prévues
par l’article 131-1 du Code pénal104. Ces peines peuvent également être
prononcées en lieu et place de la peine principale. Le travail d’intérêt
général, le jour-amende et le stage de citoyenneté font également partie des
peines pouvant être prononcées à titre principale en matière délictuelle
représentant ainsi une alternative à l’emprisonnement. Quoi qu’il en soit ces
peines doivent obligatoirement être prononcées par le juge à l’inverse des
peines accessoires.
Peines accessoires et automatiques. Catégorie ancienne, ces peines
étaient appliquées même si le juge ne les prononçait pas. Le développement
de la jurisprudence du conseil constitutionnel a conduit à conclure que ces
peines sont contraires au principe d'individualisation. En 1992, le
législateur a voulu mettre au rebut ces peines qui étaient très fréquentes :
103Voir annexe 1. <http://www.justice.gouv.fr/art_pix/Stat_RSJ_Penal_6.5_2017.ods> (consulté le 16 juillet 2019) 104Code pénal - Article 131-2 : « Lorsque la loi le prévoit, un crime ou un délit peut être sanctionné d'une ou de plusieurs peines complémentaires qui, frappant les personnes physiques, emportent interdiction, déchéance, incapacité ou retrait d'un droit, injonction de soins ou obligation de faire, immobilisation ou confiscation d'un objet, confiscation d'un animal, fermeture d'un établissement ou affichage de la décision prononcée ou diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique. »
31
l’article 132-17 précise qu’aucune peine ne peut être appliquée si la
juridiction ne l'a expressément prononcée.
La juridictionnalisation de l’application des peines. Amorcée par la loi
du 15 juin 2000, la juridictionnalisation des modalités d’application de la
peine en fait des décisions susceptibles de recours alors qu’elles n’étaient
jusqu’alors que de simples mesures d’administration judiciaires
insusceptibles d’appel. L’individualisation au stade de l’exécution de la peine
se trouve incarné par le juge d’application des peines (JAP)105. Ce dernier
prend le relais de la personnalisation de la peine amorcée par la juridiction
de jugement en s’assurant que la peine évolue en même temps que le
condamné afin qu’elle reste adaptée à sa situation personnelle,
professionnelle et familiale. Il dispose de larges prérogatives s’agissant du
suivi des peines restrictives de liberté notamment depuis l’élargissement de
son champ de compétence par la loi Perben II adoptée le 9 mars 2004106
visant à renforcer l’individualisation de la peine au stade de son exécution.
Il peut désormais révoquer une peine de SME ou de STIG. Devenant « juge
alchimiste »107, il peut également transformer la nature de la peine
prononcée en assortissant un emprisonnement d’un sursis ou en
transformant une peine de TIG en jour-amendes, par exemple. Le JAP joue
ainsi un rôle accru dans l’individualisation post-sentencielle de la peine108.
L’individualisation et les récentes réformes de la justice en France. Le
projet de loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité
des sanctions pénales avait pour principal objectif de renforcer la
personnalisation de la peine au stade de son prononcé et de son exécution.
La loi entrée en vigueur le 1er octobre 2014 pour la majorité de ses
105Isabelle DREAN-RIVETTE, La personnalisation dans le Code pénal, coll. Sciences criminelles, Paris, L’Harmattan, (2005), p. 227. 106Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, JORF n°59 du 10 mars 2004 page 4567 texte n° 1. 107Mickaël JANAS, « Le nouveau rôle du JAP », (15 novembre 2004), n°11, Actualité juridique pénal, Dalloz, p.394. 108Id.,
32
dispositions, insère le nouvel article 132-1 selon lequel toute peine
prononcée par la juridiction doit être individualisée. Elle modifie les
modalités du sursis simple et du sursis avec mise à l’épreuve en supprimant
l’automatisme de la révocation en cas de nouvelle infraction. Elle doit
désormais être explicitement prononcée par le tribunal. La loi réaffirme le
caractère exceptionnel de l’emprisonnement qui ne doit être prononcé qu’en
dernier recours et spécialement motivé s’il n’est pas assorti d’un sursis ou
d’une mesure d’aménagement109. L’expression récurrente « la personnalité
de son auteur, sa situation familiale, matérielle et sociale » renvoi
directement à l’individualisation de la sanction. La loi l’impose comme ligne
d’orientation au juge dans son travail de détermination de la peine.
Elle supprime par ailleurs le mécanisme des peines plancher et crée une
nouvelle peine, la contrainte pénale, toujours dans le sens d’une meilleure
prise en compte de la situation propre à chaque auteur. Destinée à freiner
les condamnations à des peines d’emprisonnement dans une logique de
modération, cette nouvelle alternative en milieu ouvert soumet le condamné
à diverses obligations et interdictions en vue de le sortir de la délinquance.
Cela va de pair avec le nouvel article 130-1110 instituant la réinsertion et
l’amendement du condamné comme finalités de la peine à l’instar de sa
rétribution. Cette peine sera cependant supprimée en même temps que le
109Loi du 15 août 2014, préc., note 31, Article 3. « Le second alinéa de l'article 132-19 est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés : « En matière correctionnelle, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux sous-sections 1 et 2 de la section 2 du présent chapitre. « Lorsque le tribunal correctionnel prononce une peine d'emprisonnement sans sursis ou ne faisant pas l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux mêmes sous-sections 1 et 2, il doit spécialement motiver sa décision, au regard des faits de l'espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale. » ; 110Article 1er de la loi n° 2014-8961 JORF n°0189 du 17 août 2014 page 13647 texte n° 1 : « Au début du titre III du livre Ier du code pénal, il est ajouté un article 130-1 ainsi rédigé : « Art. 130-1.-Afin d'assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions : « 1° De sanctionner l'auteur de l'infraction ; « 2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. »
33
SME pour être remplacée par le sursis probatoire par la loi de
programmation 2018-2019 et de réforme pour la justice promulguée le 23
mars 2019111.
L’individualisation a été l’un des principaux axes de réflexion du rapport
rendu en décembre 2015 sur la refonte du droit des peines112 et commandé
par la Garde des sceaux de l’époque, Christiane Taubira. Il fait à ce titre
l’objet du troisième chapitre dudit rapport intitulé « La consécration de
l’individualisation et de la juridictionnalisation au stade de l’application des
peines ». On perçoit ici la volonté du basculement vers une individualisation
post-procès aux mains, donc, essentiellement du juge d’application des
peines. Ce qui ne veut pas dire que la juridiction de jugement n’a plus le
pouvoir d’individualiser la peine, bien au contraire. Il s’agit simplement de
mettre en place de nouvelles mesures ou de renforcer les modalités
d’individualisation déjà prévues par la juridiction de jugement. En d’autres
termes, il s’agit d’asseoir le principe au stade de l’application des peines afin
d’assurer sa mise en œuvre effective. Une réévaluation de la situation
matérielle, sociale et familiale du condamné doit ainsi être menée chaque
fois que nécessaire et au moins une fois par an par les SPIP et le JAP dans
le cadre du nouveau « sursis probatoire avec suivi renforcé » de l’article 132-
41-1113. Les obligations et interdictions auxquelles est soumis le
111Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice JORF n°0071 du 24 mars 2019 texte n° 2. 112COMMISSION PRESIDÉE PAR BRUNO COTTE, Pour une refonte du droit des peines, Rapport à Madame la Grade des Sceaux, Ministre de la justice, PARIS, Ministère de la Justice, (18 décembre 2015). <http://www.justice.gouv.fr/art_pix/rapport_refonte_droit_peines.pdf> 113Loi du 15 août 2014, préc., note 31, Article 81 : « Art. 741-2.-Lorsque le tribunal a fait application de l'article 132-41-1 du code pénal et a prononcé un sursis probatoire avec un suivi renforcé, le service pénitentiaire d'insertion et de probation évalue, de façon pluridisciplinaire, la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée. » « La situation matérielle, familiale et sociale de la personne est réévaluée à chaque fois que nécessaire au cours de l'exécution de la peine, et au moins une fois par an, par le service pénitentiaire d'insertion et de probation et le juge de l'application des peines. » « Au vu de chaque nouvelle évaluation, le juge de l'application des peines peut, selon les modalités prévues à l'article 712-8 du présent code et après avoir entendu les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celles de son avocat modifier ou compléter les obligations et interdictions auxquelles la personne condamnée est astreinte ou supprimer certaines d'entre elles ; il peut également, s'il estime que la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale du condamné ne le justifient plus, ordonner la fin du suivi renforcé. »
34
contrevenant sont ainsi réajustées à la lumière de chaque nouvelle
évaluation dans le but d’assurer un suivi effectif. Ces recommandations ont
été entérinées par la nouvelle loi de programmation 2018/2022 et de
réforme de la justice promulguée le 23 mars 2019114.
Au fil des réformes, l’individualisation de la peine s’est imposée comme le
principal levier de lutte contre la récidive. Principalement orientée vers une
réduction significative du recours à l’emprisonnement115, la lutte contre la
récidive nécessite la réalisation d'une véritable individualisation,
indispensable pour réduire la pression sur un système carcéral au bord de
l'explosion116. Il n’est pas surprenant que la constitutionnalisation du
principe en droit français ait conduit à un déclin des peines minimales
d’emprisonnement jusqu’à leur suppression en 2014. En revanche, au
Canada, la personnalisation de la sanction souffre de l’inflation du
mandatory sentencing exacerbée par le gouvernement Harper depuis 2006.
114Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, JORF n°0071 du 24 mars 2019, texte n° 2. 115SYR, préc., note 58, p.217. 116Id.,
35
Chapitre 2 L’insertion des peines minimales dans l’arsenal
répressif : une évolution contrastée
La suppression des peines plancher de l’arsenal répressif français est loin
d’avoir été spontanée malgré l’insertion du principe d’individualisation au
sein du Code pénal de 1992. Elle a plutôt été le fruit de maintes réformes
législatives ponctuées d’abrogation, de réhabilitation puis encore
d’abrogation. Malgré leur neutralisation récente117, leur spectre plane
encore sur les débats parlementaires. En effet, d’aucuns considèrent que
l’individualisation de la peine n’empêche pas l’insertion de peines plancher
dans l’arsenal répressif (Section 1).
Quant au Canada… le constat est d’autant plus flagrant : arrosées par des
considérations politiques et populistes, les peines minimales obligatoires y
fleurissent dans de nombreux domaines du droit pénal et pas toujours pour
les infractions les plus graves, critère de cantonnement à l’origine. (Section
2)
117Loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, préc., note 31.
36
Section 1 Les peines minimales en France : le frein de l’individualisation ?
Les peines après la Révolution. Au lendemain de la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen proclamant l’égalité entre les citoyens, le droit
pénal révolutionnaire instituait un système de peines fixes ne laissant
aucun pouvoir d’appréciation au juge. Ce dernier ne devait être alors que la
bouche prononçant les paroles de la loi118. Empreint de l’égalitarisme de
l’école classique et notamment des écrits de Beccaria, la seule
individualisation possible était d’origine légale. Le juge devait se contenter
d’ouvrir le code, y trouver la peine applicable pour l’infraction en cause et la
prononcer sans autre modulation119. La question du quantum minimal et
maximal ne se posait donc pas.
Très vite, il a été évident qu’un tel système ne pouvait perdurer. En effet :
Entre les coauteurs d'une même infraction ou entre les personnes coupables d'une même infraction, il n'y a qu'un élément commun : le délit
objectif qu'ils ont commis, avec sa gravité intrinsèque. Hormis ce trait qui les rapproche, de profondes différences séparent nécessairement leurs personnalités respectives et leurs responsabilités : leur âge, leurs
antécédents, leur éducation, leur intelligence, leur structure mentale, les malheurs ou les tentations qui les ont accablés. Il n'est pas juste qu'ils
soient a priori justiciables d'un châtiment de la même intensité. Il faut donc laisser au juge le pouvoir d'adapter quantitativement la peine prescrite par la loi à la responsabilité morale de chaque délinquant. [...]. Il serait injuste
de procéder autrement120.
Le code napoléonien restitue donc au juge une partie de son pouvoir
discrétionnaire en remplaçant les tarifs fixes du droit révolutionnaire par
des fourchettes de peine. Le tribunal peut ainsi faire varier le quantum de
118Charles de Secondat de Montesquieu, De l’esprit des lois, livre XI, chapitre VI, (1748) : « Les juges de la nation ne sont que la bouche qui prononcent la parole de la loi, des êtres inanimés qui n’en peuvent modérer ni la force ni la rigueur ». 119J.-F. Chassaing, « Les trois codes français et l'évolution des principes fondateurs du droit pénal contemporain », revue sciences criminelles, Lexisnexis, (1993). en ligne : JurisClasseur <http://www.lexis360.fr/document?docid=EN_KEJC-192638_0KSG> (consulté le 18 août 2019). 120Id., p.451.
37
la peine entre un plancher et un plafond préalablement fixés par le
législateur. Avec le jeu des circonstances aggravantes et atténuantes, le juge
reprend un rôle actif dans la détermination de la peine. Ce sont les prémices
de l’individualisation.
La loi « liberté et sécurité », un bond en arrière. Un recul du pouvoir des
juges est cependant observé lors de l’adoption de la loi dite « sécurité et
liberté » du 2 février 1981 sur fond de débat politique houleux et d’escalade
de violences dans les prisons. Décriée pour son aspect répressif, la loi
réintroduisait les peines plancher, restreignait le champ des circonstances
atténuantes et limitait la possibilité de prononcer un sursis, reléguant ainsi
au second plan le souci d’individualisation de la peine. Dans leur
déclaration pour la défense des libertés judiciaires, se joignant à d’autres,
les professeurs Jacques Léauté, Robert Badinter et Georges Levasseur
s’insurgeaient contre ces dispositions n’hésitant pas à faire un
rapprochement avec le régime de Vichy :
Dans notre justice, la liberté de décision de ceux qui jugent, magistrats ou jurys, doit être aussi large que possible, pour leur permettre en toute
conscience de s’adapter à la diversité des hommes et des faits dont ils ont à connaître. Le projet de loi, par la restriction qu’il apporte aux
circonstances atténuantes et aux possibilités de sursis, réduit cette liberté de décision et tend à uniformiser ou à automatiser la répression au risque de forcer les juges à prononcer des décisions injustes. Il rappelle ainsi
fâcheusement un système institué par le gouvernement de Vichy121.
Changement de majorité et retour à l’orthodoxie. La loi du 31 mai 1983
abrogera les dispositions relatives au sursis, aux circonstances atténuantes
et aux peines plancher. Le juge recouvre toute l’étendue de son pouvoir
d’appréciation dans la seule limite des maximums légaux, qui, en définitive,
étant bien plus élevés que ce que prononcent en général les juges, sont une
121pour_la_defense_des_libertes_judiciaires_-_1980.pdf, en ligne : <https://jean-jaures.org/sites/default/files/redac/commun/productions/2010/1014/pour_la_defense_des_libertes_judiciaires_-_1980.pdf> (consulté le 18 août 2019).
38
mince restriction. Dans la foulée de l’abrogation de la loi « sécurité et
liberté », une innovation législative majeure est réalisée en la figure de deux
nouvelles peines : le jour-amende et le travail d’intérêt général. Le souffle de
l’individualisation reprend dans une volonté de décongestionner le système
carcéral122.
En 1986, le retour d’une majorité politique de droite s’accompagne d’un
retour à la répression : élévation de la période de sûreté (période de non-
admissibilité à la libération conditionnelle), diminution des possibilités de
réduction de peine et création de nouvelles places de prison sont au
programme, entre autres mesures123.
L’individualisation dans le nouveau Code pénal. L’avènement du
nouveau code pénal en 1994 marquera une distanciation par rapport aux
conceptions légalistes du code napoléonien124. Les pouvoirs du juge dans la
détermination de la peine sont accrus et l’impératif de personnalisation est
consacré à l’article 132-24 : « dans les limites fixées par la loi, la juridiction
prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de
l’infraction et de la personnalité de son auteur. Lorsque la juridiction
prononce une peine d’amende, elle détermine son montant en tenant compte
également des ressources et des charges de l’auteur de l’infraction ».
Subsistent alors les peines minimales de droit commun en matière
criminelle que l’on retrouve encore aujourd’hui à l’article 132-18 :
Lorsqu'une infraction est punie de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité, la juridiction peut prononcer une peine de réclusion
criminelle ou de détention criminelle à temps, ou une peine d'emprisonnement qui ne peut être inférieure à deux ans. Lorsqu'une infraction est punie de la réclusion criminelle ou de la détention
criminelle à temps, la juridiction peut prononcer une peine de réclusion criminelle ou de détention criminelle pour une durée inférieure à celle qui
122Jacques-Guy PETIT, Claude FAUGERON et Michel PIERRE, Histoire des prisons en France 1789-2000, Coll. Hommes et Communauté, Paris, Privat, (2002), p.228. 123Id., p. 229. 124DREAN-RIVETTE, préc., note 103, p.13.
39
est encourue, ou une peine d'emprisonnement qui ne peut être inférieure à un an.
La restauration controversée des peines plancher. L’arrivée au pouvoir
de Nicolas Sarkozy en mai 2007 marque un tournant. Il fait de la
réhabilitation des peines minimales une mesure phare de son programme
et il ne faudra pas attendre deux mois après son investiture pour voir la loi
« renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs »125
réintégrer les seuils légaux dans le système répressif. Rompant « la liberté
quasi-discrétionnaire » dont bénéficiait jusque-là le juge pénal126, la loi ne
concerne cependant que les délinquants récidivistes et est donc restreinte
dans son champ d’application.
Dans la continuité de la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de
la récidive des infractions pénales127, limitant le nombre de SME et
permettant un allongement de la période de sûreté de 15 à 18 ans voire 22
ans (état de récidive), la loi nouvelle tend à resserrer l’étau sur les individus
récidivistes par son effet supposément dissuasif128. L'article 132-18-1
nouveau du code pénal dispose que lorsque l’infraction constituant le
second terme de la récidive est de nature criminelle, la peine
d'emprisonnement, de réclusion ou de détention ne peut être inférieure aux
seuils suivants :
1° Cinq ans, si le crime est puni de quinze ans de réclusion ou de détention ;
2° Sept ans, si le crime est puni de vingt ans de réclusion ou de détention 3° Dix ans, si le crime est puni de trente ans de réclusion ou de détention
125Loi n° 2007-1198 sur la récidive des mineurs et des majeurs du 10 août 2007, JORF n°185 du 11 août 2007 page 13466 texte n° 1. 126Jean PRADEL, « Enfin des lignes directrices pour sanctionner les délinquants récidivistes (commentaire de la loi du 10 août 2007 sur les pleines plancher », Recueil Dalloz, 2007, p.2247. 127Loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénale, JORF n°289 du 13 décembre 2005, page 19152 texte n° 1. 128« Récidive des majeurs et des mineurs - Sénat », en ligne : <http://www2.senat.fr/dossier-legislatif/pjl06-333.html> (consulté le 20 août 2019).
40
4° Quinze ans, si le crime est puni de la réclusion ou de la détention à perpétuité.
L'article 132-19-1 nouveau du code pénal (excluant toutefois certains délits
tels le harcèlement sexuel, les dégradations simples et les filouteries,
considérés comme peu graves) dispose quant à lui que lorsque le second
terme de la récidive est un délit, « la peine d'emprisonnement ne peut être
inférieure aux seuils suivants :
« 1° Un an, si le délit est puni de trois ans d'emprisonnement ; 2° Deux ans, si le délit est puni de cinq ans d'emprisonnement ; 3° Trois ans, si le délit est puni de sept ans d'emprisonnement ;
4° Quatre ans, si le délit est puni de dix ans d'emprisonnement »
Concernant la récidive des mineurs, le législateur étend le système des
peines plancher à ces derniers mais l’exclusion de l’atténuation de la peine
ne devient le principe qu’au stade de la seconde récidive pour les crimes et
délits commis avec violences ou les agressions sexuelles.
« Si le mineur est âgé de plus de seize ans, le tribunal pour enfants ou la cour d'assises des mineurs peut décider qu'il n'y a pas lieu de le faire bénéficier de l'atténuation de la peine prévue au premier alinéa dans les
cas suivants : 1° Lorsque les circonstances de l'espèce et la personnalité du mineur le justifient ;
2° Lorsqu'un crime d'atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne a été commis en état de récidive légale ;
3° Lorsqu'un délit de violences volontaires, un délit d'agression sexuelle, un délit commis avec la circonstance aggravante de violences a été commis en état de récidive légale.
Lorsqu'elle est prise par le tribunal pour enfants, la décision de ne pas faire bénéficier le mineur de l'atténuation de la peine doit être spécialement
motivée, sauf pour les infractions mentionnées au 3° commises en état de récidive légale. »129
Les peines minimales ainsi restaurées, le législateur prévoit toutefois un
assouplissement dans la faculté du juge d’aller en-deçà des minimas prévus.
En matière correctionnelle, d’une part, il a toujours le loisir, s’il le souhaite,
129Loi du 14 août 1885, préc., note 99, Article 5.
41
d’assortir la peine d’emprisonnement d’un SME ou d’un sursis simple si les
circonstances de l’infraction ou la personnalité de l’auteur s’y prêtent. A ce
stade, l’individualisation de la peine est donc encore possible. En revanche,
en matière criminelle, s’agissant des multirécidivistes, c’est-à-dire les
délinquants ayant commis une nouvelle infraction alors qu’ils étaient déjà
en état de récidive légale pour une précédente infraction (soit trois
infractions au moins commises en état de récidive légale), le juge ne peut
s’affranchir des minimas que si « le prévenu présente des garanties
exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion ». Le même régime est réservé
aux délits considérés comme graves tels que les délits de violences
volontaires ou accompagnés de la circonstance aggravante de violence ainsi
que les atteintes et les agressions sexuelles. Le juge, s’il souhaite s’affranchir
des minimas imposés par le législateur, doit spécialement motiver sa
décision (en matière correctionnelle seulement, les décisions de cour
d’assise ne faisant l’objet, à l’époque, d’aucune exigence de motivation sur
la peine)130.
L’individualisation de la peine est restreinte dans ces deux cas à deux
égards. D’abord, l’expression « garanties exceptionnelles d’insertion ou de
réinsertion » ne renvoie pas à ce principe bien qu’elles pourraient très bien
être comparées à des circonstances atténuantes. De ce fait, le juge n’a pas,
en principe, la faculté de considérer la personnalité de l’auteur de
l’infraction, encore que ces « garanties » soient difficilement
130Arrêt n° 378 du 8 février 2017 (16-80.389) - Cour de cassation - Chambre criminelle – « Vu l’article 591 du code de procédure pénale, ensemble l’article 365-1 dudit code ; Attendu que, selon le second de ces textes, en cas de condamnation par la cour d’assises, la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui l’ont convaincue de la culpabilité de l’accusé ; qu’en l’absence d’autre disposition légale le prévoyant, la cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine qu’ils prononcent dans les conditions définies à l’article 362 du code susvisé ; » Attendu que la feuille de motivation, intégralement reproduite dans l’arrêt, comporte les énonciations suivantes : “la gravité des faits, au cours desquels les accusés n’ont pas hésité à exercer des violences graves sur des victimes âgées, les antécédents judiciaires des accusés et leur positionnement consistant à nier les évidences à l’audience, ce qui est de pronostic très défavorable pour l’avenir, justifient le prononcé de peines fermes significatives, étant relevé que M. Jean X... se trouve en état de récidive légale” ; Mais attendu que ces énonciations, qui relèvent non pas de la déclaration de culpabilité mais de la motivation de la peine, contreviennent au principe ci-dessus énoncé ;
42
caractérisables131 et qu’on puisse toujours les considérer comme pouvant
être absorbées par le vaste processus qu’est l’individualisation de la peine.
Cependant, le législateur a bien eu l’intention de restreindre la portée du
principe sans quoi il n’aurait pas prévu un régime différent pour les crimes
et délits graves commis en « double-récidive ». Ensuite, ces garanties
d’insertion et de réinsertion doivent être « exceptionnelles », le juge ne
pourra donc se contenter de simples justifications de la part du prévenu,
encore que, une nouvelle fois, la frontière entre « garanties exceptionnelles »
et simples garanties est loin d’être évidente. Il semblerait que des garanties
très sérieuses puissent être considérées et non pas « des garanties qui ne
joueraient que dans des hypothèses exceptionnelles »132.
Si le condamné est jugé pour une première récidive, le principe
d’individualisation entre à nouveau en jeu : la juridiction doit tenir compte
« des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des
garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci »133.
La validation constitutionnelle des peines minimales. Amenés à se
prononcer sur la constitutionnalité de la loi, les juges de la rue Montpensier
ont considéré qu’au regard des aménagements prévus par la loi pour
permettre au juge de déroger aux minimums légaux, celle-ci se conformait
au principe d’individualisation de la peine. Ils ajoutent qu’en tout état de
cause, ce dernier « ne saurait faire obstacle à ce que le législateur fixe des
règles assurant une répression effective des infractions ; qu'il n'implique pas
davantage que la peine soit exclusivement déterminée en fonction de la
personnalité de l'auteur de l'infraction »134. Le Conseil constitutionnel valide
ainsi le système de peines minimales instauré par le législateur rompant un
131Aurélie CAPPELLO, « Question prioritaire de constitutionnalité – Impact de la question prioritaire de constitutionnalité sur la matière pénale », répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, (Juin 2015). 132Loi du 26 mars 1891, préc., note 100. 133Code pénal - Article 132-18-1 alinéa 2 (abrogé) : « Toutefois, la juridiction peut prononcer une peine inférieure à ces seuils en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci. » 134 Décision n° 2007-554 DC du 9 août 2007.
43
certain consensus prévalant depuis de nombreuses années sur la question
de l’individualisation de la peine.135
Les peines plancher en pratique. Cependant, les chiffres indiquent que
sur l’année 2010, sur l’ensemble des infractions commises en récidive (soit
13% de l’ensemble des condamnations prononcées), les juges ont usé de leur
faculté de déroger aux peines minimales en théorie applicables dans 62%
des cas136. Le prononcé de peines minimales représentait moins de 2% de
l’ensemble des condamnations en 2010137. En pratique, donc, le juge déroge
aux minimas imposés par la loi 6 fois sur 10138. S’ajoute à cela que lorsque
qu’effectivement il prononce une peine plancher c’est, dans la grande
majorité des cas, en matière criminelle (84% des peines plancher
prononcées)139 dans laquelle les minimas imposés n’étaient de toute façon
pas déterminants puisque les juges auraient fait certainement preuve
d’autant de sévérité antérieurement à la loi140.
Le projet de loi LOPPSI du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation
pour la performance de la sécurité intérieure141 étendra par la suite le
dispositif aux primo-délinquants majeurs et mineurs. Pour ces derniers, le
Conseil constitutionnel jugera le système contraire aux exigences
constitutionnelles en matière de justice pénale des mineurs142. Les peines
plancher pour les individus jugés une première fois pour des violences
aggravées par certaines circonstances sont toutefois déclarées conformes à
la Constitution.
135La semaine juridique- édition générale- N° 17 - 28 AVRIL 2014 Lexisnexis 136Peines planchers : application et impact de la loi du 10 août 2007, INFOSTAT JUSTICE, bulletin d’information statistique, n°118, Ministère de la Justice, (octobre 2012) Voir annexe B. <http://www.justice.gouv.fr/art_pix/stat_infostat_118_20121017.pdf> 137Id., Voir annexe B. 138Id., page 1 139Id., Voir annexe B. 140 Id., 141Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, JORF n°0062 du 15 mars 2011 page 4582 texte n° 2. 142Décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 Considérant 27.
44
Changement de majorité et retour à l’orthodoxie, acte II. La majorité
suivante abrogera cependant le système des peines plancher, le considérant
comme « une résurgence du passé »143 contraire à l’individualisation de la
peine par une loi relative (justement) à l’individualisation de la peine et
renforçant l’efficacité des sanctions pénales144. En effet, le rapport préalable
à la loi présenté à l’assemblée nationale le 28 mai 2014145, présente les
peines minimales comme portant une atteinte injustifiée à la
personnalisation des peines et reproche au législateur d’envoyer aux juges
deux messages contradictoires. D’une part, il enjoint à faire preuve de
parcimonie s’agissant de l’emprisonnement, celui-ci ne devant être prononcé
qu’en dernier ressort, d’autre part, il l’impose comme peine de principe
s’agissant des individus agissant en état de récidive légale.
Pour autant, et malgré l’inefficacité alléguée de la loi controversée, les portes
de sortie laissées à la juridiction de jugement marquaient tout de même une
certaine indulgence de la part du législateur français comparativement à
certains systèmes étrangers bien plus rigides qui, eux, ne prévoient aucune
dérogation en matière de peines obligatoires. C’est le cas du système de
justice pénale canadien notamment.146
143Mickaël BENILLOUCHE, « La peine minimale : une résurgence du passé contraire à la Constitution ? » La Semaine Juridique, Edition Générale n° 30-35, (23 Juillet 2018), 875. 144Loi 15 août 2014, préc., note 31. 145COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 1413) relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des
peines. En ligne : <http://www.assemblee-nationale.fr/14/projets/pl1413.asp> 146Julian V. ROBERTS, « Peines d’emprisonnement obligatoires dans les pays de common law, Quelques modèles représentatifs » - Rapport - DIVISION DE LA RECHERCHE ET DE LA STATISTIQUE, Ministère de la justice, Canada, (9 novembre 2005).
45
Section 2 L’inflation du mandatory sentencing au Canada : entre
dissuasion, dénonciation et populisme
Resocialisation, intimidation, rétribution, neutralisation sont autant de
fonctions qui ont été attribuées à la peine au fil des courants doctrinaux147 :
Numerous theories of punishment have been advanced including those of deterrence, retribution, rehabilitation, restitution, incapacitation and
denunciation. Parliament has regarded various of these theories as being more influential at one time or another, and its failure to adopt a single
principled approach to sentencing for any sustained period has become a
matter of concern in recent years.148
Mais au chapitre des peines d’emprisonnement obligatoires, c’est la
dissuasion et la dénonciation qui prévalent…
Les peines et leurs fonctions. Sont distinguées, dans le système de justice
pénale canadien, les crimes poursuivis par actes d’accusation
correspondant aux agissements les plus graves, et les crimes de moindre
gravité poursuivis par procédure sommaire. En principe, le Code criminel
prévoit une peine pour chaque acte criminel mais si ce n’est pas le cas, la
peine maximale est alors de cinq ans d’emprisonnement149. Pour les
infractions poursuivies par procédure sommaire, les peines applicables sont
un emprisonnement maximal de six mois et/ou une amende de cinq mille
dollars150. Enfin, il existe une troisième catégorie d’infractions dites mixtes.
Dans ces cas-là, c’est au ministère public que revient le choix de la
poursuite : soit par procédure sommaire soit par acte criminel. En fonction
du choix ainsi opéré, la peine applicable suivra l’un ou l’autre des régimes
précédemment décrits. Aux termes de l’article 718.3(2), aucune peine
minimale n’est obligatoire si le législateur ne le prévoit pas expressément.
147PRADEL, préc., note 45, p.88. 148David ORMEROD, Criminal law, Oxford, 13e éd., Smith and Hogan's Criminal Law, Oxford University Press, (2011), p.38. 149Code criminel - Article 743. 150Code criminel - Article 787 (1).
46
Six fonctions sont attachées à la peine en droit canadien : la dénonciation,
la dissuasion, l’isolation du délinquant, sa réinsertion, la réparation du
dommage causé par l’infraction et la reconnaissance du tort causé à la
victime et à la collectivité (amendement du coupable). L’objectif traditionnel
du droit criminel étant la protection de la société, le respect de la loi et le
maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions
justes151.
Si aucune hiérarchie n’est établie parmi les six fonctions de la peine152 de
sorte que c’est au juge qu’il revient de décider laquelle il convient de
privilégier153, lorsque le législateur impose une peine minimale, le juge perd
cette faculté de choix. En effet, ce sont les objectifs de dénonciation et de
dissuasion qui font figure de justification lorsqu’il s’agit d’adopter une loi
comportant des peines obligatoires154.
La dissuasion et la dénonciation dans le discours juridique. Beccaria
assignait à la peine une fonction précise : celle d’empêcher le coupable de
réitérer son geste et de dissuader les autres d’en commettre de
semblables155. Dans sa perspective utilitariste, tout l’enjeu du droit pénal
est de prévenir la commission de nouvelles infractions. Le législateur
canadien souscrit à cette idée lorsqu’il intègre des peines obligatoires dans
l’arsenal répressif. Mais pas seulement. Ces dernières empruntent
également aux philosophies rétributivistes de la peine puisqu’elles assurent
la sanction du coupable sans que celui ne puisse y échapper : les juges
n’ayant pas la possibilité d’y déroger.
151 Code criminel - Article 718. 152André JODOUIN et Marie-Ève SYLVESTRE, «Changer les lois, les idées, les pratiques : réflexions sur l’échec de la réforme de la détermination de la peine», vol. 50, n°3-4, Cahier de Droit, 519, (2009), 528-529. 153R. c. Nasogaluak [2010] 1 R.C.S. 206, par.43. 154Anthony DOOB and Carla CESARONI, « Mandatory Minimum Sentences: Law and Policy The Political Attractiveness of Mandatory Minimum Sentences", vol. 39, n°2-3, York University, Osgoode Hall Law Journal, 287 - 304. (2001). 155Eloi Clément, « Le Droit selon BECCARIA », Revue Juridique de l’Ouest, IODE (UMR CNRS 6262), pp.41-62, (2014), p.47.
47
Il apparait que le législateur et le juge canadiens croient tous deux en l’effet
dissuasif des minimas obligatoires156. En effet, les tribunaux font prévaloir
pour un certain nombre d’infractions ces deux objectifs associés que sont la
dénonciation et la dissuasion. C’est le cas en matière de trafics de
stupéfiants157, de conduite sous l’emprise un état alcoolique causant des
lésions corporelles ou la mort158 ou encore d’utilisation d’armes à feu159… A
ce propos, le ministre de la justice du gouvernement Chrétien, Allan Rock,
affirmera, dans le cadre de l’adoption de la loi sur les armes à feu160 :
To strengthen the law and to provide real deterrents in sentencing we will
introduce new strong penalties for 10 specific serious crimes... . Those who choose to use a firearm in such a way must know that they will surely incur
severe consequences161.
L’explosion du nombre de peines d’emprisonnement obligatoires. Le
droit canadien a, depuis sa création, toujours comporté certaines peines
minimales. Cependant, celles-ci ne constituent pas la norme162 comme il a
été rappelé par la plus haute cour du pays dans l’arrêt R. c. Wust :
Les peines minimales obligatoires ne constituent pas la norme au Canada, et elles dérogent aux principes généraux applicables en matière de
détermination de la peine énoncés dans le Code, la jurisprudence et la littérature sur le sujet. En particulier, elles dérogent souvent au principe
156BENILLOUCHE, préc., note 141. 157R. c. Gagnon, 2016 QCCQ 2698 par. 56 : « En matière de trafic de drogues dures, les tribunaux supérieurs affirment que suivant les principes et objectifs de la détermination d'une peine, il doit être privilégié les critères de dénonciation et de dissuasion tant générale qu'individuelle.» 158R.c. Lacasse [2015] SCJ No 64 par. 5 : « En matière d'infractions comme celles en cause en l'espèce, à savoir la conduite avec les capacités affaiblies causant des lésions corporelles ou la mort, des tribunaux de diverses régions du pays ont reconnu qu'il est nécessaire de privilégier les objectifs de dissuasion et de dénonciation afin de communiquer la réprobation de la société. » Voir également R. c. Proulx. [2000] 1 RCS 61 par. 130. 159R. c. Morrisey [2000] 2 SCR 90 par. 46 : « In other words, the punishment is acceptable under s. 12 while having a strong and salutary effect of general deterrence. It cannot be disputed that there is a need for general deterrence. This legislation dictates that those who pick up a gun must exercise care when handling it. It is consistent with the jurisprudence on the use of firearms. » 160Loi sur les armes à feu L.C. 1995, ch. 39. 161Cité par Anthony N. Doob & Carla Cesaroni dans « Mandatory Minimum Sentences : Law and Policy The Political Attractiveness of Mandatory Minimum Sentences », préc., note 152. 162Ministère de la Justice Gouvernement du Canada, « 1.0 Introduction : aperçu de l’application des peines minimales obligatoires au Canada – Les peines minimales obligatoires au Canada : analyse et bibliographie annotée » (8 mars 2017), en ligne : <https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jr/pmo-mmp/p1.html> (consulté le 22 août 2019).
48
énoncé à l’art. 718.1 du Code, que le législateur a déclaré être le principe fondamental en matière de détermination de la peine : le principe de la
proportionnalité.163
Pourtant, compte tenu de ce constat, le législateur n’a pas hésité à adopter
un nombre considérable de peines obligatoires faisant passer leur chiffre de
6 en 1892 à 29 en 2001 pour dépasser la centaine à l’heure actuelle. En
1995, la loi sur les armes à feu introduira 19 nouvelles PMO. En 2008 et
2012, la modification de la loi règlementant certaines drogues et autres
substances (LRDS) ainsi que l’adoption de la loi sur la sécurité des rues et
des communautés (LSRC) ont non seulement accru la sévérité de PMO
existantes mais encore prévu d’autres minimas obligatoires pour d’autres
infractions, confirmant ainsi « le virage répressif » du gouvernement
conservateur164. Dans sa lancée, le gouvernement conservateur adoptera
également en 2014 la loi visant à combattre la contrebande de tabac165
instaurant des PMO en cas de récidive.
Le choix du législateur de privilégier les objectifs pénologiques de dissuasion
et dénonciation pour adopter de plus en plus de peines minimales, censées
être exceptionnelles, est critiqué et critiquable. En effet, comme nous
l’aborderons par la suite, l’efficacité attribuée aux objectifs pénologiques de
dénonciation et de dissuasion est loin d’être évidente. D’une part, ni l’un ni
l’autre ne sont quantifiables de sorte qu’il est difficile de réaliser une étude
empirique précise sur la question même si le caractère dissuasif du système
pénal pris dans son ensemble est indéniable166. D’autre part, il est avéré
qu’une peine d’emprisonnement peut avoir des effets criminogènes à
163R. c. Wust [2000] 1 RCS 455 par.18. 164Julie DESROSIERS, «Replacer le principe de la modération au coeur de la justice pénale, ou cent fois sur le métier remettez votre ouvrage», dans Julie DESROSIERS, Margarida GARCIA et Marie-Ève SYLVESTRE, Réformer le droit criminel au Canada, défis et possibilités, Cowansville, Yvon Blais, (2017), 313-339. 165Loi visant à combattre la contrebande de tabac, L.C. 2014, ch. 23. 166Maurice CUSSON, « Dissuasion, justice et communication pénale », Etudes et analyses, n°9, Institut pour la justice, Paris, (mai 2010).
49
l’inverse de ce que souhaite vraiment le législateur, à savoir lutter contre la
récidive par les PMO.
L’influence des pressions sociales et populistes. L’attitude « tough on
crime » du parlement est fondée par les partisans des minimas obligatoires
sur le trop grand « laxisme » du système de justice pénale canadien à l’égard
des criminels. Laxisme qui s’accommoderait trop bien du large pouvoir
discrétionnaire laissé au juge dans la détermination de la peine. D’après
eux, cette discrétion n’a jamais été synonyme d’un choix absolument libre
du juge de choisir la peine qu’il estime appropriée dans un cas précis167.
Cela n’a jamais été contredit, puisque le pouvoir des juridictions a toujours
été encadré par les principes directeurs de légalité, de proportionnalité et les
autres principes de détermination de la peine consacrés par la
jurisprudence ainsi que les objectifs codifiés par le législateur. Quoi qu’il en
soit, certains élus et praticiens présentent les PMO comme un outil efficace
assurant plus de justice dans la détermination de la peine en permettant
aux citoyens de savoir, à l’avance et de manière stable, les conséquences
légales que peuvent avoir leurs actes, renforçant ainsi la sécurité
juridique168. Anthony Gray résume en ce sens que :
The use of mandatory sentencing around the world has increased in recent years. Governments have responded to community perceptions that some courts have been "too soft" on crime, or that sentencing outcomes are
unpredictable and uncertain, by introducing minimum mandatory
sentencing provisions169.
Si, assurément, prévoir pour chaque sanction une peine minimale
obligatoire garantit la prévisibilité de la loi, vouloir rendre le système
167Lincoln CAYLOR and Gannon G. BEAULNE, « Parliamentary restrictions on judicial discretion in sentencing: a defence of mandatory minimum sentences », Macdonald-Laurier Institute (mai 2014), p.2. En ligne : <https://www.macdonaldlaurier.ca/files/pdf/MLIMandatoryMinimumSentences-final.pdf>. 168 Id., p.3. 169Anthony GRAY, « Mandatory Sentencing around the World and the Need for Reform », vol.20, n°3, New Criminal Law Review, pp.391-432. (2017).
50
judiciaire plus juste en écartant toute possibilité d’évaluer le degré de
responsabilité du délinquant (principe de proportionnalité) semble, au
contraire, très contestable. Sacrifier les principes cardinaux du droit
criminel que sont la proportionnalité et l’individualisation sur l’autel de la
dissuasion, loin de moderniser le système de justice, marque une régression
dans la manière de traiter la délinquance. Un système de peines plancher
entièrement fondé sur ces objectifs pénologiques ne peut être qu’un système
bancal et peu efficient. Les précurseurs d’un droit de la peine cohérent en
perpétuelle quête de sens et d’efficacité (Saleilles, Marc Ancel, Béranger…)
avaient saisi l’importance du redressement du condamné et pour la société
et pour lui-même. Importance minimisée sinon ignorée par le législateur
lorsqu’il multiplie les lois portant création de nouvelles peines minimales
d’emprisonnement qui, loin de prévenir la récidive, la favorisent et
l’entretiennent et ce, au nom d’objectifs pénologiques, si ce n’est
inatteignables, du moins inquantifiables. Marc Ancel se refusait, d’ailleurs,
à assigner à la peine comme une de ses fonctions essentielles l'intimidation
individuelle ou collective dont la valeur pratique se révèle, selon lui, à peu
près illusoire170.
En réalité, l’inflation des PMO, malgré les effets avérés néfastes de
l’emprisonnement, sont symptomatiques de deux mouvements conjugués
caractérisant nos systèmes de justice contemporains : celui de l’inflation
législative et celui du populisme pénal. En effet, l’idée selon laquelle « la
prison est la meilleure peine qui soit pour dénoncer le crime et dissuader les
criminels a certes été amplifiée par le vent de populisme pénal qui balaie nos
démocraties occidentales »171. Le droit pénal, censé représenter l’ultima ratio,
devient « l’exutoire des tensions sociales destinées à rassurer l’opinion
170Marc ANCEL, « La défense sociale nouvelle » dans Revue internationale de droit comparé, Vol. 6 n°4, (Octobre-décembre 1954). pp. 842-847. p843. 171 DESROSIERS, préc., note 163, p.315.
51
publique » et « souligne le règne de l’émotion sur la sphère pénale »172. En
découle l’aspect purement politique de certaines incriminations au gré des
faits divers contribuant à décrédibiliser le droit et à lui faire perdre sa
valeur :
It is clear that politicians often support mandatory sentencing laws because
such sentences are said to send a denunciatory message and because harsh penalties are supported by large numbers of the general public, even
if they cost a great deal and accomplish little.173 L’actualité brûlante de l’affaire Bissonnette permet sans aucun doute de
corroborer cette idée, ce qu’exprime l’honorable plume du juge François
Huot faisant référence aux célèbres lettres Persanes de Montesquieu : « La
justice élève sa voix, mais elle a peine à se faire entendre dans le tumulte
des passions »174.
Malgré des réformes et une jurisprudence allant dans le sens d’une
meilleure prise en compte du principe d’individualisation, force est de
constater l’impossibilité de mettre en œuvre de manière effective ce principe
face à un dispositif de peines minimales inséré dans un système pénal
manquant lui-même de cohérence et des objectifs de détermination de la
peine nécessitant d’être ordonnés voire hiérarchisés.
172Bertrand DE LAMY cité par Julie DESROSIERS et Pierre RAINVILLE dans « Remarques Liminaires sur les Dérives et Evolutions du Droit Pénal », vol.50, n°3-4, Cahiers de Droit, pp.455-467 (2009), p.457. 173Elizabeth SHEEHY, « Mandatory minimum sentences : law and policy introduction », vol.39, n°2-1, York University, Osgoode Hall Law Journal, pp. 261-272, (2001). 174Montesquieu cité par l’honorable François HUOT dans R. c. Bissonnette [2019] J.Q. no 758 par. 7.
52
PARTIE 2 Peines obligatoires d’emprisonnement et
personnalisation de la sanction : un mariage indésirable ?
« L'individualisation envisagée sous sa forme contemporaine la plus radicale a pour objectif premier une réduction significative du recours à
l'emprisonnement, encore appelée décarcération. » 175
La privation de liberté est la clé de voûte du système pénal classique176.
Pourtant, les peines minimales d’emprisonnement, incapables d’atteindre
les objectifs qui leur sont assignés, constituent une atteinte injustifiée au
principe d’individualisation (section 1) dont la protection constitutionnelle
demeure insatisfaisante (section2).
175SYR, préc., note 58. 176Id.,
53
Chapitre 1 : Les peines minimales obligatoires : atteinte
injustifiée au principe d’individualisation
« Au lieu de citoyens réformés, les prisons ont fourni à la société le produit
humain d'une forme d'organisation anti-sociale qui soutient le
comportement criminel. »177
Si les peines minimales d’emprisonnement représentent pour ceux qui en
défendent l’application, un outil de lutte contre la récidive par leur effet
dissuasif (section 1), elles empêchent, pour ceux qui y sont farouchement
opposés, le prononcé d’une peine juste et crée des déséquilibres injustifiés
dans la détermination de la peine (section 2).
177Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle, « rapport du comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle— justice pénale et correction : un lien à forger », Ottawa, imprimeur de la reine, (1969-03-31) pp.336-337.
54
Section 1 : Dissuasion et lutte contre la récidive : des objectifs
hors de portée
L’ensemble des justifications et des critiques que l’on peut apporter à
l’utilisation du mandatory sentencing sont celles que l’on adresse
traditionnellement à la peine de prison qu’elle soit obligatoire ou décidée par
le juge. En effet, c’est l’institution même de la prison qui est ici en cause, sa
légitimité étant contestée tant du point de vue de ses effets à l’égard de
l’individu condamné que de ceux qu’elle produit à l’égard de la société toute
entière. Ces critiques de la prison telles qu’elles ont pu être formulées par
Michel Foucault dans Surveiller et punir sont plus que jamais pertinentes
dans un contexte où les gouvernements sont tentés de plus en plus d’agir
contre le crime par l’adoption de peines minimales obligatoires.
Les évolutions historiques de l’emprisonnement. L’histoire des prisons
accompagne celle des hommes178. Mais si l’enfermement existe depuis la
nuit des temps179 sous différentes formes et pour diverses raisons, la prison
en tant qu’institution permettant de lutter contre le crime n’est, elle, qu’une
idée très récente.
« Parmi les peines, et dans la manière de les appliquer en proportion des délits, il faut choisir les moyens qui feront sur l’esprit du peuple
l’impression la plus efficace et la plus durable, et, en même temps, la moins
cruelle sur le corps du coupable »180.
La primauté de la souffrance corporelle dans les sociétés anciennes laisse
peu à peu place à l’enfermement comme reine des peines. La rationalité
punitive du siècle des Lumières légitimant une souffrance physique dès lors
que celle-ci était nécessaire a laissé longtemps subsister des châtiments
corporels parfois violents : ainsi coupait-on le poing du parricide sous
178Christine DAURE-SERFATY, Observatoire international des prisons, rapport, vol.1, Lyon, (1993), p.9. En ligne : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33252945.texteImage> 179Jacques LEAUTE, Les prisons, coll. Que sais-je ?, Paris, 2e éd., Presses universitaires de France, p.13. 180BECCARIA, préc., note 36, p.51.
55
l’empire du Code pénal de 1810 ou encore marquait-on les récidivistes au
fer rouge181. Beccaria défendra l’abolition des châtiments corporels, qui, à
son sens, loin de les amender, endurcissait les criminels182. Il estime que
« le but des peines ne saurait être de tourmenter et affliger un être sensible
ni de faire qu'un crime déjà commis ne l'ait pas été »183. Cette dernière partie
s'oppose à la punition rétributive qui viserait à compenser le mal commis
par l'infraction. Selon lui, la peine intervenant après la commission de
l'infraction, elle ne pourra jamais réparer le mal causé. Il n'y a pas de
compensation parfaite entre la peine et le préjudice.
Sous la Révolution et le premier Empire, l’enfermement n’était qu’une
neutralisation temporaire : les prisons n’étaient pas conçues comme des
établissements spécifiques réservés aux condamnés purgeant leur peine184.
Au XIXe siècle, on use de mécanismes tels que la déportation, la relégation
et la transportation consistant à éloigner l'individu géographiquement de la
métropole : on se souvient ainsi de la Guyane avec l'île du Diable (Dreyfus
en fut le pensionnaire le plus célèbre), de l’Algérie française ou encore de la
Nouvelle-Calédonie comme principales destinations d’exil185. Les conditions
de voyage étaient telles que la mortalité était très élevée de telle sorte que le
mécanisme était en réalité définitif. L'Angleterre a, elle, utilisé l'Australie.
Ces mesures disparaissent pour la plupart au XXe siècle avec les
phénomènes de décolonisation. Il y a eu d'autres mécanismes de mise à
l'écart et notamment l'ordonnance de 1670 qui prévoyait un mécanisme de
bannissement mais surtout des peines de galère. On plaçait les individus
sur les navires militaires du Royaume. Les techniques de combat de l'époque
faisant appel à des navires à rames, on avait une main d'œuvre gratuite au
sein de la marine. Quand le recours aux navires à rames a cessé, on a aussi
181LEAUTE, préc., note 178, p.4. 182BECCARIA, préc., note 36. 183Id., p.51 184Id., p.14. 185FAUGERON, PETIT et PIERRE, préc., note 120, p.125.
56
cessé d'utiliser la peine des galères. On a donc commencé à transférer les
individus dans des villes d'arsenal avec des chantiers navals, notamment
dans les villes portuaires : ce seront les premiers bagnes. L'emprisonnement
est utilisé très récemment à titre de peine, on l'utilisait auparavant à titre
conservatoire pour empêcher l'individu de fuir avant son procès. Ainsi, le
condamné à mort devait être enfermé avant son exécution et on devait veiller
à ce qu’il ne se suicide pas dans sa cellule, échappant ainsi aux supplices
qui lui étaient réservés186. Au XVIIIème siècle, le droit pénal évolue
considérablement et, en même temps que l’adoucissement des peines, la
réflexion sur la prison devient centrale. Les châtiments corporels
disparaissent peu à peu. La peine de mort est abolie pour la plupart des
pays européens au XIXe siècle. La France est retardataire de ce point de vue
: elle ne fut abolie qu’en 1981. On a essayé de conserver la peine de mort en
éliminant la souffrance qui lui est associée, c'est ainsi qu'on a retenu la
guillotine comme moyen d’exécution. Au Canada, la peine de mort sera
supprimée en 1976. La prison à perpétuité devient alors la peine encourue
la plus sévère de l’arsenal répressif. C’est avec ces mutations du système
pénal que le rôle de la prison va se transformer pour devenir une peine de
référence dans nos sociétés contemporaines. Les fonctions qui lui sont
attribuées ont évolué en même temps que l’institution.
Les fonctions attribuées à la peine d’emprisonnement. Le maintien de
l’ordre public par la neutralisation du criminel est la première justification
à la peine d’emprisonnement, le but étant « la cessation du trouble et sa
sanction immédiate »187. La peine n’a qu’une vocation pratique visant à
écarter le délinquant du reste de la société pendant un temps. Ensuite, la
prison, dans une perspective utilitariste, doit avoir un effet dissuasif au
même titre que la peine de mort en ce qu’elle remplace cette dernière au
186Id., p.13. 187Faugeron CLAUDE et Jean-Michel LE BOULAIRE, « Prisons, peines de prison et ordre public », vol. 33, n°3, Revue française de sociologie, pp. 3-32, (1992).
57
sommet de l’échelle des sanctions que ce soit en France ou au Canada188.
Prison : entre neutralisation, dissuasion et harmonisation. La prison
devient, aux XIX et XXème siècles, le cœur de la pénalité189. Pour Rossi, elle
incarne la « peine par excellence des sociétés civilisées »190. Elle permet non
seulement de neutraliser le délinquant mais elle joue également un rôle
d’intimidation du condamné et des autres membres du corps social. Ainsi,
« la prison est avant tout un dispositif de sûreté et la peine est la légitimation
sociale nécessaire, dans les sociétés démocratiques, à l’existence d’un tel
dispositif ».191 Les peines minimales d’emprisonnement, par leur certitude
et leur sévérité (le juge n’étant pas censé pouvoir y déroger quels que soient
les faits d’espèce ou la personnalité du délinquant) auraient un potentiel
dissuasif important et garantirait la protection de la société par la
neutralisation assurée du délinquant.
Certes, la peine de prison neutralise mais cette neutralisation n’est que
temporaire si on exclut les peines de prison perpétuelles. Celles-ci, rares au
Canada, n’existent qu’en théorie en France puisqu’un aménagement de
peine est toujours possible, en vertu des dispositions du Code de procédure
pénale192 prévoyant un réexamen du juge d’application des peines lorsque
le condamné présente « des gages sérieux de réadaptation sociale ». On
notera au passage que ces dispositions sont une émanation du principe
d’individualisation trouvant donc à s’appliquer même dans le cas de crimes
les plus graves punis par la peine la plus sévère. Quoi qu’il arrive, donc, et
dans la grande majorité des cas, l’effet neutralisant de l’emprisonnement est
circonscrit dans le temps193. L’isolement à l’écart de la société ne bénéficie
188DESROSIERS et PARENT, préc., note 1, par. 341. 189Edouart TILLET, « Histoire des doctrines pénales : Doctrines pénales depuis les codes Napoléon », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, (juin 2002). 190Id., cité par Edouart TILLET. 191FAUGERON et LE BOULAIRE, préc., note 186, p.7. 192Code de procédure pénale - Article 720-4. 193Laurence L. MOTIUK, « Contribuer à la réinsertion sociale sans risque : mesure des résultats » dans L-MOTIUK et SERIN, Compendium 2000 des programmes correctionnels efficaces, vol.1, services correctionnels Canada, (2001).
58
à cette dernière que durant l’incarcération194. Sur le long terme,
l’emprisonnement a des effets loin d’être bénéfiques pour le corps social car
les chances de récidive sont fortes195. La commission canadienne sur la
détermination de la peine exprimait bien la difficulté qu’il y avait à
considérer l’emprisonnement comme la meilleure des peines :
Le fait que l’emprisonnement soit perçu comme la sanction préférée pour la plupart des infractions pose cependant un certain nombre de difficultés. La plus importante est sans doute qu'en dépit du fait que nous infligeons
régulièrement cette sanction particulièrement lourde et coûteuse, elle n'a produit que très peu d'effet, si ce n'est de mettre des contrevenants à l'écart de la société pendant un certain temps196.
Quant à la dissuasion, elle s’observe sous les deux aspects qu’on lui attribue
traditionnellement. D’abord concernant la dissuasion générale censée être
dirigée vers la société dans son ensemble, rien n’indique qu’une sévérité
accrue des peines renforce son pouvoir dissuasif. Ce postulat a en effet été
réfuté par de nombreux travaux doctrinaux. Les recommandations du
rapport du Comité Ouimet en 1969 et de la commission canadienne sur la
détermination de la peine en 1987 relayées par la Cour suprême dans l’arrêt
Nur, relativise largement l’effet dissuasif des peines minimales
d’emprisonnement :
L'un des arguments les plus fréquemment avancés pour justifier les peines minimales est leur valeur dissuasive. A première vue, cela parait
convaincant. Cependant, cet argument repose sur deux prémisses qui sont fausses. La première est qu'il suppose que l'existence de peines minimales est connue de ceux qui sont susceptibles de commettre une infraction, ce
que démentent les sondages d'opinion et la seconde, que ces personnes sont à peu près certaines de se faire prendre, ce qui ne semble pas non
plus être le cas.197 En effet plus que le coût réel que le crime pourrait avoir (la peine minimale),
c’est le risque de sa réalisation qu’évalue le délinquant avant le passage à
194Id., 195CUSSON, préc., note 46, p.141. 196COMMISSION CANADIENNE SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE, préc., note 29, p.11. 197Id., p.71.
59
l’acte. Par conséquent, la peine ne dissuade pas de passer à l’acte mais
convainc au contraire à tout mettre en œuvre pour éviter d’être confondu.
Cette rationalité du risque remet complètement en cause non seulement la
dissuasion individuelle mais aussi la dissuasion collective :
La peine qui est pensée comme une probabilité plutôt que comme un coût
stimule non pas tant le renoncement que l’élaboration de stratégies mises en œuvre pour éviter la peine. Il n’y a alors ni dissuasion générale ni
dissuasion spécifique.198
A défaut de dissuader, les minimas obligatoires ne peuvent plus faire figure
d’instrument de lutte contre la récidive. L'emprisonnement étant un facteur
essentiel de maintien dans la délinquance car il se traduit par une exclusion
de l'individu des deux aspects de sa vie qui sont les plus socialisant : le
travail et la famille. Les individus seront exclus des groupes socialement
valorisés et ils se tournent alors vers leurs semblables. La prison est depuis
longtemps considérée comme inapte à endiguer la récidive. Elle crée des
criminels plus qu’elle n’en amende et les peines obligatoires contribue à
aggraver ce cercle vicieux en plus d’exercer une pression à la hausse sur les
taux d’incarcération. Une telle sévérité dans la détermination de la peine est
contre-productive :
Lorsque le juge condamne le délinquant à l’emprisonnement en vue de
protéger la collectivité, que veut-il dire exactement ? Veut-il dire que l’emprisonnement du prévenu traduit le risque de récidive, ou qu'il neutralise le prévenu, ou encore qu'il a un effet de dissuasion sur les
délinquants éventuels ? De ces trois possibilités, seule la deuxième mérite d'être retenue. La première des trois interprétations précitées est
définitivement non fondée ; on dit même que l’emprisonnement contribue davantage 8 accroitre la récidive qu'à la réduire » 199 formulait la Commission de réforme du droit en 1974. Et le rapport Archambault rendu
en 1986 d’ajouter que « si on estime que l’incarcération est au mieux un
198Richard DUBE et Sébastien LABONTE, « La dénonciation, la rétribution et la dissuasion : repenser trois obstacles à l’évolution du droit criminel moderne », vol.57, n°4, Les Cahiers de droit, pp.695-713, https://doi.org/10.7202/1038262ar 199COMMISSION DE REFORME DU DROIT DU CANADA, Les principes directeurs de la détermination de la peine et du prononcé de la sentence, document de travail, Ottawa, (1974), p.5.
60
échec partiel, la logique impose d’en recommander l’usage le plus pondéré
possible.200
La Cour suprême affirmait dans le même sens dans sa décision R. c. Wust
que :
Même s’il est possible de soutenir que des peines sévères et inappropriées peuvent avoir un effet dissuasif considérable et que, en conséquence, de
telles peines servent toujours un objectif valable, il me semble que l’infliction de peines injustement sévères risque davantage d’inspirer le
mépris et le ressentiment que d’inciter au respect de la loi. Selon un principe bien établi du système de justice criminelle (on comprend ici la référence au principe d’individualisation), le juge doit s’efforcer d’infliger
une peine appropriée eu égard à l’affaire dont il est saisi201.
Ceci étant dit, s’il est allégué que les PMO sont circonscrites aux infractions
les plus graves certaines infractions n’en sont pas assorties malgré un degré
objectivement élevé de gravité comme les voies de fait graves définies par
l’article 268(3)202 du Code criminel et incluant, notamment, l’excision.
Les PMO contribueraient fortement à harmoniser les peines, autre principe
de détermination de la peine codifié à l’article 718.2b) du Code criminel. En
vertu de ce principe, des peines semblables devraient être prononcées pour
deux individus ayant commis des crimes semblables et dont les situations
personnelles sont identiques. Ici, encore, cette justification ne semble pas
convaincre. D’abord, parce qu’on harmonise les peines, certes, mais au
détriment du principe de proportionnalité. Des cas peuvent donc se
rencontrer où, prenant l’exemple de la loi réglementant certaines drogues et
autres substances , un trafiquant de drogues endurci se verrait infligé la
peine de sept ans d’emprisonnement pour importation de substances
illicites, au même titre qu’un jeune étudiant confondu pour avoir été pris en
possession d’une infime quantité de cannabis destinée à sa consommation
personnelle203. On constate ici l’extrême disproportion de la peine compte
200COMMISSION SUR LA DETERMINATION DE LA PEINE, préc., note 29. 201R. c. Wust [2000] 1 RCS 455 par. 21. 202Code criminel - Article 268(3) : « Commet des voies de fait graves quiconque blesse, mutile ou défigure le plaignant ou met sa vie en danger. » La peine maximale encourue est de 14 ans. 203R. c. Smith [2015] 1 R.C.S. 1045.
61
tenu et des circonstances de l’acte incriminé et du degré de blameworthiness
de son auteur.
On perçoit ainsi les limites de l’harmonisation des peines comme fondement
des minimas obligatoires imposés par le législateur. Il n’est pas cohérent de
faire primer ce principe sur celui, cardinal, de la proportionnalité. Comme
nous avons pu l’affirmer précédemment, aucun crime n’est identique de
sorte que la similarité entre deux situations demeure une question de
degré204. L’harmonisation devrait toujours être subordonnée à la
proportionnalité de la peine, celle-ci devant être individualisée par le juge
pour pouvoir épouser toutes les facettes du crime tant dans sa gravité
objective que subjective. C’est précisément en raison de la plausibilité du
cas d’espèce présenté plus haut que la discrétion judiciaire ne doit pas être
bridée par les peines obligatoires. Il n’apparait pas judicieux de donner plus
de poids au principe d’harmonisation qu’à celui de proportionnalité, ceux-ci
devant être opportunément articulés de manière à rechercher une peine
appropriée et donc individualisée205. En tout état de cause, et même si les
sentences sont en définitive très disparates, dès lors que le juge ayant décidé
d’imposer une peine en particulier est en mesure de justifier son choix, le
principe d’harmonisation est satisfait sans qu’il soit nécessaire d’adopter
des PMO. Loin de remplir les objectifs qui lui sont assignés par le législateur,
la peine obligatoire d’emprisonnement génère des déséquilibres injustifiés
dans la détermination de la peine, tous liés à l’impossibilité d’individualiser
la peine.
204R.c. Ipeelee [2012] 1 R.C.S 433, par. 79. 205Morasse c. R., 2015 QCCA 74, par. 141.
62
Section 2 : Les déséquilibres créés dans le système de justice
pénale
Si les effets bénéfiques des peines minimales d’emprisonnement sur la
criminalité restent à démontrer, leurs effets pervers sont, eux, avérés et
multiples. Empêchant le juge d’individualiser la peine, elles produisent des
déséquilibres en cascade dans la détermination de la peine et même en
amont : plaçant le choix de la peine entre les mains du ministère public. Ce
dernier n’étant en aucun cas soumis à l’impératif d’individualisation de la
sanction pénale. En outre, si les PMO procèdent d’un choix du législateur,
ce dernier montre peu de cohérence lorsqu’il s’agit de modérer le recours à
l’emprisonnement d’une part, mais de multiplier le recours aux peines
plancher d’autre part. On peut, ici, reprendre la même critique qui a été faite
au législateur français dans le message contradictoire qu’il envoyait aux
juges en insérant un système de PMO. Affirmer d’une part que le recours à
l’incarcération ne doit intervenir que si aucune autre mesure n’est
appropriée, et d’autre part multiplier les peines d’emprisonnement
obligatoires semble en effet relever du paradoxe.
La détermination de la peine entre les mains des avocats de la
Couronne. Le rapport de force entre la poursuite et la défense est
inéquitable lorsque, face à un même fait, le ministère public a, dans le cadre
de l’opportunité des poursuites, le choix de retenir une qualification assortie
d’une peine minimale d’emprisonnement plutôt qu’une autre qui en est
dépourvue. Le présumé coupable préfèrera ainsi plaider coupable pour une
infraction assortie d’une peine moindre plutôt que de risquer des poursuites
impliquant une lourde peine minimale, ce même s’il est en définitive
innocent. C’est ce qu’a eu l’occasion de relever la Cour suprême dans l’arrêt
Nur en 2015 :
63
Le poursuivant dispose dès lors d’un atout dans la négociation d’un plaidoyer, ce qui entraîne un déséquilibre inéquitable entre le pouvoir du
poursuivant et celui de l’accusé et incite presque irrésistiblement ce dernier à reconnaître sa culpabilité à une infraction pour laquelle il encourt une peine moins lourde afin d’échapper à une longue peine minimale
obligatoire.206
Par ailleurs, dans R. c. Smickle207, la Cour supérieure de l’Ontario relevait
à bon droit qu’au stade du choix de la poursuite, tous les faits ne sont pas
caractérisés, le procès censé déboucher sur la manifestation de la vérité ne
s’étant pas encore déroulé. Le ministère public a un choix déterminant à
faire, lourd de conséquences pour l’avenir judiciaires du mis en cause sans
que ce choix ne soit en pratique éclairé.
En outre, si l’on considère une infraction mixte poursuivie soit par
procédure sommaire soit par acte d’accusation prévoyant dans les deux cas
deux peines obligatoires distinctes, selon le choix de poursuite, le ministère
public a inexorablement une main sur la sévérité de la sanction qui sera
infligée. Sauf, qu’à la différence du juge, les autorités de poursuite sont
indifférentes à l’individualisation de la peine ou, du moins, n’y sont-elles pas
soumises.
Un exemple simple du Code criminel permet d’illustrer le propos. Les
attouchements sexuels sur un adolescent peuvent recevoir alternativement
la qualification d’acte criminel ou d’infraction punissable sur déclaration de
culpabilité par procédure sommaire208. Dans le premier cas, la peine
minimale applicable est d’un an d’emprisonnement, dans le second cas la
peine est réduite à 90 jours. Selon le mode de poursuites, le procureur de la
Couronne a donc la possibilité de réduire de moitié la peine minimale
encourue et ce, avant d’avoir tous les éléments pertinents participant à la
206R. c. Nur, [2015] 1 RSC 773, par.96. 207R. c. Smickle, 2012 ONSC 602. 208Code criminel - Article 153(1.1)(a).
64
manifestation de la vérité et au prononcé d’une peine proportionnée et
individualisée.
Dans le même sens, la possession d’armes à feu suite à la commission d’une
infraction peut faire l’objet d’une peine minimale d’un an et d’une peine
maximale de 10 ans si le contrevenant est poursuivi par acte d’accusation
mais le minima devient maxima lorsqu’il est poursuivi par procédure
sommaire209. C’est précisément dans ce type de situation que le système des
PMO révèle toute son incohérence et c’est dans le choix purement
discrétionnaire du Procureur de la couronne que peuvent naître les plus
criantes inégalités. Certainement pas dans la faculté du juge d’individualiser
la peine. Ce dernier, à l’inverse du ministère public, a l’obligation de motiver
scrupuleusement sa décision au regard des principes et objectifs de
détermination de la peine. Le fait que deux juges indépendants et impartiaux
puissent, face à deux cas similaires, conclure à deux peines distinctes, ne
devrait pas être vu comme un inconvénient dans un système individualisé
de détermination de la peine :
The theory individualized sentences is simple : judges look at the ‘whole offense’ and the ‘the whole offender’. They consider half a dozen or more possible purposes of sentencing and come to the unique or personnal blend
‘appropriate’ to the case in question. They take scores of factors into account in trying to accomplish this blend of purposes to finally arrive at the ‘right’ sentence. The fact that two judges looking at the same case may
come up with different sentences is not, in a system individualized sentencing a problem […] The two sentences were ‘right’ each have been
individualized in a sensible and thoughtful manner.210
209Code criminel, possession d’une arme obtenue lors de la perpétration d’une infraction : 96 (1) Commet une infraction quiconque a en sa possession une arme à feu, une arme prohibée, une arme à autorisation restreinte, un dispositif prohibé ou des munitions prohibées qu’il sait avoir été obtenus par suite soit de la perpétration d’une infraction au Canada, soit d’une action ou omission qui, au Canada, aurait constitué une infraction. (2) Quiconque commet l’infraction prévue au paragraphe (1) est coupable : a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, la peine minimale étant de un an; b) soit d’une infraction punissable, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d’un emprisonnement maximal de un an. 210Julian V. ROBERTS et David P. COLE, Making sense of sentencing, Toronto, (1999), p.351.
65
En revanche le fait que le pouvoir discrétionnaire soit retiré des mains du
juge pour être placé entre les mains des autorités de poursuite est très
critiquable dans un système se voulant équitable et démocratique.
Cependant, cette analyse mettant l’individualisation au cœur du processus
de détermination de la peine se heurte à l’argument, non sans pertinence,
de l’égalité des justiciables devant la loi pénale. Les partisans des peines
minimales obligatoires ont en effet mis en avant les peines minimales
comme un outil au service de la lutte contre la disparité des peines. Ainsi,
indépendamment du degré de responsabilité d’un délinquant en particulier,
la peine minimale s’applique à tous ceux coupables des mêmes faits,
injectant dans le même temps davantage de certitude et de prévisibilité dans
le système de justice pénale. C’est ce que formuleront Lincoln Caylor et
Gannon G. Beaulne dans leur plaidoyer pour les peines minimales :
However, scrutinized in light of the rule of law, it is clear that, at least in the
abstract, mandatory minimum sentences should be capable of functioning as effective tools to ensure the even, equal, and proportionate application of sentences to offenders guilty of the same offence. Rather than eliminating a
judge's ability to assess a proportionate sentence, mandatory minimums set a stable sentencing range for an offence, permitting citizens to understand in advance the severity of the consequences that attend the commission of
that offence, regardless of the individual offender's particular degree of
responsibility211.
Ainsi deux individus qui commettraient un vol dans des circonstances très
similaires seraient punis de la même manière peu importe le juge auquel ils
seraient confrontés. L’égalité serait certes assurée du point de vue de l’acte
matériel et, à première vue, les deux voleurs seraient jugés de la même
manière indépendamment de leurs origines sociales, ethniques... Mais qu’en
est-il alors du degré de responsabilité morale du contrevenant ? C’est
précisément cet aspect de l’infraction que cette logique sacrifie : « regardless
of the individual offender’s particular degree of responsibility »212. En réalité,
211Lincoln CAYLOR et Gannon G. BEAULNE, Parliamentary Restrictions on Judicial Discretion in Sentencing: A Defence of Mandatory Minimum Sentences, Mac Donald Laurier Institute, (2014), p.16. 212 Id.,
66
là où les minimas obligatoires suppriment des inégalités, ils en créent de
plus profondes ailleurs. Comme l’affirmera la Commission sur la
détermination de la peine : « The strongest argument against mandatory
minimum penalties is, of course, that they do not reflect the reality of the
wide range of circumstances in which offences are committed and in which
offenders find themselves »213. Elle conclue ainsi à bon droit que les peines
minimales créent autant de difficultés qu’elles tentent d’en résoudre214. Les
déséquilibres créés par un système de mandatory sentencing sont plus
nombreux que ceux qu’il tend à corriger, à commencer par ceux liés au
principe de modération et ceux liés aux effets discriminatoires à l’égard des
populations autochtones.
L’effectivité du principe de modération annihilée par le nombre
croissant de peines minimales. Le taux d’incarcération au Canada, s’il est
relativement stable depuis ces trente dernières années, reste néanmoins
supérieur à celui de la France et bon nombre d’autres pays européens215. La
surpopulation carcérale est un fléau en France216 comme au Canada217. La
réduction du recours à l’emprisonnement est au centre des débats et des
propositions de réforme dans l’un et l’autre des deux pays mais la réception
du principe par le législateur et les juges semble mitigée. En France, toutes
les dispositions du Code pénal concourent à ce que l’emprisonnement soit
utilisé avec la plus grande parcimonie. L’article 132-19 dispose qu’une peine
ferme ne peut être prononcée « qu'en dernier recours si la gravité de
l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine
indispensable et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ».
213COMMISSION SUR LA DETERMINATION DE LA PEINE, préc., note 29, p. 65. 214Id., p. 66. 215Voir annexe D. 216PRADEL, préc., note 45, p.147-148. 217R. c. Gladue [1999] 1 RCS 688 par. 52.
67
Le législateur canadien, prenant acte des recommandations formulées dans
le rapport Ouimet218 et soutenues par la Commission sur la détermination
de la peine219 et la commission de réforme du droit220, a inséré l’article
718.2d) imposant une nouvelle obligation au juge « d’examiner la possibilité
de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient »
avant d’envisager la privation de liberté. Cela étant dit, alors que la
Commission Archambault plaidait pour une abolition des peines minimales
obligatoires (excepté pour le meurtre et la haute trahison) au profit d’une
mise en œuvre effective du principe de modération, le législateur n’a, lui,
cessé d’en adopter de nouvelles depuis le début du siècle opérant ainsi une
« contre-réforme »221. Les peines minimales opèrent une pression à la hausse
sur le taux d’incarcération et sur la fourchette des peines applicable222 de
sorte qu’elles désamorcent les dispositions en faveur d’une meilleure prise
en compte de la situation du délinquant par le prononcé d’une mesure de
rechange.
Les peines minimales sont à l’origine d’une distorsion dans la détermination
de la peine223. Si à l’origine les juges considéraient, pour une infraction
donnée, que la fourchette de peine devait se situer entre six et trois ans
d’incarcération, une PMO de deux ans, par exemple, rehausse
considérablement le plancher alors appliqué. Ce n’est plus le degré de
gravité objective du crime qui justifie la peine minimale mais bien la seconde
218COMITÉ CANADIEN DE LA RÉFORME PÉNALE ET CORRECTIONNELLE, préc., note 176. 219COMMISSION CANADIENNE SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE, préc., note 29. 220COMMISSION DE RÉFORME DU DROIT, préc., note 198. 221Hélène DUMONT, « Contrer la contre-réforme en matière punitive : Comment s’y prendre et comment repenser la réforme de la pénologie canadienne » dans Patrick HEALY et Patrick A. MOLINARI (dir.), Détermination et exécution des peines : La pénologie mise en pratique », Montréal, Institut canadien d’administration de la justice, (2012) citée par Julie Desrosiers dans « Replacer le principe de la modération au coeur de la justice pénale, ou cent fois sur le métier remettez votre ouvrage », dans Julie Desrosiers, Margarida Garcia et Marie-Ève Sylvestre, Réformer le droit criminel au Canada, défis et possibilités, Cowansville, Yvon Blais, 2017, 313-339. 222R. c. Morrisey [2000] 2 SCR 90 p76, 77 223Julian V. ROBERT, "Mandatory Minimum Sentences of Imprisonment: Exploring the Consequences for the Sentencing Process", vol.39, n°2-3, Article 4, Osgoode Hall Law Journal, (2001).
68
qui accroit la première. Les premières victimes de ces effets indésirables sont
les délinquants autochtones.
Les effets discriminatoires des PMO envers les Premières Nations. Les
peines minimales obligatoires font échec aux dispositions de l’article
718.2(e) du Code criminel. Faisant le constat du taux d’incarcération élevé
chez les populations autochtones et de leur surreprésentation dans les
prisons du pays, le législateur a voulu envoyer un message aux juges : celui
d’une précaution accrue s’agissant de l’enfermement des délinquants
autochtones. Cette nouvelle disposition permet au juge de prendre en
considérations des facteurs historiques et systémiques dans la
détermination de la peine n’occultant pas le passé tragique de ces
populations et la discrimination à laquelle elles font face :
Why, in a society where justice is supposed to be blind, are the inmates of
our prisons selected so overwhelmingly from a single ethnic group? Two answers suggest themselves: either Aboriginal people commit a
disproportionate number of crimes, or they are the victims of a discriminatory justice system. We believe that both answers are correct, but not in the simplistic sense that some people might interpret them. We
do not believe, for instance, that there is anything about Aboriginal people or their culture that predisposes them to criminal behaviour. Instead, we believe that the causes of Aboriginal criminal behaviour are rooted in a long
history of discrimination and social inequality that has impoverished
Aboriginal people and consigned them to the margins of society.224
Par l’adoption de peines minimales sans aucune possibilité de dérogation
laissée au juge, le législateur fait échec à ces dispositions de sorte à créer
une incohérence certaine. A l’instar de la critique qui a été faite au
législateur français, il commande au juge un examen renforcé de toutes les
sanctions substitutives à l’emprisonnement en ce qui concerne les
délinquants autochtones, en lui enlevant dans le même temps cette faculté
par l’instauration de peines obligatoires. Le juge est ainsi dans l’incapacité
224Manitoba, Public Inquiry into the Administration of Justice and Aboriginal People, Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba: « The Justice System and Aboriginal People », vol.1 (Winnipeg: Queen's Printer, 1991) at 85 [Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba] quoted in Apples, Oranges, and Steel : The Effect of Mandatory Minimum Sentences for Drug Offences on the Equality Rights of Aboriginal Peoples, vol.46 UBC Law Review Society 121 – 155 (2013)
69
d’individualiser la peine et d’appliquer les dispositions censées être
réparatrices de l’article 718.2(e) compte tenu du contexte alarmant dans
lequel vivent bon nombre d’autochtones au Canada :
Les facteurs historiques qui jouent un rôle de premier plan dans la
criminalité des délinquants autochtones sont aujourd’hui bien connus. Des années de bouleversements et de développement économique se sont
traduites, pour nombre d’autochtones, par de faibles revenus, un fort taux de chômage, un manque de débouchés et d’options, une instruction insuffisante ou inadéquate, l’abus de drogue et d’alcool, l’isolement et la
fragmentation des communautés. Ces facteurs et d’autres encore
contribuent à l’incidence élevée du crime et de l’incarcération.225
225R.c. Gladue, [1999] 1 RCS 688, par.67.
70
Chapitre 2 Les peines obligatoires d’emprisonnement et
la Constitution : une protection insatisfaisante du
principe d’individualisation
Selon les principes utilisés et la valeur juridique qui leur est donnée, l’appréhension
constitutionnelle des peines minimales obligatoires d’emprisonnement n’est pas la
même (section 1). En découle une protection du principe d’individualisation en
demi-teinte (Section 1).
71
Section 1 Entre individualisation et proportionnalité : l’enjeu des
terminologies
La proportionnalité et l’individualisation, si elles sont inextricablement liées,
ne se confondent pas. La conception des principes et leurs statuts juridiques
ont une importance fondamentale dans la manière d’aborder la
constitutionnalité des peines minimales obligatoires.
En France, tout le contentieux constitutionnel autour des peines plancher
se cristallise autour du principe d’individualisation. Ce dernier revêtant
désormais une valeur supra-législative, les justiciables ont le loisir de s’en
prévaloir devant les juges constitutionnels.
Au Canada, en revanche, c’est le principe de proportionnalité qui est
mobilisé lorsqu’une peine minimale est contestée. Non pas que le principe
d’individualisation n’ait pas son importance, mais il n’est pas, en tout cas à
l’heure actuelle, un principe de justice fondamentale pouvant être exploité
dans un débat sur la constitutionnalité des peines obligatoires.
Le critère de la disproportion exagérée : un contrôle de
constitutionnalité restreint. En France et au Canada, le critère de la
disproportion exagérée traduit la réticence du juge à empiéter sur le pouvoir
législatif du parlement par un contrôle de proportionnalité trop large. Le
principe de nécessité des peines, proclamé par l’article 8 de la DDHC est le
seul principe de détermination de la peine textuellement présent dans la
Constitution. Pourtant, c’est le principe que le Conseil mobilise le moins. II
considère en effet et selon sa formule traditionnelle :
Qu’il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; qu'il ne lui appartient donc pas de rechercher si l'objectif que s'est assigné le législateur pouvait être atteint
par d'autres voies dès lors que les modalités retenues par la loi déférée ne sont pas manifestement inappropriées à la finalité poursuivie226.
226Décision n° 2001-444 DC du 9 mai 200 Considérant n°3.
72
Dans deux décisions rendues sur question prioritaire de constitutionnalité
le 15 décembre 2017, le Conseil invalide les dispositions de la loi créant la
nouvelle infraction de consultation habituelle de sites terroristes. On aurait
pu imaginer dans ce contexte qu’il mobilise pleinement le principe de
nécessité. Cependant, au lieu de se fonder expressément sur ce dernier, il
préfère écarter les dispositions en se basant, in fine, sur l’exercice de la
liberté de communication. Les requérants soulevaient pourtant clairement
la violation du principe de nécessité des peines. Mais le Conseil comme la
Cour suprême évite, et cela peut se comprendre, de se mettre en porte à
faux avec le législateur, porte-parole de la volonté du Peuple.
Il est vrai que c’est au législateur de fixer les peines en matière criminelle et
correctionnelle227 de sorte qu'en l'absence de disproportion manifeste entre
l'infraction et la peine encourue, il n’appartient pas au Conseil de substituer
sa propre appréciation à celle du législateur. Ce n’est donc que dans
l’hypothèse d’une disproportion exagérée que le juge sort de sa réserve228.
La Cour suprême du Canada semble adopter une optique similaire. Le
principe de proportionnalité a été considéré, dans l’arrêt Ipeelee, comme un
principe de justice fondamentale au sens de l’article 7 de la Charte
canadienne des droits et des libertés :
Le principe fondamental de la détermination de la peine — la
proportionnalité — est intimement lié à son objectif essentiel — le maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’imposition de sanctions justes. Quel que soit le poids qu’un juge souhaite accorder aux différents objectifs
et aux autres principes énoncés dans le Code, la peine qu’il inflige doit respecter le principe fondamental de proportionnalité. La proportionnalité
représente la condition sine qua non d’une sanction juste.229
227Constitution française du 4 octobre 1958, article 4 : « La loi fixe les règles concernant : la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l'amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats. » 228PRADEL, préc., note 124. 229R. c. Ipeelee, [2012] 1 R.C.S. par. 37
73
Dans l’arrêt Safarzadeh-Markhali rendue en 2016, la Cour suprême déclare
que la Cour d’appel de l’Ontario a eu tort d’opérer un contrôle de
proportionnalité étendue sur l’exclusion du crédit majoré par le législateur
en matière de détention présentencielle sur le fondement de l’article 7 de la
Charte :
La Cour d’appel statue que la proportionnalité dans le processus de
détermination de la peine constitue un principe de justice fondamentale au sens de l’article 7 de la Charte et que l’exclusion du crédit majoré pour détention présentencielle que prévoit le par. 719(3.1) est contraire à ce
principe. Elle est dans l’erreur. La proportionnalité dans le processus de détermination de la peine n’équivaut pas à un principe de justice
fondamentale pour l’application de l’article 7230. La Cour distingue entre la proportionnalité dans le processus de
détermination de la peine et la proportionnalité de la peine elle-même. Elle
considère que le principe de proportionnalité de l’article 718.1 du Code
criminel n’a pas de valeur supra-législative du point de vue de l’article 7 de
la Charte. Le législateur peut ainsi modifier ou abroger à son gré ces
dispositions231. Le seul aspect constitutionnel de la proportionnalité réside
alors dans l’article 12 de la Charte garantissant une protection contre les
peines cruelles et inusitées232. C’est sur ce terrain que va être engagée la
bataille contre les peines minimales obligatoires initiée par l’arrêt Smith233.
Dans cette décision, la Cour suprême établit un test en deux étapes
permettant de déterminer si oui ou non une peine minimale est
exagérément disproportionnée. Le juge doit d’abord examiner la proportion
de la peine à l’égard de l’accusé, s’il s’avère que cette dernière est
exagérément disproportionnée, la peine minimale doit être déclarée
inconstitutionnelle. Sinon, le juge doit passer à la seconde étape du test qui
230R. c. Safarzadeh-Markhali, [2016] 1 RCS 180 par. 67 231Id., par. 71 232Id., 233R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045
74
est de déterminer si la peine serait exagérément disproportionnée dans
d’autres situations que celles du délinquant mais raisonnablement
envisageables. Ainsi, si la peine minimale de sept ans n’était pas en l’espèce
exagérément disproportionnée à l’égard du comparant, elle aurait pu l’être
à l’égard d’une personne coupable d’avoir importé une seule fois un joint de
marijuana pour sa consommation personnelle234.
Ainsi, la Cour suprême ouvrait-elle par cette décision « de larges
perspectives de contestations constitutionnelles » permettant d’évaluer et
d’éventuellement parer les peines minimales obligatoires « à l’aune de
circonstances hypothétiques raisonnables »235. Ce brin d’espoir a vite fait de
se dissiper. La jurisprudence postérieure se caractérise par un déclin de la
seconde étape du test de l’arrêt Smith.
Dans l’arrêt Luxton, la Cour l’occulte pour se concentrer uniquement sur
la proportionnalité de la peine à l’égard du délinquant concerné. Elle le
déboute de ses prétentions, considérant que la peine minimale de perpétuité
pour meurtre au premier degré assortie d’une période d’inéligibilité à la
libération conditionnelle de 25 ans n’est pas une peine cruelle et inusitée
au sens de l’article 12 de la Charte. Elle considère la sentence proportionnée
à « la turpitude morale » du délinquant et à la méchanceté inhérente à
l’infraction commise236.
Cependant, cette position est critiquable pour au moins deux raisons :
En premier lieu, à l’égard du délinquant, la peine n’était pas manifestement
disproportionnée, celui-ci ayant tué un chauffeur de taxi sans raison
apparente en lui assénant plusieurs coups de couteau et en le laissant se
vider de son sang aux abords d’une ferme. Mais qu’en serait-il, d’une jeune
234Id., par. 79. 235PARENT ET DESROSIERS, préc., note 1, par. 371. 236R. c. Luxton [1990] 2 R.C.S 711, par.4.
75
fille, violentée et agressée depuis son plus jeune âge, contrainte de se
prostituer par son proxénète et qui, dans un moment de panique tuerait un
client trop entreprenant ? Cette hypothèse est loin d’être exubérante, le cas
très actuel de la jeune américaine Cyntoia Brown dont est inspirée la
situation décrite en témoigne. Si on part de l’hypothèse que Cyntoia était
majeure au moment des faits, sa peine aurait été la perpétuité sans
possibilité de libération conditionnelle avant dix ans. Cette peine ayant par
ailleurs été validée par la Cour suprême pour le meurtre au premier degré
dans l’arrêt R. c. Latimer237.
La neutralisation des peines minimales obligatoires sur le fondement du
principe de proportionnalité reste donc très limitée d’autant plus que le juge
n’a pas le loisir d’accorder des exemptions constitutionnelles238. En effet, la
validité d’une peine minimale est absolue : soit elle est constitutionnelle,
soit elle ne l’est pas239. Dans le premier cas, elle est d’application obligatoire.
Dans le second, elle est déclarée inapplicable. La déférence des juges à
l’égard du législateur se manifeste une nouvelle fois. Rien n’empêchait, en
effet, à la Cour suprême de valider les exemptions constitutionnelles, la
question étant jusque-là ouverte à l’interprétation :
Premièrement, même si la question de la possibilité de recourir à des
exemptions constitutionnelles pour écarter l’application de dispositions prescrivant une peine minimale obligatoire n’a pas encore été résolue de façon définitive, la jurisprudence prépondérante ne tend pas, pour l’heure,
à l’octroi de telles exemptions et incite à la prudence. Deuxièmement, puisque le législateur, en adoptant une disposition législative qui prescrit
une peine minimale obligatoire, veut précisément retirer aux juges le pouvoir discrétionnaire d’infliger une peine inférieure à la peine minimale prescrite, permettre aux tribunaux d’accorder de telles exemptions
constitutionnelles contrecarre directement l’intention du législateur et représente un empiètement injustifié sur le domaine législatif.240
237R. c. Latimer [2001] 1 R.C.S. 3. 238R. c. Ferguson [2008] 1 R.C.S. 96. 239Kent ROACH, « The Future of Mandatory Sentences after the Death of Constitutional Exemptions », vol.54, n°1, The criminal Law Quaterly, (2008). 240R. c. Ferguson [2008], préc., note 233.
76
Si le principe de proportionnalité semble ainsi restreint à la fois dans son
champ d’application et dans son contrôle. Le principe d’individualisation
permet, quant à lui, un contrôle élargi des dispositions adoptées par le
législateur. Aussi, le Conseil constitutionnel français fonde-t-il ses
décisions sur ce principe plus volontiers que sur ceux de nécessité et de
proportionnalité.
Un contrôle élargi par la consécration du principe d’individualisation.
Par la constitutionnalisation du principe, le Conseil contrôle les garanties
d’individualisation offerte par la loi. Ce contrôle ne se restreint donc pas à
l’évaluation de la disproportion exagérée mais s’étend à la faculté réelle du
juge de prononcer une peine adaptée à la situation du délinquant.
Cependant, le principe n’est pas sans limite et les décisions récentes du
Conseil ne vont pas dans le sens d’un renforcement du principe.
De ces différentes conceptions de l’individualisation et de la proportionnalité
du point de vue des juridictions française et canadienne découle une
protection constitutionnelle inégale des principes.
77
Section 2 Une protection en demi-teinte du principe
d’individualisation en droit français et canadien
Le principe d’individualisation, bien qu’il ne soit pas reconnu comme un
principe constitutionnel par la Cour suprême, semble recevoir une
application bien plus rigoureuse et effective au Canada de par la motivation
méticuleuse des juges sur la peine prononcée. Motivation qui n’était jusqu’à
très récemment jamais exigée pour les peines criminelles en France et
souvent très sommaire pour les peines correctionnelles. Les évolutions
récentes concernant la motivation des peines criminelles et correctionnelles
contribueront peut-être à un contrôle plus effectif du principe
d’individualisation. Somme toute, la consécration du principe n’a pas eu les
conséquences escomptées. Si on examine la jurisprudence du Conseil
constitutionnel, on décèle un manque de cohérence dans les décisions
relatives à l’individualisation et les peines minimales d’emprisonnement ont
jusqu’ici toutes été validées, même lorsque la loi ne permettait pas au juge
de déroger au plancher fixé par le législateur.
Si l’individualisation de la peine bénéficie désormais du « label principe à
valeur constitutionnelle » en France, les conséquences de son nouveau
statut sont loin d’être satisfaisantes. Quelques perles d’incohérence peuvent
en effet être relevées dans la jurisprudence du « Conseil des Sages »… Outre
les limites qu’il fixe lui-même au principe et qui sont celles issues de sa
jurisprudence antérieure, plusieurs exemples éloquents peuvent être cités
traduisant un contrôle incohérent de l’exigence d’individualisation. Ces
exemples, sans être tous liés aux peines plancher, permettent néanmoins
d’avoir une vision globale du traitement « deux poids, deux mesures » du
principe par le Conseil s’agissant de l’individualisation des peines. La
version constitutionnelle du principe ne paraît pas plus contraignante
qu’auparavant.
78
La peine automatique de l’article L7 du Code électoral. C'est une
décision rendue sur question prioritaire de constitutionnalité le 11 juin
2010241, quatrième à laquelle le Conseil a été confrontée accusant l’article
L7 du Code électoral de violer le principe d'individualisation de la peine. Il
prévoyait que :
Ne doivent pas être inscrites sur la liste électorale pendant un délai de 5
ans à compter de laquelle la condamnation est devenue définitive les personnes condamnées pour concussion, corruption, trafic d'influence, prise illégale d'intérêt, détournement de bien et recel de ces infractions.
Les juges n'avaient pas à prononcer la mesure, elle s'appliquait de plein droit
à la diligence de l'officier en charge de dresser les listes. Le Conseil constate
que la peine est attachée de plein droit à certaines condamnations sans être
expressément prononcée par le juge qui ne peut davantage en faire varier la
durée. Les deux critères de l'individualisation que sont le pouvoir de
modulation du juge et le prononcé exprès de la peine ne sont pas respectés.
L'article est déclaré inconstitutionnel et on peut le comprendre si on se base
seulement sur la lettre de l'art L7. Mais l'art 132-21 du Code pénal a
vocation à préciser les conditions du prononcé d'une peine :
Toute personne frappée d'une déchéance ou incapacité quelconque, qui résulte de plein droit en application de dispositions particulières d'une condamnation pénale, peut par le jugement de condamnation ou par
jugement ultérieur être relevée en tout ou partie y compris en ce qui concerne la durée de cette incapacité.
Si on apprécie l'article L7 au regard des facultés de modulation données au
juge, il a en réalité la possibilité de la faire varier avec une capacité de
modulation complète. Le Conseil a jugé que les dispositions de l'art 132-21
étaient insuffisantes pour garantir le principe d'individualisation. Dans
d'autres décisions relatives à des peines de même nature, il considère
pourtant que cet article est tout à fait suffisant.
241Décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2011.
79
L’annulation du permis de conduire de l’article L234-13 du Code la
route. Décision également rendue sur question prioritaire de
constitutionnalité le 29 septembre 2010242 portant sur l'art L234-13 du code
de la route qui prévoyait que lorsqu'une personne est condamnée en récidive
pour certaines infractions au code de la route, cela donne lieu de plein droit
à une annulation du permis avec interdiction de solliciter un nouveau
permis pour une durée de trois ans. Le juge n'a pas l'initiative puisque la
peine est exécutée de plein droit et sans faculté de modulation, il est obligé
de la prononcer. Le Conseil considère que ces peines peuvent se voir
appliquer l'article 132-21 qui donne une possibilité de modulation au juge.
Il valide donc le dispositif et conclut au respect du principe
d’individualisation.
La majoration de 40% des pénalités en matière fiscale. C’est une décision
rendue sur question prioritaire de constitutionnalité le 10 février 2012243, il
existait un article 1759 du Code général des Impôts qui visait des individus
qui ne respectaient pas, en tant que contribuables, une obligation de
déclaration des opérations de transfert de fonds opérées vers l'étranger ou
qui ne déclaraient pas à l'administration fiscale les comptes dont ils
disposent à l'étranger et leur éventuelle clôture. L’article prévoyait une
régularisation du montant des impôts qui aurait dû être acquitté en plus
d’une majoration de 40% des sommes éludées. Cette majoration violait le
principe d’individualisation sous plusieurs aspects, étant fixe et
automatique (sans possibilité de modulation). Le Conseil a trouvé deux
éléments pour valider le dispositif. D’abord, l’article 1729 prévoit une
majoration de 80% du montant des droits dus par l'individu s'il est établi
que cet individu s'est livré à des manœuvres frauduleuses ou un abus de
droit : le Conseil y voit une faculté de modulation car les sommes peuvent
242Décision n° 2018-731 QPC du 14 septembre 2018. 243Décision n° 2010-40 QPC du 29 septembre 2010.
80
être majorées de 80% au lieu de 40% sous condition. Il explique ensuite que
l'administration fiscale ou le juge en matière fiscale peut à tout moment
décider après contrôle soit de maintenir la sanction prononcée, soit d'en
dispenser l'individu. On imagine alors que le juge a une initiative mais ce
n’est en réalité pas le cas. Il ne peut dispenser l’individu que s'il arrive à
démontrer que les sommes détenues à l'étranger ne constituent pas des
revenus imposables ; autrement dit s’il n’y a pas d’infraction constituée. Ce
n’est pas une faculté du juge que de dispenser un individu innocent d’une
peine. Si l'infraction est constituée, le juge n'a aucune possibilité de
modulation. Pour sauver la mesure, le Conseil cherche une forme d'initiative
de l'administration alors qu'en réalité si la personne est déclarée coupable,
la majoration s'applique et le juge ne peut la moduler qu’à la hausse sous
certaines conditions. Les dispositions de l’article semblent nettement porter
atteinte au principe d’individualisation mais le Conseil les valide coûte que
coûte.
La validation des peines minimales en droit douanier. Alors que les
peines minimales ont été abrogées du Code pénal par la loi de 2014,
subsistaient en droit douanier244 une incrimination pour laquelle une peine
d’emprisonnement de deux à dix ans était prévue. Aucune disposition
n’étant prévue par la législation en cause permettant au juge de se
soustraire au minima fixé en fonction de la situation personnelle de
l’inculpé, on aurait pu croire à l’invalidation des dispositions contestées. Il
n’en fut rien. Le Conseil constitutionnel estime que la faculté d’individualiser
la peine réside dans l’écart important entre le minimum de deux ans et le
maximum de dix ans d’emprisonnement. Ainsi analysée, toute disposition
assortie d’une peine minimale pourrait être jugée conforme au principe
d’individualisation. Dans les décisions antérieures, le Conseil a maintes fois
rappelé que ce dernier ne devait pas empêcher le législateur d’adopter des
244Code des douanes – article 415.
81
dispositions propres à assurer la répression effective des infractions. Il
s’attachait ensuite à identifier les garanties d’individualisation incluses dans
la loi en cause. C’est également sa façon de procéder dans le cas du Code
des douanes. Il considère ainsi que la possibilité d’assortir la peine
d’emprisonnement d’un sursis garantit le respect du principe
d’individualisation. Mais il ajoute aux modes de personnalisation la
possibilité de prononcer une peine alternative à l’emprisonnement et le fait
de ne pas inscrire la condamnation au casier judiciaire. Cette dernière
affirmation paraît très contestable dans le sens où il est difficile de
comprendre en quoi un défaut d’inscription au casier représenterait un
mode d’individualisation d’une peine déjà prononcée245. Ces dispositions,
abrogées depuis, laissent néanmoins planer le doute quant à l’avenir des
peines minimales : « La gravité de l'infraction et l'amplitude suffisante entre
peine maximale et peine minimale relèvent d'une appréciation casuistique
et le législateur ne sera jamais certain d'échapper à la censure du Conseil.
Une histoire bien mouvementée que celle des peines minimales », résume la
professeure Anne Ponseille246.
Histoire qui ne s’achève pas là puisque la réforme de mars 2019 modifie
l’article 132-19 du code pénal, afin d'interdire à la juridiction, en matière
délictuelle, de prononcer une peine d'emprisonnement ferme d'une durée
inférieure ou égale à un mois. Cette nouvelle disposition, si elle ne crée pas
à proprement parler une peine minimale, en emprunte tous les effets. En
effet, le juge qui voudrait prononcer un emprisonnement ferme sera
contraint de prononcer une peine supérieure à un mois de sorte que ces
nouvelles dispositions constituent presque des peines minimales déguisées.
Elles seront par ailleurs contestées par un certain nombre de députés mais,
une nouvelle fois, le Conseil constitutionnel, dans la continuité de sa
245Anne PONSEILLE, « Peine minimale en matière douanière devant le Conseil constitutionnel, Conseil constitutionnel, 14 septembre 2018, n° 2018-731-QPC », Revue de droit constitutionnel appliqué, n°4, Dalloz, 2019, pp.541. 246Id.,
82
jurisprudence antérieure va les valider en relevant toutes les possibilités
restant au juge dans le prononcé de la peine. Il relève notamment que
compte tenu de la faiblesse du quantum minimum, la juridiction n’est pas
privée de fixer la peine selon les circonstances de l’espèce et, qu’en outre,
elle peut prononcer une autre peine ou assortir la peine de moins d’un mois
d’un sursis247. Évidemment, c’est justement cela le nœud du problème : si
le juge considère qu’une peine de quatorze jours fermes serait adaptée à la
situation du condamné, il ne pourrait pas la prononcer. Il serait contraint
de prononcer une peine supérieure à un mois s’il ne souhaite pas l’assortir
d’une mesure d’aménagement ou d’un sursis. En définitive, la discrétion
judiciaire s’en trouve une nouvelle fois amputée.
Pendant ce temps, la jurisprudence de la Cour suprême évolue, elle, vers un
renouveau des circonstances hypothétiques raisonnables.
Le renouveau des circonstances hypothétiques raisonnables dans les
arrêts Nur et Lloyd. Dans l’arrêt Nur248, la Cour suprême a invalidé la peine
minimale obligatoire de trois ans d’emprisonnement pour possession illégale
d’arme à feu. Elle remet la seconde étape du test établi dans l’arrêt Smith
au goût du jour et ré-ouvre par la même occasion la brèche à d’éventuelles
contestations futures. L’arrêt Lloyd,249 rendu moins d’un an plus tard,
confirme cette supposition. La Cour suprême invalidera la peine minimale
d’un an pour trafic de drogues prévues par la LRCDS. En réalité, cette
seconde étape de l’arrêt Smith peut être analysée comme une application à
priori du principe d’individualisation. La Cour imagine des hypothèses dans
lesquelles la peine serait inadaptée à la situation particulière du
contrevenant. Elle opère donc une appréciation in concreto de la
constitutionnalité des peines minimales obligatoires susceptibles d’être plus
en phase avec le principe d’individualisation de la peine même si ce dernier
247Décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019 Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, Considérant 332, 333, 334. 248R. c. Nur, [2015] 1 R.C.S. 773. 249R.c. Lloyd, [2016] 1 RCS 130.
83
n’est pas expressément garanti par la Charte. En outre, elle lance un appel
au législateur afin qu’il intervienne par des « clauses d’exemptions
législatives » rendant les peines minimales conformes à la Charte :
The majority in Lloyd addressed the underlying infirmities in mandatory
minimum sentencing ,and it directed Parliament to develop “legislative exemption clauses” to render MMS constitutionally compliant.250
En effet, la Cour suprême formulait dans l’arrêt Lloyd la proposition
suivante :
Le législateur pourrait par ailleurs recourir à un mécanisme qui permettrait au tribunal d’écarter la peine minimale obligatoire dans les cas
exceptionnels où elle constituerait une peine cruelle et inusitée. L’octroi d’un pouvoir discrétionnaire résiduel susceptible d’être exercé dans les cas exceptionnels est un moyen répandu à l’étranger pour prévenir l’injustice et
l’inconstitutionnalité (Ministère de la Justice du Canada, Division de la recherche et de la statistique, Peines d’emprisonnement obligatoires dans
les pays de common law : Quelques modèles représentatifs (2005) (en ligne), p. 1, 4-5 et 35). Il permet au législateur de prévoir de lourdes peines pour les crimes jugés odieux tout en évitant l’infliction de peines qui sont
disproportionnées au point d’être inconstitutionnelles dans certains cas exceptionnels251.
Dans le cas contraire, il reviendra au juge d’abandonner toute déférence à
l’égard du législateur et d’adopter, face à son inertie, une attitude plus
audacieuse s’agissant de l’évaluation des conséquences injustes et
injustifiées du mandatory sentencing.252
250Sarah CHASTER, « Cruel, unusual and constitutionnaly infirm : mandatory minimum sentences in Canada », Appeal Law Review, vol.23, pp.89-119. 251 R.c. Lloyd, [2016] 1 RCS 130, par.36. 252Id., note 248.
84
Conclusion
En définitive, le réel problème de l’emprisonnement ne réside pas tant dans
les minimas légaux que dans le régime de la privation de liberté. Les
conditions d’incarcération et le peu de moyens dont disposent
l’administration pénitentiaire et le juge constituent le véritable obstacle à
une mise en œuvre effective du principe d’individualisation. On peut très
bien imaginer une peine minimale d’emprisonnement qui soit individualisée
avec un réel suivi à la fois pendant l’incarcération et au dehors, lorsque la
peine est purgée. Encore faudrait-il repositionner le débat sur ce qui fait
vraiment défaut au système de justice pénale à savoir l’absence de
continuité dans la lutte contre le crime, nuisant à une réponse pénale
cohérente. Cela passe par une réflexion sur une véritable hiérarchisation
des objectifs visés par la sanction pénale. Dissuasion et dénonciation
seraient reléguées au second plan pour privilégier, avant tout, la
réhabilitation du coupable par la sanction. Quant à la rétribution, celle-ci
n’est pas un but à atteindre par la peine : elle lui est inhérente. Le prononcé
de la peine, dénouement du procès pénal durant lequel le coupable doit
répondre de ses actes face aux juges et à l’ensemble du corps social, est un
malum in se. C’est le système de justice pénale dans son ensemble qui
assure la rétribution du coupable. Mais le mal doit être accompagné d’un
bien et celui-ci réside dans la réhabilitation de l’individu. Hors, au chapitre
de la réinsertion, la privation de liberté a fait preuve de son inefficacité. Elle
n’a plus aucune légitimité à être considérée comme la clé de voûte du
système judiciaire.
Cesser de céder aux pressions populistes et recentrer la réflexion sur
l’efficacité de la sanction pénale devient urgent pour redonner au droit pénal
toute sa substance. Comme le formulait si justement l’illustre professeur
Jacques Léauté en 1968 : « le temps des improvisations et des courtes vues
85
est révolu ». 50 ans plus tard, pourtant, cette affirmation aux allures
d’ultimatum n’a en rien perdu de sa vivacité…
Il convient tout de même de nuancer le propos. Comme le fait remarquer
Jean Pradel, il ne faut pas voir les choses que dans un sens253. Certes,
l’emprisonnement est susceptible de favoriser la récidive mais le contraire
est aussi vrai : c’est la récidive qui conduit à l’emprisonnement. Il est de
bonne guerre qu’après avoir reçu un avertissement solennel de la justice,
celui qui réitère son acte se voit infliger une sanction plus sévère. En outre,
la surpopulation carcérale et l’instauration de peines plancher ne sont pas,
en France tout du moins, d’une corrélation sans faille. En effet, en 2018,
alors que le système des peines plancher n’est plus en vigueur depuis 4 ans
déjà, le nombre de personnes incarcérées bat des records avec un taux de
surpopulation carcérale frôlant les 120%. Peut-être pouvons-nous affirmer
qu’en réalité, dans un contexte où l’institution de la prison est en crise
constante (en réalité la crise des prisons naît en même temps que
l’institution), l’adoption de peines plancher n’est tout simplement qu’un
ajout superflu à l’arsenal répressif. Quoi qu’il en soit, le droit français tel
qu’il était en vigueur avant l’abrogation des peines minimales avait au moins
le mérite de laisser une place, certes restreinte, mais effective, au principe
d’individualisation. Effective car les dérogations prévues par le législateur
ont été massivement mobilisées en pratique.
Dans la formulation de la décision du Conseil constitutionnel de 2018, rien
n’empêche le législateur futur de réintégrer le système des peines plancher
dans l’arsenal répressif. Cependant le cercle est vicieux : soit le système de
peine plancher est réintégré avec des garanties suffisantes
d’individualisation (incarnées dans des possibilités de dérogation laissées
au juge) et dans ce cas on sape dans le même temps l’efficacité du système.
On continuerait alors à décorer l’arsenal législatif de lois supposées être «
253PRADEL, préc., note 124.
86
tough on crime » mais qui en pratique n’enlèvent quasiment rien à la
discrétion du juge. Soit, on réinsère des peines minimales avec un périmètre
circonscrit mais sans possibilité d’individualisation autre que la possibilité
de faire varier le quantum de la peine entre les minima et le maxima prévus
par la loi. C’est cette nouvelle perspective, plus stricte, qu’ouvre la
jurisprudence récente du Conseil constitutionnel français.
Comparativement au système canadien de détermination de la peine, on
comprend que le système des peines plancher tel qu’il était prévu par le
législateur français était en réalité relativement équilibré.
Fondamentalement, le système instauré par la loi de 2007 ne méconnaissait
pas le principe d’individualisation de la peine. On a pu le voir ensuite dans
la pratique des magistrats qui, par leur plume aiguisée, se contentaient de
trouver des formules bien tournées pour neutraliser les dispositions de la
nouvelle loi qui se révèlera n’être, in fine, qu’un ajout superflu à un dispositif
pénal déjà saturé par une politique criminelle caractérisée par une
surproduction normative.
Il faudrait éventuellement envisager un renforcement du principe
d’individualisation au Canada pour pouvoir fonder les déclarations
d’inconstitutionnalité sur ce fondement plutôt que sur le principe de
proportionnalité qui ne recouvre pas le même champ même si l’un et l’autre
sont en réalité les deux faces d’une seule et même pièce. Si proportionnalité
et individualisation sont sœurs, elles ne sont pas jumelles. La seconde
implique d’aller plus loin que la première dans la recherche d’une peine juste
et efficace sans oublier le but ultime du droit criminel : la préservation d’une
société paisible et sûre. La rigidité du système des peines obligatoires est
créatrice de beaucoup trop d’injustices et de non-sens pour être conservée.
Les recommandations de la Commission canadienne sur la détermination
de la peine, visant à abolir les peines obligatoires, sont plus que jamais
pertinentes.
87
Le but du droit pénal est l’expression et la protection des valeurs sociales de
nos sociétés, le but de la peine est d’empêcher la récidive du coupable. On
distingue le but de la sanction du moyen nécessaire permettant de
l’atteindre qui est, lui la réinsertion de l’individu dans la société.
L’’instrument au service du moyen est ce qu’on appelle l’individualisation de
la peine. Afin de lutter contre la récidive, il faut réintégrer le délinquant, le
resocialiser grâce à la personnalisation de la sanction. Considérons
l’infraction comme un cancer. Le chirurgien doit faire en sorte d’éradiquer
toutes les cellules cancéreuses (moyen) afin que le cancer ne se manifeste
pas de nouveau (but). Ce traitement, pour être efficace doit correspondre
aux caractéristiques physiologiques du patient (personnalisation). On
distingue le but (éradiquer la récidive), le moyen (resocialisation) et
l’instrument d’intervention (l’individualisation).
L’intimidation, la réforme ou l’expiation ne sont point, à proprement parler, le but du châtiment, mais bien les moyens de l’atteindre. C’est vers cette
fin que tendent à la fois, et par des efforts instantanés, l’intimidation qu’elle
inspire, l’expiation qu’elle proclame, la réforme qu’elle s’efforce d’opérer254.
Le vrai problème du système pénal aujourd’hui réside dans le fait que tous
les mystères de son essence n’ont pas été résolus. La peine, ses finalités,
son but, sa définition, tous se confondent dans un entrelacs de courants
philosophiques, de visions tantôt libérales, tantôt autoritaires, de volontés
politiques capricieuses…
254Faustin HELIE et Adolphe CHAUVEAU, Théorie du Code pénal, Tome I, vol.1, Bruxelles, Meline Cans et Compagnie,1e éd., édition augmentée par J.S.C. NYPELS, p.35.
88
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R. c. Coffin [2006] R.J.Q. 976
R. c. Ferguson [2008] 1 RCS 96
R. c. Gagnon, 2016 QCCQ 2698
R. c. Gladue [1999] 1 RCS 688
R. c. Ipeelee, [2012] 1 R.C.S 433, par. 36
89
R. c. Latimer [2001] 1 R.C.S. 3.
R. c. Martin, 2012 QCCA 2223
R. c. Morrisey [2000] 2 SCR 90
R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206 par.43
R. c. Nur [2015] 1 RCS 773
R. c. P.B., 2017 QCCQ 5836
R. c. Paquette, [2007] R.J.Q. 2074, par. 78.
R. c. Perez Guzman, 2016 QCCQ 41. par. 6.
R. c. Pham, [2013] 1 RCS 739. par 11. R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S 61
R. c. Riendeau, 2007 QCCQ 921
R. c. Safarzadeh-Markhali, [2016] 1 RCS 180
R. c. Smickle, 2012 ONSC 602
R. c. Smith [1987] 1 RCS 1045 13
R. c. Viens, 2007 QCCQ 3159
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94
Annexe A Peines et mesures principales prononcées dans les
condamnations en 2017 selon le nombre d’infractions sanctionnées
unité : condamnation Condamnation Condamnation
pour infraction
unique
Condamnation pour infractions
multiples
Total 557 762 375 114 182 648
Réclusion 1 025 439 586
Emprisonnement 286 377 153 125 133 252
Emprisonnement ferme ou avec
sursis partiel
132 634 62 913 69 721
Emprisonnement ferme 104 439 53 102 51 337
Emprisonnement sursis partiel 28 195 9 811 18 384
avec mise à l’épreuve 24 498 8 531 15 967
simple 3 697 1 280 2 417
Emprisonnement avec sursis
total
153 743 90 212 63 531
avec mise à l’épreuve 45 830 24 863 20 967
avec TIG * 8 732 4 502 4 230
simple 99 181 60 847 38 334
Contrainte pénale 1 636 843 793
Amende 180 088 154 034 26 054
Mesures de substitution 61 100 46 762 14 338
Dont suspension permis de conduire
7 247 6 844 403
TIG 14 738 9 538 5 200
Jours-amende 23 607 16 672 6 935
interdiction permis de conduire 632 509 123
Mesures éducative 21 690 15 391 6 299
Sanction éducative 1 980 1 377 603
Dispense de peine 3 866 3 143 723
* TIG : Travail d'intérêt général
Source : Ministère de la Justice/ SG / SEM / SDSE / Fichier statistique du Casier judiciaire national
95
Annexe B Chiffres des condamnations pour l’année 2010
Source : Peines planchers : application et impact de la loi du 10 août 2007, Infostat Justice, bulletin d’information statistique, n°118, octobre 2012, Ministère de la Justice.
96
Annexe C Taux d’incarcération au Canada et autres pays de l’OCDE
Source : Statistiques sur les services correctionnels pour adultes au Canada, 2013-2014, statistiques Canada.
<https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2015001/article/14163-fra.htm>
Source : Le droit pénal dans la société canadienne (1982) in Anthony N. Doob, «Principes de détermination de la
peine, politiques publiques et modération en matière de recours à l'incarcération: la rupture du Canada avec son
histoire», (2012) 9 Champ pénal/Penal field, en ligne: <https://champpenal.revues.org/8327>.
97
Annexe D Surpopulation carcérale en France et au Québec
Source : Ministère de la Sécurité publique du Québec. Analyse prospective de la population carcérale des
établissements de détention du Québec de 2010-2011 à 2020-2021.
Source : Observatoire International des Prisons, Constructions de prison : places et population carcérale toujours à la hausse.
20 août 2018 <https://oip.org/infographie/constructions-de-prison-places-et-population-carcerale-a-la-hausse-depuis-15-
ans/>