Top Banner
SociologieS Dossiers, Pragmatisme et sciences sociales : explorations, enquêtes, expérimentations ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Alexandra Bidet, Manuel Boutet, Frédérique Chave, Carole Gayet-Viaud et Erwan Le Méner Publicité, sollicitation, intervention Pistes pour une étude pragmatiste de l’expérience citoyenne ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique Alexandra Bidet, Manuel Boutet, Frédérique Chave, Carole Gayet-Viaud et Erwan Le Méner, « Publicité, sollicitation, intervention », SociologieS [En ligne], Dossiers, Pragmatisme et sciences sociales : explorations, enquêtes, expérimentations, mis en ligne le 23 février 2015, consulté le 24 février 2015. URL : http:// sociologies.revues.org/4941 Éditeur : Association internationales des sociologues de langue française (AISLF) http://sociologies.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://sociologies.revues.org/4941 Document généré automatiquement le 24 février 2015.
21

Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Mar 10, 2023

Download

Documents

Welcome message from author
This document is posted to help you gain knowledge. Please leave a comment to let me know what you think about it! Share it to your friends and learn new things together.
Transcript
Page 1: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

SociologieSDossiers, Pragmatisme et sciences sociales : explorations, enquêtes, expérimentations

................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Alexandra Bidet, Manuel Boutet, Frédérique Chave, Carole Gayet-Viaudet Erwan Le Méner

Publicité, sollicitation, interventionPistes pour une étude pragmatiste de l’expériencecitoyenne................................................................................................................................................................................................................................................................................................

AvertissementLe contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive del'éditeur.Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sousréserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue,l'auteur et la référence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législationen vigueur en France.

Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'éditionélectronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Référence électroniqueAlexandra Bidet, Manuel Boutet, Frédérique Chave, Carole Gayet-Viaud et Erwan Le Méner, « Publicité,sollicitation, intervention », SociologieS [En ligne], Dossiers, Pragmatisme et sciences sociales : explorations,enquêtes, expérimentations, mis en ligne le 23 février 2015, consulté le 24 février 2015. URL : http://sociologies.revues.org/4941

Éditeur : Association internationales des sociologues de langue française (AISLF)http://sociologies.revues.orghttp://www.revues.org

Document accessible en ligne sur :http://sociologies.revues.org/4941Document généré automatiquement le 24 février 2015.

Page 2: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 2

SociologieS

Alexandra Bidet, Manuel Boutet, Frédérique Chave, Carole Gayet-Viaudet Erwan Le Méner

Publicité, sollicitation, interventionPistes pour une étude pragmatiste de l’expérience citoyenne

1 Qu’est-ce qu’être citoyen  ? La sociologie répond ordinairement à cette question parl’inventaire de rites et de pratiques de la citoyenneté : vote, débat, manifestation, engagementmilitant, etc. Elle y sonde l’inégal investissement des personnes ou des groupes sociaux etinterroge ainsi leur engagement citoyen – car, même dans les moments d’apparente ferveur,le « frisson dans le dos » est une chose rare (Mariot, 2006). L’inquiétude relative à l’exercicede la citoyenneté a ainsi essentiellement porté sur l’intérêt et la volonté des personnes àprendre part à la vie publique et sur leurs inégales capacités à faire effectivement valoirleur opinion et porter leur voix dans des arènes publiques hautement professionnalisées.L’attention à la citoyenneté va ainsi de pair avec un questionnement sur les « compétencescitoyennes  », qui adosse l’engagement à des connaissances en matière politique, celle deraisonnements et de codes notamment. Depuis plusieurs décennies, le modèle initialementétroit de la compétence citoyenne s’est vu abondamment critiqué, sous l’effet de deuxmouvements principaux. D’une part, une critique épistémologique a visé le caractère limitédes définitions cognitivistes de l’«  information  » requise et utilisée par le «  citoyen bieninformé  ». D’autre part, s’est imposé sur le plan empirique le constat d’une désaffectiondes lieux traditionnels de l’expression d’opinions politiques, des instances et des rites dela représentation politique et l’observation d’un scepticisme croissant quant à ce que peutla participation classique de simples citoyens quand il s’agit d’infléchir les orientationsdécisives, en matière économique notamment (Collovald & Sawicki, 1991). De nombreuxauteurs ont ainsi montré la nécessité et l’intérêt d’élargir le spectre d’analyse, au-delà desespaces du vote et du débat politique, pour ne pas manquer un éventuel déplacement desformes de mobilisation et de politisation (Blondiaux, 2007  ; Gaxie, 2007). On observeainsi, à travers des formes désormais diversifiées et complexes de mobilisations collectives(Cefaï, 2007), la permanence d’un intérêt pour les affaires du monde et d’actions visant àen infléchir le cours (Fillieule, 2005 ; Sawicki & Siméant, 2009 ; Nicourd, 2009 ; Hamidi,2010), parfois marquées par la réticence à se mouler dans les formes canoniques de l’actionpolitisée (De Blic & Lafaye, 2011, 2013). En prenant souvent appui sur Erving Goffman,on a ainsi documenté certaines dimensions concrètes et matérielles de l’expression depréférences (Joignant, 2002, 2007 ; Talpin, 2010), comme le rôle des configurations spatialeset interactionnelles de la participation politique (Berger, 2010). Mais la « maîtrise des codes »d’un monde particulier tend à rester l’horizon d’analyse. Même si la citoyenneté n’est plusseulement envisagée à travers les pratiques souvent très ritualisées qui nous font citoyens,il s’agit encore d’interroger leur vivacité en accédant à une parole sur la vie politiqueinstitutionnelle. L’effort fait aujourd’hui pour pister le politique par la bande, au « dehors »ou dans les interstices du politique institué, dans les « coulisses » ou les « arrières-scènes »de la participation (Breviglieri & Gaudet, 2014) – repas de famille (Mariot, 2011), cours derécréation (Lignier & Pagis 2012), conseils d’enfants (Boone, 2014), associations de quartier(Hamidi, 2010 ; Thin, 2006) ou sociabilités des beaux quartiers (Geay, 2014) – garde ainsipour centre de gravité et étalon de mesure la participation aux affaires publiques, définiessous les auspices de la politique institutionnelle. Dans la grande majorité des travaux, lesespaces élargis de l’enquête ne se justifient que comme les coulisses ou les marges d’un lieudu politique finalement constant : celui de la décision et du « champ politique ».

2 Les évolutions récentes dans la façon d’appréhender les pratiques politiques vont dans lesens d’une compréhension à la fois plus étendue, plus dynamique et plus attentive auxconditions pratiques du fonctionnement de la vie démocratique (Carrel  &  Neveu, 2014  ;L’Estoile, 2013). Mais si l’on prend au sérieux l’idée selon laquelle la démocratie estd’abord un mode de vie, suivant les vues de John Dewey (2011b) ou plus récemment de

Page 3: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 3

SociologieS

Claude Lefort (2011), force est de constater que la présence insistante et diffuse d’un senspolitique au sein du monde social demeure peu étudiée. Si la citoyenneté ne se donne passeulement à voir dans les grands moments, les lieux canoniques, les pratiques irruptives ouinsurrectionnelles (Murard & Tassin, 2006 ; Mathieu, 2011), ni les seules grammaires de la« chose publique » (Boltanski & Thévenot, 1994), alors l’étude des formes bien identifiées departicipation citoyenne (votes, assemblées délibératives, mobilisations collectives, etc.) resteà compléter par celle d’une citoyenneté au ras de la vie quotidienne.

3 C’est à un tel décalage qu’invite l’entrée par l’expérience citoyenne. Les formalités et lesgrands moments de la citoyenneté, la socialisation politique et ses scènes ordinaires, familiales,amicales et professionnelles, ne suffisent pas en effet à nous renseigner sur la citoyennetécomme expérience. Être citoyen, est-ce seulement payer ses impôts, voter, répondre à dessondages et s’informer dans les médias, débattre dans des assemblées consultatives ouparticipatives, rejoindre des associations ou des mobilisations, publiciser des problèmes – doncfinalement, contribuer de diverses manières à la décision politique ? Une étude pragmatiste del’expérience citoyenne permet d’aborder empiriquement cette question. En prenant au sérieuxla notion d’expérience, on ne part plus de la décision politique, ni de l’engagement militant,mais on s’intéresse aux façons dont, dès le stade de la perception la plus élémentaire, desarrière-plans et des perspectives politiques contribuent à définir les situations et se dessinent àtravers les conduites. Sous cet abord, ce n’est plus au sociologue de définir les enjeux politiquesdes situations, mais aux personnes de décrire comment ce qui compte, dans les situations,« concerne et vise le monde en tant qu’il est commun » (Gayet-Viaud, 2011). C’est alors lamanière dont il définit les situations en vertu de leur portée publique qui constitue le sujetcomme citoyen.

La citoyenneté comme expérience et mode de vie : lecitoyen en citadin

4 Enquêter sur le politique en restant centré sur la capacité d’action des groupes et despersonnes, c’est encore souvent garder l’agir militant comme modèle ou horizon. Se focalisersur l’expérience politique permet selon nous un cadrage plus ample, plus descriptif etmoins partisan. Cela permet de faire place à la manière dont viennent les épreuves et lesidées  ; cela permet aussi de prendre en compte les circulations entre différents espaces,ainsi que la profondeur temporelle propre à la constitution des «  faits  », c’est-à-dire desproblèmes auxquels les personnes sont confrontées et des réponses qu’elles élaborent. Lepas est semblable à celui réalisé par certains philosophes soucieux d’élargir le domaine dela «  morale  », irréductible à l’inventaire de règles et de lieux, dès lors qu’on la définitcomme l’ensemble mouvant des activités engageant cette question  : «  comment l’hommedoit-il vivre ? » (Nussbaum, 2010 1990). De même, on peut comprendre le domaine dupolitique comme celui des activités engageant cette question : « comment les hommes doivent-ils vivre ensemble ? ». Elle décline le questionnement général d’inspiration aristotéliciennesur la vie bonne et sur les possibilités d’orientation de la conduite humaine dans ce bas monde(sublunaire), règne des contingences et de la navigation à vue.

5 Cette définition présente l’avantage de ne pas discriminer a priori des lieux, des objets ou desgroupes qui seraient plus à même que d’autres de déterminer la qualité, l’orientation, l’arrière-plan, ou encore l’horizon politique d’une situation, d’un phénomène ou d’une activité. Ellen’assigne pas la politique à un domaine séparé, spécifique, qui seul connaîtrait des actes àportée politique. Celle-ci apparaît plutôt comme cette activité pratique par où les humainss’interrogent sur la bonne façon de vivre ensemble. Comme la philosophie morale, la pensée(du) politique peut alors se redéployer en articulation étroite avec les épreuves de la vie etl’expérience du monde faite par tout un chacun.

6 Ce qui fait rougir, répugne ou provoque le rire relève tacitement mais pleinement du domainede la morale (Diamond, 2011) ; celle-ci ne se limite pas à un inventaire de droits et devoirs,mais ne peut être saisie qu’à l’intérieur de « formes de vie » (au sens de Ludwig Wittgenstein),à travers ce qui y est perçu comme juste, révoltant, bon, digne, etc. De même, les expériences

Page 4: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 4

SociologieS

du politique demandent à être appréhendées dans leur articulation à des formes de vie, en lienavec la trame sensible des situations et la perception de circonstances singulières.

7 Décrire l’expérience citoyenne invite à faire place à ce qui trouble ou gêne, dégoûte, désole,scandalise, irrite, inquiète, ou encore à ce qui fait rire, est admiré, applaudi, moqué, dédaigné,à ce qui concerne, à ce à quoi l’on tient ou à ce qui attire l’attention, meut, pousse à se mêler, às’avancer et à s’exposer, en public et en personne. Cette attention à l’expérience en sociologiedoit beaucoup au travail d’Erving Goffman et à sa lecture par Isaac Joseph (1998b).

8 La notion d’expérience vise à la fois des formes d’activité et de passivité (Dewey, 2010b). Ils’agit de décrire la manière dont chacun est affecté par son monde environnant, perçoit ce qui sepasse autour de lui, ou ce qui lui arrive et tente d’en faire sens (Goffman, 1991 [1974] ; Quéré,2002). Des scènes ou des situations nous choquent ou nous émeuvent, alors que d’autres noustourmentent sans que nous nous y arrêtions. Nous réagissons parfois à moitié ou d’une manièrecontradictoire, nous reportons parfois sine die nos velléités d’intervention, faute de savoirquoi faire. Ces dynamiques continues, même si elles restent souvent souterraines, irriguent enpermanence la vie publique ; elles contribuent à forger l’expérience que chacun a du mondeet des autres et à former nos opinions sur l’état du monde, ce qui peut y être fait ou pas, etc.Les approches pragmatistes des émotions l’ont montré (Dewey, 2011a ; Ogien & Paperman,1995 ; Katz, 1999) : les émotions, en engageant l’imagination et la façon dont les situationsse connectent entre elles, donnent à lire ce qui compte pour les personnes, ce qui les touche etles concerne en tant que membres d’une collectivité.

9 La question est alors celle de l’accessibilité de ces activités à l’enquête empirique, carelles ne sont pas assignées à un domaine donné de l’existence. Comment saisir la façondont on se rapporte pratiquement, de façon non nécessairement réflexive, au monde entant qu’il est commun ? L’attention peut être portée sur la façon dont il est fait référence,pratiquement et notamment verbalement, à ces orientations vers le commun et le public, versles autres compris comme un monde – un tout qui a un sens en tant que tel. Les espacespublics des villes semblent particulièrement propices à une telle investigation. Depuis lanaissance des premières métropoles, ils ont déjà été décrits, pour cette raison, comme des« laboratoires » privilégiés d’analyse du monde social (Park, 1984 [1925]). Cette participationà la vie publique passe par l’expérience d’une notion « basse » du public, qui s’éprouve etapparaît au niveau de la coexistence ordinaire entre des personnes « qui n’ont d’autre lienque celui de vivre ensemble en société » (Lofland, 1973, 1988 ; Joseph, 1984 ; Gayet-Viaud,à paraître) et, pour commencer, dans les «  relations en public  » (Goffman, 1973 [1971]).D’une part, le développement de la culture démocratique s’est historiquement adossé audéveloppement des villes et de la culture urbaine, faisant apparaître les mœurs urbaines nonseulement comme les lieux de manifestation mais aussi, plus profondément, d’émergenced’idées et de principes tenant une place centrale dans la vie publique, en particulier del’«  esprit public  »  1 associé à l’idée d’un espace public démocratique (Cottereau, 1992).D’autre part, si l’expérience citoyenne s’incarne historiquement dans l’expérience urbainec’est avant tout via l’hospitalité (Joseph, 1997) qui ouvre l’espace public à tous les citoyens,quel que soit leur statut social. Cette « ouverture a priori à l’accueil du concitoyen inconnu, àl’exact opposé du soupçon », suppose l’affirmation d’une présomption d’innocence, l’octroid’un «  crédit de respect  » et l’établissement d’une frontière entre sphère privée et sphèrepublique (Cottereau, 1992, p. 255). La densité, l’étrangeté mutuelle et le côtoiement de massefont en ce sens la puissance démocratique des grandes métropoles, leur « énorme pouvoird’hybridation et de fragmentation des appartenances » (Joseph, 1998a, p. 14). Les sociologuesurbains contemporains y trouvent même encore aujourd’hui la trace de l’héritage politique desLumières. Isaac Joseph souligne ainsi combien l’espace public urbain reste « tributaire d’unedéfinition du droit public hérité des Lumières », qui conjugue « les propriétés d’un espace decirculation régi par un “droit de visite” », qui interdit toute appropriation des territoires paropposition au chez-soi et les « propriétés d’un espace de communication », qui « demande quetoute action puisse satisfaire aux exigences d’une “parole” publique, c’est-à-dire se soumettreau protocole de l’aveu et aux procédures de la justification  » (Joseph, 1998a, p.  91). Laville figure ainsi l’espace réel de la cité, où le droit à l’accessibilité et à la circulation tirent

Page 5: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 5

SociologieS

leur importance de ce qu’ils symbolisent et incarnent des droits politiques fondamentaux desindividus.

10 Nos recherches, qui ont en commun d’avoir investi l’espace urbain sous l’angle desinteractions entre passants, s’inscrivent dans cette lignée. Au travers de sites et d’objetsd’enquête variés, elles nous ont conduits à observer de petits événements où des passants nepassent pas leur chemin, mais au contraire entreprennent soudain de remettre le monde enplace ou en ordre, de se disputer ou de réparer des liens défectueux. Ces formes d’engagement,mêmes minimales, ont la particularité de viser ou de supposer l’horizon d’un commun,autrement dit, les conditions d’une coexistence urbaine, dont l’étalon de mesure est leconcitoyen, l’inconnu, voire l’étranger. Loin de simplement découler du partage politique dela nationalité juridique ou administrative, la citoyenneté peut être alors vue comme la simpleformalisation d’une communauté politique de vie et d’expérience qui la précède.

11 Pour prendre en charge cette description, la tradition pragmatiste américaine, l’anthropologieurbaine de l’École de Chicago qui la prolonge et au-delà, l’œuvre d’Erving Goffman(Grafmeyer  &  Joseph, 2002  ; Cefaï  &  Joseph, 2002) offrent de précieux appuis. Suivantcette tradition, ni la citoyenneté ni la démocratie ne se laissent enfermer dans l’espace de lapolitique institutionnelle  : elles engagent un mode de vie et non seulement un système degouvernement (Dewey, 2011b ; Lefort, 1981), elles impliquent un ensemble de mœurs (Park,2008 ; Berger & Gayet-Viaud, 2011). La contribution à l’étude de l’expérience citoyenne quenous proposons ici s’inscrit dans cette perspective et se déroule selon trois axes :

12 1.  D’abord, ressaisir la notion de public, d’expérience publique (et finalement de «  viepublique ») depuis les activités et les exigences propres au régime d’interaction qu’est celuides épreuves de civilité propre au côtoiement ordinaire et aux « relations en public », à partirde l’exemple urbain, à la croisée d’exigences morales et politiques où se dessine la figure ducitadin-citoyen et de ce qui pour lui fait épreuve.

13 2. Ensuite, souligner la fécondité de concepts descriptifs et analytiques de bas niveau, quimontrent leur pertinence dès lors que l’on s’attache à saisir les épreuves du politique dansla vie urbaine quotidienne et la façon dont elles s’incarnent, prennent place et sens dans desexpériences vives  : à côté de notions telles que le trouble, l’attention ou le concernement(Boltanski, 1993  ; Ogien  &  Paperman, 1995) nous allons suggérer l’importance de cequi vaut «  sollicitation  », ainsi que de ce qui caractérise (suscite ou entrave) les formesd’« intervention » auxquelles les expériences ordinaires de la vie publique donnent lieu.

14 3.  Enfin, réfléchir, à partir de ces pistes indicatives, à la façon dont ces concepts«  intermédiaires  » permettent de saisir la réalité de notre culture politique, en deçà ou àcôté de l’indignation considérée comme l’émotion politique par excellence (Boltanski, 2008),aussi bien que de la dénonciation (Boltanski, 1984) considérée comme geste politique parexcellence.

Les sens du public15 Il s’agit de dépasser l’opposition entre deux dimensions du public, ordinairement conçues

comme deux ordres de réalité distincts et irréconciliables  : d’un côté le monde social, sesmœurs et ses convenances, de l’autre, la liberté et l’agir politiques. Au premier est associé lanotion « goffmanienne » de public, qui désigne, dans la lignée de la sociologie de Chicago, lepublic urbain des « rencontres en public » (Goffman, 2013 [1963], 1973 [1971]). Cette formede socialité, où l’inattention civile  2 prend le pas sur l’interconnaissance, a été initialementconfondue avec une apathie du citadin ou une anomie de la grande ville. Erving Goffmanétudie au contraire les régimes de normes associés au développement de la culture urbaine,en soulignant leur ancrage dans des environnements matériels et des agencements spatiaux etleur caractère réglé et contraignant. À sa suite, Isaac Joseph s’est intéressé aux « conséquencesanthropologiques de la densité urbaine », qui ne nous permet plus de connaître tous ceux quiparticipent aux circonstances de notre vie : « Les sociologues de Chicago nous ont invités àobserver d’autres formes de sociétés que les sociétés d’interconnaissance, à étudier l’universdes rencontres comme un ordre à part entière et à y reconnaître autant de régularités et de rituelsque dans toute société traditionnelle » (Joseph, 2007a, p. 88). Ainsi, Erving Goffman a fait

Page 6: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 6

SociologieS

porter l’attention sur les exigences singulières associées à l’exposition au regard d’autrui. Maisil a nourri par là une vision du public comme espace social mondain, règne des apparences(factices) et lieu d’un souci de conformisme et de préservation de l’ordre social établi. Lesrencontres en public tendraient essentiellement, en préservant les faces mutuelles, à maintenirle monde tel qu’il est, à respecter l’ordre des choses et des places.

16 On comprend ainsi qu’une notion plus politique du public, que l’on dira « arendtienne »  3

, ait pu être opposée à cette première acception (Arendt, 1981  ; Tassin, 1992). Associéeau geste d’arrachement d’un «  je » à l’égard du monde social, de sa répétitivité et de sonordre, la notion « arendtienne » du public, comme lieu d’apparition du sujet politique, sembles’opposer radicalement à la « tyrannie de la seconde personne » propre au régime goffmaniendes interactions (Gayet-Viaud, 2008 ; à paraître). Dans ce dernier, c’est la façon dont sontperçus nos faits et gestes qui en déterminent la justesse, loin du jugement libre et autonomeassocié à la capacité de commencement et d’affirmation d’un « je » caractéristique du gestepolitique. Ce jugement ne saurait être pensé dans son articulation aux mœurs et encore moinsaux convenances saisies dans leur ritualité.

17 Pourtant, l’histoire montre, là encore, que les conventions elles-mêmes passent continûmentau crible des principes de justice et d’égalité et président, pour une bonne part, àleurs transformations. Les revendications en termes d’égalité raciale (que reflète de façonexemplaire l’histoire fameuse de Rosa Parks 4), en termes de liberté sexuelle (conquête récentedu droit à se tenir la main puis s’embrasser en public pour un couple et plus récemment, às’embrasser en public ou à se tenir la main pour un couple homosexuel), en termes de pratiquereligieuse ou d’égalité des sexes, continuent d’être mises à l’épreuve dans les espaces publicsurbains, la rue, les transports, les parcs, les cafés. Dans les espaces publics s’éprouve ainsi l’étatpolitique d’une société. Ces exigences comme ces luttes sont, en retour, nourries d’expériencesquotidiennes de discrimination (Gardner, 1995 ; Jobard et al., 2012 ; Tavory, 2011).

18 Ces deux dimensions du « public » – d’un côté le monde social et de l’autre la liberté politique,d’un côté les mœurs et de l’autre la capacité d’agir – doivent donc être tenus ensemble, commedeux polarités en tension, mais qui cohabitent sur un seul et même plan. C’est ce que visele concept d’expérience citoyenne. La tradition pragmatiste – telle qu’elle se développe enphilosophie et en sociologie 5 – nous invite à décrire la façon dont cette articulation se dérouleen situation et s’inscrit dans l’histoire (au fil de laquelle la pudeur se transforme, les épreuvesde la confiance et de la défiance se déplacent, les formes et les conditions du respect, de ladéférence, de la charité, de la solidarité, du secours, de la peur et de la haine se renouvellent).

19 Faire avec le monde tel qu’il est et transformer le monde ne relèvent pas de deux ordres deréalité distincts. C’est sur un même plan et dans un même monde que les gens s’engagentdans des entreprises révolutionnaires et se montrent les uns aux autres des égards civils  ;qu’ils font valoir, parfois de manière plus belliqueuse, les exigences qui vont de pair avecleur droit de regard indissociable du fait que les situations se déroulent en public ; ou encorequ’ils décident, au contraire, que le caractère public d’une situation ne justifie pas – et mêmeentrave – leur légitimité à y intervenir 6. Ces deux « pôles », que sont la nécessité de faire avecle monde tel qu’il est et la volonté d’orienter sa conduite dans le sens d’un devoir-être, sont bienindissociables. Il s’agit toujours à la fois de faire avec et de critiquer, de déplacer, de subvertirles normes en vigueur. Ces polarités entrent continuellement en tension dans les situations de lavie ordinaire. Elles se mêlent et compliquent les arbitrages, en rendant incertaines les réponsesà la question de savoir « ce dont il est question ». Parce que c’est le propre de l’expériencehumaine et que la citoyenneté ne bénéficie d’aucun privilège ontologique qui lui permettraitd’échapper à cette polarité, il s’agit donc de trouver les descripteurs d’une articulation et d’unpassage possibles entre le monde tel qu’il est et le monde tel qu’il pourrait ou devrait être.

20 Prendre pour objet l’expérience citoyenne permet de déplacer la focale de l’action,spectaculaire et ponctuelle, « événementielle », vers l’activité, processuelle, itérative, pourdécrire sa façon d’irriguer une culture et une sensibilité : saisir l’expérience du public au niveaudes situations où se constitue et s’exprime le sens de ce qui relie ensemble des concitoyens,de ce qu’ils peuvent faire ensemble, de ce qui les concerne mutuellement, de ce dont ils sesentent responsables et comptables, de ce qui dans le monde tel qu’il va est de leur ressort, fût-

Page 7: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 7

SociologieS

ce partiellement. En prenant pour site d’observation les épreuves de la coexistence, il sembledonc possible d’aborder les conduites qui constituent l’expérience citoyenne du monde sansles réduire ni à l’indifférence civile, ni au geste militant. Mais cette voie médiane requiert aussides concepts moins génériques et immédiatement politisés que ceux utilisés traditionnellementpar les études du politique. Ici, nous en examinons deux de plus près, celui de sollicitation etcelui d’intervention.

Les ressorts de la sollicitation« En fait, j’ai vu heu… en sortant d’un restaurant j’ai vu une dame, enfin j’ai vu quelqu’un en fait,sur un banc, qui avait l’air heu… enfin qui était préparée pour la nuit, couverte de sacs plastiqueset tout çà, donc je me suis arrêtée, j’ai fait demi-tour et… et j’ai sorti un billet et je lui ai donné dessous et c’est là que j’ai vu que c’était une femme et heu… j’avoue que je suis un plus sensible ausort des femmes dans la rue qu’à celui des hommes, même si je suis sensible au sort des hommes,mais enfin bon… je pense que c’est encore plus difficile et je lui ai demandé si ça allait bien, ellen’a pas répondu vraiment, enfin elle était recouverte quasiment intégralement, vous voyez, enfinon voyait juste ses yeux et heu… et voilà… et je suis partie, parce que je ne savais pas trop quoifaire d’autre et donc j’ai téléphoné au 115 […] Lorsque je suis passée près d’elle la première fois,en fait elle était allongée sur le banc et elle avait les yeux grands ouverts, elle nous a… enfin ellenous a regardé en passant et c’est ça qui m’a fait un peu peur en fait, voyez, parce que souvent onvoit des gens un peu ailleurs quoi, endormis ou… heu… ou un peu, enfin dans l’alcool, mais làses yeux m’ont fait… m’ont touchée, comme quand je suis allée lui parler, elle répondait pas, àpeine, je l’ai sentie pas très bien, ce qui m’a fait peur, c’est qu’elle était sur un banc, recouverte desacs et je me suis dit "il va faire encore plus froid que si elle était à même le sol, dans un endroitoù il y a un peu de chaleur qui sort", voilà… » (Extrait d’un appel au 115 d’une femme, 35 ans,employée dans l’immobilier).

21 Penser la « sollicitation » est une manière possible d’opérer le décalage requis par l’étudede l’expérience citoyenne. De manière complémentaire aux notions de « concernement » etde «  trouble », la notion de « sollicitation » permet de porter attention au rôle joué par laperception dans la définition des situations et de leur portée. Chercher à décrire ce qui noussollicite et comment, c’est prendre acte du fait qu’avant de mettre en jeu des raisonnements oudes délibérations, le sens du juste, au sens de ce qui peut et doit être entrepris et une certainesensibilité (indissociablement morale et politique), passe par des manières de voir (Merleau-Ponty, 1945, 1969). Les perceptions et les émotions que suscitent une situation, un espace etune scène, font partie de leurs caractéristiques objectives 7.

22 La disponibilité publique de problèmes ne signifie pas que tous nous atteignent  8. En deçàmême de la constitution de problèmes publics, il faut décrire la formation située des motifs(Mills, 1940). Cela implique d’accepter de suivre les tâtonnements de l’orientation dans lessituations, et de commencer l’enquête en amont et en deçà de l’action, au niveau du trouble(Dewey, 2004 ; Emerson & Messinger, 2012 [1977] ; Breviglieri & Trom, 2003) qui l’initieet de l’indétermination initiale qui la caractérise.

23 Dans nos enquêtes sur les interactions civiles dans l’espace public, ou sur les signalementsau 115 (Samusocial) et au 18 (pompiers), les situations observées sont loin de déployer uneapproche volontariste ou intellectualiste de la politique, où les actions découleraient des idées.Les récits recueillis ne font nullement référence à une interrogation sur le politique qui sedéploierait comme le résultat d’une délibération, où toute une vision du monde serait miseà l’épreuve pour choisir la position la plus satisfaisante. Si le doute intervient, c’est sousune forme plus proche de la description qu’en fait Charles S. Peirce (1978 [1896]) : quelquechose d’inhabituel se produit, n’est pas aisément interprétable et suscite un trouble qui éveillel’attention d’abord, le concernement éventuel du passant ensuite. C’est cette articulation entresaillance d’un phénomène et effet (jamais simplement cognitif) d’attention portée à celui-cique nous proposons de saisir à partir d’une entrée par ce qui fait « sollicitation ». Il ne s’agitpas exactement de curiosité  9. Cette affectation amène à agir, ne serait-ce qu’en déléguantl’intervention à quelqu’un de supposément plus compétent parmi les membres du public.

24 L’hypothèse est que l’on ne peut pas se contenter de renvoyer la perception de ce qui troubleet de ce qui concerne, «  interpelle  », à la subjectivité aléatoire des personnes, ni à leurs« propriétés sociales ». C’est dans les situations qu’il faut décrire leur manière de se rendre

Page 8: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 8

SociologieS

« parlantes » et de donner prise ou non à des formes de positionnement eu égard à ce quis’y passe. Si l’on suit John Dewey, la clé ne se situe pas dans une doctrine morale, maisdans une présence à la situation, qui se joue sur trois dimensions – publique, situationnelle etpersonnelle : « Une sympathie élargie, une véritable sensibilité, une constance face à ce qui estdésagréable, un équilibre des intérêts nous permettant d’entreprendre intelligemment le travaild’analyse et de prise de décision, constituent des traits distincts de la moralité – les vertus del’excellence morale », écrit-il (Dewey, 2014 [1920], pp. 173-174). La moralité s’inscrit ici surle fond d’une « sympathie élargie ». Celle-ci correspond sur nos terrains à l’évocation par lesenquêtés de l’horizon d’une communauté politique et de sa morale publique, de « ce à quoil’on tient et qui nous tient en retour » (Cottereau & Marzok, 2012). Mais John Dewey estimequ’il doit s’y ajouter une « véritable sensibilité », inscrivant la moralité dans une écologie, quilie son émergence à ce que les situations font aux personnes – trouble, perplexité, surprise,agacement et ainsi de suite. Enfin, cette « sympathie » et cette « sensibilité » ne peuvent avoirdes conséquences pratiques que si elles s’accompagnent d’une « constance face à ce qui estdésagréable ». Sans cet effort particulier, pas de passage à l’acte. Là où l’habitude peut créerune endurance permettant de supporter et d’ignorer le désagréable, il s’agit d’une capacitésymétrique à se laisser affecter par le désagréable en tant qu’il appelle à intervenir. Autrementdit, la moralité publique à laquelle en appelle la sollicitation se situe à l’intersection d’unecommune appartenance, d’une sensibilité et d’un effort.

25 Ce faisant, nous n’ignorons pas l’importance des formes de passivité  : faire l’autruche oupasser son chemin sont les autres formes de réponse au trouble, à côté de l’enquête, distinguéespar Charles S. Peirce (1978 [1896]). Mais il s’agit de se donner les moyens de comprendre lesconditions de la rupture de l’indifférence. Si l’on considère les habitudes comme des outilsordinaires pour faire face au monde social et s’y orienter, leur rupture ne va évidemment pasde soi. Il ne suffit pas de se sentir poussé à agir, car cette impulsion est parfois ignorée. Est-cealors seulement l’intensité du trouble, ou les dispositions personnelles, ou bien existe-t-il deséquipements de l’engagement comme il y a des équipements de l’habitude ?

26 L’extrait placé en ouverture de cette section est issu d’un entretien réalisé avec un particulierqui venait de signaler un sans-abri au 115 de Paris 10. Il s’agissait précisément de se demanderpourquoi l’on appelle le Samusocial dans certaines circonstances, alors que l’expérienceurbaine regorge d’occasions semblables de porter assistance à des personnes à la rue. Nousavons ainsi interrogé une soixantaine d’appelants sur les circonstances de leur signalement(Bidet & Le Méner, 2014). Tous pointent un trouble initial, qui interrompt leur action, lesagite, les tourmente, du moins les indispose. Le trouble puise dans la perception d’un corpsfragile, d’une allure, d’une posture ou d’une position inhabituelles, ou d’une injustice incarnéepar la détresse à laquelle on se retrouve soudain confronté. Cette perception intéresse à unproblème, que la routine est impuissante à éteindre. Le lien, au contraire, se resserre pas àpas 11 ; dans le passage cité, un regard peut alors suffire à faire parler un silence. Et le troublepeut être amplifié par l’activation sensible de dispositions (comme ici lorsque la personne serend compte que le sans-abri est une femme). Peu à peu, les bords de la scène apparaissent etenveloppent littéralement l’intéressée.

27 Loin d’une vision constructiviste de la réalité sociale, le trouble se nourrit d’éléments duréel peu à peu distincts, informés, contrastés et configurés au cours d’un examen sensiblede la situation, qui conduit à repérer le corps allongé, mais les yeux ouverts, d’une femmeplutôt que d’un homme, à la parole peu assurée, mal protégée contre le froid, qui se dressedevant elle. L’examen auquel se livre l’appelante porte alors en même temps sur ses propres(im)possibilités et ses (in)capacités à agir.

28 L’analyse de l’engagement doit ainsi faire place aux versants passifs de l’activité humaine, aufait d’être pris dans des situations, de les subir et de « recevoir » incidemment l’expériencecitoyenne, qui est indissociablement expérience de ce qui nous touche, de ce qui nous appelleet de ce qui nous demande de faire quelque chose. Cet élan ne suffit pas à lui seul à garantirun passage à l’acte. D’où la nécessité de comprendre le rôle joué par les «  prises  » oules « affordances » requises pour étayer et donner des voies d’expression à ces formes desollicitation. La notion de sollicitation permet ainsi de désigner ce qui est concurremment un

Page 9: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 9

SociologieS

moment initial, un processus tâtonnant et une obligation progressive d’engagement. En outre,cette notion désigne aussi bien la logique de l’enquête que son envers, la réception d’un récitauquel on est invité à prendre part.

L’intervention et ses ambivalences«  Les formes de don disponible, pour le quidam, paraissent balancer entre deux extrêmeségalement insatisfaisants  : soit indignes, car insuffisantes et piteuses (le don tronqué), soitinaccessibles car excessives et périlleuses (le don plénier, dont l’ouverture, face au sans-abri, estvertigineuse). Ainsi, alors même que les passants se montrent souvent ni sourds ni insensibles àl’appel que font résonner les sans-abri par leur présence, ils hésitent à y répondre, faute d’êtrecertains de savoir comment en répondre. » (Gayet-Viaud, 2010, p. 256).« Pour beaucoup, le fait de donner une pièce paraît une forme d’expression du souci insatisfaisante,indigne et inadéquate du point de vue de ce que la situation appelle. C’est pourquoi ne rienfaire et ne rien donner du tout peut, paradoxalement, sembler “mieux” et devenir la solutionde repli souvent adoptée, qui ne peut pas se rabattre sur la pure et simple incurie. Nombre depersonnes confient avoir tenté de “faire plus”, racontent comment elles ont tâtonné, expérimentédes dépassements de l’aumône en offrant l’hospitalité, ou en essayant d’aider l’un d’entre euxà trouver un travail ; d’autres invitent un sans-abri à manger. Toutes ces tentatives montrent unsouci de sortir du type de violence que l’aumône peut représenter, pour beaucoup, au geste pleind’hospitalité » (Ibid., p. 255).

29 L’enquête peut remonter la chaîne des «  sollicitations  » jusqu’au moment où un quidamrencontre une situation qui le fait réagir. La sollicitation fait ainsi référence au repérage d’unesituation vécue comme troublante et à sa formulation comme appelant une intervention, quipeut simplement consister à donner l’alerte. La sollicitation conduit donc à interroger en deuxtemps la façon dont une scène peut être sollicitante, c’est-à-dire susceptible d’interpeller lepassant et de l’amener à se constituer comme membre d’un public ou d’une communautépolitique.

30 Une manière classique de poser le problème est alors de s’interroger sur ce qui fait agir en(tant que) citoyen responsable de la préservation d’un ordre public civil (Cefaï, 2013). Maisla notion de « trouble à l’ordre public » décrit mal les situations d’intervention. Elle évoqueen effet le sens étroit du « maintien de l’ordre » par la maréchaussée, affaire de coercitionet d’infraction. Or nous avons montré comment la sollicitation partait, non d’une infractionà une norme bien définie, mais d’un « trouble » ressenti par une personne, à la fois vague etengageant. En conséquence, la sollicitation en appelle à une responsabilité du citoyen qui estmoins affaire d’ordre public que de concernement public à l’égard de ce qui trouble, s’étendantd’ailleurs à ceux qui sont exclus de l’ordre commun. Le trouble ne peut donc pas être réduit àsa régulation par des remédiateurs (trouble-shooters), moyennant un processus de délégationà des experts, qualifiés par leur formation professionnelle et habilités par les pouvoirs publicsà le prendre en charge. Le trouble est une expérience publique qui ne s’est pas encore traduiteen action publique.

31 La question de la sollicitation ouvre sur celle de l’intervention (Pharo, 1985 ; Gayet-Viaud,2008a) comme forme de réponse à un «  trouble  » qui se manifeste moins comme un« problème » déjà constitué qu’il ne resterait plus qu’à résoudre que comme un écheveau dequestions à démêler – y a-t-il problème, qui est le mieux à même de le déterminer et s’il ya problème comment y faire face ? Dans ces conditions, comment intervenir ? La questionest celle de la justesse de l’intervention en contexte, au regard à la fois de ce que requiert lasituation et de ce que peut apporter la personne à ce moment-là. Pour la personne troubléepar une sollicitation, il s’agit de calibrer une réponse, qui soit à la fois ajustée à la situation etpossible, sur les plans matériels, techniques, moraux, compte tenu de ses autres engagements,mais aussi des limites et des moyens qu’elle considèrera possible de mettre en œuvre. Cetteenquête engage d’une certaine façon la définition de la situation, inhérente aux activités deson traitement approprié  : « La signification pratique de la situation – c’est-à-dire l’actionsatisfaisante qu’elle requiert – n’est pas évidente par elle-même. Il faut la trouver dans unensemble de désirs opposés et de biens apparemment différents. Il faut trouver le bon coursd’action » (Dewey, 1920, pp. 173-174.)

Page 10: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 10

SociologieS

32 La responsabilité de l’intervention est d’autant plus grande qu’elle interprète et donneson sens à une situation problématique, dont la sollicitation a déjà repéré l’enjeu moral.L’intervention ordonne le trouble, prolonge la sollicitation en précisant ce qu’elle suggère,d’abord implicitement. L’une et l’autre s’informent mutuellement. Lorsque l’interventionsemble devenir possible, légitime et donc peut-être nécessaire et impérieuse, la sollicitations’aiguise. Si l’intervention semble difficile, il est possible de renoncer à faire droit à ce qui,dans la sollicitation, invite à s’engager dans la situation.

33 Les réactions individuelles à un certain nombre de situations vécues comme troublantes etappelant une intervention dessinent ainsi le type de citoyenneté des lieux. Ces réactions –et la définition de ce qui vaut qu’on intervienne  – ne sont pas seulement adossées à uneappréciation individuelle, puisant dans l’éducation, les croyances actuelles ou les expériencespassées, mais aussi à un certain nombre de dispositifs et d’institutions, auxquels on peut serapporter pour décider d’une façon d’interpréter ce qui se passe et d’y prendre sa part. Cesdispositifs institutionnels sont partie prenante d’une enquête qui dès lors

« se précise : elle consiste à observer dans le détail ce dont la situation est faite ; analyser lesdifférents facteurs qui interviennent ; mettre au clair ce qui est obscur ; faire le décompte des traitsles plus marquants et les plus vivaces ; examiner les conséquences des différents modes d’actionqui se suggèrent eux-mêmes ; considérer sa décision comme une hypothèse ou une tentative tantque les conséquences anticipées ou supposées qui ont conduit à l’adopter n’ont pas été confrontéesaux conséquences effectives » (Dewey, 2014 [1920], pp. 173-174).

34 La question du bon cours d’action  – et notamment du bon degré d’engagement face àune sollicitation – fait d’abord face au caractère ambivalent de toute intervention. Aucuneforme d’investigation de l’espace public n’échappe en effet au risque d’une attention quideviendrait tyrannique. Lorsque l’observation se fait inquisitrice, ou s’approfondit au risquede l’indiscrétion, alors l’intervention menace de devenir intrusion et l’alerte, délation, au nomdu bon ordre (Breviglieri & Stavo-Debauge, 2006). Les formes délétères d’un droit de regard,qui deviendrait un droit d’ingérence, avec leur potentiel d’intolérance et les sanctions diffusesassociées à un conformisme facteur d’oppression ont été pointées de longue date (Joseph,1998a ; Murard & Tassin, 2007).

35 Isaac  Joseph voyait en ce sens deux limites à l’espace public, aussi terrifiantes l’une quel’autre  : l’identification, lorsque son anonymat protecteur se transforme en un espace dedévoilement de ce que l’on préfèrerait garder pour soi  ; et l’envahissement, quand les«  barrières écologiques  » d’un territoire de réserve tombent et laissent place à un espacetrop ouvert, où des importuns s’imposent à soi. Mais ce ne sont pas seulement les risquesd’ingérence policière qu’il appelle à prévenir. L’autre risque est celui d’une attention dont labienveillance deviendrait invasive. Isaac Joseph, rejoignant ici Hannah Arendt, avertit ainsides excès d’un regard sur l’espace qui deviendrait trop proche : « L’horizon des sombres tempsnous impose de penser autrui au-delà de la fusion, de sauver l’espace public du désastre de lafraternité » (Isaac Joseph, 1984, p. 14 empruntant l’expression à Hannah Arendt [1974]).

36 Toute intervention menée dans l’espace public, pour des inconnus, connaît ce risqued’intrusion, bienveillante ou non, de violence faite au droit à l’indifférence et à la tranquillitéde ceux qui partagent l’espace public. S’observe ainsi une oscillation entre deux mouvements :s’excuser d’intervenir, mais craindre un problème grave, ou bien déléguer la décisiond’intervenir  : «  j’ai préféré vous prévenir, au cas où…  ». Si le risque d’être jugé intrusifest connu et tenu à distance par toutes sortes de parades, jusqu’à l’intervention a minima,l’autre risque, celui de la non-assistance, est tout aussi présent et connu. C’est entre ces deuxpôles que le donneur d’alerte tente de se situer et de rendre sa démarche légitime et licite.Cette oscillation se donne à lire dans les innombrables précautions verbales, qui ouvrentgénéralement le dialogue, ainsi que le récit des donneurs d’alerte 12.

37 À un pôle, se tient le délateur zélé ; à l’autre pôle, au contraire, le déficit d’attention de celui quin’a rien vu ou rien voulu voir et le refus d’intervenir, même pour donner l’alerte, de celui quin’a rien fait ou rien voulu faire. Il est intéressant de noter que les pompiers se plaignent autantde l’un que de l’autre : ils se plaignent des bons samaritains qui appellent « pour rien », commede tous ceux qui auraient dû appeler ; de celui qui fait plus de mal que de bien en voulant

Page 11: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 11

SociologieS

aider (par exemple, en déplaçant la victime au risque de la paralyser si la colonne vertébraleest touchée), comme de celui qui, déjà loin, appelle de sa voiture et ne pourra pas être mobilisépour rester auprès de la victime jusqu’à l’arrivée des secours. Les pompiers se posent aussipour eux-mêmes la question de l’intrusion dans la vie des personnes (lorsqu’ils évoquent parexemple la manière et le tact requis pour entrer chez les gens et l’impact que cette intimité asur eux), mais plus encore, de l’intrusion dans le libre arbitre de ceux qu’ils secourent. Ainsi,quand la personne est consciente sans être en danger de mort, « si notre intervention n’estpas souhaitée, on n’intervient pas » ; « on ne force personne » disent-ils en substance (Chave,2010). Et il en va de même pour les maraudeurs du Samusocial, « funambules du tact », quis’interdisent d’intervenir auprès d’une personne à la rue, quand leur proposition de prise encharge n’est pas ratifiée par l’ayant-droit potentiel (Cefaï, Gardella, Le Méner & Mondémé,2012). Face au risque de « faire trop », ne pas agir peut même apparaître, comme dans le casdu don aux sans-abri, évoqué en exergue, le bon cours d’action. Cet exemple, ouvre sur deuxaspects essentiels de toute intervention : sa temporalité itérative et son caractère mesuré.

38 Le premier signifie qu’une intervention s’inscrit dans une suite de situations publiques. Demême qu’elle répond souvent autant à une série d’occurrences passées qu’à la situationprésente, elle peut être essentiellement tournée vers des situations futures et investie en ce sensd’un rôle éducatif ou exemplaire. Les gens influent les uns sur les autres et forgent au contactles uns des autres leurs opinions, ainsi que le sens pratique de ce qu’ils peuvent ou ne peuventpas faire, les uns avec les autres, les uns devant les autres. Disputes de politesse, leçon surles rapports de genre en public, typifications et catégorisations bienveillantes ou malveillantes(Tavory, 2011), interventions, parfois peu coûteuses, parfois au péril de sa vie, engagent lemonde dans lequel on vit. Si quelqu’un se noie devant témoins, dont aucun ne bouge, ce publicva alors vivre dans un monde-où-nul-n’intervient-quand-quelqu’un-se-noie-devant-témoins.On peut donc intervenir simplement car continuer à vivre dans un tel monde serait impensable,impossible 13 : il s’agit de « ne pas laisser faire, ne pas laisser passer » (Cottereau & Marzok,2012). La responsabilité politique se définit d’abord comme cet espace d’intervention den’importe quel citoyen : non pas changer le monde, mais faire le monde ; ainsi s’exprime lesentiment de vivre parmi d’autres. Agir en citoyen c’est alors agir au titre de ce « on », de ce« n’importe qui » qu’on incarne de façon temporaire et contingente.

39 Le caractère «  mesuré  » de l’intervention est un second trait caractéristique. Comment ladoser ? Comment définir ce qui est de notre ressort ? Car l’impératif de faire quelque chosene dit pas jusqu’à quel point il est nécessaire, possible ou souhaitable d’aller. Via les appelsd’urgence, le caractère public et équipé des situations d’intervention peut contribuer de façondécisive à lever cette indécision. La « bonne mesure du geste » (Gayet-Viaud, 2010) peut êtreen effet suggérée par la réaction des autres, mais aussi par la mise à disposition, l’existence etles modalités d’activation de « services compétents ». Par exemple, le fait de pouvoir appeler le18 et, derrière cet appel, l’organisation des pompiers toute entière, déterminent ainsi en grandepartie l’investissement du passant, à la fois décisif et d’autant plus limité que les pompiersfont figure d’experts (Chave, 2010).

« Bonjour monsieur je vous téléphone au cas où : je suis un automobiliste […] et à première vueil y avait une femme d’une certaine classe […] et elle était accroupie au pied du feu rouge […]Je me permets de téléphoner parce que ça me semblait anormal » ; « Il y a un monsieur tombé,là il ne bouge plus… »

40 Nombreux sont les appels qui répondent au sentiment que quelque chose ne va pas en cherchantà mobiliser un service jugé compétent, tant pour analyser la situation que pour réagir enpersonne. Déléguer l’intervention en cherchant un relais institutionnel, c’est alors se dégager,mais aussi éviter de s’épuiser, se reposer sur un tiers (Ibid., 2010 ; Bidet, Boutet & Chave,2013), s’assurer de la compétence de l’intervention et garantir sa pérennité (en en appelantà une institution qui aura encore la ressource d’intervenir la prochaine fois). Au départ, lesentiment qu’il faut faire quelque chose ; à l’arrivée, un signalement, à toutes fins utiles etla délégation à d’autres de la décision d’intervenir ou non. Concernant les pompiers, c’esttout particulièrement le cas des appels passés par des automobilistes. L’appel au 18, c’estalors l’apaisement du trouble par la délégation de l’enquête, précisément parce qu’il existe un

Page 12: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 12

SociologieS

service pour cela : un appui, qui est en même temps une incitation à faire quelque chose, deminime. Apparaît ainsi une figure de l’enquête par procuration et ses liens avec la croyanceau 18. Ici, le requérant a une idée initiale de ce qu’il doit faire, qui le conduit à appeler. Maisla suite ne le concerne pas ; il peut se positionner en toute extériorité. Cette possibilité n’esttoutefois pas saisie par tous. Au 115, il arrive ainsi que des appelants rappellent pour s’enquérirdes suites ou de l’issue du signalement. Au 18, il en va aussi différemment pour les appelspassés par des piétons, à la fois parce qu’il y a vraiment coprésence, partage d’un espace etsouvent interaction avec la victime, ne serait-ce que dans l’échange de regards. De plus, lerythme même de la situation, plus lent, place chacun sous le regard de tous. Souvent, ce n’estpas un mais plusieurs passants qui s’interrompent, s’approchent, s’adressent les uns aux autres.Un public peut se former, s’encourager, s’organiser (qui appelle les pompiers, qui les rappelleen cas de refus d’intervenir ?). Le passant est amené à s’approcher en personne de la victime.

41 Les pompiers eux-mêmes comptent sur cette dynamique. « Si c’est grave, ils rappelleront » :quand le besoin qu’on a d’eux n’est pas avéré, il arrive fréquemment que les pompiersconditionnent l’envoi d’une équipe à une forme de confirmation publique. Ils comptent ainsisur la capacité d’observation et d’analyse et avant tout sur l’initiative d’appeler, non pas d’uneseule personne, mais de plusieurs. Face à une définition de la situation et du risque, floueou trop incertaine, ils considèrent qu’il vaut mieux attendre que d’autres appels confirmentl’alerte : « si c’est grave, ils rappelleront ». Cette façon de faire informelle ne consiste passeulement à confirmer la sollicitation par sa réitération par plusieurs témoins ; elle renvoieaussi à leur position d’intervention en dernier recours – car non seulement il peut y avoir defausses alertes, mais aussi certaines urgences peuvent se révéler mineures et être réglées sanseux. Le pluriel de l’expression, « ils rappelleront », révèle que les pompiers considèrent lesalertes sur lesquelles ils s’appuient non comme des témoignages individuels, mais commel’expression d’un concernement public et collectif. Ils comptent ainsi sur une mobilisationen nombre, sans que cela soit quantifié, pour les aider à identifier dans l’espace public lessituations où leur intervention est vraiment nécessaire. L’accord tacite entre les pompiers etles passants sur ce qui vaut la peine de les prévenir relève ainsi de la reconnaissance mutuelled’un souci de l’autre partagé. Un tel souci est par ailleurs validé, mais aussi conforté, parl’existence même d’un service de secours institutionnel et par son principe de fonctionnement :le signalement. Le secours suppose en effet la participation de quidams au départ de touteintervention. Il repose donc sur un souci public ordinaire et sa capacité à faire le « bon geste »,a minima celui d’appeler les « services compétents ». L’action publique apparaît ainsi commeun enchaînement de médiations permettant à chacun de mobiliser les autres autour d’un butsupérieur commun, qui n’apparaît que dans l’action. Ce qui n’est pas indéterminé dans leflottement de la question « que faire ? », c’est alors au moins qu’on ne peut «  rester sansrien faire », certitude, ou croyance, qui peut compter sur la même analyse, chez d’autres, àcommencer par des services dédiés, à appeler (le 18, le 115) et des passants, qui potentiellements’attroupent et confortent le sentiment qu’il faut intervenir.

42 Mais la propension à secourir n’implique pas nécessairement une envie d’aider. Autant ons’entend pour considérer que les gens « ne peuvent pas ne rien faire », autant l’implication,elle, est négociable et comporte donc une part interactionnelle forte. Face à une situationencore inconnue, les autres, par leur seule présence, peuvent fixer ou imposer un degré attendud’investissement. Les pompiers regrettent souvent le manque d’engagement de ces appelants,qu’ils appellent ironiquement les bons samaritains. Ils leur reprochent finalement de ne pas enfaire plus. Le faible engagement relationnel qui entoure ces situations de secours et de prise encharge nous montre surtout que ce qui se joue dans l’expérience citoyenne n’est pas à chercherdu côté des sociabilités chaudes, des relations, mais plutôt du côté de la sociabilité propre auxinteractions entre citadins des grandes villes. Elle relie en effet entre elles les personnes sansprétendre abolir la distance qui les sépare, affirmant au contraire que cette distance est aussile lieu d’un lien (Simmel, 1984 [1912]).

43 Si la ville est traversée d’occasions d’ébranler et de refaire du commun, c’est qu’elle a pourparticularité de mettre en présence des personnes aux appartenances les plus variées et deproduire ainsi sans cesse de l’incongruité : des collisions, heureuses ou malheureuses, entre

Page 13: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 13

SociologieS

inconnus. Les situations, qui voient des quidams agir au sujet d’un ou de plusieurs inconnus,permettent ainsi d’interroger directement et en pratique, ce pour quoi nous nous mobilisons,au quotidien, hors de toute occasion politique ou communautaire. Ces occasions ont des nomsbien connus : la rencontre de l’étranger (Ibid.), l’inattention civile dans le côtoiement urbain(Goffman, 1973 [1971]), la conversation (familière comme entre inconnus) sur l’actualité(Gabriel Tarde et Robert E. Park), les seuils où se négocient les différences – par exempleà l’entrée de l’appartement, de l’immeuble, du quartier comme de la ville (Joseph, 1984),etc. Cette vision de la ville et de la cité est aussi une vision du politique en train de se faire,puisque l’ordre public n’y est pas d’emblée établi et que la moralité publique y reste toujoursen débat 14 : le degré d’engagement d’un civisme mesuré n’est jamais donné, ni la nature decette exigence, morale ou sociale. En organisant une telle « coexistence publique », l’espaceurbain opère donc comme un versant méconnu de la fabrique de l’opinion, où s’élaborent desvisions du monde et des principes politiques.

Conclusion44 La perspective consistant à aborder la démocratie comme expérience et comme mode de vie,

en saisissant le politique depuis l’expérience du monde en tant qu’il est commun, sans dissocierle politique de la vie sociale (Frega, 2015), a déjà innervé maints travaux, en particulierautour de la constitution des problèmes publics (Gusfield, 2009 ; Cefaï, 2007 ; Cefaï & Terzi,2012). Si un apport plus large pour l’étude des expériences citoyennes reste à expliciter,c’est que la fabrique de l’opinion ne passe pas seulement par la constitution de «  publicsconcernés » (Cardon, Lemieux & Heurtin, 1995). En deçà ou à côté de tels publics (Eliasoph,2003), toutes les formes d’attention et d’engagement orientées vers un monde commun nedébouchent pas sur des prises de parole et des actions dans des arènes publiques. Commentétudier la façon dont des idées et des réponses pratiques 15, engageant un ordre civil, viennentaux personnes, se développent, se consolident, sont abandonnées ou transformées ? Commentdécrire la confrontation au trouble et le concernement public qu’engagent la sollicitation etl’intervention ? Une telle étude implique de mener l’enquête dans des situations « petites »,banales ou qu’on qualifierait à première vue de « privées », mais où chacun teste le mondedans lequel on vit, en tant qu’il est commun, en découvrant ce qu’il est capable d’y faire enmême temps que ce qu’il doit aux autres et ce qu’eux-mêmes lui doivent (des comptes, desinformations, de l’aide, des reproches, etc.). Entre le choc de l’événement ou les perspectivesd’une microsociologie des publics d’une part et la socialisation politique primaire d’autre part,la perspective pragmatiste convoquée dessine une voie médiane, consistant à décrire la façondont les expériences s’accumulent, se renforcent ou résonnent entre elles pour produire, dansla durée, des révisions et des tris entre façons d’agir et de réagir.

45 Documenter ce qu’il en est effectivement aujourd’hui de la façon dont les gens se perçoivent,se soucient des autres et du monde est au principe d’une étude pragmatiste de l’expériencecitoyenne. Son parti-pris consiste à partir des perspectives développées par les personnesimpliquées dans les situations, de ce qui les marque et de ce qu’elles repèrent comme desbienfaits inhérents à telle ou telle façon d’y intervenir. Ainsi, une telle enquête se donneles moyens de comprendre comment des personnes s’orientent vers ce qui compte pourelles, définissent et revendiquent ce qui les concerne et agissent en fonction de ce qu’ellesconsidèrent comme étant de leur ressort.

46 S’efforcer de penser la diversité des degrés d’engagement, sans présumer de leur devenir nide leur succès, sans les évaluer non plus à l’aune de la figure du militant, permet de saisirl’expérience citoyenne dans un cadre élargi. On la repère ainsi dès lors que s’affirment desfaçons de s’engager dans le monde en tant qu’il est commun : des manières de dire « cela meregarde » sans que, pour autant, l’anonymat entre les personnes ait besoin d’être levé.

47 Cette approche pragmatiste, pour saisir l’ordinaire du politique, décrit comment le caractèrepublic de certains espaces, notamment urbains, permet qu’en situation, selon une écologietoujours particulière, des sollicitations soient perçues qui appellent pour des personnes, selonleurs histoires singulières, à intervention.

Page 14: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 14

SociologieS

48 Un tel effort d’observation est nécessaire pour saisir la transformation des formesd’engagement, marquée à la fois par le déclin des grands collectifs portant les formesclassiques de l’engagement politique et par des réticences croissantes des personnes à sefondre dans des ensembles auxquels elles délégueraient leur sens critique, ou à se moulerdans les formes du politique militant traditionnel (De Blic  &  Lafaye, 1993). Dans un telcontexte, documenter l’indifférence ou l’apathie (Mariot, 2011), c’est encore maintenir l’idéalde l’action et de l’activisme au centre de l’analyse du politique et de la citoyenneté. Prendreau contraire le parti d’étudier l’expérience citoyenne, en interrogeant la portée politique desengagements les plus ordinaires, c’est inverser la perspective. D’une part, c’est alors le faitd’être citoyen qui autorise et oblige à se sentir concerné (ou pas) par ce qui se passe et à y/enrépondre. D’autre part, les épreuves de la coexistence urbaine nourrissent la perception et laconception citoyenne de ce qu’est le monde, de ce qu’il est possible d’y faire et contribuentainsi à la formation à la fois des opinions du citoyen sur ce qui fait problème et de sa capacitéet volonté d’agir. Ce qu’on « voit tous les jours au coin de la rue » 16, loin d’être anecdotique,participe à forger notre vision de ce qu’est notre monde.

Bibliographie

ARENDT H. (1974 [1971]), Vies politiques, Paris, Éditions Gallimard.

ARENDT H. (1983 [1958]), Condition de l’homme moderne, Paris, Éditions Calmann-Lévy.

BERGER M. (2010), « Répondre en citoyen ordinaire. Pour une étude ethnopragmatique des engagementsprofanes », Tracés, n° 15, pp. 191-208.

BERGER M. & C. GAYET-VIAUD (2011), «  Du politique comme chose au politique comme activité.Enquêter sur le devenir politique de l’expérience ordinaire », Introduction à BERGER M., CEFAÏ D. & C.GAYET-VIAUD (dir.), Du Civil au politique. Ethnographies du vivre-ensemble, Bruxelles, Éditions PeterLang, pp. 9-24.

BERGER M., CEFAÏ D. & C. GAYET-VIAUD (dir.), Du Civil au politique. Ethnographies du vivre-ensemble,Bruxelles, Éditions Peter Lang.

BIDET A. & M. BOUTET (2013), « Pluralité des engagements et travail sur soi. Le cas de salariés ayantune pratique ludique ou bénévole », Réseaux, vol. 31, n° 182, pp. 119-152.

BIDET A., BOUTET M. & F. CHAVE (2013), « Au-delà de l’intelligibilité mutuelle : l’activité collectivecomme transaction. Un apport du pragmatisme illustré par trois cas  », activités.org, vol.  10, n°  1,pp. 172-191, en ligne http://www.activites.org/sommaires/v10n1.html .

BIDET A. & E. LE MÉNER (2014), « Les ressorts collectifs des signalements de sans-abri au 115. Appelpolitisé, voisinage troublé et geste citoyen en milieu urbain démocratique », dans CARREL M. & C. NEVEU(dir.) (2014), Citoyennetés ordinaires. Pour une approche renouvelée des pratiques citoyennes, Paris,Éditions Karthala, pp. 101-130.

BIDET A., QUÉRÉ L. & G. TRUC (2011), « Ce à quoi nous tenons. Dewey et la formation des valeurs »,préface dans DEWEY John, La Formation des valeurs, Paris, Éditions La Découverte.

BLONDIAUX L. (2007), « Faut-il se débarrasser de la notion de compétence politique ? Retour critiquesur un concept classique de la science politique », Revue française de science politique, vol. 57, n° 6,pp. 759-774.

BOLTANSKI L. (1993), La Souffrance à distance: morale humanitaire, médias et politique, Paris, ÉditionsMétailié.

BOLTANSKI L. (2008), Rendre la réalité inacceptable. À propos de «  La production de l’idéologiedominante », Paris, Éditions Démopolis.

BOLTANSKI L., DARRÉ Y. & M.-A. SCHILTZ (1984), « La dénonciation », Actes de la recherche en sciencessociales, n° 51, pp. 3-40.

BOONE D. (2014), « Le palimpseste des socialisations politiques enfantines : La lecture d’albums pourenfants comme exemple de moments politiquement socialisateurs », Communication pour la journéed’étude « Questionner la notion de socialisation politique : définitions, usages et repérages », Universitéde Lausanne, Geopolis 2137, 23-24 janvier.

BORDREUIL J.-S. (2002), « La construction de l’incivilité comme cause publique. Pour une intelligencedes interactions civiles  », dans CEFAÏ D. & I. JOSEPH (dir.), L’Héritage du pragmatisme. Conflitsd’urbanité et épreuves de civisme, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube.

Page 15: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 15

SociologieS

BORZEIX A., COLLARD D. & N. RAULET-CROSET (2006) « Participation, insécurité, civilité : quand leshabitants s’en mêlent », Les Cahiers de la sécurité, n° 61, pp. 1-29.

BOUDREAU J.-A., BOUCHER N. & M. LIGUORI (2009), « Taking the Bus Daily and Demonstrating onSunday: Reflections on the Formation of Political Subjectivity in an Urban World », City, (« Cities forPeople : Not for Profit »), vol. 13, n° 2-3, pp. 336-346.

BREVIGLIERI M. & J. STAVO-DEBAUGE (2006), « Sous les conventions. Accompagnement social àl’insertion  : Entre sollicitude et sollicitation », dans EYMARD-DUVERNAY F. (dir.), L’Économie desconventions, méthodes et résultats, tome II Développements, Paris, Éditions La Découverte, pp. 129-144.

BREVIGLIERI M. & D. TROM (2003), « Troubles et tensions en milieu urbain. Les épreuves citadineset habitantes de la ville », dans CEFAÏ D. & D. PASQUIER (dir.), Les Sens du public. Publics politiques,publics médiatiques, Paris, Presses universitaires de France, pp. 399-416.

BREVIGLIERI M. & S. GAUDET (2014), «  Les arrières-scènes participatives et le lien ordinaire aupolitique », Lien social et politiques, n° 71, pp. 3-9.

CARDON D., HEURTIN J.-P. & C. LEMIEUX (1995), « Parler en public », Politix, vol. 8, n° 31, pp. 5-19.

CARREL M. & C. NEVEU (dir.) (2014), Citoyennetés ordinaires. Pour une approche renouvelée despratiques citoyennes, Paris, Éditions Karthala.

CARREL M., CEFAÏ D. & J. TALPIN (dir.) (2012), Dossier «  Ethnographies de la participation  »,Participations, vol. 2, n° 3, pp. 7-206.

CARREL M., NEVEU C. & J. ION (dir.) (2009), Les Intermittences de la démocratie. Formes d’action etvisibilités citoyennes dans la ville, Paris, Éditions L’Harmattan

CEFAÏ D. (2007), Pourquoi se mobilise-t-on  ? Théories de l’action collective, Paris, Éditions LaDécouverte.

CEFAÏ D. (2011), «  Vers une ethnographie (du) politique. Décrire des ordres d’interaction, analyserdes situations sociales », dans BERGER M., CEFAÏ D. & C. GAYET-VIAUD (dir.), Du Civil au politique.Ethnographies du vivre-ensemble, Bruxelles, Éditions Peter Lang, pp. 545-598.

CEFAÏ D. (2013), «  L’ordre public. Micropolitique de Goffman  », postface à GOFFMAN Erving(2013  [1963]), Comment se conduire dans les lieux publics. Notes sur l’organisation sociale desrassemblements, Paris, Éditions Economica (« Études sociologiques »).

CEFAÏ D. & D. PASQUIER (dir.), Les Sens du public. Publics politiques, publics médiatiques, Paris, Pressesuniversitaires de France.

CEFAÏ D. & C. TERZI (dir.) (2012), L’Expérience des problèmes publics, Paris, Éditions de l’EHESS,série « Raisons pratiques » 22.

CEFAÏ D., GARDELLA E., LE MÉNER E. & C. MONDÉMÉ (2012), «  La moralité en actes. Le code dumaraudeur », dans CEFAÏ D. & E. GARDELLA (dir.), L’Urgence sociale en action, Paris, Éditions LaDécouverte, chap. 4.

CHAVE F. (2010), Tiers en urgences. Les interactions de secours, de l’appel au 18 à l’accueil en serviced’urgences pédiatriques. Contribution à une sociologie du tiers, Nanterre, Thèse de sociologie UniversitéParis Ouest Nanterre La Défense.

COLLOVALD A. & F. SAWICKI (1991), « Le populaire et le politique. Quelques pistes de recherche enguise d’introduction », Politix, vol. 4, n° 13, pp. 7-20.

COTTEREAU A. (1992), « “Esprit public” et capacité de juger : la stabilisation d’un espace public en Franceaux lendemains de la Révolution », dans COTTEREAU A. & P. LADRIÈRE (dir.), Pouvoir et légitimité.Figures de l’espace public, Paris, Éditions de l’EHESS.

COTTEREAU A. & M. M. MARZOK (2012), Une Famille andalouse. Ethnocomptabilité d’une économieinvisible, Paris, Éditions Bouchène.

DE BLIC D. & C. LAFAYE (2011), « Singulière mobilisation. Le réseau éducation sans frontières », Projet,n° 321, pp. 12-19.

DE BLIC D. & C. LAFAYE (2013), « Le travail politique du Réseau Éducation sans frontières », dans FRÈREB. & M. JACQUEMAIN (dir.), Résister au quotidien. Les formes contemporaines de l’action militantes,Paris, Presses de sciences po.

DE CERTEAU M. (1990 [1980]), L’Invention du quotidien, 1. Arts de faire, Paris, Éditions Gallimard.

DEWEY J. (2010 [1927]), Le Public et ses problèmes (trad. ZASK Joëlle), Paris, Éditions Gallimard.

DEWEY J. (2010b [1934]), L’Art comme expérience, Paris, Éditions Gallimard

Page 16: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 16

SociologieS

DEWEY J. (2011a [1918-1939]), La Formation des valeurs (trad. et présentation BIDET A., QUÉRÉ L. &G. TRUC), Paris, Éditions La Découverte.

DEWEY J. (2011b [1916]), Démocratie et éducation, Paris, Éditions Armand Colin.

DEWEY J. (2014 [1920]), Reconstruction en philosophie, Paris, Éditions Gallimard.

DIAMOND C. (2011), L’Esprit réaliste. De l’importance d’être humain, Paris, Presses universitaires deFrance.

ELIASOPH N. (2003 [1996]), «  Publics fragiles. Une ethnographie de la citoyenneté dans la vieassociative  », dans CEFAÏ D. & D. PASQUIER (dir.), Les Sens du public. Publics politiques, publicsmédiatiques, Paris, Presses universitaires de France, pp. 225-268.

ELIASOPH N. (2010), L’Évitement du politique. Comment les Américains produisent l’apathie dans lavie quotidienne, Éditions Economica.

EMERSON R. M. & S. L. MESSINGER (1977/2012), « Micro-politique du trouble : Du trouble personnel auproblème public », dans CEFAÏ D. & C. TERZI (dir.), L’Expérience des problèmes publics, Paris, Éditionsde l’EHESS, série « Raisons pratiques » 22, pp. 51-80

FREGA R. (2015, à par.), « Beyond Morality and Ethical Life: Pragmatism and Critical Theory CrossPath », The Journal of Philosophical Research.

FROMENTIN T. & S. WOJCIK (dir.) (2008), Le Profane en politique. Compétences et engagements ducitoyen, Paris, Éditions L’Harmattan.

GARDELLA E., LE MÉNER E. & C. MONDÉMÉ (2006), Les Funambules du travail. Une analyse des cadresdu travail des équipes mobiles d’aide du Samusocial de Paris, Paris, Observatoire du Samusocial,[observatoire.samusocial-75.fr/PDF/maraude/Funanbules_du_tact.pdf].

GARDNER C. (1995), Passing By: Gender and Public Harassment, Berkeley, University of CaliforniaPress.

GAUTIER C. & S. LAUGIER (2006), L’Ordinaire et le politique, Paris, Presses universitaires de France.

GAXIE D. (2007), « Cognitions, auto-habilitation et pouvoirs des “citoyens” », Revue française de sciencepolitique, vol. 57, n° 6, pp. 737-756.

GAYET-VIAUD C. (2008a), « Les disputes de politesse dans l’espace urbain : quand la politesse tourne à laviolence », dans MOÏSE C., AUGER N., FRACCHIOLLA B. & C. SCHULTZ-ROMAIN (dir.), Violence verbale.Espaces politiques et médiatiques, Paris, Éditions L’Harmattan, p. 147-182.

GAYET-VIAUD C. (2008b), L’Égard et la règle. Déboires et bonheurs de la civilité urbaine, Paris, thèsede doctorat, EHESS.

GAYET-VIAUD C. (2010), « Du passant ordinaire au Samu social. La (bonne) mesure du don dans larencontre avec les sans-abri », Revue du MAUSS, vol. 35, n° 1, pp. 435-453.

GAYET-VIAUD C. (2011a), « La moindre des choses. Enquête sur la civilité et ses péripéties », dansBERGER M., CEFAÏ D. & C. GAYET-VIAUD (dir.), Du Civil au politique. Ethnographies du vivre-ensemble.Bruxelles, Éditions PIE Peter Lang, pp. 27-54.

GAYET-VIAUD C. (2011b), « Du côtoiement à l’engagement. La portée politique de la civilité. L’activitépédagogique de Morts de la rue », Mouvements, n° 65, pp. 57-66.

GAYET-VIAUD C. (à paraître), La Civilité urbaine. Enquête sur les formes élémentaires de la coexistencedémocratique, Paris, Éditions Economica.

GEAY K. (2014), « “Je crois qu’une des bonnes éducations, c’est de ne parler ni de politique, ni de religion,ni de sa santé”. Politisation et éthique de la sociabilité dans les beaux quartiers », Communication pourla journée d’étude « Questionner la notion de socialisation politique : définitions, usages et repérages »,Université de Lausanne, 23-24 janvier.

GOFFMAN E. (1973 [1971]), La Mise en scène de la vie quotidienne. 2. Les relations en public, Paris,Éditions de Minuit.

GOFFMAN E ; (1991 [1974]), Les Cadres de l’expérience, Paris, Éditions de Minuit.

GOFFMAN E. (2013 [1963]), Comment se conduire dans les lieux publics ? Notes sur l’organisationsociale des rassemblements, Paris, Éditions Economica.

GUSFIELD J. (2009 [1981]), La Culture des problèmes publics. L’alcool au volant : La production d’unordre symbolique, Paris, Éditions Economica.

HAMIDI C. (2010), La Société civile dans les cités. Engagement associatif et politisation dans lesassociations de quartier, Paris, Éditions Economica.

Page 17: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 17

SociologieS

HATZFELD H. (dir.) (2011), Les Légitimités ordinaires. Au nom de quoi devrions-nous nous taire ?, Paris,Éditions L’Harmattan.

ION J. (dir.) (2001), L’Engagement au pluriel, Saint-Étienne, Presses de l’Université de Saint-Étienne.

ION J. (2008), « Engagements publics et citoyennetés. Quelques clés d’analyse sur les transformationsde la citoyenneté », dans BELBAHRI A. (dir.), Les Figures du respect. Analyse des transformations de lacitoyenneté, Paris, Éditions L’Harmattan, pp. 21-32.

JOBARD F., LÉVY R., LAMBERTH J. & S. NÉVANEN (2012), «  Mesurer les discriminations selonl’apparence : Une analyse des contrôles d’identité à Paris », Population, vol. 67, n° 3, pp. 423-452

JOIGNANT A. (2002), « Compétence et citoyenneté. Les pratiques sociales de civisme ordinaire au Chili,ou les logiques de la compétence de citoyen », Revue française de science politique, vol. 52, n° 2-3,pp. 233-249.

JOIGNANT A. (2007), « Compétence politique et bricolage. Les formes profanes du rapport au politique »,Revue française de science politique, vol. 57, n° 6.

JOSEPH I. (1984), Le Passant considérable. Essai sur la dispersion de l’espace public, Paris, ÉditionsMéridiens-Klincksieck.

JOSEPH I. (1987), « Erving Goffman et le problème des convictions », dans Le Parler frais d’ErvingGoffman, Paris, Éditions de Minuit, pp. 13-30.

JOSEPH I. (1994), « Le droit à la ville, la ville à l’œuvre. Deux paradigmes de la recherche », Annalesde la recherche urbaine, n° 64, pp. 4-10.

JOSEPH I. (1997), « Hospitalités. Prises, réserves, épreuves », Communications, n° 65, pp. 131-142.

JOSEPH I. (1998a), La Ville sans qualités, Paris, Éditions de l’Aube.

JOSEPH I. (1998b), Erving Goffman et la microsociologie, Paris, Presses universitaires de France.

JOSEPH I. (2007a), « Parcours : Simmel, l’écologie urbaine et Goffman », dans CEFAÏ D. & C. SATURNO(dir.), Itinéraires d’un pragmatiste. Autour d’Isaac Joseph, Paris, Éditions Economica, pp. 3–18.

JOSEPH I. (2007b), L’Athlète moral et l’enquêteur modeste, Paris, Éditions Economica.

KATZ J. (1999), How Emotions Work, Chicago, The University of Chicago Press.

LAFAYE C. & D. DE BLIC (2011), « Singulière mobilisation. Le Réseau Éducation sans frontières », Projet,vol. 2, n° 321, pp. 12-19.

LEFORT C. (1981), L’Invention démocratique, Paris, Éditions Fayard.

LEFORT C. (1986), Essais sur le politique, Paris, Éditions du Seuil.

LE GALL L., OFFERLÉ M. & F. PLOUX (dir.) (2012), La Politique sans en avoir l’air. Aspects de la politiqueinformelle XIXe-XXe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes.

L’ESTOILE B. DE (2013), « Un regard ethnographique sur la politique », Genèses, vol. 4, n° 93, pp. 118-126.

LIGNIER W. & J. PAGIS (2012), « Quand les enfants parlent l’ordre social. Enquête sur les classementset jugements enfantins », Politix, vol. 25, n° 99, pp. 23-49.

LIPPMANN W. (2008), Le Public fantôme (trad. DÉCRÉAU L., présentation par LATOUR B.), Paris, ÉditionsDémopolis.

LOFLAND  L.  H. (1973), A World of Strangers: Order and action urban public space, New York,Waveland Press.

LOFLAND L. H. (1998), The Public Realm: Exploring the City’s Quintessential Social Territory, NewYork, Aldine the Gruyter Editor.

MARIOT N. (2006), Bains de foule. Les voyages présidentiels en province, 1888-2002, Paris, ÉditionsBelin.

MARIOT N. (2010), « Pourquoi il n’existe pas d’ethnographie de la citoyenneté », Politix, vol. 23, n° 92,pp. 161-188.

MATHIEU L. (2010), « Les ressorts sociaux de l’indignation militante. L’engagement au sein d’un collectifdépartemental du Réseau éducation sans frontières », Sociologie, vol. 1, n° 3, pp. 303-318.

MERLEAU-PONTY M. (1945), Phénoménologie de la perception. Paris, Éditions Gallimard

MERLEAU-PONTY M. (1969), La Prose du monde, Paris, Éditions Gallimard (préface de LEFORT C.).

MILLS C. W. (1940), « Situated Actions and Vocabularies of Motive », American Sociological Review,vol. 5, n° 6, pp. 904-913.

Page 18: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 18

SociologieS

MURARD M. (2009), « Engagement et proximité. L’idée et le fait de la citoyenneté », dans CARREL M.,NEVEU C. & J. ION (dir.), Les Intermittences de la démocratie. Formes d’action et visibilités citoyennesdans la ville, Paris, Éditions L’Harmattan, pp. 245-254.

MURARD N. & É. TASSIN (2006), « La citoyenneté entre les frontières », L’homme et la société, n° 2/3,pp. 17-35.

NEVEU C. (2013), « “E pur si muove !”, ou comment saisir empiriquement les processus de citoyenneté »,Politix, vol. 26, n° 103, pp. 205-222.

NICOURD S. (dir.) (2009), Le Travail militant, Rennes, Presses de l’université de Rennes.

NUSSBAUM M. (2010 1990]), La Connaissance de l’amour. Essais sur la philosophie et la littérature,Paris, Éditions Cerf.

PAPERMAN P. & R. OGIEN (dir.) (1995), La Couleur des pensées. Sentiments, émotions, intentions, Paris,Éditions de l’EHESS, série « Raisons pratiques » 6.

PARK R. E. (2007 [1903]), La Foule et le public, Lyon, Éditions Parangon

PARK R. E. (2008 [1923,1940]), « Histoire naturelle de la presse » et « Les nouvelles comme formesde connaissance », dans Le Journaliste et le sociologue (présentation par MUHLMANN G. & E. PLENEL),Paris, Éditions du Seuil/Presses de Sciences Po.

PEIRCE C. S. (1978), Écrits sur le signe, textes assemblés traduits et commentés par DELEDALLE G., Paris,Éditions du Seuil.

PHARO P. (1985), Le Civisme ordinaire, Paris, Éditions Méridiens-Klincksieck.

QUÉRÉ L. & D. BREZGER (1992), « L’étrangeté mutuelle des passants. Le mode de coexistence du publicurbain », Espaces publics en ville. Les Annales de la recherche urbaine, n° 57-58, pp. 89-100.

QUÉRÉ L. (2002). « La structure de l’expérience publique d’un point de vue pragmatiste », dans CEFAÏD. & I. JOSEPH (dir.), L’Héritage du pragmatisme. Conflits d’urbanité et épreuves de civisme, La Tourd’Aigues, Éditions de l’Aube.

RELIEU M. & C. TERZI (2003), « Les politiques ordinaires de la vie urbaine. L’organisation de l’expériencepublique de la ville », dans CEFAÏ D. & D. PASQUIER (dir.), Les Sens du public. Publics politiques, publicsmédiatiques, Paris, Presses universitaires de France, pp. 373-397.

SENNETT R. (1979 [1977]), Les Tyrannies de l’intimité, Paris, Éditions du Seuil.

SIMMEL G. (1981 [1912]), Sociologie et épistémologie, Paris, Presses universitaires de France.

SIMMEL G. (1984 [1912]), « Métropoles et mentalités » et « Digressions sur l’étranger », dans GRAFMEYERY. & I. JOSEPH (dir.), L’École de Chicago. Naissance de l’écologie urbaine, Paris, Éditions Aubier.

TALPIN J. (2010), « Ces moments qui façonnent les hommes. Éléments pour une approche pragmatiquede la compétence politique », Revue française de science politique, vol. 60, n° 1 pp. 91-115.

TARDE G. (1989), L’Opinion et la foule, Paris, Presses universitaires de France.

TASSIN É. (1992), «  Espace commun ou espace public  ? L’antagonisme de la communauté et de lapublicité », Hermès, n° 10, pp. 23-37.

TAVORY I. (2011), «  À la vue d’une kippa. Une phénoménologie des attentes d’interaction dans unquartier juif orthodoxe de Los Angeles », dans BERGER M., CEFAÏ D. & C. GAYET-VIAUD (dir.), Du Civilau politique. Ethnographies du vivre-ensemble. Bruxelles, Éditions Peter Lang, pp. 55-76.

THIN D. (2006), « Comprendre le désordre scolaire dans les collèges de quartiers populaires », Apprendreet enseigner en « milieux difficiles », Paris, Éditions de l’INRP.

WATSON R. (1995), « Angoisse sur la 42e rue », dans OGIEN R. & P. PAPERMAN (dir.), La Couleur despensées. Sentiments, émotions, intentions, Paris, Éditions de l’EHESS, série « Raisons pratiques » 6,pp. 197-218.

Notes

1 On entend par là la capacité, essentielle à l’exercice public de la raison, à s’extraire de son seul pointde vue particulier, à se représenter les choses et les situations d’un point de vue supérieur, dépassionné,général, « élargi » (pour reprendre la formule de Hannah Arendt commentant Emmanuel Kant), digned’être soumis à la critique et au dialogue avec les autres, parce que conçu pour lui, pensé dans le soucides points de vue des autres et avec pour horizon régulateur, l’instauration d’un accord avec eux : « Aulieu de juger les situations d’un point de vue particulier ou de corps opposé à d’autres corps, le citoyenanimé d’esprit public jugeait d’un point de vue universaliste. À la différence d’un jugement réservé au

Page 19: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 19

SociologieS

for intérieur, il impliquait naturellement à la fois un débat avec soi-même et une mise à l’épreuve dupublic. » (Cottereau, 1992, p. 255.)2 Cette « indifférence » est une forme de civilité reposant sur une inattention feinte : chacun fait mine dene pas voir les autres tout en les regardant, marquant ainsi son souci de ne pas empiéter sur leur espacepersonnel (Joseph, 1984 ; Sennett, 1979).3 Pour une discussion des présupposés politiques et anthropologiques de la définition « goffmanienne »du public, voir Gayet-Viaud (2013). Pour une discussion de cette prémisse que partagent la philosophiepolitique et la sociologie, et qui consiste à opposer une version « sociale » et mondaine du public à uneversion authentiquement politique, voir Berger & Gayet-Viaud (2011) et Gayet-Viaud (à paraître).4 En refusant de céder sa place dans un bus à un passager blanc, en décembre 1955 et en initiant leboycott des bus de la ville de Montgomery, elle fut à l’origine du mouvement pour les droits civiquesdes Noirs américains.5 À la suite de Hans Joas (2002) et Isaac Joseph (2007a), nous considérons que la sociologie de Chicago,de Robert E. Park à Anselm Strauss, Howard Becker et Katz, en passant par Everett C. Hughes etErving Jack Goffman, est fortement héritière de la tradition pragmatiste américaine. Bien que ces auteursn’aient pas toujours explicité cette filiation, ils développent et font travailler en sociologie des notions etdes intuitions développées initialement par les philosophes pragmatistes américains en rupture avec lesmanières antérieures, par trop intellectualistes, de penser le monde.6 Sur les réticences à verbaliser ses remontrances lors d’interactions tendues entre inconnus en ville, voirGayet-Viaud (2008b).7 Ainsi, la peur suscitée par un quartier de New-York étudiée par Rod Watson (1995), à la croisée d’unesociologie des émotions et d’une sociologie des espaces publics urbains.8 Cette observation classique préside à bien des enquêtes sur les entrepreneurs de cause. Comme il a déjàété souligné (Cefaï, 2007 ; Cefaï & Trom, 2002), ces enquêtes, qui centrent l’attention sur la sélection decauses par de futurs militants, déploient des approches souvent instrumentales et stratégiques de l’intérêtet de l’engagement. Mais une entrée par la seule étude des milieux et des processus de socialisation nesuffit pas non plus, qui ne considère qu’une action échue et au fond déjà jouée. On peut toujours identifierune règle après coup pour expliquer un comportement et l’examen a posteriori des dispositions à agirfournit en ce sens toute une panoplie d’explications. Le contexte de l’action en temps réel n’importe plus.9 Sur la place de la curiosité, associée au thème de l’aventure, dans les traditions que nous mobilisons,voir Bidet & Boutet (2013).10 Le 115 est un service départementalisé d’écoute et d’orientation téléphonique, destiné aux « sansdomicile fixe ». Il peut être actionné par n’importe qui pour signaler la présence d’une personne dansl’espace public et entraîner la dépêche d’une équipe mobile sur les lieux.11 Un axe d’enquête complémentaire consiste à saisir tout aussi minutieusement comment l’on parvientà ne pas voir ou à feindre d’ignorer un problème, à s’en détourner, à s’en dessaisir, sans préjuger que cesoit une affaire d’indifférence ou d’apathie. Nina Eliasoph a montré que l’évitement du politique requierttout autant que l’engagement des appuis pragmatiques divers et nombreux (Eliasoph, 2003, 2010).12 Il ne s’agit pas de trancher une fois pour toutes entre les possibilités démocratiques et les risquesliberticides de l’intervention, mais bien au contraire d’en analyser les ambivalences et de saisir la façondont les personnes prennent en charge ces risques et leur tension  : le retrait apathique d’une part,l’ingérence intolérante d’autre part.13 On pense ainsi au caractère étonnamment déflationniste des justifications données par les Justes ayantaccueilli et caché des enfants ou des familles juives sous l’Occupation nazie : il n’était pas possible dene pas le faire.14 Comme le rappelait Isaac Joseph : « Dans l’espace public il faut parler parler parler… » (Joseph, 1984)15 La formation des opinions et les épreuves de leur manifestation peuvent en effet être vues commeun seul et même phénomène, que ne circonscrit pas une topographie ni une temporalité particulières(Dewey, 2011a).16 Patrick Pharo va jusqu’à voir dans le civisme ordinaire et ses épreuves, des lieux et des formesgénétiques de l’éthique et du droit. L’existence de la clause de non-assistance à personne en danger, loind’orienter mécaniquement les comportements, montrerait ainsi plutôt la force dans nos sociétés de cetidéal dans le côtoiement public – elle serait un produit, plutôt qu’un ressort, de notre morale publique(Pharo, 1985).

Pour citer cet article

Référence électronique

Page 20: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 20

SociologieS

Alexandra Bidet, Manuel Boutet, Frédérique Chave, Carole Gayet-Viaud et Erwan Le Méner,« Publicité, sollicitation, intervention », SociologieS [En ligne], Dossiers, Pragmatisme et sciencessociales : explorations, enquêtes, expérimentations, mis en ligne le 23 février 2015, consulté le 24février 2015. URL : http://sociologies.revues.org/4941

À propos des auteurs

Alexandra BidetChargée de recherche au CNRS, Centre Maurice Halbwachs, Paris (France) - [email protected] BoutetMaître de conférences à l'Université de Nice Sophia-Antipolis (France) – [email protected]édérique ChaveCNAF, Paris (France) - [email protected] Gayet-ViaudChargée de recherche au CNRS, CESDIP, Paris (France) - [email protected] Le MénerDoctorant, agrégé de sciences sociales, responsable des sciences sociales à l’Observatoire du Samusocial - [email protected]

Résumés

 Cet article interroge les apports possibles du pragmatisme à une ethnographie de la citoyenneté,à côté de l’étude classique des mobilisations collectives, du vote ou des problèmes publics.Prenant au sérieux l’idée de la démocratie comme mode de vie, l’enquête consiste à saisir laformation de la culture et de la capacité d’agir politique depuis les expériences ordinaires de lacoexistence. L’attention se porte sur des actions, apparemment mineures, témoignant d’un senspolitique, visant le monde en tant qu’il est commun. Appliquée aux espaces publics urbains,cette démarche conduit à identifier ce qui trouble et sollicite les personnes au gré de leursdéplacements et à examiner la transformation éventuelle de ces sollicitations en interventions. Publicizing, challenges, interventions. For a pragmatist study of citizen experienceThis paper looks at the contribution pragmatism can make to an ethnography of citizenship,alongside more classic studies of collective mobilization, the vote or public issues. By takingseriously the idea of democracy as a way of life, the study aims to apprehend the way cultureand political agency are formed from the everyday experiences of coexistence. Attention isgiven to seemingly insignificant actions that reveal a sense of the political in envisaging theworld as common to all. When applied to public urban spaces, this approach makes it possibleto identify the things that disturb or challenge people as they move around, and to examinehow these challenges might translate into active intervention. Publicidad, solicitación intervención. Elementos para un análisis pragmático de laexperiencia ciudadanaEste artículo cuestiona las aportaciones posibles del pragmatismo en la etnografía de laciudadanía de manera paralela al análisis tradicional de las movilizaciones colectivas, delvoto o de los problemas de la ciudadanía. Tomando en serio la idea de la democracia comomanera de existir, la encuesta consiste en localizar la formación de la cultura y de la capacidadde la acción política a partir de las experiencias banales de coexistencia. El interés estácentrado en las actuaciones, aparentemente nimias que son el testimonio de una finalidadpolítica, dentro de una visión del mundo general. Aplicada a los espacios públicos urbanoseste encaminamiento implica el identificar lo que dificulta y lo que solicita a los ciudadanos enfunción de sus desplazamientos y a examinar la transformación eventual de esas solicitacionesen intervenciones.

Entrées d’index

Page 21: Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne

Publicité, sollicitation, intervention 21

SociologieS

Mots-clés : pragmatisme, civilité, citoyenneté, politique, espace public, engagement,expérience, ville