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Project Gutenberg's Mémoires d'Outre-Tombe, by François ...

Jun 17, 2022

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ProjectGutenberg'sMémoiresd'Outre-Tombe,byFrançois-RenéChateaubriand

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Title:Mémoiresd'Outre-Tombe

TomeV

Author:François-RenéChateaubriand

Editor:EdmondBiré

ReleaseDate:May22,2009[EBook#28930]

Language:French

***STARTOFTHISPROJECTGUTENBERGEBOOKMÉMOIRESD'OUTRE-TOMBE***

ProducedbyMireilleHarmelin,ChristineP.TraversGallica

-BibliothèqueNationaledeFranceandtheOnline

DistributedProofreadingTeamathttp://www.pgdp.net(This

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bytheBibliothèquenationaledeFrance(BnF/Gallica)at

http://gallica.bnf.fr)

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CHATEAUBRIAND

MÉMOIRESD'OUTRE-TOMBE

NOUVELLEÉDITIONAvecuneIntroduction,desNotesetdesAppendices

PAREdmondBIRÉ

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TOMEV

PARISLIBRAIRIEGARNIERFRÈRES6,RUEDESSAINTS-PÈRES

KRAUSREPRINTNendeln/Liechtenstein

1975

ReprintedbypermissionoftheoriginalpublishersKRAUSREPRINT

ADivisionofKRAUS-THOMSONORGANIZATIONLIMITED

Nendeln/Liechtenstein1975

PrintedinGermanyLessingdruckereiWiesbaden

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MÉMOIRES

LIVREXIIAmbassade de Rome. — Trois espèces de matériaux. — Journal deroute.—LettresàmadameRécamier.—LéonXIIetlescardinaux.—Les ambassadeurs.—Les anciens artistes et les artistes nouveaux.—AncienneSociétéromaine.—MœursactuellesdeRome.—Leslieuxetle paysage. — Lettre à M. Villemain. — À madame Récamier. —Explicationsurlemémoirequ'onvalire.—LettreàM.lecomtedelaFerronnays.—Mémoire.—ÀmadameRécamier.—Àlamême.—ÀmadameRécamier.—ÀM.Thierry.—Dépêche àM. le comtede laFerronnays.—ÀmadameRécamier.—Àlamême.—DépêcheàM.lecomtePortalis.—MortdeLéonXII.—DépêcheàM.lacomtePortalis.—ÀmadameRécamier.

Le livre précédent, que je viens d'écrire en 1839, rejoint ce livre de monambassade de Rome, écrit en 1828 et 1829, il y a dix ans[1].MesMémoires,commeMémoires, ont gagné au récit de laviedemadameRécamier: d'autrespersonnagesontétéamenéssurlascène;onavuNaplessousMurat,RomesousBonaparte,lePapedélivrérevenuàSaint-Pierre;deslettresinéditesdemadamedeStaël,deBenjaminConstant,deCanova,deLaHarpe,demadamedeGenlis,deLucienBonaparte,deMoreau,deBernadotte,deMurat,sontconservées;desrécitsdeBenjaminConstant lemontrentsousunjournouveau.J'ai introduit lelecteur dans un petit canton détourné de l'empire, tandis que cet empireaccomplissaitsonmouvementuniversel;jemetrouvemaintenantconduitàmonambassade de Rome. On aura été délassé demoi par la distraction d'un sujetétranger:c'esttoutprofitpourlelecteur.

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PourcelivredemonambassadedeRome,lesmatériauxontabondé;ilssontdetroissortes:

Les premiers contiennent l'histoire demes sentiments intimes et dema vieprivéeracontéedansleslettresadresséesàmadameRécamier.

Lessecondsexposentmaviepublique;cesontmesdépêches.

Les troisièmes sont un mélange de détails historiques sur les papes, surl'ancienne société de Rome, sur les changements arrivés de siècles en sièclesdanscettesociété,etc.

Parmices investigationsse trouventdespenséesetdesdescriptions, fruitdemespromenades.Tout cela a été écrit dans l'espacede septmois, tempsde ladurée demon ambassade, aumilieu des fêtes ou des occupations sérieuses[2].Néanmoins,masantéétaitaltérée:jenepouvaisleverlesyeuxsanséprouverdeséblouissements;pouradmirerleciel,j'étaisobligédeleplacerautourdemoi,enmontantauhautd'unpalaisoud'unecolline.Maisjeguérislalassitudeducorpspar l'application de l'esprit: l'exercice de ma pensée renouvelle mes forcesphysiques;cequitueraitunautrehommemefaitvivre.

Au revu de tout cela, une chose m'a frappé: à mon arrivée dans la villeéternelle, je sens une certaine déplaisance, et je crois unmoment que tout estchangé;peuàpeulafièvredesruinesmegagne,etjefinis,commemilleautresvoyageurs, par adorer ce qui m'avait laissé froid d'abord. La nostalgie est leregretdupaysnatal:auxrivesduTibreonaaussilemaldupays,maisilproduituneffetopposéàsoneffetaccoutumé:onestsaisidel'amourdessolitudesetdudégoûtdelapatrie.J'avaisdéjàéprouvécemallorsdemonpremierséjour,etj'aipudire:

Agnoscoveterisvestigiaflammæ[3].

Vous savez qu'à la formation duministèreMartignac le seul nomde l'Italieavaitfaitdisparaîtrelerestedemesrépugnances;maisjenesuisjamaissûrdemesdispositionsenmatièredejoie:jenefuspasplustôtpartiavecmadamedeChateaubriandquematristessenaturellemerejoignitenchemin.Vousallezvousenconvaincreparmonjournalderoute:

«Lausanne,22septembre1828.

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«J'aiquittéParisle14decemois;j'aipasséle16àVilleneuve-sur-Yonne[4]:quedesouvenirs!Joubertadisparu;lechâteauabandonnédePassyachangédemaître;ilm'aétédit:«Soyezlacigaledesnuits.Estocicadanoctium.»

«Arona,25septembre.

«Arrivé à Lausanne le 22, j'ai suivi la route par laquelle ont disparu deuxautresfemmesquim'avaientvouludubienetqui,dansl'ordredelanature,medevaient survivre: l'une, madame la marquise de Custine, est venue mourir àBex;l'autre,madameladuchessedeDuras,iln'yapasencoreunan,couraitauSimplon,fuyantdevantlamortquil'atteignitàNice[5].

NobleClara,digneetconstanteamie,Tonsouvenirnevitplusenceslieux;Decetombeaul'ondétournelesyeux;Tonnoms'effaceetlemondet'oublie!

«Ledernierbilletquej'aireçudemadamedeDurasfaitsentirl'amertumedecettedernièregouttedelaviequ'ilnousfaudratousépuiser:

«Nice,14novembre1828

«Jevousaienvoyéunasclepiascarnata:c'estunlauriergrimpantdepleineterrequinecraintpaslefroidetquiaunefleurrougecommelecamélia,quisentexcellent;mettez-lesouslesfenêtresdelaBibliothèqueduBénédictin.

«Jevousdiraiunmotdemesnouvelles:c'esttoujourslamêmechose;jelanguissurmoncanapétoutelajournée,c'est-à-diretoutletempsoùjenesuispasenvoitureouàmarcherdehors;cequejenepuisfaireaudelàd'unedemi-heure.Jerêveaupassé;mavieaétésiagitée,sivariée,que je ne puis dire que j'éprouve un violent ennui: si je pouvaisseulement coudre ou faire de la tapisserie, je ne me trouverais pasmalheureuse.Mavieprésenteestsiéloignéedemaviepassée,qu'ilmesemblequejelisdesmémoires,ouquejeregardeunspectacle[6].»

«Ainsijesuisrentrédansl'Italieprivédemesappuis,commej'ensortisilya

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vingt-cinq ans.Mais, à cette première époque, je pouvais réparer mes pertes;aujourd'huiquivoudraits'associeràquelquesvieuxjours?Personnenesesoucied'habiteruneruine.

«Au village même du Simplon, j'ai vu le premier sourire d'une heureuseaurore.Lesrochers,dontlabases'étendaitnoircieàmespieds,resplendissaientde rose au haut de lamontagne, frappés des rayons du soleil. Pour sortir desténèbres,ilsuffitdes'éleverversleciel.

«Si l'Italie avait déjà perdu pour moi de son éclat lors de mon voyage àVéroneen1822,danscetteannée1828ellem'aparuencoreplusdécolorée;j'aimesuré les progrès du temps. Appuyé sur le balcon de l'auberge à Arona, jeregardaislesrivagesdulacMajeur,peintsdel'orducouchantetbordésdeflotsd'azur. Rien n'était doux comme ce paysage, que le château bordait de sescréneaux. Ce spectacle ne me portait ni plaisir ni sentiment. Les annéesprintanièresmarient à ce qu'elles voient leurs espérances; un jeune hommevaerrantaveccequ'ilaime,ouaveclessouvenirsdubonheurabsent.S'iln'aaucunlien,ilencherche;ilseflatteàchaquepasdetrouverquelquechose;despenséesdefélicitélesuivent:cettedispositiondesonâmeseréfléchitsurlesobjets.

«Au surplus, je m'aperçois moins du rapetissement de la société actuellelorsquejemetrouveseul.LaisséàlasolitudedanslaquelleBonapartealaissélemonde,j'entendsàpeinelesgénérationsdébilesquipassentetvagissentauborddudésert.»

«Bologne,28septembre1828.

«ÀMilan, enmoins d'un quart d'heure, j'ai compté dix-sept bossus passantsouslafenêtredemonauberge.LaschlagueallemandeadéformélajeuneItalie.

«J'aivudanssonsépulcresaintCharlesBorroméedontjevenaisdetoucherlacrècheàArona.Ilcomptaitdeuxcentquarante-quatreannéesdemort.Iln'étaitpasbeau.

«À Borgo San Donnino, madame de Chateaubriand est accourue dans machambreaumilieudelanuit:elleavaitvutombersesrobesetsonchapeaudepailledeschaisesoùilsétaientsuspendus.Elleenavaitconcluquenousétionsdans une auberge hantée des esprits ou habitée par des voleurs. Je n'avaiséprouvéaucunecommotiondansmonlit:ilétaitpourtantvraiqu'untremblement

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de terre s'était fait sentir dans l'Apennin: ce qui renverse les cités peut fairetomber les vêtements d'une femme. C'est ce que j'ai dit à madame deChateaubriand;jeluiaiditaussiquej'avaistraversésansaccident,enEspagne,danslaVegaduXenil,unvillageculbutélaveilleparunesecoussesouterraine.Ceshautes consolationsn'ont pas eu lemoindre succès, et nousnous sommesempressésdequittercettecaverned'assassins.

«La suite de ma course m'a montré partout la fuite des hommes etl'inconstance des fortunes. À Parme, j'ai trouvé le portrait de la veuve deNapoléon; cette fille des Césars est maintenant la femme du comte deNeipperg[7];cettemèredufilsduconquérantadonnédesfrèresàcefils[8]:ellefait garantir les dettes qu'elle entasse par un petit Bourbon qui demeure àLucques,etquidoit,s'ilyalieu,hériterduduchédeParme[9].

«Bolognemesemblemoinsdésertqu'àl'époquedemonpremiervoyage.J'yaiétéreçuavecleshonneursdontonassommelesambassadeurs.J'aivisitéunbeaucimetière:jen'oubliejamaislesmorts;c'estnotrefamille.

«Je n'avais jamais si bien admiré les Carrache qu'à la nouvelle galerie deBologne.J'aicruvoirlasainteCéciledeRaphaëlpourlapremièrefois,tantelleétaitplusdivinequ'auLouvre,sousnotrecielbarbouillédesuie.»

«Ravenne,1eroctobre1828.

«Dans laRomagne,paysque jeneconnaissaispas,unemultitudedevilles,avecleursmaisonsenduitesd'unechauxdemarbre,sontperchéessurlehautdediversespetitesmontagnes,commedescompagniesdepigeonsblancs.Chacunede ces villes offre quelques chefs-d'œuvre des arts modernes ou quelquesmonumentsdel'antiquité.Cecantondel'Italierenfermetoutel'histoireromaine;ilfaudraitleparcourirTite-Live,TaciteetSuétoneàlamain.

«J'aitraverséImola,évêchédePieVII,etFaenza.ÀForlijemesuisdétournéde ma route pour visiter à Ravenne le tombeau de Dante. En approchant dumonument, j'ai été saisi de ce frisson d'admiration que donne une granderenommée, quand lemaître de cette renommée a étémalheureux. Alfieri, quiavaitsurlefrontilpallordellamorteelasperanza,seprosternasurcemarbreetluiadressacesonnet:OgranPadreAlighier!Devantletombeaujem'appliquaisceversduPurgatoire:

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. . . . . . . . . . Frate,Lomondoècieco,etuvienbendalui[10].

«Béatricem'apparaissait; je la voyais telle qu'elle était lorsqu'elle inspirait àsonpoèteledésirdesoupireretdemourirdepleurs:

Disospirare,edimorirdipianto.

«Ômapieusechanson,ditlepèredesmusesmodernes,vapleurantàprésent!varetrouverlesfemmesetlesjeunesfillesàquitessœursavaientaccoutumédeporter la joie! Et toi, qui es fille de la tristesse, va-t-en, inconsolée, demeureravecBéatrice.»

«Etpourtantlecréateurd'unnouveaumondedepoésieoubliaBéatricequandelleeutquittélaterre!ilnelaretrouva,pourl'adorerdanssongénie,quequandilfutdétrompé.Béatriceluienfaitlereproche,lorsqu'elleseprépareàmontrerlecielàsonamant:«Jel'aisoutenu(Dante),dit-elleauxpuissancesduparadis,jel'aisoutenuquelquetempsparmonvisageetmesyeuxd'enfant;maisquandjefussur leseuildemonsecondâgeetquejechangeaidevie, ilmequittaetsedonnaàd'autres.»

«Danterefusaderentrerdanssapatrieauprixd'unpardon.Ilréponditàl'undesesparents:«SipourretourneràFlorenceiln'estd'autrecheminqueceluiquim'estouvert, jen'yretourneraipoint.Jepuispartoutcontemplerlesastresetlesoleil.» Dante dénia ses jours aux Florentins, et Ravenne leur a dénié sescendres,alorsmêmequeMichel-Ange,génieressuscitédupoète,sepromettaitdedécoreràFlorencelemonumentfunèbredeceluiquiavaitappriscomel'uoms'eterna[11].

«Le peintre du Jugement dernier, le sculpteur deMoïse, l'architecte de laCoupoledeSaint-Pierre, l'ingénieurduvieuxbastiondeFlorence, lepoètedesSonnetsadressésàDante,sejoignitàsescompatriotesetappuyadecesmotslarequêtequ'ilsprésentèrentàLéonX:«IoMichelAgnolo,scultore,ilmedesimoaVostra Santità supplico, offerendomi al divin poeta fare la sepoltura suacondecenteeinlocoonorevoleinquestacittà.»

«Michel-Ange,dontleciseaufuttrompédanssonespérance,eutrecoursàsoncrayon pour élever à cet autre lui-même un autre mausolée. Il dessina lesprincipauxsujetsdelaDivinaCommediasurlesmargesd'unexemplairein-foliodesœuvresdugrandpoète;unnavire,quiportaitdeLivourneàCitiva-Vecchia

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cedoublemonument,fitnaufrage.

«Jem'en revenais tout émuet ressentant quelque chosede cette commotionmêléed'uneterreurdivinequej'éprouvaiàJérusalem,lorsquemonciceronem'aproposédemeconduireàlamaisondelordByron.Eh!quemefaisaientChilde-HaroldetlasignoraGiucciolienprésencedeDanteetdeBéatrice!LemalheuretlessièclesmanquentencoreàChilde-Harold;qu'ilattendel'avenir.ByronaétémalinspirédanssaprophétiedeDante.

«J'airetrouvéConstantinopleàSaint-VitaletàSaint-Apollinaire[12].Honoriusetsapoulenem'importaientguère;j'aimemieuxPlacidieetsesaventures,dontlesouvenirmerevenaitdanslabasiliquedeSaint-Jean-Baptiste;c'est leromanchezlesbarbares[13].Théodoricrestegrand,bienqu'ilaitfaitmourirBoèce.CesGothsétaientd'uneracesupérieure;Amalasonte,banniedansuneîledulacdeBolsène,s'efforça,avecsonministreCassiodore,deconservercequirestaitdelacivilisationromaine.LesExarquesapportèrentàRavenneladécadencede leurempire.Ravenne fut lombarde sousAstolphe; lesCarlovingiens la rendirent àRome.Elledevintsujettedesonarchevêque,puisellesechangeaderépubliqueentyrannie,finalement,aprèsavoirétéguelfeougibeline;aprèsavoirfaitpartiedesÉtatsvénitiens, elle est retournée à l'Église sous lepape Jules II, et nevitplusaujourd'huiqueparlenomdeDante.

«Cette ville, queRome enfanta dans son âge avancé, eut, dès sa naissance,quelque chose de la vieillesse de samère.À tout prendre, je vivrais bien ici;j'aimeraisàalleràlacolonnedesFrançais,élevéeenmémoiredelabatailledeRavenne[14].LàsetrouvèrentlecardinaldeMédicis(LéonX)etArioste,BayardetLautrec,frèredelacomtessedeChateaubriand[15].Làfuttuéàl'âgedevingt-quatre ans le beau Gaston de Foix: «Nonobstant toute l'artillerie tirée par lesEspagnols, lesFrançoismarchoient toujours,dit leLoyalserviteur; depuis queDieucréacieletterre,nefutunpluscruelneplusdurassautentreFrançoisetEspagnols.Ilssereposoientlesunsdevantlesautrespourreprendreleurhaleine;puis, baissant la vue, ils recommençoient de plus belle en criant: France etEspagne!» Il ne resta de tant de guerriers que quelques chevaliers, qui alorsaffranchisdelagloireendossèrentlefroc.

«Onvoyaitaussidansquelquechaumièreunejeunefillequi,entournantsonfuseau, embarrassait ses doigts délicats dans du chanvre; elle n'avait pasl'habituded'unepareillevie:c'étaituneTrivulce.Quand,àtraverssaporteentre-baillée,ellevoyaitdeuxlamesserejoindredansl'étenduedesflots,ellesentaitsa

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tristesses'accroître:cette femmeavaitétéaiméed'ungrandroi.Ellecontinuaitd'allertristement,paruncheminisolé,desachaumièreàuneégliseabandonnéeetdecetteégliseàsachaumière.

«L'antique forêt que je traversais était composée de pins esseulés; ilsressemblaientàdesmâtsdegalèresengravéesdanslesable.LesoleilétaitprèsdesecoucherlorsquejequittaiRavenne;j'entendislesonlointaind'uneclochequitintait:elleappelaitlesfidèlesàlaprière.»

«Ancône,3et4octobre.

«Revenu à Forli, je l'ai quitté de nouveau sans avoir vu sur ses rempartscroulants l'endroitd'où laduchesseCatherineSforze[16] déclara à ses ennemis,prêts à égorger son filsunique,qu'ellepouvait encoreêtremère.PieVII,néàCésène,futmoinedansl'admirablecouventdelaMadonadelMonte.

«Je traversaiprèsdeSavignano la ravined'unpetit torrent:quandonmeditque j'avais passé le Rubicon, il me sembla qu'un voile se levait et quej'apercevaislaterredutempsdeCésar.MonRubicon,àmoi,c'estlavie:depuislongtempsj'enaifranchilepremierbord.

«ÀRimini, jen'ai rencontréniFrançoise,ni l'autreombresacompagne,quiauventsemblaientsilégères:

Epaionsialventoesserleggieri[17].

«Rimini,Pesaro,Fano,Sinigaglia,m'ontamenéàAncônesurdespontsetsurdescheminslaissésparlesAugustes.DansAncôneoncélèbreaujourd'huilafêtedupape;j'enentendslamusiqueàl'arctriomphaldeTrajan:doublesouverainetédelavilleéternelle.»

«Lorette,5et6octobre.

«Nous sommes venus coucher à Lorette. Le territoire offre un spécimenparfaitement conservé de la colonie romaine. Les paysans fermiers deNotre-Dame sont dans l'aisance et paraissent heureux; les paysannes, belles et gaies,portent une fleur à leur chevelure. Le prélat-gouverneur nous a donnél'hospitalité.Du haut des clochers et du sommet de quelques éminences de la

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ville,onadesperspectivesriantessurlescampagnes,surAncôneetsurlamer.Lesoirnousavonseuunetempête.Jemeplaisaisàvoirlavalentiamuralisetlafumeterre des chèvres s'incliner au vent sur les vieuxmurs. Jeme promenaissous les galeries à double étage, élevées d'après les dessins deBramante.Cespavés seront battus des pluies de l'automne, ces brins d'herbe frémiront ausouffledel'Adriatiquelongtempsaprèsquej'auraipassé.

«À minuit j'étais retiré dans un lit de huit pieds carrés, consacré parBonaparte;uneveilleuseéclairaitàpeinelanuitdemachambre;toutàcoupunepetiteportes'ouvre,etjevoisentrermystérieusementunhommemenantavecluiunefemmevoilée.Jemesoulèvesurlecoudeetleregarde;ils'approchedemonlitetsehâte,ensecourbantjusqu'àterre,demefairemilleexcusesdetroublerainsilereposdeM.l'ambassadeur:maisilestveuf;ilestunpauvreintendant;ildésiremariersaragazza, ici présente:malheureusement il luimanquequelquechose pour la dot. Il relève le voile de l'orpheline: elle était pâle, très jolie ettenait lesyeuxbaissésavecunemodestieconvenable.Cepèredefamilleavaitl'air de vouloir s'en aller et laisser la fiancéem'achever son histoire. Dans cepressantdanger,jenedemandaipointàl'obligeantinfortuné,commedemandalebon chevalier à lamère de la jeune fille deGrenoble, si elle était vierge; toutébouriffé,jeprisquelquespiècesd'orsurlatableprèsdemonlit;jelesdonnai,pour faire honneur au roimonmaître, à la zitella, dont les yeux n'étaient pasenflés à force d'avoir pleuré. Elle me baisa la main avec une reconnaissanceinfinie. Je ne prononçai pas un mot, et, retombant sur mon immense couchecommesijevoulaisdormir,lavisiondesaintAntoinedisparut.JeremerciaimonpatronsaintFrançoisdontc'étaitlafête;jerestaidanslesténèbresmoitiériant,moitiéregrettant,etdansuneadmirationprofondedemesvertus.

«C'étaitpourtantainsiquejesemaisl'or,quej'étaisambassadeur,hébergéentoutepompechez legouverneurdeLorette,danscettemêmevilleoù leTasseétait logé dans unmauvais bouge et où, faute d'un peu d'argent, il ne pouvaitcontinuersaroute.IlpayasadetteàNotre-DamedeLoretteparsacanzone:

Eccofraletempesteeifieriventi.

«MadamedeChateaubriandfitamendehonorabledemapassagèrefortune,enmontant à genoux les degrés de la santaChiesa.Aprèsmavictoire de la nuit,j'aurais eu plus de droit que le roi deSaxe de déposermonhabit de noces autrésor de Lorette; mais je ne me pardonnerai jamais, à moi chétif enfant desmuses,d'avoirétésipuissantetsiheureux,làoùlechantredelaJérusalemavait

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été si faible et si misérable! Torquato, ne me prends pas dans ce momentextraordinaire de mes inconstantes prospérités; la richesse n'est pas monhabitude; vois-moi dans mon passage à Namur, dans mon grenier à Londres,dans mon infirmerie à Paris, afin de me trouver avec toi quelque lointaineressemblance.

«Jen'aipoint,commeMontaigne,laissémonportraitenargentàNotre-Dame-de-Lorette, ni celui de ma fille, Leonora Montana, filia unica; je n'ai jamaisdésirémesurvivre;maispourtantunefille,etquiporteraitlenomdeLéonore!»

«Spoleto.

«Après avoir quittéLorette, passéMacerata, laisséTolentinoquimarqueunpas de Bonaparte et rappelle un traité[18], j'ai gravi les derniers redans del'Apennin. Le plateau de la montagne est humide et cultivé comme unehoublonnière.ÀgaucheétaientlesmersdelaGrèce,àdroitecellesdel'Ibérie;jepouvais être pressé du souffle des brises que j'avais respirées à Athènes et àGrenade.Nous sommes descendus vers l'Ombrie en circulant dans les volutesdes gorges exfoliées, où sont suspendus dans des bouquets de bois lesdescendants de ces montagnards qui fournirent des soldats à Rome après labatailledeTrasimène.

«Foligno possédait une Vierge de Raphaël qui est aujourd'hui au Vatican.Vene, dans une position charmante, est à la source duClitumne.LePoussin areproduitcesitechaudetsuave;Byronl'afroidementchanté[19].

«Spoletoadonnélejouraupapeactuel.SelonmoncourrierGiorgini[20],LéonXII a placé dans cette ville les galériens pour honorer sa patrie. Spoleto osarésisteràAnnibal.EllemontreplusieursouvragesdeLippil'ancien,qui,nourridans le cloître, esclave en Barbarie, espèce de Cervantes chez les peintres,mourutàsoixanteanspassésdupoisonqueluidonnèrentlesparentsdeLucrèce,séduiteparlui,croyait-on.»

«CivitaCastellana.

«À Monte-Lupo, le comte Potocki s'ensevelit dans des laures charmantes;mais les pensées de Rome ne l'y suivirent-elles point? Ne se croyait-il pastransporté aumilieu des chœurs des jeunes filles? Etmoi aussi, comme saint

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Jérôme, «j'ai passé, dans mon temps, le jour et la nuit à pousser des cris, àfrappermapoitrinejusqu'aumomentoùDieumerenvoyaitlapaix.»Jeregrettedeneplusêtrecequej'aiété,plangomenonessequodfuerim.

Après avoir dépassé les ermitagesdeMonte-Lupo,nous avons commencéàcontournerlaSomma.J'avaisdéjàsuivicechemindansmonpremiervoyagedeFlorenceàRomeparPérouse,enaccompagnantunefemmemourante....

Àlanaturedela lumièreetàunesortedevivacitédupaysage, jemeseraiscru sur une des croupes des Alleghanis, n'était qu'un haut aqueduc, surmontéd'unpontétroit,merappelaitunouvragedeRomeauquellesducslombardsdeSpoleto avaient mis la main: les Américains n'en sont pas encore à cesmonumentsquiviennentaprès la liberté.J'aimonté laSommaàpied,prèsdesbœufs deClitumnequi traînaientmadame l'ambassadrice à son triomphe.Unejeunechevrièremaigre,légèreetgentillecommesabique,mesuivait,avecsonpetitfrère,danscesopulentescampagnes,enmedemandantlacarità:jelaluiaifaiteenmémoiredemadamedeBeaumontdontceslieuxnesesouviennentplus.

Alas!regardlessoftheirdoom,Thelittlevictimsplay!Nosensehavetheyofillstocome,Norcarebeyondto-day.

«Hélas!sanssoucideleurdestinée,folâtrent lespetitesvictimes!Ellesn'ontniprévisiondesmauxàvenir,nisoind'outre-journée[21].»

«J'ai retrouvé Terni et ses cascades. Une campagne plantée d'oliviers m'aconduitàNarni;puis,enpassantparOtricoli,noussommesvenusnousarrêteràla tristeCivitaCastellana.JevoudraisbienalleràSanta-MariadiFalleripourvoirunevillequin'aplusquelapeau,sonenceinte:àl'intérieurelleétaitvide:misèrehumaineàDieuramène.Laissonspassermesgrandeurset jereviendraichercherlavilledesFalisques.DutombeaudeNéron,jevaismontrerbientôtàmafemmelacroixdeSaint-PierrequidominelavilledesCésars.»

Vous venez de parcourirmon journal de route, vous allez liremes lettres àmadameRécamier,entremêlées,commejel'aiannoncé,depageshistoriques.

Parallèlement vous trouverez mes dépêches. Ici paraîtront distinctement lesdeuxhommesquiexistentenmoi.

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ÀMADAMERÉCAMIER.

«Rome,ce11octobre1828.

«J'ai traversé cette belle contrée, rempliedevotre souvenir; ilme consolait,sanspourtantm'ôterlatristessedetouslesautressouvenirsquejerencontraisàchaque pas. J'ai revu cettemerAdriatique que j'avais traversée il y a plus devingt ans, dans quelle disposition d'âme! À Terni, je m'étais arrêté avec unepauvre expirante. Enfin, je suis entré dansRome. Sesmonuments, après ceuxd'Athènes, comme je le craignais,m'ont parumoinsparfaits.Mamémoiredeslieux, étonnante et cruelle à la fois, ne m'avait pas laissé oublier une seulepierre....

«Jen'aivupersonneencore,exceptélesecrétaired'État,lecardinalBernetti.Pouravoiràquiparler,jesuisalléchercherGuérin[22],hieraucoucherdusoleil:ilaparucharmédemavisite.NousavonsouvertunefenêtresurRomeetadmirél'horizon.C'estlaseulechosequisoitrestée,pourmoi,tellequejel'aivue:mesyeuxoulesobjetsontchangé;peut-êtrelesunsetlesautres[23].»

LespremiersmomentsdemonséjouràRome furentemployésàdesvisitesofficielles.SaSaintetémereçutenaudienceprivée;lesaudiencespubliquesnesontplusd'usageetcoûtenttropcher.LéonXII[24],princed'unegrandetailleetd'un air à la fois serein et triste, est vêtu d'une simple soutane blanche; il n'aaucunfasteetsetientdansuncabinetpauvre,presquesansmeubles.Ilnemangepresquepas;ilvit,avecsonchat,d'unpeudepolenta[25].Ilsesaittrèsmaladeetse voit dépérir avec une résignation qui tient de la joie chrétienne: ilmettraitvolontiers, commeBenoîtXIV, soncercueil sous son lit.Arrivéà laportedesappartements du pape, un abbé me conduit par des corridors noirs jusqu'aurefuge ou au sanctuaire de Sa Sainteté. Elle ne se donne pas le temps des'habiller,depeurdemefaireattendre;elleselève,vientau-devantdemoi,nemepermetjamaisdemettreungenouenterrepourbaiserlebasdesarobeaulieudesamule,etmeconduitpar lamainjusqu'ausiègeplacéàdroitedesonindigentfauteuil.Assis,nouscausons.

Le lundi je me rends à sept heures du matin chez le secrétaire d'État,Bernetti[26],hommed'affairesetdeplaisir. Ilest liéavec laprincesseDoria; ilconnaîtlesiècleetn'aacceptélechapeaudecardinalqu'àsoncorpsdéfendant.Ilarefuséd'entrerdansl'Église,n'estsous-diacrequ'àbrevet,etsepourraitmarier

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demainenrendantsonchapeau.Ilcroitàdesrévolutionsetilvajusqu'àpenserque, si sa vie est longue, il a des chances de voir la chute temporelle de lapapauté.

Lescardinauxsontpartagésentroisfactions:

La première se compose de ceux qui cherchent àmarcher avec le temps etparmi lesquels se rangentBenvenuti etOppizzoni[27].Benvenuti[28] s'est renducélèbreparl'extirpationdubrigandageetsamissionàRavenneaprèslecardinalRivarola[29]; Oppizzoni, archevêque de Bologne, s'est concilié les diversesopinionsdanscettevilleindustrielleetlittéraire,difficileàgouverner.

Lasecondefactionseformedeszelanti,quitententderétrograder:undeleurschefsestlecardinalOdescalchi.

Enfin la troisième faction comprend les immobiles,vieillardsquineveulentou ne peuvent aller ni en avant ni en arrière: parmi ces vieux on trouve lecardinalVidoni,espècedegendarmedutraitédeTolentino:grosetgrand,visageallumé,calottede travers.Quandon luiditqu'il adeschancesà lapapauté, ilrépond:LosantoSpiritosarebbedunqueubriaco! IlplantedesarbresàPonte-Mole,oùConstantinfitlemondechrétien.JevoiscesarbreslorsquejesorsdeRomepar laporteduPeuplepour rentrerpar laporteAngélique.Duplus loinqu'ilm'aperçoit, le cardinalmecrie:Ah! ah! signor ambasciadore diFrancia!puis il s'emporte contre les planteurs de ses pins. Il ne suit point l'étiquettecardinaliste; il se fait accompagner par un seul laquais dans une voiture à saguise:onluipardonnetout,enl'appelantmadamaVidoni[30].

Mes collègues d'ambassade sont le comte Lutzow, ambassadeur d'Autriche,hommepoli;safemmechantebien,toujourslemêmeair,etparletoujoursdesespetitsenfants;lesavantbaronBunsen[31],ministredePrusseetamidel'historienNiebuhr[32] (jenégocieauprèsde lui la résiliationenmafaveurdubaildesonpalais sur leCapitole); leministredeRussie,princeGagarin[33],exilédans lesgrandeurs passées deRome, pour des amours évanouies: s'il fut préféré par labellemadameNarischkine[34],unmomenthabitantedemonermitaged'Aulnay,il y aurait donc un charme dans lamauvaise humeur; on domine plus par sesdéfautsqueparsesqualités.

M. de Labrador[35], ambassadeur d'Espagne, homme fidèle, parle peu, sepromèneseul,pensebeaucoup,ounepensepoint,cequejenesaisdémêler.

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Le vieux comte Fuscaldo représente Naples comme l'hiver représente leprintemps. Il a une grande pancarte de carton sur laquelle il étudie avec deslunettes, non les champs de roses de Pæstum, mais les noms des étrangerssuspects dont il ne doit pas viser les passe-ports. J'envie son palais (Farnèse),admirablestructureinachevée,queMichel-Angecouronna,quepeignitAnnibalCarrache aidé d'Augustin son frère, et sous le portique duquel s'abrite lesarcophagedeCeciliaMetella,quin'a rienperduauchangementdemausolée.Fuscaldo,enloquesd'espritetdecorps,a,dit-on,unemaîtresse.

Le comte de Celles, ambassadeur du roi des Pays-Bas, avait épousémademoiselledeValence[36], aujourd'huimorte: il enaeudeux filles,qui,parconséquent, sont petites-filles de madame de Genlis. M. de Celles est restépréfet, parce qu'il l'a été[37]; caractère mêlé du loquace, du tyranneau, durecruteuretde l'intendant,qu'onneperdjamais.Sivousrencontrezunhommequi,aulieud'arpents,detoisesetdepieds,vousparled'hectares,demètresetdedécimètres,vousavezmislamainsurunpréfet[38].

M. de Funchal, ambassadeur demi-avoué du Portugal, est ragotin, agité,grimacier, vert comme un singe du Brésil, et jaune comme une orange deLisbonne[39]: il chante pourtant sa négresse, ce nouveau Camoëns. Grandamateurdemusique, il tientàsasoldeuneespècedePaganini,enattendant larestaurationdesonroi.

Par-ci,par-là,j'aientrevudepetitsfinaudsdeministresdediverspetitsÉtats,toutscandalisésdubonmarchéquejefaisdemonambassade:leurimportanceboutonnée,gourmée,silencieuse,marchelesjambesserréesetàpasétroits:elleal'airprêteàcreverdesecrets,qu'elleignore.

Ambassadeur enAngleterredans l'année1822, je recherchai les lieux et leshommes que j'avais jadis connus à Londres en 1793; ambassadeur auprès duSaint-Siège en 1828, je me suis hâté de parcourir les palais et les ruines, deredemander les personnes que j'avais vues àRome en 1803: des palais et desruines,j'enairetrouvébeaucoup;despersonnes,peu.

LepalaisLancellotti,autrefoislouéaucardinalFesch,estmaintenantoccupépar ses vraismaîtres, le prince Lancellotti et la princesse Lancellotti, fille duprince Massimo. La maison où demeura madame de Beaumont, à la placed'Espagne,adisparu.QuantàmadamedeBeaumont,elleestdemeuréedansson

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dernierasile,etj'aipriéaveclepapeLéonXIIàsatombe.

Canovaapriségalementcongédumonde[40].Jelevisitaideuxfoisdanssonatelieren1803;ilmereçutlemailletàlamain.Ilmemontradel'airleplusnaïfet le plus doux son énorme statue deBonaparte et sonHercule lançant Lycasdans les flots: il tenait àvousconvaincrequ'ilpouvait arriver à l'énergiede laforme; mais alors même son ciseau se refusait à fouiller profondémentl'anatomie; lanymphe restaitmalgré luidans leschairs,et l'Hébése retrouvaitsouslesridesdesesvieillards.J'airencontrésurmaroutelepremiersculpteurdemon temps; il est tombé de son échafaud, comme Goujon de l'échafaud duLouvre; lamortest toujours làpourcontinuer laSaint-Barthélemyéternelle,etnousabattreavecsesflèches.

Maisquivitencore,àmagrandejoie,c'estmonvieuxBoguet[41],ledoyendespeintresfrançaisàRome.Deuxfoisilaessayédequittersescampagnesaimées;ilestalléjusqu'àGênes;lecœurluiafaillietilestrevenuàsesfoyersadoptifs.Jel'aichoyéàl'ambassade,ainsiquesonfils,pourlequelilalatendressed'unemère.J'airecommencéavecluinosanciennesexcursions;jenem'aperçoisdesavieillesse qu'à la lenteur de ses pas; j'éprouve une sorte d'attendrissement encontrefaisant le jeune, et en mesurant mes enjambées sur les siennes. Nousn'avonsplusnil'unnil'autrelongtempsàvoircoulerleTibre.

Les grands artistes, à leur grande époque, menaient une tout autre vie quecelle qu'ilsmènent aujourd'hui: attachés aux voûtes duVatican, aux parois deSaint-Pierre, aux murs de la Farnésine, ils travaillaient à leurs chefs-d'œuvresuspendus avec eux dans les airs. Raphaël marchait environné de ses élèves,escorté des cardinaux et des princes, comme un sénateur de l'ancienne Romesuivietdevancédesesclients.Charles-QuintposatroisfoisdevantleTitien.Ilramassait son pinceau et lui cédait la droite à la promenade, de même queFrançoisIerassistaitLéonarddeVincisursonlitdemort.TitienallaentriompheàRome;l'immenseBuonarottil'yreçut:àquatre-vingt-dix-neufans,Titientenaitencore d'une main ferme, à Venise, son pinceau d'un siècle, vainqueur dessiècles.

Legrand-ducdeToscanefitdéterrersecrètementMichel-Ange,mortàRomeaprèsavoirposé,àquatre-vingt-huitans, lefaîtede lacoupoledeSaint-Pierre.Florence, par des obsèques magnifiques, expia sur les cendres de son grandpeintrel'abandonoùelleavaitlaissélapoussièredeDante,songrandpoète.

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Velasquezvisitadeuxfoisl'Italie,etl'Italieselevadeuxfoispourlesaluer:leprécurseurdeMurilloreprit lechemindesEspagnes,chargédes fruitsdecetteHespérieausonienne,quis'étaientdétachéssoussamain:ilemportauntableaudechacundesdouzepeintreslespluscélèbresdecetteépoque.

Ces fameuxartistespassaient leurs joursdansdes aventures etdes fêtes; ilsdéfendaientlesvillesetleschâteaux;ilsélevaientdeséglises,despalaisetdesremparts; ils donnaient et recevaient de grands coups d'épée, séduisaient desfemmes, se réfugiaientdans lescloîtres, étaient absouspar lespapeset sauvésparlesprinces.DansuneorgiequeBenvenutoCelliniaracontée,onvoitfigurerlesnomsd'unMichel-AngeetdeJulesRomain.

Aujourd'hui lascèneestbienchangée; lesartistesàRomeviventpauvresetretirés. Peut-être y a-t-il dans cette vie une poésie qui vaut la première. Uneassociation de peintres allemands a entrepris de faire remonter la peinture auPérugin, pour lui rendre son inspiration chrétienne. Ces jeunes néophytes desaintLucprétendentqueRaphaël,danssasecondemanière,estdevenupaïen,etque son talent a dégénéré[42]. Soit; soyons païens comme les viergesraphaéliques;quenotretalentdégénèreets'affaiblissecommedansletableaudelaTransfiguration!Cette erreur honorable de la nouvelle école sacrée n'en estpasmoinsuneerreur;ils'ensuivraitquelaroideuretlemaldessinédesformesseraient la preuve de la vision intuitive, tandis que cette expression de foi,remarquable dans les ouvrages des peintres qui précèdent la Renaissance, nevientpointdecequelespersonnagessontposéscarrémentetimmobilescommedessphinx,maisdecequelapeinturecroyaitcommesonsiècle.C'estsapensée,non sa peinture, qui est religieuse; chose si vraie, que l'école espagnole estéminemment pieuse dans ses expressions, bien qu'elle ait les grâces et lesmouvementsdelapeinturedepuislaRenaissance.D'oùvientcela?decequelesEspagnolssontchrétiens.

Jevaisvoir travailler séparément lesartistes: l'élèvesculpteurdemeuredansquelquegrotte,sousleschênesvertsdelavillaMédicis,oùilachèvesonenfantdemarbrequifaitboireunserpentdansunecoquille.Lepeintrehabitequelquemaisondélabréedansunlieudésert;jeletrouveseul,prenantàtraverssafenêtreouvertequelquevuede la campagne romaine.LaBrigande deM. Schnetz estdevenuelamèrequidemandeàunemadonelaguérisondesonfils[43].LéopoldRobert[44], revenu deNaples, a passé ces jours derniers par Rome, emportantaveclui lesscènesenchantéesdecebeauclimat,qu'iln'afaitquecollersursatoile.

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Guérin est retiré, comme une colombemalade, au haut d'un pavillon de lavillaMédicis.—Ilécoute,latêtesoussonaile,lebruitduventduTibre;quandilseréveille,ildessineàlaplumelamortdePriam.

HoraceVernet[45]s'efforcedechangersamanière;yréussira-t-il?Leserpentqu'ilenlaceàsoncou,lecostumequ'ilaffecte,lecigarequ'ilfume,lesmasquesetlesfleuretsdontilestentouré,rappellenttroplebivouac.

Qui a jamais entendu parler demon amiM.Quecq, successeur de Jules IIIdanslecasindeMichel-Ange,deVignoleetdeThadéeZuccari?etpourtantilapeint pas trop mal, dans son nymphée en décret, la mort de Vitellius. Lesparterres en friche sont hantés par un animal futé que s'occupe à chasserM.Quecq: c'est un renard, arrière-petit-fils de Goupil-Renart, premier du nom etneveud'Ysengrin-le-Loup.

Pinelli[46],entredeuxivresses,m'apromisdouzescènesdedanses,dejeuxetdevoleurs.C'estdommagequ'illaissemourirdefaimsongrandchiencouchéàsaporte.—Thorwaldsen[47] etCamuccini[48] sont les deux princes des pauvresartistesdeRome.

Quelquefois ces artistes dispersés se réunissent, ils vont ensemble à pied àSubiaco.Cheminfaisant,ilsbarbouillentsurlesmursdel'aubergedeTivolidesgrotesques. Peut-être un jour reconnaîtra-t-on quelque Michel-Ange aucharbonnéqu'ilauratracésurunouvragedeRaphaël.

Je voudrais être né artiste: la solitude, l'indépendance, le soleil parmi desruinesetdeschefs-d'œuvre,meconviendraient.Jen'aiaucunbesoin;unmorceaudepain,unecruchedel'AquaFelice,mesuffiraient.Mavieaétémisérablementaccrochée aux buissons de ma route; heureux si j'avais été l'oiseau libre quichanteetfaitsonniddanscesbuissons!

Nicolas Poussin acheta, de la dot de sa femme, une maison sur le montePincio, en face d'un autre casino qui avait appartenu à Claude Gelée, dit leLorrain.

Mon autre compatriote Claude mourut aussi sur les genoux de la reine dumonde[49].SiPoussinreproduitlacampagnedeRome,lorsmêmequelascènedesespaysagesestplacéeailleurs, leLorrainreproduit lescielsdeRome, lorsmêmequ'ilpeintdesvaisseauxetunsoleilcouchantsurlamer.

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Que n'ai-je été le contemporain de certaines créatures privilégiées pourlesquelles je me sens de l'attrait dans les siècles divers! Mais il m'eût falluressuscitertropsouvent.LePoussinetClaudeleLorrainontpasséauCapitole;des rois y sont venus et ne les valaient pas. De Brosses[50] y rencontra leprétendant d'Angleterre; j'y trouvai en 1803 le roi de Sardaigne abdiqué, etaujourd'hui, en 1828, j'y vois le frère de Napoléon, roi deWestphalie. Romedéchue offre un asile aux puissances tombées; ses ruines sont un lieu defranchisepourlagloirepersécutéeetlestalentsmalheureux.

Sij'avaispeintlasociétédeRomeilyaunquartdesiècle,demêmequej'aipeintlacampagneromaine,jeseraisobligéderetouchermonportrait;ilneseraitplusressemblant.Chaquegénérationestdetrente-troisannées, lavieduChrist(leChristest letypedetout);chaquegénération,dansnotremondeoccidental,variesaforme.L'hommeestplacédansuntableaudontlecadrenechangepoint,maisdont lespersonnagessontmobiles.Rabelaisétaitdanscettevilleen1536aveclecardinalduBellay;ilfaisaitl'officedemaîtred'hôteldeSonÉminence;iltranchaitetprésentait.

Rabelais, changé en frère Jean des Entomeures, n'est pas de l'avis deMontaigne,quin'apresquepointouïdeclochesàRomeetbeaucoupmoinsquedansunvillagedeFrance;Rabelais,aucontraire,enentendbeaucoupdansl'isleSonnante(Rome),doutantquecefustDodoneavecseschaudrons[51].

Quarante-quatre ans après Rabelais, Montaigne trouva les bords du Tibreplantés, et il remarque que le 16mars il y avait des roses et des artichauts àRome. Les églises étaient nues, sans statues de saints, sans tableaux, moinsornéesetmoinsbellesqueleséglisesdeFrance.Montaigneétaitaccoutuméàlavastité sombre de nos cathédrales gothiques; il parle plusieurs fois de Saint-Pierre sans le décrire, insensible ou indifférent qu'il paraît être aux arts. Enprésence de tant de chefs-d'œuvre, aucun nom ne s'offre au souvenir deMontaigne;samémoirene luiparlenideRaphaël,nideMichel-Ange,mort iln'yavaitpasencoreseizeans.

Aureste,lesidéessurlesarts,surl'influencephilosophiquedesgéniesquilesont agrandis ou protégés, n'étaient point encore nées. Le temps fait pour leshommescequel'espacefaitpourlesmonuments;onnejugebiendesunsetdesautresqu'àdistanceet aupointde laperspective; tropprèsonne lesvoitpas,troploinonnelesvoitplus.

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L'auteur des Essais ne cherchait dans Rome que la Rome antique: «LesbastimensdecetteRomebastarde,dit-il,qu'onvoitàcetteheure,attachantàcesmasures,quoiqu'ilsaientdequoiravirenadmirationnossièclesprésens,mefontressouvenir des nids que les moineaux et les corneilles vont suspendant enFranceauxvoûtesetparoisdeséglisesqueleshuguenotsviennentd'ydémolir.»

Quelle idée Montaigne se faisait-il donc de l'ancienne Rome, s'il regardaitSaint-Pierrecommeunniddemoineaux,suspenduauxparoisduColisée?

Lenouveaucitoyenromainparbulleauthentiquedel'an1581depuisJ.-C.[52],avait remarqué que les Romaines ne portaient point de loup ou de masquecomme les Françaises; elles paraissaient en public couvertes de perles et depierreries,maisleurceintureétaittroplâcheetellesressemblaientàdesfemmesenceintes. Les hommes étaient habillés de noir, «et bien qu'ils fussent ducs,comtesetmarquis,ilsavaientl'apparenceunpeuvile.»

N'est-il pas singulier que saint Jérôme remarque la démarche desRomainesquilesfaitressembleràdesfemmesenceintes:solutisgenibusfractusincessus,«àpasbrisés,lesgenouxfléchissants?»

Presque tous les jours, lorsque je sors par la porte Angélique, je vois unechétive maison assez près du Tibre, avec une enseigne française enfuméereprésentant unours; c'est là queMichel, seigneurdeMontaigne, débarqua enarrivantàRome,nonloindel'hôpitalquiservitd'asileàcepauvrefou,hommeformé à l'antique et pure poésie, que Montaigne avait visité dans sa loge àFerrare,quiluiavaitcauséencoreplusdedépitquedecompassion.

Ce fut un événement mémorable, lorsque le XVIIe siècle députa son plusgrandpoèteprotestantetsonplussérieuxgéniepourvisiter,en1638,lagrandeRomecatholique.Adosséeàlacroix,tenantdanssesmainslesdeuxTestaments,ayant derrière elle les générations coupables sorties d'Éden, et devant elle lesgénérationsrachetéesdescenduesdujardindesOlives,elledisaitàl'hérétiquenéd'hier:«Queveux-tuàtavieillemère?»

Léonora, la Romaine, enchanta Milton[53]. A-t-on jamais remarqué queLéonoraseretrouvedanslesMémoiresdemadamedeMotteville,auxconcertsducardinalMazarin?

L'ordredesdatesamènel'abbéArnauld[54]àRomeaprèsMilton.Cetabbé,qui

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avait porté les armes, raconte une anecdote curieuse par le nom d'un despersonnages, enmême temps qu'elle fait revoir lesmœurs des courtisanes.Lehérosde la fable, leducdeGuise,petit-filsduBalafré, allant enquêtede sonaventure de Naples, passa par Rome en 1647: il y connut la Nina Barcarola.Maison-Blanche, secrétaire de M. Deshayes, ambassadeur à Constantinople,s'avisa de vouloir être le rival du duc de Guise.Mal lui en prit; on substitua(c'étaitlanuitdansunechambresanslumière)unehideusevieilleàNina.«Silesrisfurentgrandsd'uncôté, laconfusionlefutdel'autreautantqu'onselepeutimaginer, ditArnauld.L'Adonis, s'étant démêlé avecpeinedes embrassementsde sa déesse, s'enfuit tout nu de cette maison comme s'il eût le diable à sestrousses.»

LecardinaldeRetzn'apprend riensur lesmœurs romaines. J'aimemieux lepetitCoulangesetsesdeuxvoyagesen1656et1689:ilcélèbrecesvignesetcesjardinsdontlesnomsseulsontuncharme.

Dans lapromenadeà laPortaPia, je retrouve presque toutes les personnesnomméesparCoulanges:lespersonnes?non!leurspetits-filsetpetites-filles.

MadamedeSévignéreçoitlesversdeCoulanges;elleluirépondduchâteaudesRochersdansmapauvreBretagne,àdixlieuesdeCombourg:«Quelletristedateauprèsdelavôtre,monaimablecousin!Elleconvientàunesolitairecommemoi,etcelledeRomeàceluidontl'étoileesterrante.Quelafortunevousatraitédoucement,commevousdites,quoiqu'ellevousaitfaitquerelle!!![55]»

Entre le premier voyage de Coulanges à Rome, en 1656, et son secondvoyage,en1689,ils'étaitécoulétrente-troisans:jen'encomptequevingt-cinqdeperdusdepuismonpremiervoyageàRome,en1803,etmonsecondvoyageen1828.Si j'avaisconnumadamedeSévigné, je l'auraisguérieduchagrindevieillir.

Spon[56],Misson[57],Dumont[58],Addison,suiventsuccessivementCoulanges.SponavecWheler,soncompagnon,m'ontguidésurlesdébrisd'Athènes.

Il est curieux de lire dans Dumont comment les chefs-d'œuvre que nousadmirons étaient disposés à l'époque de son voyage en 1690: on voyait auBelvédèrelesfleuvesduNiletduTibre,l'Antinoüs,laCléopâtre,leLaocoonetletorsesupposéd'Hercule.DumontplacedanslejardinduVaticanlespaonsdebronzequiétaientsurletombeaudeScipionl'Africain.

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Addison voyage en scholar[59], sa course se résume en citations classiquesempreintesdesouvenirsanglais;enpassantàParis ilavaitoffertsespoésiesàM.Boileau.

Le père Labat[60] suit l'auteur de Caton: c'est un singulier homme que cemoine parisien de l'ordre des Frères Prêcheurs. Missionnaire aux Antilles,flibustier,habilemathématicien,architecteetmilitaire,braveartilleurpointantlecanon comme un grenadier, critique savant et ayant remis les Dieppois enpossession de leur découverte primitive enAfrique, il avait l'esprit enclin à laraillerie et le caractère à la liberté. Jene sache aucunvoyageurquidonnedesnotionsplusexactesetplusclairessur legouvernementpontifical.Labatcourtlesrues,vaauxprocessions,semêledetoutetsemoqueàpeuprèsdetout.

Le frèreprêcheur racontequ'on lui a donné chez les capucins, àCadix, desdraps de lit tout neufs depuis dix ans, et qu'il a vu un saint Joseph habillé àl'espagnole,épéeaucôté,chapeausouslebras,cheveuxpoudrésetlunettessurle nez. À Rome, il assiste à une messe: «Jamais, dit-il, je n'ai tant vu demusiciensmutilés ensemble et une symphonie si nombreuse.Les connaisseursdisaientqu'iln'yavaitriendesibeau.Jedisaislamêmechosepourfairecroireque jem'yconnaissais;maissi jen'avaispaseu l'honneurd'êtreducortègedel'officiant,j'auraisquittélacérémoniequiduraaumoinstroisbonnesheures,quim'enparurentbiensix.»

Plusjedescendsversletempsoùj'écris,pluslesusagesdeRomedeviennentsemblablesauxusagesd'aujourd'hui.

DutempsdedeBrosses,lesRomainesportaientdefauxcheveux;lacoutumevenait de loin; Properce demande à sa vie pourquoi elle se plaît à orner sescheveux:

Quidjuvatornatoprocedere,vita,capillo?

LesGauloises,nosmères,fournissaientlacheveluredesSéverine,desPisca,desFaustine,desSabine.VellédaditàEudoreenparlantdesescheveux:«C'estmondiadèmeetjel'aigardépourtoi.»Unecheveluren'étaitpaslaplusgrandeconquêtedesRomains;maiselleenétaitunedesplusdurables:onretiresouventdestombeauxdefemmescetteparureentièrequiarésistéauxciseauxdesfillesdelanuit,et l'onchercheenvainlefrontélégantqu'ellecouronna.Les tressesparfumées,objetdel'idolâtriedelaplusvolagedespassions,ontsurvécuàdes

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empires; la mort, qui brise toutes les chaînes, n'a pu rompre ce réseau.Aujourd'hui les Italiennes portent leurs propres cheveux, que les femmes dupeuplenattentavecunegrâcecoquette.

LemagistratvoyageurdeBrossesa,danssesportraitsetdanssesécrits,unfaux air de Voltaire, avec lequel il eut une dispute comique à propos d'unchamp[61]. De Brosses causa plusieurs fois au bord du lit d'une princesseBorghèse. En 1803, j'ai vu dans le palais Borghèse une autre princesse quibrillaitdetout l'éclatdelagloiredesonfrère:PaulineBonaparten'estplus!SielleeûtvécuauxjoursdeRaphaël,il l'auraitreprésentéesouslaformed'undeces amours qui s'appuient sur le dos des lions à la Farnésine, et la mêmelangueureûtemportélepeintreetlemodèle.Quedefleursontdéjàpassédanscessteppesoùj'aifaiterrerJérôme,Augustin,EudoreetCymodocée!

De Brosses représente les Anglais à la place d'Espagne à peu près commenouslesvoyonsaujourd'hui,vivantensemble,faisantgrandbruit,regardantlespauvreshumainsduhautenbas,ets'enretournantdansleurtaudisrougeâtreàLondres,sansavoirjetéàpeineuncoupd'œilsurleColisée.DeBrossesobtintl'honneurdefairesacouràJacquesIII:

«Desdeuxfilsduprétendant,dit-il, l'aînéestâgéd'environvingtans, l'autrede quinze. J'entends dire à ceux qui les connaissent à fond que l'aîné vautbeaucoupmieuxetqu'ilestpluschéridanssonintérieur;qu'iladelabontédecœuretungrandcourage;qu'ilsentvivementsasituation,etque,s'iln'ensortpasunjour,ceneserapasfauted'intrépidité.Onm'aracontéqu'ayantétémenétoutjeuneausiègedeGaëte,lorsdelaconquêteduroyaumedeNaplesparlesEspagnols,dans la traversée sonchapeauvintà tomberà lamer.Onvoulut leramasser:«Non,dit-il,cen'estpaslapeine;ilfaudrabienquej'aillelechercherunjourmoi-même.»

DeBrossescroitquesileprincedeGallestentequelquechose,ilneréussirapas, et il en donne les raisons. Revenu à Rome après ses vaillantes apertises,Charles-Édouard, qui portait le nom de comte d'Albany, perdit son père; ilépousalaprincessedeStolberg-Gœdern,ets'établitenToscane.Est-ilvraiqu'ilvisita secrètement Londres en 1753 et 1761, comme Hume le raconte, qu'ilassistaaucouronnementdeGeorgeIII,etqu'ilditàquelqu'unquil'avaitreconnudanslafoule:«L'hommequiestl'objetdetoutecettepompeestceluiquej'envielemoins?»

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L'unionduprétendantnefutpasheureuse;lacomtessed'Albany[62]seséparadeluietfixasonséjouràRome:cefutlàqu'unautrevoyageur,Bonstetten[63],larencontra; le gentilhomme bernois, dans sa vieillesse, me faisait entendre àGenèvequ'ilavaitdeslettresdelapremièrejeunessedelacomtessed'Albany.

AlfierivitàFlorencelafemmeduprétendantetill'aimapourlavie:«Douzeansaprès,dit-il,aumomentoùj'écristoutescespauvretés,àcetâgedéplorableoù il n'y a plus d'illusions, je sens que je l'aime tous les jours davantage, àmesure que le temps détruit le seul charme qu'elle ne doit pas à elle-même,l'éclatdesapassagèrebeauté.Moncœurs'élève,devientmeilleurets'adoucitparelle,etj'oseraisdirelamêmechosedusien,quejesoutiensetfortifie.»

J'aiconnumadamed'AlbanyàFlorence;l'âgeavaitapparemmentproduitchezelle un effet opposé à celui qu'il produit ordinairement: le temps ennoblit levisage,et,quandilestderaceantique,ilimprimequelquechosedesaracesurlefrontqu'ilamarqué:lacomtessed'Albany,d'unetailleépaisse,d'unvisagesansexpression, avait l'air commun[64]. Si les femmes des tableaux de Rubensvieillissaient, elles ressembleraient à madame d'Albany à l'âge où je l'airencontrée.Jesuisfâchéquececœur,fortifiéetsoutenuparAlfieri,aiteubesoind'unautreappui[65].JerappelleraiiciunpassagedemalettresurRomeàM.deFontanes:

«Savez-vousquejen'aivuqu'uneseulefoislecomteAlfieridansmavie,etdevineriez-vouscomment?Jel'aivumettredanssabière:onmeditqu'iln'étaitpresquepaschangé;saphysionomiemeparutnobleetgrave;lamortyajoutaitsansdouteunenouvellesévérité;lecercueilétantunpeutropcourt,oninclinalatêtedumortsursapoitrine,cequiluifitfaireunmouvementformidable.»

Rienn'esttristecommederelireverslafindesesjourscequel'onaécritdanssajeunesse:toutcequiétaitauprésentsetrouveaupassé.

J'aperçusunmoment,en1803,àRome, lecardinald'York[66], cetHenri IX,dernier des Stuarts, âgé de soixante-dix-neuf ans. Il avait eu la faiblessed'accepterunepensiondeGeorge III: laveuvedeCharles Ier en avait envainsollicitéunedeCromwell.Ainsi, la racedesStuartsamiscentdix-neufansàs'éteindre, après avoir perdu le trône qu'elle n'a jamais retrouvé. Troisprétendants se sont transmis dans l'exil l'ombre d'une couronne: ils avaient del'intelligenceetducourage;queleura-t-ilmanqué?lamaindeDieu.

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Au surplus, les Stuarts se consolèrent à la vue deRome; ils n'étaient qu'unléger accident de plus dans ces vastes décombres, une petite colonne brisée,élevée aumilieu d'une grande voirie de ruines. Leur race, en disparaissant dumonde,eutencorecetautreréconfort:ellevittomberlavieilleEurope,lafatalitéattachée auxStuarts entraîna avec eux dans la poussière les autres rois, parmilesquelssetrouvaitLouisXVI,dontl'aïeulavaitrefuséunasileaudescendantdeCharlesIer,etCharlesXestmortdansl'exilàl'âgeducardinald'York,etsonfilsetsonpetit-filssonterrantssurlaterre!

LevoyagedeLalande[67]enItalie,en1765et1766,estencorecequ'ilyademieuxetdeplusexactsurlaRomedesartsetsurlaRomeantique.«J'aimeàlireleshistoriensetlespoètes,dit-il,maisonnesauraitleslireavecplusdeplaisirqu'en foulant la terre qui les portait, en se promenant sur les collines qu'ilsdécrivent,envoyantcoulerlesfleuvesqu'ilsontchantés.»Cen'estpastropmalpourunastronomequimangeaitdesaraignées.

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Duclos[68], à peu près aussi décharné queLalande, fait cette remarque fine:«Lespiècesdethéâtredesdifférentspeuplessontuneimageassezvraiedeleursmœurs. L'arlequin, valet et personnage principal des comédies italiennes, esttoujours représenté avec un grand désir de manger, et qui part d'un besoinhabituel. Nos valets de comédie sont communément ivrognes, ce qui peutsupposercrapule,maisnonpasmisère.»

L'admiration déclamatoire de Dupaty[69] n'offre pas de compensation pourl'ariditédeDuclosetdeLalande,ellefaitpourtantsentir laprésencedeRome;on s'aperçoit par un reflet que l'éloquence du style descriptif est née sous lesouffledeRousseau,spiraculumvitæ.Dupatytoucheàcettenouvelleécolequibientôtallaitsubstituerlesentimental,l'obscuretlemaniéré,auvrai,àlaclartéetaunatureldeVoltaire.Cependant,àtraverssonjargonaffecté,Dupatyobserveavecjustesse:ilexpliquelapatiencedupeupledeRomeparlavieillessedesessouverainssuccessifs.«Unpape,dit-il,esttoujourspourluiunroiquisemeurt.»

ÀlavillaBorghèse,Dupatyvoitapprocherlanuit:«Ilnerestequ'unrayondujourquimeurtsur le frontd'uneVénus.»Lespoètesdemaintenantdiraient-ilsmieux?IlprendcongédeTivoli:«Adieu,vallon!jesuisunétranger;jen'habitepointvotrebelleItalie.Jenevousreverraijamais;maispeut-êtremesenfantsouquelques-uns de mes enfants viendront vous visiter un jour: soyez-leur aussicharmantquevousl'avezétéàleurpère.»Quelques-unsdesenfantsdel'éruditetdupoèteontvisitéRome,etilsauraientpuvoirledernierrayondujourmourirsurlefrontdelaVénusgenitrixdeDupaty[70].

ÀpeineDupatyavaitquittél'ItaliequeGœthevintleremplacer.LeprésidentauParlementdeBordeauxentendit-iljamaisparlerdeGœthe?EtnéanmoinslenomdeGœthevitsurcetteterreoùceluideDupatys'estévanoui.Cen'estpasquej'aimelepuissantgéniedel'Allemagne;j'aipeudesympathiepourlepoètede lamatière: je sensSchiller, j'entendsGœthe.Qu'il y ait degrandesbeautésdans l'enthousiasme que Gœthe éprouve à Rome pour Jupiter, d'excellentscritiqueslejugentainsi,maisjepréfèreleDieudelaCroixauDieudel'Olympe.Je cherche en vain l'auteur deWerther le long des rives du Tibre; je ne leretrouvequedanscettephrase:«Mavieactuelleestcommeunrêvedejeunesse;nousverronssijesuisdestinéàlegoûterouàreconnaîtrequecelui-ciestvaincommetantd'autresl'ontété.»

Quand l'aigledeNapoléon laissaRomeéchapperdesesserres,elle retomba

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dansleseindesespaisiblespasteurs:alorsByronparutauxmurscroulantsdesCésars;iljetasonimaginationdésoléesurtantderuines,commeunmanteaudedeuil.Rome!tuavaisunnom,ilt'endonnaunautre;cenomterestera:ilt'appela«laNiobédesNations,privéedesesenfantsetdesescouronnes,sansvoixpourdire ses infortunes,portantdans sesmainsuneurnevidedont lapoussière estdepuislongtempsdispersée[71].»

Après cedernieroragedepoésie,Byronne tardapasdemourir. J'auraispuvoirByronàGenève,etjenel'aipointvu;j'auraispuvoirGœtheàWeimar,etjenel'aipointvu;maisj'aivutombermadamedeStaëlqui,dédaignantdevivreaudelà de sa jeunesse, passa rapidement au Capitole avec Corinne: nomsimpérissables,illustrescendres,quisesontassociésaunometauxcendresdelavilleéternelle[72].

Ainsiontmarchéleschangementsdemœursetdepersonnages,desiècleensiècle, en Italie; mais la grande transformation a surtout été opérée par notredoubleoccupationdeRome.

La République romaine, établie sous l'influence du Directoire, si ridiculequ'elleaitétéavecsesdeuxconsulsetseslicteurs(méchantsfacchiniprisparmilapopulace),n'apaslaisséqued'innoverheureusementdanslesloisciviles:c'estdes préfectures, imaginées par cette République romaine, que Bonaparte aempruntél'institutiondesespréfets.

Nous avons porté à Rome le germe d'une administration qui n'existait pas;Rome,devenuelechef-lieududépartementduTibre,futsupérieurementréglée.Lesystèmehypothécaireluivientdenous.Lasuppressiondescouvents,laventedes biens ecclésiastiques sanctionnée par Pie VI, ont affaibli la foi dans lapermanencedelaconsécrationdeschosesreligieuses.Cefameuxindex,quifaitencore un peu de bruit de ce côté-ci desAlpes, n'en fait aucun àRome: pourquelques bajocchi on obtient la permission de lire, en sûreté de conscience,l'ouvragedéfendu.L'indexestaunombredecesusagesqui restentcommedestémoinsdesancienstempsaumilieudestempsnouveaux.DanslesrépubliquesdeRomeetd'Athènes,lestitresderoi,lesnomsdesgrandesfamillestenantàlamonarchie, n'étaient-ils pas respectueusement conservés? Il n'y a que lesFrançais qui se fâchent sottement contre leurs tombeaux et leurs annales, quiabattent les croix, dévastent les églises, en rancune du clergé de l'an de grâce1000 ou 1100. Rien de plus puéril ou de plus bête que ces outrages de

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réminiscence;rienquiporteraitdavantageàcroirequenousnesommescapablesde quoi que ce soit de sérieux, que les vrais principes de la liberté nousdemeureront à jamais inconnus. Loin de mépriser le passé, nous devrions,commelefonttouslespeuples,letraiterenvieillardvénérablequiraconteànosfoyerscequ'ilavu:quelmalnouspeut-il faire?Ilnous instruitetnousamuseparsesrécits,sesidées,sonlangage,sesmanières,seshabitsd'autrefois;maisilestsansforce,etsesmainssontdébilesettremblantes.Aurions-nouspeurdececontemporaindenospères,qui seraitdéjàaveceuxdans la tombe s'il pouvaitmourir,etquin'ad'autoritéquecelledeleurpoussière?

Les Français, en traversant Rome, y ont laissé leurs principes: c'est ce quiarrive toujours quand la conquête est accomplie par un peuple plus avancé encivilisationquelepeuplequisubitcetteconquête,témoinlesGrecsenAsiesousAlexandre, témoin les Français en Europe sous Napoléon. Bonaparte, enenlevantlesfilsàleursmères,enforçantlanoblesseitalienneàquittersespalaisetàporterlesarmes,hâtaitlatransformationdel'espritnational.

Quantàlaphysionomiedelasociétéromaine,lesjoursdeconcertetdebalonpourraitsecroireàParis.L'Altieri,laPalestrina,laZagarola,laDelDrago[73],laLante[74],laLozzano,etc.,neseraientpasétrangèresdanslessalonsdufaubourgSaint-Germain:pourtantquelques-unesdecesfemmesontuncertainaireffrayéqui, je crois, est du climat. La charmante Falconieri, par exemple, se tienttoujoursauprèsd'uneporte,prêteàs'enfuirsurlemontMarius,sionlaregarde:lavillaMillini[75]estàelle;unromanplacédanscecasinabandonné,sousdescyprès,àlavuedelamer,auraitsonprix.

Mais,quelsquesoientleschangementsdemœursetdepersonnagesdesiècleen siècle en Italie, ony remarqueunehabitudedegrandeur, dont nous autres,mesquinsbarbares,n'approchonspas.IlresteencoreàRomedusangromainetdestraditionsdesmaîtresdumonde.Lorsqu'onvoitdesétrangersentassésdansdepetitesmaisonsnouvellesàlaporteduPeuple,ougîtésdansdespalaisqu'ilsontdivisésencasesetpercésdecheminées,oncroiraitvoirdesratsgratteraupied des monuments d'Apollodore et de Michel-Ange, et faisant, à force deronger,destrousdanslespyramides.

Aujourd'hui lesnobles romains, ruinéspar la révolution, se renfermentdansleurspalais,viventavecparcimonieetsontdevenusleurspropresgensd'affaires.Quand on a le bonheur (ce qui est fort rare) d'être admis chez eux le soir, ontraversedevastessallessansmeubles,àpeineéclairées, lelongdesquellesdes

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statues antiquesblanchissent dans l'épaisseurde l'ombre, commedes fantômesou des morts exhumés. Au bout de ces salles, le laquais déguenillé qui vousmènevousintroduitdansuneespècedegynécée:autourd'unetablesontassisestroisouquatrevieillesou jeunes femmesmal tenues,qui travaillent à la lueurd'unelampeàdepetitsouvrages,enéchangeantquelquesparolesavecunpère,un frère, un mari à demi couchés obscurément en retraite, sur des fauteuilsdéchirés. Il y a pourtant je ne sais quoi de beau, de souverain, qui tient de lahaute race, dans cette assemblée retranchée derrière des chefs-d'œuvre et quevousavezprised'abordpourunsabbat.L'espècedessigisbéesestfinie,quoiqu'ily ait encore des abbés porte-châles et porte-chaufferettes; par-ci, par-là, uncardinals'établitencoreàdemeurechezunefemmecommeuncanapé.

Le népotisme et le scandale des pontifes ne sont plus possibles, comme lesroisnepeuventplusavoirdemaîtressesentitreetenhonneurs.Àprésentquelapolitique et les aventures tragiques d'amour ont cessé de remplir la vie desgrandesdamesromaines,àquoipassent-ellesleurtempsdansl'intérieurdeleurménage?Ilseraitcurieuxdepénétreraufonddecesmœursnouvelles:sijeresteàRome,jem'enoccuperai.

Je visitai Tivoli le 18 décembre 1803; à cette époque je disais dans unenarrationquifutimpriméealors:«Celieuestpropreàlaréflexionetàlarêverie;jeremontedansmaviepassée;jesenslepoidsduprésent;jechercheàpénétrermonavenir:oùserai-je,queferai-jeetqueserai-jedansvingtansd'ici?»

Vingtans!celamesemblaitunsiècle;jecroyaisbienhabitermatombeavantquece siècle se fût écoulé.Et cen'estpasmoiqui aipassé, c'est lemaîtredumondeetsonempirequiontfui!

Presque tous les voyageurs anciens etmodernes n'ont vu dans la campagneromainequecequ'ilsappellentsonhorreuretsanudité.Montaignelui-même,àquicertesl'imaginationnemanquaitpas,dit:«Nousavionsloinsurnotremaingauche l'Apennin, le prospect du pays malplaisant, bossé, plein de profondesfendasses...leterritoirenud,sansarbres,unebonnepartiestérile.»

LeprotestantMiltonporte sur la campagnedeRomeun regard aussi sec etaussiaridequesafoi.LalandeetleprésidentdeBrossessontaussiaveuglesqueMilton.

OnneretrouveguèrequedansleVoyagesurlascènedessixdernierslivres

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del'Énéide,deM.deBonstetten,publiéàGenèveen1804,unanaprèsmalettreà M. de Fontanes (imprimée dans leMercure vers la fin de l'année 1803),quelques sentiments vrais de cette admirable solitude, encore sont-ils mêlésd'objurgations:«QuelplaisirdelireVirgilesouslecield'Énée,etpourainsidireenprésencedesdieuxd'Homère!ditM.deBonstetten;quellesolitudeprofondedans ces déserts, où l'on ne voit que la mer, des bois ruinés, des champs, degrandesprairies,etpasunhabitant!Jenevoyaisdansunevasteétenduedepaysqu'une seule maison, et cette maison était près de moi, sur le sommet de lacolline.J'yvais,elleétaitsansporte;jemonteunescalier,j'entredansuneespècedechambre,unoiseaudeproieyavaitsonnid....

«Jefusquelquetempsàunefenêtredecettemaisonabandonnée.Jevoyaisàmespiedscettecôte,autempsdePlinesiricheetsimagnifique,maintenantsanscultivateurs.»

Depuismadescriptiondelacampagneromaine,onapassédudénigrementàl'enthousiasme. Les voyageurs anglais et français qui m'ont suivi ont marquétousleurspasdelaStortaàRomepardesextases.M.deTournon[76],danssesÉtudes statistiques, entre dans la voie d'admiration que j'ai eu le bonheurd'ouvrir: «La campagne romaine, dit-il, développe à chaque pas plusdistinctementlasérieusebeautédesesimmenseslignes,desesplansnombreux,etsonbelencadrementdemontagnes.Samonotonegrandeurfrappeetélèvelapensée.»

Jen'aipointàmentionnerM.Simond[77],dontlevoyagesembleunegageure,etquis'estamuséàregarderRomeàl'envers.JemetrouvaisàGenèvelorsqu'ilmourutpresquesubitement.Fermier,ilvenaitdecoupersesfoinsetderecueillirjoyeusementsespremiersgrains,etilestallérejoindresonherbefauchéeetsesmoissonsabattues.

Nousavonsquelqueslettresdesgrandspaysagistes;PoussinetClaudeLorrainnedisentpasunmotde lacampagne romaine.Mais si leurplumese tait, leurpinceau parle; l'agro romano était une source mystérieuse de beautés, danslaquelle ilspuisaient,en lacachantparunesorted'avaricedegénie,etcommeparlacraintequelevulgairenelaprofanât.Chosesingulière,cesontdesyeuxfrançaisquiontlemieuxvulalumièredel'Italie.

J'airevumalettreàM.deFontanessurRome,écriteilyavingt-cinqans,etj'avoue que je l'ai trouvée d'une telle exactitude qu'ilme serait impossible d'y

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retrancheroud'yajouterunmot.Unecompagnieétrangèreestvenuecethiver(1829)proposer ledéfrichementdelacampagneromaine:ah!messieurs,grâcedevoscottagesetdevos jardinsanglais sur le Janicule! si jamais ilsdevaientenlaidirlesfrichesoùlesocdeCincinnatuss'estbrisé,surlesquellestouteslesherbes penchent au souffle des siècles, je fuirais Rome pour n'y remettre lespiedsdemavie.Alleztraînerailleursvoscharruesperfectionnées;icilaterrenepousse et nedoit pousser quedes tombeaux.Les cardinauxont fermé l'oreilleauxcalculsdesbandesnoires accouruespourdémolir lesdébrisdeTusculum,qu'ellesprenaientpourdeschâteauxd'aristocrates:ellesauraientfaitdelachauxavec le marbre des sarcophages de Paul-Émile, comme elles ont fait desgargouillesavecleplombdescercueilsdenospères.LesacréCollègetientaupassé; de plus il a été prouvé, à la grande confusion des économistes, que lacampagneromainedonnaitaupropriétaire5pour100enpâturagesetqu'ellenerapporteraitqueunetdemienblé.Cen'estpointparparesse,maisparunintérêtpositif,quelecultivateurdesplainesaccordelapréférenceàlapastoriziasurlemaggesi. Le revenu d'un hectare dans le territoire romain est presque égal aurevenu de lamêmemesure dans un desmeilleurs départements de la France:pourseconvaincredecela,ilsuffitdelirel'ouvragedemonsignorNicolaï[78].

Jevousaiditquej'avaiséprouvéd'aborddel'ennuiaudébutdemonsecondvoyageàRomeetquejefinisparreprendreauxruinesetausoleil:j'étaisencoresous l'influence de ma première impression lorsque, le 3 novembre 1828, jerépondisàM.Villemain:

«Votre lettre,monsieur, estvenuebienàproposdansma solitudedeRome:elleasuspenduenmoilemaldupaysquej'aifort.Cemaln'estautrechosequemes années qui m'ôtent les yeux pour voir comme je voyais autrefois: mondébrisn'estpasassezgrandpourseconsoleravecceluideRome.Quandjemepromèneseulàprésentaumilieude touscesdécombresdessiècles, ilsnemeservent plusqued'échelle pourmesurer le temps: je remontedans le passé, jevoiscequej'aiperduetleboutdececourtavenirquej'aidevantmoi;jecomptetoutes les joies qui pourraient me rester, je n'en trouve aucune; je m'efforced'admirer ce que j'admirais, et je n'admire plus. Je rentre chezmoi pour subirmeshonneursaccablédusiroccooupercéparlatramontane.Voilàtoutemavie,àun tombeauprèsque jen'aipasencoreeu lecouragedevisiter.Ons'occupebeaucoupdemonumentscroulants;onlesappuie;onlesdégagedeleursplantesetdeleursfleurs;lesfemmesquej'avaislaisséesjeunessontdevenuesvieilles,et

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lesruinessesontrajeunies:quevoulez-vousqu'onfasseici?

«Aussi je vous assure, monsieur, que je n'aspire qu'à rentrer dans ma rued'Enferpourneplusensortir.J'airemplienversmonpaysetmesamistousmesengagements.Quandvousserezdansleconseild'ÉtatavecM.BertindeVaux,jen'auraiplusrienàdemander,carvostalentsvousaurontbientôtportéplushaut.Ma retraite a contribué un peu, j'espère, à la cessation d'une oppositionredoutable; les libertés publiques sont acquises à jamais à la France. Monsacrifice doit maintenant finir avec mon rôle. Je ne demande rien que deretourner àmon Infirmerie. Je n'ai qu'àme louer de ce pays: j'y ai été reçu àmerveille; j'ai trouvé un gouvernement plein de tolérance et fort instruit desaffaireshorsdel'Italie,maisenfinriennemeplaîtplusquel'idéededisparaîtreentièrementdelascènedumonde:ilestbondesefaireprécéderdanslatombedusilencequel'onytrouvera.

«Jevousremercied'avoirbienvoulumeparlerdevostravaux.Vousferezunouvrage digne de vous et qui augmentera votre renommée[79]. Si vous aviezquelquesrecherchesàfaireici,soyezassezbonpourmelesindiquer:unefouilleauVaticanpourraitvousfournirdestrésors.Hélas!jen'aiquetropvucepauvreM.Thierry! je vous assure que je suis poursuivi par son souvenir: si jeune, sipleindel'amourdesontravail,ets'enaller!et,commeilarrivetoujoursauvraimérite,sonesprits'amélioraitet la raisonprenaitchez lui laplacedusystème:j'espèreencoreunmiracle.J'aiécritpourlui;onnem'apasmêmerépondu.J'aiété plus heureux pour vous, et une lettre de M. de Martignac me fait enfinespérerquejustice,bienquetardiveetincomplète,vousserafaite.Jenevisplus,monsieur,quepourmesamis;vousmepermettrezdevousmettreaunombredeceux qui me restent. Je demeure, monsieur, avec autant de sincérité qued'admiration,votreplusdévouéserviteur[80].»

«CHATEAUBRIAND.»

ÀMADAMERÉCAMIER.

«Rome,samedi8novembre1828.

«M. deLaFerronnaysm'apprend la reddition deVarna[81] que je savais. Jecroisvousavoirditautrefoisquetoutelaquestionmesemblaitdanslachutedecette place, et que le grand Turc ne songerait à la paix que quand lesRussesauraient fait ce qu'ils n'avaient pas fait dans leurs guerres précédentes. Nos

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journaux ont été bienmisérablement turcs dans ces derniers temps. Commentont-ils pu jamais oublier la noble cause de la Grèce et tomber en admirationdevant des barbares qui répandent sur la patrie des grands hommes et la plusbellepartiedel'Europel'esclavageetlapeste?Voilàcommenoussommes,nousautres Français: un peu de mécontentement personnel nous fait oublier nosprincipeset les sentiments lesplusgénéreux.LesTurcsbattusme ferontpeut-êtrequelquepitié;lesTurcsvainqueursmeferaienthorreur.

«VoilàmonamiM.deLaFerronnays restéaupouvoir. Jeme flattequemadétermination de le suivre a éloigné les concurrents à son portefeuille. Maisenfinilfaudraquejesorted'ici;jen'aspireplusqu'àrentrerdansmasolitudeetàquitterlacarrièrepolitique.J'aisoifd'indépendancepourmesdernièresannées.Les générations nouvelles sont élevées, elles trouveront établies les libertéspubliques pour lesquelles j'ai tant combattu: qu'elles s'emparent donc, maisqu'ellesnemésusentpasdemonhéritage,etquej'aillemourirenpaixauprèsdevous.

«Jesuisalléavant-hiermepromeneràlavillaPanfili:labellesolitude!»

«Rome,cesamedi15novembre.

«IlyaeuunpremierbalchezTorlonia[82].J'yairencontrétouslesAnglaisdelaterre;jemecroyaisencoreambassadeuràLondres.LesAnglaisesontl'airdefigurantesengagéespourdanserl'hiveràParis,àMilan,àRome,àNaples,etquiretournent à Londres après leur engagement expiré au printemps. Lessautillements sur les ruines du Capitole, les mœurs uniformes que la grandesociétéportepartout,sontdeschosesbienétranges:sij'avaisencorelaressourcedemesauverdanslesdésertsdeRome!

«Cequ'ilyadevraimentdéplorableici,cequijureaveclanaturedeslieux,c'est cettemultitude d'insipides Anglaises et de frivoles dandys qui, se tenantenchaînéspar lesbrascommedeschauves-sourispar lesailes,promènent leurbizarrerie, leur ennui, leur insolence dans vos fêtes, et s'établissent chez vouscomme à l'auberge. Cette Grande-Bretagne vagabonde et déhanchée, dans lessolennités publiques, saute sur vos places et boxe avec vous pour vous enchasser:toutlejourelleavaleàlahâtelestableauxetlesruines,etvientavaler,envousfaisantbeaucoupd'honneur,lesgâteauxetlesglacesdevossoirées.Jenesaispascommentunambassadeurpeutsouffrirceshôtesgrossiersetneles

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faitpasconsigneràsaporte.»

J'ai parlé dans le Congrès de Vérone de l'existence de monMémoire surl'Orient[83]. Quand je l'envoyai de Rome en 1828 à M. le comte de LaFerronnays, alorsministredes affaires étrangères, lemonden'était pas cequ'ilest: en France, la légitimité existait; en Russie, la Pologne n'avait pas péri;l'Espagneétaitencorebourbonienne;l'Angleterren'avaitpasencorel'honneurdenous protéger. Beaucoup de choses ont donc vieilli dans ce Mémoire:aujourd'hui, ma politique extérieure, sous plusieurs rapports, ne serait plus lamême; douze années ont changé les relations diplomatiques,mais le fond desvérités est demeuré. J'ai inséré ceMémoire en entier, pour venger une fois depluslaRestaurationdesreprochesabsurdesqu'ons'obstineàluiadresser,malgrél'évidencedesfaits.LaRestauration,aussitôtqu'ellechoisitsesministresparmisesamis,necessades'occuperde l'indépendanceetde l'honneurdelaFrance:elles'élevacontrelestraitésdeVienne,elleréclamadesfrontièresprotectrices,nonpour laglorioledes'étendre jusqu'aubordduRhin,maispourcherchersasûreté; elle a ri lorsqu'on lui parlait de l'équilibre de l'Europe, équilibre siinjustement rompuenvers elle: c'est pourquoi elle désirad'abord se couvrir aumidi, puisqu'il avait plu de la désarmer au nord.ÀNavarin, elle retrouva unemarineetlalibertédelaGrèce;laquestiond'Orientnelapritpointaudépourvu.

J'aigardétroisopinionssurl'Orientdepuisl'époqueoùj'écrivisceMémoire:

1oSilaTurquied'Europedoitêtredépecée,nousdevonsavoirunlotdanscemorcellement par un agrandissement de territoire sur nos frontières et par lapossessiondequelquepointmilitairedansl'Archipel.ComparerlepartagedelaTurquieaupartagedelaPologneestuneabsurdité.

2oConsidérer laTurquie, tellequ'elle était au règnedeFrançois Ier,commeunepuissanceutileànotrepolitique,c'estretranchertroissièclesdel'histoire.

3oPrétendre civiliser laTurquie en lui donnantdesbateauxàvapeur et deschemins de fer, en disciplinant ses armées, en lui apprenant àmanœuvrer sesflottes,cen'estpasétendrelacivilisationenOrient,c'estintroduirelabarbarieenOccident: des Ibrahim futurs pourront ramener l'avenir au temps de Charles-Martel, ou au temps du siège de Vienne, quand l'Europe fut sauvée par cettehéroïquePologne,surlaquellepèsel'ingratitudedesrois.

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Je dois remarquer que j'ai été le seul, avec Benjamin Constant, à signalerl'imprévoyance des gouvernements chrétiens: un peuple dont l'ordre social estfondé sur l'esclavage et la polygamie est un peuple qu'il faut renvoyer auxsteppesdesMongols.

Endernierrésultat,laTurquied'Europe,devenuevassaledelaRussieenvertudu traité d'Unkiar Skélessi, n'existe plus[84]: si la question doit se déciderimmédiatement, ce dont je doute, il serait peut-être mieux qu'un empireindépendanteûtsonsiègeàConstantinopleetfîtuntoutdelaGrèce.Celaest-ilpossible? je l'ignore. Quant à Méhémet-Ali, fermier et douanier impitoyable,l'Égypte,dansl'intérêtdelaFrance,estmieuxgardéeparluiqu'elleneleseraitparlesAnglais.

Maisjem'évertueàdémontrerl'honneurdelaRestauration;eh!quis'inquiètede ce qu'elle a fait, surtout qui s'en inquiétera dans quelques années? Autantvaudraitm'échaufferpourlesintérêtsdeTyretd'Ecbatane:cemondepassén'estplus et ne sera plus. Après Alexandre, commença le pouvoir romain; aprèsCésar, le christianisme changea lemonde; après Charlemagne, la nuit féodaleengendra une nouvelle société; après Napoléon, néant: on ne voit venir niempire,nireligion,nibarbares.Lacivilisationestmontéeàsonplushautpoint,mais civilisation matérielle, inféconde, qui ne peut rien produire, car on nesauraitdonnerlaviequeparlamorale;onn'arriveàlacréationdespeuplesqueparlesroutesduciel:lescheminsdefernousconduirontseulementavecplusderapiditéàl'abîme.

Voilà les prolégomènes qui me semblaient nécessaires à l'intelligence duMémoirequisuit,etquisetrouveégalementauxaffairesétrangères.

LETTREÀM.LECOMTEDELAFERRONNAYS

«Rome,ce30novembre1828.

«Dansvotre lettreparticulièredu10denovembre,monnobleami,vousmedisiez:

«Jevousadresseuncourt résumédenotre situationpolitique, et vous serezassezaimablepourmefaireconnaîtreenretourvosidées,toujourssibonnesàconnaîtreenpareillematière.»

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Votreamitié,noblecomte,mejugeavectropd'indulgence;jenecroispasdutout vous éclairer en vous envoyant le mémoire ci-joint: je ne fais que vousobéir.»

MÉMOIRE

PREMIÈREPARTIE.

«À la distance où je suis du théâtre des événements et dans l'ignorancepresque totale où je me trouve de l'état des négociations, je ne puis guèreraisonnerconvenablement.Néanmoins,commej'aidepuislongtempsunsystèmearrêtésur lapolitiqueextérieurede laFrance,commej'aipourainsidireété lepremier à réclamer l'émancipation de la Grèce, je soumets volontiers, noblecomte,mesidéesàvoslumières.

«Iln'étaitpointencorequestiondutraitédu6juillet[85]lorsquejepubliaimaNote sur laGrèce. CetteNote renfermait le germe du traité: je proposais auxcinqgrandespuissancesdel'Europed'adresserunedépêchecollectiveaudivanpourluidemanderimpérativementlacessationdetoutehostilitéentrelaPorteetlesHellènes.Danslecasd'unrefus,lescinqpuissancesauraientdéclaréqu'ellesreconnaissaientl'indépendancedugouvernementgrec,etqu'ellesrecevraientlesagentsdiplomatiquesdecegouvernement.

«CetteNote fut lue dans les divers cabinets. La place que j'avais occupéecomme ministre des affaires étrangères donnait quelque importance à monopinion: ce qu'il y a de singulier, c'est que le prince deMetternich semontramoinsopposéàl'espritdemaNotequeM.Canning.

«Ledernier,aveclequelj'avaiseudesliaisonsassezintimes,étaitplusorateurquegrandpolitique,plushommedetalentqu'hommed'État.Ilavaitengénéralune certaine jalousie des succès et surtout de ceux de la France. Quandl'oppositionparlementaireblessaitouexaltaitsonamour-propre,ilseprécipitaitdansdefaussesdémarches,serépandaitensarcasmesouenvanteries.C'estainsiqu'après la guerre d'Espagne il rejeta la demande d'intervention que j'avaisarrachéeavectantdepeineaucabinetdeMadrid,pourl'arrangementdesaffairesd'outre-mer: la raison secrète en était qu'il n'avait pas fait lui-même cettedemande,etilnevoulaitpasvoirquemêmedanssonsystème(sitoutefoisilenavaitun),l'Angleterre,représentéedansuncongrèsgénéral,neseraitnullementliéeparlesactesdececongrèsetresteraittoujourslibred'agirséparément.C'est

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encore ainsi que lui,M.Canning, fit passerdes troupes enPortugal, nonpourdéfendre une charte dont il était le premier à se moquer, mais parce quel'oppositionluireprochaitlaprésencedenossoldatsenEspagne,etqu'ilvoulaitpouvoir dire au Parlement que l'armée anglaise occupait Lisbonne commel'armée française occupait Cadix. Enfin, c'est ainsi qu'il a signé le traité du 6juillet contre son opinion particulière, contre l'opinion de son propre pays,défavorableàlacausedesGrecs.S'ilaccédaàcetraité,cefutuniquementparcequ'il eut peur denousvoir prendre avec laRussie l'initiativede la question etrecueillirseulslagloired'unerésolutiongénéreuse.Ceministre,qui,aprèstout,laisseraunegranderenommée,crutaussigênerlesmouvementsdelaRussieparce traitémême;cependant il était clairque le textede l'acten'enchaînaitpointl'empereurNicolas,nel'obligeaitpointàrenonceràuneguerreparticulièreaveclaTurquie.

«Letraitédu6dejuilletestunepièceinforme,brochéeàlahâte,oùrienn'estprévuetquifourmillededispositionscontradictoires.

«Dans ma Note sur la Grèce, je supposais l'adhésion des cinq grandespuissances;l'AutricheetlaPrusses'étanttenuesàl'écart,leurneutralitéleslaisselibres, selon les événements, de se déclarer pour ou contre l'une des partiesbelligérantes.

«Il ne s'agit plus de revenir sur le passé, il faut prendre les choses tellesqu'elles sont. Tout ce à quoi les gouvernements sont obligés, c'est à tirer lemeilleurpartidesfaitslorsqu'ilssontaccomplis.Examinonsdonccesfaits.

«Nous occupons laMorée, les places de cette péninsule sont tombées entrenosmains[86].Voilàpourcequinousconcerne.

«Varnaestpris,Varnadevientunavant-posteplacéàsoixante-dixheuresdemarche de Constantinople. Les Dardanelles sont bloquées; les Russess'empareront pendant l'hiver de Silistrie et de quelques autres forteresses; denombreusesrecruesarriveront.Auxpremiersjoursduprintemps,touts'ébranlerapour une campagne décisive; en Asie le général Paskéwitch a envahi troispachaliks,ilcommandelessourcesdel'Euphrateetmenacelarouted'Erzeroum.VoilàpourcequiconcernelaRussie.

«L'empereurNicolaseût-ilmieuxfaitd'entreprendreunecampagned'hiverenEurope?Jelepense,s'ilenavaitlapossibilité.EnmarchantsurConstantinople,

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il aurait tranché le nœud gordien, il aurait mis fin à toutes les intriguesdiplomatiques;onserangeducôtédessuccès;lemoyend'avoirdesalliés,c'estdevaincre.

«QuantàlaTurquie,ilm'estdémontréqu'ellenouseûtdéclarélaguerre,silesRusses eussent échoué devant Varna. Aura-t-elle le bon sens aujourd'huid'entamerdesnégociationsavecl'AngleterreetlaFrancepoursedébarrasseraumoinsdel'uneetdel'autre?L'Autricheluiconseilleraitvolontiersceparti;maisil estbiendifficiledeprévoirquelle sera la conduited'une raced'hommesquin'ont point les idées européennes. À la fois rusés comme des esclaves etorgueilleuxcommedestyrans,lacolèren'estjamaischezeuxtempéréequeparla peur. Le sultan Mahmoud II, sous quelques rapports, paraît un princesupérieur aux derniers sultans; il a surtout le courage politique; mais a-t-il lecouragepersonnel?Ilsecontentedepasserdesrevuesdanslesfaubourgsdesacapitale, et se fait supplier par les grands de n'aller pas même jusqu'àAndrinople. La populace de Constantinople serait mieux contenue par lestriomphesqueparlaprésencedesonmaître.

«AdmettonstoutefoisqueleDivanconsenteàdespourparlerssurlesbasesdutraitédu6juillet.Lanégociationseratrèsépineuse;quandiln'yauraitàréglerque les limites de la Grèce, c'est à n'en pas finir. Où ces limites seront-ellesposéessurlecontinent?Combiend'îlesseront-ellesrenduesàlaliberté?Samos,quiasivaillammentdéfendusonindépendance,sera-t-elleabandonnée?Allonsplus loin, supposons les conférences établies: paralyseront-elles les armées del'empereur Nicolas? Tandis que les plénipotentiaires des Turcs et des troispuissances alliées négocieront dans l'Archipel, chaque pas des troupesenvahissantes dans la Bulgarie changera l'état de la question. Si les Russesétaientrepoussés, lesTurcsrompraient lesconférences;si lesRussesarrivaientauxportesdeConstantinople,ils'agiraitbiendel'indépendancedelaMorée!LesHellènesn'auraientbesoinnideprotecteursnidenégociateurs.

«Ainsidonc,amenerleDivanàs'occuperdutraitédu6dejuillet,c'estreculerladifficulté,etnonlarésoudre.Lacoïncidencedel'émancipationdelaGrèceetdelasignaturedelapaixentrelesTurcsetlesRussesest,àmonavis,nécessairepourfairesortirlescabinetsdel'Europedel'embarrasoùilssetrouvent.

«Quellesconditionsl'empereurNicolasmettra-t-ilàlapaix?

«Dans sonmanifeste, il déclare qu'il renonce à des conquêtes,mais il parle

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d'indemnitéspourlesfraisdelaguerre:celaestvagueetpeutmenerloin.

«Le cabinet de Saint-Pétersbourg, prétendant régulariser les traitésd'Akkerman et d'Yassy, demandera-t-il: 1o l'indépendance complète des deuxprincipautés;2o la libertédu commercedans lamerNoire, tant pour lanationrussequepour lesautresnations;3o le remboursementdes sommesdépenséesdansladernièrecampagne?

«D'innombrables difficultés se présentent à la conclusion d'une paix sur cesbases.

«Si la Russie veut donner aux principautés des souverains de son choix,l'AutricheregarderalaMoldavieetlaValachiecommedeuxprovincesrusses,ets'opposeraàcettetransactionpolitique.

«LaMoldavie et la Valachie passeront-elles sous la domination d'un princeindépendantdetoutegrandepuissance,oud'unprinceinstallésousleprotectoratdeplusieurssouverains?

«Danscecas,NicolaspréféreraitdeshospodarsnommésparMahmoud, carles principautés, ne cessant pas d'être turques, demeureraient vulnérables auxarmesdelaRussie.

«LalibertéducommercedelamerNoire,l'ouverturedecettemeràtouteslesflottesdel'Europeetdel'Amérique,ébranleraientlapuissancedelaPortedansses fondements. Octroyer le passage des vaisseaux de guerre sousConstantinople,c'est,parrapportàlagéographiedel'empireottoman,commesil'onreconnaissait ledroitàdesarméesétrangèresdetraverserentout tempslaFrancelelongdesmursdeParis.

«Enfin, où la Turquie prendrait-elle de l'argent pour payer les frais de lacampagne? Le prétendu trésor des sultans est une vieille fable. Les provincesconquises au delà du Caucase pourraient être, il est vrai, cédées commehypothèquede lasommedemandée:desdeuxarmées russes, l'une,enEurope,mesembleêtrechargéedesintérêtsdel'honneurdeNicolas;l'autre,enAsie,desesintérêtspécuniaires.MaissiNicolasnesecroyaitpasliéparlesdéclarationsdesonmanifeste,l'Angleterreverrait-elled'unœilindifférentlesoldatmoscovites'avancersurlaroutedel'Inde?N'a-t-ellepasdéjàétéalarmée,lorsqu'en1827ilafaitunpasdeplusdansl'empirepersan?

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«Si la double difficulté qui naît et de lamise à exécutiondu traité, et de lapertinencedesconditionsd'unepaixentrelaTurquieetlaRussie;sicettedoubledifficulté rendait inutiles les efforts tentéspourvaincre tant d'obstacles; si uneseconde campagne s'ouvrait au printemps, les puissances de l'Europeprendraient-ellespartidans laquerelle?Quel serait le rôlequedevrait jouer laFrance?C'estcequejevaisexaminerdanslasecondepartiedecetteNote.»

SECONDEPARTIE.

«L'Autricheetl'Angleterreontdesintérêtscommuns,ellessontnaturellementalliéespourleurpolitiqueextérieure,quellesquesoientd'ailleurslesdifférentesformes de leurs gouvernements et les maximes opposées de leur politiqueintérieure. Toutes deux sont ennemies et jalouses de la Russie, toutes deuxdésirentarrêter lesprogrèsdecettepuissance;elles s'unirontpeut-êtredansuncasextrême;maisellessententquesilaRussieneselaissepasimposer,ellepeutbravercetteunionplusformidableenapparencequ'enréalité.

«L'Autrichen'arienàdemanderàl'Angleterre;celle-ciàsontourn'estbonneà l'Autriche que pour lui fournir de l'argent. Or, l'Angleterre, écrasée sous lepoidsdesadette,n'aplusd'argentàprêteràpersonne.Abandonnéeàsespropresressources, l'Autriche ne saurait, dans l'état actuel de ses finances, mettre enmouvementdenombreusesarmées,surtoutétantobligéedesurveillerl'ItalieetdesetenirengardesurlesfrontièresdelaPologneetdelaPrusse.Lapositionactuelle des troupes russes leur permettrait d'entrer plus vite à Vienne qu'àConstantinople.

«Que peuvent les Anglais contre la Russie? Fermer la Baltique, ne plusacheter le chanvre et les bois sur les marchés du Nord, détruire la flotte del'amiralHeyden[87]dans laMéditerranée, jeterquelques ingénieursetquelquessoldatsdansConstantinople,porterdanscettecapitaledesprovisionsdeboucheetdesmunitionsdeguerre,pénétrerdans lamerNoire,bloquer lesportsde laCrimée, priver les troupes russes en campagne de l'assistance de leurs flottescommercialesetmilitaires?

«Supposons tout cela accompli (ce qui d'abord ne se peut faire sans desdépenses considérables, lesquelles n'auraient ni dédommagement ni garantie),resterait toujours à Nicolas son immense armée de terre. Une attaque del'Autricheetdel'AngleterrecontrelaCroixenfaveurduCroissantaugmenterait

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enRussielapopularitéd'uneguerredéjànationaleetreligieuse.Desguerresdecette nature se font sans argent, ce sont celles qui précipitent, par la force del'opinion, les nations les unes sur les autres. Que les papas commencent àévangéliser à Saint-Pétersbourg, comme les ulémas mahométisent àConstantinople,ilsnetrouverontquetropdesoldats;ilsauraientplusdechancedesuccèsqueleursadversairesdanscetappelauxpassionsetauxcroyancesdeshommes.Lesinvasionsquidescendentdunordaumidisontbienplusrapidesetbien plus irrésistibles que celles qui gravissent dumidi au nord: la pente despopulationslesinclineàs'écoulerverslesbeauxclimats.

«La Prusse demeurerait-elle spectatrice indifférente de cette grande lutte, sil'Autricheet l'Angleterresedéclaraientpour laTurquie? Iln'yapas lieude lecroire.

«IlexistesansdoutedanslecabinetdeBerlinunpartiquihaitetquicraintlecabinet deSaint-Pétersbourg;mais ce parti, qui d'ailleurs commence à vieillir,trouve pour obstacle le parti anti-autrichien et surtout des affectionsdomestiques.

«Lesliensdefamille,faiblesordinairemententrelessouverains,sonttrèsfortsdanslafamilledePrusse:leroiFrédéric-GuillaumeIIIaimetendrementsafille,l'impératriceactuelledeRussie,etilseplaîtàpenserquesonpetit-filsmonterasurletrônedePierreleGrand;lesprincesFrédéric,Guillaume,Charles,Henri-Albert, sont aussi très attachés à leur sœur Alexandra; le prince royalhéréditaire[88]nefaisaitpasdedifficultédedéclarerdernièrementàRomequ'ilétaitturcophage.

«Endécomposantainsi les intérêts,on s'aperçoitque laFranceestdansuneadmirable position politique: elle peut devenir l'arbitre de ce grand débat; ellepeutàsongrégarderlaneutralitéousedéclarerpourunparti,selonletempsetlescirconstances.Sielleétaitjamaisobligéed'enveniràcetteextrémité,sisesconseilsn'étaientpasécoutés,si lanoblesseetlamodérationdesaconduitenelui obtenaient pas la paix qu'elle désire pour elle et pour les autres; dans lanécessité où elle se trouverait de prendre les armes, tous ses intérêts laporteraientducôtédelaRussie.

«Qu'une alliance se forme entre l'Autriche et l'Angleterre contre la Russie,quelfruitlaFrancerecueillerait-elledesonadhésionàcettealliance?

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«L'Angleterreprêterait-elledesvaisseauxàlaFrance?

«LaFranceestencore,après l'Angleterre, lapremièrepuissancemaritimedel'Europe;elleaplusdevaisseauxqu'ilneluienfautpourdétruire,s'illefallait,lesforcesnavalesdelaRussie.

«L'Angleterrenousfournirait-elledessubsides?

«L'Angleterre n'a point d'argent; la France en a plus qu'elle, et les Françaisn'ontpasbesoind'êtreàlasoldeduParlementbritannique.

«L'Angleterrenousassisterait-elledesoldatsetd'armes?

«LesarmesnemanquentpointàlaFrance,encoremoinslessoldats.

«L'Angleterrenousassurerait-elleunaccroissementde territoire insulaireoucontinental?

«Où prendrons-nous cet accroissement, si nous faisons, au profit du GrandTurc, la guerre à laRussie?Essayerons-nous des descentes sur les côtes de lamerBaltique,delamerNoireetdudétroitdeBehring?Aurions-nousuneautreespérance?Penserions-nousànousattacher l'Angleterreafinqu'elleaccourûtànotresecourssijamaisnosaffairesintérieuresvenaientàsebrouiller?

«Dieunousgarded'unetelleprévisionetd'uneinterventionétrangèredansnosaffairesdomestiques!L'Angleterre,d'ailleurs,atoujoursfaitbonmarchédesroiset de la liberté des peuples; elle est toujours prête à sacrifier sans remordsmonarchie ou république à ses intérêts particuliers. Naguère encore, elleproclamait l'indépendance des colonies espagnoles, en même temps qu'ellerefusait de reconnaître celle de la Grèce; elle envoyait ses flottes appuyer lesinsurgésduMexique,etfaisaitarrêterdanslaTamisequelqueschétifsbateauxàvapeur destinés pour les Hellènes; elle admettait la légitimité des droits deMahmoud,etniaitcelledesdroitsdeFerdinand;vouéetouràtouraudespotismeou à la démocratie, selon le vent qui amenait dans ses ports les vaisseauxdesmarchandsdelacité.

«Enfin,ennousassociantauxprojetsguerriersdel'Angleterreetdel'AutrichecontrelaRussie,oùirions-nouscherchernotreancienadversaired'Austerlitz?iln'est point sur nos frontières. Ferions-nous donc partir à nos frais cent millehommes bien équipés, pour secourir Vienne ou Constantinople?Aurions-nous

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unearméeàAthènespourprotéger lesGrecscontre lesTurcs, etunearméeàAndrinople pour protéger les Turcs contre lesRusses?Nousmitraillerions lesOsmanlisenMorée,etnouslesembrasserionsauxDardanelles?Cequimanquedesenscommundanslesaffaireshumainesneréussitpas.

«Admettons néanmoins, en dépit de toute vraisemblance, que nos effortsfussent couronnés d'un plein succès dans cette triple alliance contre nature,supposonsque laPrussedemeurâtneutrependant toutcedémêlé,ainsique lesPays-Bas, et que, libres de porter nos forces au dehors, nous ne fussions pasobligésdenousbattreàsoixantelieuesdeParis:ehbien!quelprofitretirerions-nousdenotrecroisadepourladélivrancedutombeaudeMahomet?ChevaliersdesTurcs,nousreviendrionsduLevantavecunepelissed'honneur;nousaurionslagloired'avoirsacrifiéunmilliardetdeuxcentmillehommespourcalmerlesterreurs de l'Autriche, pour satisfaire aux jalousies de l'Angleterre, pourconserverdans laplusbellepartiedumondelapesteet labarbarieattachéesàl'empire ottoman.L'Autriche aurait peut-être augmenté sesÉtats du côté de laValachie et de laMoldavie, et l'Angleterre aurait peut-être obtenu de la Portequelquesprivilègescommerciaux,privilègespournousd'unfaibleintérêtsinousyparticipions,puisquenousn'avonsni lemêmenombredenaviresmarchandsquelesAnglais,nilesmêmesouvragesmanufacturésàrépandredansleLevant.Nousserionscomplètementdupesdecette triplealliancequipourraitmanquersonbut,etqui,siellel'atteignait,nel'atteindraitqu'ànosdépens.

«Maissil'Angleterren'aaucunmoyendirectdenousêtreutile,nesaurait-elledumoinsagirsurlecabinetdeVienne,engagerl'Autriche,encompensationdessacrifices que nous ferions pour elle, à nous laisser reprendre les anciensdépartementssituéssurlarivegaucheduRhin?

«Non: l'Autriche et l'Angleterre s'opposeront toujours à une pareilleconcession;laRussieseulepeutnouslafaire,commenousleverronsci-après.L'Autrichenousdétesteets'épouvantedenous,encoreplusqu'ellenehaitetneredoutelaRussie;malpourmal,elleaimeraitmieuxquecettedernièrepuissances'étendîtducôtédelaBulgariequelaFranceducôtédelaBavière.

«Mais l'indépendance de l'Europe serait menacée si les czars faisaient deConstantinoplelacapitaledeleurempire?

«Ilfautexpliquercequel'onentendpar l'indépendancedel'Europe:veut-ondireque,toutéquilibreétantrompu,laRussie,aprèsavoirfaitlaconquêtedela

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Turquie européenne, s'emparerait de l'Autriche, soumettrait l'Allemagne et laPrusse,etfiniraitparasservirlaFrance?

«Et d'abord, tout empire qui s'étend sansmesure perd de sa force; presquetoujoursilsedivise;onverraitbientôtdeuxoutroisRussiesennemieslesunesdesautres.

«Ensuite l'équilibrede l'Europeexiste-t-il pour laFrancedepuis lesdernierstraités?

«L'Angleterreaconservépresquetouteslesconquêtesqu'elleafaitesdanslescoloniesdetroispartiesdumondependantlaguerredelaRévolution;enEuropeelle a acquisMalte et les îles ioniennes; il n'y a pas jusqu'à son électorat deHanovrequ'ellen'aitenfléenroyaumeetagrandidequelquesseigneuries.

«L'Autriche a augmenté ses possessions d'un tiers de la Pologne et desrognuresdelaBavière,d'unepartiedelaDalmatieetdel'Italie.Ellen'aplus,ilestvrai, lesPays-Bas;maiscetteprovincen'apointétédévolueà laFrance,etelle est devenue contre nous une auxiliaire redoutable de l'Angleterre et de laPrusse.

«LaPrusses'estagrandieduduchéoupalatinatdePosen,d'unfragmentdelaSaxe et des principaux cercles duRhin; son poste avancé est sur notre propreterritoire,àdixjournéesdemarchedenotrecapitale.

«LaRussiearecouvrélaFinlandeets'estétabliesurlesbordsdelaVistule.

«Et nous, qu'avons-nous gagné dans tous ces partages? Nous avons étédépouillésdenoscolonies;notrevieuxsolmêmen'apasété respecté:Landaudétachéde laFrance,Huningue rasé, laissentunebrèchedeplusde cinquantelieuesdansnosfrontières;lepetitÉtatdeSardaignen'apasrougideserevêtirdequelques lambeaux volés à l'empire de Napoléon et au royaume de Louis leGrand.

«Dans cette position, quel intérêt avons-nous à rassurer l'Autriche etl'Angleterre contre les victoires de la Russie? Quand celle-ci s'étendrait versl'OrientetalarmeraitlecabinetdeVienne,enserions-nousendanger?Nousa-t-on assezménagés, pour que nous soyons si sensibles aux inquiétudes de nosennemis? L'Angleterre et l'Autriche ont toujours été et seront toujours lesadversairesnaturelsdelaFrance;nouslesverrionsdemains'allierdegrandcœur

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àlaRussie,s'ils'agissaitdenouscombattreetdenousdépouiller.

«N'oublionspasque, tandisquenousprendrions les armespour leprétendusalutdel'Europe,miseenpérilparl'ambitionsupposéedeNicolas,ilarriveraitprobablementquel'Autriche,moinschevaleresqueetplusrapace,écouteraitlespropositionsducabinetdePétersbourg:un revirementbrusquedepolitique luicoûtepeu.DuconsentementdelaRussie,ellesesaisiraitdelaBosnieetdelaServie,nouslaissantlasatisfactiondenousévertuerpourMahmoud.

«LaFranceestdéjàdansunedemi-hostilitéavec lesTurcs;elleseuleadéjàdépensé plusieurs millions et exposé vingt mille soldats dans la cause de laGrèce; l'Angleterreneperdraitquequelquesparolesen trahissant lesprincipesdu traitédu6de juillet; laFranceyperdraithonneur,hommesetargent:notreexpéditionneseraitplusqu'unevraiecascadepolitique.

«Mais,sinousnenousunissonspasàl'Autricheetàl'Angleterre,l'empereurNicolasiradoncàConstantinople?l'équilibredel'Europeseradoncrompu?

«Laissons, pour le répéter encore une fois, ces frayeurs feintes ou vraies àl'Angleterreetàl'Autriche.QuelapremièrecraignedevoirlaRussies'emparerdelatraiteduLevantetdevenirpuissancemaritime,celanousimportepeu.Est-il donc sinécessaireque laGrande-Bretagne reste enpossessiondumonopoledes mers, que nous répandions le sang français pour conserver le sceptre del'Océanauxdestructeursdenoscolonies,denosflottesetdenotrecommerce?Faut-ilquelaracelégitimemetteenmouvementdesarmées,afindeprotégerlamaison qui s'unit à l'illégitimité et qui réserve peut-être pour des temps dediscordelesmoyensqu'ellecroitavoirdetroublerlaFrance?Beléquilibrepournous que celui de l'Europe, lorsque toutes les puissances, comme je l'ai déjàmontré,ontaugmentéleursmassesetdiminuéd'uncommunaccordlepoidsdelaFrance!Qu'ellesrentrentcommenousdansleursancienneslimites;puisnousvolerons au secours de leur indépendance, si cette indépendance estmenacée.EllesnesefirentaucunscrupuledesejoindreàlaRussie,pournousdémembreretpours'incorporerlefruitdenosvictoires;qu'ellessouffrentdoncaujourd'huique nous resserrions les liens formés entre nous et cette même Russie pourreprendredeslimitesconvenablesetrétablirlavéritablebalancedel'Europe!

«Au surplus, si l'empereur Nicolas voulait et pouvait aller signer la paix àConstantinople, la destruction de l'empire ottoman serait-elle la conséquencerigoureusedecefait?LapaixaétésignéelesarmesàlamainàVienne,àBerlin,

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àParis;presquetouteslescapitalesdel'Europedanscesdernierstempsontétéprises: l'Autriche, laBavière, laPrusse, l'Espagneont-ellespéri?Deux fois lesCosaquesetlesPandourssontvenuscamperdanslacourduLouvre;leroyaumedeHenriIVaétéoccupémilitairementpendanttroisannées,etnousserionstoutémus de voir les Cosaques au sérail, et nous aurions pour l'honneur de labarbarie cette susceptibilité que nous n'avons pas eue pour l'honneur de lacivilisationetpournotreproprepatrie!Quel'orgueildelaPortesoithumilié,etpeut-être alors l'obligera-t-on à reconnaître quelques-uns de ces droits del'humanitéqu'elleoutrage.

«Onvoitmaintenantoùjevais,etlaconséquencequejem'apprêteàtirerdetoutcequiprécède.Voicicetteconséquence:

«Silespuissancesbelligérantesnepeuventarriveràunarrangementpendantl'hiver;silerestedel'Europecroitdevoirauprintempssemêlerdelaquerelle;sides alliances diverses sont proposées; si la France est absolument obligée dechoisirentrecesalliances;silesévénementslaforcentdesortirdesaneutralité,tous ses intérêts doivent la décider à s'unir de préférence à la Russie;combinaison d'autant plus sûre qu'il serait facile, par l'offre de certainsavantages,d'yfaireentrerlaPrusse.

«IlyasympathieentrelaRussieetlaFrance;ladernièreapresquecivilisélapremièredanslesclassesélevéesdelasociété;elleluiadonnésalangueetsesmœurs. Placées aux deux extrémités de l'Europe, la France et laRussie ne setouchentpointparleursfrontières;ellesn'ontpointdechampdebatailleoùellespuissent se rencontrer; ellesn'ont aucune rivalitédecommerce, et lesennemisnaturels de la Russie (les Anglais et les Autrichiens) sont aussi les ennemisnaturelsdelaFrance.Entempsdepaix,quelecabinetdesTuileriesrestel'alliéducabinetdeSaint-Pétersbourg,etriennepeutbougerenEurope.Entempsdeguerre,l'uniondesdeuxcabinetsdicteradesloisaumonde.

«J'aifaitvoirassezquel'alliancedelaFranceavecl'Angleterreetl'AutrichecontrelaRussieestunealliancededupe,oùnousnetrouverionsquelapertedenotresangetdenostrésors.L'alliancedelaRussie,aucontraire,nousmettraitàmême d'obtenir des établissements dans l'Archipel et de reculer nos frontièresjusqu'auxbordsduRhin.NouspouvonstenircelangageàNicolas:

«Vos ennemis nous sollicitent; nous préférons la paix à la guerre, nousdésironsgarder laneutralité.Maisenfinsivousnepouvezvidervosdifférents

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avec la Porte que par les armes, si vous voulez aller àConstantinople, entrezavec les puissances chrétiennes dans un partage équitable de la Turquieeuropéenne. Celles de ces puissances qui ne sont pas placées de manière às'agrandir du côté de l'Orient recevront ailleurs des dédommagements. Nous,nousvoulonsavoir la ligneduRhin,depuisStrasbourgjusqu'àCologne.Tellessontnosjustesprétentions.LaRussieaunintérêt(votrefrèreAlexandrel'adit)àcequelaFrancesoitforte.Sivousconsentezàcetarrangementetquelesautrespuissancess'yrefusent,nousnesouffrironspasqu'ellesinterviennentdansvotredémêléaveclaTurquie.Siellesvousattaquentmalgrénosremontrances,nousles combattrons avec vous, toujours aux mêmes conditions que nous venonsd'exprimer.»

«Voilàcequ'onpeutdireàNicolas.Jamaisl'Autriche,jamaisl'AngleterrenenousdonnerontlalimiteduRhinpourprixdenotreallianceavecelles:or,c'estpourtant là que tôt ou tard la France doit placer ses frontières, tant pour sonhonneurquepoursasûreté.

«Uneguerreavecl'Autricheetavecl'Angleterreadesespérancesnombreusesdesuccèsetpeudechancesderevers.Ilestd'aborddesmoyensdeparalyserlaPrusse,de ladéterminermêmeàs'unirànousetà laRussie;cecasarrivé, lesPays-Basnepeuventsedéclarerennemis.Danslapositionactuelledesesprits,quarantemilleFrançaisdéfendantlesAlpessoulèveraienttoutel'Italie.

«Quantauxhostilitésavecl'Angleterre,siellesdevaientjamaiscommencer,ilfaudrait ou jeter vingt-cinq mille hommes de plus en Morée ou en rappelerpromptementnos troupesetnotre flotte.Renoncezauxescadres,dispersezvosvaisseauxunàunsur toutes lesmers;ordonnezdecoulerbas toutes lesprisesaprèsenavoirretiréleséquipages,multipliezleslettresdemarquedanslesportsdes quatre parties du monde, et bientôt la Grande-Bretagne, forcée par lesbanqueroutesetlescrisdesoncommerce,solliciteralerétablissementdelapaix.Nel'avons-nouspasvuecapituleren1814devantlamarinedesÉtats-Unis,quinesecomposepourtantaujourd'huiquedeneuffrégatesetdeonzevaisseaux?

«Considérée sous ledouble rapportdes intérêtsgénérauxde la sociétéetdenos intérêts particuliers, la guerre de la Russie contre la Porte ne doit nousdonneraucunombrage.Enprincipedegrandecivilisation,l'espècehumainenepeutquegagneràladestructiondel'empireottoman:mieuxvautmillefoispourlespeuples ladominationde laCroixàConstantinoplequecelleduCroissant.Tous les éléments de la morale et de la société politique sont au fond du

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christianisme, touslesgermesdeladestructionsocialesontdanslareligiondeMahomet.Ondit que le sultan actuel a fait des pas vers la civilisation: est-ceparcequ'ilaessayé,àl'aidedequelquesrenégatsfrançais,dequelquesofficiersanglais et autrichiens, de soumettre ses hordes fanatiques à des exercicesréguliers? Et depuis quand l'apprentissage machinal des armes est-il lacivilisation?C'estunefauteénorme,c'estpresqu'uncrimed'avoirinitiélesTurcsdans lasciencedenotre tactique: il fautbaptiser lessoldatsqu'ondiscipline,àmoinsqu'onneveuilleéleveràdesseindesdestructeursdelasociété.

«L'imprévoyance est grande: l'Autriche, qui s'applaudit de l'organisationdesarmées ottomanes, serait la première à porter la peine de sa joie: si les TurcsbattaientlesRusses,àplusforteraisonseraient-ilscapablesdesemesureraveclesimpériauxleursvoisins;Viennecettefoisn'échapperaitpasaugrandvizir.Lereste de l'Europe, qui croit n'avoir rien à craindrede laPorte, serait-il plus ensûreté?DeshommesàpassionsetàcourtevueveulentquelaTurquiesoitunepuissancemilitaire régulière, qu'elle entre dans le droit commundepaix et deguerre des nations civilisées, le tout pourmaintenir je ne sais quelle balance,dontlemotvidedesensdispenseceshommesd'avoiruneidée:quellesseraientlesconséquencesdecesvolontésréalisées?Quandilplairaitausultan,sousunprétexte quelconque, d'attaquer un gouvernement chrétien, une flotteconstantinopolitainebienmanœuvrée,augmentéedelaflottedupachad'Égypteetducontingentmaritimedespuissancesbarbaresques,déclarerait lescôtesdel'Espagneoudel'Italieenétatdeblocus,débarqueraitcinquantemillehommesàCarthagèneouàNaples.VousnevoulezpasplanterlaCroixsurSainte-Sophie:continuezdedisciplinerdeshordesdeTurcs,d'Albanais,deNègresetd'Arabes,et avant vingt ans peut-être le Croissant brillera sur le dôme de Saint-Pierre.Appellerez-vousalors l'Europeàunecroisadecontredes infidèles armésde lapeste,del'esclavageetduCoran?ilseratroptard.

«Lesintérêtsgénérauxdelasociététrouveraientdoncleurcompteausuccèsdesarmesdel'empereurNicolas.

«Quantaux intérêtsparticuliersde laFrance, j'aisuffisammentprouvéqu'ilsexistaientdansuneallianceaveclaRussieetqu'ilspouvaientêtresingulièrementfavorisésparlaguerremêmequecettepuissancesoutientaujourd'huienOrient.»

RÉSUMÉ,CONCLUSIONETRÉFLEXIONS.

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«Jemerésume:

«1oLaTurquie consentît-elle à traiter sur lesbasesdu traitédu6de juillet,rienneseraitencoredécidé,lapaixn'étantpasfaiteentrelaTurquieetlaRussie;leschancesdelaguerredanslesdéfilésduBalkanchangeraientàchaqueinstantlesdonnéeset lapositiondesplénipotentiairesoccupésdel'émancipationdelaGrèce.

«2oLesconditionsprobablesdelapaixentre l'empereurNicolaset lesultanMahmoudsontsujettesauxplusgrandesobjections.

«3oLaRussiepeutbraverl'uniondel'Angleterreetdel'Autriche,unionplusformidableenapparencequ'enréalité.

«4o Il est probable que la Prusse se réunirait plutôt à l'empereur Nicolas,gendredeFrédéric-GuillaumeIII,qu'auxennemisdel'Empereur.

«5oLaFranceauraittoutàperdreetrienàgagnerens'alliantavecl'Angleterreetl'AutrichecontrelaRussie.

«6oL'indépendancedel'EuropeneseraitpointmenacéeparlesconquêtesdesRusses enOrient.C'est une chosepassablement absurde, c'est ne tenir compted'aucunobstacle,quedefaireaccourirlesRussesduBosphorepourimposerleurjougà l'Allemagneetà laFrance: toutempires'affaiblitens'étendant.Quantàl'équilibre des forces, il y a longtempsqu'il est rompupour laFrance;—elle aperdu ses colonies, elle est resserrée dans ses anciennes limites, tandis quel'Angleterre,laPrusse,laRussieetl'Autrichesesontprodigieusementagrandies.

«7oSi laFranceétaitobligéedesortirdesaneutralité,deprendre lesarmespourunpartioupourunautre,lesintérêtsgénérauxdelacivilisation,commelesintérêtsparticuliersdenotrepatrie,doiventnousfaireentrerdepréférencedansl'alliancerusse.ParellenouspourrionsobtenirlecoursduRhinpourfrontièreset des colonies dans l'Archipel, avantages que ne nous accorderont jamais lescabinetsdeSaint-JamesetdeVienne.

«Tel est le résumé de cetteNote. Je n'ai pu raisonner qu'hypothétiquement;j'ignorecequel'Angleterre,l'AutricheetlaRussieproposentouontproposéaumoment même où j'écris; il y a peut-être un renseignement, une dépêche quiréduisentà des généralités inutiles les vérités exposées ici: c'est l'inconvénient

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des distances et de la politique conjecturale. Il reste néanmoins certain que lapositiondelaFranceestforte;quelegouvernementestàmêmedetirerleplusgrandpartides événements s'il se rendbiencomptedecequ'il veut, s'il ne selaisse intimiderparpersonne,si,à lafermetédu langage, il joint lavigueurdel'action.Nous avons un roi vénéré, un héritier du trône qui accroîtrait sur lesbords du Rhin, avec trois cent mille hommes, la gloire qu'il a recueillie enEspagne;notreexpéditiondeMoréenousfaitjouerunrôlepleind'honneur;nosinstitutions politiques sont excellentes, nos finances sont dans un état deprospéritésansexempleenEurope:aveccelaonpeutmarcher tête levée.Quelbeaupaysqueceluiquipossèdelegénie,lecourage,lesbrasetl'argent!

«Au surplus, je ne prétends pas avoir tout dit, tout prévu; je n'ai point laprésomptiondedonnermonsystèmecommelemeilleur;jesaisqu'ilyadanslesaffaireshumainesquelquechosedemystérieux,d'insaisissable.S'ilestvraiqu'onpuisseannoncerassezbienlesderniersetgénérauxrésultatsd'unerévolution,ilest également vrai qu'on se trompe dans les détails, que les événementsparticuliers semodifient souvent d'unemanière inattendue, et qu'en voyant lebut,onyarrivepardescheminsdontonnesoupçonnaitpasmêmel'existence.Ilestcertain,parexemple,quelesTurcsserontchassésdel'Europe;maisquandetcomment?Laguerreactuelledélivrera-t-ellelemondecivilisédecefléau?Lesobstaclesquej'aisignalésàlapaixsont-ilsinsurmontables?Oui,sil'ons'entientaux raisonnements analogues; non, si l'on fait entrer dans les calculs descirconstancesétrangèresàcellesquiontoccasionnélaprised'armes.

«Presque rien aujourd'hui ne ressemble à ce qui a été: hors la religion et lamorale,laplupartdesvéritéssontchangées,sinondansleuressence,dumoinsdansleursrapportsavecleschosesetleshommes.D'Ossatresteencorecommeunnégociateurhabile,Grotiuscommeunpublicistedegénie,Pufendorfcommeunesprit judicieux;maisonnesauraitappliquerànostempslesrèglesdeleurdiplomatie,nirevenirpourledroitpolitiquedel'EuropeautraitédeWestphalie.Lespeuplessemêlentactuellementdeleursaffaires,conduitesautrefoisparlesseuls gouvernements. Ces peuples ne sentent plus les choses comme ils lessentaientjadis;ilsnesontplusaffectésdesmêmesévénements;ilsnevoientpluslesobjetssouslemêmepointdevue;laraisonchezeuxafaitdesprogrèsauxdépens de l'imagination; le positif l'emporte sur l'exaltation et sur lesdéterminationspassionnées;unecertaineraisonrègnepartout.Surlaplupartdestrônes,etdanslamajoritédescabinetsdel'Europe,sontassisdeshommeslasderévolutions, rassasiésdeguerre,etantipathiquesà toutespritd'aventures:voilàdesmotifs d'espérance pour des arrangements pacifiques. Il peut exister aussi

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chez les nations des embarras intérieurs qui les disposeraient à des mesuresconciliatrices.

«La mort de l'impératrice douairière de Russie[89] peut développer dessemencesdetroublesquin'étaientpasparfaitementétouffées.Cetteprincessesemêlaitpeudelapolitiqueextérieure,maiselleétaitunlienentresesfils;elleapassépouravoirexercéunegrandeinfluencesurlestransactionsquiontdonnéla couronne à l'empereur Nicolas. Toutefois, il faut avouer que si Nicolasrecommençait à craindre, ce serait pour lui un motif de plus de pousser sessoldatshorsdusolnataletdecherchersasûretédanslavictoire.

«L'Angleterre, indépendamment de sa dette qui gêne ses mouvements, estembarrasséedanslesaffairesd'Irlande:quel'émancipationdescatholiquespasseounepassepasdansleParlement,ceseraunévénementimmense.LasantéduroiGeorgeestchancelante,celledesonsuccesseurimmédiatn'estpasmeilleure;si l'accident prévu arrivait bientôt, il y aurait convocation d'un nouveauParlement,peut-êtrechangementdeministres,etleshommescapablessontraresaujourd'hui en Angleterre; une longue régence pourrait peut-être venir. Danscette position précaire et critique, il est probable que l'Angleterre désiresincèrement la paix, et qu'elle craint de se précipiter dans les chances d'unegrande guerre, au milieu de laquelle elle se trouverait surprise par descatastrophesintérieures.

«Enfinnous-mêmes,malgrénosprospéritésréellesetindiscutables,bienquenous puissions nous montrer avec éclat sur un champ de bataille, si nous ysommesappelés, sommes-nous toutà faitprêtsàyparaître?Nosplaces fortessont-elles réparées? Avons-nous le matériel nécessaire pour une nombreusearmée?Cettearméeest-ellemêmeaucompletdupieddepaix?Sinousétionsréveillésbrusquementparunedéclarationdeguerredel'Angleterre,delaPrusseet des Pays-Bas, pourrions-nous nous opposer efficacement à une troisièmeinvasion?LesguerresdeNapoléonontdivulguéunfatalsecret:c'estqu'onpeutarriverenquelquesjournéesdemarcheàParisaprèsuneaffaireheureuse;c'estqueParisnesedéfendpas;c'estquecemêmeParisestbeaucouptropprèsdelafrontière.LacapitaledelaFranceneseraàl'abriquequandnousposséderonslarivegaucheduRhin.Nouspouvonsdonc avoir besoind'un tempsquelconquepournouspréparer.

«Ajoutonsàtoutcelaquelesvicesetlesvertusdesprinces,leurforceetleurfaiblessemorale, leurcaractère, leurspassions, leurshabitudesmême,sontdes

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causes d'actes et de faits rebelles aux calculs, et qui ne rentrent dans aucuneformule politique: la plus misérable influence détermine quelquefois le plusgrand événement dans un sens contraire à la vraisemblance des choses; unesclavepeutfairesigneràConstantinopleunepaixquetoutel'Europe,conjuréeouàgenoux,n'obtiendraitpas.

«Que si donc quelqu'une de ces raisons placées hors de la prévoyancehumaineamenait,durantcethiver,desdemandesdenégociations,faudrait-illesrepousser si ellesn'étaientpasd'accordavec lesprincipesdecetteNote?Non,sansdoute:gagnerdu tempsestungrandartquandonn'estpasprêt.Onpeutsavoir ce qu'il y aurait de mieux, et se contenter de ce qu'il y a de moinsmauvais;lesvéritéspolitiques,surtout,sontrelatives;l'absolu,enmatièred'État,adegravesinconvénients.Ilseraitheureuxpourl'espècehumainequelesTurcsfussentjetésdansleBosphore,maisnousnesommespaschargésdel'expéditionetl'heuredumahométismen'estpeut-êtrepassonnée:lahainedoitêtreéclairéepournepasfairedesottises.RiennedoitdoncempêcherlaFranced'entrerdansdesnégociations,enayantsoindelesrapprocherlepluspossibledel'espritdanslequel cette Note est rédigée. C'est aux hommes qui tiennent le timon desempiresàlesgouvernerselonlesvents,enévitantlesécueils.

«Certes,silepuissantsouverainduNordconsentaitàréduirelesconditionsdela paix à l'exécution du traité d'Akkerman et à l'émancipation de la Grèce, ilseraitpossibledefaireentendreraisonàlaPorte;maisquelleprobabilitéya-t-ilquelaRussieserenfermedansdesconditionsqu'elleauraitpuobtenirsanstireruncoupdecanon?Commentabandonnerait-elledesprétentionssihautementetsi publiquement exprimées? Un seul moyen, s'il en est un, se présenterait:proposer un congrès général où l'empereur Nicolas céderait ou aurait l'air decéderauvœudel'Europechrétienne.Unmoyendesuccèsauprèsdeshommes,c'est de sauver leur amour-propre, de leur fournir une raison de dégager leurparoleetdesortird'unmauvaispasavechonneur.

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«Leplusgrandobstacleàceprojetd'uncongrèsviendraitdusuccèsinattendudesarmesottomanespendantl'hiver.Que,parlarigueurdelasaison,ledéfautde vivres, par l'insuffisance des troupes ou par toute autre cause, les Russessoient obligés d'abandonner le siège de Silistrie; queVarna (ce qui cependantn'estguèreprobable) retombeentre lesmainsdesTurcs, l'empereurNicolassetrouverait dans une position qui ne lui permettrait plus d'entendre à aucuneproposition, sous peine de descendre au dernier rang des monarques; alors laguerresecontinuerait,etnousrentrerionsdansleséventualitésquecetteNoteadéduites. Que la Russie perde son rang comme puissance militaire, que laTurquielaremplacedanscettequalité,l'Europen'auraitfaitquechangerdepéril.Or,ledangerquinousviendraitparlecimeterredeMahmoudseraitd'uneespècebien plus formidable que celui dont nous menacerait l'épée de l'empereurNicolas.Si la fortuneassiedparhasardunprince remarquablesur le trônedessultans,ilnepeutvivreassezlongtempspourchangerlesloisetlesmœurs,eneût-ild'ailleursledessein.Mahmoudmourra:àquilaissera-t-ill'empireavecsessoldats fanatiques disciplinés, avec ses ulémas ayant entre leurs mains, parl'initiationàlatactiquemoderne,unnouveaumoyendeconquêtepourleCoran?

«Tandisque,épouvantéeenfindecesfauxcalculs,l'Autricheseraitobligéedesegardersurdesfrontièresoùlesjanissairesneluilaissaientrienàcraindre,unenouvelle insurrectionmilitaire, résultat possible de l'humiliation des armes deNicolas éclaterait peut-être à Pétersbourg, se communiquerait de proche enproche,mettrait le feu aunordde l'Allemagne.Voilà ce quen'aperçoivent pasdeshommesquiensontrestés,pourlapolitique,auxfrayeursvulgairescommeauxlieuxcommuns.Depetitesdépêches,depetitesintrigues,sontlesbarrièresquel'Autricheprétendopposeràunmouvementquimenacetout.SilaFranceetl'Angleterre prenaient un parti digne d'elles, si elles notifiaient à la Porte que,dans le cas où le sultan fermerait l'oreille à toute proposition de paix, il lestrouverasurlechampdebatailleauprintemps,cetterésolutionauraitbientôtmisfinauxanxiétésdel'Europe.»

L'existence de ce Mémoire, ayant transpiré dans le monde diplomatique,m'attira une considération que je ne rejetais pas, mais que je n'ambitionnaispoint. Je ne vois pas trop ce qui pouvait surprendre les positifs: ma guerred'Espagne était une chose très positive. Le travail incessant de la révolutiongénéralequis'opèredanslavieillesociété,enamenantparminouslachutedelalégitimité,adérangédescalculssubordonnésàlapermanencedesfaitstelsqu'ilsexistaienten1828.

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Voulez-vous vous convaincre de l'énorme différence de mérite et de gloireentreungrandécrivainetungrandpolitique?Mestravauxdediplomateontétésanctionnésparcequiestreconnul'habiletésuprême,c'est-à-direparlesuccès.QuiconquepourtantlirajamaisceMémoirelesauterasansdouteàpiedsjoints,etj'enferaisautantàlaplacedeslecteurs[90].Ehbien,supposezqu'aulieudecepetitchef-d'œuvredechancellerie,ontrouvâtdanscetécritquelqueépisodeàlafaçond'Homère oudeVirgile, le cielm'eût-il accordé leur génie, pensez-vousqu'onfûttentédesauterlesamoursdeDidonàCarthageouleslarmesdePriamdanslatented'Achille?

ÀMADAMERÉCAMIER.

«Mercredi.Rome,ce10décembre1828.

«Je suis allé à l'Académie Tibérine, dont j'ai l'honneur d'être membre. J'aientendu des discours fort spirituels et de très beaux vers. Que d'intelligenceperdue!Cesoirj'aimongrandricevimento;j'ensuisconsternéenvousécrivant.»

«11décembre.

«Legrandricevimentos'estpasséàmerveille.MadamedeChateaubriandestravie,parcequenousavonseutouslescardinauxdelaterre.Toutel'Europe,àRome,était làavecRome.Puisque je suiscondamnépourquelques joursàcemétier, j'aimemieux le faire aussi bien qu'un autre ambassadeur. Les ennemisn'aimentaucuneespècede succès,même lesplusmisérables, et c'est lespunirque de réussir dans un genre où ils se croient eux-mêmes sans égal. SamediprochainjemetransformeenchanoinedeSaint-JeandeLatran,etdimanchejedonneàdîneràmesconfrères.Uneréunionplusdemongoûtestcellequialieuaujourd'hui:jedînechezGuérinavectouslesartistes,etnousallonsarrêtervotremonumentpourlePoussin.Unjeuneélèvepleindetalent,M.Desprez[91],feralebas-reliefprisd'untableaudugrandpeintreetM.Lemoineferalebuste.Ilnefauticiquedesmainsfrançaises.

«PourcomplétermonhistoiredeRome,madamedeCastriesestarrivée.C'estencore une de ces petites filles que j'ai fait sauter sur mes genoux commeCésarine (madame de Barante)[92]. Cette pauvre femme est bien changée; sesyeuxsesontremplisdelarmesquandjeluiairappelésonenfanceàLormois.Ilmesemblequel'enchantementn'estpluschezlavoyageuse.Quelisolement!et

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pourqui?Voyez-vous,cequ'ilyademieux,c'estd'allervousretrouverleplustôtpossible.SimonMoïse[93]descendbiende lamontagne, je luiemprunteraiundesesrayons,pourreparaîtreàvosyeuxtoutbrillantettoutrajeuni.

«Samedi,13.

«Mon dîner à l'Académie s'est passé à merveille. Les jeunes gens étaientsatisfaits: un ambassadeur dînait chez eux pour la première fois. Je leur aiannoncé le monument au Poussin: c'était comme si j'honorais déjà leurscendres.»

«Jeudi,18décembre1828.

«Aulieudeperdremontempsetlevôtreàvousraconterlesfaitsetgestesdemavie,j'aimemieuxvouslesenvoyertoutconsignésdanslejournaldeRome.Voilà encore douze mois qui achèvent de tomber sur ma tête. Quand mereposerai-je?Quand cesserai-je de perdre sur les grands chemins les jours quim'étaientprêtéspourenfaireunmeilleurusage?J'aidépensésansregardertantquej'aiétériche;jecroyaisletrésorinépuisable.Maintenant,envoyantcombienilestdiminuéetcombienpeude temps ilmeresteàmettreàvospieds, ilmeprendunserrementdecœur.Maisn'ya-t-ilpasunelongueexistenceaprèscelledelaterre?Pauvreethumblechrétien,jetrembledevantlejugementdernierdeMichel-Ange;jenesaisoùj'irai,maispartoutoùvousneserezpasjeseraibienmalheureux.Jevousaicentfoismandémesprojetsetmonavenir.Ruines,santé,pertedetouteillusion,toutmedit:«Va-t-en,retire-toi,finis.»Jeneretrouveauboutdemajournéequevous.VousavezdésiréquejemarquassemonpassageàRome,c'estfait:letombeauduPoussinrestera.Ilporteracetteinscription:F.-A.deCh.àNicolasPoussin,pourlagloiredesartsetl'honneurdelaFrance[94].Qu'ai-jemaintenantàfaireici?Rien,surtoutaprèsavoirsouscritpourlasommede cent ducats aumonument de l'homme que vous aimez le plus, dites-vous,aprèsmoi:leTasse.»

«Rome,lesamedi3janvier1829.

«Jerecommencemessouhaitsdebonneannée:quelecielvousaccordesantéetlonguevie!Nem'oubliezpas:j'aiespérance,carvousvoussouvenezbiendeM.deMontmorencyetdemadamedeStaël,vousavezlamémoireaussibonne

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quelecœur.JedisaishieràmadameSalvage[95]quejeneconnaissaisriendanslemonded'aussibeauetdemeilleurquevous.

«J'aipasséhieruneheureaveclepape.Nousavonsparlédetoutetdessujetslesplushautsetlesplusgraves.C'estunhommetrèsdistinguéettrèséclairé,etunprincepleindedignité.Ilnemanquaitauxaventuresdemaviepolitiquequed'êtreenrelationsavecunsouverainpontife;celacomplètemacarrière.

«Voulez-voussavoirexactementceque je fais?Jeme lèveàcinqheures,etdemie, je déjeune à sept heures; à huit heures je reviens dansmon cabinet: jevous écris ou je fais quelques affaires, quand il y en a (les détails pour lesétablissementsfrançaisetpourlespauvresfrançaissontassezgrands);àmidi,jevaiserrerdeuxoutroisheuresparmidesruines,ouàSaint-Pierre,ouauVatican.Quelquefois je fais une visite obligée avant ou après la promenade; à cinqheures,jerentre;jem'habillepourlasoirée;jedîneàsixheures;àseptheuresetdemie,jevaisàunesoiréeavecmadamedeChateaubriand,oujereçoisquelquespersonneschezmoi.Versonzeheuresjemecouche,oubienjeretourneencoredanslacampagne,malgrélesvoleursetlamalaria:qu'yfais-je?Rien:j'écoutelesilence, et je regarde passer mon ombre de portique en portique, le long desaqueducséclairésparlalune.

«Les Romains sont si accoutumés àma vieméthodique, que je leur sers àcompter les heures. Qu'ils se dépêchent; j'aurai bientôt achevé le tour ducadran.»

«Rome,jeudi8janvier1829.

«Jesuisbienmalheureux;duplusbeautempsdumondenoussommespassésàlapluie,desortequejenepuisplusfairemespromenades.C'étaitpourtantlàleseulbonmomentdemajournée.J'allaispensantàvousdanscescampagnesdésertes; elles liaient dansmes sentiments l'avenir et le passé, car autrefois jefaisais aussi les mêmes promenades. Je vais une ou deux fois la semaine àl'endroit où l'Anglaise s'est noyée: qui se souvient aujourd'hui de cette pauvrejeunefemme,missBathurst[96]?sescompatriotesgalopentlelongdufleuvesanspenseràelle.LeTibre,quiavubiend'autreschosesnes'enembarrassepasdutout. D'ailleurs, ses flots se sont renouvelés: ils sont aussi pâles et aussitranquilles que quand ils ont passé sur cette créature pleine d'espérance, debeautéetdevie.

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«Me voilà guindé bien haut sans m'en être aperçu. Pardonnez à un pauvrelièvre retenu et mouillé dans son gîte. Il faut que je vous raconte une petitehistoriettedemonderniermardi.Ilyavaitàl'ambassadeunefouleimmense:jeme tenais ledos appuyécontreune tabledemarbre, saluant lespersonnesquientraientetquisortaient.UneAnglaise,que jeneconnaissaisnidenomnidevisage,s'estapprochéedemoi,m'aregardéentrelesdeuxyeux,etm'aditaveccet accent que vous savez: «Monsieur de Chateaubriand, vous êtes bienmalheureux!» Étonné de l'apostrophe et de cette manière d'entrer enconversation, je lui ai demandé ce qu'elle voulait dire. Elle m'a répondu: «Jeveuxdirequejevousplains.»Endisantcelaelleaaccrochélebrasd'uneautreAnglaise,s'estperduedanslafoule,etjenel'aipasrevuedurestedelasoirée.Cette bizarre étrangère n'était ni jeune ni jolie: je lui sais gré pourtant de sesparolesmystérieuses.

«Vos journaux continuent à rabâcher de moi. Je ne sais quelle mouche lespique.Jedevaismecroireoubliéautantquejeledésire.

«J'écrisàM.Thierryparlecourrier.IlestàHyères,bienmalade.PasunmotderéponsedeM.delaBouillerie[97]»

ÀM.THIERRY.

«Rome,ce8janvier1829.

«J'ai été bien touché, monsieur, de recevoir la nouvelle édition de vosLettres[98]avecunmotquiprouvequevousavezpenséàmoi.Sicemotétaitdevotremain,j'espéreraispourmonpaysquevosyeuxserouvriraientauxétudesdontvotretalenttireunsimerveilleuxparti.Jelis,ouplutôtrelisavecaviditécetouvragetropcourt.Jefaisdescornesàtouteslespages,afindemieuxrappelerlespassagesdontjeveuxm'appuyer.Jevousciteraibeaucoup,monsieur,dansletravail que je prépare depuis tant d'années sur les deux premières races. Jemettrai à l'abri mes idées et mes recherches derrière votre haute autorité;j'adopterai souvent votre réforme des noms; enfin j'aurai le bonheur d'êtrepresque toujours de votre avis, enm'écartant, bienmalgrémoi sans doute, dusystème proposé parM.Guizot;mais je ne puis, avec cet ingénieux écrivain,renverser les monuments les plus authentiques, faire de tous les Francs desnobles et deshommes libres, et de tous lesRomains-Gaulois des esclaves desFrancs. La loi salique et la loi ripuaire ont une foule d'articles fondés sur la

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différence des conditions entre les Francs: «Si quis ingenuus ingenuumripuariumextrasolumvendiderit,etc.,etc.»

«Vous savez, monsieur, que je vous désirais vivement à Rome. Nous nousserionsassissurdesruines:làvousm'auriezenseignél'histoire;vieuxdisciple,j'auraisécoutémonjeunemaîtreavecleseulregretden'avoirplusdevantmoiassezd'annéespourprofiterdesesleçons:

Telestlesortdel'homme:ils'instruitavecl'âge.Maisquesertd'êtresage,Quandletermeestsiprès?

«Cesverssontd'uneodeinéditefaiteparunhommequin'estplus,parmonbonetancienamiFontanes.Ainsi,monsieur,toutm'avertit,parmilesdébrisdeRome,decequej'aiperdu,dupeudetempsquimereste,etdelabrièvetédecesespérancesquimesemblaientsilonguesautrefois:spemlongam.

«Croyez,monsieur,quepersonnenevousadmireetnevousestplusdévouéquevotreserviteur.»

DÉPÊCHEÀM.LECOMTEDELAFERRONNAYS

.

«Rome,ce12janvier1829.

«Monsieurlecomte,

«J'aivulepapele2decemois;ilabienvoulumeretenirtêteàtêtependantuneheureetdemie.Jedoisvousrendrecomptedelaconversationquej'aieueavecsaSainteté.

«Ilad'abordétéquestiondelaFrance.Lepapeacommencéparl'élogeleplussincèreduroi.«Dansaucuntemps,m'a-t-il,lafamilleroyaledeFrancen'aoffertunensembleaussicompletdequalitésetdevertus.Voilàlecalmerétabliparmileclergé:lesévêquesontfaitleursoumission.»

«—Cette soumission, ai-je répondu, est due en partie aux lumières et à lamodérationdeVotreSainteté.»

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«—J'aiconseillé,arépliquélepape,defairecequimesemblaitraisonnable.Lespiritueln'étaitpointcompromisparlesordonnances[99];lesévêquesauraientpeut-êtremieuxfaitdenepasécrireleurpremièrelettre;maisaprèsavoirditnonpossumus, il leurétaitdifficiledereculer. Ilsont tâchédemontrer lemoinsdecontradiction possible entre leurs actions et leur langage au moment de leuradhésion: il faut le leurpardonner.Cesontdeshommespieux, trèsattachésauroietàlamonarchie;ilsontleurfaiblessecommetousleshommes.»

«Toutcela,monsieurlecomte,étaitditenfrançaistrèsclairementettrèsbien.

«Aprèsavoirremerciélesaint-pèredelaconfiancequ'ilmetémoignait,jeluiaiparléavecconsidérationducardinalsecrétaired'État:

«Je l'ai choisi, m'a-t-il dit, parce qu'il a voyagé, qu'il connaît les affairesgénéralesdel'Europeetqu'ilm'asembléavoirlasortedecapacitéquedemandesaplace.Iln'aécrit,relativementàvosdeuxordonnances,quecequejepensaisetquecequejeluiavaisrecommandéd'écrire.

«—Oserais-je communiquer à Sa Sainteté, ai-je repris, mon opinion sur lasituationreligieusedelaFrance?»

«—Vousmeferezgrandplaisir,»m'arépondulepape.

«JesupprimequelquescomplimentsqueSaSaintetéabienvoulum'adresser.

«Je pense donc, très saint-père, que le mal est venu dans l'origine d'unemépriseduclergé:aulieud'appuyerlesinstitutionsnouvelles,oudumoinsdesetairesurcesinstitutions,ilalaissééchapperdesparolesdeblâme,pourneriendiredeplus,dansdesmandementsetdansdesdiscours.L'impiété,quinesavaitquereprocheràdesaintsministres,asaisicesparolesetenafaitunearme;elles'est écriée que le catholicisme était incompatible avec l'établissement deslibertéspubliques,qu'ilyavaitguerreàmortentre lacharteet lesprêtres.Paruneconduiteopposée,nosecclésiastiquesauraientobtenutoutcequ'ilsauraientvouludelanation.IlyaungrandfondsdereligionenFrance,etunpenchantvisible àoubliernos anciensmalheurs aupieddes autels;mais aussi il y aunvéritableattachementauxinstitutionsapportéesparlesfilsdesaintLouis.Onnesauraitcalculerledegrédepuissanceauquelseraitparvenuleclergé,s'ils'étaitmontré à la fois l'ami du roi et de la charte. Je n'ai cessé de prêcher cettepolitiquedansmesécritsetdansmesdiscours;maislespassionsdumomentnevoulaientpasm'entendreetmeprenaientpourunennemi.»

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«Lepapem'avaitécoutéaveclaplusgrandeattention.

«—J'entre dans vos idées, m'a-t-il dit après un moment de silence. Jésus-Christnes'estpointprononcésurlaformedesgouvernements.RendezàCésarcequiappartientàCésarveutseulementdire:obéissezauxautoritésétablies.Lareligion catholique a prospéré au milieu des républiques comme au sein desmonarchies;ellefaitdesprogrèsimmensesauxÉtats-Unis;ellerègneseuledanslesAmériquesespagnoles.»

«Cesmotssonttrèsremarquables,monsieurlecomte,aumomentmêmeoùlacourdeRomeinclinefortementàdonnerl'institutionauxévêquesnommésparBolivar[100].

«Lepapearepris:«Vousvoyezquelleestl'affluencedesétrangersprotestantsàRome:leurprésencefaitdubienaupays;maiselleestbonneencoresousunautrerapport:lesAnglaisarriventiciaveclesplusétrangesnotionssurlepapeetlapapauté,surlefanatismeduclergé,surl'esclavagedupeupledanscepays:ilsn'yontpasséjournédeuxmoisqu'ilssonttoutchangés.Ilsvoientquejenesuisqu'unévêquecommeunautreévêque,queleclergéromainn'estniignorantnipersécuteur,etquemessujetsnesontpasdesbêtesdesomme.»

«Encouragéparcetteespèced'effusionducœuretcherchantàélargirlecercledelaconversation,j'aiditausouverainpontife:«VotreSainteténepenserait-ellepas que lemoment est favorable à la recomposition de l'unité catholique, à laréconciliationdessectesdissidentes,pardelégèresconcessionssurladiscipline?LespréjugéscontrelacourdeRomes'effacentdetoutesparts,et,dansunsiècleencore ardent, l'œuvre de la réunion avait déjà été tentée par Leibnitz etBossuet.»

«—Ceciestunegrandechose,m'aditlepape;maisjedoisattendrelemomentfixé par laProvidence. Je conviens que les préjugés s'effacent; la division dessectesenAllemagneaamenélalassitudedecessectes.EnSaxe,oùj'airésidétroisans,j'ailepremierfaitétablirunhôpitaldesenfantstrouvésetobtenuquecet hôpital serait desservi par des catholiques. Il s'éleva alors un cri généralcontre moi parmi les protestants; aujourd'hui ces mêmes protestants sont lespremiersàapplaudirà l'établissementetà ledoter.Lenombredescatholiquesaugmente dans la Grande-Bretagne; il est vrai qu'il s'y mêle beaucoupd'étrangers.»

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«Le pape ayant fait unmoment de silence, j'en ai profité pour introduire laquestiondescatholiquesd'Irlande.

«—Sil'émancipationalieu,ai-jedit,lareligioncatholiques'accroîtraencoredanslaGrande-Bretagne.»

«—C'est vrai d'un côté, a répliqué Sa Sainteté, mais de l'autre il y a desinconvénients.Lescatholiques irlandais sontbienardentsetbien inconsidérés.O'Connell,d'ailleurshommedemérite,n'a-t-ilpasétédiredansundiscoursqu'ily avait un concordat proposé entre le Saint-Siège et le gouvernementbritannique? il n'en est rien; cette assertion, que je ne puis contredirepubliquement,m'afaitbeaucoupdepeine.Ainsipourlaréuniondesdissidents,il fautque leschosessoientmûres,etqueDieuachève lui-mêmesonouvrage.Lespapesnepeuventqu'attendre.»

«Cen'étaitpas là,monsieur lecomte,monopinion:mais s'ilm'importaitdefaireconnaîtreauroicelledusaint-pèresurunsujetaussigrave, jen'étaispasappeléàlacombattre.

«—Que diront vos journaux? a repris le pape avec une sorte de gaieté. Ilsparlent beaucoup! Ceux des Pays-Bas encore davantage; mais on me mandequ'une heure après avoir lu leurs articles, personne n'y pense plus dans votrepays.»

«—C'est la pure vérité, très saint-père: vous voyez comme la Gazette deFrance m'arrange (car je sais que Sa Sainteté lit tous nos journaux, sans enexcepter le Courrier[101]); le souverain pontife me traite pourtant avec uneextrêmebonté; j'ai donc lieude croire que laGazette ne lui fait pas un grandeffet.»Lepapea ri en secouant la tête.«Ehbien! très saint-père, il enestdesautrescommedeVotreSainteté;silejournalditvrai,labonnechosequ'iladitereste;s'ilditfaux,c'estcommes'iln'avaitrienditdutout.Lepapedoits'attendreàdesdiscourspendantlasession:l'extrêmedroitesoutiendraqueM.lecardinalBernetti n'est pas un prêtre, et que ses lettres sur les ordonnances ne sont pasarticlesdefoi;l'extrêmegauchedéclareraqu'onn'avaitpasbesoindeprendrelesordres de Rome. La majorité applaudira à la déférence du conseil du roi, etlouerahautementl'espritdesagesseetdepaixdeVotreSainteté.»

«Cette petite explication a paru charmer le saint-père, content de trouverquelqu'uninstruitdujeudesrouagesdenotremachineconstitutionnelle.Enfin,

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monsieur le comte, pensant que le roi et son conseil seraient bien aises deconnaître la pensée du pape sur les affaires actuelles de l'Orient, j'ai répétéquelquesnouvellesdejournaux,n'étantpointautoriséàcommuniquerausaint-siègecequevousm'avezmandédepositifdansvotredépêchedu18décembresurlerappeldenotreexpéditiondeMorée.

«Lepapen'apointhésitéàme répondre; ilm'aparualarméde ladisciplinemilitaireimprudemmentenseignéeauxTurcs.Voicisespropresparoles:

«Si les Turcs sont déjà capables de résister à la Russie, quelle sera leurpuissancequandilsaurontobtenuunepaixglorieuse?Quilesempêchera,aprèsquatre ou cinq années de repos et de perfectionnement dans leur tactiquenouvelle,desejetersurl'Italie?»

«Je vous l'avouerai, monsieur le comte, en retrouvant ces idées et cesinquiétudesdanslatêtedusouverainleplusexposéàressentirlecontre-coupdel'énormeerreurque l'ona commise, jeme suis applaudidevousavoirmontréavecplusdedétails,dansmaNotesurlesaffairesd'Orient,lesmêmesidéesetlesmêmesinquiétudes.

«—Iln'ya,aajoutélepape,qu'unerésolutionfermedelapartdespuissancesalliées qui puisse mettre un terme au malheur dont l'avenir est menacé. LaFranceetl'Angleterresontencoreàtempspourtoutarrêter;maissiunenouvellecampagnes'ouvre,ellepeutcommuniquer le feuà l'Europe,et il sera trop tardpourl'éteindre.»

«—Réflexiond'autant plus juste, ai-je reparti, que si l'Europe sedivisait, cequ'àDieuneplaise,cinquantemilleFrançaisremettraienttoutenquestion.»

«Le pape n'a point répondu; il m'a paru seulement que l'idée de voir lesFrançais en Italie ne lui inspirait aucune crainte. On est las partout del'inquisition de la cour de Vienne, de ses tracasseries, de ses empiétementscontinuels et de ses petites trames pour unir, dans une confédération contre laFrance,despeuplesquidétestentlejougautrichien.

«Tel est,monsieur le comte, le résumé dema longue conversation avec SaSainteté. Je ne sais si l'on a jamais été à même de connaître plus à fond lessentimentsintimesd'unpape,sil'onajamaisentenduunprincequigouvernelemondechrétiens'exprimeravectantdenettetésurdessujetsaussivastes,aussien dehors du cercle étroit des lieux communs diplomatiques. Ici point

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d'intermédiaireentrelesouverainpontifeetmoi,etilétaitaisédevoirqueLéonXII, par son caractère de candeur, par l'entraînement d'une conversationfamilière,nedissimulaitrienetnecherchaitpointàtromper.

«LespenchantsetlesvœuxdupapesontévidemmentpourlaFrance:lorsqu'ilaprislesclefsdesaintPierre,ilappartenaitàlafactiondeszelanti;aujourd'huiilacherché sa forcedans lamodération:c'est cequ'enseigne toujours l'usagedupouvoir. Par cette raison, il n'est point aimé de la faction cardinaliste qu'il aquittée.N'ayanttrouvéaucunhommedetalentdansleclergéséculier,ilachoisisesprincipauxconseilsdansleclergérégulier;d'oùilarrivequelesmoinessontpour lui, tandis que les prélats et les simples prêtres lui font une espèced'opposition.Ceux-ci,quandjesuisarrivéàRome,avaienttousl'espritplusoumoins infecté des mensonges de notre congrégation; aujourd'hui ils sontinfinimentplusraisonnables; tous,engénéral,blâmentlalevéedeboucliersdenotreclergé.Ilestcurieuxderemarquerquelesjésuitesontautantd'ennemisiciqu'en France: ils ont surtout pour adversaires les autres religieux et les chefsd'ordre. Ils avaient formé un plan au moyen duquel ils se seraient emparésexclusivementde l'instructionpubliqueàRome: lesdominicainsontdéjouéceplan. Le pape n'est pas très populaire, parce qu'il administre bien. Sa petitearmée est composée de vieux soldats de Bonaparte qui ont une tenue trèsmilitaire, et font bonne police sur les grands chemins. Si Rome matérielle aperdu sous le rapport pittoresque, elle a gagné en propreté et en salubrité. SaSaintetéfaitplanterdesarbres,arrêterdesermitesetdesmendiants:autresujetde plainte pour la populace. Léon XII est grand travailleur; il dort peu et nemangepresquepoint.Ilneluiestrestédesajeunessequ'unseulgoût,celuidelachasse, exercice nécessaire à sa santé qui, d'ailleurs, semble s'affermir. Il tirequelquescoupsdefusildanslavasteenceintedesjardinsduVatican.Leszelantiontbiendelapeineàluipardonnercetteinnocentedistraction.Onreprocheaupapedelafaiblesseetdel'inconstancedanssesaffections.

«Leviceradicalde laconstitutionpolitiquedecepaysest facileàsaisir:cesont des vieillards qui nomment pour souverain un vieillard comme eux. Cevieillard, devenumaître, nomme à son tour cardinaux des vieillards. Tournantdanscecerclevicieux,lesuprêmepouvoirénervéesttoujoursainsiauborddelatombe. Le prince n'occupe jamais assez longtemps le trône pour exécuter lesplansd'améliorationqu'ilpeutavoirconçus.Ilfaudraitqu'unpapeeûtassezderésolutionpourfairetoutàcoupunenombreusepromotiondejeunescardinaux,demanièreàassurer lamajoritéà l'électionfutured'un jeunepontife.Mais lesrèglements de Sixte-Quint qui donnent le chapeau à des charges du palais,

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l'empire de la coutume et des mœurs, les intérêts du peuple qui reçoit desgratificationsàchaquemutationdelatiare,l'ambitionindividuelledescardinauxquiveulentdesrègnescourts,afindemultiplierleschancesdelapapauté,milleautres obstacles trop longs à déduire, s'opposent au rajeunissement du SacréCollège.

«Laconclusiondecettedépêche,monsieurlecomte,estque,dansl'étatactueldeschoses,leroipeutcompterentièrementsurlacourdeRome.

«Engardecontremamanièredevoiretdesentir,sij'aiquelquereprocheàmefaire dans le récit que j'ai l'honneur de vous transmettre, c'est d'avoir plutôtaffaibliqu'exagérél'expressiondesparolesdeSaSainteté.Mamémoireesttrèssûre;j'aiécritlaconversationensortantduVatican,etmonsecrétaireintimen'afaitquelacopiermotàmotsurmaminute.Celle-ci, tracéerapidement,étaitàpeinelisiblepourmoi-même.Vousn'auriezjamaispuladéchiffrer[102].

«J'ail'honneurd'être,etc.»

ÀMADAMERÉCAMIER.

«Rome,mardi13janvier1829.

«Hier au soir je vous écrivais à huit heures la lettre queM. duViviers[103]vousporte;cematin,àmonréveil,jevousécrisencoreparlecourrierordinairequi part àmidi.Vous connaissez les pauvres dames deSaint-Denis: elles sontbienabandonnéesdepuisl'arrivéedesgrandesdamesdelaTrinité-du-Mont;sansêtre l'ennemidecelles-ci, jeme suis rangéavecmadamedeCh..... ducôtédufaible.DepuisunmoislesdamesdeSaint-DenisvoulaientdonnerunefêteàM.l'ambassadeuretàmadamel'ambassadrice:elleaeulieuhieràmidi.Figurez-vous un théâtre arrangé dans une espèce de sacristie qui avait une tribune surl'église; pour acteurs une douzaine de petites filles, depuis l'âge de huit ansjusqu'àquatorzeans,jouantlesMachabées.Elless'étaientfaitelles-mêmesleurscasquesetleursmanteaux.Ellesdéclamaientleursversfrançaisavecuneverveet un accent italien le plus drôle du monde; elles tapaient du pied dans lesmomentsénergiques:ilyavaituneniècedePieVII,unefilledeThorwaldsenetune autre fille de Chauvin le peintre. Elles étaient jolies incroyablement dansleursparuresdepapier.Cellequi jouait legrand-prêtreavaitunegrandebarbenoire qui la charmait, mais qui la piquait, et qu'elle était obligée d'arrangercontinuellement avec une petitemain blanche de treize ans. Pour spectateurs,

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nous,quelquesmères, les religieuses,madameSalvage,deuxou trois abbésetune autre vingtaine de petites pensionnaires, toutes en blanc avec des voiles.Nousavionsfaitapporterdel'ambassadedesgâteauxetdesglaces.Onjouaitdupianodanslesentr'actes.Jugezdesespérancesetdes joiesquiontdûprécédercette fête dans le couvent, et des souvenirs qui la suivront! Le tout a fini parVivatinæternum,chantépartroisreligieusesdansl'église.»

«Rome,le15janvier1829.

«Àvous encore!Cettenuit nous avons euduvent et de lapluie commeenFrance: je me figurais qu'ils battaient votre petite fenêtre; je me trouvaistransporté dans votre petite chambre, je voyais votre harpe, votre piano, vosoiseaux; vous me jouiez mon air favori ou celui de Shakespeare: et j'étais àRome,loindevous!QuatrecentslieuesetlesAlpesnousséparaient!

«J'aireçuunelettredecettedamespirituellequivenaitquelquefoismevoirauministère; jugez comme elle me fait bien la cour: elle est turque enragée;Mahmoudestungrandhommequiadevancésanation!

«CetteRome,aumilieudelaquellejesuis,devraitm'apprendreàmépriserlapolitique. Ici la liberté et la tyrannie ont également péri; je vois les ruinesconfondues de la République romaine et de l'empire de Tibère; qu'est-ceaujourd'hui que tout cela dans la même poussière! Le capucin qui balaye enpassant cette poussière avec sa robe ne semble-t-il pas rendre plus sensibleencore la vanité de tant de vanités? Cependant je reviens malgré moi auxdestinées de ma pauvre patrie. Je lui voudrais religion, gloire et liberté, sanssongeràmonimpuissancepourlaparerdecettetriplecouronne.»

«Rome,jeudi5février1829.

«TorreVergataestunbiendemoinessituéàunelieueàpeuprèsdutombeaudeNéron,surlagaucheenvenantdeRome,dansl'endroitleplusbeauetleplusdésert:làestuneimmensequantitéderuinesàfleurdeterrerecouvertesd'herbeetdechardons.J'yaicommencéunefouilleavant-hiermardi,encessantdevousécrire.J'étaisaccompagnéd'HyacintheetdeVisconti[104]quidirigelafouille.Ilfaisaitleplusbeautempsdumonde.Unedouzained'hommesarmésdebêchesetde pioches, qui déterraient des tombeaux et des décombres de maisons et depalaisdansuneprofondesolitude,offraientunspectacledignedevous.Jefaisais

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unseulvœu:c'étaitquevousfussiez là.Jeconsentiraisvolontiersàvivreavecvoussousunetenteaumilieudecesdébris.

«J'aimismoi-mêmelamainàl'œuvre;j'aidécouvertdesfragmentsdemarbre:lesindicessontexcellents,j'espèretrouverquelquechosequimedédommageradel'argentperduàcetteloteriedesmorts;j'aidéjàunblocdemarbregrecassezconsidérable pour faire le buste duPoussin.Cette fouille va devenir le but demespromenades;jevaisallerm'asseoirtouslesjoursaumilieudecesdébris.Àquel siècle, à quels hommes appartenaient-ils? Nous remuons peut-être lapoussièrelaplusillustresanslesavoir.Uneinscriptionviendrapeut-êtreéclairerquelque fait historique, détruire quelque erreur, établir quelque vérité.Et puis,quand je serai parti avec mes douze paysans demi-nus, tout retombera dansl'oubliet le silence.Vous représentez-vous toutes lespassions, tous les intérêtsquis'agitaientautrefoisdansceslieuxabandonnés?Ilyavaitdesmaîtresetdesesclaves,desheureuxetdesmalheureux,debellespersonnesqu'onaimaitetdesambitieuxquivoulaientêtreministres.Ilyrestequelquesoiseauxetmoi,encorepouruntempsfortcourt;nousnousenvoleronsbientôt.Dites-moi,croyez-vousque cela vaille la peine d'être un des membres du conseil d'un petit roi desGaules,moi,barbarede l'Armorique,voyageur chezdes sauvagesd'unmondeinconnu des Romains, et ambassadeur auprès de ces prêtres qu'on jetait auxlions?Quandj'appelaiLéonidasàLacédémone,ilnemeréponditpas:lebruitdemespasàTorreVergatan'aura réveillépersonne.Etquand jeseraiàmon tourdansmon tombeau, jen'entendraipasmême le sondevotrevoix. Il fautdoncquejemehâtedemerapprocherdevousetdemettrefinàtoutesceschimèresdelaviedeshommes.Iln'yadebonquelaretraite,etdevraiqu'unattachementcommelevôtre.»

«Rome,ce7février1829.

«J'ai reçu une longue lettre du général Guilleminot[105]; il me fait un récitlamentabledecequ'il a souffertdansdescourses sur lescôtesde laGrèce:etpourtant Guilleminot était ambassadeur; il avait de grands vaisseaux et unearméeàsesordres.Aller,après ledépartdenossoldats,dansunpaysoùilnerestepasunemaisonetunchampdeblé,parmiquelqueshommesépars,forcésàdevenir brigands par la misère, ce n'est pas pour une femme (madameLenormant)unprojetpossible[106].

«J'irai cematinàma fouille:hiernousavons trouvé le squeletted'un soldat

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goth et lebrasd'une statuede femme.C'était rencontrer ledestructeur avec laruinequ'ilavaitfaite;nousavonsunegrandeespérancederetrouvercematinlastatue.Si lesdébrisd'architectureque jedécouvreenvalent lapeine, jene lesrenverserai pas pour vendre les briques comme on fait ordinairement; je leslaisseraidebout,etilsporterontmonnom:ilssontdutempsdeDomitien.Nousavonsuneinscriptionquinousl'indique:c'estlebeautempsdesartsromains.»

DÉPÊCHESÀM.LECOMTEPORTALIS.

«Rome,celundi9février1829.

MORTDELÉONXII.

«Monsieurlecomte,

«SaSaintetéaressentisubitementuneattaquedumalauquelelleestsujette:savieestdansleplusimminentdanger.Onvientd'ordonnerdefermertouslesspectacles.Jesorsdechezlecardinalsecrétaired'État,quilui-mêmeestmaladeetquidésespèredesjoursdupape.LapertedecesouverainpontifesiéclairéetsimodéréseraitdanscemomentunevraiecalamitépourlachrétientéetsurtoutpourlaFrance.J'aicru,monsieurlecomte,qu'ilimportaitaugouvernementduroid'êtreprévenudecetévénementprobable,afinqu'ilpûtprendred'avancelesmesures qu'il jugerait nécessaires. En conséquence, j'ai expédié pour Lyon uncourrieràcheval.Cecourrierporteunelettrequej'écrisàM.lepréfetduRhône,avecunedépêchetélégraphiquequ'ilvoustransmettraetuneautrelettrequejeleprie de vous envoyer par estafette. Si nous avons le malheur de perdre SaSainteté,unnouveaucourriervousporterajusqu'àParistouslesdétails.

«J'ail'honneur,etc.»

«Huitheuresdusoir.

«La congrégation des cardinaux déjà rassemblée a défendu au cardinalsecrétaired'Étatdedélivrerdespermispourdeschevauxdeposte.Moncourriernepourrapartirqu'aprèsledépartducourrierduSacréCollège,encasdemortdupape.J'aiessayéd'envoyerunhommeportermesdépêchesàlafrontièredelaToscane.Lesmauvaischeminsetlemanquedechevauxdelouageontrenducedesseinimpraticable.Forcéd'attendredansRome,devenueuneespècedeprison

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fermée, j'espère toujours que la nouvelle, au moyen du télégraphe, vousparviendraquelquesheuresavantqu'ellesoitconnuedesautresgouvernementsau delà des Alpes. Il pourrait se faire néanmoins que le courrier envoyé aunonce,etquiserapartinécessairementavantlemien,vousdonnâtlui-même,enpassantàLyon,lanouvelleparletélégraphe.»

«Mardi,10février,neufheuresdumatin.

«Lepapevientd'expirer:moncourrierpart.DansquelquesheuresilserasuivideM.lecomtedeMontebello,attachéàl'ambassade.»

«Rome,ce10février1829.

«Monsieurlecomte,

«J'ai expédié àLyon, il y a environdeuxheures le courrier extraordinaire àchevalquivoustransmettralanouvelleimprévueetdéplorabledelamortdeSaSainteté. Maintenant je fais partir M. le comte de Montebello[107], attaché àl'ambassade,pourvousporterquelquesdétailsnécessaires.

«Lepapeestmortdecetteaffectionhémorroïdaleàlaquelleilétaitsujet.Lesang, s'étant porté sur la vessie, occasionna une rétention qu'on essaya desoulager au moyen de la sonde. On croit que Sa Sainteté a été blessée dansl'opération. Quoi qu'il en soit, après quatre jours de souffrances, Léon XII aexpiré ce matin à neuf heures comme j'arrivais au Vatican, où un agent del'ambassade avait passé lanuit.La lettrepartieparmonpremier courrier vousinforme,monsieur le comte,demes inutiles effortspourobtenir lepermisdeschevauxdeposteavantlamortdupape.

«Hierjemerendischezlecardinalsecrétaired'État,encoretrèssouffrantd'unviolent accèsdegoutte; j'eus avec luiunassez longentretien sur les suitesdumalheur dont nous étions menacés. Je déplorai la perte d'un prince dont lessentimentsmodérésetlaconnaissancedesaffairesdel'Europeétaientsiutilesaureposdelachrétienté.«C'est,meréponditlesecrétaired'État,non-seulementungrandmalheur pour laFrance,mais un plus grandmalheur pour l'État romainquevousne l'imaginez.Lemécontentement et lamisère sont grandsdansnosprovinces,et,pourpeuquelescardinauxcroientdevoirsuivreunautresystèmequeceluideLéonXII, ilsverrontcomment ils s'en tireront.Quantàmoi,mes

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fonctionscessentaveclaviedupape,etjen'aurairienàmereprocher.»

«Cematinj'airevulecardinalBernettiqui,eneffet,acessésesfonctionsdesecrétaire d'État: il m'a tenu le langage de la veille. Je lui ai demandé à lerencontreravantqu'ils'enfermâtdansleconclave.Noussommesconvenusquenousparlerionsduchoixd'unsouverainpontifequipourraitêtrelecontinuateurdu système demodération de LéonXII. J'aurai l'honneur de vous transmettretouslesrenseignementsquejerecueillerai.

«Il est probable que la mort du pape et la chute du cardinal Bernetti vontréjouir les ennemis des ordonnances[108]; ils proclameront cet événementmalheureuxunepunitionduciel.IlestaisédéjàdelirecettepenséesurquelquesvisagesfrançaisàRome.

«Jeregrettedoublementlepape;j'avaiseulebonheurdegagnersaconfiance:lespréjugésque l'on avait pris soinde fairenaître contremoidans son esprit,avant mon arrivée, s'étaient dissipés, et il me faisait l'honneur de témoignerhautement et publiquement, en toute occasion, l'estime qu'il voulait bien meporter.

«Maintenant,monsieurlecomte,permettez-moid'entrerdansl'explicationdequelquesfaits.

J'étaisministredesaffairesétrangèresàl'époquedelamortdePieVII.Voustrouverez dans les cartons du ministère, si vous jugez à propos d'en prendreconnaissance,lasuitedemesrelationsavecM.leducdeLaval.L'usageest,àlamort d'un pape, d'envoyer un ambassadeur extraordinaire, ou d'accréditerl'ambassadeurrésidantpardenouvelleslettresauprèsduSacréCollège.C'estcedernierpartiquejeproposaidesuivreàfeuS.M.LouisXVIII.Leroiordonneracequ'ilcroirademeilleurpoursonservice.QuatrecardinauxfrançaisvinrentàRomepour l'électiondeLéonXII.LaFranceencompteaujourd'huicinq;c'estcertainement un nombre de voix qui n'est pas à dédaigner dans le conclave.J'attends,monsieurlecomte,lesordresduroi.M.deMontebello,chargédevousremettrecettedépêche,resteraàvotredisposition.

«J'ail'honneur,etc.,etc.»

ÀMADAMERÉCAMIER.

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«Rome,10février1829,onzeheuresdusoir.

«Jevoulaisvousécrireunelonguelettre,mais ladépêchequej'aiétéobligéd'écriredemapropremainetlafatiguedecesderniersjoursm'ontépuisé.

«Jeregrettelepape;j'avaisobtenusaconfiance.Mevoilàmaintenantchargéd'une grandemission, ilm'est impossible de savoir quel en sera le résultat, etquelleinfluenceelleaurasurmadestinée.

«Lesconclavesdurentordinairementdeuxmois, cequime laissera toujourslibrepourPâques.Jevousparleraibientôtàfonddetoutcela.

«Imaginez-vousqu'ona trouvécepauvrepape, jeudidernier, avantqu'il fûtmalade, écrivant son épitaphe. On a voulu le détourner de ces tristes idées:«Maisnon,a-t-ildit,celaserafinidanspeudejours.»

«Jeudi.Rome,12février1829.

«Jelisvosjournaux.Ilsmefontsouventdelapeine.JevoisdansleGlobequeM.lecomtePortalisest,seloncejournal,monennemidéclaré.Pourquoi?Est-cequejedemandesaplace?Ilsedonnetropdepeine;jenepensepointàlui.Jeluisouhaitetouteslesprospéritéspossibles;maispourtant,s'ilétaitvraiqu'ilvoulûtlaguerre,ilmetrouverait.Onmesembledéraisonnersurtout,etsurl'immortelMahmoud,etsurl'évacuationdelaMorée.

«Dansleschanceslesplusprobables,cetteévacuationremettralaGrècesousle joug des Turcs, avec la perte pour nous de notre honneur et de quarantemillions.Ilyaprodigieusementd'espritenFrance,maisonmanquedetêteetdebonsens:deuxphrasesnousenivrent,onnousmèneavecdesmots,et,cequ'ilyadepis,c'estquenoussommestoujoursprêtsàdénigrernosamisetàélevernosennemis. Au reste, n'est-il pas curieux que l'on fasse tenir au roi, dans undiscours, mon propre langage, sur l'accord des libertés publiques et de laroyauté[109], et qu'on m'en ait tant voulu pour avoir tenu ce langage? Et leshommesquifontparlerainsilacouronneétaientlespluschaudspartisansdelacensure!Ausurplus,jevaisvoirl'électionduchefdelachrétienté;cespectacleest le dernier grand spectacle auquel j'assisterai dans ma vie[110]; il clora macarrière.

«MaintenantquelesplaisirsdeRomesontfinis, lesaffairescommencent.Je

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vais être obligé d'écrire d'un côté au gouvernement tout ce qui se passe, et del'autre de remplir les devoirs demaposition nouvelle; il faut complimenter leSacré Collège, assister aux funérailles du saint-père, auquel jem'étais attachéparce qu'on l'aimait peu, et d'autant plus qu'ayant craint de trouver en lui unennemi,j'aitrouvéunamiqui,duhautdelachairedeSaint-Pierre,adonnéundémentiformelàmescalomniateurschrétiens.Puisvontmetombersur la têteles cardinaux de France. J'ai écrit pour faire des représentations aumoins surl'archevêquedeToulouse[111].

«Aumilieude tousces tracas, lemonumentduPoussin s'exécute; la fouilleréussit; j'ai trouvé trois belles têtes, un torse de femme drapé, une inscriptionfunèbred'unfrèrepourunejeunesœur,cequim'aattendri.

«Àproposd'inscription,jevousaiditquelepauvrepapeavaitfaitlasiennelaveilledu jouroù il est tombémalade, prédisantqu'il allait bientôtmourir; il alaisséunécritoùilrecommandesafamilleindigenteaugouvernementromain:iln'y aqueceuxquiontbeaucoupaiméqui aientdepareillesvertus.»[Lien vers laTabledesMatières]

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LIVREXIII[112]Suitede l'ambassadedeRome.—ÀmadameRécamier.—DépêcheàM.lecomtePortalis.—Conclaves.—DépêchesàM.lecomtePortalis.— À madame Récamier. — Dépêche à M. le comte Portalis. — ÀmadameRécamier.—Dépêche àM. le comtePortalis.—ÀmadameRécamier.—LemarquisCapponi.—ÀmadameRécamier.—ÀM.leduc de Blacas. — À madame Récamier. — Dépêche à M. le comtePortalis.—LettreàMonseigneurlecardinaldeClermont-Tonnerre.—DépêcheàM.lecomtePortalis.—ÀmadameRécamier.—DépêcheàM.lecomtePortalis.—FêtedelavillaMédicispourlagrandeduchesseHélène.—MesrelationsaveclafamilleBonaparte.—DépêcheàM.lecomte Portalis.—PieVII.—ÀM. le comte Portalis.—ÀmadameRécamier.—Présomption.—LesFrançaisàRome.—Promenades.—Mon neveu Christian de Chateaubriand. — À madame Récamier. —RetourdeRomeàParis.—Mesprojets.—Leroietsesdispositions.—M. Portalis. — M. de Martignac. — Départ pour Rome. — LesPyrénées.—Aventures.—MinistèrePolignac.—Maconsternation.—Je reviens à Paris.—Entrevue avecM. de Polignac.— Je donnemadémissiondemonambassadedeRome.

Rome,ce17février1829.

Avantdepasserauxchosesimportantesjerappelleraiquelquesfaits.

AudécèsdusouverainpontifelegouvernementdesÉtatsromainstombeauxmainsdes troiscardinauxchefsd'ordre,diacre,prêtreetévêque,etaucardinalcamerlingue. L'usage est que les ambassadeurs aillent complimenter, dans undiscours, la congrégation des cardinaux réunis avant l'ouverture du conclave àSaint-Pierre.

Le corps de Sa Sainteté, exposé d'abord dans la chapelle Sixtine, fut portévendredidernier,13février,danslachapelleduSaint-SacrementàSaint-Pierre;

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il y est resté jusqu'au dimanche 15. Alors il a été placé dans le monumentqu'occupaientlescendresdePieVIIetcelles-ciontétédescenduesdansl'églisesouterraine.

ÀMADAMERÉCAMIER

.

«Rome,17février1829.

«J'aivuLéonXIIexposé,levisagedécouvert,surunchétiflitdeparade,aumilieu des chefs-d'œuvre de Michel-Ange[113]; j'ai assisté à la premièrecérémonie funèbre dans l'église de Saint-Pierre. Quelques vieux cardinauxcommissaires,nepouvantplusvoir,s'assurèrentdeleursdoigtstremblantsquelecercueildupapeétaitbiencloué.Àlalumièredesflambeaux,mêléeàlaclartéde la lune, le cercueil fut enfin enlevé par une poulie et suspendu dans lesombrespourêtredéposédanslesarcophagedePieVII[114].

«Onvient dem'apporter le petit chat dupauvrepape; il est tout gris et fortdouxcommesonancienmaître.»

DÉPÊCHEÀM.LECOMTEPORTALIS.

«Rome,ce17février1829

«Monsieurlecomte,

«J'aieul'honneurdevousmanderdansmapremièrelettreportéeàLyonavecla dépêche télégraphique, et dans ma dépêche no 15, les difficultés que j'airencontréespourl'expéditiondemesdeuxcourriersdu10decemois.Cesgens-ciensontencoreàl'histoiredesGuelfesetdesGibelins,commesilamortd'unpape,connueuneheureplustôtouuneheureplustard,pouvaitfaireentrerunearméeimpérialeenItalie.

«Les obsèques du saint-père seront terminées dimanche 22, et le conclaveouvriralundisoir23,aprèsavoirassistélematinàlamesseduSaint-Esprit:onmeubledéjàlescellulesdupalaisQuirinal.

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«Je ne vous entretiendrai pas, monsieur le comte, des vues de la courd'Autriche,desdésirsdescabinetsdeNaples,deMadridetdeTurin.M.leducdeLaval,danslacorrespondancequ'ileutavecmoien1823,apeintlepersonneldescardinauxquisontenpartieceuxd'aujourd'hui.Onpeutvoirleno5etsonannexe, les nos 34, 55, 70 et 82. Il y a aussi dans les cartons du ministèrequelques notes venues par une autre voie. Ces portraits, assez souvent defantaisie,peuventamuser,maisneprouvent rien.Troischosesne fontplus lespapes: les intriguesdefemmes, lesmenéesdesambassadeurs, lapuissancedescours.Cen'estpasnonplusdel'intérêtgénéraldelasociétéqu'ilssortent,maisdel'intérêtparticulierdesindividusetdesfamillesquicherchentdansl'électionduchefdel'Églisedesplacesetdel'argent.

«Il y aurait des choses immenses à faire aujourd'hui par le Saint-Siège: laréuniondessectesdissidentes,leraffermissementdelasociétéeuropéenne,etc.Un pape qui entrerait dans l'esprit du siècle, et qui se placerait à la tête desgénérations éclairées, pourrait rajeunir la papauté; mais ces idées ne peuventpointpénétrerdans lesvieilles têtesduSacréCollège; lescardinauxarrivésauboutdelaviesetransmettentuneroyautéélectivequiexpirebientôtaveceux:assissurlesdoublesruinesdeRome,lespapesontl'airden'êtrefrappésquedelapuissancedelamort.

«Ces cardinaux avaient élu le cardinal Della Genga (Léon XII) aprèsl'exclusiondonnéeaucardinalSeveroli,parcequ'ilscroyaientqu'ilallaitmourir;Della Genga s'étant avisé de vivre, ils l'ont détesté cordialement pour cettetromperie.LéonXIIchoisissaitdanslescouventsdesadministrateurscapables;autre sujet de murmure pour les cardinaux. Mais, d'une autre part, ce papedéfunt,enavançantlesmoines,voulaitdelarégularitédanslesmonastères,desorte qu'on ne lui savait aucun gré du bienfait. Les ermites vagabonds qu'onarrêtait,lesgensdupeuplequ'onforçaitdeboiredeboutdanslarueafind'éviterles coups de couteau au cabaret; des changements peu heureux dans laperceptiondesimpôts,desabuscommisparquelquesfamiliersdusaint-père,lamortmêmedecepapearrivantàuneépoquequifaitperdreauxthéâtresetauxmarchandsdeRomelebénéficedesfoliesducarnaval,ontfaitanathématiserlamémoire d'un prince digne des plus vifs regrets: à Civita-Vecchia on a voulubrûlerlamaisondedeuxhommesquel'onpensaitavoirétéhonorésdesafaveur.

«Parmi beaucoup de concurrents, quatre sont particulièrement désignés: lecardinalCapellari[115],chefdelaPropagande,lecardinalPacca[116], lecardinalDeGregorio[117]etlecardinalGiustiniani[118].

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«LecardinalCapellariestunhommedocteetcapable.Ilserarepoussé,dit-on,par les cardinaux comme trop jeune, comme moine et comme étranger auxaffaires du monde. Il est autrichien et passe pour obstiné et ardent dans sesopinionsreligieuses.Cependantc'estluiqui,consultéparLéonXII,n'arienvudanslesordonnancesduroiquipûtautoriserlaréclamationdenosévêques;c'estencoreluiquiarédigéleconcordatdelacourdeRomeaveclesPays-Basetquia été d'avis de donner l'institution canonique aux évêques des républiquesespagnoles: tout cela annonce un esprit raisonnable, conciliant et modéré. Jetiens ces détails du cardinal Bernetti, avec qui j'ai eu, vendredi 13, une desconversationsquejevousaiannoncéesdansmadépêcheno15.

«Ilimporteaucorpsdiplomatique,etsurtoutàl'ambassadeurdeFrance,quelesecrétaire d'État à Rome soit un homme de relations faciles et habitué auxaffairesdel'Europe.LecardinalBernettiestleministrequinousconvientsoustous les rapports; il s'est compromis pour nous avec les zelanti et lescongréganistes;nousdevonsdésirerqu'il soit reprispar lepape futur. Je lui aidemandéaveclequeldesquatrecardinauxilauraitleplusdechancesdereveniraupouvoir.Ilm'arépondu:«AvecCapellari.»

«Les cardinauxPacca etDeGregorio sont peints d'unemanière fidèle dansl'annexeduno5delacorrespondancedéjàcitée;maislecardinalPaccaesttrèsaffaibli par l'âge, et la mémoire, comme celle du cardinal doyen LaSomaglia[119],commencetotalementàluimanquer.

«Le cardinal De Gregorio serait un pape convenable. Quoique rangé aunombredeszelanti,iln'estpassansmodération;ilrepousselesjésuitesquiontici, autant qu'en France, des adversaires et des ennemis. Tout sujet napolitainqu'il est, le cardinal De Gregorio est rejeté par Naples, et encore plus par lecardinalAlbani[120],l'exécuteurdeshautesœuvresdel'Autricheauconclave.LecardinalestlégatàBologne;ilaplusdequatre-vingtsansetilestmalade:ilyadoncquelquechancepourqu'ilneviennepasàRome.

«Enfin,lecardinalGiustinianiestlecardinaldelanoblesseromaine;ilapourneveu le cardinal Odescalchi[121], et il aura vraisemblablement un assez bonnombredevoix.Mais,d'unautrecôté,ilestpauvreetiladesparentspauvres;Romecraindraitlesbesoinsdecetteindigence.

«Voussavez,monsieurlecomte,toutlemalquelenonceGiustinianiafaitenEspagne,etjelesaisplusqu'unautreparlesembarrasqu'ilm'acausésaprèsla

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délivrance du roi Ferdinand. Dans l'évêché d'Imola, que le cardinal gouverneactuellement,iln'apasétéplusmodéré;ilafaitrevivrelesrèglementsdesaintLouis contre les blasphémateurs: ce n'est pas le pape de notre époque. Ausurplus,c'estunhommeassezsavant,hébraïsant,helléniste,mathématicien,maispluspropreauxtravauxducabinetqu'auxaffaires.Jenelecroispaspousséparl'Autriche.

«Aprèstout,laprévoyancehumaineestsouventtrompée;souventunhommechange en arrivant au pouvoir; le zelante cardinal Della Genga a été le papeconciliantLéonXII.Peut-êtresurgira-t-il,aumilieudesquatrecompétiteurs,unpape auquel personne ne pense en cemoment. Le cardinal Castiglioni[122], lecardinal Benvenuti, le cardinal Galleffi[123], le cardinal Arezzo, le cardinalGamberini,etjusqu'auvieuxetvénérabledoyenduSacréCollège,LaSomaglia,malgré sa demi-enfance ou plutôt à cause d'elle, se mettent sur les rangs. Ledernier a même quelque espoir, parce qu'étant évêque et prince d'Ostie, sonexaltationamèneraitunmouvementquilaisseraitcinqgrandesplaceslibres.

«Onsupposeque le conclave sera très longou très court: il n'y aurapasdecombatdesystème,commeà l'époquedudécèsdePieVII: lesconclavistesetles anticonclavistes ont totalement disparu: ce qui peut rendre l'élection plusfacile. Mais, d'une autre part, il y aura des luttes personnelles entre lesprétendantsquiréunissentuncertainnombredevoix,etcommeilnefautqu'untiers des voix du conclave, plus une, pour donner l'exclusive qu'il ne faut pasconfondre avec le droit d'exclusion[124], le ballottage entre les candidats sepourraprolonger.

«La France veut-elle exercer le droit d'exclusion qu'elle partage avecl'Autricheetl'Espagne?L'Autrichel'aexercédansleprécédentconclavecontreSeveroli, par l'intermédiaire du cardinal Albani. Contre qui la couronne deFrancevoudrait-elleexercer cedroit?Serait-cecontre lecardinalFesch, siparaventureonsongeaitàlui,oucontrelecardinalGuistiniani?Celui-civaudrait-illa peine d'être frappé de ce veto, toujours un peu odieux en ce qu'il entravel'indépendancedel'élection?

«Àquelcardinallegouvernementduroiveut-ilconfierl'exercicedesondroitd'exclusion?Veut-onquel'ambassadeurdeFranceparaissearmédusecretdesongouvernementetcommeprêtàfrapperl'électionduconclave,sielledéplaisaitàCharlesX?Enfin, legouvernementa-t-ilunchoixdeprédilection?Est-ceà telou tel cardinal qu'il veut prêter son appui? Certes, si tous les cardinaux de

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famille, c'est-à-dire les cardinaux espagnols, napolitains et même piémontais,voulaientréunirleursvoixàcellesdescardinauxfrançais,sil'onpouvaitformerunpartidescouronnes,nousl'emporterionsauconclave;maiscesréunionssontdeschimèresetnousavonsdans lescardinauxdesdiversescoursdesennemisplutôtquedesamis.

«Onassureque leprimatdeHongrie et l'archevêquedeMilanviendront auconclave.L'ambassadeurd'AutricheàRome,lecomteLutzow,tientdetrèsbonspropossurlecaractèredeconciliationquedoitavoirlepapefutur.AttendonslesinstructionsdeVienne.

«Au surplus, je suis persuadé que tous les ambassadeurs de la terre ne fontrienaujourd'huiàl'électiondusouverainpontifeetquenoussommestousd'uneparfaiteinutilitéàRome.Jenevoisauresteaucunintérêtpressantàaccélérerouà retarder (ce qui n'est d'ailleurs au pouvoir personne) les opérations duconclave.Que lescardinauxétrangersà l'Italieassistentoun'assistentpasàceconclave,celaestduplusminceintérêtpourlerésultatdel'élection.Sil'onavaitdesmillionsàdistribuer,ilseraitencorepossibledefaireunpape:jen'yvoisquecemoyen,etiln'estpasàl'usagedelaFrance.

«Dansmes instructions confidentielles àM. le duc de Laval (13 septembre1823) je luidisais:«Nousdemandonsque l'onmette sur le trônepontificalunprélat distingué par sa piété et ses vertus. Nous désirons seulement qu'il soitassez éclairé et d'un esprit assez conciliant pour qu'il puisse juger la positionpolitiquedesgouvernementsetnelesjettepas,pardesexigencesinutiles,dansdes difficultés inextricables, aussi fâcheuses pour l'Église que pour le trône....Nousvoulonsunmembreduparti italien zelantemodéré, capable d'être agréépartouslespartis.Toutcequenousleurdemandonsdansnotreintérêt,c'estdenepaschercheràprofiterdesdivisionsquipeuventseformerdansnotreclergépourtroublernosaffairesecclésiastiques.»

«Dansuneautrelettreconfidentielle,écriteàproposdelamaladiedunouveaupapeDellaGenga,le28janvier1824,jedisaisencoreàMleducdeLaval:«Cequ'ilnousimported'obtenir(supposantunnouveauconclave),c'estquelepapesoit, par ses inclinations, indépendant des autres puissances; c'est que sesprincipessoientsagesetmodérésetqu'ilsoitamidelaFrance.»

«Aujourd'hui,monsieur lecomte,dois-je suivrecommeambassadeur l'espritdecesinstructionsquejedonnaiscommeministre?

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«Cette dépêche renferme tout. Je n'aurai plus qu'à instruire le roisuccinctement des opérations du conclave et des incidents qui pourraientsurvenir; il ne s'agira plus que du compte des votes et de la variation dessuffrages.

«Les cardinaux favorables aux jésuites sont: Giustiniani, Odescalchi,Pedicini[125],etBertazzoli[126].

«Les cardinaux opposés aux jésuites par diverses causes et diversescirconstancessont:Zurla[127],DeGregorio,Bernetti,Capellari,Micara[128].

«On croit que, sur cinquante-huit cardinaux, quarante-huit ou quarante-neufseulementassisterontauconclave.Danscecas,trente-troisoutrente-quatrevoixferaientl'élection.

«Le ministre d'Espagne, M. de Labrador, homme solitaire et caché, que jesoupçonnelégersousl'apparencedelagravité,estfortembarrassédesonrôle.Les instructionsde sacourn'ont rienprévu; il enécritdansce sensauchargéd'affairesdeSaMajestéCatholiqueàLucques.

«J'ail'honneur,etc.

«P.S.LecardinalBenvenutia,dit-on,déjàdouzevoixd'assurées.Cechoix,s'il réussissait, serait très bon. Benvenuti connaît l'Europe, et a montré de lacapacitéetdelamodérationdansdiversemplois.»

Puisque le conclaveva s'ouvrir, je veux tracer rapidement l'histoire de cettegrandeloid'élection,quicomptedéjàplusdedix-huitcentsansdedurée.D'oùviennentlespapes?Commentdesiècleensiècleont-ilsétéélus?

Aumomentoùlaliberté,l'égalitéetlarépubliqueachevaientd'expirer,versletempsd'Auguste, naissait àBethléem le tribununiversel des peuples, le grandreprésentantsur la terrede l'égalité,de la libertéetde la république, leChrist,qui,aprèsavoirplantélacroixpourservirdelimiteàdeuxmondes,aprèss'êtrefait attacher à cette croix, y être mort, symbole, victime et rédempteur dessouffranceshumaines,transmitsonpouvoiràsonpremierapôtre.DepuisAdamjusqu'à Jésus-Christ, c'est la société avec des esclaves, avec l'inégalité deshommesentreeux;depuisJésus-Christjusqu'ànous,c'estlasociétéavecl'égalitédes hommes entre eux, l'égalité sociale de l'homme et de la femme, c'est la

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sociétésansesclaves,oudumoinssansleprincipedel'esclavage.L'histoiredelasociétémodernecommenceaupiedetdececôté-cidelacroix.

Pierre, évêque deRome, initia la papauté: tribuns-dictateurs successivementélus par le peuple, et la plupart du temps choisis parmi les classes les plusobscures du peuple, les papes tinrent leur puissance temporelle de l'ordredémocratique,decettenouvelle sociétéde frèresqu'étaitvenu fonder JésusdeNazareth, ouvrier, fabricant de jougs et de charrues, né d'une femme selon lachair,etpourtantDieuetfilsdeDieu,commesesœuvresleprouvent.

Les papes eurentmission de venger et demaintenir les droits de l'homme;chefsde l'opinionhumaine, ils obtinrent, tout faiblesqu'ils étaient, la forcededétrôner les rois avec une parole et une idée: ils n'avaient pour soldat qu'unplébéien, la tête couverte d'un froc et lamain armée d'une croix. La papauté,marchant à la tête de la civilisation, s'avança vers le but de la société. Leshommeschrétiens,danstouteslesrégionsduglobe,obéirentàunprêtredontlenomleurétaitàpeineconnu,parcequeceprêtreétaitlapersonnificationd'unevérité fondamentale; il représentait enEurope l'indépendancepolitiquedétruitepresque partout; il fut dans le monde gothique le défenseur des franchisespopulaires,commeildevintdanslemondemodernelerestituteurdessciences,deslettresetdesarts.Lepeuples'enrôladanssesmilicessousl'habitd'unfrèremendiant.

Laquerelledel'empireetdusacerdoceestlaluttedesdeuxprincipessociauxau moyen âge, le pouvoir et la liberté. Les papes, favorisant les Guelfes, sedéclaraient pour les gouvernements des peuples: les empereurs, adoptant lesGibelins, poussaient augouvernementdesnobles: c'étaient précisément le rôlequ'avaientjouélesAthéniensetlesSpartiatesdanslaGrèce.Aussi, lorsquelespapesserangèrentducôtédesrois,lorsqu'ilssefirentGibelins,ilsperdirentleurpouvoir, parcequ'ils sedétachèrentde leurprincipenaturel; et, parune raisonopposée, et cependant analogue, les moines ont vu décroître leur autorité,lorsque la liberté politique est revenue directement aux peuples, parce que lespeuplesn'ontpluseubesoind'êtreremplacésparlesmoines,leursreprésentants.

Cestrônesdéclarésvacantsetlivrésaupremieroccupantdanslemoyenâge;ces empereurs qui venaient à genoux implorer le pardon d'un pontife; cesroyaumesmiseninterdit;unenationentièreprivéedeculteparunmotmagique;ces souverains frappés d'anathème, abandonnés non seulement de leurs sujets,maisencoredeleursserviteursetdeleursproches;cesprincesévitéscommedes

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lépreux, séparés de la race mortelle, en attendant leur retranchement del'éternelle race; les aliments dont ils avaient goûté, les objets qu'ils avaienttouchéspassésàtraverslesflammesainsiquechosessouillées:toutcelan'étaitque leseffetsénergiquesde la souverainetépopulairedéléguéeà la religionetparelleexercée.

Laplusvieilleloid'électiondumondeestlaloienvertudelaquellelepouvoirpontificalaététransmisdesaintPierreauprêtrequiporteaujourd'huilatiare:dece prêtre vous remontez de pape en pape jusqu'à des saints qui touchent auChrist; au premier anneau de la chaîne pontificale se trouve un Dieu. Lesévêques étaient élus par l'Assemblée générale des fidèles; dès le temps deTertullien,l'évêquedeRomeestnommél'évêquedesévêques.Leclergé,faisantpartie du peuple, concourait à l'élection. Comme les passions se retrouventpartout,commeellesdétériorent lesplusbelles institutionset lesplusvertueuxcaractères,àmesurequelapuissancepapales'accrut,elletentadavantage,etdesrivalitéshumainesproduisirentdegrandsdésordres.ÀRomepaïenne,depareilstroubles avaient éclaté pour l'élection des tribuns: des deuxGracchus, l'un futjeté dans leTibre, l'autre poignardé par un esclave dans un bois consacré auxFuries. La nomination du papeDamase, en 366, produisit une rixe sanglante:cent trente-sept personnes succombèrent dans la basilique Sicinienne,aujourd'huiSainte-Marie-Majeure.

On voit saintGrégoire élu pape par le clergé, le sénat et lepeuple romain.Tout chrétien pouvait parvenir à la tiare: Léon IV fut promu au souverainpontificat le 12 avril 847 pour défendre Rome contre les Sarrasins, et sonordinationdifféréejusqu'àcequ'ileûtdonnédespreuvesdesoncourage.Autantenarrivaitauxautresévêques:SimpliciusmontaausiègedeBourges,toutlaïquequ'ilétait.Mêmeaujourd'hui(cequ'engénéralonignore)lechoixduconclavepourraittombersurunlaïque,fût-ilmarié:safemmeentreraitenreligion,etluirecevrait,aveclapapauté,touslesordres.

Lesempereursgrecsetlatinsvoulurentopprimerlalibertédel'électionpapalepopulaire;ilsl'usurpèrentquelquefois,etilsexigèrentsouventquecetteélectionfût aumoins confirméepar eux: un capitulaire deLouis leDébonnaire rend àl'élection des évêques sa liberté primitive, qui s'accomplit selon un traité dumêmetempsparleconsentementunanimeduclergéetdupeuple.

Cesdangersd'uneélectionproclaméeparlesmassespopulairesoudictéeparlesempereursobligèrentàfairedeschangementsàlaloi.IlexistaitàRomedes

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prêtres et des diacres appelés cardinaux, soit que leur nom vint de ce qu'ilsservaient aux cornes ou coins de l'autel, ad cornua altaris, soit que le motcardinal dérivât du latin cardo, pivot ou gond. Le pape Nicolas II, dans unconcile tenu àRome en 1059, fit décider que les cardinaux seuls éliraient lespapesetqueleclergéetlepeupleratifieraientl'élection.Centvingtansaprès,leconcile de Latran[129] enleva la ratification au clergé et au peuple, et renditl'élection valide à une majorité des deux tiers des voix dans l'assemblée descardinaux.

Mais ce canon du concile ne fixant ni la durée ni la forme de ce collègeélectoral,ilarrivaqueladiscordes'introduisitparmilesélecteurs,etiln'yavaitaucun moyen dans la nouvelle modification de la loi de faire cesser cettediscorde.En1268,aprèslamortdeClémentIV,lescardinauxréunisàViterbene purent s'entendre, et le Saint-Siège resta vacant pendant deux années. Lepodestatetlepeupledelavillefurentobligésd'enfermerlescardinauxdansleurpalais,etmême,dit-on,dedécouvrircepalaispourforcerlesélecteursàenveniràunchoix.GrégoireXsortitenfinduscrutin,et,pourremédieràl'aveniràuntelabus,établitalorsleconclave,CUMCLAVE,sousclefouavecuneclef;ilréglales dispositions intérieures de ce conclave à peu près de la manière qu'ellesexistent aujourd'hui: cellules séparées, chambre commune pour le scrutin,fenêtresextérieuresmurées,à l'unedesquellesonvientproclamerl'élection,endémolissant lesplâtresdontelleestclose,etc.LeconciletenuàLyonen1274confirme et améliore ces dispositions.Un article de ce règlement est pourtanttombéendésuétude:ilyétaitditque,siaprèstroisjoursdeclôturelechoixdupape n'était pas fait, pendant cinq jours après ces trois jours les cardinauxn'aurontplusqu'unseulplatà leur repas,etqu'ensuite ilsn'aurontplusquedupain,duvinetdel'eaujusqu'àl'électiondusouverainpontife.

Aujourd'huiladuréed'unconclaven'estpluslimitéeetlescardinauxnesontpluspunispar ladiète,commedesenfantsmisenpénitence.Leurdîner,placédansdescorbeillesportéessurdesbrancards,leurarrivedudehors,accompagnéde laquais en livrée; undapifère suit le convoi l'épée au côté et traînépardeschevaux caparaçonnés, dans le carrosse armorié du cardinal reclus.Arrivés autourduconclave,lespouletssontéventrés,lespâtéssondés,lesorangesmisesenquartiers,lesbouchonsdesbouteillesdépecés,danslacraintequequelquepapene s'y trouve caché. Ces anciennes coutumes, les unes puériles, les autresridicules,ontdesinconvénients.Ledînerest-ilsomptueux?lepauvrequimeurtdefaim,enlevoyantpasser,compareetmurmure.Ledînerest-ilchétif?paruneautreinfirmitédelanature,l'indigents'enmoqueetmépriselapourpreromaine.

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On fera bien d'abolir cet usage, qui n'est plus dans les mœurs actuelles; lechristianismeestremontéverssasource;ilestrevenuautempsdelaCèneetdesAgapes,etleChristdoitseulaujourd'huiprésideràcesfestins.

Les intrigues des conclaves sont célèbres; quelques-unes eurent des suitesfunestes.Onvit,pendantleschismed'Occident,différentspapesetantipapessemaudireets'excommunierduhautdesmursenruinedeRome.Ceschismeparutprêtàs'éteindre,lorsquePierredeLune[130]leranima,en1394,paruneintriguedu conclave àAvignon.AlexandreVI acheta, en1492, les suffragesdevingt-deuxcardinauxqui luiprostituèrent la tiare, laissant après lui les souvenirsdeLucrèce.Sixte-Quint n'eut d'intriguedans le conclavequ'avec ses béquilles, etquandilfutpapesongénien'eutplusbesoindecesappuis.J'aivudansunevilladeRomeunportraitdelasœurdeSixte-Quint,femmedupeuple,queleterriblepontife, dans tout l'orgueil plébéien, se plut à faire peindre. «Les premièresarmesdenotremaison,disait-ilàcettesœur,sontdeslambeaux(lambels).»

C'étaitencore le tempsoùquelquessouverainsdictaientdesordresauSacréCollège.PhilippeIIfaisaitentrerauconclavedesbilletsportant:SuMagestadnoquierequeN.seaPapa;quierequeN.lotenga.Aprèscetteépoque,lesintriguesdesconclavesnesontplusguèrequedesagitationssansrésultatsgénéraux.DuPerronetd'Ossatobtinrentnéanmoinslaréconciliationd'HenriIVavecleSaint-Siège,cequi futungrandévénement.LesAmbassadesdeDuPerronsont fortinférieuresauxLettresded'Ossat.Avanteux,DuBellayavaitétéaumomentdeprévenirleschismedeHenriVIII.Ayantobtenudecetyran,avantsaséparationdel'Église,qu'ilsesoumettraitaujugementduSaint-Siège,ilarrivaàRomeaumomentoùlacondamnationd'HenriVIIIallaitêtreprononcée.Ilobtintundélaipour envoyer un homme de confiance en Angleterre; les mauvais cheminsretardèrentlaréponse.LespartisansdeCharles-Quintfirentrendre lasentence,etleporteurdespouvoirsdeHenriVIIIarrivadeuxjoursaprès.Leretardd'uncourrierarendul'Angleterreprotestante,etchangélafacepolitiquedel'Europe.Lesdestinéesdumondenetiennentpasàdescausespluspuissantes:unecoupetroplarge,vidéeàBabylone,fitdisparaîtreAlexandre.

VientensuiteàRome,dutempsd'Olimpia[131],lecardinaldeRetz,qui,dansleconclave,aprèslamortd'InnocentX,s'enrôladansl'escadronvolant,nomquel'ondonnaitàdixcardinaux indépendants; ilsportaientaveceuxSacchetti,quin'étaitbonqu'àpeindre,pour fairepasserAlexandreVII,saviocolsilenzio, etqui,pape,setrouvan'êtrepasgrand'chose.

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LeprésidentdeBrossesracontelamortdeClémentXIIdontilfuttémoin,etvitl'électiondeBenoîtXIV,—commej'aivuLéonXIIlepontife,mortsursonlitabandonné:lecardinalcamerlingueavaitfrappédeuxoutroisfoisClémentXIIaufront,selonl'usage,avecunpetitmarteau,enl'appelantparsonnomLorenzoCorsini:«Ilneréponditpoint,ditdeBrosses,etilajoute:«Voilàcequifaitquevotrefilleestmuette.»Etvoilàcommeence temps-làon traitait leschoses lesplus graves: un pape mort que l'on frappe à la tête comme à la porte del'entendement,enappelantl'hommedécédéetmuetparsonnom,pouvait,cemesemble inspirer,àun témoinautrechosequ'uneraillerie, fût-elleempruntéedeMolière.Qu'auraitditlelégermagistratdeDijonsiClémentXIIluieûtrépondudesprofondeursdel'éternité:«Quemeveux-tu?»

Le président de Brosses envoie à son ami l'abbé Courtois une liste descardinauxduconclaveavecunmotsurchacund'euxensonhonneur:

«Guadagni,bigot,papelard,sansesprit,sansgoût,pauvremoine.

«Aquavivad'Aragon,figurenobleetunpeuépaisse,l'espritcommelafigure.

«Ottoboni,sansmœurs,sanscrédit,débauché,ruiné,amateurdesarts.

«Alberoni,pleindefeu,inquiet,remuant,méprisé,sansmœurs,sansdécence,sans considération, sans jugement: selon lui, un cardinal est un ... habillé derouge.»

Lerestedelalisteestàl'avenant;lecynismeesticitoutl'esprit.

Unebouffonneriesingulièreeutlieu:deBrossesalladîneravecdesAnglaisàla porte Saint-Pancrace; on simula l'élection d'un pape: sir Ashewd ôta saperruque et représenta le cardinal doyen; on chanta desoremus, et le cardinalAlberonifutéluauscrutindecetteorgie.Lessoldatsprotestantsdel'arméeduconnétable de Bourbon nommèrent pape, dans l'église de Saint-Pierre,MartinLuther.Aujourd'huilesAnglais,quisonttoutàlafoislaplaieetlaprovidencedeRome,respectentlecultecatholiquequileurapermisd'éleverunprêcheendehorsdelaporteduPeuple.Legouvernementetlesmœursnesouffriraientplusdepareilsscandales.

Aussitôtqu'uncardinalestprisonnierauconclave,lapremièrechosequ'ilfait,c'est de semettre, lui et ses domestiques, à gratter durant l'obscurité lesmursfraîchementmaçonnés,jusqu'àcequ'ilsaientfaitunpetittroupourprendrepar

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là,durantlanuit,desficellesaumoyendesquelleslesavisvontetviennentdudedans au dehors. Au surplus, le cardinal de Retz, dont l'opinion n'est passuspecte,aprèsavoirparlédesmisèresduconclavedontilfitpartie,terminesonrécitparcesbellesparoles:

«On y vécut (dans le conclave) toujours ensemble avec le mêmerespect et lamêmecivilitéque l'onobservedans les cabinetsdes rois;avec lamême politesse qu'on avait dans la cour deHenri III; avec lamêmefamiliaritéquel'onvoitdanslescollèges;aveclamêmemodestiequiseremarquedanslesnoviciats,etaveclamêmecharité,aumoinsenapparence,quipourraitêtreentredesfrèresparfaitementunis.»

LaJeuneChevrière.

Je suis frappé, en achevant l'épitome d'une immense histoire, de lamanièregravedontellecommenceetdelamanièrepresqueburlesquedontellefinit:lagrandeurduFilsdeDieuouvrelascènequi,serétrécissantpardegrésaufuretàmesurequelareligioncatholiques'éloignedesasource,setermineàlapetitessedufilsd'Adam.Onneretrouveplusguèrelahauteurprimitivedelacroixqu'audécèsdusouverainpontife:cepape,sansfamille,sansamis,dontlecadavreestdélaissésursacouche,montrequel'hommeétaitcomptépourriendanslechefdumondeévangélique.Commeprincetemporel,onrenddeshonneursaupapeexpiré; commehomme, son corps abandonné est jeté à la portede l'église, oùjadislepécheurfaisaitpénitence.

DÉPÊCHESÀM.LECOMTEPORTALIS.

«Rome,17février1829.

«Monsieurlecomte,

«J'ignores'ilplairaauroid'envoyerunambassadeurextraordinaireàRomeous'illuiconviendradem'accréditerauprèsduSacréCollège.Danscederniercas,j'aurail'honneurdevousfaireobserverquej'allouaiàM.leducdeLaval,pourfraisdeserviceextraordinaireenpareillecirconstance,en1823,unesommequis'élevait,autantquejem'enpuissouvenir,de40à50,000francs.L'ambassadeurd'Autriche, M. le comte d'Appony, reçut d'abord de sa cour une somme de36,000francspourlespremiersbesoins,unsupplémentde7,200francsparmoisàsontraitementordinairependantladuréeduconclave,etpourfraisdecadeaux,

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chancellerie,etc.,10,000francs.Jen'aipoint,monsieur lecomte, laprétentiondelutterdemagnificenceavecM.l'ambassadeurd'Autriche,commelefitM.leduc de Laval; je ne louerai ni chevaux, ni voitures, ni livrées pour éblouir lapopulacedeRome; le roideFranceestunassezgrand seigneurpourpayer lapompe de ses ambassadeurs, s'il en veut une: magnificence d'emprunt, c'estmisère. J'irai donc modestement au conclave avec mes gens et mes voituresordinaires.ResteseulementàsavoirsiSaMajesténepenserapasque,pendantladuréeduconclave,jeseraiobligéàunereprésentationàlaquellemontraitementordinaire ne pourra suffire. Je ne demande rien, je soumets simplement unequestionàvotrejugementetàladécisionroyale.

«J'ail'honneur,etc.»

«Rome,ce19février1829.

«Monsieurlecomte,

«J'aieul'honneurd'êtreprésentéhierauSacréCollègeetdeprononcerlepetitdiscours[132] dont je vous ai d'avance envoyé copie dans ma dépêche no 17,partiemardi,17decemois,paruncourrierextraordinaire.J'aiétéécoutéavecdesmarquesdesatisfactiondumeilleuraugure,etlecardinaldoyen,levénérableDellaSomaglia,m'a répondudans les termes lesplusaffectueuxpour le roietpourlaFrance.

«Vousayanttoutmandédansmadernièredépêche,jen'aiabsolumentriendenouveauàvousdireaujourd'hui,sinonquelecardinalBussi[133]estarrivéhierde Bénévent; on attend aujourd'hui les cardinaux Albani, Macchi[134] etOppizzoni.

«LesmembresduSacréCollège s'enfermeront aupalaisQuirinal lundi soir,23 de ce mois. Dix jours s'écouleront ensuite pour attendre les cardinauxétrangers,aprèsquoi lesopérationssérieusesduconclavecommenceront,et,sil'ons'entendait toutd'abord, lepapepourraitêtreéludans lapremièresemainedecarême.

«J'attends,monsieurlecomte, lesordresduroi.Jesupposequevousm'avezexpédiéuncourrieraprèsl'arrivéedeM.deMontebelloàParis.Ilesturgentqueje reçoive ou l'annonce d'un ambassadeur extraordinaire, ou mes nouvelleslettresdecréanceaveclesinstructionsdugouvernement.

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«Mes cinq cardinaux français viendront-ils? Politiquement parlant, leurprésenceesticifortpeunécessaire.J'aiécritàmonseigneurlecardinaldeLatilpourluioffrirmesservicesdanslecasoùilsedétermineraitàvenir.

«J'ail'honneur,etc.

«P.S.Jejoinsicilacopied'unelettrequem'aécriteM.lecomtedeFunchal.Jen'aipoint réponduparécritàcetambassadeur, jesuisseulementallécauseraveclui.»

ÀMADAMERÉCAMIER

.

«Rome,lundi23février1829.

«Hier ont fini les obsèques du pape. La pyramide de papier et les quatrecandélabresétaientassezbeaux,parcequ'ilsétaientd'uneproportionimmenseetatteignaientà lacornichede l'église.LedernierDies iræétaitadmirable. Ilestcomposéparunhommeinconnuquiappartientàlachapelledupape,etquimesemble avoir un génie d'une tout autre espèce que Rossini. Aujourd'hui nouspassonsdela tristesseà la joie;nouschantonsleVeniCreatorpour l'ouverturedu conclave; puis nous irons voir chaque soir si les scrutins sont brûlés, si lafuméesortd'uncertainpoêle: le jouroù iln'yaurapasdefumée, lepapeseranommé,etj'iraivousretrouver;voilàtoutlefonddemonaffaire.Lediscoursduroid'Angleterre est bien insolentpour laFrance!Quelledéplorable expéditionque cette expédition de Morée! commence-t-on à le sentir? Le généralGuilleminotm'aécritunelettreàcesujet,quimefaitrire;iln'apum'écrireainsiqueparcequ'ilmeprésumaitministre.»

«25février.

«Lamortestici;Torloniaestpartihierausoiraprèsdeuxjoursdemaladie:jel'aivutoutpeinturésursonlitfunèbre,l'épéeaucôté.Ilprêtaitsurgages;maisquels gages! sur des antiques, sur des tableaux renfermés pêle-mêle dans unvieuxpalaispoudreux.Cen'estpas là lemagasinoù l'Avareserraitun luthdeBolognegarnidetoutessescordesoupeus'enfaut,lapeaud'unlézarddetroispieds,etlelitdequatrepiedsàbandesdepointdeHongrie.

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«On ne voit que des défunts que l'on promène habillés dans les rues; il enpasseunrégulièrementsousmesfenêtresquandnousnousmettonsàtablepourdîner.Ausurplus, toutannonce laséparationduprintemps;oncommenceàsedisperser;onpartpourNaples;onreviendraunmomentpourlasemainesainte,et puis on se quittera pour toujours. L'année prochaine ce seront d'autresvoyageurs,d'autresvisages,uneautresociété.Ilyaquelquechosedetristedanscettecoursesurdesruines:lesRomainssontcommelesdébrisdeleurville:lemonde passe à leurs pieds. Je me figure ces personnes rentrant dans leursfamilles,danslesdiversescontréesdel'Europe,cesjeunesMissesretournantaumilieudeleursbrouillards.Siparhasard,danstrenteansd'ici,quelqu'uned'entreellesestramenéeenItalie,quisesouviendradel'avoirvuedanslespalaisdontlesmaîtresneserontplus?Saint-PierreetleColisée,voilàtoutcequ'elle-mêmereconnaîtrait.»

DÉPÊCHEÀM.LECOMTEPORTALIS

.

«Rome,ce3mars1829.

«Monsieurlecomte,

«MonpremiercourrierétantarrivéàLyonle14dumoisdernieràneufheuresdu soir, vous avez pu apprendre le 15 aumatin, par le télégraphe, lamort dupape.Noussommesaujourd'huiau3demarsetjesuisencoresansinstructionsetsans réponseofficielle.Les journauxontannoncé ledépartdedeuxou troiscardinaux. J'avais écrit à Paris àM. le cardinal de Latil[135], pourmettre à sadispositionlepalaisdel'ambassade;jeviensdeluiécrireencoreàdiverspointsdesaroute,pourluirenouvelermesoffres.

«Jesuisfâchéd'êtreobligédevousdire,monsieurlecomte,quejeremarqueicidepetitesintriguespouréloignernoscardinaux[136]del'ambassade,pourlesloger là où ils pourraient être placés plus à la portée des influences que l'onespèreexercersureux.

«En ce qui me concerne, cela m'est fort indifférent. Je rendrai à MM. lescardinaux tous les services qui dépendront demoi. S'ilsm'interrogent sur deschoses qu'il sera bon de connaître, je leur dirai ce que je sais; si vous metransmettezpoureuxlesordresduroi,jeleurenferaipart;maiss'ilsarrivaient

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ici dans un esprit hostile aux vues du gouvernement de Sa Majesté, si l'ons'apercevait qu'ils ne marchent pas d'accord avec l'ambassadeur du roi, s'ilstenaient un langage contraire au mien, s'ils allaient jusqu'à donner leurs voixdansleconclaveàquelquehommeexagéré,s'ilsétaientmêmedivisésentreeux,rienneseraitplusfuneste.Mieuxvaudraitpourleserviceduroiquejedonnasseà l'instant ma démission que d'offrir ce spectacle public de nos discordes.L'Autricheetl'Espagneont,parrapportàleurclergé,uneconduitequinelaisserienà l'intrigue.Toutprêtre, toutcardinalouévêqueautrichienouespagnolnepeutavoirpouragentetpourcorrespondantàRomequel'ambassadeurmêmedesacour;celui-cialedroitd'écarteràl'instantdeRometoutecclésiastiquedesanationquiluiferaitobstacle.

«J'espère, monsieur le comte, qu'aucune division n'aura lieu, que MM. lescardinaux auront l'ordre formel de se soumettre aux instructions que je netarderaipasà recevoirdevous;que je saurai celuid'entreeuxqui serachargéd'exercer l'exclusion, en cas de besoin, et quelles têtes cette exclusion doitfrapper.

«Ilestbiennécessairedesetenirengarde;lesderniersscrutinsontannoncéleréveild'unparti.Ceparti,quiadonnédevingtàvingtetunevoixauxcardinauxdella Marmora[137] et Pedicini, forme ce qu'on appelle ici la faction deSardaigne.Lesautrescardinauxeffrayésveulentporter tous leurssuffragessurOppizzoni, homme ferme etmodéré à la fois.QuoiqueAutrichien, c'est-à-direMilanais,ilatenutêteàl'AutricheàBologne.Ceseraitunexcellentchoix.Lesvoix des cardinaux français pourraient, en se fixant sur l'un ou sur l'autrecandidat,déciderl'élection.Àtortouàraison,oncroitcescardinauxennemisdusystèmeactuel dugouvernementdu roi, et la factiondeSardaigne compte sureux.

«J'ail'honneur,etc[138].»

ÀMADAMERÉCAMIER.

Rome,le3mars1829.

«Vousme surprenez sur l'histoire dema fouille; je neme souvenais pas devous avoir écrit rien de si bien à ce propos. Je suis, comme vous le pensez,fortement occupé: laissé sans direction et sans instructions, je suis obligé deprendre tout sur moi. Je crois cependant que je puis vous promettre un pape

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modéréetéclairé.Dieuveuilleseulementqu'ilsoitfaitàl'expirationdel'intérimduministèredeM.Portalis.»

«4mars.

«Hier,mercredidesCendres,j'étaisàgenouxseuldanscetteéglisedeSantaCroce, appuyée sur les murailles de Rome, près de la porte de Naples.J'entendais le chantmonotone et lugubredes religieuxdans l'intérieurde cettesolitude: j'auraisvouluêtreaussisousunfroc,chantantparmicesdébris.Quellieupourmettre enpaix l'ambitionet contempler lesvanitésde la terre! Jenevousparlepasdema santé, parceque cela est extrêmement ennuyeux.Tandisquejesouffre,onmeditqueM.delaFerronnaysseguérit;ilfaitdescoursesàcheval,etsaconvalescencepassedanslepayspourunmiracle:Dieuveuillequ'ilen soit ainsi, et qu'il reprenne le portefeuille au bout de l'intérim: que dequestionscelatrancherait,pourmoi!»

DÉPÊCHEÀM.LECOMTEPORTALIS.

«Dimanche[139],ce15mars1829.

«Monsieurlecomte,

«J'ai eu l'honneur de vous instruire de l'arrivée successive de MM. lescardinaux français. Trois d'entre eux, MM. de Latil, de la Fare[140] et deCroy[141],m'ont fait l'honneur dedescendre chezmoi.Lepremier est entré auconclave jeudi soir12, avecM. lecardinal Isoard[142], lesdeuxautres s'y sontrenfermésvendredisoir,13.

«Jeleuraifaitpartdetoutcequejesavais;jeleuraicommuniquédesnotesimportantessurlaminoritéetlamajoritéduconclave,surlessentimentsdontlesdifférents partis sont animés. Nous sommes convenus qu'ils porteraient lescandidatsdontjevousaidéjàparlé,savoir:lescardinauxCapellari,Oppizzoni,Benvenuti,Zurla,Castiglioni, enfinPaccaetdeGregorio;qu'ils repousseraientlescardinauxdelafactionsarde:Pedicini,Giustiniani,GalleffietCristaldi[143]».

«J'espèrequecettebonneintelligenceentrelesambassadeursetlescardinauxauralemeilleureffet:dumoinsn'aurai-jerienàmereprochersidespassionsoudesintérêtsvenaientàtrompermesespérances.

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«J'ai découvert,monsieur le comte, deméprisables et dangereuses intriguesentretenuesdeParisàRomeparlecanaldeM.lenonceLambruschini[144].Ilnes'agissait rienmoinsquede faire lireenpleinconclave lacopiedeprétenduesinstructions secrètes divisées en plusieurs articles et données (assurait-onimpudemment)àM.lecardinaldeLatil.Lamajoritéduconclaves'estprononcéefortement contre de pareilles machinations; elle aurait voulu qu'on écrivît aunoncederompretouteespècederelationsavecceshommesdediscordequi,entroublantlaFrance,finiraientparrendrelareligioncatholiqueodieuseàtous.Jefais,monsieur le comte, un recueil de ces révélations authentiques, et je vousl'enverrai après la nomination du pape: cela vaudra mieux que toutes lesdépêchesdumonde.Leroiapprendraàconnaîtresesamisetsesennemis,etlegouvernementpourras'appuyersurdesfaitspropresàledirigerdanssamarche.

«Votre dépêcheno 14me donna avis des empiétements que le nonce de SaSaintetéavoulurenouvelerenFranceausujetdelamortdeLéonXII.Lamêmechoseétaitdéjàarrivée,lorsquej'étaisministredesaffairesétrangères,àlamortde PieVII: heureusement on a toujours lesmoyens de se défendre contre cesattaquespubliques;ilestbienplusdifficiled'échapperauxtramesourdiesdansl'ombre.

«Les conclavistes qui accompagnent nos cardinauxm'ont paru des hommesraisonnables: le seul abbéCoudrin[145], dont vousm'avez parlé, est un de cesespritscompactesetrétrécisdanslesquelsriennepeutentrer,undeceshommesqui se sont trompés de profession. Vous n'ignorez pas qu'il est moine, chefd'ordre,etqu'ilamêmedesbullesd'institution:celanes'accordeguèreavecnosloiscivilesetnosinstitutionspolitiques.

«Ilsepourraitfairequelepapefûtéluàlafindecettesemaine.Maissi lescardinaux français manquent le premier effet de leur présence, il deviendraimpossible d'assigner un terme au conclave. De nouvelles combinaisonsamèneraientpeut-êtreunenominationinattendue:ons'arrangerait,pourenfinir,dequelquecardinalinsignifiant,telqueDandini[146].

«Jemesuisjadis,monsieurlecomte,trouvédansdescirconstancesdifficiles,soit comme ambassadeur à Londres, soit comme ministre pendant la guerred'Espagne, soit commemembre de laChambre des pairs, soit comme chef del'opposition; mais rien ne m'a donné autant d'inquiétude et de souci que mapositionactuelleaumilieudetouslesgenresd'intrigues.Ilfautquej'agissesurun corps invisible renfermé dans une prison dont les abords sont strictement

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gardés. Jen'ainiargentàdonner,niplacesàpromettre; lespassionscaduquesd'une cinquantaine de vieillards ne m'offrent aucune prise sur elles. J'ai àcombattre la bêtise dans les uns, l'ignorance du siècle dans les autres; lefanatismedansceux-ci, l'astuceet laduplicitédansceux-là;danspresque tousl'ambition,lesintérêts,leshainespolitiques,etjesuisséparépardesmursetpardesmystèresdel'assembléeoùfermententtantd'élémentsdedivision.Àchaqueinstant la scène varie; tous les quarts d'heure des rapports contradictoires meplongentdansdenouvellesperplexités.Cen'estpas,monsieurlecomte,pourmefaire valoir, que je vous entretiens de ces difficultés, mais pour me servird'excusedanslecasoùl'électionproduiraitunpapecontraireàcequ'ellesemblepromettre et à la nature de nos vœux. À la mort de Pie VII, les questionsreligieuses n'avaient point encore agité l'opinion: ces questions sont venuesaujourd'hui se mêler à la politique, et jamais l'élection du chef de l'Église nepouvaittomberplusmalàpropos.

«J'ail'honneur,etc.»

ÀMADAMERÉCAMIER.

«Rome,17mars1829.

«LeroideBavière[147]estvenumevoirenfrac.Nousavonsparlédevous.Cesouveraingrec,enportantunecouronne,semblesavoircequ'ilasurla tête,etcomprendrequ'onneclouepas le tempsaupassé. Ildînechezmoi jeudietneveutpersonne.

«Au reste,nousvoilà aumilieudegrandsévénements:unpapeà faire;quesera-t-il?L'émancipationdescatholiquespassera-t-elle?UnenouvellecampagneenOrient;dequelcôtéseralavictoire?Profiterons-nousdecetteposition?Quiconduiranosaffaires?ya-t-ilunetêtecapabled'apercevoirtoutcequisetrouvelà-dedanspourlaFranceetd'enprofiterselonlesévénements?Jesuispersuadéqu'onn'ypenseseulementpasàParis,etqu'entrelessalonsetleschambres,lesplaisirs et les lois, les joies dumonde et les inquiétudes ministérielles, on sesouciedel'Europecommederiendutout.Iln'yaquemoiqui,dansmonexil,aile temps de songer creux et de regarder autour de moi. Hier, je suis allé mepromenerparuneespècedetempêtesurl'ancienchemindeTivoli.Jesuisarrivéà l'ancien pavé romain, si bien conservé qu'on croirait qu'il a été posénouvellement. Horace avait pourtant foulé les pierres que je foulais: où est

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Horace?»

Le marquis Capponi[148], arrivant de Florence, m'apporta des lettres derecommandationde sesamiesdeParis. Je répondisà l'unedeces lettres le21mars1829:

«J'aireçuvoslettres:lesservicesquejepuisrendrenesontrien,maisjesuistoutàvosordres.Jen'enétaispasàsavoircequec'étaitquelemarquisCapponi:je vous annonce qu'il est toujours beau; il a tenu bon contre le temps. Je n'aipoint répondu à votre première lettre, toute pleine d'enthousiasme pour lesublimeMahmoudetpourlabarbariedisciplinée,pourcesesclavesbâtonnésensoldats[149].Que les femmes soient transportéesd'admirationpour les hommesquienépousentàlafoisdescentaines,qu'ellesprennentcelapourleprogrèsdeslumières et de la civilisation, je le conçois; mais moi je tiens à mes pauvresGrecs;jeveuxleurlibertécommecelledelaFrance;jeveuxaussidesfrontièresquicouvrentParis,quiassurentnotreindépendance,etcen'estpasaveclatriplealliance du pal de Constantinople, de la schlague de Vienne et des coups depoings deLondres que vous aurez la rive duRhin.Grandmerci de la pelissed'honneur que notre gloire pourrait obtenir de l'invincible chef des croyants,lequeln'estpasencoresortidesfaubourgsdesonsérail;j'aimemieuxcettegloiretoutenue;elleestfemmeetbelle:Phidiasseseraitbiengardédeluimettreunerobedechambreturque.»

ÀMADAMERÉCAMIER.

«Rome,le21mars1829

«Ehbien! j'ai raisoncontrevous! Je suis alléhier, entredeux scrutins et enattendantunpape,àSaint-Onufre:cesontbiendeuxorangersquisontdanslecloître,etpointunchênevert.Jesuistoutfierdecettefidélitédemamémoire.J'aicouru,presquelesyeuxfermés,àlapetitepierrequirecouvrevotreami;jel'aime mieux que le grand tombeau qu'on va lui élever. Quelle charmantesolitude!quelleadmirablevue!quelbonheurdereposerlàentrelesfresquesduDominiquinetcellesdeLéonarddeVinci!Jevoudraisyêtre,jen'aijamaisétéplustenté.Vousa-t-onlaisséeentrerdansl'intérieurducouvent?Avez-vousvu,dans un long corridor, cette tête ravissante, quoique à moitié effacée, d'unemadonedeLéonarddeVinci?Avez-vousvudanslabibliothèquelemasqueduTasse,sacouronnedelaurierflétrie,unmiroirdontilseservait,sonécritoire,sa

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plumeetlalettreécritedesamain,colléesuruneplanchequipendaubasdesonbuste?Dans cette lettre d'unepetite écriture raturée,mais facile à lire, il parled'amitiéetduventdelafortune;celui-làn'avaitguèresoufflépourluietl'amitiéluiavaitsouventmanqué.

«Pointdepapeencore,nousl'attendonsd'heureenheure;maissilechoixaétéretardé,sidesobstaclessesontélevésde toutesparts,cen'estpasmafaute: ilauraitfallum'écouterunpeudavantageetnepasagirtoutjusteensenscontrairede ce qu'on paraissait décider. Au reste, à présent, il me semble que tout lemondeveutêtreenpaixavecmoi.LecardinaldeClermont-Tonnerrelui-mêmevientdem'écrirequ'ilréclamemesanciennesbontéspourlui,etaprèstoutcelaildescendchezmoirésoluàvoterpourlepapeleplusmodéré.

«Vousavezlumonseconddiscours[150].RemerciezM.Kératryqui[151]aparlési obligeamment du premier; j'espère qu'il sera encore plus content de l'autre.Nous tâcherons tous les deux de rendre la liberté chrétienne, et nous yparviendrons.Quedites-vousdelaréponsequelecardinalCastiglionim'afaite?Suis-jeassezlouéenpleinconclave?Vousn'auriezpasmieuxditdansvosjoursdegâterie.»

«24mars1829.

«Sij'encroyaislesbruitsdeRome,nousaurionsunpapedemain;maisjesuisdansunmomentdedécouragement, et jeneveuxpas croire àun telbonheur.Vouscomprenezbienquecebonheurn'estpaslebonheurpolitique,lajoied'untriomphe,maislebonheurd'êtrelibreetdevousretrouver.Quandjevousparletantdeconclave,jesuiscommelesgensquiontuneidéefixeetquicroientquele monde n'est occupé que de cette idée. Et pourtant, à Paris, qui pense auconclave, qui s'occuped'unpape et demes tribulations?La légèreté française,lesintérêtsdumoment,lesdiscussionsdesChambres,lesambitionsémues,ontbienautrechoseàfaire.LorsqueleducdeLavalm'écrivaitaussisessoucissurson conclave, tout préoccupé de la guerre d'Espagne que j'étais, je disais enrecevant ses dépêches: Eh! bon Dieu, il s'agit bien de cela! M. Portalis doitaujourd'huimefairesubirlapeinedutalion.Ilestvraidedirecependantqueleschoses à cette époque n'étaient pas ce qu'elles sont aujourd'hui: les idéesreligieuses n'étaient pasmêlées aux idées politiques comme elles le sont danstoutel'Europe;laquerellen'étaitpaslà;lanominationd'unpapenepouvaitpas,commeàcetteheure,troubleroucalmerlesÉtats.

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«Depuis la lettre qui m'annonçait la prolongation du congé de M. de LaFerronnayset sondépartpourRome, jen'ai rienappris: jecroispourtantcettenouvellevraie.

«M.Thierrym'a écrit d'Hyères une lettre touchante; il dit qu'il semeurt, etpourtantilveutuneplaceàl'Académiedesinscriptionsetmedemanded'écrirepour lui. Jevais le faire.Ma fouillecontinueàmedonnerdes sarcophages; lamortnepeutfournirquecequ'ellea.LemonumentduPoussinavance.Ilseranobleetgrand.VousnesauriezcroirecombienletableaudesBergersd'Arcadieétaitfaitpourunbas-reliefetconvientàlasculpture[152].»

«28mars.

«M. lecardinaldeClermont-Tonnerre,descenduchezmoi,entreaujourd'huiauconclave;c'estlesiècledesmerveilles.J'aiauprèsdemoilefilsdumaréchalLannes et lepetit-fils du chancelier[153]:messieurs duConstitutionnel dînent àmatableauprèsdemessieursdelaQuotidienne.Voilàl'avantaged'êtresincère;jelaissechacunpensercequ'ilveut,pourvuqu'onm'accordelamêmeliberté;jetâcheseulementquemonopinionaitlamajorité,parcequejelatrouve,commede raison, meilleure que les autres. C'est à cette sincérité que j'attribue lepenchant qu'ont les opinions les plus divergentes à se rapprocher de moi.J'exerceenversellesledroitd'asile:onnepeutlessaisirsousmontoit.»

ÀM.LEDUCDEBLACAS[154].

«Rome,24mars1829.

«Jesuisbien fâché,monsieur leduc,qu'unephrasedema lettreaitpuvouscauser quelque inquiétude. Je n'ai point du tout àmeplaindre d'unhommedesens et d'esprit (M. Fuscaldo[155]), qui ne m'a dit que des lieux commun dediplomatie. Nous autres ambassadeurs, disons-nous autre chose? Quant aucardinaldontvousmefaitesl'honneurdemeparler,legouvernementfrançaisn'adésignéparticulièrementpersonne;ils'enestentièrementrapportéàcequejeluiai mandé. Sept ou huit cardinaux modérés et pacifiques, qui semblent attirerégalement les vœuxde toutes les cours, sont les candidats entre lesquels nousdésirons voir se fixer les suffrages. Mais si nous n'avons pas la prétentiond'imposer un choix à la majorité du conclave, nous repoussons de toutes nosforcesetpartouslesmoyenstroisouquatrecardinauxfanatiques,intrigantsou

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incapables,queportelaminorité.

«Je n'ai, monsieur le duc, aucunmoyen possible de vous faire passer cettelettre;jelametsdonctoutsimplementàlaposte,parcequ'ellenerenfermerienquevousetmoinepuissionsavouertouthaut.

«J'ail'honneur,etc.»

ÀMADAMERÉCAMIER.

«Rome,le31mars1829.

«M.deMontebelloestarrivéetm'aapportévotrelettreavecunelettredeM.BertinetdeM.Villemain.

«Mesfouillesvontbien,jetrouveforcesarcophagesvides;j'enpourraichoisirunpourmoi, sansquemapoussière soitobligéedechasser celledecesvieuxmortsqueleventadéjàemportée.Lessépulcresdépeuplésoffrentlespectacled'unerésurrectionetpourtantilsn'attendentqu'unemortplusprofonde.Cen'estpaslavie,c'estlenéantquiarenducestombesdésertes.

«Pourachevermonpetit journaldumoment, jevousdiraiquejesuismontéavant-hieràlabouledeSaint-Pierrependantunetempête.Vousnesauriezvousfigurer ce que c'était que le bruit du vent au milieu du ciel, autour de cettecoupoledeMichel-Ange,etau-dessusdecetempledeschrétiens,quiécraselavieilleRome.»

«31mars,ausoir.

«Victoire! j'aiundespapesque j'avaismis surma liste: c'estCastiglioni, lecardinalmêmequejeportaisàlapapautéen1823,lorsquej'étaisministre,celuiqui m'a répondu dernièrement au conclave en me donnant force louanges.Castiglioni est modéré et dévoué à la France: c'est un triomphe complet. Leconclave,avantdeseséparer,aordonnéd'écrireaunonceàParis,pourluidired'exprimerauroilasatisfactionqueleSacréCollègeaéprouvéedemaconduite.J'aidéjàexpédiécettenouvelleàParisparletélégraphe.LepréfetduRhôneestl'intermédiairedecettecorrespondanceaérienne,etcepréfetestM.deBrosses,fils de ce comte deBrosses, le léger voyageur à Rome, souvent cité dans les

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notes que je rassemble en vous écrivant[156]. Le courrier qui vous porte cettelettreportemadépêcheàM.Portalis.

«Jen'aiplusdeux joursdesuitedebonnesanté;celamefaitenrager,car jen'ai cœur à rien aumilieudemes souffrances. J'attendspourtant avecquelqueimpatiencecequirésulteraàParisdelanominationdemonpape,cequ'ondira,cequ'onfera,cequejedeviendrai.Leplussûr,c'estlecongédemandé.J'aivupar les journaux la grande querelle du Constitutionnel sur mon discours; ilaccuse leMessager de ne l'avoir pas imprimé, et nous avons à Rome desMessagersdu22mars(laquerelleestdu24et25)quiontlediscours.N'est-cepassingulier?Ilparaîtclairqu'ilyaeudeuxéditions,l'unepourRomeetl'autrepourParis.Pauvresgens!jepenseaumécompted'unautrejournal;ilassurequeleconclaveauraététrèsmécontentdecediscours:qu'aura-t-ilditquandilauravulesélogesquemedonnelecardinalCastiglioni,quiestdevenupape?

«Quand cesserai-je de vous parler de toutes ces misères? Quand nem'occuperai-je plus que d'achever les mémoires de ma vie et ma vie aussi,commedernièrepagedemesMémoires?J'enaibienbesoin;jesuisbienlas,lepoidsdesjoursaugmenteetsefaitsentirsurmatête;jem'amuseàl'appelerunrhumatisme,maisonneguéritpasdecelui-là.Unseulmotmesoutientquandjelerépète:Àbientôt.»

«3avril.

«J'oubliaisdevousdirequelecardinalFeschs'étanttrèsbienconduitdansleconclave,etayantvotéavecnoscardinaux, j'ai franchi lepaset je l'ai invitéàdîner.Ilarefuséparunbilletpleindemesure[157].

DÉPÊCHEÀM.LECOMTEPORTALIS.

«Rome,ce2avril1829.

«Monsieurlecomte,

«LecardinalAlbaniaéténommésecrétaired'État,ainsiquej'aieul'honneurdevouslemanderdansmapremièrelettreportéeàLyonparlecourrieràchevalexpédiéle31marsausoir.Lenouveauministreneplaîtniàlafactionsarde,niàla majorité du Sacré Collège, ni même à l'Autriche, parce qu'il est violent,

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antijésuite, rude dans son abord, et Italien avant tout. Riche et excessivementavare, le cardinal Albani se trouvemêlé dans toutes sortes d'entreprises et despéculations.J'allaihier lui fairemapremièrevisite;aussitôtqu'ilm'aperçut, ils'écria:«Jesuisuncochon!(Ilétaiteneffetfortsale.)Vousverrezquejenesuispasunennemi.»Jevousrapporte,monsieurlecomte,sespropresparoles.Jeluirépondisquej'étaisbienloindeleregardercommeunennemi.«Àvousautres,reprit-il, ilfautdel'eauetnonpasdufeu:neconnais-jepasvotrepays?n'ai-jepasvécuenFrance?(IlparlefrançaiscommeunFrançais.)Vousserezcontentetvotremaîtreaussi.Commentseporteleroi?Bonjour!AllonsàSaint-Pierre.»

«Ilétaithuitheuresdumatin;j'avaisdéjàvuSaSaintetéettoutRomecouraitàlacérémoniedel'adoration.

«Le cardinal Albani est un homme d'esprit, faux par caractère et franc parhumeur;saviolencedéjouesaruse;onpeutentirerpartienflattantsonorgueiletsatisfaisantsonavarice.

«Pie VIII est très savant, surtout enmatière de théologie; il parle français,maisavecmoinsdefacilitéetdegrâcequeLéonXII.Ilestattaquésurlecôtédroit d'une demi-paralysie et sujet à des mouvements convulsifs: la suprêmepuissance leguérira. Ilseracouronnédimancheprochain, jourde laPassion,5avril.

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«Maintenant,monsieur le comte, que la principale affaire quime retenait àRome est terminée, je vous serai infiniment obligé de m'obtenir de labienveillance de Sa Majesté un congé de quelques mois. Je ne m'en serviraiqu'aprèsavoirremisaupapelalettreparlaquelleleroirépondraàcellequePieVIIIluiaécriteouvaluiécrirepourluiannoncersonélévationsurlachairedeSaint-Pierre. Permettez-moi de solliciter de nouveau en faveur de mes deuxsecrétairesdelégation,M.BellocqetM.deGivré[158],lesgrâcesquejevousaidemandéespoureux.

«Les intriguesducardinalAlbanidans le conclave, lespartisansqu'il s'étaitacquis, même dans la majorité, m'avaient fait craindre quelque coup imprévupour leporter au souverainpontificat. Ilmeparaissait impossiblede se laisserainsisurprendreetdepermettreauchargéd'affairesdel'Autrichedeceindrelatiaresouslesyeuxdel'ambassadeurdeFrance;jeprofitaidoncdel'arrivéedeM.lecardinaldeClermont-Tonnerrepourlechargeràtoutévénementdelalettreci-jointe dont je prenais les dispositions sousma responsabilité.Heureusement iln'a point été dans le cas de faire usage de cette lettre; ilme l'a rendue et j'ail'honneurdevousl'envoyer.

«J'ail'honneur,etc.,etc.»

ÀSONÉMINENCEMONSEIGNEURLECARDINALDECLERMONT-TONNERRE.

«Rome,ce28mars1829.

«Monseigneur,

«Ne pouvant plus communiquer avec vos collègues MM. les cardinauxfrançaisrenfermésaupalaisdeMonte-Cavallo;étantobligédetoutprévoirpourl'avantageduserviceduroietdans l'intérêtdenotrepays;sachantcombiendenominationsinattenduesonteulieudanslesconclaves,jemevoisàregretdanslafâcheusenécessitédeconfieràVotreÉminenceuneexclusionéventuelle.

«BienqueM. lecardinalAlbanineparaisseavoiraucunechance, iln'enestpas moins un homme de capacité sur lequel, dans une lutte prolongée, onpourraitjeterlesyeux;maisilestlecardinalchargéauconclavedesinstructionsde l'Autriche: M. le comte de Lutzow, dans son discours, l'a déjà désigné

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officiellementencettequalité.Or,ilestimpossibledelaisserporterausouverainpontificat un cardinal appartenant ouvertement à une couronne, pas plus à lacouronnedeFrancequ'àtouteautre.

«En conséquence, monseigneur, je vous charge, en vertu de mes pleinspouvoirs, comme ambassadeur de SaMajesté Très Chrétienne, et prenant surmoiseultoutelaresponsabilité,dedonnerl'exclusionàMlecardinalAlbani,sid'uncôtéparunerencontrefortuite,etdel'autreparunecombinaisonsecrète,ilvenaitàobtenirlamajoritédessuffrages.

«Jesuis,etc.,etc.»

Cettelettred'exclusion,confiéeàuncardinalparunambassadeurquin'yestpasautoriséformellement,estunetéméritéendiplomatie:ilyalàdequoifairefrémir tous les hommes d'État à domicile, tous les chefs de division, tous lespremiers commis, tous les copistes aux affaires étrangères; mais puisque leministre ignorait sa chose au point de ne pas même songer au cas éventueld'exclusion,forcem'étaitd'ysongerpourlui.Supposezqu'Albanieûtéténommépape par aventure, que serais-je devenu? J'aurais été à jamais perdu commehommepolitique.

Jemedisceci,nonpourmoi,quimesouciepeudurenomd'hommepolitique,mais pour la génération future des écrivains à qui on ferait du bruit de monaccidentetquiexpieraientmonmalheurauxdépensdeleurcarrière,commeondonne le fouet au menin quand M. le dauphin a fait une sottise. Mais il nefaudraitpastropnonplusadmirermaprévoyanteaudace,enprenantsurmoilalettre d'exclusion: ce qui paraît une énormité, mesuré à la courte échelle desvieillesidéesdiplomatiques,n'étaitaufondriendutout,dansl'ordreactueldelasociété. Cette audace me venait, d'un côté, de mon insensibilité pour toutedisgrâce,de l'autre,demaconnaissancedesopinionsdemon temps: lemondetelqu'ilestfaitaujourd'huinedonnepasdeuxsousdelanominationd'unpape,desrivalitésdescouronnesetdesintriguesdel'intérieurd'unconclave.

DÉPÊCHEÀM.LECOMTEPORTALIS.

Confidentielle.

«Rome,ce2avril1829.

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«Monsieurlecomte,

«J'ai l'honneurdevousenvoyeraujourd'hui lesdocuments importantsque jevous ai annoncés. Ce n'est rien moins que le journal officiel et secret duconclave.Ilesttraduitmotpourmotsurl'originalitalien;j'enaifaitdisparaîtreseulementtoutcequipouvaitindiqueravectropdeprécisionlessourcesoùj'aipuisé.S'iltranspiraitlamoindrechosedecesrévélations,dontiln'yapeut-êtrepas un autre exemple, il en coûterait la fortune, la liberté et la vie peut-être àplusieurspersonnes.Celaseraitd'autantplusdéplorablequeces révélationsnesontpointduesàl'intérêtetàlacorruption,maisàlaconfiancedansl'honneurfrançais.Cette pièce,monsieur le comte, doit doncdemeurer à jamais secrète,après avoir été lue dans le conseil du roi: car,malgré les précautions que j'aiprisesde taire lesnomset de retrancher les chosesdirectes, elle endit encoreassez pour compromettre ses auteurs. J'y ai joint un commentaire, afin d'enfaciliter la lecture. Le gouvernement pontifical est dans l'usage de tenir unregistre où sont notés jour par jour, et pour ainsi dire heure par heure, sesdécisions,sesgestesetsesfaits;queltrésorhistoriquesi l'onpouvaityfouilleren remontant vers les premiers siècles de la papauté! Ilm'a été entr'ouvert unmoment pour l'époque actuelle. Le roi verra, par les documents que je voustransmets, ce qu'on n'a jamais vu, l'intérieur d'un conclave; les sentiments lesplusintimesdelacourdeRomeluiserontconnus,etlesministresdeSaMajesténemarcherontpasdansl'ombre.

«Le commentaire que j'ai fait du journal me dispensant de toute autreréflexion, ilnemeresteplusqu'àvousoffrir lanouvelleassurancede lahauteconsidérationaveclaquellej'ail'honneur,etc.,etc.»

L'original italien du document précieux annoncé dans cette dépêcheconfidentielleaétébrûléàRomesousmesyeux;jen'aipointgardécopiedelatraduction de ce document que j'ai envoyée aux affaires étrangères; j'aiseulementunecopieducommentaireoudesremarques jointesparmoiàcettetraduction[159].Maislamêmediscrétionquim'afaitrecommanderauministredegarder la pièce à jamais secrète m'oblige de supprimer ici mes propresremarques;car,quellequesoitl'obscuritédontcesremarquessontenveloppées,par l'absence du document auquel elles se rapportent, cette obscurité seraitencore de la lumière à Rome. Or, les ressentiments sont longs dans la villeéternelle; il se pourrait faire que, dans cinquante ans d'ici ils allassent frapperquelque arrière-neveu des auteurs de la mystérieuse confidence. Je mecontenteraidoncdedonnerunaperçugénéral du contenuducommentaire,en

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insistant sur quelques passages qui ont un rapport direct avec les affaires deFrance.

Onvoitpremièrementcombien lacourdeNaples trompaitM.deBlacasoucombienelleétaitelle-mêmetrompée;car,pendantqu'ellemefaisaitdirequelescardinauxnapolitainsvoteraientavecnous,ilsseréunissaientàlaminoritéouàlafactionditedeSardaigne.

La minorité des cardinaux se figurait que le vote des cardinaux françaisinflueraitsurlaformedenotregouvernement.Commentcela?Apparemmentparlesordressecretsdontonlessupposaitchargésetparleursvotesenfaveurd'unpapeexalté.

LenonceLambruschiniaffirmaitauconclavequelecardinaldeLatilavaitlesecretduroi:tousleseffortsdelafactiontendaientàfairecroirequeCharlesXetsongouvernementn'étaientpasd'accord.

Le 13 mars, le cardinal de Latil annonce qu'il a à faire au conclave unedéclaration purement de conscience; il est renvoyé devant quatre cardinaux-évêques: les actes de cette confession secrète demeurent à la garde du grandpénitencier.Lesautrescardinauxfrançaisignorentlamatièredecetteconfessionet le cardinal Albani cherche en vain à la découvrir: le fait est important etcurieux.

Laminorité est composée de seize voix compactes. Les cardinaux de cetteminorités'appellentlesPèresdelaCroix;ilsmettentsurleurporteunecroixdeSaint-Andrépourannoncerque,déterminésdansleurchoix,ilsneveulentpluscommuniquer avec personne. La majorité du conclave montre des sentimentsraisonnables et la ferme résolution de ne se mêler en rien de la politiqueétrangère.

Leprocès-verbaldresséparlenotaireduconclaveestdigned'êtreremarqué:«Pie VIII, y est-il dit à la conclusion, s'est déterminé à nommer le cardinalAlbani secrétaire d'État, afin de satisfaire aussi le cabinet de Vienne.» Lesouverainpontifepartageleslotsentrelesdeuxcouronnes;ilsedéclarelepapedelaFranceetdonneàl'Autrichelasecrétaireried'État.

ÀMADAMERÉCAMIER.

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«Rome,mercredi8avril1829

«J'aidonnéaujourd'huimêmeàdîneràtoutleconclave.Demainjereçoislagrande-duchesseHélène.Lemardi dePâques, j'ai un bal pour la clôture de lasession; et puis je me prépare à aller vous voir; jugez de mon anxiété: aumoment où je vous écris, je n'ai point encore de nouvelles demon courrier àchevalannonçant lamortdupape,etpourtant lepapeestdéjàcouronné;LéonXII est oublié; j'ai repris les affaires avec le nouveau secrétaire d'ÉtatAlbani;toutmarchecommes'iln'étaitrienarrivé,etj'ignoresivoussavezmêmeàParisqu'ilyaunnouveaupontife!Quecettecérémoniede labénédictionpapaleestbelle!LaSabineàl'horizon,puislacampagnedésertedeRome,puisRomeelle-même,puislaplaceSaint-Pierreettoutlepeupletombantàgenouxsouslamaind'unvieillard:lepapeestleseulprincequibénissesessujets.

«J'enétaislàdemalettrelorsqu'uncourrierquim'arrivedeGènesm'apporteune dépêche télégraphique de Paris à Toulon, laquelle dépêche, qui répond àcellequej'avaisfaitpasser,m'apprendquele4avril,àonzeheuresdumatin,ona reçu à Paris ma dépêche télégraphique de Rome à Toulon, dépêche quiannonçaitlanominationducardinalCastiglioni,etqueleroiestfortcontent.

«Larapiditédecescommunicationsestprodigieuse;moncourrierestpartile31mars, à huit heures du soir, et le 8 avril, à huit heures du soir, j'ai reçu laréponsedeParis[160].»

«11avril1829.

«Nousvoilàau11avril:danshuitjoursnousauronsPâques,dansquinzejoursmoncongéetpuisvousvoir!Toutdisparaîtdanscetteespérance;jenesuisplustriste;jenesongeplusauxministresniàlapolitique.Demainnouscommençonslasemainesainte.Jepenseraiàtoutcequevousm'avezdit.Quen'êtes-vousicipourentendreavecmoilesbeauxchantsdedouleur!NousirionsnouspromenerdanslesdésertsdelacampagnedeRome,maintenantcouvertsdeverdureetdefleurs.Touteslesruinessemblentrajeuniravecl'année:jesuisdunombre.»

«Mercredisaint,15avril.

«Je sors de la chapelle Sixtine, après avoir assisté à ténèbres et entenduchanterleMiserere.Jemesouvenaisquevousm'aviezparlédecettecérémonie

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etj'enétaisàcausedecelacentfoisplustouché.

«Lejours'affaiblissait; lesombresenvahissaientlentementlesfresquesdelachapelle et l'on n'apercevait plus que quelques grands traits du pinceau deMichel-Ange.Lescierges,touràtouréteints,laissaientéchapperdeleurlumièreétoufféeunelégèrefuméeblanche,imageasseznaturelledelaviequel'Écriturecompare àune petite vapeur[161]. Les cardinaux étaient à genoux, le nouveaupape prosterné au même autel où quelques jours avant j'avais vu sonprédécesseur; l'admirable prière de pénitence et de miséricorde, qui avaitsuccédéauxLamentationsduprophète,s'élevaitparintervallesdanslesilenceetla nuit. On se sentait accablé sous le grand mystère d'un Dieu mourant poureffacerlescrimesdeshommes.Lacatholiquehéritièresursesseptcollinesétaitlà avec tous ses souvenirs; mais, au lieu de ces pontifes puissants, de cescardinaux qui disputaient la préséance aux monarques, un pauvre vieux papeparalytique, sans famille et sans appui, des princes de l'Église sans éclat,annonçaient la fin d'une puissance qui civilisa le mondemoderne. Les chefs-d'œuvre des arts disparaissaient avec elle, s'effaçaient sur les murs et sur lesvoûtes duVatican, palais à demi abandonné.De curieux étrangers, séparés del'unité de l'Église, assistaient en passant à la cérémonie et remplaçaient lacommunauté des fidèles. Une double tristesse s'emparait du cœur. Romechrétienne, en commémorant l'agonie de Jésus-Christ, avait l'air de célébrer lasienne,deredirepourlanouvelleJérusalemlesparolesqueJérémieadressaitàl'ancienne.C'est une belle chose queRomepour tout oublier,mépriser tout etmourir.»

DÉPÊCHESÀM.LECOMTEPORTALIS.

«Rome,ce16avril1829.

«Monsieurlecomte,

«Les choses se développent ici comme j'avais eu l'honneur de vous le fairepressentir; les paroles et les actions du nouveau souverain pontife sontparfaitementd'accordaveclesystèmepacificateursuiviparLéonXII:PieVIIIvamêmeplusloinquesonprédécesseur;ils'exprimeavecplusdefranchisesurlaCharte,dontilnecraintpasdeprononcerlemotetdeconseillerauxFrançaisdesuivrel'esprit.Lenonce,ayantencoreécritsurnosaffaires,areçusèchementl'ordredesemêlerdessiennes.ToutseconclutpourleconcordatdesPays-Bas,

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etM.lecomtedeCellesmettrafinàsamissionlemoisprochain.

«Le cardinal Albani, dans une position difficile, est obligé de l'expier: lesprotestationsqu'ilmefaitdesondévouementàlaFranceblessentl'ambassadeurd'Autriche, qui ne peut cacher son humeur. Sous les rapports religieux, nousn'avonsrienàcraindreducardinalAlbani;fortpeureligieuxlui-même,ilneserapousséànoustroublerniparsonproprefanatisme,niparl'opinionmodéréedesonsouverain.

«Quantauxrapportspolitiques,cen'estpasavecuneintriguedepoliceetunecorrespondancechiffréequel'onescamoteraaujourd'huil'Italie: laisseroccuperles légations, ou mettre garnison autrichienne à Ancône sous un prétextequelconque,ceseraitremuerl'EuropeetdéclarerlaguerreàlaFrance:ornousne sommesplusen1814,1815,1816et1817;onne satisfaitpas impunémentsousnosyeuxuneambitionavideetinjuste.Ainsi,quelecardinalAlbaniaitunepensionduprincedeMetternich;qu'ilsoitleparentduducdeModène,auquelilprétendlaissersonénormefortune;qu'il trameavecceprinceunpetitcomplotcontre l'héritierde lacouronnedeSardaigne; toutcelaestvrai, toutcelaauraitété dangereux à l'époque où des gouvernements secrets et absolus faisaientmarcher obscurément des soldats derrière une obscure dépêche: maisaujourd'hui,avecdesgouvernementspublics,aveclalibertédelapresseetdelaparole, avec le télégraphe et la rapidité de toutes les communications, avec laconnaissancedesaffairesrépanduedanslesdiversesclassesdelasociété,onestàl'abridestoursdegobeletetdesfinessesdelavieillediplomatie.Toutefois,ilne fautpas sedissimulerqu'unchargéd'affairesd'Autriche, secrétaire d'État àRome,adesinconvénients;ilyamêmecertainesnotes(parexemplecellesquiseraientrelativesàlapuissanceimpérialeenItalie)qu'onnepourraitmettreentrelesmainsducardinalAlbani.

Personnen'aencorepupénétrerlesecretd'unenominationquidéplaîtàtoutlemonde,même au cabinet deVienne. Cela tient-il à des intérêts étrangers à lapolitique?OnassurequelecardinalAlbanioffredanscemomentausaint-pèredeluiavancer200,000piastresdontlegouvernementdeRomeabesoin;d'autresprétendentquecettesommeseraitprêtéeparunbanquierautrichien.LecardinalMacchime disait samedi dernier que Sa Sainteté, ne voulant pas reprendre lecardinal Bernetti et désirant néanmoins lui donner une grande place, n'avaittrouvéd'autremoyend'arrangerleschosesquederendrevacantelalégationdeBologne. De misérables embarras deviennent souvent les motifs des plusimportantesrésolutions.SilaversionducardinalMacchiestlavéritable,toutce

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queditetfaitPieVIIIpourlasatisfactiondescouronnesdeFranceetd'Autricheneseraitqu'uneraisonapparente,àl'aidedelaquelleilchercheraitàmasqueràsespropresyeuxsaproprefaiblesse.Ausurplus,onnecroitpointàladuréeduministèred'Albani.Aussitôtqu'ilentreraenrelationaveclesambassadeurs, lesdifficultésnaîtrontdetoutesparts.

«Quantàlapositiondel'Italie,monsieurlecomte,ilfautlireavecprécautionce qu'on vous enmandera deRomeoud'ailleurs. Il estmalheureusement tropvrai que le gouvernement des Deux-Siciles est tombé au dernier degré dumépris.Lamanièredontlacourvitaumilieudesesgardes,toujourstremblante,toujourspoursuivieparlesfantômesdelapeur,n'offrantpourtoutspectaclequedes chasses ruineuses et des gibets, contribue de plus en plus dans ce pays àavilir la royauté. Mais on prend pour des conspirations ce qui n'est que lemalaise de tous, le produit du siècle, la lutte de l'ancienne société avec lanouvelle,lecombatdeladécrépitudedesvieillesinstitutionscontrel'énergiedesjeunesgénérations;enfin,lacomparaisonquechacunfaitdecequiestàcequipourrait être. Ne nous le dissimulons pas: le grand spectacle de la Francepuissante, libreetheureuse,cegrandspectaclequi frappe lesyeuxdesnationsrestéesouretombéessouslejoug,excitedesregretsounourritdesespérances.Le mélange des gouvernements représentatifs et des monarchies absolues nesaurait durer; il faut que les unes ou les autres périssent, que la politiquereprenne un égal niveau, ainsi que du temps de l'Europe gothique. La douaned'unefrontièrenepeutdésormaisséparerlalibertédel'esclavage;unhommenepeutplusêtrependudececôté-cid'unruisseaupourdesprincipesréputéssacrésde l'autrecôtédecemême ruisseau.C'estdansce sens,monsieur le comte, etuniquement dans ce sens, qu'il y a conspiration en Italie; c'est dans ce sensencorequel'Italieestfrançaise.Lejouroùelleentreraenjouissancedesdroitsquesonintelligenceaperçoitetquelamarcheprogressivedutempsluiapporte,elle sera tranquille et purement italienne. Ce ne sont point quelques pauvresdiables de carbonari, excités par des manœuvres de police et pendus sansmiséricorde,quisoulèverontcepays.Ondonneauxgouvernementslesidéeslesplus fausses du véritable état des choses; on les empêche de faire ce qu'ilsdevraient faire pour leur sûreté, en leur montrant toujours comme lesconspirations particulières d'une poignée de Jacobins ce qui est l'effet d'unecausepermanenteetgénérale.

«Telleest,monsieurlecomte,lapositionréelledel'Italie:chacundesesÉtats,outreletravailcommundesesprits,esttourmentédequelquemaladielocale:lePiémont est livré à une faction fanatique; le Milanais est dévoré par les

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Autrichiens; les domaines du saint-père sont ruinés par la mauvaiseadministration des finances; l'impôt s'élève à près de cinquantemillions et nelaissepasaupropriétaireunpourcentdesonrevenu;lesdouanesnerapportentpresquerien;lacontrebandeestgénérale;leprincedeModèneaétablidanssonduché (lieu de franchise pour tous les anciens abus) des magasins demarchandises prohibées, lesquelles il fait entrer la nuit dans la légation deBologne[162].

«Je vous ai déjà, monsieur le comte, parlé de Naples, où la faiblesse dugouvernementn'estsauvéequeparlalâchetédespopulations.

«C'est cette absence de la vertumilitaire qui prolongera l'agonie de l'Italie.Bonaparte n'a pas eu le temps de faire revivre cette vertu dans la patrie deMarius et de César. Les habitudes d'une vie oisive et le charme du climatcontribuentencoreàôterauxItaliensdumidiledésirdes'agiterpourêtremieux.Les antipathies nées des divisions territoriales ajoutent aux difficultés d'unmouvementintérieur;maissiquelqueimpulsionvenaitdudehors,ousiquelqueprinceendeçàdesAlpesaccordaitunecharteàsessujets,unerévolutionauraitlieu, parce que tout est mûr pour cette révolution. Plus heureux que nous etinstruits par notre expérience, les peuples économiseraient les crimes et lesmalheursdontnousavonsétéprodigues.

«Jevaissansdoute,monsieurlecomte,recevoirbientôtlecongéquejevousaidemandé:peut-êtreenferai-jeusage.Aumomentdoncdequitter l'Italie, j'aicrudevoirmettresousvosyeuxquelquesaperçusgénéraux,pourfixerlesidéesduconseilduroietafindeletenirengardecontrelesrapportsdesespritsbornésoudespassionsaveugles.

«J'ail'honneur,etc.,etc.»

ÀM.LECOMTEPORTALIS.

«Rome,ce16avril1829.

«Monsieurlecomte,

«MM. lescardinauxfrançaissont fortempressésdeconnaîtrequellesommeleur sera accordée pour leurs dépenses et leur séjour à Rome: ils m'ont priéplusieursfoisdevousécrireàcesujet; jevousseraidoncinfinimentobligéde

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m'instruireleplustôtpossibledeladécisionduroi.

«Pour ce quime regarde,monsieur le comte, lorsque vous avez bien voulum'allouerunsecoursdetrentemillefrancs,vousavezsupposéqu'aucuncardinalne logerait chezmoi: or,M.deClermont-Tonnerre s'y est établi avec sa suite,composée de deux conclavistes, d'un secrétaire ecclésiastique, d'un secrétairelaïque, d'un valet de chambre, de deux domestiques et d'un cuisinier français,enfind'unmaîtredechambreromain,d'unmaîtredecérémonies,detroisvaletsdepied,d'uncocher,etdetoutecettemaisonitaliennequ'uncardinalestobligéd'avoirici.M.l'archevêquedeToulouse,quinepeutmarcher[163],nedînepointàmatable; il fautdeuxoutroisservicesàdifférentesheures,desvoituresetdeschevaux pour les commensaux et les amis. Mon respectable hôte ne payeracertainementpas sadépense ici: ilpartira, et lesmémoiresme resteront; ilmefaudraacquitternon-seulementceuxducuisinier,delablanchisseuse,duloueurde carrosses, etc., etc., mais encore ceux des deux chirurgiens qui visitent lajambedeMonseigneur,ducordonnierquifaitsesmulesblanchesetpourpres,etdutailleurquiaconfectionnélesmanteaux,lessoutanes,lesrabats,l'ajustementcompletducardinaletdesesabbés.

«Sivousjoignezàcela,monsieurlecomte,mesdépensesextraordinairespourfraisdereprésentationavant,pendantetaprèsleconclave,dépensesaugmentéespar la présence de la grande-duchesse Hélène[164], du prince Paul deWurtemberg[165] etdu roideBavière,vous trouverezsansdouteque les trentemillefrancsquevousm'avezaccordésserontdebeaucoupdépassés.Lapremièreannée de l'établissement d'un ambassadeur est ruineuse, les secours accordéspourcetétablissementétantfortau-dessousdesbesoins.Ilfautpresquetroisansdeséjourpourqu'unagentdiplomatiqueaittrouvélemoyend'acquitterlesdettesqu'ilacontractéesd'abordetdemettresesdépensesauniveaudesesrecettes.Jeconnais toute la pénurie du budget des affaires étrangères; si j'avais parmoi-même quelque fortune, je ne vous importunerais pas: rien ne m'est plusdésagréable,jevousassure,quecesdétailsd'argentdanslesquelsunerigoureusenécessitémeforced'entrer,bienmalgrémoi.

«Agréez,monsieurlecomte,etc.»

J'avaisdonnédesbals etdes soirées àLondres et àParis, et, bienqu'enfantd'unautredésert,jen'avaispastropmaltraversécesnouvellessolitudes;maisjenem'étaispasdoutédecequepouvaientêtredesfêtesàRome:ellesontquelque

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chose de la poésie antique qui place la mort à côté des plaisirs. À la villaMédicis,dontlesjardinssontdéjàuneparureetoùj'aireçulagrande-duchesseHélène, l'encadrement du tableau est magnifique: d'un côté, la villa BorghèseaveclamaisondeRaphaël;del'autre,lavilladeMonte-Marioetlescoteauxquibordent leTibre; au-dessousdu spectateur,Romeentière commeunvieuxnidd'aigle abandonné.Aumilieu des bosquets se pressaient, avec les descendantsdesPaulaetdesCornélie,lesbeautésvenuesdeNaples,deFlorenceetdeMilan:la princesse Hélène semblait leur reine. Borée, tout à coup descendu de lamontagne,adéchirélatentedufestin,ets'estenfuiavecdeslambeauxdetoileetde guirlandes, commepour nous donner une image de tout ce que le temps abalayé sur cette rive.L'ambassade était consternée; je sentais je ne sais quellegaietéironiqueàvoirunsouffleducielemportermonord'unjouretmesjoiesd'une heure. Le mal a été promptement réparé. Au lieu de déjeuner sur laterrasse,onadéjeunédansl'élégantpalais:l'harmoniedescorsetdeshautbois,dispersée par le vent, avait quelque chose du murmure de mes forêtsaméricaines.Lesgroupesqui se jouaient dans les rafales, les femmesdont lesvoiles tourmentés battaient leurs visages et leurs cheveux, le sartarello quicontinuait dans la bourrasque, l'improvisatrice qui déclamait aux nuages, leballon qui s'envolait de travers avec le chiffre de la fille du Nord, tout celadonnait un caractère nouveau à ces jeux où semblaient semêler les tempêtesaccoutuméesdemavie[166].

Quelprestigepourtouthommequin'eûtpascomptésonmonceaud'années,etquieûtdemandédesillusionsaumondeetàl'orage!J'aibiendelapeineàmesouvenirdemonautomne,quand,dansmes soirées, jevoispasserdevantmoices femmes du printemps qui s'enfoncent parmi les fleurs, les concerts et leslustres de mes galeries successives: on dirait des cygnes qui nagent vers desclimatsradieux.Àqueldésennuivont-elles?Lesunescherchentcequ'ellesontdéjàaimé, lesautrescequ'ellesn'aimentpasencore.Auboutde laroute,ellestomberontdanscessépulcres,toujoursouvertsici,danscesancienssarcophagesqui serrent de bassins à des fontaines suspendues à des portiques; elles irontaugmenter tant de poussières légères et charmantes. Ces flots de beautés, dediamants,defleursetdeplumesroulentausondelamusiquedeRossini,quiserépèteets'affaiblitd'orchestreenorchestre.Cettemélodieest-ellelesoupirdelabrisequej'entendaisdanslessavanesdesFlorides, legémissementquej'aiouïdansletempled'ÉrechtéeàAthènes?Est-celaplaintelointainedesaquilonsquime berçaient sur l'Océan? Ma sylphide serait-elle cachée sous la forme dequelques-unes de ces brillantes Italiennes?Non:ma dryade est restée unie ausauledesprairiesoùjecausaisavecelledel'autrecôtédelafutaiedeCombourg.

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Jesuisbienétrangeràcesébatsdelasociétéattachéeàmespasverslafindemacourse;etpourtantilyadanscetteféerieunesorted'enivrementquimemonteàlatête:jenem'endébarrassequ'enallantrafraîchirmonfrontàlaplacesolitairede Saint-Pierre ou au Colisée désert. Alors les petits spectacles de la terres'abîment, et je ne trouve d'égal au brusque, changement de la scène que lesanciennestristessesdemespremiersjours.

JeconsigneicimaintenantmesrapportscommeambassadeuraveclafamilleBonaparte, afin de laver laRestaurationd'unede ces calomnies qu'on lui jettesanscesseàlatête.

LaFrancen'apasagiseuledans lebannissementdesmembresde lafamilleimpériale; elle n'a fait qu'obéir à la dure nécessité imposée par la force desarmes; ce sont les alliés qui ont provoqué ce bannissement: des conventionsdiplomatiques, des traités formels prononcent l'exil des Bonaparte, leurprescriventjusqu'auxlieuxqu'ilsdoiventhabiter,nepermettentpasàunministreou à un ambassadeur des cinq puissances de délivrer seul un passeport auxparents deNapoléon; le visa desquatre autresministres ou ambassadeurs desquatre autres puissances contractantes est exigé. Tant ce sang de Napoléonépouvantaitlesalliés,lorsmêmequ'ilnecoulaitpasdanssespropresveines!

GrâceàDieu,jenemesuisjamaissoumisàcesmesures.En1823,j'aidélivré,sans consulter personne, en dépit des traités et sous ma propre responsabilitécommeministredesaffairesétrangères,unpasseportàmadamelacomtessedeSurvilliers[167], alors àBruxelles, pour venir à Paris soigner un de ses parentsmalade.Vingt fois j'aidemandé le rappeldeces loisdepersécution;vingt foisj'aiditàLouisXVIIIquejevoudraisvoirleducdeReichstadtcapitainedesesgardes et la statue de Napoléon replacée au haut de la colonne de la placeVendôme.J'airendu,commeministreetcommeambassadeur, touslesservicesque j'ai pu à la famille Bonaparte. C'est ainsi que j'ai compris largement lamonarchie légitime: la liberté peut regarder la gloire en face. Ambassadeur àRome, j'ai autorisé mes secrétaires et mes attachés à paraître au palais demadame la duchesse de Saint-Leu; j'ai renversé la séparation élevée entre desFrançais qui ont également connu l'adversité. J'ai écrit àM. le cardinal Feschpourl'inviteràsejoindreauxcardinauxquidevaientseréunirchezmoi;jeluiaitémoignémadouleurdesmesurespolitiquesqu'onavait crudevoirprendre; jeluiairappeléletempsoùj'avaisfaitpartiedesamissionauprèsduSaint-Siège;etj'aipriémonancienambassadeurd'honorerdesaprésencelebanquetdeson

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ancien secrétaire d'ambassade. J'en ai reçu cette réponse pleine de dignité, dediscrétionetdeprévoyance:

«DupalaisFalconieri,4avril1829.

«Le cardinal Fesch est bien sensible à l'invitation obligeante de M. deChateaubriand,maissapositionàsonretouràRomeluiconseillad'abandonnerlemondeetdemenerunevietoutàfaitséparéedetoutesociétéétrangèreàsafamille.Lescirconstancesquisesuccédèrentluiprouvèrentqu'untelpartiétaitindispensable à sa tranquillité; et les douceurs du moment ne le garantissantpointdesdésagrémentsdel'avenir,ilestobligédenepointchangerdemanièredevivre.LecardinalFeschprieM.deChateaubriandd'êtreconvaincuquerienn'égalesareconnaissance,etquec'estavecbiendelapeinequ'ilneserendrapaschezSonExcellenceaussifréquemmentqu'ill'auraitdésiré.

«Letrèshumble,etc.

«CardinalFESCH.»

La phrase de ce billet:Les douceurs dumoment ne le garantissant pas desdésagréments de l'avenir, fait allusion à lamenacedeM.deBlacas, qui avaitdonnél'ordredejeterM.lecardinalFeschduhautenbasdesesescaliers,s'ilseprésentaità l'ambassadedeFrance:M.deBlacasoubliait tropqu'iln'avaitpastoujoursété sigrandseigneur.Moiquipourêtre, autantque jepuis, ceque jedoisêtredansleprésent,merappellesanscessemonpassé,j'aiagid'uneautresorte avecM. l'archevêquedeLyon: les petitesmésintelligencesqui existèrententre lui et moi à Rome m'obligent à des convenances d'autant plusrespectueusesquejesuisàmontourdanslepartitriomphant,etluidanslepartiabattu.

Desoncôté,leprinceJérômem'afaitl'honneurderéclamermonintervention,enm'envoyantcopied'unerequêtequ'il adresseaucardinal secrétaired'État; ilmeditdanssalettre:

«L'exil est assez affreux dans son principe comme dans ses conséquences,pourquecettegénéreuseFrancequil'avunaître(leprinceJérôme),cetteFrancequipossèdetoutessesaffections,etqu'ilaservievingtans,veuilleaggraversasituationenpermettantàchaquegouvernementd'abuserdeladélicatessedesa

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position.

«Le prince Jérôme deMontfort, confiant dans la loyauté du gouvernementfrançaisetdanslecaractèredesonnoblereprésentant,n'hésitepasàpenserquejusticeluisoitrendue.

«Ilsaisitcetteoccasion,etc.

«JÉRÔME.»

J'ai adressé, en conséquence de cette requête, une note confidentielle ausecrétaired'État,lecardinalBernetti;ellesetermineparcesmots:

«LesmotifsdéduitsparleprinceJérômedeMontfortayantparuausoussignéfondésendroitetenraison,iln'apurefuserl'interventiondesesbonsofficesauréclamant, persuadé que le gouvernement français verra toujours avec peineaggraverpard'ombrageusesmesureslarigueurdesloispolitiques.

«Le soussigné mettrait un prix tout particulier à obtenir, dans cettecirconstance,lepuissantintérêtdeS.E.lecardinalsecrétaired'État.

«CHATEAUBRIAND.»

J'airéponduenmêmetempsauprinceJérômecequisuit:

«Rome,9mai1829.

«L'ambassadeurdeFranceprès leSaint-Siègeareçucopiede lanoteque leprinceJérômedeMontfortluiafaitl'honneurdeluienvoyer.Ils'empressedeleremercierde laconfiancequ'il abienvoulu lui témoigner; il se feraundevoird'appuyer,auprèsdusecrétaired'ÉtatdeSaSainteté, les justesréclamationsdeSonAltesse.

«LevicomtedeChateaubriand,quiaaussiétébannidesapatrie,serait tropheureux de pouvoir adoucir le sort des Français qui se trouvent encore placéssous le coup d'une loi politique. Le frère exilé de Napoléon, s'adressant à unémigréjadisrayédelalistedesproscritsparNapoléonlui-même,estundecesjeuxdelafortunequidevaitavoirpourtémoinslesruinesdeRome.

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«LevicomtedeChateaubriandal'honneur,etc.»

DÉPÊCHEÀM.LECOMTEPORTALIS.

«Rome,4mai1829.

«J'aieu l'honneurdevousdire,dansma lettredu30avril,envousaccusantréception de votre dépêche no 25, que le pape m'avait reçu en audienceparticulièrele29avrilàmidi.SaSaintetém'aparujouird'unetrèsbonnesanté.Elle m'a fait asseoir devant elle et m'a gardé à peu près cinq quarts d'heure.L'ambassadeur d'Autriche avait eu avant moi une audience publique pourremettresesnouvelleslettresdecréance.

«En quittant le cabinet de Sa Sainteté auVatican, je suis descendu chez lesecrétaired'État,et,abordantfranchementlaquestionaveclui,jeluiaidit:«Ehbien, vous voyez comme nos journaux vous arrangent! Vous êtes Autrichien,vous détestez la France, vous voulez lui jouer de mauvais tours: que dois-jecroiredetoutcela?»

«Ilahaussélesépaulesetm'arépondu:«Vosjournauxmefontrire;jenepuispasvousconvaincreparmesparoles,sivousn'êtespasconvaincu;maismettez-moiàl'épreuveetvousverrezsijen'aimepaslaFrance,sijenefaispascequevous me demanderez au nom de votre roi!» Je crois, monsieur le comte, lecardinalAlbanisincère.Ilestd'uneindifférenceprofondeenmatièrereligieuse;iln'estpasprêtre;ilamêmesongéàquitterlapourpreetàsemarier;iln'aimepaslesjésuites,ilslefatiguentparlebruitqu'ilsfont;ilestparesseux,gourmand,grand amateur de toutes sortes de plaisirs: l'ennui que lui causent lesmandements et les lettres pastorales le rend extrêmement peu favorable à lacause des auteurs de ces lettres et de cesmandements: ce vieillard de quatre-vingtsansveutmourirenpaixetenjoie.

«J'ail'honneur,etc.»

«10mai1829.

Je visite souvent Monte-Cavallo; la solitude des jardins s'y accroît de lasolitude de la campagne romaine que la vue va chercher par-dessusRome, enamontdelarivedroiteduTibre.Lesjardinierssontmesamis;desalléesmènent

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à la Paneterie; pauvre laiterie, volière ou ménagerie dont les habitants sontindigentsetpacifiquescommelespapesactuels.Enregardantenbasduhautdesterrassesdel'enceintequirinale,onaperçoitdansunerueétroitedesfemmesquitravaillent aux différents étages de leurs fenêtres: les unes brodent, les autrespeignent dans le silence de ce quartier retiré. Les cellules des cardinaux dudernier conclave nem'intéressent pas du tout. Lorsqu'on bâtissait Saint-Pierre,que l'on commandait des chefs-d'œuvre àRaphaël, qu'enmême temps les roisvenaientbaiserlamuledupontife,ilyavaitquelquechosedigned'attentiondanslapapautétemporelle.Jeverraisvolontierslaloged'unGrégoireVII,d'unSixte-Quint, comme je chercherais la fosse aux lionsdansBabylone;maisdes trousnoirs,délaissésd'uneobscurecompagniedeseptuagénaires,nemereprésententque cescolumbaria de l'ancienneRome, vide aujourd'hui de leur poussière etd'oùs'estenvoléeunefamilledemorts.

Je passe donc rapidement ces cellules déjà à moitié abattues pour mepromenerdanslessallesdupalais:là,toutmeparled'unévénement[168]dontonne retrouve la trace qu'en remontant jusqu'à Sciarra Colonna, Nogaret etBonifaceVIII.

MonpremieretmonderniervoyagedeRomeserattachentparlessouvenirsdePieVII,dontj'airacontél'histoireenparlantdemadamedeBeaumontetdeBonaparte.Mesdeuxvoyages sontdeuxpendentifs esquissés sous lavoûtedemon monument. Ma fidélité à la mémoire de mes anciens amis doit donnerconfianceauxamisquimerestent:riennedescendpourmoidanslatombe;toutcequej'aiconnuvitautourdemoi:selonladoctrineindienne,lamort,ennoustouchant,nenousdétruitpas;ellenousrendseulementinvisibles.

ÀM.LECOMTEPORTALIS.

«Rome,le7mai1829.

«Monsieurlecomte,

«Je reçois enfin parMM.Desgranges et Franqueville votre dépêche no 25.Cette dépêche dure, rédigée par quelque commis mal élevé des affairesétrangères, n'était pas de celles que je devais attendre après les services quej'avaiseulebonheurderendreauroipendantleconclave,etsurtoutonauraitdûunpeusesouvenirdelapersonneàquionl'adressait.Pasunmotobligeantpour

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M. Bellocq, qui a obtenu de si rares documents; rien sur la demande que jefaisais pour lui; d'inutiles commentaires sur la nomination du cardinalAlbani,nomination faite dans le conclave et qu'ainsi personne n'a pu ni prévoir niprévenir; nomination sur laquelle je n'ai cessé d'envoyer des éclaircissements.Dansmadépêcheno34,quisansdoutevousestparvenueàprésent,jevousoffreencore un moyen très simple de vous débarrasser de ce cardinal, s'il fait sigrand'peur à la France, et ce moyen sera déjà à moitié exécuté lorsque vousrecevrez cette lettre: demain je prends congé de Sa Sainteté; je remetsl'ambassade àM.Bellocq, commechargéd'affaires, d'après les instructionsdevotredépêcheno24,etjeparspourParis.

«J'ail'honneur,etc.»

Ce dernier billet est rude, et finit brusquementma correspondance avecM.Portalis.

ÀMADAMERÉCAMIER.

«14mai1829.

«Mondépartestfixéau16.DeslettresdeViennearrivéescematinannoncentqueM. deLaval a refusé leministère des affaires étrangères; est-ce vrai? S'iltient à ce premier refus, qu'arrivera-t-il?Dieu le sait. J'espère que le tout seradécidé avantmon arrivée à Paris. Il me semble que nous sommes tombés enparalysieetquenousn'avonsplusquelalanguedelibre.

«Vouscroyezquejem'entendraisavecM.deLaval;j'endoute.Jesuisdisposéà ne m'entendre avec personne. J'allais arriver dans les dispositions les pluspacifiques,etcesgenss'avisentdemechercherquerelle.Tandisquej'aieudeschancesdeministère,iln'yavaitpasassezd'élogesetdeflatteriespourmoidansles dépêches; le jour où la place a été prise, ou censée prise, on m'annoncesèchementlanominationdeM.deLavaldansladépêchelaplusrudeetlaplusbête à la fois.Mais, pour devenir si plat et si insolent d'une poste à l'autre, ilfallaitunpeusongeràquions'adressait,etM.Portalisenauraétéavertiparunmotderéponsequejeluiaienvoyécesjoursderniers.Ilestpossiblequ'iln'aitfait que signer sans lire, comme Carnot signait de confiance des centainesd'exécutionsàmort.»

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L'amidugrandL'Hôpital,lechancelierOlivier,danssalangueduXVIesiècle,laquellebravaitl'honnêteté,comparelesFrançaisàdesguenonsquigrimpentausommetdesarbresetquinecessentd'allerenavantqu'ellesnesoientparvenuesàlaplushautebranche,pourymontrercequ'ellesdoiventcacher.Cequis'estpasséenFrancedepuis1789jusqu'ànosjoursprouvelajustessedelasimilitude:chaquehomme,engravissantlavie,estaussilesingeduchancelier;onfinitparexposersanshontesesinfirmitésauxpassants.Voilàqu'auboutdemesdépêchesjesuissaisidudésirdemevanter:lesgrandshommesquipullulentàcetteheuredémontrentqu'ilyaduperieànepasproclamersoi-mêmesonimmortalité.

Avez-vous lu dans les archives des affaires étrangères les correspondancesdiplomatiques relatives aux événements les plus importants à l'époque de cescorrespondances?—Non.

Dumoinsvous avez lu les correspondances imprimées;vous connaissez lesnégociationsdeduBellay, ded'Ossat, deDuPerron,duprésident Jeannin, lesMémoiresd'ÉtatdeVilleroy, lesÉconomies royalesdeSully;vousavez lu lesMémoiresducardinaldeRichelieu,nombredelettresdeMazarin,lespiècesetles documents relatifs au traité de Westphalie, de la paix de Munster? Vousconnaissez les dépêches de Barillon sur les affaires d'Angleterre; lesnégociationspour lasuccessiond'Espagnenevoussontpasétrangères; lenomde madame des Ursins ne vous a pas échappé; le pacte de famille deM. deChoiseul est tombé sous vos yeux; vous n'ignorez pas Ximenès, Olivarès etPombal,HuguesGrotiussurlalibertédesmers,seslettresauxdeuxOxenstiern,lesnégociationsdugrand-pensionnairedeWittavecPierreGrotius,secondfilsde Hugues; enfin la collection des traités diplomatiques a peut-être attiré vosregards?—Non.

Ainsi,vousn'avezrienludecessempiternellesélucubrations?Ehbien!lisez-les; quand cela sera fait, passez ma guerre d'Espagne dont le succès vousimportune,bienqu'ellesoitmonpremiertitreàmonclassementd'hommed'État;prenezmesdépêchesdePrusse,d'AngleterreetdeRome,placez-lesauprèsdesautres dépêches que je vous indique: la main sur la conscience, dites alorsquellessontcellesquivousont leplusennuyé;ditessimontravailetceluidemesprédécesseursn'estpastoutsemblable;sil'ententedespetiteschosesetdupositifn'estpasaussimanifestedemoncôtéqueducôtédesministrespassésetdesdéfuntsambassadeurs?

D'abordvous remarquerezque j'ai l'œil à tout;que jem'occupedeReschid-

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Pacha[169]etdeM.deBlacas;quejedéfendscontretoutvenantmesprivilègesetmes droits d'ambassadeur à Rome; que je suis cauteleux, faux (éminentequalité!),finjusque-làqueM.deFunchal,dansunepositionéquivoque,m'ayantécrit, je ne lui réponds point; mais que je vais le voir par une politesseastucieuse,afinqu'ilnepuissemontrerunelignedemoietnéanmoinsqu'ilsoitsatisfait. Pas un mot imprudent à reprendre dans mes conversations avec lescardinauxBernetti etAlbani, lesdeux secrétairesd'État; riennem'échappe; jedescendsauxpluspetitsdétails; jerétablis lacomptabilitédanslesaffairesdesFrançaisàRome,d'unemanièretellequ'ellesubsisteencoresurlesbasesquejeluiaidonnées.D'unregardd'aigle,j'aperçoisqueletraitédelaTrinitéduMont,entreleSaint-SiègeetlesambassadeursLavaletBlacas,estabusif,etqu'aucunedesdeuxpartiesn'avaiteuledroitdelefaire.Delà,montantplushautetarrivantà la grande diplomatie, je prends surmoi de donner l'exclusion à un cardinal,parce qu'un ministre des affaires étrangères me laissait sans instructions etm'exposaitàvoirnommerpourpapeunecréaturedel'Autriche.Jemeprocurelejournal secret du conclave: chose qu'aucun ambassadeur n'avait jamais puobtenir;j'envoiejourparjourlalistenominativedesscrutins.JenenégligepointlafamilledeBonaparte;jenedésespèrepasd'amener,pardebonstraitements,lecardinal Fesch à donner sa démission d'archevêque deLyon. Si un carbonaroremue,jelesais,etjejugeduplusoudumoinsdevéritédelaconspiration;siunabbéintrigue,jelesais,etjedéjouelesplansquel'onavaitforméspouréloignerles cardinaux de l'ambassadeur de France. Enfin je découvre qu'un secretimportanta été déposé par le cardinal Latil dans le sein du grand pénitencier.Êtes-vous content? Est-ce là un homme qui sait sonmétier? Eh bien! voyez-vous, je brochais cette besogne diplomatique comme le premier ambassadeurvenu,sansqu'ilm'encoûtâtuneidée,demêmequ'unniaisdepaysandeBasse-Normandiefaitdeschaussesengardantsesmoutons:mesmoutonsàmoiétaientmessonges.

Voicimaintenantunautrepointdevue:sil'oncomparemeslettresofficiellesaux lettres officielles de mes prédécesseurs, on s'apercevra que, dans lesmiennes,lesaffairesgénéralessonttraitéesautantquelesaffairesprivées;quejesuisentraînéparlecaractèredesidéesdemonsiècledansunerégionplusélevéedel'esprithumain.CelasepeutobserversurtoutdansladépêcheoùjeparleàM.Portalisde l'état de l'Italie, où jemontre laméprisedes cabinetsqui regardentcommedes conspirationsparticulières cequin'estque ledéveloppementde lacivilisation.LeMémoiresurlaguerredel'Orientexposeaussidesvéritésd'unordre politique qui sortent des voies communes. J'ai causé avec deux papesd'autrechosequedesintriguesdecabinet;jelesaiobligésdeparleravecmoide

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religion,deliberté,desdestinéesfuturesdumonde.Mondiscoursprononcéauguichetduconclavealemêmecaractère.C'estàdesvieillardsquej'aiosédired'avancer,etdereplacerlareligionàlatêtedelamarchedelasociété.

Lecteurs,attendezquej'aieterminémesvanteriespourarriverensuiteaubut,à lamanièreduphilosophePlaton faisant sa randonnée autourde son idée. JesuisdevenulevieuxSidrac,l'âgem'allongelechemin[170].Jepoursuis:jeserailong encore. Plusieurs écrivains de nos jours ont la manie de dédaigner leurtalent littéraire pour suivre leur talent politique, l'estimant fort au-dessus dupremier.Grâce àDieu, l'instinct contrairemedomine, je fais peude cas de lapolitique,parlaraisonmêmequej'aiétéheureuxàcelansquenet.Pourêtreunhommesupérieur enaffaires, il n'estpasquestiond'acquérirdesqualités, il nes'agit que d'en perdre. Je me reconnais effrontément l'aptitude aux chosespositives,sansmefairelamoindreillusionsurl'obstaclequis'opposeenmoiàma réussite complète. Cet obstacle ne vient pas de la muse; il naît de monindifférencede tout.Avec cedéfaut, il est impossibled'arriver à riend'achevédanslaviepratique.

L'indifférence, j'en conviens, est une qualité des hommes d'État, mais deshommes d'État sans conscience. Il faut savoir regarder d'un œil sec toutévénement, avaler des couleuvres comme de la malvoisie, mettre au néant, àl'égard des autres, morale, justice, souffrance, pourvu qu'au milieu desrévolutions on sache trouver sa fortune particulière. Car à ces espritstranscendantsl'accident,bonoumauvais,estobligéderapporterquelquechose;ildoitfinanceràraisond'untrône,d'uncercueil,d'unserment,d'unoutrage;letarifestmarquéparlesMionnetdescatastrophesetdesaffronts: jenesuispasconnaisseur encettenumismatique[171].Malheureusementmon insouciance estdouble;jenesaispaspluséchauffépourmapersonnequepourlefait.LeméprisdumondevenaitàsaintPaulermitedesafoireligieuse;ledédaindelasociétémevientdemon incrédulitépolitique.Cette incrédulitémeporteraithautdansune sphèred'action, si, plus soigneuxdemon sot individu, je savais enmêmetemps l'humilieret levêtir. J'aibeau faire, je resteunbenêtd'honnêtehomme,naïvementhébétéettoutnu,nesachantniramper,niprendre.

D'Andilly[172],parlantdelui,sembleavoirpeintuncôtédemoncaractère:«Jen'ai jamais eu aucune ambition, dit-il, parce que j'en avais trop, ne pouvantsouffrir cette dépendance qui resserre dans des bornes si étroites les effets del'inclinationqueDieum'adonnéepourdeschosesgrandes,glorieusesàl'Étatetqui peuvent procurer la félicité des peuples, sans qu'il m'ait été possible

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d'envisageren toutcelames intérêtsparticuliers. Jen'étaisproprequepourunroiquiauraitrégnéparlui-mêmeetquin'auraiteud'autredésirquederendresagloireimmortelle.»Danscecas,jen'étaispaspropreauxroisdujour.

Maintenantquejevousaiconduitparlamaindanslesplussecretsdétoursdemesmérites,quejevousaifaitsentirtoutcequ'ilyaderaredansmesdépêches,commeundemesconfrèresdel'Institutquichanteincessammentsarenomméeetquienseigneauxhommesà l'admirer,maintenant jevousdiraioù j'enveuxvenirparmesvanteries:enmontrantcequ'ilspeuventfairedanslesemplois,jeveuxdéfendrelesgensdelettrescontrelesgensdediplomatie,decomptoiretdebureaux.

Ilne fautpasqueceux-ci s'avisentde secroireau-dessusd'hommesdont leplus petit les surpasse de toute la tête; quand on sait tant de choses, commemessieurslespositifs,ondevraitaumoinsnepasdiredesâneries.Vousparlezdefaits,reconnaissezdonclesfaits:laplupartdesgrandsécrivainsdel'antiquité,dumoyenâge,del'Angleterremoderne,ontétédegrandshommesd'État,quandils ont daigné descendre jusqu'aux affaires. «Je ne voulus pas leur donner àentendre, dit Alfieri refusant une ambassade, que leur diplomatie et leursdépêches me paraissaient et étaient certainement pour moi moins importantesquemestragédiesoumêmecellesdesautres:maisilestimpossiblederamenercetteespècedegens-là:ilsnepeuventetnedoiventpasseconvertir.»

Qui fut jamais plus littéraire en France que L'Hôpital, survivancierd'Horace[173], que d'Ossat, cet habile ambassadeur, que Richelieu, cette fortetête, lequel, non content de dicter des traités de controverse, de rédiger desmémoires et des histoires, inventait incessamment des sujets dramatiques,rimaillait avecMallevilleetBoisrobert, accouchait, à la sueurde son front,del'AcadémieetdelaGrandePastorale?Est-ceparcequ'ilétaitméchantécrivainqu'ilfutgrandministre?Maislaquestionn'estpasduplusoudumoinsdetalent;elleestdelapassiondel'encreetdupapier:orjamaisM.del'Empyrée[174]nemontraplusd'ardeur,nefitplusdefraisquelecardinalpourravir lapalmeduParnasse, jusque-là que la mise en scène de sa tragi-comédie deMirame luicoûtadeuxcentmilleécus!Sidansunpersonnageàlafoispolitiqueetlittérairela médiocrité du poète fait la supériorité de l'homme d'État, il faudrait enconclure que la faiblesse de l'homme d'État résulterait de la force du poète:cependantlegéniedeslettresa-t-ildétruitlegéniepolitiquedeSolon,élégiaqueégal à Simonide, de Périclès dérobant auxMuses l'éloquence avec laquelle ilsubjuguaitlesAthéniens;deThucydideetdeDémosthène,quiportèrentsihaut

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lagloiredel'écrivainetdel'orateur,toutenconsacrantleursjoursàlaguerreetàlaplacepublique?A-t-ildétruitlegéniedeXénophon,quiopéraitlaretraitedesdix-mille, touten rêvant laCyropédie; desdeuxScipions, l'un l'amideLélius,l'autreassociéà la renomméedeTérence:deCicéron, roides lettrescommeilétait père de la patrie; de César enfin, auteur d'ouvrages de grammaire,d'astronomie, de religion, de littérature, de César, rival d'Archiloque dans lasatire,deSophocledanslatragédie,deDémosthènedansl'éloquence,etdontlesCommentairessontledésespoirdeshistoriens?

Nonobstantcesexemplesetmilleautres,letalentlittéraire,bienévidemmentlepremierdetousparcequ'iln'exclutaucuneautrefaculté,seratoujoursdanscepaysunobstacleausuccèspolitique:àquoiboneneffetunehauteintelligence?celane sert àquoiquece soit.Les sotsdeFrance,espèceparticulièreet toutenationale, n'accordent rien auxGrotius, auxFrédéric, auxBacon, auxThomasMorus,auxSpencer,auxFalkland,auxClarendon,auxBolingbroke,auxBurkeetauxCanningdeFrance.

Jamaisnotrevaniténereconnaîtraàunhomme,mêmedegénie,desaptitudes,et la facultédefaireaussibienqu'unespritcommundeschosescommunes.Sivous dépassez d'une ligne les conceptions vulgaires,mille imbéciles s'écrient:«Vousvousperdezdanslesnues»,ravisqu'ilssesententd'habiterenbas,oùilss'entêtent à penser. Ces pauvres envieux, en raison de leur secrète misère, serebiffent contre le mérite; ils renvoient avec compassion Virgile, Racine,Lamartine à leurs vers. Mais, superbes sires, à quoi faut-il vous renvoyer? àl'oubli: il vous attend à vingt pas de votre logis, tandis que vingt vers de cespoèteslesporterontàladernièrepostérité.

LapremièreinvasiondesFrançais,àRome,sousleDirectoire,fut infâmeetspoliatrice; la seconde, sous l'Empire, fut inique: mais, une fois accomplie,l'ordrerégna.

La République demanda à Rome, pour un armistice, vingt-deux millions,l'occupationdelacitadelled'Ancône,centtableauxetstatues,centmanuscritsauchoixdescommissairesfrançais.Onvoulaitsurtoutavoir lebustedeBrutusetceluideMarc-Aurèle: tantdegensenFrance s'appelaient alorsBrutus! il étaittoutsimplequ'ilsdésirassentposséderlapieuseimagedeleurpèreputatif;maisMarc-Aurèle,dequiétait-ilparent?Attila,pours'éloignerdeRome,nedemandaqu'uncertainnombredelivresdepoivreetdesoie:denotretemps,elles'estunmoment rachetée avec des tableaux. De grands artistes, souvent négligés et

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malheureux, ont laissé leurs chefs-d'œuvre pour servir de rançon aux ingratescitésquilesavaientméconnus.

LesFrançaisdel'Empireeurentàréparerlesravagesqu'avaientfaitsàRomelesFrançaisdelaRépublique;ilsdevaientaussiuneexpiationàcesacdeRomeaccompli par une armée que conduisait un prince français[175]: c'était àBonaparte qu'il convenait de mettre de l'ordre dans des ruines qu'un autreBonaparteavaitvucroîtreetdontiladécritlabouleversement[176].Leplanquesuivit l'administration française pour le déblaiement du Forum fut celui queRaphaël avait proposé à Léon X: elle fit sortir de terre les trois colonnes dutempledeJupiter tonnant;ellemitànu leportiquedu templede laConcorde;elle découvrit le pavé de la voie sacrée; elle fit disparaître les constructionsnouvelles dont le temple de la Paix était encombré; elle enleva les terres quirecouvraient l'emmarchement du Colisée, vida l'intérieur de l'arène, et fitreparaîtreseptouhuitsallesdesbainsdeTitus.

Ailleurs,leForumdeTrajanfutexploré;onréparalePanthéon,lesThermesde Dioclétien, le temple de la Pudicité patricienne. Des fonds furent assignéspour entretenir, hors de Rome, les murs de Faléries et le tombeau de CeciliaMetella.

Les travaux d'entretien pour les édifices modernes furent également suivis:Saint-Paul-hors-des-Murs, qui n'existe plus, vit restaurer sa toiture; Sainte-Agnès, San-Martino-ai-Monti, furent défendus contre le temps. On refit unepartiedescomblesetdespavésdeSaint-Pierre;desparatonnerresmirentàl'abride la foudre le dôme de Michel-Ange. On marqua l'emplacement de deuxcimetièresàl'estetàl'ouestdelaville,etceluidel'est,prèsducouventdeSaint-Laurent,futterminé.

Le Quirinal revêtit son indigence extérieure du luxe des porphyres et desmarbresromains:désignépourlepalaisimpérial,Bonaparte,avantdel'habiter,voulut y faire disparaître les traces de l'enlèvement du pontife, captif àFontainebleau. On se proposait d'abattre la partie de la ville située entre leCapitole etMonte-Cavallo, afin que le triomphateurmontât par une immenseavenue à sa demeure césarienne: les événements firent évanouir ces songesgigantesquesendétruisantd'énormesréalités.

Dans les projets arrêtés était celui de construire une suite de quais depuisRipetta jusqu'àRipagrande: ces quais auraient été plantés; les quatre flots de

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maisons entre le château Saint-Ange et la place Rusticucci étaient achetés enpartieetauraientétédémolis.Une largealléeeûtétéainsiouvertesur laplaceSaint-Pierre,qu'oneûtaperçuedupiedduchâteauSaint-Ange.

Les Français font partout des promenades: j'ai vu au Caire un grand carréqu'ils avaient planté de palmiers et environné de cafés, lesquels portaient desnoms empruntés aux cafés de Paris: à Rome, mes compatriotes ont créé lePincio;onymonteparunerampe.Endescendantcetterampe,jevis,l'autrejour,passerunevoituredanslaquelleétaitunefemmeencoredequelquejeunesse:àses cheveux blonds, au galbe mal ébauché de sa taille, à l'inélégance de sabeauté,jel'aiprisepourunegrasseetblancheétrangèredelaWestphalie;c'étaitmadameGuiccioli: rien ne s'arrangeaitmoins avec le souvenir de lordByron.Qu'importe?lafilledeRavenne(dontaurestelepoèteétait las lorsqu'ilprit lepartidemourir)n'enirapasmoins,conduiteparlaMuse,seplacerdansl'Élyséeenaugmentantlesdivinitésdelatombe.

Lapartieoccidentalede laplaceduPeupledevaitêtreplantéedans l'espacequ'occupent des chantiers et des magasins; on eût aperçu, de l'extrémité ducours,leCapitole,leVaticanetSaint-PierreaudelàdesquaisduTibre,c'est-à-direRomeantiqueetRomemoderne.

Enfin,unbois,créationdesFrançais,s'élèveaujourd'huiàl'orientduColisée;onn'yrencontrejamaispersonne:quoiqu'ilaitgrandi,ilal'aird'unebroussaillecroissantaupiedd'unehauteruine.

PlinelejeuneécrivaitàMaxime:

«OnvousenvoiedanslaGrèce,oùlapolitesse,leslettres,l'agriculturemême,ont pris naissance. Respectez les dieux leurs fondateurs, la présence de cesdieux;respectezl'anciennegloiredecettenation,etlavieillesse,sacréedanslesvilles comme elle est vénérable dans les hommes; faites honneur à leursantiquités,àleursexploitsfameux,àleursfablesmême.N'entreprenezriensurladignité,surlaliberté,nimêmesurlavanitédepersonne.Ayezcontinuellementdevantlesyeuxquenousavonspuisénotredroitdanscepays;quenousn'avonspasimposédesloisàcepeupleaprèsl'avoirvaincu,maisqu'ilnousadonnélessiennesaprèsl'enavoirprié.C'estàAthènes,c'estàLacédémonequevousdevezcommander;ilyauraitdel'inhumanité,delacruauté,delabarbarie,àleurôterl'ombreetlenomdelibertéquileurrestent.»

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Lorsque Pline écrivait ces nobles et touchantes paroles àMaxime, savait-ilqu'il rédigeait des instructionspourdespeuples alorsbarbares, quiviendraientunjourdominersurlesruinesdeRome?

Je vais bientôt quitter Rome, et j'espère y revenir. Je l'aime de nouveaupassionnément,cetteRomesitristeetsibelle:j'auraiunpanoramaauCapitole,oùleministredePrussemecéderalepetitpalaisCaffarelli[177];àSaint-Onuphrejemesuisménagéuneautreretraite.Enattendantmondépartetmonretour,jenecessed'errerdanslacampagne;iln'yapasdepetitchemin,entredeuxhaiesque je ne connaisse mieux que les sentiers de Combourg. Du haut du montMariusetdescollinesenvironnantes,jedécouvrel'horizondelamerversOstie;jemereposesousleslégersetcroulantsportiquesdelavillaMadama.Danscesarchitectureschangéesenfermesjenetrouvesouventqu'unejeunefillesauvage,effarouchéeetgrimpantecommeseschèvres.QuandjesorsparlaPortaPia,jevais au pontLamentano sur leTeverone; j'admire, en passant à Sainte-Agnès,une tête deChrist parMichel-Ange, qui garde le couvent presque abandonné.Les chefs-d'œuvre des grands maîtres ainsi semés dans le désert remplissentl'âme d'unemélancolie profonde. Jeme désole qu'on ait réuni les tableaux deRomedansunmusée;j'auraisbienplusdeplaisirparlespentesduJanicule,souslachutedel'AquaPaola,autraversdelaruesolitairedelleFornaci,àchercherlaTransfigurationdanslemonastèredesRécolletsdeSaint-PierreinMontorio.Lorsqu'onregardelaplacequ'occupait,surlemaître-auteldel'église,l'ornementdesfunéraillesdeRaphaël,onalecœursaisietattristé.

AudelàdupontLamentano,despâturagesjauniss'étendentàgauchejusqu'auTibre;larivièrequibaignaitlesjardinsd'Horaceycouleinconnue.Ensuivantlagrande route,vous trouvez lepavéde l'anciennevoieTiburtine. J'yaivucetteannéearriverlapremièrehirondelle.

J'herborise au tombeau de Cecilia Metella: le réséda ondé et l'anémoneapenninefontundouxeffetsur lablancheurde la ruineetdusol.Par la routed'Ostie, je me rends à Saint-Paul, dernièrement la proie d'un incendie; je mereposesurquelqueporphyrecalciné,etjeregardelesouvriersquirebâtissentensilenceunenouvelleéglise;onm'enavaitmontréquelquecolonnedéjàébauchéeà la descente du Simplon: toute l'histoire du christianisme dans l'OccidentcommenceàSaint-Paul-hors-des-Murs.

En France, lorsque nous élevons quelque bicoque, nous faisons un tapage

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effroyable; force machines, multitude d'hommes et de cris; en Italie, onentreprenddes choses immensespresque sans se remuer.Lepape fait dans cemoment même refaire la partie tombée du Colisée; une demi-douzaine degoujatssanséchafaudageredressentlecolossesurlesépaulesduquelmourutunenationchangéeenouvriersesclaves.PrèsdeVérone, jemesuissouventarrêtépourregarderuncuréquiconstruisaitseulunénormeclocher;sousluilefermierdelacureétaitlemaçon.

J'achèvesouventletourdesmursdeRomeàpied;enparcourantcecheminderonde, je lis l'histoire de la reine de l'univers païen et chrétien écrite dans lesconstructions,lesarchitecturesetlesâgesdiversdecesmurs.

JevaisencoreàladécouvertedequelquevilladélabréeendedansdesmursdeRome.JevisiteSainte-Marie-Majeure,Saint-Jean-de-Latranavecsonobélisque,Sainte-Croix-de-Jérusalemavecses fleurs; j'yentendschanter; jeprie: j'aimeàprieràgenoux;moncœurestainsiplusprèsdelapoussièreetdurepossansfin:jemerapprochedelatombe.

Mesfouillesnesontqu'unevariétédesmêmesplaisirs.DuplateaudequelquecollineonaperçoitledômedeSaint-Pierre.Quepaye-t-onaupropriétairedulieuoùsontenfouisdestrésors?Lavaleurdel'herbedétruiteparlafouille.Peut-êtrerendrai-jemonargileàlaterreenéchangedelastatuequ'ellemedonnera:nousneferonsquetroqueruneimagedel'hommecontreuneimagedel'homme.

Onn'apointvuRomequandonn'apointparcourulesruesdesesfaubourgsmêléesd'espacesvides,dejardinspleinsderuines,d'enclosplantésd'arbresetdevignes,decloîtresoùs'élèventdespalmiersetdescyprès,lesunsressemblantàdesfemmesdel'Orient,lesautresàdesreligieusesendeuil.Onvoitsortirdecesdébris de grandes Romaines, pauvres et belles, qui vont acheter des fruits oupuiser de l'eau aux cascades versées par les aqueducs des empereurs et despapes.Pourapercevoirlesmœursdansleurnaïveté,jefaissemblantdechercherunappartementàlouer;jefrappeàlaported'unemaisonretirée;onmerépond:Favorisca.J'entre:jetrouve,dansdeschambresnues,ouunouvrierexerçantsonmétier, ou une zitella fière, tricotant ses laines, un chat sur ses genoux, etmeregardanterreràl'aventuresansselever.

Quandletempsestmauvais,jemeretiredansSaint-Pierreoubienjem'égaredans lesmusées de ceVatican aux onzemille chambres et aux dix-huitmillefenêtres (Juste-Lipse).Quellessolitudesdechefs-d'œuvre!Onyarriveparune

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galerie dans les murs de laquelle sont incrustées des épitaphes et d'anciennesinscriptions:lamortsemblenéeàRome.

Ilyadanscettevilleplusde tombeauxquedemorts. Jem'imagineque lesdécédés, quand ils se sentent trop échauffés dans leur couche de marbre, seglissentdansuneautrerestéevide,commeontransporteunmaladed'unlitdansunautrelit.Oncroiraitentendrelessquelettespasserdurantlanuitdecercueilencercueil.

La première fois que j'ai vu Rome, c'était à la fin de juin: la saison deschaleursaugmenteledélaisserdelacité;l'étrangerfuit,leshabitantsdupaysserenfermentchezeux;onnerencontrependantlejourpersonnedanslesrues.LesoleildardesesrayonssurleColisée,oùpendentdesherbesimmobiles,oùrienneremuequeleslézards.Laterreestnue;lecielsansnuagesparaîtencoreplusdésertquelaterre.Maisbientôtlanuitfaitsortirleshabitantsdeleurspalaisetlesétoilesdufirmament;laterreetlecielserepeuplent;Romeressuscite;cettevierecommencéeensilencedanslesténèbres,autourdestombeaux,al'airdelavieetdelapromenadedesombresquiredescendentàl'Érèbeauxapprochesdujour.

Hierj'aivaguéauclairdelunedanslacampagneentrelaporteAngéliqueetlemontMarius.Onentendaitunrossignoldansunétroitvallonbalustrédecannes.Jen'airetrouvéquelàcettetristessemélodieusedontparlentlespoètesanciens,àproposdel'oiseauduprintemps.Lelongsifflementquechacunconnaît,etquiprécèdelesbrillantesbatteriesdumusicienailé,n'étaitpasperçantcommeceluide nos rossignols; il avait quelque chose de voilé comme le sifflement dubouvreuil de nos bois. Toutes ses notes étaient baissées d'un demi-ton; saromanceàrefrainétaittransposéedumajeuraumineur;ilchantaitàdemi-voix;ilavaitl'airdevouloircharmerlesommeildesmortsetnondelesréveiller.Danscesparcoursincultes,laLydied'Horace,laDéliedeTibulle,laCorinned'Ovide,avaientpassé;iln'yrestaitquelaPhilomèledeVirgile.Cethymned'amourétaitpuissantdansce lieuetàcetteheure; ildonnait jenesaisquellepassiond'unesecondevie:selonSocrate, l'amourestledésirderenaîtreparl'entremisedelabeauté; c'était ce désir que faisait sentir à un jeune homme une jeune fillegrecqueenluidisant:«S'ilnemerestaitquelefildemoncollierdeperles,jelepartageraisavectoi.»

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Sij'ailebonheurdefinirmesjoursici,jemesuisarrangépouravoiràSaint-OnuphreunréduitjoignantlachambreoùleTasseexpira.Auxmomentsperdusde mon ambassade, à la fenêtre de ma cellule, je continuerai mesMémoires.Dansundesplusbeauxsitesdelaterre,parmilesorangersetleschênesverts,Romeentièresousmesyeux,chaquematin,enmemettantàl'ouvrage,entrelelitdemortetlatombedupoète,j'invoquerailegéniedelagloireetdumalheur.

Dans les premiers jours de mon arrivée à Rome, lorsque j'errais ainsi àl'aventure, je rencontrai entre les bains de Titus et le Colisée une pension dejeunes garçons. Un maître à chapeau rabattu, à robe traînante et déchirée,ressemblantàunpauvrefrèredelaDoctrinechrétienne,lesconduisait.Passantprès de lui, je le regarde, je lui trouveun faux air demonneveuChristiandeChateaubriand,maisjen'osaisencroiremesyeux.Ilmeregardeàsontour,et,sansmontreraucunesurprise,ilmedit:«Mononcle!»Jemeprécipitetoutémuet je le serre dans mes bras. D'un geste de la main il arrête derrière lui sontroupeauobéissantetsilencieux.Christianétaitàlafoispâleetnoirci,minéparlafièvreetbrûlépar lesoleil. Ilm'appritqu'ilétaitchargéde lapréfecturedesétudesaucollègedesJésuites,alorsenvacancesàTivoli.Ilavaitpresqueoubliésalangue,ils'énonçaitdifficilementenfrançais,neparlantetn'enseignantqu'enitalien. Je contemplais, les yeuxpleinsde larmes, ce fils demon frèredevenuétranger, vêtu d'une souquenille noire, poudreuse, maître d'école à Rome, etcouvrantd'unfeutredecénobitesonnoblefrontquiportaitsibienlecasque[178].

J'avais vunaîtreChristian; quelques jours avantmon émigration, j'assistai àsonbaptême.Sonpère,songrand-pèreleprésidentdeRosambo,etsonbisaïeulM.deMalesherbes,étaientprésents.Celui-ciletintsurlesfontsetluidonnasonnom,Christian.L'égliseSaint-Laurentétaitdéserteetdéjààdemidévastée.Lanourriceetmoinousreprîmesl'enfantdesmainsducuré.

Iopiangendotipresi,einbrevecestaFuortiportai. (TASSO.)

Le nouveau-né fut reporté à samère, placé sur son lit, où cettemère et sagrand'mère,madamedeRosambo,lereçurentavecdespleursdejoie.Deuxansaprès,lepère,legrand-père,lebisaïeul,lamèreetlagrand'mèreavaientpérisurl'échafaud, etmoi, témoindubaptême, j'errais exilé.Tels étaient les souvenirsquel'apparitionsubitedemonneveufitrevivredansmamémoireaumilieudesruines deRome.Christian a déjà passé orphelin lamoitié de sa vie; il a voué

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l'autremoitiéauxautels:foyerstoujoursouvertsdupèrecommundeshommes.

Christian avait pour Louis, son digne frère, une amitié ardente et jalouse:lorsqueLouis se futmarié, Christian partit pour l'Italie; il y connut le duc deRohan-Chabot, et il y rencontra madame Récamier: comme son oncle, il estrevenuhabiterRome,luidansuncloître,moidansunpalais.Ilentraenreligionpour rendre à son frère une fortunequ'il ne croyait pas posséder légitimementpar les nouvelles lois: ainsi Malhesherbes est maintenant, avec Combourg, àLouis.

Aprèsnotre rencontre inattendueaupiedduColisée,Christian, accompagnéd'un frère jésuite,mevint voir à l'ambassade: il avait lemaintien triste et l'airsérieux;jadisilriaittoujours.Jeluidemandais'ilétaitheureux;ilmerépondit:«J'aisouffertlongtemps;maintenantmonsacrificeestfaitetjemetrouvebien.»

Christian a hérité du caractère de fer de son aïeul paternel, M. deChateaubriandmonpère,etdesvertusmoralesdesonbisaïeulmaternel,M.deMalesherbes. Ses sentiments sont renfermés, bien qu'il lesmontre, sans égardauxpréjugésdelafoule,quandils'agitdesesdevoirs:dragondanslagarde,endescendantdechevalilallaitàlasainteTable;onnes'enmoquaitpoint,carsabravoure et sa bienfaisance étaient l'admiration de ses camarades. On adécouvert, depuis qu'il a renoncé au service, qu'il secourait secrètement unnombreconsidérabled'officiersetdesoldats;ilaencoredespensionnairesdanslesgreniersdeParis,etLouisacquittelesdettesfraternelles.Unjour,enFrance,je m'enquérais de Christian s'il se marierait: «Si je me mariais, répondit-il,j'épouseraisunedemespetitesparentes,lapluspauvre.»

Christianpasselesnuitsàprier;ilselivreàdesaustéritésdontsessupérieurssonteffrayés:uneplaiequis'étaitforméeàl'unedesesjambesluiétaitvenuedesa persévérance à se tenir à genouxdes heures entières; jamais l'innocence nes'estlivréeàtantderepentir.

Christian n'est point un homme de ce siècle: ilme rappelle ces ducs et cescomtes de la cour de Charlemagne, qui, après avoir combattu contre lesSarrasins, fondaient des couvents sur les sites déserts de Gellone ou deMadavalle,ets'yfaisaientmoines.Jeleregardecommeunsaint:jel'invoqueraisvolontiers.Jesuispersuadéquesesbonnesœuvres,uniesàcellesdemamèreetdemasœurJulie,m'obtiendraientgrâceauprèsdusouverainJuge.J'aiaussidupenchantaucloître;mais,monheureétantvenue,c'estàlaPortioncule,sousla

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protectiondemonpatron,appeléFrançoisparcequ'ilparlaitfrançais,quej'iraisdemanderunesolitude.

Jeveuxtraînerseulmessandales;jenesouffriraispourrienaumondequ'ilyeûtdeuxtêtesdansmonfroc.

«Jeuneencore,ditleDante,lesoleild'Assiseépousaunefemmeàqui,commeà la mort, personne n'ouvre la porte du plaisir: cette femme, veuve de sonpremiermaridepuisplusdeonzecentsans,avaitlanguiobscureetméprisée:envainelleétaitmontéeavecleChristsur laCroix.Quelssont lesamantsquetedésignent icimesparolesmystérieuses?FRANÇOIS et laPAUVRETÉ:Francesco ePovertà.(Paradiso,cant.xi.)

ÀMADAMERÉCAMIER.

«Rome,16mai1829.

«CettelettrepartiradeRomequelquesheuresaprèsmoi,etarriveraquelquesheuresavantmoiàParis.Ellevaclorecettecorrespondancequin'apasmanquéun seul courrier, et qui doit former un volume entre vosmains. J'éprouve unmélangedejoieetdetristessequejenepuisvousdire;pendanttroisouquatremois,jemesuisassezdépluàRome;maintenantj'aireprisàcesnoblesruines,àcettesolitudesiprofonde,sipaisibleetpourtantsipleined'intérêtetdesouvenir.Peut-êtreaussilesuccèsinespéréquej'aiobtenuicim'aattaché:jesuisarrivéaumilieudetouteslespréventionssuscitéescontremoi,etj'aitoutvaincu;onparaîtme regretter. Que vais-je retrouver en France? du bruit au lieu de silence, del'agitationaulieuderepos,deladéraison,desambitions,descombatsdeplaceet de vanité. Le système politique que j'ai adopté est tel que personne n'envoudraitpeut-être,etqued'ailleursonnememettraitpasàmêmedel'exécuter.Jeme chargerais encore de donner une grande gloire à la France, comme j'aicontribué à lui obtenir une grande liberté; mais me ferait-on table rase? medirait-on:«Soyezlemaître,disposezdetoutaupérildevotretête?»Non;onestsiloindemedireunepareillechose,quel'onprendraittoutlemondeavantmoi,et que l'on ne m'admettrait qu'après avoir essuyé les refus de toutes lesmédiocrités de la France, et qu'on croirait me faire une grande grâce en mereléguantdansuncoinobscur.Jevaisvouschercher;ambassadeurounon,c'estàRomeque jevoudraismourir.Enéchanged'unepetitevie, j'auraisdumoinsunegrandesépulturejusqu'aujouroùj'irairemplirmoncénotaphedanslesable

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quim'avunaître.Adieu;j'aidéjàfaitplusieurslieuesversvous.»

J'eusungrandplaisiràrevoirmesamis[179]:jenerêvaisqu'aubonheurdelesemmeneravecmoietdefinirmesjoursàRome.J'écrivispourmieuxm'assurerencoredupetitpalaisCaffarelliquejeprojetaisdelouersurleCapitole,etdelacellulequejepostulaisàSaint-Onuphre.J'achetaideschevauxanglaiset jelesfispartirpourlesprairiesd'Évandre.Jedisaisdéjàadieudansmapenséeàmapatrie avec une joie qui méritait d'être punie. Lorsqu'on a voyagé dans sajeunesse et qu'on a passé beaucoup d'années hors de son pays, on s'estaccoutumé à placer partout samort: en traversant lesmers de laGrèce, ilmesemblaitque touscesmonumentsque j'apercevais sur lespromontoiresétaientdeshôtelleriesoùmonlitétaitpréparé.

J'allaifairemacourauroiàSaint-Cloud:ilmedemandaquandjeretournaisàRome.Ilétaitpersuadéquej'avaisunboncœuretunemauvaisetête.Lefaitestquej'étaisprécisémentl'inversedecequeCharlesXpensaitdemoi:j'avaistrèsfroideet trèsbonnetête,et lecœurcahin-cahapour les troisquartsetdemidugenrehumain.

Jetrouvaileroidansunefortmauvaisedispositionàl'égarddesonministère:il le faisait attaquer par certains journaux royalistes, ou plutôt, lorsque lesrédacteurs de ces feuilles allaient lui demander s'il ne les trouvait pas trophostiles,ils'écriait:«Non,non,continuez.»QuandM.deMartignacavaitparlé:«Ehbien,disaitCharlesX,avez-vousentendulaPasta?»Lesopinionslibéralesde M. Hyde de Neuville lui étaient antipathiques; il trouvait plus decomplaisancedansM.Portalis lefédéré,quiportaitsacupiditésursonvisage:c'estàM.Portalisque laFrancedoit sesmalheurs.Quand je levisàPassy, jem'aperçus de ce que j'avais en partie deviné: le garde des sceaux, en faisantsemblantdetenirparintérimleministèredesaffairesétrangères,mouraitd'enviede le conserver, bien qu'il se fut pourvu, à tout événement, de la place deprésident de la Cour de cassation. Le roi, quand il s'était agi de disposer desaffairesétrangères,avaitprononcé:«JenedispasqueChateaubriandneserapasmonministre;mais pas à présent.»Le prince deLaval avait refusé;M. deLaFerronnays ne se pouvait plus livrer à un travail suivi. Dans l'espoir que, deguerre lasse, le portefeuille lui resterait, M. Portalis ne faisait rien pourdéterminerleroi.

Plein demes délices futures de Rome, jem'y laissai aller sans trop sonder

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l'avenir;ilmeconvenaitassezqueM.Portalisgardâtl'intérimàl'abriduquelmapositionpolitique restait lamême. Ilnemevintpasunseul instantdans l'idéequeM. de Polignac pourrait être investi du pouvoir: son esprit borné, fixe etardent, son nom fatal et impopulaire, son entêtement, ses opinions religieusesexaltéesjusqu'aufanatisme,meparaissaientdescausesd'uneéternelleexclusion.Ilavait,ilestvrai,souffertpourleroi;maisilenétaitlargementrécompenséparl'amitié de son maître et par la haute ambassade de Londres que je lui avaisdonnéesousmonministère,malgrél'oppositiondeM.deVillèle.

De tous lesministres enplaceque je trouvai àParis, excepté l'excellentM.Hyde de Neuville, pas un ne me plaisait: je sentais en eux une capacitéimplacable qui me laissait de l'inquiétude sur la durée de leur empire.M. deMartignac, d'un talent de parole agréable, avait une voix douce et épuiséecomme celle d'un homme à qui les femmes ont donné quelque chose de leurséductionetdeleurfaiblesse!Pythagoresesouvenaitd'avoirétéunecourtisanecharmantenomméeAlcée[180].L'anciensecrétaired'ambassadedel'abbéSiéyèsavaitaussiunesuffisancecontenue,unespritcalmeunpeujaloux.Jel'avais,en1823,envoyéenEspagnedansunepositionélevéeetindépendante[181],maisilauraitvouluêtreambassadeur.Ilétaitchoquéden'avoirpasreçuunemploiqu'ilcroyaitdûàsonmérite.

Mon goût ou mes déplaisances importaient peu. La Chambre commit unefauteen renversantunministèrequ'elleauraitdûconserverà toutprix[182]. Ceministèremodéréservaitdegarde-fouàdesabîmes;ilétaitaisédelejeterbas,carilnetenaitàrienetleroiluiétaitennemi;raisondepluspournefaireaucunechicaneàceshommes,pourleurdonnerunemajoritéàl'aidedelaquelleilssefussentmaintenus et auraient fait place un jour, sans accident, à unministèrefort.EnFrance,onnesaitrienattendre;onahorreurdetoutcequial'apparencedupouvoir,jusqu'àcequ'onlepossède.Ausurplus,M.deMartignacadémentinoblement ses faiblesses en dépensant avec courage le reste de sa vie dans ladéfense deM. de Polignac[183]. Les piedsme brûlaient à Paris; je ne pouvaism'habitueraucielgrisettristedelaFrance,mapatrie;qu'aurais-jedoncpenséducieldelaBretagne,mamatrie,pourparlergrec?Maislà,dumoins,ilyadesventsdemeroudescalmes:Tumidisalbensfluctibus[184],ouventiposuere[185].Mesordresétaientdonnéspourexécuterdansmonjardinetdansmamaison,rued'Enfer,leschangementsetlesaccroissementsnécessaires,afinqu'àmamortlelegs que je voulais faire de cette maison à l'Infirmerie de madame deChateaubriand fût plus profitable. Je destinais cette propriété à la retraite dequelques artistes et de quelques gens de lettresmalades. Je regardais le soleil

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pâle,etjeluidisais:«Jevaisbientôtteretrouveravecunmeilleurvisage,etnousnenousquitteronsplus.»

Ayant pris congé du roi et espérant le débarrasser pour toujours demoi, jemontaiencalèche.J'allaisd'abordauxPyrénéesprendre leseauxdeCauterets;là, traversant le Languedoc et la Provence, je devaisme rendre àNice, où jerejoindrais madame de Chateaubriand. Nous passions ensemble la corniche,nousarrivionsàlavilleéternellequenoustraversionssansnousarrêter,et,aprèsdeuxmoisdeséjouràNaples,auberceauduTasse,nousrevenionsàsatombeàRome.Cemomentestleseuldemavieoùj'aieétécomplètementheureux,oùjenedésiraisplusrien,oùmonexistenceétaitremplie,oùjen'apercevais jusqu'àmadernièreheurequ'unesuitedejoursderepos.Jetouchaisauport;j'yentraisàpleinesvoilescommePalinure:inopinaquies[186].

Tout mon voyage jusqu'aux Pyrénées fut une suite de rêves: je m'arrêtaisquand je voulais; je suivais surma route les chroniques dumoyen âge que jeretrouvais partout; dans le Berry, je voyais ces petites routes bocagères quel'auteurdeValentinenommedestraînes[187],etquimerappelaientmaBretagne.Richard Cœur-de-Lion avait été tué à Chalus, au pied de cette tour: «Enfantmusulman, paix là! voici le roi Richard!»ÀLimoges, j'ôtaimon chapeau parrespectpourMolière;àPérigueux,lesperdrixdansleurstombeauxdefaïencenechantaientplusdedifférentesvoixcommeautempsd'Aristote.Jerencontrai làmon vieil ami Clausel de Coussergues; il portait avec lui quelques-unes despages dema vie.ÀBergerac, j'aurais pu regarder le nez deCyrano sans êtreobligé deme battre contre ce cadet aux gardes: je le laissai dans sa poussièreaveccesdieuxquel'hommeafaitsetquin'ontpasfaitl'homme.

ÀAuch, j'admirai les stalles sculptées sur des cartons venus de Rome à labelle époquedes arts.D'Ossat,mondevancier à la courdu saint-père, était néprèsd'Auch[188].Lesoleil ressemblaitdéjààceluide l'Italie.ÀTarbes, j'auraisvouluhébergeràl'hôteldel'Étoile,oùFroissartdescenditavecmessireEspaingdeLyon, «vaillant homme et sage et beau chevalier,» et où il trouva de «bonfoin,debonnesavoinesetdebellesrivières».

AuleverdesPyrénéessurl'horizon,lecœurmebattait:dufonddevingt-troisannéessortirentdessouvenirsembellisdansles lointainsdutemps: jerevenaisde la Palestine et de l'Espagne, lorsque, de l'autre côté de leur chaîne, jedécouvris lesommetdecesmêmesmontagnes.Jesuisdel'avisdemadamedeMotteville; jepensequec'estdansundeceschâteauxdesPyrénéesqu'habitait

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UrgandelaDéconnue.Lepasséressembleàunmuséed'antiques;onyvisitelesheuresécoulées;chacunpeutyreconnaître lessiennes.Unjour,mepromenantdansuneéglisedéserte,j'entendisdespassetraînantsurlesdalles,commeceuxd'unvieillard qui cherchait sa tombe. Je regardai et n'aperçus personne; c'étaitmoiquim'étaisrévéléàmoi.

Plus j'étais heureux à Cauterets, plus la mélancolie de ce qui était fini meplaisait.Lavalléeétroiteetresserréeestaniméed'ungave;audelàdelavilleetdesfontainesminérales,ellesediviseendeuxdéfilés,dontl'un,célèbreparsessites, aboutit au pont d'Espagne et aux glaciers. Jeme trouvai bien des bains;j'achevais seul de longues courses, enme croyant dans les escarpements de laSabine.Jefaisaistousmeseffortspourêtretristeetjenelepouvais.JecomposaiquelquesstrophessurlesPyrénées;jedisais:

30Juillet1830.

J'avaisvufuirlesmersdeSolymeetd'Athènes,D'AscalonetduNillesmouvantesarènes,Carthageabandonnéeetsonportblanchissant:Leventlégerdusoirarrondissaitmavoile,

EtdeVénusl'étoileMêlaitsaperlehumideàl'orpurducouchant.

Assisaupieddumâtdemonvaisseaurapide,Mesyeuxcherchaientdeloincescolonnesd'AlcideOùchoquentleurstridentsdeuxNeptuneirrités.Del'antiqueHespérieabordantlerivage,

DunobleAbencerageLemystèrem'ouvritlespalaisenchantés.

Commeunejeuneabeilleauxrosesengagée,MaMuserevenaitdesonbutinchargée,Etcueillisurlafleurdesplusbeauxsouvenirs:DanslesmontsqueRolandbrisaparsavaillance,

JecontaisàsalanceL'orgueildemesdangers,tentéspourdesplaisirs.

Del'âgedélaisséquandsurvientladisgrâce,Fuyons,fuyonslesbordsqui,gardantnotretrace,

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Nousfontdiredutempsenmesurantlecours:«Alorsj'avaisunfrère,unemère,uneamie;

Félicitéravie!Combienmereste-t-ildeparentsetdejours?»

Il me fut impossible d'achever mon ode: j'avais drapé lugubrement montambour pour battre le rappel des rêves de mes nuits passées; mais toujours,parmi ces rappelés, se mêlaient quelques songes du moment dont la mineheureusedéjouaitl'airconsternédeleursvieuxconfrères.

Voilàqu'enpoétisant je rencontraiune jeunefemmeassiseauborddugave;elleselevaetvintdroitàmoi:ellesavait,parlarumeurduhameau,quej'étaisàCauterets. Il se trouva que l'inconnue était une Occitanienne, qui m'écrivaitdepuis deux ans sans que je l'eusse jamais vue: la mystérieuse anonyme sedévoila:patuitDea.

J'allais rendrema visite respectueuse à la naïade du torrent.Un soir qu'ellem'accompagnaitlorsquejemeretirais,ellemevoulutsuivre;jefusobligédelareporterchezelledansmesbras.Jamaisjen'aiétésihonteux:inspirerunesorted'attachementàmonâgemesemblaitunevéritabledérision;plusjepouvaisêtreflattédecettebizarrerie,plusj'enétaishumilié,laprenantavecraisonpourunemoquerie.Jemeseraisvolontierscachédevergogneparmilesours,nosvoisins.J'étais loin de me dire ce que disait Montaigne: «L'amour me rendroit lavigilance,lasobriété,lagrâce,lesoindemapersonne....»MonpauvreMichel,tudisdeschosescharmantes,maisànotreâge,vois-tu,l'amournenousrendpascequetusupposes ici.Nousn'avonsqu'unechoseàfaire:c'estdenousmettrefranchementdecôté.Aulieudoncdemeremettreauxestudessainsetsagesparoùjepussemerendreplusaimé,j'ailaissés'effacerl'impressionfugitivedemaClémence Isaure; la brise de la montagne a bientôt emporté ce caprice d'unefleur;laspirituelle,déterminéeetcharmanteétrangèredeseizeansm'asugrédem'êtrerendujustice:elleestmariée[189].

Desbruitsdechangementdeministresétaientparvenusdansnossapinières.Lesgensbieninstruitsallaientjusqu'àparlerduprincedePolignac;maisj'étaisd'uneincrédulitécomplète.Enfin,lesjournauxarrivent:jelesouvre,etmesyeuxsont frappés de l'ordonnance officielle qui confirme les bruits répandus[190].J'avais bien éprouvé des changements de fortune depuis que j'étais aumonde,maisjen'étaisjamaistombéd'unepareillehauteur.Madestinéeavaitencoreune

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fois soufflé surmes chimères; ce souffle du sort n'effaçait pas seulementmesillusions, il enlevait la monarchie. Ce coup me fit un mal affreux; j'eus unmomentdedésespoir,carmonpartifutprisàl'instant,jesentisquejemedevaisretirer.Lapostem'apportaunefouledelettres; toutesm'enjoignaientd'envoyerma démission. Des personnes même que je connaissais à peine se crurentobligéesdemeprescrirelaretraite.

Jefuschoquédecetofficieuxintérêtpourmabonnerenommée.GrâceàDieu,jen'aijamaiseubesoinqu'onmedonnâtdesconseilsd'honneur;mavieaétéunesuitedesacrifices,quinem'ontjamaisétécommandésparpersonne;enfaitdedevoir,j'ail'espritprime-sautier.Leschutesmesontdesruines,carjenepossèdequedesdettes,dettesquejecontractedansdesplacesoùjenedemeurepasassezde tempspour les payer; de sorte que, toutes les fois que jeme retire, je suisréduitàtravaillerauxgagesd'unlibraire.Quelques-unsdecesfiersobligeants,quimeprêchaient l'honneur et la libertépar laposte, et quime lesprêchèrentencore bien plus haut lorsque j'arrivai à Paris, donnèrent leur démission deconseillersd'État;mais lesunsétaientriches, lesautresnesedémirentpasdesplacessecondairesqu'ilspossédaientetqui leur laissèrent lesmoyensd'exister.Ilsfirentcommelesprotestants,quirejettentquelquesdogmesdescatholiquesetquienconserventd'autrestoutaussidifficilesàcroire.Riendecompletdanscesoblations;riend'unepleinesincérité:onquittaitdouzeouquinzemillelivresderente, il est vrai, mais on rentrait chez soi opulent de son patrimoine, ou dumoins pourvu de ce pain quotidien qu'on avait prudemment gardé. Avec mapersonne, pas tant de façons; on était rempli pour moi d'abnégation, on nepouvaitjamaisassezsedépouillerdetoutcequejepossédais:«Allons,GeorgesDandin, le cœur au ventre; corbleu!mon gendre,me forlignez pas; habit bas!Jetezpar la fenêtredeuxcentmille livresde rente,uneplace selonvosgoûts,unehauteetmagnifiqueplace,l'empiredesartsàRome,lebonheurd'avoirenfinreçularécompensedevoslutteslonguesetlaborieuses.Telestnotrebonplaisir.Àceprix,vousaureznotreestime.Demêmequenousnoussommesdépouillésd'unecasaquesouslaquellenousavonsunbongiletdeflanelle,demêmevousquitterezvotremanteaudevelours,pourresternu.Ilyaégalitéparfaite,paritéd'auteletd'holocauste.»

Et, chose étrange! dans cette ardeur généreuse à me pousser dehors, leshommes qui me signifiaient leur volonté n'étaient ni mes amis réels, ni lescopartageantsdemesopinionspolitiques.Jedevaism'immolersur-le-champaulibéralisme,àladoctrinequim'avaitcontinuellementattaqué;jedevaiscourirlerisque d'ébranler le trône légitime, pour mériter l'éloge de quelques poltrons

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d'ennemis,quin'avaientpaslecourageentierdemourirdefaim.

J'allais me trouver noyé dans une longue ambassade; les fêtes que j'avaisdonnées m'avaient ruiné, je n'avais pas payé les frais de mon premierétablissement.Maiscequimenavraitlecœur,c'étaitlapertedecequejem'étaispromisdebonheurpourlerestedemavie.

Jen'aipointàmereprocherd'avoiroctroyéàpersonnecesconseilscatoniensquiappauvrissentceluiquilesreçoitetnonceluiquilesdonne;bienconvaincuquecesconseilssont inutilesà l'hommequin'enapoint lesentiment intérieur.Dèslepremiermoment,jel'aidit,marésolutionfutarrêtée;ellenemecoûtapasà prendre, mais elle fut douloureuse à exécuter. Lorsqu'à Lourdes, au lieu detourneraumidietderoulerversl'Italie,jeprislechemindePau[191],mesyeuxseremplirentdelarmes;j'avouemafaiblesse.Qu'importesijen'enaipasmoinsacceptéettenulecartelquem'envoyaitlafortune?Jenerevinspasvite,afindelaisser les jours s'écouler. Je dépelotonnai lentement le fil de cette route quej'avaisremontéeavectantd'allégresse,ilyavaitàpeinequelquessemaines.

LeprincedePolignaccraignaitmadémission.Ilsentaitqu'enmeretirantjeluienlèveraisauxChambresdesvotesroyalistes,etquejemettraissonministèreenquestion.Onluisuggéralapenséedem'envoyeruneestafetteauxPyrénéesavecordreduroidemerendreimmédiatementàRome,pourrecevoirleroietlareinede Naples qui venaient marier leur fille en Espagne[192]. J'aurais été fortembarrassési j'avais reçucetordre.Peut-êtremeserais-jecruobligéd'yobéir,quitteàdonnermadémission,après l'avoir rempli.MaisunefoisàRome,queserait-ilarrivé?Jemeseraispeut-êtreattardé;lesfatalesjournéesm'auraientpusurprendre auCapitole. Peut-être aussi l'indécision où j'aurais pu rester aurait-elledonné lamajoritéparlementaire àM.dePolignacqui ne lui faillit quedequelquesvoix.L'adressealorsnepassaitpas; lesordonnances,résultatdecetteadresse, n'auraient peut-être pas parunécessaires à leurs funestes auteurs:Diisalitervisum.

JetrouvaiàParismadamedeChateaubriandtouterésignée.Elleavait,latêtetournéed'êtreambassadriceàRome,etcertesunefemmel'auraitàmoins;mais,dans les grandes circonstances, ma femme n'a jamais hésité d'approuver cequ'ellepensaitpropreàmettredelaconsistancedansmavieetàrehaussermonnomdansl'estimepublique:encelaelleaplusdeméritequ'uneautre.Elleaimela représentation, les titres et la fortune; elle déteste la pauvreté et leménage

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chétif; elle méprise ces susceptibilités, ces excès de fidélité et d'immolation,qu'elle regarde commede vraies duperies dont personne ne vous sait gré; ellen'aurait jamaiscriévive leRoiquandmême,mais,quand il s'agitdemoi, toutchange;elleaccepted'unespritfermemesdisgrâces,enlesmaudissant.

Ilmefallaittoujoursjeûner,veiller,prierpourlesalutdeceuxquisegardaientbiendesevêtirducilicedontilss'empressaientdem'affubler.J'étaisl'ânesaint,l'ânechargédesaridesreliquesdelaliberté;reliquesqu'ilsadoraientengrandedévotionpourvuqu'ilsn'eussentpaslapeinedelesporter.

LelendemaindemonretouràParis,jemerendischezM.dePolignac.Jeluiavaisécritcettelettreenarrivant:

«Paris,ce28août1829.

«Prince,

«J'aicruqu'ilétaitplusdignedenotreancienneamitié,plusconvenableàlahautemissiondontj'étaishonoré,etavanttoutplusrespectueuxenversleroi,devenirdéposermoi-mêmemadémissionàsespieds,quedevous la transmettreprécipitamment par la poste. Je vous demande un dernier service, c'est desupplier SaMajesté de vouloir bienm'accorder une audience, et d'écouter lesraisonsquim'obligentàrenoncerà l'ambassadedeRome.Croyez,prince,qu'ilm'encoûte,aumomentoùvousarrivezaupouvoir,d'abandonnercettecarrièrediplomatiquequej'aieulebonheurdevousouvrir.

«Agréez,jevousprie,l'assurancedessentimentsquejevousaivouésetdelahauteconsidérationaveclaquellej'ail'honneurd'être,prince,

«Votretrès-humbleettrès-obéissantserviteur,

«CHATEAUBRIAND.»

En réponse à cette lettre, on m'adressa ce billet des bureaux des affairesétrangères:

«LeprincedePolignaca l'honneurd'offrirsescomplimentsàM. levicomte

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de Chateaubriand, et le prie de passer au ministère demain dimanche, à neufheuresprécises,sicelaluiestpossible.

«Samedi,4heures.

J'yrépliquaisur-le-champparcetautrebillet:

«Paris,ce29août1829,ausoir.

«J'aireçu,prince,unelettredevosbureauxquim'inviteàpasserdemain30,àneufheuresprécises,auministère,sicelam'estpossible.Commecettelettrenem'annoncepasl'audienceduroiquejevousavaispriédedemander,j'attendraiquevousayezquelquechosed'officielàmecommuniquersurladémissionquejedésiremettreauxpiedsdeSaMajesté.

«Millecomplimentsempressés,

«CHATEAUBRIAND.»

AlorsM.dePolignacm'écrivitcesmotsdesapropremain:

«J'ai reçu votre petit mot, mon cher vicomte; je serai charmé de vous voirdemainsurlesdixheures,sicetteheurepeutvousconvenir.

«Jevousrenouvellel'assurancedemonancienetsincèreattachement.

«LEPRINCEDEPOLIGNAC.»

Cebilletmeparutdemauvaisaugure;saréservediplomatiquemefitcraindreun refus du roi. Je trouvai le prince de Polignac dans le grand cabinet que jeconnaissais si bien. Il accourut au-devant demoi, me serra la main avec uneeffusiondecœurquej'auraisvoulucroiresincère,etpuis,mejetantunbrassurl'épaule,nouscommençâmesànouspromener lentementd'unboutà l'autreducabinet. Ilmeditqu'iln'acceptaitpointmadémission;que le roine l'acceptaitpas; qu'il fallait que je retournasse àRome. Toutes les fois qu'il répétait cettedernièrephrase, ilme crevait le cœur: «Pourquoi,medisait-il, nevoulez-vouspas être dans les affaires avecmoi comme avec laFerronnays et Portalis?Ne

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suis-je pas votre ami? Je vousdonnerai àRome tout ce quevousvoudrez; enFrance,vousserezplusministrequemoi,j'écouteraivosconseils.Votreretraitepeut faire naître de nouvelles divisions. Vous ne voulez pas nuire augouvernement?Leroiserafort irritésivouspersistezàvouloirvousretirer.Jevousensupplie,chervicomte,nefaitesparcettesottise.»

Je répondis que je ne faisais pas une sottise; que j'agissais dans la pleineconviction de ma raison; que son ministère était très impopulaire; que cespréventionspouvaientêtreinjustes,maisqu'enfinellesexistaient;quelaFranceentière était persuadée qu'il attaquerait les libertés publiques, et que moi,défenseur de ces libertés, ilm'était impossible dem'embarquer avec ceux quipassaientpourenêtrelesennemis.J'étaisassezembarrassédanscetteréplique,car,aufond,jen'avaisrienàobjecterd'immédiatauxnouveauxministres;jenepouvais les attaquer que dans un avenir qu'ils étaient en droit de nier.M. dePolignacme jurait qu'il aimait la charte autant quemoi; mais il l'aimait à samanière,ill'aimaitdetropprès.Malheureusement,latendressequel'onmontreàunefillequel'onadéshonoréeluisertpeu.

La conversation se prolongea sur le même texte près d'une heure. M. dePolignacfinitparmedireque,sijeconsentaisàreprendremadémission,leroime verrait avec plaisir et écouterait ce que je voudrais lui dire contre sonministère;maisquesi jepersistaisàvouloirdonnermadémission,SaMajestépensaitqu'illuiétaitinutiledemevoir,etqu'uneconversationentreelleetmoinepouvaitêtrequ'unechosedésagréable.

Jerépliquai:«Regardezdonc,prince,madémissioncommedonnée.Jenemesuis jamais rétracté demavie, et, puisqu'il ne convient pas au roi devoir sonfidèlesujet,jen'insisteplus.»Aprèscesmots,jemeretirai.JepriaileprincederendreàM.leducdeLavall'ambassadedeRome,s'illadésiraitencore,etjeluirecommandai ma légation. Je repris ensuite à pied, par le boulevard desInvalides,lechemindemonInfirmerie,pauvreblesséquej'étais.M.dePolignacmeparut,lorsquejelequittai,danscetteconfianceimperturbablequifaisaitdeluiunmuetéminemmentpropreàétranglerunempire.

Ma démission d'ambassadeur à Rome étant donnée, j'écrivis au souverainpontife:

«Très-saint-père,

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«Ministre des affaires étrangères en France en 1823, j'eus le bonheur d'êtrel'interprète des sentiments du feu roi LouisXVIII pour l'exaltation désirée deVotreSaintetéàlachairedeSaint-Pierre.AmbassadeurdeSaMajestéCharlesXprès la cour de Rome, j'ai eu le bonheur plus grand encore de voir VotreBéatitudeélevéeausouverainpontificat,etdel'entendrem'adresserdesparolesqui seront la gloire de ma vie. En terminant la haute mission que j'avaisl'honneurderemplirauprèsd'elle,jeviensluitémoignerlesvifsregretsdontjenecesseraid'êtrepénétré.Ilnemereste,très-saint-père,qu'àmettreàvospiedssacrés ma sincère reconnaissance pour vos bontés, et à vous demander votrebénédictionapostolique.

«Jesuis,aveclaplusgrandevénérationetleplusprofondrespect,

«DeVotreSainteté«Letrès-humbleettrès-obéissantserviteur,

«CHATEAUBRIAND.»

J'achevai pendant plusieurs jours de me déchirer les entrailles dans monUtique; j'écrivis des lettres pour démolir l'édifice que j'avais élevé avec tantd'amour.Commedanslamortd'unhommecesontlespetitsdétails,lesactionsdomestiques et familières qui touchent, dans la mort d'un songe les petitesréalitésqui ledétruisentsontpluspoignantes.Unexiléternelsur les ruinesdeRome avait étéma chimère.Ainsi queDante, jem'étais arrangé pour ne plusrentrer dans ma patrie. Ces élucidations testamentaires n'auront pas, pour leslecteursdecesMémoires, l'intérêtqu'ellesontpourmoi.Levieiloiseautombede la branche où il se réfugie; il quitte la vie pour la mort. Entraîné par lecourant,iln'afaitquechangerdefleuve.[LienverslaTabledesMatières]

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LIVREXIV[193]Flagorneriesdesjournaux.—LespremierscollèguesdeM.dePolignac.—Expéditiond'Alger.—Ouverturedelasessionde1830.—Adresse.— La Chambre est dissoute. — Nouvelle Chambre. — Je pars pourDieppe. — Ordonnances du 25 juillet. — Je reviens à Paris. —Réflexions pendant ma route. — Lettre à madame Récamier. —Révolutiondejuillet.—M.Baude,M.deChoiseul,M.deSémonville,M.deVitrolles,M.LaffitteetM.Thiers.—J'écrisauroiàSaint-Cloud.Saréponseverbale.—Corpsaristocratiques.—PillagedelamaisondesMissionnaires, rue d'Enfer. — Chambre des Députés. — M. deMortemart.—CoursedansParis.—LegénéralDubourg.—Cérémoniefunèbre. — Sous la colonnade du Louvre. — Les jeunes gens merapportentàlaChambredesPairs.—Réuniondespairs.

Quandleshirondellesapprochentdumomentdeleurdépart,ilyenaunequis'envole la première pour annoncer le passage prochain des autres: j'étais lapremière aile qui devançait le dernier vol de la légitimité. Les éloges dontm'accablaient les journaux me charmaient-ils? pas le moins du monde.Quelques-uns demes amis croyaientme consoler enm'assurant que j'étais aumomentdedevenirpremierministre;quececoupdepartiejouésifranchementdécidait de mon avenir: ils me supposaient de l'ambition dont je n'avais pasmême legerme. Jenecomprendspasqu'unhommequiavécuseulementhuitjoursavecmoinesesoitpasaperçudemonmanque totaldecettepassion,aurestefortlégitime,laquellefaitqu'onpoussejusqu'auboutlacarrièrepolitique.Je guettais toujours l'occasion de me retirer: si j'étais tant passionné pourl'ambassadedeRome,c'estprécisémentparcequ'ellenemenaitàrien,etqu'elleétaituneretraitedansuneimpasse.

Enfin,j'avaisaufonddelaconscienceunecertainecrainted'avoirdéjàpoussétroploinl'opposition;j'enallaisforcémentdevenirlelien,lecentreetlepointdemire:j'enétaiseffrayé,etcettefrayeuraugmentaitlesregretsdutranquilleabriquej'avaisperdu.

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Quoiqu'ilensoit,onbrûlaitforceencensdevantl'idoledeboisdescenduedeson autel. M. de Lamartine, nouvelle et brillante illustration de la France,m'écrivaitausujetdesacandidatureàl'Académie[194],etterminaitainsisalettre:

«M.deLaNoue,quivientdepasserquelquesmomentschezmoi,m'aditqu'ilvousavaitlaisséoccupantvosnoblesloisirsàéleverunmonumentàlaFrance.Chacunedevosdisgrâcesvolontaires et courageusesapporteraainsi son tributd'estimeàvotrenom,etdegloireàvotrepays.»

Cettenoblelettredel'auteurdesMéditationspoétiquesfutsuiviedecelledeM.deLacretelle[195].Ilm'écrivaitàsontour:

«Quel moment ils choisissent pour vous outrager, vous l'homme dessacrifices, vous à qui les belles actions ne coûtent pas plus que les beauxouvrages!Votredémissionetlaformationdunouveauministèrem'avaientparud'avance deux événements liés. Vous nous avez familiarisés aux actes dedévouement,commeBonapartenousfamiliarisaitaveclavictoire;maisilavait,lui,beaucoupdecompagnons,etvousnecomptezpasbeaucoupd'imitateurs.»

Deuxhommesfortlettrésetécrivainsd'ungrandmérite,M.AbelRémusat[196]etM.Saint-Martin[197],avaientseulsalorslafaiblessedes'élevercontremoi;ilsétaient attachés à M. le baron de Damas. Je conçois qu'on soit un peu irritécontrecesgensquiméprisent lesplaces;cesont làdeces insolencesqu'onnedoitpastolérer.

M. Guizot lui-même daigna visiter ma demeure; il crut pouvoir franchirl'immensedistancequelanatureamiseentrenous;enm'abordant,ilmeditcesparoles pleines de tout ce qu'il se devait: «Monsieur, c'est bien différentaujourd'hui!» Dans cette année 1829,M. Guizot eut besoin de moi pour sonélection;j'écrivisauxélecteursdeLisieux,ilfutnommé[198];M.deBrogliem'enremerciaparcebillet:

«Permettez-moidevousremercier,monsieur,delalettrequevousavezbienvoulum'adresser. J'en ai fait l'usageque j'en devais faire, et je suis convaincuque, comme tout ce qui vient de vous, elle portera ses fruits et des fruitssalutaires.Pourmapart, j'ensuisaussi reconnaissantques'il s'agissaitdemoi-même,cariln'estaucunévénementauqueljesoisplusidentifiéetquim'inspireunplusvifintérêt.»

LesjournéesdejuilletayanttrouvéM.Guizotdéputé,ilenestrésultéqueje

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suisdevenuenpartielacausedesonélévationpolitique:laprièredel'humbleestquelquefoisécoutéeduciel.

Lespremiers collèguesdeM.dePolignac furentMM.deBourmont[199],deLaBourdonnaye,deChabrol,Courvoisier[200]etMontbel[201].Le17juin1815,étantàGandetdescendantdechez le roi, je rencontraiaubasde l'escalierunhomme en redingote et en bottes crottées, quimontait chez SaMajesté.À saphysionomiespirituelle,à sonnez fin,à sesbeauxyeuxdouxdecouleuvre, jereconnus le généralBourmont; il avait déserté l'arméedeBonaparte le 15.LecomtedeBourmontestunofficierdemérite,habileàsetirerdespasdifficiles;maisundeceshommesqui,misenpremièreligne,voientlesobstaclesetnelespeuventvaincre,faitsqu'ilssontpourêtreconduits,nonpourconduire:heureuxdanssesfils,Algerluilaisseraunnom.

Le comte de La Bourdonnaye, jadis mon ami, est bien le plus mauvaiscoucheurquifutoncques:ilvouslâchedesruades,sitôtquevousapprochezdelui; il attaque les orateurs à laChambre, comme ses voisins à la campagne; ilchicanesuruneparole,commeilfaitunprocèspourunfossé.Lematinmêmedujouroùjefusnomméministredesaffairesétrangères,ilvintmedéclarerqu'ilrompaitavecmoi:j'étaisministre.Jerisetjelaissaiallermamégèremasculine,qui,riantelle-même,avaitl'aird'unechauve-souriscontrariée[202].

M.deMontbel,ministred'aborddel'instructionpublique,remplaçaM.deLaBourdonnaye à l'intérieur quand celui-ci se fut retiré, et M. de Guernon-Ranville[203]suppléaM.deMontbelàl'instructionpublique.

Desdeuxcôtésonsepréparaitàlaguerre:lepartiduministèrefaisaitparaîtredes brochures ironiques contre le Représentatif; l'opposition s'organisait etparlait de refuser l'impôt en cas de violation de la charte. Il se forma uneassociation publique pour résister au pouvoir, appelée l'Associationbretonne[204]:mes compatriotes ont souvent pris l'initiative dans nos dernièresrévolutions; il y a dans les têtes bretonnes quelque chose des vents quitourmententlesrivagesdenotrepéninsule.

Un journal,composédans lebutavouéderenverser l'anciennedynastie[205],vintéchauffer lesesprits.Le jeuneetbeau libraireSautelet[206]poursuivide lamanie du suicide, avait eu plusieurs fois l'envie de rendre samort utile à sonparti par quelque coup d'éclat; il était chargé du matériel de la feuille

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républicaine:MM.Thiers,MignetetCarrelenétaientlesrédacteurs.LepatronduNational,M. le prince de Talleyrand, n'apportait pas un sou à la caisse; ilsouillait seulement l'esprit du journal en versant au fonds commun soncontingentdetrahisonetdepourriture.JereçusàcetteoccasionlebilletsuivantdeM.Thiers:

Monsieur,

«Nesachantsileserviced'unjournalquidébuteseraexactementfait,jevousadresselepremiernuméroduNational.Tousmescollaborateurss'unissentàmoipourvousprierdevouloirbienvousconsidérer,noncommesouscripteur,maiscommenotre lecteurbénévole.Sidanscepremierarticle,objetdegrandsoucipour moi, j'ai réussi à exprimer des opinions que vous approuviez, je serairassuréetcertaindemetrouverdansunebonnevoie.

«Recevez,monsieur,meshommages

«A.THIERS.»

JereviendraisurlesrédacteursduNational;jediraicommentjelesaiconnus;maisdès à présent je doismettre à partM.Carrel: supérieur àMM.Thiers etMignet, il avait la simplicité de se regarder, à l'époque où jeme liai avec lui,commevenantaprèslesécrivainsqu'ildevançait:ilsoutenaitavecsonépéelesopinionsquecesgensdeplumedégainaient.

Pendantqu'onsedisposait aucombat, lespréparatifsde l'expéditiond'Algers'achevaient. Le général Bourmont, ministre de la guerre, s'était fait nommerchefdecetteexpédition:voulut-ilsesoustraireàlaresponsabilitéducoupd'Étatqu'il sentait venir? Cela serait assez probable, d'après ses antécédents et safinesse;mais ce fut unmalheur pour CharlesX. Si le général s'était trouvé àParis lorsde lacatastrophe, leportefeuillevacantduministèrede laguerreneseraitpastombéauxmainsdeM.dePolignac.Avantdefrapperlecoup,danslecasoùilyeûtconsenti,M.deBourmonteûtsansdouterassembléàParistoutela garde royale; il aurait préparé l'argent et les vivres nécessaires pour que lesoldatnemanquâtderien.

Notremarine,ressuscitéeaucombatdeNavarin,sortitdecesportsdeFrance,

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naguèresiabandonnés.Laradeétaitcouvertedenaviresquisaluaientlaterreens'éloignant. Des bateaux à vapeur, nouvelle découverte du génie de l'homme,allaientetvenaientportantdesordresd'unedivisionàl'autre,commedessirènesoucommelesaidesdecampdel'amiral.LeDauphinsetenaitsurlerivage,oùtoutes lespopulationsde lavilleetdesmontagnesétaientdescendues: lui,qui,aprèsavoirarrachésonparentleroid'Espagneauxmainsdesrévolutions,voyaitseleverlejourparquilachrétientédevaitêtredélivrée,aurait-ilpusecroiresiprèsdesanuit[207]?

Ils n'étaient plus ces temps où Catherine de Médicis sollicitait du Turcl'investituredelaprincipautéd'AlgerpourHenriIII,nonencoreroidePologne!Algerallaitdevenirnotrefilleetnotreconquête,sanslapermissiondepersonne,sansquel'Angleterreosâtnousempêcherdeprendrecechâteaudel'Empereur,qui rappelaitCharles-Quint et le changementde sa fortune.C'était unegrandejoie et un grandbonheur pour les spectateurs français assemblés de saluer, dusalutdeBossuet,lesgénéreuxvaisseauxprêtsàrompredeleurprouelachaînedesesclaves;victoireagrandieparcecridel'aigledeMeaux,lorsqu'ilannonçaitlesuccèsdel'aveniraugrandroi,commepourleconsolerunjourdanssatombedeladispersiondesarace:

«Tucéderasoututomberassouscevainqueur,Alger,richedesdépouillesdela chrétienté.Tudisais en toncœur avare: Je tiens lamer sousmes lois et lesnations sontmaproie.La légèretéde tesvaisseaux tedonnaitde laconfiance,maistuteverrasattaquédanstesmuraillescommeunoiseauravissantqu'oniraitchercherparmisesrochersetdanssonnid,oùilpartagesonbutinàsespetits.Turendsdéjàtesesclaves.Louisabrisélesfersdonttuaccablaissessujets,quisontnéspourêtrelibressoussonglorieuxempire.Lespilotesétonnéss'écrientparavance:QuiestsemblableàTyr?Ettoutefoiselles'esttuedanslemilieudelamer.[208]»

Paroles magnifiques, n'avez-vous pu retarder l'écroulement du trône? Lesnationsmarchentàleursdestinées;àl'instardecertainesombresduDante,illeurestimpossibledes'arrêter,mêmedanslebonheur.

Cesvaisseaux,quiapportaientlalibertéauxmersdelaNumidie,emportaientlalégitimité;cetteflottesouspavillonblanc,c'étaitlamonarchiequiappareillait,s'éloignant des ports où s'embarqua saint Louis, lorsque la mort l'appelait àCarthage.Esclavesdélivrésdesbagnesd'Alger,ceuxquivousontrendusàvotrepaysontperduleurpatrie;ceuxquivousontarrachésàl'exiléternelsontexilés.

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Lemaîtredecettevasteflottea traversé lamersurunebarqueenfugitif,et laFrancepourraluidirecequeCornéliedisaitàPompée:«C'estbienuneœuvredema fortune, nonpas de la tienne, que je te voismaintenant réduit à une seulepauvrepetitenave,làoùtuvouloiscingleraveccinqcentsvoiles.»

Parmicette foulequi,au rivagedeToulon,suivaitdesyeux la flottepartantpour l'Afrique,n'avais-jepasdesamis?M.duPlessix[209], frèredemonbeau-frère,nerecevait-ilpasàsonbordunefemmecharmante,madameLenormant,qui attendait le retourde l'amideChampollion[210]?Qu'est-il résultédecevolexécutéenAfriqueàtired'aile?ÉcoutonsM.dePenhoen[211],moncompatriote:«Deux mois ne s'étaient pas écoulés depuis que nous avions vu ce mêmepavillon flotter en facede cesmêmes rivages au-dessusde cinq centsnavires.Soixantemillehommesétaientalorsimpatientsdel'allerdéployersurlechampde bataille de l'Afrique. Aujourd'hui, quelques malades, quelques blessés setraînantpéniblement sur lepontdenotre frégate, étaient sonuniquecortège....Aumomentoùlagardepritlesarmespoursaluercommedecoutumelepavillonà son ascension ou à sa chute, toute conversation cessa sur le pont. Je medécouvrisavecautantderespectquej'eussepulefairedevant levieuxroi lui-même. Je m'agenouillai au fond du cœur devant la majesté des grandesinfortunesdontjecontemplaistristementlesymbole.[212]»

Lasessionde1830s'ouvritle2mars.Lediscoursdutrônefaisaitdireauroi:«Sidecoupablesmanœuvressuscitentàmongouvernementdesobstaclesquejenepeuxpas,quejeneveuxpasprévoir,jetrouverailaforcedelessurmonter.»CharlesXprononçacesmotsdutond'unhommequi,habituellementtimideetdoux,setrouveparhasardencolère,s'animeausondesavoix:pluslesparolesétaientfortes,pluslafaiblessedesrésolutionsapparaissaitderrière[213].

L'adresseenréponsefutrédigéeparMM.ÉtienneetGuizot.Elledisait:«Sire,lacharteconsacrecommeundroitl'interventiondupaysdansladélibérationdesintérêtspublics.Cetteinterventionfaitduconcourspermanentdesvuesdevotregouvernementaveclesvœuxdupeuplelaconditionindispensabledelamarcherégulière des affaires publiques. Sire, notre loyauté, notre dévouement, nouscondamnentàvousdirequeceCONCOURSN'EXISTEPAS.»

L'adresse fut votée à lamajorité de deux cent vingt et une vois contre centquatre-vingt-une. Un amendement deM. de Lorgeril[214] faisait disparaître laphrase sur le refus du concours. Cet amendement n'obtint que vingt-huit

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suffrages.Silesdeuxcentvingtetunavaientpuprévoirlerésultatdeleurvote,l'adresseeûtétérejetéeàuneimmensemajorité.PourquoilaProvidencenelève-t-ellepasquelquefoisuncoinduvoilequicouvrel'avenir!Elleendonne,ilestvrai,unpressentimentàcertainshommes;maisilsn'yvoientpasassezclairpourbiens'assurerdelaroute;ilscraignentdes'abuser,ou,s'ilss'aventurentdansdesprédictionsquis'accomplissent,onne lescroitpas.Dieun'écartepoint lanuéedu fond de laquelle il agit; quand il permet de grands maux, c'est qu'il a degrands desseins; desseins étendus dans un plan général, déroulés dans unprofondhorizonhorsdelaportéedenotrevueetdel'atteintedenosgénérationsrapides.

Leroi,enréponseàl'adresse,déclaraquesarésolutionétaitimmuable,c'est-à-direqu'ilne renverraitpasM.dePolignac.Ladissolutionde laChambrefutrésolue:MM.dePeyronnetetdeChantelauzeremplacèrentMM.deChabroletCourvoisier,quiseretirèrent;M.Capellefutnomméministreducommerce[215].Onavaitautourdesoivingthommescapablesd'êtreministres;onpouvaitfairerevenir M. de Villèle; on pouvait prendre M. Casimir Périer et le généralSébastiani.J'avaisdéjàproposéceux-ciauroi,lorsque,aprèslachutedeM.deVillèle, l'abbé Frayssinous fut chargé de m'offrir le ministère de l'instructionpublique. Mais non; on avait horreur des gens capables. Dans l'ardeur qu'onressentaitpourlanullité,onchercha,commepourhumilierlaFrance,cequ'elleavait depluspetit afinde lemettre à sa tête.Onavait déterréM.GuernondeRanville,quipourtantsetrouvalepluscourageuxdelabandeignorée[216],etleDauphinavaitsuppliéM.deChantelauzedesauverlamonarchie[217].

L'ordonnance de dissolution convoqua les collèges d'arrondissement pour le23juin1830,et lescollègesdedépartementpour le3de juillet[218],vingt-septjoursseulementavantl'arrêtdemortdelabrancheaînée.

Les partis, fort animés, poussaient tout à l'extrême: les ultra-royalistesparlaientdedonnerladictatureàlacouronne;lesrépublicainssongeaientàuneRépubliqueavecunDirectoireousousuneConvention.LaTribune[219],journalde ce parti, parut, et dépassa le National. La grandemajorité du pays voulaitencorelaroyautélégitime,maisavecdesconcessionset l'affranchissementdesinfluences de cour; toutes les ambitions étaient éveillées, et chacun espéraitdevenirministre:lesoragesfontéclorelesinsectes.

Ceux qui voulaient forcer Charles X à devenir monarque constitutionnelpensaient avoir raison. Ils croyaient des racines profondes à la légitimité; ils

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avaientoubliélafaiblessedel'homme;laroyautépouvaitêtrepressée,leroinelepouvaitpas:l'individunousaperdus,nonl'institution.

LesdéputésdelanouvelleChambreétaientarrivésàParis:surlesdeuxcentvingt etun,deuxcentdeuxavaient été réélus; l'oppositioncomptaitdeuxcentsoixante-dixvoix;leministèrecentquarante-cinq:lapartiedelacouronneétaitdoncperdue.Lerésultatnaturelétaitlaretraiteduministère:CharlesXs'obstinaàtoutbraver,etlecoupd'Étatfutrésolu.

JepartispourDieppele26juillet,àquatreheuresdumatin,lejourmêmeoùparurent lesordonnances.J'étaisassezgai, toutcharméd'aller revoir lamer,etj'étaissuivi,àquelquesheuresdedistance,paruneffroyableorage.Jesoupaietje couchai à Rouen sans rien apprendre, regrettant de ne pouvoir aller visiterSaint-Ouen, etm'agenouiller devant la belleVierge dumusée, enmémoire deRaphaëletdeRome.J'arrivailelendemain,27,àDieppe,versmidi.Jedescendisdans l'hôtel oùM. le comte deBoissy[220],mon ancien secrétaire de légation,m'avait arrêté un logement. Jem'habillai et j'allai cherchermadameRécamier.Elleoccupaitunappartementdontlesfenêtress'ouvraientsurlagrève.J'ypassaiquelques heures à causer et à regarder les flots. Voici tout à coup venirHyacinthe;ilm'apporteunelettrequeM.deBoissyavaitreçue,etquiannonçaitlesordonnancesavecdegrandséloges.Unmomentaprès,entremonancienamiBallanche;ildescendaitdeladiligenceettenaitenmainlesjournaux.J'ouvrisleMoniteur et je lus, sans en croire mes yeux, les pièces officielles. Encore ungouvernement qui, de propos délibéré, se jetait du haut des tours de Notre-Dame!JedisàHyacinthededemanderdeschevaux,afinderepartirpourParis.Jeremontaienvoiture,versseptheuresdusoir,laissantmesamisdansl'anxiété.Onavaitbien,depuisunmois,murmuréquelquechosed'uncoupd'État,maispersonnen'avait faitattentionàcebruit,quisemblaitabsurde.CharlesXavaitvécudesillusionsdutrône:ilseformeautourdesprincesuneespècedemiragequilesabuseendéplaçantl'objetetenleurfaisantvoirdanslecieldespaysageschimériques.

J'emportaileMoniteur.Aussitôtqu'ilfitjour,le28,jelus,relusetcommentailesordonnances.Lerapportauroiservantdeprolégomènesmefrappaitdedeuxmanières:lesobservationssurlesinconvénientsdelapresseétaientjustes;mais,en même temps, l'auteur de ces observations[221] montrait une ignorancecomplètedel'étatdelasociétéactuelle.Sansdoutelesministres,depuis1814,àquelque opinion qu'ils aient appartenu, ont été harcelés par les journaux; sans

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doute la presse tend à subjuguer la souveraineté, à forcer la royauté et lesChambresà luiobéir;sansdoute,dans lesderniers joursde laRestauration, lapresse,n'écoutantquesapassion,a,sanségardauxintérêtsetàl'honneurdelaFrance, attaqué l'expédition d'Alger, développé les causes, les moyens, lespréparatifs, les chances d'un non-succès; elle a divulgué les secrets del'armement, instruit l'ennemide l'étatdenos forces,compténos troupesetnosvaisseaux,indiquéjusqu'aupointdedébarquement.LecardinaldeRichelieuetBonaparte auraient-ils mis l'Europe aux pieds de la France, si l'on eût révéléainsi d'avance lemystère de leurs négociations, oumarqué les étapes de leursarmées?

Toutcelaestvraietodieux;mais le remède?Lapresseestunélément jadisignoré,uneforceautrefoisinconnue,introduitemaintenantdanslemonde;c'estla parole à l'état de foudre; c'est l'électricité sociale. Pouvez-vous faire qu'ellen'existepas?Plusvousprétendrezlacomprimer,plusl'explosionseraviolente.Ilfautdoncvousrésoudreàvivreavecelle,commevousvivezaveclamachineàvapeur.Ilfautapprendreàvousenservir,enladépouillantdesondanger,soitqu'elles'affaiblissepeuàpeuparunusagecommunetdomestique,soitquevousassimiliez graduellement vos mœurs et vos lois aux principes qui régirontdésormaisl'humanité.Unepreuvedel'impuissancedelapressedanscertainscasse tire du reprochemêmequevous lui faites à l'égardde l'expéditiond'Alger;vousl'avezpris,Alger,malgrélalibertédelapresse,demêmequej'aifaitfairelaguerred'Espagne,en1823,souslefeuleplusardentdecetteliberté.

Mais ce qui n'est pas tolérable dans le rapport des ministres, c'est cetteprétentioneffrontée,savoir:queleROIAUNPOUVOIRPRÉEXISTANTAUXLOIS.Que signifient alors les constitutions?pourquoi tromper les peuples pardes simulacres de garantie, si le monarque peut à son gré changer l'ordre dugouvernementétabli?Ettoutefoislessignatairesdurapportsontsipersuadésdece qu'ils disent, qu'à peine citent-ils l'article 14[222], au profit duquel j'avaisdepuislongtempsannoncéquel'onconfisqueraitlacharte;ilslerappellent,maisseulementpourmémoire,etcommeunesuperfétationdedroitdontilsn'avaientpasbesoin.

Lapremièreordonnanceétablit lasuppressiondelalibertédelapressedansses diverses parties; c'est la quintessence de tout ce qui s'était élaboré depuisquinzeansdanslecabinetnoirdelapolice.

La seconde ordonnance refait la loi d'élection. Ainsi, les deux premières

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libertés, la liberté de la presse et la liberté électorale, étaient radicalementextirpées:ellesl'étaient,nonparunacteiniqueetcependantlégal,émanéd'unepuissancelégislativecorrompue,maispardesordonnances,commeautempsdubonplaisir.Etcinqhommesquinemanquaientpasdebonsensseprécipitaient,avec une légèreté sans exemple, eux, leur maître, la monarchie, la France etl'Europe,dansungouffre.J'ignoraiscequisepassaitàParis.Jedésiraisqu'unerésistance, sans renverser le trône, eût obligé la couronne à renvoyer lesministresetàretirerlesordonnances.Danslecasoùcelles-cieussenttriomphé,j'étais résolu à ne pas m'y soumettre, à écrire, à parler contre ces mesuresinconstitutionnelles.

Si les membres du corps diplomatique n'influèrent pas directement sur lesordonnances, ils les favorisèrent de leurs vœux; l'Europe absolue avait notrecharte en horreur. Lorsque la nouvelle des ordonnances arriva à Berlin et àVienne, et que, pendant vingt-quatre heures, on crut au succès, M. Ancillons'écria que l'Europe était sauvée, et M. de Metternich témoigna une joieindicible.Bientôt,ayantapprislavérité,cedernierfutaussiconsternéqu'ilavaitétéravi:ildéclaraqu'ils'étaittrompé,quel'opinionétaitdécidémentlibérale,etils'accoutumaitdéjààl'idéed'uneconstitutionautrichienne.

Les nominations de conseillers d'État qui suivent les ordonnances de juilletjettent quelque jour sur les personnes qui, dans les antichambres, ont pu, parleursavisouparleurrédaction,prêteraideauxordonnances.Onyremarquelesnoms des hommes les plus opposés au système représentatif. Est-ce dans lecabinet même du roi, sous les yeux du monarque, qu'ont été libellés cesdocumentsfunestes?est-cedanslecabinetdeM.dePolignac?est-cedansuneréunion de ministres seuls, ou assistés de quelques bonnes têtesanticonstitutionnelles? est-ce sous les plombs, dansquelque séance secrètedesDix, qu'ont été minutés ces arrêts de juillet, en vertu desquels la monarchielégitimeaétécondamnéeàêtreétrangléesurlePontdesSoupirs?L'idéeétait-elle deM. de Polignac seul?C'est ce que l'histoire ne nous révélera peut-êtrejamais.

Arrivé à Gisors, j'appris le soulèvement de Paris, et j'entendis des proposalarmants;ilsprouvaientàquelpointlacharteavaitétépriseausérieuxparlespopulations de la France. À Pontoise, on avait des nouvelles plus récentesencore,maisconfusesetcontradictoires.ÀHerblay,pointdechevauxàlaposte.J'attendis près d'une heure.Onme conseilla d'éviter Saint-Denis, parce que jetrouveraisdesbarricades.ÀCourbevoie,lepostillonavaitdéjàquittésavesteà

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boutons fleurdelisés. On avait tiré le matin sur une calèche qu'il conduisait àParispar l'avenuedesChamps-Élysées.En conséquence, ilmedit qu'il nememènerait paspar cette avenue, et qu'il irait chercher, à droitede labarrièredel'Étoile,labarrièreduTrocadéro.DecettebarrièreondécouvreParis.J'aperçusledrapeau tricoloreflottant; je jugeaiqu'ilnes'agissaitpasd'uneémeute,maisd'une révolution. J'eus le pressentiment que mon rôle allait changer: qu'étantaccouru pour défendre les libertés publiques, je serais obligé de défendre laroyauté.Ils'élevaitçàetlàdesnuagesdefuméeblancheparmidesgroupesdemaisons.J'entendisquelquescoupsdecanonetdesfeuxdemousqueteriemêlésaubourdonnementdutocsin.IlmesemblaquejevoyaistomberlevieuxLouvreduhautduplateaudésertdestinéparNapoléonàl'emplacementdupalaisduroideRome.Lelieudel'observationoffraitunedecesconsolationsphilosophiquesqu'uneruineapporteàuneautreruine.

Ma voiture descendit la rampe. Je traversai le pont d'Iéna, et je remontail'avenuepavéequi longe leChampdeMars.Tout était solitaire. Je trouvai unpiquetdecavalerieplacédevantlagrilledel'Écolemilitaire;leshommesavaientl'air tristes et comme oubliés là.Nous prîmes le boulevard des Invalides et leboulevard du Mont-Parnasse. Je rencontrai quelques passants qui regardaientavecsurpriseunevoitureconduiteenpostecommedansuntempsordinaire.Leboulevardd'Enferétaitbarrépardesormeauxabattus.

Dansmarue[223],mesvoisinsmevirentarriveravecplaisir: jeleursemblaisune protection pour le quartier.Madame deChateaubriand était à la fois bienaiseetalarméedemonretour.

Lejeudimatin,29juillet,j'écrivisàmadameRécamier,àDieppe,cettelettreprolongéepardespost-scriptum:

«Jeudimatin,29juillet1830.

«Je vous écris sans savoir si ma lettre vous arrivera, car les courriers nepartentplus.

«Je suis entré dans Paris au milieu de la canonnade, de la fusillade et dutocsin. Cematin, le tocsin sonne encore, mais je n'entends plus les coups defusil; il paraît qu'on s'organise, et que la résistance continuera tant que lesordonnancesneserontpasrappelées.Voilà lerésultat immédiat(sansparlerdurésultat définitif) du parjure dont les ministres ont donné le tort, du moins

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apparent,àlacouronne!

«Lagardenationale, l'Écolepolytechnique, touts'enestmêlé. Jen'aiencorevu personne.Vous jugez dans quel état j'ai trouvémadame deChateaubriand.Lespersonnesqui,commeelle,ontvule10aoûtetle2septembre,sontrestéessousl'impressiondelaterreur.Unrégiment,le5edeligne,adéjàpasséducôtédelacharte.CertainementM.dePolignacestbiencoupable;sonincapacitéestunemauvaiseexcuse;l'ambitiondontonn'apaslestalentsestuncrime.OnditlacouràSaint-Cloud,etprêteàpartir.

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«Je ne vous parle pas de moi; ma position est pénible, mais claire. Je netrahiraipasplusleroiquelacharte,paspluslepouvoirlégitimequelaliberté.Jen'ai donc rien à dire et à faire; attendre et pleurer sur mon pays. Dieu saitmaintenantcequivaarriverdanslesprovinces;onparledéjàdel'insurrectiondeRouen.D'unautrecôté,lacongrégationarmeraleschouansetlaVendée.Àquoitiennent lesempires!Uneordonnanceetsixministressansgénieousansvertusuffisentpourfairedupaysleplustranquilleetleplusflorissantlepaysleplustroubléetleplusmalheureux.»

«Midi.

«Lefeurecommence.Ilparaîtqu'onattaqueleLouvre,oùlestroupesduroisesontretranchées.Lefaubourgquej'habitecommenceàs'insurger.Onparled'ungouvernement provisoire dont les chefs seraient le général Gérard, le duc deChoiseuletM.deLaFayette.

«Il estprobablequecette lettrenepartirapas,Paris étantdéclaréenétatdesiège.C'estlemaréchalMarmontquicommandepourleroi.Onledittué,maisjenelecroispas.Tâchezdenepastropvousinquiéter.Dieuvousprotège!Nousnousretrouverons!»

«Vendredi.

«Cette lettre était écrite d'hier; elle n'a pu partir. Tout est fini: la victoirepopulaireestcomplète:leroicèdesurtouslespoints;maisj'aipeurqu'onaillemaintenantbienaudelàdesconcessionsdelacouronne.J'aiécritcematinàSaMajesté.Ausurplus,j'aipourmonavenirunplancompletdesacrificesquimeplaît.Nousencauseronsquandvousserezarrivée.

«Jevaismoi-mêmemettrecettelettreàlaposteetparcourirParis.»

RÉVOLUTIONDEJUILLET.

JOURNÉEDU26.

Lesordonnances,datéesdu25juillet,furentinséréesdansleMoniteurdu26.

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Lesecretenavaitétésiprofondémentgardé,quenilemaréchalducdeRaguse,major général de la garde, de service, niM.Mangin[224], préfet de police, nefurent mis dans la confidence. Le préfet de la Seine[225] ne connut lesordonnance que par leMoniteur, de même que le sous-secrétaire d'État de laguerre[226];etnéanmoinsc'étaientcesdiverschefsquidisposaientdesdifférentesforcesarmées.LeprincedePolignac,chargéparintérimduportefeuilledeM.deBourmont, était si loin de s'occuper de cetteminime affaire des ordonnances,qu'ilpassalajournéedu26àprésideruneadjudicationauministèredelaguerre.

Le roi partit pour la chasse le 26, avant que leMoniteur fût arrivé à Saint-Cloud,etilnerevintdeRambouilletqu'àminuit.

EnfinleducdeRagusereçutcebilletdeM.dePolignac:

«VotreExcellenceaconnaissancedesmesuresextraordinairesqueleroi,danssa sagesse et son sentiment d'amour pour son peuple, a jugé nécessaire deprendrepourlemaintiendesdroitsdesacouronneetdel'ordrepublic.Danscesimportantescirconstances,SaMajestécomptesurvotrezèlepourassurerl'ordreetlatranquillitédanstoutel'étenduedevotrecommandement.»

Cetteaudacedeshommeslesplusfaiblesquifurentjamais,contrecetteforcequi allait broyer un empire, ne s'explique que par une sorte d'hallucination,résultatdesconseilsd'unemisérablecoteriequel'onnetrouvaplusaumomentdudanger.Lesrédacteursdesjournaux,aprèsavoirconsultéMM.Dupin,OdilonBarrot, Barthe et Mérilhou, se résolurent de publier leurs feuilles sansautorisation,afindesefairesaisiretdeplaiderl'illégalitédesordonnances.Ilsseréunirent au bureau du National: M. Thiers rédigea une protestation qui futsignée de quarante-quatre rédacteurs[227], et qui parut, le 27 aumatin, dans leNationaletleTemps.

ÀlachutedujourquelquesdéputésseréunirentchezM.deLaborde[228].Onconvintdese retrouver le lendemainchezM.CasimirPérier.Làparut,pour lapremièrefois,undestroispouvoirsquiallaientoccuperlascène:lamonarchieétait à la Chambre des députés, l'usurpation au Palais-Royal, la République àl'HôteldeVille.Danslasoirée,ilseformadesrassemblementsauPalais-Royal;onjetadespierresàlavoituredeM.dePolignac.LeducdeRaguseayantvuleroiàSaint-Cloud,àsonretourdeRambouillet,leroiluidemandadesnouvellesdeParis:«Larenteesttombée.—Decombien?ditleDauphin.—Detroisfrancs,réponditlemaréchal.—Elleremontera,»répartitleDauphin;etchacuns'enalla.

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JOURNÉEDU27JUILLET

.

Lajournéedu27commençamal.LeroiinvestitducommandementdeParisleducdeRaguse:c'étaits'appuyersurlamauvaisefortune.Lemaréchalsevintinstalleràuneheureà l'état-majorde lagarde,placeduCarrousel.M.ManginenvoyasaisirlespressesduNational;M.Carrelrésista;MM.MignetetThiers,croyantlapartieperdue,disparurentpendantdeuxjours:M.Thiersallasecacherdans lavalléedeMontmorency, chezunemadamedeCourchamp[229],parentedesdeuxMM.Béquet[230],dontl'unatravailléauNational,etl'autreauJournaldesDébats.

Au Temps, la chose prit un caractère plus sérieux: le véritable héros desjournalistesestincontestablementM.Coste.

En 1823, M. Coste dirigeait les Tablettes historiques[231]: accusé par sescollaborateursd'avoirvenduce journal, il sebattit et reçutuncoupd'épée.M.Coste[232]mefutprésentéauministèredesaffairesétrangères;encausantavecluidelalibertédelapresse,jeluidis:«Monsieur,voussavezcombienj'aimeetrespecte cette liberté;mais comment voulez-vous que je la défende auprès deLouisXVIII,quandvousattaqueztouslesjourslaroyautéetlareligion!Jevoussupplie,dansvotreintérêtetpourmelaissermaforceentière,deneplussaperdes remparts aux trois quarts démolis, et qu'en vérité un homme de couragedevraitrougird'attaquer.Faisonsunmarché:nevousenprenezplusàquelquesvieillardsfaiblesqueletrôneetlesanctuaireprotègentàpeine;jevouslivreenéchangemapersonne.Attaquez-moisoiretmatin;ditesdemoitoutcequevousvoudrez,jamaisjenemeplaindrai;jevoussauraigrédevotreattaquelégitimeetconstitutionnellecontreleministre,enmettantàl'écartleroi.»

M.Costem'aconservédecetteentrevueunsouvenird'estime.

Uneparadeconstitutionnelleeut lieuaubureauduTempsentreM.Baudeetuncommissairedepolice[233].

Le procureur du roi de Paris[234] décerna quarante-quatremandats d'amenercontrelessignatairesdelaprotestationdesjournalistes.

Versdeuxheures,lafractionmonarchiquedelarévolutionseréunitchezM.Périer[235],commeonenétaitconvenulaveille:onneconclutrien.Lesdéputés

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s'ajournèrentaulendemain,28,chezM.AudrydePuyravault.M.CasimirPérier,hommed'ordreetderichesse,nevoulaitpastomberdanslesmainspopulaires;ilnecessaitdenourrirencorel'espoird'unarrangementaveclaroyautélégitime;ilditvivementàM.deSchonen:«Vousnousperdezensortantdelalégalité;vousnousfaitesquitterunepositionsuperbe.»Cetespritdelégalitéétaitpartout;ilsemontra dans deux réunions opposées, l'une chez M. Cadet-Gassicourt, l'autrechez le généralGourgaud.M. Périer appartenait à cette classe bourgeoise quis'étaitfaitehéritièredupeupleetdusoldat.Ilavaitducourage,delafixitédanslesidées;ilsejetabravemententraversdutorrentrévolutionnairepourlebarrer;maissasantépréoccupaittropsavie,etilsoignaittropsafortune.«Quevoulez-vous faire d'un homme,me disaitM.Decazes, qui regarde toujours sa languedansuneglace?»

La foule augmentant et commençant à paraître en armes, l'officier de lagendarmerievintavertirlemaréchaldeRagusequ'iln'avaitpasassezdemondeetqu'ilcraignaitd'êtreforcé:alorslemaréchalfitsesdispositionsmilitaires.

Le 27, il était déjà quatre heures et demie du soir, lorsqu'on reçut dans lescasernes l'ordre de prendre les armes. La gendarmerie de Paris, appuyée dequelquesdétachementsdelagarde,essayaderétablirlacirculationdanslesruesRichelieu etSaint-Honoré.Unde cesdétachements fut assailli, dans la rueduDuc-de-Bordeaux[236],d'unegrêledepierres.Lechefdecedétachementévitaitde tirer, lorsqu'un coup parti de l'Hôtel Royal, rue des Pyramides, décida laquestion: il se trouvaqu'unM.Folks,habitantdecethôtel, s'étaitarmédesonfusil de chasse, et avait fait feu sur la garde à travers sa fenêtre. Les soldatsrépondirent par une décharge sur lamaison, etM.Folks tombamort avec sesdeuxdomestiques.AinsicesAnglais,quiviventàl'abridansleurîle,vontporterlesrévolutionschezlesautres;vouslestrouvezmêlésdanslesquatrepartiesdumondeàdesquerellesquinelesregardentpas:pourvendreunepiècedecalicot,peuleurimportedeplongerunenationdanstouteslescalamités.QueldroitceM.Folksavait-ilde tirersurdessoldats français?Était-ce laconstitutionde laGrande-BretagnequeCharlesXavaitviolée?Siquelquechosepouvaitflétrirlescombatsdejuillet,ceseraitd'avoirétéengagésparlaballed'unAnglais[237].

Cespremierscombats,quidans la journéedu27n'avaientguèrecommencéquevers lescinqheuresdusoir,cessèrentavec le jour.Lesarmurierscédèrentleursarmesàlafoule,lesréverbèresfurentbrisésourestèrentsansêtreallumés;ledrapeautricoloresehissadanslesténèbresauhautdestoursdeNotre-Dame:l'envahissement des corps de garde, la prise de l'arsenal et des poudrières, le

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désarmementdesfusilierssédentaires,toutcelas'opérasansoppositionauleverdujourle28,ettoutétaitfiniàhuitheures.

Le parti démocratique et prolétaire de la révolution, en blouse ou demi-nu,étaitsouslesarmes;ilneménageaitpassamisèreetseslambeaux.Lepeuple,représentépardesélecteursqu'il s'étaitchoisisdansdiversattroupements,étaitparvenuàfaireconvoqueruneassembléechezM.Cadet-Gassicourt.

Le parti de l'usurpation ne semontrait pas encore: son chef, caché hors deParis,nesavaits'iliraitàSaint-CloudouauPalais-Royal.Lepartibourgeoisoude la monarchie, les députés, délibérait et répugnait à se laisser entraîner aumouvement.

M.dePolignacserenditàSaint-Cloudetfitsignerauroi,le28,àcinqheuresdumatin,l'ordonnancequimettaitParisenétatdesiège.

JOURNÉEMILITAIREDU28JUILLET.

Lesgroupess'étaientreformésle28plusnombreux;aucride:Vivelacharte!quise faisaitencoreentendresemêlaitdéjà lecrideVive la liberté!àbas lesBourbons! On criait aussi: Vive l'empereur! vive le prince Noir! mystérieuxprince des ténèbres qui apparaît à l'imagination populaire dans toutes lesrévolutions.Les souvenirs et lespassions étaientdescendus;onabattait et l'onbrûlaitlesarmesdeFrance;onlesattachaitàlacordedeslanternescassées;onarrachait lesplaquesfleurdeliséesdesconducteursdediligencesetdesfacteursdelaposte;lesnotairesretiraientleurspanonceaux,leshuissiersleursrouelles,lesvoituriersleursestampilles,lesfournisseursdelacourleursécussons.Ceuxqui jadis avaient recouvert les aigles napoléoniennes peintes à l'huile de lisbourboniensdétrempésàlacollen'eurentbesoinqued'uneépongepournettoyerleur loyauté: avec un peu d'eau on efface aujourd'hui la reconnaissance et lesempires.

LemaréchaldeRaguseécrivitauroiqu'ilétaiturgentdeprendredesmoyensde pacification, et que demain, 29, il serait trop tard.Un envoyé du préfet depoliceétaitvenudemanderaumaréchals'ilétaitvraiqueParisfûtdéclaréenétatde siège: le maréchal, qui n'en savait rien, parut étonné; il courut chez leprésidentduconseil; ilytrouvalesministresassemblés[238],etM.dePolignaclui remit l'ordonnance. Parce que l'hommequi avait foulé lemonde aux piedsavaitmisdesvillesetdesprovincesenétatdesiège,CharlesXavaitcrupouvoir

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l'imiter. Les ministres déclarèrent au maréchal qu'ils allaient venir s'établir àl'état-majordelagarde.

Aucun ordre n'étant arrivé de Saint-Cloud, à neuf heures du matin, le 28,lorsqu'iln'étaitplustempsdetoutgarder,maisdetoutreprendre,lemaréchalfitsortirdescaserneslestroupesquis'étaientdéjàenpartiemontréeslaveille.Onn'avaitprisaucuneprécautionpourfairearriverdesvivresauCarrousel,quartiergénéral. La manutention, qu'on avait oublié de faire suffisamment garder, futenlevée.M.leducdeRaguse,hommed'espritetdemérite,bravesoldat,savant,maismalheureuxgénéral,prouvapourlamillièmefoisqu'ungéniemilitaireestinsuffisantauxtroublescivils:lepremierofficierdepoliceeûtmieuxsucequ'ilyavaitàfairequelemaréchal.Peut-êtreaussisonintelligencefut-elleparalyséeparsessouvenirs;ilrestacommeétouffésouslepoidsdelafatalitédesonnom.

Le maréchal qui n'avait qu'une poignée d'hommes, conçut un plan pourl'exécution duquel il lui aurait fallu trentemille soldats. Des colonnes étaientdésignéespourdegrandesdistances,tandisqu'uneautres'empareraitdel'Hôtelde Ville. Les troupes, après avoir achevé leur mouvement pour faire régnerl'ordrede toutesparts,devaientconvergerà lamaisoncommune.LeCarrouseldemeurait le quartier général: les ordres en sortaient, et les renseignements yaboutissaient.UnbataillondeSuisses,pivotantsurlemarchédesInnocents,étaitchargé d'entretenir la communication entre les forces du centre et celles quicirculaientàlacirconférence.LessoldatsdelacasernePopincourts'apprêtaientpardifférentsrameauxàdescendresur lespointsoùilspouvaientêtreappelés.LegénéralLatour-Maubourg[239] était logéaux Invalides.Quand ilvit l'affairemalengagée,ilproposaderecevoirlesrégimentsdansl'édificedeLouisXIV;ilassuraitqu'illespouvaitnourrir,etdéfiaitlesParisiensdeleforcer.Iln'avaitpasimpunément laissé sesmembres sur les champs de bataille de l'Empire, et lesredoutes de Borodino savaient qu'il tenait parole. Mais qu'importaientl'expérienceetlecouraged'unvétéranmutilé?Onn'écoutapointsesconseils.

UnSalon.

SouslecommandementducomtedeSaint-Chamans[240],lapremièrecolonnedelagardepartitdelaMadeleinepoursuivrelesboulevardsjusqu'àlaBastille.Dès les premiers pas, un peloton que commandait M. Sala[241] fut attaqué;l'officier royaliste repoussa vivement l'attaque. À mesure qu'on avançait, lespostesdecommunicationlaisséssurlaroute,tropfaiblesettropéloignéslesunsdes autres, étaient coupés par le peuple et séparés les uns des autres par des

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abatisd'arbresetdesbarricades.IlyeutuneaffairesanglanteauxportesSaint-DenisetSaint-Martin.M.deSaint-Chamans,passantsurlethéâtredesexploitsfutursdeFieschi,rencontra,àlaplacedelaBastille,desgroupesnombreuxdefemmes et d'hommes. Il les invita à se disperser, en leur distribuant quelqueargent[242];maisonnecessaitdetirerdesmaisonsenvironnantes.Ilfutobligéderenoncer à rejoindre l'Hôtel de Ville par la rue Saint-Antoine, et, après avoirtraversé lepontd'Austerlitz, il regagna leCarrousel le longdesboulevardsdusud.TurennedevantlaBastillenonencoredémolieavaitétéplusheureuxpourlamèredeLouisXIVenfant.

La colonne chargée d'occuper l'Hôtel de Ville[243] suivit les quais desTuileries,duLouvreetdel'École,passalamoitiéduPont-Neuf,pritlequaidel'Horloge, le Marché-aux-Fleurs, et se porta à la place de Grève par le pontNotre-Dame.Deuxpelotonsde la garde firent unediversion en filant jusqu'aunouveaupont suspendu.Unbataillondu15e léger appuyait la garde, et devaitlaisserdeuxpelotonssurleMarché-aux-Fleurs.

On se battit au passage de la Seine sur le pont Notre-Dame. Le peuple,tambourentête,abordabravementlagarde.L'officierquicommandaitl'artillerieroyale fit observer à la masse populaire qu'elle s'exposait inutilement, et que,n'ayantpasde canons, elle serait foudroyée sans aucune chance de succès.Laplèbes'obstina;l'artilleriefitfeu.LessoldatsinondèrentlesquaisetlaplacedeGrève,oùdébouchèrentparlepontd'Arcoledeuxautrespelotonsdelagarde.Ilsavaientétéobligésdeforcerdesrassemblementsd'étudiantsdufaubourgSaint-Jacques.L'HôteldeVillefutoccupé.

Unebarricades'élevaitàl'entréedelarueduMouton:unebrigadedeSuissesemporta cette barricade; le peuple, se ruant des rues adjacentes, reprit sonretranchementavecdegrandscris.Labarricaderestafinalementàlagarde.

Dans tous ces quartiers pauvres et populaires, on combattit instantanément,sansarrière-pensée:l'étourderiefrançaise,moqueuse,insouciante,intrépide,étaitmontéeaucerveaudetous; lagloirea,pournotrenation, la légèretéduvindeChampagne.Lesfemmes,auxcroisées,encourageaientleshommesdanslarue;desbilletspromettaientlebâtondemaréchalaupremiercolonelquipasseraitaupeuple; des groupes marchaient au son d'un violon. C'étaient des scènestragiquesetbouffonnes,desspectaclesdetréteauxetdetriomphe:onentendaitdes éclats de rire et des jurements au milieu des coups de fusil, du sourdmugissementde la foule, à traversdesmassesde fumée.Piedsnus,bonnetde

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policeentête,descharretiersimprovisésconduisaient,avecunlaisser-passerdechefsinconnus,desconvoisdeblessésparmilescombattantsquiseséparaient.

Danslesquartiersrichesrégnaitunautreesprit.Lesgardesnationaux,ayantrepris les uniformes dont on les avait dépouillés, se rassemblaient en grandnombre à la mairie du 1er arrondissement pour maintenir l'ordre. Dans cescombats,lagardesouffraitplusquelepeuple,parcequ'elleétaitexposéeaufeudes ennemis invisibles qui étaient dans les maisons. D'autres nommeront lesvaillantsdessalonsqui,reconnaissantdesofficiersdelagarde,s'amusaientàlesabattre,ensûretéqu'ilsétaientderrièreunvoletouunecheminée.Danslarue,l'animositédel'hommedepeineoudusoldatn'allaitpasaudelàducoupporté:blessé,onsesecouraitmutuellement.Lepeuplesauvaplusieursvictimes.Deuxofficiers,M.deGoyonetM.Rivaux,aprèsunedéfensehéroïque,durentlavieàlagénérositédesvainqueurs.Uncapitainedelagarde,Kaumann,reçoituncoupdebarredefersurlatête:étourdietlesyeuxsanglants,ilrelèveavecsonépéelesbaïonnettesdesessoldatsquimettaientenjouel'ouvrier.

La garde était remplie des grenadiers de Bonaparte. Plusieurs officiersperdirentlavie,entreautreslelieutenantNoirot,d'unebravoureextraordinaire,quiavaitreçuduprinceEugènelacroixdelaLégiond'honneur,en1813,pourun fait d'armes accompli dans une des redoutes de Caldiera. Le colonel dePleineselve,blessémortellementàlaporteSaint-Martin,avaitétéauxguerresdel'Empire,enHollande,enEspagne,àlagrandearméeetdanslagardeimpériale.ÀlabatailledeLeipzig,ilfitprisonnierdesapropremainlegénéralautrichienMerfeld.Portéparsessoldatsàl'hôpitalduGros-Caillou,ilnevoulutêtrepanséqueledernierdesblessésdejuillet.LedocteurLarrey,quil'avaitrencontrésurd'autreschampsdebataille,luiamputalacuisse;ilétaittroptardpourlesauver.Heureux ces nobles adversaires, qui avaient vu tant de boulets passer sur leurtête, s'ils ne succombèrent pas sous la balle de quelques-uns de ces forçatslibérésquelajusticearetrouvésdepuislavictoiredanslesrangsdesvainqueurs!Ces galériens n'ont pu polluer le triomphe national républicain; ils n'ont éténuisiblesqu'àlaroyautédeLouis-Philippe.Ainsis'abîmèrentobscurémentdansles rues de Paris les restes de ces soldats fameux, échappés au canon de laMoskowa, de Lutzen et de Leipzig: nous massacrions, sous Charles X, cesbravesquenousavions tant admirés sousNapoléon. Ilne leurmanquaitqu'unhomme:cethommeavaitdisparuàSainte-Hélène.

Automberdelanuit,unsous-officierdéguisévintapporterl'ordreauxtroupesde l'Hôtel de Ville de se replier sur les Tuileries. La retraite était rendue

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hasardeuse à cause des blessés que l'on ne voulait pas abandonner, et del'artilleriedifficileàpasserà travers lesbarricades.Elles'opéracependantsansaccident. Lorsque les troupes revinrent des différents quartiers de Paris, ellescroyaientleroietledauphinarrivésdeleurcôtécommeelles:cherchantenvaindesyeux le drapeaublanc sur le pavillonde l'Horloge, elles firent entendre lelangageénergiquedescamps.

Iln'estpasvrai,commeonlevoit,quel'HôteldeVilleaitétéprisparlagardesur lepeuple,et repris sur lagardepar lepeuple.Quand lagardeyentra,ellen'éprouvaaucunerésistance,cariln'yavaitpersonne,lepréfetmêmeétaitparti.Cesvantancesaffaiblissentetfontmettreendoutelesvraispérils.Lagardefutmal engagée dans des rues tortueuses; la ligne, par son espèce de neutralitéd'abord,etensuiteparsadéfection,achevalemalquedesdispositionsbellesenthéorie,mais peu exécutables en pratique, avaient commencé.Le 50e de ligneétaitarrivépendantlecombatàl'HôteldeVille;harassédefatigue,onsehâtadeleretirerdansl'enceintedel'hôtel,etilprêtaàdescamaradesépuiséssesentièresetinutilescartouches.

Le bataillon suisse resté au marché des Innocents fut dégagé par un autrebataillon suisse: ils vinrent l'un et l'autre aboutir au quai de l'École, etstationnèrentdansleLouvre.

Au reste, les barricades sont des retranchements qui appartiennent au génieparisien: on les retrouve dans tous nos troubles, depuisCharlesV jusqu'à nosjours.

«Lepeuplevoyantcesforcesdisposéesparlesrues,ditL'Estoile,commençaàs'esmouvoir,etsefirentlesbarricadesenlamanièrequetoussçavent:plusieursSuisses furent tués, qui furent enterrés enune fosse faicte auparvis deNotre-Dame;leducdeGuysepassantpar lesrues,c'estoitàquicrieroit leplushaut:ViveGuyse!etlui,baissantsongrandchapeau,leurdict:Mesamis,c'estassez;messieurs,c'esttrop;criezviveleroi!»

Pourquoinosdernièresbarricades,dontlerésultataétépuissant,gagnent-ellessi peu à être racontées, tandis que les barricades de 1588, qui ne produisirentpresquerien,sontsiintéressantesàlire?Celatientàladifférencedessièclesetdes personnages: le XVIe siècle menait tout devant lui; le XIXe a laissé toutderrière:M.dePuyravaultn'estpasencoreleBalafré.

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JOURNÉECIVILEDU28JUILLET.

Durant qu'on livrait ces combats, la révolution civile et politique suivaitparallèlement larévolutionmilitaire.Lessoldatsdétenusà l'Abbayefurentmisen liberté; les prisonniers pour dettes, à Sainte-Pélagie, s'échappèrent, et lescondamnéspourfautespolitiquesfurentélargis:unerévolutionestunjubilé;elleabsoutdetouslescrimes,enenpermettantdeplusgrands.

Les ministres tinrent conseil à l'état-major: ils résolurent de faire arrêter,comme chefs du mouvement, MM. Laffitte, La Fayette, Gérard, Marchais,SalverteetAudrydePuyravault;lemaréchalendonnal'ordre;mais,quandplustardilsfurentdéputésverslui,ilnecrutpasdesonhonneurdemettresonordreàexécution.

Uneréuniondupartimonarchique,composéedepairsetdedéputés,avaiteulieu chezM.Guizot: le duc deBroglie s'y trouva;MM.Thiers etMignet, quiavaientreparu,etM.Carrel,quoiqueayantd'autresidées,s'yrendirent.Cefutlàquelepartidel'usurpationprononçalenomduducd'Orléanspourlapremièrefois[244].M.ThiersetM.Mignet,allèrentchezlegénéralSébastianiluiparlerduprince.Legénéralréponditd'unemanièreévasive;leducd'Orléans,assura-t-il,nel'avaitjamaisentretenudepareilsdesseinsetnel'avaitautoriséàrien.

Versmidi,toujoursdanslajournéedu28,laréuniongénéraledesdéputéseutlieu chez M. Audry de Puyravault[245]. M. de La Fayette, chef du partirépublicain,avaitrejointParisle27;M.Laffitte,chefdupartiorléaniste,n'arrivaque dans la nuit du 27 au 28; il se rendit au Palais-Royal, où il ne trouvapersonne;ilenvoyaàNeuilly:leroienherben'yétaitpas.

Chez M. de Puyravault, on discuta le projet d'une protestation contre lesordonnances.Cetteprotestation,plusquemodérée, laissaitentières lesgrandesquestions.

M.CasimirPérierfutd'avisdedépêcherversleducdeRaguse;tandisquelescinqdéputéschoisissepréparaientàpartir,M.Arago[246]étaitchezlemaréchal:ils'étaitdécidé,surunbilletdemadamedeBoigne,àdevancerlescommissaires.Il représenta aumaréchal la nécessité demettre un terme auxmalheurs de lacapitale.M.deRaguseallaprendrelanguechezM.dePolignac;celui-ci,instruitdel'hésitationdestroupes,déclaraquesiellespassaientaupeuple,ontireraitsurelles comme sur les insurgés. Le général de Tromelin[247] témoin de ces

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conversations, s'emporta contre le général d'Ambrugeac[248]. Alors arriva ladéputation. M. Laffitte porta la parole: «Nous venons, dit-il vous demanderd'arrêter l'effusion du sang. Si le combat se prolongeait, il entraînerait non-seulement les plus cruelles calamités, mais une véritable révolution.» Lemaréchal se renfermadansunequestiond'honneurmilitaire, prétendant que lepeupledevait,lepremier,cesserlecombat;ilajoutanéanmoinscepost-scriptumà une lettre qu'il écrivit au roi: «Je pense qu'il est urgent que Votre Majestéprofitesansretarddesouverturesquiluisontfaites.»

L'aidedecampduducdeRaguse,lecolonelKomierowski,introduitdanslecabinet du roi à Saint-Cloud, lui remit la lettre; le roi lui dit: «Je lirai cettelettre.»Lecolonelseretiraetattenditlesordres;voyantqu'ilsn'arrivaientpas,ilpriaM. leducdeDurasd'allerchez le roi lesdemander.Leduc réponditque,d'après l'étiquette, il luiétait impossibled'entrerdanslecabinet.Enfin,rappeléparleroi,M.Komierowskifutchargéd'enjoindreaumaréchaldetenirbon.

LegénéralVincent accourutde soncôté àSaint-Cloud; ayant forcé laportequ'onluirefusait,ilditauroiquetoutétaitperdu:«Moncher,réponditCharlesX,vousêtesunbongénéral,maisvousn'entendezrienàcela.»

JOURNÉEMILITAIREDU29JUILLET.

Le 29 vit paraître de nouveaux combattants: les élèves de l'Écolepolytechnique, en correspondance avec un de leurs anciens camarades, M.Charras[249], forcèrent la consigne et envoyèrent quatre d'entre eux, MM.Lothon,Berthelin,PinsonnièreetTourneux,offrirleursservicesàMM.Laffitte,PérieretLaFayette.Cesjeunesgens,distinguésparleursétudes,s'étaientdéjàfait connaître aux alliés, lorsque ceux-ci se présentèrent devantParis en 1814;danslestroisjours, ilsdevinrentleschefsdupeuple,quilesmitàsatêteavecuneparfaitesimplicité.Lesunsserendirentsurlaplacedel'Odéon,lesautresauPalais-RoyaletauxTuileries.

L'ordredujourpubliéle29aumatinoffensalagarde:ilannonçaitqueleroi,voulanttémoignersasatisfactionàsesbravesserviteurs,leuraccordaitunmoisetdemidepaye;inconvenancequelesoldatfrançaisressentit:c'étaitlemesurerà la taille de ces Anglais qui ne marchent pas ou s'insurgent, s'ils n'ont pastouchéleursolde.

Danslanuitdu28au29,lepeupledépavalesruesdevingtpasenvingtpas,

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etlelendemain,auleverdujour,ilyavaitquatremillebarricadesélevéesdansParis.

Le Palais-Bourbon était gardé par la ligne, le Louvre par deux bataillonssuisses,laruedelaPaix,laplaceVendômeetlarueCastiglioneparle5eetle53edeligne.IlétaitarrivédeSaint-Denis,deVersaillesetdeRueil,àpeuprèsdouzecentshommesd'infanterie.

La position militaire était meilleure: les troupes se trouvaient plusconcentrées, et il fallait traverser de grands espaces vides pour arriver jusqu'àelles. Le général Exelmans[250], qui jugea bien ces dispositions, vint à onzeheures mettre sa valeur et son expérience à la disposition du maréchal deRaguse, tandis que de son côté le général Pajol[251] se présentait aux députéspourprendrelecommandementdelagardenationale.

Lesministreseurentl'idéedeconvoquerlacourroyaleauxTuileries,tantilsvivaienthorsdumomentoùilssetrouvaient!Lemaréchalpressaitleprésidentduconseilderappeler lesordonnances.Pendant leurentretien,ondemandeM.de Polignac; il sort et rentre avecM. Bertier[252], fils de la première victimesacrifiée en 1789. Celui-ci, ayant parcouru Paris, affirmait que tout allait aumieuxpourlacauseroyale:c'estunechosefatalequecesracesquiontdroitàlavengeance, jetées à la tombe dans nos premiers troubles, et évoquées par nosderniers malheurs. Ces malheurs n'étaient plus des nouveautés; depuis 1793,Parisétaitaccoutuméàvoirpasserlesévénementsetlesrois.

Tandis que, au rapport des royalistes, tout allait si bien, on annonce ladéfectiondu5eetdu53edelignequifraternisaientaveclepeuple.

Le duc de Raguse fit proposer une suspension d'armes: elle eut lieu surquelques points et ne fut pas exécutée sur d'autres. Lemaréchal avait envoyéchercher un des deux bataillons suisses stationnés dans le Louvre. On luidépêcha celui des deux bataillons qui garnissait la colonnade. Les Parisiens,voyant cette colonnade déserte, se rapprochèrent desmurs et entrèrent par lesfaussesportesquiconduisentdujardindel'Infantedansl'intérieur;ilsgagnèrentlescroiséeset firent feusur lebataillonarrêtédans lacour.Sous la terreurdusouvenir du 10 août, les Suisses se ruèrent du palais et se jetèrent dans leurtroisièmebataillon placé en présence des postes parisiens,mais avec lequel lasuspension d'armes était observée. Le peuple, qui du Louvre avait atteint lagalerie du Musée, commença de tirer du milieu des chefs-d'œuvre sur les

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lanciers alignés au Carrousel. Les postes parisiens, entraînés par cet exemple,rompirentlasuspensiond'armes.Précipitéssousl'ArcdeTriomphe,lesSuissespoussent les lanciers au portique du pavillon de l'Horloge et débouchent pêle-mêle dans le jardin desTuileries.Le jeuneFarcy fut frappé àmort dans cetteéchauffourée[253]: son nom est inscrit au coin du café où il est tombé; unemanufacture de betteraves existe aujourd'hui aux Thermopyles. Les Suisseseurenttroisouquatresoldatstuésoublessés:cepeudemortss'estchangéenuneeffroyableboucherie.

LepeupleentradanslesTuileriesavecMM.Thomas,Bastide,Guinard,parleguichet du Pont-Royal. Un drapeau tricolore fut planté sur le pavillon del'Horloge, comme au temps de Bonaparte, apparemment en mémoire de laliberté.Desmeublesfurentdéchirés,destableauxhachésdecoupsdesabre;ontrouva dans des armoires le journal des chasses du roi et les beaux coupsexécutéscontre lesperdrix:vieilusagedesgardes-chassede lamonarchie.Onplaçauncadavresurletrônevide,danslasalleduTrône:celaseraitformidablesi les Français, aujourd'hui, ne jouaient continuellement au drame. Le muséed'artillerie,àSaint-Thomas-d'Aquin,étaitpillé,etlessièclespassaientlelongdufleuve,souslecasquedeGodefroydeBouillon,etaveclalancedeFrançois1er.

AlorsleducdeRagusequittalequartiergénéral,abandonnantcentvingtmillefrancsensacs.IlsortitparlaruedeRivolietrentradanslejardindesTuileries.Ildonnal'ordreauxtroupesdeseretirer,d'abordauxChamps-Élysées,etensuitejusqu'à l'Étoile.On crut que la paix était faite, que leDauphin arrivait; on vitquelquesvoituresdesécuriesetunfourgontraverserlaplaceLouisXV:c'étaientlesministress'enallantaprèsleursœuvres.

Arrivéàl'Étoile,Marmontreçutunelettre:elleluiannonçaitqueleroiavaitdonné à M. le Dauphin le commandement en chef des troupes, et que lui,maréchal,serviraitsoussesordres.

Une compagnie du 3e de la garde avait été oubliée dans la maison d'unchapelier,ruedeRohan;aprèsunelonguerésistance,lamaisonfutemportée.LecapitaineMeunier,atteintdetroiscoupsdefeu,sautadelafenêtred'untroisièmeétage,tombasuruntoitau-dessous,etfuttransportéàl'hôpitalduGros-Caillou:il a survécu. La caserne Babylone, assaillie entre midi et une heure par troisélèvesde l'Écolepolytechnique,Vaneau,LacroixetOuvrier,n'étaitgardéequepar un dépôt de recrues suisses d'environ une centaine d'hommes; le majorDufay, Français d'origine, les commandait: depuis trente ans il servait parmi

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nous; il avait été acteur dans les hauts faits de la République et de l'Empire.Sommédese rendre, il refusa touteconditionet s'enfermadans lacaserne.LejeuneVaneaupérit.Dessapeurs-pompiersmirentlefeuàlaportedelacaserne;la porte s'écroula; aussitôt, par cette bouche enflammée, sort le major Dufay,suivi de ses montagnards, baïonnette en avant: il tombe atteint de lamousquetade d'un cabaretier voisin: sa mort protégea ses recrues suisses; ilsrejoignirentlesdifférentscorpsauxquelsilsappartenaient[254].

JOURNÉECIVILEDU29JUILLET.

M. leducdeMortemart[255] était arrivé àSaint-Cloud lemercredi28, àdixheuresdusoir,pourprendresonservicecommecapitainedescent-suisses:ilneputparlerauroiquelelendemain.Àonzeheures,le29,ilfitquelquestentativesauprèsdeCharlesX,afindel'engageràrappelerlesordonnances;leroiluidit:«Jeneveuxpasmonterencharrettecommemonfrère;jenereculeraipasd'unpied.»Quelquesminutesaprès,ilallaitreculerd'unroyaume.

Lesministresétaientarrivés:MM.deSémonville,d'Argout[256],Vitrolles,setrouvaientlà.M.deSémonvilleracontequ'ileutunelongueconversationavecleroi;qu'ilneparvintàl'ébranlerdanssarésolutionqu'aprèsavoirpasséparsoncœurenluiparlantdesdangersdemadamelaDauphine.Illuidit:«Demain,àmidi, il n'y aura plus ni roi, ni dauphin, ni duc de Bordeaux.» Et le roi luirépondit:«Vousmedonnerezbienjusqu'àuneheure.»Jenecroispasunmotdetoutcela.Lahâblerieestnotredéfaut:interrogezunFrançaisetfiez-vousàsesrécits, ilaura toujours tout fait.Lesministresentrèrentchez leroiaprèsM.deSémonville; les ordonnances furent rapportées, le ministère dissous, M. deMortemartnomméprésidentdunouveauconseil.

Danslacapitale,lepartirépublicainvenaitenfindedéterrerungîte.M.Baude(l'hommedelaparadedesbureauxduTemps),encourantlesrues,n'avaittrouvél'HôteldeVilleoccupéquepardeuxhommes,M.DubourgetM.Zimmer.Ilseditaussitôtl'envoyéd'ungouvernementprovisoirequis'allaitvenirinstaller.Ilfitappeler les employés de la Préfecture; il leur ordonna de semettre au travail,comme si M. de Chabrol était présent. Dans les gouvernements devenusmachines, les poids sont bientôt remontés, chacun accourt pour se nantir desplacesdélaissées:quisefitsecrétairegénéral,quichefdedivision,quisedonnalacomptabilité,qui senommaaupersonneletdistribuacepersonnelentre sesamis;ilyeneutquifirentapporterleurlitafindenepasdésemparer,etd'êtreà

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mêmedesautersur laplacequiviendraitàvaquer.M.Dubourg, surnommé legénéral[257], et M. Zimmer, étaient censés les chefs de la partiemilitaire dugouvernement provisoire. M. Baude[258], représentant le civil de cegouvernement inconnu, prit des arrêtés et fit des proclamations.Cependant onavaitvudesaffichesprovenantdupartirépublicain,etportantcréationd'unautregouvernement,composédeMM.deLaFayette,Gérard[259]etChoiseul[260].Onnes'expliqueguère l'associationduderniernomaveclesdeuxautres;aussiM.deChoiseula-t-ilprotesté.Cevieillardlibéral,qui,pourfairelevivant,setenaitroide comme un mort, émigré et naufragé à Calais, ne retrouva pour foyerpaternel,enrentrantenFrance,qu'unelogeàl'Opéra.

À trois heures du soir, nouvelle confusion. Un ordre du jour convoqua lesdéputés réunis à Paris, à l'Hôtel de Ville, pour y conférer sur les mesures àprendre. Les maires devaient être rendus à leurs mairies; ils devaient aussienvoyer un de leurs adjoints à l'Hôtel de Ville, afin d'y composer unecommission consultative. Cet ordre du jour était signé: J. Baude, pour legouvernement provisoire, et colonel Zimmer, par ordre du général Dubourg.Cette audace de trois personnes, qui parlent au nom d'un gouvernement quin'existait qu'affiché par lui-même au coin des rues, prouve la rare intelligencedes Français en révolution: de pareils hommes sont évidemment les chefsdestinés à mener les autres peuples. Quel malheur qu'en nous délivrant d'unepareilleanarchie,Bonapartenouseûtravilaliberté!

Les députés s'étaient rassemblés chez M. Laffitte[261]. M. de La Fayette,reprenant 1789, déclara qu'il reprenait aussi le commandement de la gardenationale.Onapplaudit,etilserenditàl'HôteldeVille.Lesdéputésnommèrentunecommissionmunicipale composée de cinqmembres,MM.Casimir Périer,Laffitte,deLobau,deSchonenetAudrydePuyravault.M.OdilonBarrotfutélusecrétairedecettecommission,quis'installaàl'HôteldeVille,commeavaitfaitM.deLaFayette.Toutcelasiégeapêle-mêleauprèsdugouvernementprovisoiredeM.Dubourg.M.Mauguin,envoyéenmissionverslacommission,restaavecelle.L'amideWashingtonfitenleverledrapeaunoirarborésurl'HôteldeVilleparl'inventiondeM.Dubourg.

ÀhuitheuresetdemiedusoirdébarquèrentdeSaint-CloudM.deSémonville,M. d'Argout etM. deVitrolles.Aussitôt qu'ils avaient appris àSaint-Cloud lerappeldesordonnances,lerenvoidesanciensministresetlanominationdeM.Mortemart à la présidence du conseil, ils étaient accourus à Paris. Ils seprésentèrentenqualitédemandatairesduroidevantlacommissionmunicipale.

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M. Mauguin demanda au grand référendaire s'il avait des pouvoirs écrits; legrand référendaire répondit qu'il n'y avait pas pensé. La négociation desofficieuxcommissairesfinitlà.

Instruit à la réunionLaffitte de ce qui s'était fait à Saint-Cloud,M.Laffittesigna un laisser-passer pour M. de Mortemart, ajoutant que les députésassembléschezluil'attendraientjusqu'àuneheuredumatin.Lenobleducn'étantpasarrivé,lesdéputésseretirèrent.

M. Laffitte, resté seul avec M. Thiers, s'occupa du duc d'Orléans et desproclamationsàfaire.CinquanteansderévolutionenFranceavaientdonnéauxhommes de pratique la facilité de réorganiser des gouvernements, et auxhommes de théorie l'habitude de ressemeler des chartes, de préparer lesmachines et les bers avec lesquels s'enlèvent et sur lesquels glissent cesgouvernements.

Cette journée du 29, lendemain demon retour à Paris, ne fut pas pourmoisansoccupation.Monplanétaitarrêté:jevoulaisagir,maisjenelevoulaisquesurunordreécritde lamaindu roi,etquimedonnât lespouvoirsnécessairespour parler aux autorités dumoment;memêler de tout et ne rien faire nemeconvenaitpas.J'avaisraisonnéjuste,témoinl'affrontessuyéparMM.d'Argout,SémonvilleetVitrolles.

J'écrivisdoncàCharlesXàSaint-Cloud.M.deGivrésechargeadeportermalettre.Jepriaisleroidem'instruiredesavolonté.M.deGivrérevintlesmainsvides. Il avait remisma lettre àM. le duc deDuras, qui l'avait remise au roi,lequel me faisait répondre qu'il avait nommé M. de Mortemart son premierministre,etqu'ilm'invitaitàm'entendreaveclui.Lenobleduc,oùletrouver?Jelecherchaivainementle29ausoir.

RepoussédeCharlesX,mapensée seportavers laChambredespairs; ellepouvait, enqualitédecour souveraine,évoquer leprocèset juger ledifférend.S'iln'yavaitpas sûretépourelledansParis, elle était librede se transporter àquelquedistance,mêmeauprèsduroi,etdeprononcerdelàungrandarbitrage.Elleavaitdeschancesdesuccès;ilyenatoujoursdanslecourage.Aprèstout,en succombant, elle aurait subi une défaite utile aux principes.Mais aurais-jetrouvé dans cette Chambre vingt hommes prêts à se dévouer? Sur ces vingthommes, y en avait-il quatre qui fussent d'accord avec moi sur les libertés

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publiques?

Les assemblées aristocratiques règnent glorieusement lorsqu'elles sontsouverainesetseulesinvesties,dedroitetdefait,delapuissance:ellesoffrentlesplusfortesgaranties,mais,danslesgouvernementsmixtes,ellesperdentleurvaleur et sontmisérables quand arrivent les grandes crises.... Faibles contre leroi, elles n'empêchent pas le despotisme; faibles contre le peuple, elles nepréviennent pas l'anarchie. Dans les commotions publiques, elles ne rachètentleurexistencequ'auprixdeleursparjuresoudeleuresclavage.LaChambredeslordssauva-t-elleCharlesIer?Sauva-t-elleRichardCromwell,auquelelleavaitprêtéserment?Sauva-t-elleJacquesII?Sauvera-t-elleaujourd'huilesprincesdeHanovre? Se sauvera-t-elle elle-même? Ces prétendus contre-poidsaristocratiquesnefontqu'embarrasserlabalance,etserontjetéstôtoutardhorsdubassin.Unearistocratieancienneetopulente,ayantl'habitudedesaffaires,n'aqu'un moyen de garder le pouvoir quand il lui échappe: c'est de passer duCapitole au Forum, et de se placer à la tête du nouveaumouvement, àmoinsqu'ellenesecroieencoreassezfortepourrisquerlaguerrecivile.

Pendant que j'attendais le retour de M. de Givré, je fus assez occupé àdéfendremonquartier.LabanlieueetlescarriersdeMontrougeaffluaientparlabarrière d'Enfer. Les derniers ressemblaient à ces carriers deMontmartre, quicausèrentdesigrandesalarmesàmademoiselledeMornaylorsqu'ellefuyaitlesmassacres de la Saint-Barthélemy. En passant devant la communauté desmissionnaires,situéedansmarue,ilsyentrèrent:unevingtainedeprêtresfurentobligés de se sauver; le repaire de ces fanatiques fut philosophiquement pillé,leurslitsetleurslivresbrûlésdanslarue[262].Onn'apointparlédecettemisère.Avait-onàs'embarrasserdeceque laprêtraillepouvaitavoirperdu?Jedonnail'hospitalitéàseptouhuitfugitifs;ilsrestèrentplusieursjourscachéssousmontoit. Je leur obtins des passe-ports par l'intermédiaire de mon voisin, M.Arago[263],etilsallèrentailleursprêcherlaparoledeDieu.«Lafuitedessaintsasouventétéutileauxpeuples,utilispopulisfugasanctorum.»

Lacommissionmunicipale,établieàl'HôteldeVille,nommalebaronLouiscommissaireprovisoireauxfinances,M.Baudeàl'intérieur,M.Mérilhou[264]àla justice, M. Chardel[265] aux postes, M. Marchal[266] au télégraphe, M.Bavoux[267] à la police, M. de Laborde à la préfecture de la Seine. Ainsi legouvernementprovisoirevolontairesetrouvadétruitenréalitéparlapromotiondeM. Baude, qui s'était créé membre de ce gouvernement. Les boutiques se

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rouvrirent;lesservicespublicsreprirentleurcours.

Dans la réunion chez M. Laffite, il avait été décidé que les députéss'assembleraient, àmidi, au palais de la Chambre: ils s'y trouvèrent réunis aunombredetrenteoutrente-cinq,présidésparM.Laffitte.M.Bérard[268]annonçaqu'ilavait rencontréMM.d'Argout,deForbin-Janson[269]etdeMortemart,quiserendaientchezM.Laffitte,croyantytrouverlesdéputés;qu'ilavaitinvitécesmessieursàlesuivreàlaChambre,maisqueM.leducdeMortemart,accablédefatigue, s'était retirépourallervoirM.deSémonville.M.deMortemart, selonM.Bérard,avaitditqu'ilavaitunblanc-seingetqueleroiconsentaitàtout.

En effet, M. de Mortemart apportait cinq ordonnances: au lieu de lescommuniquerd'abordauxdéputés,salassitudel'obligeaderétrograderjusqu'auLuxembourg. À midi, il envoya les ordonnances à M. Sauvo[270]; celui-cirépondit qu'il ne les pouvait publier dans leMoniteur sans l'autorisation de laChambredesdéputésoudelacommissionmunicipale.

M. Bérard s'étant expliqué, comme je viens de le dire, à la Chambre, unediscussions'élevapoursavoirsi l'onrecevraitousi l'onnerecevraitpasM.deMortemart.LegénéralSébastianiinsistapourl'affirmative;M.MauguindéclaraquesiM.deMortemartétaitprésent,ildemanderaitqu'ilfûtentendu,maisquelesévénementspressaientetquel'onnepouvaitpasdépendredubonplaisirdeM.deMortemart.

Onnommacinqcommissaireschargésd'allerconféreraveclespairs:cescinqcommissaires furent MM. Augustin Périer[271], Sébastiani, Guizot, BenjaminDelessert[272] et Hyde de Neuville. Mais bientôt le comte de Sussy[273] futintroduitdanslaChambreélective.M.deMortemartl'avaitchargédeprésenterlesordonnancesauxdéputés.S'adressantàl'assemblée,il luidit:«Enl'absencedeM.lechancelier,quelquespairs,enpetitnombre,étaientréunischezmoi;M.le duc deMortemart nous a remis la lettre ci-jointe, adressée àM. le généralGérard ou à M. Casimir Périer. Je vous demande la permission de vous lacommuniquer.»Voici la lettre:«Monsieur,partideSaint-Clouddans lanuit, jecherchevainementàvousrencontrer.Veuillezmedireoùjepourraivousvoir.Jevouspriededonner connaissancedesordonnancesdont je suis porteur depuishier.»

M. le duc deMortemart était parti dans la nuit de Saint-Cloud; il avait lesordonnances dans sa poche depuis douze ou quinze heures,depuishier, selon

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son expression; il n'avait pu rencontrer ni le général Gérard, ni M. CasimirPérier: M. de Mortemart était bien malheureux! M. Bérard fit l'observationsuivantesurlalettrecommuniquée:

«Jenepuis,dit-il,m'empêcherdesignalericiunmanquedefranchise:M.deMortemart,quiserendaitcematinchezM.Laffittelorsquejel'airencontré,m'aformellementditqu'ilviendraitici.»

Lescinqordonnancesfurentlues.Lapremièrerappelaitlesordonnancesdu25juillet,lasecondeconvoquaitlesChambrespourle3août,latroisièmenommaitM. de Mortemart ministre des affaires étrangères et président du conseil, laquatrièmeappelaitlegénéralGérardauministèredelaguerre,lacinquièmeM.Casimir Périer au ministère des finances. Lorsque je trouvai enfin M. deMortemartchezlegrandréférendaire,ilm'assuraqu'ilavaitétéobligéderesterchezM.deSémonville,parcequ'étantrevenuàpieddeSaint-Cloud,ils'étaitvuforcédefaireundétouretdepénétrerdansleboisdeBoulogneparunebrèche:sabotte ou son soulier lui avait écorché le talon. Il est à regretter qu'avant deproduirelesactesdutrône,M.deMortemartn'aitpasessayédevoirleshommesinfluentsetde les inclinerà lacause royale.Cesactes tombant toutàcoupaumilieu de députés non prévenus, personne n'osa se déclarer. On s'attira cetteterrible réponse de Benjamin Constant: «Nous savons d'avance ce que laChambre des pairs nous dira: elle acceptera purement et simplement larévocationdesordonnances.Quantàmoi, jenemeprononcepaspositivementsurlaquestiondedynastie;jediraiseulementqu'ilseraittropcommodepourunroidefairemitraillersonpeupleetd'enêtrequittepourdireensuite:Iln'yariendefait.»

BenjaminConstant,quineseprononçaitpaspositivementsurlaquestiondedynastie, aurait-il terminé sa phrase de la même manière si on lui eût faitentendreauparavantdesparolesconvenablesàsestalentsetàsajusteambition?Je plains sincèrement un homme de courage et d'honneur comme M. deMortemart, quand je viens à penser que lamonarchie légitime a peut-être étérenverséeparcequeleministrechargédespouvoirsduroin'apurencontrerdansParisdeuxdéputés,etque,fatiguéd'avoirfaittroislieuesàpied,ils'estécorchéle talon. L'ordonnance de nomination à l'ambassade de Saint-Pétersbourg aremplacé pour M. de Mortemart les ordonnances de son vieux maître. Ah!commentai-jerefuséàLouis-Philipped'êtresonministredesaffairesétrangèresoudereprendremabien-aiméeambassadedeRome?Mais,hélas!demabien-aimée, qu'en eussé-je fait au bord du Tibre? J'aurais toujours cru qu'elle me

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regardaitenrougissant.

Le30aumatin,ayant reçu lebilletdugrandréférendairequim'invitaità laréunion des pairs, au Luxembourg, je voulus apprendre auparavant quelquesnouvelles. Je descendis par la rue d'Enfer, la place Saint-Michel et la rueDauphine.Ilyavaitencoreunpeud'émotionautourdesbarricadesébréchées.Jecomparaiscequejevoyaisaugrandmouvementrévolutionnairede1789,etcelamesemblaitdel'ordreetdusilence:lechangementdesmœursétaitvisible.

AuPont-Neuf, lastatued'HenriIVtenaità lamain,commeunguidondelaLigue,undrapeautricolore.Deshommesdupeupledisaientenregardantleroidebronze:«Tun'auraispasfaitcettebêtise-là,monvieux.»Desgroupesétaientrassemblés sur lequaide l'École: j'aperçoisde loinungénéralaccompagnédedeux aides de camp également à cheval. Je m'avançai de ce côté. Comme jefendais la foule, mes yeux se portaient sur le général: ceinture tricolore pardessus son habit, chapeau de travers renversé en arrière, corne en avant. Ilm'aviseàsontourets'écrie:«Tiens,levicomte!»Etmoi,surpris,jereconnaislecoloneloucapitaineDubourg,moncompagnondeGand, lequelallait,pendantnotreretouràParis,prendrelesvillesouvertesaunomdeLouisXVIII,etnousapportait,ainsiquejevousl'airaconté,lamoitiéd'unmoutonpourdînerdansunbouge, àArnouville[274]. C'est cet officier que les journaux avaient représentécomme un austère soldat républicain à moustaches grises, lequel n'avait pasvoulu servir sous la tyrannie impériale, et qui était si pauvre qu'on avait étéobligé de lui acheter à la friperie un uniforme râpé du temps deLarevellière-Lépeaux.Etmoidem'écrier:«Eh!c'estvous!comment....»Ilmetendlesbras,meserrelamainsurlecoudeFlanquine;onfitcercle:«Moncher,meditàhautevoixlechefmilitairedugouvernementprovisoire,enmemontrantleLouvre,ilsétaientlà-dedansdouzecents:nousleurenavonsflanquédespruneauxdanslederrière!etdecourir,etdecourir!...»LesaidesdecampdeM.Dubourgéclatentengrosrires;et latourbederireàl'unisson,et legénéraldepiquersamazettequi caracolait comme une bête éreintée, suivie de deux autres Rossinantesglissant sur le pavé et prêtes à tomber sur le nez entre les jambes de leurscavaliers.

Ainsi, superbement emporté, m'abandonna le Diomède de l'Hôtel de Ville,braved'ailleursetspirituel.J'aivudeshommesqui,prenantausérieuxtouteslesscènesde1830,rougissaientàcerécit,parcequ'ildéjouaitunpeuleurhéroïquecrédulité.J'étaismoi-mêmehonteuxenvoyant lecôtécomiquedesrévolutions

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lesplusgravesetdequellemanièreonpeutsemoquerdelabonnefoidupeuple.

M. Louis Blanc, dans le premier volume de son excellenteHistoire de dixans[275], publiée après ce que je viens d'écrire ici, confirme mon récit: «Unhomme, dit-il, d'une taille moyenne, d'une figure énergique, traversait enuniformedegénéralet suiviparungrandnombred'hommesarmés, lemarchédes Innocents. C'était deM. ÉvaristeDumoulin, rédacteur duConstitutionnel,que cet homme avait reçu son uniforme, pris chez un fripier; et les épaulettesqu'ilportaitluiavaientétédonnéesparl'acteurPerlet:ellesvenaientdumagasinde l'Opéra-Comique. Quel est ce général? demandait-on de toutes parts. Etquandceuxquil'entouraientavaientrépondu:«C'estlegénéralDubourg.»Vivele généralDubourg! criait le peuple, devant qui ce nomn'avait jamais retenti.[276]»

Un autre spectaclem'attendait à quelques pas de là: une fosse était creuséedevantlacolonnadeduLouvre;unprêtre,ensurplisetenétole,disaitdesprièresauborddecettefosse:onydéposaitlesmorts.Jemedécouvrisetfislesignedela croix. La foule silencieuse regardait avec respect cette cérémonie, qui n'eûtrien été si la religion n'y avait comparu. Tant de souvenirs et de réflexionss'offraientàmoi,quejerestaisdansunecomplèteimmobilité.Toutàcoupjemesens pressé; un cri part: «Vive le défenseur de la liberté de la presse!» Mescheveuxm'avaientfaitreconnaître.Aussitôtdesjeunesgensmesaisissentetmedisent:«Oùallez-vous?nousallonsvousporter.»Jenesavaisquerépondre; jeremerciais;jemedébattais;jesuppliaisdemelaisseraller.L'heuredelaréunionàlaChambredespairsn'étaitpasencorearrivée.Lesjeunesgensnecessaientdecrier: «Où allez-vous? où allez-vous?» Je répondis au hasard: «Eh bien, auPalais-Royal!» Aussitôt j'y suis conduit aux cris de: Vive la charte! vive lalibertédelapresse!viveChateaubriand!DanslacourdesFontaines,M.Barba,lelibraire,sortitdesamaisonetvintm'embrasser.

NousarrivonsauPalais-Royal;onmebousculedansuncafésouslagaleriedebois.Jemouraisdechaud.Jeréitèreàmainsjointesmademandeenrémissiondemagloire:point; toutecette jeunesserefusedeme lâcher. Ilyavaitdans lafouleunhommeenvesteàmanchesretroussées,àmainsnoires,àfiguresinistre,auxyeuxardents,telquej'enavaistantvuaucommencementdelaRévolution:il essayait continuellement de s'approcher de moi, et les jeunes gens lerepoussaienttoujours.Jen'aisunisonnomnicequ'ilmevoulait.

Il fallutme résoudre à dire enfin que j'allais à laChambre des pairs.Nous

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quittâmes le café; les acclamations recommencèrent.Dans la cour du Louvre,diverses espèces de cris se firent entendre: on disait: «Aux Tuileries! auxTuileries!»lesautres:«Vivelepremierconsul!»etsemblaientvouloirmefairel'héritierdeBonaparte républicain.Hyacinthe,quim'accompagnait, recevait sapartdespoignéesdemainetdesembrassades.NoustraversâmeslepontdesArtsetnousprîmeslaruedeSeine.Onaccouraitsurnotrepassage;onsemettaitauxfenêtres. Je souffrais de tant d'honneurs, car on m'arrachait les bras. Un desjeunesgensquimepoussaientparderrièrepassa toutàcoupsa têteentremesjambes et m'enleva sur ses épaules. Nouvelles acclamations; on criait auxspectateursdanslarueetauxfenêtres:«Àbasleschapeaux!vivelacharte!»etmoi je répliquais: «Oui, messieurs, vive la charte! mais vive le roi!» On nerépétaitpascecri,maisilneprovoquaitaucunecolère.Etvoilàcommelapartieétaitperdue!Toutpouvaitencores'arranger,maisilnefallaitprésenteraupeuplequedeshommespopulaires:danslesrévolutions,unnomfaitplusqu'unearmée.

Jesuppliaitantmesjeunesamisqu'ilsmemirentenfinàterre.DanslaruedeSeine, en face demon libraire,M. LeNormant, un tapissier offrit un fauteuilpourmeporter;jelerefusaietj'arrivaiaumilieudemontriomphedanslacourd'honneur du Luxembourg. Ma généreuse escorte me quitta alors après avoirpoussédenouveauxcrisdeVive la charte! viveChateaubriand! J'étais touchédessentimentsdecettenoble jeunesse: j'avaiscriévive leroi!aumilieud'elle,tout aussi en sûreté que si j'eusse été seul enfermé dans ma maison; elleconnaissaitmesopinions:ellem'amenaitelle-mêmeà laChambredespairsoùelle savaitque j'allaisparleret rester fidèleàmon roi; etpourtantc'était le30juillet,etnousvenionsdepasserprèsdelafossedanslaquelleonensevelissaitlescitoyenstuésparlesballesdessoldatsdeCharlesX!

LebruitquejelaissaisendehorscontrastaitaveclesilencequirégnaitdanslevestibuledupalaisduLuxembourg.CesilenceaugmentadanslagaleriesombrequiprécèdelessalonsdeM.deSémonville.Maprésencegênalesvingt-cinqoutrentepairsquis'ytrouvaientrassemblés:j'empêchaislesdouceseffusionsdelapeur,latendreconsternationàlaquelleonselivrait.CefutlàquejevisenfinM.deMortemart.Jeluidisque,d'aprèsledésirduroi,j'étaisprêtàm'entendreaveclui.Ilmerépondit,commejel'aidéjàrapporté,qu'enrevenantils'étaitécorchéle talon: il rentra dans le flot de l'assemblée. Il nous donna connaissance desordonnancescommeillesavaitfaitcommuniquerauxdéputésparM.deSussy.M. de Broglie déclara qu'il venait de parcourir Paris; que nous étions sur unvolcan; que les bourgeois ne pouvaient plus contenir leurs ouvriers; que si le

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nomdeCharlesXétaitseulementprononcé,onnouscouperaitlagorgeàtous,etqu'ondémoliraitleLuxembourgcommeonavaitdémolilaBastille:«C'estvrai!c'estvrai!»murmuraientd'unevoixsourdelesprudents,ensecouantlatête[277].M.deCaraman,qu'onavaitfaitduc,apparemmentparcequ'ilavaitétévaletdeM. de Metternich, soutenait avec chaleur qu'on ne pouvait reconnaître lesordonnances:«Pourquoidonc,luidis-je,monsieur?»Cettefroidequestionglaçasaverve.

Arriventlescinqdéputéscommissaires.M.legénéralSébastianidébuteparsaphraseaccoutumée:«Messieurs,c'estunegrosseaffaire.»Ensuite il fait l'élogedelahautemodérationdeM.leducdeMortemart;ilparledesdangersdeParis,prononcequelquesmotsàlalouangedeS.A.R.monseigneurleducd'Orléans,et conclut à l'impossibilité de s'occuper des ordonnances.Moi etM.Hyde deNeuville,nousfûmeslesseulsd'unaviscontraire.J'obtinslaparole:«M.leducdeBroglienousadit,messieurs,qu'ils'estpromenédanslesrues,etqu'ilavupartout des dispositions hostiles: je viens aussi de parcourir Paris, trois millejeunesgensm'ontrapportédanslacourdecepalais;vousavezpuentendreleurcris:ont-ilssoifdevotresangceuxquiontainsisaluél'undevoscollègues?Ilsontcrié:Vivelacharte!j'airépondu:Viveleroi!ilsn'onttémoignéaucunecolèreet sont venus me déposer sain et sauf au milieu de vous. Sont-ce là dessymptômessimenaçantsdel'opinionpublique?Jesoutiens,moi,querienn'estperdu, que nous pouvons accepter les ordonnances. La question n'est pas deconsidérer s'il y a péril ou non, mais de garder les serments que nous avonsprêtés à ce roi dont nous tenons nos dignités, et plusieurs d'entre nous leurfortune.SaMajesté,enretirantlesordonnancesetenchangeantsonministère,afaittoutcequ'elleadû;faisonsànotretourcequenousdevons.Comment!danstouslecoursdenotrevie,ilseprésenteunseuljouroùnoussommesobligésdedescendre sur le champ de bataille, et nous n'accepterions pas le combat?Donnonsà laFrance l'exemplede l'honneuretde la loyauté; empêchons-ladetomberdansdes combinaisonsanarchiquesoù sapaix, ses intérêts réels et seslibertésiraientseperdre:lepérils'évanouitquandonoseleregarder.»

On ne me répondit point; on se hâta de lever la séance. Il y avait uneimpatience de parjure dans cette assemblée que poussait une peur intrépide;chacun voulait sauver sa guenille de vie, comme si le temps n'allait pas, dèsdemain, nous arracher nos vieilles peaux, dont un juif bien avisé n'aurait pasdonnéuneobole.[LienverslaTabledesMatières]

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LIVREXV[278]Lesrépublicains.—Lesorléanistes.—M.ThiersestenvoyéàNeuilly.—Convocationdespairschez legrand référendaire.La lettrem'arrivetroptard.—Saint-Cloud.—Scène.MonsieurleDauphinetlemaréchalde Raguse.—Neuilly.—M. le duc d'Orléans.— Le Raincy.— LeprincevientàParis.—Unedéputationde laChambreélectiveoffreàM. leducd'Orléans la lieutenancegénéraleduroyaume.—Ilaccepte.—Effortsdesrépublicains.—M.leducd'Orléansvaàl'HôteldeVille.—Les républicains au Palais-Royal.— Le roi quitte Saint-Cloud.—ArrivéedeMadamelaDauphineàTrianon.—Corpsdiplomatique.—Rambouillet.—Ouverturedelasession,le3août.—LettredeCharlesXàM.leducd'Orléans.—DépartdupeuplepourRambouillet.—Fuitedu roi.—Réflexions.—Palais-Royal.—Conversations.—Dernièretentationpolitique.—M.deSainte-Aulaire.—Derniersoupirdupartirépublicain.—Journéedu7août.—SéanceàlaChambredesPairs.—Mondiscours.—JesorsdupalaisduLuxembourgpourn'yplusrentrer.—Mesdémissions.—CharlesXs'embarqueàCherbourg.—Cequeseralarévolutiondejuillet.—Findemacarrièrepolitique.

Lestroispartiscommençaientàsedessineretàagirlesunscontrelesautres:lesdéputésquivoulaientlamonarchieparlabrancheaînéeétaientlesplusfortslégalement;ilsralliaientàeuxtoutcequitendaitàl'ordre;mais,moralement,ilsétaient les plus faibles: ils hésitaient, ils ne se prononçaient pas: il devenaitmanifeste, par la tergiversation de la cour, qu'ils tomberaient dans l'usurpationplutôtquedesevoirengloutisdanslaRépublique.

Celle-cifitafficherunplacardquidisait:«LaFranceestlibre.Ellen'accordeaugouvernementprovisoirequeledroitdelaconsulter,enattendantqu'elleaitexprimé sa volonté par de nouvelles élections. Plus de royauté. Le pouvoirexécutifconfiéàunprésidenttemporaire.Concoursmédiatouimmédiatdetouslescitoyensàl'électiondesdéputés.Libertédescultes.»

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Ce placard résumait les seules choses justes de l'opinion républicaine; unenouvelleassembléededéputésauraitdécidés'ilétaitbonoumauvaisdecéderàce vœu, plus de royauté; chacun aurait plaidé sa cause, et l'élection d'ungouvernement quelconque par un congrès national eût eu le caractère de lalégalité.

Suruneautreafficherépublicainedumêmejour,30juillet,onlisaitengrosseslettres: «Plus deBourbons.... Tout est là, grandeur, repos, prospérité publique,liberté.»

Enfin, parut une adresse àMM. lesmembres de la commissionmunicipalecomposant un gouvernement provisoire; elle demandait: «Qu'aucuneproclamation ne fût faite pour désigner un chef, lorsque la forme même dugouvernement ne pouvait être encore déterminée; que le gouvernementprovisoire restât en permanence jusqu'à ce que le vœu de la majorité desFrançaispûtêtreconnu;touteautremesureétantintempestiveetcoupable.»

Cetteadresse,émanantdesmembresd'unecommissionnomméeparungrandnombre de citoyens de divers arrondissements de Paris, était signée parMM.Chevalier, président, Trélat, Teste, Lepelletier, Guinard, Hingray, Cauchois-Lemaire,etc.

Dans cette réunion populaire, on proposait de remettre par acclamation laprésidencedelaRépubliqueàM.deLaFayette;ons'appuyaitsurlesprincipesquelaChambredesreprésentantsde1815avaitproclamésenseséparant.Diversimprimeurs refusèrentdepubliercesproclamations,disantquedéfense leurenétait faite parM. le duc deBroglie.LaRépublique jetait par terre le trône deCharlesX;ellecraignait les inhibitionsdeM.deBroglie, lequeln'avait aucuncaractère.

Jevousaiditque,danslanuitdu29au30,M.Laffitte,avecMM.ThiersetMignet, avaient tout préparé pour attirer les yeux du public sur M. le ducd'Orléans. Le 30 parurent des proclamations et des adresses, fruit de ceconciliabule: «Évitons laRépublique,»disaient-elles.Venaient ensuite les faitsd'armesdeJemmapesetdeValmy,etl'onassuraitqueM.leducd'Orléansn'étaitpasCapet,maisValois[279].

EtcependantM.Thiers,envoyéparM.Laffitte,chevauchaitversNeuillyavecM. Scheffer[280]: S. A. R. n'y était pas. Grands combats de paroles entre

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mademoiselled'OrléansetM.Thiers: il futconvenuqu'onécriraitàM. leducd'Orléanspourledécideràserallieràlarévolution.M.Thiersécrivitlui-mêmeunmot au prince, etmadameAdélaïde promit de devancer sa famille àParis.L'orléanismeavaitfaitdesprogrès,et,dèslesoirmêmedecette journée, ilfutquestionparmilesdéputésdeconférerlespouvoirsdelieutenantgénéralàM.leducd'Orléans.

M. de Sussy, avec les ordonnances de Saint-Cloud, avait été encore moinsbienreçuàl'HôteldeVillequ'àlaChambredesdéputés.Munid'unrécépissédeM.deLaFayette, il revint trouverM.deMortemartqui s'écria:«Vousm'avezsauvéplusquelavie;vousm'avezsauvél'honneur.»

La commissionmunicipale fit une proclamation dans laquelle elle déclaraitquelescrimesdesonpouvoir(deCharlesX)étaientfinis,etquelepeupleauraitungouvernementquiluidevrait(aupeuple)sonorigine:phraseambiguëqu'onpouvaitinterprétercommeonvoulait.MM.LaffitteetPériernesignèrentpointcetacte.M.deLaFayette,alarméunpeutarddel'idéedelaroyautéorléaniste,envoyaM.OdilonBarrot[281]àlaChambredesdéputésannoncerquelepeuple,auteur de la révolution de juillet, n'entendait pas la terminer par un simplechangementdepersonnes, etque le sangversévalaitbienquelques libertés. Ilfut question d'une proclamation des députés afin d'inviter S. A. R. le ducd'Orléans à se rendre dans la capitale: après quelques communications avecl'HôteldeVille,ceprojetdeproclamationfutanéanti.Onn'entirapasmoinsausortunedéputationdedouzemembrespouralleroffrirauchâtelaindeNeuillycettelieutenancegénéralequin'avaitputrouverpassagedansuneproclamation.

Danslasoirée,M.legrandréférendairerassemblechezluilespairs:salettre,soitnégligenceoupolitique,m'arrivatroptard.Jemehâtaidecouriraurendez-vous;onm'ouvrit lagrillede l'alléede l'Observatoire; je traversai le jardinduLuxembourg:quandj'arrivaiaupalais,jen'ytrouvaipersonne.Jerefislechemindes parterres, les yeux attachés sur la lune. Je regrettais les mers et lesmontagnesoùellem'étaitapparue,lesforêtsdanslacimedesquelles,sedérobantelle-mêmeensilence,elleavaitl'airdemerépéterlamaximed'Épicure:«Cachetavie.»

J'ailaissélestroupes,le29ausoir,seretirersurSaint-Cloud.LesbourgeoisdeChaillotetdePassylesattaquèrent,tuèrentuncapitainedecarabiniers,deuxofficiers,etblessèrentunedizainedesoldats.LeMotha,capitainede lagarde,

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futfrappéd'uneballeparunenfantqu'ils'étaitpluàménager.Cecapitaineavaitdonnésadémissionaumomentdesordonnances;mais,voyantqu'onsebattaitle27, il rentra dans son corps pour partager les dangers de ses camarades[282].Jamais,à lagloirede laFrance, iln'yeutunplusbeaucombatdans lespartisopposésentrelalibertéetl'honneur.

Lesenfants, intrépidesparcequ'ils ignorent ledanger,ont jouéun tristerôledanslestroisjournées:àl'abrideleurfaiblesse,ilstiraientàboutportantsurlesofficiersquiseseraientcrusdéshonorésenlesrepoussant.Lesarmesmodernesmettentlamortàladispositiondelamainlaplusdébile.Singeslaidsetétiolés,libertinsavantd'avoirlepouvoirdel'être,cruelsetpervers,cespetitshérosdestrois journées se livraient à des assassinats avec tout l'abandonde l'innocence.Donnons-nousgarde, pardes louanges imprudentes,de fairenaître l'émulationdumal.LesenfantsdeSparteallaientàlachasseauxilotes.

MonsieurledauphinreçutlessoldatsàlaporteduvillagedeBoulogne,danslebois,puisilrentraàSaint-Cloud.

Saint-Cloud était gardé par les quatre compagnies des gardes du corps. Lebataillon des élèves de Saint-Cyr était arrivé: en rivalité et en contraste avecl'Écolepolytechnique,ilavaitembrassélacauseroyale.Lestroupesexténuées,quirevenaientd'uncombatdetroisjours,necausaient,parleursblessuresetleurdélabrement, que de l'ébahissement aux domestiques titrés, dorés et repus quimangeaient à la table du roi. On ne songea point à couper les lignestélégraphiques; passaient librement sur la route courriers, voyageurs, malles-postes, diligences, avec le drapeau tricolore qui insurgeait les villages en lestraversant. Les embauchages par le moyen de l'argent et des femmescommencèrent.LesproclamationsdelacommunedeParisétaientcolportéesçàetlà.Leroietlacournesevoulaientpasencorepersuaderqu'ilsfussentenpéril.Afindeprouverqu'ilsméprisaientlesgestesdequelquesbourgeoismutinés,etqu'iln'yavaitpointderévolution,ilslaissaienttoutaller:ledoigtdeDieusevoitdanstoutcela.

À la tombée de la nuit du 30 juillet, à peu près à la même heure où lacommission des députés partait pour Neuilly, un aide-major fit annoncer auxtroupesquelesordonnancesétaientrapportées.Lessoldatscrièrent:Viveleroi!et reprirent leurgaieté aubivouac;mais cette annoncede l'aide-major, envoyépar le duc de Raguse, n'avait pas été communiquée au Dauphin, qui, grandamateurdediscipline,entraenfureur.Leroiditaumaréchal:«LeDauphinest

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mécontent;allezvousexpliqueraveclui.»

LemaréchalnetrouvapointleDauphinchezlui,etl'attenditdanslasalledebillardavecleducdeGuicheetleducdeVentadour,aidesdecampduprince.LeDauphinrentra:àl'aspectdumaréchal,ilrougitjusqu'auxyeux,traversesonantichambre avec ses grands pas si singuliers, arrive à son salon, et dit aumaréchal: «Entrez!» La porte se referme: un grand bruit se fait entendre;l'élévation des voix s'accroît; le duc de Ventadour, inquiet, ouvre la porte; lemaréchal sort, poursuivi par le dauphin, qui l'appelle double traître. «Rendezvotreépée!rendezvotreépée!»et,sejetantsurlui,illuiarrachesonépée.L'aidedecampdumaréchal,M.Delarue,seveutprécipiterentre luiet leDauphin, ilestretenuparM.deMontgascon;leprinces'efforcedebriserl'épéedumaréchaletsecoupelesmains.Ilcrie:«Àmoi,gardesducorps!qu'onlesaisisse!»Lesgardes du corps accoururent; sans un mouvement de tête du maréchal, leursbaïonnettesl'auraientatteintauvisage.LeducdeRaguseestconduitauxarrêtsdanssonappartement[283].

Le roiarrangea tantbienquemalcetteaffaire,d'autantplusdéplorable,queles acteurs n'inspiraient pas un grand intérêt. Lorsque le fils du Balafré occitSaint-Pol,maréchaldelaLigue,onreconnutdanscecoupd'épéelafiertéetlesangdesGuises;maisquandmonsieurledauphin,pluspuissantseigneurqu'unprincedeLorraine,auraitpourfendulemaréchalMarmont,qu'est-cequecelaeûtfait?Silemaréchaleûttuémonsieurledauphin,c'eûtétéseulementunpeuplussingulier.Onverraitpasserdans la rueCésar,descendantdeVénus,etBrutus,arrière-neveudeJuniusqu'onnelesregarderaitpas.Rienn'estgrandaujourd'hui,parcequerienn'esthaut.

Voilà comme se dépensait à Saint-Cloud la dernière heure de lamonarchie;cettepâlemonarchie,défiguréeetsanglante,ressemblaitauportraitquenousfaitd'Urféd'ungrandpersonnageexpirant:«Ilavait lesyeuxhâvesetenfoncés; lamâchoire inférieure, couverte seulement d'un peu de peau, paraissait s'êtreretirée;labarbehérissée,leteintjaune,lesregardslents,lessoufflesabattus.Desaboucheilnesortaitdéjàplusdeparoleshumaines,maisdesoracles.»

M.leducd'Orléansavaiteu,saviedurant,pourletrônecepenchantquetouteâmebiennéesentpourlepouvoir.Cepenchantsemodifieselonlescaractères:impétueuxetaspirant,mouetrampant;imprudent,ouvert,déclarédansceux-ci,circonspect,caché,honteuxetbasdansceux-là:l'un,pours'élever,peutatteindre

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àtouslescrimes;l'autre,pourmonter,peutdescendreàtouteslesbassesses.M.leducd'Orléansappartenaitàcettedernièreclassed'ambitieux.Suivezceprincedanssavie,ilneditetnefaitjamaisriendecomplet,etlaissetoujoursuneporteouverte à l'évasion. Pendant la Restauration, il flatte la cour et encouragel'opinion libérale; Neuilly est le rendez-vous des mécontentements et desmécontents.Onsoupire,onseserrelamainenlevantlesyeuxauciel,maisonneprononcepasuneparoleassezsignificativepourêtrereportéeenhautlieu.Unmembre de l'opposition meurt-il, on envoie un carrosse au convoi, mais cecarrosseestvide;lalivréeestadmiseàtouteslesportesetàtouteslesfosses.Si,autempsdemesdisgrâcesdecour,jemetrouveauxTuileriessurlechemindeM. leducd'Orléans, ilpasseenayant soinde salueràdroite,demanièreque,moiétantàgauche,ilmetournel'épaule.Celaseraremarqué,etferabien.

M. le duc d'Orléans connut-il d'avance les ordonnances de juillet? En fut-ilinstruitparunepersonnequi tenait le secretdeM.Ouvrard?Qu'enpensa-t-il?Quellesfurentsescraintesetsesespérances?Conçut-ilunplan?Poussa-t-ilM.Laffitteàfairecequ'ilfit,oulaissa-t-ilfaireM.Laffitte?D'aprèslecaractèredeLouis-Philippe, on doit présumer qu'il ne prit aucune résolution, et que satimidité politique, se renfermant dans sa fausseté, attendit l'événement commel'araignéeattendlemoucheronquiseprendradanssatoile.Ilalaissélemomentconspirer; iln'aconspirélui-mêmequeparsesdésirs,dontilestprobablequ'ilavaitpeur.

IlyavaitdeuxpartisàprendrepourM.leducd'Orléans:lepremier,etleplushonorable, était de courir à Saint-Cloud, de s'interposer entre Charles X et lepeuple, afin de sauver la couronne de l'un et la liberté de l'autre; le secondconsistait à se jeter dans les barricades, le drapeau tricolore au poing, et à semettreàlatêtedumouvementdumonde.Philippeavaitàchoisirentrel'honnêtehommeetlegrandhomme:ilapréféréescamoterlacouronneduroietlalibertédu peuple. Un filou, pendant le trouble et lesmalheurs d'un incendie, dérobesubtilement lesobjets lesplusprécieuxdupalais brûlant, sans écouter les crisd'unenfantquelaflammeasurprisdanssonberceau.

Laricheproieunefoissaisie,ils'esttrouvéforcechiensàlacurée:alorssontarrivées toutes ces vieilles corruptions des régimes précédents, ces receleursd'effets volés, crapauds immondes à demi écrasés sur lesquels on a cent foismarché,etquivivent,toutaplatisqu'ilssont.Cesontlàpourtantleshommesquel'onvanteetdontonexaltel'habileté!Miltonpensaitautrementlorsqu'ilécrivaitce passage d'une lettre sublime: «Si Dieu versa jamais un amour ferme de la

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beautémoraledansleseind'unhomme,il l'aversédanslemien.Quelquepartquejerencontreunhommeméprisantlafausseestimeduvulgaire,osantaspirer,parsessentiments,sonlangageetsaconduite,àcequelahautesagessedesâgesnous a enseigné de plus excellent, je m'unis à cet homme par une sorte denécessaireattachement.Iln'yapointdepuissancedanslecielousurlaterrequipuissem'empêcherdecontempleravecrespectettendresseceuxquiontatteintlesommetdeladignitéetdelavertu.»

LacouraveugledeCharlesXnesutjamaisoùelleenétaitetàquielleavaitaffaire:onpouvaitmanderM.leducd'OrléansàSaint-Cloud,etilestprobablequedanslepremiermomentileûtobéi;onpouvaitlefaireenleveràNeuilly,lejourmêmedesordonnances:onnepritnil'unnil'autreparti.

SurdesrenseignementsqueluiportamadamedeBondyàNeuillydanslanuitdumardi27,Louis-Philippeselevaàtroisheuresdumatin,etseretiraenunlieuconnudesaseulefamille.Ilavaitladoublecrainted'êtreatteintparl'insurrectionde Paris ou arrêté par un capitaine des gardes. Il alla donc écouter dans lasolitudeduRaincylescoupsdecanonlointainsdelabatailleduLouvre,commej'écoutaissousunarbreceuxdelabatailledeWaterloo.Lessentimentsquisansdouteagitaientleprincenedevaientguèreressembleràceuxquim'oppressaientdanslescampagnesdeGand.

Jevousaiditque,danslamatinéedu30juillet,M.Thiersnetrouvapointleducd'OrléansàNeuilly;maismadameladuchessed'OrléansenvoyachercherS.A.R.:M.lecomteAnatoledeMontesquiou[284]futchargédumessage.Arrivéau Raincy, M. de Montesquiou eut toutes les peines du monde à déterminerLouis-PhilippeàreveniràNeuillypouryattendreladéputationdelaChambredesdéputés.

Enfin, persuadé par le chevalier d'honneur de la duchesse d'Orléans, Louis-Philippemonta en voiture.M. deMontesquiou partit en avant; il alla d'abordassezvite;maisquandilregardaenarrière,ilvitlacalèchedeS.A.R.s'arrêteretrebroussercheminversleRaincy.M.deMontesquiourevientenhâte,implorela futuremajestéquicourait secacheraudésert,commeces illustreschrétiensfuyant jadis la pesante dignité de l'épiscopat: le serviteur fidèle obtint unedernièreetmalheureusevictoire.

Lesoirdu30, ladéputationdesdouzemembresdelaChambredesdéputés,qui devait offrir la lieutenance générale du royaume au prince, lui envoya un

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messageàNeuilly.Louis-Philippereçutcemessageàlagrilleduparc,lelutauflambeau et se mit à l'instant en route pour Paris, accompagné de MM. deBerthois[285], Haymès et Oudart. Il portait à sa boutonnière une cocardetricolore:ilallaitenleverunevieillecouronneaugarde-meuble.

ÀsonarrivéeauPalais-Royal,M.leducd'OrléansenvoyacomplimenterM.deLaFayette.

LadéputationdesdouzedéputésseprésentaauPalais-Royal.Elledemandaauprince s'il acceptait la lieutenance générale du royaume; réponse embarrassée:«Jesuisvenuaumilieudevouspartagervosdangers....J'aibesoinderéfléchir.Ilfautquejeconsultediversespersonnes.LesdispositionsdeSaint-Cloudnesontpointhostiles; laprésenceduroim'imposedesdevoirs.»Ainsi réponditLouis-Philippe.Onluifitrentrersesparolesdanslecorps,commeils'yattendait:aprèss'être retiré une demi-heure, il reparut portant une proclamation en vertu delaquelleilacceptaitlesfonctionsdelieutenantgénéralduroyaume,proclamationfinissantparcettedéclaration:«Lacharteseradésormaisunevérité.»

PortéeàlaChambreélective,laproclamationfutreçueaveccetenthousiasmerévolutionnaireâgédecinquanteans:onyréponditparuneautreproclamation,delarédactiondeM.Guizot.LesdéputésretournèrentauPalais-Royal;leprinces'attendrit,acceptadenouveau,etneputs'empêcherdegémirsurlesdéplorablescirconstancesquileforçaientd'êtrelieutenantgénéralduroyaume.

La République, étourdie des coups qui lui étaient portés, cherchait à sedéfendre; mais son véritable chef, le général La Fayette, l'avait presqueabandonnée.Ilseplaisaitdansceconcertd'adorationsquiluiarrivaientdetouscôtés; il humait le parfum des révolutions; il s'enchantait de l'idée qu'il étaitl'arbitredelaFrance,qu'ilpouvaitàsongré,enfrappantdupied,fairesortirdeterre une république ou une monarchie; il aimait à se bercer dans cetteincertitudeoù seplaisent les esprits qui craignent les conclusions, parcequ'uninstinctlesavertitqu'ilsnesontplusrienquandlesfaitssontaccomplis.

Les autres chefs républicains s'étaient perdus d'avance par divers ouvrages:l'éloge de la terreur, en rappelant aux Français 1793, les avait fait reculer. Lerétablissementdelagardenationaletuaitenmêmetemps,danslescombattantsde juillet, le principe ou la puissance de l'insurrection. M. de La Fayette nes'aperçut pas qu'en rêvassant la République, il avait armé contre elle trois

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millionsdegendarmes.

Quoi qu'il en soit, honteux d'être sitôt pris pour dupes, les jeunes gensessayèrent quelque résistance. Ils répliquèrent par des proclamations et desaffichesauxproclamationsetauxaffichesduducd'Orléans.Onluidisaitquesilesdéputéss'étaientabaissésà lesupplierd'accepter la lieutenancegénéraleduroyaume, laChambredesdéputés, nommée sousune loi aristocratique, n'avaitpas le droit de manifester la volonté populaire. On prouvait à Louis-Philippequ'ilétait filsdeLouis-Philippe-Joseph;queLouis-Philippe-Josephétait filsdeLouis-Philippe; que Louis-Philippe était fils de Louis, lequel était fils dePhilippeII,régent;quePhilippeIIétaitfilsdePhilippeIer, lequelétaitfrèredeLouisXIV:doncLouis-Philipped'Orléans étaitBourbon etCapet, nonValois.M.Laffitte n'en continuait pasmoins à le regarder comme étant de la race deCharlesIXetdeHenriIII,etdisait:«Thierssaitcela.»

Plus tard, la réunion Lointier[286] s'écria que la nation était en armes poursoutenir sesdroitspar la force.Lecomitécentraldudouzièmearrondissementdéclaraquelepeuplen'avaitpointétéconsultésur lemodedesaConstitution;que laChambredesdéputés et laChambredespairs, tenant leurspouvoirsdeCharles X, étaient tombées avec lui, qu'elles ne pouvaient, en conséquence,représenter lanation;que ledouzièmearrondissementnereconnaissaitpoint lalieutenance générale; que le gouvernement provisoire devait rester enpermanence,souslaprésidencedeLaFayette,jusqu'àcequ'uneConstitutioneûtétédélibéréeetarrêtéecommebasefondamentaledugouvernement.

Le 30 au matin, il était question de proclamer la République. Quelqueshommesdéterminésmenaçaientdepoignarderlacommissionmunicipale,siellene conservait pas le pouvoir. Ne s'en prenait-on pas aussi à la Chambre despairs?Onétaitfurieuxdesonaudace.L'audacedelaChambredespairs!Certes,c'était là, le dernier outrage et la dernière injustice qu'elle eût dû s'attendre àéprouverdel'opinion.

Il y eut un projet: vingt jeunes gens des plus ardents devaient s'embusquerdans une petite rue donnant sur le quai de la Ferraille, et faire feu sur Louis-Philippe,lorsqu'ilserendraitduPalais-Royalàlamaisondeville.Onlesarrêtaen leur disant: «Vous tuerez en même temps Laffitte, Pajol et BenjaminConstant.»Enfinonvoulaitenleverleducd'Orléansetl'embarqueràCherbourg:étrange rencontre, siCharlesX et Philippe se fussent retrouvés dans lemêmeport, sur lemême vaisseau, l'un expédié à la rive étrangère par les bourgeois,

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l'autreparlesrépublicains!

Le duc d'Orléans, ayant pris le parti d'aller faire confirmer son titre par lestribuns de l'Hôtel deVille, descendit dans la cour duPalais-Royal, entouré dequatre-vingt-neuf députés en casquettes, en chapeaux ronds, en habits, enredingotes. Le candidat royal est monté sur un cheval blanc; il est suivi deBenjaminConstantdansunechaiseàporteurballottéepardeuxSavoyards.MM.Méchin[287]etViennet[288],couvertsdesueuretdepoussière,marchententrelechevalblancdumonarquefuturetlabrouettedudéputégoutteux,sequerellantavec les deux crocheteurs pour garder les distances voulues. Un tambour àmoitié ivre battait la caisse à la tête du cortège.Quatre huissiers servaient delicteurs.Lesdéputéslespluszélésmeuglaient:Viveleducd'Orléans!AutourduPalais-Royal,cescriseurentquelquessuccès;mais,àmesurequ'onavançaitversl'HôteldeVille, lesspectateursdevenaientmoqueursousilencieux.Philippesedémenaitsursonchevaldetriomphe,etnecessaitdesemettresouslebouclierdeM.Laffitte,enrecevantdelui,cheminfaisant,quelquesparolesprotectrices.IlsouriaitaugénéralGérard, faisaitdessignesd'intelligenceàM.ViennetetàM.Méchin,mendiait la couronne en quêtant le peuple avec son chapeau ornéd'une aune de ruban tricolore, tendant lamain à quiconque voulait en passantaumôner cettemain.Lamonarchie ambulante arrive sur laplacedeGrève,oùelleestsaluéedescris:VivelaRépublique!

Quandlamatièreélectoraleroyalepénétradansl'intérieurdel'HôteldeVille,des murmures plus menaçants accueillirent le postulant: quelques serviteurszélés qui criaient son nom reçurent des gourmades. Il entre dans la salle duTrône; là se pressaient les blessés et les combattants des trois journées: uneexclamationgénérale:PlusdeBourbons!ViveLaFayette!ébranlalesvoûtesdelasalle.Leprinceenparuttroublé.M.ViennetlutàhautevoixpourM.Laffittela déclaration des députés; elle fut écoutée dans un profond silence. Le ducd'Orléansprononçaquelquesmotsd'adhésion.AlorsM.DubourgditrudementàPhilippe: «Vous venez de prendre de grands engagements. S'il vous arrivaitjamaisd'ymanquer,noussommesgensàvous les rappeler.»Et le roi futurderépondre tout ému: «Monsieur, je suis honnête homme.» M. de la Fayette,voyant l'incertitude croissante de l'assemblée, se mit tout à coup en têted'abdiquer la présidence: il donne au duc d'Orléans un drapeau tricolore,s'avancesurlebalcondel'HôteldeVille,etembrasseleprinceauxyeuxdelafouleébahie,tandisquecelui-ciagitaitledrapeaunational.Lebaiserrépublicainde La Fayette fit un roi. Singulier résultat de toute la vie du héros des Deux

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Mondes!

Et puis, plan! plan! la litière de Benjamin Constant et le cheval blanc deLouis-Philipperentrèrentmoitiéhués,moitiébénis,delafabriquepolitiquedelaGrève au Palais-Marchand. «Ce jour-làmême, dit encoreM.LouisBlanc (31juillet),etnonloindel'HôteldeVille,unbateauplacéaubasdelaMorgue,etsurmonté d'un pavillon noir, recevait des cadavres qu'on descendait sur descivières. On rangeait ces cadavres par piles en les couvrant de paille; et,rassembléelelongdesparapetsdelaSeine,lafouleregardaitensilence[289].»

À propos des États de la Ligue et de la confection d'un roi, Palma-Cayets'écrie: «Je vous prie de vous représenter quelle réponse eût pu faire ce petitbonhommemaîtreMatthieuDelaunay etM.Boucher, curé de Saint-Benoît, etquelqueautredecetteétoffe,àquileureûtditqu'ilsdussentêtreemployéspourinstallerunroienFranceàleurfantaisie?...LesvraisFrançaisonttoujourseuenmépriscetteformed'élirelesroisquilesrendmaîtresetvaletstoutensemble.»

Philippen'étaitpasauboutdesesépreuves;ilavaitencorebiendesmainsàserrer, bien des accolades à recevoir; il lui fallait encore envoyer bien desbaisers,saluerbienbaslespassants,venirbiendesfois,aucapricedelafoule,chanterlaMarseillaisesurlebalcondesTuileries.

Uncertainnombrederépublicainss'étaientréunislematindu31aubureauduNational:lorsqu'ilssurentqu'onavaitnomméleducd'Orléanslieutenantgénéraldu royaume, ilsvoulurent connaître lesopinionsde l'hommedestinéàdevenirleurroimalgréeux.IlsfurentconduitsauPalais-RoyalparM.Thiers:c'étaientMM. Bastide[290], Thomas[291], Joubert[292], Cavaignac[293], Marchais[294],Degousée[295], Guinard[296]. Le prince dit d'abord de fort belles choses sur laliberté:«Vousn'êtespasencore roi, répliquaBastide,écoutez lavérité;bientôtvousnemanquerezpasdeflatteurs.»«Votrepère,ajoutaCavaignac,estrégicidecommelemien;celavoussépareunpeudesautres.»Congratulationsmutuellessurlerégicide,néanmoinsaveccetteremarquejudicieusedePhilippe,qu'ilyadeschosesdontilfautgarderlesouvenirpournepaslesimiter.

Des républicains qui n'étaient pas de la réunion duNational entrèrent. M.TrélatditàPhilippe:«Lepeupleestlemaître;vosfonctionssontprovisoires;ilfautquelepeupleexprimesavolonté:leconsultez-vous,ouiounon?»

M.Thiers, frappant sur l'épauledeM.Thomas et interrompant cesdiscours

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dangereux:«Monseigneur,n'est-cepasquevoilàunbeaucolonel?—C'estvrai,répond Louis-Philippe.—Qu'est-ce qu'il dit donc? s'écrie-t-on. Nous prend-ilpourun troupeauquivientsevendre?»Et l'onentendde toutespartscesmotscontradictoires: «C'est la tour deBabel!Et l'on appelle cela un roi citoyen! laRépublique?Gouvernezdoncavecdes républicains!»EtM.Thiersdes'écrier:«J'aifaitlàunebelleambassade!»

PuisM.deLaFayettedescenditauPalais-Royal:lecitoyenfaillitêtreétouffésouslesembrassementsdesonroi.Toutelamaisonétaitpâmée.

Les vestes étaient aux postes d'honneur, les casquettes dans les salons, lesblouses à table avec les princes et les princesses; dans le conseil, des chaises,pointdefauteuils;laparoleàquilavoulait;Louis-Philippe,assisentreM.deLaFayette et M. Laffitte, les bras passés sur l'épaule de l'un et de l'autre,s'épanouissaitd'égalitéetdebonheur.

J'auraisvoulumettreplusdegravitédansladescriptiondecesscènesquiontproduitunegranderévolution,ou,pourparlerpluscorrectement,decesscènespar lesquelles sera hâtée la transformation dumonde;mais je les ai vues; desdéputés qui en étaient les acteurs ne pouvaient s'empêcher d'une certaineconfusion,enmeracontantdequellemanière,le31juillet,ilsétaientallésforger—unroi.

OnfaisaitàHenriIV,noncatholique,desobjectionsquineleravalaientpasetquisemesuraientàlahauteurmêmedutrône:onluiremontrait«quesaintLouisn'avoitpasétécanoniséàGenève,maisàRome:quesileroin'étoitcatholique,ilnetiendroitpaslepremierrangdesroisenlachrétienté;qu'iln'étoitpasbeauqueleroipriâtd'unesorteetsonpeupled'uneautre;queleroinepourraitêtresacré à Reims et qu'il ne pourroit être enterré à Saint-Denis s'il n'étoitcatholique.»

Qu'objectait-onàPhilippeavantdelefairepasserauderniertourdescrutin?Onluiobjectaitqu'iln'étaitpasassezpatriote.

Aujourd'huique la révolutionestconsommée,onse regardecommeoffensélorsqu'onoserappelercequisepassaaupointdedépart;oncraintdediminuerlasoliditédelapositionqu'onaprise,etquiconquenetrouvepasdansl'originedufaitcommençantlagravitédufaitaccompli,estundétracteur.

Lorsqu'unecolombedescendaitpourapporteràClovis l'huilesainte, lorsque

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lesroischevelusétaientélevéssurunbouclier,lorsquesaintLouistremblait,parsa vertu prématurée, en prononçant à son sacre le serment de n'employer sonautoritéquepour lagloiredeDieuet lebiendesonpeuple, lorsqueHenri IV,aprèssonentréeàParis,allaseprosterneràNotre-Dame,quel'onvitouquel'oncrutvoir,àsadroite,unbelenfantquiledéfendaitetquel'onpritpoursonangegardien, je conçois que le diadème était sacré; l'oriflamme reposait dans lestabernaclesduciel.Maisdepuisque,suruneplacepublique,unsouverain, lescheveuxcoupés,lesmainsliéesderrièreledos,aabaissésatêtesousleglaiveauson du tambour; depuis qu'un autre souverain, environné de la plèbe, est allémendierdesvotespoursonélection, aubruitdumême tambour, suruneautreplacepublique,quiconservelamoindreillusionsurlacouronne?Quicroitquecette royauté meurtrie et souillée puisse encore imposer au monde? Quelhomme,sentantunpeusoncœurbattre,voudraitavalerlepouvoirdanscecalicede honte et de dégoût que Philippe a vidé d'un seul trait sans vomir? Lamonarchieeuropéenneauraitpucontinuersavie,sil'oneûtconservéenFrancelamonarchiemère,filled'unsaintetd'ungrandhomme;maisonenadispersélessemences:rienn'enrenaîtra.

Vous venez de voir la royauté de laGrève s'avancer poudreuse et haletantesous ledrapeau tricolore,aumilieudeses insolentsamis;voyezmaintenant laroyautédeReimsseretirer,àpasmesurés,aumilieudesesaumôniersetdesesgardes,marchant dans toute l'exactitude de l'étiquette, n'entendant pas unmotqui ne fût unmot de respect, et révéréemême de ceux qui la détestaient. Lesoldat,quil'estimaitpeu,sefaisaittuerpourelle;ledrapeaublanc,placésursoncercueil avant d'être reployé pour jamais, disait au vent: Saluez-moi: j'étais àIvry; j'ai vu mourir Turenne; les Anglais me connurent à Fontenoy; j'ai faittriompherlalibertésousWashington;j'aidélivrélaGrèceetjeflotteencoresurlesmuraillesd'Alger!

Le31,àl'aubedujour,àl'heuremêmeoùleducd'Orléans,arrivéàParis,sepréparaitàl'acceptationdelalieutenancegénérale,lesgensduservicedeSaint-Cloud se présentèrent au bivouac du pont de Sèvres, annonçant qu'ils étaientcongédiés,etqueleroiétaitpartiàtroisheuresetdemiedumatin.Lessoldatss'émurent,puisilssecalmèrentàl'apparitionduDauphin:ils'avançaitàcheval,commepourlesenleverparundecesmotsquimènentlesFrançaisàlamortouà la victoire; il s'arrête au front de la ligne, balbutie quelques phrases, tournecourt et rentre au château. Le courage ne lui faillit pas, mais la parole. Lamisérable éducationdenosprincesde labrancheaînée,depuisLouisXIV, les

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rendait incapablesdesupporterunecontradiction,des'exprimercommetout lemonde,etdesemêleraurestedeshommes.

Cependant,leshauteursdeSèvresetlesterrassesdeBellevuesecouronnaientd'hommes du peuple: on échangea quelques coups de fusil. Le capitaine quicommandait à l'avant-garde du pont de Sèvres passa à l'ennemi; il mena unepiècede canonet unepartiede ses soldats auxbandes réunies sur la routeduPoint du Jour. Alors les Parisiens et la garde convinrent qu'aucune hostilitén'auraitlieujusqu'àcequel'évacuationdeSaint-CloudetdeSèvresfûteffectuée.Le mouvement rétrograde commença; les Suisses furent enveloppés par leshabitantsdeSèvres,jetèrentbasleursarmes,bienquedégagéspresqueaussitôtpar les lanciers, dont le lieutenant-colonel fut blessé. Les troupes traversèrentVersailles, où la garde nationale faisait le service depuis la veille avec lesgrenadiersdeLaRochejaquelein,l'unesouslacocardetricolore,lesautresaveclacocardeblanche.MadamelaDauphinearrivadeVichyetrejoignitlafamilleroyale à Trianon, jadis séjour préféré deMarie-Antoinette. À Trianon,M. dePolignacseséparadesonmaître.

On a dit que madame la Dauphine était opposée aux ordonnances: le seulmoyen de bien juger les choses, c'est de les considérer dans leur essence; leplébéienseratoujoursd'avisdelaliberté,leprinceinclineratoujoursaupouvoir.Il ne leur en faut faire ni un crime ni unmérite; c'est leur nature.Madame laDauphine aurait peut-être désiré que les ordonnances eussent paru dans unmoment plus opportun, alors que demeilleures précautions eussent été prisespourengarantirlesuccès;maisaufondellesluiplaisaientetluidevaientplaire.MadameladuchessedeBerryenétaitravie.Cesdeuxprincessescrurentquelaroyauté, horsdepage, était enfin affranchiedes entravesque legouvernementreprésentatifattacheaupieddusouverain.

Onestétonné,danscesévénementsde juillet,denepas rencontrer lecorpsdiplomatique,luiquin'étaitquetropconsultédelacouretquisemêlaittropdenosaffaires.

Il est question deux fois des ambassadeurs étrangers dans nos dernierstroubles.Un homme fut arrêté aux barrières, et le paquet dont il était porteurenvoyéàl'HôteldeVille:c'étaitunedépêchedeM.deLœvenhielm[297]auroideSuède.M.Baudefitremettrecettedépêcheàlalégationsuédoisesansl'ouvrir.La correspondance de lord Stuart étant tombée entre les mains des meneurspopulaires, elle lui fut pareillement renvoyée sans avoir été ouverte, ce qui fit

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merveille àLondres.LordStuart, commesescompatriotes, adorait ledésordrechez l'étranger: sa diplomatie était de lapolice, ses dépêches, des rapports. Ilm'aimaitassezlorsquej'étaisministre,parcequejeletraitaissansfaçonetquemaporte lui était toujoursouverte; il entrait chezmoi enbottes à touteheure,crottéetvêtucommeunvoleur,aprèsavoircourusurlesboulevardsetchezlesdames,qu'ilpayaitmaletquil'appelaientStuart[298].

J'avais conçu la diplomatie sur un nouveau plan: n'ayant rien à cacher, jeparlais tout haut; j'auraismontrémes dépêches au premier venu, parce que jen'avais aucun projet pour la gloire de la France que je ne fusse déterminé àaccomplirendépitdetoutopposant.

J'ai dit cent fois à sir Charles Stuart en riant, et j'étais sérieux: «Ne mecherchezpasquerelle:sivousmejetezlegant,jelerelève.LaFrancenevousajamais fait la guerre avec l'intelligence de votre position; c'est pourquoi vousnousavezbattus;maisnevousyfiezpas[299].»

LordStuartvitdoncnostroublesdejuilletdanstoutecettebonnenaturequijubiledenosmisères;mais lesmembresducorpsdiplomatique,ennemisde lacause populaire, avaient plus oumoins pousséCharlesX aux ordonnances, etcependant,quandellesparurent,ilsnefirentrienpoursauverlemonarque;quesiM.PozzodiBorgo[300]semontrainquietd'uncoupd'État,cenefutnipourleroinipourlepeuple.

Deuxchosessontcertaines:

Premièrement, la révolution de juillet attaquait les traités de la quadruplealliance:laFrancedesBourbonsfaisaitpartiedecettealliance;lesBourbonsnepouvaientdoncêtredépossédésviolemmentsansmettreenpérillenouveaudroitpolitiquedel'Europe.

Secondement, dans une monarchie, les légations étrangères ne sont pointaccréditéesauprèsdugouvernement;elleslesontauprèsdumonarque.Lestrictdevoirdeces légationsétaitdoncdese réuniràCharlesXetde le suivre tantqu'ilseraitsurlesolfrançais.

N'est-ilpassingulierqueleseulambassadeuràquicetteidéesoitvenueaitétélereprésentantdeBernadotte,d'unroiquin'appartenaitpasauxvieillesfamillesdesouverains?M.deLœvenhielmallaitentraînerlebarondeWerther[301]danssonopinion,quandM.PozzodiBorgos'opposaàunedémarchequ'imposaient

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leslettresdecréanceetquecommandaitl'honneur.

SilecorpsdiplomatiquesefûtrenduàSaint-Cloud,lapositiondeCharlesXchangeait:lespartisansdelalégitimitéeussentacquisdanslaChambreélectiveune force qui leur manqua tout d'abord; la crainte d'une guerre possible eûtalarmélaclasseindustrielle; l'idéedeconserverlapaixengardantHenriVeûtentraînédanslepartidel'enfantroyalunemasseconsidérabledepopulations.

M.PozzodiBorgos'abstintpournepascompromettresesfondsàlaBourseouchezdesbanquiers,etsurtoutpournepasexposersaplace.Ilajouéaucinqpourcentsurlecadavredelalégitimitécapétienne,cadavrequicommuniqueralamortauxautres roisvivants. Ilnemanqueraplus,dansquelque tempsd'ici,que d'essayer, selon l'usage, de faire passer cette faute irréparable d'un intérêtpersonnelpourunecombinaisonprofonde.

Les ambassadeurs qu'on laisse trop longtemps à lamême cour prennent lesmœurs du pays où ils résident: charmés de vivre au milieu des honneurs, nevoyant plus les choses comme elles sont, ils craignent de laisser passer dansleursdépêchesunevéritéquipourraitamenerunchangementdansleurposition.Autrechoseest,eneffet,d'êtreEsterhazy,Werther,PozzoàVienne,àBerlin,àPétersbourg,oubienLL.EE.lesambassadeursàlacourdeFrance[302].OnaditqueM.PozzoavaitdesrancunescontreLouisXVIIIetCharlesX,àproposducordonbleuetdelapairie.Oneuttortdenepaslesatisfaire;ilavaitrenduauxBourbonsdesservices,enhainedesoncompatrioteBonaparte.MaissiàGandildécida laquestiondu trôneenprovoquant ledépartsubitdeLouisXVIIIpourParis,ilsepeutvanterqu'enempêchantlecorpsdiplomatiquedefairesondevoirdanslesjournéesdejuillet,ilacontribuéàfairetomberdelatêtedeCharlesXlacouronnequ'ilavaitaidéàreplacersurlefrontdesonfrère.

Je le pense depuis longtemps, les corps diplomatiques, nés dans des sièclessoumisàunautredroitdesgens,nesontplusenrapportaveclasociéténouvelle:desgouvernementspublics, des communications faciles fontqu'aujourd'hui lescabinetssontàmêmedetraiterdirectementousansautreintermédiairesquedesagentsconsulaires,dontilfaudraitaccroîtrelenombreetaméliorerlesort:car,àcette heure, l'Europe est industrielle. Les espions titrés, à prétentionsexorbitantes, qui se mêlent de tout pour se donner une importance qui leuréchappe,neserventqu'àtroublerlescabinetsprèsdesquelsilssontaccrédités,etànourrir leursmaîtresd'illusions.CharlesXeut tort,desoncôté,enn'invitantpaslecorpsdiplomatiqueàserendreàsacour;maiscequ'ilvoyaitluisemblait

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unrêve;ilmarchaitdesurpriseensurprise.C'estainsiqu'ilnemandapasauprèsde lui M. le duc d'Orléans; car, ne se croyant en danger que du côté de larépublique,lepérild'uneusurpationneluivintjamaisenpensée.

CharlesXpartitdanslasoiréepourRambouilletaveclesprincessesetM.leducdeBordeaux.LenouveaurôledeM.leducd'Orléansfitnaîtredanslatêteduroilespremièresidéesd'abdication.Monsieurledauphin,toujoursàl'arrière-garde,maisne semêlantpoint aux soldats, leur fitdistribuer àTrianoncequirestaitdevinsetdecomestibles.

Àhuit heures et un quart du soir, les divers corps semirent enmarche.Làexpiralafidélitédu5eléger.Aulieudesuivrelemouvement,ilrevintàParis:onrapporta son drapeau à Charles X, qui refusa de le recevoir, comme il avaitrefuséderecevoirceluidu50e.

Les brigades étaient dans la confusion, les armes mêlées; la cavaleriedépassait l'infanterieetfaisaitseshaltesàpart.Àminuit, le31juilletexpirant,on s'arrêta à Trappes. Le Dauphin coucha dans une maison en arrière de cevillage.

Le lendemain, 1er août, il partit pour Rambouillet, laissant les troupesbivouaquées à Trappes. Celles-ci levèrent leur camp à onze heures. Quelquessoldats,étantallésacheterdupaindansleshameaux,furentmassacrés.

ArrivéeàRambouillet,l'arméefutcantonnéeautourduchâteau.

Danslanuitdu1erau2août,troisrégimentsdelagrossecavaleriereprirentlecheminde leurs anciennesgarnisons.On croit que le généralBordesoulle[303],commandant la grosse cavalerie de la garde, avait fait sa capitulation àVersailles.Le2edegrenadierspartitaussile2aumatin,aprèsavoirrenvoyésesguidons chez le roi. Le Dauphin rencontra ces grenadiers déserteurs; ils seformèrent en bataille pour rendre les honneurs au prince, et continuèrent leurchemin. Singuliermélange d'infidélité et de bienséance!Dans cette révolutiondestroisjournées,personnen'avaitdepassion;chacunagissaitselonl'idéequ'ils'étaitfaitedesondroitoudesondevoir:ledroitconquis,ledevoirrempli,nulleinimitiécommenulleaffectionnerestait;l'uncraignaitqueledroitnel'entraînâttrop loin, l'autre que le devoir ne dépassât les bornes. Peut-être n'est-il arrivéqu'unefois,etpeut-êtren'arrivera-t-ilplus,qu'unpeuplesesoitarrêtédevantsa

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victoire, et que des soldats qui avaient défendu un roi, tant qu'il avait paruvouloir se battre, lui aient remis leurs étendards avant de l'abandonner. Lesordonnancesavaientaffranchilepeupledesonserment;laretraite,surlechampdebataille,affranchitlegrenadierdesondrapeau.

CharlesXseretirant,lesrépublicainsreculant,rienn'empêchaitlamonarchieélue d'avancer. Les provinces, toujours moutonnières et esclaves de Paris, àchaquemouvement du télégraphe ou à chaque drapeau tricolore perché sur lehautd'unediligence,criaient:VivePhilippe!ou:VivelaRévolution!

L'ouverture de la session fixée au 3 août, les pairs se transportèrent à laChambre des députés: je m'y rendis, car tout était encore provisoire. Là futreprésentéunautre actedemélodrame: le trône restavideet l'anti-roi s'assit àcôté.Oneûtditduchancelierouvrantparprocurationunesessionduparlementanglais,enl'absencedusouverain.

Philippe parla de la funeste nécessité où il s'était trouvé d'accepter lalieutenancegénéralepournoussauver tous,de larévisionde l'article14deLaCharte,de la libertéque lui,Philippe,portaitdanssoncœuretqu'ilallait fairedéborder sur nous, comme la paix sur l'Europe. Jongleries de discours et deconstitution répétées à chaque phase de notre histoire, depuis un demi-siècle.Maisl'attentiondevinttrèsvivequandleprincefitcettedéclaration:

Messieurslespairsetmessieurslesdéputés,

«Aussitôt que les deux Chambres seront constituées, je ferai porter à votreconnaissance l'acte d'abdication de S.M. le roiCharlesX. Par cemême acte,Louis-AntoinedeFrance,dauphin,renonceégalementàsesdroits.Cetacteaétéremisentremesmainshier,2août,àonzeheuresdusoir.J'enordonnecematinledépôtdans lesarchivesde laChambredespairs,et je le fais insérerdans lapartieofficielleduMoniteur.»

Parunemisérableruseetunelâcheréticence,leducd'Orléanssupprimeicilenom de Henri V, en faveur duquel les deux rois avaient abdiqué. Si, à cetteépoque, chaque Français eût pu être consulté individuellement, il est probableque la majorité se fût prononcée en faveur de Henri V; une partie desrépublicainsmême l'aurait accepté, en luidonnantLaFayettepourmentor.Le

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germedelalégitimitérestéenFrance,lesdeuxvieuxroisallantfinirleursjoursàRome, aucune des difficultés qui entourent une usurpation et qui la rendentsuspecteauxdiverspartisn'auraitexisté[304].L'adoptiondescadetsdeBourbonétaitnonseulementunpéril,c'étaituncontre-senspolitique:laFrancenouvelleestrépublicaine;elleneveutpointderoi,dumoinselleneveutpointunroidelavieille race. Encore quelques années, nous verrons ce que deviendront noslibertésetcequeseracettepaixdontlemondesedoitréjouir.Sil'onpeutjugerde la conduite du nouveau personnage élu, par ce que l'on connaît de soncaractère, il est présumable que ce prince ne croira pouvoir conserver samonarchiequ'enopprimantaudedansetenrampantaudehors.

Le tort réel de Louis-Philippe n'est pas d'avoir accepté la couronne (acted'ambitiondontilyadesmilliersd'exemplesetquin'attaquequ'uneinstitutionpolitique); son véritable délit est d'avoir été tuteur infidèle, d'avoir dépouillél'enfantetl'orphelin,délitcontrelequell'Écrituren'apasassezdemalédictions:or,jamaislajusticemorale(qu'onlanommefatalitéouProvidence,jel'appelle,moi,conséquenceinévitabledumal)n'amanquédepunirlesinfractionsàlaloimorale.

Philippe, son gouvernement, tout cet ordre de choses impossibles etcontradictoires,périra,dansuntempsplusoumoinsretardépardescasfortuits,par des complications d'intérêts intérieurs et extérieurs, par l'apathie et lacorruptiondesindividus,parlalégèretédesesprits,l'indifférenceetl'effacementdes caractères; mais, quelle que soit la durée du régime actuel, elle ne serajamaisassezlonguepourquelabranched'Orléanspuissepousserdeprofondesracines.

CharlesX,apprenantlesprogrèsdelarévolution,n'ayantriendanssonâgeetdanssoncaractèredepropreàarrêtercesprogrès,crutparerlecoupportéàsaraceenabdiquantavecsonfils,commePhilippel'annonçaauxdéputés.Dèslepremier août il avait écrit un mot approuvant l'ouverture de la session, et,comptant sur le sincère attachement de son cousin le duc d'Orléans, il lenommait,desoncôté,lieutenantgénéralduroyaume.Ilallaplusloinle2,carilnevoulaitplusques'embarqueretdemandaitdescommissairespourleprotégerjusqu'àCherbourg.Cesappariteursne furentpoint reçusd'abordpar lamaisonmilitaire. Bonaparte eut aussi pour gardes des commissaires, la première foisrusses,lasecondefoisfrançais;maisilnelesavaitpasdemandés.

VoicilalettredeCharlesX:

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«Rambouillet,ce2août1830.

«Moncousin, jesuis tropprofondémentpeinédesmauxquiaffligentouquipourraient menacer mes peuples pour n'avoir pas cherché un moyen de lesprévenir. J'ai donc pris la résolution d'abdiquer la couronne en faveur demonpetit-filsleducdeBordeaux.

«Ledauphin,quipartagemessentiments,renonceaussiàsesdroitsenfaveurdesonneveu.

«Vousaurezdonc,parvotrequalitédelieutenantgénéralduroyaume,àfaireproclamerl'avénementdeHenriVàlacouronne.Vousprendrezd'ailleurstoutesles mesures qui vous concernent pour régler les formes du gouvernementpendant la minorité du nouveau roi. Ici je me borne à faire connaître cesdispositions;c'estunmoyend'éviterencorebiendesmaux.

«Vouscommuniquerezmesintentionsaucorpsdiplomatique,etvousmeferezconnaître le plus tôt possible la proclamation par laquelle mon petit-fils serareconnuroisouslenomdeHenriV....

«Jevousrenouvelle,moncousin, l'assurancedessentimentsaveclesquels jesuisvotreaffectionnécousin.

«CHARLES.»

Si M. le duc d'Orléans eût été capable d'émotion ou de remords, cettesignature:Votreaffectionnécousin,n'aurait-ellepasdû le frapperaucœur?OndoutaitsipeuàRambouilletdel'efficacitédesabdications,quel'onpréparaitlejeuneprinceàsonvoyage:lacocardetricolore,sonégide,étaitdéjàfaçonnéeparlesmainsdesplusgrandszélateursdesordonnances.SupposezquemadameladuchessedeBerry,partiesubitementavecsonfils,sefûtprésentéeàlaChambredes députés au moment où M. le duc d'Orléans y prononçait le discoursd'ouverture, il restait deux chances; chances périlleuses! mais du moins, unecatastrophearrivant,l'enfantenlevéaucieln'auraitpastraînédemisérablesjoursenterreétrangère.

Mesconseils,mesvœux,mescris, furent impuissants; jedemandaisenvainMarie-Caroline:lamèredeBayard,prêtàquitterlechâteaupaternel,«ploroit,»ditleloyalserviteur.«Labonnegentilfemmesortitparlederrièredelatour,et

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fit venir son fils auquel elle dit ces paroles: «Pierre,mon ami, soyez doux etcourtoisenostantdevoustoutorgueil;soyezhumbleetserviableàtoutesgens;soyezloyalenfaictsetdits;soyezsecourableauxpauvresveufvesetorphelins,etDieulevousguerdonnera....»Alorslabonnedametirahorsdesamancheunepetite boursette en laquelle avoit seulement six écus en or et un en monnoiequ'elledonnaàsonfils.»

Le chevalier sans peur et sans reproche partit avec six écus d'or dans unepetite boursette pour devenir le plus brave et le plus renommé des capitaines.Henri,quin'apeut-êtrepassixécusd'or,aurabiend'autrescombatsàrendre;ilfaudraqu'illuttecontrelemalheur,championdifficileàterrasser.Glorifionslesmèresquidonnentde si tendres etde sibonnes leçonsà leur fils!Béniedoncsoyez-vous,mamère,dequi je tienscequipeutavoirhonoréetdisciplinémavie!

Pardonde tousces souvenirs;maispeut-être la tyranniedemamémoire,enfaisantentrer lepassédans leprésent,ôteàcelui-ciunepartiedecequ'ilademisérable.

Les trois commissaires députés vers Charles X étaient MM. de Schonen,Odilon Barrot et le maréchal Maison. Renvoyés par les postes militaires, ilsreprirentlaroutedeParis.UnflotpopulairelesreportaversRambouillet.

Le bruit se répandit, le 2 au soir, à Paris que Charles X refusait de quitterRambouillet jusqu'à ce que son petit-fils eût été reconnu. Une multitudes'assembla le 3 au matin aux Champs-Élysées, criant: «À Rambouillet! àRambouillet! Il ne faut pas qu'un seul Bourbon en réchappe.» Des hommesrichesse trouvaientmêlésàcesgroupes,mais, lemomentarrivé, ils laissèrentpartirlacanaille,àlatêtedelaquelleseplaçalegénéralPajol,quipritlecolonelJacqueminot[305] pour son chef d'état-major. Les commissaires qui revenaient,ayant rencontré les éclaireurs de cette colonne, retournèrent sur leurs pas etfurent introduits alors à Rambouillet. Le roi les questionna sur la force desinsurgés,puis,s'étantretiré,ilfitappelerMaison,quiluidevaitsafortuneetlebâtondemaréchal[306]:«Maison,jevousdemandesurl'honneurdemedire,foide soldat, si ce que les commissaires ont raconté est vrai?» Le maréchalrépondit:«Ilsnevousontditquelamoitiédelavérité.»

Il restait encore, le3 août, àRambouillet, troismille cinqcentshommesde

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l'infanterie de la garde, quatre régiments de cavalerie légère, formant vingtescadrons, et présentant deux mille hommes. La maison militaire, gardes ducorps,etc.,cavalerieetinfanterie,semontaitàtreizecentshommes;entouthuitmillehuitcentshommes,septbatteriesatteléesetcomposéesdequarante-deuxpiècesdecanon.Àdixheuresdusoironfaitsonnerleboute-selle;toutlecampsemetenroutepourMaintenon,CharlesXetsafamillemarchantaumilieudelacolonnefunèbrequ'éclairaitàpeinelalunevoilée.

Etdevantqui se retirait-on?Devantune troupepresquesansarmes,arrivanten omnibus, en fiacres, en petites voitures deVersailles et deSaint-Cloud.LegénéralPajol se croyait bienperdu lorsqu'il fut forcéde semettre à la tête decettemultitude[307],laquelle,aprèstout,nes'élevaitpasaudelàdequinzemilleindividus, avec l'adjonction des Rouennais arrivés. La moitié de cette trouperestait sur les chemins. Quelques jeunes gens exaltés, vaillants et généreux,mêlés à ce ramas, se seraient sacrifiés; le reste se fût probablement dispersé.DansleschampsdeRambouillet,enrasecampagne,ileûtfalluaborderlefeudela ligne et de l'artillerie; une victoire, selon toutes les apparences, eût étéremportée.EntrelavictoiredupeupleàParisetlavictoireduroiàRambouillet,desnégociationsseseraientétablies.

Quoi!parmi tantd'officiers, ilnes'enestpas trouvéunassezrésolupoursesaisirducommandementaunomdeHenriV?Car, après tout,CharlesXet leDauphinn'étaientplusrois!

Nevoulait-onpascombattre:queneseretirait-onàChartres?Là,oneûtétéhorsde l'atteintede lapopulacedeParis;encoremieuxàTours,ens'appuyantsurdesprovinces légitimistes.CharlesXdemeuréenFrance, lamajeurepartiedel'arméeseraitdemeuréefidèle.LescampsdeBoulogneetdeLunévilleétaientlevés et marchaient à son secours. Mon neveu, le comte Louis, amenait sonrégiment, le 4e chasseurs, qui ne se débanda qu'en apprenant la retraite deRambouillet.M.deChateaubriandfutréduitàescortersurunponylemonarquejusqu'aulieudesonembarcation.Si,rendudansuneville,àl'abrid'unpremiercoupdemain,CharlesXeûtconvoquélesdeuxChambres,plusdelamoitiédeces Chambres aurait obéi Casimir Périer, le général Sébastiani et cent autresavaientattendu,s'étaientdébattuscontrelacocardetricolore;ilsredoutaientlespérilsd'unerévolutionpopulaire:quedis-je? le lieutenantgénéralduroyaume,mandé par le roi et ne voyant pas la bataille gagnée, se serait dérobé à sespartisansetconforméàl'injonctionroyale.Lecorpsdiplomatique,quinefitpassondevoir, l'eût fait alors en se rangeant autourdumonarque.LaRépublique,

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installéeàParisaumilieudetouslesdésordres,n'auraitpasduréunmoisenfaced'ungouvernementrégulierconstitutionnel,établiailleurs.Jamaisonneperditlapartieàsibeaujeu,etquandonl'aperduedelasorte,iln'yaplusderevanche:allez donc parler de liberté aux citoyens et d'honneur aux soldats après lesordonnancesdejuilletetlaretraitedeSaint-Cloud!

Viendrapeut-être le temps,quandunesociéténouvelleaurapris laplacedel'ordre social actuel, que la guerre paraîtra unemonstrueuse absurdité, que leprincipemêmen'enserapluscompris;maisnousn'ensommespaslà.Danslesquerellesarmées,ilyadesphilanthropesquidistinguentlesespècesetsontprêtsàse trouvermalauseulnomdeguerrecivile:«Descompatriotesquise tuent!desfrères,despères,desfilsenfacelesunsdesautres!»Toutcelaestforttriste,sans doute; cependant un peuple s'est souvent retrempé et régénéré dans lesdiscordes intestines. Il n'a jamais péri par une guerre civile, et il a souventdisparu dans des guerres étrangères.Voyez ce qu'était l'Italie au temps de sesdivisions, et voyez ce qu'elle est aujourd'hui. Il est déplorable d'être obligé deravagerlapropriétédesonvoisin,devoirsesfoyersensanglantésparcevoisin;mais, franchement, est-il beaucoup plus humain de massacrer une famille depaysans allemands que vous ne connaissez pas, qui n'a eu avec vous dediscussion d'aucune nature, que vous volez, que vous tuez sans remords, dontvousdéshonorezensûretédeconsciencelesfemmesetlesfilles,parcequec'estta guerre? Quoi qu'on en dise, les guerres civiles sont moins injustes, moinsrévoltantesetplusnaturellesquelesguerresétrangères,quandcelles-cinesontpas entreprises pour sauver l'indépendance nationale. Les guerres civiles sontfondées au moins sur des outrages individuels, sur des aversions avouées etreconnues; ce sont des duels avec des seconds, où les adversaires saventpourquoi ilsont l'épéeà lamain.Si lespassionsne justifientpas lemal, ellesl'excusent, elles l'expliquent, elles font concevoir pourquoi il existe.La guerreétrangère,commentest-elle justifiée?Desnationss'égorgentordinairementpascequ'un roi s'ennuie, qu'un ambitieux seveut élever, qu'unministre cherche àsupplanterunrival.Ilesttempsdefairejusticedecesvieuxlieuxcommunsdesensiblerie, plus convenables aux poètes qu'aux historiens: Thucydide, César,Tite-Livesecontententd'unmotdedouleuretpassent.

Laguerrecivile,malgrésescalamités,n'aqu'undangerréel:silesfactionsontrecoursàl'étrangerousil'étranger,profitantdesdivisionsd'unpeuple,attaquecepeuple; la conquête pourrait être le résultat d'une telle position. La Grande-Bretagne, l'Ibérie, laGrèceconstantinopolitaine,denos jours laPologne,nousoffrentdesexemplesqu'onnedoitpasoublier.Toutefois,pendantlaLigue, les

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deuxpartisappelantàleuraidedesEspagnolsetdesAnglais,desItaliensetdesAllemands,ceux-cisecontre-balancèrentetnedérangèrentpointl'équilibrequelesFrançaisarmésmaintenaiententreeux.

CharlesXeuttortd'employerlesbaïonnettesausoutiendesordonnances;sesministres ne peuvent se justifier d'avoir fait, par obéissance ou non, couler lesangdupeupleetdessoldats,sansqu'aucunehainelesdivisât,demêmequelesterroristesde théorie reproduiraientvolontiers le systèmede la terreur lorsqu'iln'yaplusdeterreur.MaisCharlesXeuttortaussidenepasaccepterlaguerrelorsque,aprèsavoircédésurtouslespoints,onlaluiapportait.Iln'avaitpasledroit, après avoir attaché le diadème au front de son petit-fils, de dire à cenouveau Joas: «Je t'ai fait monter au trône pour te traîner dans l'exil, pourqu'infortuné,banni,tuporteslepoidsdemesans,demaproscriptionetdemonsceptre.»IlnefallaitpasaumêmeinstantdonneràHenriVunecouronneetluiôterlaFrance.Enlefaisantroi,onl'avaitcondamnéàmourirsurlesoloùs'estmêléelapoussièredesaintLouisetdeHenriIV.

Ausurplus,aprèscebouillonnementdemonsang,jereviensàmaraison,etjenevoisplusdansceschosesquel'accomplissementdesdestinsdel'humanité.Lacour,triomphanteparlesarmes,eûtdétruitleslibertéspubliques;ellen'enauraitpas moins été écrasée un jour; mais elle eût retardé le développement de lasociétépendantquelques années; tout cequi avait compris lamonarchied'unemanièrelargeeûtétépersécutéparlacongrégationrétablie.Endernierrésultat,les événements ont suivi la pente de la civilisation. Dieu fait les hommespuissants conformes à ses desseins secrets: il leur donne les défauts qui lesperdent quand ils doivent être perdus, parce qu'il ne veut pas quedes qualitésmal appliquées par une fausse intelligence s'opposent aux décrets de saprovidence.

La famille royale, en se retirant, réduisait mon rôle à moi-même. Je nesongeaisplusqu'àcequejeseraisappeléàdireàlaChambredespairs.Écrireétaitimpossible:sil'attaquefûtvenuedesennemisdelacouronne;siCharlesXeûtétérenverséparuneconspirationdudehors,j'auraisprislaplume;et,m'eût-onlaissél'indépendancedelapensée,jemeseraisfaitfortderallierunimmensepartiautourdesdébrisdu trône;mais l'attaqueétaitdescenduede lacouronne;les ministres avaient violé les deux principales libertés; ils avaient rendu laroyauté parjure, non d'intention sans doute, mais de fait; par cela même ilsm'avaientenlevémaforce.Quepouvais-jehasarderenfaveurdesordonnances?

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Commentaurais-jepuvanterencorelasincérité,lacandeur,lachevaleriedelamonarchielégitime?Commentaurais-jepudirequ'elleétaitlaplusfortegarantiede nos intérêts, de nos lois et de notre indépendance?Champion de la vieilleroyauté, cette royauté m'arrachait mes armes et me laissait nu devant mesennemis.

Jefusdonctoutétonnéquand,réduitàcettefaiblesse,jemevisrecherchéparlanouvelleroyauté.CharlesXavaitdédaignémesservices;Philippefituneffortpourm'attacheràlui.D'abordM.Aragomeparlaavecélévationetvivacitédelapart de madame Adélaïde; ensuite le comte Anatole deMontesquiou vint unmatin chez madame Récamier et m'y rencontra. Il me dit que madame laduchesse d'Orléans etM. le duc d'Orléans seraient charmés de me voir, si jevoulais aller au Palais-Royal. On s'occupait alors de la déclaration qui devaittransformerlalieutenancegénéraleduroyaumeenroyauté.Peut-être,avantquejeme prononçasse, S.A.R. avait-elle jugé à propos d'essayer d'affaiblirmonopposition.Ellepouvaitaussipenserquejemeregardaiscommedégagéparlafuitedestroisrois.

CesouverturesdeM.deMontesquiou[308]mesurprirent. Jene les repoussaicependant pas; car, sansme flatter d'un succès, je pensai que je pouvais faireentendre des vérités utiles. Je me rendis au Palais-Royal avec le chevalierd'honneurdelareinefuture.Introduitparl'entréequidonnesurlaruedeValois,je trouvaimadameladuchessed'OrléansetmadameAdélaïdedansleurspetitsappartements. J'avais eu l'honneur de leur être présenté autrefois. Madame laduchessed'Orléansmefitasseoirauprèsd'elle,etsur-le-champellemedit:«Ah!monsieur deChateaubriand, nous sommes bienmalheureux! Si tous les partisvoulaientseréunir,peut-êtrepourrait-onencoresesauver!Quepensez-vousdetoutcela?

«—Madame,répondis-je,rienn'estsiaisé:CharlesXetmonsieurledauphinont abdiqué: Henri est maintenant le roi; monseigneur le duc d'Orléans estlieutenantgénéralduroyaume:qu'ilsoitrégentpendantlaminoritédeHenriV,ettoutestfini.

«—Mais,monsieurdeChateaubriand,lepeupleesttrèsagité;noustomberonsdansl'anarchie.

«—Madame,oserai-jevousdemanderquelleestl'intentiondemonseigneurleducd'Orléans?Acceptera-t-illacouronne,sionlaluioffre?»

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Les deux princesses hésitèrent à répondre. Madame la duchesse d'Orléansrépartitaprèsunmomentdesilence:

«Songez, monsieur de Chateaubriand, aux malheurs qui peuvent arriver. Ilfautquetousleshonnêtesgenss'entendentpournoussauverdelaRépublique.ÀRome,monsieurdeChateaubriand,vouspourriez rendrede sigrands services,oumêmeici,sivousnevouliezplusquitterlaFrance!

«—Madamen'ignorepasmondévouementaujeuneroietàsamère?

«—Ah!monsieurdeChateaubriand,ilsvousontsibientraité!

«—VotrealtesseRoyalenevoudraitpasquejedémentissetoutemavie.

«—MonsieurdeChateaubriand,vousneconnaissezpasmanièce:elleestsilégère!... pauvre Caroline!... Je vais envoyer chercherM. le duc d'Orléans, ilvouspersuaderamieuxquemoi.»

La princesse donna des ordres, et Louis-Philippe arriva au bout d'un demi-quartd'heure.Ilétaitmalvêtuetavaitl'airextrêmementfatigué.Jemelevai,etlelieutenantgénéralduroyaumeenm'abordant:

«—Madame la Duchesse d'Orléans a dû vous dire combien nous sommesmalheureux.»

Etsur-le-champilfituneidyllesurlebonheurdontiljouissaitàlacampagne,sur lavie tranquilleetselonsesgoûtsqu'ilpassaitaumilieudesesenfants.Jesaisis le moment d'une pause entre deux strophes pour prendre à mon tourrespectueusement la parole, et pour répéter à peu près ce que j'avais dit auxprincesses.

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«—Ah! s'écria-t-il, c'est là mon désir! Combien je serais satisfait d'être letuteur et le soutien de cet enfant! Je pense tout comme vous, monsieur deChateaubriand:prendreleducdeBordeauxseraitcertainementcequ'ilyauraitdemieuxàfaire.Jecrainsseulementquelesévénementsnesoientplusfortsquenous.—Plus forts que nous, monseigneur? N'êtes-vous pas investi de tous lespouvoirs?Allons rejoindreHenriV;appelezauprèsdevous,horsdeParis, lesChambresetl'armée.Surleseulbruitdevotredépart,toutecetteeffervescencetombera,etl'onchercheraunabrisousvotrepouvoiréclairéetprotecteur.»

Pendant que je parlais, j'observais Philippe. Mon conseil le mettait mal àl'aise;jelussursonfrontledésird'êtreroi.«MonsieurdeChateaubriand,medit-ilsansmeregarder,lachoseestplusdifficilequevousnelepensez;celanevapas comme cela.Vous ne savez pas dans quel péril nous sommes.Une bandefurieusepeutseportercontrelesChambresauxderniersexcès,etnousn'avonsrienpournousdéfendre.»

Cette phrase échappée àM. le ducd'Orléansme fit plaisir parce qu'ellemefournissait une réplique péremptoire. «Je conçois cet embarras, monseigneur;mais ilyaunmoyensûrde l'écarter.Sivousnecroyezpaspouvoir rejoindreHenriV, comme je le proposais tout à l'heure, vous pouvez prendre une autreroute. La session va s'ouvrir: quelle que soit la première proposition qui serafaite par les députés, déclarez que la Chambre actuelle n'a pas les pouvoirsnécessaires (ce qui est la vérité pure) pour disposer de la forme dugouvernement; dites qu'il faut que laFrance soit consultée, et qu'unenouvelleassemblée soit élue avec des pouvoirs ad hoc pour décider une aussi grandequestion. Votre Altesse Royale se mettra de la sorte dans la position la pluspopulaire;lepartirépublicain,quifaitaujourd'huivotredanger,vousporteraauxnues. Dans les deux mois qui s'écouleront jusqu'à l'arrivée de la nouvellelégislature, vous organiserez la garde nationale; tous vos amis et les amis dujeune roi travailleront avec vous dans les provinces. Laissez venir alors lesdéputés, laissez se plaider publiquement à la tribune la cause que je défends.Cette cause, favorisée en secret par vous, obtiendra l'immense majorité dessuffrages.Lemomentd'anarchieétantpassé,vousn'aurezplusrienàcraindredelaviolencedesrépublicains.Jenevoispasmêmequ'ilsoittrèsdifficiled'attireràvouslegénéralLaFayetteetM.Laffitte.Quelrôlepourvous,monseigneur!vouspouvez régnerquinzeans sous lenomdevotrepupille;dansquinzeans,l'âgedu reposseraarrivépournous tous;vousaurezeu lagloire,uniquedansl'histoire,d'avoirpumonterau trôneetde l'avoir laisséà l'héritier légitime;en

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même temps, vous aurez élevé cet enfant dans les lumières du siècle, et vousl'aurezrenducapablederégnersurlaFrance:unedevosfillespourraitunjourporterlesceptreaveclui.»

Philippepromenaitsesregardsvaguementau-dessusdesatête:«Pardon,medit-il,monsieur deChateaubriand; j'ai quitté, pourm'entretenir avec vous, unedéputation auprès de laquelle il faut que je retourne. Madame la duchessed'Orléansvousauraditcombienjeseraisheureuxdefairecequevouspourriezdésirer;mais,croyez-lebien,c'estmoiquiretiensseulunefoulemenaçante.Silepartiroyalisten'estpasmassacré,ilnedoitsaviequ'àmesefforts.

«—Monseigneur, répondis-je à cette déclaration si inattendue et si loin dusujetdenotreconversation,j'aivudesmassacres:ceuxquiontpasséàtraverslaRévolutionsontaguerris.Lesmoustachesgrisesne se laissentpaseffrayerparlesobjetsquifontpeurauxconscrits.»

S.A.R.seretira,etj'allairetrouvermesamis:

«Ehbien?s'écrièrent-ils.

«—Ehbien,ilveutêtreroi.

«—Etmadameladuchessed'Orléans?

«—Elleveutêtrereine.

«—Ilsvousl'ontdit?

«—L'unm'aparlédebergeries,l'autredespérilsquimenaçaientlaFranceetdelalégèretédelapauvreCaroline;tousdeuxontbienvoulumefaireentendrequejepourraisleurêtreutile,etnil'unnil'autrenem'aregardéenface.»

Madameladuchessed'Orléansdésiramevoirencoreunefois[309].M.leducd'Orléans ne vint pas se mêler à cette conversation. Madame la duchessed'Orléans s'expliqua plus clairement sur les faveurs dont monseigneur le ducd'Orléansseproposaitdem'honorer.Elleeutlabontédemerappelercequ'ellenommaitmapuissancesurl'opinion,lessacrificesquej'avaisfaits,l'aversionqueCharlesXetsafamillem'avaienttoujoursmontrée,malgrémesservices.Ellemeditquesijevoulaisrentrerauministèredesaffairesétrangères,S.A.Et.seferaitungrandbonheurdemeréintégrerdanscetteplace;maisquej'aimeraispeut-être

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mieuxretourneràRome,etqu'elle (madame laduchessed'Orléans)meverraitprendre ce dernier parti avec un extrême plaisir, dans l'intérêt de notre saintereligion.

«Madame,répondis-jesur-le-champavecunesortedevivacité,jevoisquelepartidemonsieurleducd'Orléansestpris,qu'ilenapesélesconséquences,qu'ilavulesannéesdemisèresetdepérilsdiversqu'ilauraàtraverser;jen'aidoncplus rien à dire. Je ne viens point ici pour manquer de respect au sang desBourbons;jenedois,d'ailleurs,quedelareconnaissanceauxbontésdemadame.Laissant donc de côté les grandes objections, les raisons puisées dans lesprincipes et les événements, je supplie Votre Altesse Royale de consentir àm'entendreencequimetouche.

«Elleabienvoulumeparlerdecequ'elleappellemapuissancesurl'opinion.Ehbien!sicettepuissanceestréelle,ellen'estfondéequesurl'estimepublique;or,jelaperdrais,cetteestime,aumomentoùjechangeraisdedrapeau.Monsieurleducd'Orléans aurait cru acquérirunappui, et il n'aurait à son servicequ'unmisérable faiseurdephrases,qu'unparjuredont lavoixneseraitplusécoutée,qu'un renégat à qui chacun aurait le droit de jeter de la boue et de cracher auvisage.Auxparolesincertainesqu'ilbalbutieraitenfaveurdeLouis-Philippe,onluiopposeraitlesvolumesentiersqu'ilapubliésenfaveurdelafamilletombée.N'est-ce pas moi, madame, qui ai écrit la brochure De Bonaparte et desBourbons,lesarticlessurl'arrivéedeLouisXVIIIàCompiègne,leRapportdansleconseilduroiàGand,l'HistoiredelavieetdelamortdeM.leducdeBerry?Jene sais s'ilyaune seulepagedemoioù lenomdemesanciens roisne setrouve pour quelque chose, et où il ne soit environné de mes protestationsd'amour et de fidélité; chose qui porte un caractère d'attachement individueld'autantplus remarquable,quemadame sait que je ne crois pas aux rois.À laseulepenséed'unedésertion, lerougememonteauvisage; j'irais le lendemainmejeterdanslaSeine.Jesuppliemadamed'excuserlavivacitédemesparoles;jesuispénétrédesesbontés;j'engarderaiunprofondetreconnaissantsouvenir,maisellenevoudraitpasmedéshonorer:plaignez-moi,madame,plaignez-moi!»

J'étais resté debout et, m'inclinant, je me retirai. Mademoiselle d'Orléansn'avaitpasprononcéunmot.Elle se levaet,ens'enallant,ellemedit:«Jenevous plains pas, monsieur de Chateaubriand, je ne vous plains pas!» Je fusétonnédecepeudemotsetdel'accentaveclequelilsfurentprononcés.

Voilàmadernièretentationpolitique;j'auraispumecroireunjusteselonsaint

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Hilaire,carilaffirmequeleshommessontexposésauxentreprisesdudiableenraisondeleursainteté:Victoriaeiestmagis,exactadesanctis:«savictoireestplus grande remportée sur des saints.»Mes refus étaient d'unedupe; où est lepublicpour les juger?n'aurais-jepaspumerangeraunombredeceshommes,filsvertueuxdelaterre,quiserventlepaysavanttout?Malheureusementjenesuispasunecréatureduprésent,etjeneveuxpointcapituleraveclafortune.Iln'y a rien de commun entre moi et Cicéron; mais sa fragilité n'est pas uneexcuse:lapostéritén'apupardonnerunmomentdefaiblesseàungrandhommepourunautregrandhomme;queserait-cequemapauvrevieperdant sonseulbien,sonintégrité,pourLouis-Philipped'Orléans?

Le soir même de cette dernière conversation au Palais-Royal, je rencontraichezmadame RécamierM. de Sainte-Aulaire[310]. Je nem'amusai point à luidemandersonsecret,maisilmedemandalemien.Ildébarquaitdelacampagneencore tout chaud des événements qu'il avait lus: «Ah! s'écria-t-il, que je suisaise de vous voir! voilà de belle besogne! J'espère que nous autres, auLuxembourg, nous ferons notre devoir. Il serait curieux que les pairsdisposassentdelacouronnedeHenriIV!J'ensuisbiensûr,vousnemelaisserezpasseulàlatribune.»

Comme mon parti était pris, j'étais fort calme; ma réponse parut froide àl'ardeur deM. de Sainte-Aulaire. Il sortit, vit ses amis, etme laissa seul à latribune:viventlesgensd'espritàcœurlégeretàtêtefrivole!

Leparti républicainsedébattait encoresous lespiedsdesamisqui l'avaienttrahi.Le6août,unedéputationdevingtmembresdésignésparlecomitécentraldesdouzearrondissementsdeParisseprésentaà laChambredesdéputéspourlui remettre une adresse que le général Thiard[311] et M. Duris-Dufresne[312]escamotèrent à la bénévole députation. Il était dit dans cette adresse: «que lanationne pouvait reconnaître commepouvoir constitutionnel, ni uneChambreélective nommée durant l'existence et sous l'influence de la royauté qu'elle arenversée, ni une Chambre aristocratique, dont l'institution est en oppositiondirecteaveclesprincipesquiluiontmis(àelle,lanation)lesarmesàlamain;que le comité centraldesdouzearrondissementsn'accordant, commenécessitérévolutionnaire,qu'unpouvoirdefaitettrèsprovisoireàlaChambredesdéputésactuels,pouraviseràtoutemesured'urgence,appelledetoussesvœuxl'électionlibre et populaire de mandataires qui représentent réellement les besoins dupeuple;que lesassembléesprimairesseulespeuventamenerce résultat.S'ilen

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étaitautrement,lanationfrapperaitdenullitétoutcequitendraitàlagênerdansl'exercicedesesdroits.»

Toutcelaétaitlapureraison,maislelieutenantgénéralduroyaumeaspiraitàla couronne, et les peurs et les ambitions avaient hâte de la lui donner. Lesplébéiensd'aujourd'huivoulaientune révolutionetne savaientpas la faire; lesJacobins,qu'ilsontprispourmodèles,auraientjetéàl'eauleshommesduPalais-Royal et les bavards des deuxChambres.M. de La Fayette était réduit à desdésirs impuissants: heureux d'avoir fait revivre la garde nationale, il se laissajouer comme un vieuxmaillot par Philippe, dont il croyait être la nourrice; ils'engourdit dans cette félicité. Le vieux général n'était plus que la libertéendormie,commelaRépubliquede1793n'étaitplusqu'unetêtedemort.

Lavéritéestqu'uneChambresansmandatet tronquéen'avaitaucundroitdedisposer de la couronne: ce fut une Convention exprès réunie, formée de laChambre des lords et d'une Chambre des communes nouvellement élue, quidisposa du trône de Jacques II. Il est encore certain que ce croupion de laChambre des députés, que ces 221, imbus sousCharlesXdes traditions de lamonarchie héréditaire, n'apportaient aucune disposition propre à la monarchieélective; ils l'arrêtent dès son début, et la forcent de rétrograder vers desprincipes de quasi-légitimité.Ceux qui ont forgé l'épée de la nouvelle royautéontintroduitdanssalameunepaillequitôtoutardlaferaéclater.

Le7d'aoûtestunjourmémorablepourmoi;c'estceluioùj'aieulebonheurde terminermacarrièrepolitique comme je l'avais commencée;bonheur assezrare aujourd'hui pour qu'on puisse s'en réjouir.On avait apporté à laChambredes pairs la déclaration de la Chambre des députés concernant la vacance dutrône.J'allaim'asseoiràmaplacedansleplushautrangdesfauteuils,enfaceduprésident.Lespairsmesemblèrentàlafoisaffairésetabattus.Siquelques-unsportaientsurleurfrontl'orgueildeleurprochaineinfidélité,d'autresyportaientlahontedes remordsqu'ilsn'avaientpas le couraged'écouter. Jemedisais, enregardant cette triste assemblée: «Quoi! ceux qui ont reçu les bienfaits deCharlesXdanssaprospéritévont ledéserterdansson infortune!Ceuxdont lamissionspécialeétaitdedéfendreletrônehéréditaire,ceshommesdecourquivivaientdans l'intimitédu roi, le trahiront-ils? Ilsveillaient à saporte àSaint-Cloud;ilsl'ontembrasséàRambouillet;illeurapressélamaindansundernieradieu;vont-ilslevercontreluicettemain,toutechaudeencoredecettedernièreétreinte? Cette Chambre, qui retentit pendant quinze années de leurs

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protestations de dévouement, va-t-elle entendre leur parjure? C'est pour euxcependant que Charles X s'est perdu; c'est eux qui le poussaient auxordonnances;ilstrépignaientdejoielorsqu'ellesparurentetlorsqu'ilssecrurentvainqueursdanscetteminutemuettequiprécèdelachutedutonnerre.»

Ces idées roulaient confusément et douloureusement dans mon esprit. LapairieétaitdevenueletripleréceptacledescorruptionsdelavieilleMonarchie,delaRépubliqueetdel'Empire.Quantauxrépublicainsde1793,transformésensénateurs,quantauxgénérauxdeBonaparte,jen'attendaisd'euxquecequ'ilsonttoujours fait: ilsdéposèrent l'hommeextraordinaireauquel ilsdevaient tout, ilsallaientdéposerleroiquilesavaitconfirmésdanslesbiensetdansleshonneursdontlesavaitcomblésleurpremiermaître.Queleventtourne,etilsdéposerontl'usurpateurauquelilssepréparaientàjeterlacouronne.

Je montai à la tribune. Un silence profond se fit, les visages parurentembarrassés,chaquepairse tournadecôtésursonfauteuil,et regarda la terre.Hormisquelquespairsrésolusàseretirercommemoi,personnen'osaleverlesyeuxàlahauteurdelatribune.Jeconservemondiscoursparcequ'ilrésumemavie,etquec'estmonpremiertitreàl'estimedel'avenir.

«Messieurs,

«La déclaration apportée à cette Chambre est beaucoup moins compliquéepourmoiquepourceuxdeMM.lespairsquiprofessentuneopiniondifférentedelamienne.Unfait,danscettedéclaration,domineàmesyeuxtouslesautres,ou plutôt les détruit. Si nous étions dans un ordre de choses régulier,j'examineraissansdouteavecsoinleschangementsqu'onprétendopérerdanslacharte. Plusieurs de ces changements ont été par moi-même proposés. Jem'étonne seulement qu'on ait pu entretenir cette Chambre de la mesureréactionnaire touchant les pairs de la création de Charles X. Je ne suis passuspectdefaiblessepourlesfournées,etvoussavezquej'enaicombattumêmelamenace;maisnous rendre les jugesdenoscollègues,mais rayerdu tableaudespairsquil'onvoudra,touteslesfoisquel'onseraleplusfort,celaressembletropàlaproscription.Veut-ondétruirelapairie?Soit:mieuxvautperdrelaviequedelademander.

«Jemereprochedéjàcepeudemotssurundétailqui,toutimportantqu'ilest,disparaîtdanslagrandeurdel'événement.LaFranceestsansdirection,etj'irais

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m'occuper de ce qu'il faut ajouter ou retrancher auxmâts d'un navire dont legouvernail est arraché! J'écarte donc de la déclaration de la Chambre électivetoutcequiestd'un intérêtsecondaire,et,m'en tenantauseulfaiténoncéde lavacancevraieouprétenduedutrône,jemarchedroitaubut.

«Unequestionpréalabledoitêtretraitée:siletrôneestvacant,noussommeslibresdechoisirlaformedenotregouvernement.

«Avantd'offrirlacouronneàunindividuquelconque,ilestbondesavoirdansquelleespèced'ordrepolitiquenousconstitueronsl'ordresocial.Établirons-nousunerépubliqueouunemonarchienouvelle?

«Une république ou une monarchie nouvelle offre-t-elle à la France desgarantiessuffisantesdedurée,deforceetderepos?

«Une république aurait d'abord contre elle les souvenirs de la républiquemême.Cessouvenirsnesontnullementeffacés.Onn'apasoubliéletempsoùlamort, entre la liberté et l'égalité,marchait appuyée sur leurs bras.Quandvousserieztombésdansunenouvelleanarchie,pourriez-vousréveillersursonrocherl'Hercule qui fut seul capable d'étouffer le monstre? Dans quelque mille ans,votrepostéritépourravoirunautreNapoléon.Quantàvous,nel'attendezpas.

«Ensuite, dans l'état de nos mœurs et dans nos rapports avec lesgouvernementsquinousenvironnent,larépublique,sauferreur,nemeparaîtpasexécutablemaintenant.Lapremièredifficultéseraitd'amener lesFrançaisàunvote unanime. Quel droit la population de Paris aurait-elle de contraindre lapopulationdeMarseilleoudetelleautrevilledeseconstituerenrépublique?Yaurait-il une seule république ou vingt ou trente républiques? Seraient-ellesfédérativesouindépendantes?Passonspar-dessuscesobstacles.Supposonsunerépubliqueunique:avecnotrefamiliariténaturelle,croyez-vousqu'unprésident,quelquegrave,quelquerespectable,quelquehabilequ'ilpuisseêtre,soitunanàlatêtedesaffairessansêtretentédeseretirer?Peudéfenduparlesloisetparlessouvenirs,contrarié,avili,insultésoiretmatinpardesrivauxsecretsetpardesagents de trouble, il n'inspirera pas assez de confiance au commerce et à lapropriété; il n'aura ni la dignité convenable pour traiter avec les cabinetsétrangers,nilapuissancenécessaireaumaintiendel'ordreintérieur.S'ilusedemesures révolutionnaires, la République deviendra odieuse; l'Europe inquièteprofitera de ces divisions, les fomentera, interviendra, et l'on se trouvera denouveau engagé dans des luttes effroyables. La république représentative est

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sansdoutel'étatfuturdumonde,maissontempsn'estpasencorearrivé.

«Jepasseàlamonarchie.

«Un roi nommé par les Chambres ou élu par le peuple sera toujours, quoiqu'onfasse,unenouveauté.Or,jesupposequ'onveutlaliberté,surtoutlalibertéde la presse, par laquelle et pour laquelle le peuple vient de remporter une siétonnantevictoire.Ehbien!toutemonarchienouvelleseraforcée,ouplustôtouplus tard, de bâillonner cette liberté. Napoléon lui-même a-t-il pu l'admettre?Filledenosmalheursetesclavedenotregloire,lalibertédelapressenevitensûreté qu'avec un gouvernement dont les racines sont déjà profondes. Unemonarchie, bâtarde d'une nuit sanglante, n'aurait-elle rien à redouter del'indépendancedesopinions?Siceux-cipeuventprêcher la république,ceux-làunautre système,necraignez-vouspasd'êtrebientôtobligésde recourir àdeslois d'exception,malgré l'anathème contre la censure ajouté à l'article 8 de lacharte?

«Alors, amis de la liberté réglée, qu'aurez-vous gagné au changement qu'onvouspropose?Voustomberezdeforcedanslarépublique,oudanslaservitudelégale. La monarchie sera débordée et emportée par le torrent des loisdémocratiques,oulemonarqueparlemouvementdesfactions.

«Dans le premier enivrement d'un succès, on se figure que tout est aisé; onespèresatisfairetouteslesexigences,toutesleshumeurs,touslesintérêts;onseflattequechacunmettradecôtésesvuespersonnellesetsesvanités;oncroitquela supériorité des lumières et la sagesse du gouvernement surmonteront desdifficultés sans nombre; mais, au bout de quelques mois, la pratique vientdémentirlathéorie.

«Jenevousprésente,messieurs,quequelques-unsdesinconvénientsattachésàlaformationd'unerépubliqueoud'unemonarchienouvelle.Si l'uneet l'autreontdespérils,ilrestaituntroisièmeparti,etcepartivalaitbienlapeinequ'oneneûtditquelquesmots.

«D'affreuxministresontsouillélacouronne,etilsontsoutenulaviolationdelaloiparlemeurtre;ilssesontjouésdessermentsfaitsauciel,desloisjuréesàlaterre.

«Étrangers, qui deux fois êtes entrés àParis sans résistance, sachez la vraie

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cause de vos succès: vous vous présentiez au nom du pouvoir légal. Si vousaccouriezaujourd'huiausecoursdelatyrannie,pensez-vousquelesportesdelacapitaledumondecivilisés'ouvriraientaussifacilementdevantvous?Lanationfrançaiseagrandi,depuisvotredépart,souslerégimedesloisconstitutionnelles,nosenfantsdequatorzeanssontdesgéants;nosconscritsàAlger,nosécoliersàParis,viennentdevousrévélerlesfilsdesvainqueursd'Austerlitz,deMarengoetd'Iéna;maislesfilsfortifiésdetoutcequelalibertéajouteàlagloire.

«JamaisdéfensenefutpluslégitimeetplushéroïquequecelledupeupledeParis.Ilnes'estpointsoulevécontrelaloi;tantqu'onarespectélepactesocial,le peuple est demeuré paisible; il a supporté sans se plaindre les insultes, lesprovocations, les menaces; il devait son argent et son sang en échange de lacharte,ilaprodiguél'unetl'autre.

«Mais lorsqu'après avoir menti jusqu'à la dernière heure, on a tout à coupsonné la servitude; quand la conspiration de la bêtise et de l'hypocrisie asoudainementéclaté;quanduneterreurdechâteauorganiséepardeseunuquesacrupouvoirremplacerlaterreurdelaRépubliqueetlejougdeferdel'Empire,alorscepeuple s'est arméde son intelligenceetde soncourage; il s'est trouvéquecesboutiquiers respiraientassez facilement la fuméede lapoudre,etqu'ilfallaitplusdequatresoldatsetuncaporalpourlesréduire.Unsièclen'auraitpasautantmûrilesdestinéesd'unpeuplequelestroisdernierssoleilsquiviennentdebrillersurlaFrance.Ungrandcrimeaeulieu;ilaproduitl'énergiqueexplosiond'unprincipe:devait-on,àcausedececrimeetdu triomphemoraletpolitiquequienaétélasuite,renverserl'ordredechosesétabli?Examinons:

«CharlesXet son fils sontdéchusouontabdiqué,comme ilvousplairadel'entendre;mais le trônen'estpasvacant:aprèseuxvenaitunenfant;devait-oncondamnersoninnocence?

«Quelsangcrieaujourd'huicontrelui?oseriez-vousdirequec'estceluidesonpère?Cetorphelin,élevéauxécolesdelapatriedansl'amourdugouvernementconstitutionneletdanslesidéesdesonsiècle,auraitpudevenirunroienrapportaveclesbesoinsdel'avenir.C'estaugardiendesatutellequel'onauraitfaitjurerla déclaration sur laquelle vous aller voter; arrivé à sa majorité, le jeunemonarqueauraitrenouveléleserment.Leroiprésent,leroiactuelauraitétéM.leducd'Orléans,régentduroyaume,princequiavécuprèsdupeuple,etquisaitquelamonarchienepeutêtreaujourd'huiqu'unemonarchiedeconsentementetde raison. Cette combinaison naturelle m'eût semblé un grand moyen de

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conciliation, et aurait peut-être sauvé à la France ces agitations qui sont laconséquencedesviolentschangementsd'unÉtat.

«Dire que cet enfant, séparé de ses maîtres, n'aurait pas le temps d'oublierjusqu'à leurs noms avant de devenir homme; dire qu'il demeurerait infatué decertains dogmes de naissance après une longue éducation populaire, après laterribleleçonquiaprécipitédeuxroisendeuxnuits,est-cebienraisonnable?

«Ce n'est ni par un dévouement sentimental, ni par un attendrissement denourrice transmis demaillot enmaillot depuis le berceau deHenri IV jusqu'àceluidu jeuneHenri,que jeplaideunecauseoù toutse tourneraitdenouveaucontremoi, sielle triomphait. Jeneviseniau roman,nià lachevalerie,niaumartyre;jenecroispasaudroitdivindelaroyauté,etjecroisàlapuissancedesrévolutionsetdes faits. Jen'invoquepasmême la charte, jeprendsmes idées,plushaut;jelestiredelasphèrephilosophiquedel'époqueoùmavieexpire:jepropose leducdeBordeaux toutsimplementcommeunenécessitédemeilleuraloiquecelledontonargumente.

«Je sais qu'en éloignant cet enfant, on veut établir le principe de lasouveraineté du peuple: niaiserie de l'ancienne école, qui prouve que, sous lerapport politique, nos vieux démocrates n'ont pas fait plus de progrès que lesvétéransde la royauté. Iln'yadesouverainetéabsoluenullepart; la liberténedécoule pas du droit politique, comme on le supposait au XVIIIe siècle; ellevient du droit naturel, ce qui fait qu'elle existe dans toutes les formes degouvernement,etqu'unemonarchiepeutêtrelibreetbeaucouppluslibrequ'unerépublique;maiscen'estniletempsnilelieudefaireuncoursdepolitique.

«Jemecontenteraideremarquerque,lorsquelepeupleadisposédestrônes,ila souvent aussi disposé de sa liberté; je ferai observer que le principe del'hérédité monarchique, absurde au premier abord, a été reconnu, par l'usage,préférableauprincipedelamonarchieélective.Lesraisonsensontsiévidentes,quejen'aipasbesoindelesdévelopper.Vouschoisissezunroiaujourd'hui:quivousempêcherad'enchoisirunautredemain?Laloi,direz-vous.Laloi?etc'estvousquilafaites!

«Ilestencoreunemanièreplussimplede trancher laquestion,c'estdedire:Nous ne voulons plus de la branche aînée des Bourbons. Et pourquoi n'envoulez-vousplus?Parcequenoussommesvictorieux;nousavonstriomphédansunecausejusteetsainte;noususonsd'undroitdedoubleconquête.

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«Très-bien: vous proclamez la souveraineté de la force. Alors gardezsoigneusement cette force; car si dans quelquesmois elle vous échappe, vousserezmalvenusàvousplaindre.Telleestlanaturehumaine!Lesespritslespluséclairés et les plus justes ne s'élèvent pas toujours au-dessus d'un succès. Ilsétaient les premiers, ces esprits, à invoquer le droit contre la violence; ilsappuyaientcedroitdetoutelasupérioritédeleurtalent,et,aumomentmêmeoùlavéritédecequ'ilsdisaientestdémontréepar l'abus leplusabominablede laforceetparlerenversementdecetteforce,lesvainqueurss'emparentde l'armequ'ilsontbrisée!Dangereuxtronçons,quiblesserontleurmainsanslesservir.

«J'ai transporté le combat sur le terraindemes adversaires; je ne suis pointallébivouaquerdanslepassésouslevieuxdrapeaudesmorts,drapeauquin'estpas sans gloire, mais qui pend le long du bâton qui le porte, parce qu'aucunsouffledelavienelesoulève.Quandjeremueraislapoussièredestrente-cinqCapets, je n'en tirerais pas un argument qu'on voulût seulement écouter.L'idolâtrie d'un nom est abolie; lamonarchie n'est plus une religion: c'est uneformepolitiquepréférabledanscemomentàtouteautre,parcequ'ellefaitmieuxentrerl'ordredanslaliberté.

«InutileCassandre,j'aiassezfatiguéletrôneetlapatriedemesavertissementsdédaignés;ilnemerestequ'àm'asseoirsurlesdébrisd'unnaufragequej'aitantde fois prédit. Je reconnais aumalheur toutes les sortes de puissance, exceptécelle de me délier de mes serments de fidélité. Je dois aussi rendre ma vieuniforme:après tout ceque j'ai fait,dit et écritpour lesBourbons, je serais ledernier des misérables, si je les reniais au moment où, pour la troisième etdernièrefois,ilss'acheminentversl'exil.

«Jelaisselapeuràcesgénéreuxroyalistesquin'ontjamaissacrifiéuneoboleouuneplaceàleurloyauté;àceschampionsdel'auteletdutrône,quinaguèreme traitaient de renégat, d'apostat et de révolutionnaire. Pieux libellistes, lerenégatvous appelle!Venezdoncbalbutierunmot, un seulmot avec lui pourl'infortuné maître qui vous combla de ses dons et que vous avez perdu!Provocateursdecoupsd'État,prédicateursdupouvoirconstituant,oùêtes-vous?Vousvouscachezdanslabouedufonddelaquellevousleviezvaillamment latête pour calomnier les vrais serviteurs du roi; votre silence d'aujourd'hui estdignedevotrelangaged'hier.Quetouscespreux,dontlesexploitsprojetésontfaitchasserlesdescendantsd'HenriIVàcoupsdefourche,tremblentmaintenant,accroupissous lacocarde tricolore:c'est toutnaturel.Lesnoblescouleursdontilsseparentprotégerontleurpersonne,etnecouvrirontpasleurlâcheté.

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«Ausurplus,enm'exprimantavecfranchiseàcettetribune,jenecroispasdutout faire un acte d'héroïsme. Nous ne sommes plus dans ces temps où uneopinion coûtait la vie; y fussions-nous, je parlerais cent fois plus haut. Lemeilleurbouclierestunepoitrinequinecraintpasdesemontrerdécouverteàl'ennemi.Non,messieurs, nous n'avons à craindre ni un peuple dont la raisonégale le courage, ni cette généreuse jeunesse que j'admire, avec laquelle jesympathisede toutes lesfacultésdemonâme,à laquelle jesouhaite,commeàmonpays,honneur,gloireetliberté.

«Loin de moi surtout la pensée de jeter des semences de division dans laFrance, et c'est pour quoi j'ai refusé à mon discours l'accent des passions. Sij'avaislaconvictionintimequ'unenfantdoitêtrelaissédanslesrangsobscursetheureux de la vie, pour assurer le repos de trente-trois millions d'hommes,j'auraisregardécommeuncrimetouteparoleencontradictionaveclebesoindestemps:jenaipascetteconviction.Sij'avaisledroitdedisposerd'unecouronne,je lamettrais volontiers aux pieds deM. le duc d'Orléans.Mais je ne vois devacantqu'untombeauàSaint-Denis,etnonuntrône.

«Quelles que soient les destinées qui attendentM. le lieutenant général duroyaume,jeneserai jamaissonennemi,s'ilfait lebonheurdemapatrie.Jenedemandeà conserverque la libertédemaconscienceet ledroitd'allermourirpartoutoùjetrouveraiindépendanceetrepos.

«Jevotecontreleprojetdedéclaration[313].»

J'avaisétéassezcalmeencommençantcediscours;maispeuàpeul'émotionmegagna;quand j'arrivai à cepassage: InutileCassandre, j'ai assez fatigué letrôneet lapatriedemesavertissementsdédaignés,mavoixs'embarrassa,et jefus obligé de portermonmouchoir àmes yeux pour supprimer des pleurs detendresse et d'amertume. L'indignationme rendit la parole dans le paragraphequisuit:Pieuxlibellistes,lerenégatvousappelle!Venezdoncbalbutierunmot,unseulmotavecluipourl'infortunémaîtrequivouscombladesesdonsetquevousavezperdu!Mesregardsseportaientalorssurlesrangsàquij'adressaiscesparoles.

Plusieurs pairs semblaient anéantis; ils s'enfonçaient dans leur fauteuil aupointque jene lesvoyaisplusderrière leurscollèguesassis immobilesdevanteux. Ce discours eut quelque retentissement: tous les partis y étaient blessés,

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maistoussetaisaient,parcequej'avaisplacéauprèsdesgrandesvéritésungrandsacrifice.Jedescendisdelatribune;jesortisdelasalle,jemerendisauvestiaire,jemisbasmonhabitdepair,monépée,monchapeauàplumet;j'endétachailacocardeblanche, je lamisdans lapetitepocheducôtégauchede la redingotenoirequejerevêtisetquejecroisaisurmoncœur.Mondomestiqueemportaladéfroquedelapairie,etj'abandonnai,ensecouantlapoussièredemespieds,cepalaisdestrahisons,oùjenerentreraidemavie.

Le 10 et le 12 août, j'achevai de me dépouiller et j'envoyai ces diversesdémissions:

«Paris,ce10août1830

«MonsieurleprésidentdelaChambredespairs[314],

«NepouvantprêtersermentdefidélitéàLouis-Philipped'Orléanscommeroides Français, je me trouve frappé d'une incapacité légale qui m'empêched'assisterauxséancesde laChambrehéréditaire.Uneseulemarquedesbontésdu roiLouisXVIII et de lamunificence royaleme reste: c'est unepensiondepair de douzemille francs, laquelleme fut donnée pourmaintenir, sinon avecéclat, du moins avec l'indépendance des premiers besoins, la haute dignité àlaquelle j'avais été appelé. Il ne serait pas juste que je conservasse une faveurattachée à l'exercice de fonctions que je ne puis remplir. En conséquence, j'ail'honneurderésignerentrevosmainsmapensiondepair.»

«Paris,ce12août1830

«Monsieurleministredesfinances[315],

«Ilme reste des bontés de LouisXVIII et de lamunificence nationale unepensiondepairdedouzemillefrancs,transforméeenrentesviagèresinscritesaugrand-livre de la dette publique et transmissibles seulement à la premièregénérationdirectedutitulaire.Nepouvantprêtersermentàmonseigneurleducd'Orléans comme roi des Français, il ne serait pas juste que je continuasse detoucher une pension attachée à des fonctions que je n'exerce plus. Enconséquence,jevienslarésignerentrevosmains:elleauracessédecourirpourmoilejour(10août)oùj'aiécritàM.leprésidentdelaChambredespairsqu'ilm'étaitimpossibledeprêterlesermentexigé.

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«J'ail'honneurd'êtreavecunehaute,etc.»

«Paris,ce12août1830.

«Monsieurlegrandréférendaire[316],

«J'ail'honneurdevousenvoyercopiedesdeuxlettresquej'aiadressées,l'uneàM.leprésidentdelaChambredespairs,l'autreàM.leministredesfinances.Vousyverrezque je renonceàmapensiondepair,etqu'enconséquencemonfondédepouvoirsn'auraàtoucherdecettepensionquelasommeéchueau10août,jouroùj'aiannoncéquej'airefuséleserment.

«J'ail'honneurd'êtreavecunehaute,etc.»

«Paris,ce12août1830.

«Monsieurleministredelajustice[317],

«J'ail'honneurdevousenvoyermadémissiondeministred'État.

«Jesuisavecunehauteconsidération,«Monsieurleministredelajustice,

«Votretrès-humbleettrès-obéissantserviteur.»

Je restai nu comme un petit saint Jean; mais depuis longtemps j'étaisaccoutumé à me nourrir du miel sauvage, et je ne craignais pas que la filled'Hérodiadeeûtenviedematêtegrise.

Mesbroderies,mesdragonnes,franges,torsades,épaulettes,venduesàunjuif,et par lui fondues,m'ont rapporté sept cents francs, produit net de toutesmesgrandeurs.

Maintenant, qu'était devenu Charles X? Il cheminait vers son exil,accompagné de ses gardes du corps, surveillé par ses trois commissaires,traversant laFrancesansexcitermêmelacuriositédespaysansqui labouraientleurssillonssurleborddugrandchemin.Dansdeuxoutroispetitesvilles,des

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mouvements hostiles se manifestèrent; dans quelques autres, des bourgeois etdesfemmesdonnèrentdessignesdepitié[318].IlfautsesouvenirqueBonapartenefitpasplusdebruitenserendantdeFontainebleauàToulon,quelaFrancenes'émutpasdavantage,etquelegagneurdetantdebataillesfaillitêtremassacréàOrgon.Danscepays fatigué, lesplusgrandsévénementsnesontplusquedesdrames joués pour notre divertissement: ils occupent le spectateur tant que latoile est levée, et, lorsque le rideau tombe, ils ne laissent qu'un vain souvenir.ParfoisCharlesXetsafamilles'arrêtaientdansdeméchantesstationsderoulierspourprendreunrepassurleboutd'unetablesaleoùdescharretiersavaientdînéavant lui.HenriV et sa sœur s'amusaient dans la cour avec les poulets et lespigeonsdel'auberge.Jel'avaisdit:lamonarchies'enallait,etl'onsemettaitàlafenêtrepourlavoirpasser.

Lecielencemomentseplutà insulter lepartivainqueuret lepartivaincu.Tandis que l'on soutenait que la France entière avait été indignée desordonnances,ilarrivaitauroiPhilippedesadressesdelaprovince,envoyéesauroiCharlesXpourfélicitercelui-cisurlesmesuressalutairesqu'ilavaitprisesetquisauvaientlamonarchie.

LebeydeTittery,desoncôté,expédiaitaumonarquedétrôné,quicheminaitversCherbourg,lasoumissionsuivante:

«AunomdeDieu,etc.,etc.,jereconnaispourseigneuretsouverainabsolulegrandCharlesX,levictorieux;jeluipayerailetribut,etc....»Onnepeutsejouerplus ironiquement de l'une et de l'autre fortune. On fabrique aujourd'hui lesrévolutionsàlamachine;ellessontfaitessivitequ'unmonarque,roiencoresurlafrontièredesesÉtats,n'estdéjàplusqu'unbannidanssacapitale.

Danscette insouciancedupayspourCharlesX, ilyaautrechosequede lalassitude: il y faut reconnaître le progrès de l'idée démocratique et del'assimilationdesrangs.Àuneépoqueantérieure,lachuted'unroideFranceeûtétéunévénementénorme;letempsadescendulemonarquedelahauteuroùilétait placé, il l'a rapproché de nous, il a diminué l'espace qui le séparait desclassespopulaires.Sil'onétaitpeusurprisderencontrerlefilsdesaintLouissurlegrandchemincommetoutlemonde,cen'étaitpointparunespritdehaineoude système, c'était tout simplement par ce sentiment du niveau social, qui apénétrélesespritsetquiagitsurlesmassessansqu'elless'endoutent.

Malédiction, Cherbourg, à tes parages sinistres! C'est auprès de Cherbourg

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queleventdelacolèrejetaÉdouardIIIpourravagernotrepays;c'estnonloindeCherbourgqueleventd'unevictoireennemiebrisalaflottedeTourville;c'estàCherbourgqueleventd'uneprospéritémenteuserepoussaLouisXVIverssonéchafaud;c'estàCherbourgqueleventdejenesaisquelleriveaemporténosderniersprinces[319].Les côtes de laGrande-Bretagne, qu'abordaGuillaume leConquérant,ontvudébarquerCharles ledixièmesanspennonet sans lance; ilest allé retrouver, à Holy-Rood, les souvenirs de sa jeunesse, appendus auxmurailles du château des Stuarts, comme de vieilles gravures jaunies par letemps.

J'aipeintlestroisjournéesàmesurequ'ellessesontdérouléesdevantmoi;unecertainecouleurdecontemporanéité,vraiedans lemomentquis'écoule, fausseaprès le moment écoulé, s'étend donc sur le tableau. Il n'est révolution siprodigieuse qui, décrite de minute en minute, ne se trouvât réduite aux pluspetites proportions. Les événements sortent du sein des choses, comme leshommesdu seinde leursmères, accompagnésdes infirmités de la nature.Lesmisères et les grandeurs sont sœurs jumelles, elles naissent ensemble; maisquandlescouchessontvigoureuses,lesmisèresàunecertaineépoquemeurent,lesgrandeursseulesvivent.Pourjugerimpartialementdelavéritéquidoitrester,il faut donc se placer au point de vue d'où la postérité contemplera le faitaccompli.

Me dégageant des mesquineries de caractère et d'action dont j'avais été letémoin,neprenantdesjournéesdeJuilletquecequiendemeurera,j'aiditavecjusticedansmondiscours à laChambredespairs: «Cepeuple s'étant armédesonintelligenceetdesoncourage,ils'esttrouvéquecesboutiquiersrespiraientassezfacilementl'odeurdelapoudre,etqu'ilfallaitplusdequatresoldatsetuncaporal pour les réduire. Un siècle n'aurait pas autantmûri les destinées d'unpeuplequelestroisdernierssoleilsquiviennentdebrillersurlaFrance.»

Eneffet,lepeupleproprementditaétébraveetgénéreuxdanslajournéedu28.Lagardeavaitperduplusdetroiscentshommes,tuésoublessés;ellerenditpleine justiceauxclassespauvres,qui seules sebattirentdanscette journée,etparmi lesquelles se mêlèrent des hommes impurs, mais qui n'ont pu lesdéshonorer.Lesélèvesdel'Écolepolytechnique,sortistroptarddeleurécolele28pourprendrepartauxaffaires, furentmispar lepeupleàsa tête le29avecunesimplicitéetunenaïvetéadmirables.

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Deschampionsabsentsdesluttessoutenuesparcepeuplevinrentseréuniràses rangs le 29, quand le plus grand péril fut passé; d'autres, égalementvainqueurs,nerejoignirentlavictoirequele30etle31.

Ducôtédestroupes,cefutàpeuprèslamêmechose,iln'yeutguèrequelessoldatsetlesofficiersd'engagés;l'état-major,quiavaitdéjàdésertéBonaparteàFontainebleau,setintsurleshauteursdeSaint-Cloud,regardantdequelcôtéleventpoussait lafuméede lapoudre.OnfaisaitqueueauleverdeCharlesX;àsoncoucherilnetrouvapersonne.

La modération des classes plébéiennes égala leur courage; l'ordre résultasubitement de la confusion. Il faut avoir vu des ouvriers demi-nus, placés enfaction à la porte des jardins publics, empêcher selon leur consigne d'autresouvriers déguenillés de passer, pour se faire une idée de cette puissance dudevoirquis'étaitemparéedeshommesdemeuréslesmaîtres.Ilsauraientpusepayer leprixde leur sang,et se laisser tenterpar leurmisère.Onnevitpoint,commeau10août1792,lesSuissesmassacrésdanslafuite.Touteslesopinionsfurent respectées; jamais à quelques exceptions près, on n'abusa moins de lavictoire. Les vainqueurs, portant les blessés de la garde à travers la foule,s'écriaient:«Respectauxbraves!»Lesoldatvenait-ilàexpirer,ilsdisaient:«Paixaux morts!» Les quinze années de la Restauration, sous un régimeconstitutionnel,avaientfaitnaîtreparminouscetespritd'humanité,delégalitéetdejustice,quevingt-cinqannéesdel'espritrévolutionnaireetguerriern'avaientpuproduire.Ledroitdelaforceintroduitdansnosmœurssemblaitêtredevenuledroitcommun.

Les conséquences de la révolution de Juillet seront mémorables. Cetterévolutionaprononcéunarrêtcontretouslestrônes;lesroisnepourrontrégneraujourd'huiqueparlaviolencedesarmes;moyenassurépourunmoment,maisquinesauraitdurer:l'époquedesjanissairessuccessifsestfinie.

ThucydideetTacitenenous raconteraientpasbien lesévénementsdes troisjours; ilnousfaudraitBossuetpournousexpliquer lesévénementsdansl'ordredelaProvidence;géniequivoyaittout,maissansfranchirleslimitesposéesàsaraisonetàsasplendeur,commelesoleilquirouleentredeuxborneséclatantes,etquelesOrientauxappellentl'esclavedeDieu.

Necherchonspassiprèsdenouslemoteurd'unmouvementplacéplusloin:lamédiocrité des hommes, les frayeurs folles, les brouilleries inexplicables, les

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haines, les ambitions, la présomption des uns, le préjugé des autres, lesconspirationssecrètes,lesventes,lesmesuresbienoumalprises,lecourageoule défaut de courage; toutes ces choses sont les accidents, non les causes del'événement.Lorsqu'ondit que l'onnevoulait plus lesBourbons,qu'ils étaientdevenusodieuxparcequ'onlessupposaitimposésparl'étrangeràlaFrance,cedégoûtsuperben'expliqueriend'unemanièresuffisante.

LemouvementdeJuilletnetientpointàlapolitiqueproprementdite;iltientàlarévolutionsocialequiagitsanscesse.Par l'enchaînementdecetterévolutiongénérale,le28juillet1830n'estquelasuiteforcéedu21janvier1793.Letravaildenospremières assembléesdélibérantes avait été suspendu, il n'avait pas ététerminé. Dans le cours de vingt années, les Français s'étaient accoutumés, demêmequelesAnglaissousCromwell,àêtregouvernéspard'autresmaîtresquepar leurs anciens souverains. La chute deCharlesX est la conséquence de ladécapitation de Louis XVI, comme le détrônement de Jacques II est laconséquencedel'assassinatdeCharlesIer.LaRévolutionparuts'éteindredanslagloiredeBonaparteetdansleslibertésdeLouisXVIII,maissongermen'étaitpasdétruit:déposéaufonddenosmœurs,ils'estdéveloppéquandlesfautesdelaRestaurationl'ontréchauffé,etbientôtilaéclaté.

Les conseils de la Providence se découvrent dans le changementantimonarchique qui s'opère. Que des esprits superficiels ne voient dans larévolution des trois jours qu'une échauffourée, c'est tout simple; mais leshommes réfléchis savent qu'un pas énorme a été fait: le principe de lasouveraineté du peuple est substitué au principe de la souveraineté royale, lamonarchiehéréditairechangéeenmonarchieélective.Le21janvieravaitapprisqu'onpeutdisposerdelatêted'unroi;le29juilletamontréqu'onpeutdisposerd'une couronne.Or, toute vérité bonne oumauvaise qui semanifeste demeureacquise à la foule. Un changement cesse d'être inouï, extraordinaire; il ne seprésenteplus comme impie à l'esprit et à la conscience, quand il résulte d'uneidée devenue populaire. Les Francs exercèrent collectivement la souveraineté,ensuiteilsladéléguèrentàquelqueschefs;puisceschefslaconfièrentàunseul;puiscechefuniquel'usurpaauprofitdesafamille.Maintenantonrétrogradedelaroyautéhéréditaireàlaroyautéélective,delamonarchieélectiveonglisseradans la république. Telle est l'histoire de la société; voilà par quels degrés legouvernementsortdupeupleetyrentre.

Nepensonsdoncpasquel'œuvredeJuilletsoitunesuperfétationd'unjour;nenousfiguronspasquelalégitimitévavenirrétablirincontinentlasuccessionpar

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droitdeprimogéniture;n'allonspasnonplusnouspersuaderquejuilletmourratout à coupde sa bellemort. Sans doute, la branche d'Orléans ne prendra pasracine;ceneserapaspourcerésultatquetantdesang,decalamitéetdegénieaura été dépensé depuis un demi-siècle! Mais Juillet, s'il n'amène pas ladestructionfinaledelaFranceavecl'anéantissementdetoutesleslibertés,Juilletporterasonfruitnaturel:cefruitestladémocratie.Cefruitsera,peut-êtreameret sanglant;mais lamonarchie est unegreffe étrangèrequi neprendrapas surunetigerépublicaine.

Ainsi,neconfondonspasleroiimproviséaveclarévolutiondontilestnéparhasard: celle-ci, telle que nous la voyons agir, est en contradiction avec sesprincipes; elle ne semble pas née viable, parce qu'elle estmuletée d'un trône;mais qu'elle se traîne seulement quelques années, cette révolution, ce qui seravenu, ce qui s'en sera allé changera les données qui restent à connaître. Leshommesfaitsmeurentounevoientplusleschosescommeils lesvoyaient; lesadolescents atteignent l'âge de raison; les générations nouvelles rafraîchissentdes générations corrompues; les langes trempés des plaies d'un hôpital,rencontrés par un grand fleuve, ne souillent que le flot qui passe sous cescorruptions:enavaletenamontlecourantgardeoureprendsalimpidité.

Juillet, libredans sonorigine,n'aproduitqu'unemonarchieenchaînée;maisviendraletempsoù,débarrassédesacouronne,ilsubiracestransformationsquisontlaloidesêtres;alors,ilvivradansuneatmosphèreappropriéeàsanature.

L'erreurdupartirépublicain,l'illusiondupartilégitimistesontl'uneetl'autredéplorables, et dépassent la démocratie et la royauté: le premier croit que laviolenceestleseulmoyendesuccès;lesecondcroitquelepasséestleseulportdesalut.Or,ilyauneloimoralequirèglelasociété,unelégitimitégénéralequidominelalégitimitéparticulière.Cettegrandeloietcettegrandelégitimitésontla jouissancedesdroitsnaturelsde l'homme,régléspar lesdevoirs;carc'est ledevoirquicréeledroit,etnonledroitquicréeledevoir;lespassionsetlesvicesvous relèguent dans la classe des esclaves. La légitimité générale n'aurait euaucunobstacleàvaincre,sielleavaitgardé,commeétantdemêmeprincipe,lalégitimitéparticulière.

Ausurplus,uneobservationsuffirapournousfairecomprendrelaprodigieuseetmajestueusepuissancedelafamilledenosancienssouverains:jel'aidéjàditet je ne saurais trop le répéter, toutes les royautés mourront avec la royautéfrançaise.

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En effet, l'idée monarchique manque au moment même où manque lemonarque;onnetrouveplusautourdesoiquel'idéedémocratique.Monjeuneroiemporteradanssesbraslamonarchiedumonde.C'estbienfinir.

Lorsquej'écrivaistoutcecisurcequepourraitêtrelarévolutionde1830dansl'avenir, j'avais de la peine à me défendre d'un instinct qui me parlaitcontradictoirementauraisonner.Jeprenaiscetinstinctpourlemouvementdemadéplaisancedestroublesde1830;jemedéfiaisdemoi-même,etpeut-être,dansmon impartialité trop loyale, exagérai-je les provenances futures des troisjournées.Or,dixannées se sontécouléesdepuis lachutedeCharlesX: Juillets'est-ilassis?Noussommesmaintenantaucommencementdedécembre1840,àquel abaissement la France est-elle descendue! Si je pouvais goûter quelqueplaisir dans l'humiliation d'un gouvernement d'origine française, j'éprouveraisunesorted'orgueilàrelire,dansleCongrèsdeVérone,macorrespondanceavecM.Canning:certes,cen'estpascelledontonvientdedonnerconnaissanceàlaChambre des députés. D'où vient la faute? est-elle du prince élu? est-elle del'impéritie de sesministres? est-elle de la nationmême,dont le caractère et legénie paraissent usés? Nos idées sont progressives, mais nos mœurs lessoutiennent-elles?Ilneseraitpasétonnantqu'unpeupleâgédequatorzesiècles,quiaterminécettelonguecarrièreparuneexplosiondemiracles,fûtarrivéàsonterme.Sivousallez jusqu'à la findecesMémoires, vousverrezqu'en rendantjustice à tout ce quim'a paru beau aux diverses époques de notre histoire, jepensequ'endernierrésultatlavieillesociétéfinit[320].

Ici se termine ma carrière politique. Cette carrière devait aussi clore mesMémoires, n'ayant plus qu'à résumer les expériences de ma course. Troiscatastrophesontmarqué les troispartiesprécédentesdemavie: j'ai vumourirLouisXVIpendantmacarrièredevoyageuretdesoldat;auboutdemacarrièrelittéraire, Bonaparte a disparu; Charles X, en tombant, a fermé ma carrièrepolitique.

J'ai fixé l'époque d'une révolution dans les lettres, et de même dans lapolitique j'ai formulé les principes du gouvernement représentatif; mescorrespondancesdiplomatiquesvalent,jecrois,mescompositionslittéraires[321].Ilestpossiblequelesunesetlesautresnesoientrien,maisilestsûrqu'ellessontéquipollentes.

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EnFrance,à la tribunede laChambredespairsetdansmesécrits, j'exerçaiune telle influence, que je fis entrer d'abord M. de Villèle au ministère, etqu'ensuite il fut contraint de se retirer devantmon opposition, après s'être faitmonennemi.Toutcelaestprouvéparcequevousavezlu.

Legrandévénementdemacarrièrepolitiqueestlaguerred'Espagne.Ellefutpourmoi,danscettecarrière,cequ'avaitétéleGénieduChristianismedansmacarrière littéraire. Ma destinée me choisit pour me charger de la puissanteaventurequi,souslaRestauration,auraitpurégulariserlamarchedumondeversl'avenir.Ellem'enlevaàmessonges,etmetransformaenconducteurdesfaits.Àla table où elle me fit jouer, elle plaça comme adversaires les deux premiersministresdujour,leprincedeMetternichetM.Canning;jegagnaicontreeuxlapartie.Touslesespritssérieuxquecomptaientalorslescabinetsconvinrentqu'ilsavaient rencontré enmoi un homme d'État[322]. Bonaparte l'avait prévu avanteux,malgrémeslivres.Jepourraisdonc,sansmevanter,croirequelepolitiqueavaluenmoil'écrivain;maisjen'attacheaucunprixàlarenomméedesaffaires;c'estpourcelaquejemesuispermisd'enparler.

Si, lors de l'entreprise péninsulaire, je n'avais pas été jeté à l'écart par deshommes aveugles, le cours de nos destinées changeait; laFrance reprenait sesfrontières,l'équilibredel'Europeétaitrétabli;laRestauration,devenueglorieuse,aurait pu vivre encore longtemps, et mon travail diplomatique aurait aussicomptépourundegrédansnotrehistoire.Entremesdeuxvies, iln'yaque ladifférencedurésultat.Macarrièrelittéraire,complètementaccomplie,aproduittoutcequ'elledevaitproduire,parcequ'ellen'adépenduquedemoi.Macarrièrepolitique a été subitement arrêtée au milieu de ses succès, parce qu'elle adépendudesautres.

Néanmoins, je le reconnais, ma politique n'était applicable qu'à laRestauration.Siunetransformations'opèredanslesprincipes,danslessociétésetleshommes,cequiétaitbonhierestpériméetcaducaujourd'hui.Àl'égarddel'Espagne,lesrapportsdesfamillesroyalesayantcesséparl'abdicationdelaloisalique, il ne s'agit plus de créer au delà des Pyrénées des frontièresimpénétrables;ilfautaccepterlechampdebataillequel'Autricheetl'Angleterreypourrontunjournousouvrir;ilfautprendreleschosesaupointoùellessontarrivées;abandonner,nonsansregret,uneconduitefermemaisraisonnable,dontles bénéfices certains étaient, il est vrai, à longue échéance. J'ai la conscienced'avoir servi la légitimité comme elle devait l'être. Je voyais l'avenir aussiclairementque je levois à cetteheure; seulement j'yvoulais atteindreparune

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route moins périlleuse, afin que la légitimité, utile à notre enseignementconstitutionnel, ne trébuchât pas dans une course précipitée.Maintenant, mesprojets ne sont plus réalisables: la Russie va se tourner ailleurs. Si j'allaisactuellementdanslaPéninsule,dontl'espritaeuletempsdechanger,ceseraitavec d'autres pensées: je ne m'occuperais que de l'alliance des peuples, toutesuspecte,jalouse,passionnée,incertaineetversatilequ'elleest,etjenesongeraisplusauxrelationsaveclesrois.JediraisàlaFrance:«Vousavezquittélavoiebattuepour le sentierdesprécipices; ehbien!explorez-en lesmerveilleset lespérils.Ànous,innovations,entreprises,découvertes!venez,etquelesarmes,s'illefaut,vousfavorisent.Oùya-t-ildunouveau?Est-ceenOrient?Marchons-y.Où faut-il porter notre courage et notre intelligence? Courons de ce côté.Mettons-nousàlatêtedelagrandelevéedugenrehumain;nenouslaissonspasdépasser;quelenomfrançaisdevancelesautresdanscettecroisade,commeilarrivajadisautombeauduChrist.»Oui,sij'étaisadmisauconseildemapatrie,je tâcherais de lui être utile dans les dangereux principes qu'elle a adoptés: laretenir à présent, ce serait la condamner à une mort ignoble. Je ne mecontenterais pas de discours: joignant les œuvres à la foi, je préparerais dessoldats et desmillions, jebâtirais desvaisseaux, commeNoé, enprévisiondudéluge,etsil'onmedemandaitpourquoi,jerépondrais:«ParcequetelestlebonplaisirdelaFrance.»Mesdépêchesavertiraientlescabinetsdel'Europequerienne remuera sur le globe sans notre intervention; que si l'on se distribue leslambeauxdumonde,lapartdulionnousrevient.Nouscesserionsdedemanderhumblementànosvoisins lapermissiond'exister; lecœurde laFrancebattraitlibre, sans qu'aucune main osât s'appliquer sur ce cœur pour en compter lespalpitations;etpuisquenouscherchonsdenouveauxsoleils,jemeprécipiteraisau-devantdeleursplendeuretn'attendraispluslelevernatureldel'aurore.

Fasse le ciel que ces intérêts industriels, dans lesquels nous devons trouverune prospérité d'un genre nouveau, ne trompent personne, qu'ils soient aussiféconds,aussicivilisateursquecesintérêtsmorauxd'oùsortitl'anciennesociété!Le temps nous apprendra s'ils ne seraient point le songe infécond de cesintelligencesstérilesquin'ontpaslafacultédesortirdumondematériel.

Bien que mon rôle ait fini avec la légitimité, tous mes vœux sont pour laFrance, quels que soient les pouvoirs à qui son imprévoyant caprice la fasseobéir.Quantàmoi,jenedemandeplusrien;jevoudraisseulementnepastropdépasser les ruines écroulées à mes pieds. Mais les années sont comme lesAlpes:àpeinea-t-onfranchilespremières,qu'onenvoitd'autress'élever.Hélas!cesplushautesetdernièresmontagnessontdéshabitées,aridesetblanchies.[Lien

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verslaTabledesMatières]

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QUATRIÈMEPARTIELESDERNIÈRESANNÉES

1830-1841LIVREPREMIER[323]

Introduction.—Procèsdesministres.—Saint-Germain-l'Auxerrois.—Pillage de l'Archevêché. — Ma brochure sur la Restauration et laMonarchieélective.—Étudeshistoriques.—LettresetversàmadameRécamier.—Journaldu12juilletau1erseptembre1831.—CommisdeM. de Lapanouze. — Lord Byron. — Ferney et Voltaire. — Courseinutile à Paris. — M. A. Carrel. — M. de Béranger. — PropositionBaude et Briqueville sur le bannissement de la branche aînée desBourbons.—Lettreàl'auteurdelaNémésis.—ConspirationdelaruedesProuvaires.—LettreàMadameladuchessedeBerry.—Incidences.—Pestes.—Lecholéra.—Les12000francsdeMadameladuchessedeBerry.—Échantillons.—ConvoidugénéralLamarque.—MadameladuchessedeBerrydescendenProvenceetarrivedanslaVendée.

InfirmeriedeMarie-Thérèse.Paris,octobre1830.

INTRODUCTION.

Au sortir du fracas des trois journées, je suis tout étonné d'ouvrir dans uncalmeprofondlaquatrièmepartiedecetouvrage;ilmesemblequej'aidoublélecapdestempêtes,etpénétrédansunerégiondepaixetdesilence.Sij'étaismortle7aoûtdecetteannée,lesdernièresparolesdemondiscoursàlaChambredespairseussentétélesdernièreslignesdemonhistoire;macatastrophe,étantcellemêmed'unpassédedouze siècles, aurait grandimamémoire.Mondrame eûtmagnifiquementfini.

Maisjenesuispasdemeurésouslecoup,jen'aipasétéjetéàterre.Pierrede

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L'Estoileécrivaitcettepagedesonjournallelendemaindel'assassinatdeHenriIV:

«Eticyjefinisaveclaviedemonroy(HenryIV)ledeuxièmeregistredemespasse-temps mélancholiques et de mes vaines et curieuses recherches, tantpubliquesqueparticulières,interrompuessouventdepuisunmoisparlesveillesdestristesetfascheusesnuictsquej'aisouffert,mesmementcettedernière,pourlamortdemonroy.

«Je m'estois proposé de clore mes éphémérides par ce registre; mais tantd'occurrences nouvelles et curieuses se sont présentées par cette insignemutation,que jepasseàunautrequi iraaussi avantqu'ilplairaàDieu:etmedoutequeceneserapasbienlong.»

L'EstoilevitmourirlepremierBourbon;jeviensdevoirtomberledernier:nedevrais-jepascloreicileregistredemespasse-tempsmélancholiquesetdemesvaines et curieuses recherches. Peut-être;mais tant d'occurrences nouvelles etcurieusessesontprésentéesparcetteinsignemutation,quejepasseàunautreregistre.

CommeL'Estoile,jelamentelesadversitésdelaracedesaintLouis;pourtant,je suis obligé de l'avouer, il se mêle à ma douleur un certain contentementintérieur;jemelereproche,maisjenepuism'endéfendre;cecontentementestceluidel'esclavedégagédeseschaînes.Quandjequittailacarrièredesoldatetdevoyageur,jesentisdelatristesse;j'éprouvemaintenantdelajoie,forçatlibéréquejesuisdesgalèresdumondeetdelacour.Fidèleàmesprincipesetàmesserments,jen'aitrahinilaliberténileroi,jen'emportenirichessesnihonneurs;jem'envaispauvrecommejesuisvenu.Heureuxde terminerunecarrièrequim'étaitodieuse,jerentreavecamourdanslerepos.

Béniesoyez-vous,ômanativeetchèreindépendance,âmedemavie!Venez,rapportez-moimesMémoires,cetalteregodontvousêtes laconfidente, l'idoleetlamuse.Lesheuresdeloisirsontpropresauxrécits:naufragé,jecontinueraide raconter mon naufrage aux pêcheurs de la rive. Retourné à mes instinctsprimitifs, je redeviens libre et voyageur; j'achève ma course comme je lacommençai.Lecercledemesjours,quiseferme,meramèneaupointdudépart.Surlaroute,quej'aijadisparcourueconscritinsouciant,jevaischeminervétéranexpérimenté,cartouchedecongédansmonshako,chevronsdutempssurlebras,havresacremplid'annéessurledos.Quisait?peut-êtreretrouverai-jed'étapeen

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étape les rêveries de ma jeunesse? J'appellerai beaucoup de songes à monsecours,pourmedéfendrecontrecettehordedevéritésquis'engendrentdanslesvieux jours, commedesdragons se cachent dansdes ruines. Il ne tiendraqu'àmoi de renouer les deux bouts de mon existence, de confondre des époqueséloignées, de mêler des illusions d'âges divers, puisque le prince que jerencontraiexiléensortantdemesfoyerspaternels,jelerencontrebannienmerendantàmadernièredemeure.

Je traçai rapidement, au mois d'octobre de l'année précédente[324], la petiteintroductiondecettepartiedemesMémoires;maisjenepuscontinuercetravail,parce que j'en avais un autre sur les bras: il s'agissait de l'ouvrage[325] quiterminait l'édition de mes Œuvres complètes. De ce travail même j'ai étédétourné, d'abord par le procès des ministres, ensuite par le sac de Saint-Germain-l'Auxerrois.

Leprocèsdesministres[326]et l'émoideParisnem'ontpas faitgrand'chose:aprèsleprocèsdeLouisXVIetlesinsurrectionsrévolutionnaires,toutestpetiten fait de jugement et d'insurrection. Les ministres, venant de Vincennes auLuxembourgetretournantàVincennespendantqu'onprononçait leursentence,s'acheminèrent par la rue d'Enfer.... Du fond de ma retraite j'entendis leroulement de leur voiture. Que d'événements ont passé devant ma porte! Lesdéfenseursdeceshommessontrestésau-dessousdeleurbesogne.Personnenepritlachosed'assezhaut:l'avocatdominatropdanscesplaidoiries.SimonamileprincedePolignacm'eûtchoisipoursonsecond,dequelœilj'auraisregardécesparjuress'érigeantenjugesd'unparjure!«Quoi!leuraurais-jedit,c'estvousqui osez être les juges de mon client, c'est vous qui, tout souillés de vosserments,osez lui faireuncrimed'avoirperdusonmaîtreencroyant leservir;vous,lesprovocateurs;vousquilepoussiezàrendrelesordonnances!Changezdeplaceavecceluiquevousprétendezjuger:d'accuséildevientaccusateur.Sinous avons mérité d'être frappés, ce n'est pas par vous; si nous sommescoupables,cen'estpasenversvous,maisenverslepeuple:ilnousattenddanslacourdevotrepalais,etnousallonsluiporternotretête.»

Après le procès des ministres est venu le scandale de Saint-Germain-l'Auxerrois[327]. Les royalistes, pleins d'excellentes qualités, mais quelquefoisbêtes et souvent taquins, ne calculant jamais la portée de leurs démarches,croyant toujours qu'ils rétabliraient la légitimité en affectant de porter unecouleur à leur cravate ou une fleur à leur boutonnière, ont amené des scènes

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déplorables. Il était évidentque leparti révolutionnaireprofiteraitduserviceàl'occasion de lamort du duc de Berry pour faire du train; or, les légitimistesn'étaient pas assez forts pour s'y opposer, et le gouvernement n'était pas assezétabli pour maintenir l'ordre; aussi l'église a-t-elle été pillée. Un apothicairevoltairienetprogressif[328]atriomphéintrépidementd'unclocherdel'an1300etd'unecroixdéjàabattuepard'autresBarbaresverslafinduIXesiècle.

Commesuitedeshautsfaitsdecettepharmaceutiqueéclairée,sontarrivéesladévastationdel'archevêché,laprofanationdeschosessaintesetlesprocessionsrenouveléesdecellesdeLyon.Ilymanquaitlebourreauetlesvictimes;maisily avait force polichinelles, masques et diverses joies du carnaval. Le cortègeburlesquement sacrilègemarchait d'un côté de la Seine, tandis que, de l'autre,défilaitlagardenationale,quifaisaitsemblantd'accourirausecours.Larivièreséparait l'ordre et l'anarchie.On assure qu'un hommede talent était là commecurieuxetqu'ildisait, envoyant flotter leschasubleset les livres sur laSeine:«Queldommagequ'onn'yaitpasjetél'archevêque!»Motprofond,car,eneffet,unarchevêquequ'onnoiedoitêtreunechoseplaisante;celafaitfaireunsigrandpas à la liberté et aux lumières! Nous, vieux témoins des vieux faits, noussommesobligésdevousdirequevousn'apercevezlàquedepâlesetmisérablescopies. Vous avez encore l'instinct révolutionnaire, mais vous n'en avez plusl'énergie;vousnepouvezêtrecriminelsqu'enimagination;vousvoudriezfairelemal, mais le courage vous manque au cœur et la force au bras; vous verriezencoremassacrer, mais vous ne mettriez plus la main à la besogne. Si vousvoulezquelarévolutiondejuilletsoitgrandeetrestegrande,queM.CadetdeGassicourtn'ensoitpaslahérosréel,etMayeux,lepersonnageidéal[329]!

MrdeChateaubriand.

Paris,findemars1831

J'étaisloindecomptelorsqu'ensortantdesjournéesdeJuilletjecroyaisentrerdans une région de paix. La chute des trois souverains m'avait obligé dem'expliqueràlaChambredespairs.Laproscriptiondecesroisnemepermettaitpasde restermuet.D'uneautrepart, les journauxdePhilippemedemandaientpourquoi je refusais de servir une révolution qui consacrait des principes quej'avaisdéfendusetpropagés.Forcem'aétédeprendrelaparolepourlesvéritésgénérales et pour expliquer ma conduite personnelle. Un extrait d'une petitebrochure qui se perdra (De la Restauration et de la Monarchie élective)[330]

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continueralachaînedemonrécitetcelledel'histoiredemontemps:

«Dépouilléduprésent,n'ayantqu'unavenirincertainaudelàdematombe,ilm'importequemamémoirenesoitpasgrevéedemonsilence.JenedoispasmetairesuruneRestaurationàlaquellej'aipristantdepart,qu'onoutragetouslesjours,etquel'onproscritenfinsousmesyeux.Aumoyenâge,danslestempsdecalamités,onprenaitunreligieux,on l'enfermaitdansune touroù il jeûnaitaupainetà l'eaupour lesalutdupeuple.JeneressemblepasmalàcemoineduXIIesiècle:àtraverslalucarnedemageôleexpiatoire, j'aiprêchémonderniersermon aux passants. Voici l'épitome de ce sermon; je l'ai prédit dans mondernierdiscoursà la tribunede lapairie:Lamonarchiede Juillet estdansunecondition absolue de gloire ou de lois d'exception; elle vit par la presse, et lapresse la tue; sans gloire, elle sera dévorée par la liberté; si elle attaque cetteliberté,ellepérira.Ilferaitbeaunousvoir,aprèsavoirchassétroisroisavecdesbarricadespourlalibertédelapresse,éleverdenouvellesbarricadescontrecetteliberté! Et pourtant, que faire? L'action redoublée des tribunaux et des loissuffira-t-elle pour contenir les écrivains? Un gouvernement nouveau est unenfant qui ne peutmarcher qu'avec des lisières. Remettrons-nous la nation aumaillot?Ceterriblenourrisson,quiasucélesangdanslesbrasdelavictoireàtantdebivouacs,nebrisera-t-ilpasseslanges?Iln'yavaitqu'unevieillesoucheprofondémentenracinéedanslepasséquipûtêtrebattueimpunémentdesventsdelalibertédelapresse. . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . .

«À entendre les déclamations de cette heure, il semble que les exilésd'Édimbourg soient les plus petits compagnons dumonde, et qu'ils ne fassentfautenullepart. Ilnemanqueaujourd'huiauprésentque lepassé:c'estpeudechose!Commesilessièclesneseservaientpasdebaselesunsauxautres,etquele dernier arrivé se pût tenir en l'air! Notre vanité aura beau se choquer dessouvenirs, gratter les fleurs de lis, proscrire les noms et les personnes, cettefamille,héritièredemilleannées,alaisséparsaretraiteunvideimmense:onlesentpartout.Cesindividus,sichétifsànosyeux,ontébranlél'Europedansleurchute. Pour peu que les événements produisent leurs effets naturels, et qu'ilsamènent leurs rigoureuses conséquences, Charles X, en abdiquant, aura faitabdiquer avec lui tous ces rois gothiques, grands vassaux du passé sous lasuzerainetédesCapets. . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . .

«Nousmarchons à une révolution générale. Si la transformation qui s'opère

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suitsapenteetnerencontreaucunobstacle,silaraisonpopulairecontinuesondéveloppement progressif, si l'éducation des classes intermédiaires ne souffrepoint d'interruption, les nations se nivelleront dans une égale liberté; si cettetransformationestarrêtée,lesnationssenivellerontdansunégaldespotisme.Cedespotismedurerapeu,àcausedel'âgeavancédeslumières,maisilserarude,etunelonguedissolutionsocialelesuivra.

«Préoccupéquejesuisdecesidées,onvoitpourquoij'aidûdemeurerfidèle,comme individu, à ce qui me semblait la meilleure sauvegarde des libertéspubliques, la voie la moins périlleuse par laquelle on pouvait arriver aucomplémentdeceslibertés.

«Cen'estpasquej'aielaprétentiond'êtreunlarmoyantprédicantdepolitiquesentimentale,unrabâcheurdepanacheblancetdelieuxcommunsàlaHenriIV.En parcourant des yeux l'espace qui sépare la tour du Temple du châteaud'Édimbourg,jetrouveraissansdouteautantdecalamitésentasséesqu'ilyadesiècles accumulés sur une noble race. Une femme de douleur a surtout étéchargée du fardeau le plus lourd comme la plus forte; il n'y a cœur qui ne sebriseàsonsouvenir:sessouffrancessontmontéessihaut,qu'ellessontdevenuesunedesgrandeursdelarévolution.Mais,enfin,onn'estpasobligéd'êtreroi.LaProvidence envoie les afflictions particulières à qui elle veut, toujours brèves,parce que la vie est courte; et ces afflictions ne sont point comptées dans lesdestinéesgénéralesdespeuples. . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . .

«Mais que la proposition qui bannit à jamais la famille déchue du territoirefrançaissoituncorollairedeladéchéancedecettefamille,cecorollairen'amènepas la conviction pourmoi. Je chercherais en vainmaplace dans les diversescatégories de personnes qui se sont rattachées à l'ordre de choses actuel. . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . .

«Il y a des hommes qui, après avoir prêté serment à la République une etindivisible,auDirectoireencinqpersonnes,auConsulatentrois,àl'Empireenuneseule,à lapremièreRestauration,à l'Acteadditionnelauxconstitutionsdel'Empire,àlasecondeRestauration,ontencorequelquechoseàprêteràLouis-Philippe:jenesuispassiriche.

«Ilyadeshommesquiont jeté leurparolesur laplacedeGrève,enjuillet,

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comme ces chevriers romains qui jouent à pair ou non parmi des ruines: ilstraitentdeniaisetsotquiconqueneréduitpaslapolitiqueàdesintérêtsprivés:jesuisunniaisetunsot.

«Ilyadespeureuxquiauraientbienvoulunepasjurer,maisquisevoyaientégorgés,eux,leursgrands-parents,leurspetits-enfants,ettouslespropriétaires,s'ilsn'avaient trembloté leurserment:ceciestuneffetphysiqueque jen'aipasencoreéprouvé;j'attendrail'infirmitéet,siellem'arrive,j'aviserai.

«Il y a des grands seigneurs de l'Empire unis à leurs pensionspar des lienssacréset indissolubles,quellequesoit lamaindontelles tombent:unepensionestàleursyeuxunsacrement;elleimprimeuncaractèrecommelaprêtriseetlemariage; toute tête pensionnée ne peut cesser de l'être: les pensions étantdemeuréesàlachargeduTrésor,ilssontrestésàlachargedumêmeTrésor;moi,j'ail'habitudedudivorceaveclafortune;tropvieuxpourelle,jel'abandonnedepeurqu'ellenemequitte.

«Il y a de hauts barons du trône et de l'autel qui n'ont point trahi lesordonnances; non! mais l'insuffisance des moyens employés pour mettre àexécution ces ordonnances a échauffé leur bile; indignés qu'on ait failli audespotisme, ils ont été chercher une autre antichambre: ilm'est impossible departagerleurindignationetleurdemeure.

«Ilyadesgensdeconsciencequinesontparjuresquepourêtreparjures,qui,cédant à la force, n'en sontpasmoinspour ledroit; ils pleurent sur cepauvreCharlesX,qu'ilsontd'abordentraînéàsaperteparleursconseils,etensuitemisàmortpar leurserment;maissi jamais luiousa race ressuscite, ils serontdesfoudresdelégitimité:moi,j'aitoujoursétédévotàlamort,etjesuisleconvoidelavieillemonarchiecommelechiendupauvre.

«Enfin, il y a de loyaux chevaliers qui ont dans leur poche des dispensesd'honneuretdespermissionsd'infidélité:jen'enaipoint.

«J'étaisl'hommedelaRestaurationpossible,delaRestaurationavectouteslessortesdelibertés.CetteRestaurationm'aprispourunennemi;elles'estperdue:je dois subir son sort. Irai-je attacher quelques années qui me restent à unefortunenouvelle,commecesbasderobesquelesfemmestraînentdecoursencours et sur lesquels tout le monde peut marcher? À la tête des jeunesgénérations, jeseraissuspect;derrièreelles,cen'estpasmaplace. Jesens très

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bienqu'aucunedemesfacultésn'avieilli;mieuxquejamaisjecomprendsmonsiècle; je pénètre plus hardiment dans l'avenir que personne:mais la fatalité aprononcé; finir sa vie à propos est une condition nécessaire de l'hommepublic[331].»

Enfin,lesÉtudeshistoriques[332]viennentdeparaître;j'enreporteicil'Avant-propos: c'est une véritable page demesMémoires, il contientmon histoire aumomentmêmeoùj'écris:

AVANT-PROPOS.

«Souvenez-vous, pour ne pas perdre de vue le train dumonde, qu'àcetteépoque(lachutedel'Empireromain).............ilyavaitdescitoyensquifouillaientcommemoilesarchivesdupasséaumilieudesruinesduprésent,quiécrivaientlesannalesdesanciennesrévolutionsaubruitdesrévolutions nouvelles; eux et moi prenant pour table, dans l'édificecroulant, la pierre tombée à nos pieds, en attendant celle qui devaitécrasernostêtes.»

(Étudeshistoriques,tomeVbis,page175.)

«Jenevoudraispas,pourcequimeresteàvivre, recommencer lesdix-huitmoisquiviennentdes'écouler.Onn'aurajamaisuneidéedelaviolencequejemesuisfaite;j'aiétéforcéd'abstrairemonespritdix,douzeetquinzeheuresparjour, de ce qui se passait autour de moi, pour me livrer puérilement à lacompositiond'unouvragedontpersonneneparcourrauneligne.Quiliraitquatregros volumes, lorsqu'on a bien de la peine à lire le feuilleton d'une gazette?J'écrivaisl'histoireancienne,etl'histoiremodernefrappaitàmaporte;envainjeluicriais:«Attendez,jevaisàvous;»ellepassaitaubruitducanon,enemportanttroisgénérationsderois.

«EtqueletempsconcordeheureusementaveclanaturemêmedecesÉtudes!onabatlacroix,onpoursuitlesprêtres;etilestquestiondecroixetdeprêtresàtouteslespagesdemonrécit;onbannitlesCapets,etjepublieunehistoiredontles Capets occupent huit siècles. Le plus long et le dernier travail dema vie,celuiquim'acoûtéleplusderecherches,desoinsetd'années,celuioùj'aipeut-êtreremuéleplusd'idéesetdefaits,paraitlorsqu'ilnepeuttrouverdelecteurs;

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c'est comme si je le jetais dans un puits, où il va s'enfoncer sous l'amas dedécombres qui le suivront. Quand une société se compose et se décompose,quand il y va de l'existence de chacun et de tous, quand on n'est pas sûr d'unavenird'uneheure,quisesouciedecequefait,ditetpensesonvoisin?Ils'agitbiendeNéron,deConstantin,deJulien,desApôtres,desMartyrs,desPèresdel'Église, des Goths, des Huns, des Vandales, des Francs, de Clovis, deCharlemagne, de Hugues Capet et de Henri IV; il s'agit bien du naufrage del'ancienmonde,lorsquenousnoustrouvonsengagésdanslenaufragedumondemoderne!N'est-ce pas une sorte de radotage, une espèce de faiblesse d'esprit,quedes'occuperdelettresdanscemoment?Ilestvrai;maisceradotagenetientpasàmoncerveau,ilvientdesantécédentsdemaméchantefortune.Sijen'avaispastantfaitdesacrificesauxlibertésdemonpays,jen'auraispasétéobligédecontracter des engagements qui s'achèvent de remplir dans des circonstancesdoublement déplorables pour moi. Aucun auteur n'a été mis à une pareilleépreuve; grâce àDieu, elle est à son terme: je n'ai plusqu'àm'asseoir sur desruinesetàméprisercetteviequejedédaignaisdansmajeunesse.

«Aprèscesplaintesbiennaturellesetquimesontinvolontairementéchappées,une pensée me vient consoler; j'ai commencé ma carrière littéraire par unouvrageoùj'envisageaislechristianismesouslesrapportspoétiquesetmoraux;je la finis par un ouvrage où je considère lamême religion sous ses rapportsphilosophiques et historiques: j'ai commencé ma carrière politique sous laRestauration, je la finis avec la Restauration. Ce n'est pas sans une secrètesatisfactionquejemetrouveainsiconséquentavecmoi-même.»

Paris,mai1831.

Larésolutionquejeconçus,aumomentdelacatastrophedeJuillet,n'apointété abandonnée par moi. Je me suis occupé des moyens de vivre en terreétrangère,moyensdifficiles,puisquejen'airien:l'acquéreurdemesœuvresm'afaitàpeuprèsbanqueroute,etmesdettesm'empêchentdetrouverquelqu'unquiveuillemeprêter.

Quoiqu'il en soit, jevaisme rendreàGenève[333] avec la sommequim'estsurvenue de la vente de ma dernière brochure (De la Restauration et de laMonarchieélective). Je laissemaprocurationpour vendre lamaisonoù j'écriscettepagepourordrededate.Sijetrouvemarchandàmonlit,jepourraitrouverunautrelithorsdeFrance.Danscesincertitudesetcesmouvements,jusqu'àce

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quejesoisétabliquelquepart,ilmeseraimpossibledereprendrelasuitedemesMémoiresàl'endroitoùjelesaiinterrompus[334].Jecontinueraidoncd'écrireleschosesdumomentactueldemavie;jeferaiconnaîtreceschosesparleslettresqu'ilm'arriverad'écriresurlescheminsoupendantmesdiversséjours;jelierailes faits intermédiaires par un journal qui remplira les temps laissés entre lesdatesdeceslettres.

ÀMADAMERÉCAMIER[335].

«Lyon,mercredi18mai1831.

«Me voilà trop loin de vous. Je n'ai jamais fait de voyage si triste: tempsadmirable,naturetouteparée,rossignolchantant,nuitétoilée;ettoutcela,pourqui?Ilfaudrabienquejeretourneoùvousêtes,àmoinsquevousneveniezàmonsecours.[336]»

ÀMADAMERÉCAMIER.

«Lyon,vendredi20mai.

«J'aipasséhierlejouràerreraubordduRhône;jeregardaislavilleoùvousêtesnée, lacollineoùs'élevait lecouventoùvousaviezétéchoisiecomme laplusbelle:espérancequevousn'avezpointdémentie;etvousn'êtespointici,etdesannéessesontécoulées,etvousavezétéjadisexiléedansvotreberceau,etmadame de Staël n'est plus, et je quitte la France! De ces anciens temps unpersonnagesingulierm'aapparu:jevousenvoiesonbilletàcausedel'inattenduetdelasurprise.Cepersonnage,quejen'avais jamaisvu,plantedespinsdanslesmontagnesduLyonnais.IlyabienloindelààlarueFeydeauetàMaisonàvendre:commelesrôleschangentsurlaterre[337]!

«Hyacinthem'amandé les regretset lesarticlesde journaux; jenevauxpastout cela.Vous savez que je le crois sincèrement vingt-trois heures sur vingt-quatre; lavingt-quatrièmeest consacréeà lavanité,maisellene tientguèreetpassevite.Jen'aivouluvoirpersonneici;M.Thiers,quiserendaitdanslemidi,aforcémaporte.»

Billetinclusdanscettelettre.

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«Un voisin, votre compatriote, qui n'a d'autre titre auprès de vous qu'uneprofonde admiration pour votre beau talent et votre admirable caractère,désirerait avoir l'honneur de vous voir et de vous présenter l'hommage de sonrespect.Cevoisindechambredansl'hôtel,cecompatriote,s'appelleElleviou.»

ÀMADAMERÉCAMIER.

«Lyon,dimanche22mai.

«NouspartonsdemainpourGenèveoùjetrouveraid'autressouvenirsdevous.Reverrai-je jamais la France, quand une fois j'aurai passé la frontière?Oui, sivous levoulez,c'est-à-dire sivousy restez. Jenesouhaitepas lesévénementsquipourraientm'offriruneautrechancede retour; jene ferai jamaisentrer lesmalheursdemonpaysaunombredemesespérances.Jevousécriraimardi,24,de Genève. Quand reverrai-je votre petite écriture, sœur cadette de lamienne[338]?»

«Genève,mardi24mai.

«Arrivéshierici,nouscherchonsdesmaisons.Ilestprobablequenousnousarrangeronsd'unpetitpavillonauborddulac.Jenepuisvousdirecommejesuistriste en m'occupant de ces arrangements. Encore un autre avenir! encorerecommencer une vie quand je croyais avoir fini! Je compte vous écrire unelonguelettrequandjeseraiunpeuenrepos;jecrainscerepos,caralorsjeverraisansdistractioncesannéesobscuresdanslesquellesj'entrelecœursiserré.»

ÀMADAMERÉCAMIER.

«9juin1831.

«Voussavezqu'ils'estétabliunesecteréforméeaumilieudesprotestants.Undesnouveauxpasteursdecettenouvelleégliseestvenumevoiretm'aécritdeuxlettresdignesdespremiersapôtres. Ilveutmeconvertirà sa foi,et jeveuxenfaireunpapiste.NousjoutonscommeautempsdeCalvin,maisennousaimantenfraternitéchrétienneetsansnousbrûler.Jenedésespèrepasdesonsalut; ilest tout ébranlé demes arguments pour les papes.Vousn'imaginez pas à quelpoint d'exaltation il estmonté, et sa candeur est admirable. Si vousm'arrivez,

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accompagnédemonvieil amiBallanche,nous feronsdesmerveilles.DansundesjournauxdeGenèveonannonceunouvragedecontroverseprotestante.Onengage les auteurs à se tenir fermes parce que l'auteur du Génie duChristianismeestlàtoutprès.

«Il y a quelque chose de consolant à trouver une petite peuplade libre,administrée par les hommes les plus distingués et chez laquelle les idéesreligieusessontlabasedelalibertéetlapremièreoccupationdelavie.

«J'aidéjeunéchezM.deConstant[339]auprèsdemadameNecker[340],sourdemalheureusement,maisfemmerare,delaplusgrandedistinction;nousn'avonsparléquedevous. J'avais reçuvotre lettre,et j'aiditàM.deSismondicequevousécrivezd'aimablepourlui.Vousvoyezquejeprendsdevosleçons.

«Enfin, voici des vers.Vous êtesmon étoile et je vous attends pour aller àcetteîleenchantée.

«Delphine mariée[341]: ô Muses! Je vous ai dit dans ma dernière lettrepourquoi je nepouvais écrire ni sur la pairie, ni sur la guerre: j'attaquerais uncorpsignobledontj'aifaitpartie,etjeprêcheraisl'honneuràquin'enaplus.

«Ilfautunmarinpourlirelesversetlescomprendre.JemerecommandéàM.Lenormant.Votre intelligence suffira aux trois dernières strophes et lemot del'énigmeestaubas.»

LENAUFRAGÉ.

Rebutdel'aquilon,échouésurlesable,Vieuxvaisseaufracassédontfinissaitlesort.Etque,durcharpentier,lamortimpitoyable

Allaitdépecerdansleport!

Souslespontsdésertésunseulgardienhabite;Autrefoistul'asvusurtongaillardd'avant,Impatientd'écueils,detourmentesubite,

Sifflerpourameuterlevent.

Tantôtsurtonbeaupré,cavalierintrépide,Ilriaitquand,plongeantlatêtedanslesflots,

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Tubondissais;tantôtduhautdumâtrapide,Ilcriait:Terre!auxmatelots.

Maintenantretirédanslacarèneusée,Teinthâlé,frontchenu,maingoudronnée,yeuxpers,Sablierpresquevideetboussolebrisée

Annoncentl'ermitedesmers.

Vouspensiezdéfailliramarrésàlarive,Vieuxvaisseau,vieuxnocher!vousvoustrompieztousdeux;L'ouraganvoussaisitetvoustraîneendérive,

Hurlantsurlesflotsnoirsetbleus.

DèslepremierrécifvotrecoursebornéeS'arrêtera;soudainvosflancss'entr'ouvriront;Voussombrez!c'enestfait!etvotreancreécornée

Glisseetlaboureenvainlefond.

Cevaisseau,c'estmavie,etcerocher,moi-même:Jesuissauvé!mesjoursauxmerssontarrachés:Unastrem'amontrésalumièrequej'aime,

Quandlesautressesontcachés.

Cetteétoiledusoirquidissipel'orage,Etquiportesibienlenomdelabeauté,Surl'abîmecalméconduiramonnaufrage

Àquelquerivageenchanté.

Jusqu'àmondernierport,douceetcharmanteétoile,Jesuivraitonrayontoujourspuretnouveau;Etquandtucesserasdeluirepourmavoile,

Tubrillerassurmontombeau.

ÀMADAMERÉCAMIER.

«Genève,18juin1831.

«Vousavezreçutoutesmeslettres.J'attendsincessammentquelquesmotsdevous;jevoisbienquejen'aurairien,maisjesuistoujourssurprisquandlaposte

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nem'apportequelesjournaux.Personneaumondenem'écritquevous;personnene se souvient demoi que vous, et c'est un grand charme. J'aime votre lettresolitairequinem'arrivepoint,commeellearrivaitautempsdemesgrandeurs,au milieu des paquets de dépêches et de toutes ces lettres d'attachement,d'admirationetdebassessequidisparaissentavec la fortune.Aprèsvospetiteslettres je verrai votre belle personne, si je nevais pas la rejoindre.Vous serezmon exécutrice testamentaire; vous vendrez ma pauvre retraite; le prix vousservira à voyager vers le soleil. Dans ce moment il fait un temps admirable:j'aperçois,envousécrivant, lemontBlancdanssasplendeur;duhautdumontBlanc on voit l'Apennin: ilme semble que je n'ai que trois pas pour arriver àRomeoùnousirons,cartouts'arrangeraenFrance.

«Ilnemanquaitplusànotreglorieusepatrie,pouravoirpassépar toutes lesmisères, que d'avoir un gouvernement de couards; elle l'a, et la jeunesse vas'engloutir dans la doctrine, la littérature et la débauche, selon le caractèreparticulierdesindividus.Restelechapitredesaccidents;maisquandontraîne,commejelefais,surlechemindelavie,l'accidentleplusprobablec'estlafinduvoyage.

«Jenetravaillepoint, jenepuisrienfaire: jem'ennuie;c'estmanatureet jesuiscommeunpoissondansl'eau:sipourtantl'eauétaitunpeumoinsprofonde,jem'yplairaispeut-êtremieux.»

AuxPâquis,prèsGenève.

JOURNALDU12JUILLETAU1erSEPTEMBRE1831.

Je suisétabli auxPâquis[342] avecmadamedeChateaubriand[343]; j'ai fait laconnaissancedeM.Rigaud,premiersyndicdeGenève:au-dessusdesamaison,auborddulac,enremontantlechemindeLausanne,ontrouvelavilladedeuxcommisdeM.deLapanouze,quiontdépensé1,500,000francsàlafairebâtiretàplanter leurs jardins.Quand jepasseàpieddevant leurdemeure, j'admire laProvidence qui, dans eux et dans moi, a placé à Genève des témoins de laRestauration.Quejesuisbête!quejesuisbête!lesieurdeLapanouzefaisaitduroyalisme et de lamisère avecmoi: voyez où sont parvenus ses commis pouravoirfavorisélaconversiondesrentes,quej'avaislabonhomiedecombattre,eten vertu de laquelle je fus chassé. Voilà ces messieurs; ils arrivent dans unéléganttilbury,chapeausurl'oreille,etjesuisobligédemejeterdansunfossé

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pourquelarouen'emportepasunpandemavieilleredingote.J'aipourtantétépairdeFrance,ministre, ambassadeur, et j'aidansuneboîtedecarton tous lespremiersordresdelachrétienté,ycomprisleSaint-EspritetlaToisond'or.SilescommisdusieurCésardeLapanouze[344],millionnaires,voulaientm'achetermaboîtederubanspourleursfemmes,ilsmeferaientunsensibleplaisir.

Pourtant tout n'est pas roses pourMM. B....: ils ne sont pas encore noblesgenevois,c'est-à-direqu'ilsnesontpasencoreàlasecondegénération,queleurmèrehabiteencorelebasdelavilleetn'estpasmontéedanslequartierdeSaint-Pierre, le faubourg Saint-Germain de Genève; mais, Dieu aidant, noblesseviendraaprèsargent.

Ce fut en 1805 que je visGenève pour la première fois. Si deuxmille anss'étaientécoulésentrelesdeuxépoquesdemesdeuxvoyages,seraient-ellesplusséparées l'une de l'autre qu'elles ne le sont? Genève appartenait à la France;Bonapartebrillaitdanstoutesagloire,madamedeStaëldanstoutelasienne;iln'était pas plus question des Bourbons que s'ils n'eussent jamais existé. EtBonaparte,etmadamedeStaël,etlesBourbons,quesont-ilsdevenus?etmoi,jesuisencorelà!

M.deConstant,cousindeBenjaminConstant,etmademoiselledeConstant,vieillefillepleined'esprit,devertuetdetalent,habitentleurcabanedeSouterreaubordduRhône;ilssontdominésparuneautremaisondecampagnejadisàM.deConstant:ill'avendueàlaprincesseBelgiojoso[345],exiléemilanaisequej'aivue passer comme une pâle fleur à travers la fête que je donnai àRome à lagrande-duchesseHélène.

Pendantmespromenadesenbateau,unvieuxrameurmeracontecequefaisaitlordByron,dontonaperçoit lademeuresurlarivesavoyardedulac.Lenoblepairattendaitqu'unetempêtes'élevâtpournaviguer;duborddesabalancelle,ilse jetait à la nage et allait aumilieu du vent aborder aux prisons féodales deBonivard: c'était toujours l'acteur et le poète. Je ne suis pas si original; j'aimeaussi les orages; mais mes amours avec eux sont secrets, et je n'en fais pasconfidenceauxbateliers.

J'aidécouvertderrièreFerneyuneétroitevalléeoùcouleunfiletd'eaudeseptà huit pouces de profondeur; ce ruisselet lave la racine de quelques saules, secacheçàetlàsousdesplaquesdecressonetfaittremblerdesjoncssurlacimedesquelsseposentdesdemoisellesauxailesbleues.L'hommedestrompettesa-t-

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il jamaisvucet asilede silence toutcontre sa retentissantemaison?Non, sansdoute:ehbien! l'eauest là;ellefuitencore; jenesaispassonnom;ellen'enapeut-êtrepas:lesjoursdeVoltairesesontécoulés;seulementsarenomméefaitencoreunpeudebruitdansunpetitcoindenotrepetiteterre,commeceruisseletsefaitentendreàunedouzainedepasdesesbords.

Ondiffèrelesunsdesautres:jesuischarmédecetterigoledéserte;àlavuedesAlpes,unepalmettedefougèrequejecueillemeravit;lesusurrementd'unevagueparmidescaillouxmerendtoutheureux;uninsecteimperceptiblequineseravuquedemoietquis'enfoncesousunemousse,ainsiquedansunevastesolitude, occupe mes regards et me fait rêver. Ce sont là d'intimes misères,inconnues du beau génie qui, près d'ici, déguisé en Orosmane, jouait sestragédies,écrivaitauxprincesdelaterreetforçaitl'Europeàvenirl'admirerdanslehameaudeFerney.Maisn'était-cepaslàaussidesmisères?Latransitiondumondenevautpas lepassagedecesflots,et,quantauxrois, j'aimemieuxmafourmi.

Une chose m'étonne toujours quand je pense à Voltaire: avec un espritsupérieur, raisonnable, éclairé, il est resté complètement étranger auchristianisme; jamais il n'a vu ce que chacun voit: que l'établissement del'Évangile,àneconsidérerquelerapporthumain,est laplusgranderévolutionquisesoitopéréesurlaterre.Ilestvraidedirequ'ausiècledeVoltairecetteidéen'était venue dans la tête de personne. Les théologiens défendaient lechristianisme comme un fait accompli, comme une vérité fondée sur des loisémanées de l'autorité spirituelle et temporelle; les philosophes l'attaquaientcommeunabusvenudesprêtresetdesrois:onn'allaitpasplusloinquecela.Jenedoutepasquesil'oneûtpuprésentertoutàcoupàVoltairel'autrecôtédelaquestion,sonintelligencelucideetprompten'eneûtétéfrappée:onrougitdelamanièremesquine et bornéedont il traitait un sujet qui n'embrasse rienmoinsque la transformation des peuples, l'introduction de la morale, un principenouveau de société, un autre droit des gens, un autre ordre d'idées, lechangementtotaldel'humanité.Malheureusement,legrandécrivainquiseperden répandant des idées funestes entraîne beaucoup d'esprits d'une moindreétendue dans sa chute: il ressemble à ces anciens despotes de l'Orient sur letombeaudesquelsonimmolaitdesesclaves.

Là,àFerney,oùiln'entrepluspersonne,àceFerneyautourduquel jeviensrôderseul,quedepersonnagescélèbressontaccourus!Ilsdorment,rassembléspourjamaisaufonddeslettresdeVoltaire,leurtemplehypogée:lesouffled'un

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siècles'affaiblitpardegrésets'éteintdans lesilenceéternel,àmesureque l'oncommenceàentendrelarespirationd'unautresiècle.

AuxPâquis,prèsGenève,15septembre1831.

Oh!argentquej'ai tantmépriséetquejenepuisaimerquoiquejefasse, jesuis forcé d'avouer pourtant tonmérite: source de la liberté, tu arrangesmillechosesdansnotreexistence,oùtoutestdifficilesanstoi.Exceptélagloire,quenepeux-tupasprocurer?Avectoionestbeau,jeune,adoré;onaconsidération,honneurs, qualités, vertus. Vous me direz qu'avec de l'argent on n'a quel'apparencedetoutcela:qu'importe,sijecroisvraicequiestfaux?trompez-moibienetjevoustiensquittedureste:lavieest-elleautrechosequ'unmensonge?Quandonn'a point d'argent, on est dans ladépendancede toutes choses et detoutlemonde.Deuxcréaturesquineseconviennentpaspourraientallerchacunedesoncôté;ehbien!fautedequelquespistoles,ilfautqu'ellesrestentlàenfacel'unedel'autreàsebouder,àsemaugréer,às'aigrirl'humeur,às'avalerlalangued'ennui, à se manger l'âme et le blanc des yeux, à se faire, en enrageant, lesacrificemutueldeleursgoûts,deleurspenchants,deleursfaçonsnaturellesdevivre:lamisèrelesserrel'unecontrel'autre,et,danscesliensdegueux,aulieude s'embrasser elles semordent,mais non pas commeFloramordait Pompée.Sans argent, nulmoyen de fuite; on ne peut aller chercher un autre soleil, et,avec une âme fière, on porte incessamment des chaînes. Heureux juifs,marchandsdecrucifix,quigouvernezaujourd'huilachrétienté,quidécidezdelapaix ou de la guerre, qui mangez du cochon après avoir vendu de vieuxchapeaux,quiêtes lesfavorisdesroisetdesbelles, tout laidset toutsalesquevousêtes!ah!sivousvouliezchangerdepeauavecmoi!sijepouvaisaumoinsmeglisserdansvoscoffres-forts,vousvolercequevousavezdérobéàdesfilsdefamille,jeseraisleplusheureuxhommedumonde!

J'aurais bien un moyen d'exister: je pourrais m'adresser aux monarques;comme j'ai tout perdu pour leur couronne, il serait assez juste qu'ils menourrissent.Maiscetteidéequidevraitleurvenirneleurvientpas,etàmoiellevient encore moins. Plutôt que de m'asseoir aux banquets des rois, j'aimeraismieuxrecommencerladiètequejefisautrefoisàLondresavecmonpauvreamiHingant. Toutefois l'heureux temps des greniers est passé, non que je m'ytrouvassefortbien,maisj'ymanqueraisd'aise,j'ytiendraistropdeplaceaveclesfalbalasdema renommée; jen'y seraisplusavecmaseulechemiseet la taillefined'uninconnuquin'apointdîné.MoncousindelaBoüétardayen'estpluslà

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pour jouer du violon sur mon grabat dans sa robe rouge de conseiller auParlement deBretagne, et pour se tenir chaud la nuit, couvert d'une chaise enguisedecourte-pointe;Peltiern'estpluslàpournousdonneràdîneravecl'argentduroiChristophe,etsurtoutlamagiciennen'estpluslà,laJeunesse,qui,parunsourire, change l'indigence en trésor, qui vous amène pour maîtresse sa sœurcadettel'Espérance;celle-ciaussitrompeusequesonaînée,maisrevenantencorequandl'autreafuipourtoujours.

J'avaisoubliélesdétressesdemapremièreémigrationetjem'étaisfiguréqu'ilsuffisait de quitter la France pour conserver en paix l'honneur dans l'exil: lesalouettes ne tombent toutes rôties qu'à ceux quimoissonnent le champ, non àceuxquil'ontsemé:s'ilnes'agissaitquedemoi,dansunhôpitaljemetrouveraisàmerveille; maismadame de Chateaubriand? Je n'ai donc pas été plutôt fixéqu'enjetantlesyeuxsurl'avenir,l'inquiétudem'apris.

Onm'écrivaitdeParisqu'onnetrouvaitàvendremamaison,rued'Enfer,qu'àdesprixquinesuffiraientpaspourpurgerleshypothèquesdontcetermitageestgrevé; que cependant quelque chose pourrait s'arranger si j'étais là.D'après cemot, j'ai fait à Paris une course inutile, car je n'ai trouvé ni bonne volonté, niacquéreur;mais j'ai revu l'Abbaye-aux-Bois et quelques-uns demes nouveauxamis.Laveilledemonretour ici, j'aidînéauCafédeParisavecMM.Arago,Pouqueville,CarreletBéranger, tousplusoumoinsmécontentsetdéçusparlameilleuredesrépubliques.

AuxPâquis,prèsdeGenève,26septembre1831.

MesÉtudes historiques memirent en rapport avecM. Carrel, comme ellesm'ontfaitconnaîtreMM.ThiersetMignet.J'avaiscopié,danslapréfacedecesÉtudes,unassezlongpassagedelaGuerredeCatalogne[346],parM.Carrel,etsurtout ce paragraphe: «Les choses, dans leurs continuelles et fatalestransformations, n'entraînent point avec elles toutes les intelligences; elles nedomptentpointtouslescaractèresavecuneégalefacilité;ellesneprennentpasmême soin de tous les intérêts; c'est ce qu'il faut comprendre, et pardonnerquelque chose aux protestations qui s'élèvent en faveur du passé. Quand uneépoqueestfinie,lemouleestbrisé,etilsuffitàlaProvidencequ'ilnesepuisserefaire; mais des débris restés à terre, il en est quelquefois de beaux àcontempler.»

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À la suite de ces belles paroles, j'ajoutaismoi-même ce résumé: «L'hommequi a pu écrire ces mots a de quoi sympathiser avec ceux qui ont foi à laProvidence,quirespectentlareligiondupassé,etquiontaussilesyeuxattachéssurdesdébris.»

M. Carrel vint me remercier. Il était à la fois le courage et le talent duNational,auqueliltravaillaitavecMM.ThiersetMignet.M.CarrelappartientàunefamilledeRouenpieuseet royaliste: la légitimitéaveugle,etqui rarementdistinguaitlemérite,méconnutM.Carrel.Fieretsentantsavaleur,ilseréfugiadansdesopinionsdangereuses,où l'on trouveunecompensationauxsacrificesqu'on s'impose: il lui est arrivé ce qui arrive à tous les caractères aptes auxgrands mouvements. Quand des circonstances imprévues les obligent à serenfermer dans un cercle étroit, ils consument des facultés surabondantes enefforts qui dépassent les opinions et les événements du jour. Avant lesrévolutions, des hommes supérieurs meurent inconnus: leur public n'est pasencore venu; après les révolutions, des hommes supérieursmeurent délaissés:leurpublics'estretiré.

M.Carrel n'est pas heureux: rien de plus positif que ses idées, rien de plusromanesquequesavie.Volontaire républicainenEspagneen1823,pris sur lechampdebataille,condamnéàmortparlesautoritésfrançaises,échappéàmilledangers,l'amoursetrouvemêléauxtroublesdesonexistenceprivée.Illuifautprotégerunepassionquisoutientsavie[347];etcethommedecœur,toujoursprêtaugrandjouràsejetersurlapointed'uneépée,metdevantluidesguichetsetlesombres de la nuit; il se promène dans les campagnes silencieuses avec unefemmeaimée,àcettepremièreaubeoùladianel'appelaitàl'attaquedestentesdel'ennemi.

Je quitte M. Armand Carrel pour tracer quelques mots sur notre célèbrechansonnier.Voustrouverezmonrécittropcourt,lecteur,maisj'aidroitàvotreindulgence:sonnometseschansonsdoiventêtregravésdansvotremémoire.

M. de Béranger n'est pas obligé, commeM. Carrel, de cacher ses amours.Aprèsavoirchantélalibertéetlesvertuspopulairesenbravantlageôledesrois,ilmetsesamoursdansuncouplet,etvoilàLisetteimmortelle.

Prèsde labarrièredesMartyrs, sousMontmartre,onvoit la ruede laTour-d'Auvergne.Danscetterue,àmoitiébâtie,àdemipavée,dansunepetitemaison

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retiréederrièreunpetitjardinetcalculéesurlamodicitédesfortunesactuelles,vous trouverez l'illustre chansonnier.Une tête chauve, un air un peu rustique,maisfinetvoluptueux,annoncentlepoète.Jereposeavecplaisirmesyeuxsurcettefigureplébéienne,aprèsavoirregardétantdefacesroyales;jecomparecestypes si différents: sur les fronts monarchiques on voit quelque chose d'unenature élevée, mais flétrie, impuissante, effacée; sur les fronts démocratiquesparaîtunenaturephysiquecommune,maisonreconnaîtunenatureintellectuelle,haute:lefrontmonarchiqueaperdulacouronne;lefrontpopulairel'attend.

JepriaisunjourBéranger(qu'ilmepardonnes'ilmerendaussifamilierquesarenommée), je lepriaisdememontrerquelques-unsdesesouvragesinconnus:«Savez-vous,medit-il,quej'aicommencéparêtrevotredisciple?j'étaisfouduGénieduChristianismeetj'aifaitdesidylleschrétiennes:cesontdesscènesdecuré de campagne, des tableaux du culte dans les villages et au milieu desmoissons.»

M.AugustinThierrym'a dit que la bataille desFrancsdans lesMartyrs luiavait donné l'idée d'une nouvelle manière d'écrire l'histoire: rien ne m'a plusflatté que de trouver mon souvenir placé au commencement du talent del'historienThierryetdupoèteBéranger.

NotrechansonnieralesdiversesqualitésqueVoltaireexigepourlachanson:«Pour bien réussir à ces petits ouvrages, dit l'auteur de tant de poésiesgracieuses,ilfautdansl'espritdelafinesseetdusentiment,avoirdel'harmoniedanslatête,nepointtrops'abaisser,etsavoirn'êtrepastroplong.»

Bérangeraplusieursmuses, toutescharmantes;etquandcesmusessontdesfemmes,illesaimetoutes.Lorsqu'ilenesttrahi,ilnetournepointàl'élégie;etpourtantunsentimentdepieusetristesseestaufonddesagaieté:c'estunefiguresérieusequisourit,c'estlaphilosophiequiprie.

Mon amitié pour Bérangerm'a valu bien des étonnements de la part de cequ'onappelaitmonparti;unvieuxchevalierdeSaint-Louis,quim'est inconnu,m'écrivait du fond de sa tourelle: «Réjouissez-vous, monsieur, d'être loué parceluiquiasouffletévotreroietvotreDieu.»Trèsbien,monbravegentilhomme!vousêtespoèteaussi.

Àlafind'undînerauCafédeParis,dînerquejedonnaisàMM.BérangeretArmand Carrel avant mon départ pour la Suisse, M. Béranger nous chanta

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l'admirablechansonimprimée:

«Chateaubriand,pourquoifuirtapatrie,Fuirsonamour,notreencensetnossoins?»

OnyremarquaitcettestrophesurlesBourbons:

«Ettuvoudraist'attacheràleurchute!Connaisdoncmieuxleurfollevanité:Aurangdesmauxqu'aucielmêmeelleimpute,Leurcœuringratmettafidélité.»

Àcettechanson,quiestdel'histoiredutemps,jerépondisdelaSuisseparunelettre qu'on voit imprimée en tête de ma brochure sur la propositionBriqueville[348]. Je luidisais:«Du lieuoù jevousécris,monsieur, j'aperçois lamaisondecampagnequ'habitalordByronetlestoitsduchâteaudemadamedeStaël.Où est le barde deChilde-Harold? où est l'auteur deCorinne?Ma troplonguevieressembleàcesvoiesromainesbordéesdemonumentsfunèbres[349].»

JeretournaiàGenève;jeramenaiensuitemadamedeChateaubriandàParis,et rapportai lemanuscrit contre la propositionBriqueville sur le bannissementdesBourbons,propositionpriseenconsidérationdanslaséancedesdéputésdu17septembredecetteannée1831:lesunsattachentleurvieausuccès,lesautresaumalheur.

Paris,rued'Enfer,findenovembre1831.

De retouràParis le11octobre, jepubliaimabrochurevers la findumêmemois[350];elleapourtitre:DelanouvellepropositionrelativeaubannissementdeCharlesXetdesafamille,ousuitedemondernierécrit:DelaRestaurationetdelaMonarchieélective.

Quand ces mémoires posthumes paraîtront, la polémique quotidienne, lesévénements pour lesquels on se passionne à l'heure actuelle de ma vie, lesadversairesquejecombats,mêmel'actedubannissementdeCharlesXetdesafamille, compteront-ils pour quelque chose? c'est là l'inconvénient de toutjournal:onytrouvedesdiscussionsaniméessurdessujetsdevenusindifférents;le lecteur voit passer comme des ombres une foule de personnages dont il neretient pasmême le nom: figurantsmuetsqui remplissent le fondde la scène.

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Toutefois c'est dans ces parties arides des chroniques que l'on recueille lesobservationsetlesfaitsdel'histoiredel'hommeetdeshommes.

Je mis d'abord au commencement de la brochure le décret proposésuccessivement parMM. Baude et Briqueville. Après avoir examiné les cinqpartisquel'onavaitàprendreaprèslarévolutiondeJuillet,jedis:

«Lapire des périodesquenous ayonsparcourues semble être celle oùnoussommes, parce que l'anarchie règne dans la raison, lamorale et l'intelligence.L'existence des nations est plus longue que celle des individus: un hommeparalytique reste quelquefois étendu sur sa couche plusieurs années avant dedisparaître;unenationinfirmedemeurelongtempssursonlitavantd'expirer.Cequ'ilfallaitàlaroyauténouvelle,c'étaitdel'élan,delajeunesse,del'intrépidité,tournerledosaupassé,marcheraveclaFranceàlarencontredel'avenir.

«Decelaellen'acure;elles'estprésentéeamaigrie,débifféeparlesdocteursqui lamédicamentaient.Elleestarrivéepiteuse, lesmainsvides,n'ayantrienàdonner, tout à recevoir, se faisant pauvrette, demandant grâce à chacun, etcependant hargneuse, déclamant contre la légitimité et singeant la légitimité,contre le républicanisme et tremblant devant lui. Ce système pansu ne voitd'ennemis que dans deux oppositions qu'il menace. Pour se soutenir, il s'estcomposé une phalange des vétérans réengagistes: s'ils portaient autant dechevronsqu'ilsontfaitdeserments,ilsauraientlamancheplusbarioléequelalivréedesMontmorency.

«Jedoutequelalibertéseplaiselongtempsàcepot-au-feud'unemonarchiedomestique. Les Francs l'avaient placée, cette liberté, dans un camp; elle aconservé chez leurs descendants le goût et l'amour de son premier berceau;commel'ancienneroyauté,elleveutêtreélevéesurlepavoisetsesdéputéssontsoldats.»

Decetteargumentationjepasseaudétaildusystèmesuividansnosrelationsextérieures. La faute immense du congrès de Vienne est d'avoir mis un paysmilitaire comme la France dans un état forcé d'hostilité avec les peuplesriverains. Je fais voir tout ce que les étrangers ont acquis en territoire et enpuissance,toutcequenouspouvionsreprendreenJuillet.Grandeleçon!preuvefrappantedelavanitédelagloiremilitaireetdesœuvresdesconquérants!Sil'onfaisait une liste des princes qui ont augmenté les possessions de la France,Bonaparten'yfigureraitpas;CharlesXyoccuperaituneplaceremarquable!

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Passant de raisonnement en raisonnement, j'arrive àLouis-Philippe: «Louis-Philippe est roi,» dis-je, il porte le sceptre de l'enfant dont il était l'héritierimmédiat,decepupillequeCharlesXavaitremisentrelesmainsdulieutenantgénéraldu royaume,commeàun tuteurexpérimenté,undépositaire fidèle,unprotecteur généreux. Dans ce château des Tuileries, au lieu d'une coucheinnocente, sans insomnie, sans remords, sansapparition,qu'a trouvé leprince?untrônevidequeluiprésenteunspectredécapitéportantdanssamainsanglantelatêted'unautrespectre....

«Faut-il, pour achever, emmancher le fer de Louvel dans une loi, afin deporterlederniercoupàlafamilleproscrite?Sielleétaitpousséeàcesbordsparla tempête; si trop jeune encore, Henri n'avait pas les années requises àl'échafaud,ehbien!vous,lesmaîtres,accordez-luidispensed'âgepourmourir.»

Après avoir parlé augouvernementde laFrance, jeme retourneversHoly-Rood et j'ajoute: «Oserai-je prendre, en finissant, la respectueuse libertéd'adresser quelques paroles aux hommes de l'exil? Ils sont rentrés dans ladouleurcommedansleseindeleurmère:lemalheur,séductiondontj'aipeineàmedéfendre,mesembleavoir toujoursraison; jecrainsdeblessersonautoritésainte et lamajesté qu'il ajoute à des grandeurs insultées, qui désormais n'ontplusquemoipourflatteur.Maisjesurmonteraimafaiblesse,jem'efforceraidefaire entendre un langage qui, dans un jour d'infortune, pourrait préparer uneespéranceàmapatrie.

«L'éducationd'unprincedoitêtreenrapportaveclaformedugouvernementet lesmœursdesonpays.Or, iln'yaenFrancenichevalerie,nichevaliers,nisoldatsdel'oriflamme,nigentilshommesbardésdefer,prêtsàmarcheràlasuitedudrapeaublanc.Ilyaunpeuplequin'estpluslepeupled'autrefois,unpeuplequi,changéparlessiècles,n'apluslesancienneshabitudesetlesantiquesmœursde nos pères. Qu'on déplore ou qu'on glorifie les transformations socialesadvenues,ilfautprendrelanationtellequ'elleest,lesfaitstelsqu'ilssont,entrerdansl'espritdesontemps,afind'avoiractionsurcetesprit.

«ToutestdanslamaindeDieu,exceptélepasséqui,unefoistombédecettemainpuissante,n'yrentreplus.

«Arriverasansdoutelemomentoùl'orphelinsortiradecechâteaudesStuarts,asiledemauvaisaugurequisembleétendrel'ombredelafatalitésursajeunesse:ledernier-néduBéarnaisdoitsemêlerauxenfantsdesonâge,allerauxécoles

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publiques, apprendre tout ce que l'on sait aujourd'hui.Qu'il devienne le jeunehomme le plus éclairé de son temps; qu'il soit au niveau des sciences del'époque; qu'il joigne aux vertus d'un chrétien du siècle de saint Louis leslumièresd'unchrétiendenotresiècle.Quedesvoyagesl'instruisentdesmœurset des lois; qu'il ait traversé les mers, comparé les institutions et lesgouvernements,lespeupleslibresetlespeuplesesclaves;quesimplesoldat,s'ilentrouvel'occasionàl'étranger,ils'exposeauxpérilsdelaguerre,caronn'estpointapteàrégnersurdesFrançaissansavoirentendusifflerleboulet.Alorsonaurafaitpourluicequ'humainementparlantonpeutfaire.Maissurtoutgardez-vousdelenourrirdanslesidéesdudroitinvincible;loindeleflatterderemonterau rang de ses pères, préparez-le à n'y remonter jamais; élevez-le pour êtrehomme,nonpourêtreroi:làsontsesmeilleureschances.

«C'est assez: quel que soit le conseil deDieu, il restera au candidat dematendre et pieuse fidélité unemajesté des âges que les hommes ne lui peuventravir.Milleansnouésàsajeunetêtelepareronttoujoursd'unepompeau-dessusde celle de tous les monarques. Si dans la condition privée il porte bien cediadème de jours, de souvenirs et de gloire, si samain soulève sans effort cesceptredutempsqueluiontléguésesaïeux,quelempirepourrait-ilregretter?»

M. le comte deBriqueville, dont je combattis ainsi la proposition, imprimaquelquesréflexionssurmabrochure;ilmelesenvoyaaveccebillet:

«Monsieur,

«J'aicédéaubesoin,audevoirdepublierlesréflexionsqu'ontfaitnaîtredansmonespritvospageséloquentessurmaproposition.J'obéisàunsentimentnonmoinsvraiendéplorantdemetrouverenoppositionavecvous,monsieur,qui,àlapuissancedugénie,joigneztantdetitresàlaconsidérationpublique.Lepaysestendanger,etdès lors jenepuispluscroireàunedissensionsérieuseentrenous: cette France nous invite à nous réunir pour la sauver; aidez-la de votregénie;nousmanœuvrerons,nousl'aideronsdenosbras.Surceterrain,monsieur,n'est-ilpasvrai,nousneseronspaslongtempssansnousentendre?VousserezleTyrtéed'unpeupledontnoussommeslessoldats,etceseraavecbonheurquejemeproclameraialors leplusardentdevosadhérentspolitiques,commejesuisdéjàleplussincèredevosadmirateurs.

«Votretrès-humbleetobéissantserviteur,

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«LecomteArmanddeBRIQUEVILLE.

«Paris,15novembre1831.»

Je ne restai pas en demeure, et je rompis contre le champion une secondelancemort-née.

«Paris,ce15novembre1831.

«Monsieur.

«Votrelettreestdigned'ungentilhomme:pardonnez-moicevieuxmot,quivaà votre nom, à votre courage, à votre amour de la France. Comme vous, jedétestelejougétranger:s'ils'agissaitdedéfendremonpays,jenedemanderaispasàporterlalyredupoète,maisl'épéeduvétérandanslesrangsdevossoldats.

«Jen'aipointencorelu,monsieur,vosréflexions;maissil'étatdelapolitiquevousconduisaitàretirerlapropositionquim'asiétrangementaffligé,avecquelbonheur je me rencontrerais près de vous, sans obstacle, sur le terrain de laliberté,del'honneur,delagloiredenotrepatrie!

«J'ail'honneurd'être,monsieur,aveclaconsidérationlaplusdistinguée,votretrès-humbleettrès-obéissantserviteur,

«CHATEAUBRIAND.»

Paris,rued'Enfer,infirmeriedeMarie-Thérèse,décembre1831.

Un poète, mêlant les proscriptions des Muses à celles des lois, dans uneimprovisationénergique,attaqualaveuveetl'orphelin.Commecesversétaientd'unécrivaindetalent,ilsacquirentunesorted'autoritéquinemepermitpasdeleslaisserpasser;jefisvolte-facecontreunautreennemi[351].

Onnecomprendraitpasmaréponsesionnelisait le libellédupoète[352]; jevousinvitedoncàjeterlesyeuxsurcesvers;ilssonttrèsbeauxetonlestrouvepartout.Maréponsen'apasétérenduepublique:elleparaîtpourlapremièrefoisdans cesMémoires. Misérables débats où aboutissent les révolutions! Voilà à

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quelleluttenousarrivons,nousfaiblessuccesseursdeceshommesqui,lesarmesà la main, traitaient les grandes questions de gloire et de liberté en agitantl'univers! Des pygmées font entendre aujourd'hui leur petit cri parmi lestombeauxdesgéantsensevelissouslesmontsqu'ilsontrenverséssureux.

«Paris,mercredisoir,9novembre1831

«Monsieur,

«J'ai reçu ce matin le dernier numéro de laNémesis que vous m'avez faitl'honneurdem'envoyer.Pourmedéfendredelaséductiondecesélogesdonnésavec tant d'éclat, de grâce et de charme[353], j'ai besoin de me rappeler lesobstacles qui s'élèvent entre nous.Nous vivons dans deuxmondes à part; nosespérancesetnoscraintesnesontpaslesmêmes;vousbrûlezcequej'adore,etjebrûlecequevousadorez.Vousavezgrandi,monsieur,aumilieud'unefouled'avortonsdeJuillet;mais,demêmequetoute l'influencequevoussupposezàma prose ne fera pas, selon vous, remonter une race tombée; demême, selonmoi,toutelapuissance,devotrepoésieneravalerapascettenoblerace:serions-nousainsiplacésl'unetl'autredansdeuximpossibilités?

«Vous êtes jeune,monsieur, commecet avenir quevous songez et qui vouspipera; je suis vieux comme ce temps que je rêve et qui m'échappe. Si vousveniez vous asseoir à mon foyer, dites-vous obligeamment, vous reproduiriezmes traits sous votre burin: moi, je m'efforcerais de vous faire chrétien etroyaliste.Puisquevotre lyre,aupremieraccorddesonharmonie,chantaitmesMartyrs et mon pèlerinage, pourquoi n'achèveriez-vous pas la course? Entrezdanslelieusaint;letempsnem'aarrachéquelescheveux,commeileffeuilleunarbreenhiver,mais lasèveestrestéeaucœur: j'aiencore lamainassezfermepourtenirleflambeauquiguideraitvospassouslesvoûtesdusanctuaire.

«Vousaffirmez,monsieur,qu'ilfaudraitunpeupledepoètespourcomprendremescontradictionsderoyaumeséteintsetde jeunesrépubliques; n'auriez-vouspas aussi célébré la liberté et trouvé quelques magnifiques paroles pour lestyransquil'opprimaient?VouscitezlesDubarry,lesMontespan,lesFontanges,lesLaVallière;vousrappelezdesfaiblessesroyales;maiscesfaiblessesont-ellescoûtéàlaFrancecequelesdébauchesdesDantonetdesCamilleDesmoulinsluiont coûté?Lesmœurs de cesCatilina plébéiens se réfléchissaient jusque dansleurlangage,ilsempruntaientleursmétaphoresàlaporcheriedesinfâmesetdes

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prostituées. Les fragilités de Louis XIV et de Louis XV ont-elles envoyé lespèresetlesépouxaugibet,aprèsavoirdéshonorélesfillesetlesépouses?Lesbainsdesangont-ilsrendul'impudicitéd'unrévolutionnairepluschastequelesbains de lait ne rendaient virginale la souillure d'une Poppée? Quand lesregrattiers de Robespierre auraient détaillé au peuple de Paris le sang desbaignoiresdeDanton,commelesesclavesdeNéronvendaientauxhabitantsdeRomelelaitdesthermesdesacourtisane,pensez-vousquequelquevertusefûttrouvéedanslalavuredesobscènesbourreauxdelaterreur?

«Larapiditéetlahauteurduvoldevotremusevousonttrompé,monsieur:lesoleilquiritàtouteslesmisèresaurafrappélesvêtementsd'uneveuve;ilsvousaurontsemblédorés:j'aivucesvêtements,ilsétaientdedeuil;ilsignoraientlesfêtes;l'enfant,danslesentraillesquileportaient,n'aétébercéquedubruitdeslarmes;s'ileûtdanséneufmoisdansleseindesamère,commevousledites,iln'auraiteudoncdejoiequ'avantdenaître,entrelaconceptionetl'enfantement,entre l'assassinat et la proscription!La pâleur de redoutable augure que vousavezremarquéesurlevisagedeHenriestlerésultatdelasaignéepaternelleetnonlalassituded'unbaldedeuxcentsoixante-dixnuits.L'antiquemalédictionaétémaintenuepourlafilledeHenriIV:indolorepariesfilios.Jeneconnaisqueladéessede laRaisondont lescouches,hâtéespardesadultères,aienteu lieudanslesdansesdelamort.Iltombaitdesesflancspublicsdesreptilesimmondesquiballaientàl'instantmêmeaveclestricoteusesautourdel'échafaud,ausonducoutelas,remontantetredescendant,refraindeladansediabolique.

«Ah! monsieur, je vous en conjure, au nom de votre rare talent, cessez derécompenser le crime et de punir lemalheur par les sentences improvisées devotre muse; ne condamnez pas le premier au ciel, le second à l'enfer. Si, enrestant attaché à la causede la liberté et des lumières, vousdonniez asile à lareligion, à l'humanité, à l'innocence, vous verriez apparaître à vos veilles uneautreespècedeNémésis,dignedetousleshommagesdelaterre.Enattendantquevousversiezmieuxquemoisurlavertutoutl'océandevosfraîchesidées,continuez,aveclavengeancequevousvousêtesfaite,detraînerauxgémoniesnosturpitudes;renversezlesfauxmonumentsd'unerévolutionquin'apasédifiéle templepropre à son culte; labourez leurs ruines avec le socdevotre satire;semezleseldanscechamppourlerendrestérile,afinqu'ilnepuisseygermerde nouveau aucune bassesse. Je vous recommande surtout, monsieur, cegouvernement prosterné qui chevrote la fierté des obéissances, la victoire desdéfaites,etlagloiredeshumiliationsdelapatrie.

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«CHATEAUBRIAND[354].»

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Paris,rued'Enfer,findemars1832.

Ces voyages et ces combats finirent pour moi l'année 1831: aucommencementdecetteannée1832,autretracasserie.

LarévolutiondeParisavaitlaissésurlepavédeParisunefouledeSuisses,degardesdu corps, d'hommesde tous états nourris par la cour, quimouraient defaimet quedebonnes têtesmonarchiques, jeunes et folles sous leurs cheveuxgris,imaginèrentd'enrôlerpouruncoupdemain.

Dans ce formidable complot[355], il ne manquait pas de personnes graves,pâles,maigres,transparentes,courbées,levisagenoble,lesyeuxencorevifs,latête blanchie; ce passé ressemblait à l'honneur ressuscité venant essayer derétablir, avec ses mains d'ombre, la famille qu'il n'avait pu soutenir de sesvivantesmains.Souventdesgensàbéquillesprétendent étayer lesmonarchiescroulantes;mais,àcetteépoquedelasociété,larestaurationd'unmonumentdumoyenâgeest impossible,parceque legéniequianimaitcettearchitectureestmort:onnefaitqueduvieuxencroyantfairedugothique.

D'un autre côté, les héros de Juillet, à qui le juste-milieu avait filouté laRépublique,nedemandaientpasmieuxquedes'entendreaveclescarlistespoursevengerd'unennemicommun,quitte à s'égorger après lavictoire.M.Thiersayantpréconisélesystèmede1793commel'œuvredelaliberté,delavictoireetdugénie,dejeunesimaginationssesontalluméesaufeud'unincendiedontellesnevoyaientquelaréverbérationlointaine;ellesensontàlapoésiedelaterreur:affreuse et folle parodie qui fait rebrousser l'heure de la liberté. C'estméconnaîtreà lafois le temps, l'histoireet l'humanité;c'estobliger lemondeàreculerjusquesouslefouetdugarde-chiourmepoursesauverdecesfanatiquesdel'échafaud.

Il fallait de l'argent pour nourrir tous ces mécontents, héros de Juilletéconduits,oudomestiquessansplace:onsecotisa.DesconciliabulescarlistesetrépublicainsavaientlieudanstouslescoinsdeParis,etlapolice,aufaitdetout,envoyaitsesespionsprêcher,d'unclubàungrenier,l'égalitéetlalégitimité.Onm'informait de ces menées que je combattais. Les deux partis voulaient medéclarer leur chef aumoment certain du triomphe: un club républicainme fitdemandersij'accepteraislaprésidencedelaRépublique;jerépondis:«Oui,trèscertainement; mais après M. de la Fayette;» ce qui fut trouvé modeste et

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convenable.LegénéralLaFayettevenaitquelquefoischezmadameRécamier;jememoquaisunpeudesameilleuredesrépubliques;jeluidemandaiss'iln'auraitpasmieuxfaitdeproclamerHenriVetd'êtrelevéritableprésidentdelaFrancependant la minorité du royal enfant. Il en convenait et prenait bien laplaisanterie, car il était hommedebonne compagnie.Toutes les fois quenousnousretrouvions,ilmedisait:«Ah!vousallezrecommencervotrequerelle.»Jelui faisaisconvenirqu'iln'yavaitpaseud'hommeplusattrapéque luipar sonbonamiPhilippe.

Aumilieude cette agitationetde ces conspirations extravagantes, arriveunhomme déguisé. Il débarqua chez moi, perruque de chiendent sur l'occiput,lunettesvertessurlenez,masquantsesyeuxquivoyaienttrèsbiensanslunettes.Il avait ses poches pleines de lettres de change qu'ilmontrait; et tout de suiteinstruitquejevoulaisvendremamaisonetarrangermesaffaires,ilmefitoffrede ses services; je ne pouvais m'empêcher de rire de ce monsieur (hommed'esprit et de ressource d'ailleurs) qui se croyait obligé de m'acheter pour lalégitimité.Sesoffresdevenanttroppressantes,ilvitsurmeslèvresundédainquil'obligea de faire retraite, et il écrivit à mon secrétaire ce petit billet que j'aigardé:

«Monsieur,

«Hierausoirj'aieul'honneurdevoirM.levicomtedeChateaubriand,quim'areçuavecsabontéhabituelle;néanmoinsj'aicrum'apercevoirqu'iln'avaitplusson abandon ordinaire. Dites-moi, je vous prie, ce qui aurait pume retirer saconfiance, à laquelle je tenais plus qu'à toute autre chose; si on lui a fait descancans, jenecrainspasdemettremaconduiteaugrandjour,etjesuisprêtàrépondreàtoutcequ'onpourraitluiavoirdit;ilconnaîttroplaméchancetédesintrigantspourmecondamnersansvouloirm'entendre.Ilyamêmedespeureuxquienfontaussi;maisilfautespérerquelejourarriveraoùl'onverralesgensquisontvéritablementdévoués.Ilm'adoncditqu'ilétaitinutiledememêlerdeses affaires; j'en suis désolé, car j'aime à croire qu'elles auraient été arrangéesselonsesdésirs.Jemedouteàpeuprèsquelleestlapersonnequi,surcetarticle,l'afaitchanger;sidansletempsj'avaisétémoinsdiscret,ellen'auraitpasétéàmêmedemenuirechezvotreexcellentpatron.Enfin,jeneluiensuispasmoinsdévoué,vouspouvez l'enassurerdenouveauen luiprésentantmeshommagesrespectueux. J'ose espérer qu'un jour viendra où il pourrame connaître etmejuger.

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«Agréez,jevousprie,monsieur,etc.»

Hyacinthefitàcebilletcetteréponsequejeluidictai:

«Monpatronn'a riendu toutdeparticuliercontre lapersonnequim'aécrit;maisilveutvivrehorsdetout,etneveutaccepteraucunservice.»

Bientôtaprès,lacatastrophearriva.

Connaissez-vouslaruedesProuvaires[356],rueétroite,sale,populeuse,danslevoisinage de Saint-Eustache et des halles? C'est là que se donna le fameuxsouperde la troisième restauration.Lesconvivesétaientarmésdepistolets,depoignards et de clefs; on devait, après boire, s'introduire dans la galerie duLouvre,et,passantàminuitentredeuxrangsdechefs-d'œuvre,allerfrapperlemonstreusurpantaumilieud'unefête.Laconceptionétaitromantique;leXVIesiècle était revenu, on pouvait se croire au temps des Borgia, desMédicis deFlorenceetdesMédicisdeParis,auxhommesprès.

Le1erfévrier,àneufheuresdusoir,j'allaismecoucher,lorsqu'unhommezéléetl'individuauxlettresdechangeforcèrentmaporte,rued'Enfer,pourmedireque tout était prêt, que dans deux heures Louis-Philippe aurait disparu; ilsvenaient s'informer s'ils pouvaient me déclarer le chef principal dugouvernement provisoire, et si je consentais à prendre, avec un conseil derégence,lesrênesdugouvernementprovisoireaunomdeHenriV.Ilsavouaientquelachoseétaitpérilleuse,maisquejen'enrecueilleraisqueplusdegloire,etque, comme je convenais à tous lespartis, j'étais le seul hommedeFrance enpositiondejouerunpareilrôle.

C'étaitmeserrerdeprès,deuxheurespourmedécideràmacouronne!deuxheurespouraiguiserlegrandsabredemamelouckquej'avaisachetéauCaireen1806! Pourtant, je n'éprouvai aucun embarras et je leur dis: «Messieurs, voussavezquejen'aijamaisapprouvécetteentreprise,quimeparaîtfolle.Sij'avaisàm'enmêler,j'auraispartagévospérilsetn'auraispasattenduvotrevictoirepouraccepterleprixdevosdangers.Voussavezquej'aimesérieusementlaliberté,etilm'estévident,parlesmeneursdetoutecetteaffaire,qu'ilsneveulentpointdeliberté, qu'ils commenceraient, demeurés maîtres du champ de bataille, parétablir le règne de l'arbitraire. Ils n'auraient personne, ils ne m'auraient passurtout pour les soutenir dans ces projets; leur succès amènerait une complèteanarchie,etl'étranger,profitantdenosdiscordes,viendraitdémembrerlaFrance.

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Jenepuisdoncentrerdanstoutcela.J'admirevotredévouement,maislemienn'est pas de lamêmenature. Je vaisme coucher; «je vous conseille d'en faireautant,etj'aibienpeurd'apprendredemainmatinlemalheurdevosamis.»

Lesoupereutlieu;l'hôtedulogis,quinel'avaitpréparéqu'avecl'autorisationdelapolice,savaitàquois'entenir.Lesmouchards,àtable,trinquaientleplushaut à la santé de Henri V; les sergents de ville arrivèrent, empoignèrent lesconvives et renversèrent encore une fois la coupe de la royauté légitime. LeRenauddesaventuriersroyalistesétaitunsavetierdelaruedeSeine[357],décoréde Juillet, qui s'était battu vaillamment dans les trois journées, et qui blessagrièvement,pourHenriV,unagentdepolicedeLouis-Philippe,commeilavaittuédessoldatsdelagarde,pourchasserlemêmeHenriVetlesdeuxvieuxrois.

J'avaisreçu,pendantcetteaffaire,unbilletdemadameladuchessedeBerryquimenommaitmembred'ungouvernementsecret,qu'elleétablissaitenqualitéderégentedeFrance.Jeprofitaidecetteoccasionpourécrireà laprincesse lalettresuivante[358]:

«Madame,

«C'est avec la plus profonde reconnaissance que j'ai reçu le témoignage deconfiance et d'estime dont vous avez bien voulu m'honorer; il impose à mafidélitéledevoirderedoublerdezèle,enmettanttoujourssouslesyeuxdeVotreAltesseRoyalecequimeparaîtralavérité.

«Jeparleraid'aborddesprétenduesconspirationsdont lebruit serapeut-êtreparvenujusqu'àVotreAltesseRoyale.Onaffirmequ'ellesontétéfabriquéesouprovoquéesparlapolice.Laissantdecôtélefait,etsansinsistersurcequelesconspirations (vraies ou fausses) ont en elles-mêmes de répréhensible, je mecontenteraideremarquerquenotrecaractèrenationalestà la fois trop légerettrop francpour réussir à depareilles besognes.Aussi, depuis quarante années,ces sortes d'entreprises coupables ont-elles constamment échoué.Rien de plusordinairequed'entendreunFrançaissevanterpubliquementd'êtred'uncomplot;ilenracontetoutledétail,sansoublierlejour,lelieuetl'heure,àquelqueespionqu'ilprendpourunconfrère;ildittouthaut,ouplutôtilcrieauxpassants:«Nousavons quarante mille hommes bien comptés, nous avons soixante millecartouches, telle rue, numéro tant, dans lamaisonqui fait le coin.»Etpuis ceCatilinavadanseretrire.

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«Lessociétéssecrètesontseulesune longueportée,parcequ'ellesprocèdentparrévolutionsetnonparconspirations;ellesvisentàchangerlesdoctrines,lesidées et lesmœurs, avant de changer les hommes et les choses; leurs progrèssont lents, mais les résultats certains. La publicité de la pensée détruiral'influencedessociétéssecrètes;c'estl'opinionpubliquequimaintenantopéreraenFrancecequelescongrégationsoccultesaccomplissentchezlespeuplesnonencoreémancipés.

«Les départements de l'Ouest et duMidi, qu'on a l'air de vouloir pousser àboutparl'arbitraireetlaviolence,conserventcetespritdefidélitéquidistingualesantiquesmœurs;maiscettemoitiédelaFranceneconspirerajamais,danslesens étroit de ce mot: c'est une espèce de camp au repos sous les armes.Admirablecommeréservedelalégitimité,elleseraitinsuffisantecommeavant-gardeetneprendraitjamaisavecsuccèsl'offensive.Lacivilisationafaittropdeprogrès pour qu'il éclate une de ces guerres intestines à grands résultats,ressourceetfléaudessièclesàlafoispluschrétiensetmoinséclairés.

«CequiexisteenFrancen'estpointunemonarchie,c'estunerépublique;àlavérité,duplusmauvaisaloi.Cetterépubliqueestplastronnéed'uneroyautéquireçoitlescoupsetlesempêchedeportersurlegouvernementmême.

«De plus, si la légitimité est une force considérable, l'élection est aussi unpouvoirprépondérant,mêmelorsqu'ellen'estquefictive,surtoutencepaysoùl'onnevitquedevanité:lapassionfrançaise,l'égalité,estflattéeparl'élection.

«LegouvernementdeLouis-Philippeselivreàundoubleexcèsd'arbitraireetd'obséquiosité auquel le gouvernement deCharlesX n'avait jamais songé.Onsupporte cet excès, pourquoi? Parce que le peuple supporte plus facilement latyrannied'ungouvernementqu'ilacrééquelarigueurlégaledesinstitutionsquinesontpassonouvrage.

«Quarante années de tempêtes ont brisé les plus fortes âmes: l'apathie estgrande, l'égoïsmepresquegénéral; on se ratatine pour se soustraire au danger,garder ce qu'on a, vivoter en paix. Après une révolution, il reste aussi deshommes gangrenés qui communiquent à tout leur souillure, comme après unebataille il reste des cadavres qui corrompent l'air. Si, par un souhait, HenriVpouvait être transporté aux Tuileries sans dérangement, sans secousse, sanscompromettre le plus léger intérêt, nous serions bien près d'une restauration;mais, pour l'avoir, s'il faut seulement ne pas dormir une nuit, les chances

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diminuent.

«LesrésultatsdesjournéesdeJuilletn'onttournéniauprofitdupeuple,niàl'honneur de l'armée, ni à l'avantage des lettres, des arts, du commerce et del'industrie.L'État est devenu laproiedesministériels deprofession et de cetteclasse qui voit la patrie dans son pot-au-feu, les affaires publiques dans sonménage:ilestdifficile,madame,quevousconnaissiezdeloincequ'onappelleici le juste-milieu; que Son Altesse Royale se figure une absence complèted'élévation d'âme, de noblesse de cœur, de dignité de caractère; qu'elle sereprésente des gens gonflés de leur importance, ensorcelés de leurs emplois,affolésdeleurargent,décidésàsefairetuerpourleurspensions:riennelesendétachera;c'estàlavieetàlamort;ilsysontmariéscommelesGauloisàleursépées,leschevaliersàl'oriflamme,leshuguenotsaupanacheblancdeHenriIV,les soldats de Napoléon au drapeau tricolore; ils ne mourront qu'épuisés deserments à tous les régimes, après en avoir versé la dernière goutte sur leurdernièreplace.Ceseunuquesde laquasi-légitimitédogmatisent l'indépendanceenfaisantassommerlescitoyensdanslesruesetenentassantlesécrivainsdansles geôles; ils entonnent des chants de triomphe en évacuant la Belgique surl'injonction d'un ministre anglais, et bientôt Ancône sur l'ordre d'un caporalautrichien.EntreleshuisdeSainte-Pélagieetlesportesdescabinetsdel'Europe,ilsseprélassent,toutguindésdelibertéettoutcrottésdegloire.

«Cequej'aiditconcernantlesdispositionsdelaFrancenedoitpasdécouragerVotre Altesse Royale; mais je voudrais que l'on connût mieux la route quiconduitautrônedeHenriV.

«Vous savezmamanièredepenser relativement à l'éducationdemon jeuneroi:messentimentssetrouventexprimésàlafindelabrochurequej'aidéposéeauxpiedsdeVotreAltesseRoyale:jenepourraisquemerépéter.QueHenriVsoitélevépoursonsiècle,avecetparleshommesdesonsiècle;cesdeuxmotsrésument toutmonsystème.Qu'il soit élevé surtoutpourn'êtrepas roi. Ilpeutrégnerdemain,ilpeutnerégnerquedansdixans,ilpeutnerégnerjamais:carsila légitimité a les diverses chances de retour que je vais à l'instant déduire,néanmoinsl'édificeactuelpourraitcroulersansqu'ellesortitdesesruines.Vousavez l'âme assez ferme,madame, pour supposer, sans vous laisser abattre, unjugementdeDieuquireplongeraitvotreillustreracedanslessourcespopulaires;demêmequevousavez lecœurassezgrandpournourrirde justesespérancessansvousenlaisserenivrer.Jedoismaintenantvousprésentercetteautrepartiedutableau.

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«VotreAltesseRoyalepeut toutdéfier, toutbraver avec sonâge; il lui resteplusd'annéesàparcourirqu'ilnes'enestécoulédepuislecommencementdelaRévolution.Or,quen'ontpointvucesdernièresannées?QuandlaRépublique,l'Empire, la légitimité ont passé, l'amphibie du juste-milieu ne passerait point!Quoi!ceseraitpourarriveràlamisèred'hommesetdechosesdecemomentquenousaurionstraverséetdépensétantdecrimes,demalheur,detalent,deliberté,degloire!Quoi!l'Europebouleversée,lestrônescroulantlesunssurlesautres,lesgénérationsprécipitéesàlafosseleglaivedanslesein,lemondeentravailpendant un demi-siècle, tout cela pour enfanter la quasi-légitimité! OnconcevraitunegrandeRépubliqueémergeantdececataclysmesocial;dumoinsserait-elle habile à hériter des conquêtes de la Révolution, à savoir, la libertépolitique, la liberté et la publicité de la pensée, le nivellement des rangs,l'admission à tous les emplois, l'égalité de tous devant la loi, l'élection et lasouveraineté populaire. Mais comment supposer qu'un troupeau de sordidesmédiocrités, sauvées du naufrage, puissent employer ces principes? À quelleproportion ne les ont-elles pas déjà réduits! elles les détestent et ne soupirentqu'aprèslesloisd'exception;ellesvoudraientprendretoutesceslibertéssouslacouronne qu'elles ont forgée, comme sous une trappe; puis on niaiseraitbéatement avec des canaux, des chemins de fer, des tripotages d'arts, desarrangements de lettres; monde de machines, de bavardage et de suffisancesurnommésociétémodèle.Malheurà toutesupériorité,à touthommedegénieambitieux de préférence, de gloire et de plaisir, de sacrifice et de renommée,aspirantautriomphedelatribune,delalyreoudesarmes,quis'élèveraitunjourdanscetuniversd'ennui!

«Il n'y a qu'une chance,madame, pour que la quasi-légitimité continuât devégéter:ceseraitquel'étatactueldelasociétéfûtl'étatnatureldecettesociétémêmeàl'époqueoùnoussommes.Silepeuplevieillisetrouvaitenrapportavecson gouvernement décrépit; si, entre le gouvernant et le gouverné, il y avaitharmonie d'infirmité et de faiblesse, alors,madame, tout serait fini pourVotreAltesseRoyale,commepourlerestedesFrançais.Mais,sinousnesommespasarrivés à l'âge du radotage national, et si la République immédiate estimpossible, c'est la légitimité qui semble appelée à renaître. Vivez votrejeunesse,madame,etvousaurezlesroyauxhaillonsdecettepauvresseappeléemonarchiedeJuillet.Ditesàvosennemiscequevotreaïeule,lareineBlanche,disait aux siens pendant la minorité de saint Louis: «Point ne me chautd'attendre.»Lesbellesheuresdelavievousontétédonnéesencompensationdevosmalheurs,etl'avenirvousrendraautantdefélicitésqueleprésentvousauradérobédejours.

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«Lapremièreraisonquimiliteenvotrefaveur,madame,estlajusticedevotrecause et l'innocencedevotre fils.Toutes les éventualitésne sontpas contre lebondroit.»

Aprèsavoirdétaillélesraisonsd'espérancequejenenourrissaisguère,maisquejecherchaisàgrossirpourconsolerlaprincesse,jecontinue:

«Voilà,madame,l'étatprécairedelaquasi-légitimitéàl'intérieur;àl'extérieur,sa position n'est pas plus assurée. Si le gouvernement de Louis-Philippe avaitsenti que la révolution de Juillet biffait les transactions antécédentes, qu'uneautre constitution nationale amenait un autre droit politique et changeait lesintérêts sociaux; s'il avait eu, au début de sa carrière, jugement et courage, ilauraitpu,sansbrûleruneseuleamorce,doterlaFrancedelafrontièrequiluiaété enlevée, tant était vif l'assentiment des peuples, tant était grande lastupéfaction des rois. La quasi-légitimité aurait payé sa couronne argentcomptantavecunaccroissementde territoireet se serait retranchéederrièreceboulevard.Aulieudeprofiterdesonélémentrépublicainpourmarchervite,ellea eupeurde sonprincipe; elle s'est traînée sur leventre; elle a abandonné lesnations soulevées pour elle et par elle; elle les a rendues adverses, de clientesqu'elles étaient; elle a éteint l'enthousiasme guerrier, elle a changé en unpusillanimesouhaitdepaixundésiréclairéderétablirl'équilibredesforcesentrenous et les États voisins, de réclamer au moins auprès de ces États,démesurément agrandis, les lambeaux détachés de notre vieille patrie. Parfaillancedecœuretdéfautdegénie,Louis-Philippeareconnudestraitésquinesontpointdelanaturedelarévolution,traitésaveclesquelsellenepeutvivreetquelesétrangersonteux-mêmesviolés.

«Lejuste-milieualaisséauxcabinetsétrangersletempsdesereconnaîtreetdeformerleursarmées.Etcommel'existenced'unemonarchiedémocratiqueestincompatibleavecl'existencedesmonarchiescontinentales,leshostilités,malgréles protocoles, les embarras de finances, les peurs mutuelles, les armisticesprolongés, les gracieuses dépêches, les démonstrations d'amitié, les hostilités,dis-je,pourraientsortirdecetteincompatibilité.Sinotreroyautébourgeoiseestrésignéeauxinsultes,sileshommesrêventlapaix,leschosespourrontimposerlaguerre.

«Maisquelaguerrebriseounebrisepaslaquasi-légitimité,jesaisquevousne mettrez jamais, madame, votre espérance dans l'étranger; vous aimeriezmieux queHenri V ne régnât jamais que de le voir arriver sous le patronage

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d'unecoalitioneuropéenne:c'estdevous-même,c'estdevotrefilsquevoustirezvotreespérance.Dequelquemanièrequ'on raisonne sur lesordonnances, ellesnepouvaient jamaisatteindreHenriV; innocentde tout, ilapour lui l'électiondessièclesetsesinfortunesnatales.Silemalheurnoustouchedanslasolituded'une tombe, il nous attendrit encore davantage quand il veille auprès d'unberceau: car alors il n'est plus le souvenir d'une chose passée, d'une créaturemisérable,maisquiacessédesouffrir;ilestunepénibleréalité;ilattristeunâgequinedevaitconnaîtrequelajoie;ilmenacetouteuneviequineluiarienfaitetn'apasméritésesrigueurs.

«Pourvous,madame,ilyadansvosadversitésuneautoritépuissante.Vous,baignéedusangdevotremari,avezportédansvotreseinlefilsquelapolitiqueappela l'enfant de l'Europe et la religion l'enfant dumiracle. Quelle influencen'exercez-vous pas sur l'opinion, quand on vous voit garder seule, à l'orphelinexilé,lapesantecouronnequeCharlesXsecouadesatêteblanchie,etaupoidsdelaquellesesontdérobésdeuxautresfrontsassezchargésdedouleurpourqu'illeur fûtpermisde rejeter cenouveau fardeau!Votre image seprésenteànotresouvenir aveccesgrâcesde femmequi, assises sur le trône, semblentoccuperleurplacenaturelle.Lepeuplenenourritcontrevousaucunpréjugé;ilplaintvospeines,iladmirevotrecourage;ilgardelamémoiredevosjoursdedeuil;ilvoussaitgrédevousêtremêléeplustardàsesplaisirs,d'avoirpartagésesgoûtsetsesfêtes;iltrouveuncharmeàlavivacitédecetteFrançaiseétrangère,venued'unpayscherànotregloireparlesjournéesdeFornoue,deMarignan,d'ArcoleetdeMarengo.LesMusesregrettentleurprotectricenéesouscebeaucieldel'Italie,qui lui inspira l'amour des arts, et qui fit d'une fille deHenri IV une fille deFrançoisIer.

«La France, depuis la Révolution, a souvent changé de conducteurs, et n'apointencorevuunefemmeautimondel'État.Dieuveutpeut-êtrequelesrênesde ce peuple indomptable, échappées auxmains dévorantes de laConvention,rompuesdanslesmainsvictorieusesdeBonaparte,inutilementsaisiesparLouisXVIII et Charles X, soient renouées par une jeune princesse; elle saurait lesrendreàlafoismoinsfragilesetpluslégères.»

RappelantenfinàMadamequ'elleabienvoulusongeràmoipourfairepartiedugouvernementsecret,jetermineainsimalettre:

«ÀLisbonnes'élèveunmagnifiquemonumentsurlequelonlitcetteépitaphe:Ci-gîtBascoFugueracontresavolonté.Monmausoléeseramodeste,et jen'y

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reposeraipasmalgrémoi.

«Vousconnaissez,madame,l'ordred'idéesdanslequelj'aperçoislapossibilitéd'une restauration; les autres combinaisons seraient au-dessus de la portée demon esprit; je confesserais mon insuffisance. C'est ostensiblement, et en meproclamantl'hommedevotreaveu,devotreconfiance,quejetrouveraisquelqueforce;mais,ministreplénipotentiairedenuit,chargéd'affairesaccréditéauprèsdes ténèbres, c'est à quoi je neme sentirais aucune aptitude. SiVotreAltesseRoyale me nommait patemment son ambassadeur auprès du peuple de lanouvelle France, j'inscrirais en grosses lettres sur ma porte: Légation del'ancienneFrance. Il en arriverait ce qu'il plairait àDieu;mais je n'entendraisrienauxdévouementssecrets;jenesaismerendrecoupabledefidélitéqueparleflagrantdélit.

MadamelaDuchessedeSt.Leu.

«Madame,sansrefuseràVotreAltesseRoyalelesservicesqu'elleauraledroitdemecommander, je lasupplied'agréerleprojetquej'aiforméd'achevermesjoursdans la retraite.Mes idéesnepeuvent convenir auxpersonnesquiont laconfiancedesnoblesexilésd'Holy-Rood:lemalheurpassé,l'antipathienaturellecontre mes principes et ma personne renaîtrait avec la prospérité. J'ai vurepousser les plans que j'avais présentés pour la grandeur de ma patrie, pourdonner à la France des frontières dans lesquelles elle pût exister à l'abri desinvasions,pourlasoustraireà lahontedestraitésdeVienneetdeParis.Jemesuisentendutraiterderenégatquandjedéfendaislareligion,derévolutionnaire,quand je m'efforçais de fonder le trône sur la base des libertés publiques. Jeretrouveraislesmêmesobstaclesaugmentésdelahainequelesfidèlesdecour,devilleetdeprovince,auraientconçuedelaleçonqueleurinfligeamaconduiteaujourdel'épreuve.J'aitroppeud'ambition,tropbesoinderepospourfairedemon attachement un fardeau à la couronne, et lui imposer ma présenceimportune. J'ai rempli mes devoirs sans penser un seul moment qu'ils medonnassentdroitàlafaveurd'unefamilleauguste:heureuxqu'ellem'aitpermisd'embrasser ses adversités! Je ne vois rien au-dessus de cet honneur; elle netrouverapasdeserviteurpluszéléquemoi;elleentrouveradeplusjeunesetdeplushabiles.Jenemecroispasunhommenécessaire,etjepensequ'iln'yaplusd'hommes nécessaires aujourd'hui: inutile au présent, je vais aller dans lasolitudem'occuperdupassé.J'espère,madame,vivreencoreassezpourajouteràl'histoire de la Restauration la page glorieuse que promettent à la France vosfuturesdestinées.

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«Je suis avec le plus profond respect,madame, deVotre Altesse Royale letrès-humbleettrès-obéissantserviteur,

«CHATEAUBRIAND.»

Lalettrefutobligéed'attendreuncourriersûr;letempsmarchaetj'ajoutaiàmadépêchecepost-scriptum:

«Paris,12avril1832.

«Madame,

«Tout vieillit vite en France; chaque jour ouvre de nouvelles chances à lapolitiqueetcommenceuneséried'événements.NousensommesmaintenantàlamaladiedeM.PérieretaufléaudeDieu.J'aienvoyéàM.lepréfetdelaSeinelasomme de 12,000 fr. que la fille proscrite de saint Louis et de Henri IV adestinéeausoulagementdesinfortunés:queldigneusagedesanobleindigence!Jem'efforcerai,madame,d'êtrelefidèleinterprètedevossentiments.Jen'aireçudemavieunemissiondontjemesentisseplushonoré.

«Jesuisavecleplusprofondrespect,etc.»

Avant de parler de l'affaire des 12,000 fr. pour les cholériques,mentionnésdanscepost-scriptum,ilfautparléeducholéra.DansmonvoyageenOrientjen'avaispointrencontrélapeste,elleestvenuemetrouveràdomicile;lafortuneaprèslaquellej'avaiscourum'attendaitassiseàmaporte.

Àl'époquedelapested'Athènes,l'an431avantnotreère,vingt-deuxgrandespestes avaient déjà ravagé le monde. Les Athéniens se figurèrent qu'on avaitempoisonné leurs puits; imagination populaire renouvelée dans toutes lescontagions.Thucydidenousalaissédufléaudel'Attiqueunedescriptioncopiéechez les anciens par Lucrèce, Virgile, Ovide, Lucain, chez les modernes parBoccace et Manzoni. Il est remarquable qu'à propos de la peste d'Athènes,Thucydideneditpasunmotd'Hippocrate,demêmequ'ilnenommepasSocrateàproposd'Alcibiade.Cettepestedoncattaquaitd'abordlatête,descendaitdansl'estomac,de làdans lesentrailles,enfindans les jambes;siellesortaitpar lespiedsaprès avoir traversé tout le corps, commeun long serpent,onguérissait.

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Hippocrate l'appela lemal divin, et Thucydide le feu sacré; ils la regardèrenttousdeuxcommelefeudelacolèrecéleste.

Unedes plus épouvantables pestes fut celle deConstantinople auVe siècle,souslerègnedeJustinien:lechristianismeavaitdéjàmodifiél'imaginationdespeuples et donné un nouveau caractère à une calamité, de même qu'il avaitchangé la poésie; lesmalades croyaient voir errer autour d'eux des spectres etentendredesvoixmenaçantes.

La peste noire du XIVe siècle, connue sous le nom de lamort noire, pritnaissanceàlaChine:ons'imaginaitqu'ellecouraitsouslaformed'unevapeurdefeu en répandant une odeur infecte. Elle emporta les quatre cinquièmes deshabitantsdel'Europe.

En1575descenditsurMilanlacontagionquirenditimmortellelacharitédesaint Charles Borromée. Cinquante-quatre ans plus tard, en 1629, cettemalheureusevillefutencoreexposéeauxcalamitésdontManzoni[359]afaitunepeinturebiensupérieureaucélèbretableaudeBoccace.

En1600lefléauserenouvelaenEurope,etdanscesdeuxpestesde1629et1660 se reproduisirent les mêmes symptômes de délire de la peste deConstantinople.

«Marseille, ditM. Lemontey, sortait en 1720 du sein des fêtes qui avaientsignalélepassagedemademoiselledeValois,mariéeauducdeModène.Àcôtédecesgalèresencoredécoréesdeguirlandesetchargéesdemusiciens,flottaientquelquesvaisseauxapportantdesportsdelaSyrielaplusterriblecalamité[360].»

Le navire fatal dont parleM.Lemontey, ayant exhibé une patente nette, futadmis unmoment à la pratique. Cemoment suffit pour empoisonner l'air; unorageaccrutlemaletlapesteserépanditàcoupsdetonnerre.

Lesportesdelavilleetlesfenêtresdesmaisonsfurentfermées.Aumilieudusilence général, on entendait quelquefois une fenêtre s'ouvrir et un cadavretomber; lesmurs ruisselaient de son sang gangrené, et des chiens sansmaîtrel'attendaient en bas pour le dévorer. Dans un quartier, dont tous les habitantsavaient péri, on les avaitmurés à domicile, commepour empêcher lamort desortir.Decesavenuesdegrandstombeauxdefamille,onpassaitàdescarrefoursdont les pavés étaient couverts de malades et de mourants étendus sur des

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matelasetabandonnéssanssecours.Descarcassesgisaientàdemipourriesavecdevieilleshardesmêléesdeboue;d'autrescorpsrestaientdeboutappuyéscontrelesmurailles,dansl'attitudeoùilsétaientexpirés.

Tout avait fui,même lesmédecins; l'évêque,M. deBelsunce, écrivait: «Ondevraitabolir lesmédecins,oudumoinsnousendonnerdeplushabilesoudemoins peureux. J'ai eu bien de la peine à faire tirer cent cinquante cadavres àdemipourrisquiétaientautourdemamaison.»

Un jour, des galériens hésitaient à remplir leurs fonctions funèbres: l'apôtremonte sur l'undes tombereaux, s'assied surun tasdecadavresetordonneauxforçatsdemarcher:lamortetlavertus'enallaientaucimetière,conduitesparlecrimeetleviceépouvantésetadmirant.Surl'esplanadedelaTourette,auborddelamer,onavait,pendanttroissemaines,portédescorps,lesquels,exposésausoleiletfondusparsesrayons,neprésentaientplusqu'unlacempesté.Surcettesurfacedechairsliquéfiées,lesversseulsimprimaientquelquemouvementàdesformespressées,indéfinies,quipouvaientavoirdeseffigieshumaines.

Quandlacontagioncommençadeseralentir,M.deBelsunce,àlatêtedesonclergé, se transportaà l'églisedesAccoules:monté suruneesplanaded'où l'ondécouvraitMarseille,lescampagnes,lesportsetlamer,ildonnalabénédiction,commelepape,àRome,bénitlavilleetlemonde:quellemainpluscourageuseet plus pure pouvait faire descendre sur tant de malheurs les bénédictions duciel?

C'estainsiquelapestedévastaMarseille,etcinqansaprèscescalamités,onplaçasurlafaçadedel'hôteldevillel'inscriptionsuivante,commecesépitaphespompeusesqu'onlitsurunsépulcre:

Massilia Phocensium filia, Romæ soror, Carthaginis terror, Athenarumæmula.

«Paris,rued'Enfer,mai1832.

Lecholéra,sortiduDeltaduGangeen1817,s'estpropagédansunespacededeuxmille deux cents lieues, du nord au sud, et de trois mille cinq cents del'orient à l'occident; il a désolé quatorze cents villes, moissonné quarantemillions d'individus. On a une carte de la marche de ce conquérant. Il a misquinzeannéesàvenirdel'IndeàParis:c'estalleraussivitequeBonaparte:celui-

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ciemployaàpeuprèslemêmenombred'annéesàpasserdeCadixàMoscou,etiln'afaitpérirquedeuxoutroismillionsd'hommes.

VisiteàArenenberg.

Qu'est-cequelecholéra?Est-ceunventmortel?Sont-cedesinsectesquenousavalonsetquinousdévorent?Qu'est-cequecettegrandemortnoirearméedesafaux, qui, traversant lesmontagnes et lesmers, est venue, comme une de cesterriblespagodesadoréesauxbordsduGange,nousécraserauxrivesdelaSeinesous les roues de son char? Si ce fléau fût tombé aumilieu de nous dans unsiècle religieux, qu'il se fût élargi dans la poésie desmœurs et des croyancespopulaires, il eût laissé un tableau frappant. Figurez-vous un drap mortuaireflottantenguisededrapeauauhautdes toursdeNotre-Dame, lecanonfaisantentendreparintervallesdescoupssolitairespouravertirl'imprudentvoyageurdes'éloigner; un cordon de troupes cernant la ville et ne laissant entrer ni sortirpersonne, les églises remplies d'une foule gémissante, les prêtres psalmodiantjouretnuit lesprièresd'uneagonieperpétuelle, leviatiqueportédemaisonenmaisonavecdesciergesetdessonnettes,lesclochesnecessantdefaireentendreleglasfunèbre,lesmoines,uncrucifixàlamain,appelantdanslescarrefourslepeupleàlapénitence,prêchantlacolèreetlejugementdeDieu,manifestéssurlescadavresdéjànoircisparlefeudel'enfer.

Puis les boutiques fermées, le pontife entouré de son clergé, allant, avecchaquecuréàlatêtedesaparoisse,prendrelachâssedesainteGeneviève;lessaintesreliquespromenéesautourdelaville,précédéesdelalongueprocessiondes divers ordres religieux, confréries, corps de métiers, congrégations depénitents, théories de femmesvoilées, écoliers de l'Université, desservants deshospices,soldatssansarmesoulespiquesrenversées;leMisererechantéparlesprêtressemêlantauxcantiquesdesjeunesfillesetdesenfants; tous,àcertainssignaux,seprosternantensilenceetserelevantpourfaireentendredenouvellesplaintes.

Riende toutcela: lecholéranousestarrivédansunsiècledephilanthropie,d'incrédulité, de journaux, d'administration matérielle[361]. Ce fléau sansimaginationn'a rencontrénivieuxcloîtres, ni religieux,ni caveaux,ni tombesgothiques; comme la terreur en 1793, il s'est promené d'un air moqueur, à laclarté du jour, dans un monde tout neuf, accompagné de son bulletin, quiracontait les remèdes qu'on avait employés contre lui, le nombre des victimesqu'il avait faites, où il en était, l'espoir qu'on avait de le voir encore finir, les

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précautionsqu'ondevaitprendrepoursemettreà l'abri,cequ'il fallaitmanger,commentilétaitbondesevêtir.Etchacuncontinuaitdevaqueràsesaffaires,etles salles de spectacle étaient pleines. J'ai vu des ivrognes à la barrière, assisdevantlaporteducabaret,buvantsurunepetitetabledeboisetdisantenélevantleurverre:«Àtasanté,Morbus!»Morbus,par reconnaissance,accourait, et ilstombaientmortssouslatable.Lesenfantsjouaientaucholéra,qu'ilsappelaientleNicolasMorbusetlescélératMorbus.Lecholéraavaitpourtantsaterreur:unbrillant soleil, l'indifférence de la foule, le train ordinaire de la vie, qui secontinuait partout, donnaient à ces jours de peste un caractère nouveau et uneautresorted'épouvante.Onsentaitunmalaisedanstouslesmembres;unventdunord,secetfroid,vousdesséchait;l'airavaitunecertainesaveurmétalliquequiprenait à la gorge. Dans la rue du Cherche-Midi, des fourgons du dépôtd'artilleriefaisaientleservicedescadavres.DanslaruedeSèvres,complètementdévastée,surtoutd'uncôté,lescorbillardsallaientetvenaientdeporteenporte;ilsnepouvaientsuffireauxdemandes,onleurcriaitparlesfenêtres:«Corbillard,ici!»Lecocherrépondaitqu'ilétaitchargéetnepouvaitservirtoutlemonde.Undemesamis,M.Pouqueville,venantdînerchezmoilejourdePâques,arrivéauboulevard du Mont-Parnasse, fut arrêté par une succession de bières presquetoutes portées à bras. Il aperçut, dans cette procession, le cercueil d'une jeunefille sur lequel était déposée une couronne de roses blanches. Une odeur dechloreformaituneatmosphèreempestéeàlasuitedecetteambulancefleurie.

Sur la place de la Bourse, où se réunissaient des cortèges d'ouvriers enchantant la Parisienne, on vit souvent jusqu'à onze heures du soir défiler desenterrementsverslecimetièreMontmartreàlalueurdetorchesdegoudron.LePont-Neufétaitencombrédebrancardschargésdemaladespourleshôpitauxoudemorts expirés dans le trajet. Le péage cessa quelques jours sur le pont desArts.Leséchoppesdisparurentetcommeleventdenord-estsoufflait, tous lesétalagistes et toutes les boutiques des quais fermèrent. On rencontrait desvoitures enveloppées d'une banne et précédées d'un corbeau, ayant en tête unofficier de l'état civil, vêtu d'un habit de deuil, tenant une liste enmain. Cestabellions manquèrent; on fut obligé d'en appeler de Saint-Germain, de LaVillette, deSaint-Cloud.Ailleurs, les corbillards étaient encombrésde cinqousix cercueils retenus par des cordes. Des omnibus et des fiacres servaient aumêmeusage;iln'étaitpasraredevoiruncabrioletornéd'unmortcouchésursadevantière.Quelques décédés étaient présentés aux églises; un prêtre jetait del'eaubénitesurcesfidèlesdel'éternitéréunis.

À Athènes, le peuple crut que les puits voisins du Pirée avaient été

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empoisonnés; à Paris, on accusa les marchands d'empoisonner le vin, lesliqueurs, les dragées et les comestibles. Plusieurs individus furent déchirés,traînésdans leruisseau,précipitésdans laSeine.L'autoritéaeuàsereprocherdesavismaladroitsoucoupables.

Commentlefléau,étincelleélectrique,passa-t-ildeLondresàParis?onnelesauraitexpliquer.Cettemortfantasques'attachesouventàunpointdusol,àunemaison,etlaissesansytoucherlesalentoursdecepointinfesté;puisellerevientsursespasetreprendcequ'elleavaitoublié.Unenuit, jemesentisattaqué: jefussaisid'unfrissonavecdescrampesdanslesjambes;jenevouluspassonner,depeurd'effrayermadamedeChateaubriand.Jemelevai;jechargeaimonlitdetout ce que je rencontrai dans ma chambre, et, me remettant sous mescouvertures,unesueurabondantemetirad'affaire.Maisjedemeuraibrisé,etcefutdanscetétatdemalaisequejefusforcéd'écriremabrochuresurles12,000francsdemadameladuchessedeBerry.

Jen'auraispasététropfâchédem'enalleremportésouslebrasdecefilsaînédeVischnou,dontleregardlointaintuaBonapartesursonrocher,àl'entréedelamerdesIndes.Sitousleshommes,atteintsd'unecontagiongénérale,venaientàmourir,qu'arriverait-il?Rien:laterre,dépeuplée,continueraitsaroutesolitaire,sans avoir besoin d'autre astronome pour compter ses pas que celui qui les amesurésde toute éternité; elleneprésenterait aucunchangementauxhabitantsdesautresplanètes;ilslaverraientaccomplirsesfonctionsaccoutumées;sursasurface,nospetitstravaux,nosvilles,nosmonumentsseraientremplacéspardesforêts renduesà la souverainetédes lions; aucunvidene semanifesterait dansl'univers.Etcependantilyauraitdemoinscetteintelligencehumainequisaitlesastres et s'élève jusqu'à la connaissance de leur auteur. Qu'êtes-vous donc, ôimmensitédesœuvresdeDieu,oùlegéniedel'homme,quiéquivautàlanatureentière, s'il venait à disparaître, ne ferait pas plus faute que lemoindre atomeretranchédelacréation!

«Paris,rued'Enfer,mai1832.

MadamedeBerryasonpetitconseilàParis,commeCharlesXalesien:onrecueillait en son nom de chétives sommes pour secourir les plus pauvresroyalistes.JeproposaidedistribuerauxcholériquesunesommededouzemillefrancsdelapartdelamèredeHenriV.OnécrivitàMassa,etnonseulementlaprincesse approuva la disposition des fonds, mais elle aurait voulu qu'on eût

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réparti une sommeplus considérable: son approbation arriva le jourmême oùj'envoyai l'argent aux mairies. Ainsi, tout est rigoureusement vrai dans mesexplicationssurledondel'exilée.Le14d'avril,j'envoyaiaupréfetdelaSeinelasommeentièrepourêtredistribuéeàlaclasseindigentedelapopulationdeParisatteinte de la contagion. M. de Bondy ne se trouva point à l'Hôtel de Villelorsquema lettre lui fut portée.Le secrétaire général ouvritmamissive, ne secrutpas autorisé à recevoir l'argent.Trois jours s'écoulèrent;M.deBondymerépondit enfin qu'il ne pouvait accepter les douzemille francs, parce que l'onverrait, sous une bienfaisance apparente, une combinaison politique contrelaquelle la population parisienne protesterait tout entière par son refus[362].Alorsmonsecrétairepassaauxdouzemairies.Surcinqmairesprésents,quatreacceptèrent le dondemille francs; un le refusa.Des septmaires absents, cinqgardèrent le silence; deux refusèrent[363]. Je fus aussitôt assiégé d'une arméed'indigents:bureauxdebienfaisanceetdecharité,ouvriersdetouteslesespèces,femmes et enfants. Polonais et Italiens exilés, littérateurs, artistes, militaires,tousécrivirent,tousréclamèrentunepartdebienfait.Sij'avaiseuunmillion,ileût été distribué en quelques heures. M. de Bondy avait tort de dire que lapopulation parisienne tout entière protesterait par son refus; la population deParis prendra toujours l'argent de tout le monde. L'effarade du gouvernementétaitàmourirderire;oneûtditqueceperfideargentlégitimisteallaitsouleverles cholériques, exciter dans les hôpitaux une insurrection d'agonisants pourmarcheràl'assautdesTuileries,cercueilbattant,glastintant,suairedéployésouslecommandementdelaMort.MacorrespondanceaveclesmairesseprolongeaparlacomplicationdurefusdupréfetdeParis.Quelques-unsm'écrivirentpourme renvoyer mon argent ou pour me redemander leurs reçus des dons demadameladuchessedeBerry.Jelesleurrenvoyailoyalementetjedélivraicettequittanceàlamairiedudouzièmearrondissement:

«J'aireçudelamairiedudouzièmearrondissementlasommedemillefrancsqu'elleavaitd'abordacceptéeetqu'ellem'arenvoyéeparl'ordredeM.lepréfetdelaSeine.

«Paris,ce22avril1832.»

Le maire du neuvième arrondissement, M. Cronier, fut plus courageux, ilgardalesmillefrancsetfutdestitué.Jeluiécriviscebillet:

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«29avril1832.

«Monsieur,

«J'apprendsavecunesensiblepeineladisgrâcedontlebienfaitdemadameladuchessedeBerry a été enversvous la causeou leprétexte.Vous aurez, pourvous consoler, l'estime publique, le sentiment de votre indépendance et lebonheurdevousêtresacrifiéàlacausedesmalheureux.

«J'ail'honneur,etc.,etc.»

Lemaireduquatrièmearrondissementesttoutunautrehomme:M.CadetdeGassicourt, poète-pharmacien, faisant des petits vers, écrivant dans son temps,du tempsde la libertéetde l'Empire,uneagréabledéclarationclassiquecontrema prose romantique et contre celle de madame de Staël[364], M. Cadet deGassicourt est le héros qui a pris d'assaut la croix du portail Saint-Germain-l'Auxerrois,etqui,dansuneproclamationsurlecholéra,afaitentendrequecesméchantscarlistespourraientbienêtrelesempoisonneursduvindontlepeupleavait déjà fait bonne justice[365]. L'illustre champion m'a donc écrit la lettresuivante:

«Paris,le18avril1832.

«Monsieur,

«J'étais absent de la mairie quand la personne envoyée par vous s'y estprésentée:celavousexpliqueraleretardqu'aéprouvémaréponse.

«M.lepréfetdelaSeine,n'ayantpointacceptél'argentquevousêteschargédeluioffrir,mesembleavoirtracélaconduitequedoiventsuivrelesmembresdu conseilmunicipal. J'imiterai d'autant plus l'exemple deM. le préfet, que jecroisconnaîtreetque jepartageentièrement lessentimentsquiontdûmotiversonrefus.

«Je ne relèverai qu'en passant le titre d'Altesse Royale donné avec quelqueaffectation à la personne dont vous vous constituez l'organe: la belle-fille deCharlesXn'estpasplusAltesseRoyaleenFrancequesonbeau-pèren'yestroi!Mais,monsieur, il n'est personne qui ne soitmoralement convaincu que cette

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dameagit très-activement,et répanddessommesbienautrementconsidérablesquecellesdontellevousaconfiél'emploi,pourexciterdestroublesdansnotrepaysetyfaireéclaterlaguerrecivile.L'aumônequ'ellealaprétentiondefairen'est qu'un moyen d'attirer sur elle et sur son parti une attention et unebienveillancequesesintentionssontloindejustifier.Vousnetrouverezdoncpasextraordinairequ'unmagistrat, fermementattachéà laroyautéconstitutionnellede Louis-Philippe, refuse des secours qui viennent d'une source pareille, etcherche,auprèsdevraiscitoyens,desbienfaitspluspursadresséssincèrementàl'humanitéetàlapatrie.

«Jesuis,avecuneconsidérationtrèsdistinguée,monsieur,etc.,

«F.CADETDEGASSICOURT.»

CetterévoltedeM.CadetdeGassicourtcontrecettedameetcontresonbeau-père est bien fière: quel progrès des lumières et de la philosophie! quelleindomptable indépendance!MM.Fleurant et Purgon n'osaient regarder la facedesgensqu'àgenoux[366];lui,M.Cadet,ditcommeleCid:

.....Nousnouslevonsalors!

Salibertéestd'autantpluscourageusequecebeau-père(autrementlefilsdesaintLouis)estproscrit.M.deGassicourtestau-dessusdetoutcela;ilmépriseégalement lanoblessedu tempsetdumalheur.C'est avec lemêmedédaindespréjugés aristocratiques qu'il me retranche le de et s'en empare comme d'uneconquêtefaitesurlagentilhommerie.Maisn'yaurait-ilpointquelquesanciennesrivalités,quelquesanciens démêlés historiques entre lamaisondesCadet et lamaisondesCapet?HenriIV,aïeuldecebeau-pèrequin'estpasplusroiquecettedame n'est Altesse Royale, traversait un jour la forêt de Saint-Germain; huitseigneurss'yétaientembusquéspourtuerleBéarnais;ilsfurentpris.«Undecesgalans,ditl'Estoile,estoitunapothicairequidemandadeparlerauroy,auquelSaMajestés'étantenquisdequelétatilestoit,illuiréponditqu'ilestoitapothicaire.—Comment! dit le roy, a-t-on accoutumé de faire ici un état d'apothicaire?Guettez-vous les passans pour....?» Henri IV était un soldat, la pudeur nel'embarrassaitguère,etilnereculaitpasplusdevantunmotquedevantl'ennemi.

JesoupçonneM.deGassicourt,àcausedesonhumeurcontrelepetit-filsdeHenri IV, d'être le petit-fils du pharmacien ligueur. Le maire du quatrièmearrondissementm'avaitsansdouteécritdansl'espoirquej'engageraisleferavec

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lui;mais je ne veux rien engager avecM.Cadet: qu'ilmepardonne ici de luilaisserunepetitemarquedemonsouvenir.

Depuis ces jours où j'avais vu passer les grandes révolutions et les grandsrévolutionnaires, tout s'était bien racorni. Les hommes qui ont fait tomber unchêne, replanté trop vieux pour qu'il reprît racine, se sont adressés àmoi; ilsm'ontdemandéquelquesdeniersdelaveuveafind'acheterdupain;lalettreduComitédesdécorésdeJuilletestundocumentutileànoterpourl'instructiondel'avenir.

«Paris,le20avril1832.

Réponse,s.v.p.,àM.Gibert-Arnaud,gérant-secrétaireduComité,

rueSaint-Nicaise,no3.

«Monsieurlevicomte,

«LesmembresdenotreComitéviennentavecconfiancevousprierdevouloirbien les honorer d'un don en faveur des décorés de Juillet. Pères de famillemalheureux, dans cemoment de fléau et demisère, la bienfaisance inspire laplussincèregratitude.Nousosonsespérerquevousconsentirezàlaissermettrevotre illustre nom à côté de celui de MM. le général Bertrand, le généralExelmans, le général Lamarque, le général La Fayette, de plusieursambassadeurs,depairsdeFranceetdedéputés.

«Nousvousprionsdenoushonorerd'unmotde réponse, et si, contrenotreattente, un refus succédait à notre prière, soyez assez bon pour nous faire lerenvoidelaprésente.

«Dans les plus doux sentiments nous vous prions, monsieur le vicomte,d'agréerl'hommagedenosrespectueusessalutations.

«LesmembresactifsducomitéconstitutifdesdécorésdeJuillet:

«Lemembrevisiteur:FAURE.«Lecommissairespécial:CYPRIEN-DESMARAIS.«Legérant-secrétaire:GIBERT-ARNAUD.

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«Membreadjoint:TOUREL.

Jen'avaisgardedeperdrel'avantagequemedonnaiticisurellelarévolutionde Juillet. En distinguant entre les personnes, on créerait des ilotes parmi lesinfortunés,lesquels,pourcertainesopinionspolitiques,nepourraientjamaisêtresecourus.Jemehâtaid'envoyercentfrancsàcesmessieurs,aveccebillet:

«Paris,ce22avril1832.

«Messieurs,

«Je vous remercie infiniment de vous être adressés à moi pour venir ausecours de quelques pères de famille malheureux. Je m'empresse de vousenvoyer la somme de cent francs: je regrette de n'avoir pas un don plusconsidérableàvousoffrir.

«J'ail'honneur,etc.

«CHATEAUBRIAND.»

Lereçusuivantmefutàl'instantenvoyé:

«Monsieurlevicomte,

«J'ail'honneurdevousremercieretdevousaccuserréceptiondelasommedecentfrancsquevosbontésdestinentàsecourirlesmalheureuxdeJuillet.

«Salutetrespect.

«Legérant-secrétaireduComité:

«GIBERT-ARNAUD.

«23avril.»

Ainsi, madame la duchesse de Berry aura fait l'aumône à ceux qui l'ontchassée. Les transactions montrent à nu le fond des choses. Croyez donc à

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quelque réalité dans un pays où personne ne prend soin des invalides de sonparti,oùleshérosdelaveillesontlesdélaissésdulendemain,oùunpeud'orfaitaccourirlamultitude,commelespigeonsd'unefermes'empressentsouslamainquileurjettelegrain.

Il me restait encore quatre mille francs sur les douze. Je m'adressai à lareligion;monseigneurl'archevêquedeParis[367]m'écrivitcettenoblelettre:

«Paris,le26avril1832.

«Monsieurlevicomte,

«Lacharitéestcatholiquecommelafoi,étrangèreauxpassionsdeshommes,indépendante de leurs mouvements: un des principaux caractères qui ladistinguentest,selonsaintPaul,denepointpenserlemal,noncogitatmalum.Elle bénit lamain qui donne et lamain qui reçoit, sans attribuer au généreuxbienfaiteur d'autre motif que celui de bien faire, et sans demander au pauvrenécessiteuxd'autreconditionquecelledubesoin.Elleaccepteavecuneprofondeet sensible reconnaissance le don que l'auguste veuve vous a chargé de luiconfierpourêtreemployéausoulagementdenosmalheureuxfrères,victimesdufléauquidésolelacapitale.

«Elleferaaveclaplusexactefidélitélarépartitiondesquatremillefrancsquevousm'avez remis de sa part, dontma lettre est une nouvelle quittance,maisdontj'aurail'honneurdevousenvoyerl'étatdedistribution,lorsquelesintentionsdelabienfaitriceaurontétéremplies.

«Veuillez,monsieur levicomte, faireagréeràmadameladuchessedeBerrylesremercîmentsd'unpasteuretd'unpèrequi,chaquejour,offreàDieusaviepour ses brebis et ses enfants, et qui appelle de tout côté les secours capablesd'égalerleursmisères.Soncœurroyalatrouvédéjàenlui-mêmesansdoutesarécompensedusacrificequ'elleconsacreànosinfortunes;lareligionluiassurede plus l'effet des divines promesses consignées au livres des béatitudes pourceuxquifontmiséricorde.

«La répartition a été faite sur-le-champ entre MM. les curés des douzeprincipalesparoissesdeParis,auxquels j'aiadressé la lettredont je joins ici lacopie.

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«Recevez,monsieurlevicomte,l'assurance,etc.

«HYACINTHE,archevêquedeParis.»

Onesttoujoursémerveillédesavoiràquelpointlareligionconvientaustylemême,etdonneauxlieuxcommunsunegravitéetuneconvenancequel'onsenttoutd'abord.Cecicontrasteavec le tasde lettresanonymesquisesontmêléesauxlettresquejeviensdeciter.L'orthographedeceslettresanonymesestassezcorrecte, l'écriture jolie; elles sont, à proprement parler, littéraires, comme larévolutiondeJuillet.Cesontlesjalousies,leshaines,lesvanitésécrivassières,àl'aisesous l'inviolabilitéd'unepoltronneriequi,nemontrantpassonvisage,nepeutpasêtrerenduevisibleparunsoufflet.

ÉCHANTILLONS.

«Voudrais-tunousdire,vieuxrépubliquinquiste,lejouroùtuvoudrasgraissertesmaucassines?ilnousserafaciledeteprocurerdelagraissedechouans,etsituvoulaisdusangdetesamispourécrireleurhistoire,iln'enmanquepasdanslabouedeParis,sonélément.

«Vieuxbrigand,demandeà ton scélérat etdigneamiFitz-James si lapierrequ'ilareçuedanslapartieféodaleluiafaitplaisir.Tasdecanailles,nousvousarracheronslestripesduventre,etc.,etc.»

Dansuneautremissive,onvoitunepotencetrèsbiendessinéeaveccesmots:

«Mets-toiauxgenouxd'unprêtre,faisactedecontrition,caronveuttavieilletêtepourfinirtestrahisons.»

Ausurplus,lecholéradureencore:laréponsequej'adresseraisàunadversaireconnuouinconnuluiarriveraitpeut-êtrelorsqu'ilseraitcouchésurleseuildesaporte.S'ilétaitaucontrairedestinéàvivre,oùsarépliquemeparviendrait-elle?peut-être dans ce lieu de repos, dont aujourd'hui personne ne peut s'effrayer,surtout nous autreshommesqui avons étendunos années entre la terreur et lapeste, premier et dernier horizon de notre vie. Trêve: laissons passer lescercueils.

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Paris,rued'Enfer,10juin1832.

Le convoi du général Lamarque a amené deux journées sanglantes et lavictoiredelaquasi-légitimitésurlepartirépublicain[368].Ceparti incompletetdiviséafaitunerésistancehéroïque.

OnamisParisenétatdesiège[369]:c'estlacensuresurlaplusgrandeéchellepossible,lacensureàlamanièredelaConvention,aveccettedifférencequ'unecommissionmilitaireremplaceletribunalrévolutionnaire.Onfaitfusillerenjuin1832leshommesquiremportèrentlavictoireenjuillet1830;cettemêmeécolepolytechnique,cettemêmeartilleriede lagardenationale,on lessacrifie;ellesconquirent le pouvoir pour ceux qui les foudroient, les désavouent et leslicencient. Les républicains ont certainement le tort d'avoir préconisé desmesures d'anarchie et de désordre; mais que n'employâtes-vous d'aussi noblesbras à nos frontières? ils nous auraient délivrés du joug ignominieux del'étranger.Destêtesgénéreuses,exaltées,neseraientpasrestéesàfermenterdansParis,às'enflammercontrel'humiliationdenotrepolitiqueextérieureetcontrelafoi-mentie de la royauté nouvelle. Vous avez été impitoyables, vous qui, sanspartagerlespérilsdestroisjournées,enavezrecueillilefruit.AllezmaintenantaveclesmèresreconnaîtrelescorpsdecesdécorésdeJuillet,dequivoustenezplaces, richesses,honneurs.Jeunesgens,vousn'obtenezpas tous lemêmesortsurlemêmerivage!VousavezuntombeausouslacolonnadeduLouvreetuneplace à la Morgue; les uns pour avoir ravi, les autres pour avoir donné unecouronne.Vosnoms,quilessait,voussacrificateursetvictimesàjamaisignorésd'unerévolutionmémorable?Lesangdontsontcimentéslesmonumentsqueleshommes admirent est-il connu? Les ouvriers qui bâtirent la grande pyramidepour le cadavre d'un roi sans gloire dorment oubliés dans le sable auprès del'indigenteracinequiservitàlesnourrirpendantleurtravail.

Paris,rued'Enfer,findejuillet1832.

Madame la duchesse de Berry n'a pas eu plutôt sanctionné la mesure des12,000 francs qu'elle s'est embarquée pour sa fameuse aventure[370]. LesoulèvementdeMarseilleamanqué;ilnerestaitplusqu'àtenterl'Ouest:maislagloirevendéenneestunegloireàpart;ellevivradansnos fastes; toutefois, lestroisquartsetdemidelaFranceontchoisiuneautregloire,objetdejalousieoud'antipathie; laVendéeestuneoriflammevénéréeet admiréedans le trésordeSaint-Denis,souslaquelledésormaislajeunesseetl'avenirneserangerontplus.

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MadamedeChateaubriand.

MADAME,débarquéecommeBonapartesurlacôtedeProvence,n'apasvuledrapeaublancvoler de clocher en clocher: trompéedans son attente, elle s'esttrouvéepresqueseuleàterreavecM.deBourmont.Lemaréchalvoulaitluifairerepasser sur-le-champ la frontière;elleademandé lanuitpourypenser;elleabiendormiparmilesrochersaubruitdelamer;lematin,enseréveillant,elleatrouvéunnoblesongedanssapensée:«PuisquejesuissurlesoldelaFrance,jenem'eniraipas;partonspourlaVendée.»M.de***[371]avertiparunhommefidèle, l'a prisedans savoiture comme sa femme, a traversé avec elle toute laFranceetestvenuladéposerà***[372];elleestdemeuréequelquetempsdansunchâteausansêtrereconnuedepersonne,exceptéducurédulieu;lemaréchaldeBourmontdoitlarejoindreenVendéeparuneautreroute.

Instruits de tout cela à Paris, il nous était facile de prévoir le résultat.L'entrepriseapourlacauseroyalisteunautreinconvénient;ellevadécouvrirlafaiblesse de cette cause et dissiper les illusions. Si MADAME ne fût pointdescenduedanslaVendée,laFranceauraittoujourscruqu'ilyavaitdansl'Ouestuncamproyalisteaurepos,commejel'appelais.

Mais enfin, il restait encore un moyen de sauver MADAME et de jeter unnouveau voile sur la vérité: il fallait que la princesse partît immédiatement;arrivéeàsesrisquesetpérilscommeunbravegénéralquivientpassersonarméeenrevue,tempérersonimpatienceetsonardeur,elleauraitdéclaréêtreaccouruepour dire à ses soldats que le moment d'agir n'était point encore favorable,qu'elle reviendrait semettre à leur tête quand l'occasion l'appellerait.MADAME

aurait du moins montré une fois un Bourbon aux Vendéens: les ombres desCathelineau,desd'Elbée,desBonchamps,desLaRochejaquelein,desCharettesefussentréjouies.

Notrecomités'estrassemblé:tandisquenousdiscourions,arrivedeNantesuncapitaine,quinousapprendlelieuhabitéparl'héroïne.Lecapitaineestunbeaujeune homme, brave comme un marin, original comme un Breton. Ildésapprouvaitl'entreprise;illatrouvaitinsensée;maisildisait:«MADAMEnes'enva pas, il s'agit de mourir, et voilà tout; et puis, messieurs du conseil, faitespendre Walter Scott, car c'est lui qui est le vrai coupable[373].» Je fus d'avisd'écrirenotresentimentàlaprincesse.M.Berryer,sedisposantàallerplaiderunprocèsàQuimper[374], s'estgénéreusementproposépourporter la lettreetvoir

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MADAME,s'illepouvait.Quandilafallurédigerlebillet,personnenesesouciaitdel'écrire:jem'ensuischargé[375].

Notremessagerestparti,etnousavonsattendul'événement.J'aibientôtreçu,parlaposte,lebilletsuivantquin'avaitpointétécachetéetqui,sansdoute,avaitpassésouslesyeuxdel'autorité:

«Angoulême,7juin.

«Monsieurlevicomte,

«J'avais reçu et transmis votre lettre de vendredi dernier, lorsque, dans lajournéededimanche,lepréfetdelaLoire-Inférieure[376]m'afaitinviteràquitterlavilledeNantes.[377]J'étaisenrouteetauxportesd'Angoulême;jeviensd'êtreconduitdevant lepréfet[378], quim'anotifié unordredeM.deMontalivet[379]quiprescritdemereconduireàNantessousl'escortedelagendarmerie.DepuismondépartdeNantes, ledépartementde laLoire-Inférieureestmisenétatdesiège: par ce transport tout illégal, on me soumet donc aux lois d'exception.J'écrisauministrepourluidemanderdemefaireappeleràParis; ilamalettreparcemêmecourrier.LebutdemonvoyageàNantesparaîtêtretoutàfaitmalinterprété.Jugezdansvotreprudencesivousjugeriezconvenabled'enparlerauministre.Jevousdemandepardondevousfairecettedemande;maisjenepeuxl'adresserqu'àvous.

«Croyez, je vous prie, monsieur le vicomte, à mon vieil et sincèreattachement,commeàmonprofondrespect.

«Votretoutdévouéserviteur,

«BERRYERfils.

«P.S.—Iln'yapasunmomentàperdresivousvoulezbienvoirleministre.JemerendsàToursoùsesnouveauxordresmetrouverontencoredanslajournéededimanche;ilpeutlestransmettreouparletélégrapheouparestafette.»

J'aifaitconnaîtreàM.Berryer,parcetteréponse,lepartiquej'avaispris:

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«Paris,10juin1832.

«J'aireçu,monsieur,votrelettredatéed'Angoulêmele7demois.Ilétaittroptard pour que je visse monsieur le ministre de l'Intérieur, comme vous ledésiriez;mais je lui ai écrit immédiatement en lui faisant passer votre proprelettre incluse dans la mienne. J'espère que la méprise qui a occasionné votrearrestation sera bientôt reconnue et que vous serez rendu à la liberté et à vosamis, au nombre desquels je vous prie de me compter. Mille complimentsempressésetnouvelleassurancedemonentieretsincèredévouement.

«CHATEAUBRIAND.»

Voicimalettreauministredel'Intérieur:

«Paris,ce9juin1832.

«Monsieurleministredel'Intérieur,

«Jereçoisàl'instantlalettreci-incluse.Commeilestvraisemblablequejenepourrais parvenir jusqu'à vous aussi promptement que le désireM.Berryer, jeprendslepartidevousenvoyersalettre.Saréclamationmesemblejuste:ilserainnocent à Paris comme à Nantes et à Nantes comme à Paris; c'est ce quel'autorité reconnaîtra, et elle évitera, en faisant droit à la réclamation de M.Berryer, de donner à la loi un effet rétroactif. J'ose tout espérer, monsieur lecomte,devotreimpartialité.

«J'ail'honneurd'être,etc.,etc.

«CHATEAUBRIAND.»[LIENVERSLATABLEDESMATIÈRES]

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LIVREII[380]Monarrestation.—PassagedemalogedevoleuraucabinetdetoilettedeMademoiselleGisquet.—Achille deHarlay.— Juged'instruction:M.Desmortiers.—MaviechezM.Gisquet.—Jesuismisenliberté.—LettreàM.leMinistredelaJustice,etréponse.—OffredemapensiondepairparCharlesX:Maréponse.—BilletdemadameladuchessedeBerry.—Lettre àBéranger.—Départ deParis.—Journal deParis àLugano. — M. Augustin Thierry. — Chemin du Saint-Gothard. —Vallée de Schœllenen. — Pont du Diable. — Le Saint-Gothard. —Description de Lugano. — Les montagnes. — Courses autour deLucerne.—ClaraWendel.—Prièredespaysans.—M.A.Dumas.—Madame de Colbert. — Lettre à M. de Béranger. — Zurich. —Constance.—MadameRécamier.—MadameladuchessedeSaint-Leu.— Madame de Saint-Leu après avoir lu la dernière lettre de M. deChateaubriand. — Après avoir lu une note signée Hortense. —Arenenberg.—RetouràGenève.—Coppet.—TombeaudeMadamedeStaël.—Promenade.—LettreauprinceLouis-Napoléon.—LettresauministredelaJustice,auprésidentduConseil,àmadameladuchessede Berry.— J'écris monmémoire sur la captivité de la princesse.—Circulaireaux rédacteursenchefdes journaux.—ExtraitduMémoiresur la captivité demadame la duchesse de Berry.—Mon procès.—Popularité.

Paris,rued'Enfer,finjuillet1832.

Undemes vieux amis,M.Frisell,Anglais,[381] venait deperdre àPassy safille unique, âgée de dix-sept ans. J'étais allé le 19 juin à l'enterrement de lapauvreÉlisa,dontlajoliemadameDelessertterminaitleportrait,quandlamorty mit le dernier coup de pinceau. Revenu dans ma solitude, rue d'Enfer, jem'étaiscouchépleindecesmélancoliquespenséesquinaissentdel'associationde la jeunesse,de labeautéetde la tombe.Le20 juin,[382] àquatreheuresdumatin, Baptiste, à mon service depuis longtemps, entre dans ma chambre,

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s'approchedemonlitetmedit:«Monsieur,lacourestpleined'hommesquisesont placés à toutes les portes, après avoir forcéDesbrosses à ouvrir la portecochère,etvoilàtroismessieursquiveulentvousparler.»Commeilachevaitcesmots,lesmessieursentrent,etlechef,s'approchanttrèspolimentdemonlit,medéclarequ'ilaordredem'arrêteretdememeneràlapréfecturedepolice.Jeluidemandaisilesoleilétaitlevé,cequ'exigeaitlaloi,ets'ilétaitporteurd'unordrelégal:ilneréponditrienpourlesoleil,maisilm'exhibalasignificationsuivante:

Copie:

PRÉFECTUREDEPOLICE.

«Deparleroi;

«Nous,conseillerd'État,préfetdepolice,[383]

«Vulesrenseignementsànousparvenus;

«Envertudel'article10duCoded'instructioncriminelle;

«Requéronslecommissaire,ouautreencasd'empêchement,desetransporterchez M. le vicomte de Chateaubriand et partout où besoin sera, prévenu decomplotcontre lasûretéde l'État,à l'effetd'y rechercheret saisir touspapiers,correspondances,écrits,contenantdesprovocationsàdescrimesetdélitscontrela paix publique ou susceptibles d'examen, ainsi que tous objets séditieux ouarmesdontilseraitdétenteur.»

Tandisquejelisaisladéclarationdugrandcomplotcontrelasûretédel'État,dontmoichétifj'étaisprévenu,lecapitainedesmouchardsditàsessubordonnés:«Messieurs,faitesvotredevoir!»Ledevoirdecesmessieursétaitd'ouvrirtouteslesarmoires,defouillertouteslespoches,desesaisirdetouspapiers,lettresetdocuments, de lire iceux, si faire se pouvait, et de découvrir toutes armes,commeilappertauxtermesdususditmandat.

Aprèslectureprisedelapièce,m'adressantaurespectablechefdecesvoleursd'hommesetdelibertés:«Voussavez,monsieur,quejenereconnaispointvotregouvernement, que je proteste contre la violence que vous me faites; mais,commejenesuispasleplusfortetquejen'ainulleenviedemecolleteravecvous,jevaismeleveretvoussuivre:donnez-vous,jevousprie,lapeinedevous

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asseoir.»

Jem'habillaiet,sansrienprendreavecmoi,jedisauvénérablecommissaire:«Monsieur,jesuisàvosordres:allons-nousàpied?—Non,monsieur,j'aieusoindevousamenerunfiacre.—Vousavezbiendelabonté,monsieur,partons;maissouffrezque j'ailledireadieuàmadamedeChateaubriand.Mepermettez-vousd'entrerseuldanslachambredemafemme?—Monsieur,jevousaccompagneraijusqu'à la porte et je vous attendrai.—Très bien, monsieur;» et nousdescendîmes.

Partout,surmonchemin,jetrouvaisessentinelles;onavaitposéunevedettejusque sur le boulevard, à une petite porte qui s'ouvre à l'extrémité de monjardin. Je dis au chef: «Ces précautions-là étaient très inutiles; je n'ai pas lamoindreenviedevous fuiretdem'échapper.»Lesmessieursavaientbousculémespapiers,maisn'avaientrienpris.MongrandsabredeMamelouckfixaleurattention; ilsseparlèrent toutbaset finirentpar laisser l'armesousun tasd'in-folios poudreux, aumilieu desquels elle gisait, avec un crucifix de bois jaunequej'avaisapportédelaTerre-Sainte.

Cette pantomime m'aurait presque donné envie de rire, mais j'étaiscruellement tourmenté pour Mme de Chateaubriand. Quiconque la connaît,connaît aussi la tendresse qu'elle me porte, ses frayeurs, la vivacité de sonimaginationet lemisérableétatdesasanté:cettedescentede lapoliceetmonenlèvementpouvaient lui faireunmalaffreux.Elleavaitdéjàentenduquelquebruit et je la trouvai assisedans son lit, écoutant tout effrayée, lorsque j'entraidanssachambreàuneheuresiextraordinaire.

«Ah!bonDieu!s'écria-t-elle;êtes-vousmalade?Ah!bonDieu,qu'est-cequ'ilya?qu'est-cequ'ilya?»etilluiprituntremblement.Jel'embrassai,ayantpeineàretenirmeslarmes,etjeluidis:«Cen'estrien,onm'envoiechercherpourfairemadéclaration comme témoindansune affaire relative à unprocès depresse.Dansquelquesheurestoutserafinietjevaisrevenirdéjeuneravecvous.»

Lemouchardétaitrestéàlaporteouverte;ilvoyaitcettescène,etjeluidis,enallantmeremettreentresesmains:«Vousvoyez,monsieur,l'effetdevotrevisiteun peu matinale.» Je traversai la cour avec mes recors; trois d'entre euxmontèrentavecmoidanslefiacre,lerestedel'escouadeaccompagnaitàpiedlacaptureetnousarrivâmessansencombredanslacourdelapréfecturedepolice.

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Legeôlierquidevaitmemettreensouricièren'étaitpaslevé,onleréveillaenfrappantàsonguichet,etilallapréparermongîte.Tandisqu'ils'occupaitdesonœuvre,jemepromenaisdanslacourdelongenlargeaveclesieurLéotaudquime gardait. Il causait et me disait amicalement, car il était très honnête:«Monsieur levicomte, j'aibien l'honneurdevousremettre; jevousaiprésentélesarmesplusieursfois, lorsquevousétiezministreetquevousveniezchezleroi;jeservaisdanslesgardesducorps;maisquevoulez-vous!onaunefemme,des enfants; il faut vivre!—Vous avez raison, monsieur Léotaud; combien çavous rapporte-t-il?—Ah!monsieur levicomte, c'est selon lescaptures.... Ilyadesgratificationstantôtbien,tantôtmal,commeàlaguerre.»

Pendant ma promenade, je voyais rentrer les mouchards dans différentsdéguisementscommedesmasques lemercredidesCendresà ladescentede laCourtille:ilsvenaientrendrecomptedesfaitsetgestesdelanuit.Lesunsétaienthabillésenmarchandsdesalade,encrieursdesrues,encharbonniers,enfortsdelahalle,enmarchandsdevieuxhabits,enchiffonniers,en joueursd'orgue; lesautresétaientcoiffésdeperruquessouslesquellesparaissaientdescheveuxd'uneautre couleur; les autres avaient barbes, moustaches et favoris postiches; lesautres traînaient les jambes comme de respectables invalides et portaient unéclatantrubanrougeàleurboutonnière.Ilss'enfonçaientdansunepetitecouretbientôt revenaient sous d'autres costumes, sans moustaches, sans barbes, sansfavoris,sansperruques,sanshottes,sansjambesdebois,sansbrasenécharpe:touscesoiseauxduleverdel'auroredelapolices'envolaientetdisparaissaientaveclejourgrandissant.Monlogisétantprêt,legeôliervintnousavertir,etM.Léotaud,chapeaubas,meconduisitjusqu'àlaportedel'honnêtedemeureetmedit,enmelaissantauxmainsdugeôlieretdesesaides:«Monsieurlevicomte,j'aibienl'honneurdevoussaluer:auplaisirdevousrevoir.»Laported'entréeserefermasurmoi.Précédédugeôlierqui tenait lesclefsetdesesdeuxgarçonsquimesuivaientpourm'empêcherde rebrousserchemin, j'arrivaiparunétroitescalieraudeuxièmeétage.Unpetitcorridornoirmeconduisitàuneporte; leguichetier l'ouvrit: j'entrai après lui dansma case. Ilmedemanda si je n'avaisbesoinderien:jeluirépondisquejedéjeuneraisdansuneheure.Ilm'avertitqu'ilyavaituncaféetunrestaurateurquifournissaientauxprisonnierstoutcequ'ilsdésiraientpourleurargent.Jepriaimongardiendemefaireapporterduthéet,s'il le pouvait, de l'eau chaude et froide et des serviettes. Je lui donnai vingtfrancsd'avance:ilseretirarespectueusement,enmepromettantderevenir.

Restéseul,jefisl'inspectiondemonbouge:ilétaitunpeupluslongquelarge,et sa hauteur pouvait être de sept à huit pieds. Les cloisons, tachées et nues,

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étaient barbouillées de la prose et des vers de mes devanciers, et surtout dugriffonnage d'une femme qui disait force injures au juste-milieu. Un grabat àdraps sales occupait la moitié de ma loge; une planche, supportée par deuxtasseaux, placée contre le mur, à deux pieds au-dessus du grabat, servaitd'armoire au linge, aux bottes et aux souliers des détenus: une chaise et unmeubleinfâmecomposaientlerestedel'ameublement.

Monfidèlegardienm'apportalesserviettesetlescruchesd'eauquejeluiavaitdemandées; je le suppliai d'ôter du lit les draps sales, la couverture de lainejaunie,d'enleverleseauquimesuffoquaitetdebalayermonbougeaprèsl'avoirarrosé.Touteslesœuvresdujuste-milieuétantemportées,jemefislabarbe;jem'inondai des flots de ma cruche, je changeai de linge: madame deChateaubriand m'avait envoyé un petit paquet; je rangeai sur la planche au-dessusdulittoutesmesaffairescommedanslacabined'unvaisseau.Quandcelafutfait,mondéjeunerarrivaetjeprismonthésurmatablebienlavéeetquejerecouvrisd'uneservietteblanche.Onvintbientôtchercherlesustensilesdemonfestinmatinal,etonmelaissaseuldûmentenfermé.

Ma logen'étaitéclairéequeparune fenêtregrilléequis'ouvrait forthaut; jeplaçaimatablesouscettefenêtreetjemontaisurcettetablepourrespireretjouirdelalumière.Àtraverslesbarreauxdemacageàvoleur,jen'apercevaisqu'unecourouplutôtunpassagesombreetétroit,desbâtimentsnoirsautourdesquelstremblotaientdeschauve-souris.J'entendaislecliquetisdesclefsetdeschaînes,lebruitdessergentsdevilleetdesespions,lepasdessoldats,lemouvementdesarmes,lescris,lesrires,leschansonsdévergondéesdesprisonniersmesvoisins,leshurlementsdeBenoît,condamnéàmortcommemeurtrierdesamèreetdesonobscène ami[384]. Je distinguais cesmotsdeBenoît entre les exclamationsconfusesdelapeuretdurepentir:«Ah!mamère!mapauvremère!»Jevoyaisl'envers de la société, les plaies de l'humanité, les hideusesmachines qui fontmouvoircemonde.

Jeremercieleshommesdelettres,grandspartisansdelalibertédelapresse,quinaguèrem'avaientprispourleurchefetcombattaientsousmesordres;sanseux,j'auraisquittélaviesanssavoircequec'étaitquelaprison,etcetteépreuve-làm'auraitmanqué.Jereconnaisàcetteattentiondélicate,legénie,labonté,lagénérosité, l'honneur, le courage des hommes de plume en place.Mais, aprèstout, qu'est-ce que cette courte épreuve?LaTasse a passé des années dans uncachot et je me plaindrais! Non; je n'ai pas le fol orgueil de mesurer mescontrariétés de quelques heures avec les sacrifices prolongés des immortelles

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victimesdontl'histoireaconservélesnoms.

Au surplus, je n'étais point du toutmalheureux; le génie demes grandeurspassées et demagloire âgée de trente ans nem'apparut point;maismamused'autrefois, bien pauvre, bien ignorée, vint rayonnante m'embrasser par mafenêtre:elleétaitcharméedemongîteettoutinspirée;ellemeretrouvaitcommeellem'avaitvudansmamisèreàLondres,lorsquelespremierssongesdeRenéflottaientdansmatête.Qu'allions-nousfaire, lasolitaireduPindeetmoi?Unechanson, à l'instar de ce pauvre poète Lovelace[385] qui, dans les geôles desCommunesanglaises,chantait le roiCharles Ier, sonmaître?Non; lavoixd'unprisonnierm'auraitsemblédemauvaisaugurepourmonpetitroiHenriV:c'estdupieddel'autelqu'ilfautadresserdeshymnesaumalheur.Jenechantaidoncpointlacouronnetombéed'unfrontinnocent;jemecontentaidedireuneautrecouronne,blancheaussi,déposéesurlecercueild'unejeunefille;jemesouvinsd'Élisa Frisell, que j'avais vu enterrer la veille dans le cimetière de Passy. Jecommençai quelques vers élégiaques d'une épitaphe latine; mais voilà que laquantitéd'unmotm'embarrassa;vitejesauteaubasdelatableoùj'étaisjuché,appuyécontrelesbarreauxdelafenêtre,etjecoursfrapperdegrandscoupsdepoing dans ma porte. Les cavernes d'alentour retentirent; le geôlier monteépouvanté,suividedeuxgendarmes;ilouvremonguichet,etjeluicrie,commeauraitfaitSanteuil:«UnGradus!UnGradus!»Legeôlierécarquillaitlesyeux,les gendarmes croyaient que je révélais le nom d'un de mes complices; ilsm'auraientmisvolontierslespoucettes;jem'expliquai;jedonnaidel'argentpouracheterlelivre,etonallademanderunGradusàlapoliceétonnée.

Tandis que l'on s'occupait dema commission, je regrimpai surma table, et,changeantd'idéesurcetrépied, jememisàcomposerdesstrophessurlamortd'Élisa; mais au milieu de mon inspiration, vers trois heures, voilà que deshuissiers entrent dans ma cellule et m'appréhendent au corps sur les rives duPermesse:ilsmeconduisentchezlejuged'instruction,quiinstrumentaitdansungreffeobscur,enfacedemageôle,del'autrecôtédelacour.Lejuge,jeunerobinfat et gourmé, m'adresse les questions d'usage sur mes nom, prénoms, âge,demeure. Je refusaide répondreetde signerquoiquece fût,ne reconnaissantpointl'autoritépolitiqued'ungouvernement,quin'avaitpourluinil'anciendroithéréditaire,nil'électiondupeuple,puisquelaFrancen'avaitpointétéconsultéeet qu'aucun congrès national n'avait été assemblé. Je fus reconduis à masouricière.

Àsixheures,onm'apportamondîner,etjecontinuaiàtourneretàretourner

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dansmatêtelesversdemesstances,improvisantquandetquandunairquimesemblait charmant. Madame de Chateaubriand m'envoya un matelas, untraversin,desdraps,unecouverturedecoton,desbougiesetleslivresquejelislanuit.Jefismonménage,ettoujourschantonnant:

Ildescendlecercueiletlesrosessanstaches,

maromancedelajeunefilleetdelajeunefleursetrouvafaite:

IldescendlecercueiletlesrosessanstachesQu'unpèreydéposa,tributdesadouleur;Terre,tulesportasetmaintenanttucaches

Jeunefilleetjeunefleur.

Ah!nelesrendsjamaisàcemondeprofane,Àcemondededeuil,d'angoisseetdemalheur;Leventbriseetflétrit,lesoleilbrûleetfane

Jeunefilleetjeunefleur.

Tudors,pauvreÉlisa,silégèred'années!Tunesensplusdujourlepoidsetlachaleur.Vousavezachevévosfraîchesmatinées,

Jeunefilleetjeunefleur.

Maistonpère,Élisa,surlatombes'incline;Detonfrontjusqu'ausienamontélapâleur.Vieuxchêne!...letempsafauchésurtaracine

Jeunefilleetjeunefleur[386]!

Jecommençais àmedéshabiller;unbruitdevoix, se fit entendre;maportes'ouvre,etM.lepréfetdepolice,accompagnédeM.Nay[387],seprésente.Ilmefitmille excuses de la prolongation dema détention au dépôt; ilm'apprit quemesamis,leducdeFitz-JamesetlebaronHydedeNeuville,avaientétéarrêtéscommemoi[388],etque,dans l'encombrementde lapréfecture,onnesavaitoùplacer lespersonnesque la justicecroyaitdevoir interpeller.«Mais, ajouta-t-il,vous allez venir chez moi, monsieur le vicomte, et vous choisirez dans monappartementcequivousconviendralemieux.»

Je leremerciaiet je lepriaidemelaisserdansmontrou; j'enétaisdéjà toutcharmé,commeunmoinedesacellule.M.lepréfetserefusaàmesinstances,et

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ilmefallutdénicher.Jerevislessalonsquej'avaisquittésdepuislejouroùM.lepréfetdepolicedeBonapartem'avait fait venirpourm'inviter àm'éloignerdeParis.M.GisquetetmadameGisquetm'ouvrirenttoutesleurschambres,enmepriant de désigner celle que je voudrais occuper. M. Nay me proposa de mecéder la sienne. J'étais confus de tant de politesse; j'acceptai une petite pièceécartéequidonnait sur le jardinetqui, jecrois, servaitdecabinetde toiletteàmademoiselleGisquet;onmepermitdegardermondomestique,quicouchasurunmatelasendehorsdemaporte,àl'entréed'unétroitescalierplongeantdanslegrandappartementdemadameGisquet.Unautreescalier conduisait au jardin;mais celui-là me fut interdit, et, chaque soir, on plaçait une sentinelle au bascontre la grille qui sépare le jardin du quai.MadameGisquet est lameilleurefemme du monde, et mademoiselle Gisquet est très jolie et fort bonnemusicienne.Jen'aiqu'àmelouerdessoinsdemeshôtes;ilssemblaientvouloirexpierlesdouzeheuresdemapremièreréclusion.

LelendemaindemoninstallationdanslecabinetdemademoiselleGisquet,jemelevaitoutcontent,enmesouvenantdelachansond'Anacréonsurlatoiletted'unejeuneGrecque;jemislatêteàlafenêtre:j'aperçusunpetitjardinbienvert,ungrandmurmasquéparunvernisdu Japon; àdroite, au fonddu jardin,desbureauxoù l'on entrevoyait d'agréables commisde la police, commedebellesnymphesparmideslilas;àgauche, lequaidelaSeine, larivièreetuncoinduvieux Paris, dans la paroisse de Saint-André-des-Arcs. Le son du piano demademoiselle Gisquet parvenait jusqu'à moi avec la voix des mouchards quidemandaientquelqueschefsdedivisionpourfaireleurrapport.

Commetoutchangedanscemonde!Cepetitjardinanglaisromantiquedelapolice était un lambeau déchiré et biscornu du jardin français, à charmillestaillées au ciseau, de l'hôtel du premier président de Paris. Cet ancien jardinoccupait,en1580, l'emplacementdecepaquetdemaisonsquiborne lavueaunordetaucouchant,etils'étendaitjusqu'auborddelaSeine.Cefutlàqu'aprèsla journée des barricades, le duc de Guise vint visiter Achille de Harlay: «Iltrouvalepremierprésidentquisepourmenoitdanssonjardin,lequels'estonnasipeudesavenue,qu'ilnedaignaseulementpastournerlatêtenidiscontinuersapourmenadecommencée, laquelle achevéequ'elle fut, et estant auboutde sonallée,ilretourna,etenretournantilvitleducdeGuisequivenoitàlui;alorscegravemagistrat,haussantlavoix,luidit:«C'estgrand'pitiéquelevaletchasselemaistre;aureste,monâmeestàDieu,moncœurestàmonroy,etmoncorpsestentrelesmainsdesméchans;qu'onenfassecequ'onenvoudra.»L'AchilledeHarlayquisepourmèneaujourd'huidanscejardinestM.Vidocq[389],etleduc

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deGuise,CocoLacour;nousavonschangélesgrandshommespourlesgrandsprincipes.Commenoussommeslibresmaintenant!commej'étaislibresurtoutàmafenêtre,témoincebongendarmeenfactionaubasdemonescalieretquisepréparait à me tirer au vol, s'il m'eût poussé des ailes! Il n'y avait pas derossignol dans mon jardin, mais il y avait beaucoup de moineaux fringants,effrontésetquerelleurs,que l'on trouvepartout,à lacampagne,à laville,danslespalais,danslesprisons,etquiseperchenttoutaussigaiementsurl'instrumentdemortquesurunrosier:àquipeuts'envoler,qu'importentlessouffrancesdelaterre!

MadamedeChateaubriandobtint la permissiondemevoir.Elle avait passétreizemois, sous laTerreur, dans les prisons deRennes avecmes deux sœursLucile et Julie; son imagination, restée frappée, ne peut plus supporter l'idéed'uneprison.Mapauvrefemmeeutuneviolenteattaquedenerfs,enentrantàlapréfecture,etcefutuneobligationdeplusquej'eusaujuste-milieu.Lesecondjour de ma détention, le juge d'instruction, le sieur Desmortiers[390],m'arrivaaccompagnédesongreffier.

M.GuizotavaitfaitnommerprocureurgénéralàlacourroyaledeRennesunM.Hello[391],écrivain,etparconséquentenvieuxetirritable,commetoutcequibarbouilledupapierdansunpartitriomphant.

Le protégé deM.Guizot, trouvantmon nom et ceux deM. le duc de Fitz-James et deM.Hyde deNeuvillemêlés dans le procès que l'on poursuivait àNantescontreM.Berryer,écrivitauministredelajusticeque,s'ilétaitlemaître,ilnemanqueraitpasdenousfairearrêteretdenousjoindreauprocès,àlafoiscomme complices et comme pièces à conviction.M. deMontalivet avait crudevoircéderauxavisdeM.Hello; il futuntempsoùM.deMontalivetvenaithumblementchezmoiprendremesconseilsetmes idéessur lesélectionset lalibertédelapresse.LaRestauration,quiafaitunpairdeM.deMontalivet,n'apuenfaireunhommed'esprit,etvoilàsansdoutepourquoielleluifaitmalaucœuraujourd'hui[392].

M.Desmortiers,lejuged'instruction,entradoncdansmapetitechambre;unairdoucereuxétaitétenducommeunecouchedemielsurunvisagecontractéetviolent.

Jem'appelleLoyal,natifdeNormandie,

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Etsuishuissieràverge,endépitdel'envie.

M. Desmortiers était naguère de la congrégation[393], grand communiant,grand légitimiste, grand partisan des ordonnances, et devenu forcené juste-milieu.Jepriaicetanimaldes'asseoiravectoutelapolitessedel'ancienrégime;je lui approchai un fauteuil; je mis devant son greffier une petite table, uneplumeetdel'encre;jem'assisenfacedeM.Desmortiers,etilmelutd'unevoixbénignelespetitesaccusationsqui,dûmentprouvées,m'auraienttendrementfaitcouperlecou:aprèsquoi,ilpassaauxinterrogations.

Jedéclaraidenouveauque,nereconnaissantpointl'ordrepolitiqueexistant,jen'avaisrienàrépondre,quejenesigneraisrien,quetouscesprocédésjudiciairesétaient superflus, qu'on pouvait s'en épargner la peine et passer outre; que jeseraisdurestetoujourscharméd'avoirl'honneurderecevoirM.Desmortiers.

Je vis que cette manière d'agir mettait en fureur le saint homme, qu'ayantpartagé mes opinions, ma conduite lui semblait une satire de la sienne; à ceressentiment se mêlait l'orgueil du magistrat qui se croyait blessé dans sesfonctions.Ilvoulutraisonneravecmoi;jenepusjamaisluifairecomprendreladifférencequiexisteentrel'ordresocialetl'ordrepolitique.Jemesoumettais,luidis-je au premier, parce qu'il est de droit naturel; j'obéissais aux lois civiles,militaireset financières, aux loisdepoliceetd'ordrepublic;mais jenedevaisobéissanceaudroitpolitiquequ'autantquecedroitémanaitde l'autoritéroyaleconsacréeparlessiècles,oudérivaitdelasouverainetédupeuple.Jen'étaispasassezniaisouassezfauxpourcroirequelepeupleavaitétéconvoqué,consulté,etquel'ordrepolitiqueétabliétaitlerésultatd'unarrêtnational.Sil'onmefaisaitun procès pour vol, meurtre, incendie et autres crimes et délits sociaux, jerépondraisàlajustice;maisquandonm'intentaitunprocèspolitique,jen'avaisrienàrépondreàuneautoritéquin'avaitaucunpouvoirlégal,et,parconséquent,rienàmedemander.

Quinze jourss'écoulèrentde lasorte.M.Desmortiers,dont j'avaisappris lesfureurs (fureurs qu'il tâchait de communiquer aux juges), m'abordait d'un airconfit,medisant:«Vousnevoulezpasmedirevotreillustrenom?»Dansundesinterrogatoires,ilmelutunelettredeCharlesXauducdeFitz-James,etoùsetrouvait une phrase honorable pour moi. «Eh bien! monsieur, lui dis-je, quesignifiecettelettre?ilestnotoirequejesuisrestéfidèleàmonvieuxroi,quejen'aipasprêtésermentàPhilippe.Ausurplus,jesuisvivementtouchédelalettredemonsouverainexilé.Danslecoursdesesprospérités,ilnem'ajamaisriendit

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desemblable,etcettephrasemepayedetousmesservices.»

MadameRécamier,àquitantdeprisonniersontdûconsolationetdélivrance,sefitconduireàmanouvelleretraite.M.deBérangerdescenditdePassypourme dire en chanson, sous le règne de ses amis, ce qui se pratiquait dans lesgeôlesau tempsdesmiens: ilnepouvaitplusme jeter aunez laRestauration.Mon gros vieux ami M. Bertin[394] vint m'administrer les sacrementsministériels; une femme enthousiaste accourut de Beauvais afin d'admirermagloire;M. Villemain fit acte de courage;M. Dubois[395], M. Ampère[396], M.Lenormant[397], mes généreux et savants jeunes amis, ne m'oublièrent pas;l'avocat des républicains,M.Ch. Ledru[398], neme quittait plus: dans l'espoird'unprocès,ilgrossissaitl'affaire,etileûtpayédetousseshonoraireslebonheurdemedéfendre.

M. Gisquet m'avait offert, comme je vous l'ai dit, tous ses salons; mais jen'abusai pas de la permission. Seulement, un soir, je descendis pour entendre,assis entre lui et sa femme,mademoiselleGisquet jouerdupiano.Sonpère lagrondaetprétenditqu'elleavaitexécutésasonatemoinsbienquedecoutume.Ce petit concert que mon hôte me donnait en famille, n'ayant que moi pourauditeur, était tout singulier.Pendant que cette scène toutepastorale sepassaitdans l'intimité du foyer, des sergents de ville m'amenaient du dehors desconfrères à coups de crosse de fusil et de bâton ferré; quelle paix et quelleharmonierégnaientpourtantaucœurdelapolice!

J'eus lebonheurdefaireaccorderunefaveur toutesemblableàcelledont jejouissais,lafaveurdelageôle,àM.Ch.Philipon[399]:condamnépoursontalentàquelquesmoisdedétention,illespassaitdansunemaisondesantéàChaillot;appelé en témoignage à Paris dans un procès, il profita de l'occasion, et neretournapasàsongîte;maisils'enrepentit:danslelieuoùilsetenaitcaché,ilnepouvaitplusvoirà l'aiseuneenfantqu'ilaimait; il regrettesaprison,et,nesachant comment y rentrer, il m'écrivit la lettre suivante pour me prier denégociercetteaffaireavecmonhôte:

«Monsieur,

«Vous êtes prisonnier et vous me comprendriez, ne fussiez-vous pasChateaubriand....Jesuisprisonnieraussi,prisonniervolontairedepuislamiseenétatdesiège,chezunami,chezunpauvreartistecommemoi.J'aivoulufuirla

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justicedesconseilsdeguerredontj'étaismenacéparlasaisiedemonjournaldu9courant.Mais,pourmecacher, ila fallumepriverdesembrassementsd'uneenfantque j'idolâtre,d'unefilleadoptiveâgéedecinqans,monbonheuretmajoie.Cetteprivationestunsupplicequejenepourraissupporterpluslongtemps,c'estlamort!JevaismetrahiretilsmejetterontàSainte-Pélagie,oùjeneverraimapauvreenfantquerarement,s'ilsleveulentencore,etàdesheuresdonnées,oùjetrembleraipoursasantéetoùjemourraid'inquiétude,sijenelavoispastouslesjours.

«Jem'adresse à vous,monsieur, à vous légitimiste,moi républicain de toutcœur,àvoushommegraveetparlementaire,moicaricaturisteetpartisande laplusâcrepersonnalitépolitique,àvousdequijenesuisnullementconnuetquiêtesprisonniercommemoi,pourobtenirdeM.lepréfetdepolicequ'ilmelaisserentrer dans la maison de santé où l'on m'avait transféré. Je m'engage surl'honneur àme présenter à la justice toutes les fois que j'en serai requis, et jerenonceàmesoustraireàquelque tribunalquece soit, si l'onveutme laisseravecmapauvreenfant.

«Vousmecroirez,vous,monsieur,quandjeparled'honneuretquejejuredene pas m'enfuir, et je suis persuadé que vous serez mon avocat, quoique lesprofonds politiques puissent voir là une nouvelle preuve d'alliance entre leslégitimistes et les républicains, tous hommes dont les opinions s'accordent sibien.

«Siàuntelhôte,àuntelavocat,onrefusaitcequejedemande,jesauraisquejen'aiplusrienàespérer,etjemeverraispourneufmois séparédemapauvreEmma.

«Toujours,monsieur,quelquesoitlerésultatdevotregénéreuseintervention,ma reconnaissancen'en serapasmoins éternelle, car jenedouterai jamaisdespressantessollicitationsquevotrecœurvavoussuggérer.

«Agréez,monsieur, l'expressionde la plus sincère admiration et croyez-moivotretrès-humbleettrès-dévouéserviteur,

«CH.PHILIPON,

«PropriétairedelaCaricature(journal),condamnéàtreizemoisdeprison.»

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«Paris,le21juin1832.»

J'obtinslafaveurqueM.Philippondemandait:ilmeremerciaparunbilletquiprouve,nonlagrandeurduservice(lequelseréduisaitàfairegarderàChaillotmonclientparungendarme),maiscettejoiesecrètedespassions,quinepeut-êtrebiencomprisequeparceuxquil'ontvéritablementsentie.

«Monsieur,

«JeparspourChaillotavecmachèreenfant.

«Jevoudraisvousremercier,maisjesenslesmotstropfroidspourexprimercequej'éprouvedereconnaissance;j'aieuraisondepenser,monsieur,quevotrecœurvoussuggéreraitd'éloquentesinstances.Jesuissûrdenepasmetromperencroyantqu'ilvousdiraquejenesuispointingratetqu'ilvouspeindramieuxquejeneleferaisletroubledebonheuroùvotrebontém'amis.

«Agréez,jevousenprie,monsieur,mestrès-sincèresremercîmentsetdaignezmecroireleplusaffectionnédevosserviteurs,

«CHARLESPHILIPON.»

Àcettesingulièremarquedemoncrédit,j'ajouteraicetétrangetémoignagedemarenommée:un jeuneemployédesbureauxdeM.Gisquetm'adressade trèsbeauxvers,quimefurentremisparM.Gisquetlui-même;carenfinilfautêtrejuste: si un gouvernement lettré m'attaquait ignoblement, les Muses medéfendaientnoblement;M.Villemainseprononçaenmafaveuraveccourage,etdanslejournalmêmedesDébats,mongrosamiBertinprotesta,ensignantsonarticlecontremonarrestation.VoicicequemeditlepoètequisigneJ.Chopin,employéaucabinet:

ÀMONSIEURDECHATEAUBRIAND,

ÀLAPRÉFECTUREDEPOLICE.

Unjour,admiranttongénie,

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J'osaitedédierdesvers,Et,commeunfiletd'eaus'épancheauxseinsdesmers,Jeportaicetributaudieudel'harmonie.Aujourd'huil'infortuneapassésurtonfront,

Toujourssereindanslatempête.Leprésentfugitif,qu'est-cepourlepoète?Tagloirerestera...noshainespasseront.Ennemigénéreux,tavoixmâleetpuissante

Aprêtésoncharmeàl'erreur,MaistonéloquenceentraînanteFaittoujoursabsoudretoncœur.

Naguèreunroifrappatanobleindépendance;Tufusgranddevantsarigueur...Iltombe:bannidelaFrance,Tunevoisplusquesonmalheur!

Ah!quipourraitsondertondévoûmentfidèleEtforcerletorrentàdétournerseseaux?Maislorsqu'unseulpartis'applauditdetonzèle,Tagloireestànoustous...reprendsdonctespinceaux.

J.CHOPIN,employéaucabinet.

Mademoiselle Noémi (je suppose que c'est le prénom de MademoiselleGisquet)sepromenaitsouventseuledanslepetitjardin,unlivreàlamain.Ellejetaitàladérobéeunregardversmafenêtre.Qu'ileûtétédouxd'êtredélivrédemesfers,commeCervantes,parlafilledemonmaître!Tandisquejeprenaisunair romantique, le beau et jeuneM. Nay vint dissiper mon rêve. Je l'aperçuscausantavecMademoiselleGisquetdecetairquinoustrompepas,nousautrescréateurs de sylphides. Je dégringolai demes nuages, je fermaima fenêtre etj'abandonnai l'idée de laisser pousser ma moustache blanchie par le vent del'adversité.

Aprèsquinzejours,uneordonnancedenon-lieumerenditlaliberté,le30dejuin,augrandbonheurdemadamedeChateaubriand,quiseraitmorte,jecrois,si ma détention se fût prolongée. Elle vint me chercher dans un fiacre; je leremplisdemonpetitbagageaussilestementquej'étaisjadissortiduministère,etje rentrai dans la rue d'Enfer avecce je ne sais quoi d'achevé que lemalheurdonneàlavertu.

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Si M. Gisquet allait par l'histoire à la postérité, peut-être y arriverait-il enassez mauvais état; je désire que ce que je viens d'écrire de lui serve ici decontre-poidsàunerenomméeennemie.Jen'aieuqu'àmelouerdesesattentionsetdesonobligeance;sansdoutesi j'avaisétécondamné, ilnem'eûtpas laissééchapper;mais,enfinluietsafamillem'onttraitéavecuneconvenance,unbongoût,unsentimentdemaposition,decequej'étaisetdecequej'avaisété,quen'ont point eus une administration lettrée et des légistes d'autant plus brutauxqu'ilsagissaientcontrelefaibleetqu'ilsn'avaientpaspeur.

De tous les gouvernements qui se sont élevés en France depuis quaranteannées,celuidePhilippeest leseulquim'ait jetédanslalogedesbandits; ilaposé surma tête samain, surma tête respectéemême d'un conquérant irrité:Napoléonlevalebrasetnefrappapas.Etpourquoicettecolère[400]?Jevaisvousle dire: j'ose protester en faveur du droit contre le fait, dans un pays où j'aidemandélalibertésousl'Empire,lagloiresouslaRestauration;dansunpaysoù,solitaire, je compte non par frères, sœurs, enfants, joies, plaisirs, mais partombeaux. Les derniers changements politiques m'ont séparé du reste de mesamis: ceux-ci sont allés à la fortune et passent, tout engraissés de leurdéshonneur,auprèsdemapauvreté;ceux-làontabandonnéleursfoyersexposésaux insultes.Lesgénérationssi fortéprisesde l'indépendancesesontvendues:communesdansleurconduite,intolérablesdansleurorgueil,médiocresoufollesdansleursécrits,jen'attendsdecesgénérationsqueledédainetjeleleurrends;elles n'ont pas de quoime comprendre; elles ignorent la foi à la chose jurée,l'amourdesinstitutionsgénéreuses,lerespectdesespropresopinions,leméprisdu succès et de l'or, la félicité des sacrifices, le culte de la faiblesse et dumalheur.

Aprèsl'ordonnancedenon-lieu,ilmerestaitundevoiràremplir.Ledélitdontj'avaisétéprévenuse liaitàceluipour lequelM.BerryerétaitenpréventionàNantes. Je n'avais pu m'expliquer avec le juge d'instruction, puisque je nereconnaispaslacompétencedutribunal.PourréparerledommagequepouvaitavoircauséàM.Berryermonsilence,j'écrivisàM.leministredelajustice[401]lalettrequ'onvalire,etquejerendispubliqueparlavoiedesjournaux.

«Paris,ce3juillet1832.

«Monsieurleministredelajustice,

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«Permettez-moi de remplir auprès de vous, dans l'intérêt d'un homme troplongtempsprivédesaliberté,undevoirdeconscienceetd'honneur.

«M.Berryerfils,interrogéparlejuged'instructionàNantes[402]le18dumoisdernier,arépondu:Qu'ilavaitvumadameladuchessedeBerry;qu'il luiavaitsoumis, avec le respect dû à son rang, à son courage et à ses malheurs, sonopinion personnelle et celle d'honorables amis sur la situation actuelle de laFrance, et sur les conséquences de la présence de son Altesse Royale dansl'Ouest.

«M.Berryer,développantavecsontalentaccoutumécevastesujet,l'arésuméde la sorte: Toute guerre étrangère ou civile, en la supposant couronnée desuccès,nepeutnisoumettrenirallierlesopinions.

«Questionnésurleshonorablesamisdontilvenaitdeparler,M.Berryeraditnoblement:Que des hommes graves lui ayant manifesté sur les circonstancesprésentesuneopinionconformeàlasienne,ilavaitcrudevoirappuyersonavissur l'autorité du leur; mais qu'il ne les nommerait pas sans qu'ils y eussentconsenti.

«Jesuis,monsieur leministrede la justice,undeceshommesconsultésparM.Berryer.Non-seulementj'aiapprouvésonopinion,maisj'airédigéunenotedans le sens de cette opinion même. Elle devait être remise à madame laduchessedeBerry,danslecasoùcetteprincessesetrouvâtréellementsurlesolfrançais, ce que je ne croyais pas.Cette première note n'étant pas signée, j'enécrivis une seconde, que je signai et par laquelle je suppliais encore plusinstamment l'intrépidemèredupetit-fils deHenri IVdequitter unepatriequetantdediscordesontdéchirée.

«TelleestladéclarationquejedevaisàM.Berryer.Levéritablecoupable,s'ily a coupable, c'est moi. Cette déclaration servira, j'espère, à la promptedélivrance du prisonnier de Nantes; elle ne laissera peser que sur ma têtel'inculpation d'un fait, très innocent sans doute,mais dont, en dernier résultat,j'acceptetouteslesconséquences.

«J'ail'honneurd'être,etc.

«CHATEAUBRIAND.

«Rued'Enfer-Saint-Michel,no84.

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«Ayant écrit à M. le comte de Montalivet le 9 du mois dernier, pour uneaffaire relative à M. Berryer, M. le ministre de l'intérieur ne crut pas mêmedevoir me faire connaître qu'il avait reçu ma lettre: comme il m'importebeaucoupdesavoirlesortdecellequej'ail'honneurd'écrireaujourd'huiàM.leministredelajustice,jeluiseraiinfinimentobligéd'ordonneràsesbureauxdem'enaccuserréception.

«CH.»

LaréponsedeM.leministredelajusticenesefitpasattendre;lavoici:

«Parisle3juillet.

«Monsieurlevicomte,

«La lettre que vous m'avez adressée, contenant des renseignements quipeuventéclairerlajustice,jelafaisparvenirimmédiatementauprocureurduroiprèsletribunaldeNantes[403],afinqu'ellesoitjointeauxpiècesdel'instructioncommencéecontreM.Berryer.

«Jesuisavecrespect,etc.,

«Legardedessceaux

«BARTHE.»

Par cette réponse, M. Barthe[404] se réservait gracieusement une nouvellepoursuitecontremoi.Jemesouviensdessuperbesdédainsdesgrandshommesdujuste-milieu,quandje laissaisentrevoir lapossibilitéd'uneviolenceexercéesurmapersonneousurmesécrits.Eh!bonDieu!pourquoimeparerd'undangerimaginaire?Quis'embarrassaitdemonopinion?quisongeaitàtoucheràunseuldemescheveux?Âmesetféauxdupot-au-feu,intrépideshérosdelapaixàtoutprix,vousavezpourtanteuvotreterreurdecomptoiretdepolice,votreétatdesiège de Paris, vos mille procès de presse, vos commissions militaires pourcondamneràmort l'auteurdesCancans[405];vousm'avezpourtantplongédansvos geôles; la peine applicable à mon crime n'était rien moins que la peinecapitale.Avecquelplaisirjevouslivreraismatête,si,jetéedanslabalancedelajustice,ellelafaisaitpencherducôtédel'honneur,delagloireetdelalibertéde

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mapatrie!

J'étais plus que jamais déterminé à reprendre mon exil; madame deChateaubriand,effrayéedemonaventure,auraitdéjàvouluêtrebienloin;ilnefut plus question que de chercher le lieu où nous dresserions nos tentes. Lagrandedifficultéétaitdetrouverquelqueargentpourvivreenterreétrangèreetpourpayerd'abordunedettequim'attiraitdesmenacesdepoursuitesetdesaisie.

Lapremièreannéed'uneambassaderuinetoujoursl'ambassadeur:c'estcequim'arrivapourRome.Jemeretiraiàl'avènementduministèrePolignac,etjem'enallai, ajoutant àma détresse ordinaire soixantemille francs d'emprunt. J'avaisfrappé à toutes les bourses royalistes; aucune ne s'ouvrit: on me conseilla dem'adresser à Laffitte. M. Laffitte m'avança dix mille francs, que je donnaiimmédiatementauxcréancierslespluspressés.Surleproduitdemesbrochures,je retrouvai la somme que je lui ai rendue avec reconnaissance; mais unetrentainedemillefrancsrestaittoujoursàpayer,enoutredemesvieillesdettes,carj'enaiquiontdelabarbe,tantellessontâgées;malheureusement,cettebarbeestunebarbed'or,dontlacoupeannuellesefaitsurmonmenton.

M.leducdeLévis,àsonretourd'unvoyageenÉcosse,m'avaitdit,delapartdeCharlesX,queceprincevoulaitcontinueràmefairemapensiondepair;jecrusdevoirrefusercetteoffre.LeducdeLévisrevintà lacharge,quandilmevit, au sortir de prison, dans l'embarras le plus cruel, ne trouvant rien demamaisonetdemonjardinrued'Enfer,etétantharceléparunenuéedecréanciers.J'avaisdéjàvendumonargenterie.LeducdeLévism'apportavingtmillefrancs,medisantnoblementquecen'étaitpaslesdeuxannéesdepensiondepairiequeleroireconnaissaitmedevoir,etquemesdettesàRomen'étaientqu'unedettedela couronne. Cette sommeme mettait en liberté, je l'acceptai comme un prêtmomentané,etj'écrivisauroilalettresuivante[406]:

«SIRE,

«Aumilieu des calamités dont il a plu àDieu de sanctifier votre vie, vousn'avez point oublié ceux qui souffrent au pied du trône de saint Louis. Vousdaignâtesmefaireconnaître,ilyaquelquesmois,votregénéreuxdesseindemecontinuer la pension de pair à laquelle je renonçai en refusant le serment aupouvoirillégitime;jepensaiqueVotreMajestéavaitdesserviteurspluspauvresquemoi et plus dignes de ses bontés.Mais les derniers écrits que j'ai publiés

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m'ontcausédesdommagesetsuscitédespersécutions;j'aiessayéinutilementdevendre le peu de chose que je possède. Je me vois forcé d'accepter, non lapension annuelle que Votre Majesté se proposait de me faire sur sa royaleindigence, mais un secours provisoire pour me dégager des embarras quim'empêchentderegagnerl'asileoùjepourraivivredemontravail.Sire,ilfautquejesoisbienmalheureuxpourmerendreàcharge,mêmeunmoment,àunecouronnequej'aisoutenuedetousmeseffortsetquejecontinueraideservirlerestedemavie.

«Jesuis,avecleplusprofondrespect,etc.

«CHATEAUBRIAND.»

Mon neveu, le comte Louis de Chateaubriand, m'avança de son côté unemêmesommedevingtmillefrancs.Ainsidégagédesobstaclesmatériels,jefisles préparatifs de mon second départ. Mais une raison d'honneur m'arrêtait:madameladuchessedeBerryétaitsurlesolfrançais;quedeviendrait-elle,etnedevais-jepasresterauxlieuxoùsespérilspouvaientm'appeler?Unbilletdelaprincesse,quim'arrivadufonddelaVendée,achevademerendrelibre.

«J'allais vous écrire, monsieur le vicomte, touchant ce gouvernementprovisoire que j'ai cru devoir former, lorsque j'ignorais quand et même si jepouvaisrentrerenFrance,etdontonmemandequevousaviezconsentiàfairepartie.Iln'apasexistédefait,puisqu'ilnes'estjamaisréuni,etquelques-unsdesmembresnesesontentendusquepourmefaireparvenirunavisquejen'aipusuivre. Je ne leur en sais pas du tout mauvais gré. Vous avez jugé d'après lerapportquevousontfaitdemapositionetdecelledupaysceuxquiavaientdesraisonspourconnaîtremieuxquemoileseffetsd'unefataleinfluenceàlaquellejen'aipasvoulucroire,etjesuissûrequesiM.deCh.eûtétéprèsdemoi,soncœurnobleetgénéreuxs'yfûtégalementrefusé.Jen'encomptedoncpasmoinssurlesbonsservicesindividuelsetmêmelesconseilsdespersonnesquifaisaientpartiedugouvernementprovisoire,etdontlechoixm'avaitétédictéparleurzèleéclairéet leurdévouementà la légitimitédans lapersonnedeHenriV.JevoisquevotreintentionestdequitterencorelaFrance,jeleregretteraisbeaucoupsije pouvais vous approcher demoi;mais vous avez des armes qui touchent deloin,etj'espèrequevousnecesserezpasdecombattrepourHenriV.

«Croyez,monsieurlevicomte,àtoutemonestimeetamitié.

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«M.C.R.»

Par ce billet, Madame se passait de mes services, ne se rendait point auxconseils que j'avais osé lui donner dans la note dont M. Berryer avait été leporteur; elle en paraissait même un peu blessée, bien qu'elle reconnût qu'unefataleinfluencel'avaitégarée.

Ainsi rendu àma liberté et dégagé de tout aujourd'hui, 7 août, n'ayant plusrienàfairequ'àpartir, j'aiécritmalettred'adieuàM.deBéranger,quim'avaitvisitédansmaprison.

«Paris,7août1832.

«ÀM.deBéranger.

«Je voulais, monsieur, aller vous dire adieu et vous remercier de votresouvenir;letempsm'amanquéetjesuisobligédepartirsansavoirleplaisirdevous voir et de vous embrasser. J'ignore mon avenir: y a-t-il aujourd'hui unavenirclairpourpersonne?Nousnesommespasdansun tempsderévolution,maisdetransformationsociale:orlestransformationss'accomplissentlentement,et les générations qui se trouvent placées dans la période de lamétamorphosepérissentobscuresetmisérables.Sil'Europe(cequipourraitbienêtre)estàl'âgedeladécrépitude,c'estuneautreaffaire:elleneproduirarien,ets'éteindradansune impuissante anarchie de passions, de mœurs et de doctrines. En ce cas,monsieur,vousaurezchantésuruntombeau.

«J'airempli,monsieur,tousmesengagements:jesuisrevenuàvotrevoix;j'aidéfendu ce que j'étais venu défendre; j'ai subi le choléra: je retourne à lamontagne.Nebrisezpasvotrelyre,commevousnousenmenacez;jeluidoisundemes plus glorieux titres au souvenir des hommes. Faites encore sourire etpleurer laFrance:car ilarrive,parunsecretdevousseulconnu,quedansvoschansonspopulaireslesparolessontgaiesetlamusiqueplaintive.

«Jemerecommandeàvotreamitiéetàvotremuse.

«CHATEAUBRIAND.»

Jedoismemettreenroutedemain,MadamedeChateaubriandmerejoindraà

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Lucerne.

Bâle,12août1832.

Beaucoupd'hommesmeurentsansavoirperduleurclocherdevue:jenepuisrencontrer leclocherquimedoitvoirmourir.Enquêted'unasilepourachevermesMémoires,jecheminedenouveautraînantàmasuiteunénormebagagedepapiers, correspondances diplomatiques, notes confidentielles, lettres deministresetderois;c'estl'histoireportéeencroupeparleroman.

J'ai vu à Vesoul M. Augustin Thierry, retiré chez son frère le préfet[407].Lorsque autrefois, à Paris, il m'envoya son Histoire de la conquête desNormands, je l'allai remercier. Je trouvai un jeune homme dans une chambredont les volets étaient à demi fermés; il était presque aveugle; il essaya de seleverpourmerecevoir,maissesjambesneleportaientplusetiltombadansmesbras.Ilrougit lorsqueje luiexprimaimonadmirationsincère:cefutalorsqu'ilmeréponditquesonouvrageétaitlemien,etquec'étaitenlisantlabatailledesFrancsdanslesMartyrs,qu'ilavaitconçul'idéed'unenouvellemanièred'écrirel'histoire[408].Quandjepriscongédelui,alorsils'efforçademesuivreet ilsetraînajusqu'àlaporteens'appuyantcontrelemur:jesortistoutémudetantdetalentetdetantdemalheur.

À Vesoul, surgit, après un long bannissement, Charles X[409], maintenantfaisantvoileverslenouvelexilquiserapourluiledernier.

J'aipassélafrontièresansaccidentavecmonfatras:voyonssi,aureversdesAlpes,jenepourraisjouirdelalibertédelaSuisseetdusoleildel'Italie,besoindemesopinionsetdemesannées.

À l'entrée deBâle, j'ai rencontré un vieuxSuisse, douanier; ilm'a fait fairebeditgarandained'inguartd'hire;onadescendumonbagagedansunecave;onamisenmouvementjenesaisquoiquiimitaitlebruitd'unmétieràbas;ils'estélevéunefuméedevinaigre,et,purifiéainsidelacontagiondelaFrance,lebonSuissem'arelâché.

J'aiditdansl'Itinéraire,enparlantdescigognesd'Athènes:«Duhautdeleursnids, que les révolutions ne peuvent atteindre, elles ont vu au-dessous d'elleschanger la racedesmortels: tandisquedesgénérations impies se sont élevéessurlestombeauxdesgénérationsreligieuses,lajeunecigogneatoujoursnourri

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sonvieuxpère.»

JeretrouveàBâleleniddecigognequej'ylaissaiilyasixans;maisl'hôpitalautoitduquellacigognedeBâleaéchafaudésonnidn'estpasleParthénon,lesoleil du Rhin n'est pas le soleil du Céphise, le concile n'est pas l'aréopage.Érasme n'est pas Périclès; pourtant c'est quelque chose que le Rhin, la forêtNoire, le Bâle romain et germanique. Louis XIV étendit la France jusqu'auxportesdecetteville,ettroismonarquesennemis[410]latraversèrenten1813pourvenirdormirdanslelitdeLouisleGrand,envaindéfenduparNapoléon.Allonsvoir lesdansesde lamort deHolbein; ellesnous rendront comptedesvanitéshumaines.

La danse de la mort (si toutefois ce n'était pas même alors une véritablepeinture)eutlieuàParis,en1424,aucimetièredesInnocents:ellenousvenaitdel'Angleterre.Lareprésentationduspectaclefutfixéedansdestableaux;onlesvitexposésdanslescimetièresdeDresde,deLubeck,deMinden,delaChaise-Dieu,deStrasbourg,deBloisenFrance,etlepinceaudeHolbeinimmortalisaàBâlecesjoiesdelatombe.

Cesdansesmacabresdugrandartisteontétéemportéesàleurtourparlamort,qui n'épargnepas ses propres folies: il n'est resté àBâle, du travail d'Holbein,quesixpiècessciéessur lespierresducloîtreetdéposéesà labibliothèquedel'Université.Undessincoloriéaconservél'ensembledel'ouvrage.

CesgrotesquessurunfondterribleontdugéniedeShakespeare,géniemêlédecomiqueetdetragique.Lespersonnagessontd'uneviveexpression:pauvreset riches, jeunes et vieux, hommes et femmes, papes, cardinaux, prêtres,empereurs, rois, reines, princes, ducs, nobles, magistrats, guerriers, tous sedébattent et raisonnent avec et contre la Mort; pas un ne l'accepte de bonnegrâce.

LaMortestvariéeàl'infini,mais toujoursbouffonneàl'instardelavie,quin'estqu'unesérieusepantalonnade.CetteMortdupeintresatiriqueaunejambedemoins comme lemendiant à jambe de bois qu'elle accoste; elle joue de lamandolinederrièrel'osdesondos,commelemusicienqu'elleentraîne.Ellen'estpas toujours chauve; des brins de cheveuxblonds, bruns, gris, voltigent sur lecoudusqueletteetlerendentpluseffroyableenlerendantpresquevivant.Dansundes cartouches, laMort a quasi de la chair, elle est quasi jeune commeunjeunehomme,etelleemmèneunejeunefillequiseregardedansunmiroir.La

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Mort a dans son bissac des tours d'un écolier narquois; elle coupe avec desciseaux la corde du chien qui conduit un aveugle, et l'aveugle est à deux pasd'une fosse ouverte; ailleurs, la Mort, en petit manteau, aborde une de sesvictimes avec les gestes d'un Pasquin. Holbein a pu prendre l'idée de cetteformidablegaietédanslanaturemême:entrezdansunreliquaire,touteslestêtesdemort semblent ricaner, parce qu'elles découvrent les dents; c'est le rire.Dequoiricanent-elles?dunéantoudelavie?

LacathédraledeBâleetsurtoutlesancienscloîtresm'ontplu.Enparcourantces derniers, remplis d'inscriptions funèbres, j'ai lu les noms de quelquesréformateurs.Leprotestantismechoisitmallelieuetprendmalsontempsquandilseplacedanslesmonumentscatholiques;onvoitmoinscequ'ilaréforméquecequ'iladétruit.Cespédantssecsquipensaientrefaireunchristianismeprimitifdansunvieuxchristianisme,créateurdelasociétédepuisquinzesiècles,n'ontpuéleverunseulmonument.Àquoicemonumenteût-ilrépondu?Commentaurait-ilétéenrapportaveclesmœurs?Leshommesn'étaientpointfaitscommeLutheretCalvin,autempsdeLutheretdeCalvin;ilsétaientfaitscommeLéonXavecle génie de Raphaël, ou comme saint Louis avec le génie gothique; le petitnombrenecroyaitàrien,legrandnombrecroyaitàtout.Aussileprotestantismen'a-t-ilpourtemplesquedessallesd'écoles,oupouréglisesquelescathédralesqu'il a dévastées: il y a établi sa nudité. Jésus-Christ et ses apôtres neressemblaientpassansdouteauxGrecsetauxRomainsdeleursiècle,maisilsne venaient pas réformer un ancien culte; ils venaient établir une religionnouvelle,remplacerlesdieuxparundieu.

Lucerne,14août1832.

Le chemin deBâle àLucerne par l'Argovie offre une suite de vallées, dontquelques-unes ressemblent à la vallée d'Argelès, moins le ciel espagnol desPyrénées.ÀLucerne,lesmontagnes,différemmentgroupées,étagées,profilées,coloriées,seterminent,enseretirantlesunesderrièrelesautresetens'enfonçantdanslaperspective,auxneigesvoisinesduSaint-Gothard.Sil'onsupprimaitleRighietlePilate,etsil'onneconservaitquelescollinessurfacéesd'herbagesetde lapinières qui bordent immédiatement le lac des Quatre-Cantons, onreproduiraitunlacd'Italie.

Les arcades du cloître du cimetière dont la cathédrale est environnée sontcomme les loges d'où l'on peut jouir de ce spectacle. Les monuments de ce

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cimetière ont pour étendard une croisette de fer portant un Christ doré. Auxrayonsdusoleil,cesontautantdepointsdelumièrequis'échappentdestombes:dedistanceendistance,ilyadesbénitiersdanslesquelstrempeunrameau,aveclequelonpeutbénirdescendresregrettées.Jenepleuraisrienlàenparticulier,mais j'ai fait descendre la rosée lustrale sur la communauté silencieuse deschrétiensetdesmalheureuxmesfrères.Uneépitaphemedit:Hodiemihi,crastibi; une autre: Fuit homo; une autre: Siste, viator; abi, viator. Et j'attendsdemain,etj'auraiétéhomme;etvoyageurjem'arrête;etvoyageurjem'envais.Appuyé à l'une des arcades du cloître, j'ai regardé longtemps le théâtre desaventures de Guillaume Tell et de ses compagnons: théâtre de la libertéhelvétique, si bien chanté et décrit par Schiller et Jean deMüller. Mes yeuxcherchaientdans l'immense tableau laprésencedesplus illustresmorts,etmespiedsfoulaientlescendreslesplusignorées.

Enrevoyant lesAlpes ilyaquatreoucinqans, jemedemandaisceque j'yvenais chercher: que dirai-je donc aujourd'hui? que dirai-je demain, et demainencore?Malheuràmoiquinepuisvieilliretquivieillistoujours!

Lucerne,15août1832.

Lescapucinssontalléscematin,selonl'usagelejourdel'Assomption,bénirlesmontagnes.Cesmoinesprofessent lareligionsous laprotectionde laquellenaquit l'indépendance suisse: cette indépendance dure encore. Que deviendranotre libertémoderne, toutemaudite de la bénédiction des philosophes et desbourreaux? Elle n'a pas quarante années, et elle a été vendue et revendue,maquignonnée,brocantéeà tous lescoinsde rue. Ilyaplusde libertédans lefrocd'uncapucinquibénitlesAlpesquedanslafriperieentièredeslégislateursdelaRépublique,del'Empire,delaRestaurationetdel'usurpationdeJuillet.

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Le voyageur français en Suisse est touché et attristé; notre histoire, pour lemalheur des peuples de ces régions, se lie trop à leur histoire; le sang del'Helvétieacoulépournousetparnous;nousavonsportéleferetlefeudanslachaumière de Guillaume Tell; nous avons engagé dans nos guerres civiles lepaysanguerrierquigardaitletrônedenosrois.LegéniedeThorwaldsenafixéle souvenir du10 août à la portedeLucerne.Le lionhelvétique expire, percéd'une flèche, en couvrant de sa tête affaissée et d'une de ses pattes l'écu deFrance,dontonnevoitplusqu'unedesfleursdelis.Lachapelleconsacréeauxvictimes,lebouquetd'arbresvertsquiaccompagnelebas-reliefsculptédansleroc, le soldat échappé au massacre du 10 août, qui montre aux étrangers lemonument, le billet de Louis XVI qui ordonne aux Suisses demettre bas lesarmes,ledevantd'auteloffertparmadamelaDauphineàlachapelleexpiatoire,et sur lequel ce parfait modèle de douleur a brodé l'image de l'agneau divinimmolé!...Parquelconseil laProvidence, après ladernièrechutedu trônedesBourbons,m'envoie-t-ellechercherunasileauprèsdecemonument?Dumoins,jepuislecontemplersansrougir,jepuisposermamainfaible,maisnonparjure,sur l'écu de France, comme le lion l'enserre de ses ongles puissants, maisdétendusparlamort.

Ehbien,cemonument,unmembredelaDièteaproposédeledétruire!QuedemandelaSuisse? la liberté?elleen jouitdepuisquatresiècles; l'égalité?ellel'a; la république?c'est la formede songouvernement; l'allégementdes taxes?ellenepayepresquepointd'impôts.Queveut-elledonc?elleveutchanger,c'estlaloidesêtres.Quandunpeuple,transforméparletemps,nepeutplusrestercequ'il a été, le premier symptôme de samaladie, c'est la haine du passé et desvertusdesespères.

Jesuisrevenudumonumentdu10aoûtparlegrandpontcouvert,espècedegaleriedeboissuspenduesurlelac.Deuxcenttrente-huittableauxtriangulaires,placés entre les chevrons du toit, décorent cette galerie. Ce sont des fastespopulaires où le Suisse, en passant, apprenait l'histoire de sa religion et de saliberté.

J'ai vu les poules d'eau privées; j'aimemieux les poules d'eau sauvages del'étangdeCombourg.

Danslaville,lebruitd'unchœurdevoixm'afrappé;ilsortaitd'unechapellede laVierge: entré dans cette chapelle, jeme suis cru transporté aux jours de

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monenfance.Devantquatreautelsdévotementparés,desfemmesrécitaientavecleprêtrelechapeletetleslitanies.C'étaitcommelaprièredusoirauborddelamerdansmapauvreBretagne, et j'étais auborddu lacdeLucerne!Unemainrenouaitainsi lesdeuxboutsdemavie,pourmefairemieuxsentir toutcequis'étaitperdudanslachaînedemesannées.

SurlelacdeLucerne,16août1832,midi.

Alpes, abaissez vos cimes, je ne suis plus digne de vous: jeune, je seraissolitaire;vieux, jene suisqu'isolé. Je lapeindraisbienencore, lanature;maispour qui? qui se soucierait de mes tableaux? quels bras, autres que ceux dutemps,presseraientenrécompensemongénieaufrontdépouillé?quirépéteraitmes chants? à quelle muse en inspirerais-je? Sous la voûte de mes années,commesouscelledesmontsneigeuxquim'environnent, aucun rayonde soleilne viendrame réchauffer.Quelle pitié de traîner, à travers cesmonts, des pasfatiguésquepersonnenevoudraitsuivre!Quelmalheurdenemetrouver libred'errerdenouveauqu'àlafindemavie!

Deuxheures.

Mabarques'estarrêtéeàlacaled'unemaisonsurlarivedroitedulac,avantd'entrer dans le golfe d'Uri. J'ai gravi le verger de cette auberge et suis venum'asseoir sous deux noyers qui protègent une étable. Devant moi, un peu àdroite, sur le bord opposé du lac, se déploie le village deSchwytz, parmi desvergers et les plans inclinés de ces pâturages dits Alpes dans le pays: il estsurmontéd'unrocébréchéendemi-cercleetdontlesdeuxpointes,leMythenetle Haken (la mitre et la crosse), tirent leur appellation de leur forme. Cechapiteau cornu repose sur des gazons, comme la couronne de la rudeindépendance helvétique sur la tête d'un peuple de bergers. Le silence n'estinterrompuautourdemoiqueparletintementdelaclochettededeuxgénissesrestées dans l'étable voisine: elle semble me sonner la gloire de la pastoralelibertéqueSchwytzadonnée,avecsonnom,à toutunpeuple:unpetitcantondans le voisinage de Naples, appelé Italia, a de même, mais avec des droitsmoinssacrés,communiquésonnomàlaterredesRomains.

Troisheures.

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Nous partons; nous entrons dans le golfe ou le lac d'Uri. Les montagness'élèvent et s'assombrissent. Voilà la croupe herbue du Grütli et les troisfontainesoùFürst,ArnolddeMelchtaletStauffacher jurèrent ladélivrancedeleurpays;voilà,aupieddel'Achsenberg,lachapellequisignalel'endroitoùTell,sautant de la barque de Gessler, la repoussa d'un coup de pied aumilieu desvagues.

MaisTelletsescompagnonsont-ilsjamaisexisté[411]?Neseraient-ilsquedespersonnages du Nord, nés des chants des Scaldes et dont on retrouve lestraditionshéroïquessurlesrivagesdelaSuède?LesSuissessont-ilsaujourd'huicequ'ilsétaientàl'époquedelaconquêtedeleurindépendance?CessentiersdesoursvoientroulerdescalèchesoùTelletsescompagnonsbondissaient,l'arcàlamain,d'abîmeenabîme:moi-mêmesuis-jeunvoyageurenharmonieavecceslieux?

Unoragemevientheureusementassaillir.Nousabordonsdansunecrique,àquelquespasdelachapelledeTell:c'esttoujourslemêmeDieuquisoulèvelesvents, et la même confiance dans ce Dieu qui rassure les hommes. Commeautrefois,entraversantl'Océan,leslacsdel'Amérique,lesmersdelaGrèce,delaSyrie,j'écrissurunpapierinondé.Lesnuages,lesflots,lesroulementsdelafoudres'allientmieuxausouvenirde l'antiquelibertédesAlpesquelavoixdecette nature efféminée et dégénérée quemon siècle a placéemalgrémoi dansmonsein.

Altorf.

DébarquéàFluelen,arrivéàAltorf,lemanquedechevauxvameretenirunenuitaupiedduBannberg.Ici,GuillaumeTellabattitlapommesurlatêtedesonfils: le trait d'arc était de la distance qui sépare ces deux fontaines. Croyons,malgrélamêmehistoireracontéeparSaxonleGrammairien,etquej'aicitéelepremier dansmonEssai sur les révolutions[412]; ayons foi en la religion et laliberté,lesdeuxseulesgrandeschosesdel'homme:lagloireetlapuissancesontéclatantes,nongrandes.

Demain,duhautduSaint-Gothard,jesalueraidenouveaucetteItaliequej'aisaluée du sommet du Simplon et duMont-Cenis.Mais à quoi bon ce dernierregard jeté sur les régions dumidi et de l'aurore! Le pin des glaciers ne peutdescendre parmi les orangers qu'il voit au-dessous de lui dans les vallées

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fleuries.

Dixheuresdusoir.

L'orage recommence; les éclairs s'entortillent aux rochers; les échosgrossissentetprolongentlebruitdelafoudre;lesmugissementsduSchœchenetdelaReussaccueillentlebardedel'Armorique.Depuislongtempsjenem'étaistrouvéseuletlibre;riendanslachambreoùjesuisenfermé:deuxcouchespourun voyageur qui veille et qui n'a ni amours à bercer, ni songes à faire. Cesmontagnes, cetorage, cettenuit sontdes trésorsperduspourmoi.Quedevie,cependant, je sens au fond demon âme! Jamais, quand le sang le plus ardentcoulaitdemoncœurdansmesveines,jen'aiparlélelangagedespassionsavecautantd'énergiequejelepourraisfaireencemoment.IlmesemblequejevoissortirdesflancsduSaint-GothardmasylphidedesboisdeCombourg.Meviens-turetrouver,charmantfantômedemajeunesse?as-tupitiédemoi?Tulevois,jenesuischangéquedevisage;toujourschimérique,dévoréd'unfeusanscauseetsansaliment.Jesorsdumonde,etj'yentraisquandjetecréaidansunmomentd'extaseetdedélire.Voicil'heureoùjet'invoquaidansmatour.Jepuisencoreouvrirmafenêtrepourtelaisserentrer.Situn'espascontentedesgrâcesquejet'avais prodiguées, je te ferai cent fois plus séduisante; ma palette n'est pasépuisée;j'aivuplusdebeautésetjesaismieuxpeindre.Vienst'asseoirsurmesgenoux; n'aie pas peur de mes cheveux, caresse-les de tes doigts de fée oud'ombre; qu'ils rembrunissent sous tes baisers.Cette tête, que ces cheveuxquitombentn'assagissentpoint,esttoutaussifollequ'ellel'étaitlorsquejetedonnail'être, filleaînéedemes illusions,douxfruitdemesmystérieusesamoursavecmapremièresolitude!Viens,nousmonteronsencoreensemblesurnosnuages;nous irons avec la foudre sillonner, illuminer, embraser les précipices où jepasserai demain. Viens! emporte-moi comme autrefois, mais ne me rapporteplus.

Onfrappeàmaporte:cen'estpastoi!c'estleguide!Leschevauxsontarrivés,ilfautpartir.Decesongeilnerestequelapluie,leventetmoi,songesansfin,éternelorage.

17août1832.(Amsteg.)

D'Altorf ici,unevalléeentredesmontagnesrapprochées,commeonenvoitpartout; la Reuss bruyante au milieu. À l'auberge du Cerf, un petit étudiant

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allemand,quivientdesglaciersduRhôneetquimedit:«Fousfenirl'Altorfcemadin?allezfite!»Ilmecroyaitàpiedcommelui;puis,apercevantmoncharàbancs: «Oh! les chefals! c'être autre chosse.» Si l'étudiant voulait troquir sesjeunesjambescontremoncharàbancsetmonplusmauvaischardegloire,avecquelplaisir jeprendrais sonbâton, sablousegriseet sabarbeblonde! Jem'eniraisauxglaciersduRhône;jeparleraislalanguedeSchilleràmamaîtresse,etjerêveraiscreusementlalibertégermanique:lui,ilchemineraitvieuxcommeletemps,ennuyécommeunmort,détrompéparl'expérience,s'étantattachéaucou,comme une sonnette, un bruit dont il serait plus fatigué au bout d'un quartd'heurequedufracasdelaReuss.L'échangen'aurapaslieu,lesbonsmarchésnesont pas à mon usage. Mon écolier part; il me dit en ôtant et remettant sonbonnetteuton,avecunpetitcoupdetête:«Permis!»Encoreuneombreévanouie.L'écolierignoremonnom;ilm'aurarencontréetnelesaurajamais:jesuisdanslajoiedecetteidée;j'aspireàl'obscuritéavecplusd'ardeurquejenesouhaitaisautrefois la lumière: celle-cim'importune ou comme éclairantmesmisères oucommememontrantdesobjetsdontjenepuisplusjouir: j'aihâtedepasserleflambeauàmonvoisin.

Troisgarçonnetstirentàl'arbalète:GuillaumeTelletGesslersontpartout.Lespeuples libres conservent le souvenir des fondations de leur indépendance.DemandezàunpetitpauvredeFrances'ilajamaislancélahacheenmémoireduroiHlodwigh,ouKhlodwigouClovis!

Le nouveau chemin du Saint-Gothard, en sortant d'Amsteg, va et vient enzigzagpendantdeuxlieues;tantôtjoignantlaReuss,tantôts'enécartantquandlafissuredutorrents'élargit.Surlesreliefsperpendiculairesdupaysage,despentesrases ou bouquetées de cépées de hêtres, des pics dardant la nue, des dômescoiffésdeglace,dessommetschauvesouconservantquelquesrayonsdeneigecommedesmèchesdecheveuxblancs;danslavallée,desponts,descolonnesenplanches noircies, des noyers et des arbres fruitiers qui gagnent en luxe debranches et de feuilles ce qu'ils perdent en succulence de fruits. La naturealpestre force ces arbres à redevenir sauvages; la sève se fait jour malgré lagreffe:uncaractèreénergiquebriselesliensdelacivilisation.

Unpeuplushaut,aulimbedroitdelaReuss,lascènechange:lefleuvecouleaveccascadesdansuneornièrecaillouteuse,sousuneavenuedoubleettripledepins;c'estlavalléeduPontd'EspagneàCauterets.Auxpansdelamontagne,lesmélèzes végètent sur les arêtes vives du roc; amarrés par leurs racines, ils

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résistentauchocdestempêtes.

Lechemin,quelquescarrésdepommesdeterre,attestentseulsl'hommedansce lieu: il fautqu'ilmangeetqu'ilmarche;c'est le résumédesonhistoire.Lestroupeaux, reléguésauxpâturagesdes régions supérieures,neparaissentpoint;d'oiseaux,aucun;d'aigles,iln'enestplusquestion:legrandaigleesttombédansl'océanenpassantàSainte-Hélène; iln'yavolsihautetsi fortquinedéfailledans l'immensité des cieux. L'aiglon royal vient de mourir. On nous avaitannoncéd'autresaiglonsdeJuillet1830;apparemmentqu'ilssontdescendusdeleurairepournicheraveclespigeonspattus.Ilsn'enlèverontjamaisdechamoisdans leurs serres; débilité à la lueur domestique, leur regard clignotant necontemplerajamaisdusommetduSaint-GothardlelibreetéclatantsoleildelagloiredelaFrance.

Après avoir franchi le pont duSaut duprêtre, et contourné lemamelon duvillagedeWasen,onreprendlarivedroitedelaReuss;àl'uneetl'autreorée,descascadesblanchissentparmidesgazons,tenduscommedestapisseriesvertessurlepassagedesvoyageurs.Parundéfilé,onaperçoitleglacierdeRanzquiselieauxglaciersdelaFurca.

Enfin, on pénètre dans la vallée de Schœllenen, où commence la premièrerampe du Saint-Gothard. Cette vallée est une coche de deux mille pieds deprofondeur,entailléedansunpleinblocdegranit.Lesparoisdublocformentdesmursgigantesquessurplombants.Lesmontagnesn'offrentplusque leursflancsetleurscrêtesardentesetrougies.LaReusstonnedanssonlitvertical,matelassédepierres.Undébrisdetourtémoigned'unautretemps,commelanatureaccuseici des siècles immémorés. Soutenu en l'air par des murs le long des massesgraniteuses,lechemin,torrentimmobile,circuleparallèleautorrentmobiledelaReuss.Çaetlà,desvoûtesenmaçonnerieménagentauvoyageurunabricontrel'avalanche;onvireencorequelquespasdansuneespèced'entonnoirtortueux,ettoutàcoup,àl'unedesvolutesdelaconque,onsetrouvefaceàfacedupontduDiable.

Cepontcoupeaujourd'huil'arcadedunouveaupontplusélevé,bâtiderrièreetquiledomine;levieuxpontainsialtéréneressembleplusqu'àuncourtaqueducàdoubleétage.Lepontnouveau,lorsqu'onvientdelaSuisse,masquelacascadeenretraite.Pourjouirdesarcs-en-cieletdesrejaillissementsdelacascade,ilsefautplacersurcepont;maisquandonavulacataracteduNiagara,iln'yaplus

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de chute d'eau.Mamémoire oppose sans cesse mes voyages à mes voyages,montagnesàmontagnes,fleuvesàfleuves,forêtsàforêts,etmaviedétruitmavie.Mêmechosem'arriveàl'égarddessociétésetdeshommes.

Lescheminsmodernes,queleSimplonaenseignésetqueleSimplonefface,n'ontpasl'effetpittoresquedesancienschemins.Cesderniers,plushardisetplusnaturels, n'évitaient aucune difficulté; ils ne s'écartaient guère du cours destorrents; ilsmontaient et descendaient avec le terrain, gravissaient les rochers,plongeaient dans les précipices, passaient sous les avalanches, n'ôtant rien auplaisirdel'imaginationetàlajoiedespérils.L'anciennerouteduSaint-Gothard,parexemple,était toutautrementaventureusequelarouteactuelle.LepontduDiable méritait sa renommée, lorsqu'en l'abordant on apercevait au-dessus lacascadede laReuss, etqu'il traçaitunarcobscur,ouplutôtunétroit sentier àtraverslavapeurbrillantedelachute.Puis,auboutdupont,lecheminmontaitàpic, pour atteindre la chapelle dont on voit encore la ruine. Au moins, leshabitantsd'Urionteulapieuseidéedebâtiruneautrechapelleàlacascade.

Enfincen'étaientpasdeshommescommenousquitraversaientautrefoislesAlpes, c'étaient des hordes deBarbares oudes légions romaines.C'étaient descaravanes de marchands, des chevaliers, des condottieri, des routiers, despèlerins,desprélats,desmoines.Onracontaitdesaventuresétranges:QuiavaitbâtilepontduDiable?QuiavaitprécipitédanslaprairiedeWasenlarocheduDiable?Çàetlàs'élevaientdesdonjons,descroix,desoratoires,desmonastères,desermitages,gardantlamémoired'uneinvasion,d'unerencontre,d'unmiracleoud'unmalheur.Chaquetribumontagnardeconservaitsalangue,sesvêtements,ses mœurs, ses usages. On ne trouvait point, il est vrai, dans un désert, uneexcellenteauberge;onn'ybuvaitpointdevindeChampagne;onn'ylisaitpointlagazette;maiss'ilyavaitplusdevoleursauSaint-Gothard,ilyavaitmoinsdefriponsdanslasociété.Quelacivilisationestunebellechose!cetteperle,jelalaisseaubeaupremierlapidaire.

Suwarowetsessoldatsontétélesderniersvoyageursdanscedéfilé,auboutduquelilsrencontrèrentMasséna.

AprèsavoirdébouchédupontduDiableetdelagaleried'Urnerloch,ongagnela prairie d'Ursern, fermée par des redans comme les sièges de pierres d'unearène.LaReusscoulepaisibleaumilieudelaverdure;lecontrasteestfrappant:c'est ainsi qu'après et avant les révolutions la société paraît tranquille; leshommesetlesempiressommeillentàdeuxpasdel'abîmeoùilsvonttomber.

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Auvillaged'Hospitalcommencelaseconderampe,laquelleatteintlesommetduSaint-Gothard,quiestenvahipardesmassesdegranit.Cesmassesroulées,enflées, brisées, festonnées à leur cime par quelques guirlandes de neige,ressemblent aux vagues fixes et écumeuses d'un océan de pierre sur lequell'hommealaissélesondulationsdesonchemin.

AupieddumontAdule,entremilleroseaux,LeRhin,tranquilleetfierduprogrèsdeseseaux,Appuyéd'unemainsursonurnepenchante,Dormaitaubruitflatteurdesonondenaissante.

Trèsbeauxvers,maisinspirésparlesfleuvesdemarbredeVersailles.LeRhinnesortpointd'unecouchederoseaux:ilselèved'unlitdefrimas,sonurneouplutôtsesurnessontdeglace;sonorigineestcongénèreàcespeuplesduNorddont il devint le fleuve adoptif et la ceinture guerrière. LeRhin, né du Saint-GotharddanslesGrisons,verseseseauxàlamerdelaHollande,delaNorwègeet de l'Angleterre; le Rhône, fils aussi du Saint-Gothard, porte son tribut auNeptunede l'Espagne,de l'Italieetde laGrèce:desneigesstériles forment lesréservoirsdelaféconditédumondeancienetdumondemoderne.

Deux étangs, sur le plateau du Saint-Gothard, donnent naissance, l'un auTessin,l'autreàlaReuss.LasourcedelaReussestmoinsélevéequelasourcedu Tessin, de sorte qu'en creusant un canal de quelques centaines de pas, onjetterait le Tessin dans la Reuss. Si l'on répétait le même ouvrage pour lesprincipauxaffluentsdeces eaux,onproduiraitd'étrangesmétamorphosesdansles contrées au bas des Alpes. Un montagnard se peut donner le plaisir desupprimerunfleuve,defertiliseroudestériliserunpays;voilàdequoirabattrel'orgueildelapuissance.

C'estchosemerveilleusequedevoir laReusset leTessinsedireunéterneladieuetprendreleurscheminsopposéssurlesdeuxversantsduSaint-Gothard;leursberceauxse touchent; leursdestinées sont séparées: ilsvontchercherdesterresdifférentesetdiverssoleils;maisleursmères,toujoursunies,necessentduhautdelasolitudedenourrirleursenfantsdésunis.

Ilyavaitjadis,surleSaint-Gothard,unhospicedesservipardescapucins;onn'en voit plus que les ruines; il ne reste de la religion qu'une croix de boisvermouluavecsonchrist:Dieudemeurequandleshommesseretirent.

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Sur le plateau du Saint-Gothard, désert dans le ciel, finit un monde etcommenceunautremonde:lesnomsgermaniquessontremplacéspardesnomsitaliens.Jequittemacompagne,laReuss,quim'avaitamené,enlaremontant,dulacdeLucerne,pourdescendreau lacdeLuganoavecmonnouveauguide, leTessin.

LeSaint-Gothardest taillé àpicducôtéde l'Italie; lecheminqui seplongedanslaVal-Tremolafaithonneuràl'ingénieurforcédeledessinerdanslagorgelaplusétroite.Vud'enhaut,cecheminressembleàunrubanpliéet replié;vud'en bas, lesmurs qui soutiennent les remblais font l'effet des ouvrages d'uneforteresse,ouimitentcesdiguesqu'onélèvelesunesau-dessusdesautrescontrel'envahissementdeseaux.Quelquefoisaussi,àladoublefiledesbornesplantéesrégulièrementsur lesdeuxcôtésde laroute,ondiraitd'unecolonnedesoldatsdescendantlesAlpespourenvahirencoreunefoislamalheureuseItalie.

Samedi,18août1832.(Lugano.)

J'ai passé de nuitAirolo,Bellinzona et laVal-Levantine: je n'ai point vu laterre, j'ai seulement entendu les torrents. Dans le ciel, les étoiles se levaientparmilescoupolesetlesaiguillesdesmontagnes.Lalunen'étaitpointd'abordàl'horizon, mais son aube s'épanouit par degrés devant elle, de même que cesgloires dont les peintres du XIVe siècle entouraient la tête de la VIERGE: elleparut enfin, creusée et réduite auquart de sondisque, sur la cimedenteléeduFurca; les pointes de son croissant ressemblaient à des ailes; on eût dit d'unecolombeblancheéchappéedesonnidderocher:àsalumièreaffaiblieetrendueplusmystérieuse, l'astre échancréme révéla le lacMajeur au bout de la Val-Levantine.Deuxfoisj'avaisrencontrécelac,unefoisenmerendantaucongrèsdeVérone,uneautrefoisenmerendantenambassadeàRome.Jelecontemplaisalorsausoleil,danslechemindesprospérités;jel'entrevoyaisàprésentlanuit,du bord opposé, sur la route de l'infortune. Entre mes voyages, séparésseulement dequelques années, il y avait demoinsunemonarchie dequatorzesiècles.

Cen'estpasquej'enveuillelemoinsdumondeàcesrévolutionspolitiques;enmerendantàlaliberté,ellesm'ontrenduàmaproprenature.J'aiencoreassezdesèvepourreproduirelaprimeurdemessonges,assezdeflammepourrenouermesliaisonsaveclacréatureimaginairedemesdésirs.Letempsetlemondequej'aitraversésn'ontétépourmoiqu'unedoublesolitudeoùjemesuisconservétel

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que le ciel m'avait formé. Pourquoi me plaindrais-je de la rapidité des jours,puisquejevivaisdansuneheureautantqueceuxquipassentdesannéesàvivre?

Lugano est une petite ville d'un aspect italien: portiques comme àBologne,peuple faisant son ménage dans la rue comme à Naples, architecture de laRenaissance,toitsdépassantlesmurssanscorniches,fenêtresétroitesetlongues,nues ou ornées d'un chapiteau et percées jusque dans l'architrave. La villes'adosse à un coteau de vignes que dominent deux plans superposés demontagnes,l'undepâturages,l'autredeforêts:lelacestàsespieds.

Il existe, sur le plus haut sommet d'une montagne, à l'est de Lugano, unhameau dont les femmes, grandes et blanches, ont la réputation desCircassiennes.Laveilledemonarrivéeétaitlafêtedecehameau;onétaitalléenpèlerinageàlabeauté:cettetribuseraquelquesdébrisd'uneracedesbarbaresduNordconservéesansmélangeau-dessusdespopulationsdelaplaine.

Jemesuisfaitconduireauxdiversesmaisonsqu'onm'avaitindiquéescommeme pouvant convenir: j'en ai trouvé une charmante,mais d'un loyer beaucouptropcher.

Pourmieuxvoirlelac,jemesuisembarqué.Undemesdeuxbateliersparlaitunjargonfranco-italienentrelardéd'anglais.Ilmenommaitlesmontagnesetlesvillages sur les montagnes: San-Salvador, au sommet duquel on découvre ledômedelacathédraledeMilan;Castagnola,avecsesoliviersdontlesétrangersmettent de petits rameaux à leur boutonnière; Gandria, limite du canton duTessin sur le lac; Saint-Georges, enfaîté de son ermitage: chacun de ces lieuxavaitsonhistoire.

L'Autriche,quiprendtoutetnedonnerien,conserveaupieddumontCaprinounvillageenclavédansleterritoireduTessin.Enface,del'autrecôté,aupiedduSan-Salvador, ellepossède encoreune espècedepromontoire sur lequel il y aunechapelle;maiselleaprêtégracieusementauxLuganoiscepromontoirepourexécuter les criminels et pour y élever des fourches patibulaires. Elleargumenteraquelque jourdecettehaute justice, exercée par sa permission sursonterritoire,commed'unepreuvedesasuzerainetésurLugano.Onnefaitplussubiraujourd'huiauxcondamnéslesupplicede lacorde,onleurcoupela tête:Paris a fourni l'instrument, Vienne le théâtre du supplice: présents dignes dedeuxgrandesmonarchies.

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Ces imagesme poursuivaient, lorsque sur la vague d'azur, au souffle de labriseparfumédel'ambredespins,vinrentàpasser lesbarquesd'uneconfrérie,qui jetait des bouquets dans le lac, au son des hautbois et des cors. Deshirondelles se jouaient autour de ma voile. Parmi ces voyageuses, nereconnaîtrai-jepascellesque jerencontraiunsoirenerrantsur l'anciennevoiedeTiburetdelamaisond'Horace?LaLydiedupoèten'étaitpointalorsavecceshirondellesdelacampagnedeTibur;maisjesavaisqu'encemomentmêmeuneautre jeune femme enlevait furtivement une rose déposée dans le jardinabandonnéd'unevilladusiècledeRaphaël,etnecherchaitquecettefleursurlesruinesdeRome.

LesmontagnesquientourentlelacdeLugano,neréunissantguèreleursbasesqu'au niveaudu lac, ressemblent à des îles séparées par d'étroits canaux; ellesm'ont rappelé la grâce, la forme et la verdure de l'archipel des Açores. Jeconsommeraisdonc l'exildemesderniers jours sousces riantsportiquesoù laprincessedeBelgiojosoalaissétomberquelquesjoursdel'exildesajeunesse?J'achèveraisdoncmesMémoiresà l'entréedecette terreclassiqueethistoriqueoùVirgileetLeTasseontchanté,oùtantderévolutionssesontaccomplies?Jeremémoreraismadestinéebretonneàlavuedecesmontagnesausoniennes?Sileurrideauvenaitàselever,ilmedécouvriraitlesplainesdelaLombardie;pardelà,Rome; par delà,Naples, laSicile, laGrèce, laSyrie, l'Égypte,Carthage:bordslointainsquej'aimesurés,moiquinepossèdepasl'espacedeterrequejepressesouslaplantedemespieds!maispourtantmouririci?finirici?—n'est-cepascequejeveux,cequejecherche?Jen'ensaisrien.

Lucerne,20,21et22août1832.

J'ai quittéLugano sans y coucher; j'ai repassé le Saint-Gothard, j'ai revu cequej'avaisvu:jen'airientrouvéàrectifieràmonesquisse.ÀAltorf,toutétaitchangé depuis vingt-quatre heures: plus d'orage, plus d'apparition dans machambre solitaire. Je suis venu passer la nuit à l'auberge de Fluelen, ayantparcourudeux fois la routedont les extrémités aboutissent à deux lacs et sonttenues par deux peuples liés d'unmêmenœud politique, séparés sous tous lesautres rapports. J'ai traversé le lac de Lucerne, il avait perdu àmes yeux unepartiedesonmérite:ilestaulacdeLuganocequesontlesruinesdeRomeauxruinesd'Athènes,leschampsdelaSicileauxjardinsd'Armide.

Ausurplus,j'aibeaumebattrelesflancspourarriveràl'exaltationalpinedes

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écrivainsdemontagne,j'yperdsmapeine.

Auphysique,cetairviergeetbalsamiquequidoitranimermesforces,raréfiermonsang,désenfumermatêtefatiguée,medonnerunefaiminsatiable,unrepossans rêves,neproduitpointpourmoiceseffets. Jene respirepasmieux,monsangnecirculepasplusvite,ma têten'estpasmoins lourdeaucieldesAlpesqu'à Paris. J'ai autant d'appétit auxChamps-Élysées qu'auMontanvers, je dorsaussibien rueSaint-Dominiquequ'aumontSaint-Gothard,et si j'aidessongesdansladélicieuseplainedeMontrouge,c'estqu'ilenfautausommeil.

Aumoral,envainj'escaladelesrocs,monespritn'endevientpasplusélevé,mon âme plus pure; j'emporte les soucis de la terre et le faix des turpitudeshumaines.Lecalmedelarégionsublunaired'unemarmottenesecommuniquepoint à mes sens éveillés.Misérable que je suis, à travers les brouillards quiroulentàmespieds,j'aperçoistoujourslafigureépanouiedumonde.Milletoisesgraviesdansl'espacenechangentrienàmavueduciel;Dieuneparaîtpasplusgranddusommetde lamontagnequedufondde lavallée.Sipourdevenirunhommerobuste,unsaint,ungéniesupérieur,ilnes'agissaitquedeplanersurlesnuages,pourquoitantdemalades,demécréantsetd'imbécilesnesedonnent-ilspas lapeinedegrimperauSimplon? Il fautcertesqu'ils soientbienobstinésàleursinfirmités.

Lepaysagen'estcrééqueparlesoleil;c'estlalumièrequifaitlepaysage.Unegrève de Carthage, une bruyère de la rive de Sorrente, une lisière de cannesdesséchéesdanslaCampagneromaine,sontplusmagnifiques,éclairéesdesfeuxducouchantoudel'aurore,quetouteslesAlpesdececôté-cidesGaules.Decestrous surnommés vallées, où l'on ne voit goutte en plein midi; de ces hautsparaventsàl'ancreappelésmontagnes;decestorrentsalisquibeuglentaveclesvachesdeleursbords;decesfacesviolâtres,decescousgoîtreux,decesventreshydropiques:foin!

Si les montagnes de nos climats peuvent justifier les éloges de leursadmirateurs, ce n'est que quand elles sont enveloppées dans la nuit dont ellesépaississent le chaos: leurs angles, leurs ressauts, leurs grandes lignes, leursimmensesombresportées,augmententd'effetàlaclartédelalune.Lesastreslesdécoupentetlesgraventdanslecielenpyramides,encônes,enobélisques,enarchitectured'albâtre, tantôt jetant sur ellesunvoiledegazeet lesharmoniantpar des nuances indéterminées, légèrement lavées de bleu; tantôt les sculptantuneàuneet lesséparantpardes traitsd'unegrandecorrection.Chaquevallée,

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chaqueréduitavecseslacs,sesrochers,sesforêts,devientuntempledesilenceet de solitude. En hiver, les montagnes nous présentent l'image des zonespolaires; en automne, sous un ciel pluvieux, dans leurs différentes nuances deténèbres,ellesressemblentàdeslithographiesgrises,noires,bistrées:latempêteaussileurvabien,demêmequelesvapeurs,demi-brouillards,demi-nuages,quiroulentàleurspiedsousesuspendentàleursflancs.

Mais les montagnes ne sont-elles pas favorables aux méditations, àl'indépendance,à lapoésie?Debellesetprofondessolitudesmêléesdemernereçoivent-elles rien de l'âme, n'ajoutent-elles rien à ses voluptés?Une sublimenaturenerend-ellepasplussusceptibledepassion,etlapassionnefait-ellepasmieuxcomprendreunenaturesublime?Unamourintimenes'augmente-t-ilpasde l'amour vague de toutes les beautés des sens et de l'intelligence quil'environnent, comme des principes semblables s'attirent et se confondent? Lesentimentdel'infini,entrantparunimmensespectacledansunsentimentborné,ne l'accroît-ilpas,ne l'étend-ilpas jusqu'auxlimitesoùcommenceuneéternitédevie?

Je reconnais tout cela; mais entendons-nous bien: ce ne sont pas lesmontagnes qui existent telles qu'on les croit voir alors; ce sont lesmontagnescommelespassions,letalentetlamuseenonttracéleslignes,coloriélesciels,les neiges, les pitons, les déclivités, les cascades irisées, l'atmosphère flou, lesombrestendresetlégères:lepaysageestsurlapalettedeClaudeleLorrain,nonsur le Campo-Vaccino. Faites-moi aimer, et vous verrez qu'un pommier isolé,battuduvent,jetédetraversaumilieudesfromentsdelaBeauce;unefleurdesagettedansunmarais;unpetit coursd'eaudansunchemin;unemousse,unefougère, une capillaire sur le flanc d'une roche; un ciel humide, enfumé; unemésangedanslejardind'unpresbytère;unehirondellevolantbas,parunjourdepluie, sous le chaume d'une grange ou le long d'un cloître; une chauve-sourismêmeremplaçantl'hirondelleautourd'unclocherchampêtre,tremblotantsursesailesdegazedanslesdernières lueursducrépuscule; toutescespetiteschoses,rattachéesàquelquessouvenirs,s'enchanterontdesmystèresdemonbonheuroudelatristessedemesregrets.Endéfinitive,c'estlajeunessedelavie,cesontlespersonnesquifontlesbeauxsites.LesglacesdelabaiedeBaffinpeuventêtreriantes avec une société selon le cœur, les bords de l'Ohio et du Gangelamentablesenl'absencedetouteaffection.Unpoèteadit:

Lapatrieestauxlieuxoùl'âmeestenchaînée.

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Ilenestdemêmedelabeauté.

Envoilàtropàproposdemontagnes;jelesaimecommegrandessolitudes;jelesaimecommecadrebordureetlointaind'unbeautableau;jelesaimecommerempart et asile de la liberté; je les aime comme ajoutant quelque chose del'infini aux passions de l'âme: équitablement et raisonnablement, voilà tout lebien qu'on peut en dire. Si je ne dois pasme fixer aux revers desAlpes,macourseauSaint-Gothardresteraunfaitsansliaison,unevued'optiqueisoléeaumilieu des tableaux demesMémoires: j'éteindrai la lampe, etLugano rentreradanslanuit.

À peine arrivé à Lucerne, j'ai vite couru de nouveau à la cathédrale, à laHofkirche,bâtiesurl'emplacementd'unechapelledédiéeàsaintNicolas,patrondesmariniers:cettechapelleprimitiveservaitaussidephare;car,pendantlanuit,on la voyait éclairée d'une manière surnaturelle. Ce furent des missionnairesirlandaisquiprêchèrent l'Évangiledans lacontréepresquedésertedeLucerne;ilsyapportèrentlalibertédontn'apasjouileurmalheureusepatrie.Lorsquejesuis revenu à la cathédrale, un homme creusait une fosse; dans l'église, onachevaitunserviceautourd'uncercueil, etune jeune femmefaisaitbéniràunautelunbonnetd'enfant;ellel'amis,avecuneexpressionvisibledejoie,dansunpanier qu'elle portait à son bras, et s'en est allée chargée de son trésor. Lelendemain,j'aitrouvélafosseducimetièrerefermée,unvased'eaubéniteposésur la terre fraîche, et du fenouil semé pour les petits oiseaux: ils étaient déjàseuls,auprèsdecemortd'unenuit.J'aifaitquelquescoursesautourdeLucerneparmidemagnifiquesboisdepins.Lesabeilles,dontlesruchessontplacéesau-dessus des portes des fermes, à l'abri des toits prolongés, habitent avec lespaysans. J'ai vu la fameuse Clara Wendel[413] aller à la messe derrière sescompagnes de captivité, dans son uniforme de prisonnière. Elle est fortcommune;jeluiaitrouvél'airdetoutescesbrutesdeFranceprésentesàtantdemeurtres,sanspourcelaêtreplusdistinguéesqu'unebêteféroce,malgrécequeveut leur prêter la théorie du crime et de l'admiration des égorgements. Unsimplechasseur,arméd'unecarabine,conduiticilesgalériensauxtravauxdelajournéeetlesramèneàleurprison.

J'ai poussé ce soirma promenade le long de laReuss, jusqu'à une chapellebâtiesurlechemin:onymonteparunpetitportiqueitalien.Deceportique,jevoyais un prêtre priant seul à genoux dans l'intérieur de l'oratoire, tandis quej'apercevais auhaut desmontagnes les dernières lueursdu soleil couchant.EnrevenantàLucerne,j'aientendudanslescabanesdesfemmesréciterlechapelet;

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la voix des enfants répondait à l'adoration maternelle. Je me suis arrêté, j'aiécoutéau traversdesentrelacsdevignescesparolesadresséesàDieudu fondd'unechaumière.Labelle,jeuneetélégantejeunefillequimesertàl'Aigled'orditaussi trèsrégulièrementsonAngelusenfermant les rideauxdescroiséesdemachambre.Je luidonneenrentrantquelquesfleursquej'aicueillies;ellemedit,enrougissantetsefrappantdoucementleseinavecsamain:«Perme?»Jeluiréponds:«Pourvous.»Notreconversationfinitlà.

Lucerne,26août1832.

MadamedeChateaubriandn'estpointencorearrivée,jevaisfaireunecourseàConstance. VoiciM. A. Dumas[414]; je l'avais déjà aperçu chez David, tandisqu'ilsefaisaitmoulerchezlegrandsculpteur.MadamedeColbert,avecsafillemadamedeBrancas,traverseaussiLucerne[415].C'estchezmadamedeColbert,en Beauce, que j'écrivis, il y a près de vingt ans, dans ces Mémoires[416],l'histoire de ma jeunesse à Combourg. Les lieux semblent voyager avec moi,aussimobiles,aussifugitifsquemavie.

Lecourrierdelamallem'apporteunetrèsbellelettredeM.deBéranger,enréponseàcellequejeluiavaisécriteenpartantdeParis:cettelettreadéjàétéimpriméeennote,avecunelettredeM.Carrel,dansleCongrèsdeVérone[417].

Genève,septembre1832

EnallantdeLucerneàConstance,onpasseparZurichetWinterthur.Riennem'a plu à Zurich, hors le souvenir de Lavater et de Gessner, les arbres d'uneesplanadequidomineleslacs,lecoursdelaLimath,unvieuxcorbeauetunvieilorme; j'aimemieux cela que tout le passé historique de Zurich, n'en déplaisemême à la bataille de Zurich. Napoléon et ses capitaines, de victoires envictoires,ontamenélesRussesàParis.

Winterthur est une bourgade neuve et industrielle, ou plutôt une longue ruepropre. Constance a l'air de n'appartenir à personne; elle est ouverte à tout lemonde.J'ysuisentréle27août,sansavoirvuundouanierouunsoldat,etsansqu'onm'aitdemandémonpasseport.

MadameRécamierétaitarrivéedepuistroisjours[418],pour faireunevisiteàlareinedeHollande.J'attendaismadamedeChateaubriand,venantmerejoindre

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àLucerne. Jemeproposais d'examiner s'il ne serait pas préférable de se fixerd'abordenSouabe,saufàdescendreensuiteenItalie.

DanslavilledélabréedeConstance,notreaubergeétaitfortgaie;onyfaisaitlesapprêtsd'unenoce.Lelendemaindemonarrivée,madameRécamiervoulutsemettreàl'abridelajoiedenoshôtes:nousnousembarquâmessurlelac,et,traversantlanapped'eaud'oùsortleRhinpourdevenirfleuve,nousabordâmesàlagrèved'unparc.

Ayantmispiedàterre,nousfranchîmesunehaiedesaules,del'autrecôtédelaquellenoustrouvâmesunealléesabléecirculantparmidesbosquetsd'arbustes,desgroupesd'arbres etdes tapisdegazon.Unpavillon s'élevait aumilieudesjardins, et une élégante villa s'appuyait contre une futaie. Je remarquai dansl'herbe des veilleuses toujours mélancoliques pour moi à cause desréminiscencesdemesdiversetnombreuxautomnes.Nousnouspromenâmesauhasard,etpuisnousnousassîmessurunbancauborddel'eau.Dupavillondesbocages s'élevèrent des harmonies de harpe et de cor qui se turent lorsque,charmésetsurpris,nouscommencionsàlesécouter:c'étaitunescèned'uncontede fée. Les harmonies ne renaissant pas, je lus à madame Récamier madescription du Saint-Gothard; elle me pria d'écrire quelque chose sur sestablettes, déjà à demi remplies des détails de la mort de J.-J. Rousseau. Au-dessous de ces dernières paroles de l'auteur d'Héloïse: «Ma femme, ouvrez lafenêtre, que je voie encore le soleil,» je traçai cesmots au crayon:Ce que jevoulaissurlelacdeLucerne,jel'aitrouvésurlelacdeConstance,lecharmeetl'intelligence de la beauté. Je ne veux pointmourir commeRousseau; je veuxencorevoirlongtempslesoleil,sic'estprèsdevousquejedoisachevermavie.Que mes jours expirent à vos pieds, comme ces vagues dont vous aimez lemurmure.—28août1832.

L'azur du lac veillait derrière les feuillages; à l'horizon du midi,s'amoncelaientlessommetsdel'AlpedesGrisons;unebrisepassantetseretirantà travers les saules s'accordait avec l'aller et le venir de la vague: nous nevoyionspersonne;nousnesavionsoùnousétions.

EnrentrantàConstance,nousavonsaperçumadameladuchessedeSaint-Leuet son filsLouis-Napoléon: ils venaient au-devant demadameRécamier.Sousl'Empire je n'avais point connu la reine de Hollande; je savais qu'elle s'étaitmontréegénéreuselorsdemadémissionàlamortduducd'Enghienetquandje

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voulussauvermoncousinArmand;souslaRestauration,ambassadeuràRome,je n'avais eu avec madame la duchesse de Saint-Leu que des rapports depolitesse; ne pouvant aller moi-même chez elle, j'avais laissé libres lessecrétairesetlesattachésdeluifaireleurcour,etj'avaisinvitélecardinalFeschà un dîner diplomatique de cardinaux. Depuis la dernière chute de laRestauration, le hasard m'avait fait échanger quelques lettres avec la reineHortense et le princeLouis.Ces lettres sont un assez singuliermonument desgrandeursévanouies;lesvoici:

MADAMEDESAINT-LEU,APRÈSAVOIRLULADERNIÈRELETTREDEM.DECHATEAUBRIAND.

Arenenberg,ce15octobre1831.

«M.deChateaubriandatropdegéniepourn'avoirpascompristoutel'étenduede celui de l'empereurNapoléon.Mais à son imagination si brillante il fallaitplusque l'admiration:des souvenirsde jeunesse,une illustre fortune,attirèrentsoncœur:ilydévouasapersonneetsontalent,et,commelepoëtequiprêteàtout le sentiment qui l'anime, il revêtit ce qu'il aimait des traits qui devaientenflammersonenthousiasme.L'ingratitudeneledécourageapas,carlemalheurétait toujours là qui en appelait à lui; cependant son esprit, sa raison, sessentiments vraiment français en font malgré lui l'antagoniste de son parti. Iln'aimedesanciens tempsque l'honneurqui rend fidèle; et la religionqui rendsage,lagloiredesapatriequienfait laforce,lalibertédesconsciencesetdesopinions qui donne un noble essor aux facultés de l'homme, l'aristocratie duméritequiouvreunecarrièreà toutes les intelligences,voilàsondomaineplusqu'à toutautre.Ilestdonclibéral,napoléonisteetmêmerépublicainplutôtqueroyaliste. Aussi la nouvelle France, ses nouvelles illustrations sauraientl'apprécier, tandis qu'il ne sera jamais compris de ceuxqu'il a placésdans soncœursiprèsdeladivinité;ets'iln'aplusqu'àchanterlemalheur,fût-il leplusintéressant, leshautes infortunessontdevenuessicommunesdansnotresiècle,que sa brillante imagination, sans but et sans mobile réel, s'éteindra fauted'alimentsassezélevéspourinspirersonbeautalent.

«HORTENSE.»

APRÈSAVOIRLUUNENOTESIGNÉEHORTENSE.

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«M.deChateaubriandestextrêmementflattéetonnepeutplusreconnaissantdes sentiments de bienveillance exprimés avec tant de grâce dans la premièrepartiedelanote:danslasecondesetrouvecachéeuneséductiondefemmeetdereinequipourraitentraînerunamour-propremoinsdétrompéqueceluideM.deChateaubriand.

«Ilyacertainementaujourd'huidequoichoisiruneoccasiond'infidélitéentredesihautesetdesinombreusesinfortunes;mais,àl'âgeoùM.deChateaubriandest parvenu, des revers qui ne comptent que peu d'années dédaigneraient seshommages: force lui est de rester attaché à sonvieuxmalheur, tout tenté qu'ilpourraitêtrepardeplusjeunesadversités.

«CHATEAUBRIAND.»

«Paris,ce6novembre1831.

Arenenberg,le4mai1832.

«Monsieurlevicomte,

«Je viens de lire votre dernière brochure. Que les Bourbons sont heureuxd'avoirpoursoutienungénie telque levôtre!Vousrelevezunecauseavec lesmêmesarmesquiontservià l'abattre;vous trouvezdesparolesquifontvibrertouslescœursfrançais.Toutcequiestnationaltrouvedel'échodansvotreâme;ainsi, quand vous parlez du grand hommequi illustra la France pendant vingtans,lahauteurdusujetvousinspire,votregéniel'embrassetoutentier,etvotreâme alors, s'épanchant naturellement, entoure la plus grande gloire des plusgrandespensées.

«Moi aussi, monsieur le vicomte, je m'enthousiasme pour tout ce qui faitl'honneurdemonpays;c'estpourquoi,melaissantalleràmonimpulsion, j'osevous témoigner la sympathie que j'éprouve pour celui qui montre tant depatriotisme et tant d'amour de la liberté.Mais, permettez-moi de vous le dire,vous êtes le seul défenseur redoutable de la vieille royauté; vous la rendrieznationale, si l'onpouvaitcroirequ'ellepensâtcommevous;ainsi,pour la fairevaloir,ilnesuffitpasdevousdéclarerdesonparti,maisbiendeprouverqu'elleestduvôtre.

«Cependant, monsieur le vicomte, si nous différons d'opinions, au moins

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sommes-nousd'accorddanslessouhaitsquenousformonspourlebonheurdelaFrance.

«Agréez,jevousprie,etc.,etc.

«LOUIS-NAPOLÉONBONAPARTE.»

«Paris,19mai1832.

«Monsieurlecomte,

«Onesttoujoursmalàl'aisepourrépondreàdeséloges;quandceluiquilesdonne avec autant d'esprit que de convenance est de plus dans une conditionsocialeà laquellese rattachentdessouvenirshorsdepair, l'embarras redouble.Dumoins,monsieur,nousnousrencontronsdansunesympathiecommune;vousvoulez avecvotre jeunesse, commemoi avecmesvieux jours, l'honneur de laFrance. Ilnemanquaitplusà l'unetà l'autre,pourmourirdeconfusionouderire,quedevoirlejuste-milieubloquédansAncôneparlessoldatsdupape.Ah!monsieur,oùestvotreoncle?Àd'autresquevousjedirais:Oùestletuteurdesroisetlemaîtredel'Europe?Endéfendantlacausedelalégitimité,jenemefaisaucuneillusion;maisjepensequetouthommequitientàl'estimepubliquedoitresterfidèleàsesserments:lordFalkland,amidelalibertéetennemidelacour,se fit tuer à Newbury dans l'armée de Charles Ier. Vous vivrez, monsieur lecomte,pourvoirvotrepatrielibreetheureuse;voustraversezdesruinesparmilesquellesjeresterai,puisquejefaismoi-mêmepartiedecesruines.

«Jem'étaisflattéunmomentdel'espoirdemettrecetétél'hommagedemonrespectauxpiedsdemadameladuchessedeSaint-Leu:lafortune,accoutuméeàdéjouermesprojets,m'aencore trompécette fois.J'auraisétéheureuxdevousremercierdevivevoixdevotreobligeantelettre;nousaurionsparléd'unegrandegloire et de l'avenir de la France, deux choses, monsieur le comte, qui voustouchentdeprès.

«CHATEAUBRIAND.»

LesBourbonsm'ont-ils jamaisécritdes lettrespareillesàcellesquejeviensdeproduire?Sesont-ils jamaisdoutésquejem'élevaisau-dessusdetelfaiseurdeversoudetelpolitiquedefeuilleton?

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Lorsque, petit garçon, j'errais, compagnon des pâtres, sur les bruyères deCombourg,aurais-jepucroirequ'un tempsviendraitoù jemarcheraisentre lesdeuxplushautespuissancesdelaterre,puissancesabattues,donnantlebrasd'uncôté à la famille de Saint-Louis, de l'autre à celle de Napoléon; grandeursennemies qui s'appuient également, dans l'infortune qui les rapproche, surl'hommefaibleetfidèle,surl'hommedédaignédelalégitimité?

Madame Récamier alla s'établir à Wolfsberg, château habité par M.Parquin[419],dans levoisinaged'Arenenberg,séjourdemadameladuchessedeSaint-Leu;jerestaideuxjoursàConstance.Jevistoutcequ'onpouvaitvoir:lahalle où est le grenier public que l'on baptise salle du Concile, la prétenduestatuedeHuss,laplaceoùJérômedePragueetJeanHussfurent,dit-on,brûlés;enfin,touteslesabominationsordinairesdel'histoireetdelasociété.

LeRhin, en sortant du lac, s'annoncebien commeun roi; pourtant il n'a pudéfendreConstance,quia,sijenemetrompe,étésaccagéeparAttila,assiégéeparlesHongrois,lesSuédois,etprisedeuxfoisparlesFrançais.

ConstanceestleSaint-Germaindel'Allemagne;lesvieillesgensdelavieillesociété s'y sont retirés. Quand je frappais à une porte, m'enquérant d'unappartement pour madame de Chateaubriand, je rencontrais quelquechanoinesse,fillemajeure;quelqueprincederaceantique,électeuràdemi-solde;cequiallaitfortbienaveclesclochersabandonnésetlescouventsdésertsdelaville.L'arméedeCondéacombattuglorieusementsouslesmursdeConstanceetsemble avoir déposé son ambulance dans cette ville. J'eus le malheur deretrouverunvétéranémigré;ilmefaisaitl'honneurdem'avoirconnuautrefois;ilavaitplusdejoursquedecheveux;sesparolesnefinissaientpoint;ilnepouvaitsereteniretlaissaitallersesannées.

Le29d'aoûtj'allaidîneràArenenberg.

Arenenberg est situé sur une espèce de promontoire dans une chaîne decollines escarpées. La reine deHollande, que l'épée avait faite et que l'épée adéfaite,abâti lechâteau,ou, si l'onveut, lepavillond'Arenenberg.Ony jouitd'unevueétendue,mais triste.Cettevuedomine le lac inférieurdeConstance,quin'estqu'uneexpansionduRhinsurdesprairiesnoyées.Del'autrecôtédulac,onaperçoitdesboissombres, restesde laforêtNoire,quelquesoiseauxblancsvoltigeant sous un ciel gris et poussés par un vent glacé. Là, après avoir été

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assisesuruntrône,aprèsavoirétéoutrageusementcalomniée,lareineHortenseest venue se percher sur un rocher; en bas est l'île du lac où l'on a, dit-on,retrouvé la tombe de Charles le Gros, et oùmeurent à présent des serins quidemandentenvainlesoleildesCanaries.MadameladuchessedeSaint-LeuétaitmieuxàRome:ellen'estpascependantdescendueparrapportàsanaissanceetàsapremièrevie:aucontraire,elleamonté;sonabaissementn'estquerelatifàunaccidentdesafortune;cenesontpaslàdeceschutescommecelledemadamelaDauphine,tombéedetoutelahauteurdessiècles.

Les compagnons et les compagnes de madame la duchesse de Saint-Leuétaient son fils, madame Salvage[420], madame ***. En étrangers, il y avaitmadameRécamier,M.Vieillard[421]etmoi.MadameladuchessedeSaint-LeusetiraitfortbiendesadifficilepositiondereineetdedemoiselledeBeauharnais.

Aprèsledîner,madamedeSaint-Leus'estmiseàsonpianoavecM.Cottrau,grand jeune peintre à moustaches, à chapeau de paille, à blouse, au col dechemise rabattu, au costumebizarre. Il chassait, il peignait, il chantait, il riait,spiritueletbruyant[422].

Le prince Louis habite un pavillon à part, où j'ai vu des armes, des cartestopographiques et stratégiques; industries qui faisaient, comme par hasard,penser au sang du conquérant sans le nommer: le prince Louis est un jeunehommestudieux,instruit,pleind'honneuretnaturellementgrave.

Madame la duchesse de Saint-Leu m'a lu quelques fragments de sesmémoires:ellem'amontréuncabinetremplidedépouillesdeNapoléon.Jemesuisdemandépourquoicevestiairemelaissaitfroid;pourquoicepetitchapeau,cette ceinture, cet uniforme porté à telle bataille me trouvaient si indifférent:j'étaisbienplus troublé en racontant lamortdeNapoléonàSainte-Hélène!Laraison en est que Napoléon est notre contemporain; nous l'avons tous vu etconnu:ilvitdansnotresouvenir;maislehérosestencoretropprèsdesagloire.Dansmille ans, ce sera autre chose: il n'y aque les sièclesqui aient donné leparfumdel'ambreàlasueurd'Alexandre;attendons:d'unconquérantilnefautmontrerquel'épée.

RetournéàWolfsbergavecmadameRécamier,jepartislanuit:letempsétaitobscuretpluvieux;leventsoufflaitdanslesarbres,etlahulottelamentait:vraiescènedeGermanie.

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Madame de Chateaubriand arriva bientôt à Lucerne: l'humidité de la villel'effraya,etLuganoétanttropcher,nousnousdécidâmesàveniràGenève.Nousprîmes notre route par Sempach: le lac garde la mémoire d'une bataille quiassural'affranchissementdesSuisses,àuneépoqueoùlesnationsdececôté-cides Alpes avaient perdu leurs libertés. Au delà de Sempach, nous passâmesdevant l'abbaye de Saint-Urbain, tombant comme tous les monuments duchristianisme. Elle est située dans un lieu triste, à l'orée d'une bruyère quiconduit à des bois: si j'eusse été libre et seul, j'aurais demandé aux moinesquelque trou dans leursmurailles, pour y achevermesMémoires auprès d'unechouette; puis je serais allé finirmes jours sans rien faire sous le beau soleilfainéant de Naples ou de Palerme: mais les beaux pays et le printemps sontdevenusdesinjures,desdésastresetdesregrets.

EnarrivantàBerne,onnousappritqu'ilyavaitunegranderévolutiondanslaville:j'avaisbeauregarder,lesruesétaientdésertes,lesilencerégnait,laterriblerévolutions'accomplissaitsansparler,àlapaisiblefuméed'unepipeaufonddequelqueestaminet.

MadameRécamiernetardapasànousrejoindreàGenève.

Genève,findeseptembre1832.

J'aicommencéàmeremettresérieusementautravail:j'écrislematinetjemepromènelesoir.JesuisalléhiervisiterCoppet.Lechâteauétaitfermé:onm'enaouvert les portes; j'ai erré dans les appartements déserts. Ma compagne depèlerinage a reconnu tous les lieux où elle croyait voir encore son amie, ouassiseàsonpiano,ouentrant,ousortant,oucausantsurlaterrassequibordelagalerie; madame Récamier a revu la chambre qu'elle avait habitée; des joursécoulésontremontédevantelle:c'étaitcommeunerépétitiondelascènequej'aipeintedansRené:«Jeparcouruslesappartementssonoresoùl'onn'entendaitquelebruitdemespas.....Partoutlessallesétaientdétendues,etl'araignéefilaitsatoiledanslescouchesabandonnées.....Qu'ilssontdoux,maisqu'ilssontrapideslesmomentsquelesfrèresetlessœurspassentdansleursjeunesannées,réunissousl'ailedeleursvieuxparents!Lafamilledel'hommen'estqued'unjour;lesouffledeDieuladispersecommeunefumée.Àpeinelefilsconnaît-illepère,lepèrelefils,lefrèrelasœur,lasœurlefrère!Lechênevoitgermersesglandsautourdelui,iln'enestpasainsidesenfantsdeshommes!»

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Jemerappelaisaussicequej'aidit,danscesMémoires,demadernièrevisiteàCombourg,enpartantpourl'Amérique.Deuxmondesdivers,maisliésparunesecrète sympathie, nous occupaient, madame Récamier et moi. Hélas! cesmondesisolés,chacundenouslesporteensoi;caroùsontlespersonnesquiontvécu assez longtemps les unes près des autres pour n'avoir pas des souvenirsséparés? Du château, nous sommes entrés dans le parc; le premier automnecommençaitàrougiretàdétacherquelquesfeuilles;levents'abattaitpardegrésetlaissaitouïrunruisseauquifaittournerunmoulin.Aprèsavoirsuivilesalléesqu'ellesavaitcoutumedeparcouriravecmadamedeStaël,madameRécamieravoulusaluersescendres.Àquelquedistanceduparcestuntaillismêléd'arbresplusgrands,etenvironnéd'unmurhumideetdégradé.Cetaillisressembleàcesbouquetsdeboisaumilieudesplainesqueleschasseursappellentdesremises:c'estlàquelamortapoussésaproieetrenfermésesvictimes.

Unsépulcreavaitétébâtid'avancedansceboispoury recevoirM.Necker,madameNeckeretmadamedeStaël:quandcelle-ciestarrivéeaurendez-vous,onamurélaportedelacrypte.L'enfantd'AugustedeStaëlestrestéendehors,etAuguste lui-même,mort avant son enfant, a été placé sous une pierre, auxpiedsdesesparents.Sur lapierre,sontgravéescesparoles tiréesde l'Écriture:Pourquoicherchez-vousparmilesmortsceluiquiestvivantdansleciel? Jenesuispointentrédanslebois;madameRécamieraseuleobtenulapermissiond'ypénétrer.Restéassissurunbancdevantlemurd'enceinte,jetournaisledosàlaFranceetj'avaislesyeuxattachés,tantôtsurlacimeduMont-Blanc,tantôtsurlelacdeGenève: lesnuagesd'orcouvraient l'horizonderrière la lignesombreduJura; on eût dit d'une gloire qui s'élevait au-dessus d'un long cercueil.J'apercevais, de l'autre côté du lac, lamaison de lordByron[423], dont le faîteétait touché d'un rayon du couchant; Rousseau n'était plus là pour admirer cespectacle,etVoltaire,aussidisparu,nes'enétaitjamaissoucié.C'étaitaupieddutombeaudemadamedeStaëlquetantd'illustresabsentssurlemêmerivageseprésentaientàmamémoire:ilssemblaientvenirchercherl'ombreleurégalepours'envoleraucielavecelleetluifairecortégependantlanuit.Danscemoment,madameRécamier, pâle et en larmes, est sortie du bocage funèbre elle-mêmecommeuneombre.Sij'aijamaissentiàlafoislavanitéetlavéritédelagloireetdelavie,c'estàl'entréeduboissilencieux,obscur,inconnu,oùdortcellequieuttantd'éclatetderenom,etenvoyantcequec'estqued'êtrevéritablementaimé.

Cette vesprée même, lendemain du jour de mes dévotions aux morts deCoppet, fatigué des bords du lac, je suis allé chercher, toujours avecmadameRécamier,despromenadesmoinsfréquentées.Nousavonsdécouvert,enavaldu

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Rhône, une gorge resserrée où le fleuve coule bouillonnant au-dessous deplusieursmoulins,entredes falaises rocheusescoupéesdeprairies.Unedecesprairiess'étendaupiedd'unecolline,surlaquelle,parmiunbouquetd'ormes,estplantéeunemaison.

Nousavonsremontéetdescenduplusieursfoisencausantcettebandeétroitede gazon qui sépare le fleuve bruyant du silencieux coteau: combien est-il depersonnesqu'onpuisseennuyerdecequel'onaétéetmeneravecsoienarrièresur la trace de ses jours?Nous avons parlé de ces temps, toujours pénibles ettoujours regrettés,où lespassionsfont lebonheuret lemartyrede la jeunesse.Maintenant j'écris cettepageàminuit, tandisque tout reposeautourdemoietqu'àtraversmafenêtrejevoisbrillerquelquesétoilessurlesAlpes.

MadameRécamiervanousquitter,ellereviendraauprintemps,etmoijevaispasserl'hiveràévoquermesheuresévanouies,àlesfairecomparaîtreuneàuneautribunaldemaraison.Jenesaissijeseraibienimpartialetsilejugen'aurapastropd'indulgencepourlecoupable.Jepasserai l'étéprochaindanslapatriedeJean-Jacques.Dieuveuillequejenegagnepaslamaladiedurêveur.Etpuis,quand l'automne sera revenu, nous irons en Italie: Italiam! c'est mon éternelrefrain.

Genève,octobre1832.

Le prince Louis-Napoléon m'ayant donné sa brochure intitulée: Rêveriespolitiques,jeluiaiécritcettelettre:

«Prince,

«J'ailuavecattentionlapetitebrochurequevousavezbienvoulumeconfier.J'aimispar écrit, commevous l'avezdésiré,quelques réflexionsnaturellementnéesdesvôtresetquej'avaisdéjàsoumisesàvotrejugement.Voussavez,prince,quemonjeuneroiestenÉcosse,quetantqu'ilvivrailnepeutyavoirpourmoid'autreroideFrancequelui;maissiDieu,danssesimpénétrablesconseils,avaitrejeté la race de saintLouis, si lesmœurs de notre patrie ne lui rendaient pasl'état républicainpossible, iln'yapasdenomquiaillemieuxà lagloirede laFrancequelevôtre.

«Jesuis,etc.,etc.,

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«CHATEAUBRIAND.»

Paris,rued'Enfer,janvier1833

J'avaisbeaucoup rêvéde cet avenirprochainque jem'étais fait et auquel jecroyaistoucher.Àlatombéedujour, j'allaisvaguerdanslesdétoursdel'Arve,ducôtédeSalève.Unsoir, jevisentrerM.Berryer; ilrevenaitdeLausanneetm'appritl'arrestationdemadameladuchessedeBerry[424];iln'ensavaitpaslesdétails.Mesprojetsdereposfurentencoreunefoisrenversés.QuandlamèredeHenri V avait cru à des succès, elle m'avait donné mon congé; son malheurdéchiraitsondernierbilletetmerappelaitàsadéfense.Jepartissur-le-champdeGenève, après avoir écrit auxministres.Arrivé dansma rue d'Enfer, j'adressaiauxrédacteursenchefdesjournauxlacirculairesuivante:

«Monsieur,

«Arrivé à Paris le 17 de ce mois, j'écrivis le 18 à M. le ministre de lajustice[425]pourm'informersilalettrequej'avaiseul'honneurdeluienvoyerdeGenève,le12,pourmadameladuchessedeBerry,luiétaitparvenueets'ilavaiteulabontédelafairepasseràMadame.

«Je sollicitais en même temps de M. le garde des sceaux l'autorisationnécessairepourmerendreàBlayeauprèsdelaprincesse.

«M. legardedessceauxmevoulutbienrépondre, le19,qu'ilavait transmismeslettresauprésidentduconseil[426]etquec'étaitàluiqu'ilmefallaitadresser.J'écrivis en conséquence, le 20, à M. le ministre de la guerre. Je reçoisaujourd'hui, 22, sa réponse du 21: Il regrette, d'être dans la nécessité dem'annoncer que le gouvernement n'a pas jugé qu'il y ait lieu d'accéder àmesdemandes.Cettedécisionamisuntermeàmesdémarchesauprèsdesautorités.

«Jen'ai jamaiseu laprétention,monsieur,demecroirecapablededéfendreseullacausedumalheuretdelaFrance.Mondessein,sil'onm'avaitpermisdeparvenir aux pieds de l'auguste prisonnière, était de lui proposer pourl'occurrencelaformationd'unconseild'hommespluséclairésquemoi.Outrelespersonneshonorablesetdistinguéesqui se sontdéjàprésentées, j'auraispris lalibertéd'indiquerauchoixdeMADAMEM.lemarquisdePastoret,M.Lainé,M.deVillèle,etc.,etc.

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«Maintenant,monsieur,écartéofficiellement, je rentredansmondroitprivé.MesMémoiressurlavieetlamortdeM.leducdeBerry,enveloppésdanslescheveux de la veuve aujourd'hui captive, reposent auprès du cœur queLouvelrenditplussemblableàceluid'HenriIV.Jen'aipointoubliécetinsignehonneur,dont le moment actuel me demande compte et me fait sentir toute laresponsabilité.

«Jesuis,monsieur,etc.,etc.

«CHATEAUBRIAND.»

Pendantquej'écrivaiscettecirculaireauxjournaux,j'avaistrouvélemoyendefairepassercebilletàmadameladuchessedeBerry:

«Paris,ce23novembre1832.

«Madame,

«J'aieul'honneurdevousadresserdeGenèveunepremièrelettreendatedu12 de ce mois[427]. Cette lettre, dans laquelle je vous suppliais de me fairel'honneur deme choisir pour l'un de vos défenseurs, a été imprimée dans lesjournaux.

«LacausedeVotreAltesseRoyalepeutêtretraitéeindividuellementpartousceuxqui,sansyêtreautorisés,auraientdesvéritésutilesàfaireconnaître;maissiMADAME désire qu'on s'en occupe en son propre nom, ce n'est pas un seulhomme,maisunconseild'hommespolitiquesetdelégistesquidoitêtrechargéde cette haute affaire. Dans ce cas, je demanderais queMADAME voulût bienm'adjoindre (avec les personnes dont elle aurait fait choix) M. le comte dePastoret,M.HydedeNeuville,M.deVillèle,M.Lainé,M.Royer-Collard,M.Pardessus,M.Mandaroux-Vertamy,M.deVaufreland.

«J'avais aussi pensé,madame,qu'on aurait pu appeler à ce conseil quelqueshommesd'un grand talent et d'une opinion contraire à la nôtre;mais peut-êtreserait-ce les placer dans une fausse position, les obliger à faire un sacrificed'honneur et de principe, dont les esprits élevés et les consciences droites nes'arrangentpas.

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«CHATEAUBRIAND.»

Vieux soldat discipliné, j'accourais donc pour m'aligner dans le rang etmarcher sous mes capitaines: réduit par la volonté du pouvoir à un duel, jel'acceptai.Jenem'attendaisguèreàvenir,delatombedumari,combattreauprèsdelaprisondelaveuve.

Ensupposantquejedusseresterseul,quej'eussemalcompriscequiconvientà la France, je n'en étais pasmoins dans la voie de l'honneur.Or, il n'est pasinutile aux hommes qu'un homme s'immole à sa conscience; il est bon quequelqu'unconsenteàseperdrepourdemeurerfermeàdesprincipesdontilalaconviction et qui tiennent à cequ'il y a denobledansnotrenature: cesdupessont les contradicteurs nécessaires du fait brutal, les victimes chargées deprononcer le veto de l'opprimé contre le triomphe de la force. On loue lesPolonais;leurdévouementest-ilautrechosequ'unsacrifice?iln'ariensauvé;ilnepouvaitriensauver:danslesidéesmêmesdemesadversaires,ledévouementsera-t-ilstérilepourlaracehumaine?

Jepréfère,dit-on,unefamilleàmapatrie:non,jepréfèreauparjurelafidélitéàmesserments, lemondemoralà lasociétématérielle;voilà tout:pourcequiest de la famille, je ne m'y consacre que dans la persuasion qu'elle étaitessentiellementutileàlaFrance;jeconfondssapostéritéaveccelledelapatrie,et lorsque je déplore lesmalheurs de l'une, je déplore les désastres de l'autre:vaincu,jemesuisprescritdesdevoirs,commelesvainqueurssesontimposédesintérêts.Jetâchedemeretirerdumondeavecmapropreestime;danslasolitude,ilfautprendregardeauchoixquel'onfaitdesacompagne.

En France, pays de vanité, aussitôt qu'une occasion de faire du bruit seprésente,unefouledegenslasaisissent:lesunsagissentparboncœur,lesautresparlaconsciencequ'ilsontdeleurmérite.J'eusdoncbeaucoupdeconcurrents;ilssollicitèrent,ainsiquemoi,demadameladuchessedeBerry,l'honneurdeladéfendre. Dumoins,ma présomption àm'offrir pour champion à la princesseétait unpeu justifiée par d'anciens services: si je ne jetais pas dans la balancel'épéedeBrennus,j'ymettaismonnom:toutpeuimportantqu'ilest,ilavaitdéjàremportéquelquesvictoirespourlamonarchie.J'aiouvertmonMémoiresurlacaptivitédeMadameladuchessedeBerry[428]paruneconsidérationdontjesuisvivementfrappé;jel'aisouventreproduite,etilestprobablequejelareproduirai

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encore.

«On ne cesse, disais-je, de s'étonner des événements; toujours on se figured'atteindre le dernier; toujours la révolution recommence. Ceux qui, depuisquarante années, marchent pour arriver au terme, gémissent; ils croyaients'asseoirquelquesheuresauborddeleurtombe:vainespoir!letempsfrappecesvoyageurspantelantsetlesforced'avancer.Quedefois,depuisqu'ilscheminent,la vieille monarchie est tombée à leurs pieds! à peine échappés à cesécroulementssuccessifs,ilssontobligésd'entraverserdenouveaulesdécombresetlapoussière.Quelsiècleverralafindumouvement?

«LaProvidenceavouluquelesgénérationsdepassagedestinéesàdesjoursimmémorésfussentpetites,afinqueledommagefûtdepeu.Aussivoyons-nousquetoutavorte,quetoutsedément,quepersonnen'estsemblableàsoi-mêmeetn'embrassetoutesadestinée,qu'aucunévénementneproduitcequ'ilcontenaitetcequ'ildevaitproduire.Leshommessupérieursdel'âgequiexpires'éteignent;auront-ilsdessuccesseurs?LesruinesdePalmyreaboutissentàdessables.»

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De cette observation générale passant aux faits particuliers, j'expose, dansmonargumentation,qu'onpouvaitagiravecmadame laduchessedeBerrypardes mesures arbitraires, en la considérant comme prisonnière de police, deguerre,d'État,ouendemandantauxChambresunbilld'attainder;qu'onpouvaitla soumettre à la compétence des lois, en lui appliquant la loi d'exceptionBriqueville, ou la loi commune du code; qu'on pouvait regarder sa personnecommeinviolableetsacrée.

Les ministres soutenaient la première opinion, les hommes de Juillet laseconde,lesroyalisteslatroisième.

Jeparcourscesdiversessuppositions:jeprouvequesimadameladuchessedeBerry était descendue en France, elle n'y avait été attirée que parce qu'elleentendaitlesopinionsdemanderunautreprésent,appelerunautreavenir.

Infidèleàsonextractionpopulaire,larévolutionsortiedesjournéesdeJuilletarépudiélagloireetcourtisélahonte.Exceptédansquelquescoursdignesdeluidonner asile, la liberté, devenue l'objet de la dérision de ceux gui en faisaientleurcrideralliement,cettelibertéquedesbateleursserenvoientàcoupsdepied,cette liberté étranglée après flétrissure au tourniquet des lois d'exception,transformera, par son anéantissement, la révolution de 1830 en une cyniqueduperie.

Là-dessus, et pour nous délivrer tous, madame la duchesse de Berry estarrivée.Lafortunel'atrahie;unjuifl'avendue;unministrel'aachetée.Sil'onneveutpasagircontreelleparmesuredepolice,ilneresteplusqu'àlatraduireencour d'assises. Je le suppose ainsi, et j'ai mis en scène le défenseur de laprincesse;puis,aprèsavoirfaitparlerledéfenseur,jem'adresseàl'accusateur:

«Avocat,levez-vous:

«Établissez doctement que Caroline-Ferdinande de Sicile, veuve de Berry,nièce de feu Marie-Antoinette d'Autriche, veuve Capet, est coupable deréclamationenversunhommeréputéoncleettuteurd'unorphelinnomméHenri;lequeloncleettuteurserait,selonledirecalomnieuxdel'accusée,détenteurdela couronne d'un pupille, lequel pupille prétend impudemment avoir été roidepuislejourdel'abdicationduci-devantCharlesX,etdel'ex-dauphin,jusqu'aujourdel'électionduroidesFrançais.

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«À l'appui de votre plaidoirie, que les juges fassent comparaître d'abordLouis-Philippe comme témoin à charge ou à décharge, si mieux n'aime serécuser comme parent. Ensuite, que les juges confrontent avec l'accusée ledescendant du grand traître; que l'Iscariote en qui Satan était entré, entravitSatanasinJudam,disecombienilareçudedenierspourlemarché,etc.,etc.

«Puis,d'aprèsl'expertisedeslieux,ilseraprouvéquel'accuséeaétépendantsix heures à la géhennede feudansun espace trop étroit oùquatre personnespouvaient à peine respirer, ce qui a fait dire contumélieusement à la torturéequ'on lui faisait la guerre à la saint Laurent. Or, Caroline-Ferdinande, étantpresséeparsescomplicescontrelaplaqueardente,lefeuauraitprisdeuxfoisàsesvêtements,et,àchaquecoupquelesgendarmesportaientendehorsàl'âtreembrasé,lacommotionseseraitétendueaucœurdeladélinquanteetluiauraitfaitvomirdesbouillonsdesang.

«Puis, en présence de l'image du Christ, on déposera comme pièce deconviction,surlebureau,larobebrûlée:carilfautqu'ilyaittoujoursunerobejetéeausortdanscesmarchésdeJudas.»

MadameladuchessedeBerryaétémiseen libertéparunactearbitrairedupouvoir et lorsqu'on a cru l'avoir déshonorée. Le tableau que je traçais de laplaidoieriefitsentiràPhilippel'odieuxd'unjugementpublic,et ledéterminaàunegrâceàlaquelleilpensaitavoirattachéunsupplice:lespaïens,souslerègnedeSévère,jetèrentauxbêtesunejeunefemmechrétiennenouvellementdélivrée.Ma brochure, dont il ne reste aujourd'hui que des phrases, a eu son résultathistoriqueimportant.

Jem'attendrisencoreencopiantl'apostrophequiterminemonécrit:c'est,j'enconviens,unefolledépensedelarmes.

«IllustrecaptivedeBlaye,MADAME!quevotrehéroïqueprésencesuruneterrequi se connaît en héroïsme amène la France à vous répéter ce que monindépendancepolitiquem'aacquisledroitdevousdire:Madame,votre filsestmon roi! Si la Providence m'inflige encore quelques heures, verrai-je vostriomphes, après avoir eu l'honneurd'embrasservos adversités?Recevrai-je celoyer de ma foi? Au moment où vous reviendriez heureuse, j'irais avec joieacheverdanslaretraitedesjourscommencésdansl'exil.Hélas!jemedésoledenepouvoirrienpourvosprésentesdestinées!Mesparolesseperdentinutilementautourdesmursdevotreprison:lebruitdesvents,desflotsetdeshommes,au

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pied de la forteresse solitaire, ne laissera pas même monter jusqu'à vous cesderniersaccentsd'unevoixfidèle.»

Parismars1833.

Quelquesjournauxayantrépétélaphrase:Madame,votrefilsestmonroi,ontété traduits devant les tribunaux pour délit de presse; je me suis trouvéenveloppé dans la poursuite. Cette fois, je n'ai pu décliner la compétence desjuges; je devais essayer de sauver parma présence les hommes attaqués pourmoi;ilyallaitdemonhonneurderépondredemesœuvres.

De plus, la veille de mon appel au tribunal, le Moniteur avait donné ladéclarationdemadameladuchessedeBerry[429];sijem'étaisabsenté,onauraitcruquelepartiroyalistereculait,qu'ilabandonnaitl'infortuneetrougissaitdelaprincessedontilavaitcélébrél'héroïsme.

Ilnemanquaitpasdeconseillerstimidesquimedisaient:«Faitesdéfaut;voussereztropembarrasséavecvotrephrase:Madame,votrefilsestmonroi.—Jelacrieraiencoreplushaut,»répondis-je.Jemerendisdanslasallemêmeoùjadisétait installé le tribunalrévolutionnaire;oùMarie-Antoinetteavaitcomparu,oùmonfrèreavaitétécondamné.LarévolutiondeJuilletafaitenleverlecrucifixdontlaprésence,enconsolantl'innocence,faisaittremblerlejuge.

Monapparitiondevant les jugesaeuuneffetheureux;elleacontre-balancéunmomentl'effetdeladéclarationduMoniteur,etmaintenulamèredeHenriVaurangoùsacourageuseaventurel'avaitplacée:onadouté,quandonavuquelepartiroyalisteosaitbraverl'événementetnesetenaitpaspourbattu.

Jen'avaispointvoulud'avocat,maisM.Ledru,quis'étaitattachéàmoilorsdemadétention, avouluparler: il s'est troubléetm'a faitbeaucoupdepeine.M.Berryer,quiplaidaitpourlaQuotidienne,aprisindirectementmadéfense.Àlafin des débats, j'ai appelé le jury la pairie universelle, ce qui n'a pas peucontribuéànotreacquittementàtous[430].

Rienderemarquablen'asignaléceprocèsdansla terriblechambrequiavaitretentide lavoixdeFouquier-TinvilleetdeDanton; iln'yaeud'amusantquel'argumentation de M. Persil: voulant démontrer ma culpabilité, il citait cettephrasedemabrochure:Ilestdifficiled'écrasercequis'aplatitsouslespieds,etil s'écriait: «Sentez-vous, messieurs, tout ce qu'il y a de méprisant dans ce

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paragraphe,ilestdifficiled'écrasercequis'aplatitsouslespieds?»etilfaisaitlemouvement d'un homme qui écrase sous ses pieds quelque chose. Ilrecommençait triomphant: les rires de l'auditoire recommençaient. Ce bravehomme ne s'apercevait ni du contentement de l'auditoire à la malencontreusephrase,niduridiculeparfaitdontilétaitentrépignantdanssarobenoirecommes'ileûtdansé,enmêmetempsquesonvisageétaitpâled'inspirationetsesyeuxhagardsd'éloquence[431].

Lorsque les jurés rentrèrent et prononcèrent non coupable, desapplaudissements éclatèrent, je fus environné par des jeunes gens qui avaientprispourentrerdesrobesd'avocats:M.Carrelétaitlà.

Lafoulegrossitàmasortie;ilyeutunerixedanslacourdupalaisentremonescorteetlessergentsdeville.Enfin,jeparvinsàgrand'peinechezmoiaumilieudelafoulequisuivaitmonfiacreencriant:ViveChateaubriand[432]!

Dansunautre temps, cet acquittement eût été très significatif; déclarerqu'iln'étaitpascoupablededireàladuchessedeBerry:Madame,votrefilsestmonroi, c'était condamner la révolution de Juillet; mais aujourd'hui cet arrêt nesignifierien,parcequ'iln'yaentoutechoseniopinionnidurée.Envingt-quatreheurestoutestchangé;jeseraiscondamnédemainpourlefaitsurlequelj'aiétéacquittéaujourd'hui.

JesuisallémettremacartechezlesjurésetnotammentchezM.Chevet[433],l'undesmembresdelapairieuniverselle.

Ilavaitétéplusaiséàl'honnêtecitoyendetrouverdanssaconscienceunarrêten ma faveur qu'il ne m'eût été facile de trouver dans ma poche l'argentnécessairepourjoindreaubonheurdel'acquittementleplaisirdefairechezmonjuge un bon dîner:M.Chevet a prononcé avec plus d'équité sur la légitimité,l'usurpation et sur l'auteur du Génie du christianisme que beaucoup depublicistesetdecenseurs.

Paris,avril1833.

LeMémoiresurlacaptivitédemadameladuchessedeBerrym'avaludansleparti royaliste une immense popularité. Les députations et les lettres me sontarrivéesdetoutesparts.J'aireçudunordetdumididelaFrancedesadhésionscouvertes de plusieurs milliers de signatures. Elles demandent toutes, en s'en

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référant à ma brochure, la mise en liberté de madame la duchesse de Berry.Quinze cents jeunes gens de Paris sont venusme complimenter, non sans ungrandémoidelapolice;j'aireçuunecoupedevermeilaveccetteinscription:ÀChateaubriandlesVilleneuvoisfidèles(Lot-et-Garonne).[434]UnevilleduMidim'aenvoyédetrèsbonvinpourremplircettecoupe,maisjeneboispas.Enfin,laFrance légitimisteaprispourdevisecesmots:MADAME,VOTREFILSESTMON

ROI!etplusieursjournauxlesontadoptéspourépigraphe;onlesagravéssurdescolliersetsurdesbagues.Jeserailepremieràavoirditenfacedel'usurpationunevéritéquepersonnen'osaitdire,et,choseétrange!jecroismoinsauretourdeHenriVqueleplusmisérablejuste-milieuouleplusviolentrépublicain.

Aureste,jen'entendspaslemotusurpationdanslesensétroitqueluidonnelepartiroyaliste;ilyauraitbeaucoupdechosesàdiresurcemot,commesurceluide légitimité: mais il y a véritablement usurpation, et usurpation de la pireespèce, dans le tuteurquidépouille lepupille et proscrit l'orphelin.Toutes cesgrandesphrases «qu'il fallait sauver la patrie» sont des prétextes que fournit àl'ambition une politique immorale. Vraiment, ne faudrait-il pas regarder lalâcheté de votre usurpation comme un effort de votre vertu! Seriez-vous, parhasard,BrutussacrifiantsesfilsàlagrandeurdeRome?

J'ai pu comparer dans ma vie la renommée littéraire à la popularité; lapremière, pendant quelques heures, m'a plu, mais cet amour de renommée apassévite.Quantàlapopularité,ellem'atrouvéindifférent,parceque,danslaRévolution, j'ai trop vu d'hommes entourés de cesmasses qui, après les avoirélevés sur le pavois, les précipitaient dans l'égout. Démocrate par nature,aristocrateparmœurs,jeferaistrèsvolontiersl'abandondemafortuneetdemavieaupeuple,pourvuquej'eussepeuderapportsaveclafoule.Toutefois,j'aiétéextrêmementsensibleaumouvementdesjeunesgensdeJuilletquimeportèrenten triompheà laChambredespairs; c'estqu'ilsnem'yportaientpaspourêtreleurchefetparcequejepensaiscommeeux;ilsrendaientseulementjusticeàunennemi: ils reconnaissaient en moi un homme de liberté et d'honneur; cettegénérositémetouchait.Maiscetteautrepopularitéquejeviensd'acquérirdansmonproprepartinem'apascauséd'émotion;entre les royalistesetmoi ilyaquelquechosedeglacé:nousdésironslemêmeroi;àcelaprès,laplupartdenosvœuxsontopposés.[LienverslaTabledesMatières]

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APPENDICE

I

LAMORTDELÉONXII[435].

M.deMarcellus,quisetrouvaitalorsàRome,écrivaitsursonJournal,souscettemêmedatedu17février1829,lanotesuivante:

Hier,jesuisallé,encompagniedeM.deChateaubriand,faireaupapeLéonXIInotrevisitesuprême.Celle-cin'apasétéadresséeausouveraindumondecatholiqueparl'ambassadeurduroifilsaînédel'Église,dansle vaste palais duVatican.C'était le dernier hommaged'un fidèle à cequelquechosesansnomquirestaitdupèrecommundeschrétiens,àcecadavreétendupontificalement,souslalueurdescierges,danslagrandechapelleduSaint-Sacrementquis'allongesousl'ailedroitedel'églisedeSaint-Pierre. Après quelques minutes de méditations pieuses etpolitiques,passéesensilenceauxpiedsdecepontifedontlevisagepâleetanimésupportaitencorel'éclatantetiare,noussommessortisduplusbeautempledumonde,tristesetpréoccupés.

«Voilàcequidemeuredenousquelquesheuresaprès lafin»m'aditl'auteur duGéniedu christianisme; «ilm'a semblé, sous les voûtes deSaint-Pierre,entendreencorecettevoixquiretentitdansundenosvieuxcantiquesdeSaint-Sulpice:

Lamortnem'alaisséquelesosseulement.

«Savez-vous ce qui est arrivé cette nuit? Les gardes nobles quiveillentauprèsde«cerestetelquivadisparaître»ontcruvoirlepapeseranimer. Ils ont entendu, au milieu de leur silence, un bruit léger quis'échappaitdelafiguredupontife.Ilssonttombéslafacecontreterreetle bruit a cessé. C'était la peau du visage et les paupières qui se

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resserraientsouslecontactdel'air,commeleparchemincraquesouslesdoigts.Jetienscetteanecdotefunèbreducapitainedesgardes,leSuissePfeiffer,quimel'aracontéecematin.Onn'entendraplusrien,pasmêmece froissementduparcheminune fois faitpour toujours,decechefdel'Église habile et vertueux, qui prédisait, il y a peu de semaines, delongues agitations à ses États, à la France et à l'Europe. Il a été unmodérateur éclairé des intérêts dumonde pendant cinq ans d'un règnetrop court, et il n'a recueilli que l'impopularité pour prix de ses pieuxefforts.C'estl'histoiredetouslespays.»

Nous avons dépassé le môle d'Adrien et le Tibre au milieu de nosréflexionsetdenosregrets.IlsnousontsuivisenfacedecetteLocandadell'orso que Montaigne a rendue célèbre et où déjà de nombreux etjoyeuxbuveurss'applaudissaientdevoirrouvertsàleursorgieslesmillecabarets que les décrets du pape avaient fermés. À Ripetta, en nousséparant,M.deChateaubriandm'adit:«Voulez-vousquedemain,pournous distraire du lugubre spectacle qu'un pape vient de nous donner,nousallionsvoirmesfouillesdeTorre-Vergatta?Lacampagneromaine,déjà belle au début du printemps, et les souvenirs des siècles passés,nous ferontoublierpourquelquesheuresnossollicitudesduprésentetnostristesses.»

Nous sommes en effet partis aujourd'hui, tête à tête, dansmonpetitwurstallemand,que,pourgarder l'incognito, l'ambassadeurapréféréàses pompeuses voitures,même à son coupé favori, que j'ai fait faire àLondres, en 1822, pour nous conduire à Windsor (il a traversé lamauvaise fortune de sonmaître, et il reparaît avec son crédit dans lesrues de Rome). M. de Chateaubriand a conservé une taciturnitéméditative,entrecoupéederaresinterjections,jusqu'aupontMilvius.Làson front s'estdéridé:«Admirez,»m'a-t-ildit,«lapuissancede l'artdepeindre.Cepont,témoind'unevictoirequichangealafacedumonde,etla plaine environnante, réapparaissent bienmoins comme ils sont quesouslescouleursdelamagnifiquefresquedeJulesRomainauVatican.C'est un chef-d'œuvre. Tout s'y trouve; et surtout ce Tibre, gros desdestinéeshumaines,quivanoyerMaxenceetcouronnerConstantin.Ah!pourquoin'a-t-ilpaséloignémissBathurst! tantdebeauté innocenteettant de vie! Voilà la rive qui céda sous le poids si léger de lamalheureuse fille. Rome nem'offre que des images de deuil.»—Autrepausequ'ilainterrompueunmomentaprèslepassagedupont.—«Avez-

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vousremarquéqueByronn'entendrienàlapeinture?Ilestrestétoutàfait Anglais de ce côté; il ne l'est pas autant pour la musique, qu'ilcomprenaitmieuxquelaplupartdesescompatriotes.Ilaimeleschantspopulaires,et,commevousetmoi,ilenasurprisdebizarresenOrient.Mais là,plusqu'ailleurs, la chansondupeuplen'estpasde l'harmonie,c'est de la légende ou de l'histoire primitive.»—Puis, après un longsilence, arrivés au tombeau deNéron, ilm'a dit: «Je n'ai jamais prêtéaucune attention à ce sarcophage falsifié, pas plus que s'il étaitvéritablement le sépulcre de l'empereur parricide.La tombed'un tyrann'excite que mon mépris. Mais retournons-nous, et d'ici contemplonsSaint-Pierre, l'immortellecoupole,etcettecroixquibrilleau-dessusdetouteslescollines:ellevaconsoler,pardelàledésertd'Ostie,lesregardsdunautonierquandilluttecontrelesflots.C'estlàunsublimespectacleparcequ'ilemporteavec luivers lescieux l'imaginationde l'hommeetsonespérance.»Unpeuplusloin:—«Croyez-moi,laissonsvotrevoituresur cette route qui ramène à Paris et aux joies du monde. Entronsrésolument à pied dans le désert de la campagnemaudite, auquel j'aitoujourstrouvétantdecharme.»

Après un rapide coupd'œil jeté sur ses fouilles, où on ne travaillaitpascejour-là,«Voilà»,m'a-t-ildit,«desfrustesméconnaissablespresqueautant que leurs énigmatiques possesseurs; j'ai risquéquelque argent àcetteloteriedesmorts.Ilyavaitautourdecesmarbresquinesontplus,des despotes, de prétendus affranchis, des esclaves, une fouled'ambitieux; et dans ces trois classes d'hommes que le temps aégalement emportés, on se disputait le pouvoir, on s'égorgeait pourl'Empire.IlmesemblevoirsurgirdecesronceslesruinesconfonduesdelaRépublique romaine et de l'affreuse domination deTibère....»—UnepetitefleurqueM.deChateaubriandacueillieàsespiedsestvenueledistraire de ces sombres réflexions:—«Combien la nature, si marâtrepourleshommessoustantdeclimats,estpartoutunedoucemèrepoursesfilleslesplusinnocentes,lesherbesdeschamps!Voyezcettevioletteblanche;ellen'apaslademi-éclatetleparfumdelaviolettedeVirgile,violæsublucetpurpuranigræ,maiselleestlapremièreàm'annoncerleprintemps.»

Puis, revenus à ma voiture, le silence a recommencé: seulementcommenousnousrapprochionsde laporteduPeupleetdu tumultedeRome,«Ici, commecheznous,»a-t-ildit,«la tyrannieet la libertéont

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également péri. Mais, à Rome, la robe de ce capucin qui soulève enpassantunepoussièreantiqueachèvedemettreenrelieflavanitédetantdevanités.»—Etcetteréflexionacloslapromenade,dontjemehâtaideconsigner sur mon journal le minutieux récit. (Chateaubriand et sontemps,p.345etsuivantes.)

II

LECONCLAVEDE1829[436]

Chateaubriand n'a point recueilli dans ses œuvres son discours au Sacré-Collège. Ce discours, prononcé le 18 février 1829, dans la sacristie de SaintPierre,méritepourtantden'êtrepasperdu.Levoici:

ÉMINENTISSIMESSEIGNEURS,

Iln'yapasencoresixansqueM.leducdeLaval-Montmorencyvintaumilieu de vous pour unir sa douleur à la vôtre, lorsquePieVII, dereligieusemémoire, fut rappeléauprèsduchef invisiblede l'Église.LeroiLouisXVIII,aunomduquelmonnobleprédécesseurvousporta laparole, est allé lui-même se placer auprès de saint Louis. J'étais alorsministreduvénérablemonarque, restaurateurdes libertésde laFrance.Mon nom eut l'insigne honneur de paraître dans les lettres qui furentadressées au sacré collège, et c'est moi qui viens aujourd'hui,ambassadeur de Charles X, roi non moins magnanime que son frère,vousexprimer le regretqu'éprouveramonaugustemaîtrepour laperted'unsouverainpontifequevossuffragesn'avaientpointencorerevêtudel'autoritésuprêmeàl'époquequejerappelle.

IciVosÉminencesreconnaîtrontlesvoiescachéesdelaProvidence,etcettefragilitédeschoseshumainesquidoiventêtresurtoutprésentesàlapenséedecetteassembléedesprincesde l'Église,où j'aperçois tantdecourageuxconfesseursdelafoi.

Quevousdirai-je,messeigneurs,quevousnesentiezmieuxquemoi?Lamémoire deLéonXII sera vénérée par laFrance.Le royaumequegouverne si glorieusement le fils aîné de l'Église n'oubliera pas lesconseils pacifiques qui ont empêché la discorde de troubler, même

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passagèrement,lesnouvellesprospéritésdemapatrie.LéonXIIjoignaitàsesvertusapostoliquescettemodérationd'espritetcetteconnaissancedesonsiècle,sinécessairesauxchefsdesEmpires.

Éminentissimes seigneurs, vos lumières assureront au saint-siège,dans le prochain conclave, un successeur digne de ce pontifeconciliateur. Si vous êtes des princes puissants, vous êtes aussi lesministres de cette religion charitable qui abolit l'esclavage parmi leshommes,qui,simpleetsublimeàlafois,estégalementappropriéeauxbesoinsdelasociéténaissanteetàceuxdelasociétéperfectionnée.Vossuffrages indépendants iront bientôt chercher parmi vos pairs un vraipasteur pour la chrétienté, un souverain éclairé pour la plus illustreportion de cette noble Italie qui dicta des lois au monde antique, quicivilisa le monde moderne, qui, toujours féconde et jamais épuisée,nourritaujourd'huiàl'ombredetagloirelesouvenirdesesgrandeurs.

Qu'ilmesoitpermis,Éminentissimesseigneurs,d'offrirenparticulierausacrécollègel'hommagedemaprofondevénération.

Dans sa lettre à Mme Récamier, du 21 mars 1829, Chateaubriand parle duseconddiscoursqu'ilprononçaàRome,celui-làenpleinConclave, le10mars1829.CommecediscoursnefigurepasnonplusdanssesŒuvrescomplètes,lelecteurserasansdoutebienaisedeletrouverici:

ÉMINENTISSIMESSEIGNEURS,

La réponse de Sa Majesté Très-Chrétienne à la lettre que lui aadressée lesacrécollègevousexprime,avec lanoblessequiappartientaufilsaînédel'Église,ladouleurqueCharlesXaressentieenapprenantlamortdupèredesfidèles,etlaconfiancequ'ilreposedanslechoixquelachrétientéattenddevous.

Leroim'afaitl'insignehonneurdemedésigneràl'entièrecréancedusacré collège réuni en conclave. Je viens une seconde fois,Éminentissimesseigneurs,voustémoignermesregretspourlapertedupontifeconciliateurquivoyaitlavéritablereligiondansl'obéissanceauxlois et dans la concorde évangélique; de ce souverain qui, pasteur etprince,gouvernaitl'humbletroupeaudeJésus-Christdufaîtedesgloires

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diversesquise rattachentaugrandnomde l'Italie.Successeur futurdeLéonXII,quiquevoussoyez,vousm'écoutezsansdouteencemoment;pontifeàlafoisprésentetinconnu,vousallezbientôtvousasseoirdanslachairedeSaintPierre,àquelquespasduCapitole,surlestombeauxdecesRomainsdelaRépubliqueetdel'Empire,quipassèrentdel'idolâtriedes vertus à celle des vices, sur ces catacombes où reposent lesossements non entiers d'une autre espèce de Romains: quelle parolepourrait s'éleverà lamajestédusujet?Quellevoixpourrait s'ouvrirunpassage à travers cet amas d'années qui ont étouffé tant de voix pluspuissantes que la mienne? Vous-même, illustre sénat de la chrétienté,poursoutenir lepoidsdeces innombrablessouvenirs,pourregarderenface les siècles rassemblés autour de vous sur les ruines de Rome,n'avez-vouspasbesoindevousappuyerà l'auteldusanctuaire,commemoiautrônedeSaintLouis?

ÀDieuneplaise.Éminentissimesseigneurs,que jevousentretienneicidequelque intérêtparticulier,que jevous fasseentendre le langaged'une étroite politique: les choses sacrées veulent être envisagéesaujourd'hui sous des rapports plus généraux et plus dignes. Lechristianisme, qui renouvela d'abord la face dumonde, a vu depuis setransformer les sociétés auxquelles il avait donné la vie. Au momentmême où je parle, le genre humain est arrivé à l'une des époquescaractéristiques de son existence, la religion chrétienne est encore làpourlasaisir,parcequ'ellegardedanssonseintoutcequiconvientauxesprits éclairés et aux cœurs généreux, tout ce qui est nécessaire aumondequ'elleasauvédelacorruptiondupaganismeetdeladestructionde la barbarie. En vain l'impiété a prétendu que le christianismefavorisaitl'oppressionetfaisaitrétrograderlesjours:àlapublicationdunouveaupactescellédusangdujuste,l'esclavageacesséd'êtreledroitcommundesnations; l'effroyabledéfinitiondel'esclavageaétéeffacéeducoderomain:Nontamvilesquamnullisunt.Lessciences,demeuréespresquestationnairesdans l'antiquité,ont reçuune impulsionrapidedecet esprit apostolique et rénovateur qui hâta l'écroulement du vieuxmonde;partoutoùlechristianismes'estéteint,laservitudeetl'ignoranceont reparu. Lumière quand elle se mêle aux facultés intellectuelles,sentiment quand elle s'associe aux mouvements de l'âme, la religionchrétienne croît avec la civilisation, et marche avec le temps; un descaractères de la perpétuité qui lui est promise, c'est d'être toujours dusièclequ'ellevoitpasser,sanspasserelle-même.Lamoraleévangélique,

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raison divine, appuie la raison humaine dans ses progrès vers un butqu'ellen'apointencoreatteint:aprèsavoirtraversélesâgesdeténèbreset de force, le christianisme devient chez les peuples modernes leperfectionnementmêmedelasociété.

Éminentissimesseigneurs,vouschoisirezpourexercerlepouvoirdesclefsunhommedeDieuetquicomprendrabiensahautemission.Parsoncaractèreuniverselquin'a jamaiseudemodèleoud'exempledansl'histoire,unconclaven'estpasleconseild'unÉtatparticulier,maisceluid'une nation composée de nations les plus diverses et répandue sur lasurface du globe. Vous êtes, Éminentissimes seigneurs, les augustesmandatairesdel'immensefamillechrétiennepourunmomentorpheline.Deshommesquinevousontjamaisvus,quinevousverrontjamais,quinesaventpasvosnoms,quineparlentpasvotrelangue,quihabitentloindevoussousunautresoleil,audelàdesmers,auxextrémitésdelaterre,se soumettront à vos décisions que rien en apparence ne les oblige àsuivre, obéiront à vos lois qu'aucune force matérielle n'impose,accepterontdevousunpèrespirituelavecrespectetgratitude:telssontles prodiges de la conviction religieuse. Princes de l'Église, il voussuffiradelaissertombervossuffragessurl'und'entrevouspourdonnerà la communion des fidèles un chef qui, puissant par la doctrine etl'autorité du passé, n'en connaisse pasmoins les nouveaux besoins duprésentetdel'avenir,unpontifed'uneviesainte,mêlantladouceurdelacharité à la sincérité de la foi. Toutes les couronnes forment lemêmevœu,toutesontunmêmebesoindemodérationetdepaix:quenedoit-onpasattendredecetteheureuseharmonie?quenepeut-onpasespérer,Éminentissimesseigneurs,devoslumièresetdevosvertus?

Ilnemerestequ'àvousrenouvelerl'expressiondelasincèreestimeetdelaparfaiteaffectiondusouverainaussipieuxquemagnanimedontj'ail'honneurd'êtrel'interprèteauprèsdevous.

III

LEJOURNALSECRETDUCONCLAVE[437]

LedevoirdeChateaubriand,commeambassadeurdeFrance,étaitdesuivredetrès près les opérations du Conclave. Aussi bien, comme il l'écrit à Mme

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Récamier,le17février1829,leRoil'avaitchargédesurveiller«lederniergrandspectaclequidevaitcloresacarrière»,l'électiond'unnouveauPape.Ilpritdoncsesmesurespourêtretenuaucourant,jourparjour,detoutcequisepasserait,desbriguesetdesintriguesquipourraientseproduire,desdiversescandidaturesquiseraientmisesenavantetdeschancesdechacuned'elles.Ilsetrouvaqu'untémoin sûr et admirablement informé rédigeait secrètement un journal duConclave.L'ambassadeurs'arrangeadefaçonàseleprocurer, lefit traduireenfrançais, accompagna d'un court commentaire quelques-uns de ses articles, etenvoyaletoutauministredesAffairesétrangères,M.lecomtePortalis.«LeRoiverra,écrivait-il,cequ'onn'ajamaisvu:l'intérieurd'unConclave.»

CedocumentexisteencoreauxArchivesdesAffairesétrangères.Autoriséàen prendre communication,M.Boyer d'Agen en a publié d'importants extraitsdanslaRevuedesRevuesdes1eret15janvier1896.

Voiciquelques-unesdesremarquesdeChateaubriand.

OnlitdansleJournal,àladatedu7mars1829:

Lepartidesexaltés tâchede tirerpartide toutetvoudraitpêchereneau trouble.Lapossibilitéde leur triomphepourrait se trouverdans lacoopérationdescardinauxfrançais,quisemblentunanimespourlechoixd'un Pape favorable à leur exaltation d'idées. Si par malheur le partid'Oppizzoni,soitfaiblesse,soitcomplaisance,serangeauvoted'Albani,lapalmeestauxmainsdesadversaires.

Enmargedeceslignes,Chateaubriandécritlanotesuivante:

Iln'yapasbesoindecommentairessurcettejournée;letextedittout.Voilà une minorité qui parle comme la Gazette de France et laQuotidienne, qui veut s'immiscer dans nos affaires, qui pousse laviolence jusqu'à attaquer en plein Conclave la mémoire de Léon XII.Elle suppose toujours que les cardinaux français pensent comme elle;ellese figureque jeveuxprécipiter l'électionpourn'êtrepasconfondupar l'arrivée de ces cardinaux, arrivée que je prévoyais devoir êtrefunesteauprincipedemongouvernement.

Àladatedu9mars,l'auteurduJournalannoncequeleSacréCollègeareçulacopiedudiscoursquel'ambassadeurdeFrancedoitprononcerlelendemain,et

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illejugeencestermes:

Quelle noblesse d'expressions! quelle élévation de pensées! quelledélicatessed'images!Onvoitquesesparolespartentdufondde l'âme.Pour moi, j'en suis dans le ravissement. Figurez-vous, dans l'étroiteenceinte d'un Conclave, le tableau d'une nation qui donne la vie, quidicte des lois de paix à toutes les autres nations, qui est le centreuniversel vers lequel tous les peuples, peut-êtremême des tribus dontnousignoronslenom,dirigentleursvœuxetleursprières.ToutleSacréCollègeatressaillid'unesaintejoieetseproposedeseféliciter,aveclecardinaldeLatil,duchoixqueSaMajestéTrès-Chrétienneafaitd'unsigrand homme, dont les principes religieux sont les plus purs etinébranlables. Chaque phrase a été examinée attentivement; on n'yaperçoit pas l'ombre d'un intérêt politique privé, et moins encore uneapparence de vouloir hâter l'élection sans la présence des cardinauxfrançais.....

Chateaubriandajouteicicettenote:

J'ai été tenté de supprimer ici tout ce qui a rapport àmondiscours;mais,venantàpenserauxpréventionsque l'onacherchéà fairenaîtrecontremoi,j'aicrudevoirconserverl'opinionduConclave,commeunedéfense,commeuntémoignagehonorable,propreàfairelecontre-poidsdescalomniesdontj'aiétél'objet.

LapageduJournalconsacréeàlajournéedu10marsdonnelieu,delapartdeChateaubriand,àlaRemarqueci-après:

Voici encore le nonce (Mgr Lambruschini, nonce du Saint-Siège àParis)échoetmissionnaired'unecoterie. Ilparaitqu'onespéraitouvrirau sein duConclave des conférences sur l'état de nos affaires. J'ai su,d'une autre part, qu'avant lamort deLéonXII desmembres du clergéfrançaisétaientattendusàRomepouragiterdenouveaulaquestiondesOrdonnances. Ces manœuvres doivent être surveillées; ellesbouleverseraientlaFrance,sansatteindremêmelebutoùellesvisent.Ilest consolant de voir la fermeté du Sacré-Collège et la sagesse aveclaquelle il se refuse aux ouvertures du nonce. Celui-ci est un prélatpassionné, entré beaucoup trop avant dans les intrigues d'un partifrançais, homme qui, dans son pays, est à la tête de la Faction de

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Sardaigne,etdontilesturgentdesolliciterlerappel.

Le22mars,l'auteurduJournalnoteunpetitincidentassezsingulier:

Cematinonaétéinforméqu'uncardinal(Odescalchi)s'entretenaitparsignes avec des jésuites qui se trouvaient dans un jardin de laCompagnie, situé vis-à-vis l'édifice du Conclave. On s'est posté enobservation: impossible de rien comprendre à ce langage par signes....Lecardinalaétéprévenudes'abstenirdesemblablesmanœuvres,etsur-le-champ des ordres ont été donnés pour les empêcher désormais....Après le scrutin du soir, il a été décidé que l'on adresserait une lettrefermeetsérieuseauvicairegénéraldesJésuites,etqu'onrégleraitsursaréponselaconduiteàtenirultérieurement.

Chateaubriandinscritenmarge:

Ilseraitimpossibledes'empêcherderireducardinalOdescalchietdutélégraphedesjésuites,silagravitédelamatièreneformaituncontrastedéplorableavecces toursd'écoliers.VoilàdoncàquellesressourcesenestréduiteuneCompagniequiseditpieuseetuncardinaldontonlouelarégularité,pourasseoirdanslachairedeSaint-Pierrequelquepontifepassionné,perturbateurdureposdesnations!

Le lendemain 23 mars, à l'occasion de la réponse du père Pavani, VicairegénéraldelaCompagniedeJésus,àlalettreduConclave,Chateaubriandrevientsurl'incidentdelaveille:

Je dois avouer, écrit-il, que les Jésuites m'avaient semblé tropmaltraitésparl'opinion.J'aijadisétéleurdéfenseur,et,depuisqu'ilsontété attaqués dans ces derniers temps, je n'ai dit ni écrit un seul motcontreeux.J'avaisprisPascalpouruncalomniateurdegénie,quinousavaitlaisséunimmortelmensonge;jesuisobligédereconnaîtrequ'iln'arien exagéré. La lettre du père Pavani (qu'on trouvera ci-jointe) a l'aird'être échappée à Escobar lui-même, elle figurerait merveilleusementdanslesLettresprovinciales!Commeelledittoutetneditrien!Commetous lesmots en sont pesés, demanière qu'ils puissent être interprétésainsi que besoin sera! L'humeur et la violence percent pourtant. LerévérendPères'enestaperçu,etilvabientôttâcherdereprendre,paruneseconde lettre, non moins captieuse, le peu de vérité qu'il a laissé

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transpirerdanslapremière.

Ausurplus,l'audaceestgrande.CetteCongrégation,àpeinerétablie,repousséedetoutepart,suspecteauSacré-Collègelui-même,n'enaspirepasmoinsàdonnerlatiareetàsemêlerdetouteslesaffairesdumonde.

Chateaubriandcèdeici,enparlantdesjésuites,àunmouvementd'humeur,quidisparaîtrabientôt,quandlerésultatduConclaveseraconnu.Le31mars,àmidi,l'auteurduJournalécrivait:

Hier,àdixheuresdusoir,Albanis'appliquaavecbeaucoupd'ardeuràrecueillir des suffrages pour l'élection du cardinalCastiglioni, dont lessentimentsdeloyautéetdefranchiseétaientbienconnus,nonmoinsquel'opinion qu'il avait conçue de la capacité et des talents d'Albani pourexercer l'emploi de secrétaire d'État. Les cardinaux Pacca, Galleffi,Testaferrata,Oppizzoni,Arezzo,BertazzolietGazolafurentchargésdepersuaderCastiglionietdenelequitterqu'aprèsqu'ilauraitpromisdeserendreauvœucommunetdeseconformeràlavolontédivine.Pendantcetemps,Albanidisposaitlesautrescardinauxàcoopéreràl'élection.Àminuit, tout était arrangé. Les cardinaux français se montrèrent trèssatisfaits,etpromirentdedonnerunanimementleurvoteauscrutin.LepartideDeGregorio fitd'abordquelque résistance,maisenfin ilcéda.Celui de Macchi demeura rebelle à toute concession. Le calculd'approximationétabli,ilfutreconnuquelessuffragess'élèveraientà30,noncomprislepartid'Albani,quidevaitaccéderenentier.Lerésultataété tel qu'on l'avait espéré. Le premier scrutin a donné 32 voix, et cenombres'estaccru,parl'accedat,jusqu'à47....

Chateaubriand triomphe, il a son Pape, et il écrit, au bas du Journal duConclave,cettedernièreRemarque:

Cette journéea fait lePape, lePapequevoulait laFrance,en1823,lorsquej'avaisleportefeuilledesAffairesétrangères,àParis,lePapequiaréponduàmondiscours,etqui,parcetteréponse,connuedel'Europe,aprisdesengagementspolitiques.

Leprocès-verbalde l'acceptation,dressépar lenotaireduConclave,selon la coutume, est digned'être remarqué:«PieVIII s'est déterminé,dit-il, à nommer le cardinalAlbaniministre, afin de satisfaire aussi le

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CabinetdeVienne.»Singuliermoyensansdoute!

LeSouverain-Pontife,partageantleslotsentrelesdeuxcouronnes,sedéclarelePapedelaFranceetdonneàl'Autriche,encompensation,unSecrétaired'Étatinamovible.

J'ai dit tout à l'heure que l'auteur des Mémoires n'avait pas conservélongtemps, à l'endroit des Jésuites, les sentiments de Pascal—et ceux duConstitutionnel.Àpeudemoisdelà,eneffet,ilécrivaitsursonneveuChristiandeChateaubriand, jésuite, d'admirables pages, les plus belles de ce cinquièmevolume.

IV

DANSLESPYRÉNÉES[438].

Il existe, à la Bibliothèque Nationale, des fragments manuscrits deChateaubriandrecueillisparundesessecrétaires,Éd.L'Agneau,etcédésparlui,en1846,àuncertainÉdouardBricon.Celui-ci,seproposantsansdoutede lespublier, en avait fait une copie, qui se trouve aujourd'hui également audépartement des manuscrits. Le plus important de ces fragments se rapporte,sansdoutepossible,àl'épisodedontilestquestiondanslesMémoires.Iln'avaitpas échappé aux patientes et malicieuses investigations de Sainte-Beuve. Unjeuneet remarquablecritique,M.VictorGiraud,vientde lepublieràson tour,d'après le texte original, dans son étude sur Chateaubriand et les Mémoiresd'Outre-tombe(RevuedesDeux-Mondes,du1eravril1899).C'estd'aprèsluiquenousreproduisonscespagesadresséesparlepoètesexagénaireàla«spirituelle,déterminéeetcharmanteétrangèredeseizeans»,àcellequelebonChactaseûtappelée«laViergedesdernièresamours».

Avant d'entrer dans la société, j'errais autour d'elle.Maintenant quej'ensuissorti, jesuiségalementà l'écart;vieuxvoyageursansasile, jevois le soir chacun rentrer chez soi, fermer la porte; je vois le jeuneamoureux se glisser dans les ténèbres; et moi, assis sur la borne, jecomptelesétoiles,nemefieàaucune,etj'attendsl'aurorequin'arienàmeconterdenouveauetdontlajeunesseestuneinsulteàmescheveux.

Quandjem'éveilleavantl'aurore, jemerappellecestempsoùjeme

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levais pour écrire à la femme que j'avais quittée quelques heuresauparavant.Àpeineyvoyais-jeassezpourtracermeslettresàlalueurde l'aube. Je disais à la personne aimée toutes les délices que j'avaisgoûtées,toutescellesquej'espéraisencore;jeluitraçaisleplandenotrejournée,lelieuoùjedevaislaretrouversurquelquepromenadedéserte,etc.

Maintenant,quandjevoisapparaîtrelecrépusculeetque,delanattedemacouche,jepromènemesregardssurlesarbresdelaforêtàtraversmafenêtrerustique,jemedemandepourquoilejourselèvepourmoi,ceque j'ai à faire, quelle joiem'est possible, et jeme vois errant seul denouveaucomme la journéeprécédente,gravissant les rochers sansbut,sansplaisir,sansformerunprojet,sansavoiruneseulepensée,oubienassis dans unebruyère, regardant paître quelquesmoutons ou s'abattrequelquescorbeauxsuruneterrelabourée.Lanuitrevientsansm'amenerune compagne; je m'endors avec des rêves pesants, ou je veille avecd'importuns souvenirs pour dire encore au jour renaissant: «Soleil,pourquoitelèves-tu!»

[439]Ilfautremonterbienhautpourtrouverl'originedemonsupplice;ilfautretourneràcetteauroredemajeunesseoùjemecréaiunfantômedefemmepourl'adorer.Jevispassercetteidéaleimage,puisvinrentlesamoursréellesquin'atteignirentjamaisàcettefélicitéimaginairedontlapenséeétaitdansmonâme.J'aisucequec'étaitquedevivrepouruneseuleidéeetavecuneseuleidée,des'isolerdansunsentiment,deperdredevuel'univers,demettresonexistenceentièredansunsourire,dansunmot,dansunregard.

Mais, alors même, une inquiétude insurmontable troublait mesdélices. Je me disais:M'aimera-t-elle demain comme aujourd'hui? Unmotquin'étaitpasprononcéavecautantd'ardeurquelaveille,unregarddistrait, un sourire adressé à un autre que moi me faisait à l'instantdésespérerdemonbonheur.J'envoyaislafinetjem'enprenaisàmoi-mêmedemon ennui. Je n'ai jamais eu l'envie de tuermon rival ou lafemme dont je croyais entendre l'amour; toujours destructeur de moi-même,jemecroyaiscoupableparcequejen'étaisplusaimé.

Repoussédansledésertdemavie,j'yrentraisavectoutelapoésiedemondésespoir.JecherchaispourquoiDieum'avaitmissurlaterre,etje

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nepouvaislecomprendre.Quellepetiteplacej'occupaisici-bas!Quandtout mon sang se serait écoulé dans les solitudes où je m'enfonçais,combienrougirait-ildebrinsdebruyère?Etmonâme,qu'était-ce?Unepetitedouleurévanouieensemêlantdanslesvents.Etpourquoitouscesmondesautourd'unesichétivecréature?

J'erraisurleglobe,changeantdeplacesanschangerd'être,cherchanttoujours et ne trouvant rien. Je vis passer devant moi de nouvellesenchanteresses; les unes étaient trop belles pourmoi et je n'aurais oséleur parler, les autres ne m'aimaient pas. Et pourtant mes jourss'écoulaient,etj'étaiseffrayédeleurvitesse,etjemedisais:Dépêche-toidoncd'êtreheureux!Encoreunjour,ettunepourrasplusêtreaimé.Lespectacledubonheurdesgénérationsnouvellesquis'élevaientautourdemoim'inspirait les transportsde laplusnoire jalousie: si j'avaispu lesanéantir,jel'auraisfaitavecleplaisirdelavengeanceetdudésespoir.

Vois-tu:quandjemelaisseraisalleràmafolie,jeneseraispassûrdet'aimer demain: je ne crois pas à moi. Je m'ignore. Je suis prêt à mepoignarder ou à rire. Je t'adore;mais, dans unmoment, j'aimerai plusquetoi lebruitduventdanscesroches,unnuagequivole,unefeuillequi tombe.Puis jeprieraiDieuavec larmes,puis j'invoquerai lenéant.Veux-tumecomblerdedélices?Faisunechose:soisàmoi,puislaisse-moi te percer le cœur. Eh bien, oseras-tumaintenant te hasarder avecmoidanscettethébaïde?

Situmedisquetum'aimerascommeunpère,tumeferashorreur;situ prétends m'aimer comme une amante, je ne te croirai pas. Danschaque jeunehomme jeverraiun rivalpréféré.Tes respectsme ferontsentirmesannées;tescaressesmelivrerontàlajalousielaplusinsensée.Sais-tuqu'ilyatelsouriredetoiquimemontreraitlaprofondeurdemesmaux,commelerayondesoleiléclaireunabîme?

Objet charmant, je t'adore, mais je ne t'accepte pas. Va chercher lejeunehommedontlesbraspeuvents'enlacerauxtiensavecgrâce;maisneme ledispas.Oh!non,non,neviensplusme tenter.Songeque tudoismesurvivre,quetuserasencorelongtempsjeune,quandjeneseraiplus.Hier,lorsquetuétaisassiseavecmoisurlapierre,queleventdansla cime des pins nous faisait entendre le bruit de la mer, prêt àsuccomber d'amour et de mélancolie, je me disais: Ma main est-elle

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assez légèrepourcaressercetteblondechevelure!Pourquoi flétrird'unbaiserdes lèvresquiont l'airdes'ouvrirpour la jeunesseet lavie[440]?Quepeut-elleaimerenmoi?Unechimèrequelaréalitévadétruire.Etpourtant,quandtupenchastatêtecharmantesurmonépaule,quanddesparoles enivrantes sortirent de ta bouche, quand je te vis prête àm'entourer de tesmains comme d'une guirlande de fleurs, ilme falluttoutl'orgueildemesannéespourvaincrelatentationdevoluptédonttumevisrougir.Souviens-toiseulementdesaveuxpassionnésquejetefisentendre,etquandtuaimerasunjourunbeaujeunehomme,demande-luis'ilteparlecommejeteparlais,etsisapuissanced'aimerapprochajamais de la mienne. Ah! qu'importe! Tu dormiras dans ses bras, teslèvressurlessiennes,tonseincontresonsein,etvousvousréveillerezenivrésdedélices:quet'importerontalorsmesparolessurlabruyère?

Non,jeneveuxpasquetudisesjamaisenmevoyantaprèsl'heuredelafolie:Quoi!c'estlàl'hommeàquij'aipulivrermajeunesse!Écoute,prions leciel: il ferapeut-êtreunmiracle. Ilvamedonner jeunesseetbeauté.Viens,mabien-aimée:montonssurcenuage.Queleventnousportedans leciel.Alors, jeveuxbienêtreà toi.Tu te rappellerasmesbaisers,mesardentesétreintes:jeseraicharmantdanstonsouvenirettuserasbienmalheureuse,carjenet'aimeraiplus.Oui:c'estmanature.Ettu voudrais être peut-être abandonnée par un vieux homme?Oh! non,jeune grâce, va à ta destinée; va chercher un amant digne de toi. Jepleure des larmes de fiel de te perdre. Je voudrais dévorer celui quiposséderacetrésor.Maisfuisenvironnéedemesdésirs,demajalousie,etlaisse-moimedébattreavecl'horreurdemesannéesetlechaosdemanature,oùlecieletl'enfer,lahaineetl'amour,l'indifférenceetlapassionsemêlentdansuneconfusionpitoyable.

Si tu te laissais aller au caprice où tombe quelquefois l'imaginationd'une jeune femme, le jour viendrait où le regard d'un jeune hommet'arracheraitàtafataleerreur;carmêmeleschangementsetlesdégoûtsarrivent entre les amants dumême âge.Alors, commentme verrais-tuquandjeviendraisàt'apparaîtresousmaformenaturelle?Toi,tuiraistepurifier dans des jeunes bras d'avoir été pressée dans lesmiens;maismoi,quedeviendrais-je?Tumepromettraistavénération,tonamitié,tesrespects;etchacundecesmotsmeperceraitlecœur.Réduitàcachermadouble défaite, à dévorer des larmes qui feraient rire quiconque lesapercevrait dansmes yeux, à renfermer dansmon seinmes plaintes, à

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mourir de jalousie, je me représenterais tes plaisirs; je me dirais: Àprésent,àcetteheureoùellemeparlait,ellemeurtdevoluptédanslesbrasd'unautre;elleluireditcesmotstendresqu'ellem'aditsaveccetteardeurdelapassionqu'ellen'ajamaispusentirpourmoi.Alors,touslestourments de l'enfer entreraient dans mon âme, et je ne pourrais lesapaiserquepardescrimes.

Et pourtant, quoi de plus injuste? Si tu m'avais donné quelquesmoments de bonheur, me les devais-tu? Devais-tume donner toute tajeunesse?N'était-ilpastoutsimplequetucherchasseslesharmoniesdetonâge,etcesrapportsd'âgeetdebeautéquiappartiennentàtanature?Tedevais-jeautrechoseque laplusvive reconnaissancepour t'êtreunmoment arrêtée auprès du vieux voyageur?Tout cela est juste et vrai;maisnecomptepassurmavertu:situétaisàmoi,pourtequitter,ilmefaudrait tamort ou lamienne. Je te pardonnerais tonbonheur avecunange;avecunhomme,jamais!

N'espèrepasmetromper,l'amitiéabienplusd'illusionsquel'amour,et elles sont bien plus durables. L'amitié se fait des idoles, et les voittellesqu'ellelesacréées:ellevitducœuretdel'âme;lafidélitéluiestnaturelle,elles'accroîtaveclesannées.

L'amourenivre,maisl'ivressepasse.Ilnevitpasdepureté[441],etnesenourritpasdegloire:découvranttouslesjoursquel'idolequ'ilacrééeperdquelquechoseàsesyeux,ilenvoitbientôtlesdéfauts,etletempsseul lerendinfidèleendépouillantdesesgrâces l'objetqu'ilaime.Lespassions ne rendent point ce que le temps efface: la gloire ne rajeunitquenotrenom.

Non, je ne souffrirai jamais que tu entres dansma chaumière: c'estbien assez d'y repousser ton image, d'y veiller comme un insensé enpensantàtoi!Queserait-ce,situétaisassisesurlanattequimesertdecouche,si tuavais respiré l'airque je respire lanuit, si je te trouvaisàmon foyer compagne de ma solitude? Il y a dans une femme uneémanationdefleuretd'amour.Lorsquetuchantes,tavoixmerendfouetme fait mal; tu as l'air de la mélodie elle-même rendue visible etaccomplissantsespropreslois.

Comment croirais-jeque cetteviedeveuvagepourrait longtemps te

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suffire?Deuxbeauxjeunesgenspeuvents'enchanterdessoinsqu'ilsserendent;maisunvieilesclave,qu'enferais-tu?Pourrais-tu,dumatinausoir, supporter la solitudeavecmoi, les fureursdema jalousieprévue,mes long silences, mes tristesses de cœur et tous les caprices d'unenaturequisedéplaîtetcroitdéplaireauxautres?

Etlemonde,ensupporterais-tulesrailleries?Sij'étaisriche,ildiraitque je t'achète et que tu te vends, ne pouvant admettre que tu puissesm'aimer.Sij'étaispauvre,onsemoqueraitdetonamour,onmerendraitunobjetridiculeàtespropresyeux,onterendraithonteusedetonchoix.Et moi, on me ferait un crime d'avoir abusé de ta simplicité, de tajeunesse,det'avoiracceptée,oud'avoirabusédel'étatde [442]où tombe [443] le temps de te presser dans mes bras. Lajeunesseembellittout,jusqu'aumalheur.Ellecharmealorsqu'ellepeut,aveclesbouclesd'unechevelurebrune,enleverlespleursàmesurequ'ilspassentsur les joues.Mais lavieillesseenlaidit jusqu'aubonheur:dansl'infortune, c'est pis encore; quelques rares cheveux blancs sur la têtechauve d'un homme ne descendent point assez bas pour essuyer leslarmesquitombentdesesyeux.

Tum'asjugéd'unefaçonvulgaire,tuaspensé,envoyantlatroubleoùtumejettesquejemelaisseraisalleràtefairesubirmescaresses:àquoias-tu réussi? Àme persuader que je pourrais être aimé? Non, mais àréveillerlegéniequim'atourmentédansmajeunesse,àrenouvelermesanciennessouffrances.

Vieillisurlaterresansavoirrienperdudemesrêves,demesfolies,demesvagues tristesses; cherchant toujoursceque jenepuis trouver;joignant à mes anciens maux le désenchantement de l'expérience, lasolitude des déserts à l'ennui du cœur et la disgrâce des années, dis,n'aurai-jepasfourniauxdémons,dansmapersonne,l'idéed'unsupplicequ'ils n'avaient point encore inventé dans la région des douleurséternelles?

Fleurcharmantequejeneveuxpointcueillir,jet'adressemesdernierschantsde tristesse, tune les entendrasqu'aprèsmamort, quand j'aurairéunimavieaufaisceaudeslyresbrisées....

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V

LEDÉPARTDECHERBOURG[444]

C'étaitle16août1830.Unvaisseaudeguerre,leGreat-Britain,prêtàmettreàlavoile,attendaitsespassagers.Cefutundouloureuxetinoubliablespectacle,lorsque,devantlesgardesducorpsquiavaientsuivilafamilleroyaleetquiluiprésentaientunedernièrefoislesarmes,onvitpasserlevieuxroi,ledauphinsonfils, la fille de Louis XVI, appuyée sur le bras deM. de La Rochejaquelein;Madame, duchesse de Berry, conduite par le baron de Charette; le duc deBordeaux,portéparsongouverneur,M.deDamas;et,àquelquespas,sasœur,Mademoiselle,celleàquiM.leducdeBerryavaitdit,quelquesinstantsavantdemourir:«Monenfant,puissiez-vousêtremoinsmalheureusequeceuxdevotrefamille!»—Mademoiselle, destinée à voir un jour son mari assassiné commel'avaitétésonpère![445]Le roiCharlesXs'embarqua ledernier.Un silencededeuil régnait sur la côte de France bien des gémissements le suivirent sur lesflots.[446]

Dansdespagesintitulées:LeDépart,scènedel'histoiredeFrance,Balzac,leplus grand génie littéraire du XIXe siècle avec Chateaubriand, a racontél'embarquement du roi Charles X à Cherbourg. Il m'a paru que ces pages dugrandromancier,quisemontreici,onvalevoir,ungrandhistorien,méritaientd'êtrerapprochéesdecellesqu'onvientdeliredanslesMémoiresd'Outre-tombe.

Aumoment où le roimonta sur le vaisseau qui allait l'emporter en exil, ils'enfermaseulpourprieretpourpleurer.Balzac,—s'iln'étaitpasdesapersonnesur la rade deCherbourg, dumoins y était-il d'âme et de cœur,—Balzac dit àl'amiquil'accompagnait:

En ce moment, ce vieillard à cheveux blancs, enveloppé dans uneidée, victimede son idée, fidèle à son idée, et dont ni vousnimoinepouvons dire s'il fut imprudent ou sage,mais que tout lemonde jugedans le feu du présent, sans se mettre à dix pas dans la froideur del'avenir; ce vieillard vous semble pauvre: hélas! il emporte avec lui lafortune de la France; et, pour ce pas fatal, fait du rivage au vaisseau,vouspaierezplusde larmesetd'argent,vousverrezplusdedésolationqu'iln'yaeudeprospérités,deriresetd'or,depuislecommencementdesonrègne....

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Et dans ces pages d'une éloquence amère, d'une intuition merveilleuse, ildérouleàl'amiquil'écoutelesréalitésdel'avenir.Illuimontrelesartsendeuil,suivant le vieux roi dans l'exil; lesmarchands d'orviétan politique et les juréspriseurs du budget se refusant à décréter l'argent nécessaire aux galeries, auxmusées,auxessaislongtempsinfructueux,auxlentesconquêtesdelapenséeouaux subites illuminations du génie. «Il y aura cependant un art dans lequel seferont de grands progrès, l'art du suicide.»Ce vieillard et cet enfant partis, lepeupleserasouverain.Labourgeoisietraduiralasouverainetédupeupleparcemot: «Plus de supériorité sociale! plus de nobles! plus de privilèges!» Lesouvriers,àleurtour,latraduirontparcetautremot:«Plusd'impôts,etdel'or!»LaFranceconnaîtrabientôtunerévolutionnouvelle.«Lesgensquimènentparles chemins le convoi de la monarchie légitime enterreront eux-mêmesl'adjudicataireaurabaisdelacouronneetdupouvoir.»Aprèsavoirainsiprédit1848,Balzacdécritencestermeslestempsquenousvoyons,lecombatauquelnousassistonsaujourd'hui:

Cecombatdelamédiocritécontrelarichesse,delapauvretécontrelamédiocrité, n'aura pour chefs que des gens médiocres, et l'inhabiletédéborderaduhautenbassurcepayssiricheencemoment,et ilnousfaudra payer cher l'éducation de nos nouveaux souverains, de nosnouveaux législateurs.... Iln'yauraplusqu'unseulpouvoirarmé,celuidelareprésentationnationale;iln'yauraqu'uneseulechosedontonnedouterapas,lamisère!

Tout cela, disait Balzac, sera le prix du passage de cette famille sur cevaisseau. Il ajoutait,—et cette parole encore se devait réaliser: «Un momentviendra que secrètement ou publiquement, lamoitié des Français regrettera ledépart de ce vieillard, de cet enfant, et dira: «Si la révolution de 1830 était àfaire,elleneseferaitpas.»

Jevoudraispouvoirtoutciterdecetadmirableécrit,j'enreproduiraidumoinscettepagesurlesBourbons:

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Quandilsrevinrent,ilsrapportèrentlesolivesdelapaix,laprospéritédelapaix,etsauvèrentlaFrance,laFrancedéjàpartagée.S'ilspayèrentles dettes de l'exil, ils payèrent les dettes de l'Empire et de laRépublique. Ils versèrent si peu de sang, qu'aujourd'hui ces tyranspacifiquess'envontsansavoirétédéfendus,parcequeleursamisnelessavaient pas attaqués.Dans quelquesmois, tous saurez que,même enméprisantlesrois,nousdevonsmourirsurleseuildeleurpalais,enlesprotégeant, parce qu'un roi, c'est nous-mêmes, un roi, c'est la patrieincarnée;unroihéréditaireestlesceaudelapropriété,lecontratvivantqui lieentreeux tousceuxquipossèdentcontreceuxquinepossèdentpas.Un roi est la clef de la voûte sociale; un roi, vraiment roi, est laforce, le principe, la pensée de l'État, et les rois sont des conditionsessentielles à la vie de cette vieille Europe, qui ne peut maintenir sasuprématiesurlemondequeparleluxe,lesartsetlapensée.Toutcelanevit,nenaîtetneprospèrequesousunimmensepouvoir....

Napoléon a péri comme ces Pharaons de l'Écriture, aumilieu d'unemerdesang,desoldats,dechariotsbrisés,etdanslevastelinceuld'uneplaine de fumée; il a laissé la France plus petite que lesBourbons nel'avaient faite; ceux-ci sont tombés, ne versant guère que le sang desleurs,àpeinetachésdusangdesgensquiavaientprislesarmespourladéfensed'uncontrat,etqui,danslavictoire,l'ontméconnu.

Eh bien, ces souverains bannis laissent la France agrandie etflorissante. Les preneurs à bail, qui vont essayer d'entreprendre lebonheurdespeuples,apprendrontàleursdépenslasignificationdumotcatholicisme,sisouventjetécommeunreprocheàcevieillardquenousdéportons.[447]

LerécitdeBalzacsefermesurlemotsuivant:

Là-bas,dis-je,enmontrantlevaisseau,estledroitetlalogique;horsdecetesquifsontlestempêtes.

PhilarèteChasles,danssesMémoires,résumeainsisonjugementsurl'auteurdelaComédiehumaine:«C'étaitunvoyant,nonunobservateur.[448]»Silemotestvraiduromancier,ilnel'estpasmoinsdupubliciste.DansleDépartetdansplusieursautresdesesécritspolitiques,Balzacaétéunvoyant.

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VI

LESACDESAINT-GERMAIN-L'AUXERROIS[449]

Dans les premiers jours de juillet 1831, six mois après le sac de Saint-Germain-l'Auxerrois,lebruits'étaitrépanduquelegouvernementallaitaccorderà la révolution la démolition de la vieille église. Chateaubriand était alors àGenève.IlécrivitaussitôtlalettresuivanteàMmede...,quipermitàlaRevuedeParisdelapublier:

Genève,11juillet1831.

Jevous ai écrit hier, et voici encoreune lettre.Dequoi s'agit-il?deSaint-Germain-l'Auxerrois.Àquiconterais-jemespeinesetmes idées,sicen'estàvous?

On va donc commencer, disent les journaux, la démolition de cemonument le 14 juillet. Noble manière d'inaugurer la monarchieélective,parladestructiond'uneéglise,d'exécuterdesang-froid,etàtêtereposée,cequelevandalismerévolutionnairefaisaitjadisdanslafièvreet les convulsions!Le chapitredes comparaisons et des considérationsserait ici trop long à parcourir; un mot seulement à ce sujet. LarévolutiondeJuilletignore-t-ellequecequiluialeplusnuienEuropeaété la dévastation de Saint-Germain-l'Auxerrois? que les peuples quitous,sansexceptionalors,sympathisaientavecnous,ontreculé,etqueleurs dispositions favorables ont changé? La non-intervention, si biengardée, a achevé l'affaire. Une stupide manie de quelques Français,depuisquaranteans,estdecompterpourrienlesidéesreligieuses,etdelescroireéteintespartout,commeelleslesontdansleurétroitcerveau.Ilsoublientquetouslespeupleslibresoutousceuxquiveulentl'êtreetquisontenrapportavecnoussontreligieux.AuxÉtats-Unis,laloivousforce d'être chrétiens. Dans les républiques espagnoles, la religioncatholique est la seule; excepté, je crois, au Mexique, où l'on vientd'essayerquelquechosepourlatolérance.LesCortèsd'Espagneavaientdécrétéleseulexercicedelareligioncatholique.Sil'Italies'émancipait,elleresteraitchrétienne.LaBelgiqueafaitsarévolutionpourchasserunroi protestant. L'Allemagne, si philosophique, est chrétienne, et lesPolonais,quesont-ils?IlsvontaucombatouàlamorteninvoquantlasainteVierge.Skrineckiporteunscapulaireetfaitdespèlerinages.Nos

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démolitionsreligieusessontdoncàlafoisuneignorancehistoriqueetuncontre-senspolitique.

Sous le rapport des arts, la chose n'est pasmoins déplorable.Quoi!renouvelerlevandalismede93!Quenefait-oncequej'aiproposé?Quenemasque-t-onl'églisepardesarbres,enlalaissantsubsisterenfaceduLouvrecommeéchelleet témoindelamarchedel'art?Saint-Germain-l'Auxerrois est un des plus vieux monuments de Paris; il est d'uneépoque dont il ne reste presque rien. Que sont donc devenus vosromantiques?On porte lemarteau dans une église, et ils se taisent!Ômes fils! combien vous êtes dégénérés! Faut-il que votre grand-pèreélèveseulsavoixcasséeenfaveurdevostemples?Vousferezuneode,maisdurera-t-elleautantqu'uneogivedeSaint-Germain-l'Auxerrois?Etlesartistesneprésententpointdepétitionscontrecettebarbarie!Commeleplushumbledeleurscamarades,jesuisprêtàmettremasignatureàlasuite de leurs noms. Détruire est facile, on l'a dit mille fois; et je neconnais pas aumonded'ouvriers qui aillent plus vite en cette besognequelesFrançais;maisreconstruire!Qu'ont-ilsbâtidepuisquaranteans?

Onveutpercerunerue!Trèsbien:commencezlesabatispar lacôtéopposéauLouvre,par laplacedeGrève,celavousdonneradu temps;vous serez deux ou trois ans, peut-être davantage, à tracer votre voie;alors, quand vous arriverez à Saint-Germain, vous aurez mûri vosréflexions, vous jugerez mieux de l'effet même du monument, àl'extrémitédel'ouverture....OnaabattulaBastilleetl'onabienfait.LaBastille était uneprison. Jene sachepasqu'on ait enfermépersonne àSaint-Germain-l'Auxerrois; mais, même sur l'emplacement de laBastille,qu'a-t-onélevé?D'abordunarbrede la libertéque lesabredeBonaparteacoupé,pourfaireplaceàunéléphantd'argile;etpuis,aprèsl'éléphant, que va-t-il survenir? Et tout cela, vous le savez, était àtoujours, pour les siècles, pour l'éternité, commenos serments.QuandNapoléon ordonna les travaux du Carrousel et de la rue de Rivoli, ilcroyait bien voir la fin de son entreprise; la rue deRivoli a vu passerl'Empire et laRestauration sans être achevée.Qui vous répond que lanouvellemonarchieirajusqu'auboutdelaruequ'ellevaouvrirparuneruine?NousautresFrançais,noussommestropconséquentsdanslemalet pas assez logiques dans le bien: parce qu'une imprudence taquine aproduit à Saint-Germain une vengeance sacrilège, est-il de toutenécessitédecontinuerladernière?LesParisiensnepeuvent-ilss'amuser

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sans jeter lesmeubles par les fenêtres, ou sans abattre lesmonumentspublics?OnhonoreraitbienmieuxleshérosdeJuilletenleurdonnantàenlever les places fortes bâties contre nous, avec notre argent, qu'enlivrantàleurcourageuneégliseravagée,oùilsnetrouverontpasmêmele curé pour la défendre. N'enfoncerons-nous plus notre chapeau surnotretêtequepourmarchercontreunvicaireoupourmonteràl'assautd'un clocher, et aurons-nous encore longtemps le chapeau bas devantl'insolence étrangère? Il serait triste qu'on apprît l'entrée des Russes àVarsovie le jour où notre gouvernement entrerait à Saint-Germain-l'Auxerrois!Lesdeuxbellesvictoirespourlamonarchiepopulaire!...

Vous rirez demagrande colère, vousmedirez: «Qu'est-ce que celavousfait,vous,exilé,quinereverrezpeut-êtrejamaislaFrance?»Neleprenez pas là, je suis Français jusque dans la moelle des os. Que laFranceentredansunsystèmepolitiquegénéreux,etsilaguerresurvient,vousmeverrezaccourirpourpartagerlesortdemapatrie.J'auraiscentans que mon cœur battrait encore pour la gloire, l'honneur etl'indépendancedemonpays.Déchiffrez,sivouspouvez,cegriffonnageécritabirato,uneheureavantledépartducourrier.

CHATEAUBRIAND.

VII

CHATEAUBRIANDETLEJOURNALDUMARÉCHALDECASTELLANE[450]

Danslesjoursquisuivirentl'apparitiondelabrochuredeChateaubriandsurlaRestaurationet lamonarchieélective, legénéraldeCastellaneécrivait sur sonJournal,àladatedu3avril1831:

Onveut, à laChambre des députés, discuter beaucoup l'histoire desneufmillionsqueleRoiatouchésàcomptesurlalistecivile.Unepartiedecetargentaétédonnée.M.BenjaminConstantareçu340,000francs;M.Mauguin220,000francs,àconditionderestertranquilles;ilsontprisl'argent, sans tenir compte de leurs promesses.M. de Chateaubriand,dontledésintéressementl'aportéàrenonceràlapairieetà ladotationde 12,000 francs, a reçu du Roi 100,000 francs pour ne pas écrire.Aussi, dans le seul pamphlet qu'il a fait paraître[451] et qu'il annonce

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commedevantêtrel'uniqueetdernier,ilnetraitepasmallapersonneduRoi. Cette affaire s'est traitée parmadameAdélaïde; il voulait vendreson hospice, et ses terrains, rue d'Enfer, 3 ou 400,000 francs; on apréféréluidonnertoutbonnement100,000francs[452].

Quecebruitaitcouruquelquessalons,illefautbiencroire;cequiestcertain,c'estqu'ilnetientpasdebout.

Lorsqu'éclata la révolution de 1830, Chateaubriand avait pour toute fortunesontitredepairdeFrance,lapensionde12,000francsqueluiavaitfaiteleroiLouisXVIII,etcequ'iltouchaitcommeministred'État.Le10août,ildonnasadémissiondepairdeFranceetdeministred'État,et,le12,iladressaauministredesfinanceslalettresuivante,qu'onaluedéjàdanslesMémoires,maisqu'ilneserapashorsdeproposdereproduireici:

Monsieurleministredesfinances,

IlmerestedesbontésdeLouisXVIIIetdelamunificencenationaleune pension de pair de douze mille francs, transformée en rentesviagères inscrites au grand-livre de la dette publique et transmissiblesseulement à la première génération directe du titulaire. Ne pouvantprêter serment àMgr le duc d'Orléans comme roi des Français, il neseraitpasjustequejecontinuasseàtoucherunepensionattachéeàdesfonctionsquejen'exerceplus.Enconséquencejevienslarésignerentrevosmains.Elle aura cesséde courirpourmoi le jour (10août)où j'aiécritàM. leprésidentde laChambredespairsqu'ilm'était impossibledeprêterlesermentexigé.

Aprèsavoirrapportéseslettresdedémission,Chateaubriandajoute:

Je restai nu comme un petit saint Jean.... Mes broderies, mesdragonnes, franges, torsades, épaulettes, vendues à un juif et par luifondues, m'ont rapporté sept cents francs, produit net de toutes mesgrandeurs[453].

Etc'estcethommequi,quelquesmoisaprès,seseraitvendu,pourcentmillefrancs,augouvernementàlafaceduquelilavaitainsijetésesdémissionsetsonrestedefortune!

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Chateaubriand aurait touché ces centmille francs aumois d'avril 1831. Or,voicicequ'ilécrivaitsursonJournal,àladatedemai1831.

Larésolutionquejeconçusaumomentdelacatastrophedejuilletn'apointétéabandonnéeparmoi.Jemesuisoccupédesmoyensdevivreenterreétrangère,moyensdifficiles,puisquejen'airien:l'acquéreurdemesœuvresm'a fait àpeuprèsbanqueroute,etmesdettesm'empêchentdetrouverquelqu'unquiveuillemeprêter....Jelaissemaprocurationpourvendre lamaisonoù j'écris cette pagepourordrededate.Si je trouvemarchandàmonlit,jepourraitrouverunautrelithorsdeFrance[454].

Le bruit, si légèrement accueilli par Castellane, est déjà, ce me semble,démontré faux. Mais voici qui est plus concluant encore. On a donné, dit-il,100,000 francs à Chateaubriand, à la condition, acceptée par lui, de ne plusécrire.Mais alors, comment expliquer que,moins de sixmois après, aumoisd'octobre 1831, il écrive et publie sa brochure: De la nouvelle propositionrelativeaubannissementdeCharlesXetdesafamille,ousuitedemondernierécrit:DelaRestaurationetdelamonarchieélective?Cettebrochuren'étaitpasseulementuneviolenteattaquecontrelamonarchiedeJuillet;ellerenfermait,àl'adresse du roi Louis-Philippe, des paroles amères et cruelles, celles-ci parexemple:

LesdernièresbarricadesontchasséCharlesXdesTuileries.Ehbien,danscechâteaufuneste,aulieud'unecoucheinnocente,sansinsomnie,sansremords,sansapparition,qu'atrouvéLouis-Philippe?Untrônevideque lui présente un spectredécapité portant dans samain sanglante latêted'unautrespectre.

Aumoisdemai1832,nouvellebrochuresurles12,000francsenvoyésparladuchessedeBerrypourêtredistribuésauxcholériques.

En cemêmemois demai 1832, leMémoire sur la captivité demadame laduchesse de Berry. CeMémoire, où se trouvait la fameuse phrase:Madame,votre fils est mon roi, était particulièrement dur pour la personne de Louis-Philippe. Chateaubriand fut traduit devant les tribunaux pour délit de presse.Déjà,aumoisde juinprécédent, il avait étéarrêtéet retenuenprisonpendantquinzejours,commeprévenudecomplotcontrelasûretédel'État.Aulieudeletraînerenprison,aulieudeletraduireencourd'assisesetdeluipréparerainsidesovations,legouvernement—silefaitrapportéparCastellaneeûtétévrai—

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auraiteuunmoyenbiensimpledefairetaireChateaubriand:illuiauraitsuffidedire:«M.deChateaubriandareçu100,000francsduRoi.»—Onnel'apasdit,etonnepouvaitpasledire,parcequeChateaubriandn'avaitrienreçu.

Etcommenteût-ilconsentiàrecevoirl'argentdeLouis-Philippe,sonennemi,luiquinevoulaitmêmepasaccepterceluiqueluioffrait levieuxroiauquel ilrestait si honorablement fidèle? À l'avènement du ministère Polignac, il avaitdonné sa démission d'ambassadeur à Rome, et il était revenu à Paris, nonseulement sans le sou, mais chargé d'une dette de soixante mille francscontractée pendant son ambassade. Aumois de juillet 1832, une trentaine demille francs lui restait encore à payer sur ces soixante mille, en outre de sesvieillesdettes.«M.leducdeLévis,dit-ildanssesMémoires,àsonretourd'unvoyageenÉcosse(aumoisd'octobre1831),m'avaitditdelapartdeCharlesXque ce prince voulait continuer àme fairema pension de pair; je crus devoirrefusercetteoffre.LeducdeLévisrevintàlachargequandilmevitausortirdela prison (juillet 1832) dans l'embarras le plus cruel, ne trouvant rien de mamaisonetdemonjardinrued'Enfer,etétantharceléparunenuéedecréanciers.J'avaisdéjàvendumonargenterie.LeducdeLévism'apportavingtmillefrancs,medisantnoblementquecen'étaitpaslesdeuxannéesdepensiondepairiequeleroireconnaissaitmedevoir,etquemesdettesàRomen'étaientqu'unedettedela couronne. Cette sommeme mettait en liberté, je l'acceptai comme un prêtmomentané,etj'écrivisauroilalettresuivante:

Sire,

Aumilieudescalamitésdont il apluàDieude sanctifiervotrevie,vous n'avez point oublié ceux qui souffrent au pied du trône de saintLouis. Vous daignâtes me faire connaître, il y a quelques mois, votregénéreux dessein de me continuer la pension de pair à laquelle jerenonçai en refusant le serment au pouvoir illégitime; je pensai queVotreMajestéavaitdesserviteurspluspauvresquemoietplusdignesdeses bontés. Mais les derniers écrits que j'ai publiés m'ont causé desdommagesetsuscitédespersécutions;j'aiessayéinutilementdevendrele peu de chose que je possède. Je me vois forcé d'accepter, non lapension annuelle que Votre Majesté se proposait de me faire sur saroyale indigence, mais un secours provisoire pour me dégager desembarrasquim'empêchentderegagnerl'asileoùjepourraivivredemontravail.Sire,ilfautquejesoisbienmalheureuxpourmerendreàcharge,mêmeunmoment,àunecouronnequej'aisoutenuedetousmesefforts

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etquejecontinueraiàservirlerestedemavie.

LecomteFerrand(voir,au tomeIII,desMémoires,l'Appendiceno IV)avaitaccuséChateaubrianddes'êtrevenduàNapoléonen1811,pourunesommede70,000fr.VoiciquelemaréchaldeCastellanel'accusedes'êtrevenduàLouis-Philippe, en 1831, pour une somme de 100,000 fr. Les deux allégations sevalent:ellessont,l'uneetl'autretoutbonnementridicules.

VIII

LETTRESDEGENÈVE[455].

Le16mai1831,ChateaubriandétaitpartipourGenève,oùilarrivale23.

LorsqueVoltaire,aumoisdefévrier1753,étaitallésefixerenSuisse,ilavaitachetécoupsurcouplechâteaudeMontriond,auxportesdeLausanne,etceluide St-Jean, sur la route de Genève à Lyon. Il avait fait de ces résidencesseigneuriales«unpalaisd'hiveretunpalaisd'été».Encoreembelliparsessoins,lechâteaudeSaint-Jeanavaitdûchangerdenometavaitétébaptiséparluisouscenouveauvocable:lesDélices.CepauvrediabledeChateaubriandn'étaitpointunsigrosseigneurqueVoltaire.Ilfutdonctoutheureuxettoutaisedepouvoirs'installer,avecMmedeChateaubriand,dansunmodeste logis,situéàGenève,danslequartierappelélesPâquis.

C'estdelàqu'ilécrivaitàsonvieilamiBallanche,le12juillet1831,lajolielettrequ'onvalire:

Genève,12juillet1831.

L'ennui, mon cher et ancien ami, produit une fièvre intermittente;tantôt il engourditmes doigts etmes idées, et tantôt ilme fait écrire,commel'abbéTrublet.C'estainsiquej'accableMmeRécamierdelettreset que je laisse la vôtre sans réponse. Voilà les élections, comme jel'avaistoujoursprévuetannoncé,ventruesetreventrues.LaFranceestàprésent toute en bedaine, et la fière jeunesse est entrée dans cetterotondité.Grandbienluifasse!Notrepauvrenation,moncherami,estet sera toujours au pouvoir: quiconque régnera l'aura; hier Charles X,aujourd'huiPhilippe,demainPierre,ettoujoursbien,semprebene,etdes

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serments tant qu'on voudra, et des commémorations à toujours pourtoutes les glorieuses journées de tous les régimes, depuis les sans-culotidesjusqu'aux27,28,et29juillet.Unechoseseulementm'étonne,c'estlemanqued'honneurdumoment.Jen'auraisjamaisimaginéquelajeuneFrancepûtvouloirlapaixàtoutprixetqu'ellenejetâtpasparlafenêtrelesministresquiluimettentuncommissaireanglaisàBruxelleset un caporal autrichien àBologne.Mais il paraît que tous ces bravescontempteursdesperruques,cesfutursgrandshommes,n'avaientquedel'encreaulieudesangsouslesongles.Laissonstoutcela.

L'amitiéasescajoleriescommeunsentimentplustendre,etpluselleest vieille, plus elle est flatteuse; précisément tout l'opposé de l'autresentiment. Vous me dites des choses charmantes sur ma gloire. Voussavezquejevoudraisbienycroire,maisqu'aufondjen'ycroispas,etc'estlàmonmal:car,sitoutefoisilpouvaitm'entrerdansl'espritquejesuis un chef-d'œuvre de nature, je passerais mes vieux jours encontemplationdemoi-même.Commelesoursquiviventdeleurgraissependant l'hiver en se léchant les pattes, je vivrais de mon admirationpourmoipendantl'hiverdemavie;jemelécheraisetj'aurailaplusbelletoisondumonde.Malheureusementjenesuisqu'unpauvreoursmaigre,etjen'aipasdequoifaireunpetitrepasdanstoutemapeau.

Jevousdirai,àmontourdecompliment,quevotre livrem'estenfinparvenu après avoir fait le voyage complet des petits cantons, dans lapochedevotrecourrier.J'aimeprodigieusementvossièclesécoulésdansle temps qu'avait mis la sonnerie de l'horloge à sonner l'air de l'AveMaria.Toutevotreexpositionestmagnifique,jamaisvousn'avezdévoilévotre système avec plus de clarté et de grandeur. À mon sens, votreVision d'Hébal est ce que vous avez produit de plus élevé et de plusprofond. Vous m'avez fait réellement comprendre que tout estcontemporain pour celui qui comprend la notion de l'éternité; vousm'avez expliqué Dieu avant la création de l'homme, la créationintellectuelledecelui-ci,puissonunionàlamatièreparsachute,quandilcrutsefaireundestindesavolonté.

Monvieilami,jevousenvie;vouspouveztrèsbienvouspasserdecemondedont jenesaisque faire.Contemporaindupasséetde l'avenir,vous vous riez du présent quim'assomme,moi chétif,moi qui rampesousmesidéesetsousmesannées.Patience!jeseraibientôtdélivrédes

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dernières;lespremièresmesuivront-ellesdanslatombe?Sansmentir,jeseraisfâchédeneplusgarderuneidéedevous!Milleamitiés.

CHATEAUBRIAND.

Un autre fidèle de l'Abbaye-au-Bois, Jean-Jacques Ampère, au nom de sesamis comme au sien, lui écrivait pour le supplier de ne pas abandonner pluslongtempssonpays,derevenirtrouverungroupedejeunesgensdontlabonnevolontéetlelibéralismeréclamaientsesencouragementsetsesconseils.

VoicilaréponsedeChateaubriand:

Genève,18juillet1831.

Vous ne sauriez croire, Monsieur, combien je suis touché de votrenoble lettre. Jeserais trop fierd'êtrechoisiparcette jeunesse françaisequevotrecaractèreetvostalentshonorent,pourêtre,nonpassonguideet sonchef,mais sonvieil ami.Mais,Monsieur, l'âgedes illusions estpassépourmoi; je sensquemon rôle est fini,ma carrière achevée. Jen'ai jamais fait cas de la vie: ce quim'en resteme semble ridicule oupitoyable;peu importequecevieuxchiffonsèchemaintenantausoleildelapatrieoudel'exil.

Pourbienm'expliquer,Monsieur, ilme faudrait unvolume, et peut-être aurait-il le triste effet de vous ennuyer et de vous décourager. Jecrains que la liberté ne soit pas un fruit du sol de la France; horsquelques esprits élevés qui la comprennent, le reste s'en soucie peu.L'égalité,notrepassionnaturelle,estmagnifiquedanslesgrandscœurs,mais,pourlesâmesétroites,c'esttoutsimplementdel'envie;et,danslafoule,desmeurtresetdesdésordres;etpuis l'égalité,comme lechevalde la fable, se laisse brider et seller pour se défaire de son ennemi;toujours l'égalité s'estperduedans ledespotisme; cela,Monsieur,vousexpliquera toutes les désertions qui vous environnent; le passagecontinueldevosjeunesamisaupouvoir;enfin,quelquechosedepisencemoment: l'insensibilitédelaFranceàcequi luifut toujourssicher:l'honneurde sonnometde sesarmes....Ah!Monsieur, j'ai lemalheurd'êtreunancienetunnouveauFrançais; jemeferaisécorchervifpourl'honneurdelaFranceetpendrepourses libertés.Àquoiserais-jebondansunpaysquinesentpluslepremieretquiesttoujoursprêtàlivrer

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lessecondes?EntrelespanégyristesdelaTerreuretlesamisdelapaixàtoutprix,oùestmaplace?Combattrelesunsetlesautres!Oùseraitmonpublic?Ya-t-ilenFrancevingthommescommevous!J'endoute.Vivez,Monsieur, pour conserver le feu sacré, mais sachez bien, pour ne pasvous tromper, quevous et quelques-unsdevos jeunes compagnons enavez seuls le dépôt. La civilisation générale ne rétrogradera pas,maisellepourrapérirenunlieu,enunpays,enFrance,etêtreerrantecommel'ÉgliseduChrist.Croyezque jevousparlede tout ceci avecdouleur,maissanshumeuretsansregretscachés....Envérité,ilfaudraitêtrebienfoupourdéplorer lepeude joursquecette révolutionenlèveàmaviepublique; elle me rend même un service en mettant dans l'ombre lesannées où j'allais radoter; je lui sais gré de m'avoir retranchébrusquement du nombre des vivants. Il y a, dans mon voisinage, àl'hospicedumontSaint-Bernard,unechambreoùl'ondépose,avantdelesenterrer,lesvoyageursquiontpéridansunetourmente:c'estlàquejesuisengourdi.Àvotreâge,Monsieur,ilfautsoignersavie;aumien,ilfaut soigner samort. L'avenir au delà de la tombe est la jeunesse deshommesàcheveuxblancs;jeveuxuserdecettesecondejeunesseunpeumieuxquejen'aifaitdelapremière.

Jevouslerépèteenfinissant,Monsieur,votrelettrem'aprofondémenttouché; elle est digne de vous et de vos sentiments; c'est tout dire.Pardonnezà laprolixitédemaréponse:autrefois, jen'écrivaisquedesbillets; aujourd'hui le plus grand papier ne me suffît plus; c'est uneinfirmité des perruques. Je ne suis pas Nestor: je n'en aimalheureusementqueleslongspropos.

Sinousavonslaguerre,cequejenecroispasdutout,jerentreraienFrance pour partager le sort de ma patrie; et alors, Monsieur, quelbonheur d'entreprendre avec vous quelque chose pour le bien etl'honneur de ce beau nom de Français que nous portons l'un et l'autreavectantd'orgueiletd'amour.

Jesuis,Monsieur,avecleplusentierdévouementetlaconsidérationlaplusdistinguée,votretrèshumbleettrèsobéissantserviteur.

CHATEAUBRIAND.

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IX

LANÉMÉSISDEBARTHÉLEMY.CHATEAUBRIAND,LAMARTINEETBALZAC[456].

OnvientdevoiravecquelleéloquenceChateaubriandavaitréponduàl'auteurdeNémésis, le rappelantaurespectdecesnoblesetsainteschoses, lareligion,l'innocence et le malheur. Le poète révolutionnaire, l'insulteur haineux de laMonarchie et de l'Église, ne laissa pas de recevoir encore d'autres leçons.Lamartine, à ce moment, était candidat à la députation quelque part, àDunkerque, je crois. Barthélemy décocha au chantre desMéditations et desHarmoniesquelques-unesdesesflècheslesplusacérées:

D'enhauttufaistombersurnous,petitsatomes,TesGloriaPatridélayésendestomes,TespsaumesdeDavidimpriméssurvélin:Maisquanddetesbilletsl'échéanceestvenue,Poètefinancier,tudescendsdelanue,

PourtraiteravecGosselin...

Onn'apointoubliétesœuvrestroprécentes,TeshymnesàBonaldenstrophescaressantes,Etsurl'autelRémoistonvoldeséraphin;Nitesverscourtisanspourtesroislégitimes,Pourlescalamitésdesaugustesvictimes,

EtpourtonseigneurleDauphin.

Va,lestempssontpassésdessublimesextases,DesharpesdeSion,dessaintesparaphrases;Aujourd'huitousceschantsexpirentsansécho;Vadonc,selontesvœux,gémirenPalestine,Etprésenter,sanspeur,lenomdeLamartine

AuxélecteursdeJéricho.

La réponse de Lamartine fut superbe. Celui-là avait vraiment dans soncarquoislesflèchesd'Apollon:

Non,sousquelquedrapeauquelebardeserange,Lamusesertsagloireetnonsespassions;Non,jen'aipascoupélesailesàcetange

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Pourl'attelerhurlantauchardesfactions.Non,jen'aipascouvertdumasquepopulaireSonfrontresplendissantdesfeuxdusaintparvis.Ni,pourfouetteretmordreirritantsacolère,

ChangémamuseenNémésis...

Maiscesstrophesvengeressessontdans toutes lesmémoires. Il suffit icidelesrappeler.

Moins illustre alors que Chateaubriand et Lamartine, mais destiné à lesrejoindre dans la gloire,Balzac n'était encore que l'auteur desChouans et desScènesdelavieprivée.AutantetplusqueLamartineetChateaubriand,ilavaitlahainedelarévolutionetlerespectdelamonarchie.Le1ermai1831,l'auteurdeNémésispublia,souscetitre,laStatuedeNapoléon,unepiècedanslaquelleiljetaitl'insulteauxBourbonsdelabrancheaînée.LalettrequeluiécrivitaussitôtBalzacméritedeprendreplaceàcôtédecelledeChateaubriand.Onmesaurasansdoutegrédelareproduireici.

Paris,ce3mai1831.

Monsieur,

N'ayantpasl'honneurdevousconnaîtrepersonnellement,jevouspried'abord d'excuser ma liberté; puis, permettez-moi de vous soumettrequelquesobservationssurvotresatirededimanchedernier,laStatuedeNapoléon.

Avant tout, je vous féliciterai d'une chose: quand je vis apparaîtrevotrejournal,jecraignissincèrementqu'unhommedevotretrempeetdevotre talent ne s'engouât des idées révolutionnaires et jacobines, quiredeviennentàlamodeetformentchaquejourdenouveauxprosélytes,idéesquinousferaientrétrograderjusqu'aucharnierfangeuxdesHébert,desChaumette,desMarat,etquetouthommedecœurdoitcombattreetrepousser vigoureusement. Votre numéro de dimanchem'a pleinementrassurélà-dessus;ilmetNémésisd'accordavecvosprécédentsouvrages;ilenfaitlependantpolémiquedeNapoléonenÉgypte,deWaterloo,duFilsdel'homme.Vousdonnezunorganedeplusaupartibonapartisteetnon pas aux gens qui voudraient voir revivre les beaux jours de laConventionetdelaTerreur.Encoreunefois,monsieur,jevousfélicite.

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Mais est-il nécessaire, pour défendre la cause que vous servez,d'attaquersanscesseetsansrelâcheunefamillemalheureuseetexilée?Vousavez fait à lamonarchie légitimeuneguerreassez rude,vous luiavezportédescoupsassezéclatantspourêtregénéreuxaprèslavictoire.Aujourd'hui, l'adversaire est désarmé et à terre, et votre vers incisif lepoursuitencore.Dès ledébutdevotrepièce,vousmontrezvotrehaineterriblepourcette familleque l'exil frappepour la troisièmefois.Vousleurfaitesvossanglantsreprochesaveclamêmeacrimonieetlemêmefielques'ilsétaientencoresurletrône.

Prenezgarde,Monsieur!Surcecheminondépasseaisémentlebut,et,sivousfrappezfort,vouspourriezbiennepasfrapperjuste.QuandlesBourbons revinrent, on renversa la statue deNapoléon; ce fut un actemalheureux, àmon sens;mais aujourd'hui que seize ans ont passé surcesévénements,est-ceune raisonpouroubliercequeLouisXVIII fît,dès le premier jour, pour arrêter les dévastations des soldats despuissances étrangères, ses alliées, qui restauraient son trône? Je ne lecroispas.Lahainenedevaitpasremontersihaut.Lajusticeveutqu'onflétrisseceshommesquisemontrèrentplusroyalistesqueleroi,etqui,dans leur zèle insensé, compromirent de tout leur pouvoir la dignitéroyale.

Pour ma part, je méprise souverainement ces hommes. On lesrencontreàlaqueuedetouslespartisetaucuneinfamienelesarrête;ilsferaientdétesterlameilleuredescausesethaïrleplusjustedeshommes.Réservez vos foudroyants anathèmes pour ces êtres vils,Monsieur, ettouslesgensdecœurapplaudirontauxcoupsdefouetdevotreNémésisvengeresse.Vouspourrezbienresterencorel'organed'unparti,maiscepartiseragrossidetousleshonnêtesgens.

C'est vraiment dommage,Monsieur, qu'une poésie aussi vigoureusequelavôtres'égaredelasorte.Nesoyezpasétonnédelafranchisedemaparole.Vosstigmatessontdursàsubiretàsupporteret,nonobstantmesopinionsbienarrêtées,jesaisadmireretlouerendehorsd'elles.

Ôtez de votre livraison de dimanche dernier quelques vers d'unebrutalité offensante et injuste, et vos vers, sans rien perdre de leurénergieetdeleurchaleur,prennentuncaractèremonumentaltoutàfaitdigne du sujet que vous avez traité.Vous y dites de fort belles et fort

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magnifiqueschosessurlepeupleetsesinstinctsetsesgoûtsartistiques.Votre appel sera entendu sans doute et aussi ce que vous demandez,qu'onéquipeuneflottequinousrapportelescendresdel'empereur.

Àproposdecetteinstallationdelafamilleimpériale,vousparlezdel'exil de la famille Bonaparte. Dieu me garde, Monsieur, de toutemauvaise pensée qui pourrait vous froisser!Mais cet exil, pour lequelvous voulez le respect sans doute, n'eût-il pas dû vous conseiller lerespectdecetexilplusrécent,dumoinsencequiconcernelesreprochesauxpersonnes, reprochesque jepourraisappelerdynastiques?CetexildelafamilledeNapoléon,jevoudraislevoircesser,Monsieur,maisjetrouveraisinjustequ'elleaccusâtlesBourbonsdetoutcequis'estpasséen1815.Lestempsdetroublespermettentauxscélératsdetoutordreetdetoutenuancedeselivreràleursvileniesetàleursscélératessesetilsenprofitent.

Je terminerai cette lettredéjà trop longue, en formantundésir: c'estquenousn'enarrivionsjamaisaupoèmehéroïqueparlequelvousavezterminé votre satire.Nous avons eu assez de grandes guerres; je croisquele tempsdesgrandespaixestarrivé,nonobstant lesaviscontrairesdes politiques qui prennent pour vérités leurs rêveries et ne consultentjamaislesnécessitéspopulaires.

Agréez, Monsieur, l'hommage des sentiments avec lesquels j'ail'honneurd'êtrevotredévouéserviteur[457].

Le1eravril1832, laNémésiscessaitdeparaître.Lepoètedétendaitsonarc;maisc'était,disait-il,pourlereprendrebientôt;aprèsunpeuderepos,sesforcesunefoisrevenues,ildescendraitdenouveaudansl'arène:

Jeprendraidenouveaulecasqueetlacuirasse;Dansl'arènebattueoùj'imprimaimatrace,Jeviendrai,commeEntelle,auxyeuxdescombattants,Raidirunbrasconnuquicombattitseptans[458].

Hélas! c'était pour toujours que l'athlète avait déposé son ceste: cæstusartemquerepono.Lepublic,eneffet,n'allaitpastarderàapprendrequel'auteurdeNémésis,aprèsavoirvidésoncarquois,travaillait,dansunepaisibleretraite,àunetraductionenversdel'Énéide,pourlaquelleleministèreluiavaitdonnéun

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encouragement dequatre-vingtmille francs.Barthélemyessayade se justifier;saJustification seperdit aumilieudubruit desprotestations indignées. Il n'endevaitresterquecevers:

L'hommeabsurdeestceluiquinechangejamais.

Plus tard, il essaiera de revenir à la satire. Il publiera laNouvelle Némésis(1844-1845); le Zodiaque (1846), etc. Un méprisant silence accueillera cesvainestentatives.Savoixnetrouveraplusd'écho.Cethommequiavaittantaimélebruitetquiavaitpresquetouchéàlagloire,seracondamnépendantvingtansàrechercherl'obscurité,àfuirlafoule,ànesortirquelesoir,pareilmaintenantàl'hommequiavaitperdusonombre.—Barthélemyestmortle23août1867.

X

LADUCHESSEDEBERRYENVENDÉE[459].

Danslasecondequinzainedemars1832,laduchessedeBerryavaitadresséàChateaubriandunelettreainsiconçue:

Malettreau...adresséeàM....[460]devantvousêtrecommuniquée,jene vous écris que pour vous dire qu'il est bien important que vouspuissiezlejoindresansperdreuninstant,etpourvousrépétercombienje compte sur vous dans cette occasion décisive. Puissions-noustravailleravecsuccèsaubonheurdelaFranceetêtrebientôtàmêmedevousprouvertoutemareconnaissance!

MARIE-CAROLINE,régentedeFrance.

15mars1832.

Mêmecommunicationétaitfaite,àlamêmeheure,àM.HydedeNeuvilleetauducdeFitz-James.Touslestrois,convaincusquelaprised'armeprojetéeparla mère d'Henri V, ne pouvait qu'aboutir à un échec, s'efforcèrent de l'endétourner.Chateaubriandluiécrivitunelettrequiseterminaitainsi:

Quaranteannéesde tempêtesontbrisé lesplusfortesâmes, l'apathieest grande. Si Henri V pouvait être transporté aux Tuileries sans

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secousses, sans léser leplus léger intérêt, nous serionsbienprèsd'uneRestauration.Maiselleestencoreloin,sidesévénementsqueDieuseulconnaîtneviennentpaschangerlasituation[461]!

La duchesse de Berry avait passé outre. On apprenait successivement sondébarquementenProvence,sonarrivéeenVendée.Laprised'armes,confiéeaumaréchal de Bourmont, était imminente si aucun contre-ordre n'était donné.Chateaubriand, Fitz-James et Hyde de Neuville estimèrent qu'il était de leurdevoirdefaireunnouveletsuprêmeappelàlaraisonetaucœurdelaprincesse.Chateaubriand rédigea uneNote, qui devait être remise par l'homme lemieuxfaitpourdonnerdesconseilsutiles,parBerryer.CetteNotenefigurepasdanslesMémoires.Envoiciletexte:

Lespersonnesenquionareportéunehonorableconfiancenepeuvents'empêcherdetémoignerleurdouleurdesconseilsenvertudesquelsonest arrivé à la crise présente. Ces conseils ont été donnés par deshommes sans doute pleins de zèle, mais qui ne connaissent ni l'étatactueldeschosesnilesdispositionsdesesprits.Onsetrompequandoncroit à la possibilité d'unmouvement dans Paris.On ne trouverait pasdouze cents hommes, nonmêlés d'agents de police, qui pour quelquesécusferaientdubruitdanslarue,etquiauraientàycombattrelagardenationaleetunegarnisonfidèle.OnsetrompesurlaVendéecommeons'est trompésur leMidi.Cette terrededévouementetdesacrificesestdésolée par une armée nombreuse, aidée de la population des villes,presque toutes antilégitimistes. Une levée de paysans n'aboutiraitdésormais qu'à faire saccager les campagnes et à consolider legouvernementactuelparuntriomphefacile.Onpenseque,silamèredeHenri V était en France, elle devrait se hâter d'en sortir, après avoirordonnéàtousseschefsderestertranquilles.Ainsi,aulieud'êtrevenueorganiser la guerre civile, elle serait venue commander la paix; elleauraiteu ladoublegloired'accompliruneactiond'ungrandcourageetd'arrêterl'effusiondusangfrançais.Lessagesamisdelalégitimitéquel'onn'ajamaisprévenusdecequel'onvoulaitfaire,quin'ontjamaisétéconsultés sur lespartishasardeuxque l'onvoulaitprendre,etquin'ontconnu les faits que lorsqu'ils ont été accomplis, renvoient laresponsabilité de ces faits à ceux qui en ont été les conseillers et lesauteurs.Ilsnepeuventnimériterl'honneurniencourirleblâmedansleschancesdel'uneoul'autrefortune.

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XI

L'ARRESTATIONDECHATEAUBRIAND[462].

Bienloind'encouragerladuchessedeBerrydanssonaventureuseentreprise,Chateaubriand,nous l'avonsvu (AppendicenoX), avait fait, au contraire, tousseseffortspour ladétournerde saprised'armes;n'ayantpuy réussir, il l'avaitsuppliéedesortirdeFrance lepluspromptementpossible.Maiscela, lapolicel'ignorait;ilétaitdèslorsnaturelqu'elleletîntpoursuspectetqu'elleexerçâtsurluiuneactivesurveillance.Ilpritgaiementlachose,commeonlepeutvoirparcettejolielettre,adresséeaurédacteurdeLaQuotidienne:

Paris,ce4juin1832.

Monsieur,

Je viens de lire dans votre journal l'interrogatoire subi par M. levicomte de Touchebœuf; mon nom s'y trouve mêlé. Je ne puism'empêcherdem'ébahirdelaniaiseriedesbonnesgensqui,mevoyantécriretouslesjourscequejepense,déclareràlafacedusoleilquejenereconnaispointl'ordrepolitiqueactuel,parcequ'ilnetiresondroitnidel'anciennemonarchie,nidelasouverainetédupeuple,lequelpeuplen'apoint été assemblé et consulté; je ne puis, dis-je, m'empêcher dem'ébahir de cette niaiserie qui s'évertue àdécouvrirmonopiniondansdescorrespondancessecrètes;jen'aipointdecorrespondancessecrètes;si j'en avais, elles ne diraient rien de plus, rien de moins que ce quej'imprimedansmescorrespondancesaveclepublic.

Quand j'affirme, Monsieur, que je n'ai point de correspondancessecrètes, cela ne veut pas dire que je n'ai écrit à personne dans cesderniers temps, et pour peu que la police veuille bien encore attendrequelquesjours,jeluiéviterailapeinededéterrermeslettresprivées.Siellem'honoraitd'unevisitedomiciliaire,jelaconduiraismoi-mêmeàmacachette; je lui livrerais les preuves du délit, à la condition qu'elle lesinsérâtlelendemaindansleMoniteur.Toutefois,commejeneveuxpaslaprendre en traître, je l'avertis que sesmaîtresne lui sauraient aucungréde sadécouverte.Patienceencoreune fois, elle apprendra toutparmoi,puisqu'elleestassezingénuepours'occuperdemoi.J'inviteencorelapoliceàretirerlesespionsquiviennentsemorfondreàmaporteetqui

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meregardentd'unairsibête.Eh!bien,Messieurs,vouslesavez:jesorsàdeuxheurestouslesjours;jeporteuneredingotebleueaussirâpéequelalégitimitédontjesuisl'ambassadeur;jemepromènecommelevieuxcélibataireauLuxembourg:àlarenteprès,jeneressemblepasmalàundes rentiers de l'allée de l'Observatoire; je fais deux ou trois visites,toujours auxmêmes personnes; je rentre à cinq heures et demie pourdîner; le soir, arrivent quelques-uns de ces rares amis qui demeurentaprèsl'infortune.Jemecoucheàneufheures;jemelèveàsix;jelislesjournauxqu'onveutbienm'envoyergratis;quandjenemetrouvepasentraindememoquerdujuste-milieu,jevais,dedixheuresàmidi,visitercertainsrépublicains,gensd'espritetdecœurqui,moinsindulgentsquemoi, ont envie de pendre ceux dont j'ai envie de rire. Quelquefoisencore, des décorés de Juillet, abandonnés de la quasi-légitimité,viennent me prier de partager avec eux ma misère légitime. Voilà,Messieurs les espions, mon signalement et le compte rendu de majournée,quevouscertifierezsansdoutevalableetconforme.Épargnez-vous donc le souci de me suivre, et gagnez mieux l'argent tiré de laboursedescontribuables.

J'ail'honneurd'être,Monsieur,etc.

CHATEAUBRIAND.

La police ne se laisse pas facilement convaincre. De la lettre deChateaubriand,elleneretintquecepetitdétail:«Jemecoucheàneufheures;jeme lève à six.»En conséquence, le samedi 16 juin, àquatre heures dumatin,deuxheuresavantsonlever,troismessieursseprésentèrentchezluietlemirentenétatd'arrestation,souslapréventionde«complotcontrelasûretédel'État.»

XII

JEUNEFILLEETJEUNEFLEUR[463]

Àpeinecomposées,lesstancessurlamortdelajeuneÉlisaparurentdansunjournal.En les imprimant,on fitmanquer l'auteuraux loisde laprosodie,à lamesured'unversalexandrin.Cettefauted'impression—felixculpa—luifutuneoccasion d'écrire à M. Amédée Pichot, directeur de la Revue de Paris, cettecharmantelettre:

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Préfecturedepolice,ce22juin1832.

Monsieur,

Permettez à un pauvre poète de faire entendre ses doléances et dechercherdansvotrejournaluneconsolationàuneinjustice.

Vous aurezpeut-être ouï-dire qu'ilm'est arrivé ces jours derniers unpetit accident: onm'a conduit à la préfecture de police pour un crimed'État dont le soupçon m'a beaucoup moins affligé que l'offense quim'oblige à porter plainte à votre tribunal; je reconnais la compétencelittéraire.

Vous saurez donc, Monsieur, qu'amené à la préfecture de police àl'heureoùlesmusessecouchentetleshommesselèvent,onmedéposad'aborddansunepetitechambredesixpasdelongsurcinqdelarge.Unlitdesangle,unechaise,unetable,uneplancheetunseaucomposaientmon ameublement. Ma fenêtre, percée en haut, était munie de bonsbarreaux de fer qui me laissaient voir quelques toits gothiques et leschauves-souris volant à l'entour; force cris dans les cours et dans lesloges environnantes, hurlements de fous, sanglots et chansons, ris etlarmes,piétinementsdechevaux,fracasdesabrestraînants,etc.,etc.Lesoir,M. le préfet de policeme vint chercher etme conduisit dans sesappartements,oùjefuscomblédesoinsetdepolitesses.Maisrevenonsàmagrandeaffaire.

Pendant les douze ou treize heures que je passai dans ma grotte,Apollonmevisita.UnAnglais,dontjesuisl'amidepuislongtemps,avaitperdusafilleunique,àpeineâgéededix-neufans.Laveillemêmedemonarrestation,j'avaisvulecercueildecettejeunefilledescendredanslafosse;onavaitdéposéunecouronnederosesblanchessurlecercueil,etlaterres'étaitreferméepourtoujourssurlajeunefilleetsurlajeunefleur. Cette image, empreinte dansmamémoire, se reproduisitmalgrémoidansunpetitchantfunèbrediviséenquatrelais.

Jusque-là, toutestbien;mais,Monsieur,voici l'injure.Pourriez-vouscroirequ'enimprimantcepoème,onm'afaitmanqueràlamesured'unversalexandrin?Onm'afaitdire:

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Vieuxchêne,letempsfauchesurtaracine.

N'est-cepas,Monsieur,attaquerl'honneurd'unpoètedanssapartielaplusvive!Onabeaudorerlapilule,menatterd'uneagréablenégligence,j'aisenti

l'homicideacierQueletraîtreenmonseinaplongétoutentier.

Grâce à Dieu, je puis prouver mon innocence comme dans laconspirationadjointeàmesvers.Jen'acceptenilafaute,nilacorrectioningénieuse de quelques amis prompts à cacherma honte. Je n'ai pointécritavecunesyllabedemoins:

Vieuxchêne,letempsfauchesurtaracine,

jen'aipointécritavecunesyllaberestituée:

Etvieuxchêne,letempsfauchesursaracine,

j'aiécrit:

Vieuxchêne!...letempsafauchésurtaracine,

Il est vrai qu'en maintenant cette leçon, je me déclare de l'écoleromantique,jerompsleversàlabarbedeBoileauetplacel'hémisticheàlatroisièmesyllabeaulieudelasixième;jadis,commel'auraitdéclaméTalma:

Vieuxchêne!...avecunrepos;puis,toutdesuiteettoutd'unehaleine:le temps a fauché sur ta racine jeune fille et jeune fleur.Mon oreilledemeuréeclassique,encontradictionavecmonesprit romantique,n'estpointchoquéedecettecésure;elleytrouveunesorted'euphonierapideettriste,imitativedel'actiondutemps,qui,d'unseulcoup,abatlajeunefille et la fleur. Ne faudrait-il pas aussi, pour contenterMessieurs lesclassiques,qu'aurégimeplurielrosessanstaches,jedonnasseunverbegouvernant enlevé par l'ellipse? Et nos licences, Monsieur, où enseraient-elles?LeslibertésduParnasseseraient-ellesmisesaussienétatde siège contre le texte formel de la Charte-Homère? Je proteste par-devantMM.Béranger,Lamartine,Hugo,etc.,etentrelesmainsdeMmes

Girardin,Tastu,Valmore,etc.

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Voicilesstancestellesqu'ellessonttombéesdemonsouvenir:

Ildescendlecercueil,etlesrosessanstaches,Qu'unpèreydéposa,tributdesadouleur!Terre,tulesportas!etmaintenanttucaches

Jeunefilleetjeunefleur.

Ah!nelesrendsjamaisàcemondeprofane,Àcemondededeuil,d'angoisseetdemalheur:Leventbriseetflétrit,lesoleilbrûleetfane

Jeunefilleetjeunefleur.

Tudors,pauvreÉlisa,silégèred'années!Tunecrainsplusdujourlepoidsetlachaleur,Ellesontachevéleursfraîchesmatinées,

Jeunefilleetjeunefleur.

Surlatomberécente,unpèrequis'incline,Delaviergeexpiréeadéjàlapâleur.Vieuxchêne!...letempsafauchésurtaracine

Jeunefilleetjeunefleur!

J'ai bien peur,Monsieur, qu'à travers l'insouciance affectée de cettelettre,unsentimentpéniblen'aitpercé:

Labouchesouritmalquandlesyeuxsontenpleurs,

aditParnyaprèsTibulle.ÉlisaFrisellaétéscelléedanssatombelejourmêmeoù jedevaisêtreécrouédansmaprison.Hélas! lamusedel'amitién'apaslapuissancedeprendreparlamainlajeunemorteetdelaressusciterpoursonpère....

CHATEAUBRIAND.

XIII

CHATEAUBRIANDETM.BERTINAÎNÉ[464].

Le lendemain du jour où Chateaubriand avait été arrêté, le Journal desDébats, malgré ses attaches avec le gouvernement nouveau, n'hésita point àpublier un article, où la mesure qui venait d'atteindre l'illustre écrivain étaithautement déplorée. L'article était de M. Bertin, auquel il fait le plus grandhonneur.Envoicilesprincipauxpassages:

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OnannoncequeMM.deChateaubriand,HydedeNeuvilleetdeFitz-Jamesontétéarrêtéscematin.Rienaumondenesauraitnousforceràdissimuler notre surprise et notre douleur. L'amitié de M. deChateaubriandafaitlagloireduJournaldesDébats.Cetteamitié,nouslaproclameronsaujourd'huiplushautquejamais.LaFrancetoutentière,nousn'endoutonspas,sejoindraànouspourréclamerlalibertédeM.de Chateaubriand; la France, qui depuis longtemps a placé M. deChateaubriand aunombrede ses écrivains les plus illustres, laFrance,dontM.deChateaubriandadéfendulesdroitsavecuneardeurdegénieet d'éloquence qu'on ne surpassera jamais. Quelles que soient lesopinionsdeM.deChateaubriandsurlaformeactuelledugouvernement,sonamourpourlagloireetlalibertén'enestnimoinsvifnimoinspur.M.deChateaubriandestassezfortdesongénieetdesonéloquence;ilécrit,ilnes'abaissepasàconspirer.

Sansdoutelegouvernementn'apuserésoudreàordonnerl'arrestationdeM.deChateaubriandquesurdesdépositionsjudiciairesaussigravesqu'infidèles: mais nous sommes convaincus que, dès les premierséclaircissements, il sera rendu à la liberté. Chaque jour de plus qu'ilpasseraitenprisonseraitunnouveaujourdedeuilpournous,pourtouslesbonscitoyens,pourquiconquerespectelagloire,legéniedeslettresetlaliberté....

Après avoir affirmé sa conviction queM.Hyde deNeuville etM. de Fitz-James, n'étaient pas, eux non plus, des conspirateurs; après avoir renduhommage à «l'admirable loyauté» du premier, à «l'élévation de caractère» dusecond,M.Bertinaînéterminaitainsisonarticle:

Le gouvernement a ordonné que ces illustres prisonniers fussenttraitésavec tous lesménagementsconvenables,etnoussavonsqueM.deChateaubriand,enparticulier,aobtenu,sanslesdemander,leségards,les respects même, dus à un homme dont le nom est une des gloiresnationales.Maiscen'estpasassez:ilfautquejusticeleursoitrendue,etque la France n'ait pas à gémir en pensant que le plus grand de sesécrivains, leplus illustredesdéfenseursde ses libertés, l'hommequi atant faitpoursagloireetquine respirequepourelle,n'aplusdanssapatried'autreasilequ'uneprison[465].

Cetarticleàpeinelu,Chateaubriandprenaitlaplumeetécrivait,àsontour,à

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M.Bertin:

PréfecturedePolice,ce18juin1832.

ÀM.Bertinaîné,rédacteurdu«JournaldesDébats».

J'attendaislà,moncherBertin,votrevieilleamitié;elles'esttrouvéeapointnomméàl'heuredel'infortune.Lescompagnonsd'exiletdeprisonsontcomme lescamaradesdecollègeà jamais liéspar lesouvenirdesjoiesetdes leçonscommunes. Jevoudraisbienallervousvoiretvousremercier; je voudrais bien aussi aller remercier tous les journaux quim'ont témoigné tant d'intérêt, et se sont souvenus du défenseur de laliberté de la presse; mais vous savez que je suis captif; captivitéd'ailleurs adoucie par la politesse demes hôtes. Je ne saurais tropmelouerdelabienveillanceetdesattentionsdeM.lepréfetdepoliceetdesafamille,etj'aimeàleurenexprimericitoutemareconnaissance.

Unechosem'affligeprofondément,c'estlechagrinquejecauseàMme

deChateaubriand.Maladecommeellel'est,ayantautrefoissouffertpourmoiquinzemoisd'emprisonnementsouslerègnedelaTerreur,c'esttropde faire encore peser sur elle le reste demadestinée.Mais,mon cherami,lafauten'estpasàmoi.

Onm'amis,enm'arrêtant,dansunedecespositionsfatalesàlaquelleonauraitpeut-êtredûpenser.J'airefusétoutsermentàl'ordrepolitiqueactuel; j'ai envoyé ma démission de ministre d'État et renoncé à mapension de pair; je ne puis donc être un traître ni un ingrat envers legouvernementdeLouis-Philippe.

Veut-onme prendre pour un ennemi?Mais alors je suis un ennemiloyal et désarmé, un vaincu qui supporte la nécessité d'un fait sansdemander grâce. Maintenant on m'appréhende au corps, et l'onm'interroge sur un prétendu crime ou délit politique dont jeme seraisrendu coupable. Mais si je ne reconnais pas l'ordre politique établi,commentveut-onquejereconnaisselacompétenceenmatièrepolitiqued'un tribunal émané de cet ordre politique? Ne serait-ce pas unegrossièrecontradiction?Si jenie leprincipe,commentadmettrais-je laconséquence?Mieuxauraitvalu,toutbonnement,prêtermonsermentàla Chambre des pairs. Il n'y a point de ma part mépris de la justice,

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j'honorelesjugesetjerespectelestribunaux:ilyaseulementchezmoipersuasiond'unevéritéetd'undevoirdontjenepuism'écarter.

Vous voyez que je n'argumente pas de l'illégalité de l'état de siège,illégalitéflagrante:jeremonteplushaut.L'étatdesiègeestuntrèspetitaccidentàlasuitedelagrandeillégalitépremière,etcetaccidentestuneconséquenceforcéedecettegrandeillégalité.

J'ai dit dans mes derniers écrits que je reconnaissais l'ordre socialexistantenFrance,quej'étaisobligéaupaiementdel'impôt,etc.;d'oùilrésultequesij'étaisaccuséd'uncrimesocial(meurtre,vol,attaqueauxpersonnesouauxpropriétés,etc.,etc.), jeseraistenuderépondreetdereconnaîtrelacompétenceenmatièresocialedestribunaux.Maisjesuisaccuséd'uncrimepolitique,alorsjen'aiplusrienàdébattre.

Je conviens néanmoins que, dans le cas où le gouvernement mesoupçonnerait coupable, à ses yeux, d'un délit politique, sa propredéfenseleconduiraitàinstruirecontremoietàprouver,s'il lepouvait,maculpabilité.Maismoi,quinereconnaislegouvernementquecommegouvernementde fait, j'ai le droit, à mes risques et périls, de ne pasrépondre. Mes accusateurs mêmes trouveraient dans mon silence unavantage, puisque je me priverais volontairement du plus puissantmoyendedéfense.

J'ai fondé mon refus de serment sur deux raisons: 1o la monarchieactuelle ne tire pas, selonmoi, son droit par succession de l'anciennemonarchie;2olamonarchieactuellenetirepasselonmoi,sondroitdelasouverainetépopulaire,puisqu'uncongrèsnationaln'apasétéassemblépourdéciderdelaformedugouvernement.

Quej'aie tortouraison,queces théoriespuissentêtreplusoumoinshasardeuses et combattues, ce n'est pas là la question. J'ai uneconviction,jelagardeetj'yferaitouslessacrifices,ycomprisceluidemavie.

Ainsi, rien n'est plus logique que ma conduite envers M. le juged'instruction.Jen'aipuetjenepourraisrépondreàsesquestions;car,sijeluidisaismêmemonnomquandilmeledemandejudiciairement,jereconnaîtrais, par cela même, la compétence d'un tribunal enmatière

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politique,et,unefoislapremièrequestionrépondue,forcemeseraitderépondreàtouteslesquestionssubséquentes.

J'ai offert et j'offre encore de donner courtoisement, et en forme deconversationnonlégale,tousleséclaircissementsqu'onpourraitdésirer:audelà,jenepuisrien.

Queva-t-onfairedemoi,del'excellent,ducordial,ducourageux,del'honorable Hyde de Neuville, vrai gibier de cachot et d'exil, quirecommenceàsubir,àlafindesavie,lespersécutionsquesafidélitéàéprouvéesdans sa jeunesse?Que fera-t-ondemonnoble, loyal,brave,spiritueletéloquentci-devantcollègue,leducdeFitz-James?Quefera-t-ond'undernierdesStuarts,défendantledernierdesBourbons?Quandonmetraîneraitdetribunalentribunald'exceptionpendantvingtansdesuite, on ne me ferait pas dire que je m'appelle François-Auguste deChateaubriand.Sil'onmetransportaitàNantespourmeconfronter(c'estl'expression)avecM.Berryer, jedirais,dans l'intérêtd'un tiers, toutceque sais de lui, et il sortirait blanc comme neige de ma déclaration.Quantàmapersonne,jelalivrerais,sansparler,etl'onpourraitjoindre,sil'onvoulait,underniersilenceàmonsilence.

LecapitaineLanoue,moncherami,étaitBretoncommemoi.Jen'aid'autrerapportavecmonillustrecompatriotequel'estimedontlesdiverspartism'honorentetquifaitl'orgueildemavie.Lanouen'avaitpasvulaBretagnedepuis longtempslorsqueHenriIVl'envoyacombattre leducde Mercœur. Lanoue fut tué à l'escalade d'un château. Il avait eu lepressentiment de son sort, et, en rentrant enBretagne, il avait dit: «Jesuiscommelelièvre,jeviensmouriraugîte.»

Mongîte est prêt.Lapetite ville quim'a vunaître a bienvoulumefairel'honneurd'éleverd'avanceetàsesfraismatombedansunîlotquej'aidésigné.

VoilàlesecretdemaconspirationmystérieuseavecleschouansdelaBretagne.N'est-cepasuneabominableconspiration?

Bonjour,moncherami,etlibertésivouspouvez.

CHATEAUBRIAND

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TABLEDESMATIÈRES

TROISIÈMEPARTIE

LIVREXII

Ambassade de Rome. — Trois espèces dematériaux. — Journal de route. — Lettres àmadame Récamier.— Léon XII et les cardinaux.—Lesambassadeurs.—Lesanciensartistesetlesartistesnouveaux.—AncienneSociétéromaine.—Mœurs actuelles de Rome. — Les lieux et lepaysage.—Lettre àM.Villemain.—ÀmadameRécamier.—Explication sur lemémoirequ'onvalire.—Lettre àM. le comtede laFerronnays.—Mémoire.—ÀmadameRécamier.—Àlamême.— À madame Récamier. — À M. Thierry. —Dépêche à M. le comte de la Ferronnays. — Àmadame Récamier.—À lamême.—Dépêche àM. le comte Portalis. — Mort de Léon XII. —Dépêche à M. le comte Portalis. — À madameRécamier.1

LIVREXIII

Suite de l'ambassade de Rome. — À madameRécamier.—Dépêche àM. le comte Portalis.—Conclaves.—DépêchesàM.lecomtePortalis.—Àmadame Récamier.—Dépêche àM. le comtePortalis.—ÀmadameRécamier.—DépêcheàM.le comte Portalis.—ÀmadameRécamier.—Le

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marquis Capponi.— À madame Récamier.— ÀM. le duc deBlacas.—ÀmadameRécamier.—Dépêche à M. le comte Portalis. — Lettre àMonseigneurlecardinaldeClermont-Tonnerre.—Dépêche à M. le comte Portalis. — À madameRécamier.—Dépêche àM. le comte Portalis.—Fête de la villa Médicis pour la grande duchesseHélène.—MesrelationsaveclafamilleBonaparte.—DépêcheàM.lecomtePortalis.—PieVIII.—ÀM.lecomtePortalis.—ÀmadameRécamier.—Présomption. — Les Français à Rome. —Promenades. — Mon neveu Christian deChateaubriand.—ÀmadameRécamier.—RetourdeRomeàParis.—Mesprojets.—Le roiet sesdispositions.—M. Portalis.—M. deMartignac.— Départ pour Rome. — Les Pyrénées. —Aventures. — Ministère Polignac. — Maconsternation.— Je reviens à Paris. — EntrevueavecM.dePolignac.—JedonnemadémissiondemonambassadedeRome.181

LIVREXIV

Flagorneries des journaux. — Les premierscollègues de M. de Polignac. — Expéditiond'Alger. — Ouverture de la session de 1830. —Adresse.—LaChambreestdissoute.—NouvelleChambre.—JeparspourDieppe.—Ordonnancesdu 25 juillet.— Je reviens à Paris.—Réflexionspendantma route.—Lettre àmadameRécamier.— Révolution de juillet. — M. Baude, M. deChoiseul, M. de Sémonville, M. de Vitrolles, M.Laffitte et M. Thiers. — J'écris au roi à Saint-Cloud. Sa réponse verbale. — Corpsaristocratiques. — Pillage de la maison desMissionnaires, rue d'Enfer. — Chambre desDéputés. — M. de Mortemart. — Course dansParis. — Le général Dubourg. — Cérémonie

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funèbre.—Sous la colonnade duLouvre.—LesjeunesgensmerapportentàlaChambredesPairs.—Réuniondespairs.249

LIVREXV

Les républicains.—Lesorléanistes.—M.Thiersest envoyé à Neuilly. — Convocation des pairschez le grand référendaire. La lettrem'arrive troptard. — Saint-Cloud. — Scène. Monsieur leDauphinet lemaréchaldeRaguse.—Neuilly.—M. le duc d'Orléans.— Le Raincy.— Le princevient à Paris. — Une députation de la Chambreélectiveoffre àM. leducd'Orléans la lieutenancegénéraleduroyaume.—Ilaccepte.—Effortsdesrépublicains.—M.leducd'Orléansvaàl'HôteldeVille.— Les républicains au Palais-Royal.— Leroi quitte Saint-Cloud.— Arrivée de Madame laDauphine à Trianon. — Corps diplomatique. —Rambouillet.—Ouverturedelasession,le3août.—Lettre deCharlesX àM. le duc d'Orléans.—Départ du peuple pour Rambouillet. — Fuite duroi. — Réflexions. — Palais-Royal. —Conversations.—Dernière tentation politique.—M. de Sainte-Aulaire. — Dernier soupir du partirépublicain.— Journée du 7 août.—Séance à laChambredesPairs.—Mondiscours.—JesorsdupalaisduLuxembourgpourn'yplusrentrer.—Mesdémissions.—CharlesXs'embarqueàCherbourg.—Cequeseralarévolutiondejuillet.—Findemacarrièrepolitique327

QUATRIÈMEPARTIE

LIVREPREMIER

Introduction. — Procès des ministres. — Saint-

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Germain-l'Auxerrois. — Pillage de l'Archevêché.— Ma brochure sur la Restauration et laMonarchie élective. — Études historiques. —LettresetversàmadameRécamier.—Journaldu12juilletau1erseptembre1831.—CommisdeM.de Lapanouze. — Lord Byron. — Ferney etVoltaire.—CourseinutileàParis.—M.A.Carrel.— M. de Béranger. — Proposition Baude etBriquevillesurlebannissementdelabrancheaînéedesBourbons.—Lettreàl'auteurdelaNémésis.—Conspirationde la ruedesProuvaires.—Lettre àMadame la duchesse de Berry.— Incidences.—Pestes. — Le choléra. — Les 12 000 francs deMadameladuchessedeBerry.—Échantillons.—Convoi du général Lamarque. — Madame laduchesse de Berry descend en Provence et arrivedanslaVendée415

LIVREII

Monarrestation.—Passagedema logedevoleuraucabinetdetoilettedeMademoiselleGisquet.—Achille de Harlay. — Juge d'instruction: M.Desmortiers.—MaviechezM.Gisquet.—Jesuismis en liberté. — Lettre à M. le Ministre de laJusticeetréponse.—OffredemapensiondepairparCharlesX:Maréponse.—BilletdemadameladuchessedeBerry.—LettreàBéranger.—Départde Paris. — Journal de Paris à Lugano. — M.AugustinThierry.—CheminduSaint-Gothard.—Vallée de Schœllenen. — Pont du Diable. — LeSaint-Gothard.—Description de Lugano.— Lesmontagnes.—CoursesautourdeLucerne.—ClaraWendel.—Prière des paysans.—M.A.Dumas.—MadamedeColbert.—LettreàM.deBérenger.—Zurich.—Constance.—MadameRécamier.—MadameladuchessedeSaint-Leu.—MadamedeSaint-LeuaprèsavoirluladernièrelettredeM.de

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Chateaubriand.—Après avoir lu une note signéeHortense.—Arenenberg.—RetouràGenève.—Coppet. — Tombeau de Madame de Staël. —Promenade. — Lettre au prince Louis-Napoléon.—LettresauministredelaJustice,auprésidentduConseil,àmadameladuchessedeBerry.—J'écrismon mémoire sur la captivité de la princesse.—Circulaireauxrédacteursenchefdes journaux.—ExtraitduMémoire sur la captivitédemadame laduchessedeBerry.—Monprocès.—Popularité.511

APPENDICE

I. LamortdeLéonXII611II. Leconclavede1829614III. LeJournalsecretduconclave617IV. DanslesPyrénées622V. LeDépartdeCherbourg628VI. LesacdeSaint-Germain-l'Auxerrois631VII. ChateaubriandetleJournaldumaréchaldeCastellane634VIII. LettresdeGenève638IX. La Némésis de Barthélemy, Chateaubriand, Lamartine et

Balzac642X. LaduchessedeBerryenVendée647XI. L'arrestationdeChateaubriand649XII. Jeunefilleetjeunefleur651XIII. Chateaubriand,etM.Bertinaîné635

TABLE.661

Paris.(France).—Imp.PAULDUPONT(Cl.).—9.8.1925

Note1:CelivreaétéécritàRomeen1828et1829.—Ilaétérevuenfévrier1845.[RetourauTextePrincipal]

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Note 2: En relisant cesmanuscrits, j'ai seulement ajouté quelques passagesd'ouvrages publiés postérieurement à la date demon ambassade à Rome. CH.[RetourauTextePrincipal]

Note3:Énéide,livreIV,v.23.[RetourauTextePrincipal]

Note4:DeVilleneuve-sur-Yonne, lemardi 16 septembre, il écrivait àMme

Récamier:«Jenesaissijepourraivousécrirejamaissurcepapierd'auberge.Jesuis bien triste ici. J'ai vu en arrivant le château qu'avait habité Mme deBeaumont pendant les années de la Révolution. Le pauvre ami Joubert memontraitsouventunchemindesablequ'onaperçoitsurunecollineaumilieudesbois,etparoùilallaitvoirlavoisinefugitive.Quandilmeracontaitcela,Mme

deBeaumontn'étaitdéjàplus,nouslaregrettionsensemble.Joubertadisparuàsontour;lechâteauachangédemaître;toutelafamilledeSérillyestdispersée.Si vous ne me restiez pas, que deviendrais-je? Je ne veux pas vous attristeraujourd'hui, j'aimemieuxfiniricimalettre.Qu'avez-vousbesoindessouvenirsd'un passé que vous n'avez pas connu? N'avez-vous pas aussi le vôtre?Arrangeons notre avenir, le mien est tout à vous. Mais ne vais-je pas dès àprésentvousaccablerdemeslettres?J'aipeurderéparertropbienmesancienstorts. Quand aurai-je unmot de vous? Je voudrais bien savoir comment voussupportezl'absence....»[RetourauTextePrincipal]

Note5:MmedeDurasmourutàNiceaumoisde janvier1829.[Retour auTextePrincipal]

Note6:Toutcequiprécède,depuislesmots:lamortquil'atteignitàNice,aété ajouté après coup sur le Journal de route de Chateaubriand. Il est bienévidentqu'ilnepouvaitinscriresursonjournal,le25septembre1828,unbilletdeMmedeDurasécritle14novembre1828;ilnepouvaitnonplusparleralorsdelamortdeMmedeDurasetdesontombeau,puisqu'ellemourutseulementen1829.[RetourauTextePrincipal]

Note7:SurlecomtedeNeipperg,voir,automeIV,lanote2delapage435.[RetourauTextePrincipal]

Note 8: Si Chateaubriand ne vit pas Marie-Louise, lors de son passage àParmeen1828,ilavaitdînéavecelle,quelquesannéesauparavant,àVérone,oùelle avait été voir son père, pendant la tenue du Congrès. «Nous refusâmesd'abord,écrit-il,uneinvitationdel'archiduchessedeParme.Elleinsista,etnous

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yallâmes.Nouslatrouvâmesfortgaie;l'universs'étantchargédesesouvenirdeNapoléon, elle n'avait plus la peine d'y songer. Elle prononça quelques motslégerset,commeenpassant,surleroideRome:elleétaitgrosse.Sacouravaituncertainairdélabréetvieilli,exceptéM.deNeipperg,hommedebonton.Iln'yavaitlàdesingulierquenousdînantauprèsdeMarie-Louise,etlesbraceletsfaitsdelapierredusarcophagedeJuliette,queportaitlaveuvedeNapoléon.EntraversantlePô,àPlaisance,uneseulebarque,nouvellementpeinte,portantuneespècedepavillonimpérial,frappanosregards.Deuxoutroisdragons,envesteetenbonnetdepolice,faisaientboireleurschevaux;nousentrionsdanslesÉtatsdeMarie-Louise;c'esttoutcequirestaitdelapuissancedel'hommequifenditlesrochersduSimplon,plantasesdrapeauxsurlescapitalesdel'Europe,releval'Italie prosternée depuis tant de siècles.» En parlant à Marie-Louise,Chateaubriandluiditqu'ilavaitrencontrésessoldatsàPlaisance,maisquecettepetitetroupen'étaitrienàcôtédesgrandesarméesimpérialesd'autrefois.Elleluiréponditsèchement:«Jenesongeplusàcela!»(CongrèsdeVérone,t.1,p.69.)[RetourauTextePrincipal]

Note9:Charles-Louis deBourbon, ducdeLucques, fils de l'infanteMarie-Louise d'Espagne, ex-reine d'Étrurie. Aux termes d'un arrangement conclu àParisen1817,ildevaithériter,àlamortdeMarie-Louise,duduchédeParmeetPlaisance. Marie-Louise étant morte en 1847, il devint duc de Parme; mais,chassédesesÉtatsen1848paruneinsurrection,ilabdiqua,le14mars1849,enfaveurdesonfilsCharlesIII,quipéritassassinéle27mars1854.Lefilsaînédecedernier,RobertIer,néen1848,futalorsproclaméducsouslarégencedesamèreLouise-Marie-ThérèsedeBourbon,filleduducdeBerryetsœurducomtedeChambord;ilfutrenverséen1860,etleduchéfutannexéauroyaumed'Italie,dontilformeaujourd'huiuneprovince.[RetourauTextePrincipal]

Note10:LePurgatoire,chantXVI,vers65-66.[RetourauTextePrincipal]

Note11:

QuandonelmondaadoraadoraM'insegnavatecomel'uoms'eterna.

(L'Enfer,chantXV,vers84-85.)[RetourauTextePrincipal]

Note12:LabasiliqueoctogonedeSaint-Vital,àRavenne,rappelle,eneffet,Constantinople, puisqu'elle fût bâtie, sous Justinien, à l'imitation de Sainte-Sophie. Charlemagne la fit copier pour l'église d'Aix-la-Chapelle.—L'église

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Saint-Apollinaire,érigéesousThéodoric,aucommencementduVIesiècle,offreégalement le type byzantin dans tout son éclat oriental. Les vingt-quatrecolonnesdemarbregrecquidivisentl'égliseentroisnefsfurenttransportéesdeConstantinopleàRavenne.[RetourauTextePrincipal]

Note13:L'amourd'HonoriuspourunepoulenomméeRomeestuneanecdotedeProcope.—QuantàPlacidie,filledeThéodose-le-Grand,sœurd'Honoriusetmère de Valentinien III, ses aventures constituent bien le plus étrange desromans,—«leromanchezlesBarbares»,commel'appelleChateaubriand.NéeàConstantinople, elle fut prise au siège de Rome par Alaric et emmenée encaptivité. Ataulphe, beau-frère d'Alaric, s'éprit d'elle et l'épousa. Veuved'Ataulphe, elle épousa en secondes noces Constance, un des générauxd'Honorius,quipritbientôtletitredeConstanceIII.Aprèsavoirétéesclave,puisreinedesVisigoths, ellegouverna l'Empired'Occident sous lenomde son filsencoreenfant.ElleasontombeauàRavenne.[RetourauTextePrincipal]

Note 14: Le 11 avril 1512, les Français, commandés par Gaston de Foix,remportèrent àRavenne sur les Espagnols et les troupes du pape Jules II unevictoireéclatante;maisGastonypérit.[RetourauTextePrincipal]

Note15:SurLautrecetsurlacomtessedeChateaubriand,voirautomeII,lanote1delapage343.[RetourauTextePrincipal]

Note16: Catherine, fille naturelle deGaléasMarie Sforza, épousa en 1484JérômeRiario,seigneurd'ImolaetdeForli, tomba,ainsiquesonfilsOctavien,aupouvoirdesmeurtriersdesonmari,quivenaitd'êtreassassinéàForli,montrabeaucoupd'espritetd'énergiedanscetteoccasion,etassuraainsiàsonfilssonhéritage.EllesoutintdansForliunsiègecontreCésarBorgiaetfutprisesurlabrèchemême.LouisXII lui fit rendre la liberté.ElleavaitépouséensecondesnocesunMédicisetmourutàFlorence.[RetourauTextePrincipal]

Note17:L'Enfer,chantV,vers75.[RetourauTextePrincipal]

Note 18: Traité du 19 février 1797, signé entre Bonaparte et Pie VI. Cedernier renonçait au Comtat Venaissin, abandonnait Bologne, Ferrare et lesLégations, et rachetait par des contributions considérables les autres territoiresqu'occupaitl'arméefrançaise.[RetourauTextePrincipal]

Note19:PèlerinagedeChilde-Harold,chantIV.[RetourauTextePrincipal]

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Note 20: «Giorgini fut aussi mon courrier, dit M. de Marcellus(Chateaubriandetsontemps,p.331),avantdepasserauservicepluslucratifdel'ambassadeur. Il était la terreur des postillons italiens «mols et paresseux parnature,» commedu tempsdeMontaigne;mais quand, au lieudeprécéder unecalèchediplomatique,ilportaitlui-mêmeladépêchedebidetenbidet,sacoursetenaitduvoldel'oiseau,etilsesurpassaitlui-mêmedèsqu'ilallaitannoncerunpapeà l'Europe impatiente; il a fallu l'inventiondu télégraphepouréclipser sarenommée.»[RetourauTextePrincipal]

Note21:CesontdesversdupoèteGray,danssonOde,surunevuelointaineducollèged'Eton.[RetourauTextePrincipal]

Note22:PierreGuérin(1774-1833).ÉlèvedeRegnault,ilobtintaudébutdesa carrière, en 1797, un des trois grands prix que, pour cette fois, parextraordinaireetattendulaforceduconcours,l'Académiecrutdevoirdistribuer.Avant de partir pour Rome, Guérin exposa son tableau,Marcus Sextus ou leRetour du proscrit. Au sortir de nos troubles civils, alors que les émigrésrevoyaient avec transport le pays natal, le sujet choisi par le peintre devaittoucherfortementlesâmes.Sonsuccèsfutimmense.Sesprincipalestoilessont:uneOffrandeàEsculape,Orphéeau tombeaud'Eurydice,Céphaleet l'Aurore,ÉgistheetClytemnestre,Didonécoutantlesrécitsd'Énée,NapoléonpardonnantauxrévoltésduCaire.Onadeluiquelquesadmirablesportraits,parmilesquelsil faut citer surtout ceux deLescure et d'Henri deLarochejaquelein. En 1828,Guérinétaitdirecteurdel'AcadémiedeFranceàRome.Ilmourutdanscettevillele6juillet1833.[RetourauTextePrincipal]

Note23:Chateaubriandnedonneiciquelecommencementdesalettredu11octobre.LesautreslettresàMmeRécamier,contenuesdansleprésentlivre,onttoutes été plus ou moins modifiées par l'auteur, qui tantôt retranche et tantôtajoute à son texte primitif.Mme Lenormant, au tome II desSouvenirs deMme

Récamier,areproduitleslettresdugrandécrivaindansleurintégrité,d'aprèslesoriginauxeux-mêmes.[RetourauTextePrincipal]

Note24:LéonXII,AnnibaldellaGenga,étaitnéen1760àGenga,prèsdeSpolète.Ilavaitétéélupape,en1823,àlamortdePieVII.Pendantsoncourtpontificat,ilembellitRome,encouragealeslettresetenrichitlabibliothèqueduVatican.Ilmouruten1829,aucoursdel'ambassadedeChateaubriand.SaVieaétéécriteparlechevalierArtauddeMontor,l'historiendePieVII.[RetourauTextePrincipal]

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Note25:Bouilliedefarined'orge.[RetourauTextePrincipal]

Note 26: Thomas Bernetti (1779-1852). Après avoir été successivementreprésentantdelacourdeRomeàSaint-Pétersbourget légatdeRavenneetdeBologne,ilavaitétéfaitcardinalen1827,etavait,en1828,remplacélecardinalDellaSomagliaàlasecrétaireried'État.[RetourauTextePrincipal]

Note 27: CharlesOppizoni. Né àMilan le 15 avril 1769.—Archevêque deBologne(20septembre1802).—CardinaldutitredeSaint-LaurentinLucina(26mars1804).Ilsemontral'undespluscourageuxparmilescardinauxnoirs.Saufle temps de son exil en France, sa vie se passa dans un long épiscopat, àBologne,oùilmourutfortâgé,en1855.[RetourauTextePrincipal]

Note28:Jacques-AntoineBenvenuti(1765-1838).NommécardinalparLéonXIIle2octobre1826;légataleteredesMarches(1831).[RetourauTextePrincipal]

Note29:AugustinRivarola (1758-1842). Il avait été gouverneur deRome.[RetourauTextePrincipal]

Note30:Quandj'aiquittéRome,ilaachetémacalècheetm'afaitl'honneurd'y mourir, en allant à Ponte-Mole (Note de Paris, 1836).—CH.[Retour au TextePrincipal]

Note 31: Le chevalier deBunsen (1791-1860). Il avait, en 1823, remplacéNiebuhrcommeministredePrusseàRome,oùilétaitdéjàdepuis1818etqu'ildevaitquitterseulementen1838.Ildevintalorschargéd'affairesàBerne,puisambassadeur à Londres, où il resta jusqu'à la guerre de Crimée (1854).Diplomateéminent,lesavantbaronBunsenfut,enmêmetemps,unhistorienetunéruditdesplusremarquables.Sesprincipauxouvragessont:lesBasiliquesdeRomechrétienne (1843); Ignaced'Antiocheetsonépoque (1847);Hippolyteetson époque, ou vie et doctrine de l'Église romaine sous Commode et Sévère(1851).—Dans laPréface de sesÉtudeshistoriques, Chateaubriand consacre àsonanciencollègueleslignessuivantes:«Jedoisàlapolitesseetàl'obligeancede M. le baron de Bunsen, ministre de S. M. le roi de Prusse, à Rome, unexcellentextraitdesNibelüngs,que l'on trouveraà lafindusecondvolumedecesÉtudes.LesavantM.deBunsenétaitl'amidugrandhistorienNiebuhr;plusheureuxquemoi,ilfouleencorecesruinesoùj'espéraisrendreàlaterreimagepour image,mon argile en échange de quelque statue exhumée.»[Retour au TextePrincipal]

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Note32:Berthold-GeorgesNiebuhr(1774-1831).Ilfutprofesseurd'histoireàl'UniversitédeBerlinde1810à1816,etprofesseurà l'UniversitédeBonn,de1824à1831.Dansl'intervalle,de1816à1823,ilavaitétéministredePrusseàRome. Il avait commencé dès 1811 la publication de sonHistoireRomaine, àlaquelleiltravaillajusqu'àsamortetqui,bienqu'inachevée,l'aplacéaupremierrangdeshistoriensduXIXesiècle.[RetourauTextePrincipal]

Note33:Etnon leprinceGafiarin,commeon l'a imprimédans leséditionsprécédentes.SelonM.deMarcellus (Chateaubriandet son temps, p.333),«leprinceGagarin,envoyédeRussie,valaitmieuxqu'uneindiscrèteépigramme,cariln'avaitdemauvaisehumeurqu'enverslesindifférentsoulesfâcheux;c'est-à-direquandilnevoulaitmontrernilepiquantdesonesprit,nilachaleurdesonamitié.»[RetourauTextePrincipal]

Note34:«ParmilesbeautésdePétersbourg,ditM.AlbertVandal(Napoléonet Alexandre Ier, tome I, page 127), le tsar avait particulièrement remarquémadameAlexandreNarischkine,lagracieuseetpoétiqueMarieAntonovna,etlecultequ'il lui rendait depuisplusieurs années était tendre et persistant, sans semontrerexclusif.»[RetourauTextePrincipal]

Note 35: Pedro-GomezKavelo, marquis de Labrador (1775-1850). Il étaitministre d'Espagne à Florence lors des événements de 1808, qui détrônèrentCharles IV et Ferdinand. Il suivit ses princes en France et partagea leur exiljusqu'en1814.IlfutalorsnomméplénipotentiaireauCongrèsdeVienne,etreçutensuitel'ambassadedeNaples,puiscelledeRome.Ilapubliéen1849,àParis,d'intéressantsSouvenirs,souscetitre:Mélangessurlaviepubliqueetprivéedumarquis de Labrador, écrits par lui-même, et renfermant une revue de lapolitique de l'Europe depuis 1798 jusqu'au cours d'octobre 1849, et desrévélationstrèsimportantessurleCongrèsdeVienne.[RetourauTextePrincipal]

Note 36: Fille du général et de la comtesse deValence, fille elle-même deMme de Genlis, et de laquelle cette méchante langue de Thiébault a dit:«Chassantderace,MmedeValencedépassamêmeengalanterieMmedeGenlis.»(Mémoires,III,181).[RetourauTextePrincipal]

Note37:M.deCellesavaitétésousNapoléonpréfetd'Amsterdam.[Retour auTextePrincipal]

Note 38: Le portrait est piquant; mais elle est bien jolie aussi et des plus

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spirituelles, cette lettre que l'ex-préfet écrivait àM. deMarcellus le 4 octobre1828,aumomentdel'arrivéedeChateaubriandàRome:—«Notrehivervaêtretrès curieux.Un bateau à vapeur a remonté le Tibre jusqu'àRipa-Grande. Sixcardinaux sont allés voir le prodige, et tout Rome y court. Quelques roiss'annoncent;onattendbonnombred'altessesmalades,desouverainsenretraite,deprincescadetsàlademi-solde,deRussespoitrinaires;centdouzainesenvirond'Anglais accompagnés de leur petite famille;Walter Scott,Mme l'impératriceChristopheetsesdemoiselles,M.dePradtetsesœuvrespies.CeM.dePoitiers(car ilfautêtrecorrect, iln'a jamaisétéarchevêquedeMalines)est toujourssivifdanssonallure,qu'ilaperdusurlesbancslégislateursmêmesacalotted'abbéde1789.MaintenantilespèrevoirunconclaveàRome,uneéruptionauhautduVésuve, ou une révolution au bas. M. de Chateaubriand approche: tant decélébritéméritéem'épouvante.Ilmesemblequ'enl'appelantmoncollègue,jeluidirai,moiindigne,unegrossesottise,etc.»[RetourauTextePrincipal]

Note 39: «Il est en effet impossible, ajoute ici en marge M. de Marcellus(page334),denepasreconnaîtreàcesvivescouleurslenobleambassadeurduPortugal.Mais,silepeintreavaitretranchéàsapropremalicepourajouteràlamaliceinnéedumodèle,leportraiteûtétéencoreplusressemblant.»[RetourauTextePrincipal]

Note40:Canovamourutle13octobre1822.[RetourauTextePrincipal]

Note41: «LevieuxBoguet, lemeilleur, leplushumble et leplusdouxdespeintres. Il avait cette simplicité soumise et cette conversation uniforme quel'auteurrecherchaitdanssesfamiliers,parcequ'ellenel'empêchaitpasdepenserà autre chose.» (Marcellus,Chateaubriand et son temps, p. 334.)[Retour au TextePrincipal]

Note42:Chateaubriand fait iciallusionàFrédéricOverbecketàsonécole.Né àLubeck en 1769,Overbeck vint àRome en 1810. Il s'éprit pour la villeéternelled'unetellepassionqu'ilnelavoulutplusquitteretymourut,en1869,après y avoir séjourné soixante ans. Converti au catholicisme en 1814, ayantpour devise et pour règle «que l'art n'existe pas pour lui-même,mais pour lesservicesqu'ilrendàlareligion»,ilfutlefondateurd'uneécole,religieuseautantqu'artistique, dont les disciples, établis, avec le Maître, dans les ruines ducouventdeSaint-Isidore,préludaientchaquematinautravailparuneinvocationàl'Esprit-Saint.Lesjeunespeintresallemands,ainsigroupésautourdeFrédéricOverbeck,sontpresquetousdevenuscélèbres.C'étaientJeanetPhilippedeVert,Schadow,deKoch,Vogel,Eggers,Schnorr,et,leplusillustredetous,Pierrede

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Cornélius.Cornélius, après quatorze années passées àRome, de 1811 à 1824,rentraàMunich,oùildevintdirecteurdel'Académieroyale.SesfresquesdelaGlyptothèque et de l'église Saint-Louis, où l'on admire surtout son Jugementdernier,luiassurentunedespremièresplacesparmilespeintreslespluscélèbresdesontemps.[RetourauTextePrincipal]

Note 43: Jean-Victor Schnetz (1787-1870). Il était à Rome en 1828 et nepouvaitluinonplus,commeOverbeck,commeSchnorr,commeThorwaldsenettantd'autresartistes,sedéciderà laquitter. Ilempruntaà l'Italie laplupartdessujets de ses tableaux, dont lesmeilleurs sont: uneFemme de brigand fuyantavecsonenfant;laLeçonduPifferaro;uneContadineenprière; les Italiennesdevant la Madone; Scène dans la campagne de Rome; des Moissonneursécoutant le chant d'un pâtre. En 1840, il fut nommé directeur de l'École deFranceàRome.[RetourauTextePrincipal]

Note44:LéopoldRobert,né le13mars1794à laChaux-de-Fonds,dans lecantondeNeuchâtel,mortàVeniseen1835.Après1830,appeléàdonnerdesleçons, à Florence, à la princesse Charlotte Bonaparte, fille du roi Joseph,femme, et bientôt veuve, de son cousin Napoléon, second fils de l'ex-roi deHollande, il en devint éperdument amoureux. Cette passion sans espoir leconduisitausuicide.Ilsedonnalamortle20mars1835,commel'avaitfaitdéjàun de ses frères, dix ans auparavant, jour pour jour.—Les tableaux les plusimportantsdeLéopoldRobertsont:l'Improvisateurnapolitain(1822);leRetourde la fête de laMadone de l'Arc (1822); laHalte desMoissonneurs dans lesMaraisPontins(1831);leDépartdesPêcheursdel'Adriatiquepourlapêchedelongcours(1835).[RetourauTextePrincipal]

Note 45: HoraceVernet (1789-1853). Il succéda, en 1829, à PierreGuérin,commedirecteurdel'ÉcoledeFranceàRome.Parmilestoilesqu'ilycomposa,nous citerons: les Brigands et les Carabiniers, la Confession du brigand, laChassedanslesMaraisPontins,laRencontredeRaphaëletdeMichel-AngeauVatican.[RetourauTextePrincipal]

Note 46: Bartolomeo Pinelli, célèbre graveur romain. On a de lui uneRaccolta di cinquanta costumi pittoreschi incisi all' acqua forte (1809), et uneNuovaraccoltadicinquantacostumipittoreschiincisiall'acquaforte(1815),entout100planchesin-fol.C'estdecerecueilqu'ilavaitsansdoutepromisdouzescènes à Chateaubriand. On doit aussi à Bartolomeo Pinelli, La scalata delQuirinaleper ladeportazionedelS.P. (PieVII),1809,et52planchesfournies

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par lui auMeo Patacca ovvero Roma in feste nei trionfi di Vienna. PoemaJiocosonelCinguoggioromanesco,diGuiseppiBerneriRomano(1823,in-fol.).[RetourauTextePrincipal]

Note 47: Berthel Thorwaldsen (1769-1844), fils d'un pauvre marin deCopenhaguequisculptaitdesfiguresenboispourlaprouedesnavires.EnvoyédebonneheureenItalie,ilsefixaen1796àRome,oùildevaitresterpendantquarante-deux ans.Ce fut seulement en 1838 qu'il consentit à revenir dans sapatrie.ÀRome, ilvivaitprincièrementdans samaisonde laviaSestina,où ilavait réuni une riche collection de monuments antiques et de peintures. Sesœuvres principales sont: leTombeaudePieVII àRome; la statue équestre dePoniatowski à Varsovie; le monument de Gutenberg à Mayence; les DouzeApôtres àNotre-Dame deCopenhague; leLion de Lucerne; lesTroisGrâces;MercuresepréparantàtuerArgus;laNuitportantdanssesbras laMortet leSommeil;lalonguesériedesbas-reliefsreprésentantleTriomphed'AlexandreàBabylone.[RetourauTextePrincipal]

Note 48: Vincent Camuccini (1775-1844), peintre d'histoire, né et mort àRome.Ilétait,en1828,inspecteurgénéraldesmuséesdupapeetconservateurdes collections du Vatican. Pierre Guérin disait de lui: «Il s'est nourri desAnciensetdeRaphaël,maisilnelesapasdigérés.»Sesmeilleurestoilessont:RomulusetRémusenfants,HoratiusCoclès, laMort deVirginie, leDépartdeRéguluspourCarthage.[RetourauTextePrincipal]

Note49:NicolasPoussinetClaudeGelée,ditleLorrain,sontmortstouslesdeuxàRome;lepremier,le19novembre1665;lesecond,le21novembre1682.ClaudeGeléefutenterrédansl'églisedelaTrinité-du-Mont,etsesneveuxfirentplaceruneinscriptionsursatombe.NousverronsplusloinqueChateaubriandfitéleveràNicolasPoussin,dansl'églisedeSan-Lorenzo-in-Lucina,unmonumentdignedugrandpeintre.[RetourauTextePrincipal]

Note 50: Le président Charles de Brosses (1709-1777). Il visita l'Italie en1739 et rencontra à Rome le prétendant d'Angleterre, Jacques-Édouard, dit leChevalierdeSaint-Georges,filsdeJacquesIIetpèredeCharles-Édouard,querendra bientôt si célèbre son expédition de 1745 en Écosse. Les Lettreshistoriquesetcritiquesécritesd'Italie,parleprésidentdeBrosses,ontparupourla première fois en l'an VIII, 3 vol. in-8o. Sainte-Beuve les apprécie en cestermes,danssesCauseriesduLundi(tomeVII,page81):«Seslettressurl'ItalieontsurcellesdePaul-LouisCourieretsurleslivresduspirituelStendhal(Beyle)

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unavantagedurable.Venuavanteux,ilestplusnaturelqu'eux.Cesentimentdubeauetdel'antique,oudesmerveillespittoresquesmodernes,quifaitl'honneurde leur jugement, de Brosses ne se donne aucune peine pour l'avoir et pourl'exprimer:ill'adupremierbondetlerendparunepromptitudeheureuse.Danscette course rapide et ce séjour de dixmois à travers l'Italie, il y a certes descôtés qu'il n'a fait qu'entrevoir en courant, et où d'autres talents trouverontmatièreàconquête; lacampagne romaine,parexemple, lescollinesd'alentour,Tibur, laVillaAdriana, sontdes lieuxdontChateaubriandun jourévoquera legénieattristéetnouspeindra lesmélancoliquessplendeurs:deBrosses reste lepremiercritiquepénétrant,fin,gaietdegrandcoupd'œil,quiabienvudanssescontradictionsetsesmerveillescemonded'Italie.»[RetourauTextePrincipal]

Note51:«Etentendismesunbruitdeloingvenant,fréquentettumultueux,etnoussemblaitàl'ouïrquefussentclochesgrosses,petitesetmédiocres,ensemblesonnantescommel'onfaitàParis,àTours,Gergeau,Nantesetailleurs,èsjoursdegrandes festes.Plusapprochions,plusentendionscette sonnerie renforcée.»PANTAGRUEL, livreV,chapitreI:CommentPantagruelarrivaen l'islesonnante,etdubruitqu'entendismes.[RetourauTextePrincipal]

Note52:Montaigneavaittenuàsefairecitoyenromain.Ilemploya,dit-il,sescinqsensdenaturepourobtenircetitre«nefût-cequepourl'ancienhonneuretreligieuse mémoire de son autorité.» Il fut admis au droit de cité, «par lessuffragesetlejugementsouveraindupeupleetduSénat,l'andelafondationdeRome2331.»L'auteur desEssais ne se faisait pas illusion sur l'importancedecettedignité tantdésirée:«C'estuntitrevain,»disait-il;puis ilajoutaitavecsanaïve franchise: «Tant y a que j'ai reçu beaucoup de plaisir de l'avoirobtenu.»[RetourauTextePrincipal]

Note53:Miltonn'aconsignénullepartlesimpressionsqu'ilavaitreçuesdanssonvoyaged'Italie,etilnenousaguèrelaissédesonséjouràRomed'autretraceque des vers galants, écrits en latin, il est vrai, et adressés à une cantatricenomméeLéonora:AdLeonoramRomæcanentem.[RetourauTextePrincipal]

Note54:L'abbéAntoineArnauld, filsaînéd'Arnauldd'Andilly,néen1616,mort en 1698. Il a laissé d'agréablesMémoires. Il était le petit-fils d'AntoineArnauld, l'avocat, et leneveud'AntoineArnauld,dit legrandArnauld.[Retour auTextePrincipal]

Note55:MmedeSévignéécrivaitencoreàM.deCoulanges:«Jefisréflexion

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àcetteviedeRome,sibienmêléedeprofaneetdesantissimo.... Je songeaiàcette boule où vous étiez grimpé avec vos jambes de vingt ans (la boule quisurmontelacoupoledeSaint-Pierre)...etcombienjemepromèneraisdejoursetd'années dans le plain-pied de nos allées, sans me trouver jamais dans cetteboule.» Un peu plus loin, elle dit: «Ah! que j'aimerais à faire un voyage àRome!»Puiselleajoute:«Maisceseraitaveclevisageetl'airquej'avaisilyabiendesannées,etnonavecceluiquej'aimaintenant.Ilnefautpointremuersesos,surtoutlesfemmes,àmoinsd'êtreambassadrice.»[RetourauTextePrincipal]

Note56:JacobSpon(1647-1685).SonVoyaged'Italie,deDalmatie,deGrèceetduLevant(1678,3vol.in-12)aétésouventréimprimé.[RetourauTextePrincipal]

Note57:François-MaximilienMisson,conseillerauparlementdeParis,mortle22janvier1722,àLondres,oùils'étaitréfugiéaprèslarévocationdel'éditdeNantes. Son Nouveau voyage d'Italie (1691-98, 3 vol. in-12) eut un grandsuccès. L'édition de 1722 est accompagnée de notes d'Addison.[Retour au TextePrincipal]

Note58:JeanDumont,névers1650,mortàVienneen1726,suivitd'abordlaprofessiondesarmes,puisvoyageadanspresquetouteslescontréesdel'Europeet finit par se fixer en Autriche, où il devint historiographe de l'empereur. Ilpubliaen1699sesVoyages enFrance, en Italie, enAllemagne, àMalte et enTurquie(4vol.in-12).[RetourauTextePrincipal]

Note59:C'estpendantsonvoyaged'Italiequ'AddisoncomposasatragédiedeCaton.[RetourauTextePrincipal]

Note 60: Jean-Baptiste Labat (1663-1738), religieux dominicain. Parti en1693 pour les missions des Antilles, il y rendit de grands services, surtoutcommeingénieur.C'estluiquifondalavilledelaBasse-TerreàlaGuadeloupe.Il a laissédenombreuxouvrages, parmi lesquelsunVoyage enEspagne et enItalie(Paris,1730,8vol.in-12).[RetourauTextePrincipal]

Note 61: Voir, sur ce curieux épisode, l'article de Sainte-Beuve dans sesCauseriesduLundi, tomeVII,page83,et laCorrespondancedeVoltaireetduprésident de Brosses, publiée en 1836 parM. Théophile Foisset.[Retour au TextePrincipal]

Note62:Louise-Marie-Caroline,comtessed'Albany,néeen1753,àMons,delafamilledesStolberg,épousaen1772leprétendantCharles-Édouard,quiavait

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pris le titre de comte d'Albany. Ils se séparèrent en 1780, et elle vécut depuisavec le poèteAlfieri, à qui sa beauté et son esprit avaient inspiré la plus vivepassion,etqu'elleépousasecrètementaprèslamortduprince,arrivéeen1788.Alfieriétantmort,àsontour,en1803,ellecontractaunenouvelleliaisonet,dit-on,unautremariagesecret,aveclepeintrefrançaisXavierFabre.EllemourutàFlorenceen1824.[RetourauTextePrincipal]

Note63:Charles-VictordeBonstetten,néàBernele3septembre1745,mortàGenèvele3février1832.Ilécrivaitavecuneégalefacilitéenallemandetenfrançais; ses principaux livres sont dans cette dernière langue. On a de luiVoyage sur la scène des six derniers livres de l'Énéide, suivi de quelquesobservationssurleLatiummoderne(1804);Recherchessurlanatureetlesloisde l'imagination (1807);Étudesde l'homme,ouRecherches sur les facultésdesentiretdepenser(1821);l'Hommedumidietl'hommedunord(1824).Danscedernierouvrage,Bonstettencombatlesexagérationsdelathéoriedel'influencemoraleetpolitiquedesclimats.[RetourauTextePrincipal]

Note64:Lamartine,quivitlacomtessed'AlbanyàFlorence,en1810,atracéd'elleceportrait:«Riennerappelaitenelle,àcetteépoquedéjàunpeuavancéedesavie(laveuvedeCharles-Édouardetd'Alfieriavaitalors57ans),nilareined'unempire,nilareined'uncœur.C'étaitunepetitefemmedontlataille,unpeuaffaisséesoussonpoids,avaitperdu toute légèretéet touteélégance.Les traitsdesonvisage, troparrondiset tropobtusaussi,neconservaientaucuneslignespuresdebeautéidéale;maissesyeuxavaientunelumière,sescheveuxcendrésune teinte, saboucheunaccueil, saphysionomieune intelligenceetunegrâced'expressionqui faisaient souvenir, siellesne faisaientplusadmirer.Saparolesuave,sesmanièressansapprêt,safamiliaritérassurante,élevaienttoutdesuiteceuxquil'approchaientàsonniveau.Onnesavaitsielledescendaitauvôtreousiellevousélevaitausien,tantilyavaitdenaturelensapersonne.»(Lamartine,SouvenirsetPortraits,tome1,p.130).[RetourauTextePrincipal]

Note 65: Allusion au peintre Xavier Fabre, dont il est parlé dans une noteprécédente.—François-XavierFabre,néàMontpellieren1766.ÉlèvedeDavid,ilobtinten1787legrandprixdepeinture,etséjournalongtempsàRome,puisàFlorence,oùilconnutlacomtessed'Albany,quilefit,enmourant,sonlégataireuniversel.Revenu àMontpellier, il enrichit lemusée de cette ville—qui porteaujourd'hui le nom deMusée Fabre—d'une précieuse collection de livres, detableauxetd'objetsd'art.[RetourauTextePrincipal]

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Note 66: Henri-Benoît-Marie-Clément Stuart, duc d'York, second fils deJacquesIIIetdeMarie-ClémentineSobieski,petite-filledulibérateurdeVienne,né àRome le 6mars 1725, cardinal le 3 juillet 1747.En1799, il prit part auconclave de Venise, et contribua à faire accepter comme secrétaire Consalvi,dontilavaitencouragélesétudesetlesdébuts.ÀlamortdesonfrèreCharles-Édouard (1788), se regardant comme roi légitime, il prit le titre d'Henri IX. IlmourutàRomele13juillet1807.LemonumentquirecouvreàSaint-Pierrelatombeducardinaletdesonfrère,etquiestl'œuvredeCanova,futpayéparleroiGeorgeIV.[RetourauTextePrincipal]

Note67: Joseph-JérômeLeFrançais deLalande (1732-1807). Il fut reçu àl'AcadémiedesSciences, en1753, à l'âgedevingt-et-un ans; nomméen1762professeurd'astronomieauCollègedeFrance,ilremplitcettechairependant46ansavecleplusgrandsuccès.Alorsquesesnombreuxetremarquablestravauxavaient rendu son nompopulaire, il chercha hors de la science lesmoyens defaire parler encore plus de lui. Il se singularisa, soit par des goûts bizarres (ilmangeait,dit-on,desaraignées,deschenilles),soitpardesopinionsimpies,etsefitgloired'êtreathée.Ilavaitpublié,en1769,leVoyaged'unFrançaisenItalie,8vol.in-12.[RetourauTextePrincipal]

Note68:CharlesPinot,sieurDuclos,membredel'Académiefrançaise.IlétaitcompatriotedeChateaubriand,etilenadéjàétéparléautomeIdesMémoires.(Voyezlanote2delapage128).—Obligédes'éloignerdeParisen1766,pouravoir blâmé trop vivement la condamnation de La Chalotais, son ami, ilvoyagea:cequi luidonna lieud'écrire sesConsidérations sur l'Italie,publiéesseulementen1791,dix-neufansaprèssamort.[RetourauTextePrincipal]

Note 69: Charles-Marguerite-Jean-Baptiste Mercier Dupaty (1746-1788).Avocat général, puis président à mortier au parlement de Bordeaux, il publiaplusieursécrits sur ledroit criminelqui luivalurentunegrandepopularité.Enlittérature, ilestconnuparsesLettressur l'Italieen1785.Ellesobtinrent,à laveilledelaRévolution,unsuccèsdevogue.[RetourauTextePrincipal]

Note 70: Charles Dupaty, fils aîné du président (1771-1825). Il étudia lasculpturesousLemot,allaseperfectionnerenItalieet futnomméàsonretourmembredel'Académiedesbeauxarts(1816).Sesmeilleurescompositionssont:laVénus genitrix, Biblis mourante,Cadmus, Ajax poursuivi par la colère deNeptune. Il a fait lemodèle de la statue équestre deLouisXIII (exécutée parCortot),quel'onvoitsurlaplaceRoyale,àParis.—Lesecondfilsduprésident,

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Emmanuel Dupaty (1775-1851) travailla pour le théâtre. Son esprit facile etélégantluivalutdenombreuxsuccèsdanslevaudevilleetl'opéra-comique.Sesplusjoliespiècessont:PicarosetDiégo,leChapitresecond,laJeunePrude,laLeçondebotanique,NinonchezMmedeSévigné,l'Intrigueauxfenêtres,lePoèteetleMusicien,lesVoituresversées.SouslaRestauration,ilpublialesDélateursou trois annéesduXIXe siècle, poème satirique en trois chants, et collabora àdiverses feuilles libérales, laMinerve, l'Abeille, l'Opinion et leMiroir. Le 18février1836,ilfutélumembredel'Académiefrançaise,enremplacementdeM.Lainé,par18voixcontre2donnéesàVictorHugo.Celui-ciseconsoladesonéchecparunjolimot:«Jecroyais,dit-il,qu'onallaitàl'AcadémieparlepontdesArts, jeme trompais; onyva, à ce qu'il paraît, par lePont-Neuf.»EmmanuelDupatyétait,aprèstout,unfortgalanthommeetunhommed'esprit.Àpeineélu,ilallafrapperàlaportedel'auteurd'Hernani,et,neletrouvantpas,luilaissasacarteaveccequatrain:

Avantvousjemonteàl'autel;Monâgeseulpeutyprétendre.Déjàvousêtesimmortel,Etvousavezletempsd'attendre.[RetourauTextePrincipal]

Note71:LePèlerinagedeChilde-Harold, chant IV, stanceLXXIX.[Retour auTextePrincipal]

Note72:J'inviteàliredanslaRevuedesDeux-Mondes,1eret15juillet1835,deuxarticlesdeM.J.-J.Ampère,intitulés:PortraitsdeRomeàdifférentsâges.Ces curieux documents compléteront un tableau dont on ne voit ici qu'uneesquisse.(NotedeParis,1837.)CH.[RetourauTextePrincipal]

Note73:LaprincesseDelDrago.[RetourauTextePrincipal]

Note74:LaduchesseLante.[RetourauTextePrincipal]

Note75:EtnonMellini,commeonl'aimprimédansleséditionsprécédentes.C'est dans laVillaMillini, hors desmurs deRome, que le généralAlexandreBerthier (le futurprincedeWagrametdeNeuchâtel) reçut, le11 février1798(23 pluviôse an VI), les avocats, les banquiers et les artistes qui devaientconstituerlanouvelleRépubliqueromaine.[RetourauTextePrincipal]

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Note76: Philippe-Camille, comte deTournon (1778-1833), préfet deRomesousl'Empire,de1809à1814.LaRestaurationfitdupréfetdeRomeunpréfetdeBordeaux,puisdeLyon.En1824,M.deTournonfutnommépairdeFrance.Il a publié, en 1831, d'intéressantesÉtudes statistiques sur Rome et les Étatsromains.[RetourauTextePrincipal]

Note77:SurleVoyageenItaliedeM.Simond,voy.J.-J.Ampère,laGrèce,Rome etDante, p. 199. Cet excellentM. Simond trouve les chefs-d'œuvre deRaphaëletdeMichel-Angesouverainementridicules,etilnes'encachepoint.IlditdelafresquedeRaphaëlreprésentantl'IncendieduBorgo:«Ledessinn'enestpascorrect,l'expressionestmédiocre,lecolorisfroidetsansharmonie.»IlditduJugement dernier de Michel-Ange: «Dos et visages, bras et jambes, seconfondent;c'estunvéritablepoudingderessuscités.»[RetourauTextePrincipal]

Note 78: L'ouvrage de Mgr Nicolas-Marie Nicolaï faisait alors autorité àRomeenmatièreéconomique.Ilavaitparuen1803souscetitre:Memorie,leggied osservazioni sulle campagne e sull' annona di Roma; trois volumes in-4o,ainsidivisés:I.DelcatastodazialesottoPioVI;II.DelcatastodazialesottoPioVII,edelleleggiannonarie;III.Osservazionistoricheeconomiche.[RetourauTextePrincipal]

Note79:VillemainpréparaitalorssonHistoiredeGrégoireVII,célèbreavantdeparaître, tombéedans l'oubli,aussitôtqu'elleeûtparu,—cequin'eut lieudurestequ'en1873,troisansaprèslamortdel'auteur.[RetourauTextePrincipal]

Note80:GrâceàDieu,M.Thierryestrevenuàlavieetilareprisavecdesforcesnouvellessesbeauxet importants travaux; il travailledans lanuit,maiscommelachrysalide:

Lanymphes'enfermeavecjoieDanscetombeaud'oretdesoieQuiladérobeàtouslesyeux,etc.

CH.[RetourauTextePrincipal]

Note 81: Au mois de juin 1828, le czar Nicolas, alléguant la violation deplusieurs clauses du traité de Bucharest, conclu en 1812 entre la Russie et laPorteottomane,avaitrappelésonambassadeuràConstantinople.L'arméerusseavaitpasséleDanubeetétaitentréeenBulgarie.Le11octobre1828,elles'était

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emparéedeVarna.[RetourauTextePrincipal]

Note82: JeanTorlonia, duc deBracciano, le célèbre banquier romain dontChateaubriandnousdiratoutàl'heurelamort,arrivéele24février1829.Ilavaitcommencéparêtrebrocanteuretcommissionnaire.MayerRothschild,lejuifdeFrancfort, avait édifié sa fortune sur les sommesdéposées entre sesmainsparl'Électeur de Hesse-Cassel, obligé de fuir ses États. À la même époque, JeanTorloniacommençaitlasienneavecl'argentdéposéchezluiparl'agentfrançaisHugondeBasseville,massacré par la populace romaine le 13 janvier 1793,—argentquifutdurestefidèlementrendu,commelefutaussiceluidel'ÉlecteurdeHesse-Cassel.Aprèsavoir été l'hommed'affairesde laFrance,Torloniadevintplustardlebanquierdel'aristocratieromaineetdeMmeLœtitia,celuideCharlesIVd'EspagneetdesonfavoriManuelGodoy.PieVIIluiconféraletitrededucdeBraccianoetlefitprinceromain.[RetourauTextePrincipal]

Note83:VoirleCongrèsdeVérone,t.I,p.374.[RetourauTextePrincipal]

Note84:Letraitéd'UnkiarSkélessi,entrelaRussieetlaTurquie,futsignéle8 juin1833.C'était un traitéd'alliancedéfensive et offensive conclupourhuitans.Une clause secrète fermait éventuellement lesDardanelles auxpuissanceseuropéennes,toutenlaissantcedétroitouvert,ainsiqueleBosphore,àlaseuleRussie.[RetourauTextePrincipal]

Note85:Traitédu6juillet1827entrel'Angleterre,laFranceetlaRussie.Lestrois puissances contractantes signifiaient à la Porte que si, dans le délai d'unmois, lamédiationproposéepar les cabinets deLondres, deParis et deSaint-Pétersbourg n'était pas acceptée, ceux-ci ouvriraient des négociationscommerciales avec les Grecs, s'opposeraient par tous les moyens, et, s'il lefallait, par la force, à de nouvelles collisions entre les parties belligérantes, etautoriseraient leurs représentants à la conférence de Londres à assurer lapacificationdel'Orientpartouteslesmesuresqu'ilsjugeraientnécessaires.—LaNotesurlaGrèceavaitparuen1825.Voir,automeIV,lanote2delapage322.[RetourauTextePrincipal]

Note 86: La victoire de Navarin (20 octobre 1827), malgré ses heureusesconséquences,n'avaitpointsuffipourdélivrerlaGrècedujougottoman.Le17août 1828, douze régiments français, formant quatorze mille hommes etcommandésparlegénéralMaison,appareillèrentàToulon.Dixjoursaprès, ilsdébarquaient dans le golfe de Coron en Morée. Plusieurs garnisons turques

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occupaient encore des places et des châteaux-forts dans la péninsule. Enquelquessemaines,lesFrançaislesenchassèrent,l'épéeàlamain.LaMoréeetles Cyclades furent placées sous la protection commune des puissances, et legénéralMaison, élevéaumaréchalat, retournaenFrance,ne laissantquedeuxbrigadesenGrèce,pouraider lepaysà se réorganiser.CharlesXavait tenu laparolequ'il avaitditeà sonministrede laMarine, lebaronHydedeNeuville:«LaFrance,quandils'agitd'unnobledessein,d'ungrandserviceàrendreàunpeuplelâchement,cruellementopprimé,neprendconseilqued'elle-même.Quel'Angleterreveuilleouneveuillepas,nousdélivreronslaGrèce.Allez,continuezavec la même activité les armements. Je ne m'arrêterai pas dans une voied'humanité et d'honneur. Oui, je délivrerai la Grèce.» Voir les Mémoires etSouvenirsdubaronHydedeNeuville,t.III,p.399.[RetourauTextePrincipal]

Note87:Levice-amiralcomtedeHeydencommandaitl'escadrerussedanslaMéditerranée.[RetourauTextePrincipal]

Note88:Ilmontasurletrôneen1840sousletitredeFrédéric-GuillaumeIV.[RetourauTextePrincipal]

Note 89: Marie Feodorowna, princesse de Wurtemberg, impératrice mère,veuvedePaulIer,mèredel'empereurAlexandreIeretdel'empereurNicolasIer.Elleétaitmortedanslanuitdu4au5novembre1828.[RetourauTextePrincipal]

Note 90: Les lecteurs, je l'espère bien, ne sauteront pas une ligne de ceMémoire,chef-d'œuvredelogiqueetdepatriotisme,et,cequinegâterien,chef-d'œuvre de style. Chateaubriand n'a pas écrit de pages qui lui fassent plusd'honneur.[RetourauTextePrincipal]

Note91:LouisDesprez, statuaire. Il avait obtenu en 1826 le grand prix deRome.Sonpremierenvoi, leFauneauchevreau,avait fait sensationparmi lesartistes.Unedesesmeilleuresœuvresestprécisémentlebas-reliefqu'ilcomposapourletombeauduPoussin,lesBergersd'Arcadie.[RetourauTextePrincipal]

Note92:CésarinedeHoudetot,mariée àM.Prosper deBarante, l'historiendesDucsdeBourgogne.Elle était fille dugénéralCésar-AngedeHoudetot etpetite-filledeMmedeHoudetot,lacélèbreamiedeJ.-J,Rousseau.[RetourauTextePrincipal]

Note93:LatragédiedeMoïse,depuis longtempscomposéeetpour laquelleChateaubriand avait une particulière prédilection. Il espérait à ce moment

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pouvoir la faire jouer, et dans la plupart de ses lettres àMadameRécamier, ill'entretientdesdémarchesàfaireauprèsdubaronTaylor,commissaireroyaldelaComédie-Française.[RetourauTextePrincipal]

Note 94: Lemonument élevé àNicolas Poussin, pour la gloire des arts etl'honneurde laFrance, se trouvedans l'églisedeSaint-Laurent inLucina. Ceque ne dit pas Chateaubriand, c'est que ce tombeau du Poussin, décoré defigures, coûta fort cher, et qu'il en fit seul tous les frais. Lemonument ne futcomplètementachevéqu'en1831.C'était justement l'époqueoùChateaubriand,renonçant de nouveau à tous ses titres et traitements, se retrouvait une foisencore sans le sou. L'artiste qui avait fait le tombeau n'était sans doute pasbeaucoupplusriche.Ilexposaitsesbesoinsd'argentàl'ancienambassadeur,pluspauvreencorequelui.Celaduraquatreans,de1831à1834.M.l'abbéPailhès,danssonincomparabledossiersurChateaubriand,possèdetouteslesréponsesdugrandécrivain:ellessonttouchantesdesimplicité,debonnevolonté,maisd'unebonne volonté trop souvent impuissante.Chateaubriand s'étaitmis une fois deplusdansl'embarrasetlagêne,pourlagloiredesartsetl'honneurdelaFrance.[RetourauTextePrincipal]

Note95:MmeSalvagedeFaverolles,filledeM.Dumorey,consuldeFranceàCivita-Vecchia,quiavaitétél'undesamisdeM.Récamier.Séparéedesonmari,ellen'avait jamais eud'enfants, et, s'étant fixée en Italie, elle avait acheté à laportedeRomeunevignesur lesbordsduTibreavecuncasinoùelledonnaitquelquefoisdesfêtes.«C'était,ditMmeLenormant(Souvenirs,t.II,p.103),unegrandefemmedontlatailleétaitbelle,maissansgrâces,lesmanièresroides,levisage dur, les traits disproportionnés. Elle avait de l'esprit, mais cet espritressemblait à sa personne: il était sans charme et sans agrément.Elle avait del'instruction,delagénérosité,unegrandefacultédedévouementetlapassiondescélébrités.»Elle s'étaitprisepourMmeRécamierd'unengouement trèsvif.Unpeuplustard,elles'attachaaveclemêmeentraînement,aveclamêmepassion,àla duchesse de Saint-Leu, que Mme Récamier lui avait fait connaître. Mme

SalvageaccompagnalareineHortensedanslesvoyagesquecelle-cifitàParisaprès les affaires de Strasbourg et deBoulogne, l'entoura de soins admirablesdanssadernièremaladie,etfutsonexécuteurtestamentaire.[RetourauTextePrincipal]

Note 96: Le triste événement auquel Chateaubriand fait ici allusion s'étaitpassé aumois demars 1824.MissBathurst, dans une promenade à cheval auboisduTibre,avecunesociétébrillanteetnombreuse,avaitétéprécipitéedanslefleuveparunfauxpasdesonchevaletyavaitpéri.Elleavaitdix-septanset

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étaitremarquablementjolie.[RetourauTextePrincipal]

Note97:François-Marie-PierreRoullet, baronde laBouillerie (1764-1833),pairdeFrance,intendantgénéraldelamaisonduRoi.[RetourauTextePrincipal]

Note98:Lettressur l'histoiredeFrancepourservird'Introductionà l'étudedecettehistoire,parAugustinThierry.[RetourauTextePrincipal]

Note99:Lesordonnancesdu16juin1828.Lapremièredécidaitqu'àpartirdu1er octobre 1828, les établissements connus sous le nom d'écoles secondairesecclésiastiques, dirigés par des personnes appartenant a une congrégationreligieusenonautorisée,etexistantàAire,Belley,Bordeaux,Dôle,Forcalquier,Montmorillon,Saint-AcheuletSainte-Anned'Auray,seraientsoumisaurégimede l'Université. À l'avenir, pour demeurer ou devenir chargés, soit de ladirection, soit de l'enseignement dans une des maisons d'éducation quidépendaient de l'Université ou dans une école secondaire ecclésiastique, lescandidats devraient affirmer par écrit qu'ils n'appartenaient à aucunecongrégationreligieuseillégalementétablieenFrance.

La seconde ordonnance limitait à vingt mille le nombre des élèves quipourraient être placés dans les séminaires; la fondation de ces établissementsétait réservéeauRoi, sur lademandedesévêques,etd'après lapropositionduministredesaffairesecclésiastiques.Ilétaitdéfendud'yrecevoirdesexternes,etlesélèves,aprèsdeuxannéesd'étudesdanslamaison,seraienttenusdeporterlevêtement ecclésiastique; à l'avenir, le diplôme de bachelier ès-lettres ne seraitplusconférédanslesséminairesqu'auxélèvesirrévocablementengagésdanslesordres.[RetourauTextePrincipal]

Note100:SimonBolivar(1783-1830),lelibérateurdel'Amériqueespagnole.Ilréunitenuneseulerépublique,souslenomdeColombie, leVénézuélaet laNouvelle-Grenade(1819),proclamal'indépendanceduPérou(1822),etfondaausuddecepaysunnouvelétatquipritlenomdeBolivieetauquelildonnauneconstitution (1826). Il fut à différentes reprises président des États qu'il avaitaffranchis.[RetourauTextePrincipal]

Note 101: Le Courrier français, un des journaux les plus avancés del'oppositiondegauche. Ilavaitcommencédeparaître, le21 juin1819,sous lesimple titre deCourrier; le 1er février 1820, il avait pris le titre deCourrierfrançais. Ses principaux rédacteurs étaient Châtelain, Avenel et Alexis de

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Jussieu.[RetourauTextePrincipal]

Note 102: Peu de temps après la date de cette lettre,M. de la Ferronnays,malade, partit pour l'Italie et laissa par intérim aux mains de M. Portalis leportefeuilledesaffairesétrangères.Ch.—Depuislongtemps,lasantédeM.delaFerronnays était ébranlée. Déjà il avait demandé et obtenu un congé. Il étaitrevenu à son poste; mais, le 2 janvier 1829, étant dans le cabinet du roi, iléprouvaunefaiblesse,àlasuitedelaquellelamaladiequ'onavaitcrueconjuréerepritledessus.Ildonnasadémission.Uneordonnancerenduele4janvier,sansleremplacerauConseil,confia l'intérimduministèredesAffairesétrangèresàM.Portalis,gardedessceaux.M.deRayneval,quidéjàavaitremplacéM.delaFerronnayspendantsoncongé,restaitchargédeladirectionduministère.[RetourauTextePrincipal]

Note103:M.duViviersétaitundesattachésdel'ambassade;enmêmetempsque la lettre àMmeRécamier, il portait àParis le récit de la conversationqueChateaubriandavaiteueaveclepape.[RetourauTextePrincipal]

Note104:Ilnes'agiticiniducélèbrearchéologueEnnius-QuirinusVisconti,qui étaitmort en1818, ni de son fils,LouisVisconti, architecte de l'empereurNapoléonIII,àquil'ondoitl'achèvementduLouvre,etquien1829habitaitlaFrance, où son père l'avait fait naturaliser dès 1798. Le Visconti dont parleChateaubriand est le chevalier Philippe-Aurélien Visconti (1754-1831), frèred'Ennius-Quirinus. Il était en 1829 commissaire dumusée et des antiquités deRome et président de l'Académie des beaux-arts.On lui doit, outre le premiervolumeduMuséeChiaramonti,ungrandnombredenoticesetdescriptionsdefresquesoudesculpturesantiques.[RetourauTextePrincipal]

Note 105: Armand-Charles, comte Guilleminot (1774-1840). Général dedivision depuis le 28 mars 1813, il devint, lors de la campagne de 1823 enEspagne, chef d'état-major du duc d'Angoulême, et, en récompense de sesservices, fut créé pair de France (9 octobre 1823), et envoyé parLouisXVIIIcommeambassadeuràConstantinople,oùilrestade1824à1831.[RetourauTextePrincipal]

Note106:UneexplorationdelaMoréefaiteaupointdevuedelascienceetdesartsavaitétéorganiséeparlegouvernement,etM.CharlesLenormantavaitétédésignépourenfairepartie.Safemme,niècedeMmeRécamier,sedisposaitàlerejoindre.[RetourauTextePrincipal]

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Note 107: Napoléon-Auguste, duc de Montebello (1801-1874), fils dumaréchalLannes.Enconsidérationdesservicesmilitaires rendusparsonpère,tué glorieusement à Essling, il avait été nommé pair de France le 27 janvier1827,maisilnepritséancequ'aprèslarévolutiondeJuillet.Dansl'intervalle,ilavait voyagé aux États-Unis, puis avait été attaché à l'ambassade de France àRome. Il devint en 1836 ambassadeur de France près la Confédérationhelvétique,et,en1838,ambassadeuràNaples.MinistredelaMarine,du9mai1847 au 24 février 1848, représentant du peuple à l'Assemblée législative, de1849à1851, il futnommésénateur le5octobre1864et remplit les fonctionsd'ambassadeur à Saint-Pétersbourg, du 15 février 1858 au 6 janvier 1866.—Alors qu'il était à Rome secrétaire de l'ambassade, il demanda un jour àChateaubriand, en présence deM. deMarcellus, la permission d'aller voir samarraine, la duchesse de Saint Leu, qu'une loi tenait éloignée du royaume.«Allez,monsieur,allez»,luiditl'ambassadeur;«àDieuneplaisequejevousenempêche. Portez-lui mes hommages. La liberté n'a plus rien à craindre de lagloire.»—Lorsque le jeune attaché fut sorti, Chateaubriand dit à M. deMarcellus:«L'undesgrandsgriefsquim'afaitéloignerdeRomequandj'yétaispremier secrétaire de l'ambassade du cardinal Fesch, c'est une visite au roi deSardaigne retiré du trône, visite, disait-on, qui sentait le royaliste et l'émigré.Aujourd'hui,ambassadeuràRomeàmon tour,c'estmoiquienvoieundemesofficiers saluer une reine en retraite et proscrite: ma vie est pleine de cescontrastes.»[RetourauTextePrincipal]

Note 108: Il s'agit toujours des ordonnances du 16 juin 1828.[Retour au TextePrincipal]

Note109:L'ouverturedesChambresavaiteu lieu le27 janvier.Lediscoursdutrônecontenaiteneffetcettephrase:«L'expérienceadissipé leprestigedesthéories insensées; la France sait bien, comme vous, sur quelles bases sonbonheur repose, et ceux même qui le chercheraient ailleurs que dans l'unionsincère de l'autorité royale et des libertés que la Charte a consacrées seraienthautementdésavouésparelle.»[RetourauTextePrincipal]

Note110:Jemetrompais.(Notede1837.)CH.[RetourauTextePrincipal]

Note111:LecardinaldeClermont-Tonnerre.IlenadéjàétéparléautomeIIdes Mémoires. (Voy. la note 1 de la page 336.) En 1829, l'archevêque deToulouse était en assezmauvais termes avec le gouvernement du roi. Lors del'ordonnance royale du 16 juin 1828 sur les petits séminaires, il avait protesté

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avec éclat, terminant par ces paroles sa lettre au ministre des Affairesecclésiastiques, monseigneur Feutrier: «Monseigneur, la devise de ma famillequiluiaétédonnéeparCalixteII,en1120,estcelle-ci:Etiamsiomnes,egonon.C'est aussi celle de ma conscience. J'ai l'honneur d'être, avec la respectueuseconsidérationdueauministreduroi,✝A.J.cardinal-archevêquedeToulouse.»Àlasuitedecettelettre,leroifitnotifierauprélatdéfensedeparaîtreàlacour.[RetourauTextePrincipal]

Note112:CelivreaétécomposéàRome(février-mai1829)etàParis(août-septembre1830).[RetourauTextePrincipal]

Note 113: Voir, à l'Appendice, le no 1: La Mort de Léon XII.[Retour au TextePrincipal]

Note114:Voicilevraitextedecettelettredu17février,queChateaubriandaici quelque peumodifié: «J'ai assisté à la première cérémonie funèbre pour lepapedansl'églisedeSaint-Pierre.C'étaitunétrangemélanged'indécenceetdegrandeur. Des coups demarteau qui clouaient le cercueil d'un pape, quelqueschants interrompus, lemélange de la lumière des flambeaux et de celle de lalune,lecercueilenfinenlevéparunepoulieetsuspendudanslesombres,pourledéposer au-dessusd'uneportedans le sarcophagedePieVII, dont les cendresfaisaientplaceàcellesdeLéonXII:Vousfigurez-voustoutcela,etlesidéesquecettescènefaisaitnaître?»[RetourauTextePrincipal]

Note115:MauroCapellari(1765-1846).EntrétrèsjeunechezlesCamaldulesde Murano, près de Venise, il devint successivement abbé de ce monastère,procureur, vicaire général de la Congrégation. Léon XII le nomma visiteurapostolique des universités, cardinal (1825) et préfet de la congrégation de laPropagande.Ilfutélupape,aprèslamortdePieVIII,le2février1831,etpritlenomdeGrégoireXVI.[RetourauTextePrincipal]

Note116:SurlecardinalPacca,lefidèleministredePieVII,voyez,automeIIIdesMémoires,lanote2delapage230.[RetourauTextePrincipal]

Note117:EmmanueldeGregorio,néàNaplesle18décembre1758,mortàRomele7novembre1839.IlavaitétécréécardinalparPieVIIle8mars1816.[RetourauTextePrincipal]

Note118:JacquesGiustiniani,néàRomele29décembre1769,mortàRomele24février1843.IlavaitéténommécardinalparLéonXIIle2octobre1826.

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[RetourauTextePrincipal]

Note 119: Jules-Marie dellaSomaglia, né à Plaisance le 29 juillet 1744. Ilétait cardinal depuis le 1er juin 1795 et avait assisté au conclave de Venise(décembre1799—janvier,février,mars1800).Sousl'Empire,exiléenFranceenmême temps que Pie VII, il se montra l'un des plus énergiques parmi lescardinauxquirefusèrentd'assisteraumariagedeNapoléon,cequiluivalutd'êtreinternéàMézières,puisàCharleville.RentréàRomeen1814,ilfutévêquedeFrascati, vice-chancelier de la sainte Église en septembre 1818, préfet ducérémonial et doyen du Sacré-Collège. Le 21 mai 1820, il fut transféré auxsièges d'Ostie etVelletri. Secrétaire d'État deLéonXII, il présida le conclaved'oùsortitPieVIII,etmourutle30mars1830,àl'âgede86ans.Desonvivant,il avait secrètement donné 10 000 écus d'or pour lesMissions, et à samort illaissatoussesbiensàlaPropagande.[RetourauTextePrincipal]

Note120:NéàRomele13septembre1750,créécardinalparPieVIIle23février1801,Albaniavaitsoixante-dix-huitanspassés, lorsqu'ilfutnomméparPieVIIIcardinal secrétaired'Étatetbibliothécaire; lepape lenommaenoutresecrétaire des Brefs pontificaux. Le cardinal Albani est mort à Pesaro le 3décembre1834,danssa85eannée.[RetourauTextePrincipal]

Note121:CharlesOdescalchi,néàRomele5mars1786,mortàModènele17août1841.IlavaitétécréécardinalparPieVIIle10mars1823.[RetourauTextePrincipal]

Note122:François-XavierCastiglioni (1761-1830).Ilétait,enfévrier1829,évêquedeFrascati.C'estluiqueleConclaveélirapapele31mars1829.IlpritàsonavènementlenomdePieVIIIetrégnavingtmoisseulement.Ilmourutle30novembre1830.[RetourauTextePrincipal]

Note123: Pierre-FrançoisGalleffi, né àCésène le 27 octobre 1770,mort àRome le 18 juin 1837. Il était cardinal depuis le 12 juillet 1803.[Retour au TextePrincipal]

Note 124: Aucune disposition canonique n'attribue aux puissances le droitd'intervenirdanslesopérationsd'unconclave;mais,enfait,laFrance,l'Espagneetl'Autricheontexercéjusqu'àcesdernierstempscequ'onappelaitl'exclusion;c'est-à-dire que chacune d'elles a pu désigner au conclave un cardinal dontl'électionluiauraitdéplu.Sanspourcelaleurreconnaîtreundroitquelconque,leSacré-Collège tient compte de ces indications, estimant que ce serait préparer

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desdifficultésauSaint-Siègequed'élireunpapemalgrél'hostilitédéclaréed'unegrandepuissancecatholique.—L'exclusive,trèsdifférenteeneffetdel'exclusion,appartientauxmembresmêmesducongrès;ellerésultedesvoixquiserefusentàdonneraucandidatduplusgrandnombrelamajoritéexigéepourlavaliditédel'élection.[RetourauTextePrincipal]

Note125:Charles-MariePedicini,néàBénéventle2novembre1760,mortàRome le 19 novembre 1843. Cardinal depuis le 10 mars 1823.[Retour au TextePrincipal]

Note126:FrançoisBertazzoli,néàLugole1ermai1754,mortàRomele7avril1830.Créécardinal,commePedicini,le10mars1823.[RetourauTextePrincipal]

Note127:PlacideZurla,néàLegnagole2avril1769,mortàPalermele29octobre1834,créécardinalle10mars1823.[RetourauTextePrincipal]

Note128:LouisMicara,néàFrascatile12octobre1775,mortàRomele24mai 1847. Nommé cardinal par Léon XII le 20 décembre 1824.[Retour au TextePrincipal]

Note129:LetroisièmeconciledeLatransousAlexandreIII,en1179.[RetourauTextePrincipal]

Note130:L'antipapeBenoîtXIII, élupar les cardinaux résidant àAvignon,aprèslamortdel'antipapeClémentVII.[RetourauTextePrincipal]

Note131:DonnaOlimpiaPamfili,néeMaldachini(1594-1656).Elleétaitlabelle-sœurducardinalJ.-B.Pamfiliqui,àlamortd'UrbainVIII(1644),futélupapesouslenomd'InnocentX.Souslepontificatdecedernier,Olimpiaexerçaunegrandeinfluenceetamassad'immensesrichesses.Lesuccesseurd'InnocentX,AlexandreVII(1653),luiordonnadeserendreàOrvieto,pouryattendrelerésultatd'uneenquêtesur lesoriginesdesafortune;mais,avant la findecetteenquête,ellepéritdelapeste,en1656.[RetourauTextePrincipal]

Note132:Voir le texte de ce discours à l'Appendiceno II:LeConclave de1829.[RetourauTextePrincipal]

Note133: Jean-BaptisteBussi, créé cardinal parLéonXII en 1824.[Retour auTextePrincipal]

Note134: VincentMacchi, né à Capo diMonte en 1770,mort à Rome en

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1860.—Cardinal depuis le 2 octobre 1826. Avant d'être cardinal,Mgr MacchiavaitéténonceenSuisse,puisàParis(1819).Ilportaitalorsletitred'archevêquedeNisibe.[RetourauTextePrincipal]

Note135:Jean-Baptiste-Marie-Anne-Antoine,comtedeLatil(1761-1839).Ilétaiten1789grandvicairedel'évêquedeVence;ayantrefusédeprêtersermentà la constitution civile du clergé, il émigra en 1790, revint en France l'annéesuivante, fut enfermé àMontfort-l'Amaury, parvint à s'échapper et émigra denouveau.Devenuen1798 l'aumônierducomted'Artois, il ne lequittaplus etrentra avec lui en 1814. Il fut nommé évêque inpartibus d'Amyclée en 1815,évêquedeChartresen1817etpairdeFranceen1822.ÀlamortdeLouisXVIII,lenouveauroisesouvintdesonancienaumônier;illecréacomteetl'appelaàl'archevêchédeReims,M.deLatil sacraCharlesXet reçutdupapeLéonXII(10mars1826)lapourpreromaine;leroiyajoutaletitrededuc.ÀlarévolutiondeJuillet, ils'enfuitenAngleterre,puisrevintenFrance,où il repritsonsiègearchiépiscopal, sans siéger toutefois à laChambredespairs, n'ayantpasvouluprêtersermentaunouveaugouvernement.[RetourauTextePrincipal]

Note136:Les cardinaux français étaient aunombrede cinq:MM.deLatil,archevêque de Reims; de Clermont-Tonnerre, archevêque de Toulouse; de laFare,archevêquedeSens;deCroy,archevêquedeRouen;d'Isoard,archevêqued'Auch.[RetourauTextePrincipal]

Note 137: TeresioFerrero della Marmora, né à Turin le 15 octobre 1757,mort le 30 décembre 1831. Créé cardinal le 27 septembre 1824.[Retour au TextePrincipal]

Note138:Delamêmeplumeaveclaquelleilvenaitd'écrirecettedépêcheàsonministre, Chateaubriand, ce même jour 3 mars, écrivait à son amiM. deMarcellus,ministre plénipotentiaire à Lucques, cette autre lettre, qui n'est pasprécisémentenstyledechancellerie:

«ÀM.deMarcellus,àLucques.Rome,3mars1829.

«Rien de nouveau ici.Des scrutins nuls et variés.De la pluie, du vent, desrhumatismes,etTorloniaenterrél'épéeaucôté,enhabitnoiretchapeaubordé.Voilà tout.Ce soir, chezmoi, on chante à neuf heures, on soupe à dix, puis àminuiton jeûnepour lescendresdedemain;avecunpeudepénétration,vousdevinerezque jevousécris lemardi-gras.Toutcela, lemardi-gras surtout,mefaitdirecommePotierdans le rôledeWerther:«Monami, sais-tucequec'est

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quelavie?C'estunboisoùl'ons'embarrasselesjambes.»Encoresilesmiennesallaient à la chasse comme les vôtres!Bonjour, voilà qui est bien peu sérieuxpourunambassadeur auprèsd'unconclave. Jepleure si souventque,quand leriremeprendparhasard,jelelaissealler.

«CHATEAUBRIAND.»[RetourauTextePrincipal]

Note139:Lesprécédenteséditionsportentàtort:Jeudi,ce15mars;—cequiestencontradictionaveclecalendrier,etaussiaveclesdeuxdatesdonnéesparChateaubriandquelqueslignesplusloin,etqui,celles-là,sontexactes:jeudisoir12,etvendredisoir13.[RetourauTextePrincipal]

Note 140: Anne-Louis-Henri duc de la Fare (1752-1829), petit-neveu ducardinaldeBernis.IlétaitdepuisdeuxansévêquedeNancy,lorsqu'ilfutélu,parlebailliagedecetteville,députédesonordreauxÉtats-Généraux.Cefutluiqui,le 4 mai 1789, à l'issue de la messe qui eut lieu dans l'église Saint-Louis, àVersailles,pourl'ouverturedesÉtats,prononçalediscoursd'usage.Sonattitudehostile aux idées de la Révolution l'obligea bientôt à quitter la France; il seréfugiad'abordàTrêves,puisenAutriche,devintl'undesprincipauxagentsdeLouis XVIII et ne rentra qu'avec lui, en 1814. En 1816, il fut adjoint àl'archevêque de Reims, M. de Talleyrand-Périgord, pour l'administration desaffairesecclésiastiques.ArchevêquedeSensen1817,ilreçuten1822letitredepairdeFrance,eten1823ladignitédecardinal.IlassistaauxdeuxconclavesoùfurentélusLéonXIIetPieVIIIetmourutàParisle10décembre1829.[RetourauTextePrincipal]

Note141:Gustave-Maximilien-Juste,princedeCroy(1773-1844).Ilétaiten1789 chanoine du grand chapitre de Strasbourg. LaRévolution le força de seréfugieràVienne,oùilséjournajusqu'en1817,époqueàlaquelleilfutnomméévêquedeStrasbourg.ÀlamortducardinaldePérigord(1821),ildevintgrand-aumônier de France. Revêtu de la pourpre romaine en 1822, il fut, en 1824transférédel'évêchédeStrasbourgàl'archevêchédeRouen.Aprèslarévolutionde 1830, le prince de Croy resta fidèle à ses opinions légitimistes; il futcependant obligé d'assister, en 1840, au baptême du comte de Paris, mais seretiraaussitôtaprèslacérémonie.[RetourauTextePrincipal]

Note142:Joachim-Jean-Xavier,ducd'Isoard(1766-1839).Ilfitsesétudesauséminaire d'Aix, où il se lia intimement avec le futur cardinal Fesch;lorsqu'éclata la Révolution, il n'avait reçu encore que les ordres mineurs. En1794, il se rendit à Vérone, auprès du comte de Provence; puis, il revint en

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France,pritpartàplusieurscomplotsroyalistes,etdutretournerenItalieaprèsle18fructidor.Laprotectiondel'abbéFeschluipermitderentrerenFrancesousleConsulat, et bientôt de remplir auprès de son ancien condisciple, devenuarchevêquedeLyon,cardinaletambassadeuràRome,lesfonctionsdesecrétaireparticulier (1803). La même année, il fut nommé auditeur de Rote. Il ne futordonnéprêtrequ'en1825,àRome.LéonXII lecréapeuaprès(25juin1827)cardinalautitredeSaint-Pierre-ès-liens,qu'iléchangeaplustardcontreceluidela Trinité-du-Mont. À son retour en France, Mgr d'Isoard fut pourvu del'archevêchéd'Auchetappeléàlapairieavecletitrededuc(24janvier1829).Àla révolution de Juillet, sa nomination à la Chambre haute fut annulée par lanouvelleCharte:ilseconsacraalorsuniquementàsondiocèse.LamortdesonamilecardinalFeschayantdéterminéunevacancedanslecorpsdescardinauxfrançais,Mgrd'Isoard futappeléà lui succéder (14 juin1839),mais ilmourutpresquesubitementquelquesmoisaprès, le7octobre,pendantqu'ilattendaitàParissesbullesd'institution.[RetourauTextePrincipal]

Note143:BélisaireCristaldi,néàRomele11juillet1764,mortàRomele25février1831.Nommécardinalle2octobre1826.[RetourauTextePrincipal]

Note144:MgrLambruschini,archevêquedeGênes,nonceduSaint-SiègeàParis.[RetourauTextePrincipal]

Note145:L'abbéCoudrin avait accompagné àRomecommeconclaviste lecardinal-archevêquedeRouen, leprincedeCroy,dont il était,depuis1826, lepremiervicairegénéral.Chateaubriand,quin'afaitquel'entrevoir,s'est trompédanslejugementqu'ilaportésurlui.Bienloind'êtreun«espritrétréci»,l'abbéCoudrin possédait les hautes et rares qualités qui font les chefs d'ordres. Sonintelligence égalait sa vertu.À l'époque où laRévolution venait d'anéantir lesanciens ordres religieux, il lui a été donné de fonder une Congrégation, queChateaubriandsansnuldouteamalconnueetquiestaujourd'huirépanduedanslemondeentier, laCongrégationdesSacrés-Cœursde JésusetdeMarie etdel'Association perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'Autel (dite de Picpus).L'abbéPierreCoudrin(enreligionleP.Marie-Joseph)étaitnéle1ermars1768;ilestmortle27mars1837.VoirlaVieduT.R.P.Marie-JosephCoudrin,parunPère de la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et deMarie.[Retour au TextePrincipal]

Note146:HerculeDandini,néàRome le25 juillet1759,mort le22 juillet1840.Cardinalle10mars1823.[RetourauTextePrincipal]

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Note 147:Louis Ier (Charles-Auguste), roi de Bavière, né à Strasbourg en1786.Montésurletrônele12octobre1825,ilsemontraunardentphilhellène,cedontChateaubriandluisavaittrèsgrandgré.Unvoyagequ'ilfitenItalie,de1804à1805,lui inspirapourlesartsunepassionquinelequittaplus; ilattiradanssacapitalelesplusgrandsartistesdel'Allemagneetilnenégligearienpourfaire deMunich l'Athènesmoderne.Malheureusement, il y introduisit un jourAspasiesouslestraitsdeLolaMontès,unedanseusedontilfitunecomtessedeLansfeldetquidevintunmomentlasouveraineabsoluedelaBavière.LouisIer,obligédequittersesÉtats,aumoisdefévrier1848,abdiqua,le20marssuivant,enfaveurdesonfils,MaximilienII.IlvécutdepuisdanslaretraiteetmourutàNicele29février1868.[RetourauTextePrincipal]

Note148:Gino-Alexandre-Joseph-Gaspard,marquisCapponi,néàFlorencele14septembre1792.Élevéparlecélèbreantiquairel'abbéZannoni,ilappritungrand nombre de langues et voyagea en Italie, en France, enAngleterre et enAllemagne.IlajouéenToscaneunrôlepolitiqueimportant,particulièrementde1847à1849.Bienqu'il fût devenupresque aveugledès1839, il sevoua avecpassion aux études historiques et fut le principal rédacteur des Archiveshistoriques publiées à Florence par Vieusseux. Le plus remarquable de sesouvrages,StoriadellaRepublicadiFirenze, a paru en1875.LemarquisGinoCapponiestmortle3février1876.[RetourauTextePrincipal]

Note149:Chateaubriandnenousapasdonnélenomdelacorrespondanteàlaquelleétaitadresséecettelettredu21mars.C'estévidemmentladamedontilaparlé plus haut, dans sa lettre àMmeRécamier, du 15 janvier 1829, et dont ildisait: «J'ai reçuune lettrede cettedame spirituellequivenait quelquefoismevoirauministère;jugezcommeellemefaitbienlacour:elleestturqueenragée;Mahmoudestungrandhommequiadevancésanation!»[RetourauTextePrincipal]

Note 150: Ce second discours fut prononcé par Chateaubriand en pleinconclave.Onentrouveraletexteàl'AppendicenoII:leConclavede1829.[RetourauTextePrincipal]

Note 151: Auguste-Hilarion, comte de Kératry (1769-1859). Député duFinistère,rédacteurduCourrierfrançais,ilavait,àlatribuneetdanslaPresse,vivement combattu M. de Villèle, ce qui l'avait rapproché de Chateaubriand.Députéde1818à1824,puisde1827à1837,M.deKératryfutnommépairdeFrancele3octobre1837.Éluen1849àlaLégislative,etappelé,commedoyend'âge,àprésiderlapremièreséance,ilprofitadecettecirconstancepourlaisser

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éclater son hostilité contre les institutions républicaines. Il vota constammentavecladroitemonarchiqueetrentradanslavieprivéeau2décembre1851.Cevieuxparlementaireavaitpubliédenombreuxécritsdephilosophiespiritualisteetreligieuse,etplusieursromans,dontl'unaumoins,leDernierdesBeaumanoir(1824),avaiteuunassezvifsuccès.[RetourauTextePrincipal]

Note152:LesculpteurDesprezvenaitd'achever,pourletombeauduPoussin,d'aprèsletableaudesBergersd'Arcadie,unbas-relief,dontChateaubriandétait,àbondroit,extrêmementsatisfait[RetourauTextePrincipal]

Note153:Letroisièmesecrétairedel'ambassade,levicomtedeSesmaisons,filsducomteDonatiendeSesmaisons,maréchaldecampetdéputédelaLoire-Inférieure, était, par sa mère, petit-fils du chancelier Dambray. Les deuxpremierssecrétairesétaientMM.BellocqetDesmousseauxdeGivré,dontilseraparlétoutàl'heure.—Lesattachésàl'ambassadeétaientMM.deMontebello,duViviers,deMesnard,d'HaussonvilleetHyacinthePilorge,lefidèlesecrétairedeChateaubriand.[RetourauTextePrincipal]

Note154: Le duc deBlacas était alors ambassadeur àNaples.[Retour au TextePrincipal]

Note155:LecomteFuscaldo,ambassadeurdeNaplesàRome.[Retour auTextePrincipal]

Note 156: Le télégraphe aérien n'allait encore que jusqu'à Lyon, et M. deBrosses,préfetduRhône,entenaitlaclef.C'était,commesonpère,unhommed'infinimentd'esprit.[RetourauTextePrincipal]

Note157:ChateaubriandréponditencestermesaucardinalFesch:«J'auraisvoulu, Monsieur le cardinal, répondre plutôt au billet que vous m'avez faitl'honneur dem'écrire. Il augmente infinimentmes regrets et ceux deMme deChateaubriand.Espéronsqueletempsviendraoùtouslesobstaclesserontlevés.Grâce à la magnanimité de son roi, la France est assez forte désormais pourbraverdessouvenirs:lalibertédoitvivreenpaixaveclagloire.

«JeprieVotreÉminencedecroireàmondévouementetd'agréer l'assurancedemahauteconsidération.»[RetourauTextePrincipal]

Note 158: M. Bellocq était premier secrétaire de l'ambassade. Le secondsecrétaire, M. Desmousseaux de Givré, né le 1er janvier 1794, était entré de

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bonneheuredanslacarrièrediplomatique.Ilavaitétéattachéàl'ambassadedeLondres, sousChateaubriand, en 1822.L'année suivante, il avait été envoyé àRome.Ildonnasadémissionàl'avènementduministèrePolignacetrentra,après1830,dansladiplomatie.Députéd'Eure-et-Loirde1837à1848,ildéfendit,nonsans talent, la politique conservatrice et fut l'un des principaux soutiens duministère de M. Guizot, jusqu'au jour où, se séparant de son chef, dans undiscoursprononcéle27avril1847,ilmontralesministresrépondantsurtoutesles questions: «Rien, rien, rien!»Aussitôt répercutés, grossis par les journauxopposants,cesmots:Rien,rien,rien!eurentunretentissementénorme,etilsnelaissèrentpasd'êtrepourquelquechosedanslarévolutiondu24février.Aprèsavoirsiégéàl'Assembléelégislativede1849à1851,M.DesmousseauxdeGivrérentradanslavieprivée.[RetourauTextePrincipal]

Note 159: Voir l'Appendice no III: le Journal du Conclave.[Retour au TextePrincipal]

Note 160: Enmême temps que cette lettre, Chateaubriand envoyait àMme

RécamierlebilletsuivantdestinéaujeuneCanaris:

«Rome,9avril1829.

«Mon cher Canaris, je vous dois depuis longtemps une réponse. Vousm'excuserez,parcequej'aieubeaucoupd'affaires.Voicimesrecommandations:

«AimezbienMmeRécamier.N'oubliezjamaisquevousêtesnéenGrèce;quemapatriedevenuelibreaversésonsangpourlalibertédelavôtre,soyezsurtoutbonchrétien,c'est-à-direhonnêtehomme,etsoumisàlavolontédeDieu.Aveccela,moncherpetitami,vousmaintiendrezvotrenomsurlalistedecesanciensfameuxGrecs,oùl'adéjàplacévotreillustrepère.

«Jevousembrasse.

«CHATEAUBRIAND.»[RetourauTextePrincipal]

Note161:Umbræenimtransitusest tempusnostrum. (Livrede laSagesse.)[RetourauTextePrincipal]

Note 162: Le duc de Modène se défendait de cette accusation. Voir, dansChateaubriandetsontemps,p.363,lesexplicationsquedonneàcesujetM.deMarcellus.[RetourauTextePrincipal]

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Note 163: «Le cardinal de Clermont-Tonnerre, dit M. de Marcellus(Chateaubriandetsontemps,p.358),partideToulousetroptardpourarriveràl'ouvertureduconclave,vintmevoiràLucquespourenavoirdesnouvelles,etpour se rendre à Rome par la voie la plus courte, en évitant Florence. Je luisignalailaroutedetraversepeusuiviequilongeaitlelacdeBiguglia; il lapritsanshésiter.Toutallabienjusqu'aupassagedel'Arno;maislà,enmettantpiedàterre,M.deClermont-Tonnerresefoulaunnerf.CetaccidentleretintplusieursjoursàSienneetneluipermitd'entrerauconclavequeledernierdescardinauxfrançais.»[RetourauTextePrincipal]

Note 164:Hélène-Paulouwna (Frédérique-Charlotte-Marie) était la fille duprince Paul de Wurtemberg. Née le 9 janvier 1807, elle avait épousé, le 19février 1824, le grand-duc Michel Paulowitch, frère du tzar Alexandre et dugrand-ducNicolas,quiallaitdevenir,l'annéesuivante,empereurdeRussie.[RetourauTextePrincipal]

Note165:Paul-Charles-Frédéric-Auguste,frèreduroideWurtemberg.Néle19 janvier 1785, il avait épousé, le 28 septembre 1805, Catherine-Charlotte-Georgine-Frédérique-Louise-Sophie-Thérèse, fille du duc de Saxe-Hildburhausen.[RetourauTextePrincipal]

Note166:LafêtedonnéeparChateaubriandàlaVillaMédicis,enl'honneurdelaprincesseHélène,eutlieule29avril1829.UnjournaldeRome,leNotiziedelGiorno, enpubliaun compte rendu enthousiaste, que leMoniteur deParisreproduisitdanssonnumérodu15mai.[RetourauTextePrincipal]

Note167:FemmeduroiJoseph,quiavaitprislenomdecomtedeSurvilliers,comme son frère Louis avait pris le nom de comte de Saint-Leu, et son frèreJérômeceluidecomtedeMontfort.[RetourauTextePrincipal]

Note168:L'enlèvementdupapePieVIIdanslanuitdu5au6juillet1809.[RetourauTextePrincipal]

Note 169: Mustapha Reschid-Pacha (1779-1857), l'homme d'État le plusremarquable qu'ait eu la Turquie au XIXe siècle. Lors de l'ambassade deChateaubriandàRome, ilétaitministredesAffairesétrangèressousMahmoudII. Il devint grand vizir sous Abdul-Medjid, et opéra d'importantes réformes.[RetourauTextePrincipal]

Note170:

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QuandSidrac,àquil'âgeallongelechemin,Arrivedanslachambre,unbâtonàlamain....

(BOILEAU,leLutrin,chantI.)[RetourauTextePrincipal]

Note 171: Théodore Mionnet (1770-1842). Conservateur adjoint à laBibliothèque nationale et membre de l'Académie des inscriptions, il consacratrenteansdesavieàsongrandouvrage,laDescriptiondesmédaillesgrecquesetromaines,avecleurdegréderaretéetleurestimation(1806-1837,15vol.in-8o).[RetourauTextePrincipal]

Note172:RobertArnauld,ditd'Andilly,(1589-1674),filsd'AntoineArnauld,lecélèbreavocat,etfrèredugrandArnauld.Sonfils,SimonArnauld,marquisdePomponne,futl'undesministresdeLouisXIV.Arnauldd'AndillyalaissédesMémoires sur sa vie, publiés en 1734, ainsi qu'un Journal, qui n'a paru qu'en1857.[RetourauTextePrincipal]

Note 173: Le chancelier de L'Hôpital excellait dans la poésie intime. «Sesvers,ditVillemain,exprimentdespenséessinoblesqu'onnepeut les liresansattendrissement.... C'est une âme antique qui s'exprime dans l'ancienne languedesRomains.»SesamisPibrac,deThou,ScévoledeSainte-MartheseréunirentpourfaireuneéditiondesesPoésiesintimes,quifutpubliéeparMichelHuraultdeL'Hôpital(Paris,1585,infol.)[RetourauTextePrincipal]

Note174:C'estlenomqueprendDamis,danslaMétromanie,dePiron(acteI,scèneVIII):

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MONDOR

Votrenommaintenant,c'estdonc?

DAMIS

Del'Empyrée;Etj'enoseraisbiengarantirladurée.[RetourauTextePrincipal]

Note175:LeconnétabledeBourbon,en1527.[RetourauTextePrincipal]

Note176:JacquesBuonaparte—lepremierBonapartedontilsoitfaitmentiondansl'histoire—alaisséunrécitdusacdeRomeen1527,dontilavaitététémoinoculaire.Cedocumentaété traduitenfrançaisparNapoléon-LouisBonaparte,frèreaînédeNapoléonIII.[RetourauTextePrincipal]

Note 177: Le 29 avril 1829, Chateaubriand écrivait, de Rome, à M. deMarcellus:

«Vous m'avez vu regretter Londres au moment de partir pour Vérone.Aujourd'hui,àlaveilledepartirpourlaFrance,jeregretteRome.J'ailecongéque j'avais demandé, et me sens peu disposé à m'en servir. Si Mme deChateaubriandveutalleràParistouteseule,jepourraisbienpassericimonété.Je traite pour cela avec M. Bunsen, le ministre de Prusse, la cession de sonlogementauCapitole.Qu'irais-jevoircheznous?Letumultedesantichambres,peut-êtredes rues;des luttesdevanité.Aprèsmonconclaveet son tapage, j'aireprisgoûtauxruinesetàlasolitude.

«CHATEAUBRIAND.»[RetourauTextePrincipal]

Note178:Voir,automeI,l'AppendicenoIIIsurChristiandeChateaubriand.[RetourauTextePrincipal]

Note179:ChateaubriandrentraàParisle28mai1829.—Lespagesquivontsuivre,jusqu'àlafinduLivreXIII,ontétéécritesàParis,rued'Enfer,enaoûtetseptembre1830.[RetourauTextePrincipal]

Note180:Cormenin,danssonLivredesOrateurs (t. II,p.59) traceainsi le

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portraitdeMartignac:«Ilcaptivaitplutôtqu'ilnemaîtrisaitl'attention.Avecquelart il ménageait la susceptibilité vaniteuse de nos chambres françaises! avecquelle ingénieuse flexibilité il pénétrait dans tous les détours d'une question!quelle fluidité de diction! quel charme! quelle convenance! quel à-propos!L'expositiondesfaitsavaitdanssaboucheunenettetéadmirable,etilanalysaitlesmoyensdesesadversairesavecune fidélitéetunbonheurd'expressionquifaisaientnaîtresurleurslèvreslesouriredel'amour-propresatisfait.Pendantquesonregardaniméparcouraitl'assemblée,ilmodulaitsurtouslestonssavoixdesirène,etsonéloquenceavaitladouceuretl'harmonied'unelyre.Si,àtantdeséductions,si,àlapuissancegracieusedesaparole,ileûtjointlesformesvivesde l'apostrophe et la précision rigoureuse des déductions logiques, c'eût été lepremier de nos orateurs, c'eût été la perfectionmême.»—Undesmembres lesplus ardent» de l'extrême gauche, M. Dupont de l'Eure cédant un jour à sonadmirationsympathiquepourl'éloquencedeM.deMartignac,luiavaitcriédesaplace: «Tais-toi, Sirène.» Ce mot résumait l'impression que ressentait laChambre toutes les foisque leministrede l'Intérieurprenait laparole.[Retour auTextePrincipal]

Note 181: Avant l'entrée en campagne et le départ du duc d'Angoulême, ilavait fallu rédiger les instructions qu'il devait suivre et lui former un conseilpolitique.M.deMartignacavaitétéchoisipourêtrelechefdececonseiletavaitreçu,àcetteoccasion,letitredecommissairecivilprèsl'arméed'Espagne.[RetourauTextePrincipal]

Note182: Le 9 février 1829,M. deMartignac présenta deux projets de loidestinés à réorganiser l'administration municipale et départementale. La loidépartementale fut discutée la première.Dans la séance du 8 avril,malgré lesefforts de Martignac, d'Hyde de Neuville, de Vatimesnil et de Cuvier, laChambre des députés adopta un amendement qui supprimait les conseilsd'arrondissement.Uneordonnanceroyale,endatedumêmejour,retiralesdeuxprojets. Le ministère Martignac avait vécu. Il tint cependant a faire voter lebudget et à rester à son poste jusqu'à la fin de la session, qui fut close le 30juillet.Le8août,ilfaisaitplaceauministèrePolignac.[RetourauTextePrincipal]

Note183:«Ladéfensespontanée,généreuse,désintéresséedeM.dePolignac,son antagoniste et son successeur, honore beaucoup le caractère inoffensif etnobledeM.deMartignac.Lesméditationsdesonplaidoyeret lesémotionssidramatiques de ce procès, achevèrent de ruiner sa santé chancelante.»(Cormenin,LivredesOrateurs,T.II,p.59.)[RetourauTextePrincipal]

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Note184:

QuummaresubnoctemtumidisalbescarecœpitFluctibus,

(Ovide,Métamorphoses,livreXI.)[RetourauTextePrincipal]

Note185:

Quumventiposuere,omnisquerependereseditflatus....

(Énéide,livreVII,v.27.)[RetourauTextePrincipal]

Note186:

Vixprimosinopinaquieslaxaveratartus.

(Énéide,livreV,t.857.)[RetourauTextePrincipal]

Note187:GeorgeSandn'apeut-êtrepasdeplusbellespagesdescriptivesquesapeinturedescheminscreuxetombragésduBerry,dansValentine.Ceroman,leseconddeGeorgeSand,publiéen1832,deuxmoisàpeineaprèsIndiana,estrestél'undeseschefs-d'œuvre.[RetourauTextePrincipal]

Note188:Lecardinald'Ossat,ambassadeurd'HenriIIIetd'HenriIVàRome,était né à la Roque-en-Magnoac, dans le diocèse d'Auch, le 23 août 1536. Ilmourutle13mars1604.C'estluiquiobtintduSaintSiègel'absolutiond'HenriIVetfitaccepterl'ÉditdeNantes.[RetourauTextePrincipal]

Note189:Voirl'AppendicenoIV:DanslesPyrénées.[RetourauTextePrincipal]

Note 190: LeMoniteur du 9 août 1829 annonça la formation du nouveauministère.Ilétaitainsicomposé:leprincedePolignacauxAffairesétrangères;M.delaBourdonnayeàl'Intérieur;M.CourvoisieràlaJustice;M.deChabrolauxFinances;legénéraldeBourmontàlaGuerre;l'amiraldeRignyàlaMarine;M.deMontbelauxAffairesecclésiastiquesetàl'Instructionpublique.—L'amiraldeRigny, neveu du baronLouis, était connu pour ses idées libérales.Nomméministresansavoirétéconsulté,ilarrivale15àParisetrefusad'entrerdanslecabinet.Ilfutremplacéparlabarond'Haussez,préfetdeBordeaux.[RetourauTexte

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Principal]

Note191:On litdans leMoniteurdu27août1829:«OnécritdePau le20août:—«M. levicomtedeChateaubriandestarrivéhieràPau.L'illustreauteurduGénieduChristianismeavisitéunepartiedelavilleetlongtempscontemplélechâteaudeHenriIV.Versneufheures,unesérénadeaétédonnéeaunoblepairparlesmusiciensdelaville.Unefouleconsidérablecouvraitlacourdel'hôteldeFranceetlesalléesattenantesdelaplaceRoyale.Ungrandnombredecitoyensontétéadmisdanslesappartementsdunoblevicomte.Parmilasmorceauxquiont été exécutés dans cette sérénade improvisée, on a surtout remarqué ladélicieuse romance du Dernier des Abencerages: Combien j'ai doucesouvenance! M. de Chateaubriand s'est rendu à l'empressement dont il étaitl'objet, et s'est montré à l'une des fenêtres. Des acclamations l'ont aussitôtaccueilli et il y a répondu par ces paroles: «Messieurs, je suis extrêmementsensibleàl'honneurquevousvoulezbienmefaire;jenereconnaislemériterqueparmonamourpourmonpays. Ilétait toutnaturelque lavillequiavunaîtreHenriIVaitbienvoulusesouvenirdemondévouementauxdescendantsdecetillustre roi.» De nouvelles acclamations se sont fait entendre et la foule s'estensuitepaisiblementdispersée.—M.deChateaubriandestparticematinàneufheurespourParis.»(MémorialdesPyrénées.)»[RetourauTextePrincipal]

Note192:Marie-ChristinedeBourbon(1805-1878).ElleétaitlasecondefilledesonzeenfantsdeFrançoisIer,roidesDeux-Siciles,etdesasecondefemme,Marie-Isabelle, infante d'Espagne. Elle épousa, le 11 décembre 1829, le roiFerdinandVII,déjàtroisfoisveuf,etelleeutsurluiassezd'empirepourluifairepromulguer,le29mars1830,lapragmatiqueSietepartidasquisupprimaitlaloisaliqueetdépossédaitdesesdroitsautrônedonCarlos,frèreduroi.[RetourauTextePrincipal]

Note193:CelivreaétéécritàParisenaoûtetseptembre1830.[RetourauTextePrincipal]

Note194:Lamartine,quis'étaitdéjàprésentéunepremièrefoisen1824,aulendemaindesNouvellesMéditations,etquis'étaitvualorspréférerl'honnêteM.Droz,seprésentaitdenouveaupourremplacerlecomteDaru.L'électioneutlieule5novembre1829.LesconcurrentsdeLamartineétaientlegénéralPhilippedeSégur, l'historien deNapoléon et la Grande-Armée pendant l'année 1812; M.Azaïs, auteur des Compensations dans les destinées humaines, et M. David,ancienconsulgénéralàSmyrne,auteurdel'Alexandréide.Lamartinefutéluaupremier tourdescrutin,par19voixcontre14donnéesàM.deSégur.[Retour au

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TextePrincipal]

Note195:Charles-Jean-Dominique deLacretelle, dit le Jeune (1766-1855),membre de l'Académie française, auteur d'un grand nombre d'ouvrageshistoriques,dont lemeilleurestsonHistoirede laRévolution française (1821-1826,8vol. in-8o). Il a laissé, sousce titre:Dixannéesd'épreuvespendant laRévolution (1842, 1 vol. in-8o), de très intéressantsMémoires quimériteraientd'êtreréimprimés.[RetourauTextePrincipal]

Note196:Jean-Pierre-AbelRémusat(1788-1832).Membredel'Académiedesinscriptions et belles-lettres, professeur au Collège de France, rédacteur duJournaldesSavants, conservateurdesmanuscrits orientauxde laBibliothèqueroyale,l'undesfondateursdelaSociétéasiatique,dontilfutprésidenten1829,ilapubliésurleslanguesetleslittératuresdel'Orientdenombreusesetsavantesétudes, où il a su allier à l'érudition la plus sûre un rare talent d'écrivain.Cestravauxleplacèrentaupremierrangdesorientalistes.Ilnelaissaitpas,d'ailleurs,de s'occuper aussi des choses d'Occident et de prendre une part active à lapolitique.Parsesopinions,ilappartenaitàl'extrêmedroite.[RetourauTextePrincipal]

Note197:Antoine-JeanSaint-Martin(1791-1832)fut,commeAbelRémusat,sonconfrèreàl'Académiedesinscriptions,undenosplussavantsorientalistes.SaNotice sur l'Égypte sous les Pharaons (1811), et celle sur le Zodiaque deDenderah(1822),sesFragmentsd'unehistoiredesArsacides (1830)etsurtoutses Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie (1818) sont destravauxdepremierordre.SonardeurmonarchiqueégalaitcelledeRémusat,etilfonda,le1erjanvier1829,l'Universel,feuilleultra-royaliste.[RetourauTextePrincipal]

Note 198: Le 15 octobre 1829, la mort du savant chimiste Vauquelin fitvaquer un siège dans la Chambre des députés, où il représentait lesarrondissements de Lisieux et de Pont-l'Évêque, qui formaient le quatrièmearrondissementélectoraldudépartementduCalvados.LacandidaturefutofferteàM.Guizot,et, le23 janvier1830, ilétaitéluàune fortemajorité.Aumêmemoment, M. Berryer, que jusque-là son âge avait tenu, comme M. Guizot,éloignédelaChambredesdéputés,yétaitélupar ledépartementde laHaute-Loire,oùunsiègesetrouvaitaussivacant.[RetourauTextePrincipal]

Note 199: Louis-Auguste-Victor de Ghaisne, comte de Bourmont (1773-1846). Après avoir commandé, de 1794 à 1799, les Chouans duMaine et del'Anjou,ildéposalesarmesle4février1800.Arrêtéàlasuitedel'explosionde

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la machine infernale (21 décembre 1800) et enfermé dans la citadelle deBesançon,ilréussitàs'évader,àlafinde1804,etàgagnerLisbonne.En1808,lorsquel'arméedugénéralJunot,quiavaitenvahilePortugal,setrouvaréduiteàune situation désespérée, Bourmont offrit ses services au général, qui lesaccepta,etilfitàlabatailledeVimeirodesprodigesdevaleur.RentréenFrance,il fut envoyé par Napoléon à l'armée d'Italie, et fut attaché à l'état-major duprince Eugène. Pendant les campagnes deRussie, de Saxe et de France, il sedistinguaparsestalentsnonmoinsqueparsoncourage;ilsesignalanotammentàladéfensedupontdeNogent-sur-Seine(février1814)etygagnalegradedegénéraldedivision.PendantlesCent-Jours,ilseprononçaparécritcontrel'Acteadditionnel et attendit sa révocation. Elle ne vint pas, et, lorsque l'arméefrançaisefranchitlafrontièredeBelgique,ilétaitàlatêted'unedesdivisionsdu4e corps, commandé par le général Gérard. Le 14 juin 1815, il annonça augénéralHulot,leplusanciendesescommandantsdebrigade,qu'ils'absenteraitlelendemain;illuiconfiatouslesordresetinstructionsrelatifsauxtroupes,luiindiqual'emplacementdetous lespostes,réunit ladivisionet la lui laissasouslesarmes.Le15aumatin,ilfaisaitremettreaugénéralGérardunelettreoùilluidisait: «On neme verra pas dans les rangs des étrangers; ils n'auront demoiaucunrenseignementcapabledenuireàl'arméefrançaise,composéed'hommesquej'aimeetauxquelsjenecesseraideprendreunvifintérêt.»Cetengagementfut tenu, et il résulte des événements mêmes qui signalèrent le début de lacampagne, que Bourmont et les officiers qui l'accompagnaient gardèrent unsilence absolu sur tout cequi concernait l'armée française.Bourmontn'a doncpas trahi, mais il a commis un acte que l'impartiale histoire doit sévèrementcondamner. Puisqu'il avait repris du service dans l'armée impériale, il ne ladevaitpointquitteràlaveilledeshostilités.Cettefaute,sigravesoit-elle,il l'anoblement rachetée, et par sa glorieuse expédition d'Alger, et par ledésintéressement dont il a fait preuve au lendemain de sa victoire. Au moisd'août 1830, son successeur auMinistère de la Guerre, le général Gérard, luiécrivitque«d'heureusescirconstances l'ayantséparédesescollègues, iln'avaitpas à redouter leur sort; que la France lui savait gré de ses succès, et que leGouvernementsaurait le récompenserdesesservices.»Si touchéqu'ilpûtêtrede ce témoignage rendu par son ancien chef du 4e corps, le maréchal deBourmontrenonçasanshésiteràsafortunepolitiqueetàsafortunemilitaire;ilsacrifiasanscomptersestitres,seshonneurs,sestraitements,ladignitédepairdeFranceetjusqu'àsonbâtondemaréchal.[RetourauTextePrincipal]

Note200:Jean-Joseph-AntoinedeCourvoisier(1775-1835).Ilavaitémigréetservi à l'armée de Condé. Député de 1816 à 1824, il se fit remarquer par la

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modérationdesesidées,ainsiqueparsontalent.Cormeninaditdelui(LivredesOrateurs,II,6):«Courvoisier,leplusdisposetleplusintarissabledesparleurs,siThiersn'eûtpasexisté.»Ilétaitdepuis1818procureurgénéralprèslacourdeLyon.[RetourauTextePrincipal]

Note 201: Guillaume-Isidore Baron, comte deMontbel (1787-1861). AmiparticulierdeM.deVillèle,qu'ilavaitremplacécommemairedeToulouse,ilnefaisaitpartiede laChambredesdéputésquedepuis les électionsdenovembre1827. Après les journées de Juillet, il put échapper aux poursuites et gagnerl'Autriche. Condamné comme contumace à la prison perpétuelle, et amnistié,ainsiquesescollègues,parleministèreMolé(29novembre1836),ilrevintenFranceetsetintàl'écartdesaffairespubliques.IlmourutàFrohsdorffenvisiteauprèsducomtedeChambord,le3février1861.OnluidoituneVieduducdeReichstadt (1833) et uneRelation des derniersmoments deCharlesX (1836).[RetourauTextePrincipal]

Note 202: M. de Polignac ayant été nommé président du Conseil le 17novembre 1829, M. de la Bourdonnaye donna sa démission de ministre del'Intérieur.Undesesamisluidemandaquelavaitétélemotifdesaretraite.«Onvoulaitme faire jouerma tête, répondit-il, j'aidésiré tenir lescartes.» (PapierspolitiquesdeM.deVillèle.)[RetourauTextePrincipal]

Note 203: Martial-Côme-Annibal-Perpétue-Magloire, comte de Guernon-Ranville (1787-1866). Il s'engagea en 1806 aux vélites de la garde impériale;réformépourcausedemyopie,ilsefîtinscrireaubarreaudeCaen.En1820,ildevintprésidentdutribunalcivildeBayeux.AvocatgénéralàColmaren1821,procureur-généralàLimogesen1822,àGrenobleen1826,ilfutappeléen1829àremplacerauparquetdelacourroyaledeLyonM.deCourvoisier,quivenaitd'êtrenommégardedessceaux.Le2mars1830,ilfutnommédéputédeMaine-et-Loire. Il venait d'être réélu le 19 juillet, lorsque parurent les Ordonnances.Arrêté à Tours le 25 août, il fut condamné par la Cour des pairs à la prisonperpétuelleetenferméàHam,oùilrestajusqu'àl'amnistiede1836.Ilseretiraalors au château deRanville (Calvados), où il estmort le 30 novembre 1866.[RetourauTextePrincipal]

Note204:LeJournalduCommerce,danssonnumérodu11septembre1829,publia,souscetitre:Associationbretonne, leProspectusd'uneSociétédont lesmembres s'engageaient à ne plus payer l'impôt dans le cas où les formesconstitutionnelles viendraient à être violées. Le Courrier français reproduisitl'article du Journal du Commerce. Les gérants des deux journaux furent

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condamnés,enpremièreinstance,le27novembre1829,àunmoisdeprisonet500francsd'amende.CejugementfutconfirméparlaCourroyaledeParisle11mars1830.[RetourauTextePrincipal]

Note205:LeNational,dontlepremiernuméroparutle3janvier1830.IlfutfondéparMM.Thiers,MignetetArmandCarrel.Chacund'euxdevaitprendreladirectionpouruneannée.M.Thierscommença.[RetourauTextePrincipal]

Note 206: Le libraire Sautelet se suicida, en effet, peu de mois après lafondationduNational.ArmandCarrelpublia,àcetteoccasion,danslaRevuedeParisde juin1830,sousce titre:Unemortvolontaire,un trèsbelarticle,dontj'extraiscesquelqueslignes:«Quandonabienconnucefaibleetexcellentjeunehomme, on se le figure hésitant jusqu'à la dernière minute, demandant grâceencoreàsadestinée,mêmeaprèsavoirécritquinzefoisqu'ils'estcondamné,etqu'il ne peut plus vivre.Sansdoute il a pleuré amèrement et longtemps sur leborddecelitoùils'estfrappé.Peut-êtreils'estagenouillépourprierDieu,carilycroyait;ildisaitquelacréationauraitétéuneabsurditésanslaviefuture.Sesmainsaurontchargélesarmessansqu'illeurcommandâtpresque,et,pendantcetemps,ilappelaitsesamis,samère,quelqueobjetd'affectionpluscherencore,ausecoursdesonâmedéfaillante.Ilétaitlà,s'asseyant,selevantavecanxiété,prêtant l'oreille au moindre bruit qui eût pu suspendre sa résolution ou laprécipiter.Unefenêtrelégèremententr'ouverteprèsdesonlitamontréqu'aprèsavoir éteint sa lumièreet s'êtreplongédans l'obscurité, il avait fait effortpourapercevoir un peu de jour qui naissait et qui ne devait plus éclairer que soncadavre.... Enfin, il a senti qu'il était seul, bien seul, abandonné de tout sur laterre; qu'il n'y avait plus autour de lui que les fantômes créés par ses dernierssouvenirs.Ilacherchéunrestedeforceetd'attentionpournepassemanquer,etsamainaétésûre....»[RetourauTextePrincipal]

Note207:C'est le 5mai 1830, àToulon, que le duc d'Angoulême passa larevue de la flotte prête à mettre à la voile. Elle s'élevait à 675 bâtiments deguerreetducommerce,etnecomptaitpasmoinsde11vaisseaux,24frégateset70naviresdeguerredemoindreforce.Lespectaclequeprésentaitlaradeétaitmagnifique.Les navires de guerre et les bâtiments de transport, entre lesquelscirculaientdesmilliersdebarques,occupaientlecentredutableaudontlecadreétait formépar les collinesque couvrait une innombrablepopulation.Tous lesnavires étaient pavoisés; les équipages, montés dans les vergues et dans leshunes,faisaientretentirl'airdescrisde:ViveleRoi!Journéedesoleiletdefêteàlaveilledesjoursdedeuil,dernierrayonàl'heureoùlesombresdusoirvont

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envahirleciel,derniersouriredelafortuneàcetteMaisondeBourbonquiavaittrouvé la France épuisée, appauvrie, écrasée sous le poids d'inénarrablesdésastres, et qui allait la laisser libre, prospère et forte, avec des financesadmirablesetuneflottesuperbe;—qui l'avait trouvéevaincue,humiliée, fouléeauxpiedsparquatrecentmilleenvahisseurs,etquiallaitluiléguerlapluspureet laplusbellede toutes les conquêtes, accomplie sous lesyeux etmalgré lesmenacesdel'Angleterrefrémissante.[RetourauTextePrincipal]

Note 208: Oraison funèbre de la reine Marie-Thérèse, prononcée le 1erseptembre1683.[RetourauTextePrincipal]

Note209:M.duPlessix,frèreducontre-amiralduPlessixdeParscau,beau-frèredeChateaubriand.[RetourauTextePrincipal]

Note 210: Charles Lenormant, après avoir accompagné Champollion enÉgypteetaprèsavoirfaitpartiedel'expéditionscientifiqueenMorée,étaitàlaveillederevenirenFrance.[RetourauTextePrincipal]

Note 211: Auguste-Théodore-Hilaire, baron Barchou de Penhoen, né àMorlaix (Finistère) le 28 avril 1801. Il prit part à l'expédition d'Alger commecapitained'état-major.Après larévolutionde1830, ildonnasadémissionpourne pas servir le gouvernement de Louis-Philippe, et s'adonna aux lettres ainsiqu'àlaphilosophie.SesprincipauxouvragessontuneHistoiredelaphilosophieallemandeetuneHistoiredeladominationanglaisedanslesIndes(6volumesin-8o).Ilétaitmembredel'Académiedesinscriptionsetbelles-lettres.En1849,les électeurs du Finistère l'envoyèrent à l'Assemblée législative, où il siégeaparmi les royalistes.Après le 2 décembre1851, il rentra dans la vie privée, ilmourut à Saint-Germain-en-Laye le 28 juillet 1855. Il avait été, au collège deVendôme, le condisciple de Balzac, ce qui lui vaut de figurer dans LouisLambert.DanslaComédiehumaine,Gobseckluiestdédié.[RetourauTextePrincipal]

Note 212: Mémoires d'un officier d'état-major, par le baron Barchou dePenhoen;p.427.CH.[RetourauTextePrincipal]

Note213:CharlesXavait annoncé, dans sondiscours, l'expéditiond'Alger,déclarantque l'insulte faite aupavillon françaisparunepuissancebarbaresqueneresteraitpaslongtempsimpunieetqu'uneréparationéclatanteallaitsatisfairel'honneur de la France. Le soir, quelques amis, parmi lesquels M. Villemain,étaient réunisdans lesalondeChateaubriand:«Voilà, leurdit-il,deceschoses

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quiappartiennentàlatraditiondel'ancienneFrance,àl'héréditédeSaintLouiset de LouisXIV; voilà ce que fait la royauté légitime.Dans sa crise actuelle,avec ses misérables instruments, malgré ses peurs exagérées, je le veux, elleconçoituneentreprisegénéreuseetchrétienne,cequejeconseillaisdès1816,cequ'elleauraitfaitplustard,avecmoi,sielleavaiteulebonsensdemegarder.Oui,cetAlger,queBossuetnousmontrefoudroyéparnosgaliotesàbombes,etquinesauvasonportqu'ennousrendantdescaptifschrétiens,peuttomberdansnosmains,cetété.NousferonsmieuxquelordExmouth.Riennem'étonnedelavaleur française. Seulement, cela me ravit sans me rassurer. Qui connaît lesabîmesdelaProvidence?Ellepeutdumêmecoupabattrelevainqueuràcôtéduvaincu, agrandir un royaume et renverser une dynastie.» Villemain, M. deChateaubriand, sa vie, ses écrits, son influence littéraire et politique sur sontemps,p.447.[RetourauTextePrincipal]

Note214:Cetamendementétaitainsiconçu:«Cependantnotrehonneur,notreconscience, la fidélité que nous vous avons jurée et que nous vous garderonstoujours,nousimposentledevoirdefaireconnaîtreàVotreMajestéqu'aumilieudes sentiments unanimes de respect et d'affection dont votre peuple vousentoure, de vives inquiétudes se sont manifestées à la suite des changementssurvenus depuis la dernière session.C'est à la haute sagesse deVotreMajestéqu'il appartient de les apprécier et d'y apporter le remède qu'elle croiraconvenable.Lesprérogativesdelacouronneplacentdanssesmainsaugusteslesmoyensd'assurercetteharmonieconstitutionnelleaussinécessaireàlaforcedutrônequ'aubonheurdelaFrance.»M.GuizotetM.Berryerfirenttousdeuxleurdébutsurcetamendement,qu'avaient inspiré lesamisdeM.deMartignac;M.Guizotlerepoussa,commetenantauroiunlangagetropfaible;Berryer,commeattaquant les droits de la couronne.—Le comte de Lorgeril (1778-1843) étaitentréàlaChambreen1828,commedéputéd'IlleetVilaine,enremplacementdeM.deCorbière,nommépaixdeFrance.Ilnefutpasrééluauxélectionsdejuin-juillet1890.[RetourauTextePrincipal]

Note215:Le19mai,parutauMoniteuruneordonnanceroyalequinommaitGarde des sceaux, en remplacement de M. Courvoisier, M. de Chantelauze,premierprésidentdelaCourroyaledeGrenoble.M.deMontbelremplaçaitM.de Chabrol aux Finances, abandonnant le portefeuille de l'Intérieur, qui étaitconfiéàM.dePeyronnet.Ladirectiongénéraledespontsetchaussées,détachéedudépartementde l'Intérieur, formaitunnouveauministère, celuidesTravauxpublics,àlatêteduquelonplaçaitM.lebaronCapelle,alorspréfetdeVersailles.—Guillaume-Antoine-Benoît, baron Capelle (1775-1843) avait été, sous

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l'Empire, préfet du département de la Méditerranée (chef-lieu Livourne) puispréfetduLéman(chef-lieuGenève).LaRestaurationl'avaitfaitconseillerd'État,préfetduDoubs,puisdeSeine-et-Oise.LaCourdespairs,le21décembre1830,le condamna par contumace à la prison perpétuelle comme signataire desOrdonnancesdu25juillet.[RetourauTextePrincipal]

Note216:M.deGuernon-Ranville,s'ilétaitunhommedecœur,étaitaussiunhomme de talent. En 1814, il avait quitté le barreau de Caen, où il avaitbrillamment débuté, et, après un vote énergique contre l'Acte additionnel, ils'était rendu àGand auprès du roi LouisXVIII, à la tête d'une compagnie devolontairesroyalistes.DeGandilétaitalléàLondresrejoindreleducd'Aumont,qui préparait un débarquement, sur les côtes de Normandie. Comme avocatd'abord, puis comme procureur général, il avait fait preuve de remarquablesqualités oratoires. Il a laissé sur son ministère de huit mois un intéressantJournal, publié en 1874, par M. Julien Travers, sous ce titre: Journal d'unministre.[RetourauTextePrincipal]

Note217:LorsqueM.deChantelauzefutappeléauministère, ilannonçasanominationàsonfrèreparlalettresuivante:

«Paris,18mai1830.

«Maprésence àParisdoit,moncher ami, te causerquelque surprise.Tuenéprouveras davantage demain, à la lecture du Moniteur, qui contiendra manomination de Garde des sceaux. Je le regarde comme l'événement le plusmalheureux dema vie, et il n'est rien que je n'aie fait pour y échapper.Voilàbientôt un an que je résiste; nomméministre le 17 avril dernier, j'ai été assezheureux pour faire agréer mon refus, pendant mon dernier séjour ici; j'aiégalementfaitéchouerdesemblablestentativesàGrenoble;c'estle30avrilquej'aireçulesordresduroi.M.leDauphin,àsonpassage,m'avivementpressé;j'aiétéfermedansmonrefus,etjecroyaisbienlachosefinieàmonavantage,mais,le12decemois,unedépêchetélégraphiquem'aprescritdemerendreàParis.Arrivé depuis trois jours, je n'ai pas perduun instant pour empêcher un choixaussipeuconvenablequ'utile.Mesexcusesn'ontpasétégoûtées,etjecèdeàdesordres qui ne permettent que l'obéissance. Ainsi, regarde-moi comme unevictimeàimmoleretplains-moi.»[RetourauTextePrincipal]

Note218:LaChambredesdéputésfutdissoutele16mai.Lesdépartementsquin'avaientqu'uncollègeélectoralétaientappelésàvoter le23juin;dans les

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autresdépartements,lescollègesd'arrondissementdevaientseréunirle3juillet,etlescollègesdedépartementle20juillet.L'ouverturedelanouvelleChambreétaitfixéeau3août.[RetourauTextePrincipal]

Note 219: La Tribune des départements, fondée par Auguste et VictorinFabre.Cette feuille devint, après 1830, l'organe le plus violent de l'oppositionrépublicaine.[RetourauTextePrincipal]

Note 220: Hilaire-Étienne-Octave Rouillé, marquis de Boissy (1798-1866).Pair de France de 1839 à 1848, il fut pendant dix ans l'enfant terrible de laChambrehaute,harcelantlechancelierPasquierdesescontinuellesinterruptionset de ses saillies irrévérencieuses. De 1848 à 1853, il se vit condamné ausupplicedusilence.Le4mars1853,ilrevintauLuxembourgcommesénateurety fit preuve d'une honorable indépendance. Il a laisse desMémoires, qui nevalentpas,ilfautbienledire,ceuxduvieuxchancelier,auquelilavaitautrefoisfait la vie si dure.Lemarquis deBoissy, en1851, à cinquante-trois ans, avaitépousé la célèbre marquise Guiccioli, elle-même presque quinquagénaire, etveuvedelordByrondepuisplusd'unquartdesiècle.—En1830,dateàlaquelleaétéécritecettepagedesMémoires,M.deBoissyn'étaitencorequelecomtedeBoissy, et c'est avec raison que Chateaubriand lui donne ce titre; il ne devaitprendreceluidemarquisqu'à lamortde sonpère (28 juin1840).[Retour auTextePrincipal]

Note221:LeRapportauroiavaitétérédigéparM.deChantelauze.[Retour auTextePrincipal]

Note 222: L'article 14 de la Charte était ainsi conçu: «Le Roi est le chefsuprêmedel'État,commandelesforcesdeterreetdemer,déclarelaguerre,faitles traités de paix, d'alliance et de commerce, nomme à tous les emploisd'administrationpublique,etfaitlesrèglementsetordonnancesnécessairespourl'exécutiondesloisetlasûretédel'État.[RetourauTextePrincipal]

Note 223: Chateaubriand demeurait alors rue d'Enfer, no 84.[Retour au TextePrincipal]

Note224:Jean-Henri-ClaudeMangin(1786-1835).CommeprocureurgénéralàPoitiers,ilavaitdirigélespoursuitescontrelegénéralBertonetsescomplices(1822).IlavaitéténomméconseilleràlaCourdecassationen1827,etpréfetdepoliceen1829.Magistratéminent,orateuretécrivain,ilalaissédesouvragesdejurisprudence qui font encore aujourd'hui autorité en la matière: Traité de

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l'action publique et de l'action civile;—Traité des procès-verbaux;—Traité del'instructionpublique.[RetourauTextePrincipal]

Note225:LecomtedeChabrol-Volvic.IlétaitpréfetdelaSeinedepuis1812.Le comte de Chabrol-Croussol, qui avait été ministre des finances dans lecabinetPolignacjusqu'au19mai1830,étaitsonfrère.[RetourauTextePrincipal]

Note 226: Le vicomte de Champagny.—Lors du procès des ministres(audience du 16 décembre 1830), il fit la déclaration suivante: «J'ai euconnaissancedesordonnancesdu25juilletparleMoniteurdu26;rienn'avaitpume faire prévoir un événement aussi grave.Aucun ordre n'avait été donné auministère de la guerre.Aucunmouvement extraordinaire de troupes n'avait eulieu.Jediraimêmequ'aumomentoùlesordonnancesparurent,ilyavaitautourdeParismoinsdetroupesdelagardequedecoutume.Deuxrégiments,dontl'unde cavalerie et l'autre d'infanterie, avaient été envoyés en Normandie pourfaciliterlarecherchedesincendiaires.»[RetourauTextePrincipal]

Note 227: La protestation des journalistes fut rédigée par MM. Thiers,Châtelain etCauchois-Lemaire.Les signataires étaient, en effet, aunombredequarante-quatre.Voici leurs noms:Gauja, gérant duNational; Thiers,Mignet,Chambolle,Peysse,AlbertStapfer,Dubochet,Rolle, rédacteursduNational;—Châtelain,Guyet,Moussette,Avenel,AlexisdeJussieu,J.-F.Dupont,rédacteurs,etV.deLapelouse,gérantduCourrier français;—Guizard,Dejean,CharlesdeRémusat, rédacteurs, et Pierre Leroux, gérant du Globe;—Année, Cauchois-Lemaire et Évariste Dumoulin, rédacteurs du Constitutionnel;—Senty,Haussmann, Dussard, Chalas, A. Billard, J.-J. Baude, Busoni, Barbaroux,rédacteurs, et Coste, gérant du Temps;—Victor Bohain, Nestor Roqueplan,rédacteurs du Figaro;—Auguste Fabre et Ader, rédacteurs de la Tribune desdépartements;—Plagnol, Levasseur et Fazy, rédacteurs de la Révolution;—F.Larreguy, rédacteur, et Bert, gérant du Journal du Commerce;—Léon Pillet,gérantduJournaldeParis;—Vaillant,gérantduSylphe;—Sarransjeune,gérantduCourrierdesÉlecteurs.[RetourauTextePrincipal]

Note228:Aunombredequatorze.C'étaientMM.Bavoux,Bérard,Bernard,de Laborde, Chardel, Daunou, Jacques Lefebvre, Marchal, Mauguin, CasimirPérier,Persil,deSchonen,VassaletVillemain.[RetourauTextePrincipal]

Note 229: «M. Thiers, qui avait si bien parlé la veille des têtes à engager,croyantlasiennemenacée,allachercheruneprudenteretraitedanslavalléede

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Montmorency, chez Mme de Courchamp, la sœur d'Étienne Béquet.» Notesinédites surM.Thiers, par Josephd'Arçay (leDrBonnetdeMalherbe), p. 52.[RetourauTextePrincipal]

Note 230: Des deux frères Béquet, le seul qui ait laissé un nom était lerédacteurdesDébats,ÉtienneBéquet (1800-1838).C'est luiqui avait écrit, aumois d'août 1829, à l'avènement du ministère Polignac, le fameux article seterminant par cesmots: «MalheureuseFrance!malheureux roi!»Sonprincipaltitre est le feuilleton hebdomadaire qu'il rédigea pendant quinze ans, et qu'ilsignait de la lettre R. «Il savait, selon le mot de Jules Janin, tout dire sansoffenserpersonne.»En1829,presqueenmêmetempsquesoncélèbrearticledesDébats, il avait publié dans la Revue de Paris une nouvelle, Marie ou leMouchoirbleu,quiavaiteuunsuccèsprodigieux.[RetourauTextePrincipal]

Note231:LetitreexactdujournalquedirigeaitM.Costeen1823étaitcelui-ci:Tablettes universelles, ou Répertoire de documents historiques, politiques,scientifiques et littéraires, avec une Bibliographie raisonnée. Le bulletinpolitiqueétait faitparM.Thiers,qui signait***.Lesautres rédacteursétaientMM.Cauchois-Lemaire,Coquerel,Dubois,Mahul,Dumon,Rabbe,CharlesdeRémusat,ThéodoreJouffroy,Damiron,etc.Aumoisdejanvier1824,M.Coste,obéréparlesfraisdesonjournal,écraséparlesamendes,etd'ailleursrécemmentcondamné à un an de prison, vendit les Tablettes à M. Sosthène de laRochefoucauld, qui poursuivait alors, avec les fondsde la liste civile, et aussiparfoisavecsespropresfonds,sacampagned'amortissementdesjournaux.Undesrédacteurs,M.Rabbe,adressaàM.Costeunelettrefortdure,quifutinséréedansleCourrierfrançaisetamenaunduelentrelesdeuxécrivains.[RetourauTextePrincipal]

Note 232: Jacques Coste (1798-1859). S'il avait vendu son journal, lesTablettes universelles, M. Coste n'en restait pas moins l'adversaire résolu etdéclaré du gouvernement de la Restauration. Le 15 octobre 1829, il fonda leTemps, «journal des progrès politiques, scientifiques, littéraires et industriels»,quinecontribuapasmoinsqueleNationalàpréparerlarévolutionde1830.Cejournalsubsistajusqu'au17juin1842.Sontitreaétérepris,le1ermars1849,parM.XavierDurrieu,eten1861parM.A.Nefftzer.LeTempsdeM.Durrieunevécutquedixmois,maisceluideM.Nefftzeraurabientôtatteintlaquarantaine.[RetourauTextePrincipal]

Note 233: Lorsque le commissaire de police se présenta aux bureaux duTemps, dans la rue de Richelieu, pleine à ce moment d'une foule curieuse et

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inquiète,M.Baude refusa d'ouvrir les portes de l'imprimerie.Un serrurier, estrequis;M.Baudelui litàhautevoixl'article384duCodepénal,quipunitdestravauxforcéslevolpareffraction.L'ouvrierintimidéseretire.LecommissairemenacealorsM.Baudedelefairearrêter;celui-cirouvresonCodeetlitl'article341,quipunitdes travaux forcés l'arrestationarbitraire.Àunsecondserrurier,requis pour remplacer le premier, il relit l'article 384, et, cette fois encore,l'ouvrier se retire. La lutte se prolongea ainsi longtemps; il fallut recourir auserrurierchargéderiverlesfersdesforçats.[RetourauTextePrincipal]

Note234:M.Billot.[RetourauTextePrincipal]

Note235:RueNeuve-du-Luxembourg,no27.[RetourauTextePrincipal]

Note236:LarueduducdeBordeauxestdoyennelarueduVingt-neufJuillet,envertud'unedécisionministérielledu19août1830.ElleestsituéeentrelaruedeRivoli (no 208) et la rueSaint-Honoré (no 213), tout près de l'égliseSaint-Roch.[RetourauTextePrincipal]

Note 237: Alfred Nettement (Histoire de la Restauration, t. VIII, p. 608)racontecet incidentd'une façonunpeudifférente:«Ilétaitalors sixheuresdusoir.Lagarderoyalevintapporterunsecoursnécessaireàlagendarmerieetàlaligne,dontleseffortsdemeuraientimpuissants.Descoupsdefeurépondirentàla grêle de pierres qui tombaient sur la troupe; ils étaient tirés par undétachementdu5erégimentdelignequientraitdanslarueSaint-Honoréparlarue deRivoli.Cette décharge coûta la vie à un jeune étudiant anglais nomméFolks, qui était allé se réfugier à l'Hôtel Royal, situé à l'angle de la rue desPyramides. Il avait eu l'imprudence de se mettre à la fenêtre pour suivre lesprogrèsdumouvementinsurrectionnel:unedespremièresballesl'atteignit.[RetourauTextePrincipal]

Note238:LeprésidentduConseiloccupait l'hôtelduministèredesAffairesétrangères,alorssituéàl'angledelaruedesCapucinesetdesboulevards.[RetourauTextePrincipal]

Note239:Marie-Victor-NicolasdeFay,marquisdeLatour-Maubourg,(1768-1850). Il avait servi avec éclat sous l'Empire. À la bataille de la Moskowa,commandantunedesdivisionsdelaréservedecavalerie,ilpritpartàlacélèbrecharge contre la grande redoute de Borodino et fut blessé aumoment où sescuirassiersypénétraient.ÀLeipsick,ileutlacuisseemportéeparunbouletdecanon. À son valet de chambre, qui était accouru et se livrait au désespoir:

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«Qu'as-tu donc à pleurer? dit Latour-Maubourg, tu n'auras plus qu'une botte àcirer.»PairdeFrance(4juin1814),ministredelaguerre(9novembre1819-14décembre1821),ilétaitdevenugouverneurdesInvalidesen1822,aprèslamortdumaréchaldeCoigny.AprèslesjournéesdeJuillet, ildonnasadémissiondepair,seretiraàMelun,puisallarejoindrelesBourbonsenexil.GouverneurduducdeBordeauxen1835,ilnerentraenFrancequ'en1848.[RetourauTextePrincipal]

Note 240: Alfred-Armand-Robert, comte de Saint-Chamans (1781-1848).Engagécommecavalierau9erégimentdedragons,le1eroctobre1801,colonelle 19 mai 1811, maréchal de camp et colonel du régiment des dragons de lagarde royale le 8 septembre 1815, inspecteur de cavalerie le 19 juin 1822,commandant la1rebrigadede la2edivisiondecavaleriede lagarderoyaleenEspagne le3décembre1823,admisau traitementderéformepardécretdu17septembre1830.SesMémoiresontétépubliésen1896.[RetourauTextePrincipal]

Note241:AlexandreSala,officierau6erégimentd'infanteriedelagarde.Ilapubliésouscetitre:Dixjoursde1830,unerelationdesévénementsauxquelsilavait assisté.En1832, il était avec laduchessedeBerry sur leCarlo-Alberto;traduit de ce chef devant la Cour d'assises deMontbrison, il fut acquitté. En1848, il fonda, avec Alfred Nettement et Armand de Pontmartin, l'Opinionpublique,dontilfut,jusqu'àlasuppressiondecettefeuillele8janvier1852,undesprincipauxrédacteurs.[RetourauTextePrincipal]

Note242:OnlitdanslesMémoiresdugénéraldeSaint-Chamans:«J'occupailagranderuedufaubourgSaint-Antoinedanstoutesalongueur....Notreattitudeétaitpaisibleetpacifique,etleshabitants,hommes,femmesetenfants,sortirenten foule desmaisons et semêlèrent dans nos rangs; j'étais à cheval aumilieud'eux,etjeparlaisavecactionàplusieursgroupesdecepeuplepourl'exhorteràrester tranquille et à reprendre ses occupations ordinaires, lorsqu'une femme,s'approchantdemoi,meditavecvivacitéetengesticulantqu'ilétaitimpossiblede rester tranquille lorsqu'on était sans argent pour acheter du pain pour sesenfants,etque,quantautravailetauxoccupations,ilsn'enavaientplus,puisque,depuislaveille,touslesateliersétaientfermés.Jeluidonnaiunepiècedecinqfrancs,etellesemitaussitôtàcrieràtue-tête:ViveleRoi!ViveleRoi!Cecrifutvivementrépétéparplusieursdeceuxquim'entouraientetquimetendaientleursmains.... Je leurdistribuaiavec lemêmesuccès toutceque j'avaisd'argentsurmoi;piècesd'oretmonnaiedebillonfurentbienreçuesetproduisirentchezeuxlemêmeenthousiasmeroyaliste,car j'avaissoinde leurbiendirequec'était leRoiquinousavaitordonnédesecourir les indigents: jevidaiainsimabourse;

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maiscemincetrésorfutbientôtépuisé,etnetrouvantplusderéponseàfaireàceuxquimetendaientlamain(etilenarrivaitdenouveauxàchaqueinstant),jem'aperçusquelescrisde:Vive leRoi! s'épuisaientaussi;plusieursdeceuxquis'enallaientlesmainsvideséclataientmêmeenmurmures,etmaugréaienttoutcomme si, après la réception qu'ils m'avaient faite, je leur devais unegratification.Jelerépète,sij'avaiseuunfourgondepiècesdecinqfrancsàleurdistribuer, jemeserais faitde toutcepeupledu faubourgSaint-Antoineetdesenvirons une nombreuse avant-garde avec laquelle j'aurais pu parcourirpacifiquement tout Paris, et ces mêmes gens qui, le matin, avaient aidé àconstruirelesbarricadesauxcrisde:VivelaCharte!lesoirlesauraientdémoliesavecjoie,auxcrisde:ViveleRoi!sansquej'eusseeubesoindetireruncoupdefusil, et je les aurais amenés ensuite sur la place duCarrousel saluer de leursacclamationsroyalistes lepalaisdenosrois.» (Mémoires,p.496.)[Retour au TextePrincipal]

Note 243: Cette colonne, placée sous les ordres du général Talon, étaitcomposée d'un bataillon du 3e régiment de la garde, renforcé de 150 lanciers,d'unbataillonsuisseetdedeuxpiècesdecanon.[RetourauTextePrincipal]

Note244:AusujetdecepassagedesMémoiresd'Outre-tombe,leducVictorde Broglie dit, au tome III de ses Souvenirs, page 287: «L'auteur de cetteassertionaétémalinformé;laréunionfutfortuite,MM.ThiersetMignetnes'ytrouvèrent pas. Il n'y fut question de M. le duc d'Orléans ni directement niindirectement.»—Voici du reste les détails que donne le duc deBroglie sur laréunionquieut lieuchezM.Guizotdans lamatinéedu28:«Enallantvers lesdix heures chez M. Guizot, qui demeurait rue de la Ville-l'Évêque, je neremarquaiaucunsymptômed'agitation. Je trouvaiM.Guizotdanssoncabinet,occupéàmettreaunetleprojetdeprotestationdontilavaitétéchargélaveille(dans la réunion tenue chez M. Casimir Périer); à côté, dans le salon, setrouvaient plusieurs de nos amis, entre autres M. de Rémusat et M. Cousin,disputant assez vivement; nous vîmes entrer au bout d'un quart d'heure unrédacteur duNational qui depuis s'est fait un nom,M.Carrel.—«Tout est finipour cette fois, nous dit-il tristement; le gouvernement est maître du terrain;mais,patience,iln'estpasaubout!»[RetourauTextePrincipal]

Note245:RuedufaubourgPoissonnière,no40.[RetourauTextePrincipal]

Note 246: Dominique-François-Jean Arago (1786-1853), le célèbreastronome. Député de 1831 à 1848, membre du Gouvernement provisoire de

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1848,représentantdupeupleauxAssembléesconstituanteetlégislativede1848-49.—Lorsqu'éclata laRévolution de Juillet, il était directeur de l'Observatoire.[RetourauTextePrincipal]

Note 247: Jacques-Jean-Marie-François Boudin, comte de Tromelin (1771-1842). Il servit à l'armée des princes en 1792 et prit part à l'expédition deQuiberon. Attaché ensuite à l'armée royale de Normandie, il fut pris à Caen(1798),s'évadaetpassaenOrient,etfit,dansl'arméeturque,lescampagnesdeSyrie et d'Égypte. Rentré en France en 1802, incarcéré à l'Abbaye, lors del'affairedePichegruetdeCadoudal,ilensortitauboutdesixmoispourentrer,comme capitaine, dans le 112e régiment de ligne.Général de brigade après labataille deLeipsick, il se battit vaillamment àWaterloo.Pendant la campagned'Espagne de 1823, il obtint de grands succès à Igualada, Calders, Yorba etTarragone, et fut nommé lieutenant-général. Pendant les journées de Juillet, ilseconda activement M. de Sémonville dans les démarches qui amenèrent leretraitdesordonnanceset leministèredeM.deMortemart.Sonrôle,danscesnéfastesjournées,futaussicourageuxqu'honorable;saviemêmefutuninstantmenacée,etilfallutquelegénéralLaFayettelecouvrîtdesapersonneàl'Hôtel-de-Ville.[RetourauTextePrincipal]

Note248:Louis-Alexandre-MarieValondeBoucheron,comted'Ambrugeac(1771-1844).Colonelsousl'Empire,ilavaitservi,pendantlesCent-Jours,danslapetitearméeduducd'Angoulême.De1815à1823,députéde laCorrèze, ilsiégeaaucôtédroitetparutplusieursfoisàlatribune.LouisXVIIIlefitpairdeFrancele23décembre1823.Après1830,ilprêtalesermentdefidélitéàLouis-Philippeetconservaladignitédepairjusqu'àsamort.[RetourauTextePrincipal]

Note249: Jean-Baptiste-AdolpheCharras (1810-1865). Il avait été expulsédel'ÉcolepolytechniquetroismoisavantlesjournéesdeJuilletpouravoir,dansunbanquetd'étudiants,portéun toastàLaFayetteetchanté laMarseillaise. Iln'était encore que chef de bataillon,malgré l'éclat de ses services enAfrique,lorsqu'éclata la Révolution de Février, qui le fit lieutenant-colonel, puis sous-secrétaire d'État auMinistère de laGuerre.Représentant du peuple de 1848 à1851,ilfutarrêtéaucoupd'ÉtatetconduitàBruxelles.IlmourutàBâlele23janvier 1865. On lui doit une Histoire de la campagne de 1815 (Bruxelles,1863). Il avait égalementpréparé lesmatériauxd'uneHistoire de la guerrede1813enAllemagne.[RetourauTextePrincipal]

Note 250: Isidore, comte Exelmans (1775-1802), l'un des plus brillants

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générauxde cavalerie du premierEmpire, pair deFrance sousLouis-Philippe,grandchancelierdelaLégiond'honneuren1849,maréchaldeFranceen1851.[RetourauTextePrincipal]

Note251:Pierre-Claude, comtePajol (1772-1844). Il servit avecéclat sousl'Empire;Napoléonlecréabaronen1809,généraldedivisionen1812,etgrandofficierdelaLégiond'honneurle19février1814.Cejour-là,l'Empereurluiditenl'embrassant:«Sitouslesgénérauxm'avaientservicommevous,l'ennemineseraitpasenFrance.»LouisXVIII lefitcomteet luidonnalecommandementd'une division de cavalerie à Orléans. Au retour de l'île d'Elbe, il amena sestroupesàNapoléon,quilenommapairdeFrancele2juin1815.Misàlaretraitele 3 juin 1816, le comte Pajol voyagea, revint à Paris le 29 juillet 1830, à lanouvelledesOrdonnances,pritladirectiondel'insurrection,et,le2août,semitàlatêtedelatrouped'insurgésquimarchasurRambouillet.LaRévolutionnesemontrapointingrate:lecomtePajolfutfaitgrand-cordondelaLégiond'honneurle31août1830,commandantdela1redivisionmilitairele26septembre,etpairdeFrancele10novembre1831.[RetourauTextePrincipal]

Note252:Albert-Anne-JulesBertierdeSauvigny,lieutenantau14e régimentd'infanterie.Ildevaitêtre,peudetempsaprèslaRévolutiondeJuillet, lehérosd'uneétrangeaventure.Le17février1832,leroiLouis-Philippe,lareineetMlle

Adélaïde,accompagnésdugénéralDumas,aidedecampduroi,sortaientàpieddesTuileriesparlagrilleduquai,etentraientparundespremiersguichetssurleCarrousel,qu'ilstraversèrentobliquementpourserendreauPalais-RoyalparlaruedeRohan.Aumêmemoment, un cabriolet de remise, sortant de la ruedeChartres, traversait aussi le Carrousel et se dirigeait vers le guichet du Pont-Royal.Subitement,lemaîtredelavoiture,vêtud'unmanteaubleu,fitretournerle cheval et le ramenadu côté de la rue deChartres et de l'hôtelLongueville,auprèsduquel le roi se trouvaitalors.Lecabrioletpassasiprèsde luiqu'il futforcé de se jeter vivement de côté. Quelques instants après, le roi et sescompagnons,arrivésàl'angledel'hôteldeNantes,virentreveniràeuxlemêmecabriolet,quiétaitentréuninstantavantdanslaruedeChartres,etqui,cettefoisencore,semblaitvouloir lesserrercontrelemuretmêmelesatteindre;maislecheval, ramené trop brusquement dans cette direction nouvelle, s'abattit; il futimmédiatementrelevéetcontinuarapidementsacourseducôtéduPont-Royal.Après trois jours de recherches, la police découvrait que l'homme aumanteaubleu étaitM. Bertier de Sauvigny. Il comparut le 5mai 1832 devant la Courd'assises de la Seine; il n'était accusé de rien moins que d'avoir «commis unattentat contre lapersonnedu roi, endirigeantvolontairement, àdeux reprises

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différentes,etdansune intentioncoupable,soncabrioletcontre lapersonneduroi;crimeprévuparl'article86duCodepénal».L'article86punissaitcecrimedelapeinedemort.L'avocatgénéral,M.Partarieu-Lafosseréclamal'applicationdecet article; ildéclara seulement,dans sa réplique,qu'après la condamnationinterviendrait certainement une commutation de peine. Après une admirableplaidoiriedeBerryer,BertierdeSauvignyfutacquitté,auxapplaudissementsdel'auditoire.[RetourauTextePrincipal]

Note253:Jean-GeorgeFarcy(1800-1830).Ancienélèvedel'Écolenormale,disciple et ami de Victor Cousin, il avait traduit le troisième volume desÉlémentsde laPhilosophiede l'Esprithumain,parDugaldStewart (1825).Le29juillet,ilseportaaveclesattaquantsversleLouvre,ducôtéduCarrousel;lessoldatsfaisaientunfeunourridanslaruedeRohan,duhautd'unbalconquiétaitàl'angledecetterueetdelarueSaint-Honoré.Farcy,quidébouchaitaucoindelaruedeRohanetdecelledeMontpensier tombal'undespremiers,atteintduhautenbasd'uneballedanslapoitrine.—Sesamisontpublié,en1831,sousletitredeReliquiæ,lerecueildesversetopusculesdeFarcy.[RetourauTextePrincipal]

Note254:DanssonHistoirede laRestauration (tomeVIII. p. 663),AlfredNettementraconteainsilaprisedelacaserneBabylone:«LecommandantDufayrefusadecapitulerdevant l'émeute; il plaça ses soldats aux fenêtres etdans lacour,etlesiègedelacasernecommença.Ilduraplusieursheuresenamenantdespertesdesdeuxcôtés; l'élèveVaneau tombamortellement frappé.Les insurgésenvoyèrent un parlementaire: on ne le reçut pas, et le drapeau noir fat arboré.Alorslesémeutiersrésolurentderecouriràl'incendie,afindeforcerlesSuissesàse rendre devant cet ennemi qu'on appelle le feu; des bottes de paille et desfagots arrosés de térébenthine furent allumés.... La flamme et la fuméeaveuglèrentbientôtlesassiégés;secondésparleslieutenantsHalter,CouteauetSaunteron,ilstentèrentd'opérerunesortieets'élancèrentàtraverslaflamme,labaïonnetteenavant.Lesinsurgésseprécipitèrentverseux,etuncombatcorpsàcorpss'engagea; lesSuissesrefusèrentdeserendre; ils furent impitoyablementmassacrés. Le brave commandantDufay périt et son corps fut traîné dans lesrues par les insurgés. Quelques Suisses seulement parvinrent à échapper aumassacre; la caserne envahie par le peuple fut livrée au pillage.—La luttehéroïque de la caserne Babylone devait être l'adieu des Suisses à la France;comme leurs pères en 1792, ils tinrent jusqu'au bout le serment qu'ils avaientprêtéauRoi,etmoururentpourlui.»[RetourauTextePrincipal]

Note 255: Casimir-Louis-Victurnien de Rochechouart, prince de Tonnay-

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Charente,ducdeMortemart(1787-1875).Aprèsavoirservisousl'Empire,ilfut,à lapremièreRestauration,nommépairdeFranceetcoloneldesCent-Suisses,que son grand-père, le duc de Brissac, avait commandés en 1789. Aux Cent-Jours, il suivit le roi à Gand, et, au retour, fut nommé maréchal de camp etmajor-généraldelaGardenationaledeParis(14octobre1815).Aumoisd'avril1828,ilfutenvoyécommeambassadeuràSaint-Pétersbourg;revenuenFranceau commencement de 1830, il allait partir pour les eaux lorsqu'il apprit lapublicationdesOrdonnances.AprèslesjournéesdeJuillet,ilcontinuadesiégerà lachambredespairs,et, sous lesecondEmpire, ilacceptade fairepartieduSénat(27mars1852).Ilassistadurestefortpeuauxséances,setintégalementàl'écartde lanouvellecouretseconsacraauxœuvresdecharité.—Sursonrôlependant les journéesdeJuillet,voir lesMémoirespourservirà l'histoirede laRévolutionde1830,parM.AlexandreMazas.M.MazasétaitsecrétaireduducdeMortemart.[RetourauTextePrincipal]

Note256:Apollinaire-Antoine-Maurice,comted'Argout(1782-1858).Ilétaitpair de France depuis 1819, et comme son collègue M. de Sémonville, ilappartenaitàladroitemodérée.De1830à1836,ilfutplusieursfoisministreetdétint successivement les portefeuilles de la Marine, du Commerce et desTravauxpublics,del'IntérieuretdesFinances.Durantcessixannées,lenezdeM. d'Argout ne cessa de servir de cible aux flèches de la Caricature et duCharivari et aux épingles de La Mode et du Corsaire. Renonçant enfin auxministères, il se réfugia dans le poste moins tourmenté de gouverneur de laBanquedeFrance.IlestmortsénateurdusecondEmpire.[RetourauTextePrincipal]

Note257:Surlepseudo-généralDubourg,voir,automeIV,lesnotes1et2delapage55.[RetourauTextePrincipal]

Note258:Voir,surM.Baude,automeIV,lanote1delapage137.[RetourauTextePrincipal]

Note259:Étienne-Maurice,comteGérard (1773-1853).Aprèsavoirété l'undes plus glorieux généraux de l'Empire, il était entré en 1822 dans la viapolitique.Aumoisdejuillet1830,ilétaitdéputédel'Oise.Le11août1830,ilaccepta le portefeuille de la Guerre, qu'il abandonna le 16 novembre suivantpourraisondesanté.ÉlevéàladignitédemaréchaldeFrance,le17aoûtdelamêmeannée,ilfutappelé,le4août1831,aucommandementdel'arméeduNordetdirigealesièged'Anvers.PairdeFranceen1833,denouveauministredelaGuerre, avec laprésidenceduConseil, du18 juillet au19octobre1834, il fut

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nommé, le 4 février 1836, grand chancelier de la Légion d'honneur. Legouvernement provisoire du 24 février 1848 le destitua; le second Empire lenommasénateur(26janvier1853).Ilmouruttroismoisaprès,le17avril,etfutinhuméauxInvalides.[RetourauTextePrincipal]

Note 260: Claude-Antoine-Gabriel, duc deChoiseul-Stainville (1760-1838).Chevalier d'honneur de la reine Marie-Antoinette, il était resté auprès d'ellejusqu'àsonincarcérationauTemple,etiln'avaitémigréquequandsatêteavaitétémise à prix.Arrêté àCalais, à la suite d'un naufrage (novembre 1795), etacquittéparleConseildeguerredevantlequelonl'avaittraduit,iln'enavaitpasmoinsétéretenuenprisonparleDirectoire,etfinalementcondamnéàmort.Le18brumairelesauva.LaRestaurationl'appelaàlapairie(4juin1814),etplustardaupostedegouverneurduLouvre(28mai1820).SonattitudeàlaChambredes pairs et sa constante opposition au ministère Villèle lui avaient valu unegrandepopularité.LeroiLouis-Philippelechoisitpourundesesaidesdecamp.[RetourauTextePrincipal]

Note 261: La rue où demeuraitM. Laffitte, et qui allait bientôt porter sonnom,s'appelaitsouslaRestaurationlarued'Artois.[RetourauTextePrincipal]

Note262:Lesmissionnairesde la rued'Enfer, dontparle iciChateaubriandétaient les prêtres de la Société des Missions de France, fondée par le PèreRauzan,etquiestaujourd'hui laSociétédesPrêtresde laMiséricorde sous letitre de l'ImmaculéeConception. Le 29 juillet, leurmaison fut envahie par lesémeutiers.«Toutesleschambressontfouillées,dituntémoinoculaire;lacaissede l'économe est vidée, la cave elle-même est envahie....De nouvelles bandessurviennent,et,l'exaltationcroissantavecl'ivresse,lescoupsdefusilretentissentà travers les corridors et les escaliers. Partout le pillage et la désolation.Rienn'échappeàl'enlèvementouàladestruction.Argent,linges,objetsprécieux,toutdisparaît;lesfenêtressontbrisées,lesmeubleshachésenmorceauxetjetésdansla cour ou dans les jardins. On sonde à la baïonnette une terre fraîchementremuée,dans le jardin,etunecaissecontenant tous lesvases sacrésdevient laproiedesdévastateurs....Aumilieudutumulte,leP.Rauzanparaîtunmomentàsafenêtre,etchercheàapaiserlesesprits....Deuxballessifflentàsesoreilles,etuntroisièmecoup,ajustéparundecesbourreauxégarés,allaitatteindreledigneprêtre,lorsqu'ungardenationalparvientàreleveràtempslecanondufusil.Laballe, toutefois, effleure de si près le dessus de la tête du saint vieillard, qu'ilavouait plus tard avoir perdupour unmoment le sentiment de sa situation....»Pour compléter l'œuvre de destruction, les dévastateurs mettent le feu à

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l'intérieur d'une chambre. L'incendie commençait, lorsque deuxmissionnaires,déguisésendomestiquesdel'hospicedesEnfants-Trouvés(situéégalementrued'Enfer), arrivent, accompagnés de deux sœurs de Charité, et, se mêlant à lafoule,ilss'écrient:«Malheureux,quefaites-vous?Nevoyez-vouspasquelefeuva se communiquer à l'hospice? Voulez-vous donc brûler ces pauvres petitsorphelins?»—On les écoute; une chaîne est organisée, et le feu est éteint audedans.Maisbientôt,àl'aidedelapaillequ'ilsontamoncelée,etsurlaquelleilsentassentlesdébrisdesmeubles,leslivres,lespapiers,lesornementssacrés,degrandsfeuxsontallumésàlafoisaujardin,danslacouretjusquedanslarue.—Les missionnaires purent échapper, en se réfugiant, les uns à l'hospice desEnfants-Trouvés,lesautressousletoitdeChateaubriand.(ViedutrèsrévérendPèreJean-BaptisteRauzan, par leP.A.Delaporte, pages281 et suiv.)[Retour auTextePrincipal]

Note263: Lamaison deChateaubriand, rue d'Enfer, no 84, était voisine del'Observatoire,dontFrançoisAragoétaitalorsledirecteur.[RetourauTextePrincipal]

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Note 264: Joseph Mérilhou (1788-1856).—Après avoir appartenu à lamagistratureimpériale,ilavaitfiguré,souslaRestauration,aupremierrangdesavocats libéraux, et avait plaidé dans presque tous les procès politiques dutemps. Il ne se bornait pas du reste à défendre les conspirateurs, il conspiraitcommeeux.Affiliéàla«Charbonnerie»,ilfutd'abordmembredelahaute-venteet bientôt de la vente suprême. C'est donc à bon droit que l'avocat-généralMarchangy,dansl'affairedesquatresergentsdelaRochelle(août1822),pouvaitdireàMérilhou,quiplaidaitpourlesergentBories:«Icilesvéritablescoupablesnesontpassurlesbancsdesaccusés,maissurlesbancsdesavocats.»—Nomméconseiller d'État le 20 août 1830, il devint, le 2 novembre suivant, lors de laformationduministèreLaffitte,ministredel'InstructionpubliqueetdesCultes,etilenprofitapoursupprimerlaSociétédesMissionsdeFranceetpourréuniraudomainedel'ÉtatlamaisonduMont-Valérienquienétaitlechef-lieu.Députéde1831à1834,pairdeFrancele3octobre1837,ils'étaitfaitnommer,dèsle21avril 1832, conseiller à la cour deCassation, revenant ainsi à lamagistrature,aprèsavoirpasséparlecarbonarisme:

Quedansunbonfauteuilildormeàsonretour.[RetourauTextePrincipal]

Note 265: Casimir-Marie-Marcellin-Pierre-CélestinChardel (1777-1847). Ilétaiten1830jugeautribunaldelaSeineetdéputédeParis.Pendantlesjournéesdejuillet,ilprésidauncomitéinsurrectionnel,et,dèsle27août,ilsefitnommerconseilleràlacourdeCassation.[RetourauTextePrincipal]

Note266:Pierre-FrançoisMarchal(1785-1864).Ilétait,depuis1827,députédelaMeurthe.Ilpritpartauxjournéesdejuilletets'emparadutélégraphe,quele gouvernement nouveau utilisa immédiatement pour assurer son triomphe.NommédirecteurdestélégraphesparlaCommissionmunicipale,ilnerestapaslongtempsàceposte;sesidéesavancéeslefirentdestituer.Rééludéputéde1831à1834etde1837à1845, ilsiégeadansl'opposition.Aprèsle24février, il fitpartie de l'Assemblée constituante, et vota constamment avec la gaucherépublicaine.IlnefutpasrenomméàlaLégislativeetrentradanslavieprivée.[RetourauTextePrincipal]

Note 267: Jacques-François-Nicolas Bavoux (1774-1848). Il était en 1830,député de Paris. Il ne garda la préfecture de police que deux jours; dès le 1eraoût, il était remplacé par M. Girod (de l'Ain). Le 23 août, il fut nomméconseiller-maître à la Cour des Comptes. En 1819, professeur suppléant à la

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Facultédedroit,ilavaitététraduitdevantlacourd'AssisesdelaSeinesouslapréventiond'avoirprovoqué,pardesdiscourstenusdansdeslieuxpublics,àladésobéissanceaux lois.Acquittépar le jury, aprèsuneplaidoiriedeMe Dupinaîné,ilpassasanstransitiondel'obscuritélaplusprofondeàlapopularitélapluséclatante.L'obscuritédepuislongtempsestrevenue:

Bavoux,Bavoux,Bavoux,noust'avonsoublié![RetourauTextePrincipal]

Note 268: Auguste-Simon-Louis Bérard (1783-1859), banquier à Paris,députédelaSeinedepuis1827.Sonrôlependantlesjournéesdejuilletfutdesplusconsidérables.Ilnelaissapasdurestedetirerassezbiensonépingledujeu.Dèslemoisd'août1830,ilfutnommédirecteurgénéraldespontsetchausséesetdesmines; peude temps après il devint conseiller d'État.Unpeuplus tard, leministèreMoléluidonnalarecettegénéraleduCher:Cefutsadernièresituationofficielle.—M. Bérard a publié, en 1834, des Souvenirs historiques sur laRévolutionde1830.[RetourauTextePrincipal]

Note269:M.PalamèdedeForbin-Janson, beau-frèreduducdeMortemart.[RetourauTextePrincipal]

Note 270: François Sauvo (1772-1859). Il était attaché, depuis 1795, à larédactionduMoniteuruniversel,lorsqu'ilfutchargé,en1800,deladirectiondece journal, par Maret, secrétaire général des Consuls; il devait la conserverjusqu'en 1840.—Dans la soirée du 25 juillet 1830, il avait été averti qu'ilrecevraitdesarticlesfortétendusquineseraientterminésqu'aumilieudelanuitetdevraientêtreinsérésdanslenumérodulendemain.Versonzeheuresdusoir,ilfutmandéparM.deChantelauze,quiluiremitlerapportetlesordonnances.M. Sauvo parcourut les pièces «Qu'en pensez-vous?» lui demanda M. deMontbel qui était présent.—«Dieu sauve le Roi et la France!» répondit lerédacteurduMoniteur.Etilajoutaenseretirant:«Messieurs,j'aicinquante-septans,j'aivutouteslesjournéesdelaRévolutionetjemeretireavecuneprofondeterreur.»[RetourauTextePrincipal]

Note 271: Augustin-CharlesPérier (1773-1833), frère deCasimir Périer. Ilétaitdéputéde l'Isèredepuis1827et siégeait aucentregauche.Non rééluauxélectionsdu5juillet1831,ilfutnommépairdeFrancele16mai1832.[RetourauTextePrincipal]

Note 272: Jules-Paul-BenjaminDelessert (1773-1847). Grand industriel, ilavait créé à Passy, en 1801, une filature de coton qui rendit la Francemoins

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tributairedel'Angleterre,etuneraffineriedesucre,oùilobtintlepremiersucredebetteravebiencristallisé.En1818,il importad'Angleterrel'idéedesCaissesd'épargne et popularisa en France cette institution, qu'à sa mort il dotagénéreusement.Ilfutvingt-quatreansdéputé,de1817à1824etde1827à1842,etilsuttoujoursallieràunenobleindépendanceunamouréclairédel'ordre.Peud'hommespolitiquesont laisséunemémoireplushonorée.—Ilétait le frèredeM.GabrielDelessert,préfetdepolicede1836à1848,quiasu,dansl'exercicedecesdélicatesfonctions,forcerl'estimedesesadversaireseux-mêmes.[RetourauTextePrincipal]

Note 273: Jean-Baptiste-HenryCollin, comte de Sussy (1776-1837). Il futmaîtredesrequêtessousl'Empire,puis,souslaRestauration,administrateurdescontributions indirectes. Admis à siéger, le 3 janvier 1827, à la Chambre despairs, par droit héréditaire, en remplacement de son père décédé, il prit placeparmilesmodérés.M.deSussysiégeaàlaChambrehautejusqu'àsamort,ayantprêtésermentaugouvernementdeJuillet.[RetourauTextePrincipal]

Note 274: Sur cet épisode d'Arnouville et sur la première rencontre deChateaubriandaveclecapitaineDubourg,voirautomeIV,pages55-56.[RetourauTextePrincipal]

Note275:TomeI,p.244.[RetourauTextePrincipal]

Note 276: J'ai reçu, le 9 janvier de cette année 1841, une lettre de M.Dubourg; on y lit ces phrases: «Combien j'ai désiré vous voir depuis notrerencontre sur lequaiduLouvre!Combiende fois j'ai désiréverserdansvotresein leschagrinsquidéchiraientmonâme!Qu'onestmalheureuxd'aimeravecpassionsonpays,sonhonneur,sagloire,quandl'onvitàunetelleépoque!...

«Avais-jetort,en1830,denepasvouloirmesoumettreàcequel'onfaisait!Jevoyaisclairement l'avenirodieuxque l'onpréparait à laFrance, j'expliquaiscommentlemalseulpouvaitsurgird'arrangementspolitiquesaussifrauduleux;maispersonnenemecomprenait».

Le 5 juillet de cettemême année 1841,M.Dubourgm'écrivait encore pourm'envoyerlebrouillond'unenotequ'iladressaiten1828àMM.deMartignacetdeCauxpourlesengageràmefaireentrerauConseil.Jen'aidoncrienavancésurM.Dubourgquinesoitde laplusexactevérité. (Paris,notede1841).CH.[RetourauTextePrincipal]

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Note 277: En regard de la version de Chateaubriand, il convient de placercelleduducVictordeBroglie:«Jenesaisenvérité,dit-il(Souvenirs,III,325),si j'ai placé quatre paroles dans une conversation à bâtons rompus, où nousétionsanimésdesmêmessentimentsetpréoccupésdumêmebut;maiscedontjesuisparfaitementsûr,c'estden'avoir jamaisditque jevenaisdeparcourir toutParis,quenousétionssurunvolcan;quelesmaîtresnepouvaientpluscontenirleursouvriers; que, si le nomdu roi était désormais prononcé, on couperait lagorge à qui le prononcerait; que nous serions tousmassacrés; qu'on prendraitd'assaut le Luxembourg comme la Bastille en 1789; et, quant au discours parlequelM.deChateaubriandauraitfoudroyécelangage,c'estmafautepeut-être,maisjeregretteden'enavoirpasentendulepremiermot.[RetourauTextePrincipal]

Note278:Ce livreaétéécritàParisenaoûtet septembre1830,et revuendécembre1840.[RetourauTextePrincipal]

Note 279: Les Souvenirs du duc de Broglie sont ici d'accord avec lesMémoires d'Outre-Tombe. «On lisait, dit M. de Broglie, affiché sur la portemêmedeM.Laffitte,àlaBourseetdanstousleslieuxpublics,unplacardainsiconçu:

«CharlesXnepeutplusrentreràParis;ilafaitcoulerlesangdupeuple;

«LaRépubliquenousexposeraitàd'affreusesdivisions;ellenousbrouilleraitavecl'Europe;

«Leducd'OrléansestunprincedévouéàlacausedelaRévolution;

«Leducd'Orléansnes'estjamaisbattucontrenous;

«Leducd'OrléansétaitàJemmapes;

«Leducd'Orléansaporté lescouleursnationales, leducd'Orléanspeutseullesporterencore.

«Le duc d'Orléans s'est prononcé; il accepte la Charte comme nous l'avonstoujoursvoulueetentendue.

«C'estdupeuplefrançaisqu'iltiendrasacouronne.»

«Cette dernière phrase fut immédiatement modifiée ainsi qu'il suit dans un

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secondplacard:

«Le duc d'Orléans ne se prononce pas; il attend notre vœu; proclamons cevœu,ilaccepteralaChartecommenousl'avonstoujoursentendueetvoulue.»

LeducdeBroglieajoute:«D'oùprovenaientcesplacards?Onsaitaujourd'huiqu'ilsétaientl'œuvredeMM.ThiersetMignet,etquelelibrairePaulin,fortdeleursamis,donnasessoinsàl'impressionetàl'affichage.M.Laffitteétait-ildanslasecret?Ilyalieudeleprésumer.»(SouvenirsdufeuducdeBroglie,tomeIII,p.314.)[RetourauTextePrincipal]

Note280:AryScheffer(1785-1858).Dès1821,ilavaitétéchoisipourdonnerdes leçons de peinture aux jeunes princes d'Orléans, auxquels il resta toujourstrèsattaché.LaprincesseMarie,enmourant,luiléguatoussesdessins.[Retour auTextePrincipal]

Note 281: Hyacinthe-Camille-OdilonBarrot (1791-1873). Très royaliste en1815, ilavaitmonté lagardedans lesappartementsduroi,dans lanuitdesondépart;maisilsejetabientôtdansl'oppositionlibérale.PréfetdelaSeine,d'août1830àfévrier1831;députéde1830à1848;représentantdupeuple,de1848au2décembre1851;ministreetprésidentduConseil,du20décembre1848au30octobre1849;présidentduconseild'État,du27 juillet1872à samort (6août1873).SesMémoires(4vol.in-8o)ontparuen1875.[RetourauTextePrincipal]

Note 282: Le capitaine Le Motha est l'officier qu'Alfred de Vigny aimmortalisé dans le dernier et admirable épisode de Servitude et Grandeurmilitaires,—laVieetlamortducapitaineRenaud.[RetourauTextePrincipal]

Note 283: M. de Guernon-Ranville, qui était alors à Saint-Cloud, raconteainsi,danssonJournal,cettedéplorablescène:«Leprinceetlemaréchalétaientseuls dans le salon vert de Saint-Cloud; les explications du duc deRaguse nesatisfirent pas le Dauphin, qui s'écria: «Est-ce que vous voulez nous trahiraussi?» À ces mots, le maréchal porta la main à son épée. Le prince vit lemouvement; il s'élança en avant, et, voulant arracher l'épée du fourreau, il seblessalégèrementàlamain;puis,lajetantsurleparquet,ilsaisitlemaréchalaucollet, le renversa surun canapé en appelant à lui lesgardesqui se trouvaientdans la salle voisine. En ce moment, l'officier de service, accouru au bruit,ouvrait la porte du salon; le prince lui ordonna de conduire le maréchal auxarrêts forcés dans sa chambre. Le Roi, instruit de cette scène étrange, en fitquelquesreprochesauDauphin,etluidemandadeseréconcilieravecMarmont.

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On le fit appeler immédiatement; il fit quelques excuses au prince, qui luirépondit:«J'aieumoi-mêmedestortsenversvous;maisvotreépéem'atirédusang,ainsinoussommesquittes....»Etilluitenditlamain.»[RetourauTextePrincipal]

Note 284: Ambroise-Anatole-Augustin, marquis de Montesquiou-Fezensac(1788-1878). Entré au service comme simple soldat en 1806, il était en 1814coloneletaide-de-campdel'Empereur.En1816,ildevintaide-de-campduducd'Orléans,puis,en1823,chevalierd'honneurdeladuchesse.Maréchaldecampen1831,députédelaSarthede1834à1841,ilfutnommépairdeFrancele20juillet1841,grandd'Espagneetmarquisen1847.Trèsamides lettres, il avaitpublié desPoésies dès 1820. Outre deux autres volumes de poésies intitulésChants divers (1843), outre des comédies et des drames non représentés, il atraduitenverslesSonnets,CanzonesetTriomphesdePétrarque,etcomposésurMoïse, non pas, comme Chateaubriand, une tragédie en cinq actes, mais unpoèmeen24chants.[RetourauTextePrincipal]

Note 285: Auguste-Marie, baron de Berthois (1787-1870). Lieutenant dugénieen1809,ilavaitfaittouteslescampagnesde1809à1814.IldevintsouslaRestauration aide-de-camp du duc d'Orléans, qu'il ne quitta pas un instantpendantlesjournéesdejuillet,etquilenommacolonelen1831,commandeurdelaLégiond'honneuretplustardmaréchaldecamp.AlliéàlafamilleducomteLanjuinais,dontilavaitépousélafilleen1822,M.deBerthoisfutenvoyéàlaChambredesdéputés,en1832,parlesélecteursdeVitré(Ille-et-Vilaine),quiluirenouvelèrentsonmandatjusqu'en1848.[RetourauTextePrincipal]

Note 286: Elle se composait d'un certain nombre de républicains qui, àmesure que le dénoûment approchait, redoublaient d'efforts. Réunis chez lerestaurateur Lointier, ils y délibéraient le fusil à la main. Le 30 juillet, ilsenvoyèrentaugouvernementprovisoire,siégeantàl'Hôtel-de-Ville,uneadressequicommençaitparcesmots:«Lepeuplehiera reconquissesdroitssacrésauprix de son sang. Le plus précieux de ses droits est de choisir librement songouvernement.Ilfautempêcherqu'aucuneproclamationnesoitfaitequidésigneun chef lorsque la forme même du gouvernement ne peut-être déterminée. Ilexiste une représentation provisoire de la nation. Qu'elle reste en permanencejusqu'à ce que le vœu de lamajorité des Français ait pu être connu, etc.» LamonarchiedeJuilletdevaittrouverdevantelle,aupremierrangdesesennemis,les principauxmembresde la réunionLointier,Trélat,Guinard,CharlesTeste,Bastide,Poubelle,CharlesHingray,Chevalier,Hubert.CedernierfutchargéderemettreaugénéralLafayettel'adressevotéeparlaréunion;illaportaitaubout

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d'unebaïonnette.Cesera luiqui, le15mai1848,prononcera ladissolutiondel'Assembléenationale.[RetourauTextePrincipal]

Note287:Alexandre-EdmebaronMéchin(1772-1849).Ilavaitété,del'anIXà1814,préfetdesLandes,delaRoër,del'AisneetduCalvados,et,pendantlesCent-Jours,députéd'Ille-et-Vilaine.Envoyéen1819,àlaChambredesdéputésparlesélecteursdel'Aisnequiluirenouvelèrentsonmandatjusqu'àlafindelaRestauration, il fut un des orateurs les plus mordants et les plus actifs del'oppositionlibérale.Ilcoopéraàl'établissementdugouvernementdeJuillet,quile nommapréfet duNord, et bientôt conseiller d'État, fonctions qu'il conservajusqu'en1840.OnadubaronMéchinunetraductionenversdeJuvénal(1827).[RetourauTextePrincipal]

Note 288: Jean-Pons-Guillaume Viennet, député de 1820 à 1837, pair deFrancede1839à1848,membrede l'Académiefrançaise (18novembre1830).Cefut luiqui lutaupeuple, le31 juillet1830, lanominationduducd'Orléanscommelieutenantgénéralduroyaume.LeXIXesièclen'apaseudeversificateurplus fécond; ilacomposédesÉpîtres,desSatires,desFables,des tragédiesetdescomédiesenvers,despoèmesépiques,despoèmeshéroï-comiques,etc.,etc.Ultra-classique en littérature, ultra-conservateur en politique, du moins après1830,M. Viennet, de 1830 à 1848, a servi de cible aux petits journaux, à laMode,auCharivarietauCorsaire.Ilripostaitd'ailleursetc'étaitsouvent,entrela presse et lui, un prêté rendu. Avec quelques ridicules, il était hommed'infiniment d'esprit, et ses deux recueils deFables se lisent avec plaisir. Il alaissédesMémoires,encoreinédits.[RetourauTextePrincipal]

Note 289:Histoire de dix ans, par Louis Blanc, t. I, p. 350.[Retour au TextePrincipal]

Note 290: Jules Bastide (1800-1870). Il avait arboré le premier, en juillet1830,ledrapeautricoloreaufaîtedesTuileries.AprèslaRévolutiondefévrier,ilfutministredesaffairesétrangères,du28févrierau20décembre1848.Lorsdesanomination,onprêtaàMarrast, sonanciencollaborateurauNational,cemotquiaplusieursfoisservidepuis:«Bastideestétrangerauxaffairesplaçons-leauxaffairesétrangères.»[RetourauTextePrincipal]

Note291:Jacques-Léonard-ClémentThomas(1809-1871).Le15mai1848,ilfutnommécommandantenchefdelagardenationaledelaSeine;maispeudesemainesaprès,ayant,àlatribunedel'Assembléenationale,appelélacroixdelaLégion d'honneur un «hochet de la vanité», il fut interrompu, insulté, et dut

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donner sa démission de commandant. Lors du coup d'État de 1851, il tentavainement de soulever la Gironde, qui l'avait élu représentant en 1848. Il futexilé, refusa l'amnistie de 1859 et ne rentra qu'après le 4 septembre 1870.Nommé pendant le siège commandant supérieur des gardes nationales de laSeine,iladressasadémissionaugénéralTrochule14février1871etrentradanslavieprivée.Le18mars,dèsledébutdel'insurrection,reconnuetarrêtésurlaplacePigalleparplusieursgardesnationaux,ilfutconduitaucomitécentraldeMontmartre,ruedesRosiers,etfusillé.[RetourauTextePrincipal]

Note 292: C'est par Joubert et son ami Dugied que la Charbonnerie a étéintroduite enFrance. Impliqués l'un et l'autre dans laConspiration du 19 août1820, diteConspiration militaire du Bazar, ils allèrent offrir leurs bras à larévolutiondeNaplesetfurentalorsaffiliésàlaSociétésecrètequienveloppaitl'Italie.Dugied, qui en revint le premier, rapporta les règlements et ornementscharbonniques, et se réunit à Bazard, Buchez, Flotard, Cariol aîné, Sigaud,Guinard, Corcelles fils, Sautelet et Rouen aîné, pour fonder, dans les derniersjours de 1820, l'association qui devait, pendant les années qui allaient suivre,exercer une si grande et si déplorable influence. Joubert fut, en 1822, un desprincipauxagentsducomplotdeBelfort.Ilréussitencoreàs'échapperetgagnal'Espagne,oùilsebattitcontrelessoldatsfrançais.AucombatdeLlers,ilfutfaitprisonnier.Comme il avait reçudeuxcoupsde feuà la jambe, il futconduitàl'hôpitaldePerpignan,d'oùsonamiDugiedparvint,àprixd'or,àlefaireévader.Il put gagner la Belgique, où il resta jusqu'en 1830.—Voir la Notice sur laCharbonnerie, par M. Trélat, dans Paris révolutionnaire; 1848.[Retour au TextePrincipal]

Note293:Édouard-Louis-GodefroiCavaignac, frèreaînédugénéralEugèneCavaignac (1801-1845). La monarchie de juillet n'eut pas d'adversaire plusredoutable. Homme de plume et homme d'action, conspirateur ardent autantqu'habile,chefdelaSociétédesDroitsdel'homme,ilnecessa,pendantquinzeans,delutterpourletriomphedelaRévolutionetducommunisme,avectouteslesarmesetsurtouslesterrains,danslarueetdanslapresse,àlaCourd'Assisesetà laCourdespairs,enprisonetenexil. Ilmourutà lapeine,en1845, le5mai,commeNapoléon.N'avait-ilpasétéleNapoléondel'émeute?[RetourauTextePrincipal]

Note 294: André-Louis-Augustin Marchais (1800-1857). Encore unconspirateurémérite.Ilpritpart,en1820,àlaConspirationdu19août,etsefit,en 1821, affilier à la Charbonnerie, dont il devint l'un des chefs. Sous Louis-Philippe, ilest l'undesaccusésduprocèsd'avril1834.En1848, ilest l'undes

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commissairesextraordinairesdeLedru-Rollin.SousleSecondEmpire,en1853,il est arrêté commemembrede laSociété secrète laMarianne et condamné àtroisansdeprison.Renduquelquetempsaprèsàlaliberté,ilquittelaFranceetvamouriràConstantinople.[RetourauTextePrincipal]

Note295:Marie-Anne-JosephDégousée (1795-1862).Après avoir conspirésous la Restauration et concouru activement aux journées de Juillet 1830, ilconspira sous Louis-Philippe et se battit sur les barricades de février 1848.Député de la Sarthe à l'Assemblée constituante, il soutint le gouvernement dugénéralCavaignac.Nonrééluàlalégislative, ilrepritsesfonctionsd'ingénieurcivil et s'occupa principalement du forage des puits artésiens.[Retour au TextePrincipal]

Note 296: Joseph Augustin Guinard (1799-1874). Comme Degousée, ilconspira contre le gouvernement de laRestauration et contre lamonarchie deJuillet.Commelui,représentantdupeupleàlaConstituante,ilappuyalegénéralCavaignac;commeluiencore,ilnefutpasrééluàlaLégislative;mais,aulieude rentrer sagementdans lavieprivée, il fit cause commune, le 13 juin1849,avec les députés de la Montagne et fut arrêté au Conservatoire des Arts-et-Métiers.TraduitdevantlaHaute-CourdeVersaillesetcondamnéàladéportationperpétuelle,ilfutdétenusuccessivementàDoullensetàBelleIsle.Ilfutrenduàlalibertéen1854,etvécutdepuislorsdanslaretraite.[RetourauTextePrincipal]

Note 297: Ministre plénipotentiaire de Suède près la cour de France.—LecomteGustavedeLœvenhielmétait, depuis1818àParis, où il résidapendanttrente-huit ans. Possesseur d'une grande fortune, il l'employait à secourir lesmalheureuxetàprotégerlesarts.[RetourauTextePrincipal]

Note 298: «L'auteur, dit ici M. deMarcellus, p. 389, a négligé de citer lasource où il a puisé ces détails biographiques concernant sir Charles Stuart,ambassadeurbritanniqueàParispendantsonministère.Jevaisysuppléer.Cettesource,c'estmoi-même.C'estmoi,eneffet,quiosaisouleveràsesyeux,maispoursonédificationprivée,uncoinduvoilequicachaitcesmystèresgalantsdeladiplomatie.»SurlordStuart,voirautomeIV,lanotedelapage276.[Retour auTextePrincipal]

Note299:C'estàpeuprèscequej'écrivaisàM.Canning,en1823.(VoyezleCongrèsdeVérone.)Ch.[RetourauTextePrincipal]

Note300:SurPozzodiBorgo,ambassadeurdeRussie,voir,au tomeIV, la

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note1delapage16.[RetourauTextePrincipal]

Note301:MinistreplénipotentiairedePrusseàParis,de1824à1837.—Sonfils,lebaronCharlesdeWerther,futappelé,aumoisd'octobre1869,àremplaceràParislecomtedeGoltz,avecledoubletitred'ambassadeurdelaPrusseetdelaConfédérationde l'AllemagneduNord; ilgardaceposte jusqu'à larupturedesrelationsdiplomatiquesaumoisdejuillet1870.[RetourauTextePrincipal]

Note 302: Il semblerait ressortir, du contexte de cette phrase que le princeEsterhazy,aumomentdelarévolutiondeJuillet,étaitambassadeuràParis.Ceserait une erreur. L'ambassadeur d'Autriche à Paris, en 1830, était le comted'Appony.[RetourauTextePrincipal]

Note303:ÉtienneTardifdePommeroux,comtedeBordesoulle(1771-1837).IlpritpartàtouteslesguerresdelaRévolutionetdel'Empire,seralliaen1814augouvernementdesBourbonsetsuivitLouisXVIIIàGand.En1823,nommégénéralenchefducorpsderéserveà l'arméed'Espagne, ilétablit leblocusdeCadix et prit une grande part à la victoire du Trocadéro. Au retour de cettecampagne,ilfutélevéàlapairie.IlnerefusapaslesermentaugouvernementdeLouis-Philippe,etrestaàlaChambrehautejusqu'àsamort.[RetourauTextePrincipal]

Note304:CequediticiChateaubriand,undesplusillustresserviteursdelamonarchie de Juillet le dira plus tard, à son tour: «C'eût été certainement ungrand bien pour la France, a écrit M. Guizot, et, de sa part, un grand acted'intelligence,commedevertupolitique,quesarésistanceserenfermâtdansleslimites du droit monarchique et qu'elle ressaisît ses libertés sans renverser legouvernement.Onnegarantitjamaismieuxlerespectdesespropresdroitsqu'enrespectantlesdroitsquilesbalancent;et,quandonabesoindelamonarchie,ilestplussûrdelamaintenirquedelafonder.»M.Guizotajoute:«LaroyautédeM.leducdeBordeaux,avecM.leducd'Orléanspourrégent,eûtétélasolutionla plus constitutionnelle et aussi la plus politique.» (MÉLANGESHISTORIQUES ETPOLITIQUES,parM.Guizot,préface,p.XXIII.)[RetourauTextePrincipal]

Note305:Jean-FrançoisJacqueminot,vicomtedeHam(1787-1865).Colonelsousl'Empire,etchargé,aprèsWaterloo,dereconduirelabrigadeWathierdansleMidi, ilbrisasonépéepournepasassisterau licenciementde l'armée. Ilseretira à Bar-le-Duc, où il fonda une filature, dans laquelle il plaça de vieuxsoldats de la République et de l'Empire. Député des Vosges au moment desjournéesdeJuillet,ilypritunepartactive,etilfutnommé,aprèslaretraitede

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La Fayette, maréchal de camp et chef d'état-major de la garde nationaleparisienne.Lieutenant-généraldepuis1837,créévicomteparLouis-Philippe, ildevint,en1842,commandantsupérieurdelagardenationale.Ill'étaitencoreau24février1848,etilvitalorscettemêmegarde,dontilavaiten1830applaudilarévolte, méconnaître ses ordres pour suivre les exemples qu'il avait lui-mêmeautrefoisdonnés.[RetourauTextePrincipal]

Note306:Voyezci-dessuslanote1delapage71.[RetourauTextePrincipal]

Note307:«LegénéralPajolm'aditàmoi-même,peudetempsavantsamort,quedanssalonguecarrièremilitaireilnes'étaitjamaiscrusiprèsdesubirunedéfaite.»(Marcellus,Chateaubriandetsontemps,p.392.)[RetourauTextePrincipal]

Note308:«Durantlecourtintervalledu3au7août,ditM.Villemain,j'aivu,chez Mme Récamier, M. de Chateaubriand sollicité par les prévenances d'unhomme de grand nom et d'un esprit lettré, alors chevalier d'honneur de laduchesse d'Orléans: il s'agissait d'une visite au Palais-Royal. M. deChateaubriandaccepta.»(M.deChateaubriand,savieetsesécrits,p.493.)—Lechevalierd'honneurdeladuchessed'Orléans,dontVillemainnedonnepasicilenom, jugeant sansdoutecesmenusdétails indignesde lamajestéde l'histoire,était M. Anatole de Montesquiou, deux fois nommé par Chateaubriand, quin'avaitpaslesmêmesscrupules.L'auteurdesMémoiresavaitdéjàeuoccasiondeparlerdeM.deMontesquiou.Voirplushautpages338et339etlanote1delapage338.[RetourauTextePrincipal]

Note 309: «Dans ces jours si pressés, dit M. Villemain, page 496, M. deChateaubriandfut,encoreunefois,appeléprèsde laduchessed'Orléans,seuleavecMmeAdélaïde,etilreçutd'ellel'offredirectedel'ambassadedeRome,aveclevœuleplusformeldelaluivoiraccepter,dansl'intérêtdelareligion.»[RetourauTextePrincipal]

Note 310: Louis-Clair, comte de Beaupoil de Sainte-Aulaire (1778-1854).Beau-frère deM.Decazes et député de 1815 à 1829, il combattit leministèreVillèleetaccueillitavecfaveurleministèreMartignac.Àlamortdesonpère(19février 1829), il entra à la Chambre des pairs. Absent au moment de laRévolution de Juillet, il revint en hâte à Paris; après quelques hésitations, iladhéra au gouvernement nouveau et reçut l'ambassade deRome, puis celle deVienne (1833) et enfin celle de Londres, qu'il occupa de 1841-1847. Auteurd'une remarquableHistoire de la Fronde (1827), il fut élu, le 7 janvier 1841,

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membre de l'Académie française. Il a laissé sur ses diverses ambassades desMémoires, encore inédits; il enavait faitquelques lecturesà l'Académie,etunbon juge,M.DésiréNisard, les a caractérisés en ces termes: «Le style de cesMémoires,préciscomme leveut la languedesaffaires,peséetnoncompassé,commedoitl'êtreuneconversationquiserarépétée;graveetélevéparmomentscomme l'histoire; familier et gracieux, comme les entretiens de politesse quiprécèdentlesdiscussionsd'affaires,n'ajouterapaspeuauxtitresdeM.deSainte-Aulairecommeécrivain.»(RéponsedeM.NisardaudiscoursderéceptiondeM.leducVictordeBroglie.)[RetourauTextePrincipal]

Note311:Auxonne-Marie-Théodose,comtedeThiarddeBissy(1772-1852).Il était fils de Claude VIII de Thiard, comte de Bissy, lieutenant-général desarmées du Roi, gouverneur des ville et château d'Auxonne, gouverneur duPalais-Royal,desTuileriesàParis,l'undesquarantedel'Académiefrançaise.Ilétait neveu du comte de Thiard, commandant du roi en Bretagne en 1789,guillotinéle26juillet1794.(VoirautomeI,lanote1delapage250.)Auxonne-Marie-Théodose émigra en 1791 et servit à l'armée de Condé jusqu'en 1799.Sous l'Empire, après avoir été employé par Napoléon dans ses armées et sadiplomatie,ilfutdisgraciéen1807etvécutdanslaretraitejusqu'en1814.AprèsavoirétéreprésentantauxCent-Jours,ilfutdéputéde1820à1834etde1837à1848.Quoiqueancienémigré,quoiquenéauchâteaudesTuileries, ilnecessa,souslaRestaurationcommesouslamonarchiedeJuillet,desiégeràl'extrême-gauche.[RetourauTextePrincipal]

Note312:FrançoisDuris-Dufresne (1769-1837).C'était, luiaussi,unancienofficier.AprèsavoirfaitpartieduCorpslégislatif,del'anXIIà1809,ilentra,en1827, à la Chambre des députés et vota avec le côté gauche. Il adhéra à laRévolutiondeJuilletetàl'avènementdeLouis-Philippe;maislesévénementslerejetèrentbientôtdansl'oppositiondynastique.Réélule5juillet1831,ilsiégeacettefoisàl'extrême-gauche,signalecompterendude1832,etfutdeceuxquise récusèrent (1833) dans l'affaire du journal laTribune. En 1834, il cessa defairepartiedelaChambre.[RetourauTextePrincipal]

Note313:Cormeninn'apointdonnéplaceàChateaubrianddanssonLivredesOrateurs, et il a eu raison, puisque aussi bien tous les discours de l'auteur duGénie du Christianisme sont des discours écrits. Il n'en reste pas moins queplusieursdecesdiscourssontadmirables;enparticulier,celuidu7août1830,àla Chambre des pairs, ou encore celui sur la guerre d'Espagne, prononcé parChateaubriandàlaChambredesdéputésle25février1823.[RetourauTextePrincipal]

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Note314:LeprésidentdelaChambredespairsétaitalors,etdepuisle4août,lebaronPasquier.On litdans sesMémoires, t.VI, p. 331:«M.Pastoret ayantdonné sa démission de chancelier et de président de la Chambre des pairs, ilfallutpourvoiràsonremplacement;lechoixétaittombésurmoi.Jepourraisdirequecen'étaitpasuneaffairedepréférence,touslesmembresdelaChambreenétat de la présider se trouvant ou absents ou dans des positions qui nepermettaient pas de penser à eux. J'hésitai beaucoup avant d'accepter,mais laconservation de la Chambre des pairs était pour le pays de la plus hauteimportance. Je la savais menacée; cette considération me décida. Je prispossessiondufauteuilàlaséancedu4août....»[RetourauTextePrincipal]

Note315:LebaronLouis.[RetourauTextePrincipal]

Note316:C'étaittoujoursM.deSémonville.Chateaubriand,quinelepouvaitsouffrir,disaitunjourdeluiàM.deMarcellus:«Soupleàtouslesrégimes,ilapassé du Sénat à la pairie héréditaire, puis déshéritée; peu lui importent leshommes, pourvu qu'il garde ses traitements. Populus me sibilat, at mihiplaudo....»Chateaubriandetsontemps,p.387.[RetourauTextePrincipal]

Note317:M.Dupontdel'Eure.[RetourauTextePrincipal]

Note318:Dansson itinérairedeRambouilletàCherbourg, lecortègeroyal,entraversantlevaldeVire,passanonloindelamaisondeChênedollé,l'amideChateaubriand.Le généreux poète était sur la route, entouré de tous les siens,tenant à lamaindesbranchesde lis qu'ils offrirent auvieux roiprêt àquitter,pourneplus les revoir, les rivagesde lapatrie:nobleet touchante inspiration!Adieuxde laPoésieà laRoyauté sur le cheminde l'exil!TraductionvraimentfrançaiseduversdeVirgile:Manibusdateliliaplenis![RetourauTextePrincipal]

Note319:Ce fut le16aoûtqueCharlesXs'embarquaàCherbourg.Voir,àl'Appendice,lenoV:LeDépartdeCherbourg.[RetourauTextePrincipal]

Note320:(Note.Paris,3décembre1840.)CH.[RetourauTextePrincipal]

Note321:Chateaubriandnedisait ici rienquedevrai.Sescorrespondancesdiplomatiquessontdeschefs-d'œuvre.Unjugeautorisé,l'auteurdelaPolitiquedelaRestaurationen1822et1823,n'arienexagéré,lorsqu'ilaécrit:«Réunisseztout ce que nous font lire ici lesMémoires d'Outre-tombe, aux dépêches quel'HistoireduCongrèsdeVéroneetlaPolitiquedelaRestaurationontmisessous

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vosyeux,etvousaurezunesortedemanueldel'artdelaNégociationécrite.OnnerendpasencoreunejusticecomplèteàladirectionimpriméealorsàlaFranceparM.deChateaubriand,àcettecorrespondanceintimequ'iladressait,toutedesamain, aux quatre coins de l'Europe; enfin à son action personnelle toujoursmiseenavantetàlaplacedel'actiondesescollaborateurssubalternes:l'exercicesansdouteenaététropcourt,oupeut-êtrel'éclatdesesœuvreslittérairesa-t-ilfait pâlir cette part de sa renommée; mais, en la signalant à nos jeunessuccesseurs,quifréquententaujourd'huilevestibuledumétier, lesarchivesdesAffairesétrangères,nousnenouslasseronspasdeleurdirequenulathlète,danslestempsmodernes,n'atenud'unemainplusfermeetportéplusavantlesarmesdu combat politique et le sceptre de la diplomatie.» (M. de Marcellus,Chateaubriandetsontemps,p.395.)[RetourauTextePrincipal]

Note322:Voyezleslettresetdépêchesdesdiversescours,dansleCongrèsdeVérone;consulteraussil'AmbassadedeRome.CH.[RetourauTextePrincipal]

Note323:CelivreaétéécritàParisetàGenève,d'octobre1830àjuin1832.[RetourauTextePrincipal]

Note324:Cettepageetcellesquivontsuivreontétéécritesaumoisd'avril1831.[RetourauTextePrincipal]

Note325:LesÉtudeshistoriques.[RetourauTextePrincipal]

Note 326: Le procès des ministres devant la Cour des pairs, commencé lemercredi 15 décembre 1830, se termina le mardi 21 décembre. L'arrêtcondamnait le prince de Polignac à la prison perpétuelle sur le territoirecontinental du royaume, le déclarait déchu de ses titres, grades et ordres, ledéclaraitenoutremortcivilementetsoumisàtouslesautreseffetsdelapeinedela déportation.—MM. de Peyronnet, de Chantelauze et de Guernon-Ranvilleétaientcondamnésàlaprisonperpétuelle.[RetourauTextePrincipal]

Note327:LesacdeSaint-Germain-l'Auxerroiset lepillagedel'Archevêchéeurent lieu les14et15 février1831.—Voir, à l'Appendice, lenoVI: le SacdeSaint-Germainl'Auxerrois.[RetourauTextePrincipal]

Note 328: M. Cadet de Gassicourt, sur lequel Chateaubriand aura tout àl'heureoccasionde revenir et qu'il s'est chargéde rendre immortel, à l'égal desonprédécesseur,MonsieurPurgon.[RetourauTextePrincipal]

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Note 329: Les caricaturistes et les petits journaux, en l'an de grâce 1831,avaientfaitdubossuMayeux le typegrotesquedenotreversatilitépolitique,etilsavaientmissursondostouteslesbévues,touslesridiculesdubourgeoisdeParis,teldumoinsqu'illeurplaisaitdelevoir.D'aprèseux,néle14juillet1789,à Paris, pendant que son père était occupé à la prise de la Bastille, il s'étaitsuccessivement appelé Messidor-Napoléon-Louis-Charles-Philippe Mayeux,selon lesnomsdesdivers régimesqu'ilavait, tourà tour,épousésourépudiés.Jusqu'en1830,iln'avaitpasfaitbeaucoupparlerdelui,maislesoleildeJuilletl'avait enfinmis dans tout son jour. Peude temps auparavant, il avait reçu unoutrage,que la lithographie avait rendupublic et dont il s'était promisde tirervengeance.Ungrenadieràchevaldelagarderoyale,hautmontésursesbottesàl'écuyère, ne l'avait pas aperçu derrière une borne, et avait ri de lui, lorsqu'ils'étaitécrié:«Prenezdoncgarde,militaire,ilyaunhommedevantvous.»Aussi,dès le 27 juillet, Mayeux était descendu des premiers dans la rue; sur septgendarmestuéscejour-là,ilenavaitàluiseulabattuquarante.Sagloiredepuiscemomentneconnutplusdebornes,etsessuccèsnesecomptèrentplus.C'estàcetteépoquequ'ilfautplacertoutescesaventuresgalantes,quelesdessinateursontfortindiscrètementrévélées.Cefutlàsonbontemps,cequ'ilseplaisaitlui-même,car il savaitunpeud'histoire, ànommersaRégence.Mais savéritableoccupation était la politique, l'entreprise volontaire et gratuite de l'opinionpublique.Pendantunan,Parisnevit,separla,nepensa,nejurasurtout,queparMayeux.Mayeuxétaitpartoutàlafois,avecl'émeuteetcontreelle,iciavecunchapeau verni, là avec un bonnet à poil, tour à tour républicain, bonapartiste,juste-milieu.Ilneluimanquait,aveccela,qued'êtrecarliste;maisiln'envoulaitpointentendreparler,fidèleàsonressentimentcontrelegrenadieràchevaldelagarderoyale.Mayeuxétaitgardenational;c'estcequil'atué.Unjour,ilfut,toutd'unevoix, rayédescontrôlescommecoupablede faire rire lesbisetssous lesarmes. Il mourait de douleur et de honte, quelques semaines après, le 23décembre1831.Telleestdumoins ladatequenousdonneM.BazindanssontrèsspirituelchapitresurMayeux,unvraibijou,etquiseulsuffiraitàsauverdel'oublilesdeuxpiquantsvolumespubliésen1833,sonscetitre:L'Époquesansnom, par le futur historien deLouisXIII et du cardinalMazarin.[Retour au TextePrincipal]

Note330:LabrochuredeChateaubriandparutle24mars1831.[RetourauTextePrincipal]

Note 331: Voir, à l'Appendice, le no VII:Chateaubriand et le Journal dumaréchaldeCastellane.[RetourauTextePrincipal]

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Note332:Étudesetdiscourshistoriquessurlachutedel'Empireromain,lanaissance et les progrès du Christianisme, et l'invasion des Barbares; suivisd'une Analyse raisonnée de l'histoire de France. 4 vol. in-8o. Les Étudeshistoriquesparurentle4avril1831.[RetourauTextePrincipal]

Note333:LedépartdeChateaubriandpourlaSuisseeutlieule16mai1831;ilarrivaàGenèvele23mai.[RetourauTextePrincipal]

Note334:Cecise rapporteàmacarrière littéraireetàmacarrièrepolitiquelaissées en arrière, lacunes qui sont maintenant comblées par ce que je viensd'écriredanscesdernièresannées,1838et1839.(Paris,notede1839.)CH.[RetourauTextePrincipal]

Note335:Hyacintheal'habitudedecopier,presquemalgrémoi,meslettresetcelles qu'on m'adresse, parce qu'il prétend avoir remarqué que j'étais souventattaqué par des personnes qui m'avaient écrit des admirations sans fin et quis'étaient adressées àmoi pour des demandes de service. Quand cela arrive, ilfouilledansdesliassesàluiseulconnues,et,comparantl'articleinjurieuxavecl'épître louangeuse, ilmedit:«Voyez-vous,monsieur,que j'aibienfait!»Jenetrouvepasceladutout:jen'attachenilamoindrefoinilamoindreimportanceàl'opiniondeshommes; je lesprendspourcequ'ilssontet je lesestimepourcequ'ils valent. Jamais je ne leur opposerai pour mon compte ce qu'ils ont ditpubliquement de moi et ce qu'ils m'ont dit en secret; mais cela divertitHyacinthe.Jen'avaispointdecopiedemeslettresàMadameRécamier;elleaeulabontédemelesprêter.(NotedeParis,1836.)CH.[RetourauTextePrincipal]

Note 336: Cette lettre à Madame Récamier et celles qui vont suivre sontexactementconformesauxoriginaux.«Les lettres,ditMmeLenormant,queM.deChateaubriand,pendantsonséjourenSuisse,écrivitàMadameRécamier,ontété impriméesdans lesMémoiresd'Outre-tombe.Nous les avons collationnéessur lesoriginaux,et, cette fois,nous les trouvons reproduitesavecune fidélitéscrupuleuse.» Souvenirs et Correspondance tirés des papiers de MadameRécamier,t.II,p.396.[RetourauTextePrincipal]

Note337:Ce«personnagesingulier»étaitlecélèbrechanteurElleviou(1772-1842), qui avait jadis fait merveille, sous le Consulat et l'Empire, au ThéâtreFeydeau. Il s'était, dès 1813, retiré aux environs de Lyon, où il se livrait àl'agriculture. Il était breton comme Chateaubriand, étant né à Rennes, où sonpère était chirurgien.—Une des pièces où il avait eu le plus de succès était

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Maison à vendre, opéra-comique d'Alexandre Duval pour les paroles, et deDalayracpourlamusique.Àlasecondereprésentationdecettepièce,AlexandreDuval(encoreunbreton)avaitréunidanssalogequelquesamis,parmilesquelslepeintreCarleVernet, aussi célèbrepar ses calemboursquepar ses tableaux.Onarrivaitàlafindelapièce,etVernetnes'étaitpasencoredéridé,«Qu'avez-vousdonc,luiditl'auteur,etpourquoifaireainsigrisemine?»EtCarleVernetderépondred'un tonbourru:«Ehbien!oui, jesuis furieux.Vousm'annoncezuneMaisonàvendreetjenevoisqu'unepièceàlouer.»[RetourauTextePrincipal]

Note 338: L'écriture deMadameRécamier n'avait pas de peine à être pluspetitequecelledeChateaubriand,lequelécrivaitencaractèresd'undemi-poucedehaut,etcommes'iln'yavaitquedesmajusculesdansl'alphabet.[RetourauTextePrincipal]

Note339:CousindeBenjaminConstant.[RetourauTextePrincipal]

Note 340: Albertine-Adrienne Necker de Saussure (1766-1841), fille ducélèbre naturaliste H.-B. de Saussure et cousine de Madame de Staël. Elle apublié en1820uneNotice sur le caractère et les écrits deMme de Staël. Sonprincipalouvrage, l'Éducationprogressive,ouÉtudeducoursde lavie (3vol.in-8o)aétécouronnéen1839parl'Académiefrançaise.[RetourauTextePrincipal]

Note 341: Il s'agit ici de Delphine Gay, qui venait d'épouser Émile deGirardin.[RetourauTextePrincipal]

Note 342: Nom d'un quartier de Genève. Les Pâquis s'étendent sur la rivedroitedulac,delarueduMont-BlancàpeuprèsàlaroutedeLausanne.[RetourauTextePrincipal]

Note 343: Voir, à l'Appendice, le no VIII: Lettres de Genève.[Retour au TextePrincipal]

Note344:Alexandre-César, comtedeLapanouze (1764-1836).Capitainedevaisseau à l'époque de la Révolution, il donna sa démission et se vitcomplètementruiné.IlfondaàParis,souslasecondeRestauration,unemaisondebanquequidevintbientôtl'unedesplusimportantesdelacapitale.DéputédelaSeinede1823à1827, il soutint leministèreVillèle et prit part à toutes lesdiscussionsfinancièresetéconomiques.NommépairdeFrance, le5novembre1827,ilseretiradanssaterredeTiregant(Dordogne),aprèslesévénementsdeJuillet, la Charte de 1830 ayant annulé les nominations à la pairie faites par

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CharlesX.[RetourauTextePrincipal]

Note345: ChristineTrivulzio, princesse deBelgiojoso (1808-1871). Elle sefixadebonneheureàParis,oùelle se fit remarquerpar sabeauté, sonesprit,l'indépendance de ses opinions, et aussi l'indépendance de sa vie. Elle devintl'amiedeplusieursécrivainscélèbres,particulièrementd'AlfreddeMussetetdeM.Mignet.En1848,ellesejetaavecardeurdanslemouvementrévolutionnaire,courut à Milan qui venait de s'insurger, et leva à ses frais un bataillon devolontaires. Douée d'un véritable talent d'écrivain, elle a publié de nombreuxouvrages:AsieMineureetSyrie;Emina,récitsturco-asiatiques;Scènesdelavieturque;Histoirede lamaisondeSavoie, etc. S'il faut en croireBalzac (Revueparisienne,p.333),Stendhal,danslaCharmeusedeParme,auraittracé,d'aprèsla princesse de Belgiojoso, le portrait de son héroïne, la duchesse de San-Severino.[RetourauTextePrincipal]

Note346:ArmandCarrelavaitpubliédanslaRevuefrançaise,(marsetmai1828) de remarquables articles sur l'Espagne et la guerre de 1823, où étaientracontées, non sans éloquence, la campagne de Mina en Catalogne et lesaventuresdelaLégionlibéraleétrangère.[RetourauTextePrincipal]

Note 347: Cette passion, à laquelle fait ici allusion Chateaubriand changeapeut-êtrelecoursdelaviedeCarrel.AulendemaindelarévolutiondeJuillet,le29août1830,ilfutnommépréfetduCantal.Ilrefusa,nonqu'ilfûtrépublicainàcettedate,maisparcequesaliaisonavecunefemmemariée,dontilnesevoulaitpas séparer, lui rendait impossible l'acceptation de fonctions publiques enprovince.[RetourauTextePrincipal]

Note348:Armand-François-Bon-Claude,comtedeBriqueville (1785-1844).Né à Bretteville (Manche), il descendait d'une famille de vieille noblessenormande. Son père, l'un des lieutenants de Frotté, avait été fusillé par lesrépublicains,le29mai1796,dansdescirconstancesparticulièrementtragiques.MadamedeBriqueville,quiavaitété,avecMadamedeLoménie,sacousine,lapremièrefemmedugrandmonde,àprofiterdesloissurledivorce,fitdonneràsonfilsuneéducationrépublicaine.Ilservitavecdistinctionsousl'Empire.AuxCent-Jours,coloneldu20edragons,ileutunegrandepartàlavictoiredeLigny.AprèsWaterloo, comme il revenait àParis, il rencontra près deVersailles unecolonne de cavalerie prussienne: il fondit sur elle, tua un grand nombred'ennemis, et eut lui-même la tête fendue d'un coup de sabre, et le poignetpresque enlevé. Il prit alors sa retraite, fut mêlé à plusieurs complots

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bonapartistesdespremièresannéesdelaRestauration,eten1827,futéludéputéde Valognes. Réélu le 23 juin 1830, il applaudit à la révolution de Juillet, etdéposa, dans la séance du 14 septembre 1831, une proposition relative aubannissementdeCharlesXetde sa famille.Lorsque laduchessedeBerry futarrêtée,ils'empressadedemander,aunomdel'égalitédevantlaloi,samiseenjugement.Jusqu'àlafin,lecomtedeBriquevillerestafidèleàsahainecontrelesBourbons.[RetourauTextePrincipal]

Note349:LalettredeChateaubriandàM.deBéranger,publiéeentêtedelabrochuresurlapropositionBriqueville,estendatedu24septembre1831.[RetourauTextePrincipal]

Note350: La brochure deChateaubriand parut le 31 octobre 1831.[Retour auTextePrincipal]

Note 351: M. Barthélemy a passé depuis au juste-milieu, non sans forceimprécationsdebeaucoupdegensquisesontralliésseulementunpeuplustard.(NotedeParis,1837.)CH.[RetourauTextePrincipal]

Note352:LesversdeBarthélemyparurentle6novembre1831.IlsformentlaXXXIelivraisondelaNémésis.Pendanttouteuneannée,du1ermars1831au1eravril 1832, Barthélemy soutint cette gageure de publier chaque semaine unesatirepolitiquedeplusieurscentainesdevers,tousd'unefactureirréprochableetd'une richesse de rimes que Victor Hugo lui-même ne devait pas dépasser.Rarementa-t-onmisplusbeautalentauserviced'opinionsplusdétestables.[RetourauTextePrincipal]

Note 353: L'auteur deNémésis, en effet, n'avait pas ménagé les éloges auchantredesMartyrs:

Lemondedesbeaux-arts,àpeinerenaissant,Sedébattaitencordanssonlimondesang;Cechaosattendaittaparolefuture;TudisleFiatluxdelalittérature.....Autourdetonsoleil,roidel'immensité,Monobscureplanètealongtempsgravité.

Etplusloinvenaitcetteapostropheàlavaguedel'Archipel:

Cardepuisl'âgeantiqueoù,surtoutescesmers,

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Homèreallaitsemantseshéroïquesvers,JamaistuneportasdeCorintheenAsieUnhomme,unvoyageur,plusgranddepoésie[RetourauTextePrincipal]

Note 354: Voir l'Appendice no IX: La NÉMÉSIS de Barthélemy,Chateaubriand,LamartineetBalzac.[RetourauTextePrincipal]

Note355:LaConspirationde laruedesProuvaires.Dans leprocèsauqueldonna lieu cette affaire, et dont il sera parlé dans la note suivante, des nomsconsidérables retentirent, telsqueceuxdumaréchalVictor,ducdeBellune,duducdeRivière,dubarondeMestre,descomtesdeFourmont,deBrulardetdeFloirac,delacomtessedeSérionne.[RetourauTextePrincipal]

Note356:LaconspirationdelaruedesProuvairesnelaissapasd'êtreassezsérieuse.Lesconjurésétaientaunombred'environ troismille.L'argentne leurmanquait pas, ni le courage. Ils comptaient des complices jusque dans ladomesticitéduchâteau;ilsétaientenpossessiondecinqclefsouvrantlesgrillesdu jardin des Tuileries, et l'entrée duLouvre leur était promise.Un grand baldevait avoir lieu à laCourdans lanuit du1er au2 février 1832.Les conjuréschoisirentcettenuit-làpourmettreleurcomplotàexécution.Ilfutconvenuqueles uns se réuniraient par détachements sur divers points de la capitale, pourpartirdelà,ausignalconvenu,etmarcherverslechâteau,tandisque,seglissantdansl'ombredesruellesquiconduisentauLouvre,lesautrespénétreraientdansla galerie des tableaux, feraient irruption dans la salle de bal et, grâce audésordre de cette attaque imprévue, s'empareraient de la famille royale. Desmarrons, espècesdepetitesbombes, auraient été lancésaumilieudesvoituresstationnant aux portes du palais; des chevalets, morceaux de bois, garnis depointesdefer,auraientétéseméssouslespiedsdeschevaux;enfin,onsecroyaiten droit d'espérer que des pièces d'artifice seraient disposées dans la salle despectacle,demanièreàpouvoir,enmettant lefeuà lacharpente,augmenter laconfusion.Lesprincipauxconjurésdevaientseréunir,àonzeheuresdusoir,enarmes,chezunrestaurateurdelaruedesProuvaires,aunuméro12decetterue.Ilsyétaientrassemblés,aunombred'unecentaine,lorsquetoutàcouplarueseremplit degardesmunicipauxet de sergentsdeville, qui,malgré la résistancedeschefsducomplotetdeleurshommes,purentprocéderàleurarrestation.Leprocès s'ouvrit, devant la Cour d'assises de la Seine, le 5 juillet 1832. Lesaccusésétaientaunombredesoixante-six,dontonzecontumaces,et lesdébatsneremplirentpasmoinsdedix-huitaudiences.L'arrêtfutrendule25juillet.Sixaccusés furent condamnés à la peine de la déportation; douze à cinq ans de

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détention;quatreàdeuxannées,etcinqàuneannéed'emprisonnement.Touslesautres étaient acquittés. Parmi les condamnés à la détention, se trouvait M.Piégard Sainte-Croix, royaliste ardent, dont la fille, carliste comme son père,épousera plus tard le célèbre écrivain socialiste P.-J. Proudhon.[Retour au TextePrincipal]

Note357:LouisPoncelet,ditChevalier,âgéde27ans,cordonnier. Il fut levrai chef du complot, et fit preuve, en toute cette affaire, de rares qualitésd'intelligence, d'énergie et d'audace. Dans le procès, il se fit remarquer, entretous,parlaloyautédesesréponses,habileànepascompromettresescomplicesetpeuoccupédesesproprespérils.Ilfutcondamnéàlapeinedeladéportation.[RetourauTextePrincipal]

Note358:J'aireprisquelquespassagesdelalonguelettrepourlesplacerdansmesExplications surmes 12,000 francs; et depuis, dansmonMémoire sur lacaptivitédeMadameladuchessedeBerry.CH.[RetourauTextePrincipal]

Note359:Danssonadmirableroman,IPromessiSposi.[RetourauTextePrincipal]

Note 360:Histoire de la Régence, par Lemontey, de l'Académie française.[RetourauTextePrincipal]

Note361:Aprèsavoirravagél'Asie,puislaRussie,laPologne,laBohême,laGalicie, l'Autriche, le choléra, passant par-dessus l'Europe occidentale, s'étaitabattusurl'Angleterre.Le12février,ils'étaitdéclaréàLondres,d'oùilnedevaitdisparaître que dans les premiers jours de mai. Le 15 mars, il était signalé àCalais. Le 26 mars, il atteignait à Paris, dans la rue Mazarine, sa premièrevictime.L'épidémienedevaitprendre finque le30septembre.Sadurée totaleavait été de cent quatre-vingt-neuf jours, pendant lesquels le chiffre desmortsatteintsducholéras'élevaà18,406.LapopulationdeParisn'étaitalorsquede645,698âmes;lenombredesdécèsfutdoncdeplusde23pour1000habitants.Lechiffrede18,406s'appliquantauxseulsdécèsadministrativementconstatés,le chiffre réel a dû être plus élevé; car, au sein de la confusion générale, aumilieududésespoirdetantdefamilles,touteslesdéclarationsn'ontpasdûêtrefaites, et il y a eu sans nul doute beaucoup d'omissions involontaires.—Voir,dans l'Époque sans nom, de M. A. Bazin (1833), tome II, pages 251-275, lechapitresurleCholéra-morbus.[RetourauTextePrincipal]

Note 362: La lettre deM. de Bondy, en date du 16 avril 1832, était ainsiconçue:

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«Monsieurlevicomte,

«Je regrette de ne pouvoir accepter, au nomde laVille de Paris, les 12000francsquevousm'avezfaitl'honneurdem'adresser.Dansl'originedesfondsquevous offrez, on verrait, sous une bienfaisance apparente, une combinaisonpolitiquecontrelaquellelapopulationparisienneprotesteraittoutentièreparsonrefus.

«Jesuis,etc.

«LepréfetdelaSeine,

«ComteDEBONDY.»[RetourauTextePrincipal]

Note 363: Le Constitutionnel annonça que M. Berger, maire du 2earrondissementavaitproposéàl'envoyédelaprincesse,ancienaidedecampduducdeBerry,dedonnerles1000francsoffertsaunomdeladuchesseàlaveuved'un combattant de Juillet,mère de trois enfants, à qui ce secours serait bienutile.L'envoyéqueleConstitutionneltransformaitainsienaidedecampduducde Berry n'était autre que le brave Hyacinthe Pilorge, le secrétaire deChateaubriand.PilorgeécrivitaussitôtàlaQuotidienne:

«Paris,ce20avril1832.

«Monsieur,

«M.deChateaubriand,bienquemalade,s'occupeencemomentd'uneréponsegénéralerelativeaudondeMadameladuchessedeBerry;cetteréponseparaîtraincessamment.En attendant, je dois à la vérité de dire queM. leMaire du 2earrondissementnem'apointprésenté laveuved'uncombattantde Juillet etnem'apointproposédeluidonnerles1000francs;illesaseulementrefusés,voilàtout.M.deChateaubriandmecharged'ajouterquesilaveuveduConstitutionnelveutbiensedonner lapeinedepasserchez lui, ilestprêtà lui fairepartde labienfaisancedelamèreduducdeBordeaux.Vousvoyez,monsieur,quejen'aipasl'honneurd'avoirétél'aidedecampdeM.leducdeBerry,quejenesuisquelepauvreetfidèlesecrétaired'unhommeaussipauvreetaussifidèlequemoi.

«Recevez, je vous prie, monsieur, l'assurance de ma considération trèsdistinguée.

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«HyacinthePILORGE.»[RetourauTextePrincipal]

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Note364:ChateaubriandacommisiciuneconfusionentrelesdeuxCadetdeGassicourt,lepèreetlefils.C'estCadetlepère,néen1769,morten1831,quiafait des petits vers, composé des vaudevilles et écrit contre Chateaubriand etMme de Staël deux petits pamphlets: Saint-Géran, ou la Nouvelle languefrançaise (1807) et laSuite de Saint-Géran, ou Itinéraire de Lutèce auMont-Valérien (1811).—Le Cadet de Gassicourt de 1832, la maire du 4earrondissement,étaitlefilsduprécédent.Ilétaitnéen1789etmouruten1861.[RetourauTextePrincipal]

Note 365: La proclamation deM. Cadet de Gassicourt fut affichée sur lesmursdeParisle4avril1832.Voiciquelquesextraitsdecettepièce,oùl'odieuxle dispute au ridicule et qui était une véritable excitation à l'égorgement desCarlistes:—«Lesagentsdeceuxquevousavezchassésseglissentaumilieudupeuple et le poussent à la révolte, pour venger la défaite de Charles X et leramener de son exil, avec son petit-fils, sous la protection des baïonnettesétrangères et à la faveur de la guerre civile. S'il est des empoisonneurs, ce nepeuventêtrequelesincendiairesdelaRestauration;s'ilestdesmisérablesqui,soit par des crimes, soit par des calomnies atroces, cherchent à organiser ledésordreet à exploiterundéplorable fléau,ce sont lesalliésdes chouans,desassassins de l'Ouest et du Midi. Quelle joie, quel triomphe pour eux, s'ilsparvenaient à déchirer le seinde laFrancepar lamaindesFrançais!Vous lesverriez bientôt rentrer sur vos cadavres,à la tête desVerdets et à la suite deshordesbarbares,arracherledrapeautricolore,leremplacerparledrapeaublancetparlacroixdesmissionnaires!C'estainsiqu'ilsontnourridetouttempsleurstrames....»—Puis, après avoir évoqué ces deux autres spectres, le «milliard del'indemnité»etle«ferdesSuisses»,lemairedu4earrondissementterminaitendisant:«Citoyens,défiez-vousdevosancienstyrans,quisonthabilesàprendretous les moyens et ne rougissent pas d'avoir pour auxiliaire un horriblefléau!»[RetourauTextePrincipal]

Note366:M.CadetdeGassicourtétaitdevenu,onlepensebien,labêtenoiredesfeuillesroyalistes,etenparticulierdelaMode.LatrèsspirituelleRevueluiconsacraunjourceboutd'article,queChateaubriandavaitpeut-êtresursatableaumomentoùilécrivaitcettepagedesMémoires:—«Unjour,disaitlaMode,—M.Cadet,lepère,eutunfils,celui-làmêmequinousoccupe.Cefilsavaitpeineàpousser;planteétiolée,bonne,auplus,àmettredansunbocal.LefilsdeM.Cadet faisait le désespoir de ses grands parents: «Cadet, lui disaient-ils, tu neseras jamais un homme!...» Cela faisait pleurer le petit Cadet. Mais en vain

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s'étirait-il les membres pour s'allonger, court il resta, le pauvre gas!... On eutbeaufaire,oneutbeaudire,petitCadetnedevintpasgrand;tantqu'àlafin,lepèreCadet,emportéparladouleur,s'écria:«GrandDieu!pourquoim'avez-vousdonnéungassicourt?»—Ainsise lamentait lepère, lorsqu'unepratiqueentra.On sait quelles étaient, à cette époque, les fonctions d'un apothicaire.... Lapratiques'inclina...lejeuneCadetsemitenbesogne.«LouésoitDieu,quim'adonnéungassicourt,ditalorslepère,levoilàjusteàlahauteurduvisage....»Lapratiqueseretirasatisfaite,etlegassicourtgardasonsurnom.—Depuis,M.Cadet-Gassicourt n'a pas grandi d'undemi-pied, et il est toujours à hauteur devisage.»[RetourauTextePrincipal]

Note367:MgrdeQuélen.[RetourauTextePrincipal]

Note368:LesfunéraillesdugénéralLamarqueeurentlieule5juin1832.Lesmembres des sociétés secrètes, les écoles, les condamnés politiques, l'artilleriede la garde nationale, les réfugiés étrangers s'y étaient donné rendez-vous.Ausignal donné par un drapeau rouge, les républicains désarmèrent des postes,élevèrentdesbarricades,pillèrent l'Arsenalet lesboutiques,mais ilsnepurententraîner ni les ouvriers ni la garde nationale.Le généralLobeau, à la tête deforces sérieuses, balaya les grandes avenues et cerna l'insurrection entre lemarché des Innocents et le faubourg Saint-Antoine. Le 6 au matin, elle étaitréduiteàl'impuissanceetabandonnéeparsespropreschefs; lajournéen'enfutpasmoinsmeurtrière, surtout au cloître Saint-Merry et dans la rue desArcis.[RetourauTextePrincipal]

Note369:Uneordonnanceroyaleendatedu6juin1832avaitdéclarélamiseenétatdesiègedelavilledeParis.[RetourauTextePrincipal]

Note 370: La duchesse de Berry, le 24 avril 1832, partit deMassa sur unbateauàvapeursardequ'elleavaitfrêté,leCarlo-Alberto;ellerelâchaàNice,seremitenmeretarrivale28dansleseauxdeMarseille.ElleétaitaccompagnéedumaréchaldeBourmont,ducomtedeKergorlay,duvicomtedeSaint-Priest,deMM.EmmanueldeBrissac,deMesnard,AdolpheSala,ÉdouardLed'huy,duvicomtedeKergorlay,deCharlesetd'AdolphedeBourmont,d'AlexisSabbatier,dusubrécargueFerrari,etdemademoiselleMathildeLeBeschu.Elledébarqualanuit,parunemerhouleuse, surundespoints lesplusdangereuxde lacôte.Cachéedanslamaisond'ungarde-chasse,M.Maurel,elleattenditlerésultatdumouvementprojetéàMarseille.Àquatreheuresdel'après-midi,le30,MM.deBonrecueil,deBermond,deLachaudetdeCandoles,quis'étaientéchappésdela

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ville,arrivèrentporteursdecebillet:«Lemouvementamanqué,ilfautsortirdeFrance.»[RetourauTextePrincipal]

Note371:M.AlbandeVilleneuve-Bargemont. Ils'étaitmunid'unpasseportpour lui, sa femme et un domestique: la princesse joua le rôle de Mme deVilleneuve. Le domestique était le comte, depuis duc de Lorges.[Retour au TextePrincipal]

Note 372: Après avoir passé neuf jours, du 7 au 16 mai, au château dePlassac, à quelques lieues de Blaye, chez M. le marquis de Dampierre, ellearriva,le17,auchâteaudelaPreuille,prèsdeMontaigu(Vendée).LechâteaudelaPreuilleappartenaitaucoloneldeNacquart.[RetourauTextePrincipal]

Note373:Ilyavaitbeaucoupdevraidanslemotducapitaine.LeplusrécenthistoriendeladuchessedeBerry,M.ImbertdeSaint-Amand,nouslamontreauchâteau d'Holyrood, en Écosse, évoquant les souvenirs des Stuarts, jeune,vaillante,enthousiaste,latêtepleinedeprojets,lecœurpleind'espérances;etilajoute:«Lesromansetl'histoire,quiestleromanécritparDieu,avaientexaltél'imaginationdelavaillanteprincesse.LessouvenirsdeMarieStuart,d'HenriIV,duprétendantCharles-Édouardsecroisaientdanssonespritaveclesinventionsde Walter Scott. Comme Marie Stuart, elle voulait, en risquant sa vie, luttercontrelafortuneetaffrontertouslesdangers;commesonaïeulleBéarnais,ellevoulait avoir ses victoires d'Arques et d'Ivry. Comme Charles-Édouard, ellevoulait tenter une expédition insensée à force d'audace. Édimbourg, patrie dugrand romancier, sonauteur favori, lui remémorait toutes les fictionsdont elleavait été charmée. Elle songeait aux prouesses jacobites de Diana Vernon,d'AliceLee,etdeFloraMac-Ivor.»(LaduchessedeBerryenVendée,p.35.)—L'historien de laMonarchie de Juillet,M.Thureau-Dangin, écrit, de son côté:«Pour beaucoup des partisans de la duchesse de Berry, il s'agissait moinsd'exécuter un dessein politiquemûrementmédité que de transporter en pleineFrancebourgeoisede1830unechevaleresqueaventure,quelquechosecommelamiseenactiond'un récitdeWalterScott,qui régnaitalors souverainement surtoutes les têtes romanesques.Un peu plus tard, quandMADAME se trouvait enVendée, un royaliste disait aux politiques du parti, fort embarrassés etmécontentsdecetteéquipée:«Messieurs,faitespendreWalterScott,carc'estluilevraicoupable.»(Thureau-Dangin,t.II.).[RetourauTextePrincipal]

Note374:Ce n'est pas àQuimper,mais àVannes, queBerryer devait allerplaiderunprocès,celuiducommandantGuillemot,prévenudechouannerie,et

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traduitdecechefdevantlacourd'assisesduMorbihan.L'affaireducommandantGuillemotétaitfixéeau12juin.[RetourauTextePrincipal]

Note375:Voiràl'Appendice,lenoX:LaduchessedeBerryenVendée.[RetourauTextePrincipal]

Note376:M.deSaint-Aignan.[RetourauTextePrincipal]

Note 377: Berryer devait quitter non seulement la ville deNantes,mais laFrance, et se rendre aux eaux d'Aix-en-Savoie, en suivant l'itinéraire ci-après,visé sur son passeport: Bourbon-Vendée, Luçon, La Rochelle, Rochefort,Saintes, Angoulême, Clermont, Montbrison, Le Puy, Lyon et Pont-de-Beauvoisin.[RetourauTextePrincipal]

Note378:Voicileprocès-verbaldesonarrestation:«L'an1832,le7juin,versune heure du matin; Nous, Martin (Édouard-Louis), brigadier; Calmus(Napoléon),Durand(Jean-Baptiste)etJeannot(Joseph),gendarmesàcheval,enrésidenceàAngoulême(Charente),soussignés,certifionsqu'envertudesordresdenoschefssupérieurs,nousnoussommestransportéssurlaroutequiconduitde cette ville à celle deCognac, pour rechercher et arrêter lenommé Berryer,député; l'ayant rencontré, nous nous sommes assurés de sa personne, l'avonsconduitdevantM.lepréfetdelaCharente,lequelnousadélivréunréquisitoirepourleconduiredebrigadeenbrigadedevantM.lepréfetdelaLoire-Inférieure,àNantes.

«FaitetclosàAngoulême,lesjour,moisetanquedessus.

«CALMUS,MARTIN,DURAND.»[RetourauTextePrincipal]

Note379:Ministredel'intérieur.[RetourauTextePrincipal]

Note380:Celivrefutécritdejuillet1832àavril1833;—àParisd'abord,defin juillet au 8 août 1832;—puis à Bâle, à Lucerne, à Lugano (août-octobre1832),etenfinàParis(dejanvieràavril1833).[RetourauTextePrincipal]

Note381: JohnFraser Frisell appartenait à une vieille famille d'Écosse.Àdix-huit ans, aprèsdebrillantes études à l'UniversitédeGlasgow, il était venucheznousparsimplecuriosité,pourvoirlaRévolution.ArrêtéetjetéenprisonàDijon pendant laTerreur, il ne recouvra la liberté qu'après le 18 brumaire. Lepremier Consul autorisa le jeune Frisell, comme savant, à résider sur le

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continent, au moment où tous les Anglais y étaient suspects; ce séjour seprolongeasibienqu'ilrestapresquetoujoursenFrance,augranddéplaisirdesafamille. La France et l'Italie furent ses séjours de prédilection. Il écrivaitbeaucoup, mais on n'a de lui qu'un seul ouvrage: De la Constitution del'Angleterre,remarquablementécritenfrançais;detoutlerestedesesœuvres,ilnevoulutrienpublier.Ilconnut,sousl'Empire,M.etMmedeChateaubriand,etnecessadeleurrestertrèsattachéjusqu'àsamort,quiprécédadepeucelledeses deux vieux amis. Ilmourut à Torquay, enDevonshire, aumois de février1846:quelquessemainesavantsafin,ils'étaitconvertiaucatholicisme.Voyez,dansleCorrespondantdu25septembre1897,l'articledeM.J.Fraser,UnamideChateaubriand.[RetourauTextePrincipal]

Note382:Ilyaiciunepetiteerreur.Chateaubriand,ainsiquesesamisHydedeNeuvilleetFitz-James,futarrêtéle16juin.Ontrouvetouslesdétailsdesonarrestationdanslesjournauxdu17.HydedeNeuville(t.III,p.474)donnebienlavraiedate, celledu16. Il estd'ailleursprobableque ladatedu20,dans lesMémoiresd'Outre-tombe,estunefautedecopiste.Chateaubriand,qui,danstoutle cours de sesMémoires, n'a pas une seule fois erré sur les dates, a dû icid'autantmoins se tromperqu'il a écrit le récit de sonarrestation au lendemainmême de l'événement, au mois de juillet 1832.—Voir l'Appendice, no XI:l'ArrestationdeChateaubriand.[RetourauTextePrincipal]

Note383:M.Gisquet.[RetourauTextePrincipal]

Note384:FrédéricBenoît, fils du jugedepaixdeVouziers, âgéde19ans,avaitétécondamnéàlapeinedemort,commeparricide,parlaCourd'Assisesdela Seine, la veillemême de l'arrestation deChateaubriand, le 15 juin 1832. Ilavait assassiné sa mère dans la nuit du 8 au 9 novembre 1829, et son amiAlexandreFormage,âgéde17ans,filsd'unmarchanddevindelaVillette,le21juillet1831.IlavaiteupourdéfenseurMeCrémieux.Chaix-d'Est-Ange,avocatdelapartiecivile,avaitprononcécontreBenoîtunadmirableréquisitoire.[RetourauTextePrincipal]

Note385:RichardLovelace, né en 1618, àWoolwich (Kent), d'une familleriche,brillaquelquetempsàlacourdeCharlesIparsabeauté,sagalanterieetson esprit; sacrifia toute sa fortune pour la cause royale et fut emprisonné àLondres.Aprèssamiseenliberté,ilentraauservicedelaFranceaveclegradede colonel, revint enAngleterre et ymourut dans lamisère en 1658. Il avaitcomposépendantsacaptivité,unrecueildepoèmeslyriquesintituléLucasta.Ila

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aussi écrit quelques pièces de théâtre. Son style est élégant, quoique négligé.[RetourauTextePrincipal]

Note 386: Voir l'Appendice no XII: Jeune fille et jeune fleur.[Retour au TextePrincipal]

Note387:M.NayallaitdevenirlegendredeM.Gisquet.[RetourauTextePrincipal]

Note388: Pour les détails de l'arrestation deM.Hyde deNeuville voy. sesMémoiresetSouvenirs,t.III,p.494etsuivantes.[RetourauTextePrincipal]

Note 389: Ancien forçat, devenu chef de la police de sûreté.[Retour au TextePrincipal]

Note390:Louis-HenriDesmortiers,néàMorestais(Charente-Inférieure).LaRestaurationl'avaitnomméconseilleràlaCourdeParis;larévolutionde1830lefitprocureurduroiprèsleTribunaldepremièreinstancedelaSeine,fonctionsqu'ilconservapendantlaplusgrandepartiedurègnedeLouis-Philippe.Iln'étaitdoncpasjuged'instructionen1832.Lejuged'instructionchargédel'affairedeMM.deChateaubriand,HydedeNeuvilleetdeFitz-JamesétaitM.Poultier,qui«remplitsespéniblesfonctionsauprèsdesaccusésavecautantdedélicatessequed'égards.»Mémoires du baron Hyde de Neuville, t. III, p. 496.[Retour au TextePrincipal]

Note 391: Charles-GuillaumeHello (1787-1850). Il avait été nommé le 5septembre1830procureurgénéralàRennes.IldevintavocatgénéralàlacourdeCassation (27mai 1837), puis conseiller (7 août 1843). Il avait été un instantdéputé duMorbihan (1842-1843). Il aimait en effet à écrire et avait publié en1827 un Essai sur le régime constitutionnel ou Introduction à l'étude de laCharte. Son principal livre,Philosophie de l'Histoire de France (1840) a étécouronnéparl'Académiefrançaise.Undesesfils,ErnestHello,morten1885,alaissé plusieurs ouvrages, l'Homme,Paroles deDieu, etc., qui lui assurent unrang éminent parmi les penseurs et les écrivains de notre temps.[Retour au TextePrincipal]

Note392: Voir, surM. deMontalivet, au tome IV, la note de la page 315.[RetourauTextePrincipal]

Note393:Voiciunedes trèsrareserreursdefaitquiserencontrentdans lesMémoires d'Outre-tombe, et elle n'est pas bien grave. M. Geoffroy deGrandmaison, dans son beau livre sur laCongrégation, pages 389 et suiv., a

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publiélalistecomplètedesesmembres:M.Desmortiersn'yfigurepas.[RetourauTextePrincipal]

Note394:Voirl'AppendicenoXII:ChateaubriandetM.Bertinaîné.[RetourauTextePrincipal]

Note395: Paul-FrançoisDubois (1793-1874). Il avait fondé, en 1824, avecPierreLeroux,lejournalleGlobe.De1831à1848,ilfutdéputédeNantes,cequi lui valait d'être appelé par les petits journaux Dubois (de la Gloire-Inférieure). Nommé inspecteur général de l'Université dès le mois d'octobre1830, il fut appelé en 1840 à la direction de L'École normale, fonctions qu'ilconservajusqu'en1850.Ilfutélu,le13avril1810,membredel'Académiedessciencesmoralesetpolitiques.[RetourauTextePrincipal]

Note 396: Jean-Jacques Ampère, fils du célèbre physicien (1800-1864);membre de l'Académie française et de l'Académie des inscriptions et belles-lettres.Ilfutl'undesplusfidèlesadmirateursdeChateaubriand,fidélitéd'autantplusméritoirequeMmeRécamierluiavaitinspiré,dèssajeunesse,unepassionardenteetqueletempsneputaffaiblir.[RetourauTextePrincipal]

Note 397: Charles Lenormant (1802-1859), membre de l'Académie desinscriptionsetbelles-lettres.Ilavaitépousé,en1826,MlleAmélieCyvoct,niècedeMmeRécamier.[RetourauTextePrincipal]

Note 398: Charles Ledru, jeune avocat, doué d'un vrai talent, et à qui sesplaidoyerspolitiquesavaientvaluunequasi-célébrité.Ilallaitbientôtêtreeffacépar un autre avocat républicain, du même nom que lui, Auguste Ledru. Cedernier,voulantéviterlaconfusionquin'auraitpasmanquédes'établirentreluietCharlesLedru,ajoutaàsonnomceluidesabisaïeulematernelle,ets'appelaLedru-Rollin.[RetourauTextePrincipal]

Note 399: Charles Philipon (1800-1862). Dessinateur habile, ayant un jolibrin de plume à son crayon, il fonda en 1831 la Caricature, journalhebdomadairetrèsspécial,àlafoisartistiqueetpolitique.Lerédacteurprincipalétait Louis Desnoyers, un journaliste endiablé, l'auteur desBéotiens de Paris.Les dessinateurs étaient, avec Philipon, Daumier, Grandville, Gavarni, HenryMonnier, Numa, Achille Devéria et D. Traviès. Le journal eut une vogueeuropéenne, et tout Paris se pressait aux vitrines de la maison Aubert, alorssituéeàl'entréedupassageVéro-Dodat,faisantvis-à-visàlacourdesFontaines,

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où étaient exposées les images de laCaricature. Toutes les fois qu'on voulaitfaireprovisiondebonrire,onyallait.Celapassaitmêmepourunerecettecontrel'envahissement de la jaunisse. «La maison Aubert, la meilleure despharmacies!» disait le peuple. Le parquet qui, lui, riait jaune,multiplia contrePhilipon les saisies et les procès. Au cours d'un de ces procès, sur les bancsmêmesdelaCourd'assises,entroiscoupsdecrayon,ildessinaunepoire,quisetrouvaêtrelatêteduroiLouis-Philippe.Lelendemain,lapoireétaitsurtoutesles murailles, et ses pépins allaient devenir, jusqu'à la fin du règne, entre lesmainsdel'opposition,unprojectiledontrépublicainsetlégitimistesseservaientàl'envi.En1834,ilcréaleCharivari,etcontinuaainsi,parlaplumeetledessin,saguerreàlamonarchiedeJuillet.Depuis1848,ilafaitparaîtrecoupsurcoupleJournalAmusant,leMuséeFrançais,etlePetitJournalpourrire.Ilestmorten1862.SesamisauraientpuinscriresursatombeceversdeBarthélemydanslaNémésis:

Philipon,JuvénaldelaCaricature.[RetourauTextePrincipal]

Note400:M.Guizot,danssesMémoires(tomeII,page344),apprécieencestermesl'arrestationdeChateaubriand:«L'arrestationdeMM.deChateaubriand,Fitz-James, Hyde de Neuville et Berryer, ne fut pas une faute moins grave.C'étaient là, pour legouvernementde1830,des ennemis, nondes insurgés, nidesconspirateurs;ilsnevoulaientpassadurée,etn'ycroyaientpas;maisilsnecroyaient pas davantage à l'opportunité et à l'efficacité des complots et de laguerrecivilepourlerenverser;c'étaientd'autresarmesqu'ilscherchaientpourluinuire; c'était avec d'autres armes que les prisons et les procès qu'il fallait lescombattre.La Restauration avait donné, en pareille circonstance, un sage etnobleexemple:MM.deLaFayette,Voyerd'ArgensonetManuelétaient,àcoupsûr, contre elle, de plus sérieux et redoutables conspirateurs que MM. deChateaubriand,deFitz-James,HydedeNeuville etBerryernepouvaient l'êtrecontrelegouvernementdeJuillet.De1820à1822,leducdeRichelieuetM.deVillèleavaient,contreceschefslibéraux,debienautresgriefsetdebienautrespreuves que le cabinet de 1832 n'en pouvait recueillir contre les chefslégitimistesqu'ilfitarrêter.Pourtantilsnevoulurentjamaisnilesemprisonner,nilestraduireenjustice;ilscomprirentquelepouvoirquiveutmettreuntermeauxrévolutionsnedoitpasporter,dansleshautesrégionsdelasociété,laguerreàoutrance....»[RetourauTextePrincipal]

Note401:M.Barthe.[RetourauTextePrincipal]

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Note402:M.Bethuis.[RetourauTextePrincipal]

Note403:M.Demangeat.[RetourauTextePrincipal]

Note 404: Félix Barthe (1795-1863). Affilié au Carbonarisme, très mêlécomme avocat à tous les procès politiques, ayant pris une part active à larévolutionde Juillet, il était entré,dès le27décembre1830,dans leministèredisloquédeM.Laffitte,pourremplaceràl'instructionpubliqueM.Mérilhou.Le12 mars 1831, il avait échangé, dans le nouveau cabinet Casimir Périer, leportefeuilledel'instructionpubliquecontreceluidelajustice.Ilgardalessceauxjusqu'au4avril1834ettombaavecleministèredeBroglie.Ilfutalorsnommépair de France et président de la Cour des Comptes. Le second Empire le fitsénateur.[RetourauTextePrincipal]

Note405:Pierre-ClémentBérard.Pendant lesCent-Jours, il s'étaitenrôlé,àdix-septans,danslecorpsdesvolontairesroyauxdel'ÉcolededroitdeParis,etilavaitaccompagnéàGandleroiLouisXVIII.En1831et1832,ilfitparaîtreunpetitpamphlethebdomadaire,lesCancans,dontletitrevariaitchaquesemaine:Cancans parisiens, Cancans accusateurs, Cancans courtisans, Cancansinflexibles, Cancans saisis, Cancans prisonniers, etc. Chaque numéro seterminaitparunechanson.C'étaitcommeunerésurrection,après1830,desActesdesApôtres, deRivarol, deChampcenetz et de leurs amis.Même violence, etaussimême vaillance etmême verve. Seulement, lesCancans étaient rédigés,nonparunesociétéd'hommesd'esprit,maisparM.Bérardtoutseul:ilavait,ilestvrai,de l'esprit commequatre, etmêmecommequarante.Saisiesetprocèspleuvaient naturellement sur lesCancans et sur leur auteur, qui se vit à la fincondamné à quatorze ans de prison et à treize mille francs d'amende.Heureusement, il trouva le moyen de s'évader et de gagner la Hollande,échangeantlaprisonpourl'exil.En1833,ilpubliaMonVoyageàPrague,puisse rendit à Rome, où des légitimistes venaient de fonder une banque, dont ildevintundesemployés.Ilnedevaitplusquitterlavilleéternelle,oùilestmort,il y a peu d'années, royaliste impénitent, ainsi qu'il convenait à l'auteur desCancans fidèles. Ses Souvenirs sur Sainte-Pélagie en 1832 ont paru en 1886.[RetourauTextePrincipal]

Note406:OnverradansmonpremiervoyageàPraguemaconversationavecCharlesXausujetdeceprêt.(NotedeParis,1834.)CH.[RetourauTextePrincipal]

Note 407: Amédée-Simon-Dominique Thierry (1797-1873). Il avait été en1810 précepteur des petits-neveux de Talleyrand, et avait publié avec un vif

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succès,en1828,sonHistoiredesGaulois.AprèslesjournéesdeJuillet,ilavaitéténommépréfetde laHaute-Saône.Maîtredes requêtesauConseild'État en1838, promu conseiller en service ordinaire en 1853, il fut appelé, par décretimpérialdu18janvier1860,àsiégerauSénat.Iln'avaitd'ailleurspascessédeselivrer à ses travaux historiques. Ses principaux ouvrages sont l'Histoire de laGaulesousl'administrationromaine(1840-1842);RécitsetNouveauxrécitsdel'histoireromaine (1860-1864);Saint-Jérôme, la Société chrétienne àRome etl'émigration en Terre Sainte (1867); l'Histoire d'Attila et de ses successeurs(1873).[RetourauTextePrincipal]

Note408:Onlitdans lapréfacedesRécitsdes tempsmérovingiens,publiéeen1840, les lignes suivantes,qui confirment cequeChateaubriandécrivait en1832: «J'achevais mes classes au collège de Blois, lorsqu'un exemplaire desMartyrs,apportédudehors,circuladanslecollège;cefutungrandévénementpourceuxd'entrenousquiressentaientdéjàlegoûtdubeauetl'admirationdelagloire.Nous nous disputions le livre; il fut convenu que chacun l'aurait à sontour,etlemienvintunjourdecongé,àl'heuredelapromenade.Cejourlà,jefeignisdem'êtrefaitmalaupied,etjerestaiseulàlamaison;jelisaisouplutôtjedévorais lespages,assisdevantmonpupitre,dansunesallevoûtéequiétaitnotre salle d'étude et dont l'aspect me semblait alors grandiose et imposant.J'éprouvaid'aborduncharmevagueetcommeunéblouissementd'imagination;maisquandvintlerécitd'Eudore,cettehistoirevivantedel'empireàsondéclin,jenesaisquelintérêtplusactifetplusmêléderéflexionm'attachaautableaudela ville éternelle, de la cour d'un empereur romain, de lamarche d'une arméeromaine dans les fanges de la Batavie, et de sa rencontre avec une armée deFrancs....Àmesure que se déroulait àmesyeux le contraste si dramatiqueduguerrier sauvage et du soldat civilisé, j'étais saisi de plus en plus vivement;l'impression que fit sur moi le chant de guerre des Francs eut quelque chosed'électrique.Jequittailaplaceoùj'étaisassis,et,marchantd'unboutàl'autredela salle, je répétai à haute voix et en faisant sonner mes pas sur le pavé:«Pharamond! Pharamond! nous avons combattu avec l'épée!...» Ce momentd'enthousiasme fut peut-être décisif pour ma vocation à venir; je n'eus alorsaucune conscience de ce qui venait de se passer enmoi;mon attention ne s'yarrêta pas, je l'oubliai même pendant plusieurs années; mais, lorsqu'aprèsd'inévitablestâtonnementspourlechoixd'unecarrière,jemefuslivrétoutentieràl'histoire,jemerappelaicetincidentdemavieetsesmoindrescirconstancesavecunesingulièreprécision;aujourd'hui,sijemefaislirelapagequim'atantfrappé,jeretrouvemesémotionsd'ilyatrenteans.»[RetourauTextePrincipal]

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Note409:C'étaitparVesoulque lecomted'Artoisétait rentréenFranceaumoisdefévrier1814,etilavaitdatédecetteville,le27février,saProclamationauxFrançais.[RetourauTextePrincipal]

Note 410: L'empereur de Russie, l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse.[RetourauTextePrincipal]

Note411: Les chroniques contemporaines de la révolution de 1307 ne fontaucunemention deGuillaumeTell. Elles ne parlent que des trois conjurés duGrütli, Fürst, d'Uri, Stauffacher, de Schwytz, et Arnold de Melchtal,d'Underwald.Cen'estqu'àlafinduXVesièclequeleshistoriensnationauxontcommencéàparlerdeGuillaumeTelletdesesexploits,et lesnarrationsqu'ilsenontdonnéesrenfermentlesplusgravesinvraisemblancesaudoublepointdevuegéographiqueetchronologique.[RetourauTextePrincipal]

Note412:DanssonEssai,Chateaubriandavait consacré trois chapitresà laSuisse: la Suisse pauvre et vertueuse;—la Suisse philosophique;—la Suissecorrompue.Lepremierdeceschapitresrenfermaitlanotesuivante:«L'anecdotede la pomme et de Guillaume Tell est très douteuse. L'historien de la Suède,Grammaticus,rapporteexactementlemêmefaitd'unpaysanetd'ungouverneursuédois.J'auraiscitélesdeuxpassagess'ilsn'étaienttroplongs.Onpeutvoirlepremier dans Simler (HelvetiorumRespublica, lib. I, page 58); et l'on trouvel'autrecité toutentier à la findeCoke'sLettersonSwitzerland.»Essai sur lesRévolutions, 1re édition, page 255. Cette anecdote de la pomme, queChateaubriand, avec raison, tenait pour «très douteuse», n'est plus aujourd'huidéfendueparpersonne.[RetourauTextePrincipal]

Note413:Le15septembre1816,leconseillerd'ÉtatLucernoisXavierKellerfut trouvé mort dans l'Aar, près de Lucerne. Toutes sortes de rumeurs furentrépandues au sujet de cette mort mystérieuse: on soupçonnait un meurtre.Aucune preuve cependant n'était venue confirmer ces soupçons, lorsque, en1825,desvagabonds,parmilesquelssetrouvaitClaraWendel,furentarrêtésetfirentdesrévélationssurcedramenocturne.IlfutalorsapprisqueXavierKelleravait été victime d'un crime politique dont les instigateurs avaient été deuxpersonnagesofficiels deLucerne.Cinqpersonnes, parmi lesquelles un frère etunesœurdeClaraWendel,enavaientétélesexécuteurs.Ilenrésultaunprocès,dont le retentissement fut européen, et qui se termina par plusieurscondamnations.ClaraWendelfutcondamnéeàladétentionperpétuelleetsubitsapeinedanslaprisondeLucerne.[RetourauTextePrincipal]

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Note 414: Le 5 juin 1832, le jour des funérailles du général Lamarque,AlexandreDumas avait suivi le cortège en costumed'artilleur; le bruit couraitqu'il avait distribué des armes à la Porte Saint-Martin. Le 9 juin, un journalannonça que l'auteur de la Tour de Nesle, pris les armes à la main, avait étéfusillé le 6 au matin. Un aide de camp du roi courut chez lui, le trouva enparfaite santé, et l'informa que l'éventualité de son arrestation avait étésérieusement discutée. On lui conseillait d'aller passer un mois ou deux àl'étranger,poursefaireoublier.Ilmitordreàsesaffairesdramatiques,touchadel'argentdeHarel(cequin'étaitpasunpetitsuccès),et,le21juillet1832,munid'unpasseportenrègle,ilpartitpourlaSuisse.Verslecommencementd'octobre,il était de retour à Paris. Ses Impressions de voyage, dont la publicationcommença en 1833, sont restées le meilleur de ses ouvrages. Au tome III, ilracontesavisiteàl'auteurduGénieduChristianismedansunchapitreintitulé:LesPoulesdeM.deChateaubriand.[RetourauTextePrincipal]

Note 415: L'une et l'autre ne sont plus. (Paris, note de 1836.) CH.—Sur lacomtesse de Colbert, voir, au tome I, la note 2 de la page 124.[Retour au TextePrincipal]

Note 416: Voir, première partie, livre III, les pages 123-126.[Retour au TextePrincipal]

Note417:LalettredeBérangerestdu19août1832;celled'ArmandCarreldu4octobre1834.EllesontétéimpriméestouteslesdeuxàlafinduCongrèsdeVérone,t.II,p.455etsuivantes.[RetourauTextePrincipal]

Note 418:Mme Récamier, très effrayée par le choléra, qui avait fait autourd'elle, dans la rue de Sèvres, de très nombreuses victimes, s'était décidée, aumois d'août, à quitter Paris et à faire un voyage en Suisse. Malgré son réelcourage, et bien qu'on l'ait vue souvent prodiguer sans effroi ses soins à despersonnesatteintesdemaladiescontagieuses,elleavaituneterreurinvincibleetpresque superstitieuse du choléra. Était-ce un pressentiment? Elle mourut ducholéra le 11 mai 1849. «Après avoir succombé à ce fléau qui laisseordinairement sur ses victimes des traces effrayantes, dit Mme Lenormant(SouvenirsetCorrespondance,t.II,p.572),MmeRécamierpritdanslamortunebeautésurprenante.Sestraits,d'unegravitéangélique,avaientl'aspectd'unbeaumarbre;onn'yapercevaitaucunecontraction,aucuneride,et jamais lamajestédu dernier sommeil ne fut accompagnée d'autant de douceur et de grâce. Undessin, transporté sur la pierre parAchilleDevéria, a conservé le souvenir de

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cette remarquable circonstance; ce dessin, dont nous pouvons attester lascrupuleuseexactitude,prouveàsontourlafidélitédenotrerécit.»[RetourauTextePrincipal]

Note 419: Charles Parquin, ancien officier des armées impériales. Ilconnaissait leprinceLouisdepuis1822; ilavaitacheté,en1824, lechâteaudeWolfsberg,sisauprèsd'Arenenberg,etavaitépouséunedemoiselled'honneurdelareineHortense,MlleCochelet,filled'unmembredel'AssembléeconstituanteetélevéedanslepensionnatdeMmeCampanavecMlledeBeauharnais.Lechefd'escadronParquinprit lapartlaplusactiveàl'échauffouréedeStrasbourg(30octobre1836).Ilfutarrêtéauxcôtésduprince.Traduitdevantlacourd'assisesduBas-Rhin,le6janvier1837,ilfutacquitté,aprèsuneémouvanteplaidoiriedesonfrère,MeParquin,quiétait,àcetteépoque,l'undesplusbrillantsavocatsdubarreaudeParis.[RetourauTextePrincipal]

Note420:SurMadameSalvage,voy.ci-dessuslanote2delapage102.[RetourauTextePrincipal]

Note 421: NarcisseVieillard (1791-1857). Après avoir fait, comme officierd'artillerie, les campagnes deRussie (1812), d'Allemagne (1813) et de France(1814), il rentradans lavieprivée à laRestauration, etmanifesta enplusieurscirconstances ses sentiments bonapartistes. Choisi par la reine Hortense pourprécepteur de son fils aîné Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, frère du futurNapoléon III, il s'occupaausside l'éducationdecedernier,puis il se retira enNormandie.Député de laManche, de 1842 à 1846, représentant du peuple de1848à1851, il contribuaà lapréparationet à l'exécutionducoupd'Étatdu2décembre, et futnommésénateur le26 janvier1852.Faisantmarcherde frontson bonapartisme et son républicanisme, lors du vote sur le rétablissement del'Empire,ilvotacontre.Àsamort(19mai1857),ildéfendit,paruneclausedesontestament,deportersoncorpsàl'église.[RetourauTextePrincipal]

Note 422: M. Cottrau était un ami du prince Louis, et il ne quittait guèreArenenberg.Àl'époqueoùilexerçait lesfonctionsdecapitainedansl'artilleriesuisse, le prince s'éprit de la veuve d'un planteur mauricien, Madame S....,habitant un château voisin, et il demanda sa main sans pouvoir l'obtenir. LeschosesprirentunetournureassezsérieusepourquelareineHortense,opposéeàcemariage,sedécidâtàfairepartirsonfils,afindechangerlecoursdesesidées.Louis-NapoléonserenditenAngleterre,accompagnédeM.Cottrau.EnquittantArenenberg, il pleurait; il paraissait inconsolable. Durant le voyage, il tira

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souvent de la poche de son habit une miniature, portrait de la dame de sespensées; il nepouvait se lasserde le regarder.Lesdeux jeunesgenspassèrentquelquetempsàLondres.QuandilsrevinrentenSuisse,lacureprescriteparlareineHortenseavaitréussiàsouhait.M.Cottrau,faisant,suivantsonhabitude,lavisitedestiroirsavantdequitterl'hôtel,trouvadansunsecrétaire,oùileutsoindelalaisser,laminiaturedelabellemauricienne.—LamarquisedeCrenay,uneamiedelareineHortenseetdeNapoléonIII,parH.Thirria,p.19.[RetourauTextePrincipal]

Note423:Quand lordByronquitta l'Angleterre,pour lasecondeetdernièrefois,le25avril1816,ilserenditenSuisse,parlaBelgiqueetleRhin,etpassaquelquesmoissurlesbordsdulacdeGenève.C'estlàqu'ilécrivitletroisièmechantduPèlerinagedeChilde-Harold,lePrisonnierdeChillonetlaNuitfinaledel'Univers,etqu'ilcommençasondramedeManfred.[RetourauTextePrincipal]

Note 424: La duchesse de Berry avait été arrêtée à Nantes—on sait dansquelles circonstances—le 7 novembre 1833. Le 12 novembre, Berryer entraitdans le cabinet deChateaubriand, àGenève, et lui apprenait la nouvelle, sanspouvoir d'ailleurs lui donner aucun détail. Chateaubriand partit aussitôt pourParis.[RetourauTextePrincipal]

Note425:M.Barthe.[RetourauTextePrincipal]

Note426: Lemaréchal Soult,ministre de la guerre et président du conseil.[RetourauTextePrincipal]

Note427:Cettelettredu12novembreétaitainsiconçue:

«Madame,

«Vousme trouverezbien témérairedevenirvous importunerdansunpareilmomentpourvous supplierdem'accorderunegrâce,dernière ambitiondemavie:jedésireraisardemmentêtrechoisiparvousaunombredevosdéfenseurs.Je n'ai aucun titre personnel à la haute faveur que je sollicite auprès de vosgrandeursnouvelles;mais j'oselademanderenmémoired'unprincedontvousdaignâtesmenommerl'historien;jel'espèreencorecommeleprixdusangdemafamille. Mon frère eut la gloire de mourir avec son illustre aïeul, M. deMalesherbes,défenseurdeLouisXVI, lemêmejour,à lamêmeheure,pour lamêmecauseetsurlemêmeéchafaud.

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«Jesuis,etc.....

«CHATEAUBRIAND.»[RetourauTextePrincipal]

Note428:LeMémoiresurlacaptivitédeMmeladuchessedeBerry,parutle29décembre1832.[RetourauTextePrincipal]

Note429:Voiciletextedecettedéclaration,quifutinséréedansleMoniteurdu26février1833:

«Pressée par les circonstances, et par les mesures ordonnées par legouvernement,quoiquej'eusselesmotifslesplusgravespourtenirmonmariagesecret, je crois devoir à moi-même, ainsi qu'à mes enfans, de déclarer m'êtremariéesecrètementpendantmonséjourenItalie.

«MARIE-CAROLINE.

«DelacitadelledeBlaye,ce22février1833.»[RetourauTextePrincipal]

Note430:ChateaubriandcomparutdevantlaCourd'AssisesdelaSeine,le27février 1833. Étaient poursuivis, en même temps que lui, les gérants de laQuotidienne, de laGazette deFrance, duRevenant, de l'Écho Français, de laMode, duCourrier de l'Europe, et un jeune étudiant, M. Victor Thomas. Cedernier, le 4 janvier précédent, avait porté la parole, au nom des douze centsjeunes gens qui étaient allés témoigner à Chateaubriand leur enthousiasme etavaient redit avec lui:Madame, votre fils est mon roi! Tous furent acquittés,aprèsuneadmirableplaidoiriedeBerryer.Quelquesannéesaprès, le journal leDroitdisaitdeceplaidoyer:«BerryerdéfenditM.deChateaubriand,commeM.deChateaubrianddevaitêtredéfendu,sansprovocationetsansbravade,rendanthommage,ensonnom,àcesroisdel'exilqu'avaitadoréssajeunesseetquesavieillesse devait adorer.Tous ceuxqui l'ont entendu se souviennent de tout cequ'ileutdesublimeetdevéritablementinspiré....Ilyaeu,àsavoix,unedecesimpressions électriques et involontaires qu'il n'est donné qu'au génie deproduire.»(LeDroit,20juin1838.)—LejouroùBerryervintprendreséanceàl'Académiefrançaise,le22février1855,ledirecteur,M.deSalvandy,évoquaences termes lesouvenirde laplaidoiriedu27février1833:«Oncomprendque,tout à l'heure, les souvenirs de la Sainte-Chapelle vous soient revenus à lapensée.Votre parole grava ce nom dans lamémoire publique le jour où vousaviezàvoscôtésl'auteurduGénieduchristianisme,souslesvoûtesdupalaiset

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à quelques pas de la chapelle de Saint Louis. Ce plaidoyer est de ceux quirestent,Monsieur;c'estvotrediscourspourlepoèteArchias.»

On pourrait croire, d'après ces témoignages, et on croit généralement que,dans ce mémorable procès, Chateaubriand avait pris pour avocat M. Berryer.C'est une erreur. L'illustre écrivain n'avait pas voulu être défendu. Il s'étaitprésentéàlaCourd'Assisessansavocat.IlsebornaàrépondreauréquisitoireduprocureurgénéralPersilparlesparolessuivantes:«Jeneprétendspasdéfendremabrochure;jenemelèvepasencemomentpourrépondreaudiscoursdeM.leprocureurdu roi, je citerai seulementquelquespassagesqui expliquentmesintentions, qu'on a aggravées. Je ne suis pas sorti dema retraite pour troublerl'ordre;jenesuisrevenuenFrancequelorsqu'onafaitdesloisdeproscriptioncontreunefamillequ'ilétaitdemondevoirdedéfendre.»IllutensuitequelquesmotsdesonMémoireetcitalesparolestouchantesquileterminaient.

Berryer prit la parole comme avocat de laQuotidienne et de laGazette deFrance. «Je ne suis pas, dit-il en commençant, chargé de défendre M. deChateaubriand.» S'il lui arriva d'en parler, cependant, et s'il le fit en termesmagnifiques,cenefutpascommesonavocat,maiscommeroyalisteetcommeFrançais.

MeCharlesLedru,dontChateaubriandsignalel'intervention,quifut,paraît-il,assezmalheureuse,défendaitl'Échofrançais,unedesfeuillesincriminées.[RetourauTextePrincipal]

Note431: Jean-CharlesPersil (1785-1870), député de 1830 à 1839, pair deFrancede1839à1848,conseillerd'ÉtatsousleSecondEmpire.Aulendemainde la révolution de juillet, il avait été nommé procureur général près la courroyaledeParis.Lezèleaveclequelilpoursuivi,lesjournauxrépublicainsetlesjournaux légitimistes, égalementcoupablesà sesyeux,etquiétaient, il faut ledire, également violents, lui valut pendant plusieurs années une impopularitéformidable. Il fut longtemps lacibledescaricaturisteset l'unedesbêtesnoiresdespetits journaux,de laMode surtout,qui avait sanscesseà son servicedespaquetsd'épingles.Unjour,elleannonçasamortences termes:«M.Persilestmortpouravoirmangéduperroquet.»[RetourauTextePrincipal]

Note 432: M. de Falloux, qui avait pu pénétrer dans la salle en revêtantindûmentunerobed'avocat,aracontécettescènedanssesMémoires.Lorsqueleprésident eut annoncé l'acquittement de tous les prévenus, la foule se pressa

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autourdeBerryeretdeChateaubriand.CedernierdutsecramponneraubrasdeM. de Falloux pour n'être pas renversé. «Je n'aime pas le train! répétait-il, jen'aime pas le train! menez-moi vite à ma voiture!» Mais sur le perron lesacclamations redoublèrent:«ViveChateaubriand!Vive la libertéde lapresse!»On voulait dételer ses chevaux et s'atteler à la voiture. «N'en faites rien,suppliait-il, c'est très loin! c'est très loin! c'est impossible!» Enfin le cocherparvintàsedégageretpartitaugalop.QuantàM.deFalloux,ilavaitlatêteetlecœur si remplis de cequ'il venait d'entendre, qu'il s'en allait à travers les ruesavecsarobeempruntéed'avocat,emportantsoussonbras legrandportefeuilledeChateaubriand.(Mémoiresd'unroyaliste,parM.deFalloux,t.I,p.60.)[RetourauTextePrincipal]

Note 433: Le célèbremarchand de comestibles du Palais-Royal. Hélas! lesDieux s'en vont, Comus comme Momus. À l'heure où j'écris cette note, lamaisonChevetvientd'éteindresesfourneaux.[RetourauTextePrincipal]

Note434:Ils'agiticidesroyalistesdeVilleneuve-d'Agen.Chateaubriandlesremerciaencestermes:

«Paris,17avril1833.

«Messieurs,

«Labellecoupequevousvoulezbienm'offrirenvotrenometenceluidevoscompatriotessera religieusementconservéeparmoi,commeun témoignagedevotreestimeetdessentimentsquinousunissent.Puisse,Messieurs,venirlejouroùjeboiraiàlasantédufilsdeHenriIVdanscettecoupedelafidélité.Qu'ilmesoit permis d'offrir en particulier mes remerciements et mes hommages auxdamesdontjelislasignatureaubasdevotretouchantelettre.

«J'ail'honneurd'être,avecunevivereconnaissance,etc....

«CHATEAUBRIAND.»[RetourauTextePrincipal]

Note435:Ci-dessus,p.132.[RetourauTextePrincipal]

Note436:Ci-dessus,pages154et171.[RetourauTextePrincipal]

Note437:Ci-dessus,page183.[RetourauTextePrincipal]

Page 483: Project Gutenberg's Mémoires d'Outre-Tombe, by François ...

Note438:Ci-dessus,p.238.[RetourauTextePrincipal]

Note439:Icicommencedanslemanuscrit(no12454)lefragmentécritdelamain de Chateaubriand (p. 23) Au début de la page, on lit au crayon: «Lepremierfeuilletmanque.»Cefeuilletaheureusementétéreproduitdanslacopie(no12455)etc'estd'aprèscettecopiequej'aipudonnerlapagequ'onvientdelire.(NotedeM.VictorGiraud.)[RetourauTextePrincipal]

Note 440: Cette phrase est barrée dans le manuscrit original. (Note deM.VictorGiraud.)[RetourauTextePrincipal]

Note 441: L'auteur de la copie et moi avons cru lire cette phrase dans lemanuscrit,maisnousnesommessûrs,nil'unnil'autre,denotrelecture.(NotedeM.VictorGiraud.)[RetourauTextePrincipal]

Note442:Iciunmotillisible.(Notedumême.)[RetourauTextePrincipal]

Note 443: Ici quatre ou cinqmots illisibles. (Note dumême.)[Retour au TextePrincipal]

Note444:Ci-dessus,p.401.[RetourauTextePrincipal]

Note445:Le26mars1854,leducdeParme,CharlesdeBourbon,quiavaitépousé la filleduducdeBerry, fut frappéaucœurd'uncoupde styletparunnouveauLouvel.Quelquesheuresaprès, ilmouraitdans lesbrasdesa femme.«Ce fut une scène pleine de larmes, écrivait un témoin: elle en rappelait uneautrequiavaitfaitdireàDupuytrencemotexpressif:Dieuétaitlà!»[RetourauTextePrincipal]

Note446:Lamartine,HistoiredelaRestauration,t.VIII,p.411.[RetourauTextePrincipal]

Note447:ŒuvrescomplètesdeH.deBalzac,t.XXIII.[RetourauTextePrincipal]

Note448:MémoiresdePhilarèteChasles,t.I,p.419.[RetourauTextePrincipal]

Note449:Ci-dessus,p.334.[RetourauTextePrincipal]

Note450:Ci-dessus,p.427.[RetourauTextePrincipal]

Note 451: La brochure publiée le 24 mars 1831, sous ce titre: De la

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Restaurationetdelamonarchieélective.[RetourauTextePrincipal]

Note 452: Journal du maréchal de Castellane, t. II, p. 425.[Retour au TextePrincipal]

Note453:Ci-dessus,p.312.[RetourauTextePrincipal]

Note454:Ci-dessus,p.341.[RetourauTextePrincipal]

Note455:Ci-dessus,p.438.[RetourauTextePrincipal]

Note456:Ci-dessus,p.461.[RetourauTextePrincipal]

Note457:CorrespondancedeH.deBalzac,t.I,p.110.[RetourauTextePrincipal]

Note458:Némésis,Épilogue.[RetourauTextePrincipal]

Note459:Ci-dessus,p.507.[RetourauTextePrincipal]

Note460:Leslacunesquisetrouventdanscettelettresontduesàl'emploidel'encresympathique.[RetourauTextePrincipal]

Note461:MémoiresetSouvenirsdubaronHydedeNeuville, t. III, p. 493.[RetourauTextePrincipal]

Note462:Ci-dessus,p.512.[RetourauTextePrincipal]

Note463:Ci-dessus,p.522.[RetourauTextePrincipal]

Note464:Ci-dessus,p.528.[RetourauTextePrincipal]

Note465:JournaldesDébats,du18juin1832.[RetourauTextePrincipal]

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1.E.8.Youmaychargeareasonablefeeforcopiesoforproviding

accesstoordistributingProjectGutenberg-tmelectronicworksprovided

that

-Youpayaroyaltyfeeof20%ofthegrossprofitsyouderivefrom

theuseofProjectGutenberg-tmworkscalculatedusingthemethod

youalreadyusetocalculateyourapplicabletaxes.Thefeeis

owedtotheowneroftheProjectGutenberg-tmtrademark,buthe

hasagreedtodonateroyaltiesunderthisparagraphtothe

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mustbepaidwithin60daysfollowingeachdateonwhichyou

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returns.Royaltypaymentsshouldbeclearlymarkedassuchand

senttotheProjectGutenbergLiteraryArchiveFoundationatthe

addressspecifiedinSection4,"Informationaboutdonationsto

theProjectGutenbergLiteraryArchiveFoundation."

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youinwriting(orbye-mail)within30daysofreceiptthats/he

doesnotagreetothetermsofthefullProjectGutenberg-tm

License.Youmustrequiresuchausertoreturnor

destroyallcopiesoftheworkspossessedinaphysicalmedium

anddiscontinuealluseofandallaccesstoothercopiesof

ProjectGutenberg-tmworks.

-Youprovide,inaccordancewithparagraph1.F.3,afullrefundofany

moneypaidforaworkorareplacementcopy,ifadefectinthe

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electronicworkisdiscoveredandreportedtoyouwithin90days

ofreceiptofthework.

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distributionofProjectGutenberg-tmworks.

1.E.9.IfyouwishtochargeafeeordistributeaProjectGutenberg-tm

electronicworkorgroupofworksondifferenttermsthanareset

forthinthisagreement,youmustobtainpermissioninwritingfrom

boththeProjectGutenbergLiteraryArchiveFoundationandMichael

Hart,theowneroftheProjectGutenberg-tmtrademark.Contactthe

FoundationassetforthinSection3below.

1.F.

1.F.1.ProjectGutenbergvolunteersandemployeesexpendconsiderable

efforttoidentify,docopyrightresearchon,transcribeandproofread

publicdomainworksincreatingtheProjectGutenberg-tm

collection.Despitetheseefforts,ProjectGutenberg-tmelectronic

works,andthemediumonwhichtheymaybestored,maycontain

"Defects,"suchas,butnotlimitedto,incomplete,inaccurateor

corruptdata,transcriptionerrors,acopyrightorotherintellectual

propertyinfringement,adefectiveordamageddiskorothermedium,a

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yourequipment.

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ofReplacementorRefund"describedinparagraph1.F.3,theProject

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Gutenberg-tmelectronicworkunderthisagreement,disclaimall

liabilitytoyoufordamages,costsandexpenses,includinglegal

fees.YOUAGREETHATYOUHAVENOREMEDIESFORNEGLIGENCE,STRICT

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PROVIDEDINPARAGRAPHF3.YOUAGREETHATTHEFOUNDATION,THE

TRADEMARKOWNER,ANDANYDISTRIBUTORUNDERTHISAGREEMENTWILLNOTBE

LIABLETOYOUFORACTUAL,DIRECT,INDIRECT,CONSEQUENTIAL,PUNITIVEOR

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defectinthiselectronicworkwithin90daysofreceivingit,youcan

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providingittoyoumaychoosetogiveyouasecondopportunityto

receivetheworkelectronicallyinlieuofarefund.Ifthesecondcopy

isalsodefective,youmaydemandarefundinwritingwithoutfurther

opportunitiestofixtheproblem.

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inparagraph1.F.3,thisworkisprovidedtoyou'AS-IS'WITHNOOTHER

WARRANTIESOFANYKIND,EXPRESSORIMPLIED,INCLUDINGBUTNOTLIMITEDTO

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lawofthestateapplicabletothisagreement,theagreementshallbe

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withthisagreement,andanyvolunteersassociatedwiththeproduction,

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harmlessfromallliability,costsandexpenses,includinglegalfees,

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orcausetooccur:(a)distributionofthisoranyProjectGutenberg-tm

work,(b)alteration,modification,oradditionsordeletionstoany

ProjectGutenberg-tmwork,and(c)anyDefectyoucause.

Section2.InformationabouttheMissionofProjectGutenberg-tm

ProjectGutenberg-tmissynonymouswiththefreedistributionof

electronicworksinformatsreadablebythewidestvarietyofcomputers

includingobsolete,old,middle-agedandnewcomputers.Itexists

becauseoftheeffortsofhundredsofvolunteersanddonationsfrom

peopleinallwalksoflife.

Volunteersandfinancialsupporttoprovidevolunteerswiththe

assistancetheyneedarecriticaltoreachingProjectGutenberg-tm's

goalsandensuringthattheProjectGutenberg-tmcollectionwill

remainfreelyavailableforgenerationstocome.In2001,theProject

GutenbergLiteraryArchiveFoundationwascreatedtoprovideasecure

andpermanentfutureforProjectGutenberg-tmandfuturegenerations.

TolearnmoreabouttheProjectGutenbergLiteraryArchiveFoundation

andhowyoureffortsanddonationscanhelp,seeSections3and4

andtheFoundationwebpageathttp://www.pglaf.org.

Section3.InformationabouttheProjectGutenbergLiteraryArchive

Foundation

TheProjectGutenbergLiteraryArchiveFoundationisanonprofit

501(c)(3)educationalcorporationorganizedunderthelawsofthe

stateofMississippiandgrantedtaxexemptstatusbytheInternal

RevenueService.TheFoundation'sEINorfederaltaxidentification

numberis64-6221541.Its501(c)(3)letterispostedat

http://pglaf.org/fundraising.ContributionstotheProjectGutenberg

LiteraryArchiveFoundationaretaxdeductibletothefullextent

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TheFoundation'sprincipalofficeislocatedat4557MelanDr.S.

Fairbanks,AK,99712.,butitsvolunteersandemployeesarescattered

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informationcanbefoundattheFoundation'swebsiteandofficial

pageathttp://pglaf.org

Foradditionalcontactinformation:

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Section4.InformationaboutDonationstotheProjectGutenberg

LiteraryArchiveFoundation

ProjectGutenberg-tmdependsuponandcannotsurvivewithoutwide

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increasingthenumberofpublicdomainandlicensedworksthatcanbe

freelydistributedinmachinereadableformaccessiblebythewidest

arrayofequipmentincludingoutdatedequipment.Manysmalldonations

($1to$5,000)areparticularlyimportanttomaintainingtaxexempt

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charitiesandcharitabledonationsinall50statesoftheUnited

States.Compliancerequirementsarenotuniformandittakesa

considerableeffort,muchpaperworkandmanyfeestomeetandkeepup

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wherewehavenotreceivedwrittenconfirmationofcompliance.To

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particularstatevisithttp://pglaf.org

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Section5.GeneralInformationAboutProjectGutenberg-tmelectronic

works.

ProfessorMichaelS.HartistheoriginatoroftheProjectGutenberg-tm

conceptofalibraryofelectronicworksthatcouldbefreelyshared

withanyone.Forthirtyyears,heproducedanddistributedProject

Gutenberg-tmeBookswithonlyaloosenetworkofvolunteersupport.

ProjectGutenberg-tmeBooksareoftencreatedfromseveralprinted

editions,allofwhichareconfirmedasPublicDomainintheU.S.

unlessacopyrightnoticeisincluded.Thus,wedonotnecessarily

keepeBooksincompliancewithanyparticularpaperedition.

MostpeoplestartatourWebsitewhichhasthemainPGsearchfacility:

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includinghowtomakedonationstotheProjectGutenbergLiterary

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