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Eldorado...[Planche 2] [Planche 3] À Catane1, en ce jour, le pavé des ruelles du quartier du Duomo2 sentait la poiscaille. Sur les étals serrés du marché, des centaines de poissons

Aug 13, 2021

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Laurent Gaudé

EldoradoNotes et dossier rédigés

par Pierre-Georges Danset,

agrégé de lettres modernes

Les Ateliers d’ACTES SUD

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Sommaire

Sur le seuilEldorado, de Laurent Gaudé, par Cécile Rousset, artiste invitée . . . . . . . . . . . 7

Eldorado I. L’ombre de Catane . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

II. Tant que nous serons deux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

III. Tempêtes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

IV. Blessure de frontière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

V. Le cimetière de Lampedusa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97

VI. Le boiteux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115

VII. L’homme Eldorado . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125

VIII. Je me perdrai à Ghardaïa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137

IX. La reine d’Al-Zuwarah . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151

X. L’assaut . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165

XI. Le messager silencieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179

XII. Frères d’enfer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193

XIII. L’ombre de Massambalo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201

© ACTES SUD, 2021 pour la présente édition

ISBN 978-2-330-14966-6

Dans

CollègeGrumberG, Jean-Claude, Marie des grenouilles, suivi de Iq et Ox.

Lewis, Roy, Pourquoi j’ai mangé mon père.

Ovide, Les Métamorphoses.

POmmerat, Joël, Pinocchio.

stevensOn, Robert L., Le Cas étrange du Dr Jekyll et de Mr Hyde.

3e-LycéeGaudé, Laurent, Cris.

Eldorado.

madani, Ahmed, Je marche dans la nuit par un chemin mauvais.

LycéebeLLay, Joachim du, Sonnets d’amour et d’exil.

enard, Mathias, Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants.

HuGO, Victor, Le Dernier Jour d’un condamné.

POmmerat, Joël, Cendrillon.

Les Ateliers d’ACTES SUD

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À Catane 1, en ce jour, le pavé des ruelles du quartier du Duomo 2 sentait la poiscaille. Sur les étals serrés du marché, des centaines de poissons morts faisaient briller le soleil de midi. Des seaux, à terre, recueillaient les entrailles de la mer que les hommes vidaient d’un geste sec. Les thons et les espadons étaient exposés comme des trophées précieux. Les pêcheurs restaient derrière leurs tréteaux avec l’œil plissé du commer-çant aux aguets. La foule se pressait, lentement, comme si elle avait décidé de passer en revue tous les poissons, regardant ce que chacun proposait, jugeant en silence du poids, du prix et de la fraîcheur de la marchandise. Les femmes du quartier remplissaient leur panier d’osier, les jeunes gens, eux, venaient trouver de quoi distraire leur ennui. On s’observait d’un trottoir à l’autre. On se saluait parfois. L’air du matin enveloppait les hommes d’un parfum de mer. C’était comme si les eaux avaient glissé de nuit dans les ruelles, laissant au petit matin les pois-sons en offrande. Qu’avaient fait les habitants de Catane pour mériter pareille récompense ? Nul ne le savait. Mais il ne fallait pas risquer de mécontenter la mer en méprisant ses cadeaux. Les hommes et les femmes passaient devant les étals avec le res-pect de celui qui reçoit. En ce jour, encore, la mer avait donné. Il serait peut-être un temps où elle refuserait d’ouvrir son ventre aux pêcheurs. Où les poissons seraient retrouvés morts dans

1. Catane : ville portuaire située sur la côte est de la Sicile, bâtie au pied de l’Etna.2. Quartier du Duomo : quartier où se trouve la principale place de Catane, la piazza del Duomo, bordée sur l’un de ses côtés par la cathédrale (duomo en italien) Sant’Agata.

les filets, ou maigres, ou avariés 1. Le cataclysme n’est jamais loin. L’homme a tant fauté qu’aucune punition n’est à exclure. La mer, un jour, les affamerait peut-être. Tant qu’elle offrait, il fallait honorer ses présents.

Le commandant Salvatore Piracci déambulait dans ces ruelles, lentement, en se laissant porter par le mouvement de la foule. Il observait les rangées de poissons disposés sur la glace, yeux morts et ventre ouvert. Son esprit était comme happé par ce spectacle. Il ne pouvait plus les quitter des yeux et ce qui, pour toute autre personne, était une profusion joyeuse de nour-riture lui semblait, à lui, une macabre exposition.

Il dut se faire violence pour se soustraire à cette vision. Il continua à suivre, un temps, le flot des badauds, puis il s’arrêta devant la table de son poissonnier habituel et le salua d’un signe de la tête. L’homme, immédiatement, saisit son couteau et coupa une belle tranche d’espadon, sans dire un mot, tant il était habitué aux commandes de son client. C’est là que le commandant sentit pour la première fois sa présence. Quelqu’un le regardait. Il en était certain. Il avait la conviction qu’on l’épiait, que quelqu’un, dans son dos, le fixait avec insistance. Il se retourna d’un coup mais ne vit rien d’autre, dans la foule, que les badauds qui avan-çaient à petits pas. Il croisa certains regards. Des hommes et des femmes s’étaient tournés vers lui mais ce n’était pas cela. Ceux-là l’observaient parce qu’il s’était retourné brusquement et que la célérité 2 de son geste était étrange dans le mouvement lent de la foule. Le poissonnier, lui-même surpris par le geste de son client, lui lança, en lui tendant sa tranche d’espadon enrobée dans un sac plastique : « Alors commandant, on s’est fait caresser par un fantôme. » Il dit cela sans rire. Comme une

1. Avariés : détériorés, impropres à la consommation.2. Célérité : grande rapidité.

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chose possible, et le commandant, ne sachant que répondre, se pressa de payer, pour pouvoir disparaître.

Il marcha encore un peu dans le labyrinthe des rues empuan-ties, respirant, avec bonheur, l’odeur de la mer qui montait de partout.

Il retrouvait avec joie les bruits du peuple de la rue mais, au cœur de cette foule compacte, sa solitude devenait plus oppres-sante qu’à l’ordinaire. Il s’était séparé de sa femme quatre ans plus tôt. Elle vivait maintenant à Gênes 1. Il repensa à elle. Et comme à chaque fois, il se demanda ce qu’il se passerait s’il lui prenait l’idée de lui téléphoner. Elle était partie depuis trop longtemps pour qu’il puisse espérer – ou même vouloir – la reconquérir. Non, c’était simplement appeler pour vérifier qu’elle était là. Bien là. Qu’elle avait toujours la même voix. Et qu’elle pouvait encore reconnaître la sienne. Que tout n’avait pas disparu, ou définitivement changé. Oui, décidément, il était seul. Le fils de plus personne. Ni père, ni mari. Un homme de quarante ans qui mène sa vie sans personne pour poser un regard dessus. Il allait persévérer dans l’existence, réussir ou échouer sans que nul ne hurle de joie ou ne pleure avec lui.

Il déambulait dans les rues du marché, ressassant 2 ces idées, lorsque, tout à coup, il eut à nouveau le sentiment qu’on l’ob-servait. Il sentait le poids d’un regard dans son dos. Il en était certain. Il le sentait peser sur ses épaules. Cette fois, il ne se retourna pas. Il réfléchit. Des pickpockets avaient peut-être entrepris de le filer. C’était fréquent dans les ruelles du marché. Si c’était le cas, le mieux était de leur montrer qu’il se savait suivi, et qu’ils n’auraient pas pour eux l’avantage de la surprise. Il tourna alors la tête, le plus calmement possible, pour défier la violence si elle se présentait. Il fut saisi d’étonnement.

1. Gênes : ville portuaire du Nord-Ouest de l’Italie.2. Ressassant : se répétant à soi-même.

À quelques mètres de lui, une femme le regardait. Elle était immobile. Le visage sans expression. Ni demande. Ni sourire. Tout entière dans l’attention qu’elle lui portait. Il fut frappé par la volonté qui émanait de cette immobilité et de ce calme. Elle le regardait comme on fixe un point lointain que l’on veut atteindre. Il essaya de sourire mais n’y parvint pas tout à fait. Il ne savait que penser de cette présence. « Voilà que les femmes me regardent, se dit-il. Et moi qui m’imaginais déjà avoir à me battre. » Puis il reprit sa marche et n’y pensa plus.

Il quitta les ruelles engorgées du marché en laissant le soleil scintiller sur les toits et les pavés de Catane. Il quitta les ruelles du marché sans s’apercevoir que la femme, comme une ombre, le suivait.

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Dans l’atelier de Laurent Gaudé

Laurent Gaudé ou la nécessité de direUne œuvre foisonnanteNé en 1972, Laurent Gaudé a effectué des études de lettres et de théâtre à Paris. C’est d’ailleurs pour le théâtre qu’il forge d’abord son écriture : sa première pièce, Onysos le furieux, est publiée en 1997 et créée au Théâtre national de Strasbourg en 2000. Suivront d’autres pièces, puis un premier roman, Cris, en 2001. Le prix Goncourt des lycéens couronne La Mort du roi Tsongor en 2002 et, en 2004, l’écrivain est lauréat du prix Goncourt pour Le Soleil des Scorta, traduit depuis dans trente-quatre pays.Par la suite, l’œuvre de Laurent Gaudé investit et croise tous les genres : romans, nouvelles, pièces de théâtre et poèmes se succèdent et se nour-rissent mutuellement. Ainsi, l’héroïne éponyme Salina naît pour le théâtre en 2003, avant que son histoire ne se déploie à nouveau dans un roman, Salina, les trois exils (2018)  ; la nouvelle « Le colonel Barbaque », elle-même extension donnée au roman Cris 1, est mise en scène par Pascal Guin en 2018, dans une création entremêlant théâtre, musique et danse ; écrit en vers libres, Nous, l’Europe, banquet des peuples (2019) se donne à lire à la fois comme un récit, un poème et un appel adressé aux Européens. L’écriture même s’affranchit du cloisonnement traditionnel des genres : « De plus en plus, je mets du récit dans mon théâtre et du langage direct dans mes romans », reconnaît l’écrivain 2.Par-delà cette variété de genres, ses œuvres mobilisent aussi bien l’His-toire et la légende que l’époque contemporaine : si Cris plonge le lecteur

1. La nouvelle prolonge l’histoire de Ripoll, l’un des personnages du roman Cris : pendant la Grande Guerre, sur le champ de bataille, Ripoll est sauvé par le soldat M’Bossolo. Ce dernier meurt peu après de la grippe espagnole. Ripoll rejoint alors l’Afrique pour connaître la patrie de celui à qui il doit la vie.2. Marie-Pierre Genecand, « Entretien avec Laurent Gaudé », Le Temps, 27 septembre 2015.

dans l’enfer des tranchées de 1914, l’histoire de La Mort du roi Tsongor se situe dans une Afrique mythique, et Le Soleil des Scorta narre le destin d’une famille en Italie du Sud, du xixe au xxe siècle.

L’humanité face à la violence et à la splendeur du monde Dans ce foisonnement de genres et de matériaux, l’œuvre de Laurent Gaudé se reconnaît à une prédilection pour « des sujets qui portent du tragique et de l’épique en eux 1 », comme l’indique l’écrivain  : « Je vais spontanément vers des endroits où il y a de la fureur et des convulsions. J’aime aussi les événements dans lesquels les personnages sont expulsés de leur vie quotidienne, dépouillés de leur métier et de leur contexte fami-lier 2. » Dans ces espaces-temps, c’est l’humanité mise à l’épreuve qui est explorée, entre souffrance et force d’âme, tragédie et beauté. La pièce Le Tigre bleu de l’Euphrate (2002) fait résonner les derniers mots d’Alexandre le Grand, au seuil du trépas et sur le point d’entrer dans la légende. Dans la nouvelle « Sang négrier » (2007), un « homme brûlé », ancien comman-dant de navire négrier, raconte la traque de cinq esclaves en fuite dans la nuit de Saint-Malo, qui continue de le hanter des années plus tard. Créée à Dublin, la pièce Danse, Morob (2016) met en scène, de façon très poétique, une jeune Irlandaise en quête de la tombe de son père, ancien combattant de l’IRA 3. Ainsi, les personnages de Laurent Gaudé prennent vie lorsque leur existence bascule dans le fracas du monde. Mais cette expérience leur révèle les merveilles qui les entourent et la part d’humanité qu’il leur reste. Ce goût pour le « corps à corps avec les jours 4 » appelle un travail parti-culier sur la langue, qui unit souffle de la phrase et simplicité des mots. L’écrivain se reconnaît d’ailleurs pour modèles trois dramaturges emblé-matiques à cet égard : Racine, dont les personnages expriment la force de leurs passions avec la clarté lexicale et l’équilibre syntaxique de la langue classique ; Shakespeare, chez qui la démesure revêt des formes baroques, sonores et chatoyantes ; et Bernard-Marie Koltès, dramaturge

1. Ibid.2. Ibid.3. IRA : armée républicaine irlandaise. Organisation qui a lutté au xxe siècle contre la présence britannique en Irlande du Nord.4. Laurent Gaudé, texte liminaire du recueil De sang et de lumière, Actes Sud, 2017, p. 8.

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Aborder par la BDAvec les planches de Cécile Rousset

Observez l’histoire racontée en bande dessinée par Cécile Rousset (p. 9-14), puis répondez aux questions suivantes :

1. Saisir la progression des planchesQue raconte cette bande dessinée ? Quel en est le personnage principal ?

2. Analyser la représentation des migrantsComment la détresse des migrants est-elle figurée ? Pour répondre, appuyez-vous notamment sur les angles de vue choisis par la dessina-trice et sur la disposition des per-sonnages par rapport au cadre de l’image.

3. Interpréter le style du dessinQue pensez-vous de la façon dont sont dessinés les personnages, du noir et blanc et de l’absence de texte ?

4. Comprendre l’abstractionComment le dessin glisse-t-il progressivement d’une repré-sentation réaliste à une figuration symbolique ?

5. Repérer les détailsComparez la première et la der-nière case. Quel rapprochement graphique pouvez-vous faire  ? Comment l’interprétez-vous ?

Angles de vue : lorsque le sujet est regardé du dessus, la vue est dite « en plongée ». Lorsqu’il est regardé du dessous, la vue est dite « en contre-plongée ». Ces choix permettent de situer les personnages dans l’espace et les uns par rapport aux autres, pour leur donner une position de surplomb ou faire sentir la menace qui pèse sur eux. Case : zone de dessin délimitée par un cadre (qu’il soit matérialisé par un trait ou un espace « vide »). Planche : page entière d’une bande dessinée. Plans : façons de représenter une situation à des distances diverses. Le « plan large » désigne une vue d’ensemble, saisie de loin, qui s’attache au décor plutôt qu’aux personnages ou aux détails. Le « plan moyen » (ou « en pied ») donne à voir des personnages en entier ; il permet de préciser l’action. Le « plan rapproché » coupe les personnages à la ceinture et permet de concentrer l’attention du lecteur sur leurs gestes et leurs expressions.

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Questionner au fil du texteQue signifie « migrer »?

Une rencontre bouleversante Chapitre i

ENTRÉE DANS LE TEXTE PAR UNE MICROLECTURE

Lisez le deuxième paragraphe du roman. En quoi Salvatore Piracci appa-raît-il comme un homme singulier ? Que peuvent représenter ces « ran-gées de poissons disposés sur la glace, yeux morts et ventre ouvert » ?

ÉTUDE D’ENSEMBLE

Un commandant de la marine « seul » et « usé »

1. Où vit et travaille Salvatore Piracci ?

2. Quelle existence mène-t-il ?

3. Quelle image se dégage de lui, entre sa déambulation dans les ruelles et son premier échange avec la femme du Vittoria ?

Les retrouvailles avec une femme meurtrie

4. Quelles sont les étapes de la traversée racontée par la femme du Vittoria ?

5. Dans quel but cette femme fait-elle ce récit à Salvatore Piracci  ? Qu’est-ce qui relie les deux personnages ?

6. Comment Salvatore Piracci réagit-il  ? Dans quel état se trouve-t-il après le départ de cette femme ?

Le récit d’une histoire individuelle et d’un drame collectif

7. À la suite de ce récit, comment l’écrivain permet-il au lecteur de décou-vrir les rouages des traversées de la Méditerranée par les migrants ?

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La réserve de textesVisions de l’Eldorado Groupement 1

« L’herbe sera grasse […] et les arbres chargés de fruits. De l’or cou-lera au fond des ruisseaux », dit l’inconnu du cimetière de Lampedusa au commandant Piracci au chapitre v, en évoquant l’Eldorado (p. 113). De quoi ce mythe est-il le nom ? Né au xvie siècle des récits des Indiens et de la soif d’or des conquistadors espagnols, il n’a cessé, depuis, de tra-vailler notre géographie imaginaire et notre réflexion sur les désirs des hommes. Au Siècle des lumières, Voltaire y conduit Candide, héros naïf en quête du bonheur et d’une société idéale (ci-dessous). Mais l’Eldorado s’exhibe déjà comme une utopie, et c’est une Amazonie désenchantée que dépeint Jules Verne cent ans plus tard (p. 256). Que révèle la force d’attrac-tion pourtant toujours vive exercée par ce pays rêvé, où qu’on le situe ? Est-ce une utopie utile, ou à démystifier ? Ces questions irriguent les textes de Paul Nizan, qui interroge sa fascination pour l’Orient dans Aden Arabie (p. 257), et de Georges Perec, qui dans Ellis Island tente de saisir les promesses et la réalité, au xxe siècle, de l’Eldorado américain (p. 258).

Voltaire, Candide ou l’Optimisme (1759)

Écrivain emblématique du Siècle des lumières, Voltaire (1694-1778) a lu les chroniques des conquêtes espagnoles. Il y a puisé le mythe de l’Eldorado, qu’il s’approprie avec sérieux et fantaisie à la fois, dans le plus célèbre de ses contes philosophiques. Candide, le héros éponyme, et son valet Cacambo découvrent en ce pays une société idéale, faite d’abondance, de raison et d’harmonie, comme une réponse aux aspira-tions du xviiie siècle. Mais ils paraissent abandonner le bonheur pour la cupidité en décidant de regagner l’Europe.

[…] on leur fit voir la ville, les édifices publics élevés jusqu’aux nues, les marchés ornés de mille colonnes, les fontaines d’eau pure,

les fontaines d’eau rose ; celles de liqueurs de cannes de sucre qui coulaient continuellement dans de grandes places pavées d’une espèce de pierreries qui répandaient une odeur semblable à celle du girofle et de la cannelle. Candide demanda à voir la cour de justice, le parlement ; on lui dit qu’il n’y en avait point, et qu’on ne plaidait jamais : il s’informa s’il y avait des prisons, et on lui dit que non. Ce qui le surprit davantage et qui lui fit le plus de plaisir, ce fut le palais des sciences, dans lequel il vit une galerie de deux mille pas, toute pleine d’instruments de mathématiques et de physique.

[…] Ils passèrent un mois dans cet hospice. Candide ne cessait de dire à Cacambo : « Il est vrai, mon ami, encore une fois, que le châ-teau où je suis né ne vaut pas le pays où nous sommes ; mais enfin Mlle Cunégonde n’y est pas, et vous avez sans doute quelque maî-tresse en Europe : si nous restons ici, nous n’y serons que comme les autres ; au lieu que si nous retournons dans notre monde, seu-lement avec douze moutons chargés de cailloux d’Eldorado, nous serons plus riches que tous les rois ensemble, nous n’aurons plus d’inquisiteurs à craindre, et nous pourrons aisément reprendre Mlle Cunégonde. »

Ce discours plut à Cacambo ; on aime tant à courir, à se faire valoir chez les siens, à faire parade de ce qu’on a vu dans ses voyages, que les deux heureux résolurent de ne plus l’être et de demander leur congé à Sa Majesté.

« Vous faites une sottise, leur dit le roi. Je sais bien que mon pays est peu de chose ; mais quand on est passablement 1 quelque part, il faut y rester. […] Cependant, puisque vous voulez absolument partir, je vais donner ordre aux intendants des machines d’en faire une qui puisse vous transporter commodément. […] Demandez-moi d’ailleurs tout ce qu’il vous plaira. – Nous ne demandons à Votre Majesté, dit Cacambo, que quelques moutons chargés de vivres, de cailloux et de la boue du pays. » Le roi rit : « Je ne conçois pas,

1. Passablement : bien.

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