Deux enfants tués chaque jour ? Comment un chiffre jamais démontré est devenu une référence Résumé Se poser en défenseur des enfants semble être un puissant moyen d’anesthésier l’esprit critique de son interlocuteur. C’est ce que montre le travail de vérification de la validité du chiffre de « deux enfants tués par jour par leurs parents » annoncé par certains. Ce chiffre revient à énoncer quelque chose de manifestement absurde : que le total des enfants victimes d’homicides par leurs parents est supérieur au total des victimes d’homicides toutes classe d’âge confondues ! Cette affirmation est pourtant reprise depuis des années par des personnalités politiques, des autorités du monde de la santé (Académie de médecine, Haute autorité de santé, Conseil National de l’Ordre des Médecins, etc.) ainsi que par des associations de protection de l’enfance et donc de nombreux journalistes et médias de référence. Le résultat montre que l’on a moins de rigueur face à l’énoncé de ce chiffre que l’on en a par rapport aux propos de Donald Trump. L’auteur Laurent PUECH est assistant social, ancien président de l’ANAS et fondateur-animateur du site « Secret professionnel et travail social » [http://secretpro.fr/ ] Contact : [email protected]Pour citer cet article Puech L., « Deux enfants tués chaque jour ? Comment un chiffre jamais démontré est devenu une référence », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018 [en ligne]. URL : http://laurent-mucchielli.org/index.php?post/2018/01/24/Deux-enfants-tues- chaque-jour
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Deux enfants tués chaque jour ?
Comment un chiffre jamais démontré
est devenu une référence
Résumé
Se poser en défenseur des enfants semble être un puissant moyen d’anesthésier l’esprit
critique de son interlocuteur. C’est ce que montre le travail de vérification de la validité du
chiffre de « deux enfants tués par jour par leurs parents » annoncé par certains. Ce chiffre
revient à énoncer quelque chose de manifestement absurde : que le total des enfants victimes
d’homicides par leurs parents est supérieur au total des victimes d’homicides toutes classe
d’âge confondues ! Cette affirmation est pourtant reprise depuis des années par des
personnalités politiques, des autorités du monde de la santé (Académie de médecine, Haute
autorité de santé, Conseil National de l’Ordre des Médecins, etc.) ainsi que par des
associations de protection de l’enfance et donc de nombreux journalistes et médias de
référence. Le résultat montre que l’on a moins de rigueur face à l’énoncé de ce chiffre que
l’on en a par rapport aux propos de Donald Trump.
L’auteur
Laurent PUECH est assistant social, ancien président de l’ANAS et fondateur-animateur du
site « Secret professionnel et travail social » [http://secretpro.fr/]
6 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
torsions des données, des incohérences dans l’annonce de chiffres différents à peu de temps d’écart.
Enfin, certains ne donnent aucune source. Loin d’éliminer cette question de l’origine du chiffre, elle
la renforce. En tout cas pour ceux qui s’interrogent…
La construction de ce chiffre est basée sur une estimation intégrant, de façon légitime mais dans des
proportions qui ne le sont pas, le fait qu’il y a sous-enregistrement et sous-détection de cas d’enfants
tués. Après tout, nous ne savons pas combien d’homicides ne sont pas détectés comme tels3. Il n’est
donc pas rationnel de dire que ce chiffre est faux. Dans l’attente qu’il soit démontré comme valide, la
charge de la preuve appartenant à celui qui affirme un fait, il est cependant raisonnable de le
considérer comme faux. Car de multiples données permettent de mesurer à quel point il est « hors-
sol » et à contre-sens des tendances que montrent les données fiables quant à la mortalité des
enfants.
Ce chiffre se répand et provoque des effets nocifs, parfois pour les enfants eux-mêmes :
- Il vient renforcer les logiques de défiance de la population envers les professionnels de la
protection de l’enfance. Comment avoir confiance dans un système aussi « mauvais » et,
pire, qui serait, selon certains, composé de professionnels qui ne veulent pas voir ? Il produit
d’ailleurs probablement des effets de réserves dans l’alerte qu’un citoyen peut adresser
lorsqu’il constate une situation de maltraitance : « à quoi bon signaler aux services sociaux,
ils ne feront rien… » C’est un des aspects de la contre-productivité de ce type d’annonces
catastrophistes.
- Il réduit les situations de protection de l’enfance aux cas les plus dramatiques. On oublie ainsi
un élément essentiel : la taille de l’échantillon. Combien d’enfants bénéficiant d’une mesure
de prévention ou protection ? Combien de tensions et de réponses inadaptées aux besoins
de l’enfant trouvent dans les ressources environnementales et institutionnelles les moyens
de les résoudre ? Ce chiffre n’en dit rien. Il cache la forêt des situations qui évoluent loin du
drame.
- Il confond dans une même catégorie des situations où la probabilité est quasi-nulle d’arriver
à un homicide (celle dans laquelle on retrouve tous les enfants car on ne peut jamais garantir
que son parent ne commettra pas un jour un geste fatal…) et celles où il y a des risques
avérés de passage à l’acte avec un tel préjudice.
- Par conséquent, il est un levier pour influer sur la construction des réponses politiques qui,
fondées sur des dispositifs de détection et intrusion toujours plus forts, finissent pas
atteindre à la stabilité même de nombreuses familles et au bien d’enfants que l’on souhaite
pourtant protéger…
- Ce chiffre dénie la qualité du travail mené par les professionnels au jour le jour. L’évolution à
la baisse du nombre d’homicides sur mineurs, tendance forte comme nous allons le voir,
n’est jamais mentionnée : seul ce chiffre de « deux enfants par jour » est censé résumer leur
travail. C’est d’ailleurs aussi une invalidation des différentes évolutions du dispositif législatif
qui, à suivre ceux qui utilisent ce chiffre, n’auraient produites aucun impact significatif depuis
les années 80 sur le nombre d’enfants victimes morts suite à des maltraitances…
3 Sur les limites des statistiques concernant les décès, et plus particulièrement les homicides, voir l’article de
Laurent Mucchielli Les homicides dans la France contemporaine (1970-2007) : évolution, géographie et protagonistes, in Histoire de l’homicide en Europe. De la fin du Moyen-Age à nos jours, Laurent Mucchielli, Pieter Spierenburg, La Découverte, 2009, pages 129 à 161.
7 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
Ce chiffre n’est pas en lien avec la réalité. Mais il pèse sur son évolution.
Une désinformation proche de la « Fake News »
Comme de trop rares autres4, je dénonce depuis longtemps l’absence de fondement de ce chiffre et
ses multiples reprises ici et là. Il fut l’une des raisons pour lesquelles j’ai rapidement quitté le comité
de suivi d’un colloque au Sénat piloté par Anne Tursz5. Le fait d’avoir été associé sans consultation
préalable à un appel reprenant ce chiffre était inacceptable. Je ne souhaitais pas être lié au
renforcement de son apparente crédibilité.
J’ai depuis constaté le succès de sa diffusion, repris un peu partout dans les médias lorsqu’un drame
se produit en protection de l’enfance, ou encore à l’occasion de débats sur la législation, les seconds
suivants trop rapidement les premiers. L’émotion est un levier puissant qui pousse parfois le
décisionnaire politique et le législateur à des modifications de pratiques alors qu’aucune évaluation
véritable n’a permis de les affirmer invalides ou inefficaces…
Je constate que ceux qui agitent « l’épée du scandale » prennent de plus en plus de poids par rapport
à d’autres défenseurs de la protection de l’enfance adoptant des approches non-sensationnalistes.
Depuis au moins le XXème siècle, il existe une approche frontale qui s’appuie finalement sur l’opinion
publique pour imposer une façon de voir le rapport à l’enfant. Ils dénoncent le tabou et le déni des
autorités qui ne font « rien » ou jamais assez, s’appuyant sur des affirmations ou exemples chocs. Il
s’agit de s’emparer de l’émotion du public pour faire valider par le décideur les solutions
souhaitées… Le rôle des médias est essentiel dans cette stratégie. Ce chiffre n’est pas une donnée
mesurée mais un moyen de communication fort efficace.
J’ai souhaité vérifier une nouvelle fois la valeur de ce chiffre. Et j’ai découvert à cette occasion
qu’un tel travail avait déjà été mené une première fois en janvier 1990 par Dominique Girodet et
Pierre Straus, fondateur de l’AFIREM. Ils montraient que ce chiffre était alors sans fondements. Le
résultat de ma recherche montre qu’il l’est toujours en 2017.
Je veux par conséquent que professionnels, médias, élus ou citoyens puissent trouver aussi une
information critique sur ce chiffre. Car, qu’il soit énoncé par des médecins, des associations, des élus
ou des journalistes, ce chiffre constitue une tromperie pour celui à qui il est délivré. A l’heure où
l’on dénonce avec raison les « fake news », peut-être faudrait-il aussi renoncer à répandre un chiffre
qui n’en est pas si éloigné. De fait :
4 Voir par exemple les fortes réserves de Yves Faucoup, consultant dans le domaine de l’action sociale,
exprimées à plusieurs reprises dans ses billets sur Médiapart : Enfance maltraitée : le combat démagogique de la Première Dame (21/6/213), L’enfance manipulée (18/12/2013), La question de l’enfance mal traitée par les médias (14/1/2014) ou son article Enfants martyrisés : les « sociaux » coupables dans la Revue Empan (2015/1 (n°97), p. 122-128.) 5 Voir Un couac dans le comité de suivi du colloque sur la maltraitance des enfants Actualité Sociale
Hebdomadaire n°2386 du 6/12/2013 et Protection de l’enfance : « sur un sujet aussi émotionnel, nous avons besoin de raison », Travail Social Actualités n°37 daté par erreur « Novembre 2012 » (mis en ligne le 27 novembre 2013 sur le site de TSA, accessible via http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/2/09/45/81/TSA/Laurent-Puech-Vallini.docx.
8 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
- il est utilisé par des acteurs étant le plus souvent6 à la recherche de retombées politiques
(organisation nouvelle de la politique de protection de l’enfance et encore de la réponse
pénale), sur des bases que je qualifierai de précautionnistes7 ou protectionnistes et pour
lesquels il n’y a pas de risques acceptables.
- il permet d’attirer l’attention du public par la construction d’une pseudo-information choc,
- l’absence totale de la moindre vérification de son fondement par nombre de ceux qui le
citent les amène à transformer sciemment en « information » ce qui n’a que le statut de
« rumeur ».
- il relève d’une construction qui n’a pas de base solide et minore ou ignore les données
vérifiables.
C’est en cela que l’usage de ce chiffre participe à une forme de désinformation, fut-elle menée par
des gens bien intentionnés. Ce processus cherche à influer sur la décision politique, laquelle, comme
le dit le sociologue Gérald Bronner8, est indexée sur la représentation que les responsables politiques
se font des volontés de l’opinion publique. A l’heure des réseaux sociaux, il est aisé de constater une
réactivité forte de nombre d’internautes très actifs concernant les situations d’enfants maltraités et
qui pèsent sur la décision politique, parfois contre l’intérêt général. L’examen de certains débats
législatifs concernant la protection de l’enfance montre aussi que le législateur peut, comme le
citoyen ou le journaliste, produire un texte avec trop peu de mise en question de l’exposé des motifs
qui nourrit leur réflexion9.
Entre l’opinion publique et le décideur, même si la place des réseaux sociaux devient majeure, les
journalistes et les médias ont jusqu’à aujourd’hui joués un rôle majeur. Sur ce thème qui mobilise
des sentiments forts, et dans un contexte où le temps nécessaire à la vérification manque, les
journalistes peuvent être « piégés ». Comme le souligne Gérald Bronner10, comment alors résister à
cette « idéologie de précaution » qui « prétend toujours qu’il y a urgence à dénoncer, alors qu’il y
aurait parfois urgence à y regarder à deux fois. »
Ce dossier est un appel à y regarder à deux fois. Pour les journalistes, les professionnels, les
institutions, le législateur et les décideurs. Sans oublier le citoyen.
Ce dossier est forcément imparfait donc perfectible, soumis au regard critique des lecteurs. Je le
mesure d’autant plus que je n’ai pu y consacrer que des heures en dehors de mes autres différents
engagements. Même si je repère des points qui nécessiteraient d’être affinés encore, je pense que le
6 C’est par exemple l’objectif des associations de protection de l’enfance tout comme celui de professionnels
de santé tels que Anne Tursz, Muriel Salmona, Gérard Lopez, qui sont cités dans ce dossier. 7 Le précautionnisme est « la doctrine qui sous-tend la volonté d’appliquer partout le principe de précaution
(…). Comme toutes les idéologies, il a de bonnes intentions, mais engendre et engendrera des coûts matériels et humains exorbitants. (…) le mal que produit cette idéologie n’inspire pas l’effroi car il est, d’une certaine façon, indirect et donc socialement invisible. » L’inquiétant principe de précaution, Gérald Bronner et Daniel Géhin, PUF, 2010, page 6-7. 8 Idem, page 60.
9 Voir à ce sujet mon article Drame et émotion en protection de l’enfance : le professionnel et le législateur,
deux approches différentes, Revue Française de Service Social, n°243, novembre 2011, pages 36 à 44. J’y montre comment que chacun des drames présentés pour justifier l’adoption de la proposition de loi sont pourtant sans rapport avec celle-ci... 10
L’inquiétant principe de précaution, Gérald Bronner et Daniel Géhin, PUF, 2010, page 154.
10 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
1/ Confronter le chiffre
Un sujet à fort impact émotionnel
Selon un sondage récent11, la lutte contre la maltraitance des enfants constitue un objectif plutôt ou
tout fait prioritaire pour 93 % de la population. A la question « Quels sont tous les mots, toutes les
impressions qui vous viennent à l’esprit quand vous pensez à la maltraitance des enfants ? », les mots
qui dominent sont « horreur », « inadmissible », « honte », ignoble », injustice », « inhumain »,
« mort », « lâche »….
Comme le notent les auteurs de ce sondage, la « question de la maltraitance des enfants suscite chez
les français un sentiment extrêmement fort d’indignation et de rejet ».
Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant que l’attention soit forte sur la question de la protection
de l’enfance et que l’opinion publique soit inquiète et inquiétée par les données qui circulent parfois
concernant ce sujet. La moitié des personnes interrogées ont d’ailleurs le sentiment de ne pas être
suffisamment informées au sujet de la maltraitance des enfants. 72 % pensent en effet qu’il s’agit
d’un sujet « tabou », dont on ne parle pas… Et, malgré le fait que la protection de l’enfance soit une
politique publique importante en termes de moyens engagés et de dispositions légales, ils sont
quasiment autant (71 %) à trouver que la maltraitance n’est « plutôt pas » ou « pas du tout » prise
en compte par les pouvoirs publics. Sur cette question aussi, une défiance importante existe envers
les institutions.
Une donnée facilement accessible sur internet
Si l’on interroge le moteur de recherche Google avec les mots clés « Nombre enfants tués parent »,
le résultat est sans ambiguïté : sur les 10 liens proposés en première page, 7 donnent le chiffre dans
ses différentes versions (voir Annexe I).
A partir de ce résultat, il est donc probable que :
- celui qui pense déjà que deux enfants meurent chaque jour de la maltraitance de leurs
parents en ressortira conforté, le chiffre étant en apparence confirmé,
- celui qui n’a pas d’estimation sur le sujet en trouvera une apparemment validée, au moins
socialement,
- et celui qui doute de la valeur de ce chiffre aura du mal à trouver des éléments qui en
proposent une approche critique.
11
La maltraitance des enfants, Comment les Français se représentent-ils la maltraitance des enfants, dans quelle mesure y ont-ils déjà été confrontés ? Sondage Harris pour l’Enfant Bleu, septembre 2014
12 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
La présentation sous la forme de courbes comparées montre l’écart entre les données officielles sur
les homicides sur les moins de 15 ans (sources police/gendarmerie et médicales) et celles annoncées
par les défenseurs du « 2 enfants tués par jour ».
Comparaison chiffres officiels d’homicides sur mineurs de moins de 15 ans et chiffre « deux enfants par jour »
Sources pour le nombre des homicides sur mineurs de moins de 15 ans : Les homicides sur mineurs de 15 ans, par Marie CLAIS, in La note de l’Observatoire national de la délinquance et des
réponses pénales (ONDRP) n°17, octobre 2017. Données provenant de la police et de la gendarmerie. Données du CépiDc, Centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès. Ces donnée sur les causes médicales de
décès sont accessibles jusqu’à l’année 2014 sur le site http://www.cepidc.inserm.fr/
L’observation des courbes permet immédiatement de détecter un phénomène étrange : la baisse
impressionnante sur 20 ans du nombre de décès par homicide tous âge confondus d’un côté, et, de
l’autre, la stabilité parfaite durant la même période du nombre de décès d’enfants annoncés par
certains. Les homicides ont baissé de 53 % entre 1994 et 2014, passant de 1406 à 660/an ; celui des
homicides sur enfants annoncé par certains reste identique. Des lois importantes concernant la
protection des enfants sont pourtant venues depuis les années 80 améliorer les organisations et les
pratiques professionnelles. Le nombre moyen annuel d’homicide sur mineurs de moins de 15 ans a
baissé de presque 30%, passant de 79 pour la période 1996-2006 à 57 pour la période 2007-2016.12
Cela est sans effet si l’on en croit les défenseurs de ce chiffre... Cette différence d’évolution entre ces
données (baisse significative des chiffres police/gendarmerie vs stabilité parfaite du chiffre « deux
12
Source Les homicides sur mineurs de 15 ans, par Marie CLAIS, in La note de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) n°17, octobre 2017. Je remercie Laurent MUCCHIELLI pour avoir porté à ma connaissance cette étude au moment de sa parution.
15 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
alors probablement faux avec des chiffres eux-mêmes faux, ne permettant plus de mesurer l’ampleur
réelle d’un problème, surtout un thème mettant en œuvre des affects forts.
Par un raccourci forcément imparfait, on peut dire que le débat autour de la protection de l’enfance
est animé par deux approches :
- Celle de ceux agis principalement par une éthique relevant principalement de la conviction d’un côté et qui utilisent « l’épée du scandale »16 à coups de chiffres chocs diffusés dans les médias et auprès des décideurs. Ils proposent une vision très sombre, annonçant une réalité qui serait masquée, invisible parce que l’on ne voudrait pas la voir. Leur démarche est accusatrice : les professionnels de l’enfance seraient mauvais17 et trop « familialistes » (entendez qu’ils privilégieraient le maintien dans la famille et la place des parents) aux dépens des enfants, affirmation soutenue par des exemples de situations mais démontrée par aucune étude... et contredite par des parents d’enfants placés qui trouvent les professionnels trop rapides à placer, avec là aussi des exemples de situations. Ils viennent souvent du secteur médical et d’associations militantes.
- Celle de ceux qui agissent principalement sur la base d’une éthique de responsabilité, qui tentent de faire évoluer la protection de l’enfance sur la base d’éléments évalués en resituant la complexité et la diversité des situations. C’est plutôt la majorité des professionnels de la protection de l’enfance.
Bien entendu, l’éthique de conviction n’empêche pas la responsabilité. Mais les réponses entre les
deux sont bien différentes comme l’expliquait Max Weber dans Le savant et le politique. Face à cette
parole et présence forte dans l’espace public, qui ?
De fait, il y a une approche similaire entre des professionnels du médical, du social, du monde
associatif et des médias, qui favorise des interactions défendant que « deux enfants sont tués chaque
jour ».
Les voix inaudibles du secteur de la protection de l’enfance
Dans le secteur professionnel des acteurs de la protection de l’enfance ou du social, ce chiffre est
peu repris. Comme si ce secteur le méconnaissait ou gardait une distance à une donnée pourtant
censée être importante pour lui. Ce chiffre apparaît comme grotesque à beaucoup qui le disent
« entre eux » mais se taisent à l’extérieur. Il est probablement insupportable à d’autres, qui ne
pouvant le mesurer, l’acceptent en silence.
Et quand sa fiabilité est critiquée, la critique ne porte pas18. J’ai par exemple été interrogé pour le
documentaire Parents criminels – L’omerta française (2014). J’apparais et intervient en tant que
16
L’épée du scandale est le titre d’un livre paru en 1961 et signé d’Alexis Danan, journaliste. Il y retrace dans son ouvrage son combat dans les années trente, via son journal, pour dénoncer les violences faîtes aux enfants. Il va créer les comités Alexis Danan pour sensibiliser et alerter sur les mauvais traitements. La puissance de ce militantisme associant la sphère médiatique, associative et citoyenne est aujourd’hui encore à l’œuvre comme nous pouvons le voir dans ce dossier. 17
Voir par exemple le dossier La vérité ne sort pas toujours de La Voix de l’Enfant que j’ai coordonné pour l’ANAS . 18
Voir aussi ci-après le [32] dans le recensement de l’année 2014
16 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
représentant de l’Association Nationale des Assistants de service social (ANAS). L’enregistrement
s’est déroulé le 26 juin 201319. La journaliste Amal Mogaïzel posait les questions. Elle a parlé des
deux enfants mourant chaque jour de maltraitance. Elle avait assisté avec son équipe au colloque du
14 juin au Sénat, où ce chiffre avait été repris par plusieurs intervenants. J’ai émis en réponse toutes
les réserves concernant ce chiffre jamais démontré, l’absence de vérification par les médias à ce
sujet. J’ai développé ce point durant plusieurs minutes. Cette équipe avait donc au moins quelques
éléments pour prendre de la distance avec ce chiffre, voire enquêter sur sa validité… Rien de cette
partie n’a été gardée (mais il est vrai qu’il y avait beaucoup de matière et de sujets abordés – voir à
37mn30sec). Et au final, le résultat, c’est que le chiffre annoncé, loin d’être interrogé, est au
contraire utilisé et mis en avant comme un élément central justifiant le titre (Parents criminels :
l’omerta française).
De fait, par la nature et la quantité des faits qu’il est censé révéler, ce chiffre semble posséder une
qualité chez ceux qui l’utilisent : celle de son auto-validation du simple fait de son énoncé.
Comment discuter un chiffre lorsque le faire contient le risque d’une
disqualification ?
Ce chiffre est pour certains censé contenir en lui la démonstration indirecte d’un déni de notre
société, de son indifférence, d’une chape de plomb, d’un tabou et même d’une omerta…
« Ce qui est grave, c'est qu'on est toujours en plein déni. » Anne Tursz, Le Parisien, 2 mars 2015.
« Mais au quotidien, c’est plutôt de l’indifférence de la société dont ils font les frais. La psychanalyste Claude Halmos nous explique pourquoi une telle chape de plomb pèse sur le sort de ces enfants. » Psychologies 20
« le sujet reste souvent tabou ». sur le site de France Inter 21.
« Parents criminels, l’omerta française. » Titre d’un documentaire 22 diffusé en 2014.
Par conséquent, interroger la valeur de ce chiffre éveillera chez certains le soupçon de vouloir dénier
la réalité. Par un glissement argumentatif, la remise en question de ce chiffre s’apparente
probablement à une remise en cause de l’importance de la maltraitance et de ses dégâts sur de
nombreux enfants. La culpabilité que nous devrions en ressentir devrait-elle nous inciter à nous
taire, à accepter la « vérité révélée » ? Nous sommes là devant une forme d’intimidation morale qui
peut en effet limiter l’envie de vérifier la réalité du chiffre annoncé.
Ce déplacement du débat sur le terrain moral, avec des accusations fortes et l’usage d’expressions
radicales n’est pas rare quand on aborde le thème de maltraitance et de la protection de l’enfance.
19
Vu la sensibilité du sujet, j’ai enregistré l’intégralité de l’enregistrement avec l’équipe du documentaire. 20
18 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
2/ Principales citations du chiffre et analyse
critique
Cela a été précisé en introduction, ce nombre prend plusieurs formes. Il est parfois donné sous celle
d’un total annuel tandis que d’autres préfèrent un nombre/jour. Autre différence de présentation, il
est à certaines occasions présenté de façon fixe (600 enfants meurent chaque année, 2 enfants
meurent chaque jour), parfois sous la forme d’une « fourchette » approximative (entre 300 et 600
enfants..., 1 à 2 enfants par jour). Néanmoins, quelle que soit la forme choisie ou les années, il
présente une forme de stabilité concernant le « volume » d’enfants concernés par un homicide
parental. C’est en tout cas le constat que l’on peut faire en reprenant des affirmations qui s’étalent
sur plus de 30 années.
Dans cette remontée du temps, nous verrons apparaître aussi certains chiffres différents mais
toujours sur le même sujet. Il y a en effet plusieurs chiffres énoncés et il m’est apparu utile de
montrer l’essentiel de ce qui circule pour voir ce qui est repris ou pas, selon les acteurs mobilisés.
La synthèse présentée dans cette partie se fonde sur l’analyse sur le travail de reprise des principales
citations allant de la première trouvée et datant de 1981, jusqu’à 2017.24 Chacune de ces citations
est reprise avec sa source, classée par ordre chronologique, et décryptée en Annexe 2. Les références
données ici renvoient donc à la position de la citation dans l’Annexe 2 (par exemple : [38] renvoie à la
citation 38 de l’Annexe 2). La quantité des données et des commentaires rendaient plus aisé cette
organisation de leur présentation.
Les critères pour apprécier la valeur des affirmations examinées
Pour chacune de ces affirmations, un niveau de valeur de l’énoncé sera proposé. Pour déterminer
cette valeur, deux premières questions seront posées :
- Une source est-elle citée dans l’affirmation ? - Si oui, cette source est-elle d’une qualité suffisante pour crédibiliser la réalité du chiffre
annoncé dans la citation ?
Il s’agit donc de retrouver la ou les sources fiables, c’est à dire une ou plusieurs études ayant permis
de conclure nettement à cette ampleur du phénomène. Nous devons aussi être attentifs à la
question de l’argument d’autorité, lequel contient un biais puissant : celui de crédibiliser la valeur
24
En fait, il existe une affirmation antérieure. C’est celle de Bertrand Boulin, créateur d’une charte des enfants et qui affirmait dans Libération le 10 février 1977 que 8000 enfants étaient tués chaque année en France du fait de maltraitance… Affirmation tellement fantasque qu’elle ne s’est pas inscrite et n’a jamais été reprise par ailleurs. (Merci à Yves Faucoup de m’avoir signalé cette source à laquelle il avait réagi http://yvesfaucoup.blog.lemonde.fr/2013/06/)
19 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
d’une affirmation sur une ou plusieurs caractéristiques de l’énonciateur. Il n’est cependant pas une
preuve. Derrière l’énonciateur, on doit trouver un travail, une démonstration solide.
Une troisième question sera donc posée après chaque affirmation :
- La force de l’affirmation repose-t-elle sur l’autorité de celui qui l’énonce ou de la source qu’il cite, ou d’une démonstration fiable ?
Enfin, cette progression dans le temps va nous permettre de détecter les stratégies argumentatives
utilisées par différents auteurs, avec le chiffre « 2 enfants par jour » pour influer sur les pouvoirs
publics et dans le même temps sur l’opinion publique. Car, au-delà de son caractère fondé ou pas, ce
chiffre apparaît surtout comme un moyen performant de communication.
Les citations sont distinguées en trois périodes pour mieux en cerner cette progression :
- 1981 – 2007 : le chiffre apparaît da façon affirmative par des organisations militantes, il est
repris dans des rapports avec une certaine distance.
- 2008 – 2012 : une étude consacrée aux homicides sur des nourrissons est publiée et trouve
un relais dans les médias. Cependant, le sujet reste centré sur l’objet de l’étude, à savoir les
nourrissons de moins de un an. Ce travail va faciliter la « nouvelle jeunesse » du chiffre.
- 2013 – 2017 : la jonction est faîte par l’auteure de l’étude sur les homicides de nourrissons
avec le chiffre de « deux enfants tués par jour ». Cela donne un nouvel élan au déploiement
au succès de ce chiffre.
En résumé
Du côté de ceux qui diffusent ce chiffre
- Le chiffre provient probablement de données anciennes et partielles qui ne permettaient pas de conclure à « deux enfants tués chaque jour ». Cette invraisemblance du chiffre était déjà démontrée en 1981 par le Président de l’Association Française d’Information et de Recherche sur l’Enfance Maltraitée (voir [1]).
- Dans ce jeu de reprise, il n’y a le plus souvent pas de vérification sérieuse des données.
- Bien que les données officielles police/gendarmerie, qui proviennent de services qui améliorent en permanence la qualité de leurs investigations, montrent un total dix fois moins important que celui annoncé par le « deux enfants tués par jour » et une baisse du nombre moyen annuel d’homicide sur mineurs de moins de 15 ans, cela ne semble avoir aucun impact sur la crédibilité accordée au chiffre et sa reprise.
- Jusque dans les années 2013, le chiffre va être cité, repris, parfois avec des réserves. Il prend de la consistance par ces multiples citations par des autorités médicales, politiques ou législatives et la continuité de sa présence est entretenue par des associations protectionnistes de l’enfance.
20 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
- On voit par exemple que des informations essentielles sont perdues dans ce jeu de reprises
successives. Ainsi de la vérification par le Président de l’AFIREM en 1981 qui n’est plus citée par la suite. Ainsi aussi, dans un rapport de l’Académie de Médecine (voir [7]) en 2002, où il est expliqué la délicatesse de l’estimation d’un chiffre pourtant repris et qui provient… d’un rapport du Sénat de 1998 (voir [6]). Ce rapport de 1998 citait ce chiffre en se basant sur un autre rapport du Sénat de 1989, lequel annonce pourtant que « les données statistiques disponibles en France demeurent parfaitement inutilisables, tant leur fiabilité reste sujette à caution. » (voir [3]. Du simple fait de reprendre l’estimation et de la citer avec l’autorité de l’Académie de Médecine, alors que les auteurs en mesurent la fragilité, le risque de « validation » s’en trouve renforcé. La Fondation pour l’Enfance, comme d’autres, participera à ce jeu de citation de rapports reprenant des données sans validité (voir [44]).
- La circulation de ce chiffre accolée à une autorité du secteur médical, par la crédibilité qu’elle semble lui conférer, est un des facteurs de sa diffusion. Un rapport de l’Académie de Médecine le cite (voir [7]), mais aussi le Président-Directeur de l’INSERM (voir [22]), la Haute Autorité de Santé (voir [34]), le Bulletin de l’Ordre National des Médecins (voir [37]) et les professionnels de santé Anne Tursz, Gérard Lopez, Muriel Salmona, Sylvie Lecuivre, Gilles Lazimi, etc. Or, chaque analyse de la validité de leurs affirmations amène au même résultat : impossible de trouver la moindre démonstration étayant le propos pourtant énoncé sous une forme clairement affirmative et avec autorité.
- Des responsables politiques ne manquent pas de reprendre et diffuser ce chiffre, ne faisant manifestement que répéter ce qui leur a été dit sans vérification aucune. Marine Le Pen en fait un des arguments de son meeting d’entre deux-tours de sa campagne présidentielle 2017 (voir [51]). Le sénateur André Vallini le défend à plusieurs reprises (voir [23] et [29]) et son collègue Olivier Cadic l’utilise de façon appuyée lors de débats au Sénat (voir [39]). Mais, peut être que le sommet est atteint lorsque la ministre de la Justice en exercice, Christiane Taubira, le reprend à son compte dans un discours consacré à la protection de l’enfance en 2013 (voir [25]).
- Certains auteurs des affirmations ne se soucient que peu de la cohérence de leurs affirmations. Ainsi, le Dr Gérard Lopez donne dans la même année 2013 deux estimations : plus de 1 enfant tué par jour et plus de 2 enfants tués par jour, sans source mentionnée dans aucun des deux cas (voir [30] et [31]). Sa collègue Muriel Salmona, Présidente de l’association mémoire Traumatique et Victimologie, annonce « au moins 700 enfants » tués par an en 2012 (voir [17]), entre 110 et 480 en 2016 (voir[45]) et « au moins 300 » en 2017 (voir [46]). Les données qu’elle cite, quand elle le fait, sont d’ailleurs organisées d’une façon modifiée par rapport aux données d’origine.
- Autre exemple de citations variables selon l’époque, l’Association La Voix de l’Enfant qui en 2006 donne un chiffre de « plus de trois cents enfants » (voir [10]) alors que cette même association annonçait en 1998 de 700 à 800 enfants tués par an (voir [5]). La seule cohérence entre les deux estimations se trouve dans l’absence de source à l’appui. Mais lorsqu’elle commence à faire un travail de recensement médiatique des homicides, c’est un véritable coup de théâtre ! Voici en effet que la Voix de l’Enfant annonce fin 2017 un chiffre de un à deux enfants tués par… semaine, tombant à 50 à 100 homicides par an (voir [52]), invalidant par là même et fort discrètement toutes les annonces, les siennes et celles des autres associations, et chiffres lancés depuis des décennies ! C’est un moment important où une des associations très présentes sur le terrain de la protection de l’enfance vient annoncer des chiffres qui rejoignent les estimations les plus étayées. Un mouvement que je salue et, s’il se confirme, constitue peut-être un tournant.
21 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
- La présentation des donnés tire souvent vers la version la pire de l’estimation proposée. C’est un élément que l’on retrouve dans plusieurs citations analysées en Annexe 2.
- Et quand une explication est donnée sur la supposée-validité du chiffre, elle amène alors à des réserves quant à sa justesse (voir [11], [45], [46] ainsi que toutes les citations basées sur l’étude de 2008 sur les homicides de nourrissons étudiée en partie 3 de ce dossier).
- La publication de l’étude sur les homicides de nourrissons en 2008, et la reprise à partir de 2013 du chiffre « deux enfants tués par jour » par son auteure et une série de personnalités mobilisées par son auteure semblent donner une assise solide au chiffre. Nous passons d’une affirmation portée en avant par les associations, à une « donnée » semblant provenir d’une étude scientifique et portée par une chercheuse.
- Cette étude ne permet pourtant en aucun cas une telle conclusion comme nous allons le voir dans la partie 3 de ce dossier.
Du côté des médias
- La reprise du chiffre est le plus souvent référée à une professionnelle du médical ou une seule étude scientifique (celle sur les homicides de nourrissons). L’autorité de l’interlocuteur et l’étude semblent donc suffire à valider la thèse de deux enfants tués par jour.
- L’aspect scandaleux du chiffre du fait de la gravité de la situation qu’il est censé décrire et le fait de décrire une situation concernant des enfants (période de la vie renvoyant une image de pureté, innocence et fragilité) font du chiffre un outil de communication à forte capacité de susciter l’intérêt d’une partie des journalistes.
- Ce chiffre censé illustrer un « tabou » et un « déni » de notre société circule donc sans grande difficultés, à la différence des données solides et établies en la matière.
- Le contexte de travail des journalistes, souvent marqué par un temps limité à consacrer à un sujet, constitue un frein à une vérification minimale de l’information extra-ordinaire qui est faîte et qu’ils vont relayer.
- Fort heureusement, au moment où est publié ce dossier, une journaliste en charge de vérifier la valeur des informations montre qu’un travail critique est possible. Je constate cependant que ce sont maintenant des services dédiés à la vérification de la crédibilité des informations qui corrigent les informations diffusées par d’autres journalistes. L’examen critique ne pourrait donc exister qu’a posteriori ?
- Le travail d’Anne Tursz occupe depuis 2008 une place essentielle car son étude sur les homicides de nourrissons et ses propos semblent constituer aujourd’hui le fondement apparemment scientifique du chiffre repris et diffusé par les associations et les médias.
C’est pourquoi ce travail sur la chronologie du déploiement de ce chiffre dans l’espace public (voir le détail en Annexe 2) doit être complété par une analyse de l’étude sur les homicides de nourrissons et l’utilisation qui en est faîte.
22 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
3/ Analyse critique de l’étude Tursz-INSERM sur les homicides
des nourrissons : fragilités multiples et extrapolations invalides.
« Sortir « une étude » de son contexte et la réduire à ses résultats en occultant la méthode qui a permis de l’obtenir relève au mieux de la négligence, au pire de la désinformation. Extrapoler les résultats de
« une étude » en dehors du contexte dans lequel ils ont été établis relève de l’ignorance ou de la prise de position et ne devrait se faire
qu’au conditionnel. Pas à l’indicatif. Et toujours en rappelant les éléments de méthodes supportant les résultats. »
Bastien Castagneyrol25
Avertissement : cette partie 3 du dossier peut être lue indépendamment de la partie 2 Confronter le
chiffre. On pourra donc y retrouver certaines données déjà énoncées dans la partie précédente.
Lorsque les résultats de l’étude de l’U 750 de l’INSERM pilotée par la pédiatre et épidémiologiste
Anne Tursz ont été publiés en 2008, ils ont été laissés dans l’ombre par une bonne partie des
différents acteurs professionnels du secteur de la protection de l’enfance. Trop exagérés pour les
uns, ou provenant d’une auteure dont l’engagement est considéré comme menant à des positions
radicales et excessives pour d’autres, ils ont été le plus souvent jugés comme non-pertinents et ne
méritant pas attention.
Ce fut une double erreur. Tout d’abord, c’est une approche critique méthodique qui peut venir
interroger la pertinence d’une étude scientifique. Ni un jugement, ni même plusieurs, quand bien
même ils sont convergents ne le peuvent.
Ensuite, cette position a laissé dans le silence ce travail et ses résultats mais leur a laissé du coup
champ libre pour s’installer comme démontrés dans le champ médiatique. En effet, où trouve-t-on
une analyse critique de cette étude lorsque l’on s’y intéresse ? Nulle part. Incontestée
publiquement, elle peut dès lors paraître incontestable. Par contre, on va trouver une équipe de
recherches qui a une vraie consistance scientifique, des travaux menés sous l’égide de l’INSERM, des
publications dans et à la demande d’institutions sérieuses avec une forte crédibilité scientifique.
C’est ainsi que Anne Tursz et le travail mené par l’équipe de l’U 750 de l’INSERM26 se sont inscrits
comme des références qui ne font pas débat, puisque débat il n’y a jamais eu. En conséquence, à
partir des années 2010, l’appui sur cette publication pour « fonder » l’affirmation de « deux enfants
tués par jour » a été assez « évident ».
Et pourtant, ce travail soulève des questions sur sa teneur et la valeur de ses résultats. C’est donc
une ébauche de travail critique qui est proposée ici.
25
« D’après une étude » : cet imparable argument d’autorité dont il faut se méfier. Slate, 16 mars 2017 26
Anne Tursz, Monique Crost, Pascale Gerbouin-Rérolle, Julien Beauté. Inserm U750, Villejuif, France
23 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
L’utilisation des travaux de cette équipe Anne Tursz pour valider l’idée du chiffre de deux enfants par
jour tués par leurs parents nécessite la satisfaction de plusieurs conditions :
- Une étude construite sur des données valides, solide sur le plan méthodologique et ses ses conclusions.
- La possibilité d’extrapoler les résultats à l’ensemble d’une population plus large que celle étudiée. Car l’étude en question ne concerne qu’une partie des mineurs : les nourrissons de moins de un an.
I Présentation synthétique de l’étude
L’équipe de l’U 750 de l’INSERM part de l’hypothèse issue de la littérature scientifique internationale
que la part des homicides dans la mortalité infantile est certainement sous-estimée. Il en résulterait
des confusions entre homicides, mort subite du nourrisson et morts de cause inconnue dans la
catégorisation de ces décès.
L’équipe engage alors une étude rétrospective sur les morts suspectes des nourrissons portant sur
les années 1996 à 2000, dans trois régions : Bretagne, Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais. Elle
rassemble les données de l’étude auprès des services hospitaliers accueillant des enfants décédés
(enquête sources hospitalières) et des Parquets (enquête sources judiciaires).
Elle va comparer les statistiques de ces deux études hospitalières et judiciaires aux statistiques du
Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) de l’INSERM.27 Cet organisme
recense chaque année au niveau national les données du nombre et des causes de décès en France.
Parmi les résultats publiés par cette l’équipe de l’U 750, une partie concerne directement le sujet que
nous étudions ici :
« Le recoupement avec les données du CépiDc a montré la sous-estimation des homicides (de 3 à 15
fois plus nombreux que le chiffre officiel, selon l’enquête) ; les diagnostics de morts accidentelles,
morts de cause inconnue et MSN recouvrent souvent des homicides. Le peu de fiabilité des
statistiques de mortalité est en grande partie lié à l’insuffisante collaboration entre secteurs (non
transmission à l’Inserm des informations hospitalières et des instituts médico-légaux). »28
Cette présentation volontairement rapide sera approfondie dans le chapitre II - Les limites de l’étude.
Nous allons en effet voir que plusieurs éléments doivent être interrogés.
27
« Le CépiDc, Centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès, est un des nombreux laboratoires de l'Inserm. Les missions essentielles du CépiDc sont la production annuelle de la statistique des causes médicales de décès en France (…), la diffusion des données et les études et recherches sur les causes médicales de décès. » http://www.cepidc.inserm.fr/ 28
Tursz A, Crost M, Gerbouin-Rérolle P, Beauté J. Étude épidémiologique des morts suspectes de nourrissons en France : quelle est la part des homicides ? Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire. 2008 ; 3-4 : 25-28. Téléchargeable sur http://invs.santepubliquefrance.fr//beh/2008/03_04/beh_03_04_2008.pdf
24 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
L’étude et les différentes publications
Ce travail de recherche va se décliner en plusieurs écrits, de différentes natures, reprenant des
présentations et précisions différentes. Ce sont ces documents qui ont été consultés et vont nous
permettre de mieux cerner le contenu et la valeur de ce travail29.
Janvier 2008
Étude épidémiologique des morts suspectes de nourrissons en France : quelle est la part des homicides ? Tursz A, Crost M, Gerbouin-Rérolle P, Beauté J. Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire. 2008 ; 3-4 : 25-28. Téléchargeable sur http://invs.santepubliquefrance.fr//beh/2008/03_04/beh_03_04_2008.pdf
Cet article scientifique paru dans le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, revue de l’Institut de
Veille Sanitaire (InVS) est le document central des publications. On y trouve une présentation de
l’étude, de ses résultats et des conclusions qu’en tire l’équipe de recherche.
Quelques années auparavant, une partie des travaux de l’étude auprès des Parquets avait été
publiée dans un rapport pour le Ministère de la Justice.
Juillet 2005
Quelles données recueillir pour améliorer les pratiques professionnelles face aux morts
suspectes de nourrissons de moins de un an ? Etude auprès des Parquets. Rapport à la
Mission de Recherche Droit et Justice. Ministère de la Justice, juillet 2005. Tursz A, Crost M,
En 2009, Anne Tursz publie un article consacré à la maltraitance cachée. Elle y reprend des données
de l’étude.
Juin 2009
La maltraitance cachée : pour une meilleure connaissance épidémiologique
Anne Tursz, Archives de Pédiatrie, Volume 16, Issue 6, June 2009, Pages 936-939
29
Pour une consultation plus large de ses publications, voir la page http://www.cermes3.cnrs.fr/fr/membres/163-Tursz-anne ainsi que https://www.cairn.info/publications-de-Tursz-Anne--55967.htm ou encore https://www.onpe.gouv.fr/chercheurs-protection-enfance/Tursz-anne
D’autres publications existent mais, du fait de leur écriture en anglais, elles n’ont pas été
consultées dans le cadre de notre travail30.
La présentation, ou plutôt les présentations de l’étude rendent parfois difficile de bien cerner
certains aspects. Elles permettent aussi d’obtenir plus d’informations que celles contenues dans
l’article scientifique principal de janvier 2008. Le format de ce type de publication n’autorise pas à
pousser trop loin la présentation d’un travail et les multiples données qui aboutissent à la production
de « seulement » quatre pages. D’où l’intérêt de pouvoir disposer aussi des données et précisions
complémentaires communiquées dans les autres écrits d’Anne Tursz.
Parties hospitalière et judiciaire : une présentation très inégale
Premier problème, qui apparaît rapidement, celui de l’inégale précision dans la présentation des
deux parties qui constituent la base de l’étude. C’est de la partie hospitalière de l’étude qu’est issu le
facteur multiplicateur X 15. Pour 2 cas recensés comme homicides par le CépiDc, l’enquête en
trouve 32. Cela amènera Anne Tursz à appliquer ce facteur multiplicateur aux données nationales
des homicides de nourrissons, les amenant de 17 recensés comme tels en moyenne par le CépiDc
durant la période 1996-2000 à 255. Ce facteur multiplicateur est mis très en avant dans les
publications autour de l’étude provient de la partie de l’enquête très peu détaillée. Par contre, la
partie judiciaire de l’étude prend une part majoritaire dans les écrits, voire exclusive.
Un simple comptage du nombre de lignes consacrées dans le livre Les oubliés à chacune des parties
de l’étude est particulièrement indicatif. La partie judiciaire représente plus de deux mille cent
(2 100) lignes du livre tandis que la partie hospitalière se situe en dessous des quarante (40) lignes.
Moins que la présentation conjointe des deux études (55 lignes)… Et on ne trouve aucune trace de
données de l’étude hospitalière dans les tableaux en Annexe. Y figurent seulement la partie judiciaire
et d’autres données.
L’article La maltraitance cachée : pour une meilleure connaissance épidémiologique de 2009 présente
aussi quasi-exclusivement les données issues de la partie judiciaire de l’étude. Le facteur
multiplicateur X15 n’y apparaît d’ailleurs pas. Seules quelques données expliquant la sous-estimation
des homicides proviennent de la partie hospitalière.
30
Tursz A, Crost M, Gerbouin-Rérolle P, Cook J M. Underascertainment of child abuse fatalities in France: retrospective analysis of judicial data to assess underreporting of infant homicides in mortality statistics Child Abuse and Neglect 2010; 34: 534-544. https://www.researchgate.net/publication/222242354_Underascertainment_of_child_abuse_fatalities_in_France_Retrospective_analysis_of_judicial_data_to_assess_underreporting_of_infant_homicides_in_mortality_statistics Tursz A, Cook J M. A population-based survey of neonaticides using judicial data. Arch Dis Child Fetal Neonatal Ed Published Online First: 6 December 2010 doi:10.1136/adc.2010.192278 http://fn.bmj.com/content/96/4/F259.long
27 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
Le constat qui découle de cette situation est simple : la quasi-totalité des informations concernant la
partie hospitalière de l’étude sont contenues dans l’article scientifique du BEH de janvier 200831.
Très peu d’informations sur cette part essentielle du travail est accessible au lecteur. C’est pourtant
celle qui permet à l’auteure d’annoncer que le nombre des homicides de nourrissons est 15 fois
supérieur à celui figurant dans les statistiques du CépiDc.
Pour le dire autrement, la partie la plus « choc » des résultats affichés par cette équipe est celle sur
laquelle on trouve le moins d’informations.
Or, plus une affirmation est extra-ordinaire, plus élevée doit être la qualité de sa démonstration.
Cette situation pose problème et constitue le premier des points qui peut être considéré comme une
limite aux conclusions de cette étude. C’est parce que les résultats les plus diffusés et repris
proviennent de cette partie hospitalière que je vais traiter « seulement » cette part de l’étude.
Cependant, même si elles apparaissent en moins grand nombre que pour la partie hospitalière, des
questions se posent aussi pour la partie judiciaire32.
C’est bien le facteur multiplicateur de la partie hospitalière qui sert à Anne Tursz de « fer de lance »
pour affirmer une sous-estimation du nombre d’homicides de nourrissons mais aussi plus largement
d’enfants :
« En appliquant le facteur de correction proposé à l’issue de la partie hospitalière de notre
enquête (multiplier le chiffre officiel par 15), on obtiendrait un chiffre annuel national
d’homicides pour les seuls enfants âgés de moins de 1 an de 255. »33
« C’est le chiffre noir de la maltraitance en France : deux enfants meurent tous les jours sous
les coups. C’est la pédiatre et épidémiologiste Anne Tursz qui est parvenue à ce résultat. En
compilant les données des tribunaux et d’hôpitaux, cette directrice de recherche à l’INSERM a
estimé à 250 le nombre de décès annuel d’enfants de moins de un an victimes de
maltraitances : « Bien loin des 17 à 20 des statistiques officielles de mortalité », souligne-t-
elle. En extrapolant, elle évalue à 600 à 700 le nombre de décès des moins de 15 ans. Soit
deux par jour. »34
31
Étude épidémiologique des morts suspectes de nourrissons en France : quelle est la part des homicides ? Tursz A, Crost M, Gerbouin-Rérolle P, Beauté J. Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire. 2008 ; 3-4 : 25-28. 32
Par exemple sur le rôle du comité d’expert et des effets de ses conclusions sur les classements dans les différentes catégories, sur la faiblesse des investigations menées dans l’enquête judiciaire pour certains cas et l’effet sur les conclusions judiciaires ou de l’équipe de l’U 750 de l’INSERM, sur le recueil des informations dans les dossiers judiciaires par l’équipe elle-même, etc. 33
Les morts violentes de nourrissons : Trajectoires des auteurs, traitements judiciaires des affaires, Anne Tursz, Inserm—CNRS, Rapport à : L’Observatoire national de l’Enfance en Danger La région Île de France La Fondation pour la recherche en psychiatrie et en santé mentale La Fondation Wyeth pour la santé de l’enfant et de l’adolescent, Février 2011, page 8. 34
Site France Info, Jérôme Jadot, 11 février 2013, http://www.franceinfo.fr/education-jeunesse/le-plus-france-info/maltraitance-quelles-failles-dans-le-systeme-de-protection-infantile-888479-2013-
28 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
II L’étude hospitalière et ses limites
Plusieurs points de fragilités apparaissent dans cette étude. Par leur nombre et leur teneur, ces
points obligent à une grande prudence quant aux conclusions qui sont tirées de ce travail de
recherche.
Une enquête de type rétrospectif
La méthode d’enquête pour la période étudiée a été celle d’une étude rétrospective. Les auteurs de
cette recherche ont choisi au moment de son élaboration en 2000, de revenir sur une période
antérieure, celle allant de 1996 à 2000. A la différence des études prospectives, qui nécessitent de
suivre des résultats sur la durée de l’étude, les études rétrospectives offrent l’avantage d’avoir des
données déjà existantes qu’il faut recueillir. Cependant, en termes de fiabilité, elles s’avèrent moins
performantes que les études prospectives, du fait de l’ancienneté des données qui engendrent des
risques d’omission de données lors de leur recueil. Ces limites sont précisées par les auteurs :
« L’étude est de type rétrospectif et en comporte les inconvénients (nombreuses données
manquantes, dans les dossiers hospitaliers notamment) (…). »35
C’est une question majeure car la variabilité des résultats est importante et dépend notamment de
la méthode employée. Ainsi, dans sa Revue de littérature - « La maltraitance intrafamiliale envers les
enfants »36 pour l’Observatoire National de la Protection de l’Enfance, Anne-Clémence Schom écrit à
partir de deux articles scientifiques37 qu’il y a aujourd’hui « Consensus de la communauté scientifique
pour encourager la réalisation d’études prospectives qui permettent de renforcer les arguments en
faveur d’un lien de causalité et d’éviter les biais de mémorisation retrouvés dans les études
rétrospectives. »
Nous allons voir ici que la question de la mémoire et de ses limites sont clairement posés dans la
partie hospitalière de l’enquête.
Le recueil des données et ses failles
« En juin 2001, des questionnaires individuels anonymes à remplir pour chaque enfant arrivé décédé
entre le 1- 01-1996 et le 31-12-2000 ont été envoyés par voie postale à tous les services,
accompagnés d’un courrier explicatif. Deux relances postales ont été effectuées (en septembre et
novembre 2001), puis les relances se sont poursuivies par téléphone. Le recueil des données s’est
achevé en mars 2003. Dans les trois régions, 33 services hospitaliers ont été concernés.
35
Tursz A, Crost M, Gerbouin-Rérolle P, Beauté J. Étude épidémiologique des morts suspectes de nourrissons en France : quelle est la part des homicides ? Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire. 2008 ; 3-4, page 28. 36
Voir page 86 de ce rapport publié en aout 2016, téléchargeable via https://www.onpe.gouv.fr/actualite/maltraitance-intrafamiliale-envers-enfants-revue-litterature 37
BENAROUS X., CONSOLI A., RAFFIN M., et al. Abus, maltraitance et négligences : (1) épidémiologie et retentissements psychiques, somatiques et sociaux. Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence. 2014, 62, p. 299-312. & BENAROUS X., CONSOLI A., RAFFIN M., et al. Abus, maltraitance et négligences : (2) prévention et principe de prise en charge. Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence. 2014, 62, p. 313-325.
29 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
Dans les questionnaires, les pédiatres étaient interrogés sur : les investigations menées ; le diagnostic
porté ; une éventuelle suspicion de mauvais traitements et ses critères ; les décisions prises et actions
entreprises. » (Tursz et al, Janvier 2008, page 26)
Plusieurs remarques à cette description, avec une réserve toutefois. Il est possible que les questions
ou biais potentiels énoncés ci-après aient été éliminés par l’équipe de recherche afin qu’ils n’en
faussent pas les résultats. Mais je n’ai trouvé aucune indication en ce sens dans les différentes
productions consécutives à cette étude.
- Les seuls éléments dont dispose l’équipe de recherche pour cette partie de l’étude, ce sont ces questionnaires. L’équipe n’a pas eu accès directement aux dossiers médicaux. Toutes ses analyses se construisent sur les réponses des pédiatres. C’est une différence importante avec l’enquête judiciaire auprès des Parquets qui a été renseignée à partir d’un accès direct au dossier judiciaire38.
- Les questionnaires sont destinés à être renseignés par les pédiatres des services au moment de l’étude. Si l’anonymat est pour celui qui renseigne le document, le questionnaire ne garantit pas que le répondant soit effectivement le pédiatre du service. De plus, nous sommes possiblement jusqu’à un maximum de sept années écoulées entre les faits et le renseignement du questionnaire (début des cas recensés en 1996 – dernières réponses en mars 2003). Dans la majorité des cas, il y a probablement au moins deux ans avec le plus récent des cas sur lequel porte le questionnaire (envoi en juin 2001 des questionnaires). Plusieurs relances ont été nécessaires pour obtenir l’intégralité des retours, ajoutant aux durées séparant le témoignage sur questionnaire/cas restitué. Des questions sont par conséquent posées concernant la mémorisation et le biais possible qu’il entraîne pour la qualité des réponses.
- Les pédiatres qui ont renseigné le questionnaire étaient-ils en poste au moment des faits ? Il y a potentiellement deux catégories de pédiatres qui ont pu répondre et leur connaissance et implication dans le dossier sont différentes.
- Les investigations menées et le diagnostic porté semblent a priori aisés à retrouver dans un dossier médical. Cependant, il n’est pas certain que tous les actes aient été renseignés ni toutes les pièces parfaitement conservées. Il existe dans la confection des dossiers médicaux et leur archivage des oublis ou erreurs, notamment de manipulation des pièces, que ce soit des dossiers informatiques ou « papiers ». Il peut donc y avoir dans le diagnostic énoncé une reconstruction par celui qui renseigne le questionnaire. L’absence de consultation directe du dossier par l’équipe manque pour garantir la parfaite conformité des éléments renseignés avec ceux du dossier. L’équipe de recherche a bien noté un problème de « nombreuses données manquantes » dans les dossiers hospitaliers39.
- L’« éventuelle suspicion de mauvais traitements et ses critères » sera probablement un élément moins souvent mentionné dans le dossier médical. C’est donc une « information » plus malléable et dont la qualité risque de dépendre fortement de la mémoire, avec un risque majoré de biais de mémorisation. De plus, comme le note l’équipe de recherche dès 2005 en mentionnant les données recueillies dans l’enquête hospitalière : « On constate une importante variabilité et subjectivité des critères de suspicion de maltraitance. »40. Anne Tursz rappelle par exemple une étude montrant qu’il peut y avoir de la part des services
38
« il a été nécessaire de solliciter l’autorisation d’accéder aux dossiers pour lesquels des poursuites avaient été engagées. (…) Pour ne pas surcharger les services des parquets et assurer la confidentialité du recueil des données, celui-ci est entièrement réalisé par notre équipe. » page 11 du rapport à justice, Tursz et al, juillet 2005 39
« L’étude est de type rétrospectif et en comporte les inconvénients (nombreuses données manquantes, dans les dossiers hospitaliers notamment) (…). » Tursz et al, janvier 2008, page 28. 40
30 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
médicaux hospitaliers une sur-suspicion de maltraitance selon l’origine ethnique des enfants41. Elle rappelle elle-même que la maltraitance est plus souvent recherchée dans les milieux précaires42. Cela devrait engager à une grande prudence dans l’interprétation des « suspicions » dans les réponses des pédiatres. On verra plus avant que ce n’est semble-t-il pas le cas…
- Même réserves avec les « décisions prises et actions entreprises » pour lesquelles l’inscription dans le dossier n’est probablement pas systématique et dont le souvenir peut varier avec le temps.
- Quel est le contenu du courrier qui a été adressé aux services pour accompagner le questionnaire ? Nulle trace de son contenu. Pour la partie enquête auprès des Parquets, nous trouvons par ailleurs un fac-similé du courrier type du mailing auprès des Procureurs des Tribunaux de grande instance des trois régions d'enquête (Tursz et al, 2005, pages 68 à 70). Mais pour la partie hospitalière, nous ne savons pas. Or, la forme du courrier peut influer sur la façon de relire un dossier et donc de renseigner le questionnaire. Probablement que l’équipe a adressé un écrit « neutre », mais impossible d’en être certain.
On le mesure ici, il existe plusieurs points dans le mode de recueil des données qui sont autant de
biais possibles dans la qualité des données recueillies.
A ce sujet, on notera le peu d’approfondissement de cette question des biais dans l’écrit principal
(Tursz et al, janvier 2008, page 28) et dans les autres écrits. Etonnant, car quand Anne Tursz aborde
le biais de mémorisation, elle le situe logiquement en termes de « problème méthodologiques »
dans le recueil du témoignage avec des effets de sous-estimation possible d’une problématique.43
Mais elle ne revient pas sur cette question qui se pose aussi dans le recueil des données de la partie
hospitalière, qui s’appuie sur des donnés objectivées et aussi une part de souvenirs.
Qualité des investigations médicales et des conclusions
Est-il possible de souligner dans l’étude le manque de qualité des investigations menées sur les
nourrissons décédés et en même temps appuyer sur ces mêmes données imparfaites des conclusions
valides ?
Dans l’article de 2005 (Tursz et al, janvier 2005, pages 26 et 28), un des éléments montré par l’étude
est la sous-investigation médicale notamment dans les situations codifiées mort subite du nourrisson
(MSN) ; pratique de l’autopsie dans seulement 50 % des cas, rareté de la pratique du fond d’oeil44.
L’équipe en retient l’idée d’un facteur possible de sous-évaluation des homicides45. Mais cela
41
Les oubliés, 2010, pages 164-165. 42
Idem, page 138. 43
Voir Les Oubliés, Tursz Anne, 2010, page 178. Le sujet est alors celui du souvenir par les personnes de maltraitances potentiellement subies lors de leur enfance. Or, la validité de la correspondance d’un souvenir avec les faits qui se sont déroulés se pose pour tout témoignage. Celui d’un médecin, surtout quand il a été impliqué et/ou selon le contexte dans lequel il répond (imaginez s’il renseigne le questionnaire après avoir ausculté un enfant victime de maltraitance) pose là aussi une question de méthode quand rien de ce qu’il affirme ne sera vérifié. 44
L’examen du fond d’œil permet de repérer l’existence d’hémorragies rétiniennes, lesquelles sont présentes dans 80 % des cas de syndrome du bébé secoué. Voir https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1095926/fr/bebe-secoue-une-forme-mal-connue-de-maltraitance-aux-consequences-irreparables 45
« (…) près de la moitié des diagnostics de MSN ont été portés sans autopsie (lacune qui est certainement, elle aussi, une nouvelle source de sous-estimation du nombre des homicides) », Tursz et Al, janvier 2008, page 28.
31 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
pourrait aussi constituer une limite aux résultats affichés de l’étude elle-même : n’y a-t-il donc
jamais de diagnostic indiquant une possible violence à l’origine du décès sur la base
d’investigations pourtant insuffisantes ? Les services médicaux ne se trompent-ils toujours que
dans un sens (sous-estimation de maltraitance) ?
Ce point mériterait aussi d’être éclairé, notamment via la publication de précisions sur les données
rassemblées via les questionnaires reçus pour l’enquête hospitalière.
Des biais toujours dans un seul sens ?
Lorsqu’Anne Tursz évoque de possibles biais concernant les enquêtes hospitalière et
judiciaire, c’est systématiquement dans un seul sens, avec un message implicite : la situation
est pire que vous ne le pensez ! Dans son livre Les oubliés, à plusieurs reprises, concernant
son travail de recherche ou des enquêtes sur la maltraitance, elle invite à penser à une sous-
estimation plutôt qu’à prendre les résultats énoncés avec prudence46 en indiquant une
possible fragilité de l’estimation proposée. Il serait pourtant utile de signifier aussi les limites
qu’introduisent tous les biais possibles. Ainsi, le recueil de données par témoignage contient
à la fois la possibilité d’un oubli et celui d’une construction tardive. Enoncer ce biais devrait
aller de pair avec la précision de tous les effets qu’il peut avoir sur un témoignage, pas
seulement de ceux qui vont dans un sens.
La question des catégorisations
« Le recoupement avec les données du CépiDc a montré la sous estimation des homicides (de 3 à 15
fois plus nombreux que le chiffre officiel, selon l’enquête) »47
Le « 15 fois plus nombreux » correspond au fait d’avoir 32 cas trouvés dans l’enquête hospitalière
contre 2 recensés par le CépiDc pour la même période et la même zone (les trois régions de l’étude).
Cette affirmation d’un nombre d’homicide quinze fois plus nombreux que ceux recensés est portée
dans les médias grand-public. Par exemple, sur le site Le Parisien « Et en enquêtant sur les décès de
nourrissons de moins d'un an survenus entre 1996 et 2000 en Ile de France, en Bretagne et dans le
Nord-Pas de Calais, nous avions démontré que quinze fois plus de bébés de cet âge étaient morts
par homicide que ne l'indiquaient les statistiques officielles. »48
Mais, bien que cela y soit indirectement affirmé, l’article scientifique permet-il de conclure aussi
clairement à l’existence de 32 homicides ?
46
« (…) l’exhaustivité n’a peut-être pas été tout à fait atteinte, compte tenu de l’extrême difficulté du recueil, ce qui renforce d’ailleurs l’affirmation de la sous-estimation des infanticides en France. » (page 100). Voir d’autres exemples pages 176 et 178. Voir aussi page 7 du rapport à justice, Tursz et al, juillet 2005. 47
Tursz A, Crost M, Gerbouin-Rérolle P, Beauté J. Étude épidémiologique des morts suspectes de nourrissons en France : quelle est la part des homicides ? Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire. 2008 ; 3-4 : 25-28. Téléchargeable sur http://invs.santepubliquefrance.fr//beh/2008/03_04/beh_03_04_2008.pdf 48
Anne Tursz, citées dans l’article Les chiffres chocs de la maltraitance des enfants, 2 mars 2015 http://www.leparisien.fr/societe/les-chiffres-chocs-de-la-maltraitance-des-enfants-02-03-2015-4569293.php
32 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
En reprenant la catégorie à laquelle correspond ce nombre de 32 cas dans l’enquête hospitalière,
voici ce que l’on trouve :
« Au terme des investigations, le diagnostic porté (tableau 2) a été majoritairement celui de MSN
(dans 62,5 % des cas) ; dans 32 cas (5,3 %), le diagnostic déclaré dans le questionnaire était celui de
mort suspecte d’être d’origine intentionnelle ou certainement violente intentionnelle (MSV). »4950
Les termes sont explicites : nous sommes ici dans un diagnostic qui n’est pas affirmatif d’un
homicide mais d’une suspicion. Evidemment, on peut penser que cette suspicion repose sur des
éléments suffisamment troublants voire parfaitement fiables. Et il y a dans cette catégorie des
homicides. Mais il apparaît impossible d’aller plus loin que la catégorisation, porteuse elle-même
d’une limite quant à la possibilité d’être absolument certain qu’il s’agit bien d’une mort d’origine
intentionnelle ou certainement violente intentionnelle.
Pour la partie enquête hospitalière, nous ne trouvons pas plus de précision que la définition donnée
ci-dessus de la catégorie « MSV ». A noter que cette appellation, construction de l’équipe de
recherche, et cette définition sont apparues tardivement. Nous n’en trouvons aucune mention dans
le rapport de juillet 2005, alors que la matière recueillie dans la partie hospitalière fait déjà l’objet
d’une présentation très proche de celle de l’article de janvier 2008.
Ce rapport de 2005 permet de connaître plus finement ce qui deviendra la catégorie MSV : « Pour
des problèmes d’effectifs et de puissance statistique, on a regroupé pour l’analyse les catégories «
mort suspecte quant à l’intention, mort violente non accidentelle, assassinat, mort par défaut de
soins » sous la rubrique « mort suspecte ou violente ».51
Il apparaît donc que, si la définition adoptée pour la partie hospitalière est de la même teneur, cela
confirme la prudence qu’il est nécessaire d’avoir dans l’affirmation implicite de l’article et des
auteurs de l’étude.
Il n’est par conséquent pas possible de conclure que 32 cas de MSV correspondent de façon
certaine à 32 cas d’homicides. Or, c’est bien l’affirmation-choc qui sera véhiculée plus ou moins
explicitement vers le grand public.
Le croisement manquant de données
L’équipe de recherche a choisi de croiser les données de l’enquête hospitalière et celles de l’enquête
judiciaire avec les données du CépiDc. Cela permettait à l’équipe de comparer l’enregistrement des
homicides fait au niveau de cette base nationale par rapport aux situations qu’elle considère comme
démontrées au niveau des hôpitaux et de la justice.
Il manque pourtant un croisement de données dans cette enquête. Il a été possible d’identifier
chaque cas, permettant de voir dans quelle catégorie le CépiDc l’avait classé. Il était par conséquent
aussi possible techniquement de mesurer si les 32 cas de MSV correspondaient tous à des cas
identifiés par la justice et catégorisés en tant qu’homicide à l’issue du processus judiciaire pénal.
49
Tursz et al, janvier 2008, page 26. 50
Dans le rapport de 2005, contenant déjà quelques éléments de l’enquête hospitalière, les auteurs affirmaient que « Si les pédiatres ont proposé le diagnostic de mort suspecte ou violente dans 5,4% des cas ». Tursz et al, juillet 2005, page 7. 51
33 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
Cela aurait constitué une forme de démonstration intéressante quant à la fiabilité de la catégorie
MSV hospitalière pour en déduire qu’il s’agissait bien aussi d’homicides. Mais on ne trouve nulle
trace d’un tel croisement. Tous les tableaux comparant les catégorisations sont soit le croisement
CépiDc/enquête hospitalière ou CépiDc/enquête judiciaire. Toutes les affirmations renvoient à ces
deux seuls croisements de données.52
Pourquoi un tel manque ? Les auteurs auraient-ils oublié d’affirmer ce croisement et son résultat s’il
venait en appui de leurs résultats ?
Une étude insuffisante
L’intérêt de l’étude sur les morts suspectes des nourrissons est de montrer combien il y a au moment
de l’enquête (fin des années 90) des améliorations nécessaires en termes de codage des décès,
d’investigations et d’examens exploratoires à systématiser lorsqu’un nourrisson décède.
Cependant, les fragilités de l’étude dans, au moins, sa partie hospitalière ne permettent pas de
suivre l’équipe de recherche dans ses conclusions chiffrées. La méthode d’enquête rétrospective et
les limites intrinsèques qu’elle contient, mais aussi les conditions spécifiques de recueils et de
traitement des données propres à cette étude aboutisse à un chiffrage loin d’être irréfutable.
Si l’on peut suivre les conclusions quant à la sous-estimation du nombre d’homicides dans les
données du CépiDc, il est difficile d’en mesurer précisément la proportion avec cette seule étude53.
On notera d’ailleurs ce qui ressemble à de la prudence de la part de l’INSERM dans son communiqué
de presse54 du 9 décembre 2008 présentant le livre «ENFANTS MALTRAITES. Les chiffres et leur base
juridique en France, d’Anne Tursz & Pascale Gerbouin-Rérolle. Alors que le livre contient les
résultats55 de l’équipe U 750 de l’INSERM le texte du communiqué précise :
« La sous-estimation des homicides de nourrissons de moins de 1 an est telle qu’on peut
proposer une correction du chiffre officiel annuel en le multipliant par 3 à 10 environ, soit des
effectifs de 30 à près de 200 cas par an environ. »
L’étude de l’U 750 nécessitait un autre travail de recherche pour voir si ses résultats chiffrés étaient
retrouvés ou pas. Et il se trouve qu’il existe un travail qui amène des réponses mais se trouve trop
souvent ignoré.
52
Voir la partie « Recoupement des différentes données », Tursz et al, janvier 2008, page 26. 53
A noter que la sous-estimation des homicides dans les données de l’INSERM est un fait connu et déjà montré par Nicolas Bourgoin et Alfred Nizard dans leur article Mortalité violente : la France mal placée, paru dans le bulletin de l’INED Population & Sociétés n°289, avril 1994. Partant des données de ces auteurs, Laurent Mucchielli chiffre « la sous-estimation de la statistique sanitaire des homicides entre 40 et 45 % ». Voir Les homicides dans la France contemporaine (1970-2007) : évolution, géographie et protagonistes, Mucchielli L., in Histoire de l’homicide en Europe. De la fin du Moyen-Age à nos jours, Laurent Mucchielli, Pieter Spierenburg, La Découverte, 2009, page 133. 54
Voir page 80 la présentation des résultats dont on peut aisément déduire les facteurs correctifs x15 de l’enquête hospitalière, dont les résultats ont été publiés quelques mois plus tôt. On remarquera aussi dans cet ouvrage que seule l’enquête judiciaire fait l’objet d’une présentation détaillée des résultats dans la partie consacrée spécifiquement à l’étude U 750 de l’INSERM (pages 121 à 126).
34 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
Des résultats chiffrés non-confirmés par une étude plus fiable
L’étude de l’U 750 de l’INSERM a par ses résultats contribuée à ce que l’Institut de Veille Sanitaire
(InVS) lance une étude sur Les morts inattendues des nourrissons de moins de 2 ans, sur la période
allant d’octobre 2007 à septembre 200956. Elle a été menée sur 17 départements représentant 38,5
% des naissances pendant les deux années d’étude. C’est une étude prospective, qui comporte aussi
des limites mais moins importantes que celles de type rétrospectif. Ainsi, les données étaient
recueillies dès la découverte du corps. Ensuite, le Centre de référence où l’enfant était transporté
recueillait les antécédents personnels et familiaux, la liste des examens réalisés et la classification du
décès.
Ses résultats57 en termes d’homicide sont les suivants : « Dans notre étude, seul le décès d’un cas de
moins d'1 an était clairement identifié comme lié à la maltraitance parmi les 182 enfants
suffisamment explorés, 8 autres enfants étaient suspects de maltraitance, ainsi que 2 enfants dirigés
directement vers l’IML »58. On remarquera l’approche prudente de cette équipe de recherche qui
précise les incertitudes concernant d’autres cas pour lesquels il n’a pas été possible de conclure mais
où la suspicion est présente.
De même, elle utilise à plusieurs reprises l’expression « nous ne pouvons exclure » pour énoncer que
des cas ont pu échapper au repérage des situations dans lesquelles c’est la maltraitance qui a
entrainé la mort du nourrisson. Enfin, elle propose une fourchette dont on mesure les incertitudes
dans la formulation même choisie par l’équipe : « L’un dans l’autre, le taux de maltraitance de notre
enquête se situe vraisemblablement entre 4 % et 8 %. »59 En fait, cette extrapolation semble être le
résultat de l’addition du seul cas certain, des cas où il y a suspicion (8 + 2), portant à 11 cas (6%) le
total potentiel mais sans certitude aucune. Et comme des cas ont pu ne pas être détectés du tout, on
voit que l’équipe tente de cerner ce qui ne peut l’être. D’où « l’un dans l’autre », une fourchette
allant du simple au double sans que l’on puisse le démontrer même dans sa version minimale.
Analysant les écarts entre les chiffres très différents proposés dans diverses enquêtes (dont celle de
l’U 750 de l’INSERM), l’équipe a la prudence de conclure à ce sujet :
« Cette incertitude sur les chiffres de la maltraitance du fait de l’exploration insuffisante des
enfants plaide en faveur d’un transport obligatoire de tout décès inattendu d’enfant de moins
2 ans en Centre de référence pour une exploration comprenant un squelette complet, un fond
d’oeil et dans toute la mesure du possible une autopsie (obligatoire si suspicion de
maltraitance), ou à défaut une imagerie cérébrale. »
56
Bloch J, Denis P et Jezewski-Serra D et le comité de pilotage. Les morts inattendues des nourrissons de moins de 2 ans – Enquête nationale 2007-2009. Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire; 2011. La synthèse et l’étude sont disponibles via http://www.invs.sante.fr 57
Notons que les observations de l’étude de l’U 750 de l’INSERM sont retrouvées par cette équipe, notamment en matière de manque d’explorations systématiques (autopsie et fonde de l’œil), même si les taux de pratiques de ces actes en 2007-2009 se sont significativement améliorés par rapport aux résultats pour la période 1996-2000. 58
35 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
La seule certitude est que sur 183 cas suffisamment explorés60, un seul autorise à établir un lien de
causalité entre maltraitance et décès. S’il est possible qu’un ou plusieurs autres cas pourraient
relever de cette catégorie, cela reste au stade forcément insatisfaisant de la seule suspicion.
L’étude de l’InVS adopte une approche différente de l’étude de l’U 750 de l’INSERM, cette dernière
étant nettement plus affirmative même dans les cas où il ne s’agit que de suspicions.
Rappelons en effet que sur 619 décès recensés dans l’enquête hospitalière de l’U 750 de l’INSERM,
l’équipe aboutit à 32 cas du fait de maltraitance (homicide), soit 5,3 % de l’ensemble. Mais l’équipe
ajoute :
« Si le diagnostic de MSV n’a été affirmé que dans 5,3 % des cas, lorsqu’on prend en compte
tous les cas dans lesquels on a observé des lésions fortement évocatrices de violences
(fractures d’âges différents, arrachements épiphysaires, ecchymoses multiples, association de
lésions cutanées et de fractures…), le pourcentage de MSV passe à 7,7% (45 cas) ; enfin,
lorsqu’on inclut aussi tous les cas dans lesquels le pédiatre a déclaré avoir soupçonné des
mauvais traitements (même si ce n’est pas le diagnostic finalement déclaré), le pourcentage
de MSV est de 16,3 %. Finalement ce sont 101 décès qui posent problème. » (Tursz et al,
janvier 2008, page 27)
Si l’on souhaite rapprocher les résultats entre les deux études, voici le comparatif que l’on peut faire
catégorie par catégorie :
Catégories* CERMES 1996-2000
Etude rétrospective
InVS 2007-2009
Etude prospective
Nombre de cas d’homicide 32 (5.3%) 1 (0,5%)
Nombre de cas homicide et
éléments amenant au soupçon
d’homicide
45 (7,7 %) 11 (6%)
Nombre de cas possibles
d’homicides
101 (16,3 %) 7 à 14 (4 à 8 %)
* Les catégories sont définies par mes soins pour rapprocher celles de l’étude de l’U 750 de l’INSERM et celles
de l’étude InVS.
Toutes les catégories montrent des résultats (très) nettement moins élevés dans l’étude InVS que
dans l’étude de l’U 750 de l’INSERM :
- 10 fois moins pour le nombre d’homicides, - 22 % en moins dans la catégorie « homicides + éléments fondant un soupçon » - 2 à 4 fois moins pour l’estimation du nombre possible d’homicides.
En termes de couverture médiatique, il est aisé de constater que les résultats de l’étude de l’InVS
n’ont quasiment pas été relayés, à la différence de ceux de l’équipe d’Anne Tursz.
60
Un niveau de qualité d’exploration qui n’est pas nécessairement atteint pour les cas de l’enquête CERMES.
36 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
III Les extrapolations impossibles
Malgré la prudence qu’il conviendrait d’adopter quant à la solidité des résultats obtenus par l’équipe
de l’U 750 de l’INSERM, et notamment quant à son facteur multiplicateur « x15 », nous allons au
contraire voir progressivement Anne Tursz développer une sélection du facteur multiplicateur et une
quadruple-extrapolation.
La sélection du facteur multiplicateur, c’est celle de mettre en avant le x15 de la partie hospitalière
plutôt que le x3 de la partie judiciaire. En effet, les résultats de la partie judiciaire montrent qu’il
faudrait multiplier les chiffres du CépiDc par trois pour arriver au total des homicides trouvés par la
justice pour la même période et les mêmes régions de l’étude. Or, dans le débat public, le facteur x3
n’apparaît quasiment jamais. Il est probablement moins « choc » et donne des résultats en nombre
d’homicides bien moins élevés.
Est-ce pour cela qu’Anne Tursz met prioritairement, voire exclusivement le x15 en avant, lorsqu’elle
vient dans l’espace public via les médias ? C’est en tout cas ce que l’on pourrait comprendre en lisant
ce passage de son livre Les oubliés61 :
« On est ainsi conduit à faire, de façon aussi rigoureuse que possible, des extrapolations qui
sont nécessaires si on veut convaincre les pouvoirs publics que la maltraitance n’est pas un
problème numériquement marginal, ce qu’à l’évidence elle n’est pas. »
Le choix du facteur x15 et la mise de côté du x3 montrent rapidement que les extrapolations
répondent à une logique de combat par la communication choc (« convaincre les pouvoirs publics »)
qui a pour prix l’éloignement de la rigueur pourtant annoncée. L’éthique de conviction semble ici
l’emporter sur l’éthique de responsabilité.
Faire une extrapolation, extraction d’une généralité à partir de données partielles, cela a des limites.
Les extrapolations présentées comme rigoureuses par Anne Tursz sont fragiles, et même fantasques
pour certaines.
La première est une extrapolation géographique. Celle qui applique au niveau national des résultats
concernant trois Régions, surtout lorsque l’étude a montré l’importance des différences de pratiques
des services hospitaliers d’un secteur à l’autre… La deuxième est une extrapolation dans le temps.
Elle revient à appliquer le facteur multiplicateur trouvé pour la période 1996-200 aux chiffres
d’aujourd’hui. La troisième consiste à extrapoler à partir d’un facteur concernant des situations
supposées d’homicides à ces situations de maltraitances à enfant qu’elle qu’en soit la nature et les
effets. La quatrième consiste à appliquer le facteur multiplicateur trouvé concernant les nourrissons
à toutes les catégories d’âge des mineurs.
Extrapolations géographiques
Les auteurs de l’étude ont choisi trois régions : l’Ile de France, le Nord-Pas de Calais et la Bretagne. Ce choix est-il fondé sur la représentativité démographique de ces trois régions permettant de tirer des conclusions nationales ? Non. « L’enquête hospitalière a été menée au niveau national, puis, pour
37 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
des raisons de taux de réponse à cette enquête, celle auprès des parquets n’a concerné que la Bretagne, l’Ile-de-France et le Nord-Pas-de-Calais. »62 C’est donc du fait des taux de réponses probablement meilleur dans ces trois régions que vient le choix du territoire de l’étude. Cela pose un problème qui peut s’avérer être un biais de plus pour l’étude. Extrapoler des résultats au niveau national à partir de donner locales nécessite de satisfaire à une condition : celle de la représentativité des données locales pour établir une extrapolation nationale. Il en va de même en matière de sondage : si l’échantillon n’est pas représentatif de la population, ses résultats ne peuvent être fiables au-delà des personnes interrogées pour le sondage. Dans un article sur les homicides dans la France contemporaine63, Laurent Mucchielli rappelle que « le phénomène homicidaire est inégalement réparti sur le territoire métropolitain »64.montre à travers trois cartes géographiques sur trois périodes que les taux d’homicides tous âges confondus (Nombre/100 000 habitants) varient fortement d’un département à l’autre, et que c’est une constante dans le temps. Nous pouvons émettre l’hypothèse qu’il en va de même pour les homicides sur les enfants de moins de un an, dont nous savons que l’évolution est proche de celle des homicides tous âges confondus. Le travail de cartographie de Laurent Mucchielli montre que, pour la période 2003-2007, la moins éloignée de la période d’étude qui nous intéresse, la plupart des départements de l’étude se situent dans des zones avec des taux d’homicides importants. En fait, plus le taux d’homicide progresse, plus les départements de l’étude représentent une proportion importante :
- 11 % des 44 départements avec un taux moyen d’homicides de 2.48/100 000, - 16 % des 48 départements avec un taux moyen de 3.8/100 000, - 33% des 3 départements avec un taux moyen de 7.39/100 000.
Le constat est simple : parmi les départements de l’étude, il y a une probable surreprésentation des départements avec les taux d’homicides parmi les plus élevés. Cela doit inciter d’autant plus à la prudence en matière d’extrapolation des données de l’enquête à un niveau national. Ainsi, à chaque fois qu’Anne Tursz évoque 250 homicides de nourrissons au niveau national sur la base de son étude sur trois régions, nous sommes bien plus proches d’une spéculation très fragile que d’une extrapolation solide.
Extrapolations dans le temps
Peut-on en 2017 évoquer la recherche fondée sur des données datant de 20 années en arrière sans
la relativiser ? Depuis la période 1996-2000, les pratiques hospitalières n’ont –elles pas évolué ?
Cette possibilité était pourtant déjà évoquée dans l’article de 2008 : « les données analysées
concernent les années 1996-2000 et les pratiques professionnelles peuvent éventuellement avoir
évolué depuis. »65
Transposer les résultats de cette étude à 2017 pose donc problème en soi.
62
Tursz et al, janvier 2008, page 26. 63
Les homicides dans la France contemporaine (1970-2007) : évolution, géographie et protagonistes, Mucchielli L., in Histoire de l’homicide en Europe. De la fin du Moyen-Age à nos jours, Laurent Mucchielli, Pieter Spierenburg, La Découverte, 2009, pages 129 à 161. 64
Bloch J, Denis P et Jezewski-Serra D et le comité de pilotage. Les morts inattendues des nourrissons de moins de 2 ans – Enquête nationale 2007-2009. Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire; 2011, page 42 du rapport. http://www.invs.sante.fr 68
Voir la page wikipedia à ce sujet : https://fr.wikipedia.org/wiki/Homicide#Statistiques_en_France 69
Les 147 victimes des attentats de 2015 ont été retirées du total. 70
Voir l’étude de 20 années d’activités de l’Institut Médico-Légal de Paris (1994-2013) qui montre une baisse de 62% du nombre de mineurs victimes d’homicides. https://www.inhesj.fr/sites/default/files/fichiers_site/ondrp/focus/focus-9.pdf 71
Les homicides sur mineurs de 15 ans, par Marie CLAIS, in La note de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) n°17, octobre 2017. Page 1.
40 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
Extrapolations à tous les types de situations de maltraitances
Dans son livre Les oubliés74, Anne Tursz passe une nouvelles étape dans ce que l’on pourrait appeler
« l’extrapolation audacieuse ». Elle affirme qu’il est raisonnable d’utiliser les deux facteurs
multiplicateurs x3 et x15 qui résultent de l’étude sur les homicides pour les appliquer aux chiffres
2001-2002 produits par la Direction de l’enseignement scolaire concernant les enfants maltraités. Les
résultats indiquaient que 1,6 enfant pour 1000 élèves du premier degré et 1,3 pour 1000 dans le
second degré « étaient annuellement maltraités ». Son hypothèse est que la maltraitance mortelle
est de même nature que les mauvais traitements n’aboutissant pas au décès de l’enfant. Puisque,
dans l’étude qu’elle a menée, des actes de maltraitance antérieurs au décès ont été trouvés dans une
part importante des cas étudiés, elle en conclue que la maltraitance et l’homicide sont de même
nature. Il n’existerait donc qu’une différence de degré, ce qui est une hypothèse contestable75. Elle
prolonge son raisonnement en considérant que les actes de maltraitance sur les enfants de 6 à 14
ans (premier et second cycles) sont aussi sous-estimés que les homicides sur nourrissons…
On peut se demander l’objectif de telles affirmations. Et c’est peut-être à la suite de sa proposition
que l’auteure nous en donne les clés. En résumé, elle met en valeur le chiffre de 1,6 pour mille des
élèves du premier degré (chiffre le plus important), chiffre qui, multiplié par le x15 (multiplicateur le
plus important) donne un résultat de 24 pour mille, soit 2,4%. Et de conclure : « Avec un taux de 2,4
%, on n’est plus tellement éloigné du chiffre moyen proposé par le Lancet en décembre 2008 comme
taux de maltraitance des enfants dans les « pays à niveau de revenus élevés » : 10% en moyenne avec
des écarts allant de 4 à 16 % (…). ». Affirmer que 2,4 % n’est pas très « éloigné du chiffre moyen » de
10 %, même si la notion d’éloignement est subjective, il fallait le faire…
Ce rapprochement, elle en proposera une autre version dans son article de 200976, mais cette fois, en
extrapolant sur la base du x3 de l’enquête judiciaire et aboutissant cette fois à 1 % d’enfants
maltraités…
Nous sommes loin ici d’une démonstration probante. Et il convient de passer maintenant à
l’extrapolation la plus in-croyable que nous est proposée.
74
2010, pages 139 à 141. 75
Si la mort de l’enfant est principalement la conséquence de maltraitances qui tournent mal, on devrait trouver parmi les enfants tués par leurs parents une majorité de situations dans la catégorie « coups et blessures ayant entraîné la mort » (correspondant 222-7 du code pénal) et une minorité dans la catégorie « homicide » au sens pénal du terme (renvoyant au 221-1 du code pénal), laquelle contient la volonté de tuer. Mais si l’on prend les chiffres de 2015 publiés par l’Observatoire National de la Délinquance et de la Réponse Pénale (Les homicides sur mineurs de moins de 15 ans à travers une analyse multi-sources, ONRDP, 2017), les deux tiers des décès sont classifiés dans la catégorie homicide contre un tiers dans celle des coups et blessures suivis de mort… Ajoutons qu’en 1996, une étude affirmait au contraire que « les homicides infantiles ne sont pas nécessairement l'aboutissement d'une progression d'actes violents allant de la pauvreté des soins parentaux jusqu'à la maltraitance fatale. » (source : N. Trocmé et D. Linsey, ‘What can child homicide rates tell us about the effectiveness of child welfare services?’, Child Abuse and Neglect, Volume 20, No. 3, 1996 (p. 173) http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0145213495001476) 76
41 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
Extrapolations à toutes les catégories d’âge
L’étude porte sur les nourrissons de moins de un an. Le niveau de sous-estimation que l’équipe
pense avoir mesuré va de x3 dans l’enquête judiciaire à x15 dans l’enquête hospitalière. Ces
situations concernent un moment de la vie où l’enfant est le plus fragile. On ne provoque pas un
hématome sous-dural chez un pré-adolescent comme chez un nourrisson de deux mois… Tuer le
second nécessite plus d’énergie que provoquer la mort du premier. L’accident présente aussi un
impact plus grand sur le nourrisson que sur l’enfant plus âgé. Chacun le mesure.
De même, on ne masque pas un homicide sur un enfant en âge scolaire ou un adolescent comme
cela peut être possible quand il s’agit d’un bébé. La visibilité de la disparition et les interrogations
qu’elle suscite dont différentes : si un bébé meurt subitement, sans trace apparente, on sait qu’il
existe la mort subite du nourrisson et cela peut constituer un cadre explicatif « suffisant » pour ne
pas chercher plus loin… C’est de moins en moins le cas avec la progression dans l’âge de l’enfant. Et
plus il grandit, plus il est inscrit dans un réseau social hors-famille proche, plus on a des éléments de
connaissance par des tiers extérieurs qui peuvent venir s’étonner du décès, facteurs favorables à
l’ouverture d’investigations médicales et/ou judiciaires. Laurent Mucchielli souligne77 que les
homicides sur mineurs de 15 ans font partie des catégories avec le plus haut taux d’élucidation
(autour de 90%).
L’étude de l’InVS apporte d’ailleurs des éléments intéressants sur cette question aussi. Elle
s’intéressait aux enfants de moins de deux ans, et a publié en les distinguant les données pour la
première année et la deuxième année de vie. Le cas de maltraitance trouvé, comme les cas où il y a
suspicion de maltraitance, se situent dans la tranche des 0 – 1 an. Les comportements des équipes
médicales se rapprochent plus des recommandations de la Haute Autorité de Santé chez les plus de
un an que chez les moins de un an. On voit donc que dès la deuxième année de naissance, la qualité
des diagnostics médicaux quant aux causes du décès sont probablement meilleures. Elles sont en
tout cas l’objet de plus d’explorations et analyses. On ne peut par conséquent déjà plus transposer
les résultats que l’on trouve chez les moins de un vers ceux de plus de un an. Alors, chez un enfant
de 8 ou 14 ans…
Enfin, il existe des situations d’homicides qui sont systématiquement connues dans un temps court.
Un adolescent tué par un autre adolescent ou un adulte extérieur à la famille, cela arrive et ça se sait.
Un enfant tué par un parent dans un acte d’élimination de la famille, cela arrive aussi, par exemple
dans les situations de séparations conjugales où le père tue sa femme, les enfants et se suicide. Des
enfants sont aussi tués suite à la séparation difficile ou dans le cadre d’un conflit de couple. Ces cas
sont connus, identifiés très rapidement et donc pris en compte dans les statistiques. Ils ne sont donc
pas la partie émergée d’un iceberg dans la mesure où tous les cas de ce type sont parfaitement
connus. C’est au total 35 cas qui ont été recensés par la police et la gendarmerie en 201478. On peut
poser la question de l’application d’un facteur multiplicateur à ces cas.
On se demande alors comment Anne Tursz peut extrapoler aux 1 - 14 ans ses résultats pour les
nourrissons ? Ainsi, lors du colloque au Sénat de juin 2013, elle projette le tableau ci-dessous :
77
Voir page 151, Les homicides dans la France contemporaine (1970-2007) : évolution, géographie et protagonistes, Mucchielli L., in Histoire de l’homicide en Europe. De la fin du Moyen-Age à nos jours, Laurent Mucchielli, Pieter Spierenburg, La Découverte, 2009, pages 129 à 161. 78
43 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
Voici comment l’auteure argumente cette extrapolation :
« Le tableau 1 montre tout d’abord que les chiffres d’homicides pour la même tranche d’âge,
de zéro à quatorze ans, de la police et du CépiDc ne se recoupent jamais, les seconds étant
toujours largement inférieurs aux premiers. De plus, si on applique le correctif de 15 de
l’enquête sur les morts suspectes de nourrissons aux homicides des moins de quinze ans tels
que recensés par le CépiDc à partir du codage des certificats de décès, on aboutit à ce chiffre
qu’on entend partout : 1 ou 2 enfants meurent chaque jour de maltraitance ou de négligence.
Il s’agit d’une extrapolation, mais pas vraiment hasardeuse. Le chiffre de 255, obtenu pour les
moins de un an, l’a été de façon rigoureuse, et on sait que c’est une estimation minimale. On
ignore tout notamment des causes réelles de décès des enfants « retrouvés » morts chez eux
et laissés sur place après un dialogue entre la famille et le médecin. »
Plusieurs remarques :
- Le facteur multiplicateur x3 a disparu. Il est même totalement absent de cet ouvrage, qui constitue les actes du colloque au Sénat de 2013. Il ne reste que le x15, dont l’auteure affirme la crédibilité auprès de l’assistance et des lecteurs.
- Le X3 appliqué aux données police/gendarmerie, conformément à l’étude de l’U750, aurait amené à des résultats allant de 138 à 270. Loin des 2 enfants par jour affirmé tout au long de ce colloque…
- Le facteur multiplicateur est présenté comme aboutissant à un chiffre (les 255 moins de un an) obtenu « de façon rigoureuse », et qui constitue même « une estimation minimale » ce qui ne se discute pas puisque « on sait » que c’est une estimation minimale.
- Affirmer que c’est une estimation minimale renforce l’acceptation de cet énoncé. Comment oser douter de ce qui est présenté comme la version la plus prudente que l’on peut énoncer ?
- Le balayage des statistiques annuelles empêche de s’attarder sur l’ancienneté de ce facteur x15, lequel au moment de sa présentation morte sur des données datant de 15 années en arrière.
Quant aux réserves devant cette transposition du facteur x15 des moins de un an à l’ensemble des
moins de 15 ans, l’auteure anticipe les critiques :
« Si appliquer le même correctif de 15 aux enfants plus âgés est sans doute délicat – il est plus
difficile de dissimuler l’homicide d’un grand enfant – on sait néanmoins, à partir de la
littérature internationale, qu’il y a aussi un nombre inconnu d’homicides déguisés en
accidents ou en morts naturelles. »
Fermez le ban. Qu’est ce qui permet de dire que, comme pour les nourrissons selon l’étude, les
homicides des grands enfants sont 15 fois moins identifiés ? La réponse imprécise, en appelant à
l’autorité de travaux non-cités et aux proportions non-précisées n’est pas un argument recevable. Il
49 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
l’affirme83
Anne Tursz ? La reprise sans vérification des médias, forme modernisée de cette
transe espérée par Alexis Danan84
, participe-t-elle de l’amélioration de la protection de
l’enfance ?
Cela ne crée-t-il pas aussi de l’évitement chez nombre de professionnels tant ce chiffre leur
paraît absurde ? De l’inquiétude sans action concrète chez d’autres ? De l’augmentation du
niveau de contrôle, d’exigence, de rapports de force avec les familles et donc des
déstabilisations de fonctionnements familiaux préjudiciables aussi pour les enfants ? D’un
abaissement du seuil d’alerte qui va faire déclencher plus rapidement des placements
d’enfants dans le but de protéger les institutions « au cas où il y a un drame » ? De projeter
ainsi des enfants dans des temps de séparation loin d’être bien-traitants pour eux dans certains
cas ?
En 1996, une étude85
affirmait au contraire que « les homicides infantiles ne sont pas
nécessairement l'aboutissement d'une progression d'actes violents allant de la pauvreté des
soins parentaux jusqu'à la maltraitance fatale (…) le nombre des homicides n'est pas
suffisamment élevé pour permettre de mesurer adéquatement la qualité des services et des
politiques en matière de protection des enfants. (…), il ne faut pas penser que les statistiques
sur les homicides infantiles pourront servir d'indicateur juste pour évaluer les services de
protection. Ceci risquerait de restreindre l'apport considérable des services à l'enfance parce
qu'il mettrait trop d'emphase sur la prévention des homicides au détriment des multiples
autres questions pertinentes. »
Dans le mesurable, le nombre d’homicides sur mineurs baisse significativement depuis 20
ans. Il tourne autour de 57 cas par an, et les auteurs font partie dans une « relation
familiale » avec la victime dans 75% des cas environ, soit 43 cas par an en moyenne86
.
La probable sous-estimation ne permet pas de remettre en cause cette tendance. Elle ne
permet pas non plus de lancer des chiffres alarmistes qui finalement ont pour seul avantage
mesurable la capacité de leurs auteurs à attirer la lumière. Les médias devraient être plus
attentifs dans leur rôle pour la diffusion de ces chiffres « étranges ».
83
«On est ainsi conduit à faire, de façon aussi rigoureuse que possible, des extrapolations qui sont nécessaires si on veut convaincre les pouvoirs publics que la maltraitance n’est pas un problème numériquement marginal, ce qu’à l’évidence elle n’est pas. » Les oubliés, Page 139, 2010. 84
« Le journaliste, cette sorte de moraliste social, est peut être celui qui pourrait donner le plus exactement la mesure de cette transe de tout un peuple, classes mêlées, à la lecture de ces récits où l’on voit un enfant, ordinairement très jeune, aux prises avec un monstre de cruauté qui est son père, ou sa mère, assez souvent son beau-père, ou sa belle-mère. » Alexis DANAN (1890-1979), « Conseils gratuits aux protecteurs », La Tribune de l’enfance, n°18, décembre 1964, p. 9. Cité par Pascale Quincy-Lefebvre, Revue d’Histoire de l’Enfance « irrégulière », n°13, 2011 85
N. Trocmé et D. Linsey, ‘What can child homicide rates tell us about the effectiveness of child welfare services?’, Child Abuse and Neglect, Volume 20, No. 3, 1996 (p. 173) http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0145213495001476 86
Les homicides sur mineurs de 15 ans, par Marie CLAIS, in La note de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) n°17, octobre 2017.
55 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
ANNEXE 2
Chronologie et sources des citations du chiffre : 1981 - 2017
1ère Période : 1981 - 2007
1981
[1] France Soir – La Croix
« Dans la grande presse à des moments variables on trouve les chiffres de décès annuels suivants : 600 (France Soir ; 1981) 1 000 (La Croix, 1981) (…) Nous avons donc cherché parmi les différentes recherches françaises pouvant justifier les
chiffres de mortalité avancés par les médias. Il s’agit essentiellement de mortalité
hospitalière. 5,2 % (12 cas sur 232) à l’hôpital Bretonneau, 3,8% dans la thèse du Dr
Rabouille. Il est clair qu’aucune extrapolation sur le plan national ne peut se justifier à partir
de ces données.»
Dominique Girodet et Pierre Straus, in AFIREM, L'enfance maltraitée, Editions Karthala « Questions d'Enfances », 1991 Actes du Congrès AFIREM L’enfance maltraitée. Du silence à la communication. Toulouse, janvier 1990, pages 197-203. https://www.cairn.info/l-enfance-maltraitee--9782865372959-page-197.htm
En résumé
- Le travail de recherche des docteurs Girodet et Straus permet d’identifier à la fin des années
80 où s’origine l’estimation des chiffres, d’ailleurs assez différentes.
- Ces données sont, les auteurs le soulignent, trop parcellaires pour en tirer la moindre
extrapolation au niveau national.
- Cela permet d’identifier que le chiffre circule depuis au moins les années 80 et qu’il est
construit sur des données qui ne peuvent le justifier.
- D’ailleurs, je n’ai trouvé nulle part ailleurs que dans l’intervention de Dominique Girodet et
56 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
[2] Fondation Alexis DANAN – La source du chiffre ?
Encart paru dans la Revue Française de Service Social, n°144-145, 1er et 2eme trimestre 1985, page 103. Editée par l’Association Nationale des Assistants de service social.
- Nous n’avons aucune référence pour le chiffre annoncé. - L’affirmation émane d’une organisation militante créée en 1936 par un journaliste-militant
moral, Alexis DANAN. - Celui-ci a utilisé de façon efficace l’émotion et les médias pour mobiliser l’opinion publique
et les pouvoirs publics87 sur la question des enfants et des maltraitances qu’ils subissaient. - Il a théorisé cette approche, maniant « L’épée du scandale » (titre d’un ouvrage
autobiographique, 1961) avec talent, et provoquant aussi des réactions critiques devant ses outrances, « l’utilisation du simplisme et le sensationnalisme de ses positions »88.
- Cette fédération poursuit son action notamment sous le nom Enfance Majuscule. Elle continue de mentionner en 2016 ce même chiffre de « deux enfants meurent chaque jour »89.
Etant l’expression d’un mouvement associatif très engagé avec des modes de sensibilisation radicaux
de l’opinion publique et des responsables, nous pouvons poser l’hypothèse qu’il est d’abord un
élément de communication visant plus à émouvoir qu’à décrire une réalité90. L’étude mentionnée par
Girodet et Straus (voir [1]) constitue possiblement une source à l’affirmation.
En résumé
Aucune source citée à l’appui de l’affirmation et autorité faible de l’auteur (Fondation Alexis
DANAN), acteur associatif engagé et non un organisme produisant des études épidémiologiques.
87
Les campagnes de presse : un creuset militant pour l'enfance. L'engagement d'Alexis Danan, reporter à Paris-Soir dans les années trente. Pascale Quincy-Lefebvre, Revue d’Histoire de l’Enfance « irrégulière », n°13, 2011 http://rhei.revues.org/3229 88
Alexis Danan, l’outré à outrance http://next.liberation.fr/livres/2014/09/10/alexis-danan-l-outre-a-outrance_1097595 89
« Le journaliste, cette sorte de moraliste social, est peut-être celui qui pourrait donner le plus exactement la mesure de cette transe de tout un peuple, classes mêlées, à la lecture de ces récits où l’on voit un enfant, ordinairement très jeune, aux prises avec un monstre de cruauté qui est son père, ou sa mère, assez souvent son beau-père, ou sa belle-mère. » Alexis DANAN (1890-1979), « Conseils gratuits aux protecteurs », La Tribune de l’enfance, n°18, décembre 1964, p. 9. Cité par Pascale Quincy-Lefebvre, Revue d’Histoire de l’Enfance « irrégulière », n°13, 2011
57 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
1989
[3] Rapport MISSOFFE - Sénat
« Les seuls chiffres dont on puisse être sûr sont les suivants : la police judiciaire est saisie
d'environ 1 700 affaires sur lesquelles ne sont en moyenne prononcées que 600
condamnations, et on estime entre 300 et 600 le nombre des enfants décédés suite à de
mauvais traitements. »
RAPPORT FAIT au nom de la commission des Affaires sociales sur le projet de loi relatif à la
prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance, Par
Mme Hélène MISSOFFE, Sénateur, page 17 (15 pour pdf) https://www.senat.fr/rap/1988-
1989/i1988_1989_0269.pdf
- Les chiffres annoncés comme sûrs sont ceux de la police judiciaire qui concernent des mauvais traitements sur enfants, pas seulement ceux aboutissant à leur mort.
- Pour les 300 à 600 annoncés comme le nombre des enfants décédés suite à des mauvais traitements, nous avons quitté le domaine des chiffres sûrs : il s’agit d’une «estimation » et la fourchette dit bien la part d’inconnu de la réalité du chiffre.
- D’ailleurs, dans un chapitre qui suit cette partie du rapport, Hélène MISSOFFE, rapporteure précise : « En tout état de cause, les données statistiques disponibles en France demeurent parfaitement inutilisables, tant leur fiabilité reste sujette à caution. C'est d'ailleurs pourquoi les enquêteurs de l'IGAS se sont refusés à citer quelque chiffre que ce soit dans leur enquête de 1987. »
Pas de source pour l’estimation. Néanmoins, Girodet et Straus indiquent91 en janvier 1990 avoir
trouvé cette estimation dans les documents du ministère des Affaires Sociales, sans qu’une source
soit citée.
En résumé
Pas de valeur accordable à cet énoncé, quand bien même il provient d’un rapport sénatorial. Les
assemblées nationale et sénatoriale produisent des rapports qui ne sont pas en soi une
démonstration.
1994
91
« Dans les documents émanant du ministère des Affaires sociales on trouve : « L’enfance maltraitée est un problème dont l’approche se fait difficilement par les chiffres, mais il faut savoir que les évaluations communément avancées sont de 300 à 600 décès par an. » in AFIREM, L'enfance maltraitée, Editions Karthala « Questions d'Enfances », 1991 Actes du Congrès AFIREM L’enfance maltraitée. Du silence à la communication. Toulouse, janvier 1990, pages 197-203. https://www.cairn.info/l-enfance-maltraitee--9782865372959-page-197.htm
58 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
[4] Docteur Thierry MICHAUD-NERARD, psychiatre, Saint-Pierre de la réunion
« En France, plus de 50 000 enfants sont maltraités chaque année, ce qui correspond en gros
à 1 pour 1 000. D’autre part, la fréquence augmente dès que l’on s’y intéresse
systématiquement : dès que l’on recherche les signes de la maltraitance et qu’on organise un
dépistage bien conduit, la fréquence augmente : celle des cas connus, non la fréquence réelle.
Il faut ajouter que les enfants qui ont subi des actes de maltraitance seront exposés à des
récidives une fois sur deux ; c’est quelque chose que l’on doit toujours avoir à l'esprit. Il faut
signaler le risque de séquelles définitives. Il y a des séquelles extrêmement graves d’un point
de vue neurologique, orthopédique et aussi, pour ce qui nous concerne, psycho-affectif. Enfin,
le risque vital est engagé. Dans les cas de maltraitance, on admet que 3 à 5% d’enfants sont
tués. »
Conférence Les difficultés du signalement en matière de maltraitance d’enfants, Saint
Joseph, 7 mars 1994. http://pausanias.free.fr/primecole/PrevSant/sign_malt.doc
- Si d’une part, 3 à 5% des enfants maltraités sont tués et, d’autre part, que « plus de 50 000 enfants sont maltraités chaque année », alors le chiffre de victimes serait de… 1 500 à 2 500 par an ! Soit entre 4 et 7 enfants par jour ! Ajoutons que si 50 000 enfants représente 1 enfant sur mille comme cela est mentionné, il y a alors 50 millions d’enfants en France…
- Aucune source citée pour justifier les 3 à 5 % d’enfants maltraités qui seraient tués. Mais on peut penser que ce sont les travaux cités par Dominique Girodet et Pierre Straus (voir 1981) qui ont servi de référence. Or, ces travaux montrent l’impossibilité de tirer les conclusions présentées dans cette intervention.
En résumé
Les affirmations disproportionnées, non-référées à une source, et probablement issues de données
anciennes insuffisantes pour soutenir une telle conclusion ne permettent pas d’accorder la moindre
crédibilité aux données annoncées.
1998
[5] Docteur Georges BANGEMANN, Pédiatre praticien au CHU de Nîmes représentant La voix de
l’Enfant, audition par la commission d’enquête parlementaire sur l’état des droits de l’enfant en
France
« Je ne reprendrai pas le problème de l’enfance maltraitée dans son ensemble, mais il faut savoir
qu’il y a quinze ans environ six cents à sept cents décès d’enfants étaient imputables à des
mauvais traitements infligés par les parents ; aujourd’hui, les chiffres sont les mêmes ! »
Audition du 5 févier 1998 devant LA COMMISSION D’ENQUÊTE sur l’état des droits de l’enfant en
France, notamment au regard des conditions de vie des mineurs et de leur place dans la cité,
Président M. Laurent FABIUS, Rapporteur M. Jean-Paul BRET, Députés.
- Renvoi à la période de la moitié des années 80, ce qui nous rapproche de l’annonce pour l’année 1984 de deux enfants par jour par la Fondation Alexis DANAN (voir plus haut - 1985), sans pour autant y faire explicitement référence.
59 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
- Le chiffre énoncé, « six cent à sept cent décès », s’approche aussi des chiffres de la Fondation Alexis DANAN de deux enfants par jour (soit 730/an).
- Le chiffre est souligné dans sa stabilité. On comprend ici, vu le contexte dans lequel il est énoncé, que la stabilité du chiffre est en soi un argument implicite de l’incapacité, voire l’absence de volonté politique à changer les choses.
- Aucune source citée ni pour les années 80 ni pour l’affirmation renouvelée en 1998. Le chiffre est donc une nouvelle fois affiché et non-sourcé.
En résumé
L’absence de source et de démonstration implique une absence de crédibilité à accorder à ce
chiffre.
Le fait que l’auteur soit pédiatre hospitalier peut créer le trouble du fait de l’autorité que l’on
attribue généralement aux médecins, mais ce n’est pas une démonstration de validité en soi.
L’histoire est riche en exemples de médecins affirmant des choses indémontrées ou fausses.
[6] Rapport BRET - Assemblée Nationale
« Tout aussi incertains se révélaient d’autres chiffres, a priori plus fiables, comme le nombre
de décès dus à la maltraitance ou le nombre de condamnations pour faits de maltraitance.
On relève ainsi plus que des nuances entre les sources disponibles. Par exemple, en juillet
1989, le rapport du Sénat (n° 269) sur le projet de loi relatif à la prévention des mauvais
traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance chiffrait " entre trois cents
et six cents le nombre d’enfants décédés suite à de mauvais traitements " et à mille sept
cents affaires et six cents condamnations les cas portés devant les instances judiciaires. En
novembre 1992, un rapport de l’Institut de l’enfance et de la famille (IDEF) rapportait, pour sa
part, six cents à huit cents décès annuels, mille cinq cents condamnations en moyenne et
deux cent mille situations suivies par les tribunaux pour enfants à la fin des années 1980. »
RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE (1) sur l’état des droits de l’enfant
en France, notamment au regard des conditions de vie des mineurs et de leur place dans la
cité, Président M. Laurent FABIUS, Rapporteur M. Jean-Paul BRET, Députés. 5 mai 1998.
- La prudence est immédiatement annoncée quant aux chiffres qui circulent : « Tout aussi incertains se révélaient d’autres chiffres, a priori plus fiables (…). On relève ainsi plus que des nuances entre les sources disponibles.» La prudence s’impose donc fort justement pour les membres de la commission d’enquête.
- Cette prudence s’applique ainsi aux données présentées justement comme des exemples de ces « nuances ».
- Précisons que le rapport de L’institut de l’enfance et de la Famille de 1992 avait comme objet une « étude de faisabilité pour déterminer les méthodes et les moyens qui permettraient de mesurer l’importance et l’évolution de la maltraitance à enfants en France ». Devant la fragilité des données existantes alors, cette démarche aboutira à confier à l’ODAS « la mission de poursuivre cette réflexion méthodologique et de procéder à la centralisation des
- Les données sont ici sourcées : nous trouvons d’où elles sont extraites. - Mais leur fragilité est clairement énoncée.
En résumé
Pour la commission d’enquête parlementaire, ces chiffres invitent à la réserve quant à leur valeur.
A la différence de l’utilisation qui en est faîte dans le rapport au Sénat de 1989, les députés font le
choix d’une prise de distance par rapport au caractère incertain des données qui circulent.
A noter : le travail critique d’analyse des limites des chiffres énoncés permet d’éviter le piège de
l’argument d’autorité. Il est en effet difficile de conclure de la lecture du document que la
commission d’enquête « reprend à son compte» le chiffre.
2002
[7] Rapport TUBIANA-LEGRAIN - Académie de médecine
« La gravité de la situation est soulignée par le nombre d’enfants maltraités par an en
France : environ 50 000 enfants font l’objet d’actions judiciaires ou sont pris en charge par
l’aide sociale à l’enfance. Le chiffre réel est vraisemblablement plus élevé encore car son
estimation est difficile. Il pourrait en résulter 600 à 800 décès par an [53], mais l’estimation
de ce nombre est délicate [70, 76]. »
COMMENT DÉVELOPPER ET AMÉLIORER LES ACTIONS DE PRÉVENTION DANS LE SYSTÈME DE
SANTÉ FRANÇAIS ? (Maurice Tubiana et Marcel Legrain) RAPPORT au nom d’un groupe de
travail(*) (5 février 2002) RÉSUMÉ ET RECOMMANDATIONS
« Notes :
[53] Assemblée Nationale. — Rapport 871 (La maltraitance), mai, 1998.
[70] La maltraitance des enfants (dossier). — Revue Internationale de Pédiatrie, 294, 3, 5, 6-36, 1999.
[76] Observation Nationale de l’enfance en danger. — La lettre. Les constats de l’année 2000.
Nov 2001. (http://odas.net/IMG/pdf/200111_lettreEnfanceSp_Nov01.pdf) »
Le rapport de l’Académie de Médecine apporterait-il le premier élément solide en faveur des chiffres
circulant ? A l’examen, ce n’est pas le cas.
- L’utilisation du conditionnel « il pourrait en résulter » est une première marque de prudence par rapport aux chiffres énoncés. La fin de la phrase interdit toute conclusion hâtive.
- Le chiffre est sourcé : le Rapport 871 de l’assemblée nationale de 1998, qui a été manifestement lu trop rapidement. Le titre annoncé en note (La maltraitance) n’est pas celui du rapport. Par contre, le numéro et l’année correspondent.
61 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
- Nous avons vu plus haut combien la commission d’enquête à l’origine de ce rapport prend de la distance avec les chiffres énoncés. Le rapport TUBIANA-LEGRAIN n’en dit rien explicitement. Mais il garde une grande prudence dans la mention de ces chiffres.
- Les deux autres sources citées le sont pour abonder dans le sens d’une nécessaire prudence quant aux chiffres qui circulent.
En résumé
Des chiffres repris avec des pincettes et provenant d’une source qui signifiait le manque de fiabilité
des chiffres énoncés, autant de raisons de ne trouver dans ce rapport aucun élément nouveau et
probant.
2003
[8] Bilan INOCENTI - UNICEF
3 enfants par semaine en France.
UNICEF : Tableau de classement des décès d’enfants par suite de maltraitance dans les
nations riches, Bilan Innocenti numéro 5, septembre 2003, Centre de Recherche Innocenti,
Florence, pages 2 et 8. https://www.unicef-
irc.org/publications/pdf/rc_maltreatment_fre.pdf
- Ce rapport apporte pour la France une estimation autour de 153 enfants morts par maltraitance par an en moyenne. C’est donc 4 fois moins que le chiffre de 600 enfants par an qui circule alors et près de 5 fois moins que celui auquel on aboutit à partir de « 2 enfants par jour ». Même dans les hypothèses « basses » (1 enfant par jour, 300 par an) c’est plus de deux fois moins.
- Cette estimation est le résultat de l’agrégation des données officielles de morts violentes suite à des maltraitances chez les enfants de moins de 15 ans, mais pas seulement. Dans ces chiffres, établis pour une période de cinq ans, le rapport précise que « sont compris les décès qui avaient été classés ‘de cause indéterminée‘ ».
- C’est un choix des auteurs, qu’ils expliquent pages 7 et 8 du rapport. Le raisonnement est intéressant mais laisse songeur. D’après eux, on ne peut montrer que les cas codifiés « causes indéterminées » soient bien une cause dû à de la maltraitance, mais on peut raisonnablement le penser dans un nombre significatif de cas. « Cette hypothèse paraît d’autant plus fiable qu’on trouverait peu de personnes travaillant dans le domaine de la protection médicale ou sociale de l’enfance pour contredire l’idée qu’une forte proportion des décès dus à des causes indéterminées sont en fait des conséquences de maltraitance impossibles à prouver » ajoutent t-ils.
- L’usage d’un argument d’autorité sous sa forme Argumentum Ad Populum92 (« peu de personnes travaillant dans le domaine de la protection médicale ou sociale de l’enfance pour contredire l’idée ») pour justifier la logique n’est pas valable. Il peut y avoir des erreurs très répandus dans tout groupe et les professionnels du social et médico-social n’y échappent pas.
- La première question est donc de définir ce que « forte proportion » veut dire… 15 % ? 40 % ? 70 % ? 95 % ? En fait, s’il y a probablement un consensus dans le sens d’une sous-
62 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
estimation du nombre d’enfants victimes mortelles de maltraitances, il y a une discussion sur l’importance de cette sous-estimation.
- Deuxième question : en quoi est-il justifié que de « forte proportion » des cas codifiés causes indéterminées, on passe à l’addition de l’intégralité de ces causes indéterminées à celles de la catégorie des causes identifiées relatives à la maltraitance ?
- Deux études sont citées, dans l’Etat du Missouri et en Nouvelle-Zélande, reprises dans un article de 1996 (N. Trocmé et D. Linsey, ‘What can child homicide rates tell us about the effectiveness of child welfare services?’, Child Abuse and Neglect, Volume 20, No. 3, 1996 (p. 173) http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0145213495001476) montrant que 50 à 70 % des décès pour causes de maltraitances n’avaient pas été codifiées dans cette catégorie.
- Or, la modification du résultat avant et après intégration de la catégorie des morts de causes indéterminées fait que pour la France, l’on passe d’un taux de décès par maltraitance de 0.5 pour 100 000 enfants de moins de 15 ans à 1,4 pour 100 000 enfants de moins de 15 ans.
- Ainsi, sur les 153 enfants en moyenne annoncés par l’étude, près d’une centaine sont dans la catégorie « causes indéterminées ».
- Pourtant, même en suivant cette « intégration maximale » des « causes indéterminées » en les ajoutant à la catégorie « morts par maltraitance », alors, nous avons un chiffre plus de quatre fois moins important que ceux des tenants du « deux enfants tués par jour ».
En résumé
Les auteurs sont à l’origine de la production du chiffre sur les bases d’un travail de recensement de
données objectivées. Le chiffre tente de rester au plus près des données recueillies. La question de
l’intégration de l’intégralité des décès de « causes indéterminées » fragilise cependant la valeur du
chiffre annoncé. L’utilisation du biais de l’argument d’autorité / ad populum pour justifier le choix
des auteurs est invalide.
[9] Rapport LORRAIN, Sénat.
« En l'absence de données complètes et officielles, le problème de l'enfance maltraitée reste
difficile à appréhender. (…) Concernant les chiffres connus en termes de conséquences de la
maltraitance, on admet que 3 à 5 % des enfants maltraités décèdent à la suite de ces actes.
Le nombre de décès d’enfants par sévices corporels oscille entre 400 et 700 par an, soit
pratiquement deux par jour. Les décès de nourrissons consécutifs à des sévices représentent
désormais, en France, la deuxième cause de mortalité infantile, passée la première semaine
de vie. »
RAPPORT FAIT au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi relatif à
l’accueil et à la protection de l’enfance, Par M. Jean-Louis LORRAIN, Sénateur. Page 7 , 8
octobre 2003. https://www.senat.fr/rap/l03-010/l03-010.html
- Aucune source n’est donnée. - Utilisation d’une affirmation que l’on retrouve sous une forme quasi-semblable dans le texte
de la conférence en 1994 du Docteur Thierry MICHAUD-NERARD (« 3 à 5% »), probablement
63 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
issus d’une recherche qui ne permet pas de conclure comme le Rapport Sénatorial le fait (voir notre premier exemple pour l’année 1981 plus haut). Donc, non-fiable.
- On voit ici reprise une estimation qui semble se situer dans un entre-deux. Les précédents rapports parlementaires mentionnaient « 300 à 600 enfants » (Sénat, 1989) et 600 à 800 (assemblée nationale, 1998). Celui de 2003 se situe entre les deux : 400 à 700.
- La dimension dramatique est accentuée par le fait que les décès de nourrissons seraient la deuxième cause de mortalité infantile. Une rapide consultation du nombre et des causes de décès chez les moins de un an en 2002 (année de référence pour le rapport du sénateur en 2003) par le CEPIDC permet de mesurer l’inexactitude de cette affirmation : le nombre des morts par accident, les morts subites du nourrisson et les morts causées par différentes pathologies sont supérieures dans les chiffres officiels aux décès en raison de maltraitances. Mais il est vrai que le sénateur ne précise pas le nombre de morts concernant la catégorie étudiée, donc l’annonce angoissante ne permet pas la vérification…
En résumé
Le résultat encore une fois est sans appel : pas de source ni de données fiables ; reprises de
données incertaines et anciennes… Aucune valeur à ces estimations. Cela n’empêchera pas, à
l’occasion de la suite des débats de ce projet de loi devant l’assemblée nationale, la députée
Henriette MARTINEZ de reprendre sans plus de précision cette même estimation de « 3 à 5% » de
décès parmi les enfants maltraités dans son rapport remis à l’assemblée nationale le 26 novembre
2003.Mieux encore : alors que le rapport LORRAIN prend un peu de distance avec le chiffre
(« admet »), la députée MARTINEZ est affirmative («3 à 5% des enfants maltraités décèdent de ces
actes»).
2006
[10] Martine BROUSSE, Directrice La Voix de l’Enfant
« (…) chaque année, plus de trois cents enfants meurent sous les coups d'un proche. » Table
ronde organisée par la Commission des Affaires Sociales du Sénat, 31 mai 2006.
http://www.senat.fr/rap/l05-393/l05-393_mono.html
- Affirmation sans source. - Un chiffre plutôt dans la fourchette basse de ceux rencontrés jusque-là mais deux fois
supérieur à celui que nous avons déjà abordé du rapport Inocenti de 2003 (153 cas). - Rappelons qu’en 1998 (voir citation [5]), le Docteur Georges BANGEMANN auditionné par
une commission sénatoriale en tant que représentant de la Voix de l’Enfant, comme Madame BROUSSE, annonçait un chiffre de 700 à 800 enfants morts par an. Comment sommes-nous passés de ce chiffre à « plus de 300 » en quelques années ? Sur quelles données s’appuie-t-on dans cette association lorsque l’on va devant le législateur pour plaider sa cause ? Mystères...
En résumé
Aucune démonstration ni source donnée. Aucune valeur du chiffre énoncé.
- Aucune source dans ce rapport important puisqu’il nourrit la discussion parlementaire en vue de la réforme de la protection de l’enfance qui sera adoptée le 5 mars 2007.
- Mais une nouvelle estimation non-étayée. 2 enfants par semaine, soit une centaine par an. - Nous nous rapprochons-là des chiffres du rapport Innocenti de 2003 (3 par semaines). Peut-
être que le chiffre donné dans le rapport de l’UNICEF (avec les limites étudiées plus haut) a t-il été corrigé par Madame PECRESSE ? Ceci serait une démarche fondée puisque, si l’on suit les auteurs du rapport Innocenti, on est fondé à ajouter au nombre de décès dus à la maltraitance 50% de ceux relevant de causes inconnues, ce qui amène à ce total d’une centaine de cas par an, soit deux par semaine. Mais ceci relève toutefois encore d’une extrapolation incertaine…
En résumé
L’absence de source à la donnée chiffrée énoncée fait qu’il est difficile d’en analyser la valeur.
Notons qu’elle se situe au minimum entre trois et six fois moins que la fourchette la plus énoncée
qui circule depuis 1985. Ce rapport ne peut donc servir à étayer le « 2 enfants par jour/600 par
an ». Il est dommage que ne soient pas données des informations sur ce qui fonde les auteurs du
rapport à donner cette fréquence de deux enfants/semaine.
[11] Blog - Article Baby P. : à la mémoire de Peter Connelly et tous les enfants martyrisés
« En France, le nombre d'enfants décédés suite à des sévices corporels oscille depuis des
années entre 600 et 700 par an, soit 2 enfants par jour, soit 3 à 5 % des enfants maltraités.
(sources S.Cg et Docteur Michaud-Nérard ) »
Article Baby P. : à la mémoire de Peter Connelly et tous les enfants martyrisés, sur le blog
http://www.babypenfantsmaltraites.fr/index.php
Pourquoi ce blog repris ici alors que jusque-là nous avions des acteurs collectifs (associations), des
professionnels (médecins) et/ou des institutions (Académie de médecine, Assemblée nationale,
Sénat) ? Parce qu’au milieu des années 2000, la diffusion des chiffres va passer, que ce soit pour les
autorités, les médias ou les citoyens, par le biais d’internet. Chacun peut agréger et mettre à
disposition des données dont la valeur peut prêter à discussion ou être fiable… Ce phénomène est
67 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
[15] Questions de santé publique/Institut de Recherche en Santé Publique
« En effet, pendant la période concernée par l’étude, selon les statistiques officielles de mortalité,
il y a eu 17 cas d’infanticides par an en moyenne au niveau national. Une correction à partir des
résultats de l’enquête hospitalière conduit à estimer ce chiffre plus probablement à 255 cas par
an en moyenne. »96
Dossier réalisé par Anne Tursz qui utilise le correctif multipliant par 15 le nombre d’infanticides
pour arriver à 255.
2012
[16] Lettre au Président de la République – Libération
« On ne peut être qu’alarmé aussi par ce qu’on sait en France de la fréquence supposée des
homicides avant l’âge de 1 an. Cette forme extrême de maltraitance est probablement 15 fois
supérieure à ce qu’indiquent les statistiques officielles. »
Tribune à l’attention du Président de la République par Anne Tursz, Pédiatre, présidente du
comité interministériel du plan national Violence et santé (2004-2008), Daniel Rousseau,
pédopsychiatre, auteur de recherches sur les enfants de l’Aide Sociale à l’Enfance, Céline
RAPHAËL, interne en médecine, auteure du mémoire le « Repérage de la maltraitance en
milieu scolaire », Libération, 2 juillet 2012.
- En 2012, Anne TURSZ, avec Daniel ROUSSEAU et Céline RAPHAËL, interpelle le nouveau Président de la République, Françoise HOLLANDE à travers une tribune publique. Le facteur multiplicateur X 15 est à nouveau utilisé. Les deux autres (x3 à x10) ont disparu.
[17] Muriel SALMONA, pédopsychiatre.
« Les professionnels de l'enfance s'accordent à donner comme chiffre d'enfants morts des
suites de violence celui d'au moins 700 par an, soit environ deux enfants par jour. »
Les violences envers les enfants : un silence assourdissant et une non-assistance à personnes
en danger, par MURIEL SALMONA, psychiatre spécialisée en psychotraumatologie et
victimologie, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie
- Madame SALMONA affirme que son chiffre (« au moins 700 ») est le fruit d’un
accord des professionnels de l’enfance. Qui sont « les professionnels de l’enfance »
96
La maltraitance envers les enfants, Anne Tursz, Questions de santé publique n°14, septembre 2011, publié par l’Institut de Recherche en santé publique. http://www.iresp.net/iresp/files/2013/04/110826112024_qspn-14-maltraitance.pdf
68 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
dont elle parle ? Où et quand a-t-il été défini que ce chiffre était un point d’accord
entre ces professionnels ? Poser ces questions, c’est y répondre.
- L’auteure utilise ici une forme biaisée d’argumentation mêlant des arguments
d’autorité (celle de l’auteure, celle des « professionnels de l’enfance ») et l’argument
ad populum (https://cortecs.org/materiel/principe-de-la-preuve-sociale-effet-panurge-
ou-argumentum-ad-populum/), qui tend à faire croire que si une majorité de
personnes, qui plus est si elles sont spécialistes, pensent une chose, c’est que ce doit
être forcément vrai.
- Dans son article, l’auteure mentionne les travaux d’Anne TURSZ sur les sous-
estimations du nombre des situations de maltraitances, mais pas pour étayer
directement le chiffre de 700.
- Précisons qu’en 2017, Madame SALMONA affirmera que ce sont plus de 300 enfants
qui meurent ainsi chaque année… Voir plus bas la citation [45].
En résumé
Aucune référence pour le chiffre mis à part un argument biaisé (ad populum)
aboutissent à ne donner aucune validité au chiffre énoncé.
A noter une fois encore la forte présence de la question de l’autorité (« psychiatre spécialisée en
psychotraumatologie et victimologie, présidente de l'association Mémoire Traumatique et
Victimologie »).
3ème Période : 2013 – 2017
2013
L’année 2013 est très particulière et va permettre une accentuation de la communication de ceux qui
affirment qu’en moyenne, deux enfants meurent par jour du fait de maltraitances. On peut constater
qu’ils vont prendre une place dominante dans les médias et le débat public, grâce à l’utilisation
répétée de ce chiffre.
On entendra dès lors beaucoup moins d’autres voix, plus réservées quant à la validité du chiffre et de
l’éthique de son utilisation.
Deux événements marquent le premier semestre 2013.
- Les Assises de la protection de l’enfance s’ouvrent se tiennent les 11 et 12 février au Mans, un an après que ce soit tenu dans cette même ville le procès des parents de Marina, qu’ils ont tué après des années de maltraitances non-décelées. Elles réunissent près de 2000 professionnels et acteurs du champ de la protection de l’enfance.
- Un colloque organisé au Sénat par Anne TURSZ et André VALLINI, et placé sous la présidence de Valérie TRIERWILER le 14 juin 2013, qui réunit plus de 200 personnes, venant de différents secteurs. C’est pourtant celui-là qui provoquera le plus d’impact dans les médias et pour la diffusion du chiffre.
81 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
http://www.innocenceendanger.org/protection-des-enfants-en-france/ Vérifié le 26 juillet
2017, ce lien consulté en 2016 menant vers la page-cible dont les propos sont copiés ici, ne
fonctionne plus !
Mais voici ce que l’on trouve dorénavant à l’adresse http://www.innocenceendanger.org/a-
propos/la-realite-en-face/
Sur ce que l’on trouvait sur le site jusqu’en 2016 :
L’agrégation de données et d’autorités censées démontrer la crédibilité du chiffre mentionné en
majuscule… :
- « Selon les estimations les plus courantes » faîtes par les associations : répétition de chiffres qui circulent…
- La part de 3,8 % des homicides de nourrissons sur le total des homicides est bien mentionnée en 2008 par Anne TURSZ notamment dans l’ouvrage « ENFANTS MALTRAITES. Les chiffres et leur base juridique en France » d’Anne Tursz & Pascale Gerbouin-Rérolle, 9 décembre 2008, Ed. LAVOISIER – INSERM. Mais ce chiffre porte en fait sur l’année 1993, dernière année où les statistiques de la police et la gendarmerie nationales donnaient des chiffres séparés pour les nourrissons de moins d'un an. Ces données sont donc en 2016, rapprochées de 2008, mais datent de 1993, soit 23 ans en arrière…
- Sur le syndrome du bébé secoué, la Haute Autorité de Santé indique bien en page 4 de sa recommandation la plus récente sur ce sujet (mai 2011 - http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2016-01/syndrome-bebe-secoue-recommandations-commission-audition.pdf ) que « Chaque année, 180 à 200 enfants seraient victimes, en France, de cette forme de maltraitance ; ce chiffre est certainement sous-évalué. » Mais tous les enfants victimes ne meurent pas. Mélanger ces chiffres, qui ne concernent pas directement les décès, aux données censées illustrer l’affirmation des deux enfants tués par jour n’est pas possible en termes de rigueur.
La citation-source pour le chiffre (sénat, 2003) est, comme nous l’avons vu plus haut (voir citation
[9]) sans aucune source elle-même. Voici encore un exemple montrant comment à force de citer
des sources qui n’en ont pas, on a fini par donner une crédibilité au chiffre. Et quand c’est la
Fondation pour l’Enfance qui le donne comme source dans un dossier à destination des médias,
cela donne un accès facile à) une donnée en apparence solide…
A noter que à la fin des années 80, c’est la Fondation de France qui utilisait déjà cet argument ainsi : « Plus récemment la Fondation de France a adressé une demande de soutien financier auprès des particuliers concernant les enfants en danger. Sur le bon de soutien on trouve : Faits et chiffres, en France chaque année 600 enfants décèdent de mauvais traitements. La lettre d’accompagnement débute par « en France, chaque jour, 2 enfants meurent victimes innocentes de mauvais traitements », soit 730 par an. » (Source : Dominique Girodet et Pierre Straus, in AFIREM, L'enfance maltraitée, Editions Karthala « Questions d'Enfances », 1991 Actes du Congrès AFIREM L’enfance maltraitée. Du silence à la communication. Toulouse, janvier 1990, pages 197-203. https://www.cairn.info/l-enfance-maltraitee--9782865372959-page-197.htm
[45] Muriel Salmona
« La police et la gendarmerie nationale donnent un chiffre qui se situe entre 70 et 100 enfants
de moins de 15 ans victimes d'homicides chaque année en France métropolitaine. Il manque
donc les chiffres concernant les 15-18 ans et ceux des DOM-COM (France d'outre-mer). (...)
D'après A. Tursz, il faudrait donc multiplier par 3 à 15 fois les chiffres d'enfants tués de moins
d'un an. Comme il y a, selon les statistiques de la justice, en moyenne chaque année 20
enfants de moins de 1 an victimes d'homicides, cela ferait entre 60 et 400 enfants de moins
de un an, rajouté aux 50 à 80 enfants de plus de 1 an à 15 ans, on arrive au chiffre probable
de 110 à 480 enfants de moins de 15 ans victimes d'homicides par an en France
métropolitaine (Tursz, 2010)."
Châtiments corporels et violences éducatives : Pourquoi il faut les interdire en 20 questions
réponses. Muriel Salmona, Dunod, septembre 2016, pages 48 et 49. Préface de Geneviève
Avenard, Défenseure des enfants. Pour consulter les pages 48 et 49 :
https://books.google.fr/books?isbn=2100755536
Nous nageons ici en pleine confusion des chiffres et des résultats.
84 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
- Il est faux d’écrire que la police et la gendarmerie donnent un chiffre entre 70 et 100 enfants de
moins de 15 ans victimes d’homicides chaque année en France métropolitaine. Au moment où
l’auteure publie son livre, la moyenne sur les 5 dernières années connues (2011 – 2015) a été de 56
et le chiffre annuel a oscillé entre 55 et 75. Il n’a dépassé qu’une seule fois (2015) la barre des 70 cas,
chiffre pourtant le plus bas donné par Madame Salmona. Les 4 autres années, il était nettement en
dessous98.
- La mention des chiffres Outre-Mer pourtant non-cités ne permet pas une augmentation importante
du total. Ainsi, en cherchant une étude reprenant ces données, j’ai trouvé pour l’année 2012 un total
de 4 homicides sur mineurs de moins de 15 ans pour les DOM-COM99.
- Il est faux d’écrire qu’Anne Tursz prétend qu’il faudrait multiplier par 3 à 15 les chiffres d’enfants
tués de moins de un an que donne la justice. Anne Tursz applique ces facteurs multiplicateurs aux
données du CépiDc de l’INSERM, lesquels sont moins importants que les 20 cas annoncés (12 en
moyenne100 entre 2009 et 2013).
- La multiplication donne donc un résultat original par rapport à ce que nous avons vu depuis le
début de ce travail. De 60 à 400 enfants de moins de un an : c’est plus que les 50 à 255 proposés par
Anne Tursz elle-même !
- Par contre, Muriel Salmona se distingue des affirmations d’Anne Tursz en n’extrapolant pas les
résultats des moins de un an à l’ensemble des mineurs de moins de 15 ans (sage attitude) mais en
« jonglant » avec des données faussement attribuées à la police/gendarmerie pour en tirer des
conclusions qui vont du simple (110) à plus du quadruple (480) !
- L’exploit est de citer en source de son résultat final Anne Tursz, dont le travail est pourtant différent
avec des résultats eux-aussi différents comme le montre la lecture de son livre Les oubliés (Tursz
Anne, Seuil, 2010).
- Enfin, rappelons-nous que peu de temps auparavant (voir citation [17] en 2012), Muriel Salmona
annonçait avec aplomb 700 enfants morts par an.
2017
[46] Muriel Salmona
« (…) au moins 300 enfants sont tués (environ 100 homicides d’enfants de moins de 15 ans
sont rapportés chaque année par la police et la gendarmerie et au moins 200 décès
inexpliqués d’enfants de moins de 1 an seraient en réalité des homicides, Tursz, 2010). »
98
55 en 2011, 46 en 2016, 62 en 2013 et 56 en 2014. Source : Les homicides sur mineurs de 15 ans, par Marie CLAIS, in La note de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) n°17, octobre 2017. 99
1 à la Réunion, 1 à Wallis-et-Futuna et 2 en Polynésie Française. Source : La délinquance constatée. Données locales ? Année 2012. 2012 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000490.pdf 100
5 en 2009, 8 en 2010, 16 en 2011, 15 en 2012 et 2013.
En 2012 (citation [17]), Madame Salmona annonçait « au moins 700 enfants » tués par an. En 2016
(citation [45]), elle annonçait entre 110 et 480 enfants tués par an. Nous voici peu de temps après
avec une nouvelle estimation de « au moins » 300 enfants tués. Et la réaffirmation d’un chiffre faux
comme vu ci-dessus en 2016 (les 100 mineurs de moins de 15 ans tués). Quant au « au moins 200
décès inexpliqués d’enfants de moins de un an qui seraient en réalité des homicides », affirmation
référée à Anne Tursz, c’est au moins incomplet. Anne Tursz estime dans son livre Les oubliés (2010,
page 140) donne une fourchette entre 51 et 255.
[47] Anne Tursz
A l’occasion de la publication le 1er mars du premier Plan contre la violence faîte aux enfants, les
médias reprennent les affirmations de deux enfants tués chaque jour ainsi que le chiffre de 255
homicides d’enfants de moins de un an, sur la base notamment d’entretiens avec Anne TURSZ. Le
travail entamé près de 10 ans auparavant a permis qu’apparaisse comme une évidence un chiffre
fort ancien et sans démonstration probante.
[48] France TV infos
"Il y a un nombre de cas non négligeables de crimes qui passent inaperçus, mis au compte de la « mort inexpliquée » du nourrisson", a déclaré Mme Rossignol à l’AFP ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes « Elles sont même sous-estimées, selon le Dr Anne Tursz, directrice de recherche à l’Inserm. Une étude, menée par cette pédiatre sur la période 1996-2000 estimait, en effet, à 255 le nombre d’homicides d’enfants de moins d’un an, contre 17 selon les statistiques officielles. »
1er
mars 2017 - http://www.francetvinfo.fr/sante/enfant-ado/nourrissons-les-deces-lies-
a-la-maltraitance-sous-estimes_2076727.html
[49] Le Progrès
« Potentiellement deux morts d’enfants par jour
Si une femme décède tous les trois jours sous les coups de son conjoint, quid des enfants ? Aucune conclusion chiffrée ou, en tout cas, synonyme de fiabilité n’existe à ce jour. Une esquisse de données officielles recensait 17 cas d’infanticides par an entre 1996 et 2000. Une étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), sous la direction d’Anne Tursz, réévalue le bilan à 255, soit quinze fois plus. Une hypothèse extrapolée suppute le décès de deux enfants de moins de quinze ans par jour. »
86 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
2 mars 2017 http://www.leprogres.fr/societe/2017/03/02/un-plan-contre-les-violences-infantiles
[50] Site Dubasque.org
« Les récents faits divers dramatiques, du décès du petit David,puni car il avait mangé des bonbons, à celui de Yanis, mort pour avoir fait pipi au lit, nous rappelle un chiffre terrible : deux enfants succomberaient chaque jour à cause de maltraitances… »
La multiplication du chiffre, qui ressemble à une information confirmée, produit sa reprise copiée-
collée d’un article de l’Obs mis en lien par le site de Didier Dubasque , veille d’actualités du travail
social, le 6 mars 2017.
[51] Marine Le Pen, candidate à l’élection présidentielle
« (…) une présidente qui protège les plus faibles en n’oubliant pas les enfants. Comme mère, je ne peux pas me résoudre à vivre dans un pays où, tous les jours, deux enfants meurent sous les coups de leurs parents, où des enfants sont violés, où les placements abusifs sont nombreux et les placements nécessaires oubliés. …. Leur malheur est trop souvent passé sous silence, la pudeur face aux souffrances qui sont les leurs ne peut prendre la couleur du déni politique. » Meeting de Villepinte, 1er mai 2017
https://www.youtube.com/watch?v=jHlrg4sX0xo à partir de 49mn 35
87 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
- Marine Le Pen use ici des mêmes ressorts que certains autres que nous avons croisés dans ce dossier.
- Elle est fondée à croire ce qu’elle dit puisqu’il s’agit de l’information relayée par tous les médias généralement qualifiés de sérieux.
Depuis, l’affirmation continue à circuler. Mais deux épisodes « incroyable » viennent clore cette liste
de citations.
[52] Martine Brousse, Présidente de la Voix de l’Enfant
Invitée le 20 novembre 2017 de l’émission La maison des Maternelles, sur France 5, Martine Brousse est interrogée par l’animatrice (voir le replay à partir de 21 mn 45 secondes) : Agathe LECARON, présentatrice : « on manque un peu de données concernant la maltraitance, y compris concernant les homicides, une enquête de l’INSERM évoquait en 2010 deux décès par jour, c’est énorme. Est-ce que vous, vous avez des chiffres à la Voix de l’Enfant ?» Martine BROUSSE, Présidente de la Voix de l’ENFANT : « La Voix de l’Enfant a engagé depuis bientôt deux ans une veille juridique chaque jour, une veille média (…) La Voix de l’Enfant peut au regard de ce travail dire que nous sommes entre un, ce qui est 10 fois, 100 fois trop, un à deux enfants décédés par semaine. »
- l’Association La Voix de l’Enfant qui donnait en 1998 de 700 à 800 enfants tués par an (voir [5]), qui en 2006 affirme un chiffre de « plus de trois cents enfants » (voir [10]) en annonce en 2017, après avoir (enfin) pris le soin de recenser les affaires, en trouve entre 50 et 100 par an. La Voix de l’Enfant invalide elle-même les chiffres qu’elle diffuse depuis des décennies.
- Mieux encore : elle vient implicitement corriger l’animatrice qui reprenait une affirmation trouvée sur Internet sans aucune forme de vérification (« deux enfants par jour selon une enquête de l’INSERM » voir [43]). Or, si cette affirmation a pu se répandre, c’est notamment grâce aux déclarations de la Voix de l’Enfant et d’autres associations protectionnistes de l’enfance depuis des dizaines d’années.
- La boucle est bouclée où ceux qui ont répandu l’information sans fondement viennent corriger ceux qui la reprennent.
- S’il est confirmé, ce retour à une position raisonnable sur ce thème important et provenant de la Voix de l’Enfant doit être souligné et salué. Ce serait un changement notable qui pourrait contribuer à ramener de vrais échanges, construits sur des données objectivées et crédibles.
2018
[53] Gilles LAZIMI, coordinateur de la campagne contre les violences éducative - RMC 15 janvier
2018
« On estime à un à deux enfants par jour qui meurent sous les coups de leurs parents"
88 Laurent Puech, « Deux enfants tués par jour ? », Délinquance, justice et autres questions de société, 24 janvier 2018
Quand le coordinateur d’une campagne de la Fondation pour l’enfance reprend une
information sans fondement aucun… Mais pour la première fois, c’est un autre média qui va
enfin vérifier cette « information ».
[54] Europe 1 – Géraldine WOESSNER
« Deux enfants meurent chaque sous les coups de leurs parents. Vrai ou Faux ?
C’est faux. Même si l’on entend souvent cette statistique, elle est erronée. Elle s’appuie sur
les travaux précurseurs d’une pédiatre qui avait tenté, pour la première fois, il y a 10 ans,
d’évaluer le nombre d’enfants victimes. Elle l’a fait en recoupant des données de la justice,
des rapports de décès dans 3 hôpitaux qu’elle a réétudiés, puis elle a estimé aussi le nombre
de bébés fantômes (ces enfants tués à la naissance, jamais déclarés). Tout cela, extrapolé à la
France, donnait un total de 700 décès par an, environ, soit 2 par jours. Cela n’a aucune
validité scientifique, mais au moins les consciences ont été réveillées. » http://www.europe1.fr/emissions/le-vrai-faux-de-l-info2/combien-denfants-meurent-chaque-
jour-sous-les-coups-de-leurs-parents-3548045
LE VRAI-FAUX DE L'INFO, CHRONIQUE DE L'ÉMISSION EUROPE MATIN, DIFFUSÉE LE MERCREDI 17
JANVIER 2018
Enfin la critique du Chiffre ! Dans un vrai diffusé le 17 janvier 2018, alors que ce dossier va être
publié (et sans rapport aucun entre les deux événements), une journaliste montre l’ineptie du