Afrique CFA : 2 400 F CFA, Algrie : 200 DA, Allemagne : 5,50 , Antilles-Guyane : 5,50 , Autriche : 5,50 , Belgique : 5,40 , Canada : 7,50 $C,
Espagne : 5,50 , Etats-Unis : 7,505 $US, Grande-Bretagne : 4,50 , Grce : 5,50 , Hongrie : 1835 HUF, Irlande : 5,50 , Italie : 5,50 , Luxem-
bourg : 5,40 , Maroc : 30 DH, Pays-Bas : 5,50 , Portugal (cont.) : 5,50 , Runion : 5,50 , Suisse : 7,80 CHF, TOM: 780 CFP, Tunisie : 5,90 DT.
"
"
!
!
CD, ceux-ci formeraient cinq piles capables
chacune de relier la Terre la Lune.
Lhyperination des donnes est un
phnomne relativement nouveau. En
2000, un quart seulement des informations
consignes dans le monde existaient au
format numrique. Papier, lm et support
analogique se partageaient tout le reste.
Du fait de lexplosion des chiers leur
volume double tous les trois ans , la
situation sest renverse dans des propor-
tions inoues. En 2013, le numrique repr-
sente plus de 98 % du total. Les Anglo-
Saxons ont forg un terme pour dsigner
cette masse devenue si gigantesque quelle
menace dchapper au contrle des gouver-
nants et des citoyens : les big data, ou
donnes de masse.
Devant leur dmesure, il est tentant de
ne les apprhender quen termes de chiffres.
Mais ce serait mconnatre le cur du
phnomne : limmense gisement de
donnes numriques dcoule de la capacit
paramtrer des aspects du monde et de
la vie humaine qui navaient encore jamais
t quantis. On peut qualier ce
processus de mise en donnes (data-
cation). Par exemple, la localisation dun
lieu ou dune personne a dabord t mise
en donnes une premire fois par le
croisement de la longitude et de la latitude,
puis par le procd satellitaire et numrique
du Global Positioning System (GPS). A
travers Facebook, mme les gots
personnels, les relations amicales et les
jaime se changent en donnes graves
dans la mmoire virtuelle. Il nest pas
jusquaux mots qui ne soient eux aussi
traits comme des lments dinformation
depuis que les ordinateurs explorent des
sicles de littrature mondiale numrise.
(Lire la suite page 10.)
(Lire la suite page 20.)
IMPOSSIBLE de la rater, mme au milieu de cette fort dimmeubles en
verre aux formes plus biscornues les unes que les autres ici, lorigi-
nalit est signe de distinction. La tour Samsung trne en plein cur de
Gangnam, lun des districts les plus bling-bling de Soul avec ses
avenues gigantesques, ses voitures de luxe et ses jeunes branchs,
rendus mondialement clbres par le chanteur Psy dans son clip
Gangnam Style.
Samsung Electronics y prsente, sur trois niveaux, ses inventions
les plus spectaculaires : crans gants o lon se transforme en joueur
de golf ou en champion de base-ball ; tlvisions en 3D ; rfrigrateurs
aux parois transparentes et dots dun systme pouvant suggrer des
recettes partir de leur contenu ; miroirs avec capteurs indiquant votre
rythme cardiaque, votre temprature Sans oublier, en trs bonne
place, le dernier bijou du groupe : le smartphone Galaxy S4, lanc dans
le monde entier.
Cest la face lumineuse de Samsung. En cette fin daprs-midi de
mai, des dizaines dadolescents se retrouvent ici, luniversit de Soul
se situant quelques centaines de mtres. Ils vont dun stand lautre,
sbahissent devant les prouesses, se dfient, sinterpellent. Tous
ceux que lon a pu interroger assurent que travailler chez Samsung
serait le rve.
5,40 - Mensuel - 28 pages N 712 - 60
e
anne. Juillet 2013
ART ET POL I T IQUE , L ACT ION SUR DU RVE pages 22 et 23
AU LONG DU NIL,
LES SOURCES
DE LA DISCORDE
PAR HABIB AYEB
Pages 14 et 15.
en Grce depuis trois ans se soldent par des checs
agrants. Sagit-il dune mprise uniquement imputable des
prvisions de croissance enjolives? Sans doute pas. Daprs
le dcryptage que fait le Wall Street Journal dun texte verbeux
souhait, le FMI admet quune restructuration immdiate [de
la dette grecque] aurait t meilleur march pour les contri-
buables europens, car les cranciers du secteur priv ont t
intgralement rembourss grce largent emprunt par
Athnes. La dette grecque na donc pas t rduite, mais elle
est dornavant due au FMI et aux contribuables de la zone
euro plutt quaux banques et aux fonds spculatifs (3) .
Ainsi, ces derniers se sont dgags sans perdre un centime
des prts quils avaient consentis Athnes des taux dintrt
astronomiques. On conoit quune tellemaestria dans le dpouil-
lement des contribuables europens au prot des fonds spcu-
latifs confre une autorit particulire la troka pour marty-
riser un peu plus le peuple grec.Mais aprs la tlvision publique,
ne reste-t-il pas des hpitaux, des coles, des universits quon
pourrait fermer sans coup frir? Et pas seulement en Grce.
Car cest ce prix-l, nest-ce pas, que lEurope tout entire
tiendra son rang dans la course triomphale vers leMoyen Age
(1) Lire La leon de Nicosie, Le Monde diplomatique, avril 2013.
(2) Constitue de la Commission europenne, du Fonds montaire international
(FMI) et de la Banque centrale europenne (BCE).
(3) IMF concedes it made mistakes on Greece, The Wall Street Journal,
NewYork, 5 juin 2013.
S O MM A I R E C OM P L E T E N PA G E 2 8
Amitis, penses, changes, dpla-
cements : la plupart des activits
humaines donnent dsormais lieu
une production massive de
donnes numrises. Leur collecte
et leur analyse ouvrent des pers-
pectives parfois enthousiasmantes
qui aiguisent lapptit des entre-
prises. Mais la mise en donnes du
monde risque aussi de menacer les
liberts, comme le montre le tenta-
culaire programme de surveillance
conduit aux Etats-Unis.
AU-DEL DE LESPIONNAGE TECHNOLOGIQUE
Mise en donnes du monde,
le dluge numrique
* Cet article est tir de leur livre Big Data : A
Revolution That Will Transform How We Live, Work,
andThink, HoughtonMifflin Harcourt, Boston, 2013.
Avec laimable autorisation de Houghton Mifflin
Harcourt Publishing Company (tous droits rservs).
Moyen Age europen
PAR SERGE HALIMI
L
ES politiques conomiques imposes par la dfense de
leuro sont-elles encore compatibles avec les pratiques
dmocratiques? La tlvision publique grecque fut cre au
lendemain dune dictature militaire. Sans autorisation du
Parlement, le gouvernement qui excute Athnes les injonc-
tions de lUnion europenne a choisi dy substituer un cran
noir. Avant que la justice grecque suspende la dcision, la
Commission de Bruxelles aurait pu rappeler les textes de lUnion
selon lesquels le systme de laudiovisuel public dans les Etats
membres est directement li aux besoins dmocratiques, sociaux
et culturels de toute socit. Elle a prfr cautionner le coup
de force, plaidant que cette fermeture sinscrivait dans le
contexte des efforts considrables et ncessaires que les
autorits fournissent pour moderniser lconomie grecque.
Les Europens ont fait lexprience des projets constitutionnels
rejets par le suffrage populaire et nanmoins entrins. Ils se
souviennent des candidats qui, aprs stre engags rengocier
un trait, le font ratier sans quentre-temps une virgule en ait
t change. A Chypre, ils ont failli subir la ponction autoritaire
de tous leurs dpts bancaires (1). Une tape supplmentaire
vient donc dtre franchie : la Commission de Bruxelles se lave
lesmains de la destruction desmdias grecs qui nappartiennent
pas encore des armateurs, ds lors que cela permet de licencier
sance tenante deuxmille huit cents salaris dun secteur public
quelle excre depuis toujours. Et de tenir ainsi les objectifs de
suppressions demplois dicts par la troka (2) un pays dont
60 % des jeunes sont au chmage.
Cet acharnement concide avec la publication par la presse
amricaine dun rapport condentiel du Fonds montaire inter-
national (FMI) qui concde que les politiques mises en uvre
AU III
e
sicle avant notre re, on disait
de la bibliothque dAlexandrie quelle
renfermait la totalit du savoir humain. De
nos jours, la masse dinformations dispo-
nibles est telle que, si on la rpartissait entre
tous les Terriens, chacun en recevrait une
quantit trois cent vingt fois suprieure
la collection dAlexandrie : en tout, mille
deux cents exaoctets (milliards demilliards
doctets). Si on enregistrait le tout sur des
Sa tablette Galaxy la propuls sur le devant de la scne, au
point quil dpasseApple. Du coup, Samsung et son concurrent
se livrent une guerre sans merci devant les tribunaux et les
instances internationales. Mais, au-del de llectronique, le
groupe sud-coren, aux activits multiformes, constitue un
conglomrat si puissant quil inuence aussi bien la politique
que la justice ou la presse du pays.
PAR NOTRE ENVOYE SPCIALE
MARTINE BULARD
CORE DU SUD
Samsung
ou lempire
de la peur
CHARLES GIULIOLI. Raisonnement, 2010
PAR V IKTOR MAYER -SCHNBERGER
ET KENNETH CUKIER *
JUILLET 2013 LE MONDE diplomatique
2
compense de manire diffrente, sauf la
recherche dune rduction des dpenses
sociales. Il nen a pas toujours t ainsi. La
loi dorientation du 30 juin 1975 traitait tout
le monde de la mme manire (). A lini-
tiative des conseils gnraux est apparue la
notion de dpendance. Bien utile puisque
les vieux se voient attribuer 40 % de
moins que les handicaps.
Pis encore : la loi de fvrier 2005 stipule
que, dans un dlai maximum de cinq ans,
les dispositions de la prsente loi oprant une
distinction entre les personnes handicapes
en fonction de critres dge en matire de
compensation du handicap et de prise en
charge des frais dhbergement en tablis-
sement sociaux et mdico-sociaux seront
supprimes. Le dlai est dpass depuis
plus de trois ans, et cette disposition nest pas
applique. Motif : ce serait trop coteux. Le
ministre qui a fait voter la loi sigeait dans le
gouvernement qui a refus de lappliquer.
Anglais
M. Gil Stauffer, journaliste scien-
tique, exprime son dsaccord avec
lditorial Contre la langue unique
(juin) :
Langlais des Physical Review Letters ou
du New England Journal of Medicine (fond
en 1812) na pas grand-chose voir avec
langlais de John Keats, John Lennon ou
Jim Harrison (lcrivain et pote...). Lan-
glais des sciences et des techniques est
considr par ses locuteurs, dans le monde
entier, comme un outil le latin des sciences
au XVIII
e
et mme au XIX
e
sicle , et rien
de plus. Un millier de mots courants
permettant de manier un vocabulaire sp-
cialis, voil le technical English ! Rien de
plus ! Je nai jamais entendu personne, dans
un quelconque congrs sujet technique,
soffusquer de lemploi de langlais. En
revanche, jai souvent entendu des Anglo-
Saxons, des germanophones et des Scan-
dinaves regretter que les participants fran-
ais ne mettent pas davantage de bonne
volont parler et prononcer correcte-
ment langlais
Libralisme
M
me
Rosa Llorens ragit larticle
de Serge Halimi Le laisser-faire
est-il libertaire ? (juin), qui faisait
lanalyse croise de deux ouvrages,
lun de Jean-Claude Micha, lautre
de Geoffroy de Lagasnerie :
Le parallle entre Jean-Claude Micha et
Geoffroy de Lagasnerie est faux. Ce ne
sont pas deux ples entre lesquels ttonne
la gauche franaise : qua voir le second
avec une rflexion de gauche ? Le vrai rap-
port entre eux, cest que Lagasnerie dvoile
sans crainte l lite de Normale Sup le
projet rel du libralisme, que Micha veut
dnoncer devant le peuple de gauche : la
destruction de toutes les valeurs symbo-
liques (histoire, traditions, croyances,
valeurs, culture, morale) qui font la
richesse et la dignit des hommes et des
peuples, pour imposer partout le mme
ordre libral nihiliste, productiviste et
consumriste.
ACCS DE FRANCHISE
Dans un entretien au site
The Times of Israel, le 6 juin,
le ministre adjoint de la dfense isralien,
M. Danny Danon, na pas hsit
contredire le discours officiel
du gouvernement auquel il appartient.
Regardez ce gouvernement :
il ny a jamais eu en son sein de
discussion, de rsolution ou de vote
au sujet dune solution deux Etats
[au conit isralo-palestinien], a dclar
Danon. Si vous la soumettiez au vote
mais personne ne le ferait, ce ne serait
pas intelligent , vous verriez la majorit
des ministres du Likoud [droite,
au pouvoir], de mme que le parti
Foyer juif [nationaliste religieux],
sy opposer. ()
Quand on lui demande si Benyamin
Netanyahou est vraiment en faveur
de cette solution, Danon rpond que le
premier ministre fait dpendre la cration
dun Etat palestinien de conditions
auxquelles il est certain que les
Palestiniens ne consentiront jamais. ()
Evoquant les condamnations habituelles
par la communaut internationale
des constructions israliennes
Jrusalem-Est, Danon dclare :
La communaut internationale peut dire
tout ce quelle veut, et nous pouvons faire
tout ce que nous voulons.
LUCRATIFS PIRATES
La radio publique norvgienne (NRK)
rend compte dune tude de lautorit
britannique de rgulation des
mdias (Ofcom) selon laquelle
tlchargement illgal et consommation
traditionnelle de contenus seraient
nalement complmentaires
(13 mai 2013).
Les plus grands pirates sont aussi
ceux qui achtent la plus grande quantit
de contenus le plus lgalement
du monde Environ trois fois plus
que les autres consommateurs
(que le rapport dOfcom qualie
dhonntes). Des tudes antrieures
avaient dj montr que ceux qui
partagent des chiers en ligne sont
plus enclins acheter des contenus
lgaux que dautres. Cette tendance
sest sensiblement accentue.
Les gros consommateurs de contenus
pirats (3,2 %) sont trs prcieux
pour lindustrie du divertissement,
car ils reprsentent eux seuls
prs de 11 % de lensemble
du contenu achet lgalement...
Au cours des trois mois pendant
lesquels le sondage a t effectu,
les pirates ont dpens en moyenne
168 livres sterling
[environ 197 euros]en tlchargement,
alors que les internautes honntes,
eux, nachetaient qu hauteur de
105 livres sterling [environ 123 euros].
PNITENCE
De lavis mme des autorits grecques
charges de la mettre en uvre,
laustrit impose Athnes viserait
avant tout souligner la soumission du
pays aux exigences de ses bienfaiteurs
(International Herald Tribune, 12 juin).
Les crditeurs exigent encore quinze
mille suppressions demplois [dans la
fonction publique] dici la n de lanne,
ce qui ressemble une forme de pnitence
impose. Comme la Grce a dj licenci
cent cinquante mille fonctionnaires, les
quinze mille restants sont un peu un
symbole, explique Antonis Manitakis, un
constitutionnaliste que le premier ministre
a charg de superviser les rductions
deffectifs au sein de lEtat. La troka
[Commission europenne, Banque centrale
europenne et Fonds montaire
international] souhaite surtout que nous
fassions la dmonstration de notre
dtermination rformer le pays.
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et du dveloppement : Anne-Ccile ROBERT (9621)
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Partenariat
Manire de voir Utopia
En partenariat avec les cinmas Utopia,
la parution de chaque numro de Manire
de voir est accompagne en 2013 dune
projection-dbat en prsence dun journa-
liste ou dun collaborateur duMonde diplo-
matique.
La prochaine rencontre se tiendra
le 11 juillet, 19h40, au cinma Utopia de
Tournefeuille (Haute-Garonne) autour
du Manire de voir n 130, A qui le crime
prote. La projection du lm de Joshua
Marston Maria, pleine de grce sera
suivie dun dbat ([email protected]).
Editions internationales
L
A runion annuelle des ditions internationales du Monde diplomatique sest
droule Budapest (Hongrie) les 7 et 8 juin 2013. Vingt-cinq ditions sur
cinquante et une taient prsentes ou reprsentes : Allemagne, Angola,
Argentine, Brsil, Chili, Core, Croatie, Equateur, Espagne, espranto, Finlande,
Grce, Hongrie, Iran, Italie, Japon, kurde sorani, Norvge, Portugal, Rpublique
tchque, Royaume-Uni, Slovaquie, Slovnie, Suisse, Venezuela. Les partici-
pants ont fait le point sur le dveloppement du rseau cration de deux
nouveaux journaux partenaires en 2012-2013, projets dans les Balkans et en
Afrique, difcults dans les pays affects par la crise de leuro , ainsi que sur
la situation de la presse et sur les volutions de la gopolitique mondiale.
Depuis toujours, Le Monde diplomatique se conoit comme un journal inter-
national ralis en France, plus que comme un priodique franais vendu
ltranger. Quarante-sept ditions, imprimes ou en ligne, ont ainsi t cres
sur tous les continents, lui permettant de paratre en vingt-huit langues avec
prs de deux millions dexemplaires vendus tous les mois.
Pour plus dinformations, consulter : www.monde-diplomatique.fr/int
COURRICOURRIER DES LER DES LECTECTEURSEURS
Mali
M. Erick Fessiot estime que larticle
de Dorothe Thinot Le blues de
larme malienne (Le Monde diplo-
matique, mai 2013) fait la part trop
belle au capitaine Amadou Haya
Sanogo :
Sanogo ntait nullement en colre. Il tait
lui-mme un hritier, cest--dire quil faisait
partie de cette frange de larme qui reoit,
tant bien ne, avantages et privilges, dote
de cinquante-huit gnraux pour moins de
quatre mille hommes. () Il considrait seu-
lement quil pouvait piller mieux et plus au
regard de ces chefs affects au Nord qui,
protgeant les narcotraquants et couvrant
leurs prises dotages, ralisaient de substan-
tiels prots. Ceux-ci, rpartis entre les poli-
tiques, narrosaient pas les brets verts de
Kati dont il tait licne. Bref, il avait plei-
nement conscience dtre, dans la gabegie
gnrale, un gagne-petit. ()Aujourdhui, il
continue de ngocier avantages et privilges,
exigeant que ses collaborateurs soient nom-
ms consuls, comme lavait t le Touareg
Ag Ghaly avant de devenir le chef dAnar
Dine, lun des principaux mouvements dji-
hadistes du Nord.
Mutilations gnitales
M
me
Florence Humbert apporte un
complment larticle de Philippe
Rekacewicz Ds du Millnaire en
matire de sant (juin) :
En Afrique subsaharienne vivent peu
prs cent quarante millions de survivantes de
mutilations gnitales. Il sagit dune atteinte
extrmement grave lintgrit corporelle
des lles et dune menace constante pour la
sant des femmes, leur vie durant. Je reproche
lOrganisation des Nations unies (ONU)
de ne pas avoir intgr la lutte contre les
mutilations gnitales dans les Objectifs du
millnaire. Comme votre article est relative-
ment critique juste titre avec ces objec-
tifs, jesprais que les mutilations gnitales y
seraient ne serait-ce quvoques. () Il y a
trente-cinq pays, majoritairement africains,
o lexcision est pratique, et dans vingt-huit
dentre eux elle est interdite. Les exciseuses
ont donc intrt faire le silence sur leur
pratique, pour mieux la perptuer. Elles y
arrivent fort bien, entre autres grce au sou-
tien dune grande partie des institutions et de
la presse internationales. En effet, personne
nen parle : lOrganisation mondiale de la
sant (OMS) ne signale pas dans ses statis-
tiques sur la mortalit prinatale combien les
femmes excises sont, bien plus que les
autres, susceptibles de dcder pendant un
accouchement. Les chiffres de la mortalit
infantile ne distinguent pas les causes des
maladies infectieuses : certaines sont contrac-
tes lors de lexcision et affectent durable-
ment la sant des lles. Devant une telle loi
du silence, les militants de beaucoup de pays
dAfrique qui luttent jour aprs jour contre ce
au voient non seulement leurs efforts igno-
rs, mais en plus les politiques de sant orga-
nises en dpit du bon sens.
Vieillesse
La lecture de larticle de Jerme
Pellissier A quel ge devient-on
vieux ? (juin) inspire M. Grard
Fucks la rexion suivante :
Lauteur sindigne juste titre de linga-
lit de traitement entre personnes ges et
personnes en situation de handicap. Cette
distinction est curieuse, puisque ces deux
pseudo catgories souffrent dun dcit
fonctionnel entranant une rduction de leur
capacit agir. Rien ne justie quon le
3LE MONDE diplomatique JUILLET 2013
IL NY A PAS QUE LE COT DU TRAVAIL ...
Cot du capital, la question qui change tout
On aurait pu penser que, parvenus au
bout de cette impasse, les responsables
europens, les dirigeants des grandes insti-
tutions conomiques, les experts srieux,
les commentateurs graves se dtournent
de leur obsession du cot du travail pour
en explorer une autre, quun simple esprit
de symtrie aurait d depuis longtemps
leur souffler. Sans quitter le registre des
cots, qui peuple limaginaire des cono-
mistes, ils auraient ainsi pu senqurir,
juste pour voir, de ce quil en est du cot
du capital, et de son augmentation. Non
parce quil y aurait l de quoi renforcer
nouveaux frais la doctrine de la compti-
tivit (2), mais parce quune fois rassasi
leur apptit pour les solutions sans
problmes, un petit got pour la diversit
aurait pu les amener examiner des
problmes sans solution (jusquici). Cest
ce point de vue que permet de dgager une
tude ralise par des conomistes du
Centre lillois dtudes et de recherches
sociologiques et conomiques (Clers),
la demande de la Confdration gnrale
du travail (CGT) et de lInstitut de
recherches conomiques et sociales (IRES).
Les auteurs de cette tude expliquent,
aprs dautres, que laugmentation du cot
du capital ou plutt, de son surcot ,
dans le sillage de la financiarisation de
lconomie, rend largement compte des
piteuses performances des conomies
anciennement dveloppes depuis une
trentaine dannes : le rythme poussif
daccumulation du capital quelles ont
connu, le creusement des ingalits,
lexplosion des revenus financiers, la
persistance dun sous-emploi massif Ils
donnent galement voir la monte en
flche de ce surcot du capital, en
proposant un indicateur moins lnifiant
que le fameux cot moyen pondr des
capitaux (3) popularis par la doctrine
financire standard.
PAR LAURENT CORDONNIER *
Afin de justifier toutes sortes de rformes, mdias et
gouvernants se prvalent de leur disposition bousculer
les archasmes et faire preuve de courage. Mais il
sagit toujours en dfinitive de rduire salaires et pres-
tations sociales. Il existe pourtant bien un tabou pna-
lisant tous ceux qui souhaitent investir et crer de lem-
ploi : le cot prohibitif du capital.
IL SERAIT sans doute passionnant de
refaire le trajet divrogne, tortueux et
chaloupant, parcourant toute lEurope,
qui a finalement abouti ramener tous
nos maux des questions de comptiti-
vit et, de proche en proche, des
problmes de cot du travail. Oublis la
crise des subprime, la crise de liquidit
bancaire, les gigantesques dprciations
dactifs, leffondrement du crdit, la
ttanie de la demande, la transformation
des dettes prives en dettes publiques, les
politiques daustrit. Comme nous lavait
bien expliqu ds 2010 M. Ulrich
Wilhelm, alors porte-parole du gouver-
nement allemand, la solution pour
corriger les dsquilibres [commerciaux]
dans la zone euro et stabiliser les finances
publiques rside dans laugmentation de
la comptitivit de lEurope dans son
entier (1).
Quand on tient une explication, il faut
savoir la dfendre contre vents et mares,
y compris ceux de la rigueur arithmtique.
Puisquon comprend sans doute trs bien
que nos dsquilibres internes ne peuvent
se rsoudre par une course fratricide et
sans fin entre les pays europens pour
gagner en comptitivit les uns contre les
autres ce qui sappelle, a minima, un jeu
somme nulle , le projet qui nous est
maintenant offert consiste tenter de
gagner en comptitivit contre le reste du
monde.Au bout de ses efforts, lEurope
dans son entier parviendra redresser
les balances commerciales de ses pays
membres, contre celles de ses partenaires
extrieurs. On attend avec impatience
linjonction, venant de lOrganisation de
coopration et de dveloppement cono-
miques (OCDE) ou de lOrganisation
mondiale du commerce (OMC), de
redresser la comptitivit du monde dans
son entier pour quil se refasse une sant
commerciale contre les Martiens.
produites, demplois jamais crs, de projets
collectifs, sociaux, environnementaux jamais
entrepris du seul fait que le seuil dligi-
bilit pour lesmettre enuvre est datteindre
une rentabilit annuelle de 15%?Quand le
fardeau qui pse sur toute entreprise,
publique comme prive, en vient majorer
son cot rel de 50 70%, faut-il stonner
du faible dynamisme de nos conomies,
soumises au joug de la finance? Seul un
ne peut supporter une charge quivalente
70 % de son propre poids.
Le problme nest pas tant que cette
surcharge financire siphonne les fonds
ncessaires linvestissement. Cest plutt
linverse. Largent distribu aux prteurs et
aux actionnaires est lexacte contrepartie
des profits dont les entreprises nont plus
besoin, du fait quelles limitent de leur
propre chef leurs projets dinvestissement
la frange susceptible dtre la plus rentable.
La bonne question est donc la suivante :
dans un monde o ne sont mises en uvre
que les actions, individuelles ou collectives,
qui rapportent entre 15 % et 30 % par an,
quelle est la surface du cimetire des ides
(bonnes ou mauvaises, il faut le dplorer)
qui nont jamais vu le jour, parce quelles
nauraient rapport quentre 0 et 15 %?
A lheure o il faudrait entamer la
transition cologique et sociale de nos
conomies, on pourrait penser quun projet
politique authentiquement social-dmocrate
devrait aumoins se fixer cet objectif : librer
la puissance daction des gens entrepre-
nants, des salaris, et de tous ceux qui recher-
chent le progrs conomique et social, du
joug de la proprit et de la rente. Liquider
la rente, plutt que le travail et lentreprise.
Une telle ambition est certes hors de
porte dun homme seul ft-il normal.
Mais cest srement la porte dune
ambition collective. Cela ne veut pas dire,
nous a dj prvenus JohnMaynardKeynes,
que lusage des biens capitaux ne coterait
presque rien, mais seulement que le revenu
quon en tirerait naurait gure couvrir
que la dprciation due lusure et la
dsutude, augmente dune marge pour
compenser les risques ainsi que lexercice
de lhabilet et du jugement.
A ceux qui y verraient savancer la fin
du monde, Keynes proposait une conso-
lation : Cet tat de choses serait parfai-
tement compatible avec un certain degr
dindividualisme. Mais il nimpliquerait
pas moins leuthanasie du rentier et, par
suite, la disparition progressive du pouvoir
oppressif additionnel qua le capitaliste
dexploiter la valeur confre au capital
par sa raret (4). Brrrr !...
en selle par la monte en puissance des
investisseurs institutionnels (fonds dpar-
gne mutuelle, fonds de pension, compa-
gnies dassurances), sest appuy sur la
discipline des marchs, lactivisme action-
narial et la nouvelle gouvernance dentre-
prise pour ne pas laisser filer la rente dans
dautres mains.
Au total, on peut dire que lexplosion du
surcot du capital au cours des trente
dernires annes est la consquence directe
de llvation de la norme financire
impose aux entreprises avec laide de leurs
dirigeants, dont les intrts ont t correc-
tement aligns sur ceux des actionnaires.
Pour passer des exigences de retours sur
fonds propres de lordre de 15% par an au
surcot du capital, il suffit en quelque sorte
de rectifier la mesure. De telles exigences
correspondent en pratique un surcot
impos tout projet dinvestissement de
lordre de 50 70 %.
Les effets de cette lvation de la norme
financire, bien quimaginables, sont incal-
culables. Car en lamatire, le plus important
nest peut-tre pas le plus visible. Ces trans-
ferts de richesse vers les prteurs et les
actionnaires reprsentent certes unemanne
importante, qui na cess daugmenter (de
3 % de la valeur ajoute franaise en 1980
9 % aujourdhui) et qui ne va ni dans la
poche des gens entreprenants (moins quils
soient galement propritaires de leur entre-
prise), ni dans la poche des salaris.
On pourrait dj dplorer que lexploi-
tation des travailleurs se soit clairement
renforce.Mais il y a plus : qui peut dire en
effet lnorme gaspillage de richesses jamais
* Economiste, matre de confrences luniversit
Lille-I.Auteur de LEconomie desToambapiks,Raisons
dagir, Paris, 2010. A particip, avec Thomas Dallery,
Vincent Duwicquet, Jordan Melmis et Franck Van de
Velde, ltude duClers sur laquelle sappuie cet article.
Et si lne se mettait ruer ?
(1) Financial Times, Londres, 22 mars 2010.
(2) Il y a tout de mme un lien, comme lont montr
la Fondation Copernic et Attac dans leur rapport En
finir avec la comptitivit (octobre 2012). Quand les
entreprises franaises, en perte de comptitivit, sont
contraintes de rduire leurs marges, mais continuent
de verser de copieux dividendes leurs actionnaires,
on comprend que cest en partie au dtriment des efforts
de recherche et dveloppement.
(3)Cf. Rentabilit et risque dans le nouveau rgime
de croissance , rapport du groupe prsid par
Dominique Plihon pour le commissariat gnral du
Plan, La Documentation franaise, Paris, 2002. Ou
larticle de Wikipdia : Cot moyen pondr du
capital .
(4) J. M. Keynes, Thorie gnrale de lemploi, de
lintrt et de la monnaie, Petite Bibliothque Payot,
Paris, 1971.
du fait quil sagit dun cot support par
les parties prenantes internes lentreprise
qui vient surcharger inutilement le vrai
cot du capital.
Ltude du Clers montre que ce surcot
est considrable. A titre dillustration, en
2011, il reprsentait en France, pour
lensemble des socits non financires,
94,7 milliards deuros. En le rapportant
au vrai cot du capital, cest--dire
linvestissement en capital productif de la
mme anne (la FBCF), qui tait de
202,3 milliards deuros, on obtient un
surcot du capital de 50 %... Si lon
rapportait ce surcot la seule partie de
linvestissement qui correspond lamor-
tissement du capital laquelle reprsen-
terait mieux, aux yeux de nombreux cono-
mistes, le vrai cot du capital , on
obtiendrait une valuation encore plus
tonnante : de lordre de 70 %!
Cela signifie que lorsque les travailleurs
franais sont capables de produire leurs
machines, leurs usines, leurs immeubles,
leurs infrastructures, etc., un prix total
de 100 euros par an (incluant la marge de
profit), il en cote en pratique entre 150
et 170 euros par an aux entreprises qui
utilisent ce capital productif, du seul fait
quelles doivent sacquitter dune rente,
sans justification conomique, aux appor-
teurs dargent.
Un tel surcot du capital na rien de
ncessaire ni de fatal. Durant la priode
1961-1981, qui a prcd le big bang
financier mondial, il tait en moyenne de
13,8 %. Il tait mme devenu ngatif la
fin des trente glorieuses (1973-1974),
du fait de la rsurgence de linflation.
Ce sont les politiques restrictives issues
de la rvolution montariste qui, dans un
premier temps, ont fait grimper la rente
financire, en propulsant les taux dintrt
rels des sommets. Lorsque sest amorce
la dcrue de ces taux, dans les annes 1990,
le versement acclr des dividendes a pris
le relais. Le pouvoir actionnarial, remis
POUR comprendre de quoi il est ques-
tion, il faut distinguer entre deux notions
de cot du capital : le cot conomique
et le cot financier. Le cot conomique
est leffort productif ncessaire pour fabri-
quer les outils et, plus largement, len-
semble des moyens de production :
machines, immeubles, usines, matriels de
transport, infrastructures, brevets, logi-
ciels Cet effort productif reprsente en
quelque sorte le vrai cot du capital,
celui quil faut ncessairement dpenser en
travail pour fabriquer ce capital , entendu
ici dans le sens capital productif . La
mesure de cet effort (sur une anne, par
exemple) reprsente ce quon appelle plus
couramment les dpenses dinvestissement,
et que les comptables nationaux nomment
la formation brute de capital fixe (FBCF).
Ces dpenses reprsentent peu prs 20%
de la production annuelle des entreprises
franaises.
Mais ce cot de production du capital
productif, mesur son prix dachat, nest
pas le seul peser sur les entreprises.
Lorsquelles veulent acheter et mettre en
uvre ces moyens de production, elles
doivent de surcrot rmunrer les personnes
ou les institutions qui leur ont procur de
largent (argent appel aussi capital ,
mais dans le sens financier cette fois).
Ainsi, au vrai cot du capital sajoutent
les intrts verss aux prteurs et les
dividendes verss aux actionnaires (en
rmunration des apports en liquide de ces
derniers lors des augmentations de capital,
ou lorsquils laissent une partie de leurs
profits en rserve dans lentreprise).
Or une grande part de ce cot financier
(les intrts et les dividendes) ne correspond
aucun service conomique rendu, que ce
soit aux entreprises elles-mmes ou la
socit dans son entier. Il importe alors de
savoir ce que reprsente cette partie du cot
financier totalement improductive, rsultant
dun phnomne de rente et dont on pourrait
clairement se dispenser en sorganisant
autrement pour financer lentreprise ; par
exemple en imaginant un systme
uniquement base de crdit bancaire,
factur au plus bas cot possible.
Pour connatre le montant de cette rente
indue, il suffit de retrancher des revenus
financiers la part qui pourrait se justifier
par de bonnes raisons conomiques. Certains
de ces intrts et dividendes couvrent en
effet le risque encouru par les prteurs et
les actionnaires de ne jamais revoir leur
argent, en raison de la possibilit de faillite
inhrente tout projet dentreprise. Cest
ce que lon peut appeler le risque entre-
preneurial. Une autre partie de ces revenus
peut galement se justifier par le cot
dadministration de lactivit financire,
laquelle consiste transformer et aiguiller
lpargne liquide vers les entreprises.
Lorsquon retranche de lensemble des
revenus financiers ces deux composantes
qui peuvent se justifier (risque entrepre-
neurial et cot dadministration), on obtient
une mesure de la rente indue. On peut la
dsigner comme un surcot du capital,
HERV TLMAQUE. La Gourmandise, 1974
La religion des quinze pour cent,
Isabelle Pivert (mars 2009).
Partage des richesses, la question
taboue, Franois Ruffin
(janvier 2008).
Enfin une mesure contre
la dmesure de la finance,
le SLAM!,
Frdric Lordon (fvrier 2007).
Mais exportez donc ! dit le FMI,
Gabriel Kolko (mai 1998).
Nos prcdents articles
Frdric Lordon tente une sortie de leuro
MonaAbouissa avec les danseurs du ballet gyptien
Juliette Volcler lcoute des sonorits urbaines
Guillaume Pitron dans le train-hpital sud-africain
Le Monde diplomatique daot,
un numro spcial
enqutes et reportages
Martine Bulard en camp de rducation au capitalisme
Elizabeth Rush sinstalle dans les faubourgs de Lima
Pierre Daum explore les librairies algriennes
En vente chez votre marchand de journaux le 25 juillet.
RMN-ADAGP
LES manifestations paciques sont lgitimes et
propres la dmocratie Le 17 juin 2013, le commu-
niqu de la prsidente brsilienne Dilma Rousseff
commentant une nouvelle journe demobilisation populaire
feignait dignorer lessentiel : jamais, depuis la n de la
dictature en 1985, le pays navait connu de tels rassem-
blements part peut-tre en 1992, lorsque la population
tait descendue dans la rue pour dnoncer la corruption du
gouvernement de M. Fernando Collor de Mello, prcipitant
sa dmission la mme anne. Au cours de la journe
prcdant la dclaration de M
me
Rousseff, prs de deux
cent mille personnes avaient dl, notamment So Paulo,
Rio de Janeiro et Braslia, la capitale, o le Congrs avait
t occup durant plusieurs heures. Ils approcheraient le
million quelques jours plus tard
Comme souvent, la nature de ltincelle na que peu de
rapport avec lampleur de lembrasement. Les rsidents de
So Paulo opposs, depuis le 11 juin, une augmentation
du prix du ticket de bus (de 3 3,20 reals, soit 1,12 euro) ont
en effet trs vite t rejoints par dautres. Les uns, notamment
Rio de Janeiro, contestaient les sommes engages dans
la prparation de la Coupe du monde de football de 2014
et des Jeux olympiques de 2016 : au total, environ 50milliards
de reals, soit 17milliards deuros, dans un pays qui demeure
lun des plus ingalitaires dumonde. A ceux-l sest ajoute
la foule des citoyens quune corruption gnralise a ni par
lasser, ainsi que tous les Brsiliens qui peinent assurer
leur famille laccs des soins et une ducation de qualit.
Un an avant le scrutin prsidentiel de 2014, cesmanifes-
tations, principalement animes par des jeunes nayant pas
connu la dictature, fragilisent M
me
Rousseff. Bien quaucun
parti ne semble pour lheure en mesure de tirer prot dun
mouvement qui vise lensemble des forces politiques aux
affaires, il sagit dune srieuse mise en garde pour le Parti
des travailleurs (PT), au pouvoir depuis 2003.
Quelques annes aprs sa prise de fonction, M. Luiz
Incio Lula da Silva avait pu compter sur une forte crois-
sance pour uvrer une amlioration progressive du niveau
de vie de la population. Or M
me
Rousseff, lue en 2010 sous
le signe de la continuit, arrive dans une conjoncture inter-
nationale bien plus dfavorable. Outre un taux de crois-
sance nettement plus faible (0,9 % en 2012, contre 7,5 %
en 2010), le Brsil connat une dsindustrialisation
prcoce (1) . Les exportations de produits de base
augmentent, mais celles de produits manufacturs sont en
forte baisse. La sixime puissance conomique mondiale
se trouve confronte plusieurs ds : impulser, malgr la
concurrence chinoise, une croissance reposant davantage
sur le secteur manufacturier, tout en sauvegardant les
programmes sociaux de la dcennie prcdente, qui
soutiennent la demande intrieure et assurent au PT sa
confortable assise lectorale.
Pour remdier aux premiers signes de dfaillance du
modle mis en place par Lula (lire larticle indit sur notre
site), la prsidente brsilienne a opt pour ce que lhebdo-
madaire Veja dcrit comme un choc capitaliste : des priva-
tisations qui mettraient le Brsil en harmonie avec la loi de
la gravitation universelle (15 aot 2012). Ce programme,
dun montant total de 66 milliards de dollars, prvoit lattri-
bution de concessions pour la construction de ports, dauto-
routes, de voies ferres, ainsi que la vente daroports.
M
me
Rousseff avait pourtant dnonc les privatisations lors
de la campagne prsidentielle de 2010.
De son ct, la prsidente met laccent sur son souhait
de privilgier la production industrielle et la construction,
au dtriment de la spculation : baisse des taux dintrt,
rduction des prix de llectricit, exemptions scales,
taxation des capitaux court terme, rgle de la prfrence
nationale pour protger lindustrie en augmentant les droits
de douane sur de nombreux produits imports...
Certaines de ces mesures, qualies de protection-
nistes par Washington, ne dplaisent pas aux organisa-
tions de salaris. Le gouvernement favorise limplantation
(1) Vencio de Lima, Mdia. Teoria e poltica,
Fundao Perseu Abramo, So Paulo, 2001.
(2) Alcir Henrique da Costa, Maria Rita Kehl et
Inim Ferreira Simes, Um pas no ar, Brasiliense,
So Paulo, 1986.
4
COMMENT LA CHANE GLOBO A CONSTRUIT
Les telenovelas , miroir
lavnement de la dmocratie. En 1996, O
rei do gado ( Le roi du troupeau), de
Benedito Ruy Barbosa, lgie la rforme
agraire, donne une visibilit indite au
Mouvement des sans-terre (MST).
Cela fait trente-cinq ans que je
travaille pour Globo, je suis lauteur de
dix-sept novelas, et on ne ma jamais dit
ce que je devais faire. Jai toujours t
totalement libre , tmoigne Silvio de
Abreu, lun des principaux auteurs de la
chane. Pour Maria Carmem Jacob de
Souza Romano, professeure de commu-
nication lUniversit fdrale de Bahia,
les grands auteurs ont un pouvoir de
ngociation, bien sr. Ils font preuve de
bon sens et ne peuvent transformer la
novela en brlot social, mais ils ont la
possibilit daborder les thmes qui leur
sont chers, si le succs est au rendez-vous.
A partir du centre de Rio, il faut une
bonne heure de voiture, quand la circu-
lation est fluide, pour se rendre au Projac,
lusine rves monte par Globo Jacare-
pagu, dans la partie ouest de la ville.
Plus dun million et demi de mtres carrs,
dont 70 % de fort, permettent la chane
de concentrer, depuis 1995, les tapes de
la production dune telenovela. Avant,
les tournages taient clats sur plusieurs
studios dans toute la ville. Les concentrer
permet une norme conomie de temps
et dargent , explique M
me
Iracema
Paternostro, responsable des relations
publiques, en montrant une maquette des
installations.
Une voiture est ncessaire pour en faire
le tour. Ici, un btiment regroupe les
quipes de recherche charges de compiler
les archives et les tudes de march. Un
peu plus loin, les costumes sont dessins,
JUILLET 2013 LE MONDE diplomatique
* Journaliste.
dAgadir ou Le pont des soupirs. En
1968, Beto Rockfeller marque une
rupture. Pour la premire fois, le hros vit
So Paulo. Il travaille chez un cordonnier,
dans une artre populaire de la mgalopole,
mais se prtend millionnaire une autre
adresse. Avec un vocabulaire de tous les
jours, des rfrences aux bonheurs et aux
difficults dun Brsil urbain, dautant
mieux rendus que certaines scnes sont
filmes en extrieur, la novela change de
visage. Dsormais, elle incorporera les
questions sociales et politiques qui
travaillent le Brsil, alors quau Mexique
ou en Argentine on en reste aux drames
de famille, explique Maria Immacolata
Vassallo de Lopes, qui coordonne le Centre
dtudes de la telenovela lUniversit de
So Paulo (USP).
Puis apparat TV Globo, qui sempare
du format. A tel point que, selon Bosco
Brasil, un ex-auteur de la maison, quand
on dit novela brsilienne, on pense
novela de Globo. Ne en 1965, un an
aprs le coup dEtat militaire, la chane
est dabord le fruit du gnie politique de
Roberto Marinho, hritier dun journal
important, le Globo, mais sans influence
nationale. Il comprend combien il est strat-
gique pour la junte de raliser lintgration
du territoire. Alors que, pour Juscelino
Kubitschek (1956-1961), celle-ci passait
par le tissage dun rseau routier, les
militaires, au pouvoir de 1964 1985,
feront le pari des mdias. Et, dans ce
domaine, Globo sera une pice centrale :
Dun point de vue conomique, elle a
jou un rle essentiel dans lintgration
dun pays aux dimensions continentales,
travers la formation dun march de
consommateurs. Dun point de vue
politique, sa programmation a port un
message national doptimisme li au
dveloppement, crucial pour soutenir et
lgitimer lhgmonie du rgime autori-
taire (1) , analyse Vencio de Lima,
chercheur en communication lUniversit
nationale de Braslia.
Promues sous la dictature (1964-1985) dans loptique de souder
ce pays-continent, les telenovelas brsiliennes ont volu.
Suivies par lensemble de la population, elles tendent unmiroir
une socit en plein bouleversement. Or la transformation
rcente du gant sud-amricain ne saurait se rsumer sa
devise, Ordre et progrs , comme le rvlent les rcentes
manifestations dans les grandes villes du pays.
Beaucoup dauteurs venus du thtre
AVEC le temps, la chane a cr un
rpertoire commun, une communaut
nationale imaginaire, explique Vassallo
de Lopes. En 2011, 59,4millions de foyers,
soit 96,9 % du total, ont la tlvision, et
chaque Brsilien consomme en moyenne
sept cents heures de programmes de Globo
chaque anne. Alors que le gaucho (habi-
tant de lextrme sud du pays), plus proche
des Argentins dans son mode de vie, na
pas grand-chose voir avec un pcheur
dAmazonie ou une agricultrice du
Nordeste, tous partagent dsormais le rve
de connatre Rio, principal dcor des feuil-
letons de Globo, ou de porter la chemise
blanche et la ceinture dore de Carminha.
Lidentification est dautant plus facile que
la frontire entre fiction et ralit est floue.
Lorsque les Brsiliens ftent Nol, leurs
hros sur le petit cran font de mme. Lef-
fondrement, rel, dun immeuble Rio de
Janeiro en janvier 2012 est comment par
les personnages de Fine figure les jours
suivants. Et quand, au cours dun pisode,
on enterre un lu fictif, de vritables
hommes politiques acceptent de se faire
filmer autour de son cercueil.
Jeunes et vieux, riches et pauvres,
analphabtes et intellectuels : tous doivent
pouvoir se contempler dans cemiroir. Selon
la psychanalyste Maria Rita Kehl, ces
images uniques qui parcourent un pays
aussi divis que le Brsil contribuent le
transformer en une parodie de nation dont
la population, unie non pas en tant que
peuple, mais en tant que public, parle le
mme langage (2).
Lindniable bienveillance des militaires
nexplique pas seule comment Globo a pu
imposer cette syntaxe.Aux heures de plus
grande audience, la chane russit la
prouesse de diffuser ses propres produc-
tions; en France, dans ces tranches horaires,
ce sont souvent les sries amricaines qui
triomphent. Tout cela repose sur un
vritable talent artistique et technique, qui
sest concentr sur la novela , insiste
Mauro Alencar, professeur de tldrama-
turgie brsilienne et latino-amricaine
lUSP. Lorsquil dcide de faire de la novela
le cur de sa chane, Marinho embauche
tour de bras. Paradoxalement, la dictature
lui facilite la tche, puisque la censure
interdit de bons auteurs de thtre,
souvent de gauche, de monter leurs pices.
Cest ainsi que des crivains tels que Dias
Gomes, Brulio Pedroso ou JorgeAndrade
se retrouvent travailler pour le docteur
Marinho et pour la tlvision, quils mpri-
saient auparavant.
Contre toute attente, ces grands noms se
voient offrir une vritable libert par les
dirigeants de la chane, qui acceptent de
tenir tte aux censeurs. Globo avait dj
tourn trente-six chapitres de Roque
Santeiro, deDiasGomes, lorsque la novela
fut interdite de diffusion. Elle connatra un
succs retentissant lorsquelle sera tourne
nouveau, dix ans plus tard, en 1985, aprs
MARIA LYNCH. Certo dia (Un jour), 2013
* Charge de cours lInstitut des hautes tudes dAmrique latine, Paris.
Du jamais-vu depuis au moins vingt ans :
des manifestations ont rassembl plusieurs
centaines de milliers de Brsiliens travers
le pays. A un an de la prsidentielle de 2014,
leurs revendications bousculent le Parti
des travailleurs, au pouvoir depuis 2003.
(1) Pierre Salama, Les Economies mergentes latino-amricaines. Entre
cigales et fourmis,Armand Colin, Paris, 2012.
IL ny aura personne ! Lquipe de
campagne de M. Fernando Haddad, alors
dans la course pour la mairie de So Paulo,
tait catgorique : la prsidente Dilma
Rousseff ne pouvait srieusement songer
tenir son meeting de soutien au candidat
du Parti des travailleurs (PT) ce vendredi
19 octobre 2012, pile lheure o serait
diffus le dernier pisode dAvenida
Brasil , la telenovela sensation de la
chane Globo. Ce soir-l, des dizaines de
millions de Brsiliens assisteraient laf-
frontement final entre les deux hrones,
Nina et Carminha, afin de savoir qui a tu
Max. Convaincue, la prsidente a repouss
le rassemblement au lendemain.
Avenida Brasil a marqu le retour des
grand-messes runissant la majorit des
familles devant le petit cran. Une gageure
quand on se souvient que la telenovela
brsilienne, la novela, comme on prfre
lappeler ici, a ft ses 60 ans en 2012.
Lorsque surgit la tlvision au Brsil, les
soap operas amricains ont dj conquis
Cuba, via Miami. Et cest naturellement
vers les auteurs de lle effrays par la
rvolution que se tournent les chanes,
commencer par la pionnire, TV Tupi.
Le droit de natre , diffus en 1964, est
ainsi une adaptation de la production radio-
phonique ponyme qui inonda les ondes
de lle caribenne en 1946. Comme
Cuba, le feuilleton a une fin, alors quaux
Etats-Unis il peut stirer sur des
dcennies. Pour la premire fois, la vie
sarrte So Paulo et Rio pendant une
demi-heure, plusieurs fois par semaine
mais pas au mme moment. La novela
nest pas encore quotidienne, et la trans-
mission en rseau nexiste pas : peine
lpisode diffus So Paulo, la pellicule
est achemine par avion ou en voiture vers
Rio (la capitale jusquen 1960).
A lpoque, la trame est volontiers
exotique, comme en tmoignent des titres
tels que Le roi desTziganes, Le cheikh
Un pays retrouve
PAR NOTRE ENVOYE SPCIALE
LAMIA OUALALOU *
PAR JANETTE HABEL *
5cousus et soigneusement conservs, pour
tre utiliss lavenir. Puis on pntre dans
un gigantesque atelier de menuiserie o
sont labors les meubles et les dcors
imagins quelques mtres de l : un salon
du XIX
e
sicle, une rame de mtro le
tout en pices dtaches, pour que lon
puisse les monter en quelques heures, dans
lun des quatre studios de mille mtres
carrs o les novelas sont tournes tous
les jours de lanne. Les pices seront
ensuite dmontes et remises pour des
tournages futurs, ou dtruites pour tre
recycles.
A lest du territoire se trouve la cit
cinmatographique, avec quelques quipe-
ments permanents, comme une curieuse
glise disposant dune triple faade, lune
baroque, lautre italienne, la troisime
portugaise. On a toujours besoin dune
glise , samuse M
me
Paternostro, en
rfrence lincontournable mariage de
lpisode final. Derrire, ce sont de
vritables pans de ville qui sont rigs pour
neuf mois, la dure moyenne dune novela.
La moiti de laction de Salve Jorge,
diffus dbut 2013, se droulant enTurquie,
la direction artistique a reconstitu un petit
Istanbul, en sattachant aux moindres
dtails : une affiche arrache, un livre
tomb dune bibliothque, une thire tradi-
tionnelle. Pourmonter ce dcor, desmilliers
de photos ont t prises sur place, et une
cargaison dobjets typiques rapporte
Rio. Des quipes ont galement film des
heures durant la vie de tous les jours, les
vendeurs la sauvette, le flux des voitures.
Lors du montage, les images, toujours
en grand angle, sinsrent dans les scnes
tournes dans la cit cinmatographique.
Lillusion fonctionne merveille. Et le
procd ne concerne pas seulement les
destinations lointaines : aux cts du petit
Istanbul, un ddale de rues recre, sur mille
huit cents mtres carrs, lAlemo, lune
des plus grandes favelas de Rio de Janeiro.
L encore, on sy croirait. Globo a mme
embauch M
me
Adriana Souza, une
vendeuse dempadas, des chaussons
fourrs la viande ou aux crevettes, pour
vendre ses produits dans le dcor en carton-
pte comme elle le fait dans sa favela.
raction du public est soigneusement
ausculte, que ce soit travers des enqutes
ou sur les rseaux sociaux. La novela est
une uvre ouverte, explique M. Flvio
Rocha, lun des directeurs de Globo. Un
couple peut paratre peu convaincant aux
yeux du public et disparatre, alors quun
personnage qui tait secondaire peut
devenir central sil rencontre davantage
de succs. Lauteur sadapte.
Le discours sur luvre ouverte est un
mythe cultiv par Globo. Car, avant de
laisser divaguer leur imagination, les auteurs
sont pris de penser aux cots de
production : idalement, les scnes qui
auront lieu dans un salon doivent tre crites
lavance, pour tre tournes dans la foule,
avant la destruction du dcor et son rempla-
cement par un autre dans le studio. Les
acteurs enchanent ainsi au cours dumme
aprs-midi le tournage de scnes des
pisodes 8, 22, 24 et 42. Seuls ceux qui ont
lhabitude de ce type de tournage
parviennent se retrouver dans lintrigue.
Travailler avec une star est un casse-tte
pour lauteur : certains acteurs font stipuler
dans leur contrat quils ne vont au Projac que
le mardi et le jeudi, ou exigent une fortune
pour bousculer leur emploi du temps. Ils
veulent galement concentrer leurs scnes
dans la mme journe. Cest pour cette
raison, par exemple, que les grands person-
nages ne divorcent jamais : cela pourrait
les contraindre sortir de leur maison, qui
constitue leur dcor principal, et tourner
dans une multitude dautres, samuse un
auteur sous couvert danonymat. Lcriture
doit tre simple, suffisamment rptitive
pour que le spectateur puisse renouer avec
le cours de lhistoire aprs avoir rat certains
pisodes. Mais les personnages nen sont
pas moins complexes, et la narration qui
renvoie souvent un riche patrimoine litt-
raire assez labore pour hanter la socit
des annes aprs la diffusion.
Il faut de surcrot toucher toutes les
classes sociales : Cest limpratif de la
novela, comme celui du journal tlvis
de Globo. Et pourtant, crire pour tous
est en apparence un contre-sens. Rares
sont ceux qui y parviennent , souligne
Bosco Brasil. Etre auteur de novela nest
pas donn tout le monde : Entre 1989
et 2004, vingt-cinq novelas ont t diffuses
lhoraire noble, et elles taient signes
par seulement six auteurs, en alternance,
confirme Souza Romano. Le salaire des
membres de ce petit club dpasse souvent
les 100000 euros par mois.
Une fortune pour les uns, mais une
somme ngligeable au regard de ce que
rapporte ce produit artistique et commercial.
On estime quune publicit de trente
secondes durant la novela de lhoraire noble
cote autour de 350000 reals (environ
115000 euros). Et pour le dernier acte
dAvenida Brasil, le prix a doubl. Ce
soir-l, lpisode durait soixante-dixminutes,
prs de deux heures avec la publicit. Entre
les spots rgionaux et nationaux, cinq cents
espaces ont t vendus.
Le miroir de la modernit fonctionne
dautant mieux quil intgre un discours
pdagogique sur les grandes causes
endosses par la chane. Des tudes de la
Banque interamricaine de dveloppement
(BID) estiment que les novelas ont jou
un rle dans la forte rduction du nombre
de naissances le taux de fertilit a chut
de 60 % depuis les annes 1970 et dans
le quintuplement des divorces (3). La
leucmie de Camila, personnage de Liens
de famille, diffuse en 2000, a provoqu
une explosion des dons dorganes.
Certaines novelas ont galement
beaucoup aid lacceptation de lhomo-
sexualit , ajoute Silvio de Abreu,
rappelant que Globo dispose dun dpar-
tement charg de suggrer des thmes de
socit.
Souvent politiquement correcte, lvo-
cation des dbats de socit constitue une
marque de la novela brsilienne. Pour
Globo, pice centrale des Organisations
Globo, le premier conglomrat mdiatique
dAmrique latine, contrl par la seule
famille Marinho, cest aussi une faon
de se donner une bonne image, celle dune
chane prive proccupe par une mission
de service public, estime Souza Romano.
De son ct,Alencar veut croire que lan-
cienne devise de Globo, A gente se v
por aqui ( Ici, on retrouve sa propre
vie), et lactuelle, A gente se liga em
voc (Nous sommes branchs sur
vous ), ne sont pas seulement des
slogans publicitaires : elles dmontrent
lintense relation didentification du public
et lintrt de la chane pour les grands
thmes nationaux.
Maintenir cette relation nest pas simple.
Dune part parce que si Globo reste la reine
inconteste de la novela les autres chanes
se bornant copier son modle de
production sans se donner les moyens de
le mettre en uvre , elle souffre de la
concurrence dInternet et du dsintrt
dune partie de la jeunesse. Jusquaux
annes 1970, les scores moyens daudience
des novelas dpassaient souvent 60 %.
Aujourdhui, capter lintrt de 40 % des
foyers reprsente une russite. En 2012,
laudience totale de Globo a atteint le
niveau le plus bas de lhistoire, avec une
chute de 10 % qui a certes frapp toutes
les chanes. Le problme, cest quon
regarde la novela sur son ordinateur, sur
son tlphone, et nous ne disposons encore
daucun instrument de mesure pour ces
supports, plaide Alencar.
De fait, contre toute attente, la chute de
laudience na pas impliqu de rduction
des bnfices : les novelas rapportent plus
que jamais. Dans les agences de publicit,
on reconnat que cest en partie le rsultat
dune certaine inertie. Comme pour la
presse crite, il est plus simple de pousser
les annonceurs concentrer leur budget
sur quelques titres, sans prendre en compte
leur impact moindre. Et cette illusion est
alimente par le fait que la novela a
contamin tous les espaces : des dizaines
de revues lui sont consacres, les rseaux
sociaux entretiennent le suspense, sans
parler des spcialistes en tout genre invits
parler du phnomne dans dautres
missions de la chane, mais aussi dans
les colonnes du journalOGlobo, ainsi que
sur les radios et les autres chanes lies au
groupe une synergie encore peu tudie
dans les universits. On parle et on entend
parler de plus en plus de la novela, sans
ncessairement la voir, constate Brasil.
Dautant que la socit brsilienne a
profondment chang au cours des dix
dernires annes, avec la sortie de la
pauvret de prs de cinquante millions de
personnes, arrives sur le march de la
consommation de masse, et une rduction
sensible des ingalits. Ce sont des foyers
dont le pouvoir dachat a considrablement
augment. Il devient donc plus intressant
dinvestir en publicit, pointe Alencar.
LE MONDE diplomatique JUILLET 2013
UNE COMMUNAUT NATIONALE IMAGINAIRE
de la socit brsilienne
Toucher toutes les classes sociales
LE secret de la russite de Globo, cest
sa capacit industrialiser toutes les
tapes de la cration, pour parvenir
diffuser tous les jours au moins trois
novelas, chacune comptant entre cent
quarante et cent quatre-vingts pisodes
dune quarantaine de minutes, et durant
six neuf mois. A chaque horaire son
ambiance, selon un modle immuable
depuis 1968 : la novela de 18 heures
aborde un thme lger ; celle de 19 heures
est souvent comique ; les questions
sociales et les drames sont rservs celle
de 21 heures, lhoraire noble. Quant
la narration, elle reprend souvent les
recettes typiques du mlodrame, tournant
autour de la question de la famille, de
lidentit et de la vengeance.
Produire une novela cote cher : autour
de 200000 dollars par pisode, selon les
estimations de Vassallo de Lopes. Une
forte tendance de ces dernires annes est
le remake des grands succs du pass,
explique Nilson Xavier, auteur dAlma-
naque de telenovela brasileira (Panda
Books, 2007). Un choix imbcile aux
yeux de Gilberto Braga, lun des auteurs
les plus courtiss de Globo. Pour lui, il
nexiste pas de recette.
Une fois sa proposition adopte, lauteur
sentoure dune poigne dassistants, qui
criront une partie des dialogues et des
scnes un rythme forcen. Quelque trente
pisodes sont tourns avant le lancement.
Ds les premiers jours de la diffusion, la
Des hrones femmes de mnage
CEST dailleurs lune des raisons de
lnorme succs dAvenida Brasil , qui
doit son nom la voie rapide reliant les
quartiers priphriques du nord la zone
sud de Rio de Janeiro, riche et touristique.
Ce qui a t dcisif nest pas tant lintrigue
une jeune femme leve sur une
dcharge municipale entend se venger
davoir t abandonne par sa belle-mre
devenue riche que lapparition dun
nouveau type de protagoniste. Les tradi-
tionnelles scnes sur les plages dIpanema
ou de Copacabana, les quartiers les plus
hupps de Rio, ont t remplaces par une
plonge dans un quartier fictif, le Divino,
typique de la petite classe moyenne de la
zone nord de la ville. Ce nest pas la
premire fois que les pauvres sont repr-
sents ; mais, gnralement, leur seul rve,
qui se ralisait lors du happy end, tait
daccder au Rio riche et distingu. Pas
dans Avenida Brasil : Jorge Tufo, le
hros, devenu millionnaire grce au foot-
ball, reste dans le quartier de son enfance.
On y parle haut et fort, et on ne sait pas
utiliser ses couverts correctement, mais il
sy plat. Enorme succs auprs de ce que
le gouvernement semploie dcrire
comme une classe moyenne mergente
(en ralit davantage une frange pauvre
de la population active), qui se voit pour
la premire fois reprsente, comme
auprs des plus riches, qui ont ainsi accs
un monde inconnu.
Ce cocktail de fiert chez les uns et de
curiosit chez les autres explique galement
le retentissement de Pleines de charmes
(2012), dont les hrones sont trois femmes
de mnage : du jamais-vu. Jusqualors,
ctait un personnage secondaire, et souvent
caricatural : la femme de mnage qui se
mle de tout dans la vie de sa patronne,
sans existence propre, explique Xavier.
Entre la hausse du salaire minimum, pass
de 70 240 euros entre 2002 et 2013, et
laugmentation du niveau dducation la
proportion de jeunes gs de 19 ans ayant
t scolariss pendant au moins onze ans
est passe de 25,7 % en 2001 45 % en
2011 , le rapport de forces a commenc
changer dans la socit, poussant les
auteurs, FilipeMiguez et Izabel deOliveira,
imaginer ce scnario. Auparavant, la
femme de mnage napparaissait qu
travers sa fonction. Nous avons dcid de
la suivre dans sa vie, dans sa maison, dans
la rue, dans ses rves, raconte Miguez.
L encore, la performance est davoir russi
ne pas braquer les plus riches, aux ides
fort peu progressistes, comme la constat
lauteur : Nous avons fait un sondage qui
posait des questions du type : Est-il
appropri quune domestique monte dans
le mme ascenseur que vous ?, et la
majorit a rpondu non.
Alors que, dans les bureaux du Projac,
ils sont nombreux plancher sur les trans-
formations conomiques et technologiques
qui bouleversent le pays, deAbreu se veut
philosophe : Quon la regarde sur Internet
ou sur un tlphone, pour moi, cela ne
changera rien : je devrai toujours me lever
tt et crire jusqu minuit, pour produire
un chapitre par jour.
LAMIA OUALALOU.
des entreprises trangres sur le territoire national en privi-
lgiant la main-duvre locale. Le tawanais Foxconn (2)
compte ainsi huit units de production sur le territoire, qui
fabriquent dj des iPhone 4, et bientt des iPod et des iPad.
Il a bnci dimportantes rductions scales et de prts
subventionns pour sinstaller. Aprs linstauration de
nouveaux impts sur les importations de voiture, Land
Rover et BMW ont dcid douvrir des usines au Brsil.
Nanmoins, le programme de M
me
Rousseff ne sarrte
pas l. Il faudrait galement sattaquer au cot du travail
() et un taux dimposition trop lev, concde-t-elle
ses interlocuteurs du Financial Times (3 octobre 2012). Une
feuille de route inspire par de grands entrepreneurs. Jusqu
maintenant, le PT comptait toutefois sur un autre soutien :
celui des deux grandes centrales syndicales, la Centrale
unique des travailleurs (CUT) et Force syndicale (Fora
Sindical). Et, comme le suggrent les rcentes manifesta-
tions, les appuis populaires du gouvernement seffritent
ANCIEN prsident de la CUT, M. Artur Henrique a toujours
soutenu le gouvernement. Mais il dplore que le PT, aprs
plus dune dcennie au pouvoir, nait pas encore rvis
les politiques nolibrales qui, sous lgide de lex-prsident
Fernando Henrique Cardoso [1995-2002], ont dmantel
les relations de travail . De son ct, M. Valter Pomar,
membre du bureau national du PT, observe : Certes, nous
avons enregistr de trs bons rsultats en termes dam-
lioration du niveau de vie de la population. Nous avons
dop les salaires pour stimuler la consommation, ce qui
favorise les logiques de march : on gagne plus pour
payer plus cher des coles prives. Cette stratgie ne
concourt pas au dveloppement de services publics forts,
ni la conscience politique de limportance des services
proposs par lEtat.
La prsidence Lula avait t marque par labsence de
mobilisations populaires. M
me
Roussef ne bncie pas dun
contexte social aussi favorable, et son intransigeance pourrait
tre un handicap supplmentaire.
En 2012, face la plus grande grve de fonctionnaires
en une dcennie, elle na pas cd aux revendications. Aprs
cent sept jours de conit ininterrompu, elle a russi imposer
son plan de rajustement des salaires : les syndicats
exigeaient des hausses de 40 50 % et une revalorisation
des carrires; ce sera 15,8% chelonns sur trois ans, alors
que lination avoisinait 6% en 2012. Seule concession :
louverture de ngociations pour le paiement des jours de
grve. A linverse, trois corps de larme brsilienne ont
obtenu une augmentation de leur solde de 30 %.
Mcontentes, quatre des cinq centrales les plus impor-
tantes du pays dont certaines proches de la droite ,
Force syndicale, Nouvelle Centrale, lUnion gnrale des
travailleurs (UGT) et la Centrale des travailleurs et travail-
leuses du Brsil (CTB), ont sign un texte trs critique.
Absente lors de la runion, la CUT sy est nalement rallie.
Ensemble, les syndicats ont organis unemarche de protes-
tation le 6 mars dernier Braslia.
M
me
Rousseff est-elle en train de remettre en cause le
contrat social tabli avec eux depuis 2003? Lemouvement
ouvrier brsilien, qui avait jou un rle central dans le
processus de dmocratisation et dans la rdaction de la
Constitution de 1988, se trouvera-t-il de ce fait marginalis?
Lors des prsidences de M. Lula, de nombreux dirigeants
politiques et syndicaux ont bnci dune promotion qui a
favoris la formation dune nouvelle bureaucratie publique
dfendant le consensus social. M
me
Rousseff pourrait changer
de stratgie en cherchant consolider son autorit auprs
dautres groupes, plus rceptifs aux exigences de ce que
lintellectuel Luiz Carlos Bresser-Pereira dcrit comme un
Etat dveloppementiste social.
La prsidente entend construire un Brsil des classes
moyennes, quelle value cent cinq millions dindividus.
Une analyse rfute par lconomiste Paulo Kliass, qui
dnonce la tromperie consistant persuader les pauvres
quils font partie des classes moyennes (3) . Et un mirage
contredit par les milliers de personnes qui ont manifest
au cri de Nous voulons un autre Brsil ! pour exiger moins
de corruption, plus de sant et dducation au lieu dinves-
tissements somptuaires dans des stades.
JANETTE HABEL.
(3) Eliana La Ferrara, Alberto Chong et Suzanne
Duryea, Soap operas and fertility : Evidence from
Brazil , et Alberto Chong et Eliana La Ferrara,
Television and divorce : Evidence from Brazilian
novelas, Banque interamricaine de dveloppement,
Washington, DC, respectivement 2008 et 2009.
A lire sur notre site :
Du Parti des travailleurs
au parti de Lula, par Douglas Estevam
www.monde-diplomatique.fr/49302
(2) Lire Jordan Pouille, En Chine, la vie selon Apple, Le Monde diplo-
matique, juin 2012.
(3) Nova classe mdia e velha enganao, Brasil de Fato, So Paulo,
27 septembre 2012.
le chemin de la rue
JUILLET 2013 LE MONDE diplomatique
6
* Journalistes.
de Budapest sinscrit nanmoins dans une tendance
rgionale. Hongrie, Pologne, Rpublique tchque et
Slovaquie, les quatre pays qui forment le groupe de
Visegrd, ou V4 (lire lencadr ci-dessous), font du
nuclaire une composante essentielle de leur politique
nergtique et un outil dmancipation face aux
importations dhydrocarbures russes.
Cette inclination remonte la coopration des
rgimes de lancien bloc socialiste. Ds 1958, la
dfunte Tchcoslovaquie avait commenc la
construction de son premier racteur, de type expri-
mental KS150/A-1, Jaslovsk Bohunice (2). Mis
en service pour la plupart dans les annes 1980,
quatorze racteurs, tous du type VVER eau pressu-
rise, dinspiration sovitique, sont aujourdhui en
service dans cinq centrales : Paks en Hongrie,
Jaslovsk Bohunice et Mochovce en Slovaquie
(quatre racteurs produisant 54 % de llectricit du
pays), Dukovany et Temeln en Rpublique
tchque (six racteurs et 33 % de la production
dlectricit). Comme pour lunit n 1 de Paks, les
autorits envisagent de prolonger pour une dure
importante lactivit de la plupart de ces racteurs.
Et projettent dinstaller des capacits supplmen-
taires, comme les deux VVER-440 /V-213 de
Mochovce, qui doivent tre mis en service dici la
n 2014. Deux nouvelles units devraient galement
tre ajoutes Temeln, une Dukovany et deux
Jaslovsk Bohunice.
La Rpublique populaire de Pologne avait tard
entreprendre la construction dune premire centrale
Zarnowiec, sur les bords de la mer Baltique.
Limpact de lexplosion du racteur n 4 de Tcher-
nobyl, en avril 1986, de mme que les changements
politiques et conomiques de la n des annes 1980
avaient eu raison du projet. La construction a t
stoppe en dcembre 1990, et les quipements
destins la centrale ont t revendus. Ce fut une
aubaine pour Paks, qui a pu acqurir une cuve de
racteur prix modique, cone M. Dohczki avec
un sourire. Lexcutif polonais, qui semploie depuis
plusieurs annes diversier sa production dlec-
tricit, actuellement dpendante 86,5 % du
charbon, a lanc un programme de dveloppement
de lnergie nuclaire qui prvoit lachvement de
deux centrales lhorizon 2025.
Le groupe de Visegrd sappuie sur un soutien
traditionnellement fort des populations. Enmars 2010,
lEurobaromtre sur les Europens et la sret
nuclaire rvlait que 86 % des rpondants en
Rpublique tchque, 76 % en Slovaquie et en
Hongrie et 70 % en Pologne se prononaient pour
le maintien ou laugmentation de la part du nuclaire
dans le bouquet nergtique. Aucune tude
comparative na t mene grande chelle depuis
Fukushima, de peur quelle ne rvle un dsaveu
signicatif. Mais prs de deux ans aprs, je constate
quil ny a pas eu de fort mouvement dopposition,
admet, non sans amertume, M. Jakub Patocka,
ancien dirigeant du Strana Zelench, le parti
vert tchque.
Aucun parti cologiste ne sige dans les Parle-
ments nationaux des V4, hormis les huit dputs du
parti hongrois Une autre politique est possible (Lehet
Ms a Politika, LMP) (3). Cette situation nous place
en porte--faux par rapport nos voisins autrichiens,
qui ont refus par rfrendum le recours au nuclaire
ds 1978, et surtout par rapport aux Allemands et
leur Energiewende [tournant nergtique], constate
M. Patocka. En juin 2011, le gouvernement de
M
me
Angela Merkel a en effet annonc la fermeture
immdiate de huit des dix-sept racteurs allemands,
et larrt progressif de lexploitation du nuclaire dici
2022. Cette dcision historique remet en question,
au moins sur un plan rhtorique, les perspectives de
latome au sein de lUnion europenne, et explique
en partie le rejet par les lecteurs lituaniens et bulgares
de projets de construction de nouvelles centrales sur
leurs territoires (4).
En marge dune Europe en proie au doute, les
V4 forment ainsi un nouveau bloc de latome, qui
entend faire respecter ses orientations. La
Slovaquie a d se rsoudre fermer deux de ses
racteurs Jaslovsk Bohunice, car ctait lune
des conditions de son adhsion lUnion
europenne, rappelle M. Kristin Takc, conseiller
spcial auprs du ministre de lconomie slovaque.
Nos experts doutaient de la ncessit de cette
fermeture. Et, consquence de la perte de ces deux
racteurs, la Slovaquie est devenue importatrice
nette dlectricit. Comme en Rpublique tchque,
les projets dexpansion nuclaire slovaques sont
motivs par un gain dindpendance nergtique,
mais aussi par la perspective dexporter de llec-
tricit vers les pays voisins. Sans ses capacits
nuclaires, lAllemagne connatra bientt un besoin
croissant dlectricit. Nous serons l pour lui en
fournir , prsage M. Takc, trs rserv sur la
politique de Berlin.
Dautant que le tournant nergtique entrane
des consquences notables dans la rgion. Le
rseau de distribution allemand nest pas adapt
aux fortes fluctuations de puissance dans le transit
entre les grandes fermes oliennes du Nord et les
centres industriels du Sud (5). Des perturbations
trs inquitantes se rpercutent donc sur les rseaux
polonais et tchque, critique M. Vclav Bartuska,
porte-parole du gouvernement tchque pour
lexpansion de la centrale de Temeln. Polonais et
Tchques sefforcent dinstaller des transformateurs
et des diviseurs de phase leurs frontires avec
lAllemagne pour contenir ces flux instables et
PAR NOS ENVOYS SPCIAUX
HLNE B IENVENU
ET SBASTIEN GOBERT *
Mer de
Norvge
Manche
Mer
du Nord
Mer
Ege
Mer
Mditerrane
Mer Noire
Ocan
Atlantique
Lux.
Suisse
Tchernobyl
Londres
Dublin
Madrid
Athnes
Chisinau
Vienne
Varsovie
Berlin
Rome
Copenhague
Helsinki
Stockholm
Kiev
Moscou
Minsk
Paris
Bucarest
Ankara
Soa
Sources : Commissariat lnergie atomique et aux nergies alternatives (CEA), Elecnuc
2012 ; World Nuclear Association ; RIA Novosti 2011 ; Atlas des dpts de csium 137
en Europe aprs laccident de Tchernobyl, rapport EUR 16733, Bureau des publications
de la Communaut europenne, Luxembourg, 1996.
Royaume-
Uni
Irlande
France
Grce
Croatie
Bosnie-H.
Bulgarie
Turquie
Hongrie
Slovnie
Moldavie
Autriche
Rp. tchque
Slovaquie
Pologne
Italie
Finlande
Estonie
Lettonie
Lituanie
Bilorussie
Ukraine
Russie
Norvge
Danemark
Belgique
Allemagne
Pays-
Bas
Espagne
Portugal
Roumanie
Kazakhstan
Armnie
Sude
Albanie
Macdoine
Serbie
Montngro
Kosovo
0
500
1 000 km
LEurope, toujours surnuclarise
Racteurs de conception europenne ou amricaine
arrt en activit en construction ou en projet
arrt
Pays sans programme nuclaire
en activit en construction ou en projet
Racteurs de conception russe ou sovitique
moins de 2
de 2 10
de 10 40
de 40 185
de 185 1 480
Kilobecquerels (kBq)
par mtre carr
Donnes non
disponibles
Groupe de Visegrd
Alors que lAllemagne conduit
marche force son programme
de sortie du nuclaire,
ses voisins de lEst relancent
la construction de racteurs.
Pour la Hongrie, la Pologne,
la Rpublique tchque
et la Slovaquie, il sagit de
conqurir leur indpendance
nergtique par rapport au gaz
russe. Mais Moscou vendrait
volontiers des centrales
ses anciens satellites
DES PAYS SOUCIEUX DASSURER LEUR INDPENDANCE
Naissance dun bloc de latome en Europe de lEst
Une structure de soutien mutuel
C
EST en fvrier 1991, lors dun sommet entre la Hongrie, la Pologne et la Tchcoslovaquie dans
la citadelle mdivale de Visegrd (Hongrie), quest n le groupe de Visegrd (V4).
Initialement conu comme une structure de soutien mutuel pour lintgration europenne dune
rgion frachement affranchie de la tutelle sovitique, le groupe a survcu ladhsion des quatre
pays lOrganisation du trait de lAtlantique nord (OTAN) et lUnion europenne, pour voluer
en un forum intergouvernemental. A dfaut dinstitutions permanentes, il dispose dune prsi-
dence tournante annuelle, ainsi que du Fonds international de Visegrd. Dot de 7 millions
deuros en 2012, celui-ci alloue des bourses dducation ainsi que des subventions artistiques
et culturelles.
La coopration des V4 concerne des domaines prcis, tels que lducation ou la dfense. En
mars 2013, la cration dune force militaire dintervention forte de trois mille hommes, opration-
nelle dici 2016, a t annonce. Il sagit dune initiative conjointe avec le triangle de Weimar,
qui regroupe la France, lAllemagne et la Pologne. Les efforts de constitution dun espace nerg-
tique rgional demeurent toutefois quasi nuls.
H. B. ET S. G.
LAllemagne,
encombrant voisin
antinuclaire
MOUSTACHE soigne, regard fixe, M. Jnos
Hajd affiche une satisfaction sincre. La centrale
nuclaire est la meilleure chose qui nous soit jamais
arrive. Au-dessus de son bureau, le maire de Paks
a accroch le drapeau de sa ville, qui arbore le
symbole argent de latome. Paks est une petite
ville de dix-neuf mille cinq cents habitants, mais les
salaires y sont plus levs que la moyenne nationale,
et nos infrastructures sont de meilleure qualit. On
vient de tout le pays pour visiter la centrale. Cest
notre fiert. Sur les bords du Danube, au centre
de la Hongrie, le nuclaire ne semble pas faire dbat.
M. Hajd, fervent promoteur de latome, en veut
pour preuve sa rlection, en octobre 2010, pour
un troisime mandat daffile. Le g