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L E S F U L L E R È N E S 11
Fonctionnalisationet modificationdu C60
Les fullerènes constituent la troisiè-me forme allotropique du carbone, avec legraphite et le diamant. Leur structure ori-ginale est en forme de cage vide et fermée.Le plus connu est le C60, semblable à un bal-lon de football. La molécule est constituéede 20 faces hexagonales et 12 faces penta-gonales. Chaque carbone est situé à l’un des60 sommets du polyèdre. Cette structureest de haute symétrie.
Cette forme sphérique confère à lamolécule des propriétés spécifiques. En particulier, le C60 est un bon accepteur d’électrons. Les réactions d’oxydoréductionsont nombreuses. Cette grande réactivitéfacilite l’élaboration de matériaux nouveauxdont l’architecture est originale. L’incorpo-ration des C60 , soit au cœur, soit au nœuddes polymères “modèles”, permet de réaliser des structures en colliers de perles,en étoiles et en réseaux… Les polymèresacquièrent ainsi les propriétés magnétiqueset électriques du fullerène.
A l’aide des fullerènes, les chercheursfabriquent des matériaux extrêmement durs.A température ambiante et à haute pres-sion (supérieure à 150 000 atmosphères), lastructure en cage du C60 s’effondre et le nou-veau matériau devient plus dur que le dia-mant. L’optimisation de ce procédé conduità des grains de diamant cristallin de 100 Åqui composent à 95 % le matériau.
Le C60 se polymérise sous l’action de la pres-sion (5 000 atm) et de la température
(jusqu’à 1500 °C). Dans ces phases polymé-risées, les atomes de carbone ne sont pluséquivalents, alors qu’ils le sont dans la molé-cule d’origine. Des propriétés physiques ori-ginales apparaissent.
Des semi-conducteurs de fullerènessont également élaborés. Le dopage s’effectue par implantation ionique sur desfilms cristallins de C60. L’irradiation doit êtrecontrôlée. L’état semi-conducteur ne s’obtient qu’avec des paramètres d’implan-tation faibles.
La greffe de fonctions acide carbo-xylique sur le C60 donne des méthano-fullerènes. Ces molécules sont dans un étatintermédiaire entre l’état amorphe et l’étatcristallin, avec des propriétés amphiphiles(amphiphile : à la fois hydrophobe et hydro-phile). Les molécules s’organisent, sponta-nément ou sous une contrainte extérieure,pour former des films minces de Langmuir.Les méthanofullerènes associés à des grou-pements mésogènes devraient conduire auxpremiers cristaux liquides. Des applicationsavec les dérivés des méthanofullerènes sontenvisagées en optique (photophysique, lumi-nescence, effets non-linéaires,…).
Si ces études sont au stade de larecherche fondamentale, certaines pour-raient déboucher prochainement sur desapplications industrielles. La moléculede C60 est par exemple un bon additif,antifriction et anti-usure, pour les huilesde moteur.
SC
1chapitre Avant même l’article de “Nature”(1) qui a valu le
prix Nobel de Chimie 1996 à ses auteurs, les propriétés
de symétrie de la molécule de C60 avaient attiré l’at-
tention de théoriciens(2) qui avaient publié des calculs
de structure électronique.
Cette symétrie particulière a joué un rôle dans la
découverte des fullerènes et est en liaison directe avec
ses propriétés. C’est déjà la symétrie qui avait guidé
H. Kroto et R. Smalley dans leur construction de la
molécule et les souvenirs que H. Kroto avait des dômes
de Buckminster Fuller sont à l’origine du nom de
“Buckminsterfullerene”, mais bien évidemment les
propriétés des fullerènes et même du C60 ne sont pas
toutes directement liées à cette symétrie.
André RASSATClaude FABRE†
Virginie GREUGNY-LE BOULAIRELucien MARX
Stéphane ROUXProcessus d’activation moléculaire
URA CNRS 1679Département de chimie
École normale supérieure24, rue Lhomond
75231 Paris Cedex 05Tél. : 01 44 32 33 27Fax : 01 44 32 38 63
E-mail : André[email protected]
Christian COULOMBEAULaboratoire d’études dynamiques
et structurales de la sélectivité (LEDSS)UMR CNRS 5616
Université Joseph-Fourier, BP 5338041 Grenoble Cedex 9
SYMÉTRIEET SPECTROSCOPIEDE VIBRATIONS
La symétrie impose à une molé-
cule en C60 de symétrie Ih d’avoir un
spectre d’absorption infrarouge (IR) très
simple, avec seulement 4 bandes d’ab-
sorption et un spectre Raman de 10
bandes (le nombre de bandes augmente
quand la symétrie diminue, un isomè-
re sans aucun élément de symétrie ayant
174 bandes en IR comme en Raman).
C’est effectivement le spectre
IR (et l’effet isotopique du 13C) qui, en
1990, a permis à W. Krätschmer, K. Fos-
tiropoulos et D. R. Huffman d’établir
la symétrie de l’agrégat carboné pré-
sent dans la suie obtenue dans leur
laboratoire en observant les 4 fré-
quences IR dans la région attendue (3).
En 1987 (4), en “aveugle” (puis-
qu’avant la détermination expérimen-
tale de fréquences IR), nous avons étudié
les vibrations du C60 à l’aide d’un poten-
tiel “géométrique” qui ne dépend que
de la géométrie de la molécule étudiée
et qui permet des temps de calcul négli-
geables (5). Ce travail était la première
publication de la liste complète de fré-
quences de vibration et donnait le bon
ordre de grandeur des fréquences IR
expérimentales. Compte tenu de la sim-
plicité du modèle et du calcul, nos résul-
tats se comparaient favorablement à
ceux obtenus à partir de modèles plus
perfectionnés et de calculs plus longs.
Il faut cependant signaler que,
si le potentiel “géométrique” choisi
trouve bien la symétrie des vibrations
propres, il n’est pas destiné à calculer
les valeurs exactes des fréquences de
vibration, mais seulement leur ordre
de grandeur. C’est le cas pour les fré-
quences Raman où l’accord avec les
valeurs expérimentales est moins bon.
Le tableau 1 donne la compa-
raison des valeurs expérimentales et
des résultats des calculs faits “en
aveugle”, les calculs de fréquence posté-
rieurs à la publication des valeurs expé-
rimentales s’étant révélés meilleurs…
12 L E S F U L L E R È N E S
Symétrie et fullerènes
CHAPITRE 1 FONCTIONNALISATION ET MODIFICATION DU C60
LES HAUTES SYMÉTRIES DE L’ESPACE À 3 D
L’objet le “plus symétrique” de notre espace est la sphère. Les 5 polyè-
dres réguliers (figure a) en conservent certains éléments de symétrie et
les sept groupes de “haute symétrie” en dérivent. On a ainsi les groupes
Td , Oh et Ih des opérations de symétrie qui laissent invariants respecti-
vement le tétraèdre régulier, l’octaèdre régulier (ou le cube) et l’ico-
saèdre (ou le dodécaèdre) régulier, les quatre autres groupes T, Th, O
et I dérivant de ces groupes ; T, O et I sont les groupes des rotations du
tétraèdre, de l’octaèdre et de l’icosaèdre réguliers et Th est formé du
groupe T augmenté d’un centre de symétrie.
Les 13 polyèdres semi-réguliers, obtenus par troncature des polyèdres
réguliers, sont également des objets de haute symétrie. Le ballon de
football et la molécule de C60 ont la structure de l’un d’entre eux, l’ico-
saèdre tronqué (figure b), qui a la symétrie Ih de son “parent”, l’ico-
saèdre.
Notons que le cube et l’octaèdre régulier sont duaux l’un de l’autre,
tout comme le dodécaèdre et l’icosaèdre réguliers : les sommets de l’un
sont les faces de l’autre. Le tétraèdre régulier est son propre dual.
LES POLYÈDRES
Pour tout polyèdre (de l’espace à 3 dimensions), il existe la relation
d’Euler(1) entre le nombre de sommets S, d’arêtes A et de faces F :
S - A + F = 2.
Dans tout polyèdre, les faces peuvent avoir un nombre quelconque
d’arêtes. Si Fn est le nombre de faces à n arêtes (n≥3), ∑n
Fn=F. De même,
chaque sommet a une coordinence m et si Sm est le nombre de som-
mets de coordinence m, S=∑m
Sm.
Pour les polyèdres de coordinence 3, où chaque sommet partage une
arête avec strictement trois voisins, S ≡S3 et S = 2N, N entier. Comme
chaque arête relie 2 sommets et que chaque sommet est commun à
3 arêtes, 3 S = 2A, et alors F3 +F4 +F5 =12+F7 +F8 +…; le nombre F6 de
faces hexagonales n’intervenant pas alors dans cette relation (il se trou-
ve que F6 ≠1).
Nous définissons (2) les sphéroarènes comme des molécules formées de
2N carbones trigonaux avec une condition qui, dans la plupart des cas,
revient à leur imposer une structure de polyèdre à sommets tricoordi-
nés. On peut donc définir, d’après H. Kroto (3), les fullerènes comme
étant ceux des sphéroarènes qui ont seulement des faces pentagonales
et hexagonales et donc exactement 12 faces pentagonales. On a alors
pour un fullerène : S=S3 =2N, A=3N, F6 =N-10, F5 =12.
Un dual de sphéroarène n’a que des faces triangulaires F≡F3. Un dual
de fullerène n’a que des sommets de coordinence 5 et 6, S5 =12 et S6
étant quelconque (mais S6 ≠1). De nombreux virus et la plupart des
dômes géodésiques de Buckminster Fuller ont la structure d’un dual
de fullerène (4). C’est ainsi que le virus de la mosaïque jaune du navet
ou le dôme de l’Institut Arctique de l’Ile Baffin (60 F3 , 12 S5 et 20 S6)
ont la forme du dual du C60 (60 S6 , 12 F5 et 20 F6) (5,6).
Récemment, la relation d’Euler a été généralisée en termes de
théorie des groupes (7).
RÉFÉRENCES1. (a) L. Euler, ElementaDoctrinae Solidorum, 1752, Opera Omnia, ser. 1, vol. 26, XIV-XVI.(b) A.F. Wells, The ThirdDimension in Chemistry, 1963, Clarendon, Oxford(c) H.M.S. Coxeter,Introduction to Geometry,1963, Wiley, New York.(d) Voir aussi “Geometry Junkyard” surhttp://www.ics.uci.edu ~eppstein/junkyard/euler.2. (a) C. Fabre, A. Rassat,“Découpages géométriques dufootballène C60 en fragmentsen C15, C30 et C45. “Coupe du roi” de l’icosaèdretronqué. Préparation demolécules voisines en C30 et C45”. C.R. Acad. Sci. Paris, 308,série II, 1223-1228, 1989.(b) A. Rassat, “Symmetry inspheroalcanes, fullerenes,tubules and other column-likeaggregates”. In G. Tsoucaris etal. (eds.), Crystallography ofSupramolecular Compounds,181-201. Kluwer AcademicPublishers, 1996.3. H.W. Kroto,“The stability of the fullerenesCn , with n = 24, 28, 32, 36,50, 60 and 70”. Nature, 1987, 329, 529-531.4. Buckminster Fuller, Ideasand Integrities, Prentice-Hall,Englewood Cliffs, 1963.5. H.M.S. Coxeter, VirusMacromolecules and GeodesicDomes in “Essays presented toH.G. Forder : A Spectrum ofMathematics”. J.C. ButcherEd. Auckland U.P. 1971, p. 95-107.6. D.L.D. Caspar, A. Klug,Physical principles in theconstruction of regular viruses,Cold Spring Harbor Symp.Quant. Biol. 27, 1962, 1-24.7. (a) A. Ceulemans, P.W. Fowler, “Extension ofEuler’s Theorem to SymmetryProperties of Polyhedra”, Nature(London), 1991, 353, 52.(b) P.W. Fowler, A. Rassat, A. Ceulemans,“Symmetrygeneralisation of the Euler-Schläfli theorem for multi-shellpolyhedra”, J. Chem. Soc., Faraday Trans.,1996, 92 (24), 4877-4884.
Figure aLES SOLIDES PLATONICIENS
LE TÉTRAÈDRELe Feu
L’OCTAÈDREL’Air
L’ICOSAÈDREL’Eau
LE CUBELa Terre
LE DODÉCAÈDREL’Univers
Figure bL’icosaèdre tronqué
L E S F U L L E R È N E S 13Symétrie et fullerènes
CHAPITRE 1 FONCTIONNALISATION ET MODIFICATION DU C6014 L E S F U L L E R È N E S
SYMÉTRIE ET STRUCTURE ÉLECTRONIQUEPour le C60 , la symétrie suggère une formule de simples et doubles
liaisons localisées qui se trouve être en accord avec les propriétés phy-
siques et chimiques : sur 90 arêtes, 60(12x5)sont communes à un pen-
tagone et à un hexagone (A56) et 30 séparent 2 hexagones (A66).
La formule limite la plus symétrique s’obtient donc en plaçant les 30
doubles liaisons sur ces arêtes A66 , ce qui suggère un caractère de
double liaison pour ces liaisons en accord avec les propriétés physiques
et chimiques.
Ceci est confirmé par tout calcul quantique. Par la méthode de Hüc-
kel, on trouve (1), à partir des indices de liaison π, les distances
d(A56) = 1,433 Å et d(A66) = 1,411 Å à comparer aux valeurs expéri-
mentales mesurées plus tard 1,44 et 1,40Å (2).
La symétrie Ih est aussi à la base de propriétés physiques et chimiques.
Si la molécule était sphérique, les 60 électrons π s’organiseraient en
fonction de leur moment cinétique pour remplir (comme dans un
atome idéalisé) les 5 couches s, p, d, f et g, la dernière couche h étant
incomplète avec 10 électrons pour 11 “cases”.
Dans la symétrie Ih, il y a séparation des couches f, g et h, de dégé-
nérescence (figure) supérieure à 5, avec la corrélation suivante entre
la symétrie de la sphère et celle de l’icosaèdre :
s →ag , p →t1u , d →hg , f →t2u ⊕ gu , g →gg ⊕ hg , h →hu ⊕ t1u ⊕ t2u .
Le calcul montre que les niveaux qui proviennent du niveau h se clas-
sent dans l’ordre hu , t1u et t2u ce qui donne au C60 une structure de
couche complète, avec 10 électrons dans le niveau hu.
Du fait de leur origine commune, on attend donc une faible sépara-
tion entre ces niveaux. Ceci est vérifié pour les niveaux hu et t1u , avec
deux conséquences :
1) une faible fréquence de transition hu → t1u d’où une absorption
dans le visible, en accord avec la couleur magenta des solutions de
C60 dans le toluène;
2) une addition facile d’électrons dans le niveau T1u conduisant (contraire-
ment au graphite et au diamant) à un caractère oxydant du C60 , et
à des propriétés de “piège à radicaux”.
RÉFÉRENCES1. C. Coulombeau, A. Rassat,“Calculs de propriétés électroniques et des fréquences normales de vibrationd’agrégats carbonés formant des polyèdres réguliers et semi-réguliers”,J. Chem. Phys. 84, 875-882, 1987.2. C.S. Yannoni, P. Bernier, D.S. Bethune, G. Meijer and J.R. Salem,“An NMR determination of the bond lengths in C60”, J. Am. Chem. Soc. 113, 3190-3192, 1991.
2,618 (k)
(j)
(i)
h
d
p
s
f
g
t2g
t1g
t1u
gu
gg
ag
gu
gg
hu
hu
hg
hg
hg
t2u
t2u
t1u
2,562
2,000
1,6181,4381,303
0,382
0,139
-0,618
-1,000
-1,562
-1,820
-2,303
-2,757
-3,000
LES FULLERÈNESISOMÈRES DU C60
Si l’attribution, par H. Kroto et
R. Smalley, de la structure de l’icosaèdre
tronqué à la molécule responsable du
pic de 720 daltons s’est révélée exacte,
d’autres isomères sont cependant pos-
sibles. Les seuls fullerènes sont au
nombre de 1812 (6).
En 1986, en collaboration avec
C. Coulombeau (4), nous avons étudié
systématiquement, au niveau de l’ap-
proximation de Hückel, les propriétés
électroniques de 71 fullerènes obtenus
par la transformation dite de “Stone
Calc.Exp. 1428 1183 577 527(a) 1406 1049 676 416
(b) 1868 1462 618 478
(c) 1434 1119 618 472
(d) 1655 1374 551 491
(e) 1628 1353 719 577
(f) 1437 1212 637 544
(g) 1753 1405 776 574
(h) 1710 1321 809 577
(h) 1625 1130 719 478
Potentiel géométrique : (a) — C. Coulombeau, A. Rassat. “Calculs de propriétés électroniques etdes fréquences normales de vibration d’agrégats carbonés formant des polyèdres réguliers et semi-réguliers”. J. Chimie Phys. 84, 875-882, 1987.Potentiels empiriques : (b) — D.E. Weeks and W.G. Harter. “Vibrational frequencies and normal modes of buckminsterfullerene”. Chem. Phys. Lett. 144, 366-372, 1988. (c) — S.J. Cyvin, E. Brendsdal, B.N. Cyvin and J. Brunvoll. “Molecular vibrations of footballe-ne”. Chem. Phys. Lett. 143 (4), 377-80, 1988. E. Brendsdal, B.N. Cyvin, J. Brunvoll and S.J. Cyvin.“Normal coordinate analysis of footballene (C60)”. Spectrosc. Lett. 21 (4), 313-318, 1988. Potentiels empiriques (adaptés de calculs quantiques) ou quantiques (semi-empiriques) : (d) — Z.C. Wu, D.A. Jelski and T.F. George. “Vibrational motions of Buckminsterfullerene”.Chem. Phys. Lett. 137, 291, 1987. (e) — R. E. Stanton, M. D. Newton. “Normal vibrationalmodes of Buckminsterfullerene”. J. Phys. Chem. 92, 2141-2145, 1988. (f) — F. Negri, G. Orlandi and G. Zerbetto. “Quantum chemical investigation of Franck-Condon and Jahn-Telleractivity in the electronic spectra of Buckminsterfullerene”. Chem. Phys. Lett. 144 (1), 31-7, 1988.(g) — Z. Slanina, J. M. Rudzinski, M. Togasi, and E. Osawa,“Quantum-mechanically suppor-ted vibrational analysis of giant molecules: the C60 and C70 clusters,” J. Mol. Struct. (Theochem.) 202,169-176, 1989.Quantiques (ab initio) : (h) — J. M. Schulman, R.L. Disch, M. A. Miller and Rosalie G. Peck.“Symmetrical clusters of carbon atoms : the C24 and C60 molecules”. Chem. Phys. Lett. 141, 45-48, 1987.
Tableau 1Fréquences (en cm-1) de vibration activesen IR expérimentales(Exp.) et calculées (Calc.)
Symétrie et fullerènes L E S F U L L E R È N E S 15
Figure 3Quand la purification des fullerènes était un problème…
AA BB
CC
DD
EE FF
GG
HH
Figure 1Transformation de Stone-Wales : passage de la forme (A) vers la forme (B) (ou inver-sement) par modification de la position des liaisons communes aux quatre cycles : la liaison centrale tourne de 90°
Figure 2A partir d’une molécule en C5 , on peut préparer des molécules en C15 , C30 et C45dont les squelettes se retrouvent dans le C60 .
O
O
et Wales” (figure 1) : la molécule de
symétrie Ih est nettement plus stable
que les 70 autres isomères considérés,
en accord avec les suggestions de
Kroto (7a) et de T.G. Schmalz (7 b) sur la
déstabilisation apportée par la présence
de cycles pentagonaux contigus : on
peut regrouper les énergies électro-
niques π(en unité β) selon la formule :
Eπ= 93,2 - 0,12p - 0,17t où p désigne le
nombre de paires contiguës de cycles
pentagonaux et t le nombre de triplets
de cycles pentagonaux (c’est-à-dire où
un cycle pentagonal, au moins, a 2 voi-
sins pentagonaux).
SYMÉTRIE, DÉCOUPAGESET SYNTHÈSES
En considérant des découpages
géométriques de l’icosaèdre tronqué,
nous avons été amenés à préparer des
molécules en C15, C30 (“2x15”) et en C45
(“3 x 15”) où les cycles ont une disposi-
tion relative comme dans le C60(8) (fig.2).
La création des liaisons C-C man-
quantes n’a pas été réalisée. D’autres
versions (“3x20”) sont à l’étude.
PRÉPARATION ETPURIFICATION DU C60
Dès le mois de février 1991,
nous avons obtenu un échantillon
d’“extrait” de fullerène de W. Krät-
schmer par l’intermédiaire de K. Fosti-
ropoulos, alors à l’université de Paris VI
chez A. Léger où il essayait sur ses échan-
tillons d’identifier les bandes des fameux
hydrocarbures polyaromatiques (PAH).
Nous avons obtenu du C60 et du C70 à
l’état pur ainsi que quelques milli-
grammes du mélange des C84. Les échan-
tillons remis à W. Krätschmer (figure 3)
ont été les premiers d’une longue série
que nous avons préparée à partir de
“suie” de fullerènes obtenue à Mont-
pellier chez Patrick Bernier ou ensuite
à l’École normale supérieure, avec le
soutien du CNRS et du Ministère de l’en-
seignement supérieur et de la recherche,
et dans le cadre du Groupement de
recherche C60 , GDR n° 1019. En colla-
boration avec les spécialistes du domai-
ne, ces échantillons nous ont permis
d’obtenir des données précises sur les
propriétés physiques de ces molécules (9).
RÉACTIVITÉ DU C60
Nous ne détaillerons pas ici
toutes les molécules préparées selon
des voies maintenant classiques (10), mais
seulement une réaction peu utilisée :
Nous avons étudié en détail (11)
les produits complexes obtenus par
alcoylation, grâce en particulier à une
collaboration avec plusieurs groupes
de spectroscopie de masse (principale-
ment l’IN2P3 à Orsay, et ROUSSEL-UCLAF
à Romainville) et en comparant des
résultats obtenus par des techniques
d’analyse différentes : par réaction du
C60 avec un excès de lithium en
présence de chlorure de t-butyle, dans
le tétrahydrofuranne, on obtient
des adduits de formule générale
C60Hn(t-Bu)qOx(thf)y , (où t-Bu et thf repré-
sentent respectivement un radical t-butyl
et un radical tétrahydrofuryl) avec
n ≤ 8,q + y ≤ 18 et x = 0, 1 ou 2, où le
degré d’addition moyen <q> est de
l’ordre de 6 avec un maximum pour q=18.
Cette réaction est intéressante
pour l’étude des additions radicalaires,
la présence d’adduits du radical thf
caractérisant une intervention de radi-
caux, mais les nombreuses positions
(A) (B)
CHAPITRE 1 FONCTIONNALISATION ET MODIFICATION DU C6016 L E S F U L L E R È N E S
réactives sur le C60 entraînent la for-
mation d’un mélange complexe, peu
utilisable dans un but préparatif. Cepen-
dant, les molécules formées dans le
mélange ont une forme originale : elles
sont relativement sphériques et avec
un diamètre qui peut atteindre 15 Å.
Nous avons ensuite utilisé cette
réaction d’alcoylation dans les condi-
tions de la réaction de Barbier et sous
irradiation ultrasonore pour fabriquer
en plusieurs étapes à partir de poudre
de fullerènes, d’un halogénure d’al-
coyle et de lithium, un mélange de
molécules de type “oursins” par la suite
de réactions suivantes :
C60+Li+R-Br → C60Rq→ C60(C5H10CO2H)q
où R = -(CH2)nCB, avec n = 5 ou 7, et B
est un groupe protecteur de la fonc-
tion carboxyle.
Après hydrolyse et déprotec-
tion, on obtient un mélange de poly-
acides. Le produit de cette suite de
réactions est encore un mélange com-
plexe : par titrage acide-base et RMN,
on trouve une moyenne de 12 chaînes
Figure 5Coefficient de frottement d’un pion en laiton glissant sur un disque en acier à vitesse variable
par molécule. Ces polyacides sont
solubles dans un domaine de pH qui
va de 7 (où l’on observe un trouble
très léger) à 14. Des analyses chro-
matographiques, même poussées, ne
peuvent séparer tous les constituants
du mélange. D’après l’étude précé-
dente, des atomes d’hydrogène et des
molécules de tétrahydrofuranne ont
aussi été fixés, mais les produits obte-
nus ne résistent pas aux conditions
utilisées pour les analyses par spec-
trographie de masse.
Ces polyacides sont solubles
sous forme d’anions et on peut penser
que les répulsions électrostatiques entre
les carboxylates écartent les chaînes,
formant ainsi des molécules en forme
“d’oursins” d’environ 30 Å de diamètre,
avec un extérieur hydrophile et un
intérieur hydrophobe (figure 4). Par
estérification de ces “oursins” avec des
alcools gras, on obtient des molécules
hydrophobes et de forme quasi sphé-
rique, par exemple, l’ester “6-6”,
C60(C5H10CO2C6H13)q .
CO2H
CO2H
CO2H
CO2H
CO2H
HO2C
HO2C
HO2C
C60
O
O
O
O
O
O
OO
O
O
O
O
O
O
O O
C60
Figure 4Polyacide C6 (a) et polyester C6-C6 (b)
Huile de base 100NS (a)
Huile GL3 (b)
Huile de base+BCV (c)
Huile de base+PSLZ (d)
Huile de base+ 5% MoS2 (e)
Huile GL5 (f)
Huile de base+2,5% C60-ester (C6-C6) (g)
Huile de base+5% C60 (h)
Les courbes représentent le coefficient de frottement en fonction de lavitesse de glissement pour différentes huiles : (a) l’huile de base100NS,(b) et (f) huiles commerciales, (c), (d), (e) huiles de base addi-tivées, g) huile de base additivée avec de l’ester C6-C6, h) huile de baseadditivée avec du C60 “micronisé”.Le C60 , en suspension dans l’huile de base, n’est pas un additif possé-dant des propriétés anti-friction et anti-usure mais, par contre, ledérivé du C60 renfermant des fonctions esters se révèle, dans cet essai,comparable aux meilleurs additifs.
(a)
(b)
Symétrie et fullerènes L E S F U L L E R È N E S 17
1. H.W. Kroto, J.R. Heath,S.C. O’Brien, R.F. Curl and R.E. Smalley, “C60 : Buckminsterfullerene”,Nature, 318, 162-163, 1985.2. (a) E. Osawa,“Supersymmetry” Kagaku(Kyoto), 25, 854-863, 1970.(b) D.E.H. Hones, The Inventions of Daedalus,(W.H. Freeman, Oxford andSan Francisco, p. 118-119,1982).(c) R.A. Davidson, “SpectralAnalysis of Graphs by CyclicAutomorphism Subgroups”,Theor. Chim. Acta, 58, 193-195, 1981.(d) J. Castells and F. Serratosa, “Goal! An excercise in IUPACNomenclature”, J. Chem.Education 60, 941, 1983.(e) A.D.J. Haymet, “C120 and C60 Archimedeansolids contructed from sp2
hybridized carbon atoms”,Chem. Phys. Lett. 122, 421-424, 1985.(f) A.D.J. Haymet,“Footballene : a theroreticalprediction for the stable,truncated icosahedralmolecule C60”, J. Am. Chem.Soc. 108, 319-321, 1986.3. W. Krätschmer, K. Fostiropoulos and D.R. Huffman, “The infrared and ultravioletabsorption spectra oflaboratory-produced carbondust : evidence for the presenceof the C60 molecule”, Chem.Phys. Lett. 170, 167, 1990.4. C. Coulombeau, A. Rassat, “Calculs depropriétés électroniques et desfréquences normales devibration d’agrégats carbonésformant des polyèdres régulierset semi-réguliers”, J. Chem. Phys. 84, 875-882, 1987.5. Y. Brunel, C. Coulombeau,A. Rassat, “Un potentiel simplifié pourl’étude vibrationnelle desmolécules”, J. Chim. Physique,78, 119-125, 1981.6. D.E. Manopoulos, P.W. Fowler, “A SpiralAlgorithm for FullereneCount”, Chem. Phys. Lett.204, 1993.
7. (a) H.W. Kroto, “The stability of the fullerenesCn, with n = 24, 28, 32, 36,50, 60 and 70”, Nature,1987, 329, 529-531.(b) T.G. Schmalz, W.A. Seitz, D. Klein, G.E. Hite, “Elemental Carbon Cages”,J. Amer. Chem. Soc., 110,1113-1127, 1988.8. C. Fabre, A. Rassat,“Découpages géométriques dufootballène C60 en fragmentsen C15, C30 et C45. “Coupe duroi” de l’icosaèdre tronqué.Préparation de moléculesvoisines en C30 et C45”, C.R.Acad. Sci. Paris, 308, série II,1223-1228, 1989.9. Voir le rapport d’activitédu GDR C60, septembre 1995.10. (a) The Chemistry of theFullerenes, Advanced Series inFullerenes, Ed. R. Taylor,World Scientific, Singapore.(b) A. Hirsch. The Chemistryof the Fullerenes, GeorgThieme Verl. Stuttgart, 1994. (c) Fullerene Chemistry, B. Smith, II, Ed., TetrahedronSymposia in print number 60,Tetrahedron, 4925-5262,1996.11. S. Bourcier, P. ChaurandC. Ciot, S. Della-Negra, C. Fabre, V. Greugny, L. Marx, A. Rassat, A. Rousseau, “Alkylation of C60. Reactionbetween C60 anions and tert-butyl chloride and massspectrometry analysis”,International Journal of MassSpectroscopy and Ion Processes,156, 85-101, 1996.12. S.E. Campbell, G. Luengo, V.I. Srdanov, F. Wudl, J.N. Israelachvili,“Very low viscosity at the solid-liquid interface induced byadsorbed C60 monolayers”,Nature, 382, 520-522, 1996.13. Nous remercions cessociétés et M. Slomka pourleur collaboration etl’attribution d’une bourseCIFRE à S. Roux.
BIBLIOGRAPHIELE C60 COMME ADDITIFPOUR HUILE DE MOTEUR
Nous avons utilisé ces mélanges
dans une application très particulière.
L’analogie du C60 avec le graphite a fré-
quemment suggéré l’idée que le C60
pouvait avoir des propriétés de lubri-
fiant : il paraissait intéressant d’exa-
miner la possibilité d’utiliser dans les
huiles de moteur les propriétés de piège
à radicaux libres que possède le C60.
Dans le domaine de la tribolo-
gie, le comportement du C60 a été étu-
dié à sec, sous forme de films déposés
ou implantés de façon covalente, ou
en suspension dans de l’huile. Très
récemment, J.N. Israelachvili (12) a mis
en évidence un effet de réduction du
frottement hydrodynamique entre un
liquide (le toluène) saturé en C60 et une
surface de mica sur laquelle était dépo-
sé un film de C60.
En collaboration avec IGOL Île-
de-France, IGOL CANDRA(13) et le labo-
ratoire de tribologie de l’ISMCM-CESTI,
nous nous sommes intéressés à la tri-
bologie du C60 en tant qu’additif anti-
friction, anti-usure ou extrême-pression
dans des huiles de moteurs.
Une étude préliminaire sur
machine quatre-billes ayant écarté
les propriétés extrême-pression, nous
avons entrepris des essais de friction et
d’usure avec du C60 micronisé en
suspension dans de l’huile minérale et
avec des dérivés du C60 du type
C60(CnH2nCO2CmH2m+1)q. Nous rappor-
tons ici deux exemples de mesure de
performance d’huiles additivées et
d’huile de moteur. Deux échantillons
ont été préparés à partir d’une huile
100 NS : une huile A contenant 5% en
poids d’un mélange C60/C70(85/15) micro-
nisé et B, contenant 2,5% en poids d’un
dérivé ester de type C6-C6, ayant en
moyenne 12 chaînes greffées. Des
mesures de coefficient de frottement
montrent que le C60 n’améliore pas,
dans les conditions des essais, la quali-
té lubrifiante de l’huile. Il se comporte
plutôt comme un abrasif. Par contre,
l’addition de l’ester 6-6 améliore dans
cet essai les performances d’une huile
100 NS pour les rendre comparables à
celles d’une des meilleures huiles (figu-
re 5). A noter que les performances
de cet échantillon sont aussi supérieures
à celles où l’additif est un ester gras
(C5H11CO2C6H13, par exemple). Ce résul-
tat, pour intéressant qu’il soit, reste très
théorique, le prix de revient d’un tel
additif, même sous forme de mélange,
étant très supérieur à celui des additifs
de performances comparables.
Ce travail n’aurait pas pu avoirlieu sans la contribution fon-damentale de Claude Fabre :sa compétence en chimie expé-rimenta le comme dans lesdomaines théoriques, saconnaissance approfondie del’énorme bibliographie de cesujet ainsi que son autoritéamicale en faisaient le moteuressentiel de l’équipe. Sonabsence est cruellement res-sentie par ses proches colla-borateurs comme par lacommunauté du GDR C60 .
SC
1chapitre C60 est non seulement bon accepteur d’électrons, mais
ses propriétés d’oxydo-réduction sont modifiées de manière
importante par les liaisons covalentes qu’il peut
former avec des groupes fonctionnels. Quelques exemples
en sont cités ci-après. On observe ainsi que la thermo-
dynamique du transfert d’électron est modifiée - l’éner-
gie nécessaire à l’addition d’un électron à C60 peut
être augmentée de presque 1 électron-volt - mais éga-
lement le mécanisme des réactions rédox et la stabili-
té chimique des espèces résultantes. Les effets observés
de telles fonctionnalisations sur C60 dépendent de la
nature et du nombre des groupes fonctionnels liés à
C60 , ainsi que de la topographie des liaisons créées sur
la sphère C60 .
Maurice GROSSURA CNRS 405
Université Louis PasteurFaculté de chimie
4, rue Blaise PascalBP 296
67008 Strasbourg CedexTél. : 03 88 41 60 57Fax : 03 88 61 15 53
Depuis la première synthèse du
fullerène C60 par H. Kroto, R. Curl et
R. Smalley en 1985 (1) - qui leur vaut le
prix Nobel de chimie en 1996 - et la dis-
ponibilité de C60 en plus grandes quan-
tités par amélioration des procédés de
production en 1990 (2), les fullerènes ont
fait l’objet de très nombreuses études,
qui ont éclairé cet univers inconnu
qu’est la chimie d’une molécule sphé-
rique, hautement insaturée et creuse,
ne contenant que du carbone. En par-
ticulier, la polyfonctionnalisation de C60
a ouvert la voie à l’élaboration de maté-
riaux nouveaux et d’architectures molé-
culaires originales à partir de cette
troisième forme du carbone.
Compte tenu de leurs poten-
tialités comme nouveaux matériaux, de
nombreux produits d’addition ont déjà
été synthétisés tels les sels de fullerènes (4),
les dérivés organométalliques (5)ainsi que
les dérivés du fullerène obtenus par addi-
tions covalentes. Ce dernier aspect de
la chimie de ces composés a fait l’objet
de mises au point récentes (6, 7). Plusieurs
centaines d’articles scientifiques ont déjà
été publiées sur le sujet, surtout sur C60
et ses dérivés, essentiellement en rela-
tion avec trois champs disciplinaires :
chimie, physique et sciences de la vie.
Des études électrochimiques des
fullerènes ont été engagées dès la dis-
ponibilité de ces nouveaux composés (2)
et poursuivies ensuite de manière très
fine (3). Il a tout d’abord été montré que,
en accord avec l’existence des trois orbi-
tales LUMO dégénérées (tlu dans C60)(8),
la molécule C60 peut accepter jusqu’à
six électrons par étapes distinctes et élec-
trochimiquement réversibles. De même
C60 peut être oxydé ; une seule étape a
été observée vers + 1,35 V/Fc (9). Seuls
les deux premiers états réduits ont une
bonne stabilité chimique. Celle-ci décroît
rapidement ensuite. Les études des déri-
vés mono-fonctionnalisés sont fort nom-
breuses. Au contraire, les études
électrochimiques de C60 poly-fonction-
nalisés sont rares. Elles ont été enga-
gées depuis quelques années (10-13) par
18 L E S F U L L E R È N E S
Propriétés rédoxde fullerènes C60
fonctionnalisés
CHAPITRE 1 FONCTIONNALISATION ET MODIFICATION DU C60
* ULP StrasbourgJ.P. GISSELBRECHT, DR CNRS et C. BOUDON, Maître de ConférencesETH Zurich : Pr. F. DIEDERICH, Dr. L. ISAACS, Dr. H.L. ANDERSON, Dr. R. FAUST, Dr. F. CARDULLO, Dr. J.F. NIERENGARTEN
Propriétés rédox de fullerènes C60 fonctionnalisés
une collaboration bilatérale entre un
laboratoire associé au CNRS, le labora-
toire d’électrochimie et physicochimie
des complexes et systèmes interfaciaux
(URA 405, ULP*, Strasbourg) et le labo-
ratoire de chimie organique de l’E.T.H.*
à Zurich. Cette collaboration est la seule,
à ma connaissance, qui comporte la
recherche de corrélations entre d’une
part la nature chimique, la topographie
et le nombre de substituants des fulle-
rènes, et d’autre part leur réactivité. Les
publications correspondantes sont, à ce
jour, les seules à étudier les caractéris-
tiques physicochimiques, notamment
électrochimiques, de séries de fullerènes
portant plus de deux substituants.
Quelques uns des résultats obte-
nus peuvent par exemple être illustrés
à partir de méthanofullerènes (figures
1 et 2), dans lesquels l’addition d’un
nucléophile sur une double liaison com-
mune à deux cycles hexagonaux - posi-
tions [6,6] - conduit à la formation d’un
cyclopropane.
Dans une telle série, par exem-
ple, l’énergie dépensée pour introduire
le premier électron dans l’orbitale tri-
plement dégénérée t1u, orbitale molé-
culaire vide la plus stable (LUMO),
s’accroît, comme le montrent les valeurs
ci-après du potentiel de première réduc-
tion (cf. tableau), à mesure que diminuent,
L E S F U L L E R È N E S 19
Énergie des transferts d’électrons dans C60 et ses adduitsPotentiels de réduction et d’oxydation de fullerènes substitués (en Volts /Fc) (cf. figures 1 et 2)
obtenus en milieu CH2Cl2+ 0,1MBu4NPF6 par voltampérométrie cyclique sur
électrode de platine et de carbone vitreux.
Potentiels de réduction a) Potentiels d’oxydation a)
E1 E2 E3 E1
1 b) -0,98 (59) -1,37 (61) -1,83 (60)
2 b) -1,02 (70) -1,40 (70) -1,92 c) d)
3 b) -1,00 (71) e) -1,38 c)
4 -0,99 c) d) -1,43 (52) -1,56 (63)
5 -1,06 (70) -1,45 (70) -1,94 (80) +1,22 c)
6 -1,18 (75) -1,56 (75) -2,20 c) +1,04 (120)
7 -1,29 (78) -1,67 (84) -2,33 c) +0,90 (92)
8 -1,53 (90) -1,63 (70) +0,98 (170)
9 -1,66 c) -2,20 c) +0,95 (100)
10 -1,57 c) -2,27 c) +0,99 (75)
11 -1,87 c) +0,99 (81)
RR
Si(i-Pr)3
4. (i-Pr)3Si2. R=(i-Pr)3Si3. R=SiMe3–C≡C
1. C60 2.,3.,4.,5. C60 mono-adduit
5. 6. C60 bis-adduit 7. C60 tris-adduit : X=Y=Z=––8. C60 tetra-adduit : X=(EtO2C)2C, Y=Z=––
9.,10. C60 penta-adduit :X=Y=(EtO2CCH2O2C)2C, Z=––X=Z=(EtO2CCH2O2C)2C, Y=––
11. C60 hexa-adduit : X=Y=Z=(EtO2C)2C
Figure 1Quelques exemplesde molécules encours d’étude.
Figure 2
O
O O
O OO CO2Me
Z
O OO
O
XY
a) entre parenthèses : ∆Ep en mV à 0,1V.s-1
b) réduction sur électrodede platine
c) transfert d’électronirréversible
d) réversible pour v>1V.s-1
e) v=10V.s-1
OO O O
O
O
O
OO
O
O
OO
O
OMe OMeOMe
OMe
OMe
OMe
OMe
OMeOMe
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OMe OMe
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O
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O
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OOO
O
O
O
OO
O
OO
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O
OO
OO
O
O
O
O
parallèlement, la conjugaison du motif
C60 et la stabilité de LUMO. Simulta-
nément, l’orbitale cinq fois dégénérée
HOMO (hu dans C60) est légèrement
déstabilisée. Comme l’illustre notam-
ment cet exemple, l’énergie nécessai-
re pour ajouter ou soustraire un premier
électron à la molécule neutre C60 (240
électrons de valence dont 60 électrons π)
peut être modifiée sur un intervalle de
valeurs assez large par le seul effet des
groupes fonctionnels, appropriés en
nombre et en nature, portés par C60.
L’hexa-adduit de C60, à symé-
trie pseudo-octaédrique, possède un
chromophore résiduel de type “cyclo-
phane cubique” (figure 3) dans lequel
la conjugaison πest distribuée formel-
lement sur huit cycles benzéniques.
La stabilité chimique des formes
réduites décroît de C60 jusqu’au dérivé
hexa-adduit. A ce jour, il n’est pas éta-
bli que cette instabilité soit due à une
réaction chimique consécutive au trans-
fert d’électrons, ou à un réarrangement
intramoléculaire de la forme réduite.
Il est, en tous cas, d’ores et déjà démon-
tré que, par exemple pour le dianion
d’un C60 bifonctionnalisé, les 8 régio-
isomères définis par la position du
second groupe fonctionnel par rapport
au premier sont loin de posséder des
stabilités identiques.
20 L E S F U L L E R È N E S CHAPITRE 1 FONCTIONNALISATION ET MODIFICATION DU C60
Figure 3Chromophore résiduelde C60 hexa-adduit
Figure 4Production de films conducteurspar électro réduction de C60mono-adduit.
Figure 5Exemple de fullerène dendritique
0,4 µA
-1,4 -0,4
Ia
E [V]
Ic
SiMe3
Me3Si
Propriétés rédox de fullerènes C60 fonctionnalisés L E S F U L L E R È N E S 21
1. H.W. Kroto, J.R. Heath, S.C. O’Brien,R.F. Curl, R.E. Smalley, Nature 318,(1985), 162-163.2. R.E. Haufler, J. Conceicao, L.P.F. Chibante, Y. Chai, N.E. Byrne, S. Flanagan, M.M. Haley, S.C. O’Brien,C. Pan, Z. Xiao, W.E. Billups, M.A. Ciufolini, R.H. Hauge, J.L. Margrave, L.J. Wilson, R.F. Curl, R.E. Smalley,J. Phys. Chem., 94, (1990), 8634-8636.3. Proceedings, The Electro-chemical Society(Fullerènes Group) Premier volume (1994):“Recent advances in the chemistry andphysics of fullerènes and related materials”,Editors : K.M. KADISH, R.S. RUOFF.Volumes 2 et 3 également parus depuis.4. R.C. Haddon,Acc. Chem. Res., 25, (1992), 127-133.5. P.J. Fagan, J.C. Calabrese, B. Malone,Acc. Chem. Res., 25, (1992), 132-142. 6. F. Diederich, L. Isaacs, D. Philp,Chem. Soc. Rev., (1994), 243-255.
7. A. Hirsch, Synthesis, (1995), 895-913.8. R.C. Haddon, L.E. Brus, K. Raghavachari, Chem. Phys. Letters, 125(5,6), (1986), 459-464.9. Q. Xie, E. Perez-Cordero, L. Echegoyen,J. Am. Chem. Soc., 114, (1992), 3978-3980.10. F. Cardullo, L. Isaacs, F. Diederich,J.P. Gisselbrecht, C. Boudon, M. Gross,Chem. Commun., (1996), 797-799.11. C. Boudon, J.P. Gisselbrecht, M. Gross, L. Isaacs, H.L. Anderson, R. Faust, F. Diederich,Helv. Chim. Acta, 78, (1995), 1334-1344.12. H.L. Anderson, C. Boudon, F. Diederich, J.P. Gisselbrecht, M. Gross,P. Seiler, Angew. Chem. Int. Ed. Engl., 33(15/16), (1994), 1628-1632.13. F. Cardullo, P. Seiler, L. Isaacs,J.F. Nierengarten, R.F. Haldimann,F. Diederich, T. Mordasini-Denti, W. Thiel,C. Boudon J.P. Gisselbrecht, M. Gross,Helv. Chim. Acta, 80 (1997) 343-371
cis 1
e
cis 2
cis 3
trans 1
trans 2
trans 4 trans 3
EtO2C CO2Et
CO2Et
CO2Et
O
HO
OHO
OO
EtO2C CO2Et
CO2Et
CO2Et
OOO
O
O OO O
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O
OEtO
OEt
O
OO
O
O
OEtO
OEt
O
OO
O
O
OEtO
OEt
TIPSCette réactivité accrue des
formes réduites de C60, lorsque la sphè-
re est fonctionnalisée, peut être utilisée :
ainsi, des films superficiels, extrêmement
stables et bons conducteurs électriques
ont été obtenus (figure 4) à la surface
d’électrodes par électropolymérisation
réductive de C60 monofonctionnalisé (12).
Également, l’hypothèse d’un contrôle
de réactivité chimique par arborescences
(figure 5) fait l’objet de mesures pour le
dianion de cis-2 fullerènes. La figure 6
représente quelques autres exemples
BIBLIOGRAPHIE
de molécules à base de fullerènes étu-
diées actuellement.
Il ne fait aujourd’hui guère de
doute que leurs spécificités de taille,
de symétrie et de réactivité condui-
ront les fullerènes à entrer dans des
assemblages moléculaires encore
inédits (figure 7), dont on peut sou-
haiter que l’originalité des caracté-
ristiques physiques et chimiques
reflète l’esthétique intrinsèque de
cette troisième forme du carbone si
récemment découverte.
Figure 6Régioisomères possibleset exemples de bis- et tris-adduits
Figure 7Dérivés inédits de C60
SC
1chapitre Depuis que le C60 est devenu facilement accessible, cette
petite molécule sphérique plurifonctionnelle est l’objet
d’une chimie en pleine expansion. Parmi les nombreux
développements possibles, son incorporation en tant que
cœur ou nœud réellement ponctuel dans des édifices
polymères bien contrôlés semble intéressante, puisque
l’on peut espérer introduire par ce biais certaines des
propriétés des fullerènes dans ces structures “modèles”.
Claude MATHISYannick EDERLÉRichard NUFFER
Institut Charles SadronUPR CNRS 22
6, rue Boussingault67083 Strasbourg Cedex
Tél. : 03 88 41 40 92Fax : 03 88 41 40 99
E-mail : [email protected]
Le domaine des fullerènes est
né avec la synthèse, en 1985, d’une molé-
cule sphérique formée uniquement de
60 atomes de carbone : le C60. La décou-
verte en 1990 par W. Krätschmer et al. (1)
d’une méthode de préparation simple
et capable de fournir des quantités
appréciables de produit a permis le déve-
loppement des recherches sur le C60 et
les fullerènes supérieurs (C70,C76 etc).
Des améliorations successives apportées
à ce mode de synthèse et les progrès
réalisés au niveau de la séparation des
divers fullerènes ont facilité l’accès à ces
nouvelles molécules, et la plus commu-
ne d’entre elles, le C60 , est devenue
aujourd’hui un réactif presque “ordi-
naire”. Depuis le début, l’engouement
du monde scientifique pour les pro-
priétés physiques et chimiques de cette
molécule a été exceptionnel.
Le C60 est un excellent accep-
teur d’électrons et 6 états de réduction
distincts et réversibles, correspondant
au remplissage de la plus basse orbita-
le inoccupée trois fois dégénérée, ont
été observés en solution (tableau 1). Du
point de vue de sa réactivité chimique,
cette petite coquille fermée (diamètre
≈ 10 Å) constituée de 20 hexagones et
de 12 pentagones – ces derniers étant
isolés les uns des autres – ne se com-
porte pas comme une molécule aro-
matique, mais plutôt comme un
polyalcène. En effet, bien que tous les
22 L E S F U L L E R È N E S
Greffagede polymères
sur le C60
CHAPITRE 1 FONCTIONNALISATION ET MODIFICATION DU C60
Électroréduction du C60 Potentiel Redox Potentiel Redoxdes polymères “vivants” d’ions-radicaux
C601- -0.5 (a)
C602- -1.2 (a)
PMMA- C60
3- -1.8 (b) Polyvinylpyridine-PS-1,1 diphényléthylène-
C604- -2.3 (b)
Polystyrène-C60
5- -2.6 (a) Naphtalène-K+ -2.5
C606- -2.8 (c)
(a) D. Dubois et al. J. Phys. Chem. 96 (1992) 7137 (b) Y. Chabre et al. J. Am. Chem.Soc. 114 (1992) 764 (c) Q. Xie et al. J. Am. Chem. Soc. 114 (1992) 3978
Tableau 1Valeurs (V vs SCE) des divers états de réduc-tion du C60 et potentiels redox des polymères“vivants”. (Les valeurs reportées pour lestétra-, penta- et hexa-anions sont certaine-ment trop négatives)
atomes de carbone soient équivalents,
la structure comporte 2 types de liai-
sons : celles appartenant à un penta-
gone sont plus longues que les
30 liaisons inter-pentagones à caractè-
re de double liaison. L’addition sur ces
dernières a permis le développement
de toute une chimie de synthèse de
dérivés du C60(2-4). Si la cycloaddition a
été la plus employée, l’addition de radi-
caux, d’azides, d’amines, de nucléo-
philes chargés, etc. fait l’objet de
nombreuses publications.
L’ouverture de doubles liaisons
du fullerène par des carbanions est par-
ticulièrement bien adaptée pour incor-
porer des C60 en tant que cœurs ou
nœuds dans des structures polymères
“modèles” telles que colliers de perles,
étoiles, réseaux, etc. Pour la synthèse
et la caractérisation de telles structures,
il est nécessaire non seulement de
contrôler le nombre de chaînes gref-
fées sur le fullerène, mais aussi de pou-
voir ajuster la masse moléculaire des
chaînes polymères tout en maintenant
leur polymolécularité faible. Or, de
toutes les méthodes de préparation,
c’est la polymérisation anionique qui
remplit au mieux ces dernières condi-
tions et, de plus, elle conduit à des poly-
mères “vivants” dont le carbanion
terminal est susceptible de s’addition-
ner directement sur un fullerène. Afin
d’optimiser le contrôle du nombre de
chaînes greffées, une étude détaillée
de la réaction entre les composés carb-
anioniques et le C60 était cependant
nécessaire, et ceci en milieux apolaires
et polaires. En effet, si des polymères
anioniques monofonctionnels peuvent
être obtenus en milieu apolaire où le
C60 est soluble, les chaînes α -ω bicar-
banioniques requises pour la prépara-
tion de certaines des structures
proposées ne sont convenablement
obtenues qu’en milieu polaire où le ful-
lerène est insoluble. Le travail présen-
té ici ne concerne que la synthèse
d’étoiles bien définies, premier pas vers
la préparation de structures plus com-
plexes. Le but n’est pas seulement de
développer une nouvelle voie de syn-
thèse de structures polymères modèles
où les nœuds ou les cœurs C60 sont réel-
lement ponctuels, mais aussi de garder
à ces derniers les propriétés électro-
niques ou magnétiques du fullerène,
même si celles-ci diminuent lorsque le
nombre de doubles liaisons consom-
mées augmente.
RÉACTIONS EN MILIEUAPOLAIRE
Les premiers essais d’addition
de polymères “vivants” sur le C60 ont
été effectués dans le toluène, solvant
du fullerène où le polystyryllithium (PS-
Li) est facilement obtenu. Les résultats
reportés dans la littérature (5), ainsi que
nos propres travaux préliminaires, ont
montré la formation d’un mélange de
produits ayant plusieurs fois la masse
moléculaire du PS parent, donc de molé-
cules en étoile. L’utilisation d’excès
importants de PS-Li par C60 montre que
la masse de la fraction de plus fort poids
moléculaire atteint une limite, indi-
quant que seul un certain nombre de
doubles liaisons peut additionner un
carbanion. Cependant, l’obtention de
mélanges d’étoiles de fonctionnalités
différentes constitue une sévère limi-
tation pour la synthèse de produits que
l’on voudrait modèles.
Afin de vérifier si le mécanis-
me de réaction lui-même implique la
production de mélanges ou si ces der-
niers résultent de difficultés expéri-
mentales, nous avons travaillé sous haut
vide (technique des “joints fragiles”).
Une attention particulière a également
été portée à la purification des réac-
tifs, en particulier du C60. Un exemple
de produits obtenus dans ces conditions
de très grande pureté est donné dans
la figure 1. L’analyse par chromato-
graphie d’exclusion stérique (CES)
montre que seules des étoiles de forte
masse sont formées et la forme du pic
correspondant (Mw/Mnapparent = 1.18)
indique que la dispersion en fonction-
nalité est faible. Lorsque le rapport PS-
Li/C60 passe de 6 à 8, la masse molaire
de l’étoile reste strictement constante
et seule la proportion de chaînes non
greffées augmente, ce qui prouve l’exis-
tence d’un maximum pour le nombre
de greffons. De plus, les proportions
entre étoiles et PS non greffé détermi-
nées expérimentalement sont en très
bon accord avec les valeurs calculées
dans l’hypothèse de la formation d’une
étoile pure à 6 branches. Le fait que
seules 6 doubles liaisons du C60 peu-
vent être ouvertes par un carbanion
polystyryle est confirmé directement
par la détermination par diffusion
de la lumière (DDL) – seule capable de
fournir la masse molaire réelle d’une
L E S F U L L E R È N E S 23Greffage de polymères sur le C60
Figure 1Analyse par CES des produits formés lorsde l’addition de 6.5 (courbe 1), 7.4 (courbe 2)et 8.0 (courbe 3) PS-Li par C60.La courbe 4 correspond au PS de départ(Mw= 1500, Mn= 1400, I=1.07).
Figure 2Mise en évidencedirecte par couplageCES-DDL dela formationd’étoiles à 6branches lorsquel’on fait réagir8 PSLi(Mw=34000,Mn=32500,I=1.04) par C60 .La masse détermi-née par DDL(MwDDL =191000)est 6 fois celle duPS parent.
Un
ités
arb
itra
ires
Volume d’élution (ml)
Un
ités
arb
itra
ires
Volume d’élution (ml)
4
3
2
1
PS parent Réfracto.
PS parent UV320
Produit Réfracto.
Produit UV320
Mw=6500Mw=1500
Mw=34000
Mw=141500
20 24 28 32
28 32 36
étoile – de la masse des produits pré-
parés dans les mêmes conditions avec
des PS-Li plus longs (figure 2). De plus,
l’analyse par CES en utilisant un détec-
teur UV à 320 nm, où seuls le C60 et ses
dérivés absorbent, montre que le ful-
lerène n’est présent que dans les molé-
cules en étoile. Nous disposons donc
d’une méthode simple et efficace pour
la synthèse de molécules en étoile
constituées d’un cœur C60 portant
6 chaînes, et suffisamment pures pour
ne pas nécessiter de fractionnement
ultérieur (6). Cette méthode peut être
utilisée avec des chaînes de masse éle-
vée et peut être étendue à d’autres
polymères : des étoiles à 6 branches
polyisoprène ont ainsi été préparées.
Par un contrôle stoechiomé-
trique (7), il est possible d’obtenir, dans
les mêmes conditions, des étoiles dont
le nombre de branches est respective-
ment 3, 4, ou 5 et ne contenant que
très peu de molécules ayant une autre
fonctionnalité. Par contre, il n’est pas
possible de préparer par cette voie des
dérivés mono- ou bifonctionnels purs ;
des mélanges de produits portant de
1 à 3 chaînes sont toujours obtenus. Il
semble que l’écart de réactivité (bais-
se de l’électrophilie) entre les doubles
liaisons du C60 ne devienne suffisam-
ment marqué pour pouvoir contrôler
l’addition qu’après consommation de
trois d’entre elles.
Devant les difficultés expéri-
mentales pour ajuster, sous vide, la
stoechiométrie avec toute la précision
requise, nous avons cherché à contrô-
ler le nombre maximum de greffons
en réduisant la réactivité du carba-
nion terminal de la chaîne polymère.
(schéma 1). Le nombre maximum de
chaînes fixées aux fullerènes est fonc-
tion de la réactivité du carbanion porté
par le polymère (4, 3, 0, et 0 respecti-
vement pour le PS-K, le PV2P-K, le
PSDPE-K et le POE-K). Le contrôle, par
la stoechiométrie, de fonctionnalités
inférieures s’avère possible dans ce cas,
même pour les monogreffés. Le cas du
PSDPE-K est, là aussi, particulier et tra-
duit probablement l’effet stérique des
2 phényles terminaux. En effet, aucu-
ne addition n’est observée avec ce pro-
duit, alors que dans le cas du PV2P-K,
dont le carbanion a une réactivité voi-
sine (tableau 1) mais un encombrement
stérique proche de celui du carbanion
styryle, il y a fixation de 3 chaînes.
L’existence de ce transfert élec-
tronique constitue une limitation impor-
tante à une extension éventuelle vers
la synthèse de réseaux. En effet, pour
la préparation de telles structures, il est
nécessaire de conserver intact le carac-
tère α -ω bicarbanionique des chaînes.
Or cela n’est pas le cas si une partie des
carbanions participe à un transfert élec-
tronique. Il était donc indispensable de
vérifier s’il est possible, en milieu polai-
re, de séparer le transfert de l’addition.
Nous avons démontré que cela est par-
faitement réalisé si l’on fait réagir le
polymère “vivant” non plus sur le C60
neutre mais sur son dianion C602 - (K+)2 .
Ce dernier, soluble dans le THF, est faci-
lement préparé par transfert électro-
nique à partir d’un ion-radical comme
celui dérivé du naphtalène. Cela devrait
permettre dans l’avenir de préparer des
réseaux dont chaque nœud fullerène
a une fonctionnalité de 4 tout en por-
tant 6 charges négatives.
Ceci peut être réalisé en augmentant
la délocalisation de la charge du car-
banion par addition d’un monomère
plus électrophile au PS-Li, par exemple
le 1,1 diphényléthylène (DPE). Dans
ce cas, et quel que soit l’excès de
PSDPE-Li, il n’y a que 3 chaînes qui
se fixent sur le C60. De plus, la présence
de deux phényles sur l’atome de
carbone fixé au fullerène introduit un
effet stérique supplémentaire qui se
traduit par des difficultés à addition-
ner des chaînes longues.
RÉACTIONSEN MILIEU POLAIRE
L’étude de la réaction entre un
polymère “vivant” et le C60 dans le THF,
malgré l’insolubilité du fullerène dans
ce solvant, est motivée par notre objec-
tif d’étendre ces travaux aux chaînes
α -ωbicarbanioniques. Dans ce solvant
polaire, la réaction ne se limite plus à
une simple addition de la chaîne “vivan-
te” sur une double liaison du fullerène;
un transfert d’électrons du carbanion
au C60 est également observé (7,8). Celui-
ci est facilement mis en évidence et suivi
quantitativement grâce aux absorp-
tions caractéristiques dans le proche
infrarouge des C60 réduits formés. Le
transfert conduit à des radicaux dont
l’existence est démontrée par l’analy-
se des produits de la réaction par SEC.
Des chaînes polymères portant des
carbanions de réactivité variée (poly-
styryl-K, polyvinyl-2-pyridyl-K, PSDPE-
K) ou des oxanions (polyoxyéthylène-K)
ont été utilisées. Dans tous les cas, le
transfert de 2 électrons au C60 est obser-
vé avant toute addition de chaîne car-
banionique sur le fullerène réduit
24 L E S F U L L E R È N E S CHAPITRE 1 FONCTIONNALISATION ET MODIFICATION DU C60
Schéma 1Mécanisme proposépour la réactionentre un polymèreanionique et le C60en milieu polaire.
2PS - K+ +C60THF
25°C 2PS • + C60
2- (K+)2THF
25°C PS - PS + C60
2- (K+)2
4PS - K+ +C602- (K+)2
THF
25°C(PS)4 C60
6- (K+)6
Greffage de polymères sur le C60
RÉACTIVITÉ DES C60
“VIVANTS”Quel que soit le milieu, chaque
greffage d’une chaîne de polymère
“vivant” crée un carbanion sur le ful-
lerène. Il était intéressant de connaître
la réactivité de ces sites carbanioniques
en vue de leur utilisation pour des réac-
tions ultérieures. De même que le carac-
tère électrophile du C60 diminue lorsque
le nombre de greffons augmente, on
peut s’attendre à ce que la nucléophi-
lie d’un carbanion porté par le fulle-
rène augmente avec le nombre de
charges négatives présentes. Pour véri-
fier cela, nous avons essayé d’amorcer
la polymérisation anionique de deux
monomères de réactivité différente, le
styrène et le méthacrylate de méthyle
(MMA), avec des étoiles de C60
“vivantes” de fonctionnalité croissan-
te (schéma 2) (9). Seule une étoile dont
le cœur C60 porte 6 carbanions est
capable d’amorcer le styrène, et une
seule chaîne de polystyrène croît à par-
tir du cœur fullerène. Avec cette même
étoile “vivante”, la croissance de deux
chaînes de polyméthacrylate de méthy-
le est observée; il suffit donc que 5 car-
banions soient présents sur le C60 pour
que l’amorçage de ce monomère plus
électrophile soit possible. On peut
remarquer qu’il s’agit de la première
synthèse d’une hétéroétoile à cœur C60
portant 6 chaînes PS et 2 chaînes
PMMA. Cette première mesure de la
réactivité des carbanions portés par un
fullerène greffé confirme bien l’évo-
lution que l’on pouvait prévoir.
Il est intéressant de noter ici
que le potentiel redox des sels alca-
lins du C60 fortement réduit (tableau 1)
est suffisant pour amorcer la poly-
mérisation de monomères vinyliques.
Il est cependant prévisible que ces
sels se comporteront comme des ion-
radicaux, c’est-à-dire que l’amorça-
ge se fera par transfert électronique
au monomère, donc sans addition
du fullerène au polymère formé.
Nous avons vérifié cela dans le cas du
MMA. Les étoiles “vivantes” de C60
constituent donc le seul cas où l’amor-
çage d’une polymérisation anionique
par addition du monomère au fulle-
rène est possible.
ADDITION DE CHAÎNES PA AU C60
Grâce à l’utilisation d’un pré-
curseur du polyacétylène polymérisable
par voie anionique, le polyphényl-
vinylsulfoxyde (PPVS), il nous a été
possible d’additionner des chaînes
conjuguées sur le C60(10). En fait, pour
s’affranchir des problèmes liés à l’in-
solubilité d’une telle molécule (le PA
est insoluble et le C60 faiblement
soluble), nous avons greffé sur le C60
un copolymère à blocs PS-PPVS
“vivant”. Après conversion du bloc
PPVS en PA par simple chauffage
autour de 80°C sous vide dynamique,
une étoile à trois branches où le PA
est directement lié au cœur C60 a été
obtenue. Néanmoins, les propriétés
électroniques de cette molécule sont
entièrement déterminées par le PA,
aucune influence du cœur fullerène
n’a pu être détectée.
CONCLUSIONLe greffage de chaînes anio-
niques sur le C60 constitue une métho-
de de choix pour la construction
d’édifices macromoléculaires bien défi-
nis où le fullerène sera incorporé régu-
lièrement et d’une manière homogène.
En effet, cette méthode associe au bon
contrôle de la chaîne polymère offer-
te par la polymérisation anionique une
maîtrise raisonnable du nombre de
greffons fixés sur la molécule pluri-
fonctionnelle et quasi ponctuelle que
constitue le C60. La bonne connais-
sance des mécanismes réactionnels
ainsi que celle de la réactivité des sites
carbanioniques créés sur le fullerène
ouvre la voie à la synthèse d’une gran-
de variété de structures auxquelles la
présence de C60 conférera des pro-
priétés nouvelles.
L E S F U L L E R È N E S 25
BIBLIOGRAPHIE
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PS - Li + +
Li + C-Li +
Monomère
Schéma 2Greffage de polystyryllithium sur le C60 etamorçage de la polymérisation anioniqued’un monomère vinylique par les carbanionsainsi créés sur le fullerène. Une seule chaîneest représentée ici, mais il faut en greffer auminimum 5 pour que l’amorçage soit possible.
CHAPITRE 1 FONCTIONNALISATION ET MODIFICATION DU C60
SP
M
1chapitre
26 L E S F U L L E R È N E S
La polymérisation à l’état
solide peut être induite par la lumiè-
re (phototransformation), la tempé-
rature, ou par l’application de hautes
pressions couplées ou non à des varia-
tions de température. Ces types de pro-
cessus peuvent conduire aux mêmes
produits polymérisés et sont des agents
de polymérisation particulièrement
efficaces dans le cas du C60.
La réactivité chimique dans les
solides moléculaires est contrôlée
principalement par la conformation
moléculaire et par l’empilement des
molécules dans la structure cristalline.
Dans le cas particulier des composés
organiques comme le C60, il peut exis-
ter, dans chaque molécule, des liaisons
C — C non-saturées qui vont devenir
les sites réactifs. En effet, sous l’action
des agents de polymérisation que nous
avons décrits, ces liaisons insaturées
vont réagir pour donner lieu soit à des
dimères, soit à des polymères. De fait,
Comme les autres molécules organiques non-saturées,
le C60 se polymérise sous l’action combinée de la pres-
sion qui, en rapprochant les molécules, permet une réac-
tion de cycloaddition, et de la température, qui génére
une polymérisation ordonnée à longue distance.
Nous obtenons ainsi de nouvelles formes de carbones,
basées sur le C60 , ayant des propriétés originales.
Jean-Louis HODEAULeonel MARQUES
Laboratoire de cristallographieUPR CNRS 5031
166X - 38042 GrenobleTél. : 04 76 88 11 42Fax : 04 76 88 10 38
E-mail : [email protected]
Manuel NÚÑEZ-REGUEIROEPM-Matformag & C.R.T.B.T.
166X - 38042 Grenoble
Les phasespolymères du C60
dans le C60 , les molécules peuvent,
par des mouvements de rotation
coopératifs, se mettre en position
correcte pour se lier à chaque molé-
cule voisine sans déplacement de leur
centre de masse.
PHOTOPOLYMÉRISATIONLes premières polymérisations
directes des molécules de C60 ont été
mises en évidence par des chercheurs
de l’université de Kentucky, aux USA,
dans des mesures de spectres Raman
sur des films de C60 dépourvus d’oxy-
gène. Au moment de la prise du
spectre, un nouveau pic, situé à
1458 cm-1, croît sous l’effet du rayon
laser d’excitation. Ce pic est dû à un
nouveau mode de vibration permis par
une polymérisation 2+2 des molécules
de C60 (figure 1a). Ce type de réaction
de polymérisation est bien connu.
L’exemple le plus simple en est la dimé-
risation de l’éthylène où l’absorption
d’un photon brise les doubles liaisons
et forme un carré planaire de liaisons
σ : le cyclobutane. Le matériau fulle-
rène photopolymérisé obtenu est, à la
différence du C60 monomère, inso-
luble dans du toluène.
ÉCHEC DELA POLYMÉRISATIONSOUS LE SEUL EFFETDE LA PRESSION
Dans le C60 pur, l’empilement
cubique face centrée est maintenu en
place par de faibles forces de Van der
Waals, et la distance la plus courte
entre les atomes de carbone des molé-
cules voisines est de l’ordre de celle
que nous trouvons entre des plans gra-
phitiques, ~ 3Å. Ceci en fait un solide
extrêmement compressible dont le
volume et la distance intermoléculai-
re diminuent rapidement sous l’effet
de la pression. Aussi, sous pression,
une polymérisation des molécules de
C60 devrait avoir lieu. Malheureuse-
ment, à température ambiante, cette
polymérisation est partielle et conduit
Les phases polymères du C60
a
b
c
d
e
f
L E S F U L L E R È N E S 27
Figure 1a, b, c, d ,e, f Les phasespolymères du C60
10 15 20 25 302 théta
inte
nsi
té (
un
ités
arb
.)
d’
d”
c’
c”
b’
b”
*
à des produits amorphes, alors que
des pressions élevées peuvent condui-
re à l’écrasement des boules et à la
formation de diamant qui, quoi-
qu’intéressante en elle-même, n’est
pas la nouvelle phase polymérisée
recherchée.
LA TEMPÉRATURE PERMET UNEPOLYMÉRISATION DIRIGÉE
La raison de ce comportement
vient du fait que le rapprochement des
molécules de C60 facilite certes la for-
mation de liaisons 2+2, mais qu’en
même temps il empêche une rotation
libre des molécules. Ceci a lieu même
à des pressions très basses (~5000 atmo-
sphères) inférieures aux pressions
nécessaires pour la polymérisation. Fort
heureusement, nous pouvons mainte-
nir les oscillations des molécules en
leur fournissant de l’énergie par une
augmentation de la température.
Ce type d’expérience, hautes tempé-
ratures (jusqu’à 1200°C) et hautes pres-
sions (jusqu’à 80 000 atmosphères),
est possible sur des échantillons d’une
cinquantaine de milligrammes dans les
presses de type “belt” du laboratoire
de cristallographie. Nous avons donc
pu réaliser une étude systématique des
transformations du C60 dans cette
gamme de pressions et températures.
Les échantillons traités au-des-
sus de ~ 800°C se transforment com-
plètement, pour toutes les pressions,
en phase graphitique ; la structure
moléculaire du C60 est donc perdue.
Cependant, en-dessous de cette tem-
pérature, nous avons obtenu une mul-
tiplicité de nouvelles phases et de
mélanges de phases. Les échantillons
obtenus sont insolubles dans le toluè-
ne, comme le sont les phases photo-
polymérisées. Leur analyse aux rayons
X a montré que la structure en cage
du C60 est intacte mais que, plus impor-
tant, les distances inter-molécules sont
plus courtes.
PHASES POLYMÈRES1D ET 2D
Il n’a pas été aussi simple d’iden-
tifier les indexations des raies de dif-
fraction X correspondant à chaque
phase, car, à cette étape de l’étude,
nous avons eu souvent affaire à des
mélanges de phases présentant des
réflexions très larges. Cependant, une
analyse des structures polymérisées com-
patibles avec la symétrie cubique face
centrée originale, et avec la disposition
face à face de doubles liaisons néces-
saires à des cycloadditions 2+2 entre
molécules C60, a permis de résoudre ce
casse-tête (1). Les structures obtenues
sont : a) une phase 1D de symétrie
orthorhombique formée de chaînes
linéaires de molécules polymérisées
(figure 1b) ; b) une phase 2D pseudo-
tétragonale formée de plans quadra-
tiques où chaque molécule est
connectée par des cycloadditions 2+2
aux quatre molécules premières voi-
sines dans le plan (100) cfc original
(figure 1c); et c) une phase 2D rhombo-
hédrique où chaque molécule établit
des liaisons avec ses six premières voi-
sines dans les plans de haute densité
(111) de la structure cfc de départ (figu-
re 1d). Une description des spectres de
rayons-X par ces trois structures nous
a permis d’interpréter tous les échan-
tillons que nous avons obtenus dans la
gamme Pression/Température étudiée.
Par la suite, nous avons établi
une collaboration avec le groupe théo-
rique de l’université Rice à Houston -
USA, où les fullerènes ont été décou-
verts. C.H. Xu et G. Scuseria ont claire-
ment montré l’existence des phases que
nous avions proposées. Ils nous ont four-
ni des positions atomiques individuelles
compatibles avec leurs calculs et nos
contraintes de symétrie. Ceci a permis
miné le diagramme pression-tempé-
rature du C60 dans la gamme permise
par nos installations (figure 2). Il est
intéressant de remarquer que c’est la
température qui permet les oscillations
des molécules et donc la possiblité
d’établir des réseaux ordonnés de C60
polymérisé. Elle joue donc un rôle pré-
pondérant dans la formation des
phases polymérisées, la pression étant
responsable du rapprochement des
molécules (3).
VERS DES PHASES 3D“ZÉOLITES DE CARBONE” ?
Ces phases sont-elles les seules
phases C60 polymérisées possibles? Cer-
tainement pas ! Si nous permettons
d’autres types de réactions d’addition,
telles que 2+4 ou encore des cycload-
ditions multiples sur le même hexago-
ne, nous pouvons obtenir un grand
nombre de phases possibles. Par
exemple, nous montrons sur la figure
1e (et figure1f) deux phases 3D déri-
vant de nos phases 2D pseudo-tétra-
gonales (et rhombohédriques) par le
rapprochement des plans quadratiques
(et hexagonaux). Des expériences
récentes semblent indiquer que de
telles phases ne pourraient être obte-
nues qu’à des pressions supérieures à
100 000 atmosphères. Il serait extrê-
mement intéressant de les synthétiser,
car des calculs théoriques prédisent
pour ces phases, “zéolites de carbone”,
des propriétés de dureté analogues à
celles du diamant.
une optimisation de la simulation de
nos spectres de diffraction X. Nos échan-
tillons ont aussi été analysés par A. Rao
et P. Eklund, de l’université de Kentucky,
au moyen du spectromètre Raman,
extrêmement sensible, qui avait détec-
té la photopolymérisation du C60 . De
nouvelles raies Raman signalant la poly-
mérisation des molécules de C60 ont ainsi
été mises en évidence.
Toutefois, il manquait toujours
ce qui, pour les chimistes, est la preu-
ve définitive : la mesure de raies de
Résonance Magnétique Nucléaire
(RMN). En effet, dans une molécule
libre de C60 (et c’est le cas dans la phase
solide cubique face centrée), tous les
atomes de carbone sont équivalents :
il ne doit donc y avoir qu’une seule
raie RMN pour un atome de C13.
La polymérisation, en déformant la
molécule, génère plusieurs atomes non
équivalents. Dans le cas de la phase
rhombohédrique (figure 1d) il y a
six types d’atome : un type correspond
aux 12 atomes qui établissent les
liaisons inter-moléculaires et qui ont
un caractères sp3 ; les cinq autres
correspondent aux atomes ayant un
caractère sp2. Les mesures effectuées
par C. Goze et F. Rachdi du Groupe de
dynamique des phases condensées de
l’université de Montpellier, au moyen
de la RMN avec rotation à l’angle
magique (2), ont donné ces mêmes rap-
ports d’atomes non équivalents sur les
échantillons rhombohédriques que
nous avions synthétisés avec du C60
enrichi en C13. Ces résultats ont per-
mis de confirmer sans ambiguïté la
polymérisation sous pression du C60.
La polymérisation pouvant être
1D (phase orthorhombique) ou
2D (phases pseudo-tétragonale et
rhombohédrique), nous avons déter-
28 L E S F U L L E R È N E S CHAPITRE 1 FONCTIONNALISATION ET MODIFICATION DU C60
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pre
ssio
n (
Kb
ar)
température (°C)
C60
Graphite
Rhomb.
Tetra
Ortho.
80
70
60
50
40
0 200 400 600 800 1000
Figure 2 Diagramme de phase
Pression/Température
SP
I
1 ch
ap
it
reA la différence du graphite, stable jusqu’à de très
hautes pressions à température ambiante, la compres-
sion non-hydrostatique des fullerènes provoque un effon-
drement de leur structure en cage et permet un
réarrangement des atomes de carbone dans la phase
carbonée stable à haute pression : le diamant. Selon
les conditions, nous pouvons obtenir soit un “amorphe”
sp3 massif soit des polycristaux de diamant cubique.
Manuel NÚÑEZ-REGUEIROEPM-Matformag & C.R.T.B.T.
166X - 38042 GrenobleTél. : 04 76 88 90 32Fax : 04 76 88 10 38
Jean-Louis HODEAULeonel MARQUES
Laboratoire de cristallographie166X - 38042 Grenoble
Les fullerènes constituent une
nouvelle forme allotropique du
carbone qui présente une hybridation
intermédiaire sp2-sp3. Les premières
expériences de pression ont été faites
sur le C60. Elles ont été motivées par la
prédiction que le C60 dense serait plus
dur que le diamant. Cette hypothèse
est basée sur le fait que les molécules
de C60 peuvent être considérées comme
du “graphite enroulé” ; la liaison car-
bone-carbone dans le graphite étant
la liaison la plus forte connue, il a été
postulé que les boules de C60 devraient
être très incompressibles. La pression
pourrait donc rapprocher ces molécules
à des distances suffisamment courtes,
permettant l’obtention d’un solide
extrêmement dur. De nombreuses
équipes se sont alors lancées dans cette
voie et les premiers résultats semblaient
contradictoires.
EFFONDREMENT DES CAGESDES FULLERÈNESSOUS PRESSION
Duclos et ses collaborateurs ont
montré la stabilité du C60 sous pression
hydrostatique, jusqu’à 200 000 atmo-
sphères. Par contre, l’application de
pression non-hydrostatique transfor-
me le C60 en une phase de plus basse
symétrie. Par des mesures de résistivi-
té électrique (1) sous pression, nous avons
trouvé que, après une augmentation
de la conductivité électrique due à un
meilleur recouvrement des orbitales
des molécules voisines, le C60 passait
dans une phase isolante. Pour permettre
des analyses cristallographiques de cette
nouvelle phase isolante, nous avons
modifié notre cellule de mesure de résis-
tivité sous pression afin d’obtenir des
quantités raisonnables d’échantillon
comprimé : la compression non-hydro-
statique du C60 au-dessus de 150 000
atmosphères a provoqué sa transfor-
mation en un matériau dur et trans-
parent. Les clichés de diffraction
électronique d’un échantillon typique
obtenu par cette méthode (figure 1) ainsi
L E S F U L L E R È N E S 29
Des fullerènesau diamant…
Nous savons depuis longtemps
que le carbone a deux formes allotro-
piques, graphite et diamant, liées à ses
deux hybridations sp2 et sp3. Tous les
stades intermédiaires entre ces deux
formes sont aussi possibles et conduisent
à d’innombrables phases plus ou moins
amorphes, aux propriétés intermédiaires.
Le graphite est un semi-métal ayant de
nombreuses applications comme lubri-
fiant; sa structure en feuillets permet aux
plans atomiques de glisser les uns par
rapport aux autres. Le diamant a des pro-
priétés encore plus remarquables : c’est
le matériau connu le plus dur; sa conduc-
tivité thermique à température ambian-
te est la plus élevée et il est très résistant
à la chaleur, aux acides et aux radiations.
C’est aussi un bon isolant électrique, mais,
dopé, il peut devenir semi-conducteur
de type p ou n ; il a une faible constante
diélectrique et présente une large mobi-
lité des trous . Enfin, il est transparent
aux rayonnements visible et infrarouge.
À LA RECHERCHEDU DIAMANT…
Ces propriétés impression-
nantes expliquent que, depuis toujours,
l’homme a cherché à transformer en
diamant toutes les autres formes de
carbone. De nos jours, la méthode
la plus utilisée reproduit la synthèse
naturelle du diamant existant dans les
profondeurs de la Terre : le graphite
est dissout dans un métal catalyseur à
l’état liquide à ~1300 °C et au-dessus
de 60 000 atmosphères ; la précipita-
tion de petits cristaux de diamant a
alors lieu. C’est de cette façon que sont
produits les diamants synthétiques dont
la part du marché, dans l’économie
mondiale, est de l’ordre de quelques
dizaines de milliards de francs. Une
deuxième méthode est utilisée pour
former des couches de faible épaisseur;
elle est basée sur la décomposition par
exemple du méthane à 2000°C en
présence d’hydrogène activé.
que les spectres de rayons X ont mon-
tré (2) qu’il s’agissait de cristallites de dia-
mant cubique enrobés par un verre de
carbone amorphe. Les mesures de
spectre Raman faites par L. Abello et
G. Lucazeau au LIESG sur nos échan-
tillons ont montré que le pic caracté-
ristique du diamant cubique à 1331cm-1
est présent (insert de la figure 2). A tempé-
rature ambiante, les très fortes pressions
brisent donc les molécules avant l’ob-
tention de phases C60 denses. Donc, à
la différence du graphite, le C60 peut se
transformer en diamant à températu-
re ambiante, par la seule application
d’une pression non-hydrostatique.
“AMORPHE” SP3 ETDIAMANT CRISTALLISÉ
La méthode de choix pour
caractériser quantitativement l’ensemble
de nos échantillons a été la mesure du
spectre de diffusion/diffraction des
rayons X produits par rayonnement syn-
chrotron. En effet, nous avions besoin
d’une forte intensité de rayons X car à
l’origine nous n’obtenions que de très
petits échantillons minces (environ
50 microns d’épaisseur) et parce que le
pouvoir diffusant du carbone est faible.
Ces études ont été réalisées sur nos
différents échantillons au LURE, en
collaboration avec J.M. Tonnerre et
B. Bouchet- Favre. L’étude structurale a
été menée de deux façons, par l’analy-
dans certain cas ~10 fois supérieur à ceux
d’échantillons obtenus dans les cellules
primitives. Ces nouveaux échantillons
présentent une cristallisation plus impor-
tante et montrent toujours les raies de
diamant cubique par diffraction des
rayons X. Leur étude au rayonnement
synchrotron donne des spectres du type
de celui de la courbe (b) de la figure 1,
où ~95% de l’échantillon est constitué
par des grains de diamant cubique ayant
une taille moyenne de ~100Å. L’épau-
lement de la raie (111) est une consé-
quence de l’existence de défauts dus à
la compétition entre les empilements
de type ABC (configuration “chaise”,
diamant) et AB (configuration “bateau”,
lonsdaleite), le même type d’imperfec-
tions existant dans le C60 solide.
Postérieurement, une étude
réalisée au Japon par le groupe du Prof.
Hisako Hirai, en utilisant des ondes de
choc, a confirmé nos résultats en préci-
sant le seuil de transformation à 160000
atmosphères à 50°C. Quoique ces
auteurs n’aient pas réalisé de mesures
quantitatives aux rayons X, leurs carac-
térisations utilisant la diffraction élec-
tronique montrent la même dépendance
avec le volume de l’échantillon du taux
de diamant cubique/“amorphe” sp3.
EN CONCLUSIONNous avons montré que, à la
différence des autres formes de carbo-
ne (qui ont besoin de la pression et de
la température), le C60 se transforme
en “amorphe” sp3 massif ou en dia-
mant cubique cristallin par la seule appli-
cation de la pression. Un tel processus
pourrait être une voie de production
industriellement intéressante, bien que
les hautes pressions nécessaires soient
encore un handicap.
se des spectres de diffusion dans l’es-
pace réciproque avec la méthode Riet-
veld, mais aussi dans l’espace direct par
l’intermédiaire du calcul de la fonction
de distribution radiale. Elle montre clai-
rement que nous obtenions une phase
purement sp3, majoritairement amorphe,
ayant des nano-cristallites (3) (courbe (a)
de la figure 2). Leur très petite taille,
~ 30 Å, explique l’aspect amorphe du
diffractogramme et est compatible avec
la continuité de distribution de taille,
observée par microscopie électronique
en champ noir (figure 1). La fonction de
distribution radiale des distances C-C
montre également que les deux confi-
gurations du carbone sp3, “bateau” et
“chaise”, sont présentes dans la matri-
ce amorphe majoritaire, les plus gros
cristallites minoritaires étant “chaises”
c’est-à-dire diamant cubique. Il faut
noter que, par le passé, les phases de
carbone “amorphes” sp3 étaient obte-
nues sous forme de couches minces et
que, à partir du C60 , nous pouvons obte-
nir de telles phases massives aux carac-
téristiques proches de celles du silicium
amorphe.
OPTIMISATION DELA TRANSFORMATION
Nos premiers échantillons pré-
sentaient des proportions de 10% de
diamant cubique bien cristallisé, les 90%
restants correspondant à la phase
“amorphe” sp3 nano-cristallisée. Par la
suite, nous avons cherché à améliorer les
conditions de la transformation, pour
augmenter la proportion de diamant
cubique cristallisé. Dans ce but, nous
avons conçu et utilisé une cellule avec
une nouvelle géométrie permettant l’ob-
tention d’échantillons ayant une épais-
seur cinq fois supérieure et un volume
30 L E S F U L L E R È N E S CHAPITRE 1 FONCTIONNALISATION ET MODIFICATION DU C60
Figure 1Cliché de microscopie électro-nique en champnoir sur échantilloncaractéristique ;Encart : cliché de diffraction électronique correspondant
Figure 2
Inte
nsi
té (
un
it. a
rb.)
Inte
nsi
té (
un
it. a
rb.)
Fréquence (cm-1)
2 Theta
2000
1500
1000
500
020 30 40 50 60
(b)
(a)
(111)
(220)
(311)
(400)(331)
(422)
(511) (440)(531)
1550 1450 1350 1250 1150
BIBLIOGRAPHIE1. M. Núñez-Regueiro, P. Monceau, A. Rassat, P. Bernier and A. Zahab,Nature 354, 289 (1991)2. M. Núñez-Regueiro, P. Monceau and J-L. Hodeau,Nature 355, 237 (1992)3. J-L. Hodeau, J.M. Tonnerre, B. Bouchet-Fabre, M. Núñez-Regueiro,J.J. Capponi and M. Perroux,Phys. Rev. B50, 10311 (1994)
SC
1 ch
ap
it
reLa découverte des fullerènes, et tout particulièrement
du C60 , a donné naissance à de nouvelles molécules
aux fonctionnalités variées. En particulier, des méthano-
fullerènes présentant des caractéristiques amphiphiles
et mésomorphes conduisent à des systèmes moléculaires
organisés à l’état massif ou sous forme de films de
Langmuir-Blodgett.
Cette approche permet ainsi l’élaboration de nouveaux
matériaux dotés de propriétés physiques prometteuses.
Pierre DELHAESChristophe MINGOTAUD
Serge RAVAINECentre de recherche Paul Pascal
UPR CNRS 8641Avenue Albert Schweitzer
33600 PessacTél. : 05 56 84 56 02Fax : 05 56 84 56 00
La découverte d’une quatriè-
me variété de carbone, baptisée
fullerène et constituée du C60 et de ses
homologues supérieurs, vient ajouter
une pierre au riche polymorphisme de
cet élément. Plusieurs phases solides
à l’état métastable étaient connues et
classées en graphite (la phase hexa-
gonale est la phase thermodynamique
stable sous pression et température
ambiantes), diamant et carbyne. Leur
origine est l’aptitude de l’atome
de carbone à former plusieurs types
de liaisons chimiques (orbitales molé-
culaires de type σ et π) associés à une
coordinance variable(1). Le passage
d’une variété allotropique à une autre
doit en principe s’effectuer de maniè-
re “renversable” ce qui, actuellement,
n’apparaît pas être le cas pour le C60 .
Il semble ainsi plus logique de consi-
dérer le C60 comme un corps pur
distinct : c’est un solide moléculaire
cousin des cycles aromatiques conden-
sés, en particulier plans.
À ce titre, il possède des carac-
téristiques moléculaires prometteuses,
avec une symétrie quasi-sphérique
et un cortège de soixante électrons πdisponibles, et constitue dès à présent
le point de départ d’une chimie de
synthèse novatrice dont l’enjeu est le
contrôle de sa mono ou polyfonc-
tionnalisation. Dans ce contexte,
il nous est apparu intéressant de
synthétiser de nouveaux dérivés du
C60 présentant d’autres caractéristiques
mésomorphes ou amphiphiles, afin
d’élaborer de nouveaux matériaux
possédant une organisation spontanée
ou induite par une contrainte exté-
rieure (film de Langmuir).
Pour ce faire, nous avons
préparé de nouveaux dérivés mono-
fonctionnalisés du C60, appelés méthano-
fullerènes, à partir d’un synthon
comprenant une fonction acide carbo-
xylique et permettant la synthèse aisée
d’esters aux groupements moléculaires
très diversifiés. Ce synthon est aisément
obtenu par une cycloaddition [3+2] d’un
L E S F U L L E R È N E S 31
Les méthanofullerènes, denouveaux systèmes
moléculaires organisés
diazoalcane sur le C60 suivie d’une
isomérisation thermique donnant
quantitativement la forme la plus
stable du type méthanofullerène (struc-
ture 6-6 fermée) (2).
PHASES FLUIDESDE MÉTHANOFULLERÈNESAVEC DES GROUPEMENTSMÉSOGÈNES
Deux séries d’échantillons ont
été préparées à partir de plusieurs types
de cœurs mésogènes (3) : un exemple
est donné dans la figure 1. Au contrai-
re des dérivés classiques du C60 qui
sont toujours cristallins, nous avons
observé, pour chacun de ces compo-
sés “C60-groupes mésogènes”, un état
solide non-cristallin avec une tempé-
rature de fusion vers 100-200°C ; cette
fusion, inexistante dans le C60 cristal-
lin, conduit ici à une phase liquide par-
tiellement organisée. Nous avons mis
en évidence cette transition de phase
par analyse enthalpique différentiel-
le et diffraction des rayons X (voir
figure 1). La phase fluide est, en par-
ticulier, caractérisée par une structu-
re périodique qui devient égale à 63 Å.
Ainsi, ces nouvelles phases fluides pré-
sentent des organisations moléculaires
liées aux interactions π-πconflictuelles
des méthanofullerènes et des cycles
aromatiques présents, avec des ordres
partiels d’orientation et de position
qui doivent conduire aux premiers cris-
taux liquides de ce type.
occupée est de 20 Å2 alors que le cal-
cul géométrique fournit une aire
proche de 80-100 Å2 par molécule de
C60. La présence de ces agrégats à l’in-
terface est aisément confirmée par
spectroscopie UV-visible in situ dans la
cuve de Langmuir (4).
Afin d’accéder aux caractéris-
tiques intrinsèques de la molécule,
comme par exemple ses propriétés
d’oxydo-réduction, il s’est révélé inté-
ressant de contrôler son organisation
en couche monomoléculaire stable.
Deux stratégies ont alors été suivies (4) :
soit ajouter un fort caractère hydrophile
AGRÉGATS ET PROPRIÉTÉSINTERFACIALESDE MÉTHANOFULLERÈNESAMPHIPHILES
La tendance naturelle du C60
est de former des agrégats tridimen-
sionnels (ainsi un agrégat icosa-
hédrique (C60)13 a été observé en phase
vapeur). Épandu à la surface de l’eau
dans une cuve de Langmuir, le C60
forme spontanément de tels agrégats
comme en témoigne l’isotherme de
compression, relation entre la pression
superficielle (π) et l’aire moléculaire
(A) (figure 2). Ainsi, la surface moléculaire
32 L E S F U L L E R È N E S CHAPITRE 1 FONCTIONNALISATION ET MODIFICATION DU C60
O
O COO OOC
OC12H25
OC12H25
OC12H25
90 100 110 120
0.092
0.088
0.084
0.080130 0 40 80 120 180 200
ENDO
T (°C) T (°C)
q (
Å-1
)ENER
GIE
(u
.a.)
HO70
60
50
40
30
20
10
00
20 40 60 80
Aire (Å2/molécule)
∏ (
mN
/m)
100 120 140 160
OH
Figure 1Exemple d’unetransition de phaseobservée pour unméthanofullerènecomportant ungroupe mésogène. A gauche,thermogrammed’analyseenthalpiquedifférentielle, à droite, variationthermique duvecteur d’onde qcorrespondant aumaximum del’intensité diffusée.
Figure 2Isothermes de compression π(A) du C60 (trait continu) et d’un méthanofullerène (pointillés)présentant un fort caractère polaire.
Les méthanofullerènes, de nouveaux systèmes moléculaires organisés
pour équilibrer la tendance naturelle
hydrophobe du C60 : c’est le cas du
biphénol méthanofullerène dont l’iso-
therme π(A) démontre clairement la
formation d’une monocouche à
l’interface gaz-eau (figure 2) ; soit
forcer la sphère du C60 à interagir avec
une matrice formant un film de
Langmuir et jouant le rôle d’écran vis-
à-vis des interactions π-π. Les meilleurs
résultats sont obtenus avec un couple
méthanofullerène matrice comprenant
un groupement mésomorphe ou des
chaînes perfluoroalkylées qui donnent
un caractère structurant à la mono-
couche (figure 3). En outre, cette secon-
de approche permet ultérieurement
de transférer les monocouches sur
un substrat solide (technique de
Langmuir-Blodgett) afin d’étudier les
propriétés physiques de ces films minces
organisés. Cette approche permet de
plus de faire interagir le C60 avec
d’autres groupements tels que les tétra-
thiofulvalènes (TTF) amphiphiles pour
réaliser des associations donneur-accep-
teur d’électron π (figure 3).
Afin de favoriser un transfert
de charge, même photo-induit, nous
avons tout récemment synthétisé, en
collaboration avec le laboratoire IMMO
(Ingénierie moléculaire et matériaux
organiques) de l’université d’Angers,
des molécules de type D - σ - A, telles
que celles données sur la figure 3, qui
présentent des potentiels d’oxydation
et de réduction voisins, observés en
voltamétrie cyclique (5). On doit s’at-
tendre à des transferts de charge intra-
moléculaires qui seront favorisés en
milieu orienté : c’est le but de notre
démarche actuelle.
CONCLUSIONLes fullerènes apparaissent
aujourd’hui comme des phases parti-
culières dans le monde des carbones.
Situé plutôt du côté de la chimie orga-
nique par rapport aux nanotubes, un
aspect des récents développements en
synthèse de nouvelles molécules de
type méthanofullerènes a été présen-
té ; de nombreuses extensions concer-
nent aussi les homologues supérieurs
du C60 et la formation d’oligomères et
polymères. Nous avons créé de nou-
veaux objets moléculaires polyfonc-
tionnels avec éventuellement un
caractère amphitropique (combinai-
son amphiphile et mésogène) ; cette
démarche conduit à de nouvelles
phases organisées originales. Parmi les
propriétés physiques intéressantes
attendues avec le développement de
ces matériaux moléculaires, le domai-
ne de l’optique (photophysique, lumi-
nescence, effets non linéaires…) semble
le plus prometteur.
L E S F U L L E R È N E S 33
BIBLIOGRAPHIE
1. a) M.S. Dresselhaus,G. Dresselhaus, P.C. Eklund “Science offullerenes and carbonnanotubes” (AcademicPress 1996).b) P. Bernier et S. LefrantEditeurs “Le carbone danstous ses états” (Gordonand Breach, sous presse,1997).
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3. a) S. Ravaine, F. Vicentini, M. Mauzac,P. Delhaes,New J. Chem. 19, 1-3(1995).b) S. Ravaine, V. Faye,H.T. N’Guyen, P. Delhaes,J. of Phys. and Chem. ofsolids, sous presse (1997).
4. a) S. Ravaine, F. Le Pecq, C. Mingotaud, P.Delhaes, J.C. Hummelen,F. Wudl, L.K. Patterson,J. Phys. Chem. 99, 9551-9557 (1995).b) S. Ravaine, C. Mingotaud, P. Delhaes, Thin solidfilms, 284-5, 76-9 (1997).
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O
OC10F21
C18H37
C6F13
C6F13
S
S
S
S S
S S
S
C18H37HO OOC
O
O
O
O COO
O
O
O
O
O
O
SS S
SS S S
S
O
O
O
O
SMeS
MeS
S
SS S
S
Figure 3a- Exemples d’associationsmoléculaires conduisant à des filmsde Langmuir mixtes(voir partiesupérieure).b - Nouvelles molécules donneur-accepteur d’électrons de type D-σ -A(voir partie inférieure).
a
b
CHAPITRE 1 FONCTIONNALISATION ET MODIFICATION DU C60
ions brome/cm2). Le changement de
signe de S se produit dès une petite
fluence D en ions potassium (voisine
de 5x1013 ions/cm2), ce qui montre la
forte efficacité du rôle chimique du
potassium et l’aptitude au dopage n
des fullerites par cette technique.
Inversement, le changement de signe de
S à la suite d’un dopage initial n par des
ions potassium (avec E = 30 keV et
D=5x1014 ions/cm2) n’est obtenu que
pour des très fortes fluences en brome
(∼ 1016 ions/cm2); pour ces fortes fluences,
on pense en fait que c’est plutôt un effet
de dégradation qui apparaît.
LES LIMITES DEL’IMPLANTATION IONIQUE
Si on observe à nouveau la figu-
re 1, on constate que le changement
du signe de S se poursuit par un accrois-
sement du caractère négatif de S
(qui traduit l’efficacité du dopage n).
A partir de D = 5 x 1014 ions/cm2, il appa-
raît cependant une modification du
sens de variation de S : S diminue et
tend vers une valeur positive pour les
plus hautes fluences (D ∼ 1016 ions/cm2);
ce signe positif de S est en fait celui
observé lorsque seules les dégradations
sont produites, par exemple à l’aide
d’un faisceau d’ions de gaz rares qui
ne peuvent pas générer d’effets
chimiques. Une estimation théorique
de la fluence seuil Ds, à partir de laquel-
le l’accumulation des collisions élec-
troniques et nucléaires peut produire
une dégradation de la molécule boule
de C60 , a été effectuée : en utilisant
notamment les valeurs du pouvoir
d’arrêt électronique Se et nucléaire Sn
déterminées à l’aide du programme de
calcul TRIM 95 pour des ions potassium
de 30 keV (Se + Sn = 90 eV/A°), on a
obtenu Ds ≈ 5 x 1012 ions/cm2. Même si
cette valeur n’est qu’approximative, on
comprend mieux pourquoi seules des
fluences faibles sont capables d’assu-
rer le dopage ; au fur et à mesure de
l’augmentation de D, les deux effets
de dopage et d’endommagement se
UP
RES
1chapitre Le dopage de type n des couches de C60 peut être obte-
nu avec un faisceau d’ions d’énergie modérée (30 keV),
pourvu que la fluence reste inférieure à une valeur
seuil de l’ordre de 1013 ions/cm2. Au-delà, les phéno-
mènes de dégradation deviennent rapidement pré-
pondérants. Le respect de telles conditions a permis la
réalisation de structures MISFET, alors qu’une implan-
tation à température élevée peut conduire à une confi-
guration dans laquelle la couche dopée est suffisamment
enterrée pour être considérée à l’abri de l’air.
André MOLITONUnité de Microélectronique,
Optoélectronique et PolymèresFaculté des Sciences
123, Av. Albert Thomas87060 Limoges Cedex
Tél. : 05 55 45 74 32Fax : 05 55 45 72 88
E-mail : [email protected]
34 L E S F U L L E R È N E S
Le comportementdes fullerènes sous
faisceaux d’ionsRésultats actuels et perspectives
irradiations. Aussi, outre l’étude des pro-
priétés électriques des couches de C60
généralement dopées de type n à l’aide
d’alcalins (et appelées fullerides), une
attention toute particulière doit être
portée au contrôle de la structure finale.
LE DOPAGEPAR FAISCEAUX D’IONS
Nous avons utilisé l’étude du
signe du pouvoir thermoélectrique
(caractérisé par le coefficient Seebeck
S, négatif lors d’un dopage de type n
et positif avec un dopage p) pour
montrer de façon indiscutable la possi-
bilité du dopage des couches de C60 par
implantation ionique. Sur la figure 1,
nous présentons l’évolution de S en
fonction de la fluence en ions potas-
sium (d’énergie E = 30keV) d’un film
de C60 initialement de type p (obtenu
par implantation à 30keV de 5 x1014
Les calculs théoriques concer-
nant la structure de bande des molé-
cules de C60 (fullerènes) cristallisées dans
le système cubique à faces centrées
(réseau cfc correspondant à un solide
de Van der Waals appelé fullerite)
conduisent à une séparation énergé-
tique de l’ordre de 1,5 eV entre la bande
de valence pleine (HOMO) et la bande
de conduction vide (LUMO) : une telle
structure permet d’envisager l’utilisa-
tion des fullerites comme semiconduc-
teurs. Les films de fullerites sont
toutefois très isolants (conductivité infé-
rieure à 10-10 Ω-1 cm-1) et le contrôle
du dopage, difficile en phase gazeuse
(car non directement relié à la durée
de l’exposition aux vapeurs), a été envi-
sagé à partir de l’interaction avec un
faisceau d’ions. Cette technique néces-
site cependant une bonne résistance
de la structure moléculaire initiale aux
Le comportement des fullerènes sous faisceux d’ions
2x10-7
10-7
00 5 10 15
Co
ura
nt
Dra
in-S
ou
rce
I d (
A)
Tension Drain-Source Vds (V)
Vg=10V
Vg=9V
Vg=8V
Vg=7VVg=6V
Vg=0V
superposent. Sur la courbe de la figure
2, la conductivité mesurée pour les plus
basses fluences est générée par le dopa-
ge alors que, aux plus hautes fluences,
c’est le mécanisme lié aux endomma-
gements qui prédomine pour conduire
à une valeur de saturation de
la conductivité σs ≈ 20 Ω-1 cm-1. Cette
valeur, inférieure à celle obtenue par
le dopage chimique σmax ≈300 Ω-1cm-1,
montre bien que le matériau conduc-
teur finalement obtenu est modifié.
Différentes hypothèses ont été émises,
notamment la formation de frag-
ments larges (sortes de molécules C60
éventrées ou polymérisées) préala-
blement à une amorphisation aux plus
hautes fluences.
RÉSULTATS ETPERSPECTIVES
Les observations spectro-
scopiques (et notamment Raman),
ajoutées aux caractérisations élec-
triques, nous ont montré que l’état
semiconducteur ne peut être obtenu
qu’avec des paramètres d’implantation
faibles. Nous avons confirmé cette
conclusion en montrant que les tran-
sistors à films minces (FET) à base de
fullerite ne présentent une améliora-
tion de leurs caractéristiques (et sur-
tout de la mobilité) à la suite d’un
dopage en potassium que pour des
fluences inférieures à 1010 ions/cm2. Sur
la figure 3, on présente les caractéris-
tiques d’un échantillon implanté avec
des ions potassium de 30 keV et une
fluence de 1010 ions/cm2 : compte tenu
du signe positif de la tension de grille,
on confirme le caractère n du dopage
du canal. Les mobilités µ obtenues ici
sont faibles, bien inférieures à celles
que l’on peut cependant espérer obte-
nir avec des techniques classiques opti-
misées (Haddon et al., Appl. Phys. Lett.,
67, 121, 1995, ont obtenu µ ≈ 0,08cm2/V
sec). Ce résultat relativement décevant
peut être expliqué par la présence
d’atomes résiduels oxygène ou azote
mis en évidence par SIMS dans la couche
L E S F U L L E R È N E S 35
10
5
0
-5
-10
-15
-20
-25
-301013 1014 1015 1016 1017
S(µ
V/K
)
Fluence D (ions/cm2)
1012
102
100
10-2
10-4
10-6
10141013 1015 1016 1017
σ(Ω
-1cm
-1)
Fluence D (ions/cm2)
Fullerite transforméen carbone amorphe
Interface zone dégradée - zonenon dégradée riche en oxygène
Fulleride enterré
Fullerite intact
implantée. Une étude des profils SIMS
de films de C60 implantés dans diffé-
rentes conditions nous a conduits à
proposer une structure favorable aux
applications. Cette configuration (figu-
re 4) pourrait être obtenue par implan-
tation d’ions alcalins à température
relativement élevée (560 K) et la couche
dopée serait suffisamment enterrée
(par diffusion) pour se retrouver fina-
lement à l’abri de l’oxygène extérieur.
Dans la couche immédiatement voisi-
ne du fulleride, l’oxygène serait piégé
dans une zone de défauts. Une inter-
prétation voisine a été également pro-
posée par Palmetshofer et al. (J. Appl.
Phys., 77, 1029, 1995). Cette structure
se rapprocherait de la configuration
familière du silicium protégé par sa
couche d’oxyde... Enfin, on ne doit pas
oublier le rêve du dopage endohè-
drique, que de nombreuses équipes
tentent de matérialiser : on peut espé-
rer que la voie des collisions contrôlées
entre boules de C60 et atomes dopants
sera la bonne.
Figure 1Transition de la semiconduction P→Nsous l’effet de l’implantation de K+
Figure 2Croissance puis saturation de la conductivitéen fonction de la fluence en ions K+
Figure 3Caractéristiques courant-tension d’une structureMISFET à base de C60 dopé à faible fluence en K+
Figure 4Configuration d’une structure C60implantée à 560K avec des ions alcalins
BIBLIOGRAPHIE
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• P. Trouillas, B. Ratier, A. Moliton, J.L. Duroux,“Electrical and optical properties of ionimplanted C60”,Fullerene Science and Technology,4(6),(1996), 1299-1315.