Œil et Physiologie de la Vision - VIII-2 VIII-2 : ÉLECTROPHYSIOLOGIE VISUELLE CHEZ DES ANIMAUX SELECTIONNES COMME MODELES DE RETINOPATHIES HUMAINES Allison L. Dorfman Suna Jung Anna Polosa Julie Racine Pia Wintermark Pierre Lachapelle Pour citer ce document Allison L. Dorfman, Suna Jung, Anna Polosa, Julie Racine, Pia Wintermark et Pierre Lachapelle, «VIII-2 : ÉLECTROPHYSIOLOGIE VISUELLE CHEZ DES ANIMAUX SELECTIONNES COMME MODELES DE RETINOPATHIES HUMAINES», Oeil et physiologie de la vision [En ligne], VIII-La vision et son exploration chez l'animal, mis à jour le 04/04/2014, URL : http://lodel.irevues.inist.fr/oeiletphysiologiedelavision/index.php?id=244, doi:10.4267/oeiletphysiologiedelavision.244 Plan Introduction Critères et modes de choix d’un animal modèle Essais thérapeutiques associés Sélection des modèles Pour la rétinopathie induite du prématuré Pour la rétinopathie pigmentaire et la DMLA Mécanismes physiopathologiques : critères pour le choix du modèle Le rat nouveau-né : modèle pour le stress oxydatif Le cochon d’Inde : modèle pour la rétine humaine à cônes Le cochon d’Inde albinos : modèle pour la CSNB de type I Techniques d’explorations par électrophysiologie L’ERG flash Préparation de l’animal Stimulations Recueil du signal L’ERG ON-OFF Stimulations Recueil du signal Analyse ERG flash & ERG ON-OFF ERG flash ERG ON-OFF L’ERG multifocal Préparation de l’animal Stimulations 1
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VIII 2 ÉLECTROPHYSIOLOGIE VISUELLE CHEZ DES ANIMAUX ...lodel.irevues.inist.fr/oeiletphysiologiedelavision/... · rétinopathie pigmentaire ou DMLA. Il est ainsi possible de suivre
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Œil et Physiologie de la Vision - VIII-2
VIII-2 : ÉLECTROPHYSIOLOGIE VISUELLE CHEZ DES ANIMAUX SELECTIONNES COMME MODELES DE RETINOPATHIES HUMAINES
Allison L. Dorfman
Suna Jung
Anna Polosa
Julie Racine
Pia Wintermark
Pierre Lachapelle
Pour citer ce document
Allison L. Dorfman, Suna Jung, Anna Polosa, Julie Racine, Pia Wintermark et Pierre
Lachapelle, «VIII-2 : ÉLECTROPHYSIOLOGIE VISUELLE CHEZ DES ANIMAUX
SELECTIONNES COMME MODELES DE RETINOPATHIES HUMAINES», Oeil et physiologie
de la vision [En ligne], VIII-La vision et son exploration chez l'animal, mis à jour le
Sélection des modèles Pour la rétinopathie induite du prématuré Pour la rétinopathie pigmentaire et la DMLA
Mécanismes physiopathologiques : critères pour le choix du modèle Le rat nouveau-né : modèle pour le stress oxydatif Le cochon d’Inde : modèle pour la rétine humaine à cônes Le cochon d’Inde albinos : modèle pour la CSNB de type I
Techniques d’explorations par électrophysiologie
L’ERG flash Préparation de l’animal Stimulations Recueil du signal
Rappel sur la vascularisation de la rétine humaine Développement normal Développement chez le prématuré
Le rat : modèle de ROP
Protocole d’induction de la rétinopathie par oxygène
Résultats à J+30 Variations histologiques de la rétine à J+30 Variations fonctionnelles de la rétine à J+30 Variations immuno-histo-chimiques Synthèse
Rétinopathie induite par la lumière
Induction de la rétinopathie à la lumière Exposition de l’animal à la lumière Résultats chez le rat albinos
Mécanisme de la rétinopathie induite à la lumière Déficience de la rhodopsine Dégénérescence des bâtonnets suivie de celle des cônes
Déficience de type rod-cone comme chez l’humain
Animal modèle : cochon d’Inde albinos mutant Comportement à la naissance : normal ERGs à la naissance : anormaux Evolution de l’ERG flash avec l’âge Caractéristiques histologiques et histochimiques de la rétine
Points forts de ce modèle CSNB/Rod-cone dystrophy
Conclusion
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Œil et Physiologie de la Vision - VIII-2
Texte intégral
Chaque co-auteur a également contribué à ce chapitre
Introduction
Les animaux modèles sont communément utilisés pour mieux comprendre la
pathogenèse de divers types de rétinopathies humaines, d’autant plus que les maladies
rétiniennes sont parmi les principales causes de cécité (Fletcher et al., 2011). Les
recherches menées dans notre laboratoire sont depuis longtemps axées sur la
caractérisation des processus physiopathologiques impliqués dans diverses maladies
rétiniennes et sur les mécanismes moléculaires complexes à l’origine de celles-ci.
Critères et modes de choix d’un animal modèle
Les études commencent souvent par une sélection attentive d’un animal modèle. Pour
être approprié, il faut en premier lieu, examiner le niveau de maturité de la rétine à la
naissance puis, entre autres, la taille de la portée, le coût et la durée de la gestation. Une
fois le modèle établi, il faut analyser de façon détaillée la vascularisation rétinienne par
l’utilisation des rétines étalées flat mounts, la cytoarchitecture rétinienne à l’aide de
coupes ultra minces de rétine, de cryosection et de techniques
d'immunohistochimie, l’expression des protéines rétiniennes par l'utilisation de
techniques d’immunobuvardage, puis, évaluer la fonction rétinienne par ERG flash et ERG
multifocal et les capacités de transmission du signal rétinien le long des voies visuelles
par les potentiels évoqués visuels. L’ensemble de ces paramètres permet d’entrevoir la
séquence des évènements qui sont à l’origine de la rétinopathie donnée.
Essais thérapeutiques associés
Des essais thérapeutiques peuvent aussi être menés en parallèle à l’aide de nouvelles
substances administrées par voie intravitréenne, sous-cutanée, intrapéritonéale ou
topique. Leurs effets sont testés sur les paramètres mentionnés ci-dessus et participent à
la mise au point de traitement pour ces maladies rétiniennes.
Sélection des modèles
Au cours de la dernière décennie, notre laboratoire a mis l'accent sur deux modèles de
rongeurs différents pris en période néonatale et soumis, en période post natale, à un
stress oxydatif (Lachapelle et al., 1999), (Dembinska et al., 2001), (Dembinska et al.,
2002), (Dorfman et al., 2006), (Joly et al., 2006a), (Joly et al., 2006b), (Joly et al.,
2007), (Dorfman et al., 2008), (Dorfman et al., 2011).
Pour la rétinopathie induite du prématuré
La rétinopathie induite par l'oxygène (RIO) chez un rat nouveau-né est utilisée comme
modèle humain de la rétinopathie du prématuré (RDP). Elle permet de mieux comprendre
ce qui se passe chez les nourrissons nés prématurément et exposés à des niveaux élevés
d'oxygène pour compenser leur fonction pulmonaire immature.
Pour la rétinopathie pigmentaire et la DMLA
La rétinopathie induite par la lumière (RIL) ressemble à bien des égards aux
rétinopathies humaines, y compris la rétinite pigmentaire (RP) et la dégénérescence
maculaire liée à l'âge (DMLA).
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Œil et Physiologie de la Vision - VIII-2
Mécanismes physiopathologiques : critères pour le choix du modèle
La rétinopathie induite par l’oxygène est souvent considérée comme une maladie
vasoproliférative avec déficiences structurelles et fonctionnelles qui se produisent
principalement dans la rétine interne (Reynaud & Dorey, 1994), (Penn et al., 1994),
(Madan & Penn, 2003), (Hardy et al., 2005), (Hardy et al., 2005).
La rétinopathie induite par la lumière se caractérise, quant à elle, par une
dégénérescence de la rétine externe, principalement au niveau de la couche des
photorécepteurs, en rapport avec une rhodopsine déficiente. Il en résulte des dommages
structurels et fonctionnels majeurs (Noell et al., 1966), (Penn & Thum, 1987), (Penn et
al., 1989), (Li et al., 2001), (Li et al., 2003).
Le rat nouveau-né : modèle pour le stress oxydatif
Le rat est une espèce nidicole dont la rétine est immature à la naissance à terme. C’est
donc un bon modèle pour le suivi de la maturation rétinienne depuis le début de
l'exposition à des stress oxydatifs exogènes soit par des niveaux élevés d'oxygène
(comme modèle de la rétinopathie du prématuré induite par l’oxygène) soit par des
niveaux intenses de lumière pour induire une rétinopathie à la lumière, modèle de
rétinopathie pigmentaire ou DMLA. Il est ainsi possible de suivre l’évolution de ces rétines
sous ces stress oxydatifs et d’en caractériser les différents processus
physiopathologiques qui conduisent à l’involution de la rétine externe ou interne.
Le cochon d’Inde : modèle pour la rétine humaine à cônes
Contrairement au rat nidicole, le cochon d’Inde est une espèce précociale dont la rétine
est mature à terme. C’est un bon modèle pour l'étude de l'ERG humain. En utilisant le
cochon d’Inde albinos Hartley, nous avons non seulement montré que, à la naissance, sa
rétine a une structure et un fonctionnement rétinien semblables à ceux du cochon d’Inde
adulte avec une maturation rétinienne similaire à celle de l’humain (Racine et al., 2008),
mais aussi que son ERG photopique a les mêmes caractéristiques que l’ERG photopique
humain (Rosolen et al., 2004), (Racine et al., 2005).
D'autres modèles ont été découverts alors qu’ils se sont produits de façon spontanée.
Le cochon d’Inde albinos : modèle pour la CSNB de type I
En 2003, au cours de tests électrophysiologiques pratiqués en routine sur le cochon
d’Inde, nous avons découvert dans une population de cobayes Hartley albinos, des
animaux qui présentaient, à l’état naturel, un trouble rétinien similaire à la cécité
nocturne (Racine et al., 2003).
C’est par un accouplement consanguin accidentel entre un mâle et une femelle issus
d’une même portée que le premier cochon d’Inde mutant a été conçu. De cette union,
sont nés 4 bébés dont un seul présentait des électrorétinogrammes anormaux. Grâce à
un accouplement sélectif, nous avons pu reproduire ce phénotype encore 80 fois et ce,
sur plus de 14 générations. Sur 81 cochons d’Inde affectés, 35 étaient des mâles, 43 des
femelles et 3 autres ont été euthanasiés avant l’identification de leur sexe.
En examinant le pédigré sur 14 générations, il apparaît que cette anomalie est transmise
sur un mode autosomique récessif avec des caractéristiques qui ressemblent étroitement
aux formes humaines d’héméralopie congénitale essentielle stationnaire (CSNB).
Nous présentons ici quelques techniques électrophysiologiques actuellement utilisées
dans notre laboratoire qui nous permettent d’évaluer la fonction rétinienne et le devenir
du signal rétinien le long des voies visuelles. Elles sont importantes pour caractériser ces
signaux. Elles sont applicables aux rats, modèles de la rétinopathie du prématuré (induits
par l’oxygène) ou modèles de rétinopathie pigmentaire et DMLA (induits par la lumière)
ainsi qu’au cochon d’Inde, modèle spontané d’héméralopie congénitale essentielle.
Toutes les expérimentations animales réalisées dans notre laboratoire sont approuvées par l'Institut de recherche de l'Hôpital de l'Université McGill de Montréal pour enfants et conformes aux recommandations du conseil canadien de protection des animaux. Elles sont menées en conformité avec les recommandations de l’ARVO pour l'utilisation des animaux en recherche visuelle et ophtalmologique.
L’ERG flash
L’électrorétinogramme flash (ERG flash) est une réponse globale des cellules rétiniennes
à une stimulation lumineuse brève. Les signaux recueillis peuvent l’être de manière non
invasive ; c’est donc une technique précieuse non seulement chez l'homme mais aussi
chez les animaux. Elle permet de caractériser le fonctionnement physiologique de la
rétine normale et pathologique (Hebert & Lachapelle, 2003).
Préparation de l’animal
Les enregistrements des ERG flash standards plein champ sont réalisés chez le rat et le
cochon d’Inde anesthésiés -sous un éclairage de faible lumière rouge- par une injection
intramusculaire de kétamine (85 mg/kg) et de xylazine (5 mg/kg) à la suite d'une
période de 12 heures d'adaptation à l'obscurité. Leurs pupilles sont ensuite dilatées avec
1 à 2 gouttes de Mydriacyl 1% ; l'animal est alors placé sur le côté, dans une chambre
d'enregistrement de notre conception, qui inclut à la fois le stimulateur flash et la lumière
du fond adaptant (figure VIII-2-1).
Stimulations
Pour la courbe luminance-réponse Les courbes de luminance-réponse scotopiques sont évoquées par des flashs de lumière
achromatique couvrant une gamme de 6 unités logarithmique par pas de 0,3 unité
logarithmique, allant de -6,3 à 0,6 log cd.s.m-2.
La réponse (c'est-à-dire l’ERG flash) est obtenue après stimulation (en moyenne) de trois
à cinq flashs, délivrés à un intervalle de 9.60 secondes.
L'utilisation de flashs d’intensité croissante dans une ambiance scotopique va générer
une onde-b d’amplitude progressivement croissante. Le « rod Vmax » est l’amplitude
maximale de la réponse du système des bâtonnets que l'on obtient en absence de toute
contribution des cônes ; elle se produit pour une intensité inférieure ou égale à 2,4 log
cd.sec.m-2 (Naka & Rushton, 1966).
En augmentant encore l'intensité du flash au-delà de ce point, on observe une nouvelle
aumgnentation d'amplitude de l'onde-b : à la réponse du système des bâtonnets,
s’ajoute celle du système des cônes. Chez les rongeurs, l'onde-a n’apparaît qu’à la suite
d’une stimulation flash suffisamment intense pour que les deux systèmes (des bâtonnets
et des cônes) répondent conjointement donnant une réponse dite mixte (ou mixed-
response), généralement pour une intensité de 2,4 log cd.sec.m-2.
Initialement, les enregistrements des ERG flash et PEV flash effectués dans notre
laboratoire étaient réalisés par stimulation monoculaire et recueil des réponses
monoculaires (Sirinyan et al., 2006). Récemment, nous avons effectués des stimulations
binoculaires avec, pour l’ERG flash, recueil simultané des réponses mais issues
séparément de chaque œil. Nous avons dénommé ce type de recueil : ERG flash
binoculaires.
Note : Les PEV flash binoculaires correspondent, comme chez l’homme, à la réponse évoquée visuelle corticale issue des signaux générés par les deux yeux en même temps.
Cette méthode est particulièrement intéressante pour l’ERG flash, surtout pour les
modèles qui présentent des pathologies monoculaires ou en cas d’injections monoculaires
d'agents pharmacologiques. Il est ainsi possible d’enregistrer simultanément les réponses
issues de chaque œil séparément et comparer les résultats électrophysiologiques entre
l’œil atteint ou traité et ceux de l’œil sain ou témoin.
Méthode
Ces enregistrements binoculaires sur les rongeurs sont effectués en utilisant un système
équipé d’un stimulateur Ganzfeld. Les techniques sont comparables à celles utilisées pour
les enregistrements des ERG flash (monoculaires) décrites ci-dessus, avec de légères
modifications.
Préparation de l’animal Suite à l’anesthésie et à la dilatation des pupilles (telles que décrites ci-dessus) les
animaux sont placés sur une plateforme en position couchée (figure VIII-2-3A).
Electrodes de recueil pour l’ERG flash binoculaire Comme décrit ci-dessus pour l’ERG flash monoculaire, on utilise, pour l’ERG flash
binoculaire, deux électrodes actives DTL placées sur chacune des cornées et maintenues
par du méthylcellulose à 2% (solution Gonioscopic ; Alcon Laboratories, Fort Worth, TX)
qui évite le dessèchement de la cornée (figure VIII-2-3D). On peut également ajouter
une lentille de contact transparente sur chacune des cornées (Saszik et al., 2002) pour
assurer un meilleur contact entre l’électrode fil DTL et les cornées, mais ce n'est pas
absolument nécessaire.
Il y a une seule électrode de référence - cupule en or- placée sous la langue de l’animal.
L’électrode de masse est une aiguille insérée en sous cutanée dans sa queue (figure VIII-
2-3B et 3C).
Electrodes de recueil pour les PEV flash On utilise soit une électrode active de type aiguille insérée en sous-cutanée et placée sur
la ligne médiane en regard du cortex occipital, soit deux électrodes aiguilles placées de
part et d’autre de la ligne médiane en regard de chaque zone occipitale, entre l’oreille et
la ligne médiane (figure VIII-2-3E). Une fois que toutes les électrodes sont placées et
sécurisées, la plateforme est glissée à l’intérieur de la coupole Ganzfeld de sorte à ce que
la tête de l’animal soit totalement à l’intérieur de la coupole.
L’animal peut aussi être préparé pour les enregistrements simultanés des ERG flash et
PEV flash.
Appareillage et stimulations Le système utlisé pour ces enregistrements simultanés (ERG flash et PEV flash
binoculaires) est le LKC UTAS-E3000 (LKC Systems Inc., Gaitherburg, MD, USA) avec le
logiciel EMWIN pour Windows™.
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Œil et Physiologie de la Vision - VIII-2
Les caractéristiques des stimulations utilisées pour l’ERG flash binoculaire sont les
mêmes que celles décrites ci-dessus pour les ERG flash monoculaires. Les
caractéristiques des stimulations utilisées pour les PEV flash binoculaires sont des flashs
de lumière achromatique (0.9 log cd.s.m–2) délivrés sur un fond lumineux adaptant de 30
cd·m–2 et répétés 100 fois, toutes les secondes. Les PEV flash résultent d’un traitement
des signaux avec sommation/moyennage de 100 réponses filtrées avec une bande
passante entre 5 et 30 Hz.
Réponses ERG flash PEV flash binoculaires
ERG flash binoculaire/monoculaire Les ERG flash scotopiques (figure VIII-2-4A) ou photopiques (figure VIII-2-4B)
binoculaires et monoculaires sont comparables voire superposables : similitude des
morphologies, amplitudes et temps de culmination des ondes.
PEV flash binoculaires Un PEV flash enregistré avec une seule électrode médiane est montré sur la figure VIII-
2-4C ; il présente une onde positive culminant vers 100 ms (dite onde P100). Son
amplitude est mesurée entre le creux de la première onde négative (N) qui précède
immédiatement l’onde P100 et le sommet de l’onde P100.
Les ERG flash et PEV flash binoculaires peuvent être enregistrés de manière fiable et
reproductible chez les rongeurs en utilisant le stimulateur Ganzfeld. Pour que les
résultats soient optimaux, il faut veiller à bien mettre en place l’ensemble des électrodes
actives et de référence et bien positionner la tête de l'animal, ces facteurs pouvant
modifier considérablement l'amplitude des ondes.
Remarque : PEV flash monoculaires Des PEV flash monoculaires peuvent aussi être enregistrés à l’aide de deux électrodes
actives placées de chaque côté du cortex occipital tandis que l’œil droit puis l’oeil gauche
sont stimulés successivement. Couplé à l’enregistrement des ERG flash monoculaires,
cette technique peut être utile pour l’étude des animaux modèles dont les deux yeux
peuvent fonctionner ou évoluer différemment. Elle permet une comparaison directe des
résultats entre les deux yeux, de manière rapide et efficace.
Rétinopathie du prématuré
Cette rétinopathie est habituellement binoculaire et peut, dans les cas les plus sévères,
conduire à la cécité. Son origine implique la vascularisation rétinienne (Patz & Palmer,
Rappel sur la vascularisation de la rétine humaine
Développement normal
Le développement de la vascularisation rétinienne commence chez le fœtus humain au
cours du quatrième mois de gestation (Ashton, 1970) à partir du disque optique et migre
vers le pôle postérieur ; elle se propage ensuite progressivement en périphérie vers l'ora
serrata. La prolifération et la maturation subséquente de ces vaisseaux est complète à 36
semaines de gestation en rétine nasale et entre la 40ième et 45ième semaine de gestation
en rétine temporale (Michaelson, 1948). Par conséquent, la vascularisation de la rétine
temporale d’un bébé né à terme, peut être encore immature.
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Œil et Physiologie de la Vision - VIII-2
Développement chez le prématuré
Chez les prématurés, la rétine est incomplètement vascularisée à leur naissance,
particulièrement la rétine périphérique qui est largement avasculaire. Ces prématurés
sont souvent immédiatement placés dans des incubateurs avec un niveau élevé
d’oxygène pour compenser leur fonction pulmonaire immature et leur pression d’oxygène
relativement faible.
L’environnement hyperoxique résultant conduit à une vasoconstriction et vaso-
oblitération des vaisseaux sanguins de la rétine existante et qui ne se sont pas encore
complètement développés vers la rétine périphérique (Chen & Smith, 2007), (Smith,
2003), (Smith, 2004). Après retour à l’air ambiant, c'est-à-dire à une situation de
normoxie, la rétine est confrontée à une hypoxie relative, à l’origine d’une angiogenèse
anormale, située en grande partie à la périphérie rétinienne mais aussi en dehors de la
rétine, dans le vitré. Les complications sont fréquentes avec hémorragies et décollements
rétiniens qui peuvent conduire à la cécité dans les cas de rétinopathies les plus graves
(Saugstad, 2006), (Chen & Smith, 2007).
Le rat : modèle de ROP
Le rat est une espèce nidicole ; il nait avec les yeux fermés et un système visuel
immature (Braekevelt & Hollenberg, 1970), (Weidman & Kuwabara, 1969). De plus, il a
été montré que l’état de maturation de la rétine du rat nouveau-né correspond à celui
d'un fœtus humain de 24-26 semaines de gestation (Weidman & Kuwabara, 1968),
(Ricci, 1990).
Le rat albinos Sprague Dawley est un excellent modèle utilisé couramment pour l’étude
du retentissement de l’exposition hyperoxique postnatale sur la structure et la fonction
rétinienne. Il permet de mieux comprendre les anomalies structurelles et fonctionnelles
de la rétinopathie humaine (induite par l’oxygène) du prématuré, qui affecte les
prématurés nés avant la 29ème semaine de gestation et pesant moins de 1000 g à la
naissance (Robinson & O'Keefe, 1993), (Hebbandi et al., 1997), (Patz A. & Payne J.W.,
1998).
Protocole d’induction de la rétinopathie par oxygène
Hyperoxie à la naissance ou J0 Le protocole expérimental utilisé pour créer l’animal modèle de la ROP consiste à exposer
les rongeurs nouveau-nés à des niveaux d’oxygène élevés (80% d’O2 ou hyperoxie).
Dans notre laboratoire, les rats nouveau-nés (albinos et pigmentés) sont exposés avec
leur mère à 80% d’oxygène (mélange d’O2 de qualité médicale et d’air ambiant), mesuré
par un compteur d’oxygène MaxO2 (Ceramatec). Cette exposition est interrompue trois
fois par jour, durant une demi heure où les conditions redeviennent normales c'est-à-dire
normoxiques (21% d’O2). Cette alternance hyperoxie-normoxie représente fidèlement les
fluctuations en teneur d’oxygène de l’atmosphère qui se produisent dans l'unité
néonatale de soins intensifs.
Normoxie à J+14 Après cessation de l’exposition à l’oxygène, les rats nouveau-nés sont replacés dans des
conditions normales d’oxygène jusqu’à ce que des études histologiques et fonctionnelles
(par ERG) soient effectuées à J+30 comme celles présentées ci-dessous.
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Œil et Physiologie de la Vision - VIII-2
Résultats à J+30
Les comparaisons se font entre un groupe de rats témoins, élevés dans l'air ambiant et
un groupe de rats soumis à une hyperoxie durant 14 jours comme décrit ci-dessus.
Variations histologiques de la rétine à J+30
On constate que la couche des photorécepteurs est intègre et que la variation cyto-
architecturale la plus importante, due à la rétinopathie induite par l’oxygène, se situe au
niveau de la couche plexiforme externe (CPE). On observe que la couche plexiforme
externe est amincie par diminution des cellules horizontales et par diminution, voire
disparition, de leurs contacts synaptiques entre la couche de photorécepteurs et la rétine
interne (figure VIII-2-5A et B) (Lachapelle et al., 1999), (Dembinska et al., 2001),
(Dorfman et al., 2006), (Dorfman et al., 2008); ces modifications sont essentiellement
localisées à la zone centrale. La rétine périphérique présente des cellules de morphologie
normale avec des contacts synaptiques normaux (Dorfman et al., 2011).
Variations fonctionnelles de la rétine à J+30
ERG au flash La réponse mixte des deux systèmes bâtonnets et cônes (enregistrée en ambiance
scotopique mixed-response) présente une amplitude de l’onde-a similaire à celle
enregistrée chez le groupe témoin (approximativement 80% de l’amplitude normale),
alors que l’amplitude de l’onde-b est significativement diminuée (figure VIII-2-5C et 5D –
mixed-response).
Ces résultats fonctionnels coïncident avec les constatations histologiques : la couche des
photorécepteurs étant intacte, son fonctionnement est sensiblement normal (onde-a
normale), alors que les anomalies constatées au niveau de la couche plexiforme externe
et de leurs synapses sont probablement à l’origine de la déficience de transmission du
signal vers la rétine interne (onde-b diminuée) (Lachapelle et al., 1999), (Dembinska et
al., 2001), (Dorfman et al., 2006), (Dorfman et al., 2008), (Dorfman et al., 2011).
La réponse du système photopique présente une onde-b d’amplitude diminuée par
rapport à celle enregistrée sur le groupe témoin (figure VIII-2-5C et 5D)
ERG multifocal Jusqu’à récemment, seul l’ERG flash était enregistré pour tester le fonctionnement
rétinien de divers animaux modèles de maladies rétiniennes. Il correspond à l’évaluation
du fonctionnement de toute la surface rétinienne. L’introduction de l’ERG mf dans les
cliniques et laboratoires permet d’enregistrer la réponse de la zone centrale de la rétine,
avec mise en évidence possible de zones localisées de dysfonctionnements (Sutter &
Tran, 1992), (Ball & Petry, 2000), (Hood, 2000).
Chez nos rats modèles de RDP, nous avons montré que les réponses des régions
centrales sont d’amplitudes moindres que celles enregistrées chez les rats témoins alors
que les réponses des zones périphériques restent dans les limites de la normale (figure
VIII-2-5E et figure VIII-2-5F).
Cet aspect fonctionnel avec déficience localisée à la zone centrale ou fovéale correspond
bien aussi à ce qui a été trouvé à l’histologie.
Cette technique d’ERG mf apporte de précieux renseignements. Elle est de mise en
œuvre facile chez le rongeur et sera probablement perfectionnée à l’avenir.
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Œil et Physiologie de la Vision - VIII-2
Variations immuno-histo-chimiques
On observe un amincissement significatif des couches plexiformes confirmé par une
diminution de la coloration de la synaptophysine (Dorfman et al., 2011) avec
perturbation de l’organisation des cellules rétiniennes internes où des synapses
aberrantes sont observées tandis que l’organisation de la couche des photorécepteurs
reste sensiblement intacte.
Synthèse
Les résultats obtenus avec les différentes techniques électrophysiologiques décrites ci-
dessus nous ont permis d'identifier la rétine interne comme étant la région
principalement affectée dans la rétinopathie induite à l’oxygène (RIO) -et probablement
dans la rétinopathie du prématuré (RDP)- compte tenu de l'amplitude relativement stable
de l’onde-a (issues des photorécepteurs) et de la diminution significative de l'amplitude
de l’onde-b (générée au niveau de la rétine interne par les cellules bipolaires et avec une
participation –tardive- des cellules de Müller). Nos résultats obtenus avec la cyto-
architecture rétinienne et avec l’immunohistochimie corroborent nos résultats
fonctionnels.
Rétinopathie induite par la lumière
La rétinopathie induite par la lumière (RIL) est couramment utilisée comme modèle de
maladies dégénératives de la rétine qui présentent des dysfonctionnements au niveau de
la couche des photorécepteurs tel que la rétinite pigmentaire (RP) et la dégénérescence
maculaire liée à l’âge (DMLA).
Induction de la rétinopathie à la lumière
Exposition de l’animal à la lumière
Le modèle de rétinopathie à la lumière est créé en exposant de jeunes rats ou des rats
adultes à un environnement lumineux d’une intensité donnée, mesurée au niveau de
l’œil.
La lumière d’exposition se compose de tubes fluorescents, type lumière du jour, placés
au dessus et de chaque côté de leur cage. Différents paramètres comme l’intensité de la
lumière, ses longueurs d’onde et la durée de l’exposition, sont combinés de façon
variable sur des animaux d’âges différents : il en résulte des rétinopathies de sévérités
différentes (O'Steen & Anderson, 1972), (O'Steen et al., 1974), (Ham et al., 1976),
(Ham et al., 1979), (White & Fisher, 1987), (Organisciak et al., 1989), (Organisciak et
al., 2003), (Grimm et al., 2000a), (Grimm et al., 2000b), (Joly et al., 2006a), (Joly et
al., 2006b).
Après l’exposition à ces paramètres contrôlés de lumière, les animaux sont remis dans
des conditions normales, à savoir dans un cycle de 12 heures d’obscurité alternant avec
12 heures d’un éclairement à 80 lux en attendant la prochaine séance de tests.
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Œil et Physiologie de la Vision - VIII-2
Résultats chez le rat albinos
Effet de la lumière chez le rat adulte : phototoxicité Jusqu’ici, la plupart des travaux effectués dans le domaine de la rétinopathie induite par
la lumière ont été réalisés chez rat albinos adulte (Noell et al., 1966), (Penn & Thum,
1987), (Organisciak et al., 1989), (O'Steen et al., 1974), (Organisciak & Winkler, 1994),
(Organisciak et al., 2003). Dans la majorité des cas, cette exposition à la lumière s’est
révélée extrêmement phototoxique pour la rétine de l’animal adulte.
Effet de la lumière chez le jeune rat Afin de mieux suivre la progression de la rétinopathie induite par la lumière, nous avons
étudié au cours de la dernière décennie l’effet d’une lumière intense chez de jeunes rats
dont les rétines n’étaient pas encore matures au début de l’exposition. Nous avons
montré que les rétines du groupe des jeunes rats présentent une plus grande résistance
à la lumière que celles du groupe de rats adultes donc plus âgés (Joly et al., 2006a),
(Joly et al., 2006b), (Joly et al., 2007). Cette meilleure résistance des rétines juvéniles
par rapport aux rétines adultes a été en partie associée à une plus grande expression des
facteurs neurotrophiques comme le CNTF ou le FGF2 (Joly et al., 2007).
Nous présentons ci-dessous les résultats histologiques et fonctionnels recueillis chez de
jeunes rats Sprague Dawley, modèles de rétinopathie induite par la lumière, après une
exposition à un éclairement de 10.000 lux durant 12 heures alternant avec 12 heures
d’obscurité de J 14 à J 28 c'est-à-dire 14 jours après leur naissance et ce, durant 14
jours.
Variations histologiques de la rétine du jeune rat L’histologie rétinienne montre qu’immédiatement après la cessation de l’exposition à la
lumière, soit à J 30, les photorécepteurs présentent un amincissement de leur segment
externe (OS) et de leur segment interne (IS), tandis que la rétine interne demeure
relativement comparable à celle des rats témoins (figure VIII-2-6A et 6B). On observe de
plus, des modifications plus importantes en rétine supérieure qu’en rétine inférieure
(figure VIII-2-6B).
Variations fonctionnelles de la rétine du jeune rat Les ERG flash (mixed-response) sont caractérisés par une diminution importante de
l’amplitude de l’onde-a tandis que celle de l’onde-b reste d’amplitude comparable à celle
du rat témoin. Les amplitudes de ERG flash photopique sont diminuées mais dans une
moindre mesure que celles des mixed-responses (figure VIII-2-6C et 6D).
Ces résultats suggèrent que la couche des photorécepteurs présente un certain degré de
dysfonctionnement après une exposition à une lumière intense tandis que la rétine
interne continue à fonctionner de façon sensiblement normale. Ils montrent aussi que le
système photopique résiste mieux à une lumière intense que le système scotopique, ce
qui est cohérent avec nos résultats histologiques.
Mécanisme de la rétinopathie induite à la lumière
Déficience de la rhodopsine
Depuis l’introduction du modèle de rétinopathie induite par la lumière par Noell (Noell et
al., 1966), la compréhension des mécanismes impliqués dans la genèse de ce type de
rétinopathie a progressé.
14
Œil et Physiologie de la Vision - VIII-2
On sait maintenant que la rétinopathie induite par la lumière correspond à une
dégénérescence initiale des segments externes des bâtonnets en rapport avec une
déficience de la rhodopsine. On se rappelle en effet que la transduction est initiée par la
rhodopsine qui se situe sur les disques contenus dans les segments externes des
bâtonnets (Noell et al., 1966), (Kuwabara & Gorn, 1968), (Grignolo et al., 1969),
(O'Steen et al., 1972), (Wiegand et al., 1983), (Williams & Howell, 1983), (De La Paz &
Anderson, 1992), (Grimm et al., 2000b).
Le spectre d’action des dommages lumineux correspond au spectre d’absorption de la
rhodopsine (Williams & Howell, 1983).
Les premiers signes néfastes d’une exposition lumineuse intense ont lieu au niveau de la
partie la plus distale du segment externe du photorécepteur (Kuwabara & Gorn, 1968),
(Grignolo et al., 1969), (O'Steen & Anderson, 1972).
Altérations observées En effet, suite à une stimulation lumineuse intense à l’origine du stress oxydatif, on
observe des changements morphologiques importants ° au niveau du segment externe à
savoir : une désorganisation et une rupture des structures lamellaires des saccules qui
contiennent les pigments visuels, l’apparition de vacuoles et de tubules, mais aussi ° au
niveau des segments internes qui s’atrophient avec dysfonctionnement des
mitochondries. Ces modifications peuvent compromettre de façon significative le
métabolisme des photorécepteurs ainsi que la transmission du signal (Reme et al.,
1999), (Reme, 2005). Finalement, la condensation de la chromatine au niveau des
noyaux des photorécepteurs a été identifié comme étant le mécanisme principal
conduisant à la mort cellulaire dans ce type de rétinopathie (Abler et al., 1996), (Reme,
1995), (Hafezi et al., 1997), (Wenzel et al., 2005).
Altérations dépendant de la dose de rhodopsine Les atteintes liées à l’exposition lumineuse résumées ci-dessus sont dose dépendantes :
plus il y a de rhodopsine, plus les dommages sont importants. En effet, il a été montré
que les animaux adaptés préalablement à l’obscurité avant l’exposition à la lumière,
étaient affectés de façon plus sévère que ceux qui étaient maintenus ou élevés dans des
conditions lumineuses avec cycles d’alternance d’obscurité et de lumière, même si le
niveau lumineux de la période d’éclairement était plus fort que celui mis en œuvre après
la préadaptation à l’obscurité. Cette préadaptation à l’obscurité permet une régénération
maximale de la rhodopsine rétinienne ce qui augmente la susceptibilité de la rétine aux
dommages lumineux (Birch & Jacobs, 1980), (Organisciak et al., 1998).
Altérations dépendant de sa vitesse de régénération De façon similaire, plus la rhodopsine est régénérée rapidement, plus les dommages
résultants sont importants. En effet, différentes études ont montré que les animaux dont
le métabolisme de régénération de la rhodopsine est lent -comme c’est par exemple le
cas lors de mutations de la protéine RPE65- présentent des effets à l’exposition à la
lumière moindres que ceux dont le métabolisme est plus rapide (Grimm et al., 2000b),
(Wenzel et al., 2001).
On rappelle que la protéine RPE65 de l’épithélium pigmentaire est impliquée dans la phagocytose des segments externes et donc nécessaire à la régénération du pigment visuel.