Franois-Joseph RuggiuUne noblesse atlantique ? Le second ordre
franais de l'Ancienau Nouveau MondeIn: Outre-mers, tome 96,
n362-363, 1er semestre 2009. L'Atlantique Franais. pp. 39-63.Citer
ce document / Cite this document :Ruggiu Franois-Joseph. Une
noblesse atlantique ? Le second ordre franais de l'Ancien au
Nouveau Monde. In: Outre-mers,tome 96, n362-363, 1er semestre 2009.
L'Atlantique Franais. pp. 39-63.doi :
10.3406/outre.2009.4381http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/outre_1631-0438_2009_num_96_362_4381AbstractAbstract
: Historians rarely use the European concept of nobility to
describe the upper strata ofFrench imperial society during the
early modem period. And yet, the presence of French nobles in
NewFrance or in the French West Indies was widely acknowledged at
the time. The social impact ofsuchnoble elites, however, has not
fully been recognized by Atlantic historians because the general
contextemphasized wealth and social mobility over lineage. This
paper will address this gap by considering thesocial meanings of
nobility in several parts ofthe French empire during the
seventeenth and especiallythe eighteenth-centuries. It concludes
that there were few differences betzveen French nobles living inthe
metropolis and those in the colonies because the Crown strictly
determined legal definitions of theFrench
nobility.Nevertheless,itwas certainly easierto pose as noble in the
colonies than inmetropolitan France since the integration of these
new families in the second order of the realm wasbased upon their
wealth but also upon their merits. The discourses colonial elites
constructed abouttheir nobility anticipated in some ways new
definitions of elites elaborated in the metropolis at that
time.RsumRsum : Le concept europen de noblesse est rarement utilis
pour dcrire les plus hauts chelonsdes socits qui vivaient dans les
possessions impriales franaises l'poque moderne. Pourtant,
laprsence de nobles en Nouvelle-France ou bien dans les Antilles
franaises taitparfaitementreconnue
l'poque.Maislesspcialistesd'histoire atlantique n'ontsansdoute
pasencoresuffisamment tudi les consquences sociales de cette
prsence dans un contexte gnral qui mettait,il est vrai, davantage
l'accent sur la richesse ou les possibilits d'ascension sociale.
Cet article rflchitdonc sur le sens que pouvait avoir le fait d'tre
noble dans les diffrentes parties de l'empire franaisdurant les
XVIIe et surtout XVIIIe sicles. Il montre qu'il y avait peu de
diffrences entre les noblesvivant en mtropole et ceux qui taient
installs dans les colonies en particulier parce que la noblessetait
strictement dfinie par la Couronne. Mais il tait certainement plus
facile de passer pour nobledans les colonies que dans la France
mtropolitaine et l'intgration de ces nouvelles familles dans
lesecond ordre du royaume tait aussi bien fonde sur leur richesse
que sur la notion de mrite. Ainsi, lediscours qu'elles
construisaient autour de leur noblesse a, dans une certaine mesure,
anticip lesnouvelles dfinitions des lites labores cette poque en
mtropole.Une noblesse atlantique ? Le second ordre franais de
l'Ancien au Nouveau Monde x Franois-Joseph RUGGIU* Relatant sa
visitedel'ledeSaint-Christophe,le dominicain Jean- Baptiste Labat,
auteur d'un livrede voyage publi en1722 etsouvent
rimprim,eutcecommentaire:Commecetteleavaittla premire habite, ses
habitants avaient eu plus de temps que les autres se dcrasser, et
ilstaient devenus si polis et si civilsqu'on aurait eu de
lapeinetrouverplusdepolitessedanslesmeilleuresvillesde l'Europe. De
sorte qu'on disait sous forme de proverbe que la noblesse tait
Saint-Christophe, les bourgeois la Guadeloupe, les soldats La
Martinique et les paysans la Grenade 2.Une telle citation rappelle
quel point, dans les mentalits de leurs habitants d'origine
europenne oudes observateurs, lessocitsde l'Amrique franaiseaux
XVIIeet xvme sicles taient inscrites dans les schmas hritsde la
mtropole. L'apparition de la notion de noblesse dans cette vritable
sociogogra- phieesquisseparLabat,estl'lmentquinousretiendraici.Les
preuves archivistiques de la prsence de nobles dans les colonies
sont, en effet,abondantes, et l'historiographie les a depuis
notessansfairedelanoblesseoutre-merunobjetd'tude spcifique 3.Les
historiens du Canada, surtout dans les annes i960 et 1970, ont men,
ce sujet, des polmiques, souvent politiques, qui ont *Centre Roland
Mousnier - Univ. de Paris-Sorbonne. 1. Lesrechercheslies cet
articleontputremenes biengrce unebourse accorde en2006 par le
Centre Culturel Canadien(Paris). Nous souhaitons galement remercier
vivement Mmes D. Rogers et C.Vidal ainsi que M. P. Eve pour l'aide
qu'ils ont bien voulu nous apporter diverses tapes de ce travail.
Ma connaissance des gnalogies des nobles canadiens a grandement
bnfici des travauxinditsque MM. Y.Drolet et R. Larin ont eu la
gentillesse de mettre ma disposition. 2. J.-B.Labat (1993, p. 323).
3. Ilseraitactuellementhasardeuxdechercherdnombrerlesnoblesdansles
colonies un moment donn. Un mmoire de 1763 sur Saint-Domingue parle
de deux cents gentilshommes dans la dpendance du Cap et proportion
dans le restede l'le (cit par P.de Vaissire, 1909, p. 105 d'aprs
Archives NationaleSj F3/164). La noblesse canadienne a testime aux
alentours de 750 personnes au dbut des annes 1760 par L. Gadoury
(1992). Voir le commentairede F.-J.Ruggiu (2008) sursa dfinition
dela noblesse canadienne. V.Garsany (1995) a, quant elle, travaill
sur 109 nobles ayant vcu sur l'le Bourbon de 1715 1789. Outre-Mers,
T. 97, N 362-363(2009) 40F.-J.RUGGIU rcemment cd la place des tudes
plus prcises 4.Les historiens des Petites Antilles,
deSaint-Domingue ou de la Louisiane sesont moins attards sur elle,
considrant qu'elle n'yjouait pasle mmerleque dans la socit
mtropolitaine 5.Les raisons d'une telle position dans un tissu
complexe de reprsentations comme, par exemple, la croyance bien
atteste chez les contemporains, que les socits surtoutleslesetla
Louisiane,taientcomposesdegensde basse origine 6.L'ide d'une
homognisation naturelle de la
d'origineeuropenneaucontactdesralitsdesvastesespaces
nord-amricainsoudesles taitgalement trsprgnante 7. d'esprit des
habitants de la Nouvelle-France est ainsi un traitsouvent soulign
8.Dans les les, ilsemblait galement que la vie quotidienne au
contact deslibres decouleur etdes esclaves d'origine
africaineeffaaitlesdiffrencesentrelesEuropens 9.Laprofonde
ingalitentrelesraces auraitdonc engendrunerelativegalit
socialeauseindelapopulationblancheau-deldesdiffrencesde
fortuneentreles grands blancs et lespetits blancs .Il n'est donc
pas tonnant que la notion europenne de noblesse n'ait pas t jusqu'
prsent perue comme une clef des hirarchies sociales dans
franais.Pourtant les reprsentants du second ordre taient dans cet
espaceet lesconceptions sociales qu'ils vhiculaient y jouaient
unrle, qu'arepr,dsledbutdu xxe sicle,l'archiviste Pierre deVaissire
IO. 4. Voir ce sujet, F.-J. Ruggiu(2008). 5. P. Butel (2002,
pp.146-157) ;L. Chauleau (1993, pp. 87-89);G. G. Marion (2000,
pp.60-61) ;A. Nicolas(1996, tome I, p.59 et p.176). L. Elisabeth
(2003) etL. Abnon (1987, vol.I, pp.35, 41-42etvol.II, p.48)s'y
intressent davantageainsi que, du ct anglophone, J.F.Bosher (1987),
K.Banks(2002)etS. White(2006). Voir, galement, M. Giraud (1953-1974
et1991) ainsi que P.Boucher (2008). 6. M. L. E. Moreau de Saint-Mry
(1784-1790, tome I, p. X), uncrole, se flicite que les les ne
soient plus comme autrefoisde petites Peuplades, o des Hommes
dsavous pour la plupart de leur Patriequ'ils avaient fait rougir,
allaient tonner l'Univers par leurs
exploits.Lescorrespondancesadministratives, manentde
genssouventrcemment arrivs,etimprgns des conceptions dela mtropole,
contiennent de nombreux similaires. Voir P. deVaissire(1909, p.95).
7. L'volution de la population des les se caractrise par un double
mouvement :une diminution de la population blanche par rapport la
population d'origine africaine; une crolisation de la population
d'origine europenne mme sicettedernire est renouvele par des
arrives en provenance de la mtropole. L. Elisabeth (2003, p. 35 et
suivantes). 8. Aprs d'autres, T.Berthet (1992, p.177)rappelle
lespropos clbresdu baron de
LahontanouencoredeBougainville.Surlesles,voir,entreautres,leRapport...
(1970, p. 100). 9. VoirL.Elisabeth(2003,p.21etp.459).
Voir,entreautrescitationsfameuses, A.S.de Wimpffen(1993,p.76)
:C'est icilacouleur dela peauqui,danstoutes les nuances du blanc au
noir,tient lieu des distinctions du rang,du mrite, de la naissance,
des honneurs, etmme de la fortune. 10. P.de
Vaissire(1909),dontlechapitreII,p.93-152,s'intituleLanoblesse
franaise Saint-Domingue .D'autres auteurs chercheurs ont patiemment
remont le fil
desgnalogiesdecolonsdeNouvelle-France,desAntillesoudeSaint-Domingue
jusqu'aux familles de la noblesse de mtropole dont ils taient issus
:voir les travaux de J. deCauna(1998,2003),
lesmultiplesnoticesdeGabrielDebienou encorele bulletin Gnalogie et
Histoirede la Carabe (http://www. ghcaraibe .org) . UNE
NOBLESSEATLANTIQUE ? 41 Cet article ouvre donc nouveau ce dossier
la lumire des rcentsdel'historiographie.Lemomentestd'autantplus
propicequeleschercheursfranaiscommencents'insrerdansle courant de
la nouvelle histoire atlantique qui se dveloppe depuis une
vingtained'annes". Elle incite, en particulier, considrer l'espace
atlantique comme un ensemble interconnect et travailler, non plus
l'chelled'une seulecoloniemaiscelledesous-rgions cohrentes voire
celle de l'ocan tout entier. Notre analyse ne portera donc pas sur
unecolonieisole, maisconcerneralespossessionsfranaisesde l'Amrique
du Nord, les les de la Carabe, la Guyane, et, en raison des
liensqu'elles entretiennent avec l'espace atlantique, les les de
l'ocan Indien. Nous nous insrerons ainsi dans le dbat sur la
tension entre les hritages europens et les dynamiques amricaines
dont procdent les socits coloniales I2. Nous nesous-estimons pasles
diffrences qui fragmentent l'espace atlantiquefranais
I3.Cestablissementsonttfondsdesdates diffrentes,ce qui influesur la
profondeur chronologique surlaquelle
sedploiel'histoiredesfamillesd'origineeuropenne.Leur
lapopulationqu'ellessupportaient *4etlesmisesenvaleur
del'espacetaientgalementdissemblables.L'immenseNouvelle-
Francesecaractrisaitparuneorientationagricoleetsa principale
richessecommerciale-lesfourrures- nepouvaitservirdebase
l'dificationdesfortunescolossalesquisontneslaMartinique,
laGuadeloupeouSaint-Domingue.Aucontraire,lamiseen valeur de
laLouisiane, delaGuyane etde l'le Bourbon taitencore
loind'trepleinementraliselaveilledelaguerredeSept Ans.
Leslmentsdeconvergencesontcependantnombreux.Les
taientinclusesdansunespace politiqueunique,placsousla
tutelleadministrativeduSecrtariatd'tatdelaMarineetdeson bureau des
Colonies. La richesse de ses lites europennes etcroles y tait
surtout d'origine foncire car, l'exception des Petites Antilles, la
terretaitunbienlargementdisponiblepourlesnouveauxvenus pourvu
qu'ils eussent les moyens de la fairecultiver c'est--dire qu'ils
possdassent la force de travail ncessaire - les esclaves dans la
plupart 11. C. Vidal(2006,2008)s'estrcemment
interrogesurlefaibleengouement des
universitairesfranaispourl'histoireatlantique.
VoirgalementS.Marzagalli(1999, 2008). 12.
Cettethmatiqueestrarementaborde frontalementpar leshistoriens
franais, mtropolitains ou domiens, nimme par les historiens
canadiens alors qu'elle fait l'objet de dbats historiographiques
trspuissants aux tats-Unis. T. Berthet (1992, pp.183et suivantes)
est une exception mais les travaux sur l'identit canadienne
semblent en plein essor comme en tmoignent S. Belmessous (2004) ou
encore C. Horguelin (2005). Voir galement L. Dechne (2008). 13.
Voir P. Butel (2002), ainsi que G. Havard et C.Vidal (2006). 14. Si
nous nous plaons dans les annes1730, il ya autour de 34753 Europens
en Nouvelle-France, 10959 sur une population de 52666 personnes en
Martinique, 7433 sur une population de 35496 personnes enGuadeloupe
et, enfin,10449 sur 92450 personnes Saint-Domingue (J.S. Pritchard,
2004, pp. 423, 54-55, 65). Outre-Mers, T.gj, N 362-363(2009)
42F.-J.RUGGIU
deslieux.Ellesavaientdoncunmodederelationspcifiqueausol,
mettantdirectementenvaleurleursproprits,lorsqu'ellestaient
rsidentes,etdisposantd'un capital etd'un revenu trssensibles aux
alasclimatiques,surtout dans lesles, et laconjoncture
enparticulierdanslespriodesdeconflits.Enfin,ils'agitde marches
militairessoumises, au xvmesicle, aux pressionsmoinsdes
Amrindiensquedesautresnationseuropennes.Nousessaierons doncdans
cettecontributiondevoirsilesnoblesdanslescolonies prsentent les
mmes caractristiques que les nobles mtropolitains, ce qui nous
amnera une rflexionplus vaste sur la nature mme de la
socitcoloniale.Nousretracerons,d'abord,lesoriginesdugroupe
nobiliaireultramarinavantd'examinerlanaturecolonialedela
noblessefranaiseinstalledanslestablissementsoutre-meretses
rapportsaveclamonarchie.Enfin,nousnousinterrogeronssurla dimension
atlantique de ces familles. Un groupe bigarr Les
fondateursdesfamillesnoblesdel'Amrique franaise ressor-
tissaienttroisgroupesquis'entremlaient.Uneminoritd'entre
euxtaientdesmtropolitainsinstallsoutre-meroudesgensns
danslescoloniesetquiavaienttanoblis.Les modes diffraient cependant
de la mtropole surtout parce qu'il n'y avait pasde charges
anoblissantes*5.Les conseillers qui sigeaient dansles diffrents
Conseils Suprieurs (ou Souverains) taient en effet nomms
parleroietlachargequ'ilsexeraientneconfraitpaslanoblesse
mmesielleapufavoriserpourcertainsd'entreeuxun plusoumoinsdiscret
l6.Lesprocureursgnrauxetles conseillers de la Martinique
s'appuyrent, en 1709, en 1730 et en 1745, sur les termes imprcis de
l'dit de 1664 crant les Conseils Suprieurs, pour essayer d'associer
leurs charges la noblesse transmissible. Mais
lesautoritsroyalesleur refusrentcettefaveur bienque, en1745, le
conseiller Jean-BaptisteMonnel, filset petit-filsdeconseillers, ait
t reconnu commenoble par le gouverneur gnral etl'intendant I7.Ce
n'estqu'enfvrier1768qu'unditaccordaenfin,sansdoutepour
tenircomptedesconditionsgopolitiquesnesdeladfaitedela guerredeSept
Ans,auxconseillersetauxprocureursgnrauxdes
tablissementsoutre-merlanoblessepersonnelleetgraduellesur
lemodlemtropolitain.Avant laCession,lesconseillerscanadiens 15. Sur
laplace deschargesanoblissantes dansle renouvellementdu
secondordre, voir D. D. Bien (1974, pp. 44-48 et 505-515). 16. Voir
DictionnairebiographiqueduCanada enligneainsi
queM.d'Allaire(1980,p.
32),quinotel'incertitudequirgnaitautourdelanoblessedeDenisJosephRuette
d'Auteuil. 17. E. Hayot (1965, p.15). UNE NOBLESSEATLANTIQUE ? 43
avaienttenteuxaussid'allerdanscettedirection,commel'atteste
unedemanded'informationdel'intendantBigoten1753,maisen vain l8.
Enl'absenced'anoblissementparcharges,l'anoblissementpar
lettresroyales tait donc la voie unique versle second ordre, mme si
certainsontpuacheterdeschargesdesecrtaireduroiauprsde
CoursSouverainesmtropolitainesI9,voireunedes200lettresde
noblessevenduesen1696 2O.E.Hayotaainsiretrouv27
laMartinique,dont16ontconcerndesCroles, 21anoblissementspour
lescolonsdeSaint-Domingue et12pour la Guadeloupe 2I. Les anoblis
canadiens ont t 11ou 1222.La
decesanoblissementsdiffreselonlescolonies.Lesonze
canadiensl'onttavant171 6etlesraisonsdecettedcision
nesontpasclairescestadedelarecherche.laMartinique,
lefluxd'anoblissementsembleavoirtassezsoutenujusqu'la
rvolteduGaoul,en1717,danslaquellefutimpliqueunepartie
deslitesdelacolonie 23.LaCouronnesemblealorss'trerefuse
anoblirdesMartiniquaispuislemouvementalentementrepris,
surtoutaprsl'occupationanglaisedel'le,desorteque,surles
27anoblis,16l'onttentre1762et1787afindes'assurerdeleur loyaut. Un
deuxime groupe tait form par les rejetonsde familles nobles
passsdel'autrectdel'Atlantique. Certainsl'avaienttraversen
raisondelarelativepauvretdanslaquellelesavaientjetsleur
situationdecadetsoulafaiblessedelafortunefamiliale.Maisla majeure
partiedes familles avait pour auteur un noble envoy comme
administrateur et surtout comme officier dans un rgiment de l'arme
oudansunecompagniedtachedelaMarine. Arriven Amrique continentale ou
dans les les, ils'y est mari, parfois avec uneCrole,
parfoisveuve,parfoismmeroturire 24,et,lorsqu'uneposition meilleure
ne l'attendait pas en France, ils'y esttabli, comme seigneur
enNouvelle-France,oucommepropritaired'unehabitationdans
lesles.Lanoblessedecesindividustaitparfoistrsbien
MmelepointilleuxBernardChrinn'arientrouvredire 18. Centre des
Archives d'Outre-Mer (CAOM), COL C11A 99/fol.87-89v, 12octobre
1753- 19. E. Hayot (1965) voque, pour la Martinique, lescas de
Claude Pocquet (en 1703), Michel Leyritz(1759) et Vincent Houel
(1775). 20. E. Hayot (1965) et L. Elisabeth (2003, p. 59). 21. E.
Hayot (1965, p.17). 22. L.Gadoury(1992)retientles
nomsdeRobertGiffard(1658),PierreBoucher (1661), Simon Denys de la
Trinit (1668), Jean Godefroy de Linctot (1668), Charles Le
Moyne(1668), Nicolas Dupontde Neuville(1669), Ren RobertCavelier
deLa Salle (1675), Nicolas Juchereau de Saint-Denis (1692), Charles
Aubert de la Chesnaye (1693), Jacques Leber (1696) et Franois
Hertel (1716). Elle ne retient pas Guillaume Couillard, qui a
reudes lettresdenoblesse ds1654 et dont lesfils enontreude
nouvelles en 1668, mais qui ne les ont apparemment jamais faites
enregistrer. 23. L. Abnon (1987, vol.I, p.212 etsuivantes). 24.
Pour la Nouvelle-France, voir L. Gadoury (1992). Outre-Mers, T.97,
N 362-363(2009) 44F.-J.RUGGIU l'ascendance des Gilbert de Voisins
de Lohac qui portaient le titre de comtedeCrapado
25.Ilsdescendaientd'unnoblehommeetsage matre Jean Gilbert
,correcteur en la Chambre des Comptesde Paris en 1483, et secrtaire
du roi avant 1487, ce qui qualifiait la comtesse de Lohac pour
treprsente la cour. D'autres nobles taient
bienplusrcente,maistoutaussiauthentiqueauxyeuxdela monarchie,comme
JosephClaude Raby,originairedeGrenoble,qui demande l'enregistrement
de ses titres en 1770 au Conseil Suprieur de Saint-Domingue et qui
tait le filsd'un secrtaire du roi etgreffier en chef de la
chambredescomptesdeDauphin ayant faitle servicede 1758 sa mort en
176926. Cependant la noblesse des membres de ce groupe tait parfois
plus discutable, surtout lorsque les fondateurs taient partis juste
avant que les enqutes de noblesse de la seconde moiti du xvne sicle
ne vrifientla validit de leurs prtentions. Ces familles
s'approchaient alors dutroisime groupe formpar lesdescendantsde
roturiersqui avaient russis'agrger, plusoumoins facilement,
ausecondordre local grce la carrire qu'ils avaient mene outre-mer.
C'est ainsi qu' l'le Bourbon, Jean-BaptisteDroman, petit-fils d'un
flibustierirlandais
arrivsurl'leen1706,peuttrequalifid'cuyerdanslaseconde moiti du xvme
sicle 2?.Les gnalogistes des ordres du roi,sollicits
pouruneplaceoummepourleshonneursdelacour,ontalors
souventmismaldeslgendesfamilialesimprudemmentportes
leurconnaissance.Les Laguarigue,unefamilledemilitairespasse
Saint-ChristophepuislaMartinique,constituentunexcellent exemple
deces noblesqui, endpitdeleurs effortsritrs, ne trereconnus quedans
l'espace colonial zS.Les colonies alors comme le lieu d'un
entre-deux o les anciennes voies de
l'anoblissementtaisible,caractristiquedelareconstructiondela
noblessefranaiseaprslaguerredeCentAns,maisquiavaient,
dansunecertainemesure,disparuaprslesenqutescolbertiennes, 25.
Bibliothque Nationale de France(BNF), Chrin 92, lettrecrite
Vergennes, le 16septembre1779:Cettefamilleestl'unedes
meilleuresdelarobe, estconnueet tablit sa filiation depuis 1483,
elle s'est constamment allie des familles de robe ou de
financesjusquepeuaprslemilieududerniersiclequ'elles'estpartageendeux
branches dont l'ane est restedans la robe adonn seulement deux
officiersmilitaires et aform une seule bonne alliance ;et la pune
connue sous la dnomination de comte de Lohacquifait le
principalobjetde cemmoireaprisle partidesarmes etafait plusieurs
bonnes alliances. 26. BNF, Chrin 167. 27. V. Garsany (1995, p.29).
28. BNF, Chrin 100, lettre crite par Bernard Chrin Sartine, le 30
novembre 1779: La famille de la Guarigue a fait depuis onze ans
plusieurs tentatives pour parvenir faire enregistrer ses titres au
conseil de la Martinique et ila t fait sur ses diverses productions
desmmoiresdontlesrsultatsonttqu'ellen'avaitdenoblesse
nid'extractionni d'attribution[...]qu'ellen'avait d'autres moyensde
passer dans l'ordredela noblesse que des lettresd'anoblissement
fondes sur le nombre et la considration de ses services et
effectivement cettefamille comptait ds1773 seize officiers[dont]
huitchevaliers de Saint-Louis . UNENOBLESSEATLANTIQUE ? 45
pouvaient encore tresuivies *9.Nous en verrons plusloin les sur la
conception mme de la notion de noblesse sous les deux
ultramarins.Enpleincurduxvmesicle,cesascensions en touscas, donner
une tournure particulire la noblesse
ultramarine,encorerenforceparlafrquencedesunionsentreles nobles et
les roturiers appartenant aux lites blanches 3. La faiblesse des
privilges nobiliaires Le flot des demandes de lettresde noblesse et
les efforts des agrgs aux titresplusou moinsdouteux
montrentquelanoblessetaitun
marqueursocialopratoiredanslessocitscoloniales 3i.Maisla nature de
cette noblesse tait-elle la mme qu'en mtropole ?Il en effet, que
les privilges qu'entranait la qualit de noble taient
modestesoutre-mer.En mtropole, lesnobles taient exemptsde la taille
personnelle, qui tait un signe indiscutable de roture, mais la
taille n'ajamaistprleve,nienNouvelle-France,nidanslesles.La
Nouvelle-France ne connaissait pas non plus la capitation, cre la
fin du xviie sicle, et qui tait leve en mtropole aussi bien sur les
nobles, quitaientcapits part, quesur lesroturiers. Dans leslesdu
Vent existait une capitation sur les esclaves et la qualit de noble
permettait d'treexemptmaispourdouzed'entreeuxseulement 32.Dans les
colonies, le faitde se dire noble, n'avait donc que peu, voire
aucune en
Nouvelle-France,consquencefinancire,cequiexplique,d'ailleurs,
quelamonarchieetlacommunautlocalenesurveillaientpasles prtentions
des individus avec autant de soin qu'en mtropole. S'ils n'en
apparaissaient pas moins dsirables ets'ils pouvaient tre l'enjeu de
conflits que les autorits coloniales cherchaient rgler d'une
manirecohrente 333lesprivilgeshonorifiquesattachslaqualit 29.
L'exemple du chef du Bureau des Colonies partir de 1764, Jean
Dubuc, analys dans J.Tarrade (1972, tome1,pp. 208-211), va dans le
mme sens. Voulant aller au-del d'un anoblissement coutumier aux
les,ilobtient, enmtropole, d'aborddes lettresde confirmation de
noblesseen1769 puis,en1782,malgr les rticencesdeChrin, des
lettresdu roireconnaissant la parent de sa familleavec celle, d'une
noblesse ancienne, des Dubuc de Normandie. 30. Pour la Nouvelle
France, voir L. Gadoury (1992). 31. Ils contredisent la remarque du
gouverneur de Saint-Domingue, Larnage :Les
privilgesetdistinctionsne sont pointl'attraitde nos colons...Chacun
nepense qu' gagner, ft-ce et surtout au dtriment du voisin ,cit par
C. Frostin (1970, p. 452). 32.
LeprivilgeataccordpourlapremirefoisparAlexandredeProuville,
marquisde Tracy, dans son rglement de 1663 - L. Abnon (1987,
vol.I,p.43) prcise que s'y ajoutait alors l'exemption du droitde
poids, c'est--dire le paiement la d'Occident de 1% de la valeur des
marchandises expdies en France). L'exemption de la capitation at
confirme par la suite. 33. Par
exemple,en1733,lasuited'unequerelledeprsance,lesofficiersdes
troupes, dont certains n'taient d'ailleurs pas nobles, et les
gentilshommes de la colonie, qui n'taient pas officiers, obtinrent
ainsi le droit de plaider devant la cour l'pe au ct. Les
administrateurs de la colonie indiquent qu'ils avaient demand une
autorisation du Outre-Mers, T. 97, N 362-363(2009) 46 F.-J.RUGGIU
noble taient galement peu nombreux dans lescolonies 34.La
destitres, par exemple, y tait imparfaitement tablie puisque les
nobles titrs, c'est--dire ceux dont le titre de baron, vicomte,
comte ou duc, tait li une terreofficiellementrige en fief par la
Couronne, s'ilsn'taientpasinconnus,taientrares
35.Enfin,lepouvoirroyal sembleavoir envisag que ces rares privilges
puissent tre retirsaux noblesultramarins,commel'indiquel'ordonnance
duIerseptembre 1768sur lesmilicesdans leslesdu Vent.Elle prciseque
les dont les titres auraient t enregistrs, qui ne seraient pas dj
officiersdans la milice etqui refuseraientde servir dans la
compagnie de l'arrire-ban, spcialement cre pour eux, seraient tout
simplement privs de leurs privilges 36.
Enoutre,lanoblessedescoloniestaitdgagedecertainesdes contraintesqui
pesaient sur la noblesse mtropolitaine, en particulier en
matirededrogeance.L'dit dertablissement delaCompagnie
desIslesdel'Amrique,enfvrier1635,avaitprcis qu'entrerdans
l'associationnediminueraitenriendecequi estdeleur noblesse,
qualits, privilgeset immunits 37.L'dit du15 avril1684 autorisait
les nobles descolonies pratiquer sans droger le commerce de dtail
etnon passeulementdegroscequ'avaitdjaccord lanoblesse franaise
l'dit colbertien du mois d'aot 1669 38.En Nouvelle-France, les
nobles de la colonie n'ont pas hsit, lorsqu'ils en avaient la de
pratiquer la traitedes fourrures, soit dans les mmes conditions
quelesroturiers, soit commeuneactivit drivedeleur positionde chef
d'un poste dans le Pays d'en Haut 39.Certains s'abritaient derrire
roi pour que ce
privilgesymboliqueetprcieuxsoitrservauxgentilshommes dont les
titresde noblesse seraient enregistrsau conseil ou qui les
feraientapparatre sur le champ . CAOM, COL C11A 59/fol.106-107V,
4octobre 1733. 34. Les nobles conservaient le privilge d'avoir la
ttetranche au lieu d'tre pendus (E. Hayot, 1965, p. 21). 35.
E.Hayot(1965)arelevl'existenceenGuadeloupedetroismarquisats(de
Houelbourt ;deBrinon
;deSainte-Marie),d'uncomt(deLohac)etdedeuxfiefs nobles(Saint-Louis
;d'rnonville) ;d'une vicomte (de Manoncourt)et d'un fief noble (de
La Calle) la Martinique ;d'uncomt rig en1705 enfaveurde l'ancien
Josephde Galliffet, mais qui mourut sans postrit ;d'un phmre comt
cr en 1685 Cayenne. En Nouvelle-France, Franois Berthelot a obtenu
l'rection en comt de l'le Dorlans (sous le nom d'le Saint-Laurent)
ds 1676, puis la seigneurie de Portneuf a t rige en baronnie
en1681au profit de Ren Robineau (P.-G. Roy,1920, vol. I, pp. 95
etsuivantes),comme,en1700,celledeLongueuilauprofitdeCharlesLeMoyne
(DictionnaireBiographique duCanada
enligne;D.Racine,2005).Lesintendants Jean Talon etFranois de
Beauharnois ont bnfici d'unesemblable mesure, lepremier en 1671et
le second en1707 par l'rection en baronnie, sous le nom de
Beauville, de sa terre etseigneurie dePort Maltais (P.-G.Roy,1920,
vol.I,pp.147-148).Enfin,en1785, un noble canadien, Michel Charrier
de Lotbinire, fut fait marquis mais sans que le titre soit
affectune de ses terrespuisqu'elles taient alors sous domination
britannique (P.-G. Roy,1920, vol.II, pp.127-129). 36. E. Petit (191
1,p. 263, article XVI) 37.
M.L.E.MoreaudeSaint-Mry(1784-1790,vol.I,p.32).Unedisposition
rappele, ds l'article 2, dans l'dit tablissant la compagnie des
Indes Occidentales, les 28 mai, 11et31 juillet1664 (1784-1790,
vol.I,pp. 100 et suivantes). 38. L'dit de 1669 fut confirm par
l'dit sur le commerce de1701. 39. Voir entre autres,les travauxde
G. Allaire (1987). UNENOBLESSEATLANTIQUE ? 47 leurspouses pour
menerleursactivitscommercialesmmesipeu d'entre elles l'ont
faitaussi ouvertement que Jeanne-Charlotte Fleury- Deschambault,
pouse dePierreRigaud de Vaudreuil, La Nouvelle Orlans o son mari
fut gouverneur de 1742 17534. Enfin, un certain nombre de nobles
tablis au Canada possdaient des seigneuries, alors
quelaplupartdesnoblesdes les, ycomprisceuxqui,servantdans
l'administration ou l'arme, taient des planteurs qui, lorsqu'ils
taient rsidents,graienteux-mmesleurshabitations,cequin'tait
drogeant. Les activitsmcaniques demeuraientcependant
interditescomme s'enestaperuSbastienRenduPoulpry.Cedescendantd'une
famillebretonnemaintenuedanssanoblessed'ancienneextraction
en1669,avaitapparemmentpratiqu,prudemmentdissimulsous
unfauxnom,lemtierdemaonpeuaprssonarriveSaint- Domingue 41.Lorsqu'au
dbut desannes1740, ilprsenta sestitres pour qu'ils soient
enregistrs devant le Conseil Suprieur du Cap, il se heurta une
certaine rsistance, manifeste par le procureur gnral, il
dutsesoumettre deux enqutessuccessives au coursdesquelles les
tmoignages de sa drogeance furent examins et, en ralit, minimiss.
L'auteur du rapport conserv au Cabinet des Titres finit par
conjuguer la notion de noblesse dormante de Bretagne et un
raisonnement ad hoc, bti sur le faitque le sieur de Poulpry avait
travaill sous un faux nom, pour l'absoudre de sa drogeance prsume.
Enfin, la noblesse des colonies n'tait apparemment pas soumise aux
impratifs qui rglaient les successions en mtropole. Ainsi, les
relativement galitaires de la coutume de Paris, dont Colbert avait
faitledroitcommundel'espacecolonialfranais 423s'appliquaient
galement aux familles nobles 43.L. Elisabeth note, cependant, qu'
la Martinique, partir de la fin du xvne sicle, l'usage se
dvelopp[a] de ne diviser l'hritage que sur le papier, ce qui
rtablit une sorte de droit d'anesse , qui tait apparemment appliqu
par le groupe des planteurs
sansdistinctiond'ordreetquiaboutissaitla ventedespartsdela
propritfamilialel'hritierprivilgi 44.Lesdiffrencesentrela
jouissance de la noblesse en mtropole et dans les colonies taient
donc nombreusesetaboutissaienteffacerlesdiffrencesentrenobleset
roturiers. 40. S.White (2008). 41. BNF, Chrin 162. Le dossier date
de 1752. 42. ... sans que l'on y puisse introduire aucune autre
coutume pour viterla ,selon l'article 34 de l'dit des 28 mai,
11et31 juillet 1664 portant tablissement de la Compagnie des Indes
Occidentales, M. L. E. Moreau de Saint-Mry (1784-1790, vol. I, p.
109). 43. Sur la complexit des droitssuccessoraux nobiliaires en
mtropole, voir L. Bour- quin (1997)- 44. L. Elisabeth (2003, p.
48). Thibault de Chanvalon (1763) consacre une longue note
(pp.2-4)expliquerpourquoilepartagegalitaire,quientraneunedivisiondes
proprits, est prsent nuisible la colonie. Outre-Mers, T.97, N
362-363(2009) 48F.-J.RUGGIU L'attitude ambigu de la monarchie La
monarchiefranaisesembleavoirhsitsurlapositiontenir vis--vis des
nobles tablis dans les colonies. Elle a rapidement prcis
lesconditionsdanslesquelles lanoblessepouvaittrereconnue:les
chefsdefamillesdevaientprsenterleurstitresauprsduConseil
Suprieur(ouSouverain)dontilsdpendaient.Lesanoblis,etles
(rares)noblesdontlesterrescolonialesavaienttrigesenfief,
devaientgalementdposerlespapierslgitimantleursprtentions
auprsdecesConseils. La noblessed'outre-mer taitdonc,en forme par
les familles quiavaient accomplicette dmarche, qui les plaait sous
lecontrle du Conseil, mais aussi du gouverneur et de l'intendant
455et,au-del,desautoritsroyales 46.Ellespouvaient mmedemanderqu'un
tatdusecondordred'une colonieleursoit envoy,commel'atteste,pour
laNouvelle France,uncahier
1743,quicontientlesnomsdeceuxquiontobtenudeSa Majest des
lettres,titresetautrespicesqui justifientleur noblesse
dontlesfamillessontrsidentesenCanada,letoutenregistrau Conseil 47.
la fin du XVIIIe sicle, les autorits royales reconnatront mme une
spcificit des colonies en matire nobiliaire comme les Lettres
patentes du roi en forme d'dit concernant les anoblissements
danslesColoniesFranoises,& lespreuvesdeNoblesse fairedansle
RoyaumeparlesHabitantsdesditesColonies,quionttdlivres
Versaillesle24aot1782,etfacilitent,enparticulier, l'indispensable
prsentationdestitresncessairespourtreadmisdanslescoles militaires
48. Dans la seconde moiti du xvne sicle, la monarchie avait mme
fait une tentativepour fairenatre, unevritablenoblessecoloniale.Aux
originesdelacolonisation,l'ditdemars1642avaitainsiconcd
auxassocisdelaCompagniedesIslesdel'Amrique,lepouvoir
quasi-rgaliendefaireexpdierquatrebrevetsdenoblesse,dont
elledisposeraenfaveurdeceuxquioccuperontethabiteront
leursfraisquelques-unesdesditesIsles,sousl'autoritdela
etydemeureront pendantdeuxannesaveccinquante hommes aumoins
49.Danslespremiresdcenniesdurgnepersonnelde 45. Les intendants
semblent avoir eu la capacit, comme leurs homologues de dlivrer des
arrts de maintenue de noblesse. 46. A. F. J.Borel d'Hauterive
(1866, p.419)citeainsi une lettre du roidu 26 octobre 1744 qui
ordonne qu'aucune lettresd'anoblissement, de confirmation de
noblesse, de relief,desurannation
oudedrogeancedenoblesseetc.,nefussentenregistresaux
ConseilsSuprieurs des lessousle Vent,qu'aprsque son secrtaired'tat
auraitfait savoir de sa part qu'il trouvebon qu'on procde auxdits
enregistrements . 47. Le cahier indique l'originedelanoblesseetla
datelaquellelestitresontt enregistrs.CAOM, COL C11A
i2o/fol.4O7-4O9v. 48. BNF, Clairambault 930, f.152 et suivantes.
49. M. L. E. Moreau de Saint-Mry, article XII de l'dit
demars1642(1784-1790, vol. I, p.54). UNENOBLESSEATLANTIQUE ? 49
LouisXTV,lesintendantsdescolonies,devenuesroyales,semblent
avoirsouhaitaugmenter lenombredefamillesnoblesbienau-del
desdemandesindividuellesqu'ilspouvaientadresserauxautorits
royales.En1667,JeanTalon,intendantdelaNouvelle-France,a
ainsisuggrqueluisoientadresseshuitlettresdenoblesseen
blancafinqu'ilpuissehonorermotupropriolesmeilleurssujetsde
lacolonie 50.Dans leslesdu Vent, legouverneurCharlesdeCour- bon
si,en1680,puisl'intendantJean-BaptistePatoulet s2,quiavait t le
secrtaire de Jean Talon, ont formul des demandes identiques 53.
Ilsestimaient quel'octroi de la noblesse permettraitd'enraciner
dans lacolonielesindividuslesplusactifsetassureraitleurfidlitau
roi.En1710,unmmoireadresspar legouverneur gnraldesles
duVentJrmePontchartrainvoquaitmme,pourfixerles
plusrichesetlesattacher aux les la possibilit deles honorer par
deslettresdenoblesseaveclacroixdeSaint-Michel 54.En171 8,
lescolonisateursdelaLouisianedemandrentleurtourqueles premiers
risquer leurs biens et leurs vies pour la gloire de la France
reoiventdeslettresdenoblesseetdesseigneuries 55.Les
royalesn'ontpasdonnsuitecespropositionsde d'une noblesse coloniale,
qui risquaient de diminuer l'utilitdes sujetsainsi honors
5(S.Ilsallaient ainsidanslesensdecertains
comme,enNouvelle-France,JacquesRendeBrisayde Denonville
5?,oucommeIsaac dePas,marquisdeFeuquires, gnraldeslesdu Ventde171
71727,quivoyaientdans
unenoblessenombreuseunfoyerdetroubles.En1718,cedernier 50.
CAOM,COLC11A2/fol.355-359VjMmoirede Talonsurl'tatprsentdu Canada
(dat de 1667 par le catalogue) :Comme ce petit corps est trop peu
pourbiensoutenir,ainsiqu'ilyestnaturellementoblig,l'autoritdu
roi,etses intrtsen toutes choses, mon sentiment seraitde
l'augmenter de huit autres personnes choisies entre les plus
mritants et les mieux intentionnes, en laissant les noms en blanc
ainsi qu'il atfaitl'an pass (voir aussi L. Gadoury,1992 p.27,qui le
date de1669 dansle texteetde1667dans lesnotes).Il a renouvel sa
demandeun peu plus tard: CAOM, COL C11A 3/fol.49-53, Mmoire de
Talon sur le Canada, 1669:Huit lettres de noblesse enblanc,
s'ilplat au roi de lesaccorder, pour de ce nombre, avec ce qui est
en Canada, former un petitcorps qui s'attache plus fortementaux
intrtsde Sa Majest ainsi qu'il yestspcialement oblig . 51. Charles
de Courbon, comte de Blnac, gouverneur gnraldes Isles d'Amrique
de1677 fvrier1683et de juin1684 1690, demande, le 30 mars1680,
Colbert de dlivrer quatre lettresde noblesse aux habitantsqui
contribueraient l'achvement du Fort Royal, cit par E. Hayot (1965,
p.18). 52. Dictionnaire biographique du Canada en ligne. 53. L.
Elisabeth (2003, pp. 58-59) ;L. Chauleau, (1993, p.87). 54.
L.Elisabeth(2003, p.58).E.Hayot(1965, p.18)cite,pourlammeanne, un
mmoire pour l'augmentation des colons du directeur du domaine La
Brunelire, qui estime que leshabitants demeureraient dans lesles
s'ils ytaient engags par des charges, des occupations, des
honneurs, des prrogatives. 55. M. Giraud (tome 3,1966, p.202). 56.
MarcelGiraud prcisemmeque laCouronne a, cettepoque, prisposition
contre l'octroideconcessionsseigneurialesdanslescolonies, ycompris
enNouvelle- France et cite,entreautres, un mmoire de 1715
l'intention deClaude Ramezay ce sujet (CAOM, F 3 9, f.312 v.,
10juillet 1715). 57. Voir, par exemple, CAOM, COL CnA 8/fol.
129-159, 10 novembre 1686. Outre-Mers, T. j, N 362-363(2009)
50F.-J.RUGGIU
estalljusqu'proposerdeconsidrer,aumoinstemporairement,
lesnobleslienscommedeshabitantsquelconquesquidevaient
tresoumisauxchargescommunesetsesoumettrel'autoritdu gouverneur s8.
En fait,il apparat que les autorits royales n'ont pas voulu
favoriser la constitution de la noblesse en un corpssusceptible de
pesersur les dcisions de l'administration. Il estvrai quecette
politiquea vari. En 1672, le gouverneur Louis deBuade deFrontenac
fitainsi prterun sermentde fidlitaux troisordresde la
Nouvelle-Francelors de son arriveen1672,mais ilen futrprimand par
Colbert dansun texte voquant la ncessit de faire disparatre le
souvenir des tats gnraux. Or, en 1665, lors de son arrive la
Martinique, le gouverneur gnral Prouville deTracy avait, lui aussi,
fait prter un serment aux trois ordres duroyaume,etaux
membresduConseilSouverain 59etl'habitude semble s'en tre poursuivie
la prise de fonction de chaque lieutenant gnral 6o.En 171 6, le
gouverneur gnral de la Nouvelle-France, de Rigaud de Vaudreuil,
s'est d'ailleurs, son tour, interrog sur la
ncessitdefaireprterauxtroisordresdelacolonieunnouveau serment en
raison du changement de rgne, signe que le dbat n'tait pas clos
6l.Ce n'est que tardivement que la noblesse des les du Vent a
finipartreorganiseenuncorpssparmaisuniquementdansle
cadredelamiliceparl'ordonnanceduIerseptembre1768 62.La noblesse,en
tantque corps,n'a doncjamaistrouv outre-merle rle qu'elle a pu
jouer, par exemple, dans les assembles des pays d'tats de la
mtropole.La monarchiesembleavoirmmeplusieursreprises envisagde
nierl'existence mmedelanoblesseoutre-mer.Glosant une lettredu
Secrtaire d'tat de la Marine aucomte d'Ennery, gnral des les du
Vent, . Petit put dvelopper ainsi l'ide que les nobles des
colonies, s'ils avaient la mme qualit que les nobles de la
mtropole, ne pouvaient, en raison des circonstances particulires
qui y rgnaient,se prvaloir des mmesprivilges. Il affirmaitalors que
la premirequalitdes noblesdescoloniesestcelledecolons ;quele
principe, en vertu duquel un simple habitant a dans les colonies le
droit d'tre arm, estaussi celui qui ramne les nobles l'impossibilit
d'en tredispenss[duservicedelamilice] .Lesinstructionsofficielles
donnesen1777augouverneurgnralClaude Franois Amourdu 58. CAOM, C8 A
- 24,1718, f.181, 28 juin 1718, cit par G. G. Marion (2000, pp. 61
et
suivantes).Lesdifficultsposesauxgouverneursetauxintendantsparlesnobles
propritaires d'habitations, surtout lorsqu'ils exeraient des
commandements militaires, ont t relles. 59. M. L. E. Moreau de
Saint-Mry (1784-1790, vol.I, p.135). 60. P.R. Dessalle(1995, p.
389) et L. Chauleau (1993, p.88). 61. CAOM, COL 3DFC 5/n0287, 12
novembre 1716. 62. E.Petit(191 1,p.263)
(articleXVI):IIseratabliunecompagnie,compose uniquement de tous
lesgentilshommes, dont la noblesse aura tenregistreau conseil
suprieur, l'exception de ceux qui serviraientenqualit
d'officiersdans le corps de la milice. Cette compagnie portera le
nom de l'arrire-ban . UNENOBLESSEATLANTIQUE ? 51 Chariol, marquis
de Bouille, et l'intendant Philippe AthanaseTascher contiennent en
filigrane la mme ide 63. Une noblesse atlantique ? Aux yeux de la
Couronne, les nobles d'outre-mer n'taient donc pas rellement
constitus en un groupe spar de la socit. Le service de la milice,
si important dans les colonies ultramarines, qui taient aussi des
marches militaires, a contribu l'effet de brouillage. Au xvnesicle,
il sembleainsique lesgradesdans lamilice taientaussi bienconfrs aux
nobles qu'aux roturiers. Tous portaient l'pe au ct et semblaient
avoirintgrl'thosguerrierquicaractriselanoblessefranaise.Il n'est
donc pas tonnant que l'ordonnance de fvrier 1671, promulgue par le
gouverneur gnral de Baas, mette sur le mme plan les
demiliceetlesnoblesquantl'exemption desdroits decapita- tion 64.Ce
n'est qu' partir du dbut du xvme sicle que s'est dgage une prfrence
l'gard desnobles pour les grades de la milice 6s. Mais, pour les
lites coloniales elles-mmes, la noblesse laquelle ils aspiraient
semblait, de toute faon, ressortir un ensemble mal dfini d'honneurs
- les grades les plus levs de la milice ou la croix de Saint-Louis
66 que le service de la milice permettait justement 6? - que la
monarchie distribuait avec plus ou moins de largesse ses sujets
vivantssousdes horizons lointains pour les maintenirdans leur
fidlit. Les nobles ultramarins ne ressemblaient plus alors la
majorit des nobles mtropolitains encore attachs la notion d'ordre
etdonc de rupture avec les autres groupes de lasocit qu'elle
impliquait. Un mmoire canadien dat de 1725, et attribu [l'abb] Jean
Bob, illustre bien cette conception. Dsireux d'encourager la
dcouverte de 63. Elles prcisent :On ne connat gure d'autre
distinction que celle de la couleur et celle que donnent les
premiers places ;tous les tats y sont d'ailleurs confondus , cit
par E. Hayot (1965). 64. Et quant ceux qui se prtendent nobles,
enrapportantpar eux certificatde la Compagnie Paris, comme ils lui
auront certifi les titres de leur noblesse, ils jouiront des
mmesexemptionsdesditsdroitdecapitation quelescapitaines...,citpar
M. L.E. MoreaudeSaint-Mry(1784-1790,vol.I, p.215).Une
ordonnancedu29avril1705 prcise ainsi que les colonels de milice
jouiront des privilges des gentilshommes dans les les ;E.
Petit(1991, p.249). 65.
L.Elisabeth(2003,p.61)voqueainsiunelettredePontchartrain, datedu
14avril17063dans laquelle il souhaite que lesofficiersde la milice
soient nobles ;voir galement E. Petit (1911, p. 264), qui cite
l'article III des ordonnances du Ier octobre 1727
etdu16juillet1732,ainsiquel'articleXVIIdel'ordonnanceduIerseptembre
1768 ( Veut cependant samajestque lesofficiersayantservidans ses
troupesetles gentilshommessoient prfrs,autantqu'ilsera possible,
pourlesemploisd'officiers dans les milices ). 66. La croix de
Saint-Louis jouissait d'un prestige tout particulier dans
lescolonies. Voir A. Fauteux pour la Nouvelle France et Z.
Navarro-Andraud pour Saint-Domingue (2007, pp. 418-421). 67.
Voirdans E. Petit(1991, p.266),lesordonnances du roidu
IeravriletIer 1768 contenant rnumration des grces de sa majest
auxquelles les officiers des milices des colonies auront droit et
pourront prtendre. Outre-Mers, T. 97, N 362-363 (2009)
52F.-J.RUGGIU la mer de l'Ouest, il proposa que le roi fasse
publier dans la colonie que l'heureuxexplorateurqui
lareconnatraitsesfrais,recevraitla noblesses'iln'estpasnoble
,unbrevetdecapitaine,lacroixde Saint-Louis et une concession de dix
lieues carres sur la cte de la mer de l'Ouest. Le roidevait
galement promettre ses compagnons des rcompenses proportionnes
leurs conditions etleursmrites et consistant en lettresde noblesse,
croix de Saint-Louis, brevets
68.Nousretrouvonslammegradationchezleprocureur- gnral de
laGuadeloupe Jacques Germain Coquille (qui a lui-mme reu, plus
tard, des lettresde noblesse) et qui, en 1763, remarquait que les
croles ne sont point intresss, les honneurs les flattent davantage,
enleurdonnantdescommissions,desbrevets,deslettres,unbel
uniforme...onenferadesbonnestroupessurlesquellesonpourra compter
69.L'instrumentalisationde la noblessesicrment expose dansces
exemples atteste donc qu'elle n'tait pas, outre-mer, le signe de
l'appartenance un ordre mais plutt une rcompense qui honorait
profondmentsontitulairesanspourautantlemettrepartdela socitlocale
7.Le mmeraisonnement est l'uvredans biendes demandes
d'anoblissement de certainsgrandsplanteursliens. Laurent, tabli
Rivire-Pilote, en Martinique, capitaine de milice de son quartier,
etdont les filsservaient,l'un au Conseil Suprieur et deux autres
dans les mousquetaires du roi, demandait ainsi, au soir de sa
vie,augouverneur gnralFranoisdeBeauharnaisune telle que celles des
titres de noblesse ou la croix de Saint-Louis et E. Hayot, qui
rapporte ce cas, conclut raison que les deux sont quivalentes pour
ce planteur 7I. En ce sens, les Canadiens et les liens apparaissent
en phase avec certaines des rflexions thoriques menes au xvine
sicle sur la notion mme de noblesse dont l'historien amricain
JaySmith arcemment retrac le parcours intellectuel 72.Ils
anticipent,en pratique, la dmocratisation des honneursdontune srie
de penseurs, en particulier Cesare Beccaria ou Giuseppe Gorani, se
sont fait les thoriciens etqui a ensuite prsid, selon les termes de
l'clairante tude d'O. Ihl, l'inflation des mdailles, prixconcours
et autres mulations honorifiques si caractristique du xixesicle et
dont ressort au premier chef l'ordre de la Lgion d'honneur cr par
Bonaparte 73.Lesconditionssocialesspcifiquesquirgnaient 68. CAOM,
COL C11A 47/fol.5i5-5i7, 1725. 69. C. Schnakenbourg (1969, p. 58).
Les diffrentes conceptions autour de la noblesse selisent bien dans
les correspondances sur lesdemandes d'anoblissement. 70. Les
conceptions plus traditionnelles de la noblesse avaient bien sr
cours dans les les, comme le montre l'exemple d'Antoine Mercier, un
riche planteur de la Guadeloupe, qui fut anobli en 1779et qui avait
dans sa bibliothque un volume intitul Les Principes du Blason, sans
doute de Louis de Courcillon, abb de Dangeau (D. Bgot, 1996). 71.
E. Hayot (1965, p.25). 72. J.M. Smith (2005). 73. O. Ihl(2004
;2007). O. Ihl reconstitue la gense intellectuelle partir de la fin
duxvme sicle d'un management honorifiqued'Etat mais peut-tre est-il
possible d'en UNENOBLESSEATLANTIQUE ? 53 dansl'Atlantique
franaisontdonc euun rel impactsurles nobles franais qui y
rsidaient. Ils avaient galement une relation particulire l'espace.
Au xvmesicle,l'existencedelaplupartdesfamillesnoblesdu royaume
deFrance, l'exception des plus pauvres, taitmarque par
unerellemobilit.Lesofficiersmilitaires,enparticulier,se constamment
au gr de leurs affectations et de leurs campagnes. D'autres
familles oscillaient entre une rsidence urbaine, gnralement lie
l'activit professionnelle du chef de famille,surtout dans le cas
des magistrats, etune rsidencecampagnarde 7*.Certains nobles
desurcrot lacour etla capitale. Ils jouaient alorsun rle
d'intermdiaires entre leurs cercles provinciaux et le centre
politique et culturel de la monarchie etdonnaient ainsi une
dimension nationale lanoblesse.Les noblesquirsidaient
danslescoloniesn'taient pas diffrents, cela prs qu'ils devaient
raisonner une chelle qui n'tait pas celle d'un royaume terrestre,
mme vaste, mais celle d'un ocan. En l'absence d'une prosopographie
des noblesultramarins, ou mme des
litesadministrativesetmilitairesquiontservioutre-mer 75,ilest
difficiledesuivrelesdplacementsdesnoblesauseindel'espace
atlantique. Il semble mme que la plupart d'entre eux aient t,
attachs une seule colonie car la carrire qu'ils y menaient tait, en
fait,souvent lie un mariage et/ou l'acquisitiond'un foncier ce qui
entravait une ventuelle mobilit ultrieure. Certainsnobles
ontindiscutablement acquisune dimension atlantique comme Jacques de
Chambly, unofficier du rgiment de Carignan, dot dans la valle du
Saint-Laurent d'une seigneurie qui porte son nom, qui est pass de
la Nouvelle France en Acadie puis aux Antilles. Il a t nomm
gouverneur de la Grenade en 1679, puis de la Martinique en 1680, o
il dcde en 1687 y6-Les Le Moyne, une famille installedanslavalle
duSaint-Laurentetdont une brancheassura l'exploration
etledveloppement delaLouisiane, formentpeut-tre l'exemple le plus
frappant de ces familles impriales comme en la carrire d'un Antoine
Le Moyne de Chteauguay, mort en 1747, capitaine la Louisiane en
1703, lieutenant de Roi au fort Saint-Pierre, la Martinique, en
1727, gouverneur en Cayenne en Guyane en 1737,
et,enfin,gouverneurdel'Ile Royaleen1745 77.Louis Legardeurde
discerner les linaments dans les attendus des
lettresd'anoblissement dlivres en France ds le dbut du XVIIIe sicle
? 74. G. Aubert (2001) ; F.-J. Ruggiu (1997, pp. 167-168). 75.
Lestravaux se multiplient cependant ence sens. VoirC. Brasseaux
(2000)etles thses rcentes de
Z.Navarro-Andraud(2007)surSaint-Domingue, deC.Ronsseray (2007) sur
la Guyane et les thses en cours d'Alexandre Dub (McGill
University)et de ClineMlisson(Universitde Tours)
surlesofficiersdeplumede Louisianeoude l'ensemble de l'espace
imprial franais. 76. Dictionnaire biographique duCanada enligne ;M.
Langlois (2004, pp. 256-260). 77. CAOM, COL E 76 ; Dictionnaire
biographique du Canada en ligne(Pierre Le Moyne d'Iberville ;
Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville). Outre-Mers, T.97, N
362-363(2009) 54F.-J-RUGGIU
Repentigny,quiacommencsacarrireauCanada, oilestnen 1721,
offrepeut-treleparcoursleplusdiversifigographiquement. Entrdansles
troupesde la MarineauCanada, ila reu lacroix de
Saint-Louisen1762alorsqu'il taitcapitaine,puis,aprsun temps
d'inactivit,ilcommandeunrgimentRochefort-sur-Mer(1773), celui de
Guadeloupe (1775) puis celui de la Martinique (1780) avant de
devenir,en1783,gouverneurdestablissementsfranaisenSn- gambie ?8. Il
serait ais de trouver d'autres exemples d'une telle chez les Rigaud
de Vaudreuil, par exemple, mais le sens mme de ce
rayonnementdoittrediscutcarils'agitdavantaged'affectations
successives d'un mme individu, souvent clibataire ?9,ou de
diffrents individus appartenant la mme famille 8o,que d'une relle
volont de multiplier les ancrages au sein d'un espace contrl par la
France. La vie duchevalier JeanCharlesdePradel(1 692-1 764),arriven
Louisiane au milieu des annes 1710, nous semble un guide plus sr
des relations qui unissaient un noble ultramarin la mtropole, d'une
part, etaux autres parties de l'empire, d'autre part.Elle
nousest,d'abord,
connueparlacorrespondancergulirequ'ilaentretenueavecses parents
rests Uzerche,en particulier sa mre etson frrean,qui avait hrit de
l'essentiel du patrimoine de la famille selon les usages du
Limousin. Jean de Pradel a fait toute sa carrire militaire en
Louisiane, servantd'abordcommeofficiersubalternedanslespostesloigns
puis, partir de 1729, rsidant ordinairement la Nouvelle-Orlans et
montantdanslahirarchiedelacolonie.Sacorrespondancervle commentila
lentementconstruitun patrimoineparalllement ses activits
militaires, se livrant au commerce, exploitant une habitation et
acqurantdespropritsurbaines.Son parcourss'inscritalorsdans une
quadruple relation la mtropole. Il a eu besoin, surtout dans les
annes1730 et 1740, alors qu'il tait moins absorb par les servitudes
dela condition militaire etplusintresspar sonenrichissement de
l'aideconomiquedeson frreanquiluia expdides fonds, en particulier
pour acqurir des esclaves (p. 46), mais aussi des
marchandisesetdesouvriers(p.53,p.81).Ensuite,ila toujourst
dpendantdesautoritscentrales vis--visdesquelles ilsesituedans
l'conomie de la sollicitation indissociable de la nature encore
client- laire del'administration d'AncienRgime.La mtropole estaussi
le lieu de l'ducation de ses enfants, c'est--dire de ses
troisfilles, qu'il a laissesaux UrsulinesdeQuimperl 8l,puisdeson
fils,Charles,qui estentrdanslaMarine.IlatformRochefortet Toulon,
avant d'tre affect Brest au milieu desannes1750etde mourir 78. L.
Jore(1965, p.80). 79. L. Gadoury(1992, p.73)aainsi notque
surles91noblesclibataires qui ont quitt le Canada, 19 sont partisen
Louisiane et18aux Antilles. 80. Voir galement la familleLe Roi de
la Potherie dont le filsan taitau Canada quand le pre et le
filscadet servaient aux Antilles - L. Abnon (1987, vol. I, p.36).
81. L'ane yest mme morteen1761 l'ge de 30 ans. UNE
NOBLESSEATLANTIQUE ? 55 Saint-Domingueenjanvier1764
82.LechevalierdePradelsuiten cela le comportement d'une grande
partie des familles des lites dont les enfants ont form une part
importante des lves des
tablissementsd'ducationcommelecollgeoratoriende Juilly,au
norddeParis,ou l'coleRoyalemilitairedeSorze(dansl'actuel dpartement
du Tarn) 83.Enfin, il s'approvisionne en biens de surtout de luxe,
auprsdes marchands parisiensou des ports de province(p.189...). H
est donc naturel qu'il serende intervalles rguliers dans le
royaume,o ilsjourne de la fin de l'anne1720au
dbutdel'anne1722,dumilieude l'anne1727 l'automne1728, puis nouveau
de l'automne 1730 l't 1731, l't 1744, et, enfin, en
1750.JeandePradelestenrelationsd'affairesasseztroitesavec
Saint-Domingue, o ilexpdie une partie de ses productions, mais les
relationsqu'il entretientaveclesautrescoloniessemblent beaucoup
plus diffuses et elles ne sont pratiquement jamais mentionnes dans
ses lettres. Rsidant dans une colonie relativement pauvre, Jean de
Pradel semble avoir longtemps prvu de revenir s'tablir en mtropole
une fois sesaffairesfaites(p.75,p.123),maisils'yestfinalement
fixpour toujours. Comme lui, la grande majorit des nobles lis la
Nouvelle- Francevivaitdanslaprovincealorsqu'unepartieimportantedela
noblesse lienne, surtout de Saint-Domingue, habitait en mtropole en
particulier lorsquedes plantationsleur taient parvenues par mariage
ouparhritage 84.Cesfamillestaientlencoreinscritesdansune dimension
qui tait certes atlantique mais qui tait davantage bilatrale
-colonie/mtropole-querellementimpriale.Laspcificitdes nobles
ultramarinsreste, d'ailleurs, sur ce plan dterminer par aux
familles roturires de propritaires terriens, d'administrateurs ou
de ngociants. Au-del des dplacements individuels, l'Atlantique
franais a connu descirculations internesde famillesnobles plusou
moinssoutenues. Troisfluxpeuventplusparticulirementtreidentifis.Le
premier, rellementimportantcommelemontrelalistedonne ennote,est
celuiquiargulirementamendesnoblesdelavalleduSaint-
LaurentverslePaysdesIllinoisetlaBasse-Louisiane 8s.Certaines 82.
Jean de Pradel s'est mari au dbut de 1730 avec Alexandrine de La
Chaise, fille du directeur gnral de la Compagnie des Indes La
Nouvelle-Orlans. 83. Le Bourbonnais Henri Paulin Panon-Desbassayns,
envoyage enmtropole dans les annes 1780, traverse ainsi toute la
France pour rendre visite ses trois ans inscrits l'cole Royale
militaire de Sorze. Voir . Broglin (1978) ainsi que M.-M. Compre et
D. Julia(1984). 84. Entre autres exemples, voir celui dvelopp par
N. Bonnet (2000). 85. La confrontation des
listesd'officiersmilitairestablies par C.Brasseaux (2000) avec
celles de la noblesse franaise lie au Canada montre qu'ont servi un
moment ou
unautreauxIllinoisetenBasse-Louisiane,unouplusieursmembresdesfamilles
suivantes :Adhmar de Lantagnac, Ailleboust deCoulonge, Aubert
deGasp, Bizard, Boucher de Grandpr, Boucher de Nois, Charrier de
Lotbinire, Cloron de Blainville, Chaussegros de Lry, Coulon de
Villiers, Dagneau de Douville, Dazmard de Lusignan, Daneau de Muy,
Drouet de Richerville, Duplessis Fabert, Hertel de Rouville, de
Gannes, Outre-Mers, T.97, N 362-363(2009) 56 F.-J.RUGGIU
familless'ysontd'ailleursperdues.PierreGaspard,filsuniquede Gaspard
Adhmar de Lantagnac, auquel son preavaitassurd'une place de second
enseigne, au prix de grands effortsauprs des autorits
mtropolitaines,aainsi finipar dserter ennovembre1746.Franois Louis
Mariauchau d'Egly, tuen 1736, durant la guerre des Chicachas,
n'avaitqu'unseulfrre,LouisPhilippe,prtreetfuturvquede Qubec.
D'autres s'y sont installes dfinitivement comme les Boucher de
Grandpr, les Juchereau de Saint-Denis ou les Coulon de Villiers. Le
second grand flux,que P.de Vaissire avait dj identifi,est le dpart
de familles desPetites Antillespour Saint-Domingue partirde son
dcollage conomique dans le deuxime tiers du xvme sicle. Enfin, le
troisime mouvement est liaux transferts de territoire comme la de
Saint-Christophe, qui a entran une arrive des familles nobles
del'leenMartinique,etsurtoutcelleduCanada.Lesretoursen France aprs
la Conqute ont rcemment t tudis avec prcision par R.Larin(2008). Il
aidentifienviron 200personnes installes, pour l'essentiel,en
Touraine o lamonarchielesavait plusou moins
rsidence.Certainssesontcependantdirigs,ouontt affects,dans d'autres
parties de l'empiredessinant un destin de de l'outre-mer pour les
nobles d'origine canadienne dont une bonnepartiedpendaient,ilest
vrai,des TroupesdelaMarine.En 1767, les autorits britanniques
recensaient 79 nobles canadiens passs en France, dont 12 servaient
outre-mer. Trois ont t impliqus dans la tentativemalheureuse de
dveloppement de la colonie de Guyane 86et lesautresserpartissaient
laGuadeloupe 87,laMartinique 88, Saint-Domingue 89,enLouisiane
9,auxMalouines 91,l'le 92et mme Gore 93et Pondichry 94.Bien
d'autres nobles lis auCanada furentenvoys ultrieurement outre-mer
etfinirentpar y faire souche. Ainsi Louis Ren Boucher de
Boucherville, qui a t cadet dansles compagnies dtaches de la Marine
au Canada, qui est pass Juchereau, de La Barre, de La Corne (de la
Colombire), de La Ronde, Le Gardeur, Le
Moyne,LeVerrierdeRousson,LeMarchanddeLignery,deLisle,Loppinotde
Beauport, Linard de Beaujeu, de Lino, Mandeville de Saint-Lambert
(dont reste imprcise), Marin de la Malgue, Morel de La Durantaye,
La Mothe Cadillac, Marganede Lavalrie, Mouet de Langlade,
Pan,Pcaudy deContrecur, Petitd'li- villiers, Picot de Belestre,
Piot de Langloiserie, Rastel de Rocheblave, Renaud d'Avesnes
desMloizes, Robineau de Portneuf,Rocbert de La Morandire,de
Ramezay,Ruette d'Auteuil, Sabrevois, Saint-Ours Deschaillon. 86.
CharlesChaussegrosdeLry ;Louis ThomasJacaudeFiedmontetNicolas
Timothe de Noyelles.Voir R. Larin (2006) ;C. Ronsseray (2007) ;E.
Rothschild (2006). 87. Jean-Baptiste Branger. 88. Alexandre Ren
Dagneau de Douville. 89. Charles Antoine Taschereau. 90. Louis
Linard de Beaujeu et Louis Franois Picot de Belestre. 91. Antoine
Charles Denys de St-Simon. 92. Franois Marie Luc d'Albergati-Vezza.
93. Jean-Baptiste FranoisCharly dont l'appartenance la noblesse
restecependant discutable. Nous n'avons pas tenu compte de Jacques
Nol Fafard de Laframboise, qui est la Guadeloupe, mais
dontl'origine sociale est obscure. 94. Gilles Ignace Aubert de La
Chesnaye. Voir R. Larin et Y. Drolet (2008). UNENOBLESSEATLANTIQUE
? 57 en France aprs la guerre de Sept ans, et qui tait encore
enTouraine en 1767.Ilaensuitetfaitofficierdanslalgion, puisau
rgimentde l'le-de-France o il s'est install et o sa famille a
prospr 95. D'autres chourent, comme les deux fils de Philippe Marie
Ailleboust de Cerry, recenss enTouraine en 1767, mais que leur pre
russit faire nommer lalgion deSaint-Domingue, o
ilsdcdrent,apparemment sans hritier, peu d'annes d'intervalle 96.
Conclusion Au contraire de l'esclavage, le fait nobiliaire n'est
sans doute pas une dimension essentielle pour comprendre l'volution
des socits franaisesl'poquemoderneetleseffetss'ensont,detoute
faon,depuislongtempsestomps.Iln'endemeure pasmoinsqu'il
avaitunesignificationrellepourles habitantsdela valleduSaint-
Laurent, des les du Vent etdes lessous le Vent,etdans une moindre
mesure de la Louisiane, du Pays des Illinois, de l'le Bourbon, de
l'le de France, et de la Guyane.D'abord, la noblesse mtropolitaine
l'essentieldescadresdel'administration militairedescolonies et
d'une partiedel'administrationcivile.Ensuite,leslitesmergentes
localescherchrent entrerdans lesrangs de la noblesse et se faire
reconnatre en tant que nobles dans la colonie voire en mtropole.
Les anoblisparlettresfurentrelativementrares,maisnombreuxfurent
ceux qui russirent faire reconnatre localement qu'ils avaient le
droit d'arborerlesqualitsd'cuyeroudechevalieravantd'entamerun
processus complexe de reconnaissance auprs des autorits royales. Le
faitmme,cependant,quelesnoblescoloniauxparaissentenfoule
danslespapiersdesgnalogistesdesordresduroi,etparviennent souvent
leurs fins,c'est--dire recevoir les places qu'ils sollicitaient,
indiquequelpointilstaientinsrsdanslesecondordredu royaume de
France. Les caractristiques sociales qu'avaient cependant
forgeslesconditions particuliresdeleurexistenceetlesstructures
administrativesoriginalesdescolonies,commel'absencede fiscaux,
expliquent cependant qu'elles apparaissent, sous un
angle,commelesprcurseursd'unenouvelleapprochedela noblesse. Rsum
:Le concept europende noblesse estrarement utilis pour dcrire les
plus hautschelons dessocitsqui vivaient danslespossessionsimpriales
franaises l'poque moderne. Pourtant, la prsence de nobles en
Nouvelle-France ou biendans les Antilles franaises tait
parfaitement reconnue l'poque. Mais lesspcialistes
atlantiquen'ontsansdoute pasencoresuffisammenttudilesconsquences
95. CAOM,E43. 96. Dictionnaire biographique duCanada en ligne.
Outre-Mers, T.97, N 362-363(2009) 58 F.-J.RUGGIU sociales de cette
prsence dans un contexte gnral qui mettait, il estvrai, davantage
l'accent sur la richesse ou les possibilits d'ascension sociale.Cet
article rflchit donc sur le sens que pouvait avoir le fait d'tre
noble dans les diffrentes parties de l'empire franaisdurant lesXVIF
etsurtoutXVIIF sicles.Il montrequ'il yavait peude
diffrencesentrelesnoblesvivantenmtropoleetceuxqui taient
installsdans les colonies en particulier parce que la noblesse tait
strictement dfinie par la Couronne. Mais il tait certainement plus
facile de passer pour noble dans les colonies que dans la France
mtropolitaine et l'intgration de ces nouvelles familles dans le
second ordre du royaume tait aussi bien fonde sur leurrichesse que
sur la notionde mrite. Ainsi, le discours qu'elles
construisaientautour deleur noblessea, dansune certainemesure,
anticip les nouvelles dfinitions des liteslabores cettepoque
enmtropole. Abstract :Historians rarelyuse theEuropean concept of
nobility to describe the upper strataofFrench imprial societyduring
the early modem period. Andyet, the prsenceof Frenchnoblesin
NewFrance or intheFrench West Indieswaswidely acknowledged at
thetime.The social impact ofsuch noble lites, however, has notfully
been recognized by Atlantic historians because the gnerai context
emphasized wealth and social mobilityover lineage.This paper will
address thisgap byconsidering the social meanings of nobility in
several parts ofthe French empire during the seventeenth and
especialytheeighteenth-centuries.Itconcludesthattherewere
fewdiffrences betzveenFrench noblesliving inthemetropolisand
thoseinthecoloniesbecause the Crown strictly determined lgal
dfinitions of theFrench nobility. Nevertheless, it was certainly
easier to pose as noble inthecolonies than in metropolitan France
since the intgration of thse newfamilies inthe second order ofthe
realm was based upon their wealth but also upon their merits. The
discourses colonial lites constructed about their nobility
anticipated insome ways new dfinitions of lites elaborated inthe
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