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in Ronald Dworkin, dir. V. Zanetti, Ousia, 1998. (avec comité de lecture) Principes et politiques chez Ronald Dworkin Dans sa philosophie du droit, Ronald Dworkin met en place une distinction entre les principes et les règles qui a une importance déterminante pour le mode de fonctionnement du droit que l'auteur pense pouvoir saisir. Nous pensons pouvoir dire qu'elle occupe le centre de sa construction. Mais il est surprenant de constater une certaine ambiguïté de la critique à l'égard de la conception et de l'interprétation qu'il faut donner de ces deux instances que sont les règles et les principes. Nous tenterons ici, non pas de résoudre toutes les difficultés qui entourent cette distinction, mais au moins de les mettre en lumière et de les comprendre dans une perspective pratique. Ambiguïté, disions-nous. En effet, alors même que Ronald Dworkin présente sa position comme opposée au droit positif, certains interprètes n'hésitent pas à diminuer la distance qu'il y aurait entre elle et le positivisme juridique, voire à l'inclure dans cette conception. Il est également intéressant de comprendre cette distance que de comprendre les raisons de ces tentatives.
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Principes et politiques chez Ronald Dworkin

Mar 06, 2023

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Page 1: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

in Ronald Dworkin, dir. V. Zanetti, Ousia, 1998. (avec comité de

lecture)

Principes et politiques chez Ronald Dworkin

Dans sa philosophie du droit, Ronald Dworkin met en

place une distinction entre les principes et les règles qui a

une importance déterminante pour le mode de fonctionnement du

droit que l'auteur pense pouvoir saisir. Nous pensons pouvoir

dire qu'elle occupe le centre de sa construction. Mais il est

surprenant de constater une certaine ambiguïté de la critique à

l'égard de la conception et de l'interprétation qu'il faut

donner de ces deux instances que sont les règles et les

principes. Nous tenterons ici, non pas de résoudre toutes les

difficultés qui entourent cette distinction, mais au moins de

les mettre en lumière et de les comprendre dans une perspective

pratique.

Ambiguïté, disions-nous. En effet, alors même que

Ronald Dworkin présente sa position comme opposée au droit

positif, certains interprètes n'hésitent pas à diminuer la

distance qu'il y aurait entre elle et le positivisme juridique,

voire à l'inclure dans cette conception. Il est également

intéressant de comprendre cette distance que de comprendre les

raisons de ces tentatives.

Page 2: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

Certes, on reproche à Ronald Dworkin une vision trop

stricte du positivisme. Et il n'est pas suffisant de parler de

principes reconnus dans le droit pour être anti-positiviste.

Mais d'autres considèrent que cette opposition est très

stricte, comme J. W. Harris pour qui ce serait une

simplification abusive que de ne l'opposer qu'à une version

forte du positivisme. Selon lui, même une version nuancée du

positivisme resterait critiquée par Ronald Dworkin:

"Dans une autre version, - 'le critère positiviste modifié' -, un concept est légal ou bien

s'il est utilisé, ou bien s'il est employé dans la tradition des juridictions comme partie

intégrante de leurs raisonnements doctrinaux. (…) Une troisième vision, - 'le critère

antipositiviste' - rejetterait toute tentative de distinguer concepts légaux et concepts

moraux et politiques: toute notion morale qui sous-tend les institutions politiques

d'une communauté a une place dans une conception pleine de la loi. Une telle

conclusion découle, par exemple, de l'analyse des 'cas difficiles' que propose R.M.

Dworkin."1

Cette lecture suit davantage la présentation que

Ronald Dworkin fait de son propre travail. Nous sommes

toutefois amenée à nous demander s'il est pertinent de vouloir

l'identifier encore dans les termes du positivisme et du jus

naturalisme, et s'il ne convient pas de dépasser ce cadre pour

rendre compte de sa spécificité. Nous nous consacrerons pour le

moment à la lecture de la distinction des règles et des

principes, avant d'aborder ce second aspect à partir d'elle.1 Harris, J.W.: "Ownership of Land in English Law", in: NeilMacCormick and Peter Birks (éd),The Legal Mind,. Essays for Tony Honoré,Oxford, 1986, pp. 143 à 161., Harris 1986, p. 149. Nous reviendronsplus bas sur le bien fondé d'une telle lecture des liens entredroit, morale et politique.

Page 3: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

L'insuffisance de la règle

Ronald Dworkin présente le positivisme juridique

comme posant que la règle diffère d'un simple ordre en ce

qu'elle est normative. Cela revient à dire qu'elle promeut un

certain ensemble de conduites comme "standards". Faudrait-il

concéder que la règle est source unique du normatif et source

unique du droit ? La thèse incriminée est celle qui veut que:

"Le droit d'une communauté est un ensemble de règles particulières utilisées par

cette communauté directement ou indirectement afin de déterminer quelle conduite

sera punie ou imposée par les pouvoirs publics. Les règles particulières peuvent être

identifiées et distinguées au moyen de critères spécifiques, à l'aide de tests qui se

rapportent non pas à leur contenu mais à leur pedigree, ou bien à la manière selon

laquelle elles ont été adoptées et développées."2

Ronald Dworkin présente cette affirmation comme

faisant partie intégrante du positivisme, bien qu'il soit sans-

doute possible de formuler le positivisme avec plus de nuances.

Acceptons ces remarques, que nous n'entendons pas discuter

davantage, comme étant l'expression d'un pôle dont Ronald

Dworkin entend s'écarter. Cette première thèse va de pair avec

celle selon laquelle:

2 Dworkin, Ronald: Taking Rights Seriously, Cambridge, Massachussets, 1977,p. 17, Prendre les droits au sérieux, .traduction française Marie-JeanneRossignol et Frédéric Limare, révisée et présentée par FrançoiseMichaut, Presses Universitaires de France, Paris, 1995, p. 73.

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"Le 'droit' tient dans un ensemble de règles juridiques valides, si bien que si le cas

d'une personne n'entre pas clairement dans le champ d'application d'une telle règle

(parce qu'aucune ne semble appropriée ou parce que celles qui le semblent sont

vagues, ou pour quelque autre raison), alors on ne peut régler ce cas 'en appliquant le

droit'."3

C'est un thème bien connu. La validité d'une règle,

selon la conception positiviste, n'est pas fonction de son

contenu, c'est-à-dire de la pertinence des solutions qu'elle

propose. Elle est fonction de sa constitutionnalité, de sa

validité considérée dans les termes posés par Kelsen4. Nous

rencontrons ici ce qu'il est convenu d'appeler la "thèse de la

séparation": "La thèse de la séparation affirme qu'il est

possible qu'un droit valide soit grossièrement immoral. (…) Du

fait que loi et moralité ne sont pas en connexion nécessaire,

il ne suit pas que dans un système légal donné, le critère de

validité légale ne puisse pas être légal."5

3 Ibidem.4 "Le droit peut avoir n'importe quel contenu, aucun comportementhumain n'étant par lui-même inapte à devenir l'objet d'une normejuridique. (…) Une norme juridique est valable si elle a été crééed'une manière particulière, à savoir selon des règles déterminées etune méthode spécifique.", Kelsen, Hans: Théorie pure du droit, trad:Thévenaz, Henri, Neuchatel, 1953, p. 114.5 Ten, C.L.: "The soundest Thesis of Law", in: Mind, 88, 1979, p. 523-524. Nous renvoyons également sur ce point à la discussion trèsriche autour du problème du "droit nazi". C'est toute la questionque pose Radbruch de la limite de la validité de la loi, qu'on doitrespecter, même si son contenu est injuste, à moins que lacontradiction entre loi et justice ne soit poussée jusqu'àl'intolérable (Radbruch, G.: Rechtphilosophie, Götingen, huitièmeédition, 1973, p. 345). Voir également Höffe, Otfried: La justicepolitique. Fondement d'une philosophie critique du droit et de l'État, trad. Jean-Christophe Merle, Paris, 1991.

Page 5: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

Ce point pourrait être traité de façon plus nuancée

dans une présentation plus complète du positivisme. Quoi qu'il

en soit, à travers ce traitement quelque peu abrupt, nous

comprenons ce que vise Ronald Dworkin, à savoir cette

coïncidence accidentelle entre la loi et nos principes. On

retrouve en effet cette hésitation devant une telle vision du

positivisme chez Jules Coleman:

"Même si Dworkin a raison d'attribuer à Hart et au positivisme en général la

conception étriquée de la règle, la question reste de savoir si l'existence de principes et

de règles comme source de l'obligation légale oblige à abandonner les éléments les

plus essentiels de la version donnée par Hart du positivisme."6

Ronald Dworkin entend s'écarter de la résolution du

cas par le seul appel à la règle, considérée comme capable, de

par sa généralité, de prendre en compte tous les cas concrets

qui lui seraient soumis. Cette conception ne tient pas compte

de ce que le juge est appelé à trancher des cas où la règle ne

fournit pas de solution claire et univoque. L'ambiguïté se

manifeste trop souvent dans le droit. Dans ces cas, le juge

fait usage de ce que nous appellerions des "standards". C'est

là le point névralgique de l'attaque contre le positivisme:

"Dans leurs raisonnements ou leurs discussions au sujet des droits et des obligations

juridiques, tout spécialement lorsqu'il s'agit de cas difficiles où les problèmes avec ces

concepts semblent les plus aigus, les juristes font appel à des normes qui ne

6 Coleman, Jules: "Legal Duty and moral Argument" in: Social Theory andPractice, 5.1; summer 1979, p. 380.

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fonctionnent pas comme des règles mais opèrent différemment, comme des principes,

des politiques et d'autres types de standards."7

Telle est la cible visée. Revenons à l'opposition

centrale de cette étude, qui indique que le terme de "standard"

se divise en deux branches, principes (principles) et politiques (policies).

Dans une certaine mesure, ces deux sortes de standards peuvent

être traitées conjointement. Principes et politiques se

distinguent en effet de la règle par leur mode de

fonctionnement, et c'est en cela qu'ils ont un fond commun.

Cela justifie l'emploi du terme générique de "principe". Deux

niveaux de lecture se distingueront ensuite. Dans un niveau de

lecture général, le terme de principe restera synonyme de

standard, tandis que dans un second niveau, il désignera une

certaine sorte de standard. Ces mises au point prendront tout

leur sens lorsqu'elles seront confrontées à l'efficacité des

concepts dans l'application du droit. Il faut en faire une

lecture relativement précise pour souligner la force

d'adaptation à la diversité des conduites humaines que ces

concepts donnent au droit.

Modes de fonctionnement divers

Quels sont les modes de fonctionnement respectifs de

la règle et du standard ? La règle vaudra, nous l'avons déjà

souligné, comme point de repère à partir duquel distinguer la

spécificité des standards. Or une des caractéristiques de la

règle est de valoir selon le mode du "tout ou rien": ou bien la7 Dworkin 1977, p. 22, trad. p. 79.

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règle concerne le cas qu'il faut résoudre, et elle s'applique

alors sans exception ni limitation, ou bien elle ne le concerne

pas et elle est alors disqualifiée. L'exemple de règle que

privilégie Ronald Dworkin - car il permet de comprendre

aisément ce paradigme - est "pour être valide, un testament

doit avoir été signé par trois témoins"8. Cette formulation

donne au paradigme du "tout ou rien" une valeur mathématique

d'une éclairante rigueur: la présence de moins de trois témoins

ôte à la volonté toute valeur juridique.

Cette distinction entre règles et principes apparaît

dans la confrontation avec les exigences de la pratique, non

pas une pratique limitée aux seuls cas difficiles, mais une

pratique courante: "Mon objectif immédiat, cependant, est de

distinguer les principes, au sens générique, des règles, et je

vais commencer par rassembler quelques exemples de ceux-ci;

pratiquement n'importe quel cas pris dans un manuel d'école de

droit fournirait un aussi bon matériau."9

Un cas bien connu manifeste de manière privilégiée

l'intervention des principes dans la décision des juges; il

s'agit de Riggs v. Palmer (115 N.Y. 506, 22 N.E. 188 (1889)). Le

meurtrier de son grand-père peut-il en être l'héritier ? La

Cour ne s'en tint pas aux règles gérant cette situation mais

fit intervenir un principe qui mettait une limite à la validité

du testament:

8 Dworkin 1977, p. 24, trad. p. 82.9 Dworkin 1977, p. 23, trad. p. 80.

Page 8: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

"Mais la Cour poursuivit comme suit: 'toutes les lois et tous les contrats sont soumis, en

ce qui concerne leur mise en œuvre et leurs effets, aux maximes générales et

fondamentales de la 'common law'. Personne ne sera autorisé à profiter de sa propre

imposture, à tirer avantage de sa propre faute, à invoquer sa propre turpitude ou à

acquérir des biens du fait de son propre crime.' Le meurtrier ne reçut pas son

héritage."10

Henningsen v. Bloomfield Motors, Inc. (32 N.J. 358, 161 A.2d

69 (1960)) illustre également cette thématique11. Ici, non

seulement un principe vient s'opposer à une règle mais à

d'autres principes qui auraient poussé dans la direction de la

solution préconisée par la règle. C'est en quoi cet exemple

diffère du précédent et le complète. Ronald Dworkin relève

ainsi divers appels faits à des standards dans le jugement de

Henningsen v. Bloomfield Motors, Inc.. Parmi eux, nous noterons

une première affirmation qui serait favorable à Bloomfield

Motors, Inc.: "Nous devons garder à l'esprit le principe

général selon lequel, en l'absence de fraude, celui qui n'a pas

10 Dworkin 1977, p. 23, trad. pp. 80-81.11 Dans ce second cas, la question se posa de savoir dans quellemesure un constructeur automobile pouvait, par contrat, limiter saresponsabilité. Le plaignant, suite à un accident, dénonçait uncontrat de vente qui limitait la responsabilité du constructeur auremplacement des pièces défectueuses et réclamait des dommages. LaCour se prononça pour lui, en dépit du contrat, mais également endépit de certains principes qui auraient pu valoir dans ce cas. Laprésence d'un contrat soulève une difficulté car nous ne sommes plusalors tout à fait dans le cas d'un silence de la règle juridique (lecontrat aurait pu avoir cette valeur), mais d'une disqualificationde cette possible règle au profit d'un principe; les termes dujugement s'emploient donc à écarter ce contrat comme règle derésolution du cas. (Dworkin 1977, p. 25). Remarquons que cetteprésence d'un contrat ne poussa pas la Cour à concevoir ce cas commeun conflit entre une règle et un principe mais comme un conflitentre divers principes.

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choisi de lire un contrat avant de le signer ne peut pas après

coup se libérer des charges qu'il lui impose."12 Et, indiquant

une direction différente, et qui paraîtrait plus favorable à

Henningsen: (b) "Y a-t-il un principe qui soit mieux connu ou

plus profondément ancré dans l'histoire du droit anglo-

américain que la doctrine fondamentale selon laquelle les

tribunaux ne se laisseront pas utiliser comme instruments

d'iniquité et d'injustice ?"13

Le mode de fonctionnement du principe n'est pas le

même que celui de la règle. Le principe a une façon de valoir

plus indéterminée, plus large que celle de la règle. C'est

cette indétermination de son champ d'application qui fait sa

valeur opératoire. Il vaut pour des cas qu'il n'a pas prévus; à

l'inverse, il ne vaut pas toujours, même quand le cas pourrait

entrer dans son domaine de compétence. Mais ce n'est pas parce

que la solution qu'il préconiserait dans un cas n'est pas

adoptée qu'il est abrogé. Il reste comme en suspens de la

solution juridique, prêt à être appliqué dans un autre cas. Il

pourra de nouveau entrer en ligne de compte dans la résolution

d'un autre cas car cet abandon n'est pas définitif. Tout le

problème est bien évidemment de comprendre comment cette

suspension peut n'être que provisoire, comment le juge peut

décider de faire intervenir ou non un principe. Il y a là une

difficulté sur laquelle nous reviendrons. Elle demande en effet

de formuler une modalité d'application du droit qui résolve ces

12 Dworkin 1977, p. 24, trad. p. 81.13 Ibidem.

Page 10: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

conflits potentiels entre des règles et des principes, et entre

les principes eux-mêmes.

Les différences entre la règle et le principe

apparaissent donc avec netteté, par exemple dans le cas d'un

conflit entre plusieurs principes qui pourraient, chacun à

juste titre, intervenir dans la résolution juridique d'un cas.

Le principe a un champ d'application vaste, il n'est pas limité

à un type de cas: cette rencontre entre principes qui

pourraient valoir de façon simultanée est ainsi loin d'être un

cas isolé. Il n'est d'ailleurs pas problématique, soulignons-

le, que des principes entrent en conflit. Cela ne constitue pas

une critique de la notion de principe. En revanche, cela crée

un problème fonctionnel au sein du droit. Un conflit de

principes se résoudra par la prise en considération de leurs

poids réciproques. Cela permet de préciser encore la

distinction de la règle et du principe14. Reste bien sûr à

savoir ce qui détermine leurs poids réciproques.

En revanche, ces difficultés ne concernent pas aussi

directement la règle juridique. On passe, à son égard, d'une

validité absolue à l'invalidité absolue. La relativité est

étrangère au domaine de la règle, tandis que les principes

connaissent une évaluation plus souple. Il faut rattacher cette14 "Les principes ont une dimension dont sont dépourvues les règles:celle du poids ou de l'importance. Quand deux principes entrent enconflit (la politique de protection des acheteurs d'automobiles, parexemple, s'opposant au principe de la liberté contractuelle), celuiqui est chargé de résoudre le litige doit prendre en considérationle poids relatif de chacun d'eux. (…) cela fait partie du concept deprincipe que la question de l'importance ou du poids d'un principeait un sens.", Dworkin 1977, pp. 26-27, trad. pp. 84-85. Alors quecette même question ne fait pas sens à propos de la règle.

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différence au fait que les règles ne seraient pas tant à

évaluer sur leur contenu que sur leur mode d'édiction. Les

principes n'étant pas édictés, ils ne peuvent être évalués que

sur leur contenu15.

Entendus ainsi, les principes offrent au droit une

possibilité d'adaptation, et de nouvelles solutions, que la

règle seule ne lui offrirait pas. Cela posera évidemment la

question de la rétroactivité des décisions de justice, autre

point d'achoppement entre Ronald Dworkin et le positivisme.

Ainsi a-t-il été décidé, dans Henningsen v. Bloomfield Motors

Inc., que des deux principes en jeu, validité du contrat passé

sans fraude avérée et protection des automobilistes dont la

sécurité se trouve menacée par les abus des constructeurs, le

second avait le plus de poids. Nous aurions pu faire intervenir

dans cette discussion d'autres principes, comme l'importance de

la liberté de contracter ou le fait que les Cours ne doivent

pas devenir les chambres d'enregistrement d'une injustice. Ce

qu'il importe de souligner ici, c'est que la question se résume

à l'affrontement entre deux directions opposées, celle qui entend

15 Il peut arriver qu'une règle de droit valide, adoptée selon lesprocédures en cours, soit abandonnée en raison du caractèreinsatisfaisant des solutions qu'elle impose. Un exemple de cetteévaluation de la règle par son contenu est donné par Chaïm Perelman:une loi anglaise de la fin du XVIII ème qualifiait les vols d'unesomme supérieure à quarante shillings de "grand larceny" et lespunissait de mort. La règle aurait dû s'appliquer de façonmathématique, mais elle fut abrogée lorsque, en 1808, un vol de deuxcents shillings fut considéré comme un vol de trente-neuf shillings.Le contenu de la règle était donc refusé par les juges alors mêmequ'ils paraissaient l'observer mais la contournaient en fait aumoyen de fictions acrobatiques. Voir Perelman, Chaïm: Éthique et droit,Bruxelles, 1990, p. 628.

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protéger les individus et celle qui entend affermir les

contrats. Les principes ne sont rien d'autre que des directions

tracées vers une solution. Au droit de tracer son chemin avec

ces indications.

L'intérêt de cette solution est d'ouvrir à une

conception du droit qui se détache totalement d'un modèle

mécanique. Certes ce modèle a été depuis longtemps critiqué. En

effet, comme le souligne Jerzy Wroblewski, "aujourd'hui

personne ne croit plus en une application du droit purement

mécanique à la manière des positivistes du XIX ème siècle, de

la Begriffjurisprudenz."16 Mais Dworkin ne donne aucune valeur

à ce modèle, pas même celle d'un idéal impossible à atteindre.

Le droit parvient, dans cette conception, avec ses seules armes

qui ne sont pas réduites aux lois écrites, à régler tous les

cas, aussi divers soient-ils, qui lui sont soumis.

Il y a là un effort théorique qui nous demande de

penser une véritable autonomie du droit par rapport aux autres

sphères normatives et qui donne à penser le droit comme capable

de résoudre la diversité des situations humaines. Il est clair

qu'un tel effort dépasse le cadre américain dans lequel il a

été élaboré pour nous permettre de nous interroger sur notre

conception des normes juridiques et sur l'oscillation complexe

entre adaptabilité et rigueur.

16 Wroblewski, Jerzy: "L'interprétation en droit: théorie etidéologie", in Archives de Philosophie du Droit, tome XVII, Paris, 1972, p.51.

Page 13: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

Il convient de se garder d'une lecture qui

ossifierait la position dworkinienne. Ce n'est pas parce que

les principes sont envisagés du point de vue de leurs contenus

qu'ils sont traités du point de vue moral:

"Une fois que l'on a admis que les principes peuvent faire partie de la loi pour des

raisons qui ne reflètent pas la convention mais simplement parce qu'ils sont

moralement attrayants, la porte est alors ouverte à l'idée plus menaçante selon

laquelle certains principes font partie de la loi à cause de leur attrait moral, même s'ils

contredisent ce qu'a entériné la convention."17

L'erreur reviendrait à figer le principe dans une

forme telle qu'il n'est plus seulement appelé à s'appliquer

dans certains cas, mais qu'il doit être appliqué. Une telle

lecture manque la spécificité de cette conception parce qu'elle

confond le mode de fonctionnement du principe et celui de la

règle. Elle passe du "peut-être" à la certitude que le principe

interviendra dès qu'un cas pourrait entrer sous sa coupe.

Mais cette nuance, apportée par Ronald Dworkin lui-

même, ouvre la porte aux tentatives de réconciliation entre lui

et le positivisme, tentatives menées d'ailleurs uniquement par

les positivistes. C'est la lecture à laquelle est conduit C.L.

Ten: "La notion de principe légal que l'on trouve chez Dworkin

peut s'accorder avec le positivisme juridique, parce qu'il ne

souhaite pas affirmer que tous les principes moraux sont des

principes légaux (…)."18

17 Dworkin, Ronald: Law's Empire, Cambridge, Massachusetts, 1986, p.118, traduction française d'Élisabeth Soubrenie, L'Empire du droit,Presses Universitaires de France, 1994, p. 134.18 Ten 1979, p. 526.

Page 14: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

C.L. Ten essaie d'insérer dans la pensée de Ronald

Dworkin une disjonction entre le droit et la morale proche de

celle qu'opère le positivisme. Toute la difficulté de notre

position réside en ce qu'il y a bien une telle disjonction,

comme le montre la citation précédente extraite de Law's Empire.

Mais cette disjonction n'a pas le sens que veut lui donner C.L.

Ten. Ce n'est pas parce que Ronald Dworkin ne réaffirme pas

dans le droit tous les principes de la morale, que cette

affirmation qui se fait dans le droit peut être de l'ordre de

la rencontre fortuite. Certains principes doivent être affirmés

dans le droit. Mais nous verrons plus bas que leur contenu est

très spécifique et que la sphère normative que constitue reste

indépendante de la morale et de la politique.

La distinction entre principes et politiques

Venons-en à la division du terme générique de

principe, entendu pour le moment au sens général de standard,

en deux branches, celle des principes à proprement parler et

celle des politiques. Cette distinction ne doit pas être prise

au pied de la lettre: elle est souvent présentée de façon

académique, alors qu'elle est fonctionnelle. Elle a une valeur,

car elle permet de comprendre des situations, mais cela ne

demande pas, encore une fois, de la figer.

Les arguments politiques se définissent dans un cadre

social et historique. Dans ce cadre, la société se fixe des

buts (par exemple, le plein-emploi). Pour ces buts, il n'est

Page 15: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

pas impossible qu'elle en sacrifie d'autres. L'échelle de

valeurs proposée par ces arguments est par essence appelée à se

modifier en fonction des problèmes particuliers de la

communauté à un moment donné de son histoire. Il ne s'agit là

que de buts ponctuels. Les principes ont quant à eux une

dimension de justice qui appelle le respect19 et qui leur une

validité qui n'est plus simplement ponctuelle.

Il est frappant de constater que ces deux concepts,

"principes" et "politiques", sont présentés comme utiles mais

parfois interchangeables par leur auteur. À tel point que la

lecture que propose Kent Greenawalt, qui considère comme

problématique que ces deux instances puissent donner les mêmes

solutions dans certains cas, ne peut être considérée comme une

critique réelle ni efficace de cette distinction20 puisque

cette possibilité ne met pas en contradiction avec ce que

paraît en attendre Ronald Dworkin. L'auteur a lu les standards

19 Dworkin 1977, p. 22, trad. p. 29.20 Greenawalt, Kent: "Policy, Rights and Judicial Decisions", in:Cohen, Marshall, Op. cit., p. 88. Ronald Dworkin souligne même qu'ilvaut mieux mêler les deux sortes d'arguments dans un programmelégislatif, car ils peuvent se conforter l'un l'autre. Il seraitvain de les opposer terme à terme jusque dans leurs conséquences:"La justification d'un programme législatif un peu complexenécessite ordinairement les deux sortes d'arguments. Même unprogramme qui est principalement une question de politique, comme unprogramme de subvention pour les industries majeures, peutnécessiter un brin de principes pour justifier sa formeparticulière. (…) D'autre part, un programme fondé essentiellementsur les principes, tel un programme contre la discrimination, peutêtre empreint de l'idée que les droits ne sont pas absolus et qu'ilsne prévalent quand les conséquences en matière de politiques sonttrès sérieuses", Dworkin 1977, p. 83, trad. p. 155.

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à l'œuvre dans Henningsen v. Bloomfield Motors Inc. de la façon

suivante:

"Ainsi le standard selon lequel le nombre d'accidents de voiture doit être diminué, est

une politique, et celui selon lequel personne ne doit profiter d'un mal qu'il a fait est un

principe. La distinction peut s'effondrer si l'on interprète un principe comme

définissant un but social (c'est-à-dire le but d'une société dans laquelle personne ne

profite du mal qu'il a fait), ou si l'on assigne à une politique la signification d'un

principe (à savoir le principe selon lequel le but que se fixe cette politique est digne

d'être poursuivi) ou encore si l'on adopte la thèse utilitariste pour laquelle les principes

de justice sont des affirmations déguisées de buts (assurer le plus grand bonheur du

plus grand nombre). Dans certains contextes, la distinction joue un rôle qui disparaît

lorsqu'elle est ainsi réduite."21

Ronald Dworkin met en place cette distinction comme

étant, sous un certain angle, artificielle. Elle dépendrait

pour une part de la manière dont on présente les décisions

prises ou les buts arrêtés. Son "artificialité" relative n'est

pas signe de son inutilité et on s'écarte donc de la critique

de Kent Greenawalt. Sommes-nous proches de l'analyse des types-

idéaux weberiens que propose Maurice Duverger? Ce dernier

remarque que, des trois types de légitimité du pouvoir que

dégage Weber, aucun ne se rencontre à l'état pur dans la

réalité. "Weber insiste fortement que ces types de légitimité

se combinent presque toujours"22 Cela ne signifie pas que ces

notions n'ont pas une utilité ni une légitimité, (elles

permettent par exemple de montrer que même les autorités

21 Dworkin 1977, pp. 22-23, trad. p. 80.22 Duverger, Maurice: Sociologie de la politique. Éléments de science politique,(première édition 1973), Paris, 1988, p. 185.

Page 17: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

personnelles sont institutionnelles). Il en irait de même pour

la distinction qui nous occupe. Mais il n'en demeure pas moins

que son artificialité n'est pas complète et qu'elle ne peut pas

se dissoudre totalement : elle doit être conservée, et le jeu

qui rend possible cette modification n'est pas décisif. La

pratique la rétablit en fait. Elle n'est pas simplement idéale.

L'analyse que nous venons de retracer de la

distinction entre les règles et les principes est liée au

fonctionnement du droit dans les cas difficiles. Elle est

indissociable de la reconnaissance de certains cas comme "cas

difficiles", affaires délicates "où aucune loi explicitement

formulée dans les textes ne permet de trancher dans un sens où

dans l'autre"23. Ainsi la question de la pratique juridique se

voit-elle reconnaître la place qui lui revient dans l'édifice

proposé par Ronald Dworkin. Plus qu'un aspect problématique,

elle voit reconnue son influence sur la conception qu'il

convient de se faire du droit. En effet, Ronald Dworkin

n'envisage pas seulement de proposer une philosophie du droit:

il faut que cette philosophie permette au juge de savoir

comment il doit procéder et s'il a décidé correctement. Une

telle conception échappe à l'opposition stérile entre un droit

abstrait, qui serait celui de la règle, et un droit concret,

qui serait celui mis en œuvre dans la décision. Cette

opposition ne saurait être que néfaste puisque par elle

23Dworkin, Ronald: A Matter of Principle, Harvard University Press,Cambridge, Massachussets, 1985, p. 13, traduction française AurélieGuillain, Une question de principe, Presses Universitaires de France,Paris, 1996, p. 17.

Page 18: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

"l'unité de l'ordre juridique serait rompue"24. Mais de la même

façon, la rupture entre le droit et la théorie du droit est

elle-même mise à mal.

Aucune de ces deux ruptures ne saurait être reprochée

à Ronald Dworkin, parce que l'importance de la pratique est

pensée d'emblée dans ses retombées sur la validité de la

théorie proposée: "La question pratique de savoir si les juges

doivent prendre des décisions d'ordre politique dans les

affaires délicates rejoint la question théorique de savoir

quelle est la meilleure des deux conceptions de l'autorité de

la loi."25 Il est clair qu'une telle attention portée à la

pratique entraîne la réflexion non seulement vers des questions

spécifiques mais aussi vers une thématisation originale du

thème de la séparation des pouvoirs.

24 Ph. I. André-Vincent, "L'abstrait et le concret dansl'interprétation (en lisant Engisch)" in Archives de philosophie du droit,tome XVII, p. 135 et s., Paris, 1972, p. 135.25 Dworkin, 1985, pp. 17-18, trad. p. 23.

Page 19: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

D'où viennent nos principes ?

La distinction entre les règles et les principes au

sens générique d'abord, puis, au sein des principes, entre

principes au sens strict et politique, revêtira toute son

importance lorsqu'il s'agira de déterminer si le juge fait bien

d'innover dans certaines décisions, celles dans lesquelles il

ne se retranche pas derrière les seules règles existantes.

L'idée positiviste que le juge ne ferait qu'appliquer la loi

est, aux yeux de Ronald Dworkin, impraticable, nous l'avons

déjà souligné. Ainsi le juge dworkinien peut-il "innover" sans

prononcer pour autant des jugements rétroactifs.

Cette possibilité donnée au juge interviendra en

outre dans la définition du rôle politique qui lui est accordé.

La distinction que nous avons placée au centre de notre propos

donne alors la mesure de son utilité: "À mon sens on obtient

une juste appréciation du problème si on considère que, dans

les affaires délicates, les juges ont raison de fonder leurs

décisions sur des considérations de principe et non pas sur des

considérations de stratégie politique."26 C'est ici que nous

comprenons l'importance de la distinction entre les principes

et les politiques.

En raison de la conception que nous venons de

rappeler, Ronald Dworkin incarne, aux yeux de H.L.A. Hart, le

26 Dworkin, 1985, p. 11, trad. p. 14. Cf Dworkin 1977, p. 85, trad.p. 157 : "Je défends cependant la thèse selon laquelle les décisionsjudiciaires dans les affaires civiles (…) sont et doivent être, demanière caractéristique, fondées sur des principes et non sur despolitiques."

Page 20: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

"beau rêve" qu'il définit par antithèse de son double négatif,

le "cauchemar"27. Le cauchemar est l'expression de l'angoisse

face à la possibilité, pour le juge, de ne pas être seulement

intègre et compétent, mais de se mêler de créer des lois alors

que je lui demande simplement - est-ce simple ? - d'appliquer

la loi. Cette crainte s'exprime dans le reproche adressé par

les juristes américains à la justice de leur pays, à savoir "de

se comporter comme s'ils constituaient une troisième chambre

législative"28. Il va sans dire que Ronald Dworkin ne se range

pas de leur côté et qu'il va s'inscrire en faux contre la

position commune que résume avec clarté Hugh Collins:

"Cette théorie générale affirme la division naturelle des

responsabilités entre les divers organes du gouvernement.

En particulier, le devoir du législateur est, dans une

démocratie, de concevoir des lois qui assurent le bien

commun, et celui du pouvoir judiciaire est confirmer ces

27 Il s'agit du "noble dream" et du "nightmare" dont H.L.A. Hart metla thématique en place dans Hart, H.L.A.: Essay 4, "AmericanJurisprudence through English Eyes : The Nightmare and the NobleDream", in: Hart, H.L.A.: Esays in Jurisprudence and Philosophy, Oxford,Massachussets, 1983, p. 123 à 144. "Comme son antithèse, lecauchemar, il a de nombreuses variantes mais sous toutes ses formesil exprime la croyance, peut-être la foi, qu'en dépit des apparenceset en dépit même de toutes les périodes d'erreurs et d'aberrationsjudiciaires, on peut trouver une explication et une justification àl'attente partagée par tous les plaideurs de voir les jugesappliquer à leur cas la loi existante et de ne pas faire unenouvelle loi pour eux, même quand le texte de clausesconstitutionnelles particulières, de statuts ou de précédents connussemble ne pas offrir de guide pour le choix d'une directiondéterminée.", Op. cit., p. 132.28 Hart, 1983, p. 126.

Page 21: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

lois et plus généralement de confirmer le tissu

constitutionnel et la Règle de Loi."29

Pour Dworkin, les juges demeurent à distance du

politique et ne peuvent pas y entrer de plain-pied30. En effet

le domaine de la politique excède celui du droit et du juge qui

doit se soucier uniquement des principes. L'argument qui se

rattache à une politique (policy) a droit de cité en politique,

sans que cela fasse problème. Mais le juge devenu responsable

de la protection des droits de l'individu assume par contrecoup

un rôle politique, du moins dans la répartition démocratique

des rôles. Il se trouve même mieux placé que le politique pour

défendre ces droits31.29 Collins, Hugh: "Democracy and Adjudication", in: Neil McCormickand Peter Birks 1986, p. 124.30 "En fait, cependant, les juges ne devraient pas être et ne sontpas des législateurs suppléants et l'affirmation courante, selonlaquelle ils légifèrent dès lors qu'ils vont au delà des décisionspolitiques déjà prises par quelqu'un d'autre est trompeuse. Elle netient pas compte d'une distinction fondamentale en théorie politique(…). C'est la distinction entre les arguments de principe d'unepart, et les arguments politiques d'autre part.", Dworkin, 1977, p.82, trad. p. 155.31 Ce point fait problème par rapport au dogme démocratique de laséparation des pouvoirs. Soulignons toutefois qu'il ne va pas desoi, pour Ronald Dworkin, que confier cette tâche aux juges soitantidémocratique. "Demandons-nous si ce principe tient debout:trancher dans un cadre judiciaire sur des questions de principe (paropposition aux questions pragmatique), est-ce porter atteinte à ladémocratie ?", Dworkin, 1985, p. 24, trad. p. 30. Ici l'auteursouligne le fait qu'il entend "principe" par opposition à"politique" et non par opposition au mode de fonctionnement de larègle, c'est-à-dire dans son sens strict. Cette note est valablepour la suite de cette discussion, sauf indication contraire. Ilconteste la plus grande pertinence des hommes politiques à résoudreles questions de droits. Les principes, qui ont trait aux droits,doivent être considérés comme du domaine du droit plutôt que decelui de la politique. En outre, les législateurs sont soumis à des

Page 22: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

Quelle est la raison de cette intervention du juge

dans l'affirmation des droits des individus ? Pourquoi les

juges sont-ils plus efficaces que les hommes politiques ?

L'idée est la suivante:

"(…) je vois mal comment la recommandation expresse qui est

faite aux juges de trancher en fonction de considérations

politiques pourrait mener à des décisions plus

'conservatrices'. Le problème n'est pas que les juges

déchoient volontairement en prenant leurs décisions d'un

point de vue politique et non historique. Le problème est

plutôt que certaines interprétations qui sont dites

'historiques' sont nécessairement politiques. Si les

décisions étaient ouvertement prises sous un angle

politique, il se pourrait bien qu'elles aillent dans un

sens moins conservateur, et non pas plus conservateur.

Contraints de montrer que leur décision politique porte sur

les droits de l'individu et non pas sur l'intérêt général, les

pressions que ne connaissent pas les juges, Dworkin, 1985, p. 25,trad. p. 31. Cet argument n'est peut-être pas décisif, puisque laJustice n'est pas exempte de pressions depuis que les procès ont detels retentissements dans la presse. Ces points sont à rapprocher del'accusation de corruption que profère Ronald Dworkin contre laclasse politique dans son ensemble à l'occasion de la dernièrecampagne présidentielle américaine. Il considère que l'argent versépar les entreprises aux candidats des deux bords atteint des sommestelles qu'il limite leur indépendance et leur liberté. Dworkin,Ronald: 1996, "Dollars, corruption et slogans simplistes" in: Courrierinternational, n° 313, du 31 octobre au 6 novembre 1996.

Page 23: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

juges seraient nécessairement amenés à trancher d'une

manière plus libérale."32

Ce qui, dans le va-et-vient que l'auteur entretient entre le

discours théorique sur le droit et sa pratique, ne s'établit

pas sans un exemple.

Il s'agit du jugement rendu à propos de la

publication de Ladies Directory de Shaw. Les juges virent dans cet

ouvrage une corruption de la morale publique (soulignons que

cette considération concerne le bien général). Si l'on accepte

ce genre d'arguments, on laisse libre cours au conservatisme

des juges. En revanche, si l'on avait exigé d'eux l'existence

d'un précédent pour qu'un tel crime soit reconnu, et si, en

l'absence de tout précédent, on avait considéré qu'écrire un

tel ouvrage relevait d'un droit individuel, en vertu de ce

droit, Shaw n'aurait pu être condamné33. Dans ce cas,

l'obligation faite aux juges de n'innover qu'en matière de

décisions de principe aurait joué comme une force libérale.

Cette exigence aurait déjoué les tendances conservatrices des

juges.

L'exigence à laquelle se soumet le juge qui tranche

en conformité avec les conceptions présentées ici est une32 Dworkin, 1985, p. 29, trad. pp. 36-37. On voit bien ici commentles juges sont appelés à intervenir dans le domaine politique. Celane doit pas porter à confusion: leur intervention politique estconfinée à la défense des principes, et non des politiques au senstechnique du terme que nous avons déterminé. Il faudrait égalementlier cela à la thématique du changement des questions politiques quese pose une société et à l'articulation que fait l'auteur entre ledroit et l'histoire. Mais cette question excède notre propos.33 Dworkin, 1985, p. 29, trad. p. 37.

Page 24: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

exigence d'intégrité, dans un sens très spécifique qu'il ne

faudrait pas comprendre comme une qualité morale. En effet,

tout l'enjeu de la juste application du droit ne peut pas

reposer sur une qualité morale supposée du juge. Ce n'est pas

en ce sens que le juge est, chez Ronald Dworkin, "intègre et

compétent". Jean-François Niort et Guillaume Vanier relèvent à

cet égard la difficulté "d'une réponse vraie, unique, exacte"

aux cas difficiles, même s'il ne s'agit pas de trouver la

solution qui satisfasse tout le monde mais celle dont on puisse

comprendre qu'un juge la choisisse parmi les autres

possibles34. Françoise Michaut souligne le caractère

controversé de cette assertion, nécessaire pourtant dès lors

que l'idée d'un pouvoir discrétionnaire du juge est refusée35.

Cette exigence d'une bonne réponse donnée par le juge

est liée à notre thématique: la bonne réponse est "celle qui

répond le mieux à la double exigence qui s'impose au juge,

rendre la décision qui s'harmonise au mieux avec la

jurisprudence (ou le matériau juridique existant) et qui en

même temps présenter celle-ci (ou celui-ci) sous son meilleur

jour."36 Nous pouvons rattacher ce souci du "meilleur jour" à

l'exigence d'intégrité dans les jugements. L'exigence de la loi

comme intégrité se différencie pour Ronald Dworkin, de

34 Niort, Jean-François et Vanier, Guillaume: "Sur la théorie dudroit de Dworkin; de l'interprétation des principes à leurapplication aux cas difficiles", in Droits - Revue Française de ThéorieJuridique, tome 19, Droit et mœurs, Paris, 1994, p. 161 et s., p. 162.35 Michaut, Françoise: "Law's Empire de Ronald Dworkin", in: Archives dephilosophie du droit, tome 33, Paris, 1988, p. 113 et s., p. 116. VoirDworkin, Ronald: "Judicial decision", in: The Journal of Philosophy, vol.60, 1963, p. 624 et s.36 Michaut 1988, p. 117.

Page 25: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

l'exigence de pragmatisme, qui ne tient pas compte de la

cohérence qui doit être celle du droit. Mais le seul réquisit

de cohérence ne suffit pas à comprendre ni à mettre en place la

force normative du droit. Si le droit peut, à chaque décision,

à la fois réaffirmer son passé et ouvrir sur son avenir et sur

les nouveautés qu'il devra assumer, c'est précisément parce que

l'intégrité n'est pas une simple cohérence. Elle se soucie

aussi de l'avenir juridique. Elle établit un lien entre le

passé juridique et l'avenir du droit. Il y a là une tâche

herculéenne à accomplir, qui est au fond la tâche très

paradoxale de mettre le droit en situation de cohérence à la

fois avec son passé, mais également avec un avenir qu'il faut

d'ores et déjà préparer.

Nous comprenons bien que ce critère d'intégrité n'est

pas un critère moral: c'est un réquisit fonctionnel du droit

auquel le juge doit se tenir. C'est sous ce critère d'intégrité

que tous les conflits entre les principes et les conflits entre

des règles et des principes doivent trouver leur résolution.

Nous serions tentée de présenter ce critère comme le principe

de régulation de l'usage des principes, celui qui permet de

comprendre pourquoi ils ne valent pas toujours et pourquoi ils

entrent en jeu, lorsque c'est le cas.

Françoise Michaut considère que l'édifice ainsi bâti

vise à faire du droit "une quête de justice"37. Nous

ajouterions que cette quête de justice se dessine toute entière

à l'intérieur du droit, sans qu'un critère extérieur n'ait son

37 Ibidem.

Page 26: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

mot à dire. C'est la raison pour laquelle, à nos yeux, la

conception que propose Ronald Dworkin ne peut pas se rattacher

au droit naturel.

Alors quels droits avons-nous ?

La question est posée et nous l'abordons tardivement.

Il fallait lui laisser le temps de devenir inévitable afin que

son importance apparaisse clairement. Il faut identifier les

droits que nous avons. C'est bien cette problématique que

rencontre Conrad Jonhson, même s'il considère cela comme très

problématique: "Dans la mesure où elle est justifiée par un

principe, une décision en faveur de (disons) le plaignant,

confirme un droit préexistant qu'aurait le plaignant."38

La question est celle des droits que nous avons

puisque ces droits ont une existence indépendante de leur seule

reconnaissance juridique, ou même simplement de leur

reconnaissance sociale. Cette question est identifiable dans la

littérature juridique américaine sous l'angle de la "règle

d'identification"39. Comment reconnaître ce qui fait droit pour

nous ?

Il faut, pour comprendre la position de Ronald

Dworkin, revenir à celle de H.L.A. Hart, qui est celle à

laquelle il s'oppose. En résumé, et puisque ce n'est pas ici

notre seul objet, nous dirons que la "règle d'identification"38Jonhson, Conrad: "Legal and moral Change: Deriving Rights andDuties from the preexisting", in: Social Theory and practice, 5, n° 1,summer 1979, p. 306.39 Rule of recognition.

Page 27: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

que propose H.L.A. Hart s'appuie soit sur une validité

institutionnelle soit sur une pratique reconnue par le plus

grand nombre des citoyens40. Or, pour Ronald Dworkin, même si

la démocratie, en dépit de ses défauts, est sans doute le

meilleur régime politique, même le second ne saurait être

accepté. Les droits sont fondamentaux et il n'est pas

nécessaire que le droit ou la morale populaire les

reconnaissent pour que nous les ayons effectivement.

De là vient la tendance qui se rencontre dans une

autre partie de la critique à faire de la position dworkinienne

une position purement jus naturaliste. C'est par exemple la

présentation qu'en fait Paul Valadier: "On ne peut que se

réjouir de voir réaffirmés, selon des procédures qui s'imposent

sans doute dans le débat américain, des thèses très

heureusement classiques, au meilleur sens du terme, contre les

étroitesses positivistes."41 La volonté des uns et des autres

de faire de Ronald Dworkin un positiviste ou un jusnaturaliste,

au gré de leurs sympathies, paraît surtout indiquer

l'originalité d'une position qui ne se laisse pas comprendre

dans des cadres déjà existants. Il apparaît en outre que ces

tendances contradictoires ne se justifient que par une lecture

partielle de l'œuvre de cet auteur. Il est clair qu'il ne se

réclame pas du positivisme; de là à faire de lui un

jusnaturaliste est une simplification à laquelle nous ne

souscrivons pas.

40 Coleman 1979, p. 382.41 Valadier, Paul: "Taking Rights seriously de Ronald Dworkin", in: Archivesde Philosophie, janvier-mars 1997, tome 60, cahier 1, p. 164.

Page 28: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

Revenons-en à la distinction qui nous occupe. Ce sur

quoi, fondamentalement, elle repose est une affirmation d'un

droit, celui que nous avons tous à "une égale considération et

un égal respect". D.W. Haslett voit bien à quel point cette

affirmation est la pierre angulaire de l'édifice: "Plutôt que

de découler de sa théorie générale, ce droit est pour Dworkin

si fondamental que sa théorie générale, pour ainsi dire,

découle de lui."42 Et en effet nous ne saurions trop insister

sur ce point, cette affirmation qui amène Ronald Dworkin à

corriger l'utilitarisme en fonction de ce droit à un égal

respect43 pour en donner une version compatible avec la morale.

Nous sommes donc en présence d'une théorie du droit

qui, à la fois, reconnaît des principes, et les affirme

fortement, mais qui n'en reconnaît pas moins un droit à la

pluralité des genres de vie, ce qui est une synthèse réellement

forte et originale44. Mais cette affirmation, dans la mesure où42 Haslett, D.W.: "The general Theory of Rights" in: Social Theory andPractice, 5.1, summer 1979, p. 430.43 Haslett 1979, p. 429. Cette discussion entre Ronald Dworkin etl'utilitarisme est trop longue et trop lourde de conséquences pourque nous puissions ici en rendre les termes exacts. Soulignons qu'ilpropose une correction de l'utilitarisme des préférences pourassurer toujours un égal respect et une égale considération àchacun. Ainsi ce principe revient-il encore, et manifeste-t-il savaleur fondamentale. Nous renvoyons pour une attaque serrée àl'article de Hart H.L.A.: 1984, "Between Utility and Rights", inCohen, Marshall, 1984, p. 214 et s.44 "Dans son important et récent article, 'Liberalism', RonaldDworkin a affirmé que le libéralisme est une théorie moralecohérente et valide, marquée par l'interprétation qu'elle donne del'idée morale fondamentale selon laquelle il faut traiter lespersonnes comme égales. Selon cette idée, la moralité politiquefondamentale repose sur une théorie neutre du bien des personnes,compatible avec la grande pluralité des styles de vie, et le droitle plus fondamental des personnes est leur droit à une considérationégale et à un respect égal, compatible avec un tel respect pour

Page 29: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

nous avons montré comment le juge tranchait en fonction de

principes propres au droit, et, en définitive, en fonction d'un

principe d'intégrité qui est avant tout fonctionnel et non pas

moral, empêche, en dépit des tentations qu'on pourrait en

avoir, de faire de Ronald Dworkin un jus naturaliste. Des

principes peuvent s'affirmer dans le droit sans qu'il faille

les rattacher à un autre ordre normatif.

Conséquences de cette distinction

Dans ce cheminement à travers l'œuvre de Ronald

Dworkin, nous avons voulu montrer l'importance d'une clef

d'entrée telle que la distinction entre les principes et les

politiques. Elle nous semble en effet permettre, de proche en

proche, de souligner la structure éminemment cohérente de cet

édifice en même temps que son originalité.

Car la lecture de cette distinction centrale remet en

cause dans un premier temps les liens qui peuvent exister entre

le droit et la morale. La question est vaste, certes, mais nous

retiendrons de cette lecture que les principes dont il s'agit

ici ne prennent fondamentalement pas un sens moral mais restent

internes au droit. Ce point paraît décisif dans la mesure où il

s'agit ici de penser la force d'adaptation du droit, sans cesse

confronté à des questions nouvelles. Or à ces questions

tous, lorsqu'ils définissent leur propre vision de la vie bonne.",Richards, D.A.J.: "Human Rights and moral Ideals: An Essay on theMoral Theory of Liberalism", in: Social Theory and Practice, 5.1; summer1979, p. 461.

Page 30: Principes et politiques chez Ronald Dworkin

nouvelles, le véritable enjeu du juridique est de trouver une

solution qui soit entièrement élaborée à partir d'un matériau

déjà existant. Et ce matériau doit lui être propre.

L'intérêt profond de cette notion de principe est la

souplesse avec laquelle elle intervient dans l'élaboration de

la solution, souplesse qui, cependant, ne lui ôte pas une

rigueur indispensable dans le domaine juridique. C'est ce que

le principe d'intégrité permet de souligner.

Ainsi le rôle du juge se trouve-t-il à la fois mieux

défini et étendu par rapport au domaine du politique. Mais nous

serions tentée de souligner plus encore les conséquences de ses

analyses pour l'ensemble de l'édifice juridique. Elles

permettent de comprendre réellement la cohésion du droit et la

possibilité qu'il a de s'adapter à tous les cas que la pratique

humaine peut venir lui soumettre. Et cette rigueur qui n'est

pas rigide est rendue possible par la double articulation des

règles et des principes en leur sens général d'une part, des

politiques et des principes en leur sens particulier d'autre

part.

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