POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE. Un musée de société sans ethnologue ? Les métiers du patrimoine au Musée Basque et de l’histoire de Bayonne. Rapport de recherche pour le Département du pilotage de la recherche et de la politique scientifique, Ministère de la Culture et de la Communication. Par Cendrine Lagoueyte (post-doctorante en ethnologie, UMR5185 ADES, Université Victor Segalen Bordeaux 2) Mars 2012
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POUR UNE ETHNOLOGIE DES MÉTIERS DU PATRIMOINE.
Un musée de société sans ethnologue ?
Les métiers du patrimoine au Musée Basque et de l’histoire de Bayonne.
Rapport de recherche pour le Département du pilotage de la recherche et de la politique
scientifique, Ministère de la Culture et de la Communication.
Par Cendrine Lagoueyte (post-doctorante en ethnologie, UMR5185 ADES, Université Victor
Segalen Bordeaux 2)
Mars 2012
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Remerciements
A Mme Sophie Chave-Dartoen, à Mr Bernard Chérubini et au Professeur Abel
Kouvouama, responsables scientifiques.
A Christine et Bertrand Delage.
A Mr Rafael Zulaika, directeur du Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne, et à Mr
Joseph-François Kremer-Marietti, directeur du Musée régional d’anthropologie de la
Corse, ainsi qu’à leurs équipes respectives.
A tous ceux qui ont participé à cette recherche, partenaires et publics du Musée
Basque et du Musée de la Corse.
Recherche financée par le Département du pilotage de la recherche et de la politique
scientifique du Ministère de la Culture et de la Communication et le Conseil Régional
d’Aquitaine.
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Une pensée pour le Professeur Pierre Bidart qui a encouragé ce projet de recherche.
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SOMMAIRE
INTRODUCTION 9 La question de départ 10
Qu’est-ce qu’un musée de société sans ethnologue ? 10 Le Musée Basque et de l'histoire de Bayonne (Musée Basque) 11 Les métiers du patrimoine 12
Les hypothèses 14 Axes de recherche et méthodologie 14 Une visée comparatiste : le Musée de la Corse. 17
CHAPITRE 1. LE PATRIMOINE DU MUSEE BASQUE : CONTRAINTES ET OPPORTUNITES D’UNE INSTITUTION COMPLEXE. 19 1. L’histoire du Musée Basque 20
1.1. La genèse du Musée Basque (de 1897 à 1922) 22 1.2. Le Commandant William Boissel (directeur du musée de 1922 à 1955) 24 1.3. Jean Ithurriague (directeur du musée de 1955 à 1960) 29 1.4. Jean Haritschelhar (directeur du musée de 1962 à 1988) 29 1.5. Olivier Ribeton (conservateur du musée depuis 1988) 40 Portrait : Olivier Ribeton, conservateur 41
1.5.1. La fermeture du Musée Basque 42 1.5.2. La réouverture du Musée Basque en 2001 46 1.5.3. L’audit 47
1.6. Rafael Zulaika (directeur du musée depuis 2007) 50 Portrait : Rafael Zulaika, directeur - manageur culturel 50
1.6.1. Les « évènements » depuis 2007 56 2. L’organisation du Musée Basque en 2011 57
2.1. Le Syndicat Mixte : nouvelle autorité de tutelle 57 2.1.1. La politique culturelle de la Ville de Bayonne 57 2.1.2. Une Agglo sans compétence culturelle 63 2.1.3. Le Conseil Général 64
2.2. Un musée labélisé Musées de France 65 2.3. L’équipe du Musée Basque en 2011 66
2.3.1. L’organigramme 66 2.3.2. Deux sites pour une dichotomie spatiale et mentale 67 2.3.3. Une vue à court terme 68 2.3.4. Les activités du Musée Basque en 2011 68
CHAPITRE 2. LE PARCOURS DE L’OBJET OU LE TRAVAIL SUR LES COLLECTIONS 70 Portrait : Jacques, attaché de conservation 70
1. Enrichir les collections : les acquisitions 74 1.1. Les Commissions d’acquisition de la DRAC 75 1.2. Les critères d’acquisition du Musée Basque 76
2. Protéger les collections 87 2.1. La conservation préventive et curative 88 2.2. La restauration 89 2.3. La régie des collections 90 Portrait : Alain, régisseur des collections 90
3. Connaitre les collections 94 3.1. Récolement et numérisation de l’inventaire 95 Portrait : Marie, chargée de mission de récolement 95 3.2. La documentation des collections et au-delà 98
4. Présenter les collections aux publics 102 4.1. Concevoir une exposition 103
4.1.1. L’exposition permanente 103 4.1.2. Les expositions temporaires 112
4.2. Monter (et entretenir) une exposition : le volet technique. 114 Portrait : Christian, régisseur technique 115 Portrait : Philippe, menuisier 119
5. Présenter l’exposition au public : la médiation 120 5.1. Le Service des publics 120 Portrait : Maud, responsable du service des publics 120 5.2. L’éducation au patrimoine 123 Portrait : Mano, professeure relais 123 Portrait : Géraldine, animatrice culturelle 128 5.3. L’accueil du public et même un peu plus 134 Portrait : Argitxu, agent d’accueil et renfort médiation 134 5.4. La surveillance 135 Portrait : Xalbat, agent d’accueil et de sécurité du musée / gardien 135
CHAPITRE 3. LES AUTRES ACTIVITES DU MUSEE 139 1. La gestion administrative et financière du Musée Basque 139
Portrait : Ghislaine, responsable administrative 139 Portrait : Anne-Marie, adjointe à la responsable administrative 143
2. La direction du Musée Basque 145 2.1. Le budget 145 2.2. Le mécénat 148 2.3. Le partenariat 149 Portrait : Jean, responsable de la communication et des partenariats 149 2.4. L’évènementiel pour renouveler l’attractivité du musée 153
2.4.1. Le premier partenaire du musée est la Ville de Bayonne. 154 2.4.2. D’autres acteurs culturels locaux investissent l’espace du musée. 157 2.4.3. Les grands évènements nationaux ou européens 160 2.4.4. L’Agenda 10/10 161
CHAPITRE 4. INTERPRETATIONS DE L’ORIENTATION DU MUSEE BASQUE 165 1. Réflexions sur les collections 165
1.1. Un musée d’Histoire et d’ethnographie 165 1.2. L’art : de la nécessité à la facilité. 170 1.3. Une réflexion sur la collecte du contemporain est engagée. 172
2. Réflexions sur la médiation 185 2.1. Animation et éducation 185 2.2. Le parti-pris muséographique du Musée de la Corse 188
3. Réflexions sur les partenariats 191 3.1. Un lieu atypique 191 3.2. Un Conseil d’Orientation consultatif à animer 192 3.3. Une indifférence apparente à l’égard des collections et du discours du musée. 193 3.4. Des mesures incitatives à repenser et développer en direction des publics 194 3.5. La SAMB : un soutien inconditionnel au Musée Basque. 198 3.6. L’Institut Culturel Basque (ICB/EKE), un partenaire potentiel. 204 3.7. Un partenariat à relancer avec les chercheurs. 205
4. Quel rapport entre le musée et le patrimoine ? 206 4.1. Les rapports des agents au patrimoine et au musée 206 4.2. La patrimonialisation : processus et critères 216 4.3. L’effet musée-patrimoine 219 4.4. Quel sens pour le Musée Basque ? 221
7
4.4.1. Un musée « d’identité » 221 4.4.2. Un musée politique 223 4.4.3. Faut-il fermer le Musée Basque ? 224
5. Ethnologue de/au musée : un métier du patrimoine ? 225 5.1. Une expérience personnelle d’ethnologue au musée : anthropologie réflexive 225 5.2. L’ethnologie au Musée Basque 227
5.2.1. Ethnographie, ethnologie et anthropologie : de simples synonymes ? 229 5.2.2. Expériences d’autres ethnologues au musée 232
5.2.2.1. Florence Calame-Levert, Tout autour de la morue. Voyages en patrimoine culinaire. 232 5.2.2.2. Sophie Cazaumayou, Un Bayonnais en Afrique. Voyage au Congo du docteur Voulgre. 234
CONCLUSION 239 Rappel de la problématique 239 Vérification des hypothèses 240 Quel intérêt d’une ethnologie des « métiers du patrimoine » au musée ? 242
BIBLIOGRAPHIE 245
ANNEXES 249 Listes des personnes enquêtées 249
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9
INTRODUCTION
A l’issue d’une thèse sur l’usage des motifs culturels dans la construction de
l’imagerie touristique du Pays basque français, motivée par le constat qu’une partie des
habitants reprochent à la communication touristique actuelle de participer à la diffusion de
l’image d’une culture basque « folklorique », « passéiste » et « immuable » - car uniquement
illustrée par ses motifs traditionnels - loin de refléter sa réalité contemporaine et jugée
« encombrante » pour son avenir, il nous a été donné de vérifier le fondement de cette critique
et l’argumentaire développé en réponse par les communicants touristiques. Ces derniers nient
tout enjeu identitaire ou culturel qui serait lié à leur communication. Ils évoquent pour cela
une série de contraintes (la demande touristique, les élus, les professionnels du tourisme et
l’offre touristique) qui limitent leur champ d’action et ils avancent comme argument majeur
que ce n’est pas leur « travail » de donner une quelconque image de la culture basque, que
leur « métier » est la promotion touristique et leur principale « mission » est d’attirer des
touristes.
Au cours de cette même recherche, nous avons aussi analysé l’offre touristique en matière de
« culture basque » et nous nous sommes intéressée alors au Musée Basque et de l’histoire de
Bayonne - le seul site promu par les organismes touristiques à ne pas être l’initiative privée
d’un collectionneur amateur - mais qui ne fait pas pour autant l’unanimité, certaines
personnes lui reprochant de ne pas « être en phase » avec la société basque actuelle, d’autres
de ne donner à voir qu’un monde basque révolu et idéalisé.
Pour avoir fréquenté cette institution depuis 2003, nous pressentions que la critique n’est pas
exactement la même qu’à l’encontre des organismes touristiques et nous avons constaté que
les réponses du Musée ne sont pas non plus du même ordre, même si elles s’expriment elles
aussi en terme d’objectifs (ou missions) et de contraintes.
Evoqué en 1897, créé en 1922, ouvert au public en 1924, fermé pour travaux en 1989, ce
Musée connait depuis sa réouverture en 2001 une fréquentation1 estimée décevante par la
Ville de Bayonne, son autorité de tutelle. Pour le dynamiser et attirer davantage le public, sa
gestion a été confiée à un Syndicat mixte et un manager culturel a été nommé à sa direction en
2007. Depuis ce remaniement institutionnel, le Musée a peu fait parler de lui dans la presse,
exception faite de l’annonce de ses expositions temporaires. Pourtant, il s’y passe beaucoup
de choses. Une réflexion sur la collecte du contemporain vient par exemple d’être initiée, qui
1 Fréquentation du Musée Basque : 33818 visiteurs en 2001, 30138 en 2005, 40441 en 2007, 33140 en 2009
interroge l’objet même du Musée et ses missions, face au constat d’un décalage croissant
entre le musée et la société (ou le territoire) dont il se veut l’interprète.
La nature des questionnements que ce projet soulève fait appel à des connaissances, des
raisonnements et des méthodes propres à l’ethnologie. Or, aucun ethnologue n’étant
actuellement employé au musée, quelles ressources déploie-t-il pour mener ce type de
réflexion ? Et plus largement, comment un musée de société fonctionne-t-il pour accomplir sa
mission scientifique, en l’absence d’ethnologue dans son équipe ?
La question de départ
Qu’est-ce qu’un musée de société sans ethnologue ?
Derrière un aspect (involontairement) provocateur apparait une question d’intérêt
ethnologique majeur. Depuis les années 1980, se pose déjà la question du rôle de l’ethnologue
dans sa propre société et d’une « nouvelle pratique ethnologique », passant de la recherche
(idéalement à l'université ou au CNRS), à la pratique notamment auprès des musées, des
entreprises et des collectivités locales (Bachman, 1988 : 142). La fermeture du Musée
National des Arts et Traditions Populaires (MNATP), en vue de la création du Musée des
Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) et la fermeture pour rénovation du
Musée de l’Homme dont les collections ethnologiques ont été réparties entre le futur Mucem
et le nouveau Musée du Quai Branly (MQB) avec son parti-pris esthétisant controversé, sont
perçues comme des transformations majeures, qui ont mobilisé les ethnologues autour d’un
débat sur leur rôle, et celui de leur discipline, dans la construction de ces discours sur soi et
sur les Autres à travers les institutions muséales2. L’évolution du modèle économique des
musées (développement de l’autofinancement, du management, du marketing) induit
également une réévaluation de leurs missions originelles et de nouvelles orientations. Même si
l’attention des ethnologues est concentrée sur les grands musées nationaux, les musées
d’ethnographie (ou de société) de province sont aussi concernés par ces changements.
2 Bernard Dupaigne par exemple conçoit « un vrai musée [comme] alliant conservation, recherche et diffusion ».
Il souhaiterait que de la conservation le musée se dirige vers le traitement des « questions de sociétés », c'est-à-
dire « conflits, diversité culturelle, maîtrise du vivant et biodiversité » (2008 : 646).
Pour beaucoup d’ethnologues, dont Bernard Formoso, les musées d’ethnographie sont « censés être la vitrine de
leur discipline » (2008 : 674).
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Nous avons par conséquent choisi d’enquêter sur l’un de ces musées de société, pour
interroger le rôle de l’ethnologue et de sa discipline dans le processus de patrimonialisation à
l’œuvre dans ces institutions. Cette interrogation méritait toutefois d’être reformulée de façon
plus précise pour évacuer l’évidence a priori du rapport entre ethnologue et musée de société.
Pour cela nous avons retenu l’entrée par les « métiers du patrimoine », suggérée par le Comité
de pilotage de la recherche et de la politique scientifique du Ministère de la Culture et de la
Communication, à l’occasion de son appel à projet 2010, intitulé « Pour une ethnologie des
métiers du patrimoine ». Cette approche par les métiers du patrimoine s’avère indispensable à
la compréhension du phénomène de patrimonialisation car elle représente une alternative et
complète en cela les approches qui s’intéressent d’abord au public ou à l’objet. Le patrimoine
désigne à la fois les objets patrimoniaux et l’idée patrimoniale. Quelle(s) définition(s) ou
conception(s) du patrimoine les métiers du patrimoine révèlent-ils ?
Le Musée Basque et de l'histoire de Bayonne (Musée Basque)
Spontanément, nous avons pensé à une institution patrimoniale en particulier, le Musée
Basque et de l’histoire de Bayonne, et ce pour plusieurs raisons.
La première raison est en lien direct avec notre travail de thèse : le musée est un lieu de
production d’une représentation de la culture basque. La seconde raison découle de la vague
de publications dans la presse, en 2007, d’articles sur « le renouveau » du Musée Basque,
suite à la nomination d’un nouveau directeur « manager culturel », s’ajoutant alors au
conservateur déjà en place. Par ce recrutement, une nouvelle orientation est donnée au Musée,
qui met l’accent sur sa mission d’animation culturelle et touristique. Cette nomination d’un
directeur à la tête du musée a donné lieu à un procès entre le conservateur, resté en poste, et
son employeur, à savoir la Ville de Bayonne, à propos de « la modification de sa situation » et
d’un empiétement sur ses fonctions. La troisième raison est l’initiation en 2010 d’une
réflexion sur la collecte du contemporain, par l’attaché de conservation du musée au sein du
Comité de Rédaction du Bulletin du Musée Basque. Enfin, la dernière raison pourrait aussi
bien être la première : depuis notre premier contact avec l’institution muséale en 2004 nous
attendons parler de l’absence d’un ethnologue dans son équipe. Ce constat est déploré tant par
des agents du Musée Basque (dont son conservateur) que par des partenaires institutionnels ou
d’autres professionnels ou spécialistes de la culture et du patrimoine basques. Tous ces
constats faisant écho au débat sur la place et le rôle de l’ethnologie dans les musées, reflété
notamment par le numéro de la revue Ethnologie française paru en 2008 (« Ethnologie et
12
musée : un débat en cours »), le Musée Basque se présentait donc comme une étude de cas
intéressante.
L’année 2011 correspond aussi à la sortie du Livre blanc des Musées de France ; résultat
d’une réflexion menée par l'Association Générale des Conservateurs des Collections
Publiques de France (AGCCPF), il met en avant plusieurs changements dans la gestion des
musées, auquel le Musée Basque se trouve lui aussi confronté.
LA PROBLEMATIQUE
Comment un musée de société fonctionne-t-il en l’absence d’un ethnologue dans son
équipe ? Cette formulation ne saurait suffire car elle sous-entend qu’un musée de société est
supposé fonctionner avec un ethnologue. Ce qui est là présenté comme une évidence doit
cependant être démontré. Le lien entre le musée de société et l’ethnologue doit être explicité.
D’ailleurs n’y a-t-il jamais eu d’ethnologue au Musée Basque ?
Ainsi, même si la formulation initiale ne saurait suffire, nous avons choisi de ne pas renoncer
à cette approche. En considérant « la mission scientifique » du musée, nous ne nous basons
plus sur un a priori mais sur un constat : même si d’une manière générale l’ethnologue n'a
plus « le monopole du discours sur les objets » (Dupaigne et Gutwirth, 2008 : 628), il n’en
demeure pas moins un spécialiste de l’objet, ainsi que de la société. La vraie question est alors
de savoir si l’ethnologue a toujours le monopole du discours ethnologique… et si le discours
ethnologique a toujours sa place au musée qu’il a contribué à créer.
Nous proposons donc de répondre plus précisément à la question suivante : « Comment un
musée de société accomplit-il sa mission scientifique en l’absence d’un ethnologue dans son
équipe? », à partir de l’analyse des métiers qui y sont exercés.
Pour récapituler, nous avons choisi d’envisager l’accomplissement de la mission scientifique
du musée de société comme objet ethnologique, à partir des métiers qui y sont exercés comme
indicateurs et ce dans un contexte particulier, le Musée Basque et de l’histoire de Bayonne,
qui n’emploie pas actuellement d’ethnologue.
Les métiers du patrimoine
Nous avons pris le parti de considérer l’ensemble des métiers exercés dans une institution
particulière et non un métier en particulier exercé dans plusieurs musées, par exemple
conservateur ou médiateur du patrimoine (Peyrin, 2010).
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Le mot « métier » est synonyme de profession, et renvoie aux savoir-faire, tâches, missions,
ainsi qu’à la formation et au parcours professionnel. « Métier du patrimoine » nous paraît être
une étiquette assez vague. Cette appellation est-elle opérationnelle ailleurs que dans les
plaquettes des récentes formations universitaires ? Les individus exerçant des métiers
identifiés comme « du patrimoine », par le Ministère de la Culture, les Universités ou
l’ONISEP, s’identifient-ils à cette dénomination ?3 Nous pressentions que cette identification
à des métiers du patrimoine n’est peut-être pas la même selon que le poste considéré relève du
domaine scientifique, administratif ou technique.
Les ethnologues se sont d’abord intéressés aux métiers d’artisanat et d’art, puis aux métiers de
l’industrie. Depuis, d’autres métiers ont attiré leur attention. Deux approches sont possibles.
L’une s’intéresse au « groupe professionnel », par exemple les musiciens, les traders, les
facteurs, les éboueurs et autres « travailleurs des déchets » (Corteel et Le Lay, 2011) ; l’autre
à la « chaîne de production », par exemple le textile, la mine, le cuir (Morel et Vallerant,
1984).
La première n’est pas envisagée à l’échelle du Musée Basque, car la plupart des métiers
exercés ne le sont que par un seul individu. Ce qui les unit c’est la « collection », les objets
transformés en patrimoine. Les uns la constituent, l’exposent, d’autres la surveillent, la
présentent au public, l’entretiennent, la restaurent, la conservent, etc.
La deuxième approche n’est pas pour autant plus évidente. Car, contrairement aux métiers du
cuir ou du textile, le patrimoine n’est pas une production matérielle, tangible. Le patrimoine
est une interprétation, un sens, donnés à des objets. En cela, nous pensons pouvoir nous
inspirer de l’enquête-chronique de Marc Abélès à l’Assemblée Nationale, en tant
qu’institution productrice de lois et de démocratie (Abélès, 2001). Le patrimoine est un
produit intangible, une notion ; cependant il est aussi le produit de gestes, de techniques et de
savoir-faire, qui s’apprennent (apprentissage) et se transmettent (transmission).
Par ailleurs, une récente approche des métiers du patrimoine, proposée par Nathalie Heinich,
sera mise à contribution, même si contrairement à elle nous avons accordé beaucoup
d’importance aux individus (statut social, formation). Elle consiste pour l’essentiel à
s’intéresser aux valeurs considérées par les chercheurs de l’Inventaire du patrimoine, c'est-à-
dire sur leur façon de penser et de raisonner le patrimoine (Heinich, 2009).
3 Le musée étant une instance de production, d’exposition et de diffusion du patrimoine, les métiers du
patrimoine sont-ils ceux qui produisent du patrimoine ou ceux en contact avec du patrimoine ?
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Nous avons aussi eu recours, dans une moindre mesure, à la sociologie des organisations (ou
des institutions), à l’ethnologie du travail et de ses représentations. Elles nous ont surtout été
utiles pour comprendre les grandes lignes du fonctionnement de l’institution, ainsi que
certains conflits ou situations en apparence atypiques, dont nous ne rendons toutefois pas
nécessairement compte dans ce rapport mais qui nous ont servi à comprendre les conditions
d’exercice des métiers du musée.
Choisir la deuxième approche, c'est-à-dire aborder la question des métiers par la chaîne de
production, nous permet aussi d’enquêter sur les métiers absents, en particulier celui
d’ethnologue. Puisque l’institution muséale résulte d’une série de choix en matière de
recrutement et d’assignation des missions (qui eux révèlent les stratégies et orientations des
administrateurs ou gestionnaires successifs), l’absence de l’ethnologue dans un musée de
société doit être interrogée.
Les hypothèses
Nous avons émis trois hypothèses de réponse à la problématique, comme autant d’options
dont dispose un musée de société pour accomplir sa mission scientifique, sans ethnologue
dans son équipe. Notre première hypothèse était que l’ethnologie n’est pas une priorité au
Musée Basque. La seconde était que toutefois des compétences sont mobilisées en interne et
la troisième, enfin, que des compétences sont sollicitées en externe.
Axes de recherche et méthodologie
Nous avons exploré trois axes de recherche afin de vérifier ces hypothèses et de répondre
ainsi à la problématique : les métiers exercés au musée depuis 1924, les activités du musée en
2011 et les relations du musée avec la société locale.
Partant de la position de Bernard Dupaigne qui explique que « Pour tenter de comprendre le
rôle de l’ethnologie au Musée de l’Homme, et pourquoi la discipline n’a pas su s’y imposer en
s’adaptant aux évolutions de la pensée et du monde, il faut analyser l’histoire et le
fonctionnement de cette institution » (Dupaigne, 2008 : 645), nous avons commencé par
retracer l’historique du Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne, en évoquant les
personnalités qui ont conduit le projet. Partant de l’hypothèse que si la nomination d’un
15
conservateur (ou directeur)4 témoigne évidemment des vœux des gestionnaires, la sensibilité
du candidat sélectionné à l’égard du musée, grandement induite par sa profession, annonce
encore davantage les orientations qui seront données au musée, que le « projet scientifique et
culturel » établi et rédigé en bonne et due forme, et ce même si des contraintes fortes ne
permettent pas toujours d’atteindre les objectifs visés.
Dans un deuxième temps, à partir d’entretiens semi-directifs, nous nous sommes intéressée
aux parcours individuels de ceux qui font le musée aujourd’hui, c'est-à-dire à leur parcours
professionnel, mais aussi dans une certaine mesure personnel, avant de les interroger sur leur
mission au Musée, sur leurs ambitions professionnelles, sur ce qu’ils pensent du travail qu’ils
accomplissent, sur ce qu’ils pensent du musée, des collections et des expositions et plus
largement sur le rapport qu’ils entretiennent avec le territoire et la culture basques. Nous
avons également cherché à vérifier s’il existe des écarts entre les attributions habituelles de
leur métier et les fonctions qu’ils exercent concrètement. L’ensemble des données ainsi
recueillies permet d’expliciter les moyens et les contraintes des agents du musée, qui
conditionnent leurs métiers et leurs actions et participent alors aussi à « l’identité » du musée.
Le second axe, c'est-à-dire les activités du musée en 2011, explore les stratégies et méthodes à
l’œuvre au Musée basque, à partir de cas concrets observés sur un temps délimité (le parcours
de l’objet, les animations et l’évènementiel). Le directeur en poste depuis 2007 a été engagé
pour proposer et mettre en œuvre des mesures visant à relancer la fréquentation du musée en
renouvelant son attractivité. Toutefois, nous estimons qu’une autre question plus profonde se
cache derrière celle de la fréquentation. Elle induit, elle aussi, un questionnement sur l’avenir
du Musée et elle constitue en même temps une option pour son « réveil », en interrogeant son
sens, c'est-à-dire ses missions : « Ma préoccupation est celle de tous les responsables de
musées ethnographiques en Europe. Reste-t-on un musée archéologique, c’est-à-dire le
témoignage d’une société disparue - ce qu’est, au fond, le Musée basque - ou bien veut-on
devenir un lieu pour réfléchir sur la façon de vivre ensemble aujourd’hui ? Un lieu de vie en
somme. »5. Cette préoccupation revient constamment : « Notre but, c'est que le Musée Basque
vive. »6 ; « Les musées doivent être des lieux de vie »
7. Le musée serait-il mort ? Si les
professionnels du musée se demandent « comment » le rendre vivant, ils passent un peu vite
4 Le passage d’une nomination à l’autre est d’ailleurs significatif.
5 O. Ribeton, conservateur du Musée Basque, extrait de l’interview « Musée basque : à la recherche d’un
nouveau souffle ». Enbata [hebdomadaire politique basque]. 14 septembre 2006, n°1944, p.11 6 R. Zulaika, directeur du Musée Basque, interviewé par l’Institut Culturel Basque, le 13/07/2009.
7 R. Zulaika, directeur du Musée Basque, interviewé par Jean-Marie Izquierdo pour eitb.com, le 18/02/2009.
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sur le « pourquoi », qui semble se cantonner à la volonté d’accroitre la fréquentation du
public.
Si l’on considère que la reconfiguration radicale de sa muséographie présentée lors de sa
réouverture en 2001 est un premier pas spectaculaire (même si tous les dispositifs vidéo et
sonores prévus n’ont pu être réalisés parce qu’une partie du budget a été réattribuée à d’autres
postes de dépense), d’autres démarches plus récentes n’ont pas encore fait l’objet d’une étude
approfondie. Nous pensons notamment à la réflexion tout juste engagée sur la collecte du
contemporain. Nous envisagions de suivre de près ce projet éditorial (dont la présentation
initialement prévue en juin 2011 a encore été repoussée à l’automne 2012) en répondant aux
questions « Pourquoi ? Par qui ? Pour qui ? », afin de pouvoir observer en temps réel la
dynamique du Musée. Quelles compétences internes seront mobilisées ? A qui le Musée fera-
t-il appel en externe ? En d’autres termes, nous voulions montrer comment l’équipe du Musée
s’organise pour mener cette réflexion en l’absence d’un ethnologue dans son équipe et les
éventuelles implications de cette absence sur les attributions de certains agents. Le retard pris
dans ce projet, qui s’est révélé plus ambitieux que prévu, a toutefois limité notre incursion
dans ce thème.
L’enquête réalisée en suivant les deux premiers axes a enfin introduit le troisième, celui du
rapport du Musée Basque avec la société locale, exploré d’une part par l’analyse des
interventions de personnes extérieures dans ses activités, d’autre part par le recueil d’opinions
sur le musée. Trois types d’interlocuteurs ont été privilégiés : les collaborateurs
institutionnels, associatifs ou privés, d’autres professionnels ou spécialistes de la société et de
la culture basques, le public local. Rappelons que l’explicitation du parcours et la sensibilité
professionnels des personnes entretenues a été primordiale pour comprendre leur
positionnement vis-à-vis du musée. Nous avons ainsi explorer l’hypothèse selon laquelle le
musée peut aussi être pensé comme un membre, un acteur à part entière de la société basque,
qui n’évolue pas indépendamment mais est au contraire en interaction permanente avec le
public, ainsi que d’autres institutions.
Grâce aux entretiens et discussions conduits avec ces trois groupes, nous avons été en mesure
de décrire et interpréter avec précision le réseau dans lequel évolue le Musée Basque, ainsi
que ses marges, pour nous faire une première idée de la façon dont il fonctionne
concrètement.
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L’ensemble des données recueillies contribue à mieux saisir la complexité de ces métiers du
patrimoine au quotidien, à saisir aussi de quelles façons les missions confiées initialement et
les compétences mobilisées ont été amenées à évoluer et évolueront encore.
Une visée comparatiste : le Musée de la Corse.
Nous proposons de confronter notre analyse des métiers exercés au Musée Basque et de
l’histoire de Bayonne à une analyse du Musée de la Corse, pour examiner l’apport que peut
représenter l’ethnologie dans la conception d’un projet muséal.
Ce musée est récent (conçu à partir de 1988 et inauguré en 1997) et donc soumis à une
sensibilité patrimoniale probablement différente de celle qui anima le projet du Musée Basque
en 1922, mais a priori assez proche de celle de la nouvelle version de 2001.
Il se distingue du Musée Basque sur deux premiers points : tout d’abord, il est un musée
régional, c'est-à-dire qu’il est un service de la Direction du patrimoine et de la culture de la
Collectivité Territoriale de Corse (CTC). Par ailleurs, il est présenté comme un musée
d’anthropologie.
Le choix d’un terrain comparatif en Corse permet de désingulariser le Pays basque, en le
rapprochant d’un territoire lui aussi lié à un imaginaire fort, des revendications identitaires,
culturelles et politiques et une fréquentation touristique importante.
Nous avons effectué un séjour d’un mois pour réaliser des entretiens avec la plupart des
membres de l’équipe et recueillir des données sur le rôle de chacun, sur les questions qui se
sont posées et se posent à eux quant à leurs choix muséographiques et sur la réception de leur
travail par la population locale et touristique.
18
19
CHAPITRE 1. LE PATRIMOINE DU MUSEE BASQUE : CONTRAINTES ET OPPORTUNITES D’UNE
INSTITUTION COMPLEXE.
Couramment le « patrimoine du musée » désigne la collection. Nous proposons trois
autres éléments contextuels majeurs, indispensables selon nous pour comprendre la situation
actuelle du Musée : l’historique de l’institution, le contexte institutionnel actuel (dont la
politique culturelle de l’autorité de tutelle), et les métiers qui y exercés aujourd'hui, c'est-à-
dire les forces vives en son sein et la façon dont elles sont organisées. La collection et la
muséographie relèvent aussi du patrimoine de l’institution, de ce avec quoi le musée doit
composer. Nous les évoquerons toutefois davantage dans le second chapitre consacré aux
activités du musée.
Une institution, quelle qu’elle soit, ne peut se défaire de son passé, de ses conditions de
création. Les évènements passés, la mémoire, et surtout leur dimension fantasmée doivent être
pris en compte, puisque de toute façon ils s’imposent. Ils peuvent prendre la forme de
contraintes, une forme de déterminisme, ou au contraire ils peuvent être interprétés comme
des opportunités à rappeler, voire à manipuler. Cet héritage légué par les prédécesseurs de
l’institution aux héritiers actuels, est première lorsque l’on s’intéresse au Musée Basque, nous
incitant à rendre compte de notre recherche en présentant en premier lieu ce patrimoine du
Musée Basque, marqué par une longue fermeture de l’établissement au public.
Un autre intérêt de ce regard sur le passé de l’institution est que dans le cas de cette enquête,
de nombreux enquêtés (nés entre 1945 et 1960, et ainsi en âge d’avoir fréquenté le Musée
Basque avant sa fermeture en 1989) font référence à l’époque où ils ont découvert ou
pleinement participé à la vie de « l’ancien Musée ». Ils expliquent certains aspects de la
situation actuelle par ce qu’il s’est passé plus tôt, (essentiellement dans les années 1990). La
référence au passé est constante.
Une institution muséale publique, en l’occurrence longtemps municipale, n’est pas un électron
libre. Elle est gérée par des collectivités territoriales, sous l’égide, même lointaine, du
Ministère de la Culture et donc de l’Etat (les Musées de France) et son activité s’inscrit donc
dans une (ou des) politique(s) culturelle(s). Sans pour autant revenir sur l’histoire des
politiques culturelles en France - la décentralisation et la déconcentration culturelles –
quelques mot seront dits sur la répartition des compétences culturelles entre les divers
échelons de collectivités territoriales qui intéressent directement le Musée basque : la Ville de
20
Bayonne, l’Agglomération Côte Basque - Adour et le Conseil Général des Pyrénées-
Atlantiques.
Le patrimoine du Musée Basque c’est enfin l’ensemble des compétences et des savoir-faire
professionnels exercés, transmis ou non, c'est-à-dire avec des pertes et des ajouts successifs.
Progressivement la gestion du musée s’est professionnalisée, de nouveaux métiers sont
apparus pour répondre à de nouvelles préoccupations ou missions. Il s’agit tout autant d’une
contrainte dans la mesure où des habitudes ont été prises, des façons de faire et de « voir les
choses », même si cette dimension professionnelle n’est pas considérée comme une évidence
de la mémoire de l’institution. Le personnage du conservateur ou du directeur (un terme qui
varie selon les époques) demeure, résiste dirons-nous même, au temps. Alors que toutes « les
petites mains » sont peu à peu oubliées, la contribution de ses subalternes à la bonne marche
de l’institution n’est pourtant négligeable.
1. L’histoire du Musée Basque
Rédiger l’historique du Musée Basque est un passage obligé pour tout stagiaire ou chercheur.
Rappelons avant toute chose que la création du Musée basque n’est pas une initiative isolée.
Elle est inspirée par un mouvement régionaliste, accru à la fin du XIXe siècle, qui encourage
la création de musées d’ethnographie régionaux sur le modèle du Musée du Trocadéro (dont
sa « Salle de France » ouverte en 1884). Ces musées régionaux sont fondés sur l’inquiétude
d’une élite intellectuelle et bourgeoise de voir disparaitre le monde rural et son mode de vie
traditionnel à une époque où, partout en France, les érudits locaux cherchent leurs origines
dans le milieu paysan.
Lors de notre thèse nous avions étudié le courant littéraire romantique qui a tant séduit
l’aristocratie européenne dès le XVIIIe siècle, et qui s’est étendu à une forme d’observation
scientifique. Le terme « folklore » est apparu d’abord en Angleterre (W.-J. Thoms en 1846),
puis en France en 1850 pour désigner ces études. Initialement, il est distinct de l’ethnographie,
en ce qu’il ne s’intéresse pas aux « primitifs » exotiques mais aux « paysans » authentiques ;
il fut d’abord considéré comme l’ensemble des survivances des cultures populaires rurales
21
jusqu’à ce qu’Arnold Van Gennep (1873-1957) propose un regard opposé en le considérant
comme vivant et contemporain 8 et amorce ainsi, sans le savoir, une ethnologie de la France.
Dans La singularité basque, Pierre Bidart raconte l’histoire de ces idées savantes appliquées
au peuple basque et comment s’est construit un certain savoir sur « la basquité » (Bidart,
2001).
Nous proposons pour cela de retracer rapidement l’histoire du Musée, en évoquant les
personnalités qui ont conduit le projet. Partant de l’hypothèse que si la nomination d’un
conservateur (ou d’un directeur) témoigne évidemment des vœux des gestionnaires, la
sensibilité du candidat sélectionné à l’égard du musée, grandement induite ou indiquée par sa
profession, annonce encore davantage les orientations qui seront données au musée, que le
« projet scientifique et culturel » établi et rédigé en bonne et due forme. Nous insisterons donc
beaucoup sur la figure du chef d’établissement.
Nous allons essayer de ne donner que les repères essentiels, en mettant l’accent sur les
directeurs successifs du musée, leurs priorités et le travail accompli.
Concrètement, nous avons commencé par consulter les mémoires d’anciens stagiaires9,
puisque cet historique de l’institution est pour tous un passage obligé de contextualisation,
même s’il s’est avéré que tous compilent à peu près toujours les mêmes informations et
références. Le plus ancien de ces documents est le mémoire de maîtrise en ethnologie de Jean
« Manex » Pagola, rédigé en 1988. Il était alors employé du Musée Basque et eut donc accès à
des informations quelque peu perdues depuis.
Le conservateur actuel du Musée Basque, quant à lui, connait l’histoire de la fondation du
musée, même s’il n’est arrivé qu’en 1988. Il a par exemple donné en septembre 2010, dans le
cadre des Journées européennes du patrimoine, une conférence à laquelle nous avions assisté,
sur les fondateurs du Musée Basque (dont il avait d’ailleurs « sorti » quelques portraits issus
des collections du musée).
8 Le folklore. Croyances et coutumes populaires françaises, 1924. Nous avons consulté la version numérisée
dans le cadre de la collection « Les classiques des sciences sociales » dirigée et fondée par Jean-Marie Tremblay,
accessible sur le site internet : http://classiques.uqac.ca/
« C’est là une limitation du folklore qui est nécessaire, sous peine de pénétrer trop sur le domaine d'autres
sciences connexes. Si le folklore s'occupe de faits anciens, historiques ou archéologiques, ce n'est jamais
qu'accessoirement, parce que chaque fait actuel a des antécédents, qu'il faut tenter de discerner pour le
comprendre. Mais ce qui intéresse le folklore, c'est le fait vivant, direct ; c'est si l'on veut, de la biologie
sociologique, comme fait l'ethnographie. Il est très bien de recueillir dans des musées les objets en usage dans
nos diverses provinces ; mais ceci n'est qu'un accessoire du folklore, sa partie morte. Ce qui nous intéresse, c'est
l'emploi de ces objets par des êtres actuellement vivants, les coutumes vraiment exécutées sous nos yeux et la
recherche des conditions complexes, surtout psychiques, de ces coutumes. Or, la vie sociale change sans cesse, et
par suite les enquêtes folkloriques ne peuvent cesser. » (page 18) 9 Agnès Sinsoulier, par exemple, a développé cet historique bien plus en détail que nous le faisons ici.
22
Par ailleurs, le Bulletin du Musée Basque a été un utile outil à cette recherche. Fondé en 1924
par le premier directeur du musée, le Commandant William Boissel, il avait pour vocation de
« tracer, au jour le jour, l’histoire du Musée, publier les dons qui lui parviennent et les
concours dont il bénéficie ; constituer, au moyen de notices rédigées pendant la formation
même de ses collections, son catalogue détaillé ; répandre les études et les projets qui peuvent
servir à son organisation et à son développement. » 10
.
1.1. La genèse du Musée Basque (de 1897 à 1922)
Un article de Jean Nogaret, dans le tout premier Bulletin du Musée Basque retrace « Les
origines du Musée Basque »11
. L’histoire du Musée Basque débute en 1897, avec une
exposition d’objets au cours du Congrès de la tradition basque à Saint-Jean-de-Luz12
. Pourtant
un Musée basque et de la tradition bayonnaise ne fut ouvert au public qu’en 1924, soit après
plus de vingt-cinq ans de réflexion et de négociations.
Le 26 septembre 1912, le docteur Adrien Dutournier, adressa une lettre au secrétaire général
de la société Euskalzaleen Biltzarra (l’abbé Martin Landerreche)13
.
« Dans un voyage à travers l’Europe, j’ai été frappé de voir que de petits pays tels que le
Tyrol, les divers Cantons Suisses, la Bohème, etc… avaient toujours d’intéressants musées,
très visités, destinés à perpétuer le souvenir et le cachet spécial de la région. Cherchons, dans
notre Contrée, quoi que ce soit de semblable : il n’y a rien. Est-il pourtant un Pays qui puisse
prétendre à une personnalité plus ancienne, à un charme plus prenant et plus mystérieux que
le Pays Basque ? L’heure est venue de réparer cette omission. Encore quelques temps et la
civilisation, cette déplorable égalisatrice des choses et des esprits, achèvera d’enlever aux
Basques leur originalité, déjà compromise. Les reconstitutions, dès à présent difficiles, seront
impossibles. »
Il poursuit : « Ce n’est pas à vous, Monsieur l’Abbé, ni à l’Assemblée qu’il faut dire ce qui
figurerait dans ce musée : Mannequins vêtus de costumes de diverses parties du Pays,
10
Boissel, William. 1924. « A nos lecteurs », in Bulletin du Musée Basque, n°1, p.2 11
Nogaret, Jean. 1924. « Les origines du Musée Basque », in Bulletin du Musée Basque, n°1, pp.5-11. 12
Le Congrès de la tradition basque est le second congrès de la Société d’ethnographie nationale et d’art
populaire (constituée en 1895), dont les conférences donnèrent lieu à des articles réunis et publiés sous le titre La
tradition au Pays Basque : ethnographie, folk-lore, art populaire, histoire, hagiographie, publié pour la première
fois en 1899 par la Société d'ethnographie nationale et d'art populaire, puis réédité par Elkar en 1989.
Un compte-rendu du Congrès, rédigé par Charles Bernadou, « Les Fêtes de la Tradition Basque à Saint-Jean-de-
Luz », figure également dans le Bulletin de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne (1897, n°3,
pp.161-264). 13
Adrien Dutournier: docteur en médecine (1867 à Bayonne - 1952 Bayonne). Cette lettre est intégralement
retranscrite (pp.3-4) dans : Dassance, Louis. 1973. « Aux origines du Musée Basque : un précurseur, le Dr.
Adrien Dutournier : (1867-1952) », in Bulletin du Musée Basque, n°59, pp.1-8.
23
costumes de ville, de travail, d’enterrement, de déguisement soit pour les danses, soit pour les
pastorales, etc… ; _ pierres funéraires, cierges et drap noir de parquet pour les veuves dans les
églises ; _ instruments du jeu de pelote depuis le petit gant de cuir jusqu’au chistera immense ;
_ tambours, flûtes à 3 trous, gaïta, cornes à charivaris ; _ cruches en terre et en cuivre ; _
modèles d’architecture des maisons, des églises, etc… ; _ faïences, reproductions de cuisine,
etc… ».
Enfin, il recommande la localisation du musée à Bayonne. « Où se fera le musée ? Le rêve
serait qu’il fut au cœur du Pays basque. Mais il y serait visité par de trop rares touristes. Il faut
choisir pour l’ériger, l’endroit le plus facilement parcouru : Bayonne paraît indiqué. »
Cette lettre ne sera pourtant rendue publique que lors de l’Assemblé Générale du 23
septembre 1913.
Or, « Entre la date où le Docteur Dutournier exposait ses idées et celle où il en fut donné
connaissance aux congressistes de Guéthary, une année s’était en effet écoulée, au cours de
laquelle le Conseil Municipal de la Ville de Bayonne, sous l’impulsion du peintre Eugène
Pascau et du Docteur Croste, s’était, lui aussi, intéressé à ce projet de Musée régional. »
(Dassance, 1973 : 5). Toutefois, cette lettre reste intéressante car elle synthétise les
préoccupations et l’idée que les membres de la commission créée par le Conseil Municipal de
Bayonne en 1912 partageaient de ce que devait être le Musée Basque à venir.
La deuxième Guerre mondiale interrompit le projet, qui ne reprit qu’en 1921 sous l’impulsion
de nouveaux acteurs.
« […] la question du musée put, elle aussi, être étudiée de nouveau. Elle le fût en effet par le
Syndicat d’Initiative qui, après en avoir longuement délibéré, fit une démarche auprès du
maire pour lui signaler l’intérêt qu’il y avait pour la ville à la faire aboutir. […] Le
commandant Boissel, Vice-Président du Syndicat d’Initiative, voulut bien se charger de cette
étude et de la rédaction d’un rapport. » (Nogaret, ibid :6)
Le Conseil Municipal de Bayonne proposa alors de confier ce projet à la Société des Sciences
Lettres, Arts et Etudes Régionales de Bayonne (présidée à l’époque par le Commandant de
Marien) et dont le Commandant William Boissel était Vice-président. Et le 6 mai 1922, la
Commission d’étude nommée en 1912 fut dissoute.
24
1.2. Le Commandant William Boissel (directeur du musée de 1922 à 1955)
Le Musée Basque commença à s’installer en 1922 dans la maison Dagourette14
, quai des
Corsaires, rachetée à cette fin par la Ville de Bayonne. Il fut ouvert au public en 1924.
La première équipe en charge du musée, menée par le Commandant Boissel (qui était aussi
Vice-président du Syndicat d'Initiative), souhaitait faire du Musée Basque un lieu vivant où
conserver la culture populaire basque menacée par la modernité15
. Comme lors des « Fêtes
basques », le « peuple » fut invité à participer, non plus par l’exécution de danses, chants ou
autres démonstrations, mais par des dons d’objets ; des employés du musée se virent confier,
en qualité de « représentants du peuple », la tâche de placer certains objets dans les premières
reconstitutions d’intérieurs basques.
Le Commandant Boissel lança la publication du Bulletin du Musée Basque en 1924, véritable
organe de communication du Musée. Il fut l’auteur aussi de quelques articles parus dans le
Bulletin de la S.S.L.A. dont la plupart portaient sur le Musée Basque, au moment de reprise
d’activité d’après-guerre, alors que la publication du Bulletin était toujours suspendue16
.
Pour mener à bien son projet, le Commandant Boissel s’était entouré de diverses
personnalités, notamment d’autres membres de la Société des Sciences, Lettres et Arts de
Bayonne. Joseph Nogaret (1862-1934, ancien inspecteur des chemins de fer du Midi,
Président du Syndicat d’Initiatives et « vulgarisateur d’histoire locale et régionale »17
) et
André Constantin (décédé en 1951, président du Tribunal de Commerce, puis directeur de la
Caisse d’Epargne) ont été ses deux principaux « auxiliaires ». « Ces deux compagnons ne me
quittèrent plus, pendant tout le temps qui leur restait à passer sur cette terre. Ils se partageaient
la besogne. L’un qui connaissait déjà les loisirs de la retraite et savait les employer pour le
mieux, se chargea du département des archives, des classements, de la bibliothèque, tout en
poursuivant ses études régionales, dont plusieurs donnèrent lieu à des publications toujours
recherchées ; l’autre, en pleine activité, mêlé aux diverses manifestations de la vie
bayonnaise, me seconda dans toutes les réalisations extérieures dont la longue série n’est pas
14
La maison Dagourette, dont la présence est attesté au XVIIe siècle, est ainsi nommée d’après le nom de son
propriétaire (le plus ancien connu du moins), négociant bayonnais. Elle fut par la suite un couvent de
Visitandines puis un hôpital civil. En 1922, la Ville de Bayonne la rachète à l’administration des hospices. 15
Sujet traité par Agnès Sinsoulier dans un mémoire de DEA en muséologie et dans un article paru dans le
Bulletin du Musée Basque en 1999. 16
« La renaissance du Musée Basque », 1947, n°54, p. 19 ; « Le Musée Basque en 1947 », 1948, n°56, p. 49 ;
« Chronique du Musée Basque », 1949, n° 57, p. 41 ; « Le Musée Basque en 1949 », 1950, n° 58, p.36 ;
« Chronique du Musée Basque » 1953, n°65, p. 88. 17
Daranatz, J.B.. 1934. « Nécrologie. Joseph Nogaret », in Bulletin de la SSLA de Bayonne, n°n°14, p.372.
25
encore terminée et me fît bénéficier de sa connaissance, de jour en jour plus approfondie, des
gens et des choses de ce pays […] »18
. A leurs côtés, ont aussi participé le Commandant de
Marien (président de la SSLA), Philippe Veyrin (critique d’art, écrivain et peintre), Georges
Hérelle (1848-1935, traducteur, i l a étudié le théâtre basque), Henri Gavel19
(1880-1959,
professeur d’espagnol au lycée de Bayonne, bascologue), Louis Colas (1869-1929, professeur
d’Histoire au lycée de Bayonne), André Grimard (dessinateur), le Chanoine Daranatz, le Père
Donostia (musicien et musicologue), Pierre Labrouche et Ramiro Arrué (peintres). Dans son
mémoire de maîtrise en ethnologie, Manex Pagola les qualifie « d’ethnologues locaux qui
s’ignoraient » réalisant « une observation sympathique de la région » (Pagola, 1988 : 4). Il
précise aussi que « parmi les fondateurs du Musée Basque bien peu parlaient le basque ou
n’étaient pas simplement de souche basque. » (ibid : 67).
Le Commandant Boissel lui-même et ses collaborateurs étaient bénévoles. Le personnel du
Musée Basque était peu nombreux et se composait au départ d’un couple de concierges (Mme
et Mr Urbero), une secrétaire, une vendeuse (ou caissière, Mme Falque), deux gardiens (des
anciens douaniers).
La SSLA lui rendit hommage en 195520
, en publiant quelques allocutions, dont une du
Général Aublet qui nous apporte quelques éléments biographiques.
« William Boissel était né le 4 Janvier 1869, à Bordeaux […] Il ne quitta Bordeaux que pour
aller à Paris préparer l’Ecole de Saint-Cyr, où il entra en 1890. Il en sortit sous-lieutenant et
fut affecté au 49e Régiment d’Infanterie de Bayonne. Quelles furent les raisons de ce choix ?
Peut-être la proximité de sa famille bordelaise : plutôt son goût personnel, car Bayonne et le
Pays Basque avaient pour lui un attrait particulier. »
A l’heure de sa retraite, « Il se retira à Bayonne, patrie de sa belle-famille. Très cultivé, esprit
curieux bouillonnant d’idées qui semblaient extraordinaires à certains, il ne pouvait rester
inactif. En 1920, il était admis à la Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne, et en
devint rapidement un des membres les plus agissants. Il sentait notamment tout l’intérêt
qu’offrent Bayonne et le Pays Basque : histoire, monuments, coutumes, folklore, etc. Il reprit
à son compte une idée, en l’air depuis quelque temps : l’idée d’un musée basque, mais il la
18
Boissel, William. 1951. « Nécrologie. André Constantin », in Bulletin de la SSLA de Bayonne, n°60, p.96 19
« On le voit, le professeur Henri Gravel était devenu nôtre, finalement plus basque que beaucoup de Basques
qui se désintéressent de la culture locale. » (Lafitte, Pierre. 1980. « Apport de M. le professeur Henri Gavel au
développement des études basques », in Bulletin de la SSLA de Bayonne, n°136, p.250).
20 « Hommage au Commandant W. Boissel. Allocution du Général Aublet, de M. Ithurriague, de M. J.-P.
Brana, de M. le Docteur Delay », in Bulletin de la S.S.L.A. de Bayonne, 1955, pp.89-108.
26
transforma et conçut le projet plus large, d’un centre rassemblant tous les souvenirs du passé
de notre région, à la fois mémorial et source d’information, de renseignements où pourraient
venir les érudits, les savants désireux de s’initier à Bayonne et au Pays Basque. »
« Le Commandant Boissel fut le premier qui lança les Danseurs Basques. Ces hommes de la
campagne n’avaient alors rien des professionnels d’aujourd'hui : parés de leurs bijoux
familiaux, ils le suivirent à Paris, à Londres, en Roumanie et l’on se rappelle l’intérêt que
suscitèrent les représentations qu’ils donnèrent dans ces lieux. Le Commandant Boissel
contribua ainsi singulièrement à faire connaitre le Pays Basque, encore inconnu. »
« Le Commandant Boissel ne cessait de la perfectionner, de le développer et de réaliser des
idées, anciennes peut-être, mais jamais perdues de vue. Il y venait chaque jour, matin et soir,
de son domicile de Mousserolles, ne négligeant aucun détail, recevant de nombreux visiteurs,
souvent accompagnant les touristes pour leur faire les honneurs de ses salles, trouvant pour
chacune un mot aimable. »
« Caractère autoritaire et indépendant hérité de sa formation militaire, conscient de ses
responsabilités, pour lui, le Musée Basque était sa chose, et c’est là un sentiment très humain
qu’on ne peut lui reprocher, car s’il profita d’une liberté complète, il n’en usa que pour le bien
du Musée et les intérêts de la Ville qui lui garda toujours sa confiance la sachant bien placée.
C’est probablement grâce à cette liberté qu’il réussit à faire de son musée, un des premiers
musées folkloriques du monde entier. Réalisateur, il le fut dans toute l’acception de ce terme,
toujours à la recherche du mieux et ne considérant jamais son œuvre comme achevée. « Le
Musée Basque, disait-il souvent, est une création continue ». »
Puisque nous ne pouvons ici retranscrire l’étendue du travail accompli par ce directeur, nous
proposons de nous attarder seulement sur une période que nous considérons comme cruciale :
la reprise d’après guerre, qui se situe par ailleurs à mi-parcours de sa direction. La fermeture
forcée du musée et le déménagement des collections n’ont en rien entamé sa volonté de
poursuivre le développement du musée, au contraire, il évoque même une « renaissance »21
.
« Le 2 février 1946, les Services de la Maison du prisonnier quittaient la rue Marengo où ils
s’étaient installés depuis le 30 septembre 1942. Le Musée Basque recouvrait sa liberté. »
La réouverture fut fixée au 3 août, pour les Fêtes de Bayonne. Les 10.000 objets de la
collection furent rapatriés depuis Saint-Sever et replacer à l’identique grâce aux notes et
21
Commandant William Boissel, « La renaissance du Musée Basque », dans Bulletin de la SSLA de Bayonne,
1947, n°54, pp. 19-24.
27
croquis de la secrétaire, Mme Haulon, avec l’aide du couple de concierges, le ménage Urbero,
qui officiait depuis déjà vingt deux ans et connaissaient parfaitement les salles du musée.
« Cette renaissance n’eût pas été complète si elle ne s’était manifestée aussi, comme dans le
passé, par des expositions temporaires, des conférences, des démonstrations de musique et de
danse. Nous avons donc repris ces formes de vie ou préparé leur reprise. »
De nouvelles salles furent inaugurées. « Dès la création du Musée Basque, il a été décidé qu’il
comprendrait une salle de Préhistoire. […] Il nous a fallu attendre vingt et un ans pour réaliser
ce projet, qui a pris corps en 1945, au moment du passage à Bayonne de M.G.-H Rivière,
conservateur du Musée des Arts et Traditions Populaires, membre de la Commission des
Musées de Province, chargé de mission auprès de M. Georges Salles, directeur des Musées de
France. […] L’idée d’une salle des Lettres et des Arts est par contre toute récente puisqu’elle
est née le 29 août dernier, à la suite d’un entretien avec M. Paul Faure et M. Pierre
Lichtenberger. »
Il conclue son texte, plein de reconnaissance et d’espoir en l’avenir du musée, en son
développement scientifique et ses relations avec la SSLA.
« Ainsi, après sept ans d’intermittences et de ralentissements, le cœur de notre Musée s’est
remis à battre à son ancien rythme. Réjouissons-nous d’être les témoins de cette renaissance, à
un moment où les sujets de réjouissance ne sont pas si communs et remercions tous ceux qui
l’ont favorisée : l’Etat, la Ville de Bayonne et nos nombreux amis. Pour finir, regardons en
avant. Nous pouvons sans doute entrevoir le moment où, de « contrôlés » nous deviendrons
« classés » et nous nous élèverons ainsi dans la hiérarchie des Musées. Ceci ne dépend pas de
nous. Mais ce qui dépend de nous, c’est de constituer sans tarder ce qu'on pourrait appeler
notre équipement scientifique, très importante et vaste question sur laquelle je ne reviendrai
pas aujourd'hui. ce qui dépend de nous c’est de continuer à animer cet organisme, de lui éviter
l’engourdissement administratif, de faire qu’il reste simple, net, accueillant, expansif si je puis
dire ; qu’il soit aimé et qu’on le retrouve toujours avec plaisir, à la fois semblable et différent,
puisque tout change. Je souhaite, en terminant, que nos plus lointains successeurs puissent
venir, comme je le fais aujourd'hui, parler à ceux qui vous remplaceront de la « Vie du Musée
Basque ». »
Une autre date importante est à retenir. Le 7 avril 1951, une convention a « accordé au Musée
Basque sa complète autonomie », séparant le Musée Basque de la SSLA de Bayonne, le
transformant alors en musée municipal et mettant en place le premier conseil scientifique
28
officiel du musée.22
« Une organisation nouvelle a remplacé, comme il était nécessaire, notre
ancien statut. Elle figure dans un Règlement intérieur donné par M. le Maire de Bayonne le 21
Janvier 1952. Ce règlement maintient les dispositions de la Convention primitive qui
laissaient toute l’initiative au directeur du Musée Basque, mais lui adjoint seize conseillers
nommés, sur sa proposition, par le Maire et prévoit en outre des correspondants non résidant.
Ainsi se maintient, avec la même orientation le mouvement initial. […] Les conseillers
peuvent être appelés à donner leur avis, isolément ou formés en commission, sur les affaires
de leur compétence. Réunis au moins deux fois par an, ils sont tenus au courant des questions
à l’étude et, dûment renseignés, peuvent guider utilement le directeur, en même temps qu’ils
font connaitre, dans leur entourage, les travaux effectués, les résultats obtenus et les projets
envisagés. »
Par la suite, le musée continua son travail scientifique par la création d’une phonothèque, une
nouvelle salle d’ambiance, « l’épicerie-venta » (1952), l’élaboration d’une salle (offerte par
M. de Ynchausti) consacrée au thème de l’expansion basque dans le monde, entre autres
choses.
En 1954, le musée passe sous la tutelle de la Direction des Musées de France. L’année
suivante, le Commandant Boissel décède, après avoir désigné son successeur, Jean Ithurriague
qui était l’un de ses proches collaborateurs.
En 1973, Louis Dassance rappelle que le Musée Basque doit sa réussite « aux qualités
exceptionnelles de son premier conservateur, le Commandant Boissel, ainsi qu’aux
collaborateurs dont celui-ci a su s’entourer mais aussi aux donateurs généreux, amis de nos
traditions, qui, redoutant qu’une évolution qui se précipite n’entraine leur dispersion ou leur
disparition, lui ont apporté tant d’objets familiers, de souvenirs précieux, des objets d’art
parfois, mais surtout d’humbles et vénérables reliques du passé qui lui confèrent aujourd'hui
originalité et authenticité. » (ibid :1).
22
Commandant Boissel, William. 1953. « La vie du Musée Basque. 1951-1952 », in Bulletin de la SSLA, n°64,
p.88-90
29
1.3. Jean Ithurriague (directeur du musée de 1955 à 1960)
Outre la brièveté de son passage à la direction du musée (de janvier 1955 à novembre 1960),
la suspension (entre 1942 et 1964) de la parution du Bulletin du Musée Basque, limite les
informations sur son travail.
Nous savons qu’il était lui aussi membre du Conseil d’administration de la SSLA de
Bayonne, qui lui rendit à son tour hommage lors de son décès. Nous apprenons alors que ce
professeur du lycée de Bayonne, a mené une « brillante carrière militaire et universitaire ».
Dans son allocution Léon Herran précise qu’ « […] il était naturel que ce fût un enfant du
pays qui prît alors la direction de cette Maison. […] Ce basque de pure souche était préparé à
cette fonction par son culte des traditions et par sa vaste culture en dépit de laquelle il était
demeuré d’une simplicité qui le rendait sympathique au premier abord. »23
Pourtant, même après son passage à la direction du musée, celui-ci reste dans les esprits le
Musée du Commandant Boissel. Nous attribuons aussi cela au fait que son travail s’est inscrit
en ligne directe avec celui de son prédécesseur. Dans l’hommage que Jean Ithurriague24
avait
rendu au Commandant Boissel, nous comprenons qu’il partageait les vues de son
prédécesseur et souhaitait poursuivre son œuvre : « On pouvait continuer l’œuvre, la varier, la
multiplier mais toujours dans le même sens et dans le même esprit. »
« Telle fut toujours son idée directrice dans la construction de cet édifice : donner
l’impression de la vie. Non pas d’une vie figée dans une époque, mais d’une vie continue qui
circule, sans cesse renouvelée, à travers notre histoire, nos usages, notre langue ; d’une vie
aux reflets changeants, dont la source profonde demeure la même, immuable, intarissable, la
tradition, qui se prolonge. Car le Commandant Boissel savait qu’on ne construit rien de solide
si l’on ne s’appuie pas sur la matière ferme du passé. »
1.4. Jean Haritschelhar (directeur du musée de 1962 à 1988)
Personnage charismatique, il a occupé de nombreuses responsabilités : maire de son village
natal, professeur d’espagnol à l’université de Bordeaux, président de l’Académie de la langue
basque. Il est aujourd'hui retraité. En 2004, il a reçu le Prix Manuel Lekuona de Eusko
Ikaskuntza, qui lui a alors consacré un dossier, faisant mention de toutes ses activités. Et
surtout, nous avons eu l’opportunité de le rencontrer, à quelques reprises, dont une chez lui
23
Herran, Léon. 1960. « Hommage à Jean Ithurriague », in Bulletin de la SSLA de Bayonne, pp.240-241 24
Ibid, pp.98-100
30
pour un entretien semi-directif. Nous nous attacherons surtout ici à son travail de directeur,
qui éclaire grandement sur sa conception de ce que devrait être le Musée Basque.
Deux jours après notre entretien, il nous a téléphoné pour nous conseiller de relire trois de ces
articles parus dans le hors-série du Bulletin du Musée Basque, « Hommage au Musée
Basque », juste avant qu’il ne quitte sa fonction de directeur. Il nous précise que la veille au
soir, lui-même les a relus. Il qualifie ces textes de « testamentaires », « vous avez là en
quelque sorte mon testament » alors que ce qu’il nous a raconté lundi dernier serait « plus
mûri » par rapport à ces écrits, qui eux étaient plus « dans l’action ».
Il nous a d’abord raconté son entrée au Musée Basque, qui tient à « un concours de
circonstances ».
« Mon prédécesseur Jean Ithurriague, que j’ai eu comme professeur au lycée de Bayonne, est
décédé en novembre 1960. Et le Musée est resté sans directeur pendant treize ou quatorze
mois. Il y a avait un certain nombre de candidats mais il semble que ces candidats ne
convenaient pas au Docteur Henri Grenet, jusqu’au jour où dans l’hebdomadaire Herria il y a eu
un article en français signé du Chanoine Lafitte qui disait textuellement « on ne va pas quand-
même nous donner pour le Musée Basque un quelconque Auvergnat diplômé d’ethnologie ». Et
il réclamait bien entendu un Basque à la direction du Musée Basque. Cet article n’a pas
échappé au Docteur Grenet qui s’est adressé à Michel Labéguerie en lui disant, en lui parlant
de cet article et en lui disant « Puisque c’est ainsi tu n’as qu’à m’en trouver un jeune et
diplômé ». J’étais à ce moment là détaché au CNRS pour préparer ma thèse quand j’ai reçu
une lettre de Michel Labéguerie me demandant si ce poste m’intéressait. »
Sur le conseil de son directeur de thèse, René Lafon, il s’est mis en contact avec le Musée
National des Arts et Traditions Populaires, où il a rencontré Georges-Henri Rivière qui lui a
proposé un stage.
« En huit jours j’ai fait le tour de la question et je suis rentré au Musée Basque le 2 janvier
1962. »
A son arrivée, il a aussi fait « le tour d’un certain nombre de personne ici à Bayonne pour
[se] présenter. ». C’est là le rôle premier du directeur du musée : tisser un réseau, à la fois
localement et au-delà. Il a créé des liens inédits avec le milieu scolaire, avec le milieu
universitaire auquel il appartenait déjà, et avec « l’autre côté », c'est-à-dire le Pays basque
« espagnol ». Le contexte se prêtait particulièrement bien à toutes ces initiatives. En effet, il a
31
pris ses fonctions au début du « mouvement culturel basque »25
au Pays basque « nord »
(c'est-à-dire « français »), ce qui lui a valu notamment d’être choisi, nous l’avons vu plus
haut. Toujours en 1962, il est entré à l’Académie de la langue basque26
, instance
transfrontalière, alors que le Pays basque « sud » était toujours sous la coupe du franquisme.
Le Musée Basque ne souffrait d’aucune concurrence, tant auprès du grand public (il n’y avait
pas d’autre musée encore)27
, ni auprès des chercheurs puisque il n’y avait pas encore
d’université à Bayonne, ni de centre de recherche (deux structures qu’il a par la suite
contribué à créer).
« Tous les chercheurs arrivaient au Musée Basque. Je ne suis pas sûr qu’il en soit ainsi
maintenant et je comprends pourquoi d’ailleurs, c’est que depuis on a une université aussi à
Bayonne, et on a des études basques et on a une équipe de recherche […] »
« Il est évident que ma position aussi d’académicien basque, j’avais des rapport avec
l’extérieur, je veux dire le sud, que ce soit avec San Telmo, que ce soit avec Bilbao ou etc. où
ils étaient très pauvres à ce moment là et où le Musée Basque était regardé comme / vous
comprenez ? […] Le nombre de gens qui par autobus sont venus de Saint-Sébastien, de
Bilbao, etc., c’est comme ça qu’il [le musée] est monté. Le Musée Basque ça représentait
quelque chose. »
« J’ai passé cette première année à évaluer un petit peu ce que on pouvait faire au Musée
Basque. L’année précédente il y avait 17700 personnes qui étaient entrées au Musée Basque.
La première année où j’y étais donc en 1962, il y en a eu 19 500. Et lorsque je l’ai quitté, c'est-
à-dire en 1988 il y en avait à quelqu'un près pas loin de 60 000. Vingt-sept ans. Ce sont Vingt-
sept qui se sont passés là. Bon et tant qu’à expliquer cela, il faut dire aussi que je suis rentré
aussi en contact avec les chefs d’établissements etc. et que les scolaires qui ne foutaient
jamais les pieds au Musée Basque sont quand-même entrés au Musée Basque. Une deuxième
chose que j’ai faite dans cette première année c’est de recruter un certain nombre d’étudiants
destinés à faire visiter le Musée Basque. Je crois qu’ils étaient trois ou quatre […]. Il était prévu
que moi je ne les payais pas mais qu’à la fin de la visite… ils tendaient la main. Et ça c’est
perpétué ensuite, tout ça ça s’est perpétué tout le temps où j’étais au Musée Basque, ce qui fait
25
Lire Oronos, Michel. Le mouvement culturel basque : 1951-2001, Elkar : Bayonne/Donostia, Tome 1, Ikas,
Pizkundea, Euskal konfederazioa, 2002, 189p., et le tome 3 Presse écrite, radio, télévision, 2008, 256p. 26
L’Académie de la Langue Basque, ou Euskaltzaindia, « fondée en 1918 est l’institution académique officielle
qui se consacre à la défense de la langue basque. Elle réalise des travaux de recherche en matière de langue
basque et en établit les règles grammaticales; elle s’attache également à la promotion et aux droits de la langue
basque. ». Son site internet : http://www.euskaltzaindia.net 27
Un Musée de la Basse Navarre sera ouvert à Saint-Palais en 1975, un Ecomusée de la tradition Basque en
1997.
32
que j’ai vu comme ça toute une série de jeunes étudiants qui sont venus, ont fait visiter le
Musée Basque. »
Ce travail, qui ne s’appelait pas encore de la médiation, s’est conclu en 1988, soit peu de
temps avant son départ du musée, par la mise à disposition par le rectorat (académie de
Bordeaux) de Mano Curutcharry, professeur d’histoire-géographie, et la création du service
éducatif Argitu.
Un autre volet important de son travail a été fait en partenariat avec la Société des Amis du
Musée Basque. En relançant la publication du Bulletin du Musée Basque, il a à la fois
confirmé les liens avec le monde universitaire et contribué à enrichir la bibliothèque du
musée, affermissant en retour ce lien avec les chercheurs.
« Une autre de mes actions au Musée Basque ça a été de reprendre, de refaire vivre le Bulletin
du Musée Basque. Et les premiers numéros sont sortis en 1964, avec très très exactement la
même couverture qu’avant guerre […]. Je n’étais pas seul, j’avais autour de moi des gens qui
étaient véritablement capables d’apporter au Musée Basque. Il y avait Mr Louis Dassance qui
était le président d’Euskalzeen Biltzara, il y avait le Chanoine Lafitte28
, il y avait Eugène
Goyheneche29
et il y avait Louis Bariéty qui était le directeur du Musée de la Mer à Biarritz. Et le
Bulletin du Musée Basque a recommencé. Il est évident que il a eu immédiatement une autre
allure que ce qui existait avant, de par mon implication dans l’université et je dirais que ce sont
les universitaires qui ont envahit le Bulletin du Musée Basque. […] Et le premier article que j’ai
écrit, d’ouverture, vous le lirez, il est dans le sens de la tradition, de la reprise. »
« Alors il faut bien reconnaitre que le Bulletin du Musée Basque a été une monnaie d’échange.
Evidemment toute une série de revues sont entrés au Musée Basque, ce qui a enrichit la
bibliothèque […] Et du coup la bibliothèque du Musée Basque est devenue un passage in-con-
tour-na-ble. »
1500 volumes étaient présents à son arrivée, ils étaient 17 000 à son départ. Cet accroissement
tient aussi au fait qu’il avait « tissé un réseau autour du Musée Basque », il se souvient s’être
fait offrir des bibliothèques entières.
28
Le Chanoine Lafitte, Piarres Lafitte Ithurralde, (1901-1985) a enseigné au petit Séminaire d’Ustaritz, il était
aussi licencié en lettres et en philosophie et fut nommé à l'Académie de la langue basque en 1952. Il a publié
notamment La Grammaire basque (1944). 29
Eugène Goyheneche (1915-1989) était un historien. Il a notamment enseigné à l’Université de Pau, a été
président de la SAMB de 1973 à 1989, et est aussi connu comme un pionnier de l’abertzalisme en Iparralde
(Larronde, Jean-Claude. 1991. « Eugène Goyheneche, un militant basque dans les années 30 », in RIEV. Revista
Internacional de los Estudios Vascos. San Sebastián: Eusko Ikaskuntza, Tomo XXXVI, nº1, p.81.
33
« Fort était quelqu'un qui était au Musée Pyrénéen à Lourdes et qui avait une bibliothèque
extrêmement importante sur le pyrénéisme, et cette bibliothèque elle est venue au Musée
Basque, la bibliothèque de Manu de la Sota30
est venue aussi au Musée Basque […] »
Et les dons ne concernaient bien entendu pas que des livres.
« Et un jour il y a Manu de la Sota qui a interpellé un de ses compatriotes et lui a dit « Et tu ne
fais rien toi pour le Musée Basque ? ». Et c’est comme ça que j’ai reçu un chèque de 15 000
francs. Un million cinq-cent-mille centimes avec lequel j’ai pu ainsi, grâce à Vincent Ducourau31
qui avait vu le tableau de la partie de pelote sous les remparts de Fontarabie, qui me dit « vous
l’avez à tel endroit et je l’ai vu et j’ai dit qu’il fallait le réserver de manière à ce que vous puissiez
le voir ». »
Alors, Jean Haritschelhar obtint du Docteur Henri Grenet, maire de Bayonne, que la ville
l’achète pour le musée, en faisant participer pour moitié du prix la SAMB, car « ce tableau il
représente quelque chose ». Il est en effet toujours en 2012 un des « trésors » du Musée
Basque. Le musée a reçu de multiples autres dons, d’objets ou monétaires. Les achats étaient
rares, et se faisaient par la ville ou par l’intermédiaire de la Société des Amis. Le directeur a
pris soin de toujours les consigner dans le Bulletin du Musée Basque.
« Vous consulterez le Bulletin du Musée Basque vous verrez tout ce qui est rentré, bon. Et
justement je tenais à ce qu’il y soit parce que le lecteur du Musée Basque pouvait se rendre
compte aussi à quel point le Musée Basque pouvait évoluer et s’enrichir etc. […] Je considère
que très normalement le Bulletin du Musée Basque est comme un organe du musée et qu’il sert
à l’expansion du musée, à la connaissance du musée. »
« A propos de cette Société des Amis du Musée Basque je l’ai faite repartir aussi. Mais j’étais
secrétaire général, autrement dit [rire] , je m’excuse de le dire aussi brutalement, mais j’étais le
patron.
_ Pourquoi c’était important justement d’être « le patron » ?
_ C’est que ça accrochait le Bulletin du Musée Basque qui était propriété de la Société des
Amis […] Or pour moi il était extrêmement important que le directeur du Musée Basque en
même temps qu’il était le directeur de la revue ait la main sur tout. »
30
Armateur et érudit basque, Manu de la Sota, donna 1500 livres au Musée Basque. 31
Vincent Ducourau a été le conservateur du musée Bonnat, musée des beaux-arts de la Ville de Bayonne, de
1975 à 2010.
34
Il regrette d’ailleurs que « le cordon ombilical » n’existe plus entre le musée et la SAMB et
surtout le Bulletin, qu’il a continué à diriger quelques temps après son départ du musée.
« Là où je me suis aperçu aussi de l’importance du Bulletin. Bon il se trouve que étant
universitaire j’ai été appelé je crois oui au moins une trentaine de fois à des jurys de thèse, de
l’autre côté , et quand vous regardez la bibliographie d’une thèse, et que vous voyez Bulletin du
Musée Basque pas une fois mais plusieurs fois, vous dites « tiens, on a pas tout à fait perdu
son temps ». […] Et ce sont des joies intimes que l’on peut avoir de cette manière là. »
Son travail en direction de la recherche ne s’est pas arrêté à l’enrichissement de la
bibliothèque et à la publication du Bulletin du Musée Basque.
« Alors, quel était mon travail au Musée Basque ? Mon travail au Musée Basque a été de faire
du Musée Basque une bibliothèque aussi, parce que qu’un musée a besoin d’une bibliothèque
et l’autre, et je le dis avec un grand sourire, d’être le concierge culturel [rire] parce que sont
venus vers moi aussi bien Jean-Michel Guilcher32
que bien d‘autres et que des étudiants qui
faisaient un diplôme d’études supérieures, enfin voyez c’était le DES autrefois et maintenant
c’est au cours de la maîtrise qu’on présente un travail, venaient au Musée Basque, envoyés par
tel prof de tel truc et qui sur un sujet basque où ils ne connaissaient rien, ça fait que moi j’ai
dirigé quelques uns des travaux je préfère vous dire, j’en ai dirigé quelques uns. Donc le Musée
Basque a joué un rôle – bon je crois qu’il se doit au fait que j’étais universitaire purement et
simplement – à jouer un rôle extrêmement important de ce point de vue là, par rapport à la
recherche. »
Même si tous les chercheurs ne travaillaient pas directement sur les collections du musée, les
travaux de plusieurs d’entre eux y ont trouvé une application pratique. Certains ont
directement servi par exemple à revoir entièrement la configuration de la salle de la pêche et
de la navigation33
, ou la présentation des instruments aratoires. D’autres salles ont été
modifiées. Il a même supprimé une salle qu’il trouvait trop empreinte « de franquisme », la
salle des sept provinces. Mise à part cette suppression franche et radicale, il considère avoir
toujours veiller à respecter le travail de ses prédécesseurs, en restructurant plus qu’en
modifiant, et en développant.
32
Jean-Michel Guilcher (né en 1914) a été ethnologue et maître de recherches honoraire au CNRS. Il est l’auteur
de La tradition de danse en Béarn et Pays Basque français (Editions MSH, 1984, 727p.). 33
François Beaudoin, conservateur du Musée de la Batelerie à Conflans-Sainte-Honorine, a réalisé une étude sur
« Les bateaux de l’Adour ».
35
« Et je me suis dis, il faut quand-même / ce musée est très très intéressant, et j’ai dit très
nettement et je l’ai proclamé il y a des choses qu’il ne faut pas changer. Et ces choses qu’il ne
fallait pas changer c’était un certain nombre de pièces, enfin un certain nombre de salles parmi
lesquelles il y avait la cuisine ! Il y avait l’auberge, il y avait le cimetière… en particulier car et je
le dis très nettement, ce sont des choses, ce sont des salles qui faisaient que les gens passant
par le musée se retrouvaient tout d’un coup devant le résumé de ce que pouvait être la vie au
Pays basque. »
« Je suis quelqu'un … qui a le respect de la tradition. Ce qui veut dire qu’il y a des gens qui
vous ont précédé, qui ont travaillé et qui ont fait un musée. Que vous apportiez des corrections
c’est normal, c’est dans la rénovation d’un musée. Moi j’ai mis sous vitrines un certain nombre
de choses importantes. Que ce soit la salle de la pêche, que ce soit pour le métier à tisser, que
ce soit pour les vêtements et les costumes et le mobilier, tout ça ça a été mis, ça n’y était pas
avant, vous comprenez, mais en gardant exactement les mêmes objets, en en faisant rentrer
d’autres bien entendu et, comme je vous l’ai déjà dit, en respectant des choses que je
considérais comme étant parfaitement réussies, voilà. Et ça je l’ai dit et je l’ai proclamé, il y a
des choses qui sont intouchables ici. »
« Il y a un certain nombre de choses que j’ai mises en réserves. Pourquoi ? Parce qu’un musée
c’est la présentation d’objets et à partir du moment où vous avez accumulation d’objets, les
gens passent et n’en regardent aucun. Autrement dit, quand vous avez un objet qui compte,
celui-là il faut que vous le mettiez particulièrement en vue. Il faut que automatiquement les
regards se posent sur cet objet. C’est ma… ma vision du musée. Et ça ne veut pas dire qu’un
musée soit pauvre alors que ce sont les réserves qui sont riches. On présente une pièce ou un
objet quelconque soit parce que il a un intérêt ethnographique assuré, soit à cause de son
esthétique. »
« Ce que j’ai renouvelé, enfin je veux dire, c’est au dernier étage en particulier, c’est l’histoire.
C’est une chose qui n’était pas structurée si vous voulez, et je l’ai structurée. »
Dès l’année de son arrivée, en septembre 1962, le congrès des conservateurs de musées se tint
à Bayonne : « j’ai fait visiter le musée, certains m’ont donné des conseils », parmi eux,
Georges-Henri Rivière qui était déjà intervenu au Musée Basque quelques années plus tôt
pour effectuer une « structuration » de la salle consacrée au jeu de pelote dont Jean
Haritschelhar était très satisfait, mais qu’il s’est tout de même réappropriée car le sujet lui
tenait particulièrement à cœur.
36
« Il y avait aussi dans le renouvellement du musée, il y avait « le musée de la pelote ». C’est
Georges-Henri Rivière qui l’avait fait le musée de la pelote34
. Bon je lui ai un petit peu complété
pour la simple raison que j’ai été aussi pilotari35
[rire] et que sur la pelote j’en connais un rayon,
vous comprenez ? Je peux vous dire par exemple, bon c’est une simple anecdote, mais il y a
une personne qui travaille sur la pelote, qui en train de faire je pense un travail de maîtrise.
Bon, elle s’est intéressée à ça, c’est une dame, elle s’est intéressée à ça et un jour elle est
venue me voir. […] »
Cette dernière anecdote témoigne du fait que, même si « Maintenant je regarde ça de loin », à
quatre-vingt-huit ans, il reste encore une référence, une personne ressource pour le milieu
culturel et la recherche au Pays basque. Il a par exemple envoyé à la fin de l’année 2011 un
article au comité de rédaction du Bulletin du Musée Basque.
Il est également très content que le musée ait été un lieu « ouvert », au-delà des chercheurs et
étudiants.
« Je peux vous dire que les principales réunions, toujours de type culturel, se sont déroulées au
Musée Basque. Les Assises de la langue et de la culture basques, en 1981 se sont déroulées
au Musée Basque. Parce que c’est moi qui avait eu l’idée de ces assises aussi […] »
« C’était des associations qui avaient aussi leur siège social au Musée Basque. Et j’a joute : non
donné par moi, mais par la mairie de Bayonne ; c’était tellement intéressant qu’il n’y avait pas à
ce moment là de salle de réunion à Bayonne […]. Autrement dit c’était un musée ouvert, c’était
une bibliothèque ouverte, ce qu’elle n’est pas maintenant. »
Il se souvient à ce propos d’une « avoinée » de la part du maire36
, avec qui il a ceci dit
toujours entretenu de bonnes relations. Ce devait être autour de 1985.
« J’ai reçu une avoinée mais alors terrible. Pour la simple raison que Seaska37
s’était réunie au
Musée Basque et avait cassé du sucre sur Grenet […] »
Et ce ne furent pas les seuls. Les années 1980 sont marquées par un dynamisme des
associations culturelles, pour la plupart très contestataires vis-à-vis de la politique municipale.
Sur le coup, le maire lui aurait intimer l’ordre de ne plus prêter cette salle de réunion. Mais
34
G.-H. Rivière avait donné des instructions à Jacques Barre pour réaliser cette salle. 35
Pilotari : joueur de pelote. 36
Henri Grenet (1908-1995), maire UDF de Bayonne de 1959 à 1995. 37
Seaska est la Fédération des ikastola du Pays basque français. Depuis 1969, elle contribue à la création
d’ikastola (écoles en langue basque). En 2012, Seaska regroupe 25 écoles primaires, trois collèges et un lycée.
37
très vite la mairie le recontacta pour savoir s’il pouvait accueillir une nouvelle association qui
venait d’en faire la demande. Et les habitudes reprirent le dessus au moins jusqu’au départ de
Jean Haritschelhar. Mais cette situation « d’accueil » des associations au sein du musée
n’allait pas durer. La fin des années 1980 allait être une période de contestation culturelle et
politique très forte, marquée également par les attentats du GAL38
. Le quartier du Petit
Bayonne, où était situé le Musée Basque, devint le centre de l’activité militante basque. La
fermeture de la Maison Dagourette allait mettre fin à cette forme d’ouverture aux
associations.
Il nous a confié aussi son sentiment à propos du « nouveau musée ». Nous le réservons pour
un autre chapitre consacré aux publics et aux partenaires du musée, car ses propos sont
similaires à d’autres recueillis.
Ses multiples activités le tenaient cependant éloigné physiquement du Musée Basque la
plupart du temps. Pour les affaires courantes, le quotidien du musée, il a été secondé par Jean
« Manex » Pagola que nous avons également pu rencontrer.
En 1969, alors qu’il venait de passer un concours de rédacteur, Jean Haritschelhar l’a recruté.
« Il y a des gens que j’ai recruté […] et des gens qui m’ont été donnés par la mairie de
Bayonne. Il se trouve que lorsque Madame Moisson qui était la secrétaire […] sa succession.
Alors là je suis allé trouver Henri Grenet et je lui ai dit « le successeur il faut qu’il sache le
basque ». Et je m’étais renseigné auprès du syndicat des communes à Pau, voilà je voudrais
[…] Grenet a accepté et c’est comme ça que Manex Pagola est entré au Musée Basque. »
(Jean Haritschelhar).
Manex Pagola est ainsi entré au Musée Basque, d’abord comme secrétaire de direction puis il
est passé conservateur adjoint (avec le « grade d'attaché de conservation »). Son « poste avait
plusieurs volets : responsabilité du secrétariat, courrier, comptes en lien avec la comptabilité
de la Ville, gestion de la bibliothèque et des archives du musée, accueil de chercheurs, tenue
de la régie de recettes d'entrées au musée ».
Fait intéressant, après un « C1 de langue et littérature basque » (équivalent à la licence) à
l’Université de Bayonne, il s’est lancé - en parallèle à son travail au musée - dans des études
38
Le (ou les) GAL, « Groupe Antiterroriste de Libération », sorte de milice clandestine de l’Etat espagnol,
perpétra entre octobre 1983 et octobre 1987 une longue série d’enlèvements, attentats et assassinats de réfugiés
basques d’Espagne, des etarra (membres de ETA) réels ou supposés, notamment à Bayonne.
38
« en anthropologie socioculturelle », jusqu’à l’obtention d’un doctorat pour sa thèse intitulée
Culture basque et urbanisation à Hasparren, soutenue en 1995 à l'Université de Bordeaux 3
sous la direction du Professeur Christian Mériot. Il avait avant cela consacré sa maitrise (en
1988) au Musée Basque.
« Pourquoi et dans quelles conditions avez-vous réalisé votre maitrise d'ethnologie sur le
Musée Basque ?
_ Assez passionné, je crois, par mon travail et l'intérêt des nombreux visiteurs et chercheurs, en
questionnement fréquent sur le fait culturel localement et en dehors, j'ai voulu voir ce qu'en
disait l'ethnologie ou l'anthropologie générale. Je pensais aussi qu'une institution prestigieuse
comme ce musée méritait à elle seule une étude d'ensemble quelque peu synthétique et
approfondie. »
Nous lui avons aussi demandé quelles étaient, selon lui, les missions et les priorités du Musée
Basque à l’époque.
« La conservation des objets et autres trésors du monde basque confiés déjà au musée,
enrichir les collections en tous genres, objets et documents divers, livres rares, graphiques,
photos, sonores, etc. Veiller à leur bonne état. Les mettre à disposition de la demande...
Présenter tout cela au public et aux nombreux chercheurs en tous genres de l'époque !
Etudiants, enseignants, chercheurs en tous genres, associatifs, écrivains, historiens,
romanciers, cinéastes... »
Il a aussi été trésorier de la SAMB pendant plusieurs années. Comme son directeur, il a lui
aussi poursuivi d’autres activités culturelles.
« En dehors du musée, composition de chants basques, création de spectacles de chants,
création d'ikastolas, émissions de radio en basque, cours de basque (langue), animation de
groupes de chants, danses basques à Urcuit, etc. »
Arrivé en 1980, Xalbat (gardien) se souvient de l’équipe qui composait le musée à cette
époque. Un couple de concierges, deux gardiens, Manex avec qui il a fait « ses premiers pas »
au musée, une caissière, deux secrétaires, un « qui faisait de la restauration un peu », puis
Alain arrivé en 1982 pour s’occuper de la bibliothèque.
« Il [le directeur] était je crois trois matinées par semaine […] il nous donnait les ordres et il
savait que le travail était fait. Il faisait confiance en son personnel [rire] et on faisait beaucoup
39
d’entrées on faisait 60.000 entrées par an. Il y avait des jours c’était jusqu’à mille personnes,
par jour, les jours de pluie, pas l’hiver. […] Et oui, c’était un musée ici, il y avait une très bonne
ambiance, c’était une petite famille. […] Ça c’est agrandi et puis il y a beaucoup plus de chefs
[en 2011]. Avant c’était Haritschelhar qui disait quelque chose, et après il y avait Manex Pagola
aussi mais c’était surtout Haritschelhar qui disait quelque chose, c’était lui qui décidait […] il
fallait que tout passe par lui. » (Xalbat, gardien).
Alain, quant à lui est arrivé en 1982, le directeur lui a d’abord demandé de « s’occuper plus
particulièrement de la bibliothèque ».
Quand Jean Haritschelhar quitta le Musée Basque, l’équipe se composait de dix personnes.
« Et à dix ça marchait. Je trouve très bien qu’ils soient vingt-trois, Je trouve très bien qu’ils
soient vingt-trois, tant mieux, ils ont pu en profiter effectivement avec l’ouverture du nouveau
musée, très bien. Mais moi avant de pouvoir avoir dépasser le nombre de dix, je peux vous dire,
Henri Grenet [rire] il faisait attention. » (Jean Haritschelhar).
Pour Jean Haritschelhar, le Musée Basque était et devrait rester « une institution au service de
la culture. » 39
« Un objet qui entre dans un musée n’est pas toujours en mesure d’être exposé. On doit
dresser pour lui une fiche scientifique, une sorte d’état civil où sont définies toutes ses
caractéristiques signalétiques et en particulier sa provenance exacte : en bref, l’histoire de
l’objet doit être retracée. Ce travail scientifique, fait de précision et de rigueur, est
indispensable dans un musée digne de ce nom, ce qui suppose la qualification du personnel de
ce genre d’établissement. Sinon il n’est qu’un étalage de pacotille dénué de sens où l’on
attache beaucoup plus de prix au seul pittoresque de l’objet ou encore à sa valeur
commerciale. » (ibid : 598).
Il s’opposait déjà en 1988 à la « tromperie » exercée par d’autres sites se réclamant eux aussi
« musées » : « Recherche de racines d’un côté, tourisme intelligent de l’autre, à partir de ces
données s’est fait jour une vogue nouvelle qui se répand comme une épidémie : la
« muséite ». […] On n’a pas le droit d’exhiber une image de pacotille, on a encore moins le
droit de créer des « nécropoles ». » (ibid : 598-599)
39
HARITSCHELHAR, Jean. 1989. « Le Musée Basque : une institution au service de la culture. », in Hommage
au Musée Basque, hors-série du Bulletin du Musée Basque, pp.597- 599.
40
Qu’il s’agisse du directeur ou de son adjoint, nous voyons comment le choix des
candidats aux postes à responsabilités du musée dépendait du contexte politique, l’expérience
muséale n’entrait pas à l’époque en ligne de compte. Le métier s’apprenait essentiellement sur
le tas. Mais une grande partie des missions du musée, telles qu’elles sont revendiquées
aujourd'hui, étaient déjà assumées : la collecte, la recherche, la mise en exposition permanente
ou temporaire, la communication, la médiation. Seule la conservation préventive n’était pas
encore une mission majeure du musée. La professionnalisation des métiers du musée était en
cours.
Pour la nomination suivante, le rapport à la « basquité » s’est inversé. La Ville de Bayonne a
retenu un candidat « bayonnais », en partie « pour débasquiser » le musée. Le maire était
toujours Jean Grenet, mais le contexte politique était bien différent.
1.5. Olivier Ribeton (conservateur du musée depuis 1988)
Arrivé au Musée Basque en 1988, quelques mois seulement avant sa longue fermeture (du 31
mai 1989 au 10 octobre 2001), il est l’artisan du musée tel que nous le connaissons
aujourd’hui. Mais comme il nous l’a longuement expliqué, tout ne s’est pas déroulé comme
prévu, loin s’en faut, et le résultat muséographique lui-même, à la réouverture du musée,
n’était pas exactement celui escompté.
En 1989, le Musée qui nécessitait une lourde rénovation fut fermé dans l’attente d’une
solution. Sa fermeture était envisagée aussi comme l’occasion de le repenser dans son rôle à
la fois de témoin et de centre de recherche. La réflexion et le travail de Georges-Henri Rivière
sur une ethno-muséologie et la réalisation d’expositions à caractère didactique qui n’avaient
que peu influencé les premiers directeurs du Musée Basque40
, furent alors considérés lors de
sa « réinvention » dans les années 199041
. Une muséographie « contemporaine » de Zette
Cazalas (vitrines, socles, éclairages, projection de films, ambiance sonore) épurée et
didactique (panneaux explicatifs trilingues) remplace la présentation folkloriste, composée
essentiellement de reconstitutions, de « salles d’ambiance ». Nous retrouvons la plupart des
thèmes de l’ancienne muséographie, ainsi que des nouveaux, une salle est par exemple
consacrée à La découverte du Pays basque. Et surtout, lorsque qu’il rouvre en 2001, il a
40
Il faut attendre la création du « musée de la pelote », au sein du Musée Basque, inauguré en 1958, œuvre de
Jacques Barre qui avait suivi les instructions de G-H Rivière. 41
Sujet notamment traité par Eloïse Durand, dans un mémoire de maîtrise en ethnologie réalisé en 2003, sous la
direction de Martine Segalen.
41
changé de nom, le Musée Basque et de la Tradition Bayonnaise a été rebaptisé Musée Basque
et de l’histoire de Bayonne.
Portrait : Olivier Ribeton, conservateur
Olivier Ribeton est conservateur territorial du patrimoine de 1ère
classe, au 5ème
et dernier
échelon. Il est conservateur du Musée Basque depuis le mois de novembre 1988.
Il a tout d’abord entrepris des études de droit (droit des affaires et affaires internationales) à
Paris, pendant cinq ans. Lors d’une première expérience professionnelle dans un cabinet
d’avocat, trois mois lui suffirent à prendre conscience qu’il n’avait pas « la vocation ». Il s’est
lancé alors dans des études en Histoire de l’art, à Bordeaux. Il obtint une licence (en trois
ans), puis une maîtrise (en deux ans).
« Qu’est-ce qui vous avez attiré dans ce domaine de l’Histoire de l'art et du musée ensuite ?
_ Alors curieusement j’ai commencé par m’intéresser à l’architecture, puisque j’ai fait ma
maîtrise sur l’architecture du Château de Bidache42
[…]. Après je me suis intéressé aux décors
intérieurs et peu à peu j’ai travaillé sur les peintures et je me suis un peu spécialisé dans le
portrait du XVIe à la Belle Epoque. »
Parallèlement à cette maitrise et ses recherches sur le Château de Bidache, il est retourné à
Paris où il a effectué des stages, notamment au Musée Carnavalet (Musée de l’histoire de la
ville de Paris), puis il a été engagé quelques années par la Fondation Mitsukoshi (grands
magasins japonais) pour organiser des expositions européennes à Tokyo.
« Des stages après mes études qui auraient dû amener à ce que je passe un concours des
musées. J’ai passé celui de la Ville de Paris où j’étais reçu à l’écrit avec 15 de moyenne mais
j’ai loupé mon oral et depuis je n’ai pas eu le courage de me représenter, donc je suis rentré
dans les musées par liste d’aptitude, à l’époque ça fonctionnait, quand on avait assez de
diplômes et fait différents travaux, surtout dans le cadre des stages avec les musées, on
pouvait vous agréer comme apte à diriger un musée, c’était avant la création des écoles du
patrimoine et ainsi de suite. C’est pour ça que je ne suis pas si jeune dans cette optique. »
Ainsi, il était déjà à Bayonne depuis 1984 « pour faire un musée d’histoire autour de la
collection des Ducs de Gramont »43
.
42
RIBETON, Olivier. 1981. « L’Architecture du château de Bidache ». in Bulletin de la SSLA de Bayonne. 43
Lire : RIBETON, Olivier. 1985. « Un musée Gramont à Bayonne », in Bulletin de la SSLA de Bayonne.
42
« Donc j’étais préparé à faire un Musée d’Histoire de la Ville de Bayonne et du coup… En 1985
arrivaient les rapports calamiteux sur l’état du bâtiment Dagourette qui abritait le Musée Basque
et au final, quand Haritschelhar a pris sa retraite, on m’a demandé de m’en occuper et pendant
un certain temps on a cru pouvoir faire d’une pierre deux coups, c'est-à-dire de réunir le Musée
Basque avec un musée de l’Histoire de Bayonne autour de la collection Gramont. »
« Et d’après vous qu'est-ce qui a fait la différence dans votre candidature ?
_ Alors Jean Haritschelhar avait comme candidat Manex Goyhenetche, qui était un historien du
Pays basque, bascophone … mais qui était / parce que la différence entre je dirais mes
prédécesseurs et moi-même est que mes prédécesseurs avaient une formation purement de …
on va dire de littérature : Haritschelhar c’était enseignant d’espagnol et de basque, qui avait la
chaire de basque à Bordeaux, Jean Ithurriague était professeur au lycée de Bayonne donc
c’était plus des enseignants que des gens issus du corps des conservateurs, enfin, même si
moi je ne suis pas estampillé concours mais j’ai fait mes stages dans les musées et j’étais liste
d’aptitude musée. […] Donc encore un autre profil. Mais le Musée Basque étant musée contrôlé
par les Musées de France depuis 1954, il fallait un minimum de règles « musées » à respecter
à partir de 1954. Alors pourquoi aurais-je été choisi à la place de Manex Goyhenetche ou à la
place d’autres candidats ? Parce qu’il y a eu plusieurs autres candidats. Je pense parce que
j’étais Bayonnais, que j’avais plutôt un profil Histoire, que j’avais déjà travaillé sur les collections
du Musée Basque et que on ne me voyait pas basque […] indépendantiste [rire]. »
_ Ce qui était le cas de Manex Goyhenetche ?
_ Goyhenetche était assez autonomiste oui, il était assez militant. Mais il ne faut pas négliger
affectivement que l’aspect politique intervient aussi dans les nominations. »
« Donc par rapport à votre entrée au Musée Basque… un petit peu par hasard finalement ?
_ Oui. J’ai beaucoup hésité et puis je me suis dit que d’une part j’avais commencé à travailler
sur les collections d’Histoire du Musée Basque puisque je pensais en reprendre une certaine
quantité pour le Musée Gramont et d’autre part c’était une autre approche qui me permettait de
traiter d’autres sujets, dont l’ethnographie. »
1.5.1. La fermeture du Musée Basque
La période de fermeture du Musée Basque est décomposable plus précisément en deux
grandes phases : de 1989 à 1993 puis de 1994 à 2001.
« […] je connaissais déjà un peu le mauvais état du Musée Basque, je savais que depuis 1985
on demandait la fermeture du musée pour conditions de sécurité, pour sauver le public, c’était
pas tellement pour sauver les collections, pour sauver le public, parce qu’il y avait des
planchers qui tombaient, il y avait des termites, enfin c’était assez catastrophique. Et au final
43
moi, à peine arrivé, j’ai fait venir des quantités d’experts de tous les matériaux au musée qui ont
fait des rapports sur l’état de catastrophe non pas du bâtiment mais des objets. Et à partir de là
a été mis au point un plan de reconstruction je dirais, du musée et des collections. Avec une
polémique gigantesque qui fait que je suis arrivé dans ce musée pour gérer les polémiques
parce que le maire de Bayonne, Henri Grenet qui avait déjà fait faire une étude pour
l’installation d’un Musée d’Histoire au Château-Neuf avait dit « on va faire des économies, on va
envoyer le Musée Basque au Château-Neuf » et alors là : lever de bouclier ! « On n’enferme
pas la culture basque dans une forteresse symbole de l’oppression des Basques par les
Français », etc. etc. Il y a eu même des dessins, dans la presse, dans Sud Ouest… Jean
Grenet à la Tour du Château-Neuf et Nicole Perret qui était son opposante socialiste au
Conseil municipal de Bayonne mais qui était aussi vice-présidente du Parlement Européen,
avant d’être Ministre, qui elle était à la fenêtre de la maison Dagourette ; Grenet disant - et moi
je suis au milieu avec une serviette avec deux visages – et Grenet disant « Viens ici » et Nicole
Perret qui dit « Reste ici » [rire]. Voilà comment on s’amusait à l’époque, ça faisait partie du
folklore local. Et on a fermé pour raisons de sécurité au 1er
juin 1989 donc comme l’actuelle
conservatrice du Musée Bonnat, je n’ai connu le Musée Basque ouvert que très peu de mois. »
Le 1er
juin 1989, le Musée Basque est fermé au public. Depuis quelques années, la Maison
Dagourette nécessitait des travaux de rénovation. L’idée première du maire de Bayonne , de
transférer le Musée Basque au Château-Neuf, fut refusée par Pizkundea, la fédération des
associations basques. Il fallut attendre 1993 pour qu’un compromis débloque la situation et
que la répartition que nous connaissons aujourd'hui entre les deux sites soit établie.
« Ce qui a été d’autant plus délicat que le maire était persuadé de pouvoir obtenir et il a eu
l’accord d’un des directeurs des musées de France, qui est passé très vite, Olivier Chevrillon,
pour tout transférer au Château-Neuf, mais comme c’est devenu extrêmement politique entre
Pizkundea qui est la fédération des association basques, qui avait pris position contre le
déménagement de Dagourette, le Parti Socialiste qui était en relais auprès de Jack Lang
ministre de la culture, donc l’épisode Château-Neuf a été interrompu et du coup il a fallut
puisque / pour se mettre d’accord il a fallut / on ne s’est mis d’accord qu’en 1993, fin 1993.
Donc de 89 à 93, ça a été des disputes à n’en plus finir et en 93 Jack Lang publie une lettre
disant qu’il coupe la poire en deux : tout ce qui se voit, tout ce que le public doit voir se trouve à
la Maison Dagourette, tout ce qui ne se voit pas est au Château-Neuf. »
Une fois d’accord sur le principe, un nouveau défi était à relever : concilier les intérêts et les
exigences des différents architectes.
44
« Et à partir de cette feuille de route on a pu enfin lancer un concours d’architectes-
muséographes, en sachant que dans les polémiques entre 89 et 93 on avait entre temps classé
« Monument Historique » la Maison Dagourette non pas en tant que musée mais en temps que
témoin de l’architecture portuaire de Bayonne, ancienne maison de négociant et ancien
entrepôt portuaire. Et du coup, cela avait l’avantage de nous donner des financements
supplémentaires, qui étaient les financements Monuments Historiques, mais en même temps
l’architecte en chef avait droit au chapitre et à chaque fois nous disait « je restaure des
entrepôts portuaires et une maison de négociant, je ne fais pas un musée, donc le musée doit
arriver par derrière, dans une deuxième peau sans que vous puissiez m’ennuyer avec des
exigences sur le bâtiment ». »
« Alors cela a été une position très rigide au départ ; on avait en plus l’architecte du Secteur
sauvegardé parce que / alors on était classé avec la Maison Dagourette et trois entrepôts et
heureusement on avait deux immeubles mitoyens qui appartenaient à la Ville de Bayonne, enfin
l’un lui appartenait depuis longtemps mais il y avait une occupante qu’il a fallut vider, et l’autre a
été racheté. C’était des immeubles « abords monuments historiques » et là c’est l’architecte du
secteur sauvegardé qui nous a dit « vous ne touchez pas aux façades, vous gardez les
façades » pour au moins l’immeuble Seguin de la rue Marengo, il n’y a que l’immeuble de la rue
Marsan qu’on a pu détruire complètement. Et l’immeuble de la rue Marengo, on a gardé les
façades, on a simplement limité la hauteur et on a vidé tout l’intérieur et on a construit un
nouveau bâtiment qui correspond à l’argialde44
, aux ascenseurs et aux escaliers en micro-pieux
autonomes, c'est-à-dire que la construction quand vous vous promenez dans l’argialde, c’est
une construction qui tient toute seule, qui ne s’appuie pas sur les murs du secteur sauvegardé.
Et ça a posé des problèmes par rapport à l’achat qu’on voulait faire d’une cour intérieure qui
était après, et une extension future du musée, parce que moi j’avais prévu de détruire le mur
donnant sur cette cour intérieure pour faire une ouverture sur un jardin … beaucoup plus clair.
Alors là quand vous regardez l’argialde, le puits de jour, le mur du fond n’est pas droit, il y a un
angle en plein milieu du mur qui correspond au fait qu’on a dû suivre le mouvement de la
façade « secteur sauvegardé ». Voilà parmi les petits détails qui nous ont amusés pendant un
certain temps et je vous l’ai peut-être déjà dit, quand les architectes-muséographes choisis par
concours et qui ont remis leur dernier / qui ont été choisis définitivement en juillet 94, ils ont dû
se battre avec l’architecte en chef pour faire passer leur désir de faire un musée. Et on avait un
Inspecteur des Monuments historiques qui venait de Lille pour prendre parti entre son confrère
architecte en chef et les architectes-muséographes. Donc cela a été je dirais, après un
programme que j’avais bâti, de 800 pages, ça a été vraiment une bataille de chaque instant
pour faire entrer ce programme dans les philosophies architecturales des uns et des autres et
surtout pour respecter ceux qui avaient droit à la parole en premier, les pompiers. C’étaient les
Commissions de sécurité qui nous disaient ce qu’il fallait faire. Et quand la Commission de
44
Puits de jour
45
sécurité avait donné son accord, enfin on pouvait travailler sur l’aménagement du musée dans
le monument historique. Voilà. Donc cela a été un très gros travail de négociation au final… »
« Et alors j’étais parti sur l’idée que l’ethnographie serait traitée dans les entrepôts portuaires
parce que l’architecture le permettait avec des murs en galets ou en remplissages assez
grossiers. Les sols autrefois étaient en terre battue, bon, avec des dalles posées sur la terre
battue ; on a drainé tout ça pour empêcher l’eau salée de la Nive de remonter mais on a remis
un opus incertum … c'est-à-dire des dalles un peu de travers pour laisser ce côté rustique et
traiter dans cette aile d’anthropo, avec les charpentes aux étages, tout ce qui était
ethnographique donc, alors que tout ce qui était histoire devait être traité dans la maison de
négociant côté Nive et côté Marengo. »
« C’est le projet initial avec un leitmotiv, c’était « musée de confluences ». Parce que je ne
voulais pas faire de ghetto basque ni gascon. Je partais d’un constat que la culture matérielle
était la même … que ce soit dans le monde rural ou dans le monde du pêcheur, enfin maritime,
et que après bon … la langue diffère, les traditions sont assez proches et que il fallait mieux
traiter une confluence de cultures qu’une opposition. Voilà. Ça c’était le but … si on peut dire le
projet scientifique et culturel il partait dans cette voie là. »
« Voilà, ce qui était prévu dans le projet remis fin 93 aux architectes et qu’ils ont dû mettre en
forme avec le choix d’un lauréat, l’équipe de Bernard Althabegoïty et de Zette Cazalas donc
choisis en juillet 94. Les projets des architectes ont été exposés à la Bibliothèque Municipale de
Bayonne. Et pour commencer les travaux, alors là c’est un peu ce qui se passe maintenant au
Musée Bonnat, il fallait vider la Maison Dagourette qui était surchargée d’objets puisque il n’y
avait pas de réserves et donc c’est peu à peu les salles qui servaient de réserves et pour la
vider il fallait une « opération tiroirs », et l’opération tiroirs ça a été le Château-Neuf et en fait les
travaux ont commencé avec assez peu d’argent sur le Château-Neuf et on a pu occuper le
Château-Neuf qu’en 1997 et on a ouvert au public une salle de lecture et une salle
d’expositions temporaires en 98. Et ce n’est qu’en 1998 qu’on a pu enfin commencer les
travaux à la Maison Dagourette, pour les finir en juin 2001. Voyez comme quoi dix ans c’est un
minium [rire]. »
Les priorités du conservateur pendant la fermeture furent déterminées par l’état d’urgence. Il a
dans un premier temps passer en revue tous les objets (sans pour autant faire un récolement),
commandé des expertises sanitaires, organisé et supervisé les traitements, créé des réserves,
supervisé le déménagement des collections.
En 1991, il a pu recruter une attachée de conservation spécialisée dans la conservation
préventive. En 1993, il fit entrer l’informatique au musée (Mobytext et Micromusée) et
46
supprima les inventaires papier au profit de la version informatique. A partir de 1998, il put
programmer et commissarier des expositions temporaires, d’abord dans la salle Ducéré de la
Bibliothèque Municipale, puis dans une aile du Château-Neuf.
La dernière année, il supervisa la réinstallation des collections dans la Maison Dagourette et -
conjointement avec Maïder (qui allait devenir en 2008, la responsable du service des publics)
- il rédigea les cartels et panneaux d’information (après un long travail de lecture d’ouvrages
divers). Il suivit également un séminaire, dernier acte de formation continue.
1.5.2. La réouverture du Musée Basque en 2001
En 2001, la maison Dagourette fut enfin rouverte au public. A Château-Neuf demeurèrent les
bureaux et les réserves. L’espace dédié aux expositions temporaires par contre ne fut pas
conservé. Avec la Loi Musée de 2002, le Musée Basque devient un musée labélisé « Musées
de France ».
Le musée rouvert, Olivier Ribeton reprit une activité « normale » de conservateur et directeur
d’établissement : gérer les acquisitions, poursuivre l’inventaire du musée, organiser des
expositions temporaires, effectuer des recherches sur la collection. Il a beaucoup écrit, des
articles, des livres et a donné des conférences. La conservation curative et préventive par
contre furent un peu délaissées par manque de budget adéquat.
Olivier est un « boulimique » de musées, à la fois par intérêt personnel mais aussi avec
toujours en arrière pensée une réflexion sur son propre travail.
« Il y a des musées très différents, moi je m’intéresse/ je suis un boulimique de musées,
quelque soit le musée, maison d’écrivain, musée des beaux-arts, musée des arts décoratifs,
musée d’Histoire pure et dure… Je suis assez admiratif de l’Historial de la grande Guerre à
Pérone, sur un sujet très difficile qu’est l’histoire de la Première Guerre mondiale ; c’est une
présentation avec des objets … des documents plus des salles d’expositions temporaires où il y
a un regard je dirais des artistes sur le déchirement de la Première Guerre mondiale, je trouve
que ça a été bien fait, c’est un petit musée, ça se regarde sans trop de fatigue alors qu’il y a…/
Un musée que j’aime assez, parce qu’il est assez proche de ce qu’on aurait dû faire ici, c’est le
Musée Breton à Quimper, le musée départemental breton, où les scénographes ont été moins
violents qu’au Musée Basque, ils ont mieux / il y a eu des curiosités parce qu’ils ont / en
revanche ils sont très très riches en costumes et ils ont fait une salle avec un entassement de
costumes dans des blocs de verre et c’est assez étroit, on passe entre… enfin je dirais que j’ai
47
vu beaucoup de « trucs », de façons de faire apprécier l’objet avec une mise en scène parfois
bizarre. »
1.5.3. L’audit
En 2005, la Ville de Bayonne estime le nombre d’entrées, et donc les recettes, du
Musée Basque insuffisant. Elle ne souhaite plus assumer seule sa gestion financière. Le
Conseil Général avait déjà été approché pour y participer. L’idée avait été émise en 2001 de
mettre en commun le CEP d’Irissarry45
et le Musée Basque sous la forme d’un « pôle
patrimonial du Pays Basque » mais le projet n’avait pas abouti.
Une idée forte était en 2005 encore que le Musée Basque avait « une vocation dépassant le
seul territoire communal ». C’est ce que l’on peut lire par exemple, dans une Note interne
relative au Musée Basque et de l’histoire de Bayonne, du Conseil Général, datée du 3 février
2005.
L’auteur (chargé de mission « patrimoine ») commence par établir un constat sur trois points
majeurs. Tout d’abord, la conservation qui « manque de suivi, pas de ligne budgétaire,
absence de programmation », même si les installations paraissent « satisfaisantes ».
Concernant l’« étude » des collections , il note que « le ralentissement, voire la disparition des
expositions temporaires n’est pas propice au développement des études sur le patrimoine du
Pays basque » et que « le personnel scientifique du musée a diminué (deux personnes sont
parties et non pas été remplacées) ». Il souligne que l’inventaire informatisé et le Bulletin du
Musée Basque sont des points positifs. Les deux points faibles, selon lui, sont « l’absence de
programmation » et « l’absence d’un ethnologue dans l’équipe scientifique ». Il préconise
donc d’y remédier et aussi un « développement des partenariats (Universités notamment) ».
Le troisième point abordé est la « diffusion ». Les points forts identifiés sont « le Bulletin des
Amis du musée basque » et « l’accueil du public scolaire et les projets pédagogiques ». Les
points faibles seraient : « Les expositions temporaires ; l’absence de publications ; peu
d’animations pour le grand public ; Une fréquentation qui est passée de 60 000 à l’ouverture à
30 000 en 2004, soit l’équivalent du Musée Bonnat ; Un site Internet qui n’est pas actualisé
depuis plusieurs années. »
Sa conclusion est la suivante : « Le musée basque est un équipement patrimonial de qualité
tant par le bâtiment que par les collections mais qui pose un certain nombre de problèmes :
45
Le CEP, ou Centre d’Education au Patrimoine, est situé dans le village d’Irissarry, dans l’ancienne
Commanderie Ospitalea, propriété du CG. Aujourd'hui le CEP y propose des séjours aux scolaires autour de
modules pédagogiques et d’ateliers animés par des médiateurs au patrimoine.
48
- Il présente essentiellement le Pays Basque du XIXe siècle et du début du XX
e siècle : Qu’en
est-il des périodes antérieures et du Pays Basque d’aujourd'hui ? Il est de la responsabilité du
musée basque de pouvoir étudier et diffuser les permanences et mutations de la société
basque/ on ne peut plus concevoir aujourd'hui un musée de société sans avoir cette
problématique.
- L’absence d’une programmation dans le domaine de la recherche, de la conservation, de la
diffusion.
- Une absence de crédits suffisants sur ces postes essentiels au développement du musée.
- Une gestion des ressources humaines qui ne permet pas le développement de la structure.
Manque de responsabilisation, de motivation, absence de comptes-rendus d’activités, pas de
réunions d’équipe, problèmes de communication interne…
- Une fréquentation en baisse sensible.
- Un musée basque qui n’est pas un acteur majeur et moteur du développement du territoire
Pays Basque. »
Ensuite, il aborde la question d’un partenariat entre le Ville de Bayonne et le Conseil Général.
Il estime qu’une « aide au 1/3 du fonctionnement du musée basque, cela n’enrayera pas le
déclin […]». Il serait nécessaire de prévoir plus.
Il ajoute que « si le CG64 verse une aide financière assortie de conditions, cela pourrait
prendre la forme d’un contrat d’objectifs voire la mise en place d’une nouvelle structure
juridique. », et il cite entre autre le syndicat mixte.
Il explique ensuite « la mise en place du partenariat » qui pourrait inclure comme objectifs
opérationnels : « une exposition temporaire par an (ce qui est actuellement un point faible du
musée : pas de budget, pas de réalisation ou bricolage) sur un thème qui concerne le Pays
basque. », « valorisation pédagogique en lien avec CEP ; organisation de colloques et/ou
d’expositions en lien avec CEP », « être un lieu de formation avec le CEP notamment pour les
autres espaces muséographiques du département. ».
Il propose aussi des « indicateurs », outre la fréquentation il s’agirait d’un « rapport
d’activités annuel (aujourd'hui le musée n’en réalise pas) » et « une enquête annuelle auprès
du public du musée » ; et des « outils » dont « une analyse précise de la situation
(conservation, étude, diffusion, moyens) ; un projet scientifique et culturel avec la prise en
compte de la mise en place d’une nouvelle structure juridique qui pourrait à terme regrouper
le CEP et le musée basque ; un comité de suivi avec membres du CG64 dont élus ; un chef de
49
projet qui serait technicien du CG64 pour concevoir en concertation avec l’équipe du musée,
un projet de développement trisannuel. »
Le lendemain de cette note, le directeur du service Culture du Conseil Général en signe une
autre qui allait être présentée lors de la rencontre prévue avec la Ville de Bayonne le 7 février.
Il se base en partie sur les constats et conclusions de la note précédente et en ajoute d’autres :
« l’absence de structuration de la gestion administrative, l’absence de la compétence
ethnographique, absence d’une fonction marketing et développement, isolement du musée ».
Parmi les propositions émises, nous retrouvons la création d’un syndicat mixte de gestion,
l’augmentation de « la capacité financière générée par des recettes d’exploitation », en faire
« la tête d’un réseau départemental des musées de société », la « mutualisation des moyens »
avec le CEP, « redéfinir le mode de gestion du musée en structurant le personnel autour d’une
double responsabilité :
- La direction générale de l’équipement : administrative, financière, juridique ainsi que le
programme de développement. Cette fonction devra être assumée par un professionnel de la
gestion d’équipement muséal.
- La responsabilité scientifique assumée par le conservateur auprès de qui une compétence
ethnographique devra être créer. »
Et enfin, « la création d’un comité scientifique associé au musée ».
En août 2005, la Ville de Bayonne commanda donc un audit.46
Dans un cahier des charges de
quatre pages figure l’« objet du marché » :
« La Ville de Bayonne avec le concours de la communauté d’agglomération Bayonne-Anglet-
Biarritz et du conseil général des Pyrénées-Atlantiques souhaite appréhender les moyens tant
juridiques que financiers nécessaires au bon fonctionnement et au développement du musée
masque et de l’histoire de Bayonne. L’étude, objet du présent marché, portera donc sur
l’analyse de la situation actuelle en termes financiers et organisationnels, au regard des
missions d’un musée de France (conservation, étude, diffusion). Elle devra proposer la
structure juridique la mieux adaptée au développement de cet établissement. »
46
Deux articles sont parus sur ce sujet dans La Semaine du Pays basque :
- 13-19 octobre 2005, le Musée Basque fait la Une : « Le gouffre financier du Musée Basque. Le déficit est
chronique, un audit est lancé ». « On espérait une moyenne annuelle de 50.000 visiteurs, les chiffres sont bien
moindres. Une réflexion est lancée sur le devenir de cette figure emblématique de la culture. Page 3 ».
- 3-9 novembre 2005, « Opération sauvetage du Musée Basque » : le point de vue de la conseillère municipale
Colette Capdevielle (leader de la liste d’opposition de gauche plurielle).
50
L’accent est bien mis sur le juridique, le financier, l’organisationnel. Les missions du Musée
Basque sont reléguées à un élément à prendre en compte, rien de plus. Son contenu, son
discours, sa muséographie, ne sont pas interrogés, son public non plus. En outre, la création
d’un poste d’ethnologue qui interviendrait en renfort à l’équipe scientifique n’est plus évoqué,
ni dans l’appel d’offre, ni dans l’audit rendu.
La Ville de Bayonne se lança donc à la recherche d’un candidat pour le poste de directeur-
manager culturel pendant que le Syndicat Mixte47
prenait forme.
1.6. Rafael Zulaika (directeur du musée depuis 2007)
En 2007, la Ville de Bayonne nomma un nouveau directeur.
Portrait : Rafael Zulaika, directeur - manageur culturel
Rafael Zulaika Ruiz a 48 ans. Il est de nationalité espagnole et vit toujours à Saint-Sébastien
sa ville d’origine. Il a étudié d’abord trois ans la géographie et l’histoire à l’Université de
Saint-Sébastien, puis deux ans l’histoire de l’art à Madrid. Il achève ses études en juin 1985 et
trouve son premier emploi en octobre de la même année au Musée des beaux-arts de Bilbao
où il est en charge du service éducatif et d’action culturelle. Il y travailla jusqu’en mars 1991.
Cette année là, il rejoint le Musée Naval de Saint-Sébastien, tout juste ouvert, au sein d’une
équipe réduite (quatre personnes) impliquant donc une plus grande polyvalence des agents.
Ainsi à ses missions en direction du public, notamment handicapé, s’ajoutaient des missions
de communication.
En avril 1994, il quitta le Musée Naval pour le poste de directeur du Musée de San Telmo,
toujours à Saint-Sébastien, poste qu’il occupa jusqu’en septembre 2003. Il eu a géré une
équipe d’environ vingt-sept personnes et a concevoir « un projet culturel et scientifique »
dans le but de réorganiser le musée. Il imaginait faire de San Telmo, dont les collections se
rapportaient à l’archéologie, l’histoire, l’ethnographie et les beaux-arts, « un musée pour la
culture basque ». En 2004, lassé des revirements politiques qui l’empêchaient de faire
progresser la réorganisation du musée, en repoussant la validation de son projet culturel et
scientifique, il démissionna.
47
Ce syndicat mixte, en exercice depuis le 2 avril 2007, réunit en plus de la ville de Bayonne, le département des
Pyrénées-Atlantiques (Conseil Général) et la communauté d’agglomération de Bayonne-Anglet-Biarritz
(CABAB). Il est représenté par dix délégués titulaires, dont quatre pour la ville de Bayonne, trois pour la
CABAB et trois pour le Conseil Général, et autant de suppléants dans la même proportion.
51
Il ne renonça pas pour autant à travailler dans le monde culturel. Il créa donc aussitôt « une
société privée de création de projets culturels et transfrontaliers », tel que par exemple un
itinéraire culturel dans la baie de Txingudi. Il entama aussi, à distance, un Master
« muséographie et visiteurs » à Barcelone, qu’il n’eut pas le temps d’achever puisqu’il fut
recruté au Musée Basque entre temps.
Il connaissait déjà le musée bayonnais. Il avait été invité au vernissage en 2001, alors qu’il
était directeur du musée de San Telmo. Il se souvient aussi d’un projet collectif de mallette
pédagogique « Voyage parmi les stèles », mené par plusieurs musées de l’arc atlantique.
Il a eu connaissance de l’annonce pour un poste de directeur au Musée Basque de Bayonne à
la fin de l’année 2006. Sa candidature retenue, il passa un entretien devant un jury de dix ou
douze personnes, représentants de la Ville de Bayonne, de la CABAB et du Conseil Général
(en tant que futurs partenaires du Syndicat Mixte), de la DRAC Aquitaine et des Musées de
France. Il estime que les points forts de sa candidature étaient son « parcours », sa
« connaissance du milieu culturel et patrimonial basque » et le fait qu’il soit bascophone
« j’imagine que oui mais pas que ».
La conclusion de l’audit selon lui était que :
« On a besoin de quelqu'un qui soit capable de chapeauter tout ça sachant que le conservateur
continue d’être ici l’autorité, le référent au niveau collection, au niveau connaissances ou travail
scientifique par rapport aux collections et tout ça, mais il faut manager, il faut gérer l’ensemble
quoi. »
Il fait sienne une métaphore qu’il a un jour entendue :
« un hôpital c’est pas un chirurgien qui le gère, c’est un directeur, il faut que le directeur sache
en quoi ça consiste la santé, la chirurgie etc. Mais c’est pas dit que ce soit un chirurgien
spécialisé dans le traitement ou voilà je sais pas … ».
Le métier de directeur - manager culturel, tel qu’il nous est apparu au cours de l’enquête se
compose de deux volets : l’un administratif, l’autre culturel.
Lors d’un premier entretien, après avoir exposé à notre demande son parcours professionnel,
il a abordé spontanément et directement le second volet, à savoir le volet « culturel ». Nous
pensons que c’est celui qui lui tient le plus à cœur, qui l’enthousiasme le plus et que peut-être
52
il ressent aussi le besoin de l’expliciter, voire de le justifier, vis-à-vis de la situation
conflictuelle que son arrivée induit dans le cadre d’un musée où il y a déjà un conservateur.
Nous l’avons interrogé au cours d’un deuxième entretien sur le second volet que nous
qualifions d’« administratif », à savoir donc la gestion administrative, financière et les
ressources humaines. Lors d’un troisième entretien nous l’avons questionné plus
particulièrement sur le réseau et le rayonnement du Musée Basque puis sommes revenus sur
les thèmes précédemment évoqués. Enfin, un quatrième entretien a finalement été consacré au
Conseil d’orientation, ainsi que comme à chaque fois au programme évènementiel du musée.
Jusqu’en 2007, le Musée disposait d’une secrétaire (Anne-Marie) pour gérer quelques
« petites tâches » spécifiques au musée, la Ville de Bayonne se chargeant du « gros » du
travail. Avec la création du Syndicat Mixte, la gestion complète du musée est déléguée à
l’institution. Une « responsable administrative » est alors engagée. Le directeur nous a
expliqué que sa mission administrative à lui est essentiellement de « contrôle », ou de
supervision. Il s’agit de vérifier que tout se passe bien, de relire par exemple les documents
destinés à être envoyés à la signature du Président du Syndicat Mixte, de dicter quelques
courriers.
« Je pense qu’on peut plutôt rapprocher l’administratif et le financier, dans le sens où il y a
préparation des budgets, suivi du budget, il y a le quotidien, parce que ça s’exprime aussi au
quotidien, c'est-à-dire il y a tout ce qui est facturation, bon de commande, etc. C’est vraiment
un certain boulot mais là voilà je pense que Ghislaine arrive à gérer ça très bien avec Anne-
Marie. »
Sur la question du budget il s’investit davantage. Dès l’automne il commence à préparer, avec
la responsable administrative, les « orientations budgétaires » pour l’année à venir, en se
servant de l’année, voire les deux années précédentes comme point de référence.
Il lance ce qu’il considère un « appel à projet » auprès de ses agents pour que chacun lui
indique ses besoins.
« Ça donne court en fait à un certain échange avec les différents agents.
_ Mais en fait comment vous tranchez justement ?
_ Pff… avec beaucoup de difficultés déjà [rire gêné] avec beaucoup de difficultés. »
53
Deux types de dépenses sont distinguées : d’une part les charges incompressibles dont le
personnel (et d’éventuels recrutements) et les frais liés au bâtiments (eau, électricité, travaux
éventuels, le ménage qui est sous-traité) ; d’autre part les dépenses prévues pour les activités
des services, réparties entre du fonctionnement et de l’investissement (par exemple du
nouveau matériel informatique). Il est évident qu’en cas de recettes trop faibles, les économies
se font sur les dépenses « activités ».
Dans les estimations, les recettes proviennent pour 80% du Syndicat Mixte et pour 10% de la
boutique, la billetterie, les visites guidées et la privatisation de salle (location) ; laissant « un
10% à aller chercher ailleurs », par le biais de mécénat, de partenariats, de subventions,.
« Grosso modo on est capable de gérer de l’ordre de 10% en recettes : boutique, billetterie,
voire visites guidées, voire locations, on peut voilà un 10% c'est-à-dire dans les 140 000 euros
150 000 euros, d’accord, ce qui nous amène 80 plus 10 : 90% d’accord, il y a toujours un 10% à
aller chercher ailleurs. Donc c’est entre guillemets « le fameux mécénat », les partenariats ou
les subventions. Et là donc quand on a préparé nous les OB - mais j’insiste pour dire que c’est
presque un BP plutôt que des OB – nous, on a indiqué vers où on pourrait pointer nos
recherches et nos demandes, soit de subventions, soit de partenariat. Après on n’a pas toutes
les réponses et là c’est pour donner un peu, là je termine un peu la présentation dans le sens
où le travail de mangement à mon avis, parce que c’est l’expérience que j’en tire aussi de 2011,
doit se faire en étroit contact et lien et collaboration avec les élus. C'est-à-dire je pense que …
nous devons leur proposer les meilleurs … comment dire pistes, ou les pistes adaptées, en fait,
les meilleures c’est les pistes adaptées à ce que sont les attentes et les missions que le
Syndicat Mixte a données au musée. »
Troisième point, et non des moindres, du métier de directeur, les ressources humaines
proprement dites. Lorsqu’un recrutement est lancé, la responsable administrative s’occupe de
tout ce qui est « papiers » et démarches. Le directeur lui est chargé de dresser un profil de
poste en fonction de besoins qu’il a préalablement identifiés, puis de recevoir les candidats et
de sélectionner le futur membre de l’équipe. Il doit également « manager » l’équipe au
quotidien. Il n’est pas convaincu de la nécessité de faire de grosses réunions avec toute
l’équipe. Il préfère de beaucoup communiquer par mail. Il organise tout de même deux à trois
réunions mensuelles avec les responsables de service.
Plutôt que d’imposer ses vues et son programme, il a pris le parti de parfois leur laisser un peu
de « souplesse ».
54
« Il faut peut-être trouver le bon créneau aussi, c’est une question / le management des
personnes c’est aussi trouver le bon créneau pour ces personnes là aussi. C'est-à-dire Olivier
Ribeton chasse à la baleine pff a priori ça ne va pas, ça ne va pas. Olivier Ribeton faïence de
Saint-Esprit, ça va mieux. Olivier Ribeton Ramiro Arrué « Pouf », formidable, il s’éclate. Voyez.
Jacques réflexion sur l’objet et tout ça / moi j’ai prêté des bouquins à Jacques […] donc je
reviens sur Jacques et l’objet par exemple. Moi, enfin, le projet qu’il a fait sur « L’objet dans tous
ses états ! » m’a paru formidable. Donc là je laisse déjà, enfin je valide, je laisse faire, je
délègue, « allons-y, formidable, très bien », j’accompagne, j’essaie de remédier aux éventuelles
difficultés, ceci cela etc. Par contre, voilà, je ne suis pas non plus le guichet de banque, enfin,
j’admets que en tant que directeur ce n’est pas que le guichet de banque, non, tu es force de
proposition aussi et parfois je peux venir avec un ouvrage, un bouquin qui aide tatatatata mais
parfois j’ai mon avis aussi à apporter ou à dire tatata. »
La création d’un Service des publics a aussi été une action de management importante. Il
existait déjà depuis 1988 un Service éducatif (appelé Argitu), mais la Loi Musées de 2002,
impose à tous les Musées de France d’avoir un service des publics, c'est-à-dire plus seulement
dédiés aux scolaires. Jusqu’en 2008, Mano (la professeur référent pour l’académie) travaillait
avec des vacataires, cinq à sept personnes dont essentiellement des guides de l’Office de
Tourisme qui intervenaient la plupart du temps et des étudiants plus ponctuellement. La
demande allant crescendo, les budgets « éclataient » chaque année. Au moment de la création
d’un service des publics dédié, par définition, à tous les publics (familles, adultes, handicapés,
enfants hors temps scolaire), le directeur a engagé une responsable et une seule
« animatrice »48
, mettant fin au système des vacations.
« Et moi j’ai considéré qu’il valait beaucoup mieux pour l’organisation de créer / qu’un poste soit
créé et qu’on ait quelqu'un à former mais après formé et qui puisse évoluer et faire partie de
l’équipe à part entière. »
Au-delà du caractère obligatoire de la création de ce service des publics, il considère aussi le
fort enjeu stratégique de développement culturel et de rayonnement du musée qui est une de
ses missions.
48
Il a fait la demande au Syndicat Mixte d’une « médiatrice », c'est-à-dire un statut de cadre B. Mais pour des
raisons budgétaires, cela n’a pas été validé et le poste a donc été nommé « animatrice » pour correspondre selon
lui à un cadre C. Derrière cette distinction terminologique entre animatrice et médiatrice ou statutaire entre cadre
B et cadre C, c’est la reconnaissance d’un métier qui est en jeu, dans ses compétences, responsabilités et
rétributions. Nous y reviendrons en présentant « l’animatrice » en poste en 2011, qui se trouve avoir été une de
ces vacataires.
55
Et s’il pressent une opportunité d’animation ou d’activité, il s’y engage aussi. Nous entrons là
dans le second volet de son métier : le culturel ou plutôt « l’animation culturelle ». Il nous a
raconté avec enthousiasme des expériences de médiation culturelle qu’il a menées dans les
musées où il a précédemment travaillé (rappelons qu’il « vient » du service des publics).
« _ Justement, maintenant que vous êtes à un poste de directeur vous avez encore accès à
toutes ses parts de créativité, de contact avec le public ?
_ Oui, oui, je dirais oui, je dirais oui et je peux même dire oui et les « mais » à côté. Les
« mais » dans le sens « oui mais ». Donc c’est « oui mais » donc pour certains peut-être on va
un petit peu au-delà de ce que seraient les missions essentielles je veux dire de management,
de pur et dur, de contrôle budgétaire, de gestion de ressources humaines, de ceci cela. Alors
moi je réponds quand même aussi, je dis : attendez enfin voilà / j’en connais, j’en connais
beaucoup de musées et de cas de figure, peut-être pas ici mais plus en Espagne qui sont
gérés, c'est-à-dire où y aurait la figure du conservateur qui serait lui issu du monde culture,
musée et tout ça et après y a un administrateur, on va l’appeler un administrateur ou manager
ou gérant « el gerente » en espagnol c’est plutôt « el gerente » le gérant. Ah oui attendez les
conflits qu’il y a, les problématiques qui se posent par rapport à ça. Parce que normalement
c’est l’un qui veut faire et l’autre qui dit « y a pas les sous » c’est classique. Alors moi je me dis
peut-être une autre formule qui aurait été celle de venir avec un / alors déjà ce serait pas moi.
Moi ça m’intéresse pas d’être le gérant dans ce sens là, parce que moi je ne suis pas ici pour
ne pas faire, ou pour dire y a pas les sous, non non. Si y a des projets, ce qu’il faut c’est trouver
les sous, c’est très difficile mais il faut les trouver. Il faut continuer de batailler. Et après il faut
adapter.
[…] Et donc je veux continuer, c’est une démarche très volontaire, je veux continuer d’avoir du
plaisir et puis je considère aussi quand-même que j’ai mon mot à dire. Justement par rapport je
vous parler de la figure du gérant ou comme ça qui est avec sa la calculette ceci cela etc. Je
pense que je suis quelqu'un qui a quand-même son avis/ enfin / c’est une autre chose mais je
lis beaucoup et parfois on écrit quand on lit beaucoup, donc j’écris/ j’ai fait certaines traductions
de livres, ça c’est aparté […] J’ai dessiné un petit peu, j’ai fait beaucoup de photographies […]
Je revendique ma partie quand-même créative, ce qui veut pas dire que je doive m’imposer ou
que je doive euh voilà me substituer ou remplacer d’autres personnes qui sont au sein de
l’équipe. »
Cette créativité il l’exprime essentiellement, au moment de notre enquête, dans le cadre de
« l’Agenda 10/10 » que nous présenterons en détail dans le troisième chapitre de ce rapport.
Voilà en quelques pages, la façon dont il nous a expliqué son métier et sa mission au Musée
Basque. Il n’a pas de supérieur hiérarchique et travaille sous l’autorité directe du Comité
56
Syndical, à qui il appartient de décider ou non si cette façon de faire et de voir le musée lui
convient. Il nous faut préciser enfin que son statut est particulier. Il a été recruté comme agent
contractuel non titulaire (la loi du 26 janvier 1984 permet le recrutement d’un contractuel
pour un emploi de catégorie A « lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le
justifient »). Il a signé un premier CDD de trois ans en 2007, reconduit en 2010 jusqu’en
2013.
Le poste de directeur combine tout ce qui l’intéresse :
« C’est quand-même que il y a des postes, tel que je le vois moi, au niveau de la direction ou
du management où on est aussi près de la capacité d’action, c'est-à-dire il y a la prise de
décision / bon il y a bien sûr l’analyse, ou la / enfin la préparation ou la planification et toutes
autres phases, comment dire ?... premières ou préalables, il y a après beaucoup à discuter etc.
etc., il y a après une prise de décision, il y a un projet qui peut être vraiment mené à bout et
donc je pense que nous les êtres humains on a aussi besoin de réalisation, de matérialisation.
Moi je me vois de ceux-là, de ceux qui aiment bien voir que les choses arrivent à terme et
qu’elles prennent forme, qu’elles naissent. »
1.6.1. Les « évènements » depuis 2007
Parmi les évènements survenus depuis 2007, nous retiendrons le procès entre le
conservateur et la Ville de Bayonne ; la dissolution du service éducatif au profit d’un nouveau
Service des publics ; une série de recrutements dont un chargé de communication et des
partenariats, une responsable du service des publics, une animatrice, une documentaliste, une
chargée de récolement, des agents d’accueil et de surveillance ; la création d’un Conseil
d’orientation, composé d’une vingtaine de personnalités extérieures au musée (chercheurs,
journalistes, représentants du monde des arts, de la communication, du tourisme).
La tempête de 2009 a marqué les esprits des agents du musée, notamment la bibliothécaire
dont le travail s’est trouvé bouleversé par la catastrophe pour les fonds documentaires et la
bibliothèque. En 2010, suite à des entretiens professionnels, les premières fiches de poste
furent créées. Le directeur du Musée Basque a mis en place la plupart des autres
« recommandations » de l’audit sur le développement à court terme.
57
2. L’organisation du Musée Basque en 2011
2.1. Le Syndicat Mixte : nouvelle autorité de tutelle
Pour comprendre les choix scientifiques et culturels effectués par la direction du Musée
Basque, nous devons considérer dès à présent les politiques culturelles et patrimoniales
locales dont nous verrons plus loin qu’il dépend beaucoup. Le Musée Basque est géré depuis
2007 par un Syndicat mixte, composé de la Ville de Bayonne, du Conseil Général des
Pyrénées-Atlantiques et de l'Agglomération Côte Basque - Adour (ex CABAB49
).
La création du syndicat mixte a été autorisée par arrêté du Préfet des Pyrénées Atlantiques
pris le 02 avril 2007. Jean Grenet, maire de Bayonne, en a été le premier président. Depuis
2009, ce titre revient à Jean-René Etchegaray, adjoint du maire à la culture.
En tant qu’ancien musée municipal, il reste extrêmement lié à son autorité de tutelle
originelle, du fait des habitudes de travail, de sa localisation en plein centre ville et de
l’énorme investissement financier que sa restauration a occasionné.
2.1.1. La politique culturelle50
de la Ville de Bayonne51
Le bilan à mi-mandat de la municipalité de Bayonne52
vient de paraître et constitue un aperçu
de la politique culturelle et patrimoniale.
Sur la double page consacrée à la « culture » figure un petit rappel de la promesse
municipale : « Une ville bouillonnante de cultures, c’est fait ! ». Dans le détail il s’agissait de
« Développer une offre culturelle diversifiée, encourager la créativité artistique et les
nouvelles initiatives ouvertes sur l’international, implanter de nouveaux équipements qui
profitent à tous les quartiers et à tout un territoire, soutenir la création et la diffusion locale,
s’enrichir de coopérations transfrontalières, c’est la politique culturelle engagée par Bayonne
en concertation avec tous les acteurs culturels et les habitants de la cité. » (p.22)
La double page suivante, consacrée au « patrimoine » rappelle que « Une ville reconnue d’Art
et d’Histoire, c’est fait ! ». A lors que la culture est conçue dans le présent, le patrimoine, au-
delà du bâti, est représenté par les lieux de stockage/rassemblement des éléments (objets,
49
Au 1er janvier 2011, l'intercommunalité Bayonne-Anglet-Biarritz est devenue, avec l'intégration des
communes de Bidart et de Boucau, l'Agglomération Côte Basque – Adour. 50
Moulinier, Pierre. 2010. Les politiques publiques de la culture en France, Paris : PUF. 51
La Ville diffuse également un magazine d’information mensuel Bayonne magazine, dont le numéro 159 (mars-
avril 2010) comportait un « Dossier culture et patrimoine ». Le flux 43.5 est le nouveau magazine culturel de la
ville, avec quatre numéros parus depuis juillet 2010. 52
Supplément du Bayonne Magazine, n°168, décembre 2011.
58
œuvres et documents) de la mémoire collective : « La Ville s’est engagée dans une politique
patrimoniale, urbaine, culturelle et touristique dynamique qui lui a permis d’être labellisée
Ville d’art et d’histoire en 2011. Dotée de collections muséographiques prestigieuses et de
fonds documentaires remarquables, Bayonne s’attache à préserver et à mettre en valeur son
patrimoine. La Ville nourrit de fortes ambitions pour ses musées et sa Médiathèque. » (p.24)
Notre situation d’administrée bayonnaise depuis six ans nous a donné l’occasion aussi de
« consommer » une part non négligeable de l’offre culturelle de la ville et des environs ; nous
avons aussi suivi différentes « affaires » dans la presse, qui relaie par ailleurs un certain
nombre d’opinions, notamment des opposants à la majorité UMP du conseil municipal. Les
délibérations du conseil municipal sont elles aussi publiques et les procès verbaux sont
publiés sur son site internet.
Nous avons pu rencontrer à quelques reprises l’actuel adjoint au maire, élu à la culture et
également président du Syndicat Mixte. C’est lui qui lors d’une entrevue nous a renvoyé vers
la Directrice de la Culture, du Patrimoine et de l’Animation 53
(anciennes Affaires culturelles)
pour approfondir et connaitre plus en détail l’action culturelle de la Ville.. Nous avons réussi à
obtenir une entrevue avec elle, en même temps qu’avec sa collègue animatrice du label Ville
d’art et d’histoire, ce qui nous permet de combiner à la fois le point de vue de l’élu et celui du
fonctionnaire.
Les objectifs de la politique culturelle de la ville de Bayonne dans le cadre de l’Agenda 21
sont clairement exprimés. Le premier d’entre eux est la démocratisation culturelle ou plutôt
l’accessibilité à la culture : « rapprocher l’art des citoyens, provoquer la confrontation ».
Pour orienter la conversation vers les projets, nous leur avons demandé quels ont été leur
« coups de cœur » des dernières années.
La directrice nous a alors parlé de Nestor Basterretxea. Alors qu’elle travaillait à la Ville de
Biarritz, elle avait collaboré avec le fils du sculpteur. Ainsi son histoire avec Basterretxea
« père », qui est « un des grands monstres de la sculpture au Pays basque » revêt aussi une
dimension personnelle, presque affective. C’est ce qu’elle appelle « une vraie histoire ».
Un autre projet qui l’a aussi beaucoup enthousiasmé est, en 2011, dans le cadre des
Translatines, l’exposition (intitulée Muchedumbre) du photographe chilien Jorge Brantmeyer,
invité à accrocher des portraits géants en plusieurs lieux de la ville. Outre le talent de l’artiste,
53
Elle-même est rattachée à la Direction Générale adjointe en charge de la culture, de l'éducation, de la vie
sociale et du sport.
59
elle pense que là aussi c’est son histoire personnelle (elle a travaillé pendant dix ans à
l’Institut français du Chili) qui entre en jeu. C’est là une dimension importante de son travail :
faire découvrir de nouvelles choses au public et réussir à susciter chez lui des émotions du
même ordre, quelle que soit l’histoire personnelle de chacun.
La production des expositions dans le cadre du Festival des Translatines, des œuvres souvent
« assez provocantes », est l’occasion de donner à voir autre chose que la seule culture locale,
traditionnelle ou contemporaine. C’est une ouverture vers le monde qui ne peut qu’enrichir.
L’animatrice du label, elle, considère que « son moment préféré, n’est pas un évènement ou
une exposition », mais « le montage du projet de candidature » de la Ville au label. Elle
travaillait alors déjà depuis vingt aux archives municipales et avait été appelée à participer à la
rédaction du projet en tant qu’archiviste. « C’était un projet très intéressant ».
Nous avons évoqué ensuite la stratégie volontariste - qu’elles n’avaient pas encore abordée
spontanément -, avec l’exemple en 2009, de l’« année Breuer », l’une des actions citées dans
le Bilan à mi-mandat 54
. L’objectif était clairement de modifier le regard porté sur un quartier
par une réhabilitation du bâti accompagnée d’une réhabilitation culturelle et sociale. Rendre
accessible à tous la culture, sans nécessairement démocratiser des formes « élitistes » mais en
en proposant d’autres, plus en lien avec les goûts supposés des habitants de ce quartier
populaire. Il y a là un objectif social fort : rendre les gens fiers de leur quartier et de leur ville.
« J’ai eu tord de ne pas vous en parler ! J’ai trouvé ça génial. Un projet transdisciplinaire.
[Cela nous a aussi permis de] réfléchir à cette architecture qui est le patrimoine de demain. »
Sa collègue ajoute : « Là pour le coup, ça rénovait, ça modernisait, exactement le genre de
choses qu’on aime faire ».
Un autre type d’objectif est le soutien à la création artistique. Bayonne est une ville où il y a
beaucoup de pratiques artistiques et culturelles « traditionnelles » : musique, danse, etc., mais
à leurs yeux « peut-être pas suffisamment tournée vers la création contemporaine ». La
directrice en donc fait un axe majeur de son travail. Par là elle veut inciter les élus à « parier
sur la relève », car Bayonne est, selon elle, « une ville patrimoniale », où il y a « beaucoup
d’associations » et où vivent « des gens d’un certain âge » mais aussi « des jeunes qui veulent
54
« En 2009, l’Année Breuer a accompagné la rénovation des résidences du même nom, dans les Hauts de
Bayonne : une pléiade de projets artistiques et culturels, une opération qui a sensiblement modifié le regard de
tous, habitants ou non, sur ce quartier. » (extrait du Bilan à mi-mandat).
60
s’investir ». Le Conservatoire par exemple avait l’habitude de travailler beaucoup avec
Biarritz, elle a souhaité aussi créer une collaboration pour qu’il participe à l’offre culturelle de
Bayonne.
En 2011, l’exposition Entre temps est emblématique de ce vers quoi elle souhaite aller : le
principe était d’amener « des créations contemporaines dans des lieux patrimoniaux », dont le
cloître de la cathédrale, le Musée Basque, pour surprendre, interroger et faire le lien entre le
patrimoine bâti ancien et le présent. Avec son équipe elle essaye d’innover, de sortir des
sentiers battus. L’animatrice du label a constaté à cette occasion qu’une installation, sur le
Quai Galuperie, de huit drapeaux blancs, « n’a pas été identifiée comme de l’art », des gens
ont cru que c’était en rapport avec le mariage du maire à cette même période. « Dans les lieux
fermés ont comprend que c’est une expo, mais dans l’espace public c’est nouveau ». Un gros
travail reste à faire auprès des Bayonnais pour leur faire découvrir la création contemporaine
et qu’ils se « l’approprient ».
L’obtention du Label Ville et d’Art et d’Histoire devrait y contribuer. Elle permet l’attribution
de « quelques aides financières pendant deux ans » mais surtout elle apporte « une
reconnaissance » par l’inscription dans un réseau « prestigieux ». Les responsables du label
annoncent une hausse de 30% de la fréquentation, mais l’animatrice « n’y croit pas dans le
cas de Bayonne car c’est une ville déjà fréquentée, et bien, pour son patrimoine et son
histoire ». Ce label est alors surtout une opportunité de « valoriser l’image de la ville, en
donnant une autre image que la Bayonne festive ». Il peut aussi « encourager les habitants à y
participer », en tant que « acteurs ou spectateurs ».
Du côté des élus, s’ils avaient déjà compris que le patrimoine représente un enjeu en terme
d’urbanisme (le centre-ville), la Ville « est aussi en train de comprendre qu’elle a aussi un
patrimoine bâti et d’objets important : monuments (la cathédrale, les remparts), musées,
archives, médiathèque. ». La direction Culture et Patrimoine a donc à « fédérer ce qui
existe », tache qui « n’est pas facile » et nécessite « de la diplomatie ». L’avantage du label
serait qu’il n’est « remis en cause par personne, par aucun élu ».
L’animatrice du label remarque une avancée symbolique très importante dans le changement
du nom du service. Les « affaires culturelles » ont été rebaptisées « Culture et Patrimoine ».
Elle trouve cela « intéressant et encourageant » : « la place du patrimoine est maintenant
clairement identifiée. Le patrimoine relève aussi de la culture » et plus seulement « du
tourisme » (les visites guidées par l’office de tourisme) ou « de l’urbanisme » (rénovation et
61
restauration du bâti ancien). Car elle estime que les urbanistes n’ont pas toujours de
« compétence pour la médiation » et que « le patrimoine n’est pas que le patrimoine bâti ».
Sa directrice ajoute qu’elle a fait retirer le terme « animation » du nouvel intitulé55
. Pour la
Ville, l’évènementiel serait plus important que la culture ; elle a construite son action
culturelle surtout « sur le soutien aux associations », mais pour l’instant « n’a pas défini de
politique culturelle ». Alors qu’une ville d’Art et d’Histoire « doit avoir 300 évènements, on
en a 600 ! Je trouve que c’est une tare ». Elle considère qu’il faut effectuer des choix, pour
rester cohérent, efficace et surtout pérenne. « On inaugure, on ouvre, on fait des choses, on
contente les asso, les gens ; c’est la notion « il se passe toujours quelque chose » », mais par à
côté « on n’a même pas d’argent pour les vernissages » et le Carré Bonnat, dont l’immeuble
dans lequel il était situé a été vendu, ferme cette année, sans solution de relocalisation.
Développer l’offre culturelle et la production artistique n’est donc pas chose aisée. Un
obstacle important reste que le Service Culture et patrimoine ne maitrise pas sa
communication, c’est le Service Communication de la ville qui l’assure et il ne partage pas
nécessairement le même point de vue. Alors qu’elles se voient plutôt « dans une logique de
fond, sur toute l’année », la communication, elle, est au final « évènementielle ».
Elles expliquent ce « verrouillage » par le fait que la culture n’est pas un enjeu majeur pour la
ville qui a d’autres priorités, notamment « une priorité sociale clairement affirmée », et une
« priorité au sport ».
Du point de vue de l’opinion publique, à Bayonne, la culture se résumerait à trois motifs : la
corrida, le rugby et les fêtes de Bayonne. Ces éléments sont cités tant par les détracteurs que
par les aficionados. La création artistique contemporaine n’est que rarement évoquée, elle
n’est pas perçue comme un axe fort de la politique culturelle. Il n’est pas reproché à première
vue l’élitisme de la politique culturelle, mais plutôt le népotisme du maire, qui imposerait ses
goûts personnels à ses administrés. Ce dont on parle aussi beaucoup dans la presse, c’est le
départ de manifestations et évènements vers d’autres villes (Biarritz notamment).
A la lecture de la répartition du budget, nous remarquons que 7% sont consacrés à la
« culture », soit autant qu’au « sport ». Mais encore faut-il savoir que dans ces 7% dédiés à la
« culture » entreraient aussi les budgets alloués aux fêtes de Bayonne et à la corrida, gérés par
55
Ce n’est pas encore fait sur le site internet de la Ville, mais effectivement une réflexion est en cours pour créer
un service « animation »… Lire l’article paru dans Sud Ouest le 21 février 2012, « L'articulation des animations
fait débat ».
62
des commissions extra-municipales et que par conséquent les moyens d’actions de la
Direction de la culture et du patrimoine sont bien en deçà du pourcentage annoncé.
Une fois leur travail expliqué, nous avons pu discuter plus spécifiquement du Musée Basque.
Toutes deux y vont très souvent. La responsable est d’ailleurs surprise que certains élus n’y
aillent jamais, alors qu’il y a des concerts notamment, pas seulement des expositions. Nous
reviendrons sur leurs avis personnels lorsque nous aborderons la question du public dont elles
font ainsi partie.
Dès le début de l’entretien elles nous avaient expliqué que le Musée Basque est « un
partenaire permanent ». Actuellement peut-être est plus encore puisque le Musée Bonnat (et
bientôt aussi le Carré Bonnat) est fermé. Il n’y a « pas beaucoup d’équipements en centre-
ville », le Muséum d’Histoire Naturelle, à la plaine d’Ansot est par exemple relativement
excentré. Le Musée Basque est un véritable « outil de l’action culturelle de la ville », à la fois
« en tant que musée » mais aussi d’espace, c'est-à-dire de « salle » disponible.
Les relations avec le musée sont « fluides ». La responsable suggère régulièrement au
directeur des artistes pour les expositions mensuelles de photographies dans la salle Xokoa
(par exemple Jean Patou, Jorge Brantmeyer) ; elle est aussi en contact avec l’attaché de
conservation lorsqu’il s’agit de fonds photo, avec le conservateur en ce qui concerne les dons.
L’animatrice du label, elle, travaille avec le Service des publics du musée, pour « développer
des thématiques communes dans le cadre d’une éducation au patrimoine du jeune public, en
ou hors temps scolaire ». La dernière « coproduction » porte sur le thème du XIXe siècle en
histoire des arts.
Le Service culture et patrimoine propose aussi au musée des évènements tels que la
présentation et « signature d’ouvrages liés au patrimoine », en gardant le souci d’« une
cohérence ». Il y a eu aussi récemment le projet sur les femmes écrivains. Et « quand il y a
quelque chose avec le Pays basque sud on le fait souvent au musée ».
Le Musée Basque est maintenant le seul lieu disponible donc « on le charge » ; « il est en plus
un emblème », une « qualité que n’a pas par exemple la médiathèque [qui] elle non plus n’a
pas de budget et encore moins d’espace ». En même temps pour le Musée Basque, cela « lui
fait de l’animation, de l’évènement, il s’y passe quelque chose », la communication est relayée
aussi par la ville. La directrice estime toutefois que cette présence forte se fait « par défaut
pour les deux partenaires, même si un peu de temps en temps c’est un minimum ».
« Ses conservateurs ont fait des expositions de très grande qualité par le passé », mais
maintenant leur budget ne leur permet plus de travailler de la même manière.
63
Pour l’année 2012, la Ville propose deux expositions au Musée Basque : l’une serait
consacrée à des dessins de Bayonne par Dominique Duplantier, illustrant un livre coédité par
la Ville ; l’autre serait une exposition consacrée à la marque de liqueur Izarra, « une
exposition virtuelle sur les techniques de fabrication ». Mais la responsable n’a pas souhaité
nous en parler pour l’instant « car c’est en train de se faire ».
Cet entretien nous a donné un aperçu de l’importance du patrimoine et de la culture dans la
production, la « construction », d’une identité locale ; du tiraillement aussi entre des objectifs
proprement culturels, mais aussi sociaux, économiques et toujours au final politiques.
Le sentiment général (et pas seulement à la Direction de la culture et du patrimoine de la
Ville) est que s’il n’y avait pas les évènements et les expositions de la Ville, le musée n’aurait
pas grand-chose à présenter puisqu’on ne lui donne pas de quoi travailler. Une autre
impression est que la culture parait obligatoire mais que certains élus n’arriveraient pas à
accepter qu’elle soit déficitaire. Elle ne serait pas considérer par tous comme un service
public.
Nous avons rencontré d’autres employés de la mairie. L’un d’eux nous a confié que le
problème de la ville avec le Musée Basque, outre le procès intenté par le conservateur, est que
lors de sa rénovation le Musée Basque a coûté extrêmement cher et que dix ans après sa
réouverture, le déficit n’a pas été amorti. Le musée continue de coûter et de ne pas rapporter.
Ce serait le problème principal. Nous avons constamment entendu cet argument. Ce qui nous
interpelle, c’est l’absence de « problème » ou de critique sur le fonds, sur le contenu, sur le
travail effectué au musée. Avant d’être un outil patrimonial ou culturel, le musée est donc aux
yeux des administrateurs d’abord politique et économique.
2.1.2. Une Agglo 56
sans compétence culturelle
Dans un article du Journal du Pays basque, paru en 2008, « Didier Borotra refuse à
Bayonne la compétence culturelle de la Cabab. Didier Borotra estime qu’il est "hors de
question" de doter la Cabab des compétences culturelles que souhaite Jean Grenet ». Et le
56
L’Agglo est le nom d’usage si l’on peut dire de l’Agglomération Côte Basque - Adour, anciennement CABAB.
64
journaliste de poursuivre : « Et en veut pour preuve que « la ville n’a pas été capable de
répondre aux besoins du Musée basque ». »57
.
Le projet majeur de l’Agglo est le Programme Pluriannuel d'Investissement dont le but affiché
est de « créer, dans le respect des identités des villes de Bayonne, Anglet et Biarritz, un pôle
urbain équilibré, puissant, attractif, compétitif, et surtout solidaire de la cohésion de son
territoire. », par l’apport d’une l’aide financière à la maîtrise d’ouvrage communautaire,
régionale ou départementale. »58
. En définitive, l’Agglo n’a pas de compétence culturelle mais
elle intervient au niveau de l’investissement d’équipements culturels, dont depuis 2007 le
Musée Basque59
.
2.1.3. Le Conseil Général
Nous connaissions déjà cette institution pour y avoir effectué un stage lors de notre thèse.
Nous avons donc rencontré dès le début de cette enquête le chef du Pôle aménagement,
développement culturel et politique linguistique, délégué au Syndicat mixte, dont le rôle est
de conseiller les élus en leur apportant leur expertise.
Les actions prioritaires du CG en matière de culture sont de « renforcer l’organisation
culturelle du territoire ; contribuer à l’animation culturelle sur tout le territoire ; proposer aux
jeunes des activités culturelles ». Il contribue au financement d’équipements tels des salles de
cinéma, des écoles de musique et des bibliothèque. « Le Conseil général soutient également
des structures comme les pôles ressource et les lieux de fabrique des spectacles pour favoriser
la création et la diffusion artistique. Il a également créé un Centre d’éducation au patrimoine,
à Irissarry. »60
Dans son rapport d’activité 2010, le Conseil Général revient sur l’exposition Habiter les villes
fortifiées « abritée » par le Musée Basque, c’est la seule évocation du musée.
« Exposition sur le patrimoine fortifié. Du 16 septembre au 16 janvier 2011, le Musée basque
et de l’histoire de Bayonne a abrité l’exposition « Habiter les Villes Fortifiées - Histoire,
conservation, réutilisations et défis urbains ». Monté en partenariat avec le Conseil général
des Pyrénées-Atlantiques, cette exposition avait pour objectif de mettre en valeur le
patrimoine fortifié du département : elle a nécessité notamment la construction de maquettes
57
Accessible en ligne : http://www.lejpb.com/idatzia/20080216/art207386.php 58
« représentation » ou « d’exposition », mais le centre d’une activité intellectuelle prenant en
compte Bayonne et le Pays Basque. » (Haritschelhar, 1989 : 9).
Il regrette que le lien entre le musée et le Bulletin se soit distendu depuis son départ du musée
en 1988. Le directeur de la publication n’est plus le directeur du musée mais un membre de la
SAMB. Des rubriques ont disparu, telle la publication des dons et les notices d’objets, ou la
chronique annuelle des activités et moments forts de la vie du musée.
Toutefois nous pouvons temporiser cette désunion par la présence active au sein du comité de
rédaction du conservateur et de l’attaché de conservation108
. Tous deux y publient
régulièrement des articles et Jacques propose dans chaque numéro sous la rubrique Zer da
hori ? (Qu’est-ce que c’est ?) de découvrir un objet mystérieux des collections du musée. Cet
objet est montré ensuite lors de la présentation publique du Bulletin et une notice explicative
parait dans le numéro suivant. Cette présentation publique, qui a lieu deux fois par an au
moment de la sortie, généralement en juin et décembre, au Musée Basque (en salle Argitu ou
Xokoa), consiste en une présentation des articles par les auteurs eux-mêmes, la présentation de
l’objet mystère, et est suivie d’un « pot » offert par un mécène de l’association. Tous les
membres de l’association y sont conviés, mais elle regrette que le Musée lui-même ne fasse
aucune communication sur l’évènement car cela pourrait l’aider à toucher et rencontrer de
nouveaux lecteurs, auteurs et membres potentiels.
Cette question de la communication entre le musée et la SAMB a encore été évoquée par le
Président sortant, lors de la dernière Assemblée Générale (mars 2012). Souvent l’association
n’est pas avertie des évènements qui ont lieu au Musée Basque, ou alors au dernier moment,
ce qui ne laisse pas toujours le temps de transmettre l’information aux membres. Outre le
Bulletin lui-même, l’association tient aussi à jour un site internet et publie une lettre
d’information Gogoan, qu’elle envoie par courrier à ses membres deux à trois fois par an,
selon l’actualité. Elle serait intéressée à y joindre par exemple le programme d’animation du
musée. Le président de l’association regrette aussi que le Conseil d’Orientation, dont il est
membre invité, ne se soit réuni qu’une seule fois en 2011, « C’est dommage […]Ce qui nous
fait douter de son intérêt » car il pourrait être aussi un outil de communication et d’échange.
108
Le premier est membre de la SAMB, pas le second. Pour le conservateur, son appartenance à l’association est
une manière de lui montrer sa reconnaissance et de lier plus étroitement le musée et la SAMB. Jean
Haritschelhar, son prédécesseur partage cette opinion. Jacques au contraire, a choisi de tenir une certaine
distance « symbolique » pour marquer le fait qu’il y participe en tant que professionnel du musée et pas à titre
personnel (même si des liens d’amitié se sont créés), lui aussi dans le but d’affirmer le lien entre le musée et la
SAMB. Deux façons différentes de se positionner vis-à-vis de la SAMB mais portée par un même objectif : ils
considèrent tous deux leur participation active au Bulletin comme une nécessité pour la crédibilité tant de la
revue et de l’association que du musée lui-même.
201
Le directeur présent ce jour-là a alors proposé à la SAMB de désigner un ou des référents
avec lesquels organiser une réunion pour tâcher de trouver une solution.
Pour l’instant, les réunions du Comité de Rédaction (tous les deux mois environ) sont
l’occasion de se tenir au courant de l’activité du musée, grâce à la présence des conservateurs.
Dans le dernier rapport moral de l’association, sont citées deux actions menées en faveur du
musée : la sollicitation pour la réouverture des salles agropastorales et la souscription (lancée
en partenariat avec Bayonne Centre Ancien) pour l’achat du portrait de Pierre-Jean Garat
ensuite offert au musée. La souscription a été un succès tel que 2000 euros supplémentaires
ont été reçus, que le conservateur propose d’utiliser pour l’achat de photographies anciennes à
offrir de la même façon au musée. En 2010, il s’était aussi fait offrir par le biais de la SAMB
pour le musée une soupière des faïenceries de Saint-Esprit.
Le rapport financier est excellent, le rapport moral plutôt bon aussi. Pourtant la SAMB
connait quelques difficultés.
Sophie Cazaumayou, directrice du Bulletin souligne que le lien avec les conservateurs est
primordial. Elle prévient aussi que le Comité de Rédaction doit être vigilent à la diversité des
auteurs ; cette année, sur les deux numéros parus, seuls deux articles étaient signés d’auteurs
extérieurs à l’association. « Le Bulletin ne doit pas être qu’un organe interne ». Jean
Haritschelhar nous avait fait remarquer que souvent, lorsqu’il était appelé à des jurys de
soutenance de thèse, il avait le bonheur de voir figurer des articles du Bulletin dans les
bibliographies. Nous-mêmes et un certain nombre d’étudiants de notre connaissance y avons
eu recours. La SAMB pourrait donc communiquer davantage auprès des étudiants et jeunes
chercheurs, repérer les thèses et travaux en cours pour solliciter ces auteurs afin de renouveler
l’intérêt du Bulletin et l’inscrire pleinement come un outil de diffusion des recherches et
connaissances actuelles. Quelques étudiants et jeunes docteurs y publient des résumés de leurs
travaux, mais la revue ne disposant pas de la renommée et de la reconnaissance d’une revue
de rang A, elle peine à attirer des auteurs et des articles plus ambitieux. Elle se retrouve en
quelque sorte limitée aux amateurs et débutants, ce dont elle doit arriver à tirer parti. « Du
temps d’Haritschelhar », les universitaires qui menaient des recherches sur les collections du
Musée Basque ou à partir de sa bibliothèque, en retour, en publiaient les résultats dans le
Bulletin. Aujourd'hui celui-ci doit composer avec la concurrence d’autres revues plus
prestigieuses et plus scientifiques, mais aussi avec le délaissement du musée par les
chercheurs professionnels. Dans le numéro de décembre 2012, devraient figurer trois articles
de chercheurs extérieurs encore en activité et non membres de l’association : l’un d’une
conservateur de l’INP (qui a effectué un stage au Musée Basque en 2011), un autre d’une
202
doctorante de l’UPPA (que nous avons-nous même sollicitée109
), un troisième d’un chercheur
(Centre Emile Durkheim, Sciences Po de Bordeaux).
En effet, même si quelques universitaires siègent au Comité de rédaction, la plupart sont
aujourd'hui retraités. D’une manière générale, les membres de la SAMB avancent en âge et un
problème « démographique » se pose. Pourtant la majorité de ses membres y sont entrés
jeunes. Le renouvellement des générations, si l’on peut dire, n’a pas été assuré. Elle doit donc
se poser la question de son attractivité auprès des plus jeunes. Comme le musée, elle est aussi
concurrencée par de nombreuses autres associations à vocation culturelle et souffre du
désengagement de la jeunesse vis-à-vis du musée. Cette situation nous parait d’autant plus
critique aujourd'hui.
En effet, au cours d’une récente réunion du Conseil d’Administration à laquelle les membres
du CR ont aussi été conviés, le président a officiellement annoncé qu’il ne se représentait pas.
Encore professionnellement actif, professeur en collège, la présidence de l’association lui
prend énormément de temps et il souhaite transmettre le flambeau à un autre. En l’absence
d’un successeur l’association devra être mise en sommeil, après avoir assuré ses engagements
pour 2012. Si tous souhaitent éviter cela, aucun n’est prêt à assurer la présidence qui
représente un investissement personnel lourd. Depuis, l’équipe du CA s’est renforcée, le
conservateur du musée a accepté de devenir le secrétaire général de l’association, deux
nouveaux membres ont été recrutés (le président de l’association Bayonne Centre Ancien et
une chef d’entreprise retraitée). L’association a encore quelques mois devant elle pour élire un
nouveau président mais son avenir est incertain. Sa mise en sommeil est risquée, elle ne
pourrait jamais se réveiller ou perdre son statut « d'utilité publique ». Elle ne pourrait plus
alors répondre aux sollicitations d’acquisition du conservateur de la même manière et perdrait
peut-être elle-même une partie du mécénat dont elle bénéficie.
Ce qui inquiète le plus ses membres, c’est que sans président, elle ne pourrait plus publier le
Bulletin. Or, même si les sorties et visites rencontrent un grand succès et sont très appréciées,
le Bulletin est véritablement le cœur de l’activité de l’association et sa principale contribution
au rayonnement du musée. Le directeur du musée a donc aussi été sollicité pour réfléchir à un
109
Nous avons rejoint en juin 2010 le Comité de Rédaction et en même temps la SAMB. A la demande du CR
nous avons écrit un article-résumé de notre thèse. Nous lisons les articles soumis au CR et participons
pleinement à ses réunions. Nous avons aussi assisté aux deux dernières Assemblées Générales et aux deux repas
et visites culturelles qui les suivaient. Toutefois, nous avons voulu nous aussi maintenir une distance, bien
acceptée par les autres membres, à qui nous avons expliqué qu’en ce qui concerne les relations de la SAMB avec
le musée nous nous devions de n’être qu’observateur et que par souci d’éthique professionnelle nous ne
pouvions pas entrer au CA ou au bureau. Notre activité au sein de l’association se cantonne donc au Bulletin et
au recrutement ponctuel de nouveaux auteurs.
203
éventuel transfert ou accompagnement (administratif notamment) pour éviter que la
publication s’interrompe. L’idéal pour la SAMB serait que le Comité de Rédaction perdure
tout en étant plus investi par l’équipe du musée, pour que le Bulletin redevienne ce qu’il a été,
un organe de communication du Musée Basque.
D’une manière générale le Président déplore la rareté des interactions entre le musée et la
SAMB. « On est revenu à une époque où le musée était fermé » c'est-à-dire que « le Bulletin
fonctionne » mais toutes les sorties et visites se font hors du Musée Basque. Mise à part la
présentation du Bulletin au musée deux fois par an, « nous sommes faibles en terme
d’intervention au musée ». Jusqu’à la création du service des publics en 2008, des membres
de l’association proposaient des visites guidées et des animations gratuites le premier
dimanche de chaque mois (jour de gratuité de l’entrée au musée) et remplissaient alors
pleinement le rôle de diffusion des connaissances sur la collection. Avec la création du service
des publics, le musée n’a plus ressenti le besoin de faire appel aux membres de l’association
pour animer le musée110
; le nouveau directeur a développé de nouveaux partenariats et
engagé un agent d’accueil titulaire de la carte de guide interprète régional pour effectuer des
visites.
Un autre membre est intervenu pour déplorer la communication déficiente du musée, en citant
l’exemple d’une récente conférence du conservateur, sur la maison basque, à laquelle peu de
personnes ont assisté. Le président ajoute que la SAMB est supposée être la première au
courant. Le directeur reconnait que la communication est actuellement et momentanément un
des points faibles du Musée et l’explique en partie par une « programmation de dernière
minute, à deux ou trois mois maximum ».
Le membre précédemment cité a précisé par ailleurs, qu’il ne voit pas le lien entre certaines
expositions de photographies (dans la salle Xokoa) et le Musée Basque et qu’il estime aussi
que les expositions temporaires n’exploitent pas assez les collections du musée et y voit là une
cause de la désaffection de la SAMB et du public.
110
« Tartaro est un géant débonnaire de la mythologie basque dont le nom a été repris pour baptiser l’animation
destinée aux 7-13 ans que la Société des Amis du Musée Basque a mise en place depuis mars 2004.[…] Faire
profiter un jeune public, plus large et hors temps scolaire, de l’expérience d’Argitu (nombreuses publications
par exemple),était donc le but de “Sur les traces de Tartaro…” Cette action est le fruit d’une collaboration entre
notre association (à l’origine du projet),l’équipe scientifique du Musée, le service éducatif du Musée (Argitu) et
la Ville de Bayonne (service de la jeunesse). […] La Société des Amis du Musée Basque est parvenue à mettre
en place en 2006, une équipe de trois “Amis’ qui se relaient pour faire mieux connaître le Musée Basque aux
jeunes. L’animation est gratuite et proposée en français, basque et espagnol. » (Krsitian Liet dans L’Ami de
Musée, n°32, hiver 200662007, p.24). Le programme Tartaro (jusqu’à dix animations par an) a été supprimé
avec l’avènement du Service éducatif interne au Musée.
204
Ces AG sont une occasion d’observer le dialogue entre la SAMB et le directeur du musée.
L’association y affirme son intérêt et ses ambitions pour le musée mais aussi ses craintes et
ses doutes. En plus d’être un organe de promotion et de valorisation du musée, de servir
d’intermédiaire à des donateurs et mécènes, elle exerce aussi un rôle de vigie, même si elle
n’a plus le même poids, que par exemple pendant la fermeture du musée. Ainsi, à la fois
contre-pouvoir et outil de promotion (des bénévoles à disposition pour animer le musée et
enrichir les collections), la Société des Amis du Musée Basque est un partenaire important du
musée. Sa probable dissolution marquerait un tournant majeur dans son histoire. Pourtant,
faut-il la déplorer ? Peut-être est-ce là le signe d’une évolution du musée, acceptée par la
société locale.
3.6. L’Institut Culturel Basque (ICB/EKE), un partenaire potentiel.
L’ICB est un partenaire potentiel du Musée Basque, voire un modèle à suivre en terme de
rayonnement et de synergie en matière d’action culturelle111
.
« Conformément à ses statuts, la priorité d’intervention de l’Institut culturel basque est
donnée aux actions d’expression en langue basque. Ces actions peuvent être menées de deux
façons : soit directement impulsées et gérées par l’Institut culturel basque, soit proposées et
gérées par les associations avec l’aide de l’ICB. »112
Le rôle tenu aujourd'hui par l’ICB est celui que certains attendent du Musée Basque : tête de
pont, référent, fédérateur. Cette ambition est toujours présente dans l’esprit de nombreux
membres de la SAMB et de quelques employés du Musée lui-même. Mais il semblerait que sa
longue fermeture, le choix du conservateur puis du directeur, et l’accroissement, pendant ce
même temps, de lieux et espaces de culture, l’ait éloigné de ce vœu.
Nous avions rencontré quelques fois déjà le directeur et nous connaissions déjà l’ethnologue
de l’ICB, que nous avons revu à plusieurs reprises au cours de cette enquête et d’autres
activités. L’ICB dispose également d’un site internet très bien conçu et complet à partir
duquel il devient très facile de découvrir et de suivre les diverses facettes de l’activité
culturelle et patrimoniale locale. Elle nous a expliqué que de plus en plus l’ICB allait
s’orienter vers une mission d’expertise (à la demande notamment du Conseil Général) et
d’accompagnement de projets.
111
« L'Institut culturel basque (ICB) est une association (Loi 1901) née en avril 1990 grâce à l'impulsion des
associations culturelles et à l'implication financière de l'Etat, de la région Aquitaine, du département des
Pyrénées-Atlantiques et du Syndicat intercommunal pour le soutien à la culture basque. » 112
http://www.eke.org/fr/eke/aurkezpena_helburuak
205
A ce jour la collaboration de l’ICB avec le musée consiste surtout à y exposer leurs
expositions itinérantes, il n’y a pas de travail collectif.
Lors de l’entretien elle nous a parlé de son parcours (un doctorat en ethnologie obtenu en
1990 et son entrée à l’ICB en 1992). Elle nous raconté l’histoire de l’ICB et nous a expliqué
son fonctionnement et son rôle (qui mériterait à son tour un rapport). Elle a aussi évoqué son
activité de militante culturelle, au niveau professionnel et privé. Depuis 2009, elle est en
particulier chargée de mener une collecte de témoignages oraux. Alors qu’au départ elle
travaillait sur des territoires, une demande sociale a émergé sur des thèmes particuliers, elle a
donc réorienté son action pour y répondre. Le résultat est transformé en expositions
temporaires itinérantes et conservé aux Archives Départementales avec lesquelles l’ICB à
nouer un nouveau type de partenariat à long terme.
Elle a découvert le Musée Basque il y a une vingtaine d’année, au cours de sa licence en
ethnologie. Jean Haritschelhar en était alors directeur. Le Musée avait à l’époque obtenu un
financement pour acquérir du matériel d’enregistrement et avait décidé d’envoyer des gens
sur le terrain pour collecter des témoignages, par exemple sur la deuxième Guerre mondiale.
A l’issue de son doctorat elle avait candidaté au Musée Basque mais le poste d’ethnologue n’a
pas été ouvert finalement. Alors qu’elle travaillait déjà à l’ICB, elle a été sollicitée par Mano,
la professeur référent du musée, pour mener avec elle un programme intitulé « ethnologues en
herbe ». Elle serait toujours intéressée à travailler au Musée Basque. Elle estime toutefois
qu’il a absolument « besoin d’un Conseil scientifique pour définir et rédiger des
problématiques » et des axes de travail. Son ambition pour le musée est que les habitants du
Pays basque se l’approprient enfin, plus de dix ans après sa réouverture.
3.7. Un partenariat à relancer avec les chercheurs.
Le Musée Basque a toujours fait appel à des personnes extérieures : des mécènes, des artistes,
des animateurs, des conférenciers. Ces procédés sont à la fois une occasion de faire participer
la « société civile » (processus de réappropriation) et une opportunité pour le musée d’enrichir
son offre et de renouveler son propre regard et parfois ses propres pratiques.
Au cours de cette enquête nous avons constaté que le musée lui-même est patrimonialisé. Il
est devenu « un lieu de culture » consacré, qu’on ne réinterroge plus beaucoup. Avec le
développement de l’université locale et la longue fermeture du musée, les nouvelles
générations de chercheurs se sont détournés de lui. Même si la plupart des agents sont passés
206
par l’université au cours de leur formation initiale (souvent jusqu’à un DEA ou un master), le
fait qu’aucun n’ait réalisé une thèse a pour conséquence qu’ils méconnaissent le
fonctionnement de la recherche (université ou laboratoire) et n’ont que peu de contact avec les
chercheurs en exercice. Nous pensons que le musée aurait tout à gagner d’une rencontre avec
ce monde de la recherche et réciproquement. Le musée se révèle à nous comme un outil de
connaissance mais aussi un outil potentiel de médiatisation (plus ou moins vulgarisée) de nos
recherches et nous révèle une nouvelle approche du travail avec les informateurs. En retour, le
chercheur peut aider le musée à se tenir à jour du terrain, de ce qui se passe hors les murs.
4. Quel rapport entre le musée et le patrimoine ?
4.1. Les rapports des agents au patrimoine et au musée
Nous avons rendu compte du rapport que chaque agent entretien avec le patrimoine dans les
« portraits », ce qui suit en constitue donc une synthèse. Voici une liste des questions que
nous avons posées aux agents au sujet du patrimoine.
Comment présentez-vous votre travail aux gens que vous rencontrez ? Considérez-vous que votre métier est un « métier du patrimoine » ? Connaissez-vous cette expression « métier du patrimoine » ? L’utilisez-vous ? Qu’est-ce que le patrimoine, selon vous ? A quoi sert le patrimoine ? Toujours selon vous, quel est le rôle du Musée Basque ? Et de manière générale, à quoi sert un musée de société ? A qui s’adresse le Musée Basque ? Quelles sont les qualités d’un objet patrimonial ? Ou Quelles qualités doit avoir un objet pour entrer au Musée Basque ? Fréquentez-vous d’autres musées ou sites culturels, patrimoniaux ? Quel autre musée appréciez-vous, pourquoi ? Et quel exemple ne voudriez-vous pas suivre ? Pourquoi ? Participez-vous à la programmation des conférences et des animations ? Y assistez-vous ? Pourquoi ? Hors de votre temps de travail, pratiquez-vous une activité culturelle ou patrimoniale ? Êtes-vous membre d’une association ? Vous considérez-vous comme militant culturel ? Votre origine familiale, le lieu où vous avez vécu a-t-il une incidence sur votre travail ? Sur la façon dont vous considérez le patrimoine et la culture ? Avez-vous des enfants ? Si oui, les emmenez-vous au Musée (Basque ou autres) ? Leur parlez-vous de votre travail ? Avez-vous chez vous des objets identiques à ceux exposés au Musée Basque ? Ou présents dans les réserves ?
207
Certains ont abordé spontanément le thème du patrimoine. Nous en avons orienté d’autres, en
fin d’entretien ou dans un second. A partir de la retranscription des entretiens, nous avons
cherché toutes les occurrences : « patrimoine », « culture », « objets », « collection »,
« musée ».
L’expression « métier du patrimoine » est inutilisée. Les métiers du patrimoine sont un
domaine qui englobe une partie des métiers exercés du musée sans s’y réduire.
« L’expression métier du patrimoine est-elle utilisée ?
_ Métiers du patrimoine ? Non moi pas du tout. Les métiers du patrimoine on voit bien ce que
ça veut dire, liés à la mémoire, mais c’est très large du coup, ça dépasse largement le cadre du
musée. Ça veut dire que tu envisages dans quelque chose de très large or on est tous quand-
même assez cloisonné, là on est plutôt dans des métiers du musée, et la bibliothèque ce sont
des métiers de la bibliothèque, les archives ce sont les métiers des archives et on a rarement
l’occasion de se retrouver avec des gens à un niveau supérieur, où on est tous en train de
discuter, notre dénominateur commun ce sera plus le musée, la bibliothèque, ce sera la
patrimoine. C’est plus une appellation politique, administrative mais qui dans la réalité de nos
échanges pff... Oui on bosse sur les mêmes choses mais on bosse rarement ensemble, les
métiers du patrimoine. » (Jacques, attaché de conservation)
Certains s’y reconnaissent, d’autres pas du tout.
« Considères-tu que ton métier est un métier du patrimoine ?
_ Ah oui. Oui oui.
_ Tu connaissais cette expression « métier du patrimoine » ou ça ne s’appelait pas comme ça à
l’époque ?
_ Je ne sais pas, je connais l’expression « métier », je sais ce que ça veut dire « patrimoine »
aussi donc « métiers du patrimoine » oui on a l’habitude de baigner là-dedans, conservateur du
patrimoine, conservation du patrimoine, patrimoine, patrimoine, qu’est-ce que le patrimoine ?, je
veux dire tous les bouquins, c’est hyper central dans la formation, dans les études donc
forcément c’est un métier du patrimoine, à 100%. Ça ne s’appelait peut être pas comme ça
mais je veux dire ça en était un et c’était évident que c’était un métier en rapport avec le
patrimoine […] » (Jacques, attaché de conservation)
« Est-ce que tu considères que ton métier est un « métiers du patrimoine » ?
_ Ah oui tout à fait. Bien sûr. C’est vrai qu’on est un peu spécialisé, on est un eu dans notre / on
n’est pas très ouvert sur le reste. » (Alain, régisseur des collections)
208
« Vous considérez que votre métier c’est un métier du patrimoine ?
_ Non du tout. Ah non moi je suis purement administrative, ça c’est sûr, on peut me mettre dans
n’importe quelle structure […] » (Ghislaine, responsable administrative)
« Agent du patrimoine » n’est pas non plus une appellation revendiquée, certains au contraire
ont insisté pour ne pas être « catalogués » ainsi par l’administration.
« Et après comme il y a eu aussi le changement dans le patrimoine, ils ont changé, ils ont fait
des nouveaux postes et des nouveaux grades. Donc quand on est passé « agent du
patrimoine » c’était tout pareil, on était tous dans la même sauce, il fallait faire du gardiennage
et des trucs comme ça. […] La seule différence, c’est qu’elle [la précédente attachée de
conservation] voulait que je fasse autre chose ici, donc ça été un peu mon point fort et, à un
moment donné, je leur ai demandé de choisir. » (Alain, régisseur des collections)
« […] à partir du moment où on les met dans un musée, on les met tous dans le même sac.
Bien non y a différents métiers dans le musée, mais ça je ne suis même pas sûr qu’ils en soient
conscients aux ressources humaines de la Ville de Bayonne, j’entends. Il y a différents métiers,
c’est effectivement culturel mais ce n’est pas parce que c’est culturel que tout le monde est
agent du patrimoine, ce qu’ils avaient tendance à faire aux ressources humaines à la Ville de
Bayonne. A moi ils m’avaient mis « agent du patrimoine ». Alors que même eux m’avaient mis à
gérer des choses techniques. » (Christian, régisseur technique).
Les termes apparaissant dans l’organigramme ne sont pas utilisés dans les discours, si ce n’est
ceux de « directeur », « conservateur » et « attaché de conservation » car ils coïncident aussi
avec des métiers. Les « assistants de conservation » et les « adjoints du patrimoine » exercent
des métiers différents qui induisent des rapports variés au patrimoine. Ces termes désignent
des grades dans la fonction publique et donc une position dans la grille des salaires et les
responsabilités, mais rien de plus à leurs yeux.
Travailler au musée ne résulte pas toujours d’un choix préétabli, l’idée d’une « vocation » n’a
pas été évoquée. Géraldine, animatrice, parle plutôt de « passion » et en même temps elle ne
s’imagine pas travailler éternellement dans le monde du musée, ni même du patrimoine. Dans
son cas, le musée était une option parmi d’autres dans le champ du patrimoine.
Pour d’autres, le musée est une réorientation à la suite de leurs études. Marie, chargée de
mission récolement, et Jacques, attaché de conservation, ont suivi des études en archéologie.
La filière leur paraissait « bouchée », aucun des deux n’éprouvaient l’envie de s’engager dans
209
une thèse ou l’enseignement, ils souhaitaient travailler assez vite et dans un domaine plus
concret que la recherche. Le Musée Basque était un musée parmi ceux auprès desquels ils
avaient candidaté.
Dans le cas du conservateur, c’est sa passion pour l’histoire locale et la collection de portraits
des Ducs de Gramont qui l’a conduit à cette même conclusion.
Pour Marie-Hélène, documentaliste, qui n’a travaillé qu’au Musée Basque, ce poste
correspond à son projet initial de devenir documentaliste dans une bibliothèque du Pays
basque. De même pour Elisabeth, qui avait déjà travaillé auparavant en bibliothèque et dans
un centre de recherche universitaire. Le Musée Basque est là une option parmi d’autres
centres de ressources documentaires (les Archives départementales, les bibliothèques
municipales). Ce n’est pas le musée en lui-même qui les intéressait.
Pour la plupart, l’entrée au musée résulte d’un pur hasard ; elle est motivée surtout par le désir
de rester vivre au Pays basque ou de s’y installer. Ils travaillent au musée comme ils auraient
pu travailler ailleurs. Pour Ghislaine, responsable administrative, Anne-Marie, assistante
administrative, et Jean, chargé de communication, le musée n’est qu’un cadre parmi d’autres
pour exercer leur métier, qu’ils avaient déjà avant d’y entrer.
Il en va de même pour Christian, régisseur technique. Même s’il n’a pas changé de métier en
entrant au musée, il en explore une nouvelle dimension, culturelle et patrimoniale, qui plus est
en rapport avec ses activités associatives, ce qui constitue « un plus ».
Pour d’autres, comme Xalbat, gardien, ou Alain, régisseur des collections, c’est le Musée qui
leur a donné un nouveau métier. Ils y sont entrés avec seulement l’ambition d’avoir un
emploi, quel qu’il soit. C’est après coup qu’Alain a fait évoluer son poste vers ce qu’il est
aujourd'hui. Xalbat est resté gardien, avec une expérience momentanée dans la conservation
curative.
Même si pour ceux qui ne se destinaient pas à travailler dans un musée, leur expérience au
Musée Basque est une opportunité plaisante et intéressante. Sans parler de « fierté », ils
éprouvent un certain plaisir à travailler dans cette institution dont la vocation est perçue
comme positive et valorisante, et plus particulièrement ceux qui en plus « aiment » le
patrimoine et les « vieux objets » et y trouvent un épanouissement intellectuel.
La personne qui nous a le plus parlé de patrimoine est Géraldine, animatrice responsable des
scolaires. Toutefois, comme les autres, elle évoque surtout les collections et les objets.
Le « contact » avec l’objet induit un sentiment plus fort d’exercer un métier du patrimoine. Le
contact peut être physique (manipuler les objets) ou intellectuel (penser les objets). Il
210
semblerait que le contact visuel (les gardiens par exemple) ne suffise pas à créer. En fait,
chacun s’intéresse à son propre domaine de compétence : les documentalistes ne nous ont pas
parlé d’objets mais exclusivement de la bibliothèque.
Nous concluons qu’il est pertinent de distinguer deux types de métiers exercés au musée :
ceux en relation directe avec le patrimoine, c'est-à-dire ceux qui participent à sa production, sa
conservation et sa médiation (conservateur, attaché de conservation, régisseur des collections,
chargée du récolement, responsable du service des publics, animatrice culturelle) ; et ceux
annexes, indispensables à la gestion de l’institution mais sans « connexion » avec la collection
(directeur, chargé de communication, responsable administrative, régisseur technique,
documentalistes, agents d’accueil et gardiens). Le cas du menuisier serait intermédiaire, car il
opère d’une part des restaurations sur les objets en bois et d’autre part il fabrique du mobilier
scénographique (socles, vitrines).
Toutefois, exercer un de ces métiers « annexes » ne dispensent pas d’avoir une opinion sur le
sens du patrimoine et le rôle à jouer par le musée.
Parler de son métier n’est pas aisé pour tous. Outre la timidité, certains n’ont pas l’habitude
d’être interrogés sur leur travail. Recevoir des stagiaires, par exemple, permet d’identifier des
tâches qui paraissent évidentes, de les formuler et parfois aussi de réfléchir à ce qu’elles
impliquent.
Ceux qui exercent des fonctions plus intellectuelles ont parfois des difficultés à décrire
concrètement leurs tâches et développent au contraire une plus grande réflexivité. Ceux qui
exercent des tâches plus « concrètes » et répétitives ont tendance à les considérer davantage
comme anodines ou moins intéressantes pour nous. Le métier du conservateur est
unanimement considéré comme le plus « important » pour qui veut comprendre le musée.
Dans le cadre du projet académique « Comprendre un musée », Géraldine nous a fait
remarquer quelque chose d’intéressant : elle part du constat que les métiers de l’accueil, de la
surveillance et de la médiation sont les plus connus du public et elle souhaitait donc aussi
intégrer ses collègues « de l’ombre », ceux qui travaillent dans les coulisses du musée, c'est-à-
dire les bureaux et les réserves. Nous nous sommes alors rendue compte que nous avions
procédé en sens inverse. Nous avons d’abord rencontré l’équipe de conservation, puis celle de
la médiation, puis les techniciens et enfin les agents d’accueil et de surveillance. Alors que le
public découvre le musée par la Maison Dagourette, c'est-à-dire le « résultat final », le lieu de
restitution du patrimoine, nous avions choisi de l’aborder par le Château-Neuf, c'est-à-dire le
lieu où l’on produit ce patrimoine.
211
Ce projet « Comprendre un musée » est l’occasion, pour ceux qui ont accepté d’y participer,
de s’exercer à parler de leur métier à des novices et peut-être de valoriser leur travail à leurs
propres yeux. Par ailleurs, faire participer l’ensemble des agents peut être considéré comme
une manière de consolider l’esprit d’équipe.
« Ce que j’apprécie depuis qu’il y a Maud et Géraldine, c’est qu’effectivement elles essaient,
bon on ne répond pas toujours, elles doivent être un peu désespérées à certains moments,
mais elles essaient quand-même de nous faire participer, je trouve que c’est sympa […] Moi je
vais simplement toujours essayer de ne leur donner qu’un point de vue technique par rapport
aux choses, je ne me sens pas la compétence à leur donner mon avis sur la pédagogie du truc
ou sur […] ce n’est pas être modeste, c’est être réaliste. […] Je trouve sympa qu’elles
essayaient de nous faire participer, qu’elles nous tiennent au courant et puis elles
communiquent beaucoup. […]
_ Et ça t’intéresserait d’intervenir auprès des lycéens pour leur parler de ton métier au musée ?
_ Oui, le problème que j’ai moi avec mon boulot enfin/ pourquoi pas ? Mais le problème a priori
c’est que ça a un côté technique, enfin ce n’est pas un problème, mais concrètement je ne
pourrai rien leur montrer… si ce n’est de l’application audiovisuelle, le montage […] mais ce
n’est peut-être pas ce qu’ils attendent en visitant un musée, je ne sais pas. » (Christian,
régisseur technique).
Parmi ceux qui exercent un métier « annexe », certains pensent que leur activités privées sont
plus en rapport avec le patrimoine que leur activité professionnelle. Jean, le chargé de
communication à réhabiliter un moulin, Christian est chorégraphe d’une troupe de danse
basque.
La présence d’objets chez soi, similaires à ceux des collections du musée est rare et relèverait
de deux circonstances : l’héritage familial et la génération, elles sont corolaires. Les plus
jeunes ont des goûts, en matière d’ameublement notamment, plus modernes. Des objets ou
meubles anciens peuvent se trouver davantage chez leurs parents ou grands-parents. L’origine
géographique joue aussi. Jean est d’une « vieille famille » locale, il a donc hérité d’une ferme
et des objets qui y avaient été conservés. Jacques, Maud, Marie et Géraldine ne sont pas
originaires du Pays basque, ils n’ont pas hérité d’objets anciens d’autres régions non plus et
ne sont pas collectionneurs eux-mêmes.
Parcourir les brocantes (Alain, Marie) est aussi une activité qui témoignent d’un intérêt pour
l’objet quel qu’il soit. Pour autant, l’appréhension du patrimoine et de la culture basque ne
passe pas que par l’objet. Par exemple, Géraldine a pris des cours de danse traditionnelle et
212
apprend le basque. Peu sont membres d’association mais beaucoup sont spectateurs de
manifestations culturelles et se promènent, explorent le territoire.
Les employés du musée ne le fréquentent pas hors de leur temps de travail ; ils n’assistent pas
aux conférences, ni aux visites guidées, ni aux animations, à moins d’y intervenir eux-mêmes
ou de les avoir organisées. Pourtant la plupart fréquentent d’autres sites culturels et
patrimoniaux, essentiellement lorsqu’ils voyagent. Nous les avons questionnés sur la façon
dont ils visitent d’autres musées, sites culturels ou lieux d’expositions. Il en résulte que
certains (Alain, Géraldine, Jacques, Olivier) en profitent aussi pour réfléchir à leur propre
travail, à leurs techniques, leurs méthodes.
Nous avons discuté aussi de ce qui distingue le Musée Basque d’autres « musées » locaux. Le
premier constat est que mis à part le Musée Bonnat-Helleu (musée des beaux-arts de la Ville,
fermé en mai 2011pour une durée prévisionnelle de trois ans), le personnel du Musée Basque
les visite peu, voire pas du tout. Deux raisons à cela. La première est que le week end ils
privilégient d’autres loisirs. La visite de musée se fait plutôt pendant les vacances, à
l’occasion de voyage. La seconde raison est que la plupart des lieux se revendiquant
« musée » ou « écomusée » n’en sont pas selon eux. Ils savent qu’il n’y a pas derrière ces
musées une équipe scientifique comme la leur, au mieux un collectionneur éclairé, au pire une
entreprise qui ne vise pas un intérêt général mais qui exploite le patrimoine collectif à des fins
commerciales. Tous s’accordent à dire qu’il n’y a pas d’intérêt pour eux à visiter ces sites où
sont présentés des objets présents aussi au Musée Basque, la rigueur scientifique en moins.
Nous décelons derrière ces arguments qu’ils partagent aussi l’idée que le Musée Basque
possède une collection exhaustive (exposition permanente et réserves incluses) et une
scénographie plus professionnelle et que la visite de ces autres musées ne leur apporterait rien
de plus en terme de connaissance ou de découverte. Le second constat est que la visite
d’autres musées n’est pas perçue comme un acte de formation continue, elle relève
uniquement d’une volonté ou d’une curiosité personnelle et privée, du loisir. Ainsi, la visite
d’autres musées lors de voyage, même si elle est l’occasion de penser son travail, est avant
tout une découverte d’un nouveau territoire, d’un nouveau domaine, d’une nouvelle culture.
Cette « découverte » du Pays basque est pensée comme inutile puisqu’ils travaillent un même
dans un musée du Pays basque, qui plus est labellisé « Musées de France ».
« Qu’est-ce que le patrimoine selon vous ? »
213
Une question en apparence tout bête mais dont les réponses montrent que la notion de
patrimoine n’est pas centrale au musée. Elle flotte en quelque sorte autour des collections
mais n’est pas objet de débat ou de réflexion.
Le directeur du musée par exemple ne nous a jamais parlé de patrimoine, il considère son
métier comme un métier de l’animation culturelle. Il n’est pas en contact avec les collections
et s’intéresse surtout à l’évènementiel et aux outils de médiation. Il considère que le musée est
un lieu où l’on restitue le patrimoine à la société, pas un lieu où on le produit.
Nous avons obtenu des réponses très courtes et d’autres au contraire très longues car de la
définition du patrimoine, la plupart basculent aussi immédiatement vers celle du musée.
« Qu'est-ce que c’est pour toi le patrimoine ?
_ [rire] le patrimoine ce n’est pas facile comme question. La définition … c’est quelque chose
dont on hérite, qu’on nous a transmis, c’est la définition un peu basique, il y a beaucoup de
choses. Je pense que chacun a sa définition, chacun choisit un peu ce qui est… l’héritage,
même si on parle de patrimoine universel, je pense que chacun a sa définition du patrimoine. »
(Géraldine, animatrice)
« C’est la mémoire de gens. Pour simplifier alors ça peut être une mémoire matérielle, une
mémoire immatérielle… et pourquoi une mémoire ? Bien parce que on ne vient pas de nulle
part et on n’est pas sui generis donc dans notre diversité on a tous une origine. Alors on appelle
ça « les racines » chez certains, chez d’autres … et puis on a des mémoires multiples, on parle
tellement d’immigration en ce moment, il y a la mémoire de l’immigration. Il y a la mémoire du
vécu ensemble. Alors pour les hommes politiques ce qui est le plus facile à montrer, le
patrimoine le plus visible c’est le patrimoine bâti. Parce que le patrimoine bâti on fait des
travaux dessus et ensuite ça se voit et puis il y a des gens qui habitent dedans et qui exploitent
ce patrimoine bâti. On a créé après l’idée du patrimoine paysager, naturel … du coup les
conservatoires du littoral ont acheté des terrains, on classe des sites… donc ça aussi c’est un
patrimoine. C’est un patrimoine du paysage. Et après de façon je dirais naturelle, on arrive au
patrimoine créé par l’homme qui n’est plus le patrimoine bâti mais le patrimoine de l’objet et
l’objet a trente-six fonctions : il y a l’objet utilitaire, il y a l’objet esthétique, il y a l’objet de
délectation. Alors évidemment sur l’objet du musée longtemps on disait que c’est un objet dont
le conservateur doit faire apprécier aux gens, au public la délectation. La délectation d’un outil
ce n’est pas toujours évident, c’est plutôt la compréhension de l’outil.» (Olivier Ribeton,
conservateur)
« Le patrimoine ce serait un héritage commun qu’un certain nombre de personnes - lesquelles ?
ce n’est pas toujours très clair – décident d’attribuer, de définir comme étant un patrimoine
commun, enfin un héritage commun, donc des choses qu’on doit garder parce qu’elles nous
214
définissent, parce qu’elles parlent de nous ou parce que on se retrouve à travers elles, ou parce
que notre histoire s’y est illustrée et du coup c’est important pour savoir d’où on vient, pour nous
aider à mieux nous connaitre et nous faire connaitre aux autres. Voilà.
_ Tu travailles dans un musée donc à ce moment là le patrimoine est surtout lié aux objets ?
_ Alors oui, voilà. Parce qu’effectivement puisque le patrimoine c’est des monuments, oui
l’origine du patrimoine je crois c’est les monuments historiques et après c’est un patrimoine lié à
la culture matérielle. Alors maintenant de plus en plus aussi tu tends vers l’immatériel bien sur
parce qu’il y a la question de quel sens ça a de conserver un objet si on n’a pas tous ses
usages derrière, si on ne sait pas dans quel contexte il était utilisé, par quelles personnes, tous
ces détails de l’objet en mouvement en quelque sorte, du coup ça c’est de l’ordre de
l’immatériel, c’est ce qui entoure l’objet alors ça peut être de l’immatériel pour illustrer et pour
mieux comprendre un objet ou aussi de l’immatériel tout court quand on a témoignage sur la vie
des gens, déconnectés des objets, c’est aussi du patrimoine immatériel mais effectivement le
cœur de notre questionnement nous, on est quand même un musée. Le musée qu’est-ce que
c’est ? C’est d’abord un endroit où on montre des choses. Donc ça part des objets quand
même. Et se poser la question justement de « qu'est-ce que c'est le patrimoine aujourd'hui le
patrimoine basque d’aujourd'hui à travers les objets ? » c’est assez intéressant.
_ Toujours selon toi, quel est le rôle du Musée Basque et d’une manière générale à quoi sert un
musée de société ?
_ Bon bien c’est la même question que le patrimoine. Ici on a un territoire avec une forte
identité, donc quand les gens viennent / bon je parle d’abord du musée pour les touristes,
quand les gens viennent ici, c’est quand même un pays qui vit pas mal du tourisme, ils ont
envie d’en savoir plus sur ce territoire. Donc qu’est-ce qu’on fait ? On va au musée. Dans ces
cas là où est-ce qu’on peut avoir de meilleures informations qu’au musée ? On peut certes aller
à la bibliothèque, les archives mais enfin il n’y a pas cette interface de rencontre comme le
propose le musée justement qui est différent de ces autres centres patrimoniaux, et donc il y a
ça et effectivement pour cette version en direction des touristes c’est intéressant de voir que
depuis / le Musée il était central, il est premier en Pays basque mais depuis c’est créé
l’Ecomusée de la tradition basque à Saint-Jean-de-Luz, le musée fromage et du pastoralisme,
le musée du chocolat, le musée de la pelote, le musée… est-ce que ça dit, est-ce que ça ne
montre pas aussi toutes ces créations qu’il y a un manque, qu’il y a quelque chose qui manque
au Musée ? Une dimension qui n’arrive pas à être trouvée ? Alors on n’est pas à mon avis on
n’est pas assez rayonnant de ce coté-là ça c’est sûr. Et après un musée c’est aussi pour les
gens d’ici. Alors après est-ce que c’est possible d’arriver à faire un musée qui contente à la fois
habitants du territoire et les touristes, ça je ne sais pas, mais je crois que ce musée sert aussi
aux gens d’ici et à quoi il peut servir dans un territoire aussi dynamique que le Pays basque où
la culture est encore quelque chose de très vivant, etc. ? Ce serait justement servir d’interface
et de relai avec tous ces acteurs-là, chose là pour le coup si on fait un petit peu […] on est
complètement coupé. L’exemple de l’ICB ça en est un parmi tant d’autres de la vie culturelle du
Pays basque. Alors ce n’est pas parce qu’on fait une petite expo de photos dans une petite
215
salle à l’entrée qu’on participe à la vie culturelle en Pays basque, c’est plus de l’ordre/ ça c’est
de l’anecdote. Donc il servirait oui / il serait / on en parle depuis que le musée a fermé, depuis
89, de musée pôle de référence, pôle de ressources, point central, je veux dire c’est un
potentiel qui est réel, qui pourrait / il y avait vraiment une dynamique forte, voilà réconcilier plein
de gens autour de choses, traiter de questions de manière/ poser des questions, je ne sais pas,
la pêche en Pays basque, l’émigration, des choses où le musée soit un peu un point central
comme ça se fait au Musée de la civilisation de Québec. Alors c’est un exemple hyper
ambitieux et c’est un musée phare. Mais je veux dire c’est un musée qui a beaucoup renouvelé
la pratique et le rôle du musée de société à partir de la fin des années 80 et avec des choses
qui sont encore tout à fait / qui fonctionnent très très bien. Et qui ont du sens. » (Jacques,
attaché de conservation)
« Je vais rester un peu centré sur le musée. C’est conserver tous les acquis qu’on a pu avoir
depuis des années, essayer de ne pas perdre tout ce qui a été créé par le gens avant nous,
conserver tout ça. […] Essayer de montrer le maximum de choses… à toutes les jeunes
générations et aux vieilles parce que je sais qu’il y a pas mal de vieux qui sont contents de venir
voir des choses qu’ils ont utilisées quand ils étaient jeunes. C’est d’ailleurs le plus marrant, de
voir des gens s’extasier devant des objets qu’ils ont manipulés il y a trente ans, quarante ans ou
cinquante ans. Parce que les enfants à la limite ils passent devant… ils comprennent ou ils ne
comprennent pas, c’est pas / mais c’est vrai que les gens qui ont connu ça et qui ont / et puis ce
sont des objets qui n’existent plus, qui ne sont plus en fonction. Voilà, montrer des objets qui ne
sont plus en fonction je trouve que… c’est sympa.
_ Et d’après toi le musée il s’adresse à qui ?
_ Tout le monde. Même les gamins peuvent y trouver leur compte, tout le monde y trouve son
compte, tout le monde y trouve quelque chose pour passer un bon moment dans le musée,
c’est un très bel outil ce musée de toute façon. » (Alain, régisseur des collections).
Le patrimoine est donc conçu au Musée Basque comme une mémoire, à la fois individuelle et
collective, matérielle et immatérielle, que le musée doit transmettre, à la fois aux membres de
la société, anciens et nouveaux, et aux visiteurs. La définition est « bateau » et unanimement
admise. Étonnamment le patrimoine n’est pas une notion opérationnelle au Musée Basque
pour s’interroger sur le patrimoine qu’il produit, puisque les agents du musée considèrent que
ce qui est présenté, exposé au musée est déjà du patrimoine. Chacun est pris dans son travail
particulier, dans ses tâches bien définies. Le quotidien et les contraintes de l’activité du musée
(budget, espace et temps limités), ainsi que les habitudes, entravent quelque peu la réflexion
sur le sens et le rôle du musée en tant que producteur de patrimoine et de discours sur la
société, et par conséquent une vue d’ensemble à long terme. Prendre le temps de poser les
216
choses à plat serait idéal mas la configuration actuelle de l’équipe et les attentes des politiques
en terme de visibilité et de rentabilité ne le permettent pas véritablement.
L’exposition permanente se contente d’évoquer (partiellement) à partir des collections,
comment les gens vivaient au Pays basque jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Le Musée
Basque ne pose pas de question, il ne problématise pas son discours, qui reste de l’ordre du
descriptif, du factuel, évacuant toute analyse sur le sens, par exemple les raisons pour
lesquelles la société fait certains choix ou s’exprime selon telle ou telle modalité. Les
expositions temporaires se révèlent alors des outils cruciaux à condition de ne pas se centrer
sur un évènement, une pratique ou un thème sans en interroger le sens.
Là où il y a tout de même débat c’est sur le rôle à jouer par le musée, concrètement. Pour les
uns le musée doit conserver et exposer cette mémoire (le directeur et le conservateur) ; pour
d’autres (l’attaché de conservation, l’animatrice), il doit aussi à partir de cette mémoire
questionner le présent.
L’acquisition d’un objet (achat ou acceptation d’un don) peut avoir parfois des motivations
politiques et relationnelles : faire plaisir à un artiste, à un collectionneur en acceptant et/ou
exposant ses œuvres ou objets. C’est aussi un outil de communication pour se donner une
image, voire une identité, valorisante, d’esthète ou de mécène, témoigner d’un intérêt pour la
culture basque, à des fins électorales. Le conservateur est lui-même un collectionneur, il y a
des objets qui l’intéressent et d’autres pas. Il y a des objets qui l’enthousiasment ou le
passionnent, des objets qu’il respecte ou tolère, et des objets qui l’encombrent. Mais il n’est
pas un collectionneur privé, il doit se plier à l’exigence de l’intérêt général car le musée est un
service public. Le musée a une valeur de vérité et devient prescripteur de ce qui est
patrimoine. Il doit donc être vigilent quant à son discours et ses choix.
4.2. La patrimonialisation : processus et critères
La patrimonialisation est un processus. Le premier maillon est le donateur ou le vendeur. Un
individu qui estime que son bien ou sa production revêt un intérêt patrimonial collectif. La
Ville de Bayonne peut jouer un rôle d’intermédiaire. Le deuxième maillon est le conservateur
qui peut soit directement rejeté l’offre de don, soit lancer la procédure d’acquisition, en
rédigeant une note d’opportunité plus ou moins argumentée. Dans le cas où le don est soutenu
par la Ville, sa liberté est diminuée. Le troisième maillon est le Conseil Municipal, mais celui-
ci ne rejette jamais les propositions de dons soumises par le conservateur. Il n’en va pas de
217
même dans le cas d’un achat où l’avis positif de la Commission Régionale d’acquisition et des
subventions éventuelles pourront jouer un rôle décisif. Le rôle du Conseil Municipal est donc
surtout davantage déterminant lorsque c’est un élu qui soumet l’objet. Le quatrième maillon
est la Commission Régionale d’acquisition dont l’avis n’est que consultatif. En effet, même
avec un avis négatif de cette commission la ville accepte généralement le don ou procède à
l’achat. Le cinquième maillon est à nouveau le conservateur ou le commissaire d’exposition
temporaire qui décident ou non d’exposer un objet et de la façon dont ils le mettent en valeur.
Le sixième maillon est alors le guide ou le médiateur qui choisit de présenter cet objet dans sa
visite. Le dernier maillon enfin est le public qui s’approprie ou non l’objet comme un élément
du patrimoine.
Ainsi, en l’absence d’une campagne de collecte, le conservateur est tributaire des donateurs et
des élus qui opèrent en quelque sorte une première présélection de ce qui sera montré au
public.
Que reste-t-il après toutes ses présélections ?
Dans le cas du Musée Basque, nous avons d’abord considéré le point de vue de l’expertise.
Pour justifier le caractère patrimonial d’un objet et donc l’intérêt de le faire entrer dans la
collection, le conservateur met en avant les valeurs de l’objet.
Nos « prises », c'est-à-dire notre corpus de cas analysés, sont constituées par les notes
d’opportunité et par des discussions avec le conservateur sur les choix qu’il a opérés, qu’il
s’agisse d’acquisitions (dons, legs, achats, prêts et dépôts) ou de refus de dons, mais aussi de
présentation ou non de l’objet dans l’exposition permanente.
Les objets du musée ont de la valeur. Leur présence même au musée en atteste. Mais qu’est-
ce qui fait leur valeur ? Rappelons que le terme « valeur » est polysémique : la valeur est à la
fois ce que vaut une chose ou un objet et ce qui lui donne de la valeur c'est-à-dire de
l’importance : les qualités, les caractéristiques qu’on lui prête ou qu'on identifie, certaines
retenant plus l’attention que d’autres.
La valeur économique ou marchande est distincte de la valeur patrimoniale mais elle y
contribue, selon nous, dans certains cas. La valeur d’assurance est un indice dans le cas des
dons notamment. La valeur marchande d’un objet patrimonial peut susciter des émotions :
positives (la fierté, la satisfaction) lorsque cette valeur marchande est interprétée comme une
reconnaissance d’une valeur intrinsèque (la qualité par exemple) ; ou négatives (indignation,
frustration) lorsqu’elle est considérée comme trop élevée (pour l’acquéreur potentiel) ou au
218
contraire pas assez (pour le vendeur ou l’émetteur), c'est-à-dire lorsque la reconnaissance est
sur ou sous estimée. Le rapport s’inverse selon que l’on est le vendeur (ou la communauté qui
le produit) ou l’acheteur. Cela ne s’avoue pas explicitement mais au musée on va accorder
plus d’attention à certains objets en fonction de leur valeur d’assurance, al seule valeur
clairement exprimée, qui figure sur les documents : par exemple lors de l’exposition
temporaire Gernika s’est posée la question de déterminer « Comment surveiller la tapisserie
car c’est la pièce qui avait le plus de valeur. » (Jacques, attaché de conservation). En
devenant objet d’une collection Musées de France, l’objet devient inaliénable et
imprescriptible, c'est-à-dire qu’il sort du marché. Mais par la même occasion il en devient un
repère, un jalon ; il passe du registre de l’échange à celui de la transmission (Gendreau, 2000).
Le conservateur considère que les collections du Musée Bonnat ont plus de valeur marchande
que les collections du Musée Basque. Leur valeur marchande n’est donc pas celle qui donne
le plus de valeur patrimoniale aux objets du Musée Basque.
« Quand Ramiro Arrue est mort ses héritiers avaient voulu faire une dation à l’Etat en paiement
de droit de succession, à l’époque l’Etat a refusé estimant que Ramiro Arrue il n’existait pas, il
n’avait pas de valeur. La ville de Saint-Jean-de-Luz a accepté d’acheter un certain nombre des
œuvres qui étaient dans l’atelier de Ramiro Arrue. » (Olivier Ribeton, conservateur).
A l’ancienneté et la rareté - identifiées par Nathalie Heinich comme des amplificateurs de
valeur- nous ajouterions, dans le cas de l’objet de musée, la vulnérabilité, vulnérabilité au vol
et à la dégradation (causée par le temps, les conditions climatiques, la main de l’homme).
Souvenons-nous de ce que le conservateur nous a expliqué par exemple au moment de
l’installation des réserves à Château-Neuf, où il avait souhaité garder là ce qui avait « de la
valeur » était les papiers, peintures et mobilier, le médaillier (monnaie), la collection pelote
basque (car dépôt de l’Etat) et les petits objets.
Les valeurs attendues de l’objet patrimonial ou de musée est sa représentativité ou au
contraire son exceptionnalité. Ce qui est intéressant au Musée Basque c’est que ces deux
valeurs ou caractéristiques renvoient à deux types de collections distinctes, respectivement
l’ethnographique et l’historique.
Nous avons constaté au cours des diverses visites et animations suivies au Musée Basque
qu’il existe une sélection d’objets « emblématiques » systématiquement commentés et au
contraire des objets ignorés que nous pouvons supposer peu ou moins signifiants.
219
Cela tient, selon nous, d’abord à un déséquilibre dans la connaissance de ces objets. Certains
sont très bien documentés, d’autres pas du tout. Certains cartels sont réduits à la dénomination
de l’objet, soit le degré minimum d’information.
Certains objets ont été diffusé comme des emblèmes du patrimoine basque hors du musée : le
makila, la pegara, par l’iconographie, par le tourisme, par des artisans (l’espadrille) ou des
pratiquants (la pelote basque), par une riche bibliographie. Ces objets sont attendus, ils sont
unanimement reconnus comme patrimoine.
Certains objets ont des qualités esthétiques qui jouent en leur faveur. Cette valeur de la beauté
est totalement assumée par le conservateur et l’attaché de conservation. Contrairement aux
chercheurs de l’Inventaire par exemple (Heinich, 2009).
Des matériaux nobles ou naturels, le bois et la pierre, par exemple, sont considérés comme les
signes d’une authenticité, d’une proximité avec la terre et un monde rural fantasmé. Le
plastique au contraire est banni. Parce que d’une part il n’est pas un matériau ancien et donc
pas traditionnel, d’autre part parce que l’objet en plastique est associé à l’idée d’une
production de masse, en série, alors que le musée privilégie la fabrication artisanale et en cela
une certaine exceptionnalité de l’objet. Un objet singulier, voire exclusif au territoire est aussi
considéré comme un objet digne du musée. Ce critère participe à sa représentativité.
Par exemple, la charrette à roues pleines n’est pas exclusive au Pays basque, mais elle est
représentative d’une époque, d’un mode de vie. Le bouvier menant ses bœufs est la figure
typique du paysan basque dans les représentations picturales et photographiques. Cette
charrette a été fabriquée et utilisée au Pays basque, ce qui lui donne sa légitimité. La presse à
pelote, elle, n’a pas été fabriquée localement, elle est même issue d’une production
industrielle. Pourtant son usage et sa rareté font d’elle un objet intéressant pour le musée.
Tous ces critères ne sont donc que des repères et c’est leur combinaison qui donnent à l’objet
sa valeur patrimoniale. Les objets, répondant à ces critères, portent en eux alors un potentiel
d’émotion patrimoniale.
4.3. L’effet musée-patrimoine
L’émotion patrimoniale est aussi induite par le bâtiment lui-même. Le potentiel d’émotion
patrimoniale des objets exposé au musée est optimisé par la muséographie esthétisante et le
bâtiment lui-même. Le Musée Basque est qualifié dans la presse et les discours d’ « écrin ».
La Maison Dagourette est elle-même un monument. Le conservateur nous a expliqué qu’il est
selon lui préférable de réserver l’architecture contemporaine à des musées d’art et un bâtiment
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ancien aux musées de société. Le Guggenheim de Bilbao tout proche est le contre exemple
architectural par excellence de la Maison Dagourette.
« Et je dois dire que … en règle générale je crois que je préfère les musées qui réutilisent des
bâtiments anciens que des musées ex nihilo dans une construction moderne.
_ Malgré les soucis pour les aménager ?
_ Malgré. Parce que ça a un charme que n’ont pas les bâtiments modernes.[…] C'est-à-dire
que c’est plus difficile de réussir un musée dans une architecture contemporaine, tout est neuf,
que dans une architecture ancienne. L’architecture contemporaine je pense qu’elle est bien
pour accompagner des espaces publics, auditorium, accueil, boutique, cafétéria, etc.
_ Mais pas pour les salles d’expo ?
_ Voilà. Parce que le musée, je dirais qu’à l’autre extrémité j’aimais bien quand même le Musée
National des Arts et Traditions Populaires, rue du Mahatma Gandhi - Bois de Boulogne qu’on a
fermé, parce que il y avait deux niveaux de lecture : il y avait un niveau avec des
reconstitutions - alors c’était très embaumé - il y avait un niveau avec des reconstitutions
l’atelier de ceci, l’atelier de cela, mais ça faisait assez carton-pâte et puis il y avait ces vitrines
de séries qui faisaient un peu… clinique, enfin, une sorte de découpage de tous les objets les
uns après les autres, c’est étonnant mais enfin je dirais que j’en appréciais le côté pratique, le
côté découpage au scalpel mais c’était / on ne vibrait pas, on n’avait pas de sentiment. Et je
pense que pour le Musée Basque le fait d’être resté en expo permanente dans le vieux
bâtiment, la Maison Dagourette, quand même les bois, les pierres, les enduits, tout ça, ça
donne quand même une matière et une résonance, une résonance sensuelle quelque part,
même si les vitrines sont très rigoureuses, l’objet, surtout l’objet humble de l’ethnographie enfin
ancien « Arts et Traditions Populaires » et mieux mis en valeur dans un bâtiment qui lui
correspond au point de vue matériaux et construction.
_ Même si les matériaux c’est de l’imitation de ce qui se faisait, parce que vous m’avez dit par
exemple que les planchers ce ne sont pas ceux d’origine ?
_ Ah oui oui mais ce sont de vrais planchers, ils ne sont pas en plastique. La matière est
toujours la même chose. C’est vrai que le bâtiment en tant que structure a été entièrement revu,
refait et que /mais on en revient à la même structure d’origine avec de nouveaux matériaux,
mais ce sont des matériaux anciens réutilisés. Il a malgré tout, même s’il a été beaucoup
redressé, il a un côté de guingois, bon l’ancien était vraiment très de guingois avec des
escaliers qui montaient et qui descendaient, des trous à travers le plancher enfin bon, mais
quand même et puis c’est surtout ce qu’un architecte aura le plus de mal a créer dans une
structure contemporaine, sauf peut-être au Guggenheim avec Frank Gehry, ce sont des
volumes variés, et pas orthogonaux, des … le Guggenheim il plait parce qu’il est tout de travers,
les salles ne sont pas orthogonales… je dirais le musée très orthogonal ça peu aller pour de
l’art contemporain [rire]. Beaubourg ça fonctionne pour l’art contemporain. Parce que je dirais
que l’œuvre elle-même a son message tout seul, elle n’a pas besoin d’être accompagnée.
Tandis que dans un musée d’ethnographie ou d’histoire, où les objets qui sont présentés sont
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malgré tout des objets modestes, l’accompagnement du bâtiment aide beaucoup. » (Olivier
Ribeton, conservateur).
Les objets témoins, trésors de la culture basque, réunis au musée contaminent le bâtiment lui-
même de leur valeur patrimoniale. Si un objet est exposé au musée, c’est qu’il a une valeur
patrimoniale. Et si le musée renferme tant de « trésors », il devient lui-même un élément du
patrimoine. C’est ce que nous appelons « l’effet musée-patrimoine ».
La nouvelle orientation du musée témoigne d’une volonté que la société s’approprie le musée,
mais pas ses collections. La dimension patrimoniale est transférée sur le bâtiment lui-même.
Le musée devient patrimoine. Les collections sont de moins en moins valorisées dans
l’évènementiel. Même si dernièrement le conservateur a donné une conférence sur la maison
basque vue par les artistes à partir de documents issus des collections, la collection apparait
parfois comme anecdotique.
Le musée basque est un lieu qui ambitionne de devenir « incontournable » mais sans avoir
défini clairement dans quel but.
4.4. Quel sens pour le Musée Basque ?
Le Musée Basque est d’abord considéré comme un « écrin » pour les collections qu’il réunit.
A un second niveau, il est estimé comme la mémoire de l’histoire de la société basque dont il
expose principalement les traces (ou productions) matérielles et à partir desquelles il évoque
sa dimension immatérielle (les croyances, les idées, les techniques, les pratiques,
l’organisation sociale). Certaines personnes l’interprètent comme un témoignage de
« l’identité basque ». A un dernier niveau il est perçu comme un outil de compréhension et de
création et plus seulement comme un témoignage. Nous avons déjà présenté sa dimension
d’écrin et de témoignage du passé de la société basque. Concentrons-nous maintenant sur
cette idée d’un musée d’identité.
4.4.1. Un musée « d’identité »
Pour le journal Sud Ouest, le Musée Basque est « Un témoignage de l'identité basque et de ses
traditions, situé aux bords de la Nive. »113
Qu’un musée soit considéré comme un témoignage d’une identité locale ou nationale est tout
à fait banal. Ce qui intéressant c’est que le prestige de l’institution donne à son discours une