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L'ENSEIGNANTE, AGENTE DE DÉVELOPPEXIENT EN ACADIE DU KOL'VEAU-BRCNSWICK Thèse soumise en conformité avec les esigences du doctorat Département de curriculum Institut d'études pédagogiques de i'Onmio à 1Vniversite de Toronto G droits d'auteur PhyIlis Ddey 2000
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Jan 25, 2023

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Khang Minh
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L'ENSEIGNANTE, AGENTE DE

DÉVELOPPEXIENT EN ACADIE D U

KOL'VEAU-BRCNSWICK

Thèse soumise en conformité avec les esigences du doctorat

Département de curriculum Institut d'études pédagogiques de i'Onmio à 1Vniversite

de Toronto

G droits d'auteur PhyIlis Ddey 2000

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L'ENSEIGNANTE, AGENTE DE

DEVELOPPEMENT EN ACADIE DU

NOClrEAC-BRCWSK'ICK

M q Phyiiis hiay Daiiey, PhD, 2000 Département de curricuIum

Institut d'études pédagogiques de l'Ontario Université de Toronto

La mission de l'éducation de langue française en milieu minoritaire canadien est de

maintenir et de développer l'identité francophone. L'école est gardienne de la langue

et de la culture françaises. Au Canada français, ce rôle est également conféré aux

mères. Cette recherche confirme la continuité du dédoublement de ce rôle en Acadie

d u Nouveau-Brunswick. Cela place l'enseignante à l'intersection de ces deux

institutions de socialisation que sont l'école et la famille. Cette étude ethnographique

démontre qu'à cette intersection émergent deux paradoxes. La gestion que font les

enseignantes du début du primaire de ces paradoxes mène à la production et à la

reproduction d'inégalités sociales.

Le premier de ces paradoxes est celui de I'authenticité/autorité linguistique. Plusieurs

variétés de la langue française sont parlées en Acadie. Ces variétés sont liées à la

performance et à la négociation d'identités acadiennes régionales, de classes et/ou de

générations. À l'exclusion de cette diversité linguistique et identitaire, par contre, le

français standard ou «correct» est la seule langue légitime en salle de classe. Se crée . - ll

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ainsi le paradoxe authenticiié/autonté linguistique : l'identité acadienne qui est la

raison d'être de l'école acadienne est souvent liée à une langue exclue de la salle de

classe.

Selon le deuxième paradoxe, i 1 est naturellement donné aux femmes de voir à

l'éducation des enfants, cela relève de leur instinct maternel. Or, l'interaction

adultelenfant est une pratique qui peut varier d'un milieu socioculrurel acadien à un

autre. Lorsque deux cultures se rencontrent, il y a nécessité de négociation ou de

domination et de soumission. Puisque les enseignantes font ce qui leur est

naturellement donné de faire, elles reproduisent les pratiques culturelles de leur

communauté et traitent comme déviantes les pratiques qui appartiennent à d'autres

communautés. La salle de classe devient ainsi un milieu qui exige la soumission. La

langue et les comportements des élèves de ces autres communautés sont soumis à la

régulation de l'institution scolaire.

Cette thèse postule que seul l'affrontement du double paradoxe de l'enseignement au

primaire permettra à l'enseignante de remplacer une pédagogie coercitive par une

pédagogie col laboratrice.

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L'écriture de cette thèse a traversé plusieurs tournants dans ma vie. À chaque

tournant, mon groupe de soutien s'est modifié, allongeant ainsi la liste des personnes

que je me dois de reconnaître ici.

Premièrement, je dois souligner la contribution incontestable des femmes qui m'ont

permis d'entrer dans leur salle de classe : sans ces femmes, il n'y aurait pas eu de

données à analysées. Merci pour votre honnêteté et votre ouverture. J'espère que cette

thèse réponde 5 vos attentes.

Mon analyse n'aurait pas eu sa profondeur sans le soutien, les recommandations et ies

questions de mon comité de thèse, formé des professeurs Monica Heller, Normand

Labrie et Jim Cumrnins. J'ai appris beaucoup en leur présence et leur en remercie.

Je dois une dette particulière au professeure Heller pour m'avoir invité à faire partie

d'une de ses équipes de recherche. Cela m'a permis non seulement d'acquérir une

expérience pratique de l'ethnographie, mais également d'intégrer une communauté

d'intellectuels. Cette communauté a été importante à la conceptualisation de mon

projet de recherche. Je reconnais particulièrement Mark Campbell et Laurette Evy .

Professeure Heller a également su me guider dans ma réflexion malgré la distance

géographique qui me séparait de l'Université tout au long de l'écriture de cette thèse.

Pour cela, je serai éternellement reconnaissante.

Pour les innombrables discussions autour d'une tasse de thé et la possibilité de

<< déconner >> dans la neige. je remercie Pierre Dubé, Mark Worrell, Kathy Church,

Vicky Low, Liz Callery et Frank Wania. Sans Massey College, je n'aurais jamais

rencontré ces personnes, et bien d'autres, d'origines et d'idéologies variées. Je

remercie cette institution de m'avoir donné l'opportunité de rencontrer un tel pot

poum de merveilleux êtres humains, je ne me suis que rarement senti aussi libre

d'être moi-même.

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In Moncton, I found a new community waiting to take me into its fold : thanks to the

Robinson street breakfast club for heiping me through difficult times, both personna1

and intellectual. A special nod to the late Frank Richard, more often than not, the

Iignt in your office shone as late as mine.

I'ai vécu la dernière étape de mon périple dans le Nord-Ouest du Nouveau-

Brunswick. Je remercie Audrey Côté St-Onge, Huguette Desjardins et Nicole

Levesque pour avoir soutenu ma démarche inteIlectuelle et féministe - même si nous

n'étions pas toujours du même avis. Je remercie égaiement Reinelde Thériault, Jean-

Marie Gauvin, Laurier Martin et Léo-Paul Charest pour leur compréhension de

l'ampleur de ce projet et leur présence lorsque j'avais besoin qu'on m'entende.

1 wish to thank my father for instilling in me the need to see beyond the surface et ma

mère pour une bonne dose de joie de vivre. Without these two chiiracteristics I would

not have found the courage to continue what others said was an impossible task. Je

vous aime. Pour terminer, je veux exprimer ma sincère reconnaissance et mon

affection pour celui qui n'a jamais douté de mes habiletés, même lorsque je n'étais

pas certaine de pouvoir continuer, et qui m'a toujours poussé 5 remettre en question et

a défendre mes croyance et mes analyses. Les débats, mon cher Claude, ne font que

commencer.

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TABLE DES ~ M T I È R E S

1. Introduction : l'enseignement du f m p ï s en d e u minoritaire

2 . 1 . La langue et l'identité

1.2. L'école reproductrice de I'identite ethnique

1.3. Le rôle de l'enseignante

2. L'éducation de langue française au Xouveau-Brunswick

2.1. La dispariaon d u fait acadien

2.2. Première strucnire scolaire

23. L'institutio~aiisation des différences

2.4. C'ne division linguistique

2.5. Les alliances entre l'Église et l'État

2.6. La prise en charge par l'État

2.7. La dualité du ministère de l'éducation

2.8. Un retour vers la droite

2.9. Conclusion

3. La merc acadienne

3.1. Le paysage ~lsuel

3.2. Cne langue qui nous ressemble

3.3. Le discours des hommes

3.4. Le discours des femmes

3.5. Gardiennes de la langue

3.6. Conclusion

4. LJ langue et le travail de l'enseignante

3.1. Lc conteste de I'enscignement en Acadie

4.2. L'enseignement au primaire, travail de femmes

4.3. Possibilités de résistancc

4.4. La conformité espliquée

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4.5. Conclusion

5 Conclusion : enseignante et femme, double paradoxe

6. Bibliographie

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C h a p i t r e I

INTRODUCTION

L'enseignement du français en milieu minoritaire

Alors que j'étais enseignante en Alberta, des enfants francophones se voyaient

transférés du proCpmme de français langue maternelle à celui d'immersion

française, parce qu'ils ne maîtrisaient pas leur langue maternelle. Le p r o u m e de

français langue maternelle n'était donc destiné qu'aux enfants qui parlaient le «bon»

français. Au Nouveau-Brunswick, une élève de la quatrième année me dit que Le

dicriotzrzaire des difiercltés de la l a~gue française est pour mous autres, parce

qu'on parle mal le français», également sa langue maternelle. Ces deux

constatations issues du contexte canadien sont troublantes.

L'école fmnçaise en milieu minoritaire canadien a été, avec la famille et l'église.

une institution de grande importance dans la lutte pour la survie du fait français au

Canada. Elle a permis à un peuple sans frontières géographiques, à l'exception de

celles du Québec, la seule province à majorité francophone, de se définir comme

communauté. Aujourd'hui, avec la perte de vitalité de l'église et la =orande mobilité

des personnes, le rôle de l'école dans le maintien de la langue et du sentiment

d'appartenance 5 une communauté est encore plus -md.

La mobilité des personnes, surtout vers et entre les centres urbains, entraîne un plus

orand contact entre la population francophone et la majorité anglophone. Ce contact C

a pour conséquence de réduire les domaines dans lesquels le français est la langue

d'usage. Pour plusieurs enfants, l'école est le seul milieu où la majorité des activités

1

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se passent en français. Or, l'école franco-albertaine détermine qui peut se dire

francophone et ainsi profiter du prokgamme de français langue maternelle. Au

Nouveau-Brunswick, I'école participe à la définition de normes linguistiques qui

distinguent le bon du mauvais français. Comment ces actions contribuentelles au

maintien de la langue et du sentiment d'appartenance des élèves en question ? Ne

s'agit-il pas plutôt de pratiques linguistiques qui promeuvent I'exclusion ?

Partant de cette constatation d'un conflit entre les buts et les actions de l'école de

langue minoritaire et de la prémisse que cette même école cherche à: remplir son

rôle de gardienne de la langue et de la culture françaises, éléments unificateurs de la

population francophone, cette thèse vise à mieux comprendre comment l'école

définit cette langue et cette culture et les conséquences de cette définition. On verra

que I'école contribue grandement à la définition de la nonne linguistique en

référence à laquelle toute autre forme est évaluée ou dévaluée et que la lm, mue est

un critère d'inclusion et d'exclusion au monde du savoir scolaire. L'école sert ainsi

mieux les intérêts de certains citoyens et citoyennes, notamment ceux de la classe

dirigeante. Cette classe a le pouvoir de définir son savoir comme savoir légitime.

Cette légitimité aatunlisen le pouvoir de cette classe de diriger, par son empxise

sur la prise de parole et de décision collective, le sort de la population acadienne.

Puisque traditionnellement la femme canadienne-fransaise est également porteuse

du rôle de gardienne de la langue et de la culture. j'ai décidé de partir de

l'observation du travail de femmes qui enseignent au primaire. Ces femmes se

situent à I'intenection entre des institutions primaires de socialisation que sont la

famille et I'école. Cela est d'autant plus vrai lorsque le milieu de travail de

l'enseignante est la classe du primaire du premier cycle (classes des 5 à 8 ans),

période de transition de l'enfant entre la famille et I'école, entre la langue familide

et celle scolaire.

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L'enseignement est une profession hautement féminisée (les femmes forment 77%

de la population enseignante au Nouveau-Brunswick (MEN3 1998). Pour savoir ce

qui se passe à I'école, i l est donc logique de cibler le travail de ces femmes et de

voir ce travaii comme un travail de femmes. Cette thèse se veut donc une étude de

la participation des enseignantes du primaire au processus de définition de la langue

légitime en salle de classe et elle vise à connaître les limites et les possibilités de

cette participation.

Plus précisément, au début de ma démarche mon but était de découvrir le rôle de

l'enseignante du niveau primaire dans la définition des formes du français

appropriées à l'école acadienne et, conséquemment, à l'identité acadienne. C'est

ainsi que j'ai entrepris cette étude de cas de deux enseignantes de la première année.

c'est e n effet à ce niveau que l'enfant devient élève et que la langue de la maison est

confrontée à celle de I'école. le croyais ainsi être en mesure d'observer plus

concrètement les actions que pose l'enseignante à l'endroit d'une langue maternelle

qui diverge de la Iangue scolaire. Or, dans les classes observées, les élèves savaient

avant leur arrivée en première année que le chiac. une langue acadienne stigmatisée.

ne doit pas être utilisé en classe. Les entrevues avec des femmes démontrent que

leur travail maternel y est pour quelque chose. Les actions normalisatrices des

mères acadiennes font que leurs enfants acquièrent des dispositions durables qui

sont le principe de leur perception de l'état du marché linguistique et, par là, de

leurs stratégies d'expressions» (Bourdieu 1977 : 25). Lors de la naissance de leur

premier enfant. ces femmes troquent leur variété régionale en faveur d'une forme

plus standardisée. Tout en apprenant à parler, les enfants apprennent donc à

modifier leun pratiques linguistiques selon les exigences de la situation. Les

différences entre In langue scolaire et celle que les enfants parlent en arrivant à

l'école ne sont donc pas aussi grandes que prévues.

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On vem néanmoins que les enseignantes contribuent à la définition de la norme

linguistique qui favorise l'appropriation du savoir scolaire par certains élèves et qui

crée les conditions d'exclusion pour d'autres. De plus, le travail de ces enseignantes

est un travail de femme, tant en ce qui a trait aux conditions sous lesquelles il est

effectué. qu'en ce qui a trait aux perceptions que ces femmes et la société en général

en ont. Les actions des enseignantes dans ce milieu de travail peuvent également

être caractérisées de féminines.

Un deuxième but de cette recherche était d'alimenter une réflexion pédagogique sur

les moyens à prendre pour rendre la littératie accessible à tous les élèves. Mes

expériences personnelles et plusieurs recherches démontrent bien que notre société

a atteint l'égalité d'accès à l'école, mais que l'accès aux apprentissages scolaires est

encore à construire, voire même à concevoir (Tardif 1998). Le discours

psychologisant de notre système scolaire refuse encore cette possibilité : il admet

que <<tout enfant peut et veut apprendre, mais chacun apprend à son rythme et selon

des modalités qui lui sont propres» (MENE3 1994 : 6). L'attente ainsi formulée est

qu'à la fin de douze années de scolarité. tout élève aura fait des apprentissages, mais

que le niveau de maîtrise des connaissances ou habiletés scolaires variera selon la

capacité intel1ectuelIe de chacun. Le contexte sociologique des difficultés scolaires

demeure à la marge des considérations pédagogiques.

On verra que les conditions du travail de l'enseignante rendent difficile le

changement en faveur de l'équité : leur rôle est celui de gardienne de la langue,

c'est-à-dire d'un franpis standardisé, et du pouvoir de I'éli te. L'accomplissement

de ce rôle passe par la production et la reproduction de l'insécurité linguistique 'des

élèves. Ce rôle de gardienne de la langue sera discuté plus en détaiI au chapitre

1 I3arhnt ri~s içunm :\udicns ct ;\cadicnnm. Boudmu (1391 : 148) pri.cisc quc I'inskuritC lin*-tiq cst unc

~runidc qui mmstitc à considkrcr lcur pylcr commc plus ou moins îcccpnblc, c'ex-ji-dirc qu'ils ont I'imprcjsion dc p-~lcr unc h p e fmça&st. qu nc corrr3~>ond ps i Ldid qu'ils s'en fonm.

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quatre. De plus, des moyens de surveillance suuctumux rendent difficiles

l'émergence et le maintien du désir de changer les règles du jeu. Cette thèse

démontre en fait que l'enseignante subit les règles du marché linguistique (Bourdieu

1977, 1982) qu'est l'institution scolaire, tout en participant à leur reproduction.

Cette reproduction se réalise lorsque l'enseignante intègre les règles du marché à ln

définition de son professionnalisme.

Puisque parmi les provinces canadiennes. à L'exception du Québec où les

francophones forment la majorité démographique. c'est au Nouveau-Brunswick que

la minorité francophone exerce le plus grand contrôle sur ses institutions scoiaires

(dans cette province, il y a dualité linguistique du syst2me scolaire). j'ai décidé d'en

faire mon terrain de recherche. S'il y a un endroit où l'on devrait pouvoir faire

autrement, c'est bien là où l'on a le contrôle de ses programmes. De plus, malgré

certaines difficultés liées à la recherche faite chez soi, le fait que je sois native du

Nouveau-Brunswick rend le contact plus facile ; je ne suis pas venue m'ingérer

dans les affaires des autres. La plus --de difficulté surviendra lorsque je dirai des

choses qui ne font pas l'affaire de tous : la critique de l'intérieur est toujours plus

aifficile à prendre. Lorsqu'une didacticienne, professeure à la seule université de

langue française au Nouveau-Brunswick, écrivait récemment (Duguay 1999) que le

système scolaire y est pour quelque chose si les élèves acadiens ne savent pas écrire,

des fonctionnaires du ministère de l'Éducation du Nouveau-Brunswick (MENB) se

sont exclamées que «c'est déjà assez que d'autres nous descendent, on n'a pas

besoin de ça d'un des nôtres». Cette référence à un des nôtres exige une

explication : Mme Duguay n'est pas une «des nôtres, simplement parce qu'elle

habite la même province, le lien dont il est question ici est celui de I'acadianité.

Acadianité : identité de la population acadienne, citoyens et citoyennes de l'Acadie,

si une Nation sans État peut compter des citoyens. L'Acadie n'est pas une province

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du Canada et son territoire ne se calque pas sur celui d'une ou plusieurs provinces.

L'Acadie originale était l'actuelle ~ouvelle-Écosse et s'étendait en partie sur la

province du Nouveau-Brunswick. Les provinces maritimes (le Nouveau-Brunswick,

la ~ouvelle-Écosse et l'ne-du-prince-Édourad) demeurent le lieu où l'on retrouve

la majorité de la population acadienne. A panir de 1755, les habitants de cene

Acadie se sont vus déponés par les Anglais vers les États-unis, l'Europe et des

colonies françaises. C'est alors que plusieurs parlent de l'Acadie de la diaspora,

alors que d'autres insistent qu'il faille vivre en terre acadienne, de l'ancienne

Acadie, pour se dire Acadien. D'autres diront qu'il ne suffit pas de vivre en terre

acadienne, i l faut également être descendant d'une famille déjà en Acadie en 1755

et porter le patronyme - oublions l'importance de la mère gardienne de la langue et

de la culture - d'une de ces familles. Finalement, un dernier groupe croit qu'ii est

possible de devenir Acadien ou Acadienne, d'adopter la nationalité acadienne.

En plus de partager l'histoire de la déportation, la population acadienne du Canada

partage celle du retour en Acadie (des Maritimes) et de sa survivance dans des

provinces et un pays à majorité anglophone. La couleur particulière de cette

survivance au Nouveau-Brunswick est marquée par une plus p d e concentration

de francophones sur son temtoire. La langue française et la religion catholique ont

été les éléments identitaires les plus importants de l'Acadie, mais aujourd'hui, la

langue est I'élément unificateur principal. L'Acadie dont il est question dans cette

thèse est celle du Nouveau-Brunswick et. étant donné l'importance de la langue

dans la définition de l'identité acadienne, elle inclut l'ensemble des francophones

de cette province. Ce faisant, je suis consciente de mettre de côté toutes les

questions d'inclusion et d'exclusion des diverses sections de la population que

j'intègre dans cette définition.

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La peur de I'assirnilation du français vers l'anglais est également un élément de

l'identité acadienne. C'est à l'école que revient la responsabilité première de contrer

ce danger. J'ai donc décidé de mener ma recherche ethnographique, c'est-à-dire une

recherche fondée sur l'observation et la participation à longue échéance (une année

scolaire), dans le sud-est du Nouveau-Brunswick, une région où le contact entre le

français et l'anglais est grand. En effet, ce contact a donné lieu à une variété

linguistique qu'on nomme le chiac. Alors que cette thèse fait état de plusieurs

définitions du chiac, c'est l'utilisation d'anglicismes qui le rend stigmatisé tant il

l'école que dans la communauté francophone de la province. Cela m'intéressait de

savoir comment les enseignantes conjuguent avec cette langue dans ieur définition

de la langue appropriée à la salle de classe. J'ai choisi l'ethnographie comme

méthode de recherche parce qu'une telle démarche permettrait de comprendre la

complexité des choix linguistiques et pédagogiques des enseignantes dans leur

contexte social et politique. Une compréhension en profondeur de la situation de vie

de l'enseignante est nécessaire au développement éventuel d'une pédagogie

collaboratrice. Ln première étape de ce projet a été de trouver des enseignantes qui

me permettraient d'entrer dans leur salle de classe.

Durant le printemps de 1994, j'ai rejoint par téléphone les directions de cinq écoles

primaires dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. Seules trois d'entre elles ont

accepté que je rencontre le personnel enseignant de leur école pour exposer mon

projet de recherche. Suite à ces rencontres, seules deux enseignantes, toutes deux à

l'école Du ou le au'. située en milieu rural, ont accepté de participer à cette

recherche. Cette difficulté à trouver des participantes à ma recherche atteste de la

charge émotive qu'arbore la question linguistique en Acadie. La langue est le

marqueur le plus important de l'appartenance à fa communauté acadienne, mais le

Ixs noms de?; pcrsonnc?; rrncontrCcs ct des .licoles \+isit.lics dans Ic udrc dc ccnc rcvhcrchc sont fictifs. .\fin dc rnicux simcr Ic Icmrur dans Ic contcxrc hrstonquc et gCographiquc dc ccnc t h k . Ics toponymrs ct ILS noms des mstitutions wolaircs ct des pcrsonnap d'une importance sont &ls.

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code acadien est dévalorisé en faveur d'une variété qui se rapproche du franpis

écrit. soit le français standard. Ce paradoxe est d'autant plus vrai pour les

enseignantes puisque c'est à elles que revient la tâche de rehausser fa qualité

linguistique des nouvelles générations tout en assurant le maintien de l'identité

acadienne.

De septembre 1994 à avril 1995, j'ai passé en moyenne une joumée par semaine

dans les classes de deux enseignantes de la première année. Pendant ces journées,

j'ai intégré la salle de classe en travaillant avec certains élèves ou en vérifiant le

travail des élèves selon la demande de l'enseignante. J'ai également CO-animé, avec

I'enseipante, certaines activités de bricolage et de peinture. Les enseignantes

m'interpellaient également régulièrement lors de discussions avec les élèves (Qu'en

penses-tu, Madame PhyIlis ? As-tu déjà . . . ?). Chaque jour, je m'assoyais pendant

de longs moments à l'arrière de la classe pour observer et noter ce qui se passait. À

la fin de la joumée, je complétais mes notes en y ajoutant des observations faites

lorsque je travaillais avec des élèves ou l'enseignante. Étaient également notées des

observations faites dans la cour d'école et dans le couloir lors de l'entrée et de la

sortie des élèves. Finalement, je prenais en note les conversations avec une ou

plusieurs enseignantes de 19école (elles étaient sept) autour de la table du salon des

enseignantes, dans une salle de cIasse ou dans le couloir.

La durée de ma présence sur le terrain étant limitée à une année scolaire, la

négociation du changement proposé par une pédagogie collaboratrice devra attendre

un moment où ma disponibilité auprès des enseignantes sera plus longue. En effet,

le désire de ne pas provoquer une remise en question que je ne pourrais pas

accompagner jusqu'au bout m'a suivi tout au long de l'année de ma collecte de

données. Par contre, lors de l'écriture de cette thèse, j'ai voulu rendre accessible aux

enseignantes l'analyse que j'avais faite de leur situation. Cela dans le but d'essayer

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de leur permettre de tirer profit de ma pksence dans leur salle de classe. C'est ainsi

que ta fin de ce processus a été marqué par I'invitation aux enseignantes-

participantes de me lire et de commenter mon analyse. Les deux enseignantes ont

répondu à l'invitation de lire ma thèse, mais une seul à celle de m'en parler- Au

courant du mois de mars 2000, cette dernière a instigué cinq conversations

téléphoniques avec moi. Ces conversations m'ont permises de préciser certaines de

mes analyses et d'apporter des changements que l'enseignante jugeait nécessaire au

maintient de l'anonymat de l'école et de son personnel enseignant.

En plus des observations. une des enseignantes de première année a accepté que

soient enregistrées trois entrevues semistmcturées. Ln deuxième enseignante-

participante a refusé tout enregistrement sonore de nos conversations. Les entrevues

avec la première enseignante ont eu lieu aux mois de décembre 1994, mars 1995 et,

suite à l'invitation de l'enseignante, en 1997. Les questions posées lors de ces

entrevues faisaient suite aux observations menées en salle de classe et ont permis

d'élucider certaines pratiques. En effet, passer aux entrevues après quelque temps

en salle de classe a permis de cibler les thèmes de ma discussion avec l'enseignante

Ce temps passé en la compagnie de l'enseignante a également donné lieu à une

relation interpersonnelle à l'intérieur de laquelle j'ai appris à interagir avec

l'enseignante et à mieux poser mes questions.

Suite à l'année scolaire passée en salle de classe et une analyse partielle de mes

données, le besoin de comprendre ce que les enseignantes faisaient dans un

contexte plus large que celui de la salle de classe s'est fait sentir. De là la décision

d'interviewer six hommes et dix femmes de la communauté desservie par l'école.

Ces entrevues avaient deux buts plus spécifiques : premièrement, de voir s'il y avait

un lien entre le travail des femmes en salle de classe et celui des femmes en famille

et, deuxièmement, de connaître les attentes de la communauté vis-à-vis de la langue

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enseignée à I'école. Les personnes rencontrées étaient actives, pour la majorité, soit

dans le milieu scolaire, soit dans la communauté, ou dans ces deux milieux. Cet

échantillon n'est donc pas représentatif de l'ensemble de la communauté3. Cela

s'explique par le moyen utilisé pour joindre les participantes et participants, soit à

partir du comité des parents et de la liste des représentants de villages ou de districts

de services locaux (une désignation donnée aux communautés trop petites pour

détenir le statut de village et pour se doter d'un gouvernement municipal). Huit des

femmes avaient choisi de demeurer à la maison pour élever leur famille et la

majorité d'entre elles étaient membres du comité de parents de l'école, aucun

homme n'était membre de ce comité. Cinq hommes et une femme étaient membres

élus pour représenter leur municipalité ou district de services locaux OSL). Enfin,

un des hommes était le conjoint d'une des membres du comité de parents.

Finalement, j'ai également assisté à des réunions du conseil scolaire, un corps élu

qui chapeaute I'ensemble des écoles d'une région définie par le gouvernement

provincial, et j'ai interviewé des membres du personnel cadre du conseil. Ces

derniers sont responsables de la formation et de la supervision pédagogique du

personnel enseignant. Plusieurs documents font aussi partie de mon corpus, à

savoir: divers documents produits par ou pour le ministère de l'Éducation du

Nouveau-Bninswick, des documents remis aux élèves dans le cadre scolaire, le

matériel didactique qu'utilisent les enseignantes pour l'enseignement du français

(lecture, écriture et langue orale) et des documents pris à l'église, au bureau de la

société historique de Memramcook ou dans un dépanneur.

Cette thèse permet d'élucider comment le groupe minoritaire des Acadiens et

Acadiennes participe à la reproduction des relations entre francophones et

anglophones ainsi qu'à la production d'inégalités internes : la communauté

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acadienne n'est pas un groupe homogène libre de toute responsabilité socide.

Comme le maintient Bourdieu (1977) et le démontrent Heller (1994, 1999) et

Dannequin (1976)' la langrre est au centre de ces divisions sociales et

l'enseignement de la langue, un outil pour les reproduire. Le rôle des enseignantes

dans ce travail est donc celui de la reproduction de la langue et de la culture de la

classe dirigeante en Acadie. Elles effectuent ce travail en refusant la divergence

linguistique. Ce refus alimente l'insécurité linguistique, cette tendance de toujours

se voir à l'écart de la maîtrise de sa langue maternelle, de la majorité des élèves,

mais plus particulièrement des classes marginalisées. Cette insécurité est imbriquée

dans I'acadianité et justifie les efforts de francisation du ministère de l'Éducation du

Nouveau-Brunswick. Avant de passer à l'analyse en profondeur de mes données de

recherche, il importe par contre, de présenter les éléments théoriques qui l'ont

informée.

Ce chapitre permettra d'établir I'importance de la langue dans la formation de

1' identité et de l'école dans sa reproduction. Les prochains chapitres traiteront de

l'histoire scolaire au Nouveau-Brunswick francophone, du rôle des mères et des

pères dans la reproduction de la langue et de la culture francophone (la femme est-

elle toujours gardienne de l'identité acadienne ?), ainsi que de ce qui a été observé

dans les deux classes de première année qui ont formé la base de cette recherche.

En guise de conclusion, une réflexion sur les liens à établir entre l'identité et la

pédagogie sen présentée au dernier chapitre de cette thèse.

LA LANGUE ET L ' I D E ~ ~

Heller (1987) démontre que l'ethnicité se construit par le biais d'une participation

au sein d'un réseau social contrôlé par le groupe ethnique. Ici la langue est

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indicatrice d'appartenance et rend possible une telle participation. Or, la langue est

plus que la parole.

«The evaluation of cornpetence takes into account the relationship between the speaker's social propenies and the specifically linguistic properties of his discourse, i.e. the match or rnismatch between ianguage and the speaker ... What speaks is not the utterance, the language, but the whole social person». (Bourdieu 1977:653)

En ce sens, la façon dont un locuteur s'habille, se tient, prend la parole, la couleur de

sa peau, son identité sexuée, peuvent toutes être prises en compte dans l'évaluation

de sa légitimité. Ces éléments font partie de ce que Heller (1987) nomme la culture

partagée. Malgré sa maîtrise de la forme linguistique appropriée à la situation, un

locuteur qui ne fait pas preuve de cette culture est jugé illégitime et son discours

perd de la valeur. Le personnel enseignant du primaire, on le verra au chapitre

quatre. a sa culture partagée qui rend illégitimes certaines divergences

pédasogi ques.

La culture partagée d'un groupe ethnique est le produit de sa séparation sociale

(Heller 1987 : 184) d'avec d'autres groupements humains ; les membres d'un

réseau social partagent continuellement les mêmes expériences et celles-ci forment

Ia base d'une vision partagée du monde puisque négociée et construite ensemble.

C'est également à partir de cette vie en commun qu'un groupe vient à partager une

façon commune d'agir dans ce monde. Qui n'a jamais eu le sentiment de savoir ce

qu'un intime allait dire ou faire avant que la parole ou l'action soit produite ?

Comme on le verra, la construction sociale du monde et du savoir-faire quotidien a

un effet sur l'apprentissage de la lecture : si un enfant sait à quoi s'attendre dans la

suite des mots d'une phrase et dans le déroulement d'une histoire. il ou elle est plus

apte à ajouter cette nouveile habileté qu'est la lecture. qu'on comprendra comme la

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constmction de sens et non uniquement le décodage, ou la lecture de sons et de

mots, à son répertoire d'habiletés sociales.

La nécessité de la séparation des groupes sociaux pour la construction de l'identité

ethnique explique l'importance de l'école dans la lutte pour la survie des

communautés francophones et acadiennes du Canada. il y eut un temps où ces

communautés vivaient isolément des autres groupes sociaux, dont celui,

majoritaire, des anglophones. Or, plus les francophones venaient en contact avec les

anglophones, plus i 1 s avaient besoin de définir des «cellules sociales restreintes»

(Juteau-Lee 1983 : 51) à l'intérieur desquelles sont constitués les réseaux si

importants à la construction et à la reproduction identitaires. L'église, l'école et la

famille sont de telles cellules, chacune ayant une importance relative selon l'époque

(Bourdieu 1998) et, j'ajouterais, selon la société.

Le premier réseau social de l'enfant se forme à l'intérieur de la cellule familiale,

formée des adultes et des enfants qui s'y trouvent. Puisque l'accomplissement des

tâches domestiques et de soins des enfants sont, dans la majorité des familles, du

ressort de la mère (ou de son substitut, gardienne d'enfants, femme de ménage). on

peut dire que c'est à ses côtés que l'enfant acquiert le capital culturel de son groupe

social. C'est la mère qui lui fait vivre, au travers du quotidien, les expériences qui

forment la base de sa culture : elle le noumt avec des mets de sa culture, elle

1 ' habille selon des conventions culturelles, el le vit avec l'enfant les transitions d'une

saison 5 l'autre, elle établit l'horaire de sa journée, elle lui parle dans la langue de

son identité - ou de celle qu'elle voudrait épouser. imbriqué dans les activités

quotidiennes dc la femme, ce travail de socialisation est rendu invisible et devient

l'apport <maturel» de la mère. C'est ainsi que les «idéologues nationalistes . . : ont

toujours placé les femmes, tout particulièrement les mères, au centre de la nation»

(Juteau-Le 1983 : 46)' ou plutôt, en ont fait les servantes nées qui doivent faire le

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don de soi pour reproduire de nouveaux êtres ethniques qui s'identifient, dans le cas

qui nous concerne, à ['Acadie telle que définie par les hommes. Tel était le rôle que

l'élite religieuse acadienne avait donné aux femmes au tournant du vingtième siècle

et qui leur avait ouvert la salle de classe dès 1850. Dans ce rôle d'enseignante, les

femmes ont continué à faire un travail qu'on dit <maturelm de sociaiisation ou de

production d'ethnicité et de reproduction du pouvoir de l'homme de définir ce qui

compte comme identité acadienne.

Aujourd'hui, ce sont toujours les femmes acadiennes, à travers leur travail

domestique, qui sont gardiennes de la langue et de la culture. De plus, les

enseignantes du primaire se replient sur leur maternité pour expliquer la présence

majoritaire de femmes en première année et pour nier le côté intellectuel de leur

travail : elles disent faire ce qui leur est «naturellement» donné de faire. Le travail

de production et de reproduction identitaires des enseignantes qui ont participé à ma

recherche est donc invisible à leurs propres yeux. elIes ne font qu'enseigner et ne

voient pas quel rôle elles jouent dans la communauté puisqu'elles ne perçoivent pas

le Iien entre leur travail et le développement de la communauté. Ce qu'elles font est

«naturel>> ou <motmal», elles ne questionnent donc pas ou peu la portée de leurs

actions à l'extérieur de la cellule sociale qu'elles habitent. Elles laissent ainsi à

d'autres, la classe dirigeante à majorité masculine, le pouvoir de définir ce qui est et

ce qui devrait être la direction du développement nationaliste en Acadie. Cette thèse

démontrera que le rôle actuel des enseignantes est celui de reproduction et de

production d'une forme normalisée de la langue et de la culture acadienne et ainsi

du marché de l'élite acadienne et de son pouvoir symbolique, voire économique et

politique. Ce travail est effectué par l'écoie acadienne, une deuxième cellule sociale

restreinte, lieu de création d'une identité acadienne. Dans ces écoles, on tente de

créer un milieu francophone pur, complètement séparé des Anglais et de leur

langue.

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L'école est gardienne de la langue et de la culture, mais pas de n'importe quelles.

Dans leur modèle de vitalité ethnolinguistique, Landry et Allard (Landry 1987;

Landry et Allard 1994) présentent l'éducation en langue maternelle comme un des

éléments de base à la reproduction de la langue et de la culture en milieu

minoritaire. En créant un lieu privilégié de contacts avec d'autres membres de la

communauté linguistique, et par-là avec la langue, une telle éducation permet de

balancer l'effet que peut avoir le milieu environnant majoritaire sur l'identité.

C'est-à-dire qu'elle permet la création d'une cellule sociale restreinte et la

formation de réseaux qui favorisent la production d'une identité distincte. h d r y et

Allard maintiennent que c'est ainsi que l'école contribue à augmenter la vitalité

ethnolinguistique de la communauté minoritaire qu'elle dessert.

Les éléments constitutifs d'une forte vitalité sont le capital démographique (nombre

brut et proportion sur un territoire), le capital politique (représentation

gouvernementale et para-gouvernementale, le service gouvernemental dans la

langue du groupe, le droit linguistique, la langue d'affichage), le capital économique

(langue d'usage dans les milieux de travail, dans les commerces, les industries, et

les institutions financières, langue d'affichage dans les magasins et centres de

services) et le capital culturel (contrôle des institutions d'enseignement, de la

garderie à l'éducation pst-secondaire et la réflexion de la langue et de la culture du

groupe dans les médias). Selon Landry et Allard, cette vitdité ethnolinguistique

élevée, qui se traduit par un pouvoir accru dans tous les domaines mentionnés ci-

haut, contribue à la reproduction d'une communauté linguistique. Or,

une vérification de la signification des termes «vitalité» et a-eproduction» démontre

que l'une ne peut causer l'autre puisque, qui dit vitalité dit reproduction et vice

versa. Le Petif Robert définit la reproduction et la vitalité ainsi :

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Reproduction : 1. Fonction par laquelle les êtres vivants produisent d'autres êtres vivants semblables à eux-mêmes. II. Reproduction simple : reconstitution du capital.

Vitalité : le Vie, propriétés vitales. 2e Caractère de ce qui manifeste une santé, une activité remarquables, de ce qui est éminemment vivant. (Robert 199 1)

La reproduction est une propriété vitale de tout être vivant, comme de toute

communauté ethnolinguistique : sans cette reproduction, il n'y aurait plus de vie.

Parallèlement, les éléments constitutifs de la vitalité ethnolinguistique, de la santé

ethnolinguistique d'une communauté, sont ses capitaux linguistique, culturel et

politique. La contribution de Landry et Allard est donc une description d'une

communauté ethnolinguistique dynamique et non l'identification des causes de ce

dynamisme.

Landry et Allard ont également trouvé que lorsqüe le maintien des liens

communautaires et I'utilisation de la langue du groupe permettent aux individus de

répondre à leurs aspirations personneiles. ils demeurent membres de la communauté

et participent à sa reproduction. Une meilleure compréhension des aspirations et des

personnes dont i l est question ici permettrait de mieux cerner le comment et le

pourquoi de la reproduction d'une communauté ethnolinguistique. Quelle est la

position de ces personnes vis-à-vis du pouvoir qu'exerce leur communauté ? Quelle

constituante du groupe minori taire occupe les postes décisionnels des diverses

institutions? Comment l'école acadienne, à l'instar d'autres institutions, participe-t-

elle à la production et à 13 reproduction des relations de pouvoir internes? Ce n'est

pas, après tout, chaque membre de la communauté qui pourz goûter au pouvoir

institutionnel. Que1 est le rôle de la langue française dans ces relations? Et

lorsqu'une personne n'y trouve pas son compte, comment expliquer son

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attachement continu à sa communauté ethnolinguistique ? Maiheureusement,

Landry et Allard ne traitent pas de ces questions.

Par l'étude et l'analyse approfondie de plusieurs écoles franco-ontariennes de la

région de Toronto, Heller (1994, 1999) touche à certaines de ces questions. Elle

démontre que I'école francophone en milieu minontaire distribue, de façon inégale,

des ressources linguistiques. De plus, certains groupes d'étudiants et d'étudiantes ont

une plus grande disposition, de par leurs antécédents sociaux et linguistiques, à

s'approprier les ressources distri buées. Ces inégdi tés produisent et reproduisent des

inégalités dans la communauté à l'extérieur de I'école. Les élèves qui ne parlent pas

la langue valorisée par I'école peuvent résister à la domination qu'on leur inflige. De

plus, dans les diverses situations observées par Heller, différentes formes

linguistiques sont légitimées. Au chapitre quatre, on v e m que le français standard

est nécessaire au succès professionnel des enseignantes. Pour certaines,

l'apprentissage du français standard est la clef de leur mobilité sociale. Questionner

l'emprise hégémonique du français standard met donc en cause la légitimité de ces

personnes.

Lri principale ressource linguistique distribuée par l'école est la langue française. En

effet, comme le démontre Heller pour plusieurs enfants de Toronto, I'école fmnco-

ontarienne est le seul lieu où le français prédomine sur l'anglais. Or, ce ne sont que

les variétés de français standard canadien ou européen qui sont distribuées à I'école

franco-ontarienne. Les français régionaux, tels que l'acadien, le franco-ontarien et le

québécois régional, ne sont pas distribués par I'école. Au contraire, ces parlers

constituent autant de barrières à l'acquisition du français standard et,

conséquemment, aux connaissances scientifiques, historiques et autres également

distribuées en situation scolaire : on passe premièrement par la correction des

erreurs (anglicismes et régionalismes) de vocabulaire et de syntaxe pour ensuite, si

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Ie temps le permet, passer aux connaissances rattachées à la Iitténtie et à la pensée

abstraite. Ces dernières connaissances sont nécessaires à la réussite des cours qui

mènent aux études universitaires. Ces études sont, à leur tour, préalables à une

participation active (aux diverses prises de décision, par exemple) sur les marchés

linguistique, politique et économique des groupes andophone et francophone

dominants. k s élèves du niveau secondaire qui parlent une variété du français

réprimée par l'école forment une majorité numérique dans les cours qui mènent soit

au collège communautaire ou à un cours de métier, soit directement sur le marché

du travail. Les cours qui mènent aux études supérieures sont peuplés d'élèves qui

parlent un français plus standardisé. Ce sont ces derniers qui profiteront le plus du

pouvoir accru dont parlent Landry et Allard.

Comme le suggère Heller, le français standard a ses structures de phrases et de

textes. Gee (L991) démontre, par exemple, que les enfants de milieux ayant une

base socioculturelle différente de celle de l'école utilisent une sûucture narrative

que les enseignantes du primaire ne peuvent pas accompagner. en posant les bonnes

questions ou réflexions pour faire avancer le récit. Les enseignantes jugent cette

structure incohérente. On dit de ces enfants qu'ils et elles ne savent pas raconter une

histoire. Alors qu'au contraire, l'utilisation que font les enfants de la langue est

symbolique de leur appartenance à une communauté; ils et elles racontent leur

monde à la façon de leur milieu de vie. Alors qu'il serait important de savoir si de

telles différences linguistiques divisent la population francophone du Nouveau-

Brunswick, la permission de faire des enregistrements en saile de classe n'ayant pas

été accordée, une telle analyse dépasse les limites de cette recherche. Je me limiterai

donc à une discussion des interventions lexicales, également lieu principal de

l'action de mes enseignantes-partici pantes.

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Il est possible de dire, par contre, que malgré des efforts de faire d'une forme

standardisée du français le s-mbole d'appartenance de tous les Acadiens et

Acadiennes, l'identité acadienne est traversée par des identités de classe auxquelles

sont rattachées des pratiques linguistiques. Le français standard de l'Acadie

appartient à sa classe dirigeante et, les variétés qui en divergent, à des régions ou

goupes sociaux particuliers. On vem que, pour les femmes interviewées, la

mobilité sociale de leurs enfants passe par l'apprentissage du français standard

canadien et que cette forme linguistique est nécessaire à l'accession au statut de

professionnel, tout au moins dans les institutions publiques, symboles de la vitalité

ethnolinguistique de la communauté acadienne. Le système scolaire acadien actuel

est sous le contrôle de ce groupe, à forte majorité masculine, et tend à reproduire

des inégalités internes qui les favorisent.

En plus du rôle de gardienne de la langue, l'école joue un rôle de sélection sociale.

C'est I'écoIe qui 4mpose les formes légitimes du discours et l'idée qu'un discours

doit être reconnu si et seulement si il est conforme à ces formes légitimes».

(Bourdieu 1977: 21). L'école acadienne définit ainsi la Lingue et la Culture

acadienne en référence à laquelle toute autre variété linguistique et pratique

culturelle acadienne est jugée.

Foucault (1975) démontre que par son action normalisatrice, qui récompense

l'élève qui est perçu comme normai et exclut l'élève qui est divergent, l'école, à

l'instar d'autres institutions, crée et reproduit des divisions sociales. Le c<normal» ou

la norrne devient la règle à partir de laquelle tous sont jugés et classés ; la classe

dirigeante devient ainsi la seule composée de gens <mormaux». Pour Bourdieu, la

norrne linguistique est au centre de la définition du normal.

Selon l'analyse de Bourdieu (1977, 1982) la langue est une forme de capital

symbolique. Ce capital est échangé sur des marchés linguistiques et chaque langue

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ou variété possède une valeur différente. C'est en référence à la langue de ceux qui

contrôlent Ie marché, tant du point de vue économique que culturel, que les autres

variétés se voient attribuer une valeur plus ou moins grande : plus une variété

diverge de la norme légitime, moins on lui accorde de valeur. C'est à I'école,

expliquc l'auteur, que revient la tâche d'imposer une langue et d'évaluer sa maîuise.

L'école sélectionne ainsi les élèves qui renconmront soit le succès ou l'échec

scolaire et, par extension, définit leur place dans le marché linguistique dominant.

A l'école française du Nouveau-Brunswick, c'est le français standard, libre

d'anglicismes et d'acadianismes, qui est jugé légitime, mais I'école n'est pas la

seule responsable de la définition de la norme linguistique ni de la valeur qu'on

attribue à chacune des variétés linguistiques. Comme le mentionne une de mes

enseignantes-participantes, plusieurs élèves arrivent à I'école avec une certaine

insécurité linguistique. Les hommes qui ont participé à cette recherche indiquent

également l'importance du marché du travail dans la valorisation ou non d u français

standard. Sans nier l'importance de I'école dans le processus de sélection identifié

par Bourdieu, on ne peut pas dire qu'il commence ni qu'il se termine à I'école.

Bourdieu et Passeron (1970) affirment que dès le début de leur scoIarïsation, les

enfants passent par un processus de sélection. La langue, et surtout la langue écrite,

sen de critère d'évaluation principal dans ce processus. k s enfants qui ne

manifestent pas la performance appropriée, qui ne parlent pas une langue autorisée

en salle de classe, sont exclus du système. Dans le travail de sélection qui se fait en

première année, on voit bien l'interrelation entre les propriétés sociales et

linguistiques de la culture légitime : en première année, le comportement scolaire et

le langage ne peuvent être dissociés dans l'évaluation des enfants, puisque les

enseignantes dévalorisent plus rapidement la langue des enfants qui n'ont pas le

comportement désiré que celui des enfants qui sont à la tâche et ne dérangent pas.

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À ce niveau scolaire, les enfants sont socialisés à leur rôle d'élève et cette

socialisation, tout comme celle aux normes culturelles de la famille, passe par la

construction d'une culture partagée. A l'école, l'enseignante est médiatrice des

expériences que vit l'enfant dans cette nouvel le cellule sociale. L'enseignante

inculque ainsi chez l'enfant, par le biais de récompenses et de punitions de toutes

sortes, les notions du bon et du mauvais élève et de sa place dans ce classement. Ce

sont les bons élèves qui seront sélectionnés pour le succès scolaire et,

éventuellement, pour une participation sur le marché linguistique dominant de

l'Acadie. Les autres sauront déjà qu'ils n'y appartiennent pas.

C'est ce processus de sélection qui fait de l'institution scolaire, toujours en rappon

avec les autres institutions d'une société, un instrument de p d e importance dans

la reproduction du capital linguistique.

Le système d'enseignement n'est un enjeu si important que parce qu'il a le monopole de la production de masse des producteurs et des consommateurs, donc de la reproduction du marché dont dépendent In valeur et la compétence linguistique, sa capacité de fonctionner comme capital linguistique.

Ceux qui contrôlent le système scolaire ont le pouvoir et l'autorité d'imposer leur

langue comme seule légitime en milieu scolaire. Par leur scolarisation, d'autres

groupes sociaux acceptent que la langue scolaire constitue la norme en référence à

laquelle leur langue ou leur capital linguistique s en évalué. (Bourdieu 1977:652)

On verra que dans les écoles du Nouveau-Brunswick, la norme scolaire est le

minimum requis pour être sélectionné : i l existe une variété enrichie du français

standard qui dépasse ce minimum. On verra également que, malgré les efforts de

séparation du fait français de celui de l'anglais dans la définition de l'acadianité, le

bilinguisme valorisé par le monde du travail définit également les paramètres de

cette identité.

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Cette thèse démontrera l'importance du marché du travail dans la légitimité que

confêrent les pères au français standard et dans leur prise de position vis-à-vis de

l'importance de cette variété linguistique dans l'éducation de leurs enfants. Le

travail de gardienne de la langue des mères est rendu plus ou moins facile selon

cette prise de position des pères. En fait, on verra que Ies mères ont une part de

responsabilité dans la définition et la légitimation de la hiérarchie des variétés

linguistiques ; alors que Bourdieu maintient que l'enfant est évalué dès son entrée à

l'école. les mères, de par leur rôle de socialisation, participent à la construction des

normes de référence de cette évaluation et préparent leurs enfants à les accepter.

Cela n'est peut-être pas surprenant, puisque la famille et l'école sont les deux

institutions de socialisation de première ligne. Le rôle de la femme est également

important dans le travail de reproduction de l'école.

En milieu minoritaire' la création de cellules sociales restreintes est importante à la

production et à la reproduction de la communauté. Ces cellules encouragent la

formation de réseaux sociaux si fondamentaux à la production identitaire du

groupe. La langue est un symbole important de cette identité. Avec la famille,

l'école est un des chefs-lieux de cette production. L'école compte également parmi

les lieux ies plus importants de sélection sociale qui passe, elle aussi, par la langue.

Ce double rôle de I'école a une incidence sur l'identité des élèves qui y sont

instruits.

Comme les femmes à la maison, les femmes à I'école sont au centre du travail de

socialisation et de sélection de I'école. Par leur médiation des expériences scolaires

des éIèves du début du primaire, ces femmes sont des actrices clefs dans la

négociation de leurs identités et dans la construction de leurs possibilités de succès

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scolaires. L'enfant apprend rapidement s'il est un bon ou mauvais élève, s'il parle

mal le français ou si au contraire son contrôle de la langue dépasse Ies attentes. Au

f i l des années de scolarité, le gouffre entre le bon et le mauvais, entre celui qui sait

s'exprimer et celui qui a un vocabulaire appauvri, s'agrandit, mais la fissure se

dessine en maternelle ou en première année : dès la première semaine de classe, les

ensrignames identifient des enfants avec lesquels elles auront de la difficulté. Dans

les classes observées, ces enfants ne partagent pas, avec l'enseignante, la lan, uue et

la culture de l'école. Cela est traité au quauième chapitre de cette thèse.

Alors que je proposerai dans ce qui suit, qu'il est possible, tel que mentionné au

début de ce chapitre. de faire autrement afin d'offrir un accès équitable aux

connaissances scolaires. nul ne peut prétendre que cela est facile. De «faire

autrement» nécessite une prise de position consciente qui va à l'encontre du courant

norrnalisateur du système tel qu'on le connaît actuellement. Puisque c'est la langue

qui est à la fois symbole de l'identité et critère de sélection, le rôle de l'enseignante

en milieu minoritaire est intimement lié à la pédagogie de la langue qu'elle

privilégie. Cette pédagogie devra devenir critique à l'égard de la hiérarchie

linguistique et de la place qu'y occupe le français standard. Or la féminisation du

travail de l'enseignante du primaire rend difficile une telle critique.

À ses débuts, on s'expliquait le phénomène de la féminisation de la profession

enseignante par les qualités naturelles de la femme. «Women, according to

Duncombe, were «fitted by dispositon and habits, and circumstances, for such

duties.~ Women were necessarily the guardian[s] of the nursery, the companion[s]

of chi ldhood, and the constant model[s] of imitation» (Curtis 1988 : 30). ~Women

were seen as to be either preparing for or playing a mothering role in the school

roorn» (Danylewycz et al. 1991:33). L'association mère-enseignante que plusieurs

chercheures et enseignantes continuent à reproduire a donc une longue histoire.

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Selon Casey (1993). la construction métaphorique mère-enseignante est rejetée par

certaines enseignantes qui la considèrent imprégnée de notions de passivité. voire

même de servitude, dans un modèle de suprématie patriarcale. D'autres, se voyant

dans un rôle d'émancipation de leur communauté minoritaire, embrassent la

conception enseignante-mère, car celle-ci exprime bien l'amour et la sollicitude

qu'elles éprouvent envers leurs élèves. Mal_& les visions contradictoires de ses

participantes, Casey conclut que la pratique de toutes les enseignantes qui ont

participé à sa recherche reflète la métaphore mère-enseignante.

The metaphor of teacher-as-mother (and student-as-child) . . . clearly presents a relationship between subjects. Such an understanding allows for the possi bility in Huebner's ( 1975) words, of <<enCounter between two human beings which is the essence of educationn. Even though the life histories which 1 will discuss contain conflicting evaluations of the matemal in education, in these narratives women teachers consistently talk about students in 1-thou terms. (Casey 1993 : 17)

Ne serait-il pas possible pour une femme d'entrer en relation avec un autre être

humain sans revêtir le rôle de la mère?

Selon les écrits de Grumet (1988 : 34-25), le rôle traditionnel de la femme est de

maintenir la vie et les relations de pouvoir d'un système patriarcal, et non de les

changer. Cela est le rôle que les femmes interviewées dans le cadre de cette thèse

jouent. Malgré la similitude entre ce propos et celui des enseignantes qui rejettent la

définition maternelle de leur rôle, Grumet (1988 : 29) affi~rme que c'est en reprenant

le contrôle de ses habiletés reproductrices, processus civilisateur et procréateur, que

la femme qui enseigne pourra contrer le pouvoir patriarcal. Cet argument a une

teneur essentidiste par contre, qui fait appel à une vision romanesque de la

maternité: il existe une féminité qu'il faut remettre dans la salle de classe. Cette

féminité est celle qui est en relation presque symbiotique avec l'enfant, elle est ce

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qui relie maternité et enseignement. De plus. en salle de classe. un processus qui se

veut civilisateur risque de devenir coercitif pour certains enfants.

Alors que Grumet voit une division entre la maison et l'école qu'il faut guérir. cette

thèse démontre que lorsque la mère et l'enseignante revêtent le rôle traditionnel de

reproductrices de la vie et des relations de pouvoir patriarcal, il y a continuité entre

le travail linguistique de la maison et de l'école. Tef est le cas des mères

interviewées dans le cadre de cette recherche et celui des enseignantes-participantes.

Plutôt que de mener à leur déconstruction. cette continuité permet d'ancrer encore

plus farouchement les divisions sociales : ces deux groupes de femmes partagent le

rôle de maintien de l'hégémonie de la langue standard. Les mères traditionnelles ne

désirent pas changer la stmcture hiérarchique de la société. mais bien permettre à

leurs enfants d'en gravir les échelons. Or, pour rendre l'accès au savoir égal à tous.

i l faudra mettre à nu, sinon défaire, le pouvoir que la langue stm-dard a dans les

relations de pouvoir acadiennes. Ce travail demande une politisation qui ne fait pas

partie de Iû définition que donne Grumet du féminin. Si la mère ou l'enseignante

désire travailler au changement social. elle doit donc être en mesure de revêtir un

rôle autre que celui de la mère traditionnelle, de là I'importance de cette recherche

pour le monde de la pédagogie.

Alors qu'il est vrai que cenaines personnes peuvent passer facilement d'une variété

linguistique à une autre et ainsi devenir locuteur légitime dans plusieurs situations.

d'autres ne réussissent pas ce passage. Cela est problématique puisque chaque

marché linguistique est un lieu de disui bution de ressources (appartenance.

scolrinsation, emplois) et que l'accès à ces ressources est lié à l'utilisation d'une

forme linguistique plutôt qu'à une autre. L'école est l'un de ces marchés et. selon

Gril10 (1989). la langue est souvent le critère qui détermine le plus les possibilités

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de succès scolaire. La possibilité de manier, tant à l'oral qu'i l'écrit, la forme

standard d'une langue est, en milieu scolaire, signe d'intelligence.

Le ministère de l'Éducation du Nouveau-Brunswick a publié en 1997 un nouveau

programme de français. Celui-ci suit la tendance actuelle en éducation et fonde ses

principes et sa pédagogie sur les recherches en psychologie cognitive. La

psychologie cognitive veut que l'apprentissage soit une constniction du savoir et

que les connaissances antérieures de chaque élève soient le fondement sur lequel il

ou elle doit, à l'aide de ses enseignantes, bâtir. Or, le nouveau programme de

français ne respecte pas ce principe fondamental lorsqu'il présente un discours de

respect pour les variations linguistiques tout en indiquant que la langue des élèves

doit être exempte d'anglicismes et qu'elle doit, en toute situation de

communication, être «correcte». Ce discours définit la frontière du groupe

ethnolinguistique acadien par une dichotomie français/anglais. Dans l'institution

scolaire, cette dichotomie donne lieu à ce que Cumrnins (1992) appelle une

éducation coercitive : le rôle de 19écoIe est celui de sauver les enfants des ravages de

I'anglais et ainsi les garder dans le pli de la communauté acadienne. Certaines

variétés linguistiques comprennent donc des utilisations fautives du français,

utilisations qui doivent être comgées.

La langue des élèves qui parlent le chiac ou une autre variété de franglais, n'est pas

incluse parmi les variations acceptables à l'école et ne constitue pas une fondation

légitime à la construction de nouvelles connaissances. k s élèves ainsi marginalisés

continueront à dire qu'ils ou elles ne parlent pas bien leur langue maternelle et à

rencontrer des difficultés qu'on liera 5 leur manque de capacités, plutôt qu'à celle

de l'école de reconnaître leun connaissances antérieures et de répondre à leurs

besoins d'apprentissage. Qu'en sen-t-il du désir de ces élèves de continuer à

participer à la vie de la communauté acadienne ?

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Cette thèse cherche à comprendre le rôle de l'enseignante du primaire dans la

définitior, des normes linguistiques de I'école et de trouver des moyens d'offrir à

tous les élèves une éducation collaboratrice (Curnrnins 1989). Afin de les habiliter à

forger un avenir plus juste et équitable, cette éducation devra affirmer la valeur de

leurs identités, de leurs langues et de leurs connaissances. C'est vers

l'accomplissement de ces objectifs que mèneront les prochains chapitres de cette

thèse.

Le prochain chapitre trace l'histoire de l'éducation de langue française au Nouveau-

Brunswick. Cette histoire démontre qu'au départ, le développement de l'école

acadienne a été un projet de l'élite masculine de l'Acadie. Alors que la majorité des

auteurs qui traitent de la question y voient un projet d'émancipation de l'ensemble

du peuple acadien, on vem que les étapes de ce développement ont à la fois suivi et

facilité celles du développement du marché économique et politique de cette élite.

D'abord, i l y a la création de marchés et d'institutions scolaires acadiens parallèles à

ceux des anglophones majoritaires. Suivent la création de liens entre les classes

dirigeantes anglophone (l'État) et francophone (l'Église catholique) du Nouveau-

Brunswick. Cela a permis la reconnaissance de l'école de langue française et la

création de travailleurs et de consommateurs francophones pour le marché que

s'était créé i'élite acadienne. Finalement, la classe dirigeante acadienne, cette fois

laïque. intègre l'appareil politique provincial et, par la création d'un ministère de

l'Éducation suivant le modèle des institutions parallèles de la première étape

mentionnée ci-haut, institutionnalise davantage la dichotomie français/anglais.

Cette dichotomie garantit la production et la reproduction de son marché

symbolique et de son pouvoir.

En effet, l'Acadie est, au sens d'Anderson (1983). une communauté imaginée. Or,

elle est une invention en réponse à la marginalisation que vit la population

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acadienne. Cela n'exclut pas le fait que la constitution de l'Acadie en communauté

nationalitaire (Thériault 1995) ait également eu la conséquence de marginaliser

certaines sections de la population qu'elle prétend inclure. Le prochain chapitre fait

donc ressottir le rôle de l'école de langue française dans la création de cette

communauté nationditaire. Une attention particulière est également portée au

travail des femmes, généralement rendu invisible dans les écrits qui racontent cette

histoire, dans le développement de l'école acadienne.

Le troisième chapitre de cette thèse présente l'analyse des données recueillies lors

d'entrevues avec dix femmes et six hommes de Memramcook, la communauté que

dessert l'école Du Bouleau. On verra que les mères travaillent toutes à

I'amétiontion ou à la standardisation de leur langue et de celle de leurs enfants. il

existe, par contre, une différence qu'on peut lier à Ia scolarité de la mère : les plus

scolarisées cherchent à e ~ c h i r le lexique d'un français déjà standardisé, alors que

les moins scolarisées cherchent à évacuer les anglicismes de leur langue et à

enseigner le «bon mot» français aux enfants. Cette distinction produit et reproduit la

distance linguistique qui sépare ces deux groupes de femmes et t'inégalité d'accès

qu'ont leurs enfants au savoir scolaire. Les hommes jouent également un rôle dans

cette reproduction.

On vern que chez les hommes, c'est leur participation sur le marché du travail qui

détermine leurs croyances quant au français à enseigner aux enfants. La nécessité du

français standard est davantage remise en question par les hommes qui utilisent le

chiac et/ou l'anglais au travail. Ces hommes sont également panni les moins

scolarisés de l'échantillon. Les hommes qui ont besoin du français standard au

travail valorisent l'apprentissage de cette forme linguistique. Plus la position de

l'homme sur le marché du travail dépend de sa maîtrise du français standard, plus i l

insiste sur l'utilisation de cette langue chez ses enfants. Puisque le français standard

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est la langue de communication à I'école, ces derniers risquent d'être les mieux

préparés à recevoir le savoir scolaire.

Le chapitre trois démontrera également l'importance que tous les parents accordent

au bilinguisme. Tous reconnaissent la valeur de cette ressource linguistique et pour

la majorité, l'apprentissage du français standard n'est important que dans fa mesure

où i l donne accès au bilinguisme qui a une valeur d'échange sur le marché

symbolique dominant. Ce bilinguisme est du type que HelIer (1999) caractérise

comme deux monolinguismes, c'est-à-dire la capacité de parler le français comme

un unilingue, sans emprunts ou calques de l'anglais, et de parler l'anglais sans

interférences du français.

Le quatrième chapitre de cette thèse présente l'analyse des données d'observatio~

recueillies à I'école Du Bouleau et d'entrevues avec une des enseignantes-

participantes et des cadres scolaires du district dans lequel est située cette école. On

verra que l'enseignement au primaire est féminisant tant dans sa définition que dans

ses conditions : ce travail est travail de femmes parce qu'effectué dans des

conditions qui font a.ppel à des habiletés dites féminines. Ce sont en majorité des

femmes qui font ce travail parce qu'on continue à croire qu'il leur est naturellement

donné de le faire.

Dans ce contexte, les enseignantes font un travail de production d'êtres ethniques et

de reproduction de l'élément identitaire acadien qu'est l'insécurité linguistique. Les

enseignantes participent ainsi à la sélection des bons et des mauvais élèves et à la

sélection sociale ou à la reproduction d'inégalités internes à la population

acadienne. Malheureusement, la définition et les conditions féminisantes de leur

travail rendent difficile une pédagogie plus équitable à l'endroit de tous et toutes.

Ces conditions rendent effectivement difficile la réflexivité nécessaire à un tel

changement pédagogique.

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L'ÉDUCATION DE LANGUE FRANÇAISE A U NOUVEAU-BRUNSWICK

Ce chapitre traite des situations historique et actueIIe de l'éducation de langue

française au Nouveau-Brunswick. il est divisé en cinq grandes sections. La

première démontre comment, suite à la déportation de 1755, la population

acadienne a été abandonnée à elle-même. Ceci a permis une certaine consolidation

de la population, mais encore aujourd'hui on ressent le besoin de rattraper le temps

perdu. Les trois prochaines sections de ce chapitre suivent les étapes, définies par

McKee. dans «la production d'un espace institutionnel distinct» (McKee 1995:

133). Ces étapes sont «la tolérance et l'action parallèle>, : la création d'alliances entre

l'Église et l'État ; et finalement, de 1960 à 1970, la prise en charge par l'État. Le

chapitre se termine par un regard sur la situation actuelle de la population acadienne

et de son système scolaire. On voit que la création de l'école acadienne est

intimement liée aux besoins de développement du marché symbolique de la classe

dirigeante de l'Acadie.

Tout au long de ce chapitre les fondements historiques de la dichotomie

frrinçais/anglais que tente de produire et reproduire l'école sont mis en évidence.

Cette dichotomie est essentielle au maintien du marché s~mbolique et du pouvoir

de l'élite acadienne. Parallèlement, Ie bilinguisme a été, depuis toujours, une

ressource fondamentale à la participation acadienne sur des marchés symboliques

dominés par d'autres. Comme le village de Memramcook, situé au sud-est du

Nouveau-Brunswick, a été mon ternin de recherche, une attention particulière est

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portée à la participation de ce village dans le développement de l'éducation en

Acadie. 11 ne faudra pas se surprendre que certains disent que l'Acadie est sortie de

Memrarncook ou que Memnmcook est le Berceau de l'Acadie, puisque c'est ici

qu'a été construit le premier collège pour garçons, qu'on a tenu la première

Convention nationale des Acadiens, qu'est née l'Association acadienne pour

l~ucat ion. et que le cours classique a été offert pour la première fois aux filles

acadiennes.

En réalité, ces événements historiques ont eu lieu dans la paroisse religieuse de

Saint-Joseph. Ce n'est qu'en 1995, date de I'amalgamation des diverses

communautés de la Vallée de Memramcook, dont «la municipalité de Saint-Joseph

et [sept] districts de services locauxr (McCaie 1995). que l'actuel village de

Memrarncook a vu le jour. À l'intérieur de ses limites. Mernramcook compte trois

paroisses religieuses. toutes catholiques et françaises.

LA DISPhRITiON DU FAIT ACADIEN

En 1755, la population acadienne de l'actuelle ~ouvelle-Écosse continentale a été

déportée par l'Angleterre, d'abord vers les colonies britanniques en Amérique du

Nord et ensuite vers la France. IlAngleterre et les Antilles. «En 1763 quand la paix a

été signée [avec le Traité de Paris], de la population florissante de 16 000 en 1755,

i l ne restait pas plus d'un millier d'âmes en Acadie même» (GrÏffiths 1987: 11).

L'Acadie prissait alors aux mains des Anglais. Plusieurs explications sont données

pour cette déportation qui a tellement marqué i'identité acadienne.

Selon Bastanche et Boudreau-Ouellet (1993) la déportation de 1755 a eu lieu suite

au refus de la population acadienne de prêter allégeance à la couronne britannique

et de dénoncer la transsubstantiation. L'Acadie affîmait don la position d'une

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communauté qui se définit en ses propres termes. Sauvageau (1987) propose, pour

sa part, que ce refus n'était qu'un prétexte, les nouveaux arrivants anglais

cherchaient plutôt à exploiter les terres fertiles et déjà défrichées par les Acadiens.

L'analyse qu'ont faite Bastanche et Boudreau-Ouellet (1993) de l'action de I'autori té

anglaise sur le plan juridique vient soutenir cet argument. En fait, cette analyse

démontre que, suite à la signature des Traités d'Utrecht en 17 13 et de Paris en 1763,

les Anglais ont agi selon une vision colonisatrice d'un pays inhabité, vision qui rend

légitime une emprise totaie sur le temtoire.

Bastarache et Boucireau-Ouellet (1993) expliquent que la constitution anglaise de

l'époque stipulait qu'un temtoire conquis devait recevoir le droit public de

l'Angleterre, mais garder son propre régime de droit privé, en I'occumence le droit

civil français. En situation de colonisation, le territoire reçoit et le droit public et le

droit privé de l'Angleterre avec droit d'appel en circonstances spéciales. Dans le cas

de l'Acadie, ces circonstances spéciales auraient été la présence d'une population à

très forte majorité catholique. Sous ces conditions, Ia loi anglaise voulant que les

Catholiques n'occupent aucun poste de responsabilité civile aurait pu être contestée.

Cette contestation n'a pas été permise et le Common Law anglais est devenu le droit

privé des terres acquises sous le Traité d'Utrecht. Ceci peut se comprendre si on

considère que la déportation a théoriquement nettoyé l'Acadie de sa population

acadienne. laissant à l'Angleterre une terre «vierge». D'autres auteurs maintiennent

que Ia déportation avait comme but ultime la décimation complète du peuple

acadien, sans toutefois préciser la motivation demère cette décimation (cf. Roy

1981, cité dans McKee 1995:69). iI est également probable que les Anglais ne

considéraient pas le peuple acadien comme un peuple à part entière, mais plutôt

comme des coloniaux français.

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Suivant l'analyse qu'a fait Hobsbawm (1990) de ia situation d'autres colonies

européennes, i l est probable que la population acadienne, née en terre d'Acadie et

d'origines mixtes (Griffiths LW2), n'avait pas le plein statut de sujets français.

L'Acadie appartenait à la France, mais n'était pas la France et n'avait pas ses propres

lois. ~ g t a t anglais n'avait donc pas à respecter la loi d'un pays qui n'en était pas un.

Est-ce qu'on avait à respecter les lois et les traditions autochtones? L'Acadie était

une colonie et a été traitée ainsi. ~Acadia was perceived [by both London and Paris]

as a colony and the Acadians as coloniais» (Griff~ths 1992 : 70-71).

De plus, on s'attendait à ce que les Acadiens choisissent de partir pour une des

colonies françaises avoisinantes et des provisions à cet effet ont été inctuses dans le

Traité d'Utrecht : on leur a accordé la liberté «to remove themselves within a year to

any other place, as they shall think fit, together with al1 their moveable effects» (cité

dans Griffiths 1992 : 35). S'ils décidaient de rester, ils deviendraient des sujets

britanniques. Or, depuis 1710, chaque communauté acadienne était libre de choisir

son représentant auprès des autorités coloniales et la population acadienne agissait

comme entité politique indépendante, maîtresse de son destin et légitime habitante

des terres acadiennes. ii existait alors une population acadienne, distincte autant des

Français que des Anglais : «Their colonial status was less a central and deciding

factor of their political king than it was just another aspect of life, something with

which one coped, not something by which one was controlled» (1992 : 71). La

position frontalière que réclament les bilingues d'aujourd'hui, ce positionnement

qui n'est ni français, ni anglais, a donc sa propre historicité. Celle-ci est d'autant

plus légitime si on considère que cette vision acadienne a contribué à la mise en

application de l'acte de déportation de 1755, même si elle n'en a pas été le seul

Facteur.

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Avec le retour de Louisbourg aux Français en 1738, l'Angleterre décida de &Termir

sa position en Amérique du Nord. Un élément important de ce plan a été le

développement de Halifax et de la ~ouvelle-Écosse. À partir de cette période, les

tensions entre Anglais et Français, sur les terres mêmes de l'Amérique du Nord, se

sont intensifiées. Située à la frontière entre les colonies britanniques et françaises et

reconnue par les autorités coloniales comme société distincte, la présence acadienne

devenait de plus en plus problématique pour les Anglais : i l fallait savoir de quel

côté ils trancheraient et leur nombre était devenu trop grand pour simplement les

déplacer dans le camp des Français, tel que proposé lors de la signature du Traité

d'Utrecht (Griffiths 1992 : 85-88). La déportation ne visait donc pas la décimation

des Acadiens et Acadiennes, mais bien «the endication of the idea of an Acadian

communitp, d'une identité communautaire distincte, du fait acadien (p. 63). En

dispersant la population acadienne dans les différentes colonies britanniques, les

individus acadiens seraient assimilés, ou normalisés, à la culture britannique et

deviendraient de fidèles sujets anglais.

À cette époque, les colonies britanniques de l'Amérique du Nord, premières

destinations des exilés, vivaient en attente des hostilités de la guerre entre la France

et l'Angleterre. Elles étaient donc peu disposées à traiter les Acadiens et Acadiennes

comme les leurs. Au mieux, ils étaient traités selon les provisions déjà en place

pour les pauvres et les malades, tout en étant dispersés davantage et restreints dans

Ieurs mouvements. -4il pire, ils étaient contraints à la servitude. Dans tous les cas, la

condition des Acadiens et Acadiennes est décrite comme étant de la plus grande

pauvreté et de mauvaise santé. De plus, partout, tant en Amérique du Nord qu'en

Europe, deuxième ou troisième destination de certains exilés, la population

exprimait le même désir : retrouver les siens et retourner dans leur pays d'origine,

c'est-à-dire en Acadie.

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Griffiths (1992) explique que les colonies nord-américaines avaient beaucoup de

difficulté à contenir la population acadienne, chacun ayant tendance à errer à la

recherche de sa famille étendue. De plus, lorsque les autorités anglaises ont

demandé aux Acadiens et Acadiennes, envoyés en Grande-Bretagne par les colonies

désireuses de s'en départir, quel serait leur désir suite à la signature de la paix avec

la France, la réponse acadienne a été :«We hope We shall be Sent into Our

Countries (...) and that our Effects etc., which we have k e n dispossessed of

(notwi thstanding the fai thfu1 neutrality which We have alwriys observed) will be

restored to Us» (Report for 1905.2: 150 cité dans Grifiths 1992 : 12 1).

Ce désir, qui a survécu huit ans entre le début de la déportation et la signature du

Traité de Paris, s'explique surtout par le fait que la population acadienne avait

développé une culture partagée liée à un territoire donné. Cette culture la divisait

tant des Français que des Anglais, elle était frontalière.

The Acadians considered that they had developed a political culture which fitted the needs of the society that they had built between two empires. In the Acadian view, a view that is repeated over and over again in the petitions they presented in exile, they had done nothing, nothing at all, to deserve deportation. It is the sense of k ing a society, of possessing both a group identity and the right to live in a particular place, that allowed the Acadians to surmount the exile and later rebuild their community in the Maritimes, as welI as establish another in Louisiana (Griffiths 1992 : 124-125).

En plus de cette identité liée à un endroit particdier, i l ne faut pas oublier que les

terres d'Acadie étaient fertites et que la population acadienne y vivait beaucoup

mieux que dans les pays vers lesquels elle était déportée. C'est sur ces terres, où ils

avaient été forcés d'abandonner tous leurs biens, que les Acadiens demandaient 5

retourner.

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En 1764, une année après la signature du Traité de Paris, la population acadenne

s'est vue accorder la permission de retourner en tem acadienne. Plusieurs Acadiens

et Acadiennes y sont revenus, mais les Anglais avaient acquis tous les biens

matériels (terres, bétail, outils ...) des anciens villages acaâiens. Les revenants ont

eu à s'établir en petits groupes isolés des anglophones et loin de leurs anciennes

terres. Plusieurs se sont établis à Memramcook, lieu de la première paroisse

acadienne pst-déportation. De plus, les Anglais avaient maintenant «le monopole

du pouvoir de faire voir et de faire croire, de faire connaître et de faire reconnaître,

d'imposer la définition légitime des divisions du monde social et, par là, de faire et

de défaire [es groupes» (Bourdieu 1982 : 137. Italiques dans l'original). L'Acadie

n'avait plus de frontières ni de peuple légitime. Tout comme lors de l'application du

Traité d'Utrecht, le texte du Traité de Paris a fait de l'Acadie un pays inhabité.

Commençait alors la lutte acadienne, en opposition au pouvoir anglais, pour le

pouvoir de se définir et se constituer en peuple. L'école, par le biais de son travail

Iinguistique, a été et est toujours un outil important dans la production et

reproduction de la définition légitime de ce peuple acadien.

Le fait de ne pas marquer l'existence d'une population acadienndfrancophone dans

le Traité de Paris et lors de la création de la Province of New Brunswick rendait

illégitime toute revendication officielle de la part de la population acadienne : le

système de délégués qui avait constitué la représentation acadienne avant la

déportation n'a pas été restitué et les Acadiens ont perdu leur droit de parole dans le

domaine public de la province. Les Loyalistes étaient donc libres d'établir une

structure administrative à leur image puisque, à toute fin pratique, la population

acadienne n'existait tout simplement pas. Cette structure loyaliste prendrait la

question scolaire en main à partir du 19= siècle.

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S'il y a un côté positif à la 'disparition' de la population acadienne après 1755. c'est

qu'on ne pouvait pas, puisqu'elle n'existait pas, lui interdire I'enseignement du

français. De le faire aurait identifié un groupe qui n'avait pas été reconnu, de façon

officielle, auparavant. Au début du i9= siècle, les communautés acadiennes du

Nouveau-Brunswick étaient donc libres de structurer leur vie à leur façon, tant et

aussi longtemps que la structure anglophone n'était pas dérangée. L'enseignement

en français, qui avait lieu dans les maisons de particuliers, faisait partie de la vie

communautai~ de l'Acadie de cette époque. Cet enseignement se faisait en silence

et sans déranger.

À partir de 1847. la province a alloué des sommes d'argent, tant aux communautés

acadiennes qu'aux communautés anglaises, pour la construction d'écoles primaires.

II ne serait jamais question par contre, de légaliser, et par ce fait même reconnaître,

l'enseignement du français. Godin (1987 : 12) laisse entendre que le gouvernement

anglophone des années 1830, par sa tolérance de l'enseignement du français, a fait

des concessions à la population acadienne afin de garantir son soutien, ou tout au

moins sa neutralité devant une invasion possible d u sud. Il est à se demander, par

contre, pourquoi la neutralité acadienne serait espérée, alors que moins d'un siècle

auparavant la déportation avait été la réponse anglaise à cette même neutralité.

Je propose que la poIitique anglaise du Nouveau-Brunswick s'insérait plutôt dans la

vision d u Rapport de Lord Durham : En y voyant les avantages, les francophones

s'assimileraient naturellement ou ils formeraient la main-d'œuvre des anglophones.

Cette vision des choses ne présentait aucun risque à l'appareil administratif

anglophone. surtout lorsqu'on considère que le nombre d'Acadiens et d'Acadiennes

n'était ni suffisamment grand ni suffisamment concentré pour causer de graves

ennuis; i l fallait simplement laisser libre cours à la nature et au temps. Entre-temps.

la population acadienne demeurerait en marge de la société et du pouvoir.

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En 1846, un premier député acadien, Armand Landry, est élu et, selon Thériault

(1993). plusieurs Acadiens commencent à s'intéresser à la politique locale. y

occupant divers postes et participant aux débats. De cette élite acadienne, Thériaul t

demande :

Est-ce bien toutefois la spécificité du <<fait acadien» dont sont conscientes les élites acadiennes de l'époque, ou bien tentent-eltes simplement de mieux s'intégrer aux rouages administratifs sans nécessairement chercher à faire valoir une quelconque aociété distincte». Si l'on en juge par l'état actuel de la recherche, la deuxième hypothèse semble plus près de la réalité, encore que la question reste à creuser davantage (TheriauIt 1993 : 58)

Si tel est le cas. l'assimilation acadienne devait sembler chose faite aux yeux des

Anglais. Toutefois, des curés québécois s'installaient en Acadie durant cette époque

et leur travail dans le domaine scolaire favorisait la formation d'une élite acadienne

mationalisten. Par contre, cette élite instruite n'était pas la seule présente en Acadie.

Andrew (1996) identifie, pour les années 1861 et 1888, cinq catégories d'élites : des

fermiers, des commerçants, des personnes instruites (prêtres, professionnels et

enseignants), des politiciens et des pêcheurs. Selon Andrew, ce ne sont que les

élites instruite et politique qui devaient leur statut à leur éducation. Pour ce qui est

des autres, c'est leur niveau de succès qui était garant de leur statut4. Ici. i l est

question des élites pour qui l'éducation était importante. La composition de cette

élite a sûrement varié d'une étape à l'autre de l'histoire acadienne. Lors de

I'industrialisation du Nouvau-Brunswick. l'éducation a probablement gagné en

intérêt pour les commerçants tant anglophones qu'acadiens par exemple. Cette élite,

également désireuse de «participer aux rouages administratifs» et économiques de

la province, institutionnalisera, par la création d'institutions parallèles à celles de la

Il cxistait dcs trnsions rntn: c ~ s &trs quc ccttc c h i - nc fcm pas rasortir. Mon cmploi du sin&cr disigma I'cnscmblc dc cc poupc.

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majorité anglophone, la séparation entre Français et Anglais et leur langue

respective. il va sans dire par contre, que l'élite elle-même sera bilingue ; l'anglais

demeure encore aujourd'hui la langue des rouages administratifs et économiques de

la province.

Dans l'absence d'une préoccupation gouvernementale, c'est l'église catholique du

Québec qui sen la première institution à s'occuper de la population acadienne. Les

premiers curés à venir en Acadie seront ambulants, mais entre 1800 et 1850 des

églises, presbytères et dépendances seront érigés et de plus en plus de prêtres

s'établiront de façon permanente dans diverses paroisses. C'est bien avant cette date

que Memramcook a eu sa première chapelle:

En 1754, pour accommoder les 200 familles déjà établies, on construisit sur la rive sud de la Memrarncook [rivière qui traverse la vallée] une Chapelle sise sur une propriété située entre le virage actuel de College Bridge [alors nommé Pointe à l'Ours] et le pont Rockland. Cinq ans après la «déportation», vers 1760, un Anglais acheta - ou s'en empara - cette propriété et démolit la chapelle dont i l employa les matériaux à la construction de ses bâtiments de ferme (200 ans de vie paroissiale à Memramcook : 3).

Une fois établis en Acadie, les prêtres ont œuvré dans le domaine scolaire. Là aussi,

c'est à Memramcook que les premiers pas ont été franchis. Le Père LaFrance y a

ouvert, pour la première fois en 1854, son collège pour garçons. Le Collège Saint-

Joseph à Mernrarncook desservait les irlandais et les Acadiens, mais, faute de

financement, i l a fermé ses portes après seulement une année d'opération et

n'ouvrira ses portes à nouveau qu'en 1864. Cet intérêt pour l'éducation avait son

pendant au sein de l'appareil gouvernemental néo-brunswickois.

Une première loi scoiaire, adoptée en 1847, a établi un conseil de éducation provincial (ancêtre de l'actuel ministère de l'Éducation) et ce conseil a fondé le

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premier «Normal School~ du Nouveau-Brunswick et institué un système d'examens

pour obtenir le brevet d'enseignement. L'anglais était, par contre, la Imgue de

l'examen du conseil de 1TkIucation et la seule langue d'usage au «Normal School~

Les Acadiens, devant se conformer aux exigences d'une norme Anglaise aftn de

réussir, se trouvaient donc désavantagés par cette réforme. LRs Acadiennes, de leur

côté. étaient doublement minorisées: Les hommes qui comprenaient suffisamment

l'anglais pouvaient profiter de la «Normal School~, mais les femmes, anglophones

et francophones, n'y étaient tout simplement pas admises.

Deux facteurs ont été évoqués par le conseil de l'Éducation pour justifier ce refus

d'admettre les femmes au «Normal Schoob construit à Fredericton en 1848 : il y

avait un nombre limité de places et il était inconcevable que des femmes soient

dans les mêmes classes que des hommes. Sans éliminer toutes les inégalités, cette

situation s'est rapidement améiiorée et, en 1849, une femme a été admise à la

nouvelle <<Normal School~ de Saint-Jean. Martha Lewis était néanmoins contrainte

à porter le voile en classe, à arriver dix minutes avant les autres étudiants, à partir

cinq minutes avant la fin du cours et à quitter les lieux sans parler à ses confrères.

Elle devait également s'asseoir à l'arrière de la classe.

<<Le conseil de l'Éducation en 1850 décréta que le Directeur du [Normal] School de

Saint-Jean pouvait dorénavant admettre autant de femmes que les conditions

physiques de l'école le permettaient. Et deux ans plus tard, on comptait 49 femmes

sur un total de 92 admissions». (Godin 1984 : 52) En 19 14, i l y avait 304 femmes

contre 52 hommes et ce, maigré des salaires désavantageux : jusqu'en 1965, date de

la centralisation de l'assiette fiscale à Fredericton, les femmes recevaient quelques

centaines de dollars de moins que leurs coliègues masculins en salaire annuel. De

plus. les régions francophones, étant plus pauvres, offraient des salaires très en

dessous de la moyenne provinciale. Les Acadiennes étaient donc pénalisées de par

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leur ethnicité et leur sexe. Il est donc à se demander ce qui motivait, chez les

femmes, le choix d'une carrière en enseignement.

Thériault (1993 : 71) propose que «les plus bas salaires sont peut-être l'une des

raisons principales pour lesquelles, au tournant du siècle, le corps enseignant est

devenu à très forte majorité féminine au Nouveau-Brunswick». Tout comme en

Ontario (cf. Curtis 1988)- le salaire d'un enseignant du Nouveau-Brunswick n'était

pas suffisant pour faire vivre une famitle. Les hommes ont donc fait d'autres choix

de carrière ou, s'ils sont demeurés en enseignement, sont rapidement passés aux

postes administratifs. k s femmes ont donc été libres de prendre la relève. Or, ces

femmes se faisaient payer encore moins que les hommes et en région acadienne, les

salaires étaient encore moins élevés. Pourquoi les femmes ont-elles accepté de

travailler pour ces salaires dérisoires?

Deux explications s'offrent à nous : le nombre restreint d'emplois ouverts aux

jeunes femmes instruites et, chez les Catholiques, la présence de communautés

religieuses enseignantes. Cette présence de communautés enseignantes a non

seulement permis de concevoir l'idée de I'institutrice, mais également de la vocation

qui ne demande pas ou peu de rémunération. Sœur Marie Dorothée (1984 : 113)

écrit des sœurs de Notre-Dame du Sacré-Cœur qui ont ouvert une école à

Georgetown (près de Moncton), par exemple, que «la bonne volonté et le courage

devaient tenir lieu d'argent et de confort». Guilford (1994) précise que c'est

justement parce qu'elles était des femmes et qu'elles faisaient un travail de femme

que leur salaire était si minime : dans le domaine domestique, la formation des

enfants était l'apport soit disant <matureI» des femmes.

Selon Guildford (1994), l'intersection du rôle de Isi femme, reproductrice et

responsable de la formation morale des enfants, avec celui de l'école primaire.

reproductrice de l'idéologie dominante par la formation des enfants, explique le

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mieux l'ouverture envers la féminisation de l'enseignement au primaire. Certaines

femmes des provinces maritimes ont elles-mêmes utilisé cet argument (p. 138).

Cette auteure note égaiement que I'enseignement était une des seules possibilités de

travail rémunéré ouvertes aux femmes : malgré le fait qu'elles travaillaient pour des

salaires moindres. on n'a jamais cm bon de permettre la féminisation de la force

policière, domaine également en expansion. Ce domaine était réservé aux hommes

(p. 123). Un regard sur le cas spécifique de Moncton, ville ferroviaire du sud-est du

Nouveau-Brunswick, semble confirmer cette explication.

Au début de l'industrialisation de Moncton. les femmes occupaient, comme ailleurs,

des emplois qui reflétaient leurs rôles traditionnels : «les femmes se retrouvent

majoritairement dans les services domestiques et personnels (53 %), et dans les

manufactures et les industries mécaniques (36 %). La totalité des travailleuses de ce

dernier secteur est dans l'industrie du vêtement. Ce sont des emplois» que les

femmes assurent déjà à I'intéxïeur du cadre domestique. Depuis longtemps, ils sont

identifiés comme des «ghettosr de main-d'œuvre féminine. Le secteur professionnel

se compose essentiellement d'un personnel enseignant, i l attire 11 % des

travailleuses» (Lafieur 1990 : 66 - 67).

L'enseignement des plus jeunes était également un domaine féminin. On pourrait

donc croire que le transfert de la main-d'œuvre féminine au secteur public de l'école

serait perçu comme normal, une vision des choses sur laquelle se sont appuyées les

participantes à ma recherche pour expliquer la grande présence des femmes à l'école

primaire. Tel étant le cas, on pourra s'attendre à ce que les enseignantes acadiennes

jouent également leur rôle de gardiennes de la langue en classe. L'analyse de

Guildford laisse pmAtre, cependant, une certaine variation, selon la religion, dans

l'attitude envers la féminisation de la profession enseignante : les catholiques ont été

plus favorables à ce changement puisque la présence des congrégations religieuses

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de femmes institutrices l'avait déjà entamé. En revanche, certaines branches de

l'église protestante ont pris beaucoup plus de temps iî accepter cette féminisation

(Guildford 1994 : 125-127). Selon McKee (1995) ce sont, en fait, les religieuses qui

ont occupé un grand nombre de postes dans les écoles publiques lors de la période

des alliances entre 1'Ég1ise et l'État au Nouveau-Brunswick. À Memrarncook,

«I1école du village de Saint-Joseph fut longtemps dirigée par les Saurs de ta Charité

et les Religieuses de Notre-Dame-du-Sacré-Cœunb (200 ans de vie paroissiale à

tMemrmcook : 29).

La politique de financement des écoles, qui a ouvert la salle de classe aux femmes

et pénalisé les enseignantes en raison de leur sexe et Ieur acadianité, a également

pénalisé plusieurs enfants acadiens. Les écoles de cette époque, tant primaires que

supérieures, n'étaient pas également accessibles à tous : les parents devaient

débourser une somme d'argent pour chaque enfant envoyé à l'école et ce ne sont pas

toutes les familles, surtout en Acadie, qui en avaient les moyens. «Riches en

progéniture mais pauvres en argent, les Acadiens subissaient nécessairement les

effets d'une telle procédure. Beaucoup d'enfants ne pouvaient aller à l'école, car les

parents n'avaient pas le moyen de payer» (Savoie 1978 : 27). Cette distinction entre

ceux qui pouvaient payer et ceux qui ne le pouvaient pas continuera à exister

jusqu'à la prise en charge complète de l'éducation par lf tat entre 196û et 1970. Les

congrégations religieuses de femmes ont, par contre, toujours ouvert leurs portes à

un certain nombre d'étudiants ou d'étudiantes de familles pauvres.

Les Anglais de dénomination protestante diront que cette loi est neutre, mais les

catholiques la quaiifieront d'anti-cathotique. Les contestations acadiennes et

irlandaises devant cette loi scolaire de 1870 provoquera la multiplication des

congrégations religieuses en Acadie. La fin de ces démêlés marquera le début d'une

plus grande tolérance, chez la classe dirigeante anglophone, de l'enseignement du

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français. On y vem égaiement se dessiner une plus grande conscience identitaire

acadienne marquée par la création de nouvelles cellules sociales distinctes, soit des

institutions scolaires acadiennes. Puisque c'est par l'enseignement de la langue que

les écoles acadiennes allaient participer à la définition de l'identité acadienne, ces

nouvelles cellules se devaient d'être unilingues françaises.

La construction du collège Saint-Joseph est un signe avant-coureur de la première

des trois étapes décrites par McKee ( L995); celle-ci étant marquée par Iü tolérance

de I'enseignement du français et par ia création d'un réseau p d l è l e d'institutions

francophones privées, de collèges et de couvents «gérés par des communautés

religieuses de femmes, majoritairement, sauf pour l'enseignement supérieun,. qui

était géré par des communautés masculines (p. 134). Selon Doucet (1980), la

réouverture du collège Saint-Joseph à Memramcook en 1864 et la controverse à

venir entourant la place de la minorité catholique du Nouveau-Brunswick dans la

Confédération canadienne agirent comme catalyseurs dans la renaissance d'une

conscience collective acadienne. Le collège dota l'Acadie de sa première génération

d'élites éduquées en français, tous des hommes, capables de défendre et représenter

les Acadiens. Parallèlement, l'unanimité des Acadiens vis-&vis la Confédération a

éveillé un esprit collectif. L'éducation a été un des points les pIus contentieux lors

de la création de la Confédération canadienne. Ce débat était à la base des démêlés

entourant la prochaine loi scolaire du Nouveau-Brunswick.

L'éducation sous la constitution canadienne

L'article 93 de la Confédération attribuait aux provinces la juridiction en matière d'éducation, garantissait les droits et privilèges reconnus par les lois existantes concernant les écoles confessionnel les et prévoyait un droit d'appel pour les minori tés catholiques et protestantes (Godin 1987 : 20).

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irlandaises devant cette loi scolaire de 1870 provoquera la multiplication des

congrégations religieuses en Acadie. La fin de ces démêlés marquera le début d'une

plus *wde tolérance, chez la classe dirigeante anglophone, de I'enseignement du

français. On y vern également se dessiner une plus *ocande conscience identitaire

acadienne marquée par la création de nouvelles cellules sociales distinctes, soit des

institutions scolaires acadiennes. Puisque c'est par I'enseignement de la langue que

les écoles acadiennes allaient participer 5 la définition de l'identité acadienne, ces

nouvelles cellules se devaient d'être uni lingues françaises.

LA construction du collège Saint-Joseph est un signe avant-coureur de la première

des trois étapes décrites par McKee (1995); celle-ci étant marquée par la tolérance

de I'enseignement du français et par la création d'un réseau parallèle d'institutions

francophones privées, de collèges et de couvents «gérés par des communautés

religieuses de femmes. majoritairement, sauf pour l'enseignement supérieur>,, qui

était géré par des communautés masculines (p. 134). Selon Doucet (1980), la

réouverture du collège Saint-Joseph à Memramctiok en 1864 et la controverse à

venir entourant la place de la minorité catholique du Nouveau-Brunswick dans la

Confédération canadienne agirent comme catalyseurs dans la renaissance d'une

conscience collective acadienne. Le collège dota l'Acadie de sa première génération

d'élites éduquées en français, tous des hommes, capables de défendre et représenter

les Acadiens. Pdlèlement, l'unanimité des Acadiens vis-à-vis la Confédération a

éveillé un esprit collectif. L'éducation a été un des points les plus contentieux lors

de Irt création de la Confédération canadienne. Ce débat était à la base des démêlés

entourant la prochaine loi scolaire du Nouveau-Brunswick.

L'éducation sous la constitution canadienne

L'article 93 de la Confédération attribuait aux provinces la juridiction en matière d'éducation, garantissait les droits et

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privilèges reconnus par les lois existantes concernant les écoles confessionnelles et prévoyait un droit d'appel pour les minorités catholiques et protestantes (Godin 1987 : 20).

Les évêques du Québec se garantissaient alors un contrôle de leurs écoles et

I'Ontario s'assurait de l'autonomie des siennes. Lors de pourparlers au Québec en

1864. l'Évêque Connolly, deuxième évêque du Nouveau-Brunswick, demanda que

l'on accorde la même protection aux écoles confessionnelles des Maritimes. On la

lui refusa puisque l'éducation catholique au Nouveau-Brunswick n'avait alors aucun

statut légal. Les Acadiens et les irlandais auraient donc à compter sur les bonnes

grâces de la majorité anglo-protestante de leur province pour maintenir leurs droits

religieux. En plus, les Acadiens auraient également à lutter pour le droit à un

enseignement en français : la hiérarchie ecclésiastique irlandaise s'y opposait.

prétextant qu'un tel enseignement ne ferait que diviser les Catholiques français et

irlandais (Savoie 1978). ii n'est donc pas surprenant que ce droit linguistique n'ait

jamais fait partie des revendications de l'Évêque Connolly.

C'est lors de deux élections provinciales que la population du Nouveau-Brunswick

a été invitée à se prononcer sur la question confédérale. En 1865, le vote catholique

est allé contre l'entente, mais en 1866, les catholiques de langue anglaise y ont

donné leur approbation et, malgré l'opposition continue des Acadiens (Godin 1987),

la province du Nouveau-Brunswick et la population acadienne sont entrées dans la

fédération canadienne en 1867.

Selon Godin (1987), plusieurs facteurs auraient pu motiver le refus des Acadiens.

Premièrement. il y aurait eu le manque de consensus de la part du clergé

catholique : les Acadiens ne pouvaient pas se fier aux évêques pour leur dire quoi

faire car l'un et l'autre ne disaient pas la même chose. De plus, les prêtres acadiens

sont allés à l'encontre des instructions de leur évêque et ont encouragé les Acadiens

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secteurs de la population acadienne. L'élite acadienne a, avec le concours des écoles

acadiennes, créé un marché unifié par «l'intégration dans une <communauté

linguistique>> (dotée des instruments de coercition nécessaire pour imposer la

reconnaissance universelle de la langue dominante : école, gnmmariens, etc.), de

groupes hiérarchisés, animés par des intékts différents» (Bourdieu 1977 : 23). La

création de ce marché a permis la production du pouvoir de domination de l'élite

acadienne et la reproduction de sa langue française. sans calques ou emprunts de

l'anglais, comme seule langue acadienne légitime. De plus, seul le bilinguisme de

cette élite, équivalent à deux monolinguismes, sen légitime. Alors que la

distribution du français légitime sen un objectif de l'école acadienne, le

développement du bilinguisme légitime ne le s en pas.

Dans cette section nous avons vu que bien avant la déportation, la population

acadienne avait développé une culture partagée qui la distinguait autant des

Français que des Anglais. Alon que nous ne savons rien de la variété linguistique

qu'elle parlait à l'époque - les Anglais les appelaient les <<French Neutrals», on peut

donc conclure qu'elle parlait le français - on peut comparer leur position à celle des

bilingues d'aujourd'hui : la population acadienne occupait la frontière entre ses

deux colonisateurs. Puisque la déportation a mis en relief l'origine française de la

population acadienne. il est possible qu'elle ait égaiement provoqué une

francisation de l'identité acadienne. Or, le lien avec la France n'a pas été

suffisamment fort pour convaincre les Acadiens et Acadiennes de demeurer dans ce

pays suite à la signature du Traité d'Utrecht. Malgré le lien linguistique, la

population de l'Acadie n'était pas devenue <<française», elle est demeurée

acadienne. La langue et la religion catholique ont été. avec la dichotomie

français/anglais instaurée sur le marché linguistique acadien unifié, un élément

important de cette acadianité. Dans la prochaine section. on verra que langue et

religion ont été sources de tensions scolaires.

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Les années 1870 ont vu une multiplication des confrontations dans le domaine de

l'éducation : entre letat et l'Église d'une part. entre catholiques francophones et

catholiques anglophones d'autre part. Ces confrontations ont stimulé la création

d'institutions d'enseignement catholiques privées et ont placé la question

linguistique au centre du débat scolaire catholique.

En 1871, le gouvernement du Nouveau-Brunswick adoptait le Common Schools

Act. L'école 'neutre', non-confessionnelle est devenue la seule école soutenue par le - gouvernement. déclenchant par le fait même une lutte pour le contrôle des écoles.

Cette lutte entre le gouvernement et 1âglise catholique n'était pas uniquement une

lutte scolaire, mais surtout une lutte pour le contrôle idéologique des sujets de la

province.

Le gouvernement était sous le contrôle des Anglo-protestants et sous l'influence des

loges orangistes de la province. ~ g ~ l i s e était, bien entendu, sous le contrôle des

évêques catholiques et, plus spécifiquement, irlandais. Le gouvernement de

l'époque voulait promouvoir une vision unitaire - un peuple, un drapeau, une

langue, une religion - dans la province. Aux yeux du gouvernement, le peuple

devait être Anglo-protestant. La sco1;uisation cmeutren était une façon d'endoctriner

la population à cette idéologie. Puisque tous recevraient la même éducation et

utiliseraient les mêmes textes scolaires, une vision commune du monde, et de leur

place dans ce monde, serait développée chez chacun et chacune. Pour les Acadiens,

cette vision serait traduite en français, mais uniquement pour les premières années

scolaires, le temps qu'ils apprennent l'anglais. Tous apprendnient dans leurs livres

d'histoire, par exemple, qu'ils sont des sujets anglais. Les jeunes Acadiens et

Acadiennes verraient ainsi leur langue et leur religion mises à l'écart de la définition

légitime du bon citoyen. En fait, l'histoire acadienne ne figurera au programme qu'à

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partir des années 1960. En plus, les enseignants et les enseignantes acadiens

recevaient un traitement similaire à celui de leurs élèves.

La nouvelle loi exigeait que tout membre du personnel enseignant de la province

détienne le brevet d'enseignement, disponible seulement après avoir réussi I'exmen

prévu à cet effet. Or, cet examen ne pouvait toujours être écrit qu'en anglais. Ceci a

eu pour effet de former, pour les écoles acadiennes, une population enseignante

sousqualifiée ; elle n'étudiait pas le français à la «Nomal Schmln et elle ne

dépassait que rarement le brevet de troisième classe (cf. Taillon 1957). Mal-& le

discours d'égalité du gouvernement, les élèves et les enseignantes francophones ne

trouvaient donc pas leur compte dans le système scolaire <cneutre».

Le discours du gouvernement était celui de l'égalité : égaIité d'accès à une éducation

qui donne un traitement égal à tous. Selon ce discours, enseigner à partir de

différents programmes ou manuels ne ferait qu'accentuer les différences sociales

plutôt que de créer une société égalitaire. Puisque l'école publique serait athée,

sinon anti-catholique, les évêques catholiques du Nouveau-Brunswick n'y voyaient

aucune égalité. Ces écoles répondraient aux besoins des protestants. mais non aux

besoins des catholiques pour qui la foi devait faire partie intégrante de l'éducation.

Aux yeux du clergé, le Common Schools Act était discriminatoire.

L'église a réagi au Common Schools Act en interdisant l'école publique B ses fidèles

et en construisant des institutions d'enseignement catholiques. Puisque les parents

devaient payer les fais d'inscription i ces institutions, elles étaient accessibles avant

tout aux membres de l'élite acadienne. C'est alors qu'entre 1872 et 1874, six

couvents ont ouvert leurs portes afin d'accueillir la jeunesse acadienne. Comme il a

été mentionné précédemment, ce sont surtout des congrégations religieuses de

femmes du Québec qui s'occuperont de ces couvents et collèges, sauf pour ce qui

est de t'éducation supérieure où l'on retrouvait les congrégations d'hommes (cf.

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~McKee 1995). C'est ce que McKee nomme la constniction d'un réseau d'institutions

parallèles, et Raymond Breton (1964) la complétude institutionnelle.

Parmi les congrégations religieuses de femmes venues en Acadie pour fonder un

couvent, seule la congrégation des Sisters of Charity, originaire de New York et

anglophone, est venue de l'extérieur du Québec. Le Père Lefebvre, chargé du

Collège Saint-Joseph et ~~urnommé l'apôtre de l'Acadie» (200 ans de vie paroissiale

à Memnmcook). avait demandé à 12vêque Mgr. Sweeny de lui envoyer des Sœurs

de Sainte-Croix, originaires du ~ u é b e c ~ , mais Mgr. Sweeny a préféré faire appel

aux Sisters of Charity. Ces dernières se sont établies au couvent de Notre-Dame du

Sacré-Caeur à Memmmcook en 1873. En 1924, la section acadienne de cette

congrégation se scindera de la maison-mère. La nouvelle congrégation ainsi formée

prendra le nom des Religieuses de Notre-Dame du Sacré-Cœur et, suite à la

division des biens des Sisters of Charity, ces religieuses assumeront le contrôle du

Couvent de Mernramcook.

C'est en 1915 que les sœurs acadiennes ont envoyé une première demande de

séparation à Rome, mais il existe une cenaine ambiguïté quant au type de

séparation demandée : un noviciat, une province ou une nouvelle congrégation

francophone? (Marie-Dorothée 1984 : 79-81). Les sœurs se sont vues refuser cette

permission. Or, «la coexistence pacifique entre religieuses irlandaises et leurs

consœurs acadiennes dans les mêmes couvents était, on s'en doute, sinon difficile,

d u moins quelque peu ardue. En certains milieux nationalistes acadiens, on songea

assez tôt à créer un noviciat uniquement pour les candidates acadiennes. Le noviciat

de Saint-Jean n'était pas exactement un foyer de culture française» (Pichette 1990 :

90-9 1). De plus, à partir de 1922, il y avait à Carnpbellton une communauté de

religieuses enseignantes acadiennes. Les sœurs de la Charité acadiennes faisaient

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donc face à la possibilité de voir le nombre de leurs recrues francophones diminuer

en faveur de Campbel t ton.

Dans une deuxième supplique que les Sœurs de la Charité ont fait parvenir au Pape

en 1922, on peut lire :

Tout d'abord, nos jeunes filles acadiennes ne peuvent se faire à l'idée qu'en entrant dans une communauté de langue anglaise. elles devront un peu mourir à leur mentalité. Alors, comme nous sommes la seule communauté enseignante dans Ie diocèse [Saint- Jean], les vocations se font rares et nous pouvons prévoir avec un serrement de cœur le jour où nous allons disparaître (Pichette 1990).

Ici on assiste à une action nationaliste visant la production d'un espace acadien, un

désir qu'il est difficile de réaliser sans l'approbation d'autrui. Cette réaiité était

d'autant plus incontournable que ce sont des femmes qui formulaient une demande

de plus grand pouvoir sur leur communauté : elles devaient obtenir l'approbation du

Pape. mais également le soutien du clergé francophone de la province.

Il y a un moyen de contourner la difficulté [causée par la lenteur de la bureaucratie romaine] : c'est d'avoir un procureur sur les lieux qui va lui-même présenter les demandes au bureau et voit à ce qu'on s'en occupe tout de suite. (...) La chose est plus difficile pour les communautés de femmes ; en 1924, c'était même impossible. Seulement te procureur d'une communauté d'hommes peut s'acquitter de cette fonction de surcroît (Marie-Dorothée 1984).

En 1923, les sœurs acadiennes ont donc fait appel aux pères de Sainte-Croix pour

parler en leur nom. C'est en 1924 que le Pape a finalement donné son consentement

à la requête des Acadiennes : les sections acadienne et irlandaise des Sisters of

Chari ty se sont partagé les avoirs de leur congrégation et le couvent de Saint-Joseph

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est devenu la maison mère de la nouvelle congrégation religieuse de Notre-Dame

du Sacré-Cœur.

De 1924 à 1941, la nouvelle congrégation de Notre-Dame du Sacré Cœur a élargi

son œuvre en ouvrant cinq postes d'apostolat (à Grand-Sault, à Sackville. en

Louisiane et deux à Moncton) et cinq missions (à Drurnrnond. à Lewisville, à Cap

Pelé, à Dieppe et à Pointe-Sapin). Étant une communauté enseignante, les sœurs ont

soit ouvert des écoles catholiques dans ces localités ou, pour ce qui est de quatre de

leurs missions, enseigné dans les école paroissiales subventionnées par le

gouvernement. Pour ce travail , elles ne recevaient que peu de salaire.

En 1942. un nouveau conseil, formé de religieuses et de la mère supérieure, a été

élu pour mener les affaires de la congrégation. Ce nouveau conseil ne comptait

parmi ses membres qu'une seule sœur qui faisait partie de l'ancien conseil. Ce

renouveau apporta une nouvelle vision d'avenir, soit la construction d'un collège

classique pour filles (cf. Marie-Dorothée 1984). En 1945. la congrégation de Notre-

Darne du Sacré-Cœur a donc été la première à ouvrir un collège classique pour

jeunes femmes. Saint-Joseph, situé le long de la rivière Mernramcook. et College

Bridge, situé sur la rive opposée, ont voulu attirer le collège chez eux, mais, avant

qu'une décision finale ne soit prise. Dieppe s'est également offerte. Finalement,

Moncton s'est mise de la partie en proposant un ternin vacant. déjà propriété du

diocèse, pour la construction du collège. Le Collège Notre-Dame d'Acadie a ouvert

ses portes à Moncton en 1945.

Les actions de ces femmes démontrent bien la possibilité de devenir des agents de

changement social. même à l'intérieur d'un système qui n'est pas de leur

fabrication. Le gouvernement offrait à la population du Nouveau-Brunswick une

éducation qu'elle qualifiait de neutre. Or, puisqu'elle avait pour but l'assimilation

religieuse et linguistique, cette éducation était coercitive. L'église a décidé que ses

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fidèles ne participeraient pas h un tel système et a créé des institutions séparées. Ce

sont des femmes qui ont œuvré dans ces institutions. créations des congrégations

masculines. Même lorsqu'il a été question de se scinder de la section irlandaise de

leur congrégation, les religieuses de Notre-Dame n'ont pu le faire sans les hommes.

Ce sont ces mêmes femmes qui ont posé les actions nécessaires pour donner une

éducation française, malgré les pressions de la hiérarchie ecclésiastique irlandaise,

aux filles acadiennes. Comme nous le verrons, les religieuses de Notre-Dame ont

créé un espace qui a permis la valorisation et la construction d'une nouvelle identité

acadienne distincte.

Avec la laïcisation des institutions scolaires catholiques, les religieuses de Notre-

Darne vont préférer la fermeture du collège Notre-Dame de l'Acadie à son annexion

à la nouveiie Université de Moncton. Cette laïcisation a été devancée par

I'industrialisation et la création, par l'élite acadienne, d'un Moncton, centre culturel

et économique de l'Acadie. Le déplacement des institutions acadiennes vers

Moncton a été d'une grande importance dans la réalisation de ce projet. Ces

institutions économiques et scolaires demeurent des cellules sociales dans

lesquelles la dichotomie françaidanglais est soutenue. Elles sont les outils

nécessaires à la reproduction du marché unifié acadien.

L'ouverture de Notre-Dame d'Acadie marque la première étape dans Ie déplacement

des institutions d'études supérieures de Memrarncook vers Moncton. Ce

déplacement s'est fait dans !e cadre de l'industrialisation des provinces maritimes et

de Moncton plus particulièrement. Ce mouvement entraîna celui des francophones

vers la ville, créant ainsi la base sur laquelle une nouvelle bourgeoisie acadienne a

fondé l'idée d'un Moncton, centre religieux, culturel et économique de l'Acadie

(LeBlanc 1990). C'est dans le cadre des grandes conventions nationales que cette

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élite masculine et ses confrères religieux ont élaboré leur définition de l'idéologie

nationalitaire acadienne.

En 1880, une Commission des Acadiens, formée d'une centaine d'hommes,

acceptait une invitation de la Société Saint-Jean-Baptiste et s'est rendue à Québec

pour une réunion des francophones de l'Amérique. Selon Thériault (1993), les

leaders acadiens ont décidé de convoquer la première convention nationale des

Acadiens lors de cette rencontre. Cette dernière eut lieu à Memramcook en 188 1. «

Le Moniteur acadien, commentant les fêtes de la convention [notait] : Ia cloche de

Grand-Pré sonna la dispersion ... Les cloches de Mernramcook sonnent le

ralliement» (200 ans de vie paroissiale à Memrarncook : 8). Lors de cette première

convention :

L'akgiculture, la colonisation, les problèmes de l'émigration, l'éducation, le journalisme, le rôle de l'église sont les principaux thèmes débattus. On y décide des orientations à prendre, on forme des comités permanents, dont la Société nationale L'Assomption, sorte de mini-gouvernement des Acadiens des Maritimes» et prédécesseur de l'actuelle Société Nationale de l'Acadie (Théririult 1993 : 67).

ies conventions nationales ont également été l'occasion pour l'élite acadienne de se

donner des symboles nationaux tels un drapeau, un hymne national et une patronne.

Ces hommes redéfinissaient l'acadianité sans la participation du peuple. Nécessaire

à la séparation sociale de la communauté acadienne de celles anglaises et

irlandaises, le mono1 inguisme était une partie intégrante de cette définition.

La dernière convention nationale eut lieu en 1908 et, «à partir de 19 14, on dirait que

le nationalisme acadien s'essouffle» (Thériault 1987: 20). il est possible que cela

s'explique par l'état actuel du monde et du questionnement pancanadien: c'est le

début de la période des guerres mondiales et de la Grande dépression. Au Canada,

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les guerres ont donné lieu à des débats entourant la conscription, question qui

occupa autant la population acadienne que la population canadienne. Comme on le

vem plus loin, le bouleversement de cette période provoqua un questionnement

idéologique dans le domaine de l'éducation qui entraîna une plus grande ouverture

envers l'enseignement en français et tout était en place en Acadie pour en tirer le

plus *oy;~nd avantage. Durant les années des p d e s conventions, c'est surtout au

niveau de l'enseignement francophone et catholique qu'il y a eu des changements.

On y voit également un changement dans l'idéologie nationaie voulant qu'on

s'éloigne de la vision ecclésiastique de L'Acadie des temes et des mers. LI populaiton

acadienne devenant moins isolée de la majorité anglophone, la langue devient,

comme dans le cas des religieuses de Notre-Dame, un marqueur encore plus -0fillld

de i'acadianité. Elle permet de maintenir la séparation si nécessaire à la formation

d'une culture partagée.

Malheureusement, cette séparation mène à la valorisation d'un français pur et à la

dévalorisation de toute divergence de cette norme. Il y a reproduction de l'idéologie

unitaire <<une langue, une culture, un peuple» de l'école neutre des orangistes et de

l'école catholique des évêques irlandais. Dans les institutions acadiennes, le

français standard est symbole de cette unité et critère de sélection sociale.

UNE DNISION LNGUÏISTIOUE

En parallèle à la lutte entre le gouvernement du Nouveau-Brunswick et l'église

catholique se situait une deuxième lutte : la lutte du clergé francophone pour un

enseignement en langue française. Les évêques irlandais du Nouveau-Bmnswic k

avaient une vision d'une église catholique unie, c'est-à-dire dont la langue

d'enseignement et d'évangélisation serait l'anglais. Ces évêques ne voyaient donc

aucun obstacle à affecter un curé anglophone à une paroisse acadienne. De plus,

puisque tout bon catholique serait anglophone, les sièges épiscopaux de Saint-Jean

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et de Chatham ne voyaient aucune difficulté à ce qu'un collège ou un couvent

desserve à la fois des Acadiens et des Irlandais. Tout comme l'État protestant, la

hiérarchie catholique tolérait l'enseignement du français dans ses institutions, mais

le but ultime était l'assimilation et la normalisation de la population acadienne.

Le fait que le collège Saint-Joseph puisse donner un enseignement en français à ses

élèves acadiens, tout en offrant à ses élèves irlandais un enseignement en anglais,

n'est donc qu'une concession de la part des évêques envers le clergé francophone.

Tel était également le cas pour le couvent de Notre-Dame du Sacré-Cœur et d'autres

collèges et couvents de la province. Cette concession, d'un coliège bilingue plutôt

qu'unilingue anglais, n'a été consentie que suite aux pressions du père kfmnce,

supérieur de la conb&gation des Pères Sainte-Croix à Memramcook. L'église

catholique n'avait d'autre choix que de se plier quelque peu : dans sa lutte contre le

gouvernement, I'église ne pouvait, étant déjà minoritaire dans la province, s'aliéner

une part de ses fidèles.

Les Pères et les Sœurs francophones étaient néanmoins limités dans leurs actions :

un Père Eudiste qu'on disait trop nationaliste a perdu son poste à la direction du

collège de Chatham, alors qu'aucune religieuse acadienne n'a pu accéder à un poste

de responsabilité au sein de la ~on~gégation des Sœurs de la Charité. Les Acadiens

vivaient donc une situation de double minorité et les Acadiennes de triple minorité :

elles étaient non seutement acadiennes et catholiques, mais également des femmes.

La thèse de McKee (1995) démontre bien la position d'assujettissement des

religieuses à l'autorité ecclésiastique masculine, qu'elle soit acadienne ou irlandaise,

et ce. même lorsqu'elles étaient responsables de plusieurs couvents et d'un coiIège

classique pour filles. De plus, «ce paternalisme se durcira lorsqu'il sen question de

bâtir un autre espace structurel et cuIture1 acadien, l'Université de Moncton*

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(McKee 1995 : 284). Tel qu'il a déjà été suggéré par contre, ces religieuses ont

réussi à jouer un rôle d'agent de changement.

Les congrégations religieuses de femmes ont constitué une force majeure dans la

qoduction institutionnelle &ethicité» (Mckee 1995 : 4). Ces congrégations, par

le biais de leurs couvents et collèges classiques pour femmes, ont formé la majorité

des enseignantes de la première moitié du vingtième siècle (cf. Savoie 1978 ;

McKee 1995). Ces enseignantes auraient-elles appns, par l'exemple de leurs

professeures, à lutter pour la survie de la communauté acadienne? Ontelles appns à

reproduire ou à produire une identité acadienne? Si oui, laquelle? Certains

documents andysés par McKee soutiennent cette thèse :

La formation générale offerte au CoIIfge Notre-Dame d'Acadie révèle un programme classique conforme aux normes de l'époque, formellement plus canadien-français qu'acadien et semblable au programme masculin en vigueur (...). Sous cet angle, la production de I'ethnicité correspond à la préparation de professionnelles, d'enseignantes en particulier ( ) L'analyse des activités parascolaires permet de dégager une autre dimension de la production identitaire, grâce à laquelle la spécificité «acadienne» sera davantage articulée (1995: 284-285).

Les acti vit& auxquelles McKee fait référence sont les activités culturelles, les

débats, les concours oratoires et le journal étudiant. McKee indique que c'est au

début des années 1960 que le contenu des concours et celui du journal des

étudiantes de Notre-Dame deviennent plus nationaliste. En ce qui a trait aux

activités culturelles, McKee conclut, sans spécifier la nature exacte de l'acadiani té

véhiculée, que «le théâtre fut (...) un lieu important de formation car on y valorise

pour la première fois une nouvelle forme d'acadianité, celle composée par sa jeune

auteure Antonine Maillet» (p. 286).

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Nous savons qu' Antonine Maillet est I'auteure de «La Sagouine», monologue d'une

Acadienne, femme de ménage. Cette pièce de théâtre est bien connue pour son

utilisation de la langue acadienne : la Sagouine ne répand pas sa sagesse par la voie

du français standard, mais bien de la langue acadienne. Une étude de l'ensemble de

l'œuvre d'Antonine Maillet serait nécessaire pour savoir si ce lien entre la langue

acadienne et la femme de ménage et/ou la pauvreté - plutôt que l'enseignante par

exemple - est une constante dans l'image qu'elle a donnée de la femme acadienne.

Alors qu'on a tendance à montrer l'utilisation que fait Maillet de la langue

acadienne sous un angle positif - elle a été la première à utiliser cette langue dans

une ceuvre littéraire et à Ia placer sur scène, donnant ainsi au français acadien une

légitimité qu'il n'avait pas antérieurement - l'image qu'elle projette peut devenir

négative. Une langue qu'on associe constamment à la pauvreté n'est pas une langue

convoitée. Si le français acadien est uniquement la langue des pauvres dans I'œuvre

d'Antonine Maillet, l'auteur participe à la production et à la reproduction du désir

de correction de la langue acadienne plutôt qu'à sa valorisation.

McKee est plus précise quant à l'image de la féminité reproduite dans le journal

étudiant et dans les discours d'adieu des finissantes du collège : (<pendant plusieurs

années une conception de la féminité cconciliatrice» [qui fait le don de soi et est

mère de famille] avec celle du milieu aura prévalu, accompagnée d'une

revendication à l'accès aux études supérieures» (McKee 1995 : 303). Les

enseignantes qui ont participé à ma recherche continuent à faire ce don de soi et à

reproduire la conception dominante de la féminité et de l'acadianité.

Alors que les revendications de l'élite acadienne pour la francisation et le

confessionnaiisme des écoles publiques étaient moins fortes et les progrès plus lents

au tournant du vingtième siècle, certains gains sont à noter. En 1875, le

aouvernement provincial a finalement fait des concessions au niveau de la loi des s

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écoles neutres, mais seulement suite à une émeute et la mort de deux hommes dans

le nord-est de la province :

L'école publique subsiste seule. Les instituteurs et les institutrices astreints à un cours d'école normale, doivent obtenir le brevet de capacité. Prêtres et religieuses peuvent obtenir ce brevet comme les laïcs, mais sans stage à l'école normale en passant l'examen dans leur couvent. t e s élèves catholiques reçoivent la même instruction non-confessionnelle que les élèves protestants. Les livres scolaires en andais seulement, mais certains livres de lecture, à l'usage des écoliers acadiens peuvent porter la traduction en regard du texte anglais. Les passages anticatholiques de certains manuels pourront être voilés. L'anglais est la seule langue d'enseignement; le français, omis au programme est toléré comme langue de communication. Les contribuables dans chaque district, choisissent les commissaires ou syndics, qui engagent les instituteurs diplômés de leur choix et font enseigner le catéchisme à leur gré. en dehors des heures de classe réglementaire. Les religieuses peuvent porter leur costume à l'école (Rumilly 1875 dans Godin 1987 : 66).

Ce compromis a satisfait les évêques du Nouveau-Brunswick et ces derniers ont

demandé aux laïcs de s'y plier. Pour les francophones par contre. ce compromis ne

changeait en rien leur situation linguistique : l'école publique demeurera un lieu

d'anglicisation, les Acadiens y recevaient une éducation coercitive. Le Common

Schools Act n'encourageait pas l'enseignement du français et les écoles publiques

étaient tenues d'utiliser les livres approuvés par le département de l'Éducation. Or,

aucun livre français ne figurait sur la liste de manuels autorisés en 1872. On y lit par

contre. que «les livres de lecture élémentaire française sont à l'étude» (Savoie 1978:

57). En 1875, les Premiers et Seconds livres de lecture ont fait leur apparition dms

les écoles publiques de la province. En 1876, c'était le tour du Troisième, en 1877

au tour du Syllabaire et en 1880 du Quatrième livre de lecture. Tous ces livres

étaient bilingues; c'est-à-dire qubn pouvait lire le texte original anglais sur une

page et la traduction française sur l'autre. En 1888, il y avait également quatre autres

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manuels, ceux-ci uniquement en français, sur la liste du Département de

l'éducation. De plus. adans certaines écoles, le Moniteur Acadien servait de livre de

lecture» (Savoie 1978 : m). Ce journal reflétait I'idéologe de I'élite masculine de

I'Acadie, les femmes n'ayant pas le droit d'y être publiées.

Tout compte fait, les leaders laïcs et religieux de L'Acadie ont, à quelques

exceptions près, placé la question scolaire à l'arrière-plan de leurs préoccupations

«nationales». Ce n'est que lors du mouvement vers la démocratisation de l'éducation

des années 1920 et 1930 que le tison sera ravivé et que la lutte scolaire reprendra de

plus belle. Les femmes seraient alors à la ligne de front de ce projet de changement

social. Entre-temps, l'attention de Mite acadienne s'est tournée, dès le début des

années 1880, vers I'acadianisation des structures ecclésiastiques et l'intégration des

Acadiens dans les secteurs du commerce et de l'industrie.

Il est possible que ce changement de priorité s'explique par le désir d'appartenance

de l'élite acadienne à la classe moyenne du Nouveau-Brunswick. À l'intérieur de la

hiérarchie religieuse, les Acadiens continuaient à n'occuper que les postes de diacre

et de curé, aucun ne réussissait à se faire nommer coadjuteur et encore moins

évêque. Or, la majorité des institutions idéologiques de l'époque étaient sous le

contrôle ou l'influence des religieux (églises, écoles, familles, hôpitaux et, en

Acadie, la presse écrite française). Puisque les curés, et éventuellement les évêques,

seraient des leurs, I'acadianisation de l'église assurerait à l'élite Mque un lien direct

au pouvoir ecclésiastique. il n'est donc pas surprenant que le Catholicisme était, au

départ, à la base de l'acadianité définie par l'élite acadienne lors des conventions

nationales et inscrit dans leurs symboles nationaux : l'étoile de Marie dans le

drapeau; LTAve Marie Stella, hymne national; et Marie, patronne des Acadiens.

Au même moment où les catholiques se disputaient le contrôle de leurs institutions,

un mouvement d'urbanisation se faisait sentir au Nouveau-Brunswick. La ville de

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Moncton connaissait alors une période d'industrialisation grandissante et l'élite

laïque acadienne désirait de plus en plus y participer au même titre que ses

homologues anglophones. Au début, l'élite religieuse s'y opposait, disant qu'il serait

mieux de garder la population acadienne isolée dans sa campagne, loin des péchés

de la ville (et de la langue anglaise). Or, les Acadiens et les Acadiennes se

déplaçaient de leur propre chef vers la ville et, à partir de 1900, l'élite acadienne a

de nouveau uni ses efforts pour lancer une nouvelle stratégie nationaliste : faire de

Moncton un chef-lieu de pouvoir et d'influence de la collectivité acadienne.

En ville, les fmcophones cohabitaient avec les anglophones, cette nouvelle

stratégie devait donner lieu à la création de réseaux acadiens qui permettraient à

l'élite acadienne de continuer à jouir d'un certain pouvoir sur la population

acadienne- La purification de la langue par le biais des écoles a fait partie de cette

stratégie. L'école devenait donc gardienne de la langue peu de temps après le début

de la féminisation de la profession enseignante.

Malgré l'intérêt marqué de l'élite pour les choses religieuses et économiques, cette

classe dirigeante, tout comme les autres membres de leur classe sociale, ne s'est pas

complètement désintéressée de la question scolaire. Le système scolaire du

Nouveau-Brunswick de la fin du XIXc et du début du XX' siècle a, en effet, connu

quelques changements favorables à l'éducation de langue française. U y eut, suite

aux difficultés à trouver du personne1 qualifié pour les écoles des régions

francophones de la province, La création du département français au «Normal

School>, de Fredericton en 1884. Ce département avait pour mandat de préparer Ies

Acadiens et les Acadiennes à l'examen - écrit en anglais - du brevet de troisième

classe et à l'entrée au cours régulier (anglais) pour les brevets de deuxième et

troisième classe. L'année 1907 a marqué la fin des manuels bilingues au niveau

élémentaire, les manuels du niveau avancé étaient toujours en anglais. En 1914,

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Une Histoire du Canada, écrite par le Père Philias Bourgeois, est introduite dans les

écoles acadiennes. Finalement, en 1922 un premier programme de français a été

élaboré pour les écoles à plusieurs niveaux :

Jusqu'à cette date tardive, le programme officiel n'imposait l'enseignement du français que dans les rares classes à un seul grade. Il n'était pas requis de l'enseigner dans les classes à plusieurs grades ou gnded schools. Pour comble de malheur, i l arrivait souvent que les titulaires de classes à plusieurs grades refusaient d'enseigner le français sous prétexte qu'ils n'y étaient pas tenus. Ces titulaires étaient peut-être moins coupables qu'on pourrait penser. Ils avaient si peu de textes français à leur disposition, encore moins de directives explicites (Taillon 1957 : 37).

11 faut également considérer la part du marché qu'occupait la francophonie néo-

brunswickoise. Sur le marché dominant, seule la langue anglaise donnait accès aux

ressources politiques et économiques qui y circulaient. Pour se tailler une place,

l'élite acadienne a dû créer un marché parallèle dans lequel circulaient les

ressources politiques et économiques francophones - de 15 des campagnes qui

encourageaient les Acadiens à n'acheter que chez des compagnies françaises. En

1922, ce marché acadien était encore fort restreint par contre et le bilinguisme

n'avait pas la valeur qu'on lui confêre aujourd'hui. L'anglais demeurait la langue

du patronat tant des poissonneries du nord de la province que des fabriques et du

chemin de fer du sud. Le français était la langue d'une partie de la main-d'œuvre.

De plus, l'anglais était toujours la langue du «Normal School>> et des examens de

certification à l'enseignement. Sous ces conditions, les enseignantes jugeaient peut-

être que leurs élèves avaient besoin de maîtriser l'anglais pour réussir dans la vie.

Leurs actions étaient-elles si différentes de celles des mères chiacs, dont il sera

question au prochain chapitre, qui enseignent le français standard à leurs enfants

dans l'espoir de leur donner accès au bilinguisme tellement convoité dans certains

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milieux de travail ? Étaient-elles si différentes des enseignantes qui s'assurent de la

maîtrise des connaissances à l'examen ou qui conigent tout ce qui n'est pas français

standard, sous prétexte que cette variété linguistique est nécessaire aux études

universitaires et à la communication de par le monde francophone ?

En croyant que ce n'était que le manque de matériel et de directives qui détermine

les actions des enseignantes, Taillon nie la relation qui existe entre l'école et la

sociéti. De plus, i l nie la possibilité de l'action sociale de l'enseignante. En réalité,

les titulaires qui enseignaient en français et qui utilisaient Le Moniteur Acadien , un

quotidien de langue française, transgressaient les directives du département de

dé éducation : Le Moniteur Acadien n'a jamais été inscrit sur la liste des manuels et

livres approuvés par le département. Ces titulaires ne font pas l'objet d'une critique

de la part de Taillon puisqu'elles partageaient déjà la culture que les élites désiraient

répandre par le biais de I'école. L'action sociale qu'était l'utilisation du Moniteur

soutenait celle de Taillon et celle de ses confrères religieux et laïcs.

Alors qu'aujourd'hui les enseignantes utilisent un matériel de base et ont des

directives explici tes quant à quoi et comment enseigner, elles véhiculent elles-

mêmes l'importance de la langue. De plus, cornme la société acadienne qui les

entoure, elles éprouvent le besoin de remédier à leurs déficiences» linguistiques.

Ce besoin a été articulé pour la première fois dès le début des années 1900 : qwur

aider la majorité des instituteurs acadiens à remédier dans la mesure du possible aux

déficiences les plus flagrantes de leur formation française, il s'imposait de leur offrir

des cours répondant à ce besoin. D'où ceux de 1TJniversité Saint-Joseph, inaugurés

en 1938 (Taillon 1957 : 1 19). Cette population enseignante était, en grande partie,

composée de femmes (cf. Taillon 1957). Rappelons que la féminisation de la

profession enseignante a débuté en 1850, date à laquelle il fut convenu que les

femmes pourraient suivre les cours du diormal Schmb. C'est chez les catholiques

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que cette féminisation s'est fait sentir le plus rapidement. En 1938, elle était déjà

bien installée dans les écoles acadiennes.

Or, ce n'est pas parce que les catholiques avaient une plus grande facilité à accepter

les femmes en enseignement, qu'ils croyaient qu'elles avaient, d'emblée, les

habiletés pour le faire. Dès son amvée en 1880, le premier inspecteur d'écoles

francophone, Valentin Landry. a commencé à organiser les instituteurs et

institutrices de parier de pédagogie et de leurs conditions de travail (cf.

Thériault 1993 : 70). Une cinquantaine d'années plus tard, le besoin d'améliorer le

rendement de ces femmes, ou de contrôler leur travail, continuait à se faire sentir

chez l'élite masculine. À partir de 1936, les Pères eudistes leur offriront des cours

d'été à Bathurst et les Pères Sainte-Croix feront de même à Saint-Joseph en 1938.

Ces cours devaient permettre à cette population enseignante de plus en pIus

féminine de parfaire ses connaissances de la langue et de la pédagogie. Avec cette

féminisation grandissante de la profession enseignante, c'est par leur travail auprès

du gouvernement et leur plus grand contrôle de la formation des maîtres que les

hommes ont continué à maintenir leur pouvoir sur la pr~~orammation scolaire. Cette

programmation visait la production d'un marché linguistique unifié par la

reconnaissance générale de la légitimité de la langue et, par là, du pouvoir de l'élite.

Par le biais de la création d'une dichotomie français/anglais, qui ne laisse pas de

place aux variétés linguistiques acadiennes non standard, la période des institutions

parallèles a permis la légitimation du pouvoir hégémonique de l'élite masculine

instruite. L'idéologie du monolinguisme francophone est à la base de ce pouvoir ct

I'instruction a donné à cette élite un plus grand accès au fmçais standard. Or, cette

élite aura également besoin d'avoir accès au bilinguisme. Dans ses négociations

avec l'État pour des écoles publiques de langue française, elle devra transiger.

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comme les Acadiens du dix-huitième siècle devant les colonisateurs britanniques,

en anglais.

Alors que la période des alliances décrite par McKee (1995) couvre les deux

décennies de 1940 et 1950, les conditions nécessaires à la création de ces alliances

ont commencé à apparaître avec la fin de la Deuxième guerre mondiale et l'entrée

du Nouveau-Brunswick dans l'ère industrielle. J'inclus donc ces événements avant-

coureurs dans ma discussion des alliances entre l'Église et l'État.

Une montée de l'intérêt pour la langue d'enseignement dans les écoles acadiennes

marque cette période de l'histoire de l'Acadie. il est fort probable que cette

résurgence trouve son explication dans la conjoncture créée par la présence d'une

élite masculine et acadienne, q a s nécessairement [formée] de savants et de lettrés,

mais ... d'hommes de bien, aptes au travail social» (Théo Godin, cité dans Savoie

1980 : 30). active à la même époque où deux guerres mondiaies et une récession

provoquaient une remise en question idéologique chez la majorité britannique.

Les deux guerres mondiales ont entraîné une plus grande industrialisation et une

plus ,onnde immibmtion non britannique au Canada. L'industrialisation enuaîna le

besoin d'une main-d'muvre plus spécialisée, une augmentation de l'immigration, une

diminution de la force démographique des Britanniques et, conséquemment, une

plus =-de ouverture vis-à-vis la culture et la langue de l'autre (Manzer 1994).

Cette ouverture a l'autre était évidente dans le mouvement dit progressiste,

mouvement qui voulait la démocratisation du système scolaire par une éducation

centrée sur l'enfant.

In order to meet properly the educational needs of each person in schcol, public education in a multidenominational and officiall y

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bi lingual political community ought to incorporate the religious and linguistic communities that constitute the cultural foundation of individual educational development. For Canadian educational policy-maken, undertaking official commitments to the principles and policies of person-regarding education involved reopening fundamental questions about the language of instruction and the place of religion in public education (Manzer 1994 : 165).

Au Nouveau-Brunswick, les Britanniques ayant maintenu leur majorité, et les loges

orangistes leur pouvoir, l'ouverture a été plus lente à se concrétiser. hrsqu'en 1928

le bureau de l'Éducation adopta un règlement légalisant l'enseignement du franpis

au Nouveau-Brunswick, les loges orangistes ont réussi à le faire renverser. Les

pressions des Acadiens ont repris de plus belle et le premier ministre Baxter a établi

une Commission royale d'enquête sur l'éducation en 193 1.

Selon Godin (1993). la situation économique et la démocratisation ont égaiement

joué un rôle dans cette montée d'intérêt envers l'éducation des jeunes. [I explique

que la centralisation du développement industriel du Canada en faveur de l'Ontario

et du Québec avançait déjà à grands pas. Les provinces de l'Atlantique se devaient

donc de prendre les moyens nécessaires afin de s'assurer une plus grande pan du

marché. Suivant l'exemple de la Grande-Bretagne, des États-unis et de l'Ontario. le

gouvernement du Nouveau-Brunswick s'est tourné vers le développement scolaire

comme outil de développement économique : l'école devait préparer les travailleurs

nécessaires au relancement économique de la province. Voulant, elle aussi, profiter

de I'indusuialisation de Moncton, l'élite laïque acadienne a encouragé le passage

d'une identité acadienne rattachée à la mer et à la terre. à celle de travailleurs pour

I'i ndustrie. Les enseignantes étaient impliquées dans ce changement d'identité chez

la population acadienne. Pour maximiser le profit de l'élite, l'école française devait

également conscientiser ses élèves à la cause française : sans population

francophone, point de pouvoir francophone.

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C'est également durant les années 1930 que les Eudistes et les Pères Sainte-Croix

commençaient à offrir, à Bathurst et à Memrarncook respectivement, des cours

d'été au personnel enseignant des écoles acadiennes. Ces cours devaient mener à un

enseignement de plus grande qualité dans les écoles acadiennes et, selon le

président de l'Association acadienne de l'éducation de I'époque, < a u salut de notre

peuple» (Taillon 1957 : 41). ils ont donné lieu à la mobilisation du personnel

enseignant et conséquemment, d'un grand nombre de leurs élèves.

L'école avait égaiement été un outil de démocratisation aux États-unis. outil qui

devait permettre à tous les citoyens de prendre une part active dans la vie politique

du pays. L'influence de cette philosophie se faisait de plus en plus sentir au

Nouveau-Brunswick du début du vingtième siècle et elle a joué un rôle important

dans les réformes scolaires qui ont suivi le rapport de ta Commission royale de

193 1 (Godin 1993). Ces réformes sont aujourd'hui connues comme une période de

consolidation de petits conseils scolaires et de construction de grandes écoles

régionales. À l'intérieur de chacun des nouveaux districts scolaires, on considérait à

l'époque qu'il y aurait suffisamment d'élèves du niveau secondaire pour offrir une

diversité de cours de cuIture générale, de cours commerciaux, de cours de métiers et

d'rirt culinaire. Ces plus grands districts devaient également fournir «une base

financière adéquate pour générer des revenus de taxation suffisants» au

fonctionnement des écoles régionales où devaient s'offrir ces cours (Godin 1993 :

77).

Ce n'est qu'à partir de 1943, lorsque le financement provincial pour la construction

des écoles régionales est passé de 25 à a%, que cette réorganisation a pris de

l'ampleur et e n 1946, on comptait 18 écoles régionales construites et 26 autres en

construction. Parmi celles-ci se trouvaient 23 écoles régionales construites dans les

milieux francophones» (Godin 1993 : 90). Selon Couturier-LeBlanc et al. (1993 :

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558), «près du tiers des écoles régionales rurales sont en fait des écoles paroissiales

françaises coiffées de l'étiquette «bilingue» afin de calmer les adversaires de la

francophonie. Dans ces écoles on trouve un climat français. un enseignement en

français, la plupart des manuels rédiges en français, et la gestion relève de conseils

scolaires francophones». Par contre, d'autres écoles régionaies desservaient à la fois

la population francophone et anglophone. Tel a été le cas de la ville, à majorité

francophone, de Grand-Sault au nord-ouest du Nouveau-Brunswick. Cette ville n'a

eu ses écoles homogènes qu'au début des années 1980.

C'est également à l'époque de la construction des écoles régionales que le Collège

de Notre-Dame a été fondé à Moncton. L'importance de l'école, même pour les

filles, devenait de plus en plus acceptée de tous. Une informatrice me raconte, par

exemple, que la viIle de Dieppe payait pour que les filles de la ville, dont

l'informatrice elle-même, puissent aller au collège Notre-Dame d'Acadie.

À Memramcook, les changements du début des années 1950 ont enuaîné la

fermeture de plusieurs petites écoles en faveur de la construction de plus -orandes.

Lors d'une entrevue menée dans le cadre de cette recherche, un représentant d'un

district de services locaux de Memrarncook m'explique les changements qu'a

connus sa localité :

Entrevue 1997

M : Oui, i l y avait une école pour Belliveau Village, y avait une école pour Beaumont, y a une école a Pré-d'en-Haut. Y a une petite école à Pré-d'en-Haut, y en avait une à Dover. Puis y en avait une sur le petit Dover. Ça c'était des petites écoles. (...)

Phyllis : Puis, là elles ont toutes fermé une à une ?

M : i l y en a d'eux autres, quand l'école [régionale] de Pré-d'en- Haut (...) a été bâtie dans les années 50, ça a fermé les petites

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Avec la construction des écoles régionales, la fréquentation scolaire s'est améliorée

et une pénurie de personnel enseignant s'est fait sentir. Puisque la «Nomal School»

n'offrait toujours que le cours préparatoire en français, ce problème était encore plus

grand dans les comtés acadiens. En plus, les nouveaux cours de formation à

l'enseignement des cours de métiers étaient offerts en anglais et les universités

devaient prendre en charge la formation des institutrices d'art culinaire. Or,

l'Université de Moncton n'a vu le jour qu'en 1963, vingt ans après la création des

écoles régionales. La formation du personnel enseignant acadien s'est en effet

développée 2 pas de tortue : les jeunes femmes acadiennes qui devaient enseigner

les arts culinaires n'ont eu droit au cours classique qu'à partir de 1943 ; en 1947 la

«Normal School» de FrederÏcton est devenue le Teacher's College et les élèves

francophones et anglophones ont été séparés afin de recevoir des cours de

méthodologie au primaire et au secondaire dans leur tangue respective ; en 195 1 le

collège Saint-Joseph a introduit son cours de formation pédagogique ; en 1970, la

formation des enseignant et enseignantes a été intégrée à l'Université de Moncton

pour devenir la présente Faculté des sciences de éducation.

Afin de combler les postes d'enseignement créés par l'ouverture des nouvelles

écoles régionales, le gouvernement Baxter a accordé des certificats d'enseignement

à plusieurs hommes qui avaient complété leur cours classique. L'enseignement du

secondaire est donc devenu un monde à forte proportion masculine. Pendant cette

même époque, trois femmes occupaient des postes d'assistantes au surintendant de

leur district. Ces femmes ont été des agents de changement social : elles ont terminé

leur baccalauréat en éducation par le biais des cours d'été ; elles ont été

" Dm-; cct cxtmit d'unc cnum-uc. comrnc dans c r u qui suivront, I'utiiisation dcs trois points cntrc parcnthixs (. . .) sibmific I'ornksion d'unc du tcxtc Dcs astEnsquin; scrriront 5 i n d i q u ~ ~ des moû non compris lors dc Iri cnnscription.

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responsables de l'établissement de cercles pédagogiques dans leur milieu respectif:

durant l'époque des =grandes polyvalentes, une d'entre elles a lutté pour garder

l'éducation secondaire dans les communautés plus éloignées de la ville ; elles ont

été et continuent d'être actives dans les sociétés culturelles et historiques de leur

communauté. Pour comprendre l'ampleur du travail de ces femmes, il serait

nécessaire d'y consacrer une étude approfondie. Une telle étude permettrait de

mettre en lumière un travail souvent effectué dans l'ombre, comme on le verra avec

la création des cercles pédagogiques.

Outre les recornmmdations pour la consolidation des conseils scolaires et la

création d'écoles régionales, la Commission royale de 1932 avait également formulé

des recommandations qui auraient fait avancer I'enseignement en français au

Nouveau-Brunswick :

Entre autres, que pour les deux premières années, les manuels soient rédigés excIusivement dans la langue que parle l'élève ; que les éditions spéciales des manuels traitant d'histoire, de géographie. d'histoire naturelle et d'hygiène, jusqu'à la huitième année inclusivement, soient bilingues ; que les élèves qui subissent l'examen d'admission au secondaire aient le privilège de répondre en français (Godin 1993 : 95).

Ces recommandations n'ont jamais été apportées devant la législature ; les

Orangistes ont. encore une fois. usé de leur pouvoir politique pour contrer l'accord

de tout privilège aux francophones. Les manuels bilingues sont donc restés le lot du

niveau primaire et les livres et examens anglais celui des autres niveaux. II fallait

donc réussir à se bilingualiser pour poursuivre ses études.

L'élite acadienne. tant laïque que religieuse. s'organisait à nouveau, mais cette fois

sous l'influence de l'Ordre de Jacques Cartier, fondé en Ontario et rapidement élargi

au Québec et dans les Maritimes. Au sein de cette société secrète vouée à la cause

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francophone, certains membres de l'élite acadienne canalisaient leurs énergies dans

le domaine de l'éducation :

L'Ordre de Jacques-Cartier fut fondé à Campbellton le 12 novembre 1933, au moment où toutes les démarches entreprises pour améliorer l'enseignement du français dans les écoles publiques auprès du gouvernement provincial avaient essuyé un cuisant échec (Savoie 1980 : 107).

L'klite acadienne était donc prête à profiter de toute ouverture qui se présentait. si

petite soit-elle. L'Ordre de Jacques Cartier était une société secrète cependant et doit

instituer, en 1936, une Association acadienne de l'éducation pour accomplir le

travail nécessitant une certaine visibilité, tel que la conscientisation du peuple et du

personnel enseignant.

La population enseignante devait également jouer un rôle dans les changements qui

s'amorçaient. Insatisfaite du service rendu par leur association professionnelle dite

bilingue, cette population s'affairait, elle aussi, à la création d'organismes

francophones parallèles. Ici, i l est question de la création d'associations

professionnelIes parallèles et dans ce mouvement, ce sont les femmes qui ont été les

batisseuses de la première heure. Ce travail n'a pas encore été reconnu par la société

acadienne, peut-être parce qu'il allait dans le même sens que celui des hommes.

D'ailleurs, Savoie (1978) accorde le crédit de ce développement aux homme qui,

comme lui, étaient commandeurs de l'Ordre de Jacques-Cartier.

Au sein de ia New Brunswick Teacher's Association (N.B.T.A.), association qui

encadrait les enseignants et enseignantes tant francophones qu'anglophones de la

province. les préoccupations des enseignantes francophones n'étaient pas comprises.

Madame Marie-Esther Robichaud, première assistante au surintendant aux écoles

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de Gloucester (nord-est du Nouveau-Brunswick) et représentante de sa région au

sein de la N.B.T.A., écrit :

Comme membre de l'exécutif de la N.B.T.A. j'avais beau leur faire part de nos problèmes. On répondait souvent : «si c'est un problème laissez-le tombem. Mais en plus des probIèmes communs avec les anglophones, nous avions des problèmes bien particuliers pour la cause du français et i l ne s'est trouvé personne pour l'appuyer. Alors, le président m'a dit : «Miss Robichaud, 1 simply wash my hands on [sic] your problexm. Je lui ai répondu : «Sir, from now on, we will cake care of our own problems~. J'avais réalisé qu'ils en avaient assez de leurs problèmes, mais surtout qu'ils ne comprenaient rien aux nôtres [On était en 1936 ou 1937.1 ( Robichaud 1993 : 46).

Les enseignantes et enseignants de langue française avaient déjà commencé à créer

une solidarité de groupe et ces commentaires ont aidé à la consolider : les cours

d'été, disponibles à Bathurst et à Memramcook à partir de 1936 et 1938

respectivement, ont rendu possible la rencontre d'un grand nombre d'instituteurs et

institutrices dans le but de discuter d'éducation; sous le leadership de Marie-Esther

Robichaud, un groupe d'enseignantes du nord-est de la province a organisé les

premiers cercles pédagogiques en 1937. Lors des rencontres de ces cercles, les

enseignantes discutaient de leur enseignement et pkparaient du matériel

pédagogique selon les besoins de chacune. Ces premiers cercles ont mené à la

création de chapitres, englobant plusieurs cercles, partout dans la province. On voit

ainsi se constituer des réseaux sociaux, si importants au développement d'une

culture pédagogique partagée. Aujourd'hui, le MENB et I'Association des

enseignants et enseignantes francophones du Nouveau-Brunswick s'assurent

toujours, par le biais de la formation en période estivale et durant l'année scolaire,

du maintien de cette culture.

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En 1936, les chapitres pédagogiques ont fomé la base de la section des instituteurs

et institutrices de l'Association acadienne de l'éducation (AAE), fondée en 1936 par

les membres de l'Ordre de Jacques-Cartier. Avant la fondation de la section des

instituteurs et institutrices, par contre, peu d'enseignants ou d'enseignantes

participaient aux réunions de I'AAE. Tout comme lors de la création des chapitres

pédagogiques, ce sont des hommes qui ont pris la présidence de cette section,

représentant alors une population à forte majorité féminine.

Une tendance voulant que les femmes fassent Ie travail d'organisation des

regroupements de la population enseignante et que les hommes en prennent la tête

lorsqu'i 1 est question d'une représentation publique s'est dessinée dès la création du

premier chapitre de la province. L cercle fondateur du premier chapitre

pédagogique de la province comptait treize femmes et un homme. Puisque la

féminisation de la profession enseignante était déjà bien avancée à cette époque. on

peut supposer que la situation était semblable ailleurs. En ce qui concerne les dix-

huit cercles locaux du nord-est de la province, seize étaient présidés par des femmes

et treize ne comptaient aucun homme parmi les responsables du cercle. Lorsqu'il a

été question de s'organiser pour former des chapitres régionaux par contre, les

hommes ont pris la présidence de cinq des sept chapitres. La création de chapitres a

permis, en fait, une plus p d e visibilité et l'accession à une voix publique, au sein

de I'AAE par exemple. Les enseignantes faisaient néanmoins du chemin car,

malgré la présence d'un homme à la présidence, elles avaient sept des douze voix à

l'intérieur du grand conseil de leur section de I'AAE.

La section des instituteurs et institutrices de I'AAE est officiellement devenue

l'Association des Instituteurs Acadiens en 1958. Ce changement a été entamé

lorsque les dirigeants de la NBTA ont vu la nécessité de se réorganiser afin de se

rapprocher de la base de leur organisation, c'est-à-dire des enseignants et

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enseignantes. Au courant de l'hiver 1952-1953, les enseignantes et enseignants de

l'Acadie du Nouveau-Brunswick se sont réunis afin de mettre au point un projet

qu'on nomma des douze résolutions» (Ferguson 1993 : 69). Le projet a été présenté

par le président de I'AIA à un comité de la NBTA à Fredericton le 20 mars 1954.

Komme on pouvait le prévoir, telle démarche suscitait passablement

d'appréhension, et on ne peut prétendre qu'il fut reçu dans un enthousiasme

délirant» (Ferguson 1993 : 69). Alors que l'auteur ne précise pas le contenu de ces

douze résolutions, la formation d'une association parallèle francophone était le but

poursuivi.

Certaines des douze résolutions finales retenues par l'NA ont été approuvées,

d'autres retenues pour étude, ou tout simplement ignorées par le comité de 1s

h'BTA. Finalement. en avril de la même année, cette dernière association a résolu

que le comité des règlements devrait tenir compte des résolutions de l'W. En

somme, la population enseignante acadienne demandait la dualité linguistique au

sein de la NBTA avec leur association comme section francophone. Au b u t d'une

décennie, on a finalement abouti ((a Ia réalisation intégrale du projet initial, soit la

formation [de la Fédération des enseignants du Nouveau-Brunswick] qui unissait

deux associations autonomes, la NBTA et l'NA», devenue l'Association des

enseignants francophones du Nouveau-Brunswick en 1967 (Ferguson 1993 : 74).

Aujourd'hui, cette association porte le nom d'Association des enseignants et

enseignantes francophones du Nouveau-Brunswick, mais utilise toujours le sigle

AEFNB. Le fait qu'on maintienne le mot «francophone» dans ce titre démontre

bien la position minoritaire des francophones du Nouveau-Brunswick : la norme est

anglophone, les anglophones peuvent donc prendre pour acquis que leur association

leur appartient alors que les francophones doivent continuellement réclamer ce qui

leur appartient.

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Pour ce qui est des écoles publiques, il faudra attendre 1974 pour obtenir la dualité

linguistique au ministère de l'Éducation et la gestion francophone des écoles

acadiennes. Une première étape de ce cheminement vers l'autogestion a été

l'élection d'un premier ministre acadien en 1960. Cette élection a de beaucoup

amélioré, par le biais de l'étatisation du système scolaire, la situation linguistique et

scolaire de l'Acadie. Malheureusement, les femmes y perdront une grande part du

pouvoir qu'elles détenaient dans la formation des jeunes acadiennes.

L'étatisation du système scolaire verra également agrandir la surveillance

linguistique du personnel enseignant francophone, qui a vu le jour avec la création

des cours d'été. De plus, le besoin de continuellement démontrer l'efficacité de

l'école acadienne prendra de l'ampleur. Cette efficacité se mesure par la qualité de

Ia langue (le français standard) de ses élèves. La surveillance linguistique et le lien

établi entre le français standard et la qualité sont à la base de l'insécurité

linguistique des enseignantes qui ont participé à cette recherche. Cette insécurité

est, à son tour, un élément constitutif de la culture partagée qu'elles reproduisent

auprès de leurs élèves.

LA PRISE EN CHARGE PAR L'ÉTAT

Suite à sri nomination au barreau du Nouveau-Brunswick, l'Acadien Louis-.J.

Robichaud est allé parfaire ses études à la nouvelle École des sciences sociales de

l'université Laval. Élu premier ministre du Nouveau-Brunswick en 1960,

Robichaud implantera des programmes sociaux fortement influencés par ses études

h Laval et surtout par les propos socialistes du doyen de l&ole, le père Georges-

Henri Lévesque. Ceci perpétuera une tradition d'influence québécoise dans la

scolarisation acadienne, (rappelons le travail des diverses congrégations religieuses

arrivées en Acadie vers 1875). Encore aujourd'hui, plusieurs de nos programmes,

dont celui de l'enseignement du français, s'inspirent du programme québécois et nos

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manuels ont été écrits en grande partie pour une population québécoise. Ii est

surprenant de constater que cette influence n'a pas fait l'objet d'un questionnement

ou d'une analyse quelconque.

Le premier changement effectué par Robichaud a été de nommer le plus -grand

nombre jamais vu d'Acadiens au cabinet. Le nombre d'Acadiens à l'intérieur de

l'organe administratif des divers ministères a égaiement augmenté. Finalement, la

traduction - en français - des débats de l'assemblée législative a été instaurée dès

l'arrivée de Robichaud et un projet de loi sur les langues officielles décrétant le

bilinguisme dans l'administration provinciale a été adopté en 1969. Cette même

année, le Canada promulgue sa loi sur les langues oficielles. Ensemble, ces deux

lois devaient garantir à la population acadienne l'accès à un service dans sa langue

aux niveaux fédéral et provincial. Or, encore aujourd'hui, ce service n'est pas

toujours facile d'accès. Lorsqu'on appelle Transport Canada pour connaître l'état

des routes du Nouveau-Bmnswick, par exemple, l'information préenregistrée n'est

disponible qu'en anglais et aucun lien au service en français n'est indiqué.

Les changements scolaires des années 1960 ont eu lieu dans le cadre d'un

pro,ommme de réaménagement général du système de taxation. Ce pro+gramme,

baptisé <<Chances égales pour tous», avait pour but d'équilibrer la situation

économique de la province. C'est-à-dire de comger le fait que les régions les plus

pauvres avaient à payer des taxes plus élevées que les régions plus riches afin de

recevoir un minimum de services. Avec la réforme scolaire des années 1940, par

exemple, chaque comté était responsable du financement de ses écoles. Puisque les

comtés pauvres étaient souvent composés de grandes familles, ils ne pouvaient pas

se payer la même qualité d'enseignement que les comtés riches, même si chaque

contribuable payait le double en taxes. Prenons un exemple : les contribuables d'un

comté dans lequel il y a en moyenne trois enfants par famille payent $3,00 en taxe

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scolaire chacun. Pour se payer la même qualité d'enseignement, un comté dans

lequel les familles ont en moyenne douze enfants doit demander $12,00 à chaque

contribuable. soit quatre fois plus d'argent que dans les comtés riches.

Avec la centraiisation de l'assiette fiscale à Fredericton en 1967, le gouvernement a

pris la responsabilité d'assurer le financement de l'éducation dans toute la province.

Ceci s'est traduit par un salaire égal pour compétences égales pour l'ensemble du

personnel enseignant, et par des écoles et du matériel scolaire mieux entretenu

partout dans la province. De plus, le système scolaire a subi une nouvelle

consolidation de ses 423 districts en 33 plus grands districts. LES districts acadiens

étant parmi les plus pauvres, ces réformes ont eu pour conséquence de grandement

améliorer l'éducation acadienne.

Les années 1960 ont également vu de grands changements au niveau de l'éducation

post-secondaire. En effet, le plus -pnd de ces changements a été la laïcisation des

coll?ges et universités : 1963 est I'année de la fondation de l'Université de Moncton

et en 1967 elle a été placée sous le contrôle des laïcs. Six ans plus tard, la formation

des enseignants et des enseignantes sen également prise en charge par cette

institution d'éducation supérieure.

Quoique la création de l'université de Moncton représente une étape positive dans

Ie développement de l'Acadie du Nouveau-Brunswick, i l importe de noter que ce

développement a déplacé le centre des études supérieures du sud-est et de la

formation du personnel enseignant francophone de Memrarncook vers Moncton :

l'université Saint-Joseph a été intégrée à l'université de Moncton pour devenir la

Faculté des arts. En plus, la congrégation des religieuses de Notre-Dame a fermé

son collège plutôt que de se laisser gérer par les Pères Sainte-Croix de l'Université

de Moncton (cf. McKee 1995). LRs filles du sud-est perdaient donc, comme leurs

consœurs du nord-est et du nord-ouest durant la même époque, leur collège. Une

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ancienne étudiante du collège Notre-Dame d'Acadie, et aujourd'hui mère de jeunes

enfants à Mernrarncook, est pamii les femmes qui m'ont accordé une entrevue.

Dans la citation ci-dessous, Marie-Hélène se souvient des dernières années du

collège et de la rapidité des changements :

Entrevue 1997

Marie-Hélène : Oui, oui. Donc j'étais comme externe, j'allais faire mon secondaire 15, mais rendue en dixième, quand j'allais prendre ma onzième année, là y a arrivé un choc : la municipalité ne payait plus. Donc je devais aller à Vanier [école régionale]. Mais là les bonnes sœurs se sont approchées de moi, puis y m'ont dit «si tu dis pas à personne, on te laissera finir ta onzième pour te donner une petite bourse». Ça fait j'ai pas dit à personne, sauf que je te le dis maintenant, puis j'ai fait ma onzième. Mais là malheureusement l'école, le collège a fermé ses portes pour [l'ouverture de] l'université. Donc je suis diplômée de Vanier, mais j'ai fait ma douzième au collège Notre-Dame, ça fait j'étais une de ces paquets de filles Ià qu'à pris une classe à Vanier puis on s'est trouvé un petit peu mai à l'aise, mais on a fini notre douzième année là. Puis de là j'ai rentré au campus de l'université de Moncton.

Les Pères eudistes d9Edmundston dans le nord-ouest et de Bathurst dans le nord-est

ont également perdu le contrôle de leurs collèges pour garçons. Bathurst a fermé ses

portes en 1963 et Edmundston et tombé sous le contrôle des Pères Sainte-Croix du

sud. L'élite acadienne réussissait à faire de Moncton le centre de développement

culturel. économique et intellectuel acadien. Une telle centralisation permet la

création de réseaux plus restreints et de construire une vision acadienne dominante.

Selon Thériault (1993 : 84). la prise en charge par le gouvernement des institutions

jadis sous le contrôle de l'église catholique - hôpitaux, collèges et universités - y

est pour beaucoup dans la politisation des débats en Acadie : avant cette prise en

charge, la société acadienne pouvait se développer en marge du pouvoir politique,

mais dès lors, il faudrait s'impliquer dans les débats politiques pour garantir la

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survie de la société acadienne. Ici on est devant une situation où it faut

continuellement lutter pour être autrement que la majorité. Même lorsque l'Acadie

du Nouveau-Brunswick se sera dotée, en 1974, dun ministère de éducation francophone, ce sera sous le contrôle de l'appareil gouvernemental de la province.

Le gouvernement libéral de Robichaud a été défait aux élections de 1970 par le

conservateur Richard HatfÏeld. En 1972, le Parti acadien est fondé à Bathurst avec

le but de voir aux intérêts particuliers des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-

Brunswick. Un des buts éventuels de ce parti politique était ta ckation d'une

province de I'Acadie ou une séparation complète des mondes francophone et

anglophone. Ce parti nationaliste ne survivrait que pendant dix ans, mais, selon

Thériault (1993 : 84), il a néanmoins contribué à la promotion de l'idée d'un partage

équitable des pouvoirs entre francophones et anglophones. Outre le nombre

grandissant de ministres et de sous-ministres acadiens, c'est en éducation que le

partage des pouvoirs est le plus *md.

En 1974. le ministère de l'Éducation a été réorganisé en trois départements : deux

départements, l'un francophone, l'autre anglophone, s'occupent de la programmation

et de i'évaluation dans leurs écoles respectives ; un dernier département gère les

finances. On parle alors de dualité linguistique, mais, puisqu'un seul département

contrôle les finances de tout le système scolaire, on ne peut pas dire que

l'autonomie, ni le partage complet soient obtenus. De plus, les dernières minorités

francophones à être constituées en districts francophones à part entière ne l'ont été

qu'en 1978 et la dernière école bilingue à fermer ses portes est celle de Grand-Sault

en 1988. Ceci démontre bien comment, même si les francophones contrôlent leurs

programmes et les évaluations provinciales des élèves, ils et elles ne sont pas libres

d'organiser et de gérer leur système scolaire comme bon leur semble : les

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départements du ministère relèvent toujours d'un seul ministre et celui-ci, d'un

gouvernement et d'une population à majorité anglophone. La population acadienne

est, cependant, beaucoup mieux placée pour revendiquer ses droits et influencer son

avenir politique et scolaire qu'elle ne l'avait été avant les années 1960. La part des

femmes est toujours moins importante que ne l'est celle des hommes par contre.

puisqu'aucune n'a encore accédé aux postes de ministre ou de sous-ministre de

lsducation.

En plus de la réorganisation du ministère de l'Éducation, les années 1970 ont vu

l'introduction des écoles polyvalentes. Ces écoles secondaires offraient et offrent

toujours des cours à options à divers niveaux - général, académique et avancé -

et des services d'orientation, de psychologie scolaire et d'orthopédagogie. Les

services de psychologie et d'orthopédagogie ont également été offerts aux écoles

élémentaires et intermédiaires. Ce sont ces services qui payeront une grande part de

la note lors des compressions budgétaires des années 1980 et 1990.

Or, afin d'offrir ces services, on devait aller chercher un plus grand bassin de

population. Pour certains élèves, cela veut dire un trajet d'autobus de plus d'une

heure, matin et soir. Une seule polyvalente a été construite, par exemple. pour

l'ensemble du Grand Moncton et la campagne environnante. C'est alors que les

élèves de Memramcook se sont retrouvés à l'école Lionel-Groulx, ouverte en 1970 à

Dieppe, pour leurs études secondaires. Cette intégration à une école de la ville n'a

pas été facile. Plusieurs personnes m'ont parlé de la difficulté qu'elles ont eue à

partir de leur vi llage pour parfaire leur secondaire à Dieppe, dont Ginette, une mère

de famille :

Entrevue 1997

Phyllis : Quand t'es arrivée à Lionel-GrouIx, as-tu trouvé une différence?

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Ginette : Ah oui. (...) Une période d'adaptation que j'oublierai jamais. (...) Non, non, on venait de Memnmcook pour vrai, là. Les Memramcookers. Ils nous appelaient de même les Cookers. Tu sais, l'école avait ouvert, c'était quoi, ça faisait deux ans, je pense qu'elle était ouverte quand je suis allée là. (...) Dans ce temps-là, c'était plus évident. Aujourd'hui, je sais pas, on a évolué certainement. Non, mais nous autres, on était vraiment les Cookers.

ur d'autres, c'est le traitement reçu aux mains des enseignantes qui était le pl

difficile à vivre. C'est ce que raconte Dorothée :

Entrevue 1997

Dorothée : Ben, je sais pas. On dirait que t'aimes à rester dans ta paroisse, j'aimais ça, moi. J'aimais ça dans mon petit village comme, c'est ton monde. Quand t'arrives à Lionel-Groulx, c'est toute, ah, je crois, vraiment j'ai pas aimé ça à Lionel-Groulx. Je trouvais que c'était trop loin premièrement. J'aimais pas ça moi, rester sur l'autobus 45 minutes, tu perdais assez ta journée. Le matin, puis le soir. T'arrivais, i l était 4 h et quart, tu soupais, puis là, c'était aux études de nouveau, tu sais, faire tes leçons. Non. Moi, j'aurais préféré, c'est comme avant, à l'École Henri-Dugas, tu faisais ta douzième, ah, ça aurait été parfait. (...)

C'était pas juste l'idée d'être sur l'autobus, c'était, comme, l'atmosphère même. (...) On se tenait tout notre groupe de Memramcook, comme, tout le monde avait leur groupe à l'école. C'était un groupe de Dieppe, un de Memramcook, o n avait tous notre groupe. C'était pas comme à Henri-Dugas, c'est ça que je veux dire. Je m'ai vu dans une classe, par exemple, que j'avais été dit qu'il y avait une maitresse qui aimait pas le monde de Memramcook. (...) Je l'ai aperçu vite. J'étais la seule de Mernramcook dans la classe encore, puis je faisais bien, c'est en anglais, il me semble que je faisais bien. Puis t u te sentais toujours, c'était toi qui étais comme la brebis noire. Elle te le laissait savoir.

(...) Ah, comme je me souviens, juste un exemple, j'avais fait un

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test, puis j'avais bien fait sur le test, j'étais assez excitée, je regardais mon test, ben elle dit, y a-ti un problème avec toi? Je l'ai eue une deuxième année, par exemple, comme quand j'mive en 1 le année, je l'avais de nouveau. j'ai pensé, y a pas deux professeurs qui me faisaient sentir comme elle. comme. tu pouvais vraiment dire. Elle était mieux, là, elle était mieux en onzième année, elle était pas qu'est-ce qu'on appellerait gentille, j'aurais mieux aimé qu'elle m'aurait pas fait mine en toute.

Encore aujourd'hui, certains jeunes vivent des difficultés d'intégration à Lionel-

Grou1.u. Certains parents croient que leurs enfants ont un meilleur français que ceux

de la ville et que, de surcroît, ils n'ont pas le même système de valeurs. Ces

différences créent certaines difficultés d'adaptation :

Entrevue 1997

Ginette : J'ai été au [complexe sportifl. à la nage, pas tellement longtemps passé, j'ai vu une madame que j'avais vue à la TV, qui parlait de I'alzheimer, puis ça. On parlait de la région. Elle a dit, qu'elle avait des racines à Memramcook, puis elle dit, «les élèves de Memrarncook sont beaucoup plus polis, sont plus respectueux. On peut dire la différence que c'est pas des étudiants de Dieppe- Moncton, hein? Parce que c'est ça, ils ont pas le GO what, whatever!» Okay? fuis ils ont pas cette attitude-là, ça fait que pour eux, elle dit c'est un gros stress, de les voir arriver. C'est quelqu'un qui travaille en psychiatrie ii l'hôpital, puis elle a été en communauté, puis tu sais, là. Elle disait, «les jeunes de Mernramcook qu'arrivent à Lionel-Groulx, c'est pas mal un gros choc». C'est vrai. Moi c'est de quoi que j'ai jamais oublié.

D'autres parents situent le problème dans un écart entre les exigences des écoles de

Memrarncook et de celles des écoles de la ville. Ici, ce sont les enfants de

Memramcook qui sont moins bons :

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Entrevue 1997

Sheila : What 1 do know is that a lot of the kids from down here in Memrarncook, once they hit Lionel-Groulx, are having a lot of trouble with their French. (...) A lot of trouble. You see a student down here that has about an eighty percent in their French going to LioneI-Groulx and barely make it through. Don't ask, 1 don't know what the reasoning is but it is tme. A lot of thern.

Phyllis : No one has ever tried to explain i t to you?

Sheila : They just Say it's the different types in teaching, that down here like it's more of, it's not a one on one, but it's different in teaching. And a lot of people have stated that it's a different type of French. Now, it could be something to do with the fact that some of the teachers in Lionel-Groulx are from either Quebec, there's one from France. Where down here it's local (...) and 1 think they're not as hard marking on the students if they put a le for a la or whatever they wnte. not really k ing (coxrected) ** for now. When they go to Lionel-Groulx, it tdces a lot for them to learn that they are going to be corrected on it. They really have a problem with that, with the grammar part of it. So 1 think that the grades, 1 would Say probably five to eight now, should become more stringent on their marking.

Un informateur maintient, pour sa part, que Lionel-Groulx est un foyer

d'assimilation. II s'agit ici d'un représentant élu d'une des communautés de

Memramcook :

Entrevue 1997

Euclide : Parce qu'ils ont pris, ils sont après urbaniser toute la niralité. Y a plus de valeurs ici. Comme i l y avait un temps. k s jeunes sont pareils comme ceux-là à la ville. Parle y eux là, même idéologie. Ils n'ont pas. Puis la quand t'as ça, c'est de l'a-ssi-rni- lation qu'ils appellent, c'est ça que c'est rendu. C'est pour ça qu'il y a des problèmes partout.

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L'enseignement que dispense la polyvaiente Lionel-Groulx serait donc, aux yeux de

mes informateurs et informatrices, coercitif: il pose une action civilisatrice

(changement de valeurs) qui passe par la normalisation de la langue (,anmrnaire ;

un autre type de français). Au chapitre quatre, nous verrons que ce travail se fait

également au primaire. Les informateurs et informatrices qui ont parlé de leurs

expériences à la polyvalente ont ressenti ce rejet (<(c'était toi qui étais ta brebis

noire : « on était vraiment les Cookerw) et en parlent encore avec beaucoup

d'émotion (<c'est de quoi que j'ai jamais oublié»). Comme on le verra au prochain

chapitre, ces expériences ont influencé le travail de reproduction sociale de

cenaines mères : elles enseignent consciemment un français plus standard à leurs

enfants.

Or, en épousant les valeurs linguistiques de l'école, il est possible que ces femmes

participent à ce que le dernier informateur cité appelle l'assimilation. Ce que ne dit

pas explicitement cet informateur c'est que, tout comme son fils, les jeunes ne

reviennent pas pour y rester et la population de Memramcook diminue en faveur de

la ville. Ceci entraine le vieillissement de la communauté et la fermeture d'écoles.

C'est tout au moins l'explication que le gouvernement libéral de Frrank McKenna,

qui gouverna le Nouveau-Brunswick de 1987 à 1999, a donnée aux parents de la

Vallée lorsqu'il a fermé trois de leurs écoles. Avec la venue du premier ministre

McKenna, la province du Nouveau-Brunswick a vécu un retour vers la droite et une

grande centralisation du pouvoir décisionnel. Alors que le Parti libéral est

traditionnellement vu c o r n e un parti plus populiste que le Parti conservateur, sous

le leadership de McKenna, les libéraux ont agi plus souvent en faveur des

entreprises qu'en faveur de la population.

Ce gouvernement devrait s'attarder à revenir à la philosophie libérale, qui est de se rapprocher de la population en général. Ce gouvernement est beaucoup trop à droite pour un Parti libéral. Il

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protège les grandes entreprises et ne porte pas assez d'attention à la population. Nous avons le plus bas taux de prestations de l'aide sociale au Canada. il serait temps que ça change (Albert Doucet, ministre suspendu du caucus libéral, cité dans Godin 1997).

Sous ce gouvernement. le Nouveau-Brunswick a connu une politique d'austérité qui

a entraîné l'appauvrissement de la situation des francophones. Une plus kgande

surveillance linguistique des élèves et du personnel enseignant n'est qu'une des

conséquences de ce retour vers la droite dans le système scolaire.

U;\: RETOUR VERS LA DROITE

Pendant son dernier mandat comme premier ministre de la province, Richard

Hatfield a connu une perte de popularité fulgurante et, à l'élection de 1987, les

libéraux de Frank McKenna ont remporté 53 des 58 sièges et le parti Confederation

of Regions, avec sa plate-forme d'anti-bilinguisme, est devenu l'opposition

officielle. Avec ce changement politique, le système scolaire a connu des

expansions, mais il a surtout connu des compressions et un retour vers la droite. Ce

retour a engendré une plus bgande recherche de légitimité de la part du système

scolaire francophone de la province : on fait tout en son pouvoir pour prouver

I'efficacité des écoles acadiennes. Dans cette section, on parlera de tests

diagnostiques et de fin d'études secondaires, ainsi que de l'évaluation du personnel

enseignant. trois exemples du zèle avec lequel le système francophone cherche à

assurer sa légitimité et garantir la survie de son marché symbolique.

L'expansion la plus attendue au Nouveau-Brunswick a été l'établissement des

maternelles publiques. Un système facultatif a été intégré au système public en

1991. mais cela faisait déjà près d'un siècle qu'on l'attendait et vingt ans que les

gouvernements le promettaient. Depuis le milieu des années 1970, luniversité de

Moncton offre un baccalauréat en éducation préscolaire et ce sont les diplômés de

ce pro,mrne qui ont occupé les postes créés en 1991. Malheureusement, ce

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personnel enseignant a dû accepter un salaire inférieur à celui reçu par leurs

collègues des autres niveaux. Ces enseignantes n'atteindront l'équité salariaIe qu'en

1999. De plus, pour fêter l'arrivée des maternelles, l'Acadie Nouvelle, le seul

quotidien francophone du Nouveau-Brunswick, a consacré une entrevue au seul

homme à occuper un de ces nouveaux postes. Même lorsqu'il est question de fêter

la reconnaissance d'un travail féminisé peu rémunéré, on réussit à placer un homme

au centre des célébrations publiques.

Une enseignante de la maternelle souligne également une différence marquée entre

la maternelle française et celle anglaise : alors que la maternelle française est axée

sur l'apprentissage des prérequis sociaux et académiques dans un environnement de

jeu structuré, la maternelle anglaise est un lieu de jeu peu structuré et moins dirigé

vers la préparation aux apprentissages scolaires à venir. il serait intéressant de

savoir sur quel modèle chacun des deux types de maternelle est basé. Pourquoi cette

plus &gande exigence chez les francophones dès l'entrée en maternelle?

Pour ce qui est des compressions des années 1980 et 1990, le personnel enseignant

a été le premier touché : les salaires ont été réduits et gelés, l'année scolaire a été

rallongée de cinq jours et le nombre de journées de perfectionnement professionnel

a été réduit de cinq à trois. Le personnel enseignant s'est donc vu obligé de se

perfectionner dans ses temps libres. En fait, le MENB offre un nombre grandissant

de sessions de formation durant la saison estivale. De plus, avec la fusion des

conseils scolaires, le personnel responsable du soutien pédagogique (conseillers,

conseillères, aujourd'hui agents pédagogiques) a vu ses effectifs diminuer de moitié.

Ce personnel relève maintenant directement du ministère plutôt que des conseils

scolaires, donnant ainsi au ministère un contrôle plus direct sur la pédagogie.

Finalement. les services de psychologie, d'onhopédûgogie et d'onhophonie

continuent à subir des coupures massives de personnel.

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Les coupures du personnel spécialisé ont été rationalisées sous le prétexte de

I'inté*mtion des éIèves à besoins spéciaux. Cette intégration devait se faire pendant

des périodes variables selon les capacités de I'élève ; d'un tien à une pleine journée

scolaire avec une aideenseignante. Le rôle de I'orthopédagogue devenait de plus en

plus administratif : soutien à l'enseignante ou à l'enseignant de la classe régulière:

phification du programme éducatif de I'élève en difficulté: évaluation de I'élève

avec l'enseignante ou l'enseignant; éducation des titulaires de classe. De plus.

I'orthopédagogue devait faire un suivi et un certain enseignement auprès des élèves

en plus &mde difficulté. Dans certaines écoles, ceci est toujours le cas. mais dans

d'autres. plus petites ou éloignées des grands centres, le nombre d'élèves dans une

classe «intégrée» est diminué mais l'enseignante ou l'enseignant est responsable de

la rédaction et du développement du programme éducatif. de l'évaluation. et de

I'enseignement spécialisé requis par l'élève à besoins spéciaux. Ceci sans aide-

enseignante et un soutien minimal du conseiller ou de la conseillère en adaptation

scolaire. Telle était la situation d'une des enseignantes qui a participé à cette

recherche.

Le virage vers la droite du système scolaire du Nouveau-Brunswick, semblable au

«back to the basicw américain, a vu un retour au tronc commun de cours au niveau

secondaire et la diminution du nombre de cours à option et des niveaux de cours

disponibles. En plus, les examens provinciaux ont revu le jour et comptent pour

4010 de la note finale des cours au niveau secondaire. Les élèves francophones de la

le et de la 8' année écrivent également des examens provinciaux en mathématiques

et en frayais. Alors que ceux-ci se voulaient diagnostiques, sans but de sanction

des études ou de comparaison des écoles et des districts, ils sont utilisés à ces fins.

Comme l'admettent des membres du dépanement d'évaluation du MENB, ces

examens ont un but implicite, soit la sanction du système; il faut démontrer

l'efficacité et la validité d'un système scolaire minoritaire. il n'est donc pas

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surprenant que les enseignantes enseignent, par peur de se faire juger elles-mêmes,

pour que les élèves réussissent le test. Une direction d'école me disait récemment

qu'il fallait commencer dès aujourd'hui à préparer les élèves de la 4' année pour le

test de la 8' année. On parle moins des apprentissages que les élèves doivent faire

que de la note qu'ils et elles doivent obtenir.

Du côté anglais, les examens du ministère ont été institués plus tard que chez les

francophones et ils ne sont écrits qu'en huitième et en douzième année. De plus, ils

ne semblent pas être rattachés à la sanction du système. Conséquemment, les

enseignantes francophones se disent visées et d'autres actions du MEM3 confirment

ce sentiment.

Jugeant que les connaissances du corps enseignant ne sont pas suffisamment

développées, le rapport d' une Cornmission d 'enqlcête sur 1 'e-rcellence en édricarion

mise sur pied en 1991 indique qu'il serait souhaitable de revoir la formation à

l'enseignement, ceci afin d'accroître le niveau de connaissances générales et

«d'améliorer de façon considérable le niveau général de rendement académique des

nouveaux enseignants» (Landry et Downey 1991 : 14). De plus. il est question

d'ajouter un stage d'une année à la fin du baccalauréat en enseignement et, tel que

déjà mentionné, d'encourager le personnel enseignant à assumer son propre

perfectionnement». Avec la mise en place d'un système d'évaluation du personnel

en 1998, ceux et celles qui ne participent pas aux sessions de formation estivales

mises en place par le MENB voient un jugement négatif placé dans leur dossier

professionnel. Ce système d'évaluation du personnel enseignant n'a pas son pareil

dans le système anglophone.

Les recommandations de la Commission d'enquête sont faites dans un langage

humaniste : leur but est d'améliorer le contenu et l'image de la profession

enseignante, on reconnaît que le personnel enseignant a q e u d'influence sur la

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façon dont leur profession est conçue, structurée ou régie. Et quant aux petits

avantages accessoires dont jouissent les professionnels, Ies enseignants, eux en ont

peu), (Landry et al. 1991 : 13). C'est la correction de cette situation que les

commissaires cherchent à accomplir. Malheureusement, il n'y a aucune discussion

sur les avantages accessoires» dont les enseignants et enseignantes pourraient

bénéficier et, au lieu &auamenter le niveau de contrôle du personnei enseignant sur

leur profession, on suggère une augmentation du temps de formation et

l'implantation de nouvelles formes de gouvernes externes : les stages de la fin du

baccalauréat ; l'évaluation des éIèves par le gouvernement ; l'ajout de tâches telles

que l'enseignement par ordinateur et le développement de «l'esprit d'initiative et

d'entreprise» (p. 12) nécessaire à la formation de futurs entrepreneurs et

entrepreneures ; et finalement, puisque, q x u d'enseignants (sic) ont travaillé en

dehors du système scolaire>> (p. 1 3 , la recommandation de stages dans une

entreprise privée pour le personnel enseignant, «afin que les enseignants puissent

s'acquitter avec enthousiasme et compétence de cet aspect [le développement de

l'esprit d'initiative] de leurs responsabilités pédagogiques».

Le gouvernement McKenna a également procédé. à son tour, à une réorganisation

de la carte scolaire. Dans cette nouvelle consolidation, les plus petites

communautés acadiennes, situées dans les régions de Fredericton, de Saint-Jean et

de Newcastle, ont perdu le contrôle de leurs centres scolaires communautaires.

Ceux-ci ont été amalgamés à de plus grands districts francophones éloignes des

communautés en question. La commission scolaire de Fredericton, par exemple,

qui ne régissait que le centre scolaire communautaire du même endroit, fait

maintenant partie du district de la région de Moncton, située à deux heures de route

de l'école. Depuis 1991, on assiste de plus en plus à la fermeture de petites écoles

en faveur de plus grandes.

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En 1995, le gouvernement a implanté le concept du primaire qui inclut tous les

niveaux de la maternelle à la huitième année (M-8). Avant cette date, seuls les

niveaux de la matemelle à la sixième année faisaient partie du primaire et les

septième, huitième et neuvième années étaient les niveaux intermédiaires. Le

secondaire débutait en dixième année et se terminait avec la douzième année. Au

primaire, une enseignante est responsable d'une classe et enseigne la majorité des

matières, seules la musique et l'éducation physique sont enseignées par d'autres

enseignants ou enseignantes. À l'intermédiaire et au secondaire, les enseignantes

sont responsables d'une classe, c'est ce qu'on nomme «une classe titulaire», mais

n'enseignent qu'une ou deux matières qu'on dit «de spécialisation». Normdement,

une enseignante du primaire fait un baccalauréat en enseignement au primaire et y

fait des cours de didactique de l'ensemble des matières scolaires, à l'exception de la

musique et de I'éducation physique, domaines laissés à des qécialistes». LR

personnel enseignant de l'intermédiaire et du secondaire fait une majeure ou une

mineure dans la matière qu'il ou elle désire enseigner et n e fait que les cours de

didactique qui s'y rattachent. C'est ainsi que les enseignantes du primaire disent

enseigner aux enfants alors qu'au secondaire, on enseigne une matière. L'insertion

des septième et huitième années dans le devait donner lieu à un

changement de cet ordre : le personnel enseignant ne serait plus composé de

qkcialistes» de matières et enseignerait la majorité des matières scolaires à sa

classe d'élèves. Ce dernier changement a été implanté de façon inégale dans la

province pour deux raisons principales.

Premièrement, l'insertion des septième et huitième années au primaire devait mener

à la création d'écoles primaires où l'on retrouverait des élèves de la matemelle à la

huitième année. Or, dans certains milieux, cela aurait exigé la constmction de

nouvelles écoles. Alors que ce changement physique facilite le changement

phi losophique (enseigner aux élèves ou enseigner des matières), l'aménagement

Page 99: NQ49849.pdf - TSpace - University of Toronto

d'écoles primaires M-8 ne se fait qu'au fur et à mesure que d'autres conditions

l'exigent ou le facilitent. Le piètre état physique d'une ou de plusieurs petites écoles

est une condition qui peut exiger l'aménagement d'une plus grande école. La

diminution du nombre d'élèves entraine, pour sa part, la fermeture d'une ou

plusieurs petites écoles et le transfert de leurs élèves à une plus p d e école de la

même localité. L'espace de la plus grande école est ainsi utilisé à son maximum.

Une autre condition qui facilite l'aménagement d'une école M-8 est une

augmentation de la popuIation étudiante dans une localité, créant ainsi le besoin

pour une nouvelle construction. Cette dernière situation se fait rare en Acadie du

Nouveau-Brunswick.

En deuxième lieu, le changement de la spécialisation vers la généralisation est laissé

à la discrétion des districts scolaires et certains ont choisi de ne pas imposer ce

changement à un personnel enseignant qui y résiste. Le personnel enseignant de

l'ancien intermédiaire est généralement réfractaire au changement philosophique

proposé. Ces enseignantes et enseignants affirment ne pas avoir reçu la formation

nécessaire pour enseigner toutes les matières et que de toute façon, rendu en

septième année. une telle charge de travail serait trop grande. Ils citent en exemple

la longueur et la quantité de textes et de travaux à comger: les élèves de ces

niveaux produisent plus que ceux des niveaux inférieurs.

Puisque ce changement a eu lieu suite à l'année de ma collecte de données, je ne

peux pas dire si le changement vers la généralisation s'est produit à Memrarncook.

Or, plusieurs de ses petites écoles ont été fermées, dont celles de Du Bouleau et de

l'école Près du Lac. L'école Henri-Dugas, située à Saint-Joseph, accueille

maintenant tous les élèves francophones de la Vallée, de la maternelle à la huitième

année et ce. non sans avoir fait revivre des tensions entre villages.

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Depuis la fondation du Collège Saint-Joseph dans la paroisse de Saint-Joseph, la

grande majorité des infrastructures et services de la Vallée de Memramcook y ont

également été construites. C'est le cas de l'école régionale qui accueillait

l'ensemble des élèves de la Vallée à patir de la cinquième année, de l'aréna, du

temain de golf, celui de soccer, la piste et pelouse, le terrain de jeux, la caisse

populaire, les restaurants. la banque, le foyer et le bureau municipal. D'autres

paroisses ont tenté de mettre en place de telles infrastructures, tant privées que

pubIiques, mais sans succès. Avec I'instailation de l'école à Saint-Joseph, les

habitants et habitantes des autres paroisses voient leur communauté perdre encore

une fois au profit de Saint-Joseph. Ce ne sont pas les enfants de Saint-Joseph qui

auront un kgand trajet d'autobus à faire avant d'arriver à I'école le matin et à la

maison le soir. Ce ne sont pas les enfants de Saint-Joseph qui seront déjà fatigués à

leur arrivée à l'école ou, comme le raconte une mère pour les élèves de sa paroisse,

qui n'arriveront pas à l'heure :

Entrevue 1997

Ginette : I'école commençait à quoi, huit heures 45, puis nos jeunes arrivaient juste i l'école 9h15, manquaient 30 minutes de français. okay. tous les matins.

Phyllis : Tous les matins.

Ginette : Tous les matins. Puis j'avais appelé au Conseil scolaire i Shédiac, mais c'est ça, y avait des parents qui sont plus a~ess i f s puis que, mais, ça pris jusqu'au mois de, ah, c'est ben dans l'hiver, di sons, peut-Stre en janvier, février, mars, okay, avant qu'i 1s changent le trajet d'autobus pour avoir les étudiants à l'école à temps. Ça fait que peut-être plus tard, dans 20 ans, là, ils vont dire, ben ces étudiants-là, ils manquaient 15, 30 minutes de français chaque matin, ben, là, ça se trouve parce qu'ils sont rendus à tels niveaux, ils sont à l'université, iis peuvent pas écrire. Tu sais, peut-être, on ne le sait pas. Mais y avait rien, je pouvais appeler [au conseil scolaire] vingt fois dans la journée, i l allait pas

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pas avoir son français.

En plus de ces tensions entre villages, l'annonce de la fermeture des écoles Du

Bouleau et Près du Lac a provoqué beaucoup d'inquiétude chez les mères qui

auraient à envoyer leurs jeunes enfants à I'école avec les plus p d s :

Entrevue 1997

Lise : Moi, c'était plutôt ça, j'ai eu peur. Je sais qu'ils ont enlevé les neuvièmes aussi, mais c'était d'avoir des jeunes de maternelle, qu'ont 4 ans, quatre ans et demi, et 5 ans, avec les grands, 12, 13 ans. Parce que je me rappelle, quand j'ai commencé la sixième à Henri-Dugas, les neuvièmes y alliont piquer sur nous autres. Moi, c'est la première chose que j'ai pensé c'était à ça. Moi, j'étais pas pour au début. Ah, je disais, vois-tu des plus jeunes avec les plus vieux ? 11 y en a qui sont ben corrects, mais y en a d'autres qui peuvent être effrontés. S'il commence l'école en haïssant ça, il va pas enjoyer ses années d'école. Au début, je pensais, ah My God. ça va vraiment nuire aux jeunes. Mais après tout, sur le côté éducation, je crois que c'est mieux. (...)

Ben, comme moi, c'est ma belle-sœur, comme, elle était sur le comité, puis elle a venu nous rencontrer parce qu'on avait des enfants qu'allaient à l'école, pour savoir nos opinions. Puis là, ils nous disaient, ben, ah, Henn-Dugas ont des ordinateurs. Ils ont des salles de musique. Lls ont beaucoup plus, ils ont des salles de technologie, ils sont équipés pour 50, 60 mille piastres, tout en ordinateurs.

II a été plus difficile, par contre, pour la communauté entourant l'école Près du Lac

d'accepter ce changement. De mes informateurs, c'est un représentant élu qui m'a

parlé avec la plus grande conviction des raisons qui ont motivé cette opposition à la

fermeture de l'école Près du Lac. Celui-ci pose des arguments d'ordre historique et

financier :

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Entrevue 1997

Euclide : Bien ici c'était Ie père Massé qui avait construit l'école, c'est pas le gouvernement. (. . .) Puis le Père Massé a acheté un autobus. C'est lui qu'a acheté la bus. Quand le gouvernement a décidé de changer les affaires, ils sont arrivés un jour, et ont dit, «on veut la clef de l'école et on veut la clef de la bus». «Oui ? Avez-vous de l'argent ? C'est moi qui a payé. Je donne pas ça». Puis ils sont venus à une entente. Mais ça avait été chaud pour un élan.

Ça c'est Près du Lac, l'autre je sais pas s'ils l'ont mis dedans. Ils ont seulement mis ceux-là qui sont là présentement. Mais, parce que, ils voulaient pas parce que, le gouvernement avait mis un million sur cette école-là l'année d'avant. Ils ont tout fini, toute la couverture à neuf, toute changé les fenêtres. puis là ils la ferment ? Puis ils nous disent de, de, de, prendre puis de haller la ceinture ? Tu sais là ?

En même temps que son gouvernement fermait les plus petites écoles, le

gouvernement McKenna préparait une réorganisation des conseils scolaires : au

début du printemps de 1995, les libéraux ont, sans préavis, aboli le système des

conseils scolaires. Durant l'automne de cette même année. le gouvernement a

institué un système de districts scolaires et de conseils consultatifs de parents. Avec

cette réforme, plusieurs parents croyaient avoir un pouvoir de décision, mais

aujourd'hui, ils reconnaissent de plus en plus que ce pouvoir est extrêmement

limité. Le conseil consultatif n'a, comme son nom l'indique, aucun pouvoir de

décision. De plus, les districts scolaires sont gérés par sept unités administratives,

dont trois francophones, et relèvent directement du ministère de l'Éducation. Leur

personnel cadre, direction de l'éducation et agents pédagogiques, ne jouent plus, en

réalité, qu'un rôle exécutoire.

De son côté, l'Association des comités de parents francophones du Nouveau-

Brunswick a toujours maintenu que ce changement structurel était inconstitutionnel

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puisqu'il enlevait aux francophones le droit de gestion de leur système scolaire. ils

ont entamé des procédures légales afin de faire renverser la décision du

souvernement McKenna. La lutte pour le contrôle des écoles acadiennes n'est pas

terminée.

Ce n'est pas uniquement les acquis dans le domaine de l'éducation que les

francophones du Nouveau-Brunswick ont à protéger, voire même à renégocier. Les

francophones du sud-est et la Société des Acadiens et des Acadiennes du Nouveau-

Brunswick mènent également une lutte sur un autre front; les commeqants des

grands magasins et des centres d'achats affichent de moins en moins en français et i l

est devenu encore plus difficile de recevoir un service dans cette langue. Malgré une

campagne de francisation, les choses ne semblent pas vouloir s'améliorer. Or,

Moncton a été l'hôte du Sommet de la francophonie, une rencontre des chefs

d'États de 52 pays qui ont le fmçais comme langue de communication, en 1999.

En plus, les Retrouvailles et le Congrès mondial acadien de 1992 a eu un effet

francisant d'envergure. Pendant cet événement, des gens de descendance acadienne,

venus de partout dans le monde (l'Acadie de la diaspora) se sont rencontrés pour

retrouver d'autres Acadiens et Acadiennes. Plusieurs étaient particulièrement

intéressés à retrouver des gens qui portent le même patronyme qu'eux. Le congrès à

donné lieu à une série de conférences sur divers sujets d'actualité (langue, culture,

éducation) en Acadie des Maritimes et chez les Cajuns de la Louisiane (Étas-unis).

La question des femmes n'a pas été intégrée à ce congrès, mais. en parallèle, i l y a

eu un «Sommet des femmes» en Acadie. Les femmes acadiennes continuent donc i

être, et à se constituer en un groupe marginal de l'Acadie.

Durant le mois d'août de chaque année, la section francophone du MENB offre des

sessions de formation à son personnel enseignant, question de le responsabiliser

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face à sa formation professionnelle. À l'ouverture de la session de 1998 en

pédagogie du fmçais, le sous-ministre adjoint à ~'Jkiucation est venu dire un mot de

bienvenue aux participantes (il n'y avait aucun homme dans Ia salle). Son allocution

faisait un lien entre le passé et le présent. Le sous-ministre a rappelé aux

enseignantes que ce n'est que suite à une lutte acharnée que les Acadiens et les

Acadiennes ont obtenu, il n'y a pas si longtemps, le droit à leurs écoles de imgue

française. fl les a ensuite implorées à continuer la lutte et a terminé en disant. Non

compte sur vous».

La lutte à laquelle le sous-ministre faisait allusion est celle décrite dans ce chapitre.

Cette lutte a été menée au mgand jour par des hommes, mais dans l'ombre de la salle

de classe, ce sont des femmes qui ont œuvré au changement. Lorsqu'elles n'avaient

que des livres écrits en anglais pour enseigner, plusieurs enseignantes sont allées à

l'encontre de la directive de leurs supérieurs et ont enseigné en français. Ma mère

raconte, par exemple, que son enseignante n'utilisait l'anglais que lorsque

l'inspecteur venait faire sa tournée. Les religieuses ont également, pendant un

certain temps, eu le contrôle des collèges classiques pour filles et ont ainsi créé un

lieu, pour leurs élèves, de renégociation de l'identité ethnique et sexuée de leurs

éIèves, même si cette construction a eu lieu pour la plupart d'ms les activités

parascolaires. En plus, il est peu probable que les étudiantes avaient une emprise sur

le contenu et le déroulement des cours. Malheureusement, ces filles ont rapidement

perdu l'espace que leur avait créé le collège.

Comme pour ce qui était des cercles pédagogiques, les hommes ont éventuellement

pris en main le travail que les femmes avaient si bien débuté : le collège de Notre-

Dame de l'Acadie n'a survécu qu'à peine vingt ans. Un projet de changement social

instigué par des enseignantes demandera donc une politisation consciente de l'acte

d'enseigner et le courage de nager à contre-courant- L'adoption d'une pédagogie

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libératrice demande que l'enseignante dépasse les bornes d'un encadrement qui se

fait de plus en plus serré pour créer un milieu dans lequel il sera possible d'imaginer

une définition inclusive de I'acadianité. Une telle définition fisque de mettre en

péril la distribution actuelle du pouvoir en Acadie et, conséquemment, de provoquer

un réaménagement qui englobera l'action productrice dans un projet de

reproduction du statu quo. Ce statu quo veut que seul le français pur, le français

standard, soit la langue du pouvoir et que tous et toutes reconnaissent la légitimité

de ce pouvoir.

Demère la lutte pour les écoles françaises, on peut déceler une définition de

I'acadianité qui sert mieux les intérêts de l'élite que ceux de quiconque en Acadie.

Au début, c'est une élite d'hommes qui a reçu une formation dans les collèges des

Sainte-Croix dans le sud et des Eudistes dans le nord : la majorité des familles

acadiennes avaient besoin de la main-d'œuvre de leurs enfants pour subvenir aux

besoins de la famille. Ces jeunes collégiens sont éventuellement devenus les

avocats, les prêtres, les entrepreneurs et les médecins de l'Acadie. Ce sont eux qui

ont assisté aux grandes conventions acadiennes, qui ont élaboré un plan d'action

nationale, et qui ont doté l'Acadie d'un drapeau. d'un hymne nationai et d'une

patronne. Le Catholicisme était, au départ, à la base de I'acadianité définie par ces

s,vrnboles nationaux. Cette définition a également guidé leurs actions nationalistes

puisque leur but premier était l'obtention d'une paroisse francophone. Le curé

nommé évêque de cette nouvelle paroisse serait un des leurs, assurant ainsi à l'élite

acadienne un Iien direct au pouvoir ecclésiastique, grand dirigeant des institutions

idéologiques, ou cellules sociales restreintes, de l'époque (églises, écoles, families.

hôpitaux).

Avec I'industrialisation, les ambitions de cette élite se sont tournées vers une

participation plus grande dans le marché économique- La migration des Acadiens et

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des Acadiennes vers Moncton leur a permis de rêver à un centre de pouvoir acadien

en milieu urbain, près du pouvoir économique néo-brunswickois. Une population

acadienne plus éduquée donnerait une maina'auvre qualifiée pour les entreprises

acadiennes, que ce soit une compagnie d'assurance en quête de personnel de bureau

CU un journal en quête de personnel pour faire fonctionner son imprimerie. Ici

comme ailleurs, ce sont surtout des préoccupations de classe qui ont influencé les

actions de l'élite acadienne.

La mobilisation scolaire a également servi la nouvelle élite acadienne : elle a permis

à l'Ordre de Jacques-Cartier du Nouveau-Brunswick d'étendre son programme

d'action à une plus grande section de la population acadienne, programme qui

servait les intérêts de la francophonie, mais surtout de I'élite acadienne. Celui-ci

inclut id lecture Fie i%?angéhe dans toutes les familles: l'achat de produits

fabriqués par ou vendus chez des Acadiens. C'était là un premier projet qu'on disait

de refrancisation (cf. Savoie 1980 : 70). Importante à ce projet était

l'institutionnaiisation de la dichotomie fiançaidanglais : les Français auraient leurs

institutions scolaires, mais également économiques, eccIésiastiques et politiques.

C'est sur ce plan que Savoie (1980 : 50) peut dire que les femmes ont, sans le

savoir, servi la cause des commandeurs de l'Ordre de Jacques-Cartier.

Les enseignantes ont participé à cette cause de refrancisation par la création des

cercles et chapitres pédagogiques. En ce sens, elles ont été des agents de

changement. Elles ont également répondu en nombre à l'appel vers les cours

d'été, conçus pour pallier les faiblesses linguistiques d'un personnel enseignant à

majorité féminine. Cette main-d'œuvre, investie de la langue standard par le biais

des cours d'été, pourra l'utiliser pour produire et reproduire des êtres ethniques qui

en reconnaissent la valeur - et acceptent son pouvoir hégémonique. L'appel du

sous-ministre de l'éducation actuel cherche à garantir le concours des enseignantes

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dans ia continuité de ce projet de refrancisation en faveur d'une élite masculine,

sans pour autant leur donner une part plus Y m d e des reconnaissances ou des

bénéfices.

Alors qu'elles occupent un nombre aorandissant de postes (30%) de direction d'école,

seulement une minorité de femmes fait partie des équipes de direction des écoles

secondaires, où le pouvoir d'influence et les salaires sont les plus élevés. De plus,

avec ce début de féminisation des postes de direction au primaire, on voit également

apparaître leur dévalorisation et une intensification du travail et des responsabilités

qui en découlent. 11 est de plus en plus difficile de trouver des candidats ou

candidates pour ces postes et le rôle de la direction a été modifié pour inclure non

seulement des tâches administratives, mais égaiement pédagogiques. De plus. le

ratio enseigantldirection a été augmenté et celui secrétariat/enseignant diminué.

Cela se traduit par un nombre grandissant de directions qui doivent assumer une

tâche d'enseignement et combler un manque dans le service de secrétariat.

Finalement, les personnes qui occupent ces postes se voient de plus en plus

supervisées ou guidées avec fermeté dans leurs diverses tâches. Les agents

pédagogiques, par exemple, sont maintenant des accompagnateurs auprès des

directions d'école. il sera intéressant de voir quelle sera la proponion d'hommes et

de femmes dans la prochaine génération de directions dg&ole. Si la dévalorisation et

l'intensification du travail continuent, i l est probable que la féminisation de cette

profession continuera à se faire également.

Dans les deux prochains chapitres, on verra de façon plus particulière comment

deux groupes de femmes, des mères et des enseignantes, continuent à produire et à

reproduire l'hégémonie du français standard et les divisions socides en Acadie,

toujours en faveur d'une élite masculine. Ce travail s'effectue surtout au niveau des

nonnes linguistiques et comportementaies, deux champs dans lesquels il est

Page 108: NQ49849.pdf - TSpace - University of Toronto

possible de poser des actions concrètes. On verra égaiement que l'insécurité

linguistique, tant chez les enseignantes que chez les parents et leurs enfants,

continue à faire partie de I'acadianité du Nouveau-Brunswick. Finalement, des

moyens de faire de l'enseignement un projet de changement social seront explorés

au dernier chapitre de cette thèse.

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C h a p i t r e 3

LE RÔLE DE LA &RE ACADIENNE DANS LA PRODUCTION ET LA

REPRODUCTION DE L'IDENTITÉ ACADIENNE

Le grand rôie de la femme [acadienne] est surtout celui de mère et d'éducatrice. On l'appelle couramment la «gardienne de la race» (Cécile Gallant : 1992 : 5) .

Sans se douter qu'elles étaient les porte-parole de certains [membres de l'élite masculine], de nombreuses femmes ont joué un rôle très important dans des associations [vouées à la cause de l'éducation de langue française] (Alexandre Savoie 1980 : 50).

L'époque décrite par Gallant se situait au début de notre siècle, avant I'émer, dence

du mouvement féministe, et celle à laquelle fait référence Savoie, avant l'ouverture

du premier collège classique francophone pour filles en 1943. Dans le dernier

chapitre, on a vu que les femmes ont été conscientes du rôle qu'elles ont joué. Les

religieuses de Notre-Dame du Sacré-Cœur ont choisi de se scinder de leur ancienne

congrégation, les Sisters of Charity, afin de garantir une continuité de la présence

francophone dans la seule con_mé_oation enseignante de l'Acadie. En créant leur

collège, elles ont ouvert la porte aux études classiques pour les filles et leur ont

donné un espace dans lequel elles reconstruiraient leur acadianité et leur féminité.

Ces religieuses ont été des agentes de changement social. Maiheureusement, l'élite

masculine s'est approprié ce travail lors de l'ouverture de l'université de Moncton.

Des femmes laïques ont également été conscientes de l'aspect communautaire de

leur travail en milieu scolaire. Certaines ont défié les règlements pour enseigner en

français. d'autres sont devenues assistantes au surintendant et ont été les pionnières 101

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de la présente Association des enseignants et enseignantes du Nouveau-Brunswick.

Les hommes ont pris la relève et les femmes n'ont jamais obtenu la reconnaissance

qui leur était due. Cela a permis aux hommes de continuer à définir le projet de

société de l'Acadie en leurs propres termes et selon leurs besoins. Le travail des

enseignantes est ainsi dirigé dans le sens de la reproduction du marché symbolique,

donc du pouvoir, de i'élite masculine. Dans ce chapitre, on vem que le travail des

femmes en milieu familial, c'est-à-dire celui des mères, mène également à la

reproduction de ce marché. Ce travail est un travail linguistique qu'un bon nombre

de femmes effectue de façon tout à fait consciente.

Dans ce chapitre, i l sera donc question du rôle de la mère dans la reproduction et la

production linguistique et identitaire. Alors que certaines données sur le rôle de

l'enseignante commencent à voir le jour, la participation de la mère, gardienne de la

langue et de la culture reste, pour la majeure partie, invisible. Aujourd'hui, à l'aube

du XXI': siècle, quel est le rôle de la femme acadienne ? Est-elle toujours première

responsable de la reproduction de la mce» ou de l'identité acadienne ? Fait-elle,

sans le savoir, le travail pour le compte d'une élite acadienne ?

Le présent chapitre traitera de ces questions en relation avec l'élément identitaire

qu'est la langue française. Pour ce faire, une malyse de données d'entrevues,

menées afin de mieux comprendre le lien entre le travail langagier des enseignantes,

la communauté et le travail des femmes de Mernramcook, sera présentée. Seize

entrevues, dont dix avec des femmes et six avec des hommes, ont été effectuées.

Les premiers contacts ont été établis avec des membres du comité de parents, toutes

des femmes, d'une des écoles de la région. Seule une femme a répondu

positivement à une demande d'interviewer son conjoint, les autres ont répondu qu'il

ne serait pas disponible en raison de son travail. De plus, seulement deux d'entre

elles ont accepté de me donner le nom d'une autre personne, moins impliquée dans

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le travail scolaire qu'elles. Les personnes ainsi identifiées sont des femmes qui,

comme les premières, n'ont pas un travail rémunék Par contre, toutes ces femmes

ont déjà occupé des postes sur le marché du travail. Dans cette cohorte. il y a des

secrétaires, une professeure dans un domaine non traditionnel et une traductrice.

II est possible que les difficultés rencontrées s'expliquent par le fait que toutes les

femmes du comité de parents ont décidé de rester a la maison lorsqu'elles ont fondé

leur famille. En fait, avant de me donner le nom d'une autre personne, une de ces

dernières me dit qu'il faudrait que ce soit une personne qui ne travaille pas. Ces

femmes perçoivent donc les gens qui travaillent à l'extérieur de la maison comme

étant pIus occupées qu'elles. EI est également possible que le réseau de ces femmes

soit constitué pour la plupart de femmes qui ont quitté un travail rémunéré pour

élever leurs enfants. Ii est vrai que plusieurs amitiés de femmes se concrétisent

lorsqu'elles débutent leur vie de mère au même moment mrwin 1985). Les seules

femmes rencontrées qui ne font pas partie de ce réseau sont la maire d'un des

anciens villages de Memramcook et deux femmes rencontrées dans mon milieu de

travail. Une dernière femme est la conjointe d'un représentant d'un ancien District

de Services Locaux (DSL), c'est-à-dire d'une unité administrative sans

gouvernement municipal, donc géré par le gouvernement provincial. En 1995,

l'actuel village de Mernrarncook est né de l'amalgarnation de ces DSL et du seul

village de la région déjà incorporé.

Outre le conjoint d'une des membres du comité de parents, les hommes interviewés

sont tous des représentants élus par la communauté. Quatre d'entre eux ont été des

représentants de leur DSL et un dernier est un des conseillers municipaux du

nouveau village de Mernrarncook. Aucun homme interviewé n'a une scolarisation

de niveau universitaire. Deux d'entre eux ont, par contre. un cours collégial et

travaillent pour le gouvernement, un est mécanicien et l'autre électricien. Un seul

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des quatre autres a terminé son secondaire. Ce groupe moins scolarisé est composé

d'un agriculteur, d'un retraité et de deux ouvriers. Seul l'agriculteur ne doit pas se

rendre en ville pour travailler. Absentes de cet échantillon sont les familles

comptant sur les prestations de chômage ou de bien-être social pour subvenir à leurs

besoins. Aucun parent interviewé n'est à la tête d'une famille monoparentale ou

d'une famille ayant vécu un divorce. Cet échantillon est, en fait, représentatif de la

<(norme» sociale qu'est la famille constituée de deux parents (un homme et une

femme) et leurs enfants (un ou deux seulement). Dans la majorité des cas, seul un

parent, en l'occurrence le père, occupe un emploi rémunéré. Le tableau ci-dessous

présente les caractéristiques des personnes interviewées :

Travail

Mie-Hélène

Denise

Mère et bénévole Mère et bénévole

naissatr ce Sud-Est du NB Sud-Est du NB

Joce 1 yne 1 Memramcook 1 Français 1 Secondaire 1 Mère et

maternelle Français

1 1 1 1 bénévole

Université

Annie

Charles 1 Memramcook 1 Français 1 Secondaire 1 Contremaître

Français 1 Secondaire

Memramcook

--

Gaston 1 Memramcook 1 Français 1 Collège 1 Journalier

Réginald

Euc 1 ide

Français

Memramcook

Memramcoo k

Donata

Doro t hée 1 Memrarncook 1 Francais 1 Collège

Secondaire

Lise Ginette

bénévoIe Mère et

Français

Français

Memramcook 1 Enseignante Français l Memramcook Memramcoo k

Sheila

Yves

1 (immersion)

Collège

Primaire

1 Secrétaire

Mécanicien pour le gouvernement Fermier

Français Francai s

Nord-Est du NB Memrarncoo k

Mère Col Iège Uni versi té

Mère Anglais

Français

--

Mère et Primaire

Collège bénévole Electricien pour le

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Jean Memramcook

Yvette

Français

Mernramcook 1 1 auxiliaire

Français

Malgré le manque de diversification dans cet échantillon, il demeure important de

noter les différences majeures qui existent entre le discours linguistique du groupe

des femmes et celui du groupe des hommes. De plus, cette homogénéité fait

ressortir un élément de différence sociale et personnelle qui serait moins perceptible

avec un échantillon plus hétérogène. En effet, le travail linguistique des mères

diffère selon qu'elles sont plus ou moins scolarisées, alors que l'attitude des pères

vis-à-vis la langue est liée de plus près à son milieu de travail. Avant de passer à

l'exploration de ces discours linguistiques et des différences qui y sont exprimées. il

importe de préciser le contexte local dans lequel évoluent ces discours.

Pri maire

LE PAYSAGE VISUEL

souvernement Fermier à la

Collège

En 1994, la communauté acadienne du Grand Moncton, située à quelques

kilomètres de Memramcook, a été hôtesse du tout premier Congrès mondial acadien

et Retrouvailles de la diaspora acadienne7. Le drapeau acadien. le Bleu, Blanc,

Rouge étoilé, était partout et les familles acadiennes s'affichaient fièrement.

Plusieurs avaient placé une affiche. confectionnée pour l'occasion, munie d'un

drapeau acadien et de leur nom de famille ou du mot «Fêtons» devant leur maison.

On se serait cru en pleine campagne électorale et des blagues ont fait surface en ce

sens : de dire un anglophone à un autre, «What1s the election for?». L'autre répond,

«I dont know, but Fêtons is sure to win». C'est qu'à Moncton, on voyait plus

retraite In fi rmière

- IL conF& donna licu 1 divcrsrs cconfL-rnccs m r i'actuditi. acadirnnc ct Ics Rctrou\dlcs 5 dcs &unions dc iamiUc. c'csr-i-riirc d ~ s drlicrn Jmts hnS3fS. antiiiis. lotilsianis. canadirns. ctc, dcs ;\wdims qui ont v i n Ia diportrition

Jç 1755. 11 y avait la rcuninn dcs I ~ H l a n c , dcs C~audcc. drs Savoic ...

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souvent affiché le mot .fêtons>> que les noms de familles. À Memramcook, par

contre, on voyait plus souvent les noms de famille.

La population de Memramcwk a rendu son visage acadien plus permanent que ne

l'a fait la municipalité de Moncton : le drapeau acadien n'était pas qu'une bannièrp

qu'on pourrait enlever à ia fin de la fête. il était peinturé à même les poteaux et les

maisons. Selon la tradition acadienne, plusieurs ont également confectionné des

figurines pour décorer leur parterre. On y voyait Évangéline et Gabriel (personnages

mythiques symbolisant la déportation), des pêcheurs et des cultivateurs. Dans une

des paroisses religieuses de Memramcook (l'actuel village en englobe trois), on

retrouvait égaiement une personnification de la passe-pierre, une herbe sauvage

utilisée dans la cuisine traditionnelle du coin. Ce personnage faisait partie d'une

campagne de refmncisrition.

Avec le passage du Congrès, Memramcook n'a pas perdu ses couleurs acadiennes.

Au conmaire. certains y ont retrouvé un sentiment d'appartenance à un peuple.

sentiment qu'ils ne veulent plus perdre :

Entrevue 1997

Denise : Mais, j'vas dire y a pas si longtemps que j'suis rendue fière de ma culture puis de ma langue. i l me semble y a pas de choses. y me semble que j'avais pris ça pour acquis. Tu sais, que notre culture allait tout le temps être là, ça faisait partie de nous autres. Mais avec le Congrès mondial acadien, puis c'était un monsieur Ià, j'peux pas penser à son nom. de la Louisiane qui parlait puis qui disait comment qu'eux autres c'était la dernière génération à parler français. J'ai pensé Wow. Tu sais. Ça pourrait être nous autres ça qui le perdrait comme ça là. II me semble que j'avais jamais été consciente que c'était une possibilité de le perdre. (...) Mais Acadiens comme tels, on est pas tellement là, si tu 'gardes euh. Je crois avec le Congrès puis tout ça, j'crois que ça m'a mis plus fière de ma culture.

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De plus, on voit des éléments identitaires intégrés au paysage visuel permanent de

Mernrarncook : alors que cenains affichent plutôt le drapeau du Nouveau-

Brunswick ou du Canada, ou une combinaison des drapeaux acadien, néo-

brunswickois et canadien, plusieurs individus affichent en tout temps leur identité

soit par le drapeau acadien ou par la répétition de ses couleurs dans la confection

d'objets décoratifs étalés sur les parterres.

En ce qui a trait aux institutions, les écoles portent le nom d'Acadiens de la région

ou de lieux acadiens, allant jusqu'à reprendre des toponymes depuis longtemps

effacés des mémoires. Or, démontrant bien leur appartenance à une stnicture

provinciale, ce sont les drapeaux de la province et du pays qui sont les plus visibles;

le drapeau acadien ne fait son apparition qu'à l'occasion. Les églises ajoutent, pour

leur part. à l'image acadienne de Mernramcook en intégrant le drapeau acadien à

leurs vitraux ou en construisant, sur le terrain de l'église, un monument dédié à la

Vierge Marie, patronne des Acadiens et Acadiennes. De plus, lors des célébrations

de l'Assomption, fête nationale des Acridiens et Acadiennes, l'intérieur de l'église de

Lourdes est fièrement décoré de bleu, blanc et muge. LE gouvernement municipal

tente également de faire sa part dans la constitution d'un visage acadien, mais cela

n'est pas toujours facile, car il faut toujours passer par une autorité plus puissante

que soi.

Suite à une réunion du conseil municipal de Mernramcook, un des représentants dit

espérer qu'il sera plus facile de faire changer le nom de sa rue maintenant qu'elle est

incluse dans le village et non dans un DSL. Le membre en question habite sur la rue

La Montagne, anciennement La on tain'. Lors d'une entrevue, un autre membre du

consei 1 municipal explique :

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Entrevue t 997

Yves : C'est la même chose, j'ai été supposé mentionner, on a la place, dans notre district de services locaux, c'était appelé La Montain, depuis des siècles et des siècles. Père Clément cormier9. Qu'osse t'appelles le vieux grand, (...) i l était au Collège Memramcook. Ben, c'est lui qui a voulu faire changer le nom, ils ont fait nommer ça la Montagne, parce qu'il dit que la Montain est un anglicisme. J'ai pas pu comprendre ça, j'ai été le voir. i l était pas en enfance dans ce temps-là, puis il savait pas comment Ca c'est, mais la Montagne, c'est de même les Anglais qui l'ont emprunté de nous autres. Si tu vas dans les plus vieux dictionnaires français. comme Pascal ~oirier" puis ça, la Montain, c'était comme une petite montagne. C'était, eux ils disaient c'était comme Mountain Road, ces affaires-là. Ben, tu sais, t'aurais cm qu'au moins quelqu'un qui était autoritaire comme, ben, on a essayé de le faire changer, puis c'est très difficile.

Alors qu'il est question ici de reprendre une marque identitaire acadienne, on

demande également la francisation des noms de rues nettement anglophones, tels

que celui du chemin Lake. Une informatrice dit, à ce sujet, que l'ajout du mot

chemin ou rue ne suffirait guère; on veut renommer ces rues. En fait, les plus

récentes rues portent des noms acadiens ou des noms qui reflètent I'acadianité de

Mernramcook. On y retrouve par exemple. le chemin «Butte-des-Richard>.

En plus du désir de franciser les noms de rue, une enseigne située à l'entrée d'une

des paroisses de Memramcook dénote un effort plus large de francisation : celle-ci

indique le pourcentage de commerces qui s'y affichent en français. On veut donc

que le secteur privé se francise davantage. Or, en raison de l'établissement d'une des

premières communautés acadiennes. suite à la déportation de 1755, sur ses lieux et

1" \ ' v a fair rkfkrcncc 3u C~IISIT a r d m dc Pascd Poirier (1 852- 1932). Ccnc cruvrc n'a pas &C p u b i i l ~ du v k m r dc I'aurcur. m i s unc diaon critique a p ~ u cn 1993 aux h i t i o n s d':lca&c.

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de l'importance de la région pour le développement scolaire acadien, Memramcook

se dit le berceau de I'Acadie. Alors comment expliquer ce besoin de francisation?

Plusieurs commerçants desservent non seulement la popuIation de Memramcook,

mais également celles de deux communautés avoisinantes à forte majorité

anglophone et même, selon certains, anti-francophones. Avant la construction d'une

autoroute. la population de ces deux communautés devait passer par Memramcook

pour se rendre à Moncton, ville où plusieurs gens des villages avoisinants

travaillent. et i l est toujours plus rapide pour certains de passer par 18. Les

entreprises de Memnmcook s'affichent donc soit en anglais, soit en anglais et en

français et ce. malgré l'utilisation des couleurs de l'Acadie dans leur affichage et

l'adoption d'un nom de commerce qui reflète une appartenance à Memnmcoak. On

voit donc l'irnponance accordée à la langue en tant que marque identitaire. mais,

dans ce mouvement de francisation, i l s'agit plutôt de la valorisation du français

standard que de la langue du milieu. cette dernière n'échappant pas au mouvement

de conscientkation linguistique : on cherche à l'améliorer pour qu'elle ressemble

davantage au frangais standard. Ce chapitre démontrera que ce travail est celui des

femmes et de l'école.

Cette montée de conscience linguistique et identitaire n'est pas. par contre. sans

créer ce que certains considèrent être de nouvelles tensions linguistiques. Chez

Gaston, représentant d'un DSL, ces tensions se vivent à l'intérieur même de la

famil te.

Entrevue 1997

Gaston : (...) je vas pas contre le français non plus. Je suis Français moi-même. (Phyllis : oui) L'anglais. y en a plusieurs qui essayent à parler le français, y 'n a plusieurs qui veulent pas même l'entendre non plus. so t'as ça des deux bords. Parce que j'ai une belle-sœur. que j'vas lui parler en anglais, puis ...

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Phyllis : Elle va te regarder de travers.

Gaston : Elle comprend pas en toute. Elle comprend, mais elle veut pas parler l'anglais. T'as ça de tous les bords. Aller jusqu'à temps que c'est sorti qu'il y avait trop de français, tout le monde s'accordait bien. Tout allait bien. Asteure, ça fait des grosses riots panout à cause qu'il faut qu'il ait trop de français. Pour quoi c'est faire du, du tapage y où c'était bien ?

LI y eut un temps où la langue du commerce et du travail de comités à Memramcook

était l'anglais, surtout si un anglophone faisait partie du groupe ou se trouvait à

proximité. Aujourd'hui, les francophones demandent de plus en plus de services et

le droit de travailler en français. Ceci crée des tensions. surtout lorsqu'une personne

se trouve personnellement touchée par ce changement. Telle est la situation que vit

Gaston. cité ci-dessus : sa conjointe est anglophone et, grâce à son bilinguisme, il

est devenu le bras droit d'un ancien patron francophone.

En ce qui concerne le commerce. l'anglais demeure une langue importante

d'échanges. Tel qu'il a été mentionné précédemment. la population de

Memrarncook n'est pas la seule clientèle desservie par les entreprises du coin, ce qui

explique le bilinguisme des enseignes et des commerçants. Le bilinguisme est

également le mot d'ordre dans le commerce avec des étrangers : lorsque j'entrc soit

à la pharmacie. au poste d'essence ou à l'un des dépanneurs, les commis utilisent à

la fois le français et l'anglais (traduction simultanée) pour me venir en aide. Or. on

parle immédiatement et uniquement en français (ou sa variété régionale) aux gens

qu'on sait être de la communauté.

Pour ce qui est de l'exogamie. il est certes plus facile de la vivre lorsque la société

qui nous entoure s'accorde pour parler la langue de la majorité - celle-ci étant très

souvent la langue du couple, puisque, dans bon nombre de cas. le conjoint

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majoritaire n'apprend pas la langue minoritaire. Lorsque la minorité linguistique

s'affirme, comme le fait de plus en plus la population active de Memramcook, le

conjoint bilingue se retrouve devant l'obligation soit de traduire pour l'autre, soit de

vivre une division entre sa vie familiale et sa vie cornrnunautaire. Encore d'autres

portes se ferment lorsque Ie registre de la langue du travail communautaire tend

vers le français standard, la langue maternelle de plusieurs étant le chiac.

Une informatrice. Denise, dit que les gens du nord-ouest de la province s'installent

de plus en plus dans sa région. Certains se retrouvent au sein des mêmes comités

qu'elle. «Avant ça, on se comprenait entre nous autres. Asteure, il faut tout le temps

expliquer ce qu'on veut dire». En guise d'explication, elle raconte l'anecdote

suivante : un homme (du nord) dans un des comités avait vu un autre homme (de

Memramcook) debout «dans son car port». Celui du nord avait demandé à l'autre ce

qu'il faisait là. Le second répond qu'il espère [attend] une drive». Celui du nord lui

demande s'il ne serait pas mieux de se placer près du chemin s'il espérait

[souhaitait] que quelqu'un allait arrêter le ramassem. Voulant assurer ma

compréhension, Denise rend explicite que celui du nord avait compris que l'autre

souhaitait que quelqu'un arrête, alors que l'homme du sud attendait que sa drive

u h ~ LANGUE QUI NOUS RESSEMBLE

II existe un mouvement de francisation de la langue qu'on «comprenait entre nous

autres,, ou du chiac, mais la majorité des gens qui ont consenti à une entrevue

s'identifient au chiac. De plus, seules certaines personnes ont tendance à le dénigrer.

alors que d'autres lui donnent une connotation positive : tout dépend de la définition

qu'on lui donne. Or, cette langue est marginalisée par l'école ainsi que par ses

propres locuteurs et, surtout, locutrices.

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Le chiac est une variété linguistique qu'on définit tantôt par la présence de mots ou

d'expressions tirés de l'anglais, tantôt par la présence du vieux français.

Chiac = anglicismes

Entrevue 1997

Sheila : And 1 don't know if it's the difference in the pronunciation here because they laugh and they joke about the Chiac, but it is, there's not too mmy people ... uh, around here that do speak perfectly you know, perfectly good French. it's basically Chiac. If you listen long enough you can pick up because you can pick up the English words and they're using.

Phyllis : So is that how you define Chiac then? 1s the mixture of French and English?

Sheila : That, that's what they define it as thernselves. That's what I've k e n told what they cal1 it. That's not my word, that's their word.

Phyllis : Would you have a word for it? Would you, you know, (Sheila. : well it's just) do you know if the English community has a word for it that's different?

Sheila : No, it would just be broken, like broken French basically. I've never heard it, like called anything in English other that they say down here awe're speaking in Chiac».

Chiac = vieux franpis :

Girlette Lueutrice du frailçais standard lors de sitriarions plus formelles, telles que les réunions du comité de parents oii en salle de classe. oic elle vient souvent lire des contes aux enfants.

Entrevue 1997

Mots chiacs je vois c'est des beaux mots comme cagouette. bénaise, qu'est-ce [que mon fils] va m'apporter là, *** puis il va

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me sortir avec un mot puis ça fait longtemps que j'ai pas entendu le mot. Comme ça, ça (Phyllis: Ok.) c'est beau. Ça! J'aime pas quand il utilise l'anglais, l'anglais ça. ça ça me ...

La définition des linguistes combine ces deux définitions :

Le chiac se distingue des autres parlers franglais, par exemple du joual de Montréal, parce qu'il est un mélange bien particulier, non seulement d'anglais et de français, mais aussi de vieux français conservé par les Acadiens. Voici un exemple pris sur le vif : 1 s'avont émoyé de ton 'car' neu (0. Ils se sont informés de ta voiture neuve (Péronnet 1989 : 6).

Chez les locuteurs du chiac, on retrouve également ces nuances, mais on retrouve

en plus une identification au chiac : on ne fait pas que parler le chiac, on est Chiac.

Cette identité est celle d'un peuple minoritaire, vivant dans une situation de contact

entre les langues, mais qui réussit néanmoins à survivre. Pour Euclide, le chiac

franglais est né de la nécessité même de survivre :

Entervue 1997

Phyllis : Puis tu parles de diversifier, la langue française c'est pas seulement une iangue. Il y a le chiac, l'acadien, le tout ça. Le chiac pour toi qu'est-ce que c'est ?

Euclide : Ça c'est ... Une identification d'une région, c'est bon. Parce que quand tu communi ... , quand tu parles en chiac puis quand tu fais des communications sur papier c'est pas pareil. C'est comme ces cahiers42 (de la société historique), y' a pas trop de chiac là-dedans.

Phyllis : Comme ça, pour toi le chiac c'est comme parler mais c'est pas écrit.

Euclide : Bien tu le parles parce que quand t'étais pris avec les deux langues quoi c'est le choix que t'avais ? Tu savais pas comment prononcer, t'avais pas d'études pour savoir comment faire des prononciations, des verbes quoi.

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Phyllis : en français.

Euclide : Bien oui. Tu sais. Puis en anglais c'est la même, les Anglais eux autres en avaient pas besoin eux. Bien dans la langue anglaise, ils sont Chiacs eux autres aussi. Si tu veux regarder ça comme i l faut. Garde dans toute leurs mots là, Not to be desired. Ça c'est la même affaire comme en Angleterre, y sont-tu Anglais? Ils sont des Anglais, supposés être des Anglais ça. English là. Puis écoute voir des Anglais d'Angleterre, i l y a pas d'eux (deux?), parce que eux aussi y avons du chiac. Va à Scotland c'est différent.

Phyllis : Comme ça le chiac ça serait une question de prononciation, le comment on prononce les mots ?

Euclide : Prononce les mots et assimiler, parce que c'est la conjoncture. Comme je vais te donner un exemple. Moi je connais des gens de même ici encore, i l y en a encore quelques-uns qui ont la misère à parler en anglais. Ils traduisent : i l y a pas de bon sens là-dedans, no good blood in that (sic). AMot pour mot. C'est ça que t'as. Si tu l'a pas appris, t'as pas été à l'école puis t'as seulement été à I'école quelques années, t'es pas rendu aux grades des verbes puis des prononciations puis des syllabes, où c'est que tu vas avec ça ? C'est pour ça que ça anive ça.

Le lien entre la scolarisation et la langue parlée que soulève cet informateur est

répété par plusieurs. Outre les gens de l'extérieur de la région (nord du Nouveau-

Brunswick, Québec. Ottawa, France), ce sont les personnes les plus scolarisées qui

parlent le «vrai français». C'est lors de situations de contact entre «Chiacs» et ces

wrais Français» que la langue exclut. Lors des réunions de certains comités, par

exemple. les locuteurs du français standard donnent à Denise l'impression qu'elle ne

parle pas assez bien et elle est parfois gênée de dire ce qu'elle pense; elle préfère se

taire plutôt que de ne pas se faire comprendre. Cette informatrice accepte que ce

soit à elle de faire l'effort pour se faire comprendre et non aux autres, venus de

l'extérieur et locuteurs du français standard, à essayer de la comprendre. D'autres

n'acceptent pas de modifier aussi facilement leur langue.

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Gaston, par exemple, reprend les facteurs géographiques et éducatifs dans son

explication des tensions linguistiques, mais il accepte mal qu'on vienne lui dire

quelle langue parler :

J'veux pas condamner le, le vrai français de Québec ou de Montréal ou de France. Quoisse qui anive, y en a plus, les dernières de ces places-là, qui sont dans la région, qui sont des instructeurs à l'université. Eux-autres poussent. Pour le vrai français. Pour quelle raison ? Avant que ça saille soite toute là ça là. Tout le monde vivait pareil, tout le monde s'accordait. Oui, t'avais de la misère 5 parler. parce que j'veux dire, si tu savais pas si y était anglais là, tu savais pas tous les mots, Ok, c'était. Mais de plus en plus, tout le monde parle plus français qu'anglais. L'anglais, y en a moins qui parlent le français. Mais, tout ce qu'une personne peut faire c'est de lui donner une chance. Puis pourquoi c'est pousser le français, puis yinque sur le français? Qu'ils apprennent les deux aussi. Pour qu'ils peuvent s'arranger dans la vie eux aussi.

La distinction qui se dessine ici entre le discours d'un homme et d'une femme se

maintient de façon générale entre le groupe des femmes interviewées et celui des

hommes. Les femmes acceptent et participent activement au maintien du statut

préférentiel du français standard alors que le discours des hommes est plus

différencié; le discours des femmes est étroitement lié à la scolarisation des enf'ts,

celui des hommes l'est au monde du travail où les normes linguistiques varient

selon le milieu; les femmes parlent de différences linguistiques entre les

générations, alors que les hommes parlent de différents mondes de travail. Suite à

une discussion de ces deux types de discours, on vern que dans la plupart des

foyers, la langue demeure une préoccupation féminine.

LE DISCOURS DES HOMMES

Le discours langagier des hommes dépend du milieu de travail dans lequel ils se

trouvent. Tout comme chez Gaston, cité précédemment, la langue valorisie par les

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hommes, à I'exception de l'agriculteur du groupe, est celle qui leur a le plus servi

dans le monde du travail. De fait, la référence à ce monde, dans toutes discussions

au sujet de la langue, est ce qui caractérise le plus le discous de ces hornrnes. Ceci

est aussi vrai lorsqu'il est question de la valeur du chiac que lorsqu'il est question de

l'importance du français, matière scolaire. Pour certains, le travail nuance les

réponses à mes questions (ça dépend...).

Entrevue 1997

Réginaid : Parce que, tu t'en vas sur ta job, dépendant de ta job, pour moi. le français est pas trop important sur ma job.

Phyllis : Non?

Réginald : Tu sais, parce que moi, je peux faire des affaires en anglais, parce que les programmes de computer puis ça, y a pas de programmes de français, là. (nt) (...) les matières les plus importantes [à l'école], ça dépend qu'est-ce que l'enfant veut faire. La math, la physique, des affaires de même, c'est plus important qu'ils comprennent ça, que s'en aller puis se casser la tête, à comprendre le français et l'anglais, là. Tant qu'à moi, mais là, ça dépend. Ça dépend si tu veux aller travailler, ça dépend où tu veux aller travailler. Mais y a telles places, si faut que tu parles devant le public puis tout ça, si tu, ah, si tu veux pas commencer du chiac, puis du, park my car, dans la rue, puis des affaires de même, là, tu peux, là, t'as plus de sens, là. Si t'as une telle position, faut que tu peux, tu sais, comme quelqu'un qui peut parler sur la télévision puis dire des mots de . . .

Tout comme d'autres qui travaillent dans un endroit où le bilinguisme ou le français

standard ne sont pas d'une grande importance, cet homme n'accorde pas une grande

i mpcrtance à l'apprentissage du français standard. Lorsqu'i ls en auront besoin, soit à

l'université ou au travail, les enfants l'apprendront. Réginald est également critique

de In place qu'on accorde au français standard dans la définition du bilinguisme en

milieu de travail.

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Depuis 1995, plusieurs entreprises nationales et internationales ont établi un centre

d'appel dans la région du Grand Moncton. Alors que la raison évoquée pour ce

choix d'emplacement est la disponibilité d'une main-d'œuvre bilingue, d'autres

considérations doivent également avoir eu un impact. En effet, plusieurs employés,

souvent des femmes, ont été recrutés à l'extérieur pour combler un certain nombre

de postes bilingues. Certaines personnes, dont Réginald, vont jusqu'à dire qu'aucun

francophone de la région du sud-est n'a obtenu un poste bilingue dans un de ces

centres d'appel. Réginald précise que les dirigeants ont puisé leurs employés

ailleurs parce qu'ils cherchaient des locuteurs d'un français autre que celui de sa

région. Il trouve cette préférence injuste, mais ne peut rien contre cette régulation de

l'extérieur.

Entrevue 1997

Réginald : Ben, parce que, y a une chose qu'ils m'ont dit l'autre jour, le plus vieux, que je pense c'est [Compagnie XJ Moncton, ils voulaient du monde français. Puis je me souviens pas qu'osse qu'étaient les entrevues, 300 ou, y a pas de français qu'a passé.

Phyllis: Ah, non?

Réginald : C'est tout, tout fait venir des français, je sais pas si c'était du Québec, ou youssé que ça vient, (...) ça qu'il y a arrivé à [compagnie XI, on dirait que ça n'a pas de bon sens. Qu'ils viennent icitte, dans le boutte de Dieppe, Moncton, Memramcook, Bouctouche, Shédiac, tu sais, t u peux avoir du monde, moi, je dirais, de toute cette région-là, qu'avaient été faire des entrevues, puis pas un d'eux a été accepté, e n français.

11 est difficile de savoir combien de femmes du nord de la province (région à forte

majorité francophone ayant un taux de chômage très élevé) ont en effet déménagé à

Moncton afin de prendre un emploi dans un centre d'appels. D'autres gens. surtout

d'anciens étudiants et étudiantes de l'université de Moncton ou du collège

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communautaire de Dieppe, ont égaiement décroché des emplois dits bilingues par

contre. Du point de vue lexical, toutes ces personnes parlent un français qui se

rapproche plus du français standard. Réginald semble donc associer locuteur du

français standard à personne venue d'ailleurs. II trouve la préférence pour ces

locuteurs injuste puisqu'il existe différentes variétés de la langue française et non

seulement un bon français. Pour appuyer cette vision, il donne l'exemple des

diplomates de la francophonie mondiale qui ne se comprennent pas entre eux-

Conséquemment, lorsqu'il est question d'élever ses enfants, il se dit qu'il est

important de leur enseigner le français, mais quel français? Que faire lorsqu'on est

fièrement chiac, mais que le monde du travail ne valorise que le bilinguisme

français standard/angIais? Que l'homme accorde de I'importance au français

standard ou non, le bilinguisme est en fait d'une importance première et le français

secondaire : on parle ce que l'on doit parler pour avoir du travail. ie bilinguisme

continue donc à être une ressource fondamentale à la participation acadienne sur

des marchés symboliques dominés par d'autres.

Pour certains hommes, le travai 1 explique I'importance accordée au «bon français».

Certains de ces hommes travaillent dans un milieu qui valorise, voire même exige,

l'utilisation du français standard, d'autres, comme les hommes cités ci-dessous, ont

besoin de communiquer avec des gens qui ne parlent pas et qui ne comprennent pas

le chiac. Euclide, Ln fermier, fait référence au besoin de comprendre et à celui de se

faire comprendre, alors que Jean, un ouvrier à la retraite, ne parle que du besoin de

comprendre. Pour ce dernier, le «bon français» est un élément essentiel au

bilinguisme nécessaire à la recherche d'emploi.

Entrevue 1997

Phyllis : Pourquoi ça serait important que l'enfant apprenne ça [le bon français] ?

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Euclide : Parce que plus tard quand que, quand qu'il arrive à remplir des formules, où c'est qu'y va avec ça. Formules pas chiac. Moi je connais des jeunes de 12 ans qui pouvont pas remplir une application. Parce qu'ils comprennent pas les mots. Mais en chiac peut-être bien. Peut-être. Puis encore. (-a->

Phyllis : Mais, toi tu penses qu'ils devraient leur enseigner [le bon français] pour qu'ils puissent s'en servir plus tard.

Euclide : Bien oui c'est sûr. Parce que, peux-tu t'imaginer t'es en train de me donner une entrevue, puis OK j'ai appris à propos des syllabes tout ça, mais là je parle un peu moins vite. [Si je parlais comme d'habitude, tu ne me comprendrais pas]

Entrevue 1997.

Jean : Les apprendre à parler le bon français, oui, c'est un bon point, ça.

Phyllis : Um-hum. Puis penses-tu que ça, c'est, c'est vraiment important pour la vie future des enfants aussi?

Jean : Oui, ben faut qu'ils peuvent parler les deux langues aussi, là.

PhyIIis : Ah oui?

Jean : II faut qu'ils soient bilingues, parce que t'es pas bilingue asteure, tu vas voir pour l'ouvrage, en quelque part, c'est ça qu'ils demandont. Si t'es bilingue, ben t'as pas de problèmes à avoir. Ça c'est bon d'avoir les deux langues. le français puis l'anglais.

Phyllis : Puis si quelqu'un parle le chiac, puis l'anglais. tu penses que ça sera pas la même.

Jean : Non, non.

Phyllis : Non.

Jean: Puis y en a, tu parles comme nous autres, moi-même

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asteure, un bon Français vient nous parler, puis y a des mots qu'il dit qu'on est, on sait pas qu'osse qu'ils voulant dire, parce qu'on l'a pas appris. Nous-autres. on parlait moitié, moitié anglais, moitié français, so. Y a des mots que c'est malaisé à dire, tu sais pas qu'osse qu'ils voulant dire.

Tel qu'il a été mentionné précédemment, aucun homme ayant fait des études

universitaires n'a été interviewé. Or, le conjoint de Marie-Hélène, une des femmes

interviewées, détient un diplôme universitaire et, selon elle :

Entrevue 1997

Marie-Hélène : Mon français a amélioré, ainsi que celui-là de mon mari [Alain] à cause qu'on a eu des enfants. Parce que si tu vois de quoi tu veux lui donner le vrai mot exact (...) [Alain] est très, i l est très sensible à l'éducation comme ça, c'est sûr. Parce qu'il les voit à l'université, on les voit tous les deux avec des gros rêves. Je sais pas si ça va se réaliser, mais on va souhaiter là. Puis pareil pour le français, lui aussi tu sais. Oui.

De plus, Marie-Hélène précise que son conjoint est moins tolérant qu'elle devant

l'utilisation que font leurs enfants du chiac : elle comprend que cette langue est

importante pour l'intégration sociale de leur fils, alors qu'Alain voudrait qu'il

n'utilise que le français standard. Cet homme occupe un poste de haut niveau dans

la fonction publique. 11 est fort probable que lorsqu'il utilise le français dans son

miIieu de trrivail, il doive utiliser la forme standard. En fait, dans le monde du

travail, le fnnçais standard est la marque identitaire des professionnels et

professionnelles de langue française et la seule langue qu'apprennent les politiciens

et autres anglophones «haut placés». Le français standard est donc la forme

privilégiée tant par l'élite acadienne qu'anglophone. En fait, la <qualité» de la langue

parlée et écrite est souvent un critère d'embauche chez les professionnels, comme le

précise Réginald :

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Enterevue 1997

Réginald : Oui. C'est ça les mots qu'ils savent, français. Ben, là, ils disent, ils s'en vont pas à, à Mernramcook, c'est pas mal des gens en français, c'est parce que, qu'on va dire, comme tous les haut placés, on va dire qu'ils ont tout, c'était des, ben, je dis pas tout tout les Anglais, mais --

Phyllis : La majorité.

Réginafd : Si qu'il y en avait 10 Anglais, puis 5 Français, ben z'eux [les Anglais] allont apprendre le français, juste juste le français [par opposition au chiac], là. Y allont pas s'en aller chez eux le soir puis parler français. là. Tu sais, ils vont parler l'anglais de nouveau.

Chez les hommes, l'expérience personnelle, surtout au travail, est donc d'une grande

irnpocxce h m la formation d'opinions sur le français et le chiac. L'expérience

personnelle joue également ce rôle chez les femmes. Or, chez elles, la vie scolaire

sert de cadre de référence. Pour certaines, il est autant question de leur scolarisation

que de celle des enfants. Alors que pour d'autres, il est uniquement question des

options éducatives des enfants. On verra également que plusieurs d'entre elles

parient d'améliorations langagières d'une génération à l'autre, tout comme si cette

amélioration faisait partie de leur legs aux enfants. Le lien entre langue et identité

professionnelle y est pour quelque chose. En fait, comme l'a démontré Susan Gal

(1978) dans le cas d'une communauté hongroise, la langue peut être un outil de

mobilité sociale pour les femmes plus qu'elle ne l'est pour les hommes.

Alors que Gal (1978) démontre que les femmes de cette communauté hongroise

choisissent de parler l'allemand aftn d'accéder au marché du travail dominant et

laisser derrière elles la vie de campagne, les femmes de mon échantillon choisissent

de laisser de côté le français régional en faveur du français standard. Ce standard est

non seulement la langue du marché dominant francophone, mais, avec l'anglais, il

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constitue une ressource importante sur les marchés dominants canadien et mondial.

Ce sont ces marchés et celui des institutions fédérales et provinciales que les

femmes interviewées convoitent. Ces marchés exigent de plus en plus la

connaissance de plus d'une langue «mondiale». En effet, le français standard est une

denrée convoitée autant par Ies anglophones, à en juger par le nombre de jeunes

anglophones inscrits dans des programmes d'immersion française (programmes où

le français est la langue d'instruction), que par les Acadiennes. Le chiac et l'acadien

ne sont pas des ingrédients d'un bilinguisme légitime.

Pour ce qui est de l'apprentissage de l'anglais, cette langue est depuis longtemps

intégrée aux valeurs de la population acadienne. b r s de l'industnalisation de la

ville de Moncton, l'anglais était nécessaire à l'obtention d'un emploi au chemin de

fer et à toutes transactions dans certaines entreprises. En fait, une Acadienne qui

habite Moncton me racontait tout récemment que lorsqu'elle était petite (elle a

actuellement une cinquantaine d'années), le fait de parler le français au travail était

une raison suffisante pour être congédiée. De plus, ses parents lui disaient de ne pas

dire un mot -elle ne savait parler que te français - lorsqu'ils entraient dans certains

magasins. II ne fallait pas parler en français si on voulait se faire servir. Or, mal"&

l'apprentissage de l'anglais, les Acadiens n'ont pas réussi à percer. En effet, les

hommes interviewés n'ont pas troqué leur langue régionale contre l'anglais. Iis ont

appris l'anglais tout en maintenant le français régional. Les femmes apprennent

également l'anglais, mais laissent le français régional denière elles lorsqu'elles

apprennent le français standard.

LE DISCOURS DES FEMMES

Toutes les femmes rencontrées s'accordent pour dire qu'il est important de parler le

«bon français» avec les enfants et, qu'en fait, elles font des efforts pour améliorer

leur propre langue depuis qu'elles sont devenues mères de famille. Carneron (1995)

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démontre que le besoin de s'améliorer continuellement fait partie de ce que cela

veut dire d'être une femme et que la imormalisation» linguistique fait partie, depuis

toujours, des prescriptions offertes par les auteurs de livres d'amélioration

personnelle. Ces livres sont le plus souvent destinés aux femmes. De plus, selon

une étude effectuée par Urwin (1985), tes mères se préoccupent du bien-fondé de

Ieurs actions auprès de leurs enfants et, afin de s'assurer d'être de «bonnes mères»,

elles cherchent conseil auprès d'experts. Il n'est donc pas surprenant que ce soient

les femmes qui améliorent davantage leurs pratiques linguistiques avec I'anivée des

enfants : cela relève de leur responsabilité parentale. Rappelons également que

plusieurs hommes de l'échantillon rejettent les pressions norrnalisauices et

seulement une femme rapporte que son conjoint, lui-même universitaire, se

préoccupe de la langue des enfants.

Or. le modèle linguistique emprunté par les femmes ne provient pas de la langue

féminine ou masculine des livres de formation personnelle, mais bien de celle du

monde scolaire et, dans le cas des universitaires, des livres informatifs et littéraires.

Ce milieu est également une source importante de conseils et d'information. Denise,

par exemple, suit Ies recommandations de la direction d'une école dans ses

interactions avec ses enfants et, afin d'améliorer leur langue, reformule Ieurs phrases

en y insérant un nouveau mot ou une nouvelle expression. Mal,& ce travail accru

sur la langue française, le but ultime est, tout comme chez les hommes, de produire

de bons bilingues. Le chiac. une langue exclue de leur définition du bilinguisme,

occupe souvent une place ambiguë dans ce discours.

Une seule différence a été remarquée parmi toutes les femmes rencontrées :

certaines font la correction de leur langue et de celle de leurs enfants, alors que

d'autres travaillent à l'enrichissement linguistique. Ce sont celles ayant un diplôme

universitaire, dont Ginette et Marie-Hélène, qui voient à l'enrichissement du

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vocabulaire français de leurs enfants et, par ce fait même, du leur. Elles disent

également parler un meilleur français que le franglais de leurs parents.

Entrevue 1997

Ginette : C'est mon rôle comme parent, c'est à moi à le guider. puis. Tu sais, on avait, au souper avant, on avait l'heure, l'heure qu'on mange, puis j'y ai acheté son petit dictionnaire à lui-même, moi, j'avais le mien, puis c'était, on va trouver un mot nouveau. Il m'en trouvait, moi, on riait la, y faisait des phrases, puis c'était drôle. puis, tu sais, mais on a arrêté, je sais pas pourquoi, là. En toute franchise, là, mais dernièrement, y en a un, je peux pas, un «malotru» je pense, ça c'est quelqu'un qui est salaud. (rit) II l'a trouvé dans son dictionnaire. Je pense que c'est ça, tà, c'est peut- être que moi je l'ai pas. ** (rit)

Entrevue 1997

Phyllis : Toi quand, parce que là quand t'as eu les enfants, ta dernière, t'ris arrêté de travailler. Avant que tes enfants arrivent, est-ce que t'étais aussi consciente du français qui était parlé dans la mai son ?

Marie-Hélène : Je pense que oui, parce que j'ai toujours voulu leur donner. Avant que les enfants arrivent ? Avant que les enfants arrivent. peut-être moins. Peut-être moins. Parce que mon mari et moi on partait français puis, je veux dire j'aurais pas, je me suis pas attardée, je vivais en français puis, dans ce temps-là j'enseignais en anglais. Je vivais dans une communauté française, puis mon mari puis moi-même on parlait français. Mais à chercher les mots, tout augmenter mon vocabulaire peut-être j'étais plus consciente avec les enfants. Avec les livres. J'ai appris avec mes enfants aussi. C'était un vocabulaire que je connaissais pas. Connais-tu toutes les machineries de construction? La grue avec le chariot élévateur, mais j'aurais eu un petit gars, j'ai eu un petit gars, la construction ça l'intéressait ça fait, tu prends un livre de construction puis t'apprends qu'est-ce qu'est une grue bétonnière. Moi c'était pas un mot, c'était pas un vocabulaire que j'avais. Tu sais, je les voyais passer mais je l'avais peut-être pas en anglais

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non plus là tu sais là, mais j'aurais dit un truck ou j'aurais dit un camion, bien c'était toutes des camions. Mais là je les ai appris en détail. Ça fait mon français a amélioré, ainsi que celui-là de mon mari à cause qu'on a eu des enfants. Parce que si tu vois de quoi tu veux lui donner le vrai mot exact : c'est une bétonnière puis un chariot élévateur, c'est une grue. Bon on a toute voulu lui donner. Puis ça, ça prenait des livres, parce que là on a beaucoup, beaucoup de livres, bibliothèque puis les enfants l'utilisent continuellement. Ça fait que ça a augmenté mon français, sûr et certain. Je l'avais pas réalisé, mais oui.

Les femmes qui ont complété un cours collégial ou secondaire disent, de leur côté.

que la pIus vieille génération est porteuse du «vieux» français et les enfants sont

trilingues. Ces mêmes femmes disent souvent que leur génération est Ia plus

angiicisée.

Denise : Euh ... non, comme le vrai chiac y a des vieux là qui connaient le vrai chiac, mais les parents d'aujourd'hui là, c'est plutôt, tu sais c'est ça tu vas avoir, comme tu dis une cup, c'est pas du chiac ça une cup C'est de l'anglais. (rires). (...) Tu sais là. Euh, tout le monde sait qu'est-ce qu'une tasse, ou si tu le sais pas tu peux t'informer. Ça se peut que t'es assez, des fois tu l'as assez dit que tu réalises pas que c'est un mot anglais. Tu le réalises juste pas. C'est un mot anglais.

Alors que les universitaires améliorent leur vocabulaire par le biais de leurs

interactions avec les enfants, ces femmes s'auto-conigent afin d'éviter la

transmission d'un français parsemé d'anglais. Une de ces mères me dit : avant les

enfants. c'était le fridge, couch, sneaker ... après c'était le frigidaire, le sofa et les

espadrilles». Une autre explique qu'elle «va utiliser des mots anglais, comme

garbage, ou, on le faisait, moi, asteure, je watch avec mes enfants, je fais attention

parce que -».

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La différence entre ces deux groupes de femmes s'expiique par le fait qu'afin de

réussir leurs camières académique et professionnelle, les universitaires ont déjà

banni les anglicismes, alors que les collégiennes se sont vues dans l'obligation

d'étudier en anglais, le collège communautaire francophone du sudest n'ayant vu le

jour qu'en 1972.

Entrevue 1997

Marie-Hélène : Tu sais moi. comme, bien imagine-toi donc. moi qui parlais à moitié anglais moitié français, j'ai toute été à l'école avec des manuels anglais, l'enseignante était peut-être français, mais tous nos manuels, tous les maths. (Phyllis : tu veux dire à Sainte-Thérèse). Ben oui hein, tout ce temps-là, même école secondaire (Notre-Dame d'Acadie). tu faisais pas de chimie sans faire ton livre de chemistry, d'algèbre. Tu sais moi j'étais dms le temps là que les manuels était toutes, toutes anglais hein. Ça fait que ce que t'avais, t'avais ton enseignante qui parlait, mais a disait tous les mots anglais pour que tu puisses le comprendre dans ton manuel hein. Fais qu'est-ce tu veux? Je veux dire, puis tu t'en allais dans une maison qu'était, puis le langage de la rue c'était moitié anglais, moitié français. Juste quand j'ai frappé les pieds à l'université de Moncton ou dans le marché de travail même avant ça, le français me faisait peur. Parce que je pouvais pas ouvrir la bouche, j'avais pas le vocabulaire. Donc tu sais j'ai eu besoin d'apprendre le vocabulaire puis je m'ai tout le temps dit que ça serait pas à mes enfants, ils auraient le vocabulaire, si ils l'utilisent pas, tant pis i l l'a, i l l'utilisera quand i l va sentir le besoin, ou la nécessité il l'a. Tu sais.

On voit donc réapparaître i'importance de l'expérience langagière personnelle dans

le développement des attitudes vis-à-vis du français standard. L'anxiété exprimée

autour de la langue des enfants est également liée de près à la préparation à I'entrée

en milieu scolaire et ce, indépendamment du niveau de scolarité de la mère.

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Entrevues 1997

Lise. collégierine

Lise : Ben, j'vas dire, à un temps on aurait dit garbage, ben, aux enfants, je vais dire, mettre à la poubelle. Tu vas utiliser les bons mots, parce que je sais que les autres, à l'école, pour eux autres, c'est important. (-.-1

Ben c'est qu'on pense, c'est que moi, je pense, maiqu'ils aillent à l'école, puis que l'enfant va dire la garbage, ben, c'est, comme, on dit, well, peut-être ben qu'il y en a d'autres qui vont se moquer, parce qu'il y en a d'autres, probablement qui ont été élevés comme ça.

Der zise, diplômée dri secondaire.

Denise : Oui. l e crois que le parent a un grand rôle à jouer. Parce que dès tout petit là, l'enfant de zéro à cinq ans là, c'est comme une éponge. II peut apprendre, si qu'on savait d'autres langues ça serait le temps d'y apprendre là. C'est un vrai éponge. tout ça qu'on peut lui apprendre, il absorbe tout, tout, tout. Ça fait que, si tu lui apprends le bon français de tout petit il va jamais, jamais perdre ça. Même qu'il va parler chiac dans la cour d'école avec ses amis, même qu'il va jamais le perdre. Ça va être comme inné là. au lieu d'être de quoi appris plus tard. Tandis que s'il amve en maternelle puis qu'il sait pas quoi c'est des espadrilles, puis qu'il sait pas quoi c'est un bac à sable, puis y sait pas*** paquet de choses aussi que tout le monde le sait puis l'enseignante dit faites ça, puis tout le monde a l'air de savoir ce qui se passe puis.. .

Phyllis : cet enfant-là le sait pas.

Denise : Oui. Je sais pas si ça arrive encore de nos jours, mais je sais que longtemps passé tu pouvais avoir un élève qui arrivait à l'école puis qui savait pas qu'est-ce qu'étaient des espadrilles. Je sais pas si ça arrive encore de nos jours 12, mais tu sais ça fait pitié là.

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Gir z este. riniversitaire.

Ginette : Tu sais, parce que même, «ouaille, ouaille», jamais dit ça, nous autres. (...) Puis quand même, quand même qu'à Memramcook, là, tu l'entendais beaucoup. Nous autres à la maison, là, «ouaille», jamais. Puis même, le petit a été à l'école puis le professeur me disait la remarque, i l di t pas «ouaille», lui, il dit «oui». Tu sais, c'était beau, parce qu'il avait jamais entendu ce mot-là.

Ces mêmes parents trouvent important que l'école continue le travail qu'el les ont

commencé : on accepte de discuter du parler chiac lorsqu'il est question d'afficher sa

francité ou son rtcadianité, pendant la semaine provinciale de la fierté française par

exemple, mais le rôle de I'école est d'enseigner le français standard. Dans ce rôle,

l'école ne doit pas accepter le chiac comme langue de communication légitime,

même pendant la semaine de la fierté française. Le but ici est d'agrandir les limites

du monde des enfants. Encore une fois, le discours de ces femmes est unifié ; elles

exigent que le français standard soit la langue de l'école. Par contre, i l existe des

nuances importantes qui peuvent entraîner la reproduction des différences entre les

classes sociales, telles qu'identifiées par le niveau de scolarité de la mère.

Comme i l a été mentionné précédemment, les mères qui ont une éducation

universitaire ont standardise leur propre langue afin de réussir aux niveaux

académique et professionnel. Elles n'ont pas eu à faire cette transformation lors de

l'arrivée des enfants et elles s'identifient maintenant au français standard. Elles sont

donc habiles dans la transmission du français standard à leurs enfants. Pour les

femmes qui n'ont pas ce même niveau de scolarité, ce travail ne se fait pas si

naturellement et parfois elles s'oublient et parlent en chiac, comme l'affirme

Denise : après tout c'est ma langue». Au niveau identitaire, ces femmes n'ont donc

pas le même discours.

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Plusieurs informatrices craignent l'assimilation. mais ce qu'elles ne veulent pas

perdre est leur langue d'identité. Celles pour qui le français standard est une langue

d'identité disent ne pas vouloir perdre le français, mais celles qui parlent plus

naturellement le chiac disent ne pas vouloir la disparition de la langue des Acadiens

et ce, malgré leur désir de la voir exclue du milieu scolaire. Se dessine donc une

certaine contradiction dans te discours de ces dernières : on veut l'exclusivité du

français standard à l'école, mais sans que soit dévalorisé le chiac ou l'acadien. Ceci

s'explique par un désir de voir les enfants accéder à des postes de niveau

professionnel. où le bilinguisme est nécessaire, sans qu'ils n'aient à quitter

définitivement leur communauté culturelle. Or, selon Denise. d e s pus bilingue si tu

parles chiac pis pas le bon français» et «le chiac, nous autres, on peut leur apprendre

ça, mais le bon fmçais, ça y a des parents, on est pas capable, on connaît pas assez

ça>>. Ces mères sont donc en mesure de transmettre l'identité linguistique et

culturelle de leur communauté et l'apprentissage de l'anglais se fait, par le biais de la

télévision et de contacts informels, avant même que l'enfant n'entre à I'école. La

scolarisation se doit de compléter le travail de ces femmes au niveau du français

standard, sans quoi Ieun enfants n'auront pas accès aux postes bilingues convoités.

Les femmes, autant que les hommes. reconnaissent donc la valeur de rechange tant

symbolique que matérielle du bilinguisme. C'est en ce sens qu'on demande à I'école

d'élargir le monde des enfants. Ces femmes soutiennent donc le discours du

ministère de l'Éducation du Nouveau-Brunswick voulant que :

L'école doit favoriser l'utilisation du français atandarb). (MENB : 17. Guillemets dans l'original)

Chez les femmes universitaires, le désir d'élargissement se situe non seulement au

ni veau linguistique, mais également au ni veau culturel. Contrairement aux autres,

elles n'ont pas besoin de I'école pour garantir à leurs enfants l'accès au français

standard, elles sont en mesure de le leur donner au sein de leur foyer. Elles

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s'attendent à ce que l'école, en plus de valoriser le français standard, procure à leurs

enfants un environnement culturel francophone enrichissant. Elles veulent que les

enfants soient exposés à des chansonniers, des auteurs, des spectacles francophones,

ceci dans le but de leur donner une vision plus large du monde et multiplier les

chances qu'ils auront dans la vie. Au prochain chapitre, nous verrons que cet

enrichissement n'est pas distribué équitablement et que les enfants qui sont prêts à

le recevoir au-mentent leur capital symbolique.

Une mère relate comment cette conscience d'une autre culture lui a permis de rêver

à autre chose :

Entrevue 1997

Marie-Hélène : Faut qu'ils voient qu'il y a un autre monde que juste le monde qu'ils vont avec tous les jours. Parce que moi c'est ça que je m'en souviens qui m'a ouvert comme les yeux. Qu'il y avait quelque. i l y avait une autre vie de culture quelque part d'autre. Tu sais. je sais pas, ça sonne drôIe quand je le mets comme culture, mais pour moi c'était comme un choc. Tu sais quand je rentrais là-dedans, c'était un monde totalement différent. Puis, peut-être que je me sentais comme si je voulais être. Je ne suis pas de ce monde-là. mais en même temps probablement j'y suis asteure. (...) Moi je crois que c'est ça qui m'a sauvée. Sauvée, je veux dire ça qui m'a éveillée. Ma i s pas perdue là. Mais si j'avais pas vu une autre culture ...

Lj où les autres veulent maintenir leur culture, les universitaires veulent donc

agrandir, voire même changer, les horizons cultureIs de leurs enfants. Non

seulement ces femmes sont-elles en mesure de donner un capital linguistique à

valeur ajoutée à leurs enfants. elles sont également soucieuses de leur ouvrir la porte

sur un capital culturel peu connu des autres mères et enfants. Ceci aura pour effet de

produire une nouvelle définition de leur classe et de reproduire la distance qui les

sépare de Ieurs consœurs actuelles.

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Les deux groupes de femmes interviewées tiennent donc le même discours sur

I'imponance du français et de la scolarisation, mais leur situation de vie actuelle

permet à certaines de mieux répondre aux attentes de l'école, sinon les dépasser, et

ainsi de mieux préparer leurs enfants à ces exigences. Lorsque les femmes chiacs

valorisent la scolarisation et font un travail de normalisation linguistique à la

maison, leurs enfants n'éprouvent pas de difficultés à l'école, mais ce sont les

enfants des universitaires qui reçoivent, en nison du vocabulaire enrichi reçu à la

maison. les éloges des enseignantes. Malgré ces différences de classe, le

développement iangagier des enfants demeure le domaine de la femme et est

reconnu ainsi tant par les hommes que par les femmes elles-mêmes.

Une informatrice universitaire raconte comment son conjoint, lui-même ouvrier. a

repoussé son travail linguistique auprès de son enfant pour finalement en voir la

nécessi té :

Entrevue 1997

Ginette : Mon mari a venu bien écœuré parce que je les reprenais, tu sais. les mots anglais. puis là, c'était quoi le terme français, puis y en a qu'on connaît pas, tu sais, je sais pas, y a rien qui me vient à l'idée, tout de suite, les mots, là. En tout cas, il a venu, i l était ben écœuré. puis le petit aussi, c'était, Maman, arrête, hein? Tu sais, je voulais perfectionner sa langue, so j'ai dit okay, j'arrête, c'est fini ça (rit) on met plus d'importance sur la langue française. LI m'arrive avec son dernier bulletin, son français parlé, là, ooh! C'était pas si beau que ça! Puis là j'ai dit à son père, veux-tu que je continue, i l dit, oui, je crois! (rit) J'crois que t'as besoin!

Malgré son propre monolinguisme anglophone, la femme du couple exogarne qui se

trouve dans l'échantillon travaille à l'apprentissage de la langue française. même si

ce n'est que suite à l'entrée de sa fille à l'école.

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Tina : For her benefit, for the first two years of school, my sister- in-law, 1 used to go up to my sister-in-law's. And help her [my daughter] with her pronunciation.

Un des hommes interviewés me dit clairement que sa femme (diplômée du

secondaire) fait beaucoup de travail de ce côté :

Charles : Oui. Denise travaille beaucoup sur eux.

Phyllis : Ah oui?

Charles : Parce que des fois, ils diront, qu'ossé que Denise va pas les reprendre, mais leur montrer beaucoup, comme dehors, comme alors, on va faire, ou de quoi de même, moi, j'aurais jamais dit alors avant. Mais, où donc qu'on va aller, j'aurais dit ça avant. Ça rentre beaucoup dans le vocabulaire.

D'autre part, Denise dit qu'elle ne peut pas s'attendre ii ce que son conjoint fasse le

même travail langagier, car il travaille à I'extérieur. Il est donc difficile pour lui de

maintenir un «bon français» dans ses conversations avec ses garçons. Elle précise

qu'il est plus facile pour des gens qui travaillent dans un milieu unilingue français,

dont les enseignantes, de perfectionner leur langue. Denise reconnaît donc qu'il y a

une distance linguistique à parcourir entre le monde du travail journalier de son

conjoint et celui des professionnels. C'est cette distance qu'elle compte couvrir pour

ses enfants.

Les enseignantes s'attendent, de leur côté, à ce que les familles fassent un effort de

correction Iinguistique avant I'mivée de leurs enfant à l'école. En fait, dans leurs

interactions avec les enfants, les enseignantes perpétuent l'idée que le travail,

linguistique ou autre, relié au milieu scolaire est un travail de femme : elles disent

toujours aux enfants de demander à maman d'aider avec un devoir. de signer

l'agenda scolaire ... Elles ne suggèrent jamais de demander à papa. En plus, ces

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femmes ne savent pas comment répondre et prissent sous silence les commentaires

d'une enfant qui leur dit que ce n'est pas maman, mais bien papa qui est à la maison.

Dans ce chapitre, on a vu que les institutions de la communauté travaillent de pair à

la refrancisation ou à la reproduction de l'identité francophone de Memrarncook.

Or, les hommes de la communauté ne sont pas tous en faveur de ce mouvement.

Certains hommes préfèrent maintenir le stmu quo par lequel l'anglais est la langue

du commerce, des réunions et des discussions Iorsqu'Anglais et Français sont

présents.

Lorsqu'il est question de la langue à enseigner aux enfants, les hommes se fient à

Ieurs expériences dans le monde du travail pour juger de l'importance du français

standard et, souvent, disent que tout dépend de ce que l'enfant fera plus tard. De

plus, certains hommes remettent en question l'importance accordée au <<bon

français>>. disant qu'il y a plusieurs types de français. Allez donc savoir lequel s e n

nécessaire aux enfants! De façon générale, plus l'homme est scolarisé ou plus i l

s'approche d'un milieu de travail professionnel. plus il valorise la forme standard de

la langue française. En fait, l'homme le plus scolarisé dont il a été question dans ce

chapitre occupe un poste élevé dans la hiérarchie de la fonction publique. Cet

homme est également celui. parmi tous. femmes et hommes, qui tient le plus B la

reproduction du statut privilégié du français standard.

Chez les femmes, quelques nuances liées au niveau de scolarisation ont été

soulignées, mais le discours féminin est néanmoins unifié : toutes croient en

l'importance du français standard. Cette importance est expliquée par les besoins de

l'enfant en milieu scolaire. milieu qui les prépare à un niveau de vie meilleur que

celui de leurs parents. Finalement, Ie travail langagier préalable à l'entrée scolaire

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des enfants est, tant aux yeux des femmes que des hommes, l'apanage des mères.

En ce sens, les mères sont toujours les gardiennes de la langue, mais, ce faisant,

quelle identité acadienne façonnent-elles?

Les femmes de l'échantillon ayant terminé soit leur cours secondaire ou collégial

voient l'éducation des enfants comme une porte d'entrée au monde professionnel.

Par le biais de leur travail sur la langue, ces mères jettent un pont entre leur milieu

et celui de l'école. Ceci vient à la fois confirmer et contredire les dires de Grumet

( 1988) voulant que ce soit les enseignantes qui enlèvent l'enfant du monde familial

pour l'emmener au monde du travail : ce sont les enseignantes qui préparent les

enfants au monde professionnel, mais non sans que les mères les aient préparés i.i

s'éloigner de leurs langue et culture d'origine. Ces femmes participent donc, malgré

leur désir de maintenir la langue de leur identité, en l'occurrence le chiac, non

seulement au but de standardisation du MENB, mais également à celui d'amener

l'enfant à «affirmer son identité culturelle en s'exprimant dans diverses

circonstances et avec diffirents interlocuteurs selon le registre de langue approprié»,

c'est-à-dire soit «le français correct» ou «une langue soutenue*, puisqu'en tout

temps, l'élève doit i<éviter I'utilisation d'anglicismes» (MENB 1997 : 12).

Ces femmes ne reproduisent donc pas leur langue et leur identité, mais bien celles

véhiculées par l'institution scolaire. Elles sont, en réalité, gardiennes de la langue et

de la culture de l'élite qui régit les écoles et les programmes. Or, comme le

démontre Foucault (1975), l'institution scolaire est un instrument de régulation

sociale et, selon Carneron (1995), la normalisation de la langue, un outil de cette

régulation. De plus, Wafkerdine (1985) propose que lorsqu'un enfant passe d'un

milieu familial qui véhicule des valeurs de la classe moyenne (possibilité et

responsabilité du choix, autonomie, utilisation de la discussion pour régler des

conflits) à celui de l'école, il ou elle s'y reconnaît et sait s'y mouvoir. Alors que

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i'enfmt issu d'un milieu dans lequel les sanctions et règlements sont explicites,

plutôt qu'implicites ou négociables (parfois, on n'a pas le choix par manque de

moyens, l'autorité parentale est explicite et non négociable), doit s'adapter au monde

scolaire où la régulation est implicite. Cette adaptation n'étant pas toujours facile, la

vie scolaire risque de devenir conflictuelle. En fait, mes observations en salle de

classe de première année font état de la relation qui existe entre le milieu social de

l'enfant et la normalisation linguistique et sociale vécue à l'école : les enfants qui

n'anivent pas a l'école avec Iû langue appropriée. c'est-à-dire avec une

approximation du français standard. sont le plus souvent les enfants ciblés par les

actions disciplinaires de l'école.

Comme i l a été mentionné précédemment, les mères chiacs qui valorisent la

scolarisation et la langue standard fournissent à leurs enfants les connaissances

linguistiques nécessaires à leur succès scolaire. Les femmes universitaires

produisent, de leur côté, une nouvelle définition linguistique et culturelle de leur

classe et, ce faisant, permettent à leurs enfants de surpasser les attentes de l'école et

de devenir les enfants modèles de la salle de classe de première année. h s enfants

sont donc prêts, dès leur entrée scolaire, à prendre et à accepter leur place dans la

hiérarchie scolaire, telle que définie par le rendement et les notes.

Par leur travail de normalisation ou d'enrichissement de la langue et par leur

maintien du discours du «bon français», en parallèle à la glorification des abeaux

mots» chiacs et contre l'anglicisation du français, les femmes reproduisent une

hiérarchie linguistique qui rend légitime le travail de régulation de l'école. De fait,

elles demandent, voire même exigent, que cette régulation ait lieu. Elles permettent

ainsi à l'élite acadienne de continuer à définir ce que sera un bon Acadien ou une

bonne Acadienne.

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Devant les exigences des mères, il devient difficile pour une enseignante d'avoir un

enseignement qui valorise réellement la langue de l'enfant et porte atteinte au

pouvoir hégémonique du fi-ançais standard- Tout comme Gaston résiste à la

francisation de sa communauté en raison de son investissement dans la langue

anglaise, les parents qui ont investi dans la langue standard résisteront à toute action

qui met en péri1 le pouvoir symboiique de cette langue. De plus. ces parents, plus

particulièrement les mères, investissent activement dans I'école - elles siègent sur

le comité de parents et sont bénévoles à l'école et en salle de classe. Ces dernières

sont donc conscientes de ce qui s'y passe au quotidien, ajoutant ainsi à la

surveillance normaiisatnce à laquelle sont assujetties, comme on le verra dans le

prochain chapitre, les enseignantes dans leur tâche de surveillance linguistique : les

enseigantes sont des surveillantes surveillées à leur tour.

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C h a p i t r e 4

LA LANGUE ET LE TRAVAIL DE L'ENSEIGNANTE

Puisque c'est à l'école que revient le rôle de définir la nome linguistique en

référence i laquelle toute autre forme est évaluée ou dévaluée et que la lan, due est

un critère d'exclusion et d'inclusion. cette thèse cherche à mieux comprendre le

rôle du personnel enseignant en milieu minoritaire francophone canadien en ce qui

concerne la production et la reproduction de l'hégémonie du français standard.

Étant donné le rôle traditionnel de gardienne de la langue et de la culture attribué

aux femmes et la forte présence de femmes dans le domaine scolaire. i l importe de

savoir ce qu'elles font en salle de classe. Sans quoi, comment savoir ce qui se passe

à l'école et comment savoir de quelle façon se définit la norme linguistique ?

Afin d'explorer ces questions. j'ai mené une recherche ethnogmphique dans une

école rurale du sud-est du Nouveau-Brunswick, une région où le contact entre le

français et l'anglais est omniprésent. De septembre 1994 à mai 1995. j'ai passé une

demi-journée par semaine dans les salles de classes de deux enseignantes, Gisèle et

Chantal, de cette école. L'école Du Bouleau est située dans le village de

Memramcook. En plus des données recueillies en salle de classe et à l'école, ma

base de données compte des enregistrements de deux entrevues avec Gisèle, des

entrevues que m'ont accordées d'autres membres du personnel pédagogique du

conseil scolaire, et des notes prises Iors de pIusieurs réunions administratives de ce

conseil. Étaient présents à ces réunions. les représentants et représentantes élus de

chaque communauté desservie par le conseil ainsi que sa direction générale et son

administrateur. Sont également incluses dans ce chapitre des observations faites

dans le cadre de mon travail actuel d'agent pédagogique ou. formatrice et 137

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supemiseure du personnel enseignant. Je suis agent pédagogique dans le district

scolaire du nord-ouest de la province. région à forte majorité francophone (95%).

Cette région partage une frontière avec les États-unis et une autre avec le Québec.

Son temtoire est majoritairement rural. mais englobe également les viiles

d9Edmundston et de Grand-Sault. La question identitaire est source de tensions

dans cette région; certains se disent Brayons et d'autres Acadiens. Plusieurs des

premiers rejettent l'identité acadienne et qualifient les Acadiens et Acadiennes de

nationalistes. Les seconds s'identifient à une dcadie des terres et des forêts» sans

nécessairement rejeter l'identité Brayonne. À la base de ces tensions est la question

de l'origine de la population qui semble conffronter la population d'Edmundston et

environs. les Brayons, et celle de Grand-Sault. les Brayons-acadiens, et environs. À

Grand-Sault, plusieurs refusent ces deux identités en faveur de celle de &ilingue».

Une recherche sur le terrain serait nécessaire pour vérifier ces différences.

L'identité bnyonne est propre à cette région du Nouveau-Brunswick. L'origine du

nom Brayon ne fait pas l'unanimité. mais il désigne un peuple ayant des origines

mixtes. Les Bnyons. habitants de ce que plusieurs nomment la <&épublique du

Madawaskw. réclament une identité issue de racines acadiennes, québécoises.

américaines et maléci tes (autoch tones du Madawas ka). Certains ajoutent

irlandaises. Nul ne fait référence par contre, aux Écossais et aux Juifs qui

composent Ia classe marchande traditionnelle de Grand-Sault et d'Edmundston

respectivement. h s Brayons sont donc des catholiques? Les Brayons

d7Edmundston sont francophones et croient parler mieux le français qu'ailleurs

dans la province. à l'exception, peut-être. du centre-nord où la population est encore

plus près du Québec et les francophones encore plus majoritaires. À Grand-Sault. la

question linguistique est plus ambiguë.

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IMdgré une population à 80 à 85% fmcophone, la population francophone de

Grand-Sault a été la dernière du Nouveau-Brunswick à acquérir une école

homogène de langue française. À la fin de la sixième année, plusieurs élèves

francophones (les bilingues) choisissent encore aujourd'hui de terminer leur

éducation à l'école anglaise. Une étude du nombre d'élèves perdus au système

anglais est actuellement en cours. Comme dans le sud-est de la province, le

bilinguisme est la ressource linguistique la plus convoitée. Grand-Sault est

également en situation de contact des langues et, plus qu'à Edmundston, ce sont les

anglophones qui contrôlent le marché économique. Contrairement au sud-est par

contre, les francophones de Grand-Sault ne croient pas être en dringer d'assimilation

et c'est par une éducation bilingue cumulative (à l'opposé de parallèle) que certains

croient pouvoir atteindre le meilleur bilinguisme. Le milieu scolaire francophone

juge, par contre, que la langue française que parlent les élèves et les parents de

I'ensembIe du nord-ouest laisse à désirer.

Les observations faites dans la République du Madawaska sont utilisées dans cette

thèse pour démontrer que les pratiques pédagogiques et le discours des enseignantes

qui ont participé de près à cette recherche sont partagés par d'autres. En effet, ces

pratiques et ce discours sont des éléments importants d'une culture pédagogique

partagée par un bon nombre d'enseignantes : les élèves ne parlent pas bien le

français, le vocabulaire est faible et la langue est anglicisée, et les enseignantes

doivent les corriger et inciter les élèves à s'améliorer. Cette culture n'est pas

tributaire du niveau de contact entre Ies langues. Au contraire, comme le

démontrent mes observations dans le Madawaska, sa contribution à la reproduction

du marché unifié acadien est grand partout dans la province. Gisèle et Chantal

paxticipent à cette reproduction qui passe par l'hégémonie du français standard.

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Gisèle, une des enseignantes participantes, est à sa treizième année de carrière lors

de la collecte de données pour cette recherche. Elle est née dans le nord du Québec,

mais, à un bas âge, elle est déménagée cians la Péninsule acadienne où ses parents se

sont établis sur une ferme, maintenant propriété de leur seul fils. Gisèle y retourne

le plus souvent possible avec son conjoint et ses deux enfants, dont une fille au

primaire et un garçon d'âge préscolaire. Cette femme attribue une grande

importance à son rôle de mère et ses enfants sont au centre de sa vie. Pour

démontrer ceci. elle me dit qu'elle peut vivre sans son conjoint pour un certain

temps, mais que <je ne couche jamais sans mes enfants ».

L'enseignement n'a pas été le premier choix de c h è r e de Gisèie, car <je ne voulais

pas faire comme les autres». En effet, elle raconte que l'éducation a été importante

pour ses deux kgands-mères et que sa mère était institutrice avant de rencontrer son

père. De plus, deux de ses sœurs poursuivent des carrières en enseignement. Par

contre, suite à sa première année en sciences infirmières à l'Université de Moncton,

Gisèle s'est aperçue qu'elle n'aimait pas ce domaine et elle s'est inscrite en

éducation. Aujourd'hui, elle passe ses journées avec des enfants de six ans.

Chantal est égaiement issue d'une famille d'enseignants : avant leurs retraites

respectives, son père était directeur d'école et sa mère enseignante. De plus, un de

ses frères enseigne dans une université et plusieurs de ses tantes sont des

enseignantes. L'enseignement a été un choix de carrière par défaut pour Chantal.

Une passionnée de la géographie, elle ne voyait pas vers quelle carrière, outre

l'enseignement au secondaire, des études dans ce domaine pourraient la mener. Ne

se voyant pas enseigner au secondaire, elle a choisi l'enseignement au primaire.

Percevant un lien entre le voyage et la géographie, Chantal dit aujourd'hui qu'elle

aurait peut-être aimé une carrière dans une agence de voyage.

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Chantal est originaire du sud-est, mais a enseigné dans le sud-ouest de la province

et dans la Péninsule acadienne (nord-est). Elle est à sa sixième année

d'enseignement, mais pour la première fois en première année et donne naissance à

son premier enfant lors de la collecte de données. Durant sa quatrième année à

l'Université de Moncton, Chantal a fait un stage de quatre mois dans la classe de

Gisèle. Pendant la plus -grande partie de l'année scolaire 1994-95, cette relation de

mentorat est reprise et Chantal suit de près la planification que propose Gisèle.

Gisèle et Chantal sont deux enseignantes de la première année. Ces deux

enseignantes veulent donner le maximum à tous leurs élèves. Elles sont à l'écoute

des histoires qu'ils leur racontent et toujours prêtes à consoler et à aider. De plus,

lorsqu'un élève éprouve une difficulté académique, elles lui donnent une attention

particulière et cherchent à rendre la tâche plus facile. Bref, elles veulent que tous

quittent la première année avec une base académique et, on le verra, sociale bien

solide. Or, ce chapitre démontre que ces enseignantes participent non pas à la

r6ussite de tous leurs élèves, mais bien au processus de sélection scolaire qui

différencie les bons des mauvais élèves. C'est par ce processus de régulation de la

langue et des comportements que l'école joue son rôle de sélection sociale.

Pourquoi des enseignantes désireuses de voir tous leurs élèves réussir, participent-

eIles à ce processus ? Peuvent-elles faire autrement ?

Dans ce chapitre, on verra que par l'entremise de l'insécurité linguistique, ce

sentiment qu'on ne parle pas bien sa langue maternelle, et un contexte de travail

féminisant, I'institution scolaire contrôle effectivement le travail langagier de

1 'enseignante. D'un côté, I'insécuri té linguistique crée le désir p u r le français

standard chez ces femmes qui, de l'autre côté, font, comme les mères, un travail de

gardienne de la langue et de la culture acadiennes. De plus, la féminisation du

travail de i'enseigante de la première année rend illégitime un questionnement des

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buts normalisateurs de l'école. Comme les mères, les enseignantes se doivent

d'enseigner le français standard, sans quoi elles mettent en p é r i l les apprentissages

futurs des enfants. Comme les mères, les enseignantes font un travail de femme en

milieu minoritaire. Alors que le contexte est différent, il existe effectivement

plusieurs similarités entre le travail des enseignantes et celui des mères.

Dans ce qui suit, le contexte linguistique et pédagogique de l'enseignement au

primaire est explicité d'abord. On vern que l'institution scolaire est un marché

linguistique et que l'enseignante y resoit des directives quant à quoi enseigner (le

français standard) et comment enseigner. La deuxième partie de ce chapitre traitera

des simili tudes entre le travail de I'enseignante, en ce qui a trait à ses conditions et à

sa définition, et celui des mères du dernier chapitre. Finalement, on verra qu'il y a

possibilité de résistance et d'action sociale dans le travail des enseignantes, mais

que celles-ci sont limitées par des conditions de travail féminisantes et une culture

pédagogique qui les produit et reproduit. Tout au long de ce chapitre, on verra

comment l'institution scolaire et les enseignantes marginalisent la langue acadienne

marqueuse d'identité. Elles produisent et reproduisent ainsi l'hégémonie du français

standard et l'insécurité linguistique acadienne.

Le contexte du travail de I'enseignante définit certaines règles de jeu linguistiques.

Ces règles sont inscrites, tantôt de façon explicite, tantôt de façon implicite. dans

divers documents produits pour ou par le ministère de l'Éducation du Nouveau-

Brunswick (MENB). À l'intérieur de ces règles se tisse une tension apparente entre

la langue régionale, porteuse de l'identité acadienne, et le français standard,

porteuse du savoir. Or, cette tension est désamorcée par le biais de l'insécurité

linguistique de la population acadienne. Au dernier chapitre, on a vu, par exemple,

Page 151: NQ49849.pdf - TSpace - University of Toronto

que certaines mères chiacs de Memramcook préparent leurs enfants à recevoir le

savoir scolaire en leur enseignant ce qu'elles connaissent du «bon» français. Elles

comptent sur les enseignantes pour la continuité de ce projet de standardisation

qu'elles se savent incapables de mener à terme. Le but ultime de ces mères est

d'ouvrir différents horizons aux enfants. Or, ce discours rend légitime une

pédagogie coercitive qui passe par la correction de la Imgue des enfants et vise

l'assimilation de tous au bon français et à la bonne culture acadienne, c'est-à-dire

standard et unilingue. Une telle homogénéisation de l'identité acadienne permettrait

à une minorité, la classe dirigeante acadienne, de gagner en pouvoir politique et

économique puisqu'elIe serait la représentante d'une masse démographique et

politique qui partage une vision du monde et un projet de société. Cette

homogénéisation n'étant pas une réalité, c'est par la violence symbolique de

l'insécurité linguistique que ce pouvoir est maintenu. Cette insécurité linguistique

permet de maintenir le mythe de la qualité supérieure inhérente du fmnçais standard

et de reproduire la hiérarchie des variétés linguistiques.

La pédagogie coercitive contribue à la reproduction de l'élément identitaire acadien

qu'est l'insécurité linguistique et à la production d'inégalités socides internes en

Acadie. Aux yeux de tous et toutes, seul le français standard est un «bon français».

La classe dirigeante, locutrice d'un français standardisé, continue ainsi à être

investie d'un pouvoir hégémonique sur la communauté acadienne du Nouveau-

Brunswick. Puisqu'elle est la seule à parler la langue légitime, on reconnaît la

légitimité de la prise de parole et de décision de l'élite au nom du peuple.

L'insécurité linguistique, que vivent également les enseignantes, est donc un

élément important du contexte qui rend difficile un changement pédagogique en

faveur d'une valorisation réelle de la langue non standard.

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Suite à une étude auprès de finissants et finissantes d'écoles secondaires du

Nouveau-Bninswick, Boudreau et Dubois (1992) concluent que cette insécurité

linguistique existe chez les élèves de la fin du secondaire. Ces auteures généralisent

ce sentiment d'insécurité à toute Ia population acadienne qui vit en situation de

diglossie. De plus, entre 49% et 70.7% (selon la région) des élèves {considèrent le

Québec comme endroit où L'on parle mieux» le français qu'ailleurs (p. 15). C'est là

où la population acadienne est la plus minoritaire, du point de vue démographique,

que cette perception est la plus répandue.

À l'intérieur du Nouveau-Brunswick, il existe également différentes «qualités» de la

langue française. Une suppléante venue enseigner à l'école Du Bouleau précise, par

exemple, qu'à Memrarncook, on 'traverse la me', à Dieppe, on 'traverse la street' et

à Moncton, on 'cross la street'. Ces trois municipalités forment un continuum

linguistique, mais également géographique : Memrarncook, plus rurale, est située à

une extrémité et Moncton, centre urbain et plus diglossique, à l'autre. Dieppe,

située entre ces deux dernières, est la ville dortoir francophone de Moncton. La ville

dortoir anglophone, Riverview, se retrouve à l'autre extrémité de Moncton.

i Riv ' rc l lc ramcook

Dieppe,.. ..'

Boudreau et Dubois attn buent I'insécun té linguistique des francophones du

Nouveau-Brunswick à leur situation diglossique, mais dans l'introduction de leur

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article, d e s écrivent «qu'en Belgique, Francard (1989), sans nier ce lien [diglossie -

insécurité], en anive à la conclusion que l'institution scolaire est en grande partie

responsable de l'insécurité linguistique générale constatée à Lutrebois, en Wallonie.

Qu'en est4 en Acadie?» (p. 3). En 1991, Boudreau avait posé sensiblement la

même question : d'avons-nous pas ici un discours mythique, idéalisateur, qui

chante les mérites de la langue de «chez nous», et cet autre discours, tout aussi

présent mais plus discret, qui se pare de la légitimité pédagogique - il faut

apprendre à «bien» parler - pour dévaloriser la ou les langues régionales et aussi

accentuer davantage les stigmates que les Acadiens et les Acadiennes ont déjà à

porter lorsqu'il s'agit de leur langue?» (p. 26). Alors que cette question ne trouve pas

de réponse dans la recherche de Boudreau et Dubois, elle demeure importante

puisque, face à la violence symbolique de cette pédagogie du bien parler, les jeunes

peuvent adopter différentes stratégies. D'une part, i Is et elles peuvent soit accepter

l'hégémonie du français standard et tenter de s'y conformer, soit vivre en marge du

pouvoir acadien. Ces deux stratégies permettent la reproduction des inégalités

socides en Acadie : elles ne modifient ni la hiérarchie des langues, ni la hiérarchie

du pouvoir.

Une troisième stratégie, faire du non-standard une langue révolutionnaire, pourrait

remettre en question cette hiérarchie. C'est ce que le groupe musical Zéro0 Celsiris

a fait lorsqu'il a fait du chiac une de ses langues de chant. Comme le démontrent les

extraits suivants, tirés de l'album Coiires drt cortdeflales from the Bend, les

membres de ce groupe peuvent passer du chiac au français standard- Ce dernier est

la variété linguistique que parlent leurs parents, tous de la classe professionnelle

acadienne.

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La ballade du Capitaine Gallagher

Quand j'ai arrivé l'autre soir Le feu était starté J'l'ai r'gardé toute la nuit Trop gone pour me déplacer

Carpe Diem

Les murs qui m'entourent resteront Pour cent mille ans après ma mort Les chemins de pierre qui m'emportent vers Le passé, le futur, le présent

Comme l'indique le titre de leur album. l'anglais est une autre langue de

communication du groupe Zéro. En fait, les membres de ce groupe peuvent passer

d'une langue et d'une culture à l'autre à la manière du «caméléon». Or, pour

I'instant, I'utilisation du chiac est perçue comme une contestation liée à la jeunesse.

Lon d'une conversation avec une professeure de l'université de Moncton. par

exemple, cette dernière affirme que les jeunes du sud-est ont depuis longtemps

réclamé le chiac comme langue identitaire, mais que cela n'est qu'un phénomène

passager, tout comme I'adoiescence. Avec le temps. le chiac perd donc son

canctère contestataire et, là où il demeure lié à l'identité, il reprend sa position en

marge du pouvoir acadien. Une dernière stratégie disponible aux jeunes qui n'ont

pas le français standard comme langue maternelle va à l'encontre du but même de

l'école acadienne, c'est-à-dire de produire et reproduire des êtres acadiens. cette

stratégie est l'assimilation.

Plutôt que de voir une relation de cause à effet entre l'insécurité linguistique et

l'assimilation (cf. Boudreau 1991)' vision qui cke un sujet qui subit les effets d'une

condition sociale. il est possible de voir en l'assimilation la stratégie d'un acteur

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social. L'assimilation est une forme de résistance pour les Acadiens et Acadiennes

qui n'ont pas Ie pouvoir d'imposer leur discours. Plutôt que de subir la violence

symbolique (Bourdieu 1977) du français standard, violence qui passe par Ie

développement de l'insécurité linguistique, certaines personnes peuvent choisir de

se soustraire au marché linguistique acadien, croyant qu'ils risquent mieux de

réussir sur celui de la majorité anglophone. Ce marché anglophone peut même leur

sembler plus équitable. En effet, Gisèle, une des enseignantes participantes,

rapporte que son frère, propriétaire de la ferme familiale, dit que les fermiers

francophones se soupent la gorge entre eux», alors que les anglophones se

«tiennent entre eux». Ce même commentaire m'a également été rapporté au sujet

des gens d'affaires francophones. À 1 'école, cette résistance au franpis standard

devient ce qu'on nomme, en milieu éducationnel, un manque de motivation

scolaire. c'est-à-dire un non-investissement dans le travail scolaire, dont

l'apprentissage du français standard.

De récentes recherches en psychologie cognitive, domaine qtii influence

actuellement la pédagogie proposée par les guides pédagogiques du Nouveau-

Brunswick, ainsi que tout nouveau matériel que produisent les maisons d'édition

québécoises, suggèrent que la motivation scolaire est tri butaire de la perception

qu'a l'élève de la tâche à réaliser (Tardif 1997). L'élève qui perçoit une valeur dans

l'apprentissage du français standard (cette langue lui ouvrira les pones de la lecture

ou d'une profession) par exemple, qui se reconnaît les habiletés et connaissances

(exigences) nécessaires à cet apprentissage et évalue positivement sa capacité à

relever le défi avec succès (contrôlabilité), est plus apte à vouloir prendre le risque

nécessaire à l'apprentissage. En contrepartie. l'élève pour qui le chiac est one

langue d'identité et d'appartenance aura une vision conflictuelle de la valeur du

français standard (il lui ouvre certaines portes, mais fait violence à son appartenance

et à sa communauté). S'il perçoit sa langue comme étant du mauvais français», il

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ne se reconnaîtra pas les connaissances et les outils nécessaires à l'apprentissage du

français standard et, placé ainsi en situation d'insécurité linguistique, il ne pourra

pas avoir le sentiment d'auto-efficacité qui lui donnerait du pouvoir sur la tâche à

accomplir. La motivation à apprendre le français standard, seule langue appropriée

à la salle de classe, et celle de faire partie de la cellule sociale qu'il représente

diminue donc chez l'enfant qui ne s'y reconnaît pas. Vue sous cette optique, l'école

qui participe, par une pédagogie coercitive à l'égard du français acadien ou

régionai, à la création d'une vision voulant que la langue de l'enfant soit

insuffisante, travaille à l'encontre de son rôle de gardienne de la langue et de Ia

culture acadiennes. Elle devient plutôt productrice d'une nouvelle langue et culture

acadiennes qui excluent toute autre forme d'expression de l'identité acadienne.

Cette rigidité ferme des portes plutôt que de créer une ouverture envers l'ensemble

de la population. Comme me dit une récente diplômée d'une polyvalente acadienne,

à I'école française. «y careont pas pour toi, y carent yinque pour le français.» (ns ne

se soucient pas de toi, ils ne se soucient que de la langue française.) Puisque telle est

sa perception, cette jeune femme recommande à une amie d'inscrire son enfant à

1 'école anglaise.

Dans ce chapitre, on verra que le lien entre insécurité linguistique et pidagogie est

dialectique : 1 'école conui bue à la reproduction de l'insécurité linguistique des

francophones et. en contrepartie. cette insécurÏté rend légitime une pratique

pédagogique du bien parler. La nome linguistique de l'école et les pratiques

pédagogiques qui doivent conduire à son actualisation sont définies dans les

programmes de français et autres documents du ministère de l'Éducation du

Nouveau-Brunswick (MENB).

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Le contexte institutionnel

Le MENB compte trois départements, dont ceux des finances, de l'éducation

francophone et de l'éducation anglophone. Les départements d'éducation

francophone et anglophone sont responsables de la proborammation scolaire de leur

système scolaire respectif. Du côté francophone, les proammes de français au

primaire (maternelle à la ge année) et au secondaire (de la 9' à la 1- année)

précisent la philosophie pédagogique générale à tous les niveaux ainsi que les

objectifs spécifiques à chaque niveau d'enseignement. Dans le programme de

français au primaire (dorénavant le programme, on peut également retrouver

certaines suggestions quant aux moyens à utiliser pour l'enseignement de la lecture,

de l'écriture et de la langue o d e . Cet aspect de la pédagogie du français sera traité

plus en profondeur dans une autre section de ce chapitre. Au primaire, le

proCmme précise également la place des différents registres de la langue

française. U s'agit donc d'un document important à la définition du contexte

linguistique de l'enseignement au primaire.

Dans son proCgmnme de français au primaire de 1988, en vigueur au moment de la

collecte de données, le MEN3 précise que : «L'école doit favoriser l'utilisation du

français <amdard>. (...) Et] on trouvera en annexe une liste d'expressions à

corriger, fréquemment utilisées par les élèves d'ici» (p17). En faisant du français

standard la seule langue légitime en salle de classe, le MEN3 construit un Autre

acadien. Dans la perspective présentée par le MEM3, l'Autre est l'audience qui sera

I'interlocuteur futur de l'élève qui réussira à apprendre le français standard. Dans

les termes de Foucault (1975), par contre, c'est l'enfant et sa communauté qui sont

Autres : c'est la langue de l'enfant qui doit être normalisée afin d'être comprise par

la francophonie canadienne et internationale.

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Dans cette construction de l'Autre, le MENB place les enseignantes à la frontière

entre le français standard et le français régional : elles doivent arrêter tout enfant qui

ne parle pas le français standard afin de lui prodiguer les correctifs nécessaires et

mener l'enfant du français régional, langue de son identité acadienne, vers le

français standard. Or, le programme de 1988 ne reconnaît pas l'aspect conflictuel de

cette situation et ne donne pas aux enseignantes les outils pédagogiques nécessaires

à sa résolution. La méthode préconisée par le MENB est la correction à l'intérieur

de situations de communication réelles et variées (approche communicative). Le but

poursuivi est celui d'assurer «un apprentissage efficace du français, développer chez

nos élèves la fierté de leur langue et de leur culture, et faire d'eux des individus

autonomes et créateurs» (p. 2).

Comment développer chez I'enfant la fierté de sa langue tout en la corrigeant?

Dans la proposition du MENB, on voit qu'il s'agit plutôt de la correction de la

langue de l'enfant et, ainsi, de sa marginalisation. il n'est pas question de

développer une fierté en la langue régionale, mais bien une soumission à

l'hégémonie de ce que le MENB qualifie de français standard, c'est-à-dire une

langue sans calques ou emprunts de l'anglais et sans régionalismes. C'est par cette

soumission que l'enfant démontrera sa fierté acadienne. Dans l'exemple suivant de

la pratique pédagogique qu'il propose, le MEM3 incite le personnel enseignant à

corriger, entre autres, une conjugaison régionale du verbe être. On voit également

que le MENB considère que ce sont la majorité des élèves acadiens qui ont besoin

de correctifs :

Objectifs :

3. Formuler ses idées 3.1 Utiliser des structures et des termes corrects en français et

les employer à bon escient.

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Exemples d'interventions :

Enfant : aÀ l'aquarium. i sontaient beaucoup.>> Adulte : «ils étaient nombreux et ce devait être bien amusant de les observer.» ( - - - 1

Reformuler ainsi les énoncés des enfants en remplaçant un terme erroné ou mal utilisé par une expression ou un mot correct [pratique que les enseignantes nomment écho ou miroir] a le mérite de ne pas interrompre Ia communication et de ne pas discréditer le milieu familial de l'enfant. De plus, de telles interventions peuvent être faites à tout moment pendant les activités où les enfants parlent.

En plus d'agir de cette manière lors de situations de communication, il peut être avantageux de proposer périodiquement des exercices structuraux pour éliminer des stnictures fautives, employées par la majorité des éièves. Par exemple : Je peux-tu aller., .? (MENE3 L988 : 52, gras ajouté)

Inclure les régionalismes parmi les erreurs à comger chez les élèves acadiens trahit

I'objectif ultime du MENB ; effacer les différences par la standardisation des

parlers régionaux, marqueurs d'appartenance à une communauté. Par ce travail

linguistique, le ministère vise également à réduire les différences sociales.

Reconnaissant la vaieur symbolique du français standard, l'institution scolaire doit

donner à tous les élèves un accès égal i cette ressource. Les agents de cette

institution ne reconnaissent donc pas la violence de la pédagogie coercitive du bien

parler, de cette pédagogie qui veut la normalisation de tous. Par cette éducation

coercitive, tous seront fiers de parler le français standard et reconnaîtront cette

norme comme seule définition légitime du français et de leur francité. Afin de

contrer I'assimilation à l'anglais et donner à tous une chance d'accès égal aux

ressources de la communauté, le MENB souhaite assimiler tous les enfants au

français standard. Le ministère crée ainsi le mythe de l'accessibilité de ce français

standard.

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Les enfants et les communautés qui parlent un registre qui s'éloigne de ce français

standard se voient donc marginalisés davantage par un système scolaire qui cherche,

comme ceux de l'école neutre de 1871 et des institutions imaginées par les évêques

irlandais de la même époque, à créer une communauté basée sur la vision «un

peuple, une langue». Ceux et celles qui ne parlent pas la langue prescrite sont

rendus anormaux ou déficients et en besoin d'un enseignement correctif.

L'hégémonie installée. ces derniers, parents et enfants, disent parler un mauvais

français et acceptent comme légitimes les actions pédagogiques coercitives de

l'école. On peut ainsi parler de dominants et de dominés à l'intérieur même de la

communauté acadienne du Nouveau-Brunswick.

Avec le programme de 1998, le MENB remplace la désignation standard>^ par

celle de «correct». Tout en insistant sur l'utilisation du français correct, le MENB

désire amener l'élève à «percevoir positivement le recours aux différents registres

de langue [et] choisir et utiliser le registre de langue approprié en fonction de la

situation de communication » (MENB 1998 : 38 et 32). Or, il n'est pas question

d'utiliser n'importe quel registre puisque l'utilisation d'anglicismes demeure

proscrite (p. 32)- il inscrit plutôt une distinction entre le français correct, qu'on parle

dans toutes les situations de communication scolaire, et le français soutenu que les

élèves doivent également apprendre à utiliser lors de communications plus

formelles.

Ce qu'on entend par «français correct» et «français soutenu» n'est pas explicité dans

le programme. On peut en déceler une définition par contre, dans une grille utilisée

par le MENB pour la correction d'examens provinciaux. Ces examens comptent

deux volets, la lecture et l'écriture. et sont écrits par les élèves de la 4e et de la 8'

année, C'est la grille de correction pour l'épreuve d'écriture dont il est question ici.

EIIe précise surtout ce qui n'est pas le français correct. Selon cette grille, le français

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correct est une langue libre d'anglicismes, de locutions de la langue familière et de

jurons (MENB 1999b). Un père rend explicite la différence entre cette langue et

celle du milieu :

Entrevue 1997 Représentant de services locaux

Réginald : Ben, c'est comme la cousine de ma femme. Elle a habité à Memramcook. Zeux mont déménagé à Dieppe. Alors, si t'allais visiter là, elle avait pas le même français qu'elle avait quand qu'elle était icitte. Tu t'apercevrais tout de suite. C'était plus, je sais pas. Je crois qu'elle essayait de, peut-être ben dire quand j'habite Memramcook. quand j'habite à Dieppe, c'est, y a un ti brin plus asteure, là. Je me semble, je me sens un ti bnn plus --

Phyllis : Meilleur.

Réginald : Oui.

Phyllis : Peux-tu me donner des exemples?

Régïnald : (nt) Ah, okay. Okay, toi tu t'en aperçois pas, ben, moi je m'aperçois des choses. Ah, quand j'avais vu ça, y avait une fois, asteure ... Comme, tu sais, nous autres. on parle, comment que je vais dire ça, on parle à notre aise, on va dire. On parle, si on sent qu'on serait à l'aise on parle, tu sais, on parle. Ben là, si faut que je m'assise avec toi, puis je dis, excuse-moi, je me sens pas bien ou, tu sais, faut tout que je pense à mes mots avant que je te les dise, mais c'est un ti peu de même qu'elle parlait.

Phyllis : Ah, oui?

Réginald : Ouais. Tu sais, elle parlait pas à son aise. Elle parlait comme si, qu'elle prouve quelque chose, fallait qu'elle, tu sais, elle répète toute la phrase, chaque mot, II, puis elle parlait, tu sais, comme ça, comme je - me - fallait tout qu'elle pense, qu'osse qu'est le mot que je vais mettre après, tu sais? (rit)

Phyllis : C'est-tu ben parce que normalement, c'est pas des mots qu'elle utilise, c'est-tu ben --

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Réginald : Non, c'est pas des mots qu'elle utilise, pas icitte, non, pas à Memramcmk. Nous autres.

Phyllis : Ah, okay, c'est meme pas les mêmes mots de Mernramcook, c'est comme si c'était des mots de --

Réginald: Parce que si je dirais, non, moi, je dis non, ben elle dirait no.

Phyllis : Ah, okay, c'est même pas la même prononciation. Ah, okay.

Réginald : Si je dis, non. je veux pas aller au magasin. Ben y'elle dirait, non, - je - ne - veux - pas, elle prenne une vraie.

Phyllis : Ah, okay, comme une phrase écrite, là, quasiment.

R: Oui, oui, parce que, pour dire, ben, tu sais, c'est ça, puis ça c'est ça, des bons mots, là. Si faut que je pense à tous mes mots, moi, moi, je dis (rit).

Phyllis : Tu dirais pas grand chose, hein?

Réginlad : (rit) Non, c'est un ti peu de même, la comparaison que je veux dire. Tu sais, puis c'est juste la différence de c'ti-là de Memramcook qu'aurait resté à Dieppe. Tu sais, maintenant il dirait pas rester, il dirait peut-être ben, habiter, ou, tu sais. Tu sais, y'elle se servirait d'un autre mot, là. Elle servirait pas du mot que nous autres on se sert.

La réaction du MENB aux résultats à des examens provinciaux, et à d'autres

pancanadiens, cultive une insécurité linguistique hégémonique qui rend légitime

une correction linguistique constante. Les résultats aux examens provinciaux sont

utilisés pour comparer les écoles et les districts scolaires entre eux. De plus, lorsque

les élèves francophones de la province ne donnent pas la performance escomptée

lors d'évaluations pancanadiennes en lecture et en écriture (PRS 1995). une

commission provinciale est mise sur pied afin d'expliquer les résultats et proposer

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des sofutions. Cette commission utilise également le concept de français <correct»

dans son rapport et ses recommandations. Ce qui devient évident, c'est que ce n'est

ni la langue acadienne, ni le chiac qui comptent comme français correct.

Dans leur Rapport s u r le rendement scolaire en franpis, écrit pour le MENB,

Boudreau et al. (1996) reprennent le même discours que l'on retrouve dans le guide

pédagogique de 1988 :

Si le propre de l'école est de permettre à tous les élèves, peu importe leur origine sociale, d'avoir accès à un enseignement de qualité, le comité est d'avis qu'il incombe aussi à l'école de doter tous les enfants d'un français qui leur facilite l'accès au marché du travail et, plus important encore, leur ouvre les portes de la connaissance. Et ce français, c'est le français standard. Pour bon nombre d'élèves, l'école est le seul endroit où ils auront accès à un niveau de langue formel, le seul endroit où ils pourront acquérir et pratiquer un français standard.

Par contre, i l ne s'agit pas de mettre de côté Ia langue sociomaternelle de l'élève, mais plutôt de s'en servir comme point de départ pour éIargir son répertoire; i l faut lui donner les instruments qui le rendront aptes à communiquer à l'oral et à l'écrit dans un français correct (Boudreau et al. 1996 : 3).

Tout comme pour le guide pédagogique, les intentions des auteurs de ce rapport

sont louables : donner à tous les enfants un enseignement de qualité qui leur

donnera accès au monde du travail. Il s'agit toujours, par contre, de maintenir

l'hégémonie du fmçais standard et des groupes sociaux pour qui celle-ci est la

langue sociomaternelle. Ce n'est pas l'enfant qui parle déjà ou seulement le français

standard qui doit «élargir son répertoire», mais bien ceux et celles qui ont un autre

registre sociomaternel. En fait, le français standard est la seule définition légitime

que l'on donne au français. Français standard est, dans ce texte, interchangeable

avec «français correct», <<français de qualité» et de la connaissance (Boudreau et al.

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1996 : 3, 10). Ce faisant, Boudreau et ai. rendent illégitime la langue acadienne ou

régionale. Certains milieux de travail se trouvent également marginalisés.

On a vu au dernier chapitre que les hommes n'utilisent pas tous le français standard

au travail. Pour certains, le français standard est en effet proscrit. En faisant du

français standard la seule clef d'accès au monde du travail, Boudreau et al. (1996)

font des milieux de travail où le français standard est la norme les seuls milieux

légitimes. Ces milieux légitimes sont le plus souvent ceux où l'on retrouve la classe

professionnelle acadienne. Par leur vdorisation de la langue de travail de cene

classe, Boudreau et al. participent à la production de son pouvoir hégémonique.

Cette classe de travailleurs acadiens parle le français standard, donc ils font un vrai

travail et méritent de meilleures conditions de travail : cela est juste et bon.

Afin d'accéder à un vrai travail, l'enfant doit apprendre le vrai français, le français

standard. Cet apprentissage est la responsabilité de l'école. Malgré la conscience

qu'ont Boudreau et al. (1996) de la diversité Iinguistique des francophones du

Nouveau-Brunswick, la langue standard ou littéraire (les documents qui sont à la

base de ce rapport sont des évaluations du rendement en lecture et en écriture) et la

culture qu'elle transmet sont les seules jugées appropriées à la salle de classe.

L'élève apprend sa langue maternelle d'abord et avant tout à )a maison. Cette langue varie selon le niveau socio-économique et les compétences linguistiques des parents, et selon la région où ils habitent. Les élèves amvent donc à l'école avec un bagage de connaissances linguistiques qui varie en fonction de ces différents facteurs. Certains possèdent une langue française di te «standard» et font bon usage des différents registres de langue. D'autres anivent à l'école avec leur seul «vernaculaire», qui varie selon les milieux et qui présente un écart important par rapport à la langue écrite et parfois par rapport à la langue d'enseignement @oucireau et al. 1996 : 3).

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On parle du respect de la culture ou de l'identité de l'élève qui ne parle pas le

français standard. mais seulement pour les mettre rapidement de côté.

On doit respecter l'élève dans son identité sociolinguistique. tout en s'assurant que l'école soit un milieu où celui-ci est. le plus complètement possible, plongé dans une langue de niveau standard. Dans un contexte minoritaire. i l est important que les élèves prennent conscience de l'état parfois précaire de leur culture et apprennent à s'affirmer culturellement. (Boudreau et al. 1996 : 9)

Plus loin, on définit cette culture qui se doit d'être Cette culture doit être

la même pour tous les francophones :

L'enseignement du français et, en particulier, de la lecture est une voie d'accès au patrimoine culturel de la francophonie. La lecture donne j. l'élève un sentiment d'appartenance puisqu'elle lui permet de se doter de références culturelles communes à tous les francophones de la planète. (Boudreau et al. 1996 : 13)

Et si l'élève ne se reconnaît jamais dans ces lectures ? Les auteurs proposent

l'enseignement «dès la première année, des éléments de sociolinguistique, tels que

les registres de langue liés aux situations de communication, les différences entre

l'oral et l'écrit, etc., (p. 10). On propose également l'utilisation <~d'œuvres littéraires

de genres variés. de provenance et d'époques diverses» (p. 13). Par contre, il est

évident que les écrits en français standard doivent être favorisés : sous la mbrique

les techiqrtes pédagogiques, on valorise un retour à «la dictée, la récitation, les

exercices de mémorisation, la lecture obligatoire d'auteurs classiques» (p. 15). Qui

sont ces auteurs classiques sinon ceux d'œuvres canoniques? Les références

culturelles communes à tous les francophones sont donc celles de la classe pour qui

le français standard est la langue sociornatemelle.

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Le discours pédagogique du rapport porte surtout sur la remédiation et

l'enrichissement, que ces stratégies et matériaux pédagogiques soient adaptés à tous

les niveaux d'enseignement (p. 8) ou au niveau de rendement des élèves (p. 12). Or,

comme le souligne Henry (1996), le mot remédiation trouve son origine dans le

terme latin rernediure signifiant apporter un remède à ; atténuer ou supprimer les

effets néfastes de» (Robert 199 1 : 192 1). En fait, la remédiation est une procédure

de l'enseignement dit «correctif>,. En contrepartie, enrichir signifie rendre plus riche

et plus particulièrement, dans le contexte scolaire, riche de connaissances ou de

pouvoir symbdique.

Ce discours place également l'évaluation continue des apprentissages au centre de

l'enseignement préconisé, menant ainsi à une pédagogie coercitive par les moyens

de contrôle que décrit Foucault (1975) : tes élèves deviennent des sujets qu'on

évalue continuellement de connaître leur degré. de distance de la norme. On

pourra ainsi adapter le traitement (I'enseignement) en vue de norrnaiiser les enfants

davantage. A ceux qui sont déjà <mormaux», on réserve des activités

d'enrichissement qui donnent à Ieurs connaissances une valeur symbdique ajoutée.

Ceci rt pour conséquence le renforcement de la stratification sociale dite «naturelle»

parce que basée sur le mérite ou l'intelligence. Par sa participation à cette éducation

coercitive, l'enseignante produit et reproduit, comme les mères du dernier chapitre,

des inégalités sociales en Acadie.

De plus, l'attente de Boudreau et ai. (p. 9) est que délève continue, en dehors des

cours de français, de sentir l'obligation de mettre en pratique les connaissances

langagières acquises, de façon à assimiler plus efficacement les automatismes qui le

rendront compétent en français.» il est donc question de remplacer la langue

sociomatemelle par le français standard. Aucune mention n'est faite de la situation

conflictuelle que créent de telles attentes pour les enfants chez qui la langue

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standard n'est pas la langue d'identité et d'appartenance communautaire. L'attente

est que tous les enfants adopteront le désir pour le français standard comme langue

d'identité et d' appartenance. Tous accepteront ainsi que 1' identité acadienne doit

être homogénéisée ; une langue, une vision du monde, une culture partagée. Une

telle reconnaissance de la valeur du français standard assure la production d'un

marché linguistique unifié et la reproduction du pouvoir de ceux pour qui le

standard reconnu est langue d' identité et d'appartenance, Ieur maîtrise du français

standard témoignant du bien-fondé de leur pouvoir d'action et de décision au nom

du peuple. Perpétuer la conviction que cette Imgue est accessible à ceux et celles

qui sentiront «l'obligation de mettre en pratique les connaissances langagières

apprises» effectue donc la mystification sur laquelle repose la reproduction

d'inégalités. Cette langue n'est pas également accessible à tous et pour certains, elle

est même hors d'atteinte.

La seule façon pour un enfant qui dévie de la norme d'accéder au travail et aux

connaissances promises est de troquer un habitus divergeant pour 1'habitus1'

dominant. Or, I'habitus est K Je produit de toute une histoire de la relation avec un

système particulier de renforcements sélectifs n (Bourdieu 1977 : 26) et, comme il a

été démontré au dernier chapitre. les mères universitaires produisent avec leurs

enfants, par l'enrichissement lexical et des expériences culturelles diverses, un

nouvel habitus dominant. Un enfant qui ne participe pas à cette construction pourra-

t-il intékg-er cet habitus en constante évolution ou sera-t-il toujours à sa remorque ?

Pour certains enfants, i l n'est pas uniquement question de changement linguistique,

c'est le discours qui doit être normalisé. C'est-à-dire qu'il ne suffit pas d'apprendre à

l 1 i.'h;lbitus rst Ic npport d'un indixidu cc dc son g o u p c sociaf au hnpgc. au corps et au tcmps: qui SC di~eloppc au

til dc-s cxy>i.rirncrs vvi.cucs sur diffi-rrnts mruchis. I.'habinis l inwuque cc trnd à fonctionner comme un scns de

I'acc~~nbiliti. et de Iri vdcur probabIcs dc scs p r q m producrions iinguistiqucs ct ccUcs dcs autrcs sur le J. itfrrcwts - -. marchk. C'ex cc scm dc l'accc-nbilitE (...) qui (...) dCt&e Ics corrections ct toutcs Ics fornies d'autocrnsurc >b (Bourdieu 1982 : 75-76).

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parler et à écrire le français standard, il faut également savoir se componer, se vêtir

et voir le monde selon la nome. À l'école Lionel-Groulx, par exemple, les garçons

de Memramcook sont reconnus et rejetés par les autres élèves, de par la façon qu'ils

portent leur casquette. Ces jeunes portent leur casquette le bec vers l'avant et peu

arrondi. Les garçons de Moncton et des environs la portent avec le bec soit vers

l'arrière, soit vers l'avant mais fortement arrondi.

Les mesures mises en place depuis la publication du rapport de la commission

provinciale rendent également di ficile la divergence pédagogique.

Le MENB doit se faire l'instigateur d'un plan d'action visant à améliorer la compétence linguistique de la population scolaire et ne doit rien négliger pour atteindre cet objectif. En principe, tous les acteurs sociaux doivent être menés à reconnaître le rôle qu'ils pourraient jouer pour améliorer la qualité de la langue franpise au Nouveau-Brunswick. Puisque la langue est le moyen privilégié de transmission de toutes les connaissances, il y a lieu de favoriser une concertation entre toutes les personnes et tous les organismes touchés de près ou de loin par l'éducation (1996 : 8, gras ajouté).

Depuis la publication de ce rappon, l'amélioration <<de la qualité de la langue

française. est une cible prioritaire du MENB. Suite à une nouvelle évaluation pan-

canadienne en 1998. le MENB a réitéré la priorité de l'amélioration de la langue en

spécifiant, dans son plan éducatif pour l'année scolaire 1999-2000 (MENB 1999).

que tout sen mis en œuvre pour améliorer le rendement des élèves à la prochaine

évaluation pantanadienne en lecture et en écriture. Les examens provinciaux sont

des indicateurs annuels de cette amélioration. Ces évaluations servent également à

la régulation des enseignantes.

Placées dans la philosophie de l'éducation centrée sur l'enfant, les évaluations

provinciales en franpis et en mathématiques se veulent diagnostiques ; leur but est

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d'aider l'enseignante à cibler son enseignement selon les besoins d'apprentissage de

l'enfant. Or, ces examens ont également un but implicite de sanction du système

scolaire et les districts scolaires sont jugés d'après leur rendement aux évaluations

en français et en mathématiques. De plus, le français est souvent ciblé pour

expliquer les difficultés en mathématiques : les élèves ne réussissent pas parce

qu'ils ne savent pas lire ou parce qu'ils n'ont pas le vocabulaire nécessaire. Dans

l'exemple suivant, tiré de l'examen Mazlzéniatiques g de 1999, la difficulté des

élèves est expliquée par une incompréhension des mots «dépôt» et aetraib :

Denise avait 625$ dans son compte de banque. Depuis, elle a effectué les dépôts et les retraits suivants :

............. dépôt 75$ ............ retrait 130$

dépôt.. ............ 55s retrait ............. 35$

Combien d'argent a-t-elle dans son compte maintenant?

Ce vocabulaire est dit hors de !a portée des jeunes malgré la présence d'une unité

appelée Les banqitiers dans le matériel de mathématiques de la première année

(Lyons 1984) et l'utilisation des mots «dépôt» et «retrait» par l'enseignante lors de

son enseignement. Plus encore, on dit des enfants qui ne réussissent pas en

mathématiques qu'ils ne <<savent pas s'exprimer». C'est-à-dire que les réponses à

l'examen sont inappropriées parce que formulées dans un langage imprécis.

Éventuellement, les résultats des élèves sont utilisés comme indicateurs de

l'efficacité des écoles et des enseignantes. Afin de pallier aux faiblesses des élèves,

chaque palier, du MENB à chaque membre du personnel enseignant, est tenu de

rédiger son plan d'amélioration de la langue. Lorsque l'écart entre le rendement

d'une école et la moyenne provinciale est trop grand, on parle même d'un plan de

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redressement. Ces situations provoquent un questionnement en ce qui a uait à la

qualité de l'enseignement.

Lors de discussions autour des résultats des élèves de mon disttict scolaire actuel

par exemple, je suggère qu'il existe un lien entre le milieu de vie des éIèves et ces

résultats. Pour ce faire, je m'appuie sur les chiffres qui placent continuellement les

résultats des écoles de milieux ruraux en dessous de la moyenne provinciale et ceux

de milieux plus urbains au-dessus & cette moyenne. La représentante du ministère

refuse ce lien disant qu'il est impossible de le prouver, il s'agit plutôt d'un

problème d'enseignement. Un autre représentant du MENB me raconte que les

évaluations externes ont permis à une enseignante du sud-est d'analyser son

enseignement et de modifier sa pédagogie afin d'assurer le succès de ses élèves.

Cette anecdote est présentée par ce représentant du MENB comme preuve de

l'utilité des tests comme indicateurs du besoin d'améliorer l'enseignement. Ici, il

n'est pas question de modifier l'enseignement pour qu'il devienne plus sensibIe aux

diverses identités culturelles et linguistiques, mais bien pour que la normalisation

culturelle et linguistique soit plus efficace. En effet, les fondements culturels des

i nstmments de mesure ne sont jamais remis en question.

Cette remise en question de l'efficacité pédagogique a pour cible une population

enseignante composée essentiellement de femmes. La responsabilité de

l'amélioration de la langue repose également sur les épaules de femmes ; les

enseignantes du primaire et du français au secondaire sont en grande majorité des

femmes. La responsabilité de cette amélioration devient de plus en pius grande.

Entrevue 1997

Gisèle : Ils nous ont dit de faire très attention au français, parce que 1% on a eu un document sur le français. qu'ils sont supposés faire. La qualité de la langue, on a reçu un document cet automne.

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Je l'ai pas lu encore, j'ai pas trouvé ça. Le livre blanc vient de sortir, y a un autre document qui est sorti l'automne dernier, d'ici cinq ans qu'est-ce qu'ils veulent qu'on fasse, pis en tout cas, les documents poussent comme des champignons.

Phyllis : Pis vous autres vous êtes censées implanter ça?

Gisèle : Faut tout faire ça.

Le rapport de Boudreau et al. (1996) vient donc seconder la violence symbolique

que le MENB fait subir aux enseignantes et à leurs éfèves. En 1998, le MENB a

ajouté un nouvel outil de surveillance linguistique à sa structure : la surveillance de

la langue des enseignantes s'est formalisée avec l'introduction d'un système

d'évaluation criténée" du personnel enseignant du secteur francophone - les

anglophones n'ont pas un tel système uniformisé - du MENB. La qualité de la

langue orale et écrite est depuis un critère d'évaluation de ta qualité de la pédagogie

de l'enseignante. Cette mesure vient s'ajouter à celle de l'examen de fiançais que

chaque postulant doit écrire lors d'une entrevue pour un poste d'enseignement.

Comme l'indique une discussion entre les doyennes de l'école Du Bouleau et de

jeunes stagiaires, cette surveillance accrue de la langue du personne1 enseignant

francophone est récente. Selon ces enseignantes, il n'y a pas de cela très longtemps,

i l suffisait d'être francophone pour avoir un poste dans une école française au

Nouveau-Brunswick. En fait, l'amélioration des compétences linguistiques du

personnel enseignant déjà en place était, tel qu'it a été précisé au chapitre deux, le

but principal des cours d'été du collège Saint-Joseph. Comme les enseignantes des

années 1930 acceptaient la légitimité des buts poursuivis par ces cours, les

enseignantes d'aujourd'hui acceptent que le MENB vérifie leurs habiletés

linguistiques. En effet, les enseignantes font preuve, on le verra plus loin, d'une

' 2 hlodc d'CvJuanon où h pcrfomiuicc du sujet dans I'accomplu;scmrnt d'unc tichc qkaf iquc cst $6" ~ ~ P p x t i un seuil ou i un c r i t k dc rCussitc (ZcXndrc 1997 577)

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certaine insécurité linguistique qui rend légitime cette surveillance : elles ne croient

pas maîtriser le français standard-

Dans la présente section, on a vu que le français standard est la seule langue

légitime à l'école acadienne. Cette hégémonie est construite sur la perception des

bienfaits de l'apprentissage de la forme standard : cette dernière est la seule clef

d'accès à la connaissance, au travail et au monde francophone. Enseigner autre

chose équivaut à placer I'enfant en situation de désavantages intellectuels,

économiques et sociaux. Afin d'assurer que cela ne se produise pas, le MENB

dispose de plusieurs éléments de contrôle. Le contexte dont il a été question dans la

présente section place les enseignantes sous une surveillance continuelle. LES outils

de cette surveillance sont l'évaluation du personnel et des élèves. Des outils de

régulation. tels le programme et les plans d'action pour l'amélioration de la langue,

sont également sous le contrôle du MENB.

Dans la prochaine section, on verra que cette surveillance et cette régulation

exercent sur les enseignantes un pouvoir hégémonique : malgré une certaine

insécurité linguistique, la langue est un élément déterminant de leur éthique

professionnelle. Elles voient leur rôle vis-à-vis de la langue des enfants comme

faisant partie d'un travail, que l'une dit maternel. plus englobant. Ce lien entre

enseignement et maternité est également exploité par le MENB : puisque le soin des

petits est instinctif pour les femmes, l'enseignement au primaire n'est pas une

science mais bien un art. Cet art est celui d'aimer les enfants et de faire le don de

soi afin qu'ils empruntent le droit chemin. En Acadie, ce chemin est celui du

français standard. La féminisation du travail de scolarisation crée des conditions

propices à l'implantation d'une pédagogie coercitive que tous acceptent comme

naturelle.

Page 173: NQ49849.pdf - TSpace - University of Toronto

En fait, la prochaine section propose que ce n'est pas par hasard si ce sont des

femmes qui sont responsables de la qualité de la langue française dans nos écoles.

En faisant de l'enseignement au primaire un travail de femmes, gardiennes de la

langue, l'institution scolaire facilite la reproduction de l'hégémonie du français

standard. Les enseignantes font un travail de femmes situé dans le néant entre la

maison et le monde du travail, comme le soutient Gmmet (1988)' mais égaiement

entre la langue régionale et le français standard. En ce sens, elles sont gardiennes de

la langue et du pouvoir symbolique du discours dominant. Tout comme les mères

traditionnelIes qui ont formé mon échantillon du dernier chapitre, c'est dans le

quotidien que les enseignantes-participantes font ce travail de socialisation.

L ' E X S E I G ~ ~ L V T AU PRiMAiRE, TRAVAIL DE FEMMES

En 1998, le MENB rapportait que pour l'année scolaire 1996-97, 71% de la

population enseignante de l'ensemble des écoles de la province était des femmes.

Par contre, les hommes continuaient à occuper 70% des postes de direction d'école.

Ators que le MENB ne fait pas cette distinction, on peut dire que Ia proportion de

femmes qui enseignent au primaire est encore plus p n d e . À l'école Du Bouleau. le

personnel enseignant est composé uniquement de femmes et dans mon district

actuel, seuls trois hommes enseignent à des niveaux inférieurs à la septième année

et aucun de la maternelle à la troisième année. Des seize écoles du district où l'on

retrouve des élèves de la maternelle à la sixième année, huit sont dirigées par des

hommes et huit par des femmes. Les autres écoles n'ont que des hommes à leur

tête. Malgré la féminisation de la profession enseignante et le mouvement

féministe, les enseignantes acadiennes continuent donc à être reléguées au primaire

et exclues de la direction des écoles secondaire. La seule exception est dans le

district scolaire où j'ai mené ma recherche. Là, les directions générale et de

l'éducation sont des femmes et semblent être proactives dans la recherche de

l'égalité des sexes lors de l'attribution des postes à la direction de leurs écoles. Ces

Page 174: NQ49849.pdf - TSpace - University of Toronto

membres de la haute direction ont placé une femme à la direction et une autre à la

direction adjointe de leur plus grande polyvalente.

Dans cette section, on verra que les femmes participent à la production et à la

reproduction du statut de la profession enseignante, travail de femme. Elle est

divisée selon les différents lieux de cette participation. Les actions des enseignantes

dans chacun de ces lieux sont explorées et l'aspect féminin des actions et des lieux

est explicité, souvent en comparaison avec les situations rapportées par les mères du

dernier chapitre. Le travail scolaire est féminin tant dans sa définition que dans ses

conditions, des conditions qui sont similaires à celles des mères du chapitre

précédant. En plus, des liens sont tissés entre mes données et les résultats d'autres

recherches. On verra également quelles sont les conséquences de cette production et

reproduction de la féminisation du travail de scolarisation au primaire. Comme le

travail linguistique des mères contribue à la stratification sociale, celui des

enseignantes est important à la réalisation du rôle de sélection sociale de l'école.

Leur carrière

Comme les mères du dernier chapitre, Gisèle et Chantal ont toutes deux un

cheminement professionnel typiquement féminin. Les mères qui sont restées sur le

marché du travail suite à la naissance de leurs enfants occupent des postes au

service des autres (infirmière, enseignante, secrétaire). Alors qu'il est possible que

des femmes de la Vallée occupent des postes moins traditionnels, aucune n'a été

identifiée et interviewée. Alors qu'une femme scientifique et professeure au niveau

universitaire fait partie de l'échantillon, celle-ci a décidé de demeurer à la maison

lors de l'amvée de ses enfants. Aucun homme de l'échantillon n'a fait ce choix et la

carrière de parent à temps complet demeure un choix essentiellement féminin. Le

choix de carrière des enseignantes est également un choix de femme.

Page 175: NQ49849.pdf - TSpace - University of Toronto

L'enseignement est une carrière de femmes et l'enseignement au primaire premier

cycle continue à être perçu comme travail maternel. Cette perception a été cultivée

au début de la féminisation de la profession enseignante : les femmes ont acquis le

droit d'enseigner sous le prétexte que le soin des petits est le travail naturel des

femmes, le Bon Dieu ne leur a-t-il pas confié le rôle de mère ? Aujourd'hui, on

continue de s'exclamer lorsqu'un homme enseigne aux tout-petits. De plus, une

enseignante me dit qu'il serait impossible pour un homme d'effectuer ce travail, la

maternité n'appartant qu'aux femmes. Puisque ce travail est nature1 pour la femme,

i l ne peut être remis en question. Comment douter des bienfaits de l'amour et du

don de soi ?

Un deuxième élément qui atteste du caractère féminin du cheminement de ces

enseignantes est qu'elles n'ont considéré que des canières au service des autres :

infirmière ou enseignante pour l'une et agent de voyage ou enseignante pour I'autre.

De plus, dans leur enseignement, Gisèle et Chantal placent les enfants, les parents

ou leur employeur avant elles-mêmes : lorsqu'elle a un problème de discipline avec

un enfant, Gisèle se réfère aux parents pour trouver une solution et l'exécute, même

si elle va à l'encontre de ses croyances ; Gisèle accepte que certains parents

corrigent son français et que d'autres soient en classe pour faire du bénévolat,

même lorsqu'elle doute de leurs compétences ; Chantal aimerait demander un

transfert d'école, mais ne le fait pas car on lui a déjà accordé un congé sans solde et

un congé de maternité ; lors des dernières journées de sa grossesse, Chantal donne

ses dernières gouttes d'énergie aux enfants afin qu'ils ne souffrent pas d'avoir une

enseignante enceinte ; et finalement, Chantai se sent coupable lorsqu'elle n'est pas

en mesure d'en donner autant à un enfant intégré (enfant ayant un handicap

intellectuel qui reçoit son éducation en classe régulière) qu'aux autres enfants de sa

classe, du même coup, elle se sent coupable de ne pouvoir donner plus de temps

aux élèves qui ont certaines difficultés d'apprentissage.

Page 176: NQ49849.pdf - TSpace - University of Toronto

Comme l'indique une discussion entre les doyennes de I'écoIe Du Bouleau et de

jeunes stagiaires, cette surveillance accrue de la langue du personnel enseignant

francophone est récente. Selon ces enseignantes, il n'y a pas de cela très longtemps,

i l suffisait d'être francophone pour avoir un poste dans une école française au

Nouveau-Brunswick. En fait, I'améliontion des compétences linguistiques du

personnel enseignant déjà en place était, tel qu'il a été précisé au c h a p i ~ deux, le

but principal des cours d'été du collège Saint-Joseph. Comme les enseignantes des

années 1930 acceptaient la légitimité des buts poursuivis par ces cours, les

enseignantes d'aujourd'hui acceptent que le MENB vérifie leurs habiletés

linguistiques. En effet, les enseignantes font preuve, on le vern plus loin, d'une

certaine insécurité linguistique qui rend légitime cette surveillance : elles ne croient

pas maîtriser le français standard.

Dans la présente section, on a vu que le français standard est la seule langue

légitime à l'école acadienne. Cette hégémonie est construite sur la perception des

bienfaits de l'apprentissage de la forme standard : cette dernière est la seule clef

d'accès à la connaissance, au travail et au monde francophone. Enseigner autre

chose équivaut à placer l'enfant en situation de désavantages intellectuels,

économiques et sociaux. Afin d'assurer que cela ne se produise pas, le MENB

dispose de plusieurs éléments de contrôle. Le contexte dont i l a été question dans la

présente section place les enseignantes sous une surveillance continuelle. k s outils

de cette surveillance sont l'évaluation du personnel et des élèves. Des outils de

régulation, tels le proemme et les plans d'action pour l'amélioration de la langue,

sont également sous le contrôle du MENB.

Dans la prochaine section, on vern que cette surveillance et cette régulation

exercent sur les enseignantes un pouvoir hégémonique : malgré une certaine

insécurité linguistique, la langue est un élément déterminant de leur éthique

Page 177: NQ49849.pdf - TSpace - University of Toronto

professionnelle. Elles voient leur rôle vis-à-vis de la langue des enfants comme

faisant partie d'un travail, que l'une dit maternel, plus englobant. Ce lien entre

enseignement et maternité est égaiement exploité par le MENB : puisque le soin des

petits est instinctif pour les femmes, l'enseignement au primaire n'est pas une

science mais bien un art. Cet art est celui d'aimer les enfants et de faire le don de

soi afin qu'ils empruntent le droit chemin. En Acadie, ce chemin est celui du

français standard. La féminisation du travail de scolarisation crée des conditions

propices à l'implantation d'une pédagogie coercitive que tous acceptent comme

naturelle.

En fait, la prochaine section propose que ce n'est pas par hasard si ce sont des

femmes qui sont responsables de la qualité de la langue française dans nos écoles.

En faisant de l'enseignement au primaire un travail de femmes, gardiennes de In

langue, I'insti tution scoIaire facilite la reproduction de l'hégémonie du français

standard. Les enseignantes font un travail de femmes situé dans le néant entre la

maison et le monde du travail, comme le soutient Grumet (1988), mais également

entre la langue régionale et le français standard. En ce sens, elles sont gardiennes de

la langue et du pouvoir symbolique du discours dominant. Tout comme les mères

traditionnelles qui ont formé mon échantillon du dernier chapitre, c'est dans le

quotidien que les enseignantes-participantes font ce travail de socialisation.

L'ENSEIG~WME~ AU P R M A D E , TRAVAIL DE FEMMES

En 1998, le MENB rapportait que pour l'année scolaire 1996-97, 71% de la

population enseignante de l'ensemble des écoles de la province était des femmes.

P x contre, les hommes continuaient à occuper 70% des postes de direction d'école.

Alors que le MENB ne fait pas cette distinction, on peut dire que la proportion de

femmes qui enseignent au primaire est encore plus grande. À l'école Du Bouleau, le

personnel enseignant est composé uniquement de femmes et dans mon district

Page 178: NQ49849.pdf - TSpace - University of Toronto

responsabilité. Selon Knopp Biklen (1985) et Acker (1993) cette position, où les

responsabilités familiales jouent dans la décision de postuler ou non un poste à la

direction d'une école, est une position de femme. Acker précise que c'est le

contexte social de la condition féminine qui explique cette position. Puisque ces

femmes sont les premières responsables du travail domestique, elles ne sont pas

libres de choisir un poste à plus grande responsabilité. Tout comme Gisèle, les

enseignantes qui ont participé à la recherche menée par Acker sont responsables des

repas, des enfants et du ménage. Dans la dichotomie privédpublique,

femmehomme, ces responsabilités, comme celles de l'enseignement de la langue et

de l'éducation des enfants, relèvent du secteur privé, domaine des femmes. Alors

que cette division des responsabilités fami liales ne reflète pas l'ensemble des

modèles conjugaux. Baudoux (1992) en relève quatre chez les couples

hétérosexuels, elle reflète bien la situation du ménage à double carrière que vivent

Gisèle et Chantal. L s autres modèles décrits par Baudoux sont : une carrièredeux

personnes, le ménage à double salaire et le couple symétrique.

Le modèle d'une carrière-deux personnes se distingue des autres par la présence

d'une (le plus souvent la femme) personne qui ne poursuit pas de vie

professionnelle. C'est la situation de plusieurs mères interviewées dans le cadre de

cette recherche. Par leur travail domestique, ces femmes libèrent complètement leur

partenaire à la poursuite de leurs carrières. Le couple à salaire double est celui dans

lequel les deux partenaires ont un travail rémunéré.

Dans ce cas, les femmes sont affectées de façon encore prépondérante (mais non exclusivement) à la sphère domestique, et les hommes à la sphère publique. (.. .) Dans ce type de couple, aucun ni aucune des deux membres du couple n'a en principe de poste exigeant, du moins en fait de temps et de responsabilités (Baudoux 1992 : 84).

Page 179: NQ49849.pdf - TSpace - University of Toronto

Le terme à d~uble carrière s'applique là où les

offrent des possibilités d'avancement. Dans ce

responsabilité professionnelle de la femme tend

partenaires ont des emplois qui

modèle conjugal, le niveau de

à avoir des répercussions sur la

division du travail domestique ; plus la femme monte dans ia hiérarchie du domaine

public, plus les rapports conjugaux sont égalitaires. Le couple symétrique. une

situation que Baudoux qualifie d'utopique, «consacrerait I'aboIition quasi complète

de l'affectation sexuée aux sphères domestique et publique, l'accès égal des

hommes et des femmes aux ressources et pouvoirs de la société, comme aux

responsabilités familides» (p. 85).

Chantal, Gisèle et leurs conjoints respectifs, poursuivent des carrières où i l y a

possibilité d'avancement, mais l'enseignement au primaire premier cycle est un

poste situé au bas de l'échelle de la profession enseignante. En effet, maigré une

échelle de salaire qui ne tient compte que du niveau de s c o l ~ t é et du nombre

d'années de service, l'enseignement aux tout-petits est considéré comme un travail

moins professionnel et moins exigeant en fait de temps et de responsabilités que

l'enseignement aux autres niveaux scolaires. La journée scolaire de la maternelle à

la deuxième année n'est que de quatre heures et demie dors que celle de la

quatrième à la huitième année est de cinq heures et demie. Au secondaire, eile est

de six heures. De plus, les enseignantes considèrent qu'il n'est pas important

d'avoir un grand bagage de connaissances pour enseigner à ces niveaux, i l suffit

d'aimer les enfants. En effet, lorsque Gisèle me demande ce que je ferai une fois ma

thèse terminée, je lui dis que je retournerai peut-être en salle de classe. Elle

s'exclame : «Pas en première année! Peut-être au secondaire.» Elle explique que

j 'auri trop de connaissances pour enseigner en première année. ce serait une perte.

Gisèle et Chantal ont donc une profession qui n'en est pas une et. comme les autres

enseignantes de leur école, elles sont les premières responsables du travail

domestique et familial.

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Notes 24 février 1995

Chantal raconte qu'un jour, ça ne lui disait pas du tout de faire à manger et, malgré le fait qu'elle doit suivre une diète spéciaIe à cause de son diabète, elle a appelé son conjoint pour lui demander de passer chercher une pizza. Chantal savait que son conjoint ne ferait pas le souper. Les autres enseignantes ont dit que c'était la même chose pour elles. En plus, lorsqu'un des mais fait à manger, i l faut lui dire comment c'est bon : si l'un d'eux fait cuire les patates, i l va dire «elles sont bonnes les patates ce soir, hein?» Les enseignantes disent ne pas recevoir de tels compliments de leur famille.

Gisèle et Chantai s'expliquent cette division du travail par les responsabilités

professionnelles de leurs conjoints. Pour Gisèle, ce sont les heures de travail de son

conjoint qui exemptent celui-ci de sa part de responsabilités domestiques. De son

côté. Chantal explique que son conjoint a besoin de beaucoup de défis pour être

heureux au travail. Il y passe dors beaucoup de temps. Ces hommes peuvent donc

compter sur le travail domestique non-payé de Chantal et Gisèle, mais ces femmes

ne voient pris la possibilité d'une telle prise en charge de la part de leurs conjoints.

Au contraire, les responsabilités familiales sont autant de raisons pour ne pas

prendre un poste de plus grande responsabilité au travail.

Avec la division du travail domestique, les conditions de travail de l'enseignante du

primaire premier cycle sont propices à la reproduction d'une identité sociale basée

sur la définition traditionnelle du féminin. Parmi ces conditions, notons que les

enseignantes du primaire passent une moyenne de cinq heures par jour, cinq jours

par semaine avec un même groupe d'élèves et, pendant ces heures, elles sont

responsables tant de leur développement social et personnel, qu'intellectuel. Pour

effectuer ce travail, l'enseignante doit faire appel à des habiletés dites féminines tel

que la sollicitude, le don de soi et la création de liens dont il a déjà été question,

ainsi que l'altruisme et I'empathie (Gilligan 1982 ; Grumet 1988 ; Tarvis 1992).

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Comme le précise Tarvis par contre, ce n'est pas en raison de leur biologie que les

femmes font preuve de ces capacités humaines. Tout être humain est capable

d'altruisme et d'empathie, mais ce sont les femmes qui occupent les positions

sociales. en terme de travail et de pouvoir. qui exigent de telles capacités. Travail et

pouvoir vont souvent de pair puisque c'est la personne ayant moins de pouvoir qui

doit être en mesure de mettre ses intérêts de côté afin de s'assurer que tout va

rondement (en faveur de celle ayant plus de pouvoir).

iMuch of the stereotype of women's innate advantage in empathy denves from the different jobs that women do and their different IeveIs of power. Women are more Ii kely than men to be caretakers and monitors of relationships. They do the interaction work in conversations, making sure feelings aren't hurt and keeping the bal1 rolling. They do the invisible but tirne-consuming &in workw of managing extended farnily relations, such as organizing celebrations, sending holiday and birthday cards, making phone calls to keep in touch, and arranging dinner parties. Much of the paid work they do falls in the service sector, where they are expected to anticipate and respond to the emotions of customers and clients. (Tarvis 1992 : 65)

Puisque tel est le cas, Ies femmes qui occupent ces positions ont intérêt à

développer des habiletés dites féminines. En effet. la pédagogie prônée pour

l'enseignement au primaire exige la capacité de déceler par simple observation les

besoins de chaque enfant d'une salle de classe et d'y répondre. Un moyen d'y

parvenir consiste à créer une atmosphère propice à l'apprentissage, c'est-à-dire une

atmosphère de calme et de respect réciproque. Dans une telle classe, les besoins de

l'enseignante sont subordonnés aux besoins de t'enfant et aux exigences des

parents, du district scolaire et du MENB. Tout comme i l revient aux mères de faire

le don de soi pour reproduire des êtres ethniques en milieu minoritaire (Juteau-Lee

1983), le don de soi de I'enseignante du primaire est donc nécessaire à la création

de ce milieu où se tissent les liens entre les membres, enseignante et élèves, de la

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classe. La célébration d'un anniversaire ou de la perte d'une dent est une affaire du

groupe-classe et non uniquement un échange entre enseignante et élève. Faire du

travail de l'enseignement au primaire un travail d'amour et de service rend

invisibles l'action politique et la violence symbolique que porte cet amour.

C'est à 1 ' intérieur de cette première cellule sociale/scolaire que l'enseignante, de par

la médiation au quotidien des expériences de ses élèves, participe à la production

d'êtres ethniques inscrits dans un discours unificateur. L'enseignante tente en effet

de concilier la langue et la culture de l'élève à celles autorisées par le milieu

scolaire. Par sa gestion des comportements, des discussions et des activités scolaires

et parascotaires, l'enseignante crée une cellule sociale dans laquelle les élèves

négocient une culture partagée. Créées dans un contexte scolaire qui fait appel aux

habiletés dites féminines, ces cellules sont, pour le personnel enseignant,

férninisantes. Puisque ce travail est naturel pour la femme, i l est déprofessionalisé,

c'est-à-dire qu'i 1 perd son caractère intellectuel.

Puisqu'il est naturel, il n'est pas légitime de questionner les fondements culturels de

la pédagogie centrée sur l'enfant. On ne peut donc pas reconnaître que les

interactions adultelenfant et enfanvenfant varient selon des normes culturelles. Ces

normes peuvent varier selon le groupe ethnique, mais également selon le groupe

social. Les normes dites natureIIes de la salle de classe sont celles du groupe

culturel et social de l'enseignante. Les enseignantes favorisent ainsi davantage

I'inté&mtion des enfants, au monde du savoir scolaire, qui partagent leurs normes

que ceIk des enfants issus d'autres milieux socioculturels.

La médiation au quotidien

Suivant l'hypothèse que l'école réussit, au f i l des douze années de contact, à

normaliser la langue scolaire des enfants, j'avais choisi de travailler avec des

Page 183: NQ49849.pdf - TSpace - University of Toronto

enseignantes du primaire d'observer le travail qui se fait aux premières heures

de cette normalisation. Pour cette même raison, ma préférence était de faire des

observations en maternelle ou en première année. Or, la standardisation n'est pas

que le travail de l'école et, à l'école, il n'y a pas que le comportement langagier qui

devient scolaire, mais bien toute une gamme de comportements. Ce travail de

régulation est le propre de l'enseignante de la première année : c'est à ce niveau que

les enfants deviennent des élèves. En salle de classe, cette régulation se traduit,

entre autres, par l'enseignement de valeurs, travail qui se rapproche de celui des

mères. C'est ce que ces deux groupes de femmes, enseignantes et mères, nomment

de petites choses. Cette caractérisation reflète la valeur accordée à ce travail

pourtant si important à la production et reproduction d'une culture partagée.

Dans la province du Nouveau-Brunswick. l'enseignement de la catéchèse devient

de plus en plus la responsabilité des paroisses religieuses plutôt que des écoles. Or,

Annie, membre du comité de parents, explique que ce sont les mères, et souvent

celles qui ont choisi de rester à la maison suite à la naissance de leun enfants, qui

sont sollicitées pour effectuer ce travail bénévole.

Entrevue 1997

Annie: Y a plus (de catéchèses à l'école) l'année prochaine ça va être dans les presbytères pis ça va être la responsabilité des parents.

Phyllis: Es-tu d'accord avec ça ou tu voudrais que ça se fasse?

Annie: Ah, je sais pas ... je suis pas d'accord que ça timbe sur l'épaule des parents. (rire nerveux) (. . .) Parce que je trouve qu'ils en rnettont. je trouve qu'ils mettont assez de responsabilités sur les parents qui travaillent pas. (. . .) Une mère qui travaille, ben a va dire, j'ai pas le temps, je travaille. Comme ma belle-sœur m'a dit, mais nous autres, on travaille pas, puis elle dit, tu pourrais faire du bénévolat 23 heures sur 24, si tu te laissais faire.

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De son côté, Denise explique que ce ne sont que des femmes qui se présentent aux

réunions d'information au sujet de la catéchèse. Les hommes préfèrent un travail

plus visible.

Entrevue 1997

Denise : Ça dépend, quand c'est les sports, les hommes sont là tout de suite. Comme 1% on va avoir du soccer, ben c'est tous des hommes. Mais quand c'est dans l'église ou ben donc dans i'éducation, ça c'est les femmes. (. . .) On dirait que pour les hommes. i l faut que ça aye l'air gros, il faut que ça soit important. Ils ont besoin d'avoir l'impression qu'ils changent vraiment quelque chose,

En première année, les valeurs qu'on enseigne aux enfants relèvent surtout du

domaine de l'hygiène et des relations humaines. Ce travail est, selon une

enseignante, aussi important que l'enseignement de la lecture en première année :

on ne peut pas envoyer des enfants qui ne savent pas vivre en deuxième année plus

qu'on peut y envoyer des enfants qui ne savent pas lire.

Entrevue 1995

Gisèle: C'est très, très important de lire, mais il n'y a pas juste d'apprendre à lire quand tu sors de la première année. C'est important de lire. La lecture c'est toujours important. mais c'est important aussi que quand tu sors de la classe, tu ne donnes pas un coup de poing à tout Ie monde qui passe à côté de toi là. Le respect de l'autre, c'est aussi important. (. . .)

Si tous ceux qui sortent de ma classe se lavent les mains à chaque fois qu'ils vont à la toilette, c'est un gros objectif ça.

Comment l'enseignement de ce savoir être est-il scolaire ? Dans une rencontre

générale avec les parents des élèves de sa classe en début d'année, Gisèle présente

les matières à l'étude en première année. Elle explique dors qu'en santé, les élèves

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apprendront à se Iaver les mains avant un repas et après s'être mouché, à se brosser

les dents et à mettre la main devant la bouche Iorsqu'iIs éternuent. En entrevue,

Gisèle précise l'importance qu'elle donne à l'enseignement de ces valeurs ; elle

considère que c'est ce qu'elle donne de plus important aux enfants. Ce travail est

imbriqué dans le quotidien de la journée scolaire.

Entrevue 1995

Gisèle: J'espère que je leur aurai Iaissé bien des valeurs, des valeurs, pas des croyances, mais plutôt des valeurs dans le sens de prendre soin de l'environnement, le goût de lire, le goût du respect de l'autre, le goût du respect de toutes sortes de choses. Tu sais, les valeurs qu'on véhicule au courant d'une journée, se laver les mains ... tu sais, c'est toutes des petites choses comme ça.

Ce développement du goût de toutes sortes de choses, de la lecture au respect,

ressemble de près à ce que Acker à relevé chez des enseignantes d'une école en

Grande-Bretagne :

Helen is talking about the infant unit [children aged 4 to 71 to a small group of parents who had gathered for a cup of tea and this talk. One question is about music : « Do you teach them to read music ? » «No, not until secondary. I think the whole aim of prirnary education is to develop a love of everything. No child says 1 can't do this, 1 hate it ». (Acker 1993 : 5 )

Se dessine ici un parallèle important entre le discours de la mère et celui de

l'enseignante. Denise dit que les hommes ne se préoccupent que de ce qui a d'air

gros» alors que l'impact du travail des femmes semble moins concret (on ne gagne

pas de trophée à la catéchèse et il n'y a pas de spectateurs à l'école). De son côté,

Giséle parle des qetites choses» qu'elle fait (<au courant d'une journée». Or, ce sont

ces petites choses, cette éducation aux valeurs, qui forment la base de la culture

partagée d'une communauté. Cette éducation se fait par le biais de la médiation au

quotidien des comportements des enfants. Elles définissent, par exemple, des rituels

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propres à la cellule sociale/scolaire, tels celui de la préparation pour l'heure du

midi.

Notes 29 août 1994

Gisèle fait préparer ses élèves une rangée à la fois pour aller manger. Elle dit à chaque équipe d'aller se laver les mains, de prendre leur boîte à dîner et de s'installer pour manger. Les élèves qui iront à la cafétéria doivent se placer en ligne. Un élève attend que Gisèle lui dise de commencer à manger. 11 est assis, sa boîte ouverte et son sandwich déballé devant lui. Ce n'est que lorsqu'il aperçoit les autres qui mangent qu'il commence j. manger.

Notes 30 août 1994

Chantal dit aux élèves qu'il est l'heure du dîner. Elle demande : «Avant de manger qu'est-ce qu'on fait?» Un élève répond : «Se laver les mains». Chantal demande qui doit aller à la cafétéria et demande à ces élèves de venir se placer en rang. Elle invite ceux qui n'iront pas à la cafétéria à venir se laver les mains au lavabo de la classe. L'ensemble de la classe, les élèves qui sont en ligne comme ceux qui attendent le signal pour aIler chercher leur boite à dîner, se lance au lavabo. Chantal a alon perdu la belle file que les élèves avaient formée devant la porte de la classe.

L a prise de parole, liée à la politesse ou au respect de l'autre, est un autre de ces

rituels :

Notes 15 septembre 1991

Les élèves sont assis en demi-cercle autour de Chantal. Les élèves ont dessiné des familles d'animaux et c'est l'heure du partage. Chaque élève présente la famille qu'il ou elle a dessinée. Chantal reprend un enfant qui parle en même temps qu'un autre enfant présente son dessin. Elle lui dit : «C'est impoli de ne pas écouter quand les amis parlent en avant. 11 faut écouter, parce que c'est poli .»

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Les enseignantes passent également un certain temps, en début d'année à enseigner

aux enfants à demander le droit de parole en levant la main. On entend souvent, par

exemple : d e vais demander à quelqu'un qui est assis et a la main levée». Ou

encore : d'entends une voix, mais je ne vois pas une main levée». Parfois,

des élèves qui lèvent d'eux-mêmes la main se voient récompensés avec un

autocollant.

Les élèves doivent également apprendre à être gentils. L a situation décrite ci-

dessous est celle d'une assemblée de toutes les classes. Ces rencontres de toute

l'école sont extrêmement rares : même pour des spectacles, les élèves sont souvent

convoqués par niveau. Cela souligne le sérieux de l'occasion et l'importance d'être

gentils et de plaire à «la madame» :

Notes L 5 septembre 1994

Je suis dans La classe de Chanta1 lorsqu'elle dit aux élèves qu'ils vont aller au gymnase. Madame la directrice veut leur parler de quelque chose. Elle ne sait pas quoi. mais il faut bien écouter et se taire lorsqu'elle parle. Lorsque tous les élèves de I'école sont installés, la directrice débute l'assemblée. Celle-ci prend la forme d'un dialogue entre la directrice et les élèves. Ce dialogue est reconstitué ici :

La directrice : Combien de temps que ça fait que l'école est commencée. Les enfants : Trois semaines. La directrice demande si les élèves ont appris des choses. Les élèves : Oui. La directrice : Êtes-vous heureux à I'école? Les élèves : Oui. La directrice : Vous les madames, est-ce que vous êtes heureuses à 1 ' école? Chantal (d'une voix qu'on entend à peine) : Oui. Gisèle (d'une voix qu'on entend à peine) : Oui. La directrice : Ah! Ça pas d'l'air très, très fort. Savez-vous pourquoi c'est pas fort?

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Les élèves : (silence.) La directrice : C'est parce qu'il y a des élèves qui brisent des petits règlements et puis ça fait beaucoup de peine. Par exemple, ce midi, i l y avait des élèves qui sont venus me voir. «Madarne Georgette, Madame Georgette, est-ce que je peux sortir mon goûter dehors?» Je vous ai dit oui, tant et aussi longtemps que vous ne mettez pas les déchets par terre, que vous mettez les déchets dans la poubelle.

La directrice sort un cabaret sur lequel i l y a une collection d'enveloppes d'arachides, de sacs de chips . . .

La directrice : Mais voyez-vous ce que j'ai ramassé après la récréation? Et moi, je me souviens de qui m'avait demandé : «Madame Georgette, est-ce que je peux amener ça dehors? Et oui, je vais le mettre à la poubelle.» Voyez-vous combien de peine que je peux avoir?

En salle de classe, être gentil est également synonyme de respect des règlements. La

situation suivante a lieu pendant l'heure du conte. C'est un moment fort attendu

dans la journée scolaire. ies enfants s'asseoient en demi-cercIe autour de

l'enseignante - elle sur une chaise et eux sur le plancher - pour écouter une histoire

ou discuter d'informations tirées d'un livre.

Notes 10 octobre 1994

Pendant le conte, Alain et Jérémie ont la bougeotte. Alain se couche sous la table, Jérémie fait de même. Gisèle leur dit que ce n'est pas acceptable de se coucher sous la table. Lorsque Jérémie va se placer sous la table avec Alain, il fait du bruit, Gisèle les voit et leur demande de changer de place. Ils vont se coucher sur le plancher à côté de la table. Gisèle se lève la tête, les voit, et leur dit que ce n'était pas acceptable, qu'il fallait s'asseoir «sur les fesses ». Pendant tout ce temps, Charlotte a la bougeotte elle aussi. Elle s'assoit, se lève, se promène un peu, et ainsi de suite, mais Gisèle ne la voit pas.

À la fin du conte, Gisèle dit à Jérémie et à Alain d'aller s'asseoir à leur place. Une fois que les autres sont tous prêts pour sortir, elle

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demande à Alain de venir la voir. Elle lui demande : «qu'est-ce que tu vas faire demain pendant le conte.» 11 lui dit : «Rester assis.» GisèIe Iui dit, c'est ça et l'envoie s'habiller. Elle fait ensuite venir Jérémie et lui pose la même question. Jérémie répond : «Pas faire de gestes et être gentil». Gisèle lui demande ce que ça veut dire être gentil. Il hésite et dit, ne pas faire des gestes. Elle lui demande quels gestes il faisait aujourd'hui qui n'étaient pas gentils. LI dit qu'il était couché. Gisèle lui dit que c'est ça et l'envoie s'habiller.

La réponse que donne Jérémie à la question de Gisèle. qu'il ne devait pas faire de

gestes et être gentil, démontre la compréhension qu'ont les enfants des valeurs

scolaires. Lorsqu'un enfant ne suit pas les règlements dans la cour de récréation,

d'autres rapportent qu'il n'a pas été gentil. Les élèves doivent également apprendre

à être responsables :

Suite des notes du 15 septembre 1994

La directrice dit aux élèves qu'un Monsieur de Memramcook a donné des cordes à sauter à l'école. Il en a donné assez pour toutes les classes mais, des cordes à sauter, c'est fait pour . . . et les élèves répondent qour sautem. La directrice répond : «C'est ça. Je ne veux pas voir d'enfants s'amuser à placer une corde autour de la taille d'un enfant et un autre court en aiTière.»

La directrice ajoute que : «Si un élève [elle nomme un élève], sort une corde, i l en est responsable et doit la rentrer après la récréation et la ranger à sa place».

Les élèves doivent également apprendre à bien travailler. Les élèves qui le font sont

vaillants et ceux qui n'exécutent pas le travail demandé sont entêtés :

Notes 3 1 août 1994

Chantal a demandé si tous les amis ont eu leur tour pour lire des sons [lettres], si elle avait oublié d'autres amis. Elle n'a oublié personne. C'est alors qu'elle dit : «Bon, vous êtes vaillants et vaillantes. Je crois que je vais vous donner un collant, vous avez tellement bien fait ça., Elle a donné un collant à chaque élève.

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Notes 4 octobre 1994

Gisèle annonce qu'elle va lire toutes les comptines et elle leur dis qu'ils vont montrer à «Madame Phyllis comment vaillants» ils sont et Gisèle me dis : &'est vrai qu'ils sont vaillants?» Je lui dit que oui, jusqu'à date, j'ai trouvé qu'ils ont bien fait ça aujourd'hui. Gisèle dit : «Attends, si tu trouves qu'ils ont bien fait ça jusqu'à maintenant, tu vas voir comment bons ils sont. lls sont comme des vrais sixièmes années.» Gisèle dit : «Trouvez-vous que c'est vrai, vous autres?» Deux ou trois élèves disent oui. Gisèle dit : «an tous cas, si c'est pas des sixièmes, c'est tout au moins des troisièmes».

Notes 10 octobre 1994

Gisèle me dit qu'elle ne sait pas quoi faire avec Michel. Il ne veut pas faire son écriture [calligraphie] seul. Elle lui a dit qu'elle allait le garder à la récréation tant qu'il n'avait pas terminé son écriture. Elle dit : «quelqu'un qui n'est pas capable, n'est pas capable, mais là c'est de l'entêtement. 11 faut qu'il pratique seul.» Elle peut faire quelques lettres avec lui, mais pas toute la page.

Etre poli, gentil, vaillant et responsable, voilà la description d'un élève modèle. Ces

valeurs forment le champ d'action sociale de l'enseignante du primaire, elles

forment la trame de sa médiation au quotidien des expériences scolaires des enfants.

Leur enseignement se fait au quotidien, à l'intérieur de diverses activités! et leur

apprentissage est préalable à la pleine participation de l'élève à ta vie de la salle de

classe et de l'école. Des enfants qui ne sont pas gentils ou vaillants peuvent être

exclus d'une récréation ou d'une activité telle que l'heure du conte. Ces moments

sont importants à la négociation d'une vision commune du monde et de la place que

chacun y occupe. En effet, l'heure du conte ne se limite pas à l'écoute d'une

histoire, mais est également un moment important de discussion spontanée. Les

enfants y construisent leur compréhension du texte et font des liens entre leur vie et

l'histoire. C'est un moment de constmction d'une vision partagée du monde.

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Les valeurs décrites ci-haut appartiennent à la sphère privée/féminine de ta

dichotomie privée/publique, femmehomme. Ces valeurs sont dites petites parce

qu'elles sont véhiculées dans le quotidien de la sphère domestique de la maison ou

de la salle de classe, domaines des femmes. Les relations interpersonnelles

appartiennent également à ces sphères. 11 n'est donc pas surprenant qu'en plus des

questions d'hygiène, l'enseignante du primaire enseigne des valeurs liées à la

coopération et au respect des autres, des valeurs attribuées au féminin. Parmi les

valeurs dites masculines sont la compétition et l'agressivité (Tarvis 1992). LRs

valeurs féminines de la coopération et du respect d'autrui véhiculées au primaire

permettent aux enseignantes et enseignants des niveaux supérieurs de se tourner

vers I'enseignement de choses plus sérieuses ; c'est-à-dire les connaissances

spécialisées, voire quantifiables. En effet, Iors d'une récente discussion entourant

les besoins de formation du personnel responsable de l'enseignement du français, il

a été décidé que ce ne sont que les enseignants et enseignantes de la troisième à la

douzième année qui ont besoin des connaissances spécidisées en *pmmaire et en

pédagogie de la *grammaire. Selon certaines des participantes à cette conversation,

la connaissance du verbe, du sujet et du nom est suffisante pour enseigner les

éléments de la -ammaire nécessaires à l'écriture en maternelle, première ou

deuxième année. De plus. le comment de cet enseignement est sans importance. Ce

qui importe au primaire, c'est de faire de l'enfant un élève prêt à recevoir le savoir

scolaire. Cet élève doit avoir le goût (la motivation) d'apprendre toutes sortes de

choses et être gentil (faire ce qui lui est demandé).

Tout comme les mères, les enseignantes de la première année font un travail qui

soutient celui de leurs collègues qui enseignent aux niveaux supérieurs. k s mères,

par leur enseignement du français standard, préparent leurs enfants à devenir des

élèves. En faisant de l'enfant un élève qui sait s'asseoir, écouter, attendre son tour,

l'enseignante du début du ptimaire le prépare à passer au monde du savoir, à

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devenir un être instruit. Chantai dit que la grande différence entre les élèves de la

première et de la deuxième année, c'est que ces derniers savent s'asseoir

convenablement. k s élèves de la première année ne peuvent pas rester assis ou ne

sont pas assis droit sur la chaise. Enseignante de la troisième année, je n'avais qu'à

demander à mes éIèves de se placer en équipes ou en rang, d'aller chercher un livre

à la bibliothèque ou de se préparer pour aller à la maison et. de façon généde, ils le

faisaient. Ce n'est que lorsque j'ai eu à enseigner en première année que j'ai réalisé

que mes anciens élèves avaient appris à faire ces choses suite à un enseignement

préalable. Par contre, l'appropriation du comportement scolaire n'est pas chose

facile pour les enfants qui n'ont pas le même système de valeurs que celui véhiculé

par l'institution scolaire. Une enseignante me raconte, par exemple. qu'un élève

perturbateur Iui avait demandé comment on fait pour savoir quand on peut faire des

blagues en classe, car parfois l'enseignante en rit. mais d'autres fois. la blague

mène à une réprimande. Il ne suffit donc pas de savoir comment parler, il faut

également savoir ce qui peut être dit et quand cela peut être dit.

C'est au niveau des comportements que les enseignantes distinguent pour la

première fois les bons élèves de ceux et celles qui devront être régularisés : une

enseignante me dit dès la première semaine de classe qu'elle sait qu'elle aura de la

difficulté avec Pierre et Jean. Avant le début de l'année scolaire, l'autre enseignante

avait été prévenue par ses collègues des difficultés qu'elle aurait avec Jean-Philippe.

Lon de ma première journée d'observation, je ne peux cependant distinguer Pierre

et Jean des autres et Jean-Philippe est calme et démontre un grand intérêt pour les

livres : i l passe autant de temps que possible à y regarder les images. démontrant

ainsi une conscience de l'écrit, étape que Thériault (1996) considère comme

préparatoire à l'apprentissage de la lecture. Au fil de l'année scolaire, les élèves

ciblés développent tous un cenain désintéressement vis-à-vis de l'école qui

provoque des réprimandes de la part de leur enseignante. En plus. Jean-Philippe est

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un des derniers à apprendre à décoder les textes scolaires (petits livres de lecture,

manuel de lecture) et les enseignantes sont de moins en moins conscientes des

efforts positifs de ces élèves. L'exemple suivant, tiré d'une leçon d 'or th~~aphe,

illustre bien ce point.

Jean-Philippe est un élève «difficile». Déjà à fa mi-septembre, son enseignante de

première année téléphone à la maison parce qu'il a frappé un autre élève et

s'exaspère qu'il dit toujours le contraire de ce qu'elle dit. Elle ne sait plus que faire

vis-à-vis des comportements inappropriés de cet élève. L'enseignante commence

également à ne plus voir les efforts que fait ce garçon pour se conformer à ses

exigences.

Notes 27 septembre 1994

Charles est le premier à terminer l'écriture de son mot. lean- Philippe travaille derrière lui de façon concentrée lorsque Charles se retourne pour voir ce qu'il fait et lui dit que le [a] n'est pas la première lettre du mot à orthographier (dame), mais la deuxième. À ce moment, l'enseignante dit à Charles de laisser Jean-Philippe le faire seul. Lorsque ce dernier a réussi à bien orthographier le mot, Charles lui fait un sourire, et dit : <<Tu l'as eu, Jean-Philippe. Lève la maim. Jean-Philippe lève la main pour que l'enseignante vienne voir, mais il est trop tard, elle dicte le prochain mot. Jusque là, i l a travaillé en silence, mais lorsqu'il ne réussit pas à avoir l'attention de I'enseignante, Jean-Philippe commence à faire du bruit. C'est alors que l'enseignante l'aperçoit et lui dit :«Après qu'on soit allé dehors pour la catéchèse, tu vas rentrer avec moi téléphoner à ta mère pour lui dire ce que tu as fait de pas correct.»

Deux ans plus tard, la mère d'un autre enfant me parle de Jean-Philippe, dors en

troisième année. La résistance de ce garçon est devenue plus agressive et

incontournable.

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Entrevue 1997

Gisèle : Le mien arrive des fois, Jean-Philippe Ruest, c'est un enfant problème, hyper je crois, il disait à la maîtresse «fuck you» !

Parce qu'extrême, le cas de Jean-Philippe illustre bien comment l'enseignante joue

le rôle de gardienne de la frontière entre le dominant hégérnonique et le minoritaire

à l'intérieur même de la communauté acadienne. Les parents de Jean-Philippe sont

tantôt ensemble, tantôt séparés. Sa mère est bénéficiaire du bien-être social. Selon

une des enseignantes de I'école, son père et ses oncles sont de grands buveurs et

amènent le petit avec eux à la taverne, qu'ils ne quittent qu'à «onze heures, même

les soirs d'école». Jean-Phiiippe est souvent vu en quatre roues (véhicule tout

terrain) avec un membre masculin de sa famille étendue et il accompagne parfois

son père à bord de sa semi-remorque. En plus d'être prévenue par ses collègues.

l'enseignante rapporte que lors de la rencontre d'information du mois de septembre.

le père à Jean-Philippe lui dit : <<si tu réussis d'asseoir JeamPhilippe, t'es bonne».

L'enseignante conclut que chez lui, Jean-Philippe est libre de faire tout ce qu'il

veut, sa mère ne lui impose aucune structure. Jean-Philippe n'a donc connu aucune

limite avant de venir à l'école, c'est-à-dire qu'il ne connaît pas les normes

culturelles valorisées par l'école.

Cette enseignante s'acharne alors tout au long de l'année à «contrôler» Jean-

Philippe. En début d'année scolaire, elle refuse les recommandations des autres :

«Carmen m'a dit que la façon de l'avoir, c'était de l'amadouer, qu'être stricte avec

lui ça ne marchait pas ; il allait seulement «boquem. Je trouve ça très difficile avec

un enfant comme Jean-Philippe de I'amadouen>. Elle tente donc la coercition :

isolement de ses pairs. retenue lors des récréations, appels à la mère. Ce travail de

régulation est fait selon la doctrine du choix : lorsque l'enfant choisit de ne pas

travailler, il choisit également la conséquence punitive. Jean-Philippe sait qu'un

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mauvais comportement résultera en un appel à la maison. Afin d'éviter cette

conséquence, il n'a qu'à bien se comporter.

Plus tard durant l'année scolaire, l'enseignante décide de travailler différemment

avec Jean-Philippe et écrit un compte rendu quotidien de son comportement dans

son agenda scolaire. La mère doit, de son côté, le signer à chaque soir, attestant

ainsi qu'elle l'a lu. De plus, l'enseignante divise la journée en deux et dit à Jean-

Phi lippe que s'il travaille bien le matin, il aura droit à une récompense quelconque.

Parfois, la récompense est la possibilité de participer aux mêmes activités que les

autres en après-midi ; le matin est consacré au français et aux mathématiques et

l'après-midi aux matières d'éveil (sciences naturelles et humaines, santé, arts).

L'enseignante a plus de succès avec cette stratégie, mais elle demeure

continuellement sur le qui-vive : aussitôt qu'il a perdu la possibilité d'une

récompense, Jean-Philippe cesse de travailler et reprend ses comportements

«perturbateurs» ou de résistance.

L'élève qui n'a pas le comportement scolaire attendu ou momal» peut donc être

exclu de toute activité que l'enseignante juge appropriée, même si celle-ci relève

du régime pédagogique prescrit par le MENB. Puisque des apprentissages

importants se font pendant ces activités, les matières d'éveil sont liées de près à ce

que Gisèle appelle de petites choses, ces enfants quittent la première année avec une

base moins solide que celle de leurs pairs. Ils développent également une vision

plus négative de leurs possibilités de réussite scolaire : s'ils ne réussissent pas, c'est

parce qu'ils ont choisi de ne pas faire comme l'enseignante demandait. D'en faire

une question de choix de l'élève alimente égaiement le discours dominant de la

méritocratie. Ce discours déborde la salle de classe et mène à la régulation dans la

cour de récréation et, éventuellement, à ceIle exercée par les autres enfants.

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Certains règlements sont mis en place pour encadrer les activités des enfants dans la

cour de récréation. Les élèves peuvent, par exemple, sauter à la corde, mais ne

peuvent pas inventer d'autres jeux pour utiliser la corde à sauter. L'aire de jeu des

enfants est également limitée et il n'y a qu'une façon de se mettre en rang pour

entrer dans l'école au son de la cloche. Lorsque l'élève choisit de ne pas se

conformer, il ou elle choisit également d'être puni et ce, même lorsque la

conséquence n'est pas connue au préalable. Alors que certains de ces règlements

peuvent être exptiqués par un besoin de sécurité, ils ont pour effet de toujours

mener à la sanction des mêmes élèves et à la création d'une catégorie de mauvais

élèves que les autres apprennent rapidement à blâmer, comme le démontre

l'anecdote suivante tirée d'observations dans une des classes de première année.

Un jour, une élève, Rébécca, s'aperçoit que sa gomme à effacer est coupéelbrisée en

deux morceaux. Elle se dirige immédiatement vers I'enseignante et identifie Jean-

Philippe, qui se fait souvent reprendre en classe et dans la cour de récréation,

comme responsable. Jean-Philippe est en classe ce jour. mais il ne s'est pas servi de

la gomme S effacer et n'est pas à proximité de Rébécca lorsqu'elle s'aperçoit du

bris.

11 importe de noter qu'il est fon probable que Jean-Philippe n'aurait pas reçu un

traitement plus favorable dans une autre classe. En fait, plusieurs écrits font état de

cas similaires. Une de mes enseignante participantes rend explicite la continuité

nécessaire au succès scolaire des enfants. Cette continuité est liée autant aux valeurs

communes à la maison et à l'école qu'a la continuité linguistique. Dans la citation

ci-dessous, la valorisation du travail scolaire et de l'apprentissage de la lecture

compense même pour l'utilisation de l'anglais à la maison. II va de soi que la

famille en cause est de classe professionnelle. classe qui pmage le capital culturel

de l'école.

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Entrevue 1997

Gisèle : Ou, j'ai un cas où est-ce que c'est des professionnels, tous les deux, mais par contre le père est anglophone et il parle anglais à la maison. Mais je sais qu'il y a du travail qui se fait, puis le français est quand même soutenu. Tu sais, c'est quand même des parents qui sont des professionnels alors ils vont voir à ce que l'enfant réussisse. Alors sa lecture ça va bien, les leçons sont toujours faites, puis l'enfant capte vite.

Des élèves tels que Jean-Philippe n e pmagent pas ces valeurs. Souvent les devoirs

ne sont pas complétés et le niveau de concentration de l'enfant est plus limité. De

plus, La lecture ne leur est pas facile d'accès. D'autres élèves vivent le même

traitement à un moindre degré. Comme dans le cas de Jean-Philippe, ['enseignante

peut généralement faire un lien entre sa vie familiale et le manque de réussite à

l'école. De fait. que pouvons-nous espérer d'autre d'un enfant issu d'une fami Ile

désunie et sans structure, d'un autre qui se voit continuellement comparé

négativement à son frère ou qui a des parents illettrés ? Dans la majorité des cas, ce

sont les mères qui sont mises en cause. Tout comme les enseignantes désirent avoir

de <<bons» enfants, elles souhaitent donc pour de <<bons parents»'3. Le plus souvent,

ces parents sont «des professionnels, alors ils vont voir à ce que I'enfant

apprenne ». Sinon, ce sont des parents qui collaborent à la légitimation de ;a

pédagogie du bien parler.

Avec la diminution du nombre d'élèves, plusieurs écoles de la province du

Nouveau-Brunswick se doivent de créer des classes combinées ou des

regroupements multiâges. Dans une des écoles de mon district, les titulaires des

classes à niveau unique ( I R année ou T année venus le et Ze années dans la même

classe) se retrouvent, selon une enseignante, «avec les mauvais parents», c'est-à-

'' IAS rnscigmnrcs udiscnt Ic dCtcrminanr cancs> cn rkiCrcncc tant au.. CICvcs dc lcur dax. qu'aux p y r n t s dc ccs Elf V L ~ .

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dire avec des parents qui ne s'impliquent pas dans l'éducation de leurs enfants. Ces

parents sont ceux qui ne font pas de Iecture à la maison, ne font pas de suivi au code

disciplinaire de I'école, ne se présentent pas aux rencontres et activités de l'école.

Ces parents sont les mêmes qui résistent, le cas échéant, à la recommandation du

médecin et de l'école de donner des médicaments mitalin) à leur enfant en raison

d'un trouble d'attention ou de comportement.

Le niveau de blâme attribué aux parents varie selon l'attitude que les enseignantes

perçoivent chez les parents et le niveau socio-économique de ces derniers- Il arrive

parfois que l'enseignante sympathise avec les parents qui valorisent Ie travail

scolaire et font tout pour que leurs enfants deviennent de bon élèves, mais sans

grand succès. Tous acceptent dors que l'école n'est tout simplement pas pour eux

et ces élèves reçoivent un traitement plus favorable parce qu'ils ne sont pas à

blâmer pour leurs difficultés. On reconnaît alors chez certains des qualités ou talents

qui font appel à d'autres ((intelligences» (Gardner (1993) en identifie sept) que

celles nécessaires au travail scolaire. Plutôt que de situer le problème dans

l'institution et dans les relations sociales de la salle de classe, on continue donc à

placer le blâme sur la psychologie de l'individu. Chez ces élèves ayant une

intelligence autre que scolaire on ne voit pas les problèmes comportementaux qu'on

dépiste chez les autres. On ne parle que de lenteur académique et d'un besoin

d'attention plus individualisée. Par ailleurs, le résultat est le même puisque ces

enfants ne réussissent pas à maîtriser le savoir scolaire et, souvent, apprennent à

attendre que l'enseignante leur vienne en aide.

Ce sont les parents de ta classe professionnelle qui sont jugés le plus sévèrement

lorsque leur enfant ne se conforme pas aux attentes de l'enseignante. C'est le cas

d'un parent enseignant et d'une autre médecin. Dans le premier cas, le parent, M.

Roberge. demande une rencontre avec l'enseignante. b lendemain de cette

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rencontre, l'enseignante raconte que M. Roberge demande que des modifications

soient apportées au programme puisque son enfant trouve le temps long en classe.

L'enseignante répond immédiatement que l'enfant ne fait pas le travail demandé, et

que s'il le faisait, il trouverait le temps moins long. Ce parent, collègue des

enseignantes, devrait comprendre, mais tel ne semble pas être le cas.

En ce qui a trait à l'enfant d'une médecin, elle n'apprend que très lentement à lire et

à écrire. Or. i l est impossible qu'elle soit tout simplement moins douée que les

autres. n'est-elie pas fille de médecin ? Puisqu'elle ne passe pas, selon les

enseignantes, suffisamment de temps avec sa fille et laisse Ia tâche de l'élever à une

bonne d'enfants, c'est la mère qui est mise en cause. Disant qu'il sen difficile de

travailler avec cette mère, les autres enseignantes sympathisent avec la titulaire de

c 1 asse

Dans ces deux situations, les enseignantes semblent agir par désir de survie

professionnelle : on peut comprendre qu'on ne puisse pas enseigner à des enfants

incapables d'apprendre ou d'écouter. mais si les autres n'apprennent pas, i l y a

atteinte à la qualité de leur enseignement. De plus, il leur est plus difficile de gérer

des différends avec des parents issus de la même classe professionnelle qu'elles

puisque ceux-ci devraient partager leur vision et leur système de valeurs, c'est-à-

dire avoir le même discours qu'elles. Dans le cas de la médecin, la difficulté est

encore plus bgrande, car le niveau d'éducation et la profession de la mère lui donne

une autorité que les enseignantes n'ont pas l'habitude de mettre en doute parce

supérieurs à la leur. Comme le démontre l'anecdote suivante, l'autorité de cette

mère se fait également sentir dans la surveillance linguistique qu'elle impose à

l'enseignante de son enfant.

Les enseignantes rqoivent parfois des affiches visant la conscientisation - joumée

du livre, journée et semaine de la francophonie, mois de la nutrition, etc. L'occasion

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terminée, certaines, dont l'enseignante de la fille de la médecin, les donnent aux

enfants par un tirage au son. Un jour, cette enseignante se demande si elle doit faire

tirer au hasard une ;tfftche annonçant les bienfaits du lait : le texte de cette affiche

est écrit en anglais et en français. Selon l'enseignante. la médecin n'approuverait

pas que sa fille reçoive une telle affiche de l'école. Si seulement il y avait moyen

d'enlever ce qui est écrit en anglais, ajoute-elle.

P u leur gestion des comportements en salle de classe, les enseignantes de la

première année véhiculent donc des valeurs dites féminines qui facilitent le travail

des enseignantes des autres niveaux. Cette gestion se fait dans le quotidien de la

salle de classe et contribue au processus de sélection des bons et des mauvais

élèves. Les mauvais élèves peuvent être de deux types : ceux qui ont des troubles de

comportement et ceux qui ont des difficultés d'apprentissage. Le problème de

comportement est le plus souvent lié à la maison et la difficulté d'apprentissage est

intrinsèque i l'enfant. C'est lorsqu'il existe un écart entre le pouvoir social de

l'enseignante et celui d'un parent, en faveur du parent, que les enseignanres ont le

plus de difficulté à gérer les enfants à problème. La régulation de la langue des

enfants sert également à distinguer les bons des mauvais élèves. Le plus souvent, les

élèves qui voient leur comportement sanctionnés voient égaiement leur langue

sanctionnée.

C'est dans le cadre de leur travail quotidien sur le comportement et de

l'enseignement des matières académiques que l'enseignante agit sur la langue des

enfants. En fait, elles ne sont pas aussi volubiles que les mères 5 ce sujet. Elles

disent qu'elles ne font rien de spécial. Ce qu'elles font se rapproche de près à ce que

font les mères. Dans le chapitre précédent, j'ai indiqué que les femmes sont les

premières responsables du développement langagier de leurs enfants. Elles agissent

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en gardiennes de la Iangue et visent l'amélioration de celle-ci, d'abord chez elles et

ensuite chez les enfants.

Entrevue 1997

Phyllis : À la maison, qu'est-ce que tu penses qu'est ton rôle à toi, comme parent.

Jocelyne : Pour la langue?

Phyllis : Oui.

Jocelyne : De leur parler le français, là, puis les apprendre les bons mots. Comme si qu'ils s'adonnent à dire un mot anglais, en parlant, tu peux leur dire qu'est-ce qu'est le bon mot français, au lieu d'utiliser le mot anglais.

Phyllis : Puis tu quand tu as eu tes enfants, as-tu remarqué que t'as changé ta façon de parler, as-tu fait un effort particulier là-dessus, ou bien non tu continuais à parler comme tu parles.

Jocelyne : Un peu, là, au lieu de dire le «car», je pensais dire l'auto. puis des choses comme ça pour leur apprendre.

Au contraire, les hommes interviewés ne pratiquent pas une telle régulation. Le but

de cette régulation est la standardisation de la langue de l'enfant afin de favoriser

son intégration au monde scolaire. b s mères reconnaissent que seul le français

standard est légitime à l'école acadienne. Chez les enseignantes, on retrouve

sensiblement la même relation à la langue, mais dans un contexte professionnel. Ce

contexte est celui de l'école acadienne et celui des programmes du MENB dont il a

été question précédemment. Dans ce contexte scolaire, les enseignantes intègrent à

leurs responsabilités professionnelles I'autoréguIation de leur langue et la régulation

de celle des élèves. Cette responsabilité n'est pas que professionnelle, elle est

également féminine.

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Langue et professionnalisme

L'école acadienne est née de et pour la lutte pour la survie de 13 langue et de la

culture acadiennes : elle est gardienne de la langue. Or. la légitimité de l'école

française au Nouveau-Brunswick dépend de sa capacité à maintenir et à promouvoir

I'urilisation d'un français de quaIité et non un français régional porteur d'identité.

Partout dans la province, les enseignantes vivent cette obligation d'améliorer leur

langue et celle. comme L'atteste la photo ci-dessous, de leurs élèves.

Le Madawaskri, le 17 mars 1999 (reproduit avec permission)

Tant dans le nord. où les francophones constituent une majorité démographique,

que dans le sud, on peut entendre des enseignantes dire que les élèves ne parlent pas

très bien, que leur vocabulaire est insuffisant. Ce discours est un élément important

de la culture partagée des enseignantes et l'importance du bien parier est intégrée à

la définition que ces femmes se donnent de leur professionnalisme. Alon que dans

le contexte de leur vie privée, Gisèle et Chantal n'entretiennent pas toutes les deux

la même relation à la langue française, en milieu scolaire, elles partagent cette

culture d u bien parler.

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Dans sa vie privée, Gisèle tient au maintien de son propre monolinguisme et à une

vie unilingue française pour elle et sa famille. Cet unilinguisme est une marque de

son identité ethnolinguistique.

Entrevue 1995

Gisèie : C'est vraiment, ... on fonctionne en français.

Phyllis : À la maison. 100%.

Gisèie : LOO% 100%. Puis, j'ai un mari qui est francophone au coton.

Comme on a vu au dernier chapitre, le niveau de scolarité d'un homme et son

milieu de travail y ont pour beaucoup dans sa valorisation ou non du français

standard. Le conjoint de Gisèle a complété des études universitaires et travaille dans

un milieu où le français standard est la norme. De plus, que son conjoint soit

«frmcophone au coton» facilite le travail linguistique que Gisèle fait auprès de ses

enfants, la qualité de leur langue étant une p d e source de fierté.

Entrevue 1995

Gisèle: Mais [ma fiilel parle très bien ... . L'as-tu entendue? (...) Pas parce que c'est la mienne, là mais.. . .

Ceci dit, lors de situations d'échanges informels et uniquement à l'extérieur de

l'école, Gisèle peut glisser des angkismes liés au monde de la ferme dans son

langage.

Notes 29 août 1994:

On a toujours tout fait en famille, c'était l'esprit de coopération : quand il fallait tuer des poules, tout le monde tuait des poules. Quand c'était le temps dans le jardin, tout le monde était dans le jardin. Quand papa disait que c'était le temps d'aller feeder les

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vaches, tout le monde embarquait pour dler donner du foin aux vaches. Papa avait un tracteur avec un trailer en arrière et les enfants embarquaient tous sur le trader.

Il est probable que cette utilisation reflète la langue utilisée à la ferme lorsque

Gisèle étiiit enfant et, comme les femmes universitaires du dernier chapitre, qu'elle

a standardisé davantage sa langue depuis ses études et sa participation dans un

milieu de travail francophone où la qualité de la langue est marque de

professionnalisme.

De son côté, Chantal dit que chez ses parents, on était obligé de parIer le français,

mais elle utilise, en situations sociaies, une variété linguistique autre que celle

qu'elle utilise en salle de classe. Lors d'une discussion avec une autre enseignante,

elle précise que si elle parlait avec nous, l'enseignante et moi-même, la même

langue qu'elle parle en compagnie de ses arni.e.s, nous ne la comprendrions pas.

Alors qu'elle ne précise pas les caractéristiques de cette langue, Chantai démontre

une connaissance du chiac/fnnglais : elle a amorcé un jeu de langue avec moi dans

lequel elle a utilisé ce registre.

Elle me demande un jour si je pouvais la remplacer le lendemain puisqu'elle était

convoquée à une réunion. J'accepte et elte me dit en riant «c'est toi qui watch»

[C'est toi qui surveilles] C'est-à-dire que j'aurais à faire la surveillance des élèves

pendant une récréation ou l'heure du midi. Lorsque je l'ai quittée, elle m'a

également dit. «j7te phonerai.» [Je te téléphonerai.] J'ai répondu, mon, non, j'te

callerai.» [Je tTappe1lerai.] Rares, par contre, sont les anglicismes et acadianismes

qui se glissent dans son parler en milieu scolaire. En effet, comme chez les parents

du dernier chapitre, le choix de canière de Gisèle et Chantai oblige un choix

linguistique.

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Mala@ les différences dans leur vie privée, Gisèle et Chantal reconnaissent la

responsabilité qui leur incombe vis-à-vis de la langue comme faisant partie de la

définition même de leur professionnalisme. Conséquemment. elles s'abstiennent

d'utiliser des acadianismes ou des anglicismes en milieu scolaire. Gisèle dit que

«c'est sûr que si j'arrive dans la salle de classe, lorsque je parle, j'vcis pas dire des

mots vulgaires. Tu sais j'me laisse pas aller. Dans le sens qu'ii faut que je sois

professionnelle et les mots que j'utilise c'est quand même des mots qui. J'essaie

d'avoir un français standard.,, Chantal compare ce professionnalisme 5 celui d'un

médecin ou d'un avocat : «lorsque tu vas voir un avocat ou un médecin il va utiliser

les bons termes pour te parler, je t'sais pas, pour te parler de ton mal de gorge. Bien,

nous autres c'est pareil». Or, un avocat, présent lors d'une réunion du conseil

scolaire, me dit qu'il devait parfois utiliser le chiac avec ses clients afin d'assurer

une bonne communication. Chez les enseignantes, ce lien entre le bien parler et leur

statut de professionnel est néanmoins très grand et ce, malgré une insécurité

linguistique plus ou moins marquée chez chacune d'entre elles.

Lorsque j'ai rencontré de la difficulté à trouver des participantes à ma recherche,

une directrice m'a dit qu'elle comprenait que certaines puissent refuser, mais qu'elle

s'expliquait moins bien le refus d'autres. &lle, je comprends, elle a de la misère

avec son français, mais elle, elle parle bien». Chantal trouve normal que les

enseignantes refusent, ai c'était pour d'autres choses, je l'sais pas, la façon qu'on

bouge, ça serait moins pire, mais on est déjà assez surveillées pour notre langue ! il

faut qu'on se surveille tout le temps !» Cette même enseignante a, en fait, refusé que

notre entrevue soit enregistrée. Comme il a été mentionné précédemment, le MENB

a établi un système uniforme d'évaluation du personnel enseignant. Un des critères

de cette évaluation est la qualité de la langue.

Page 206: NQ49849.pdf - TSpace - University of Toronto

De son côté. Gisèle dit savoir qu'elle fait des erreurs de langue et si quelqu'un

pouvait lui dire lesquelles, elle tes corrigerait. En plus, elle me demande souvent de

juger de la qualité de sa langue, «trouves-tu que je parle bien le français ?», et si elle

est une bonne candidate pour ma recherche. Cette insécurité linguistique explique

également que ni l'une ni l'autre des deux enseignantes n'acceptent que soient

enregistrées, sur le vif, des séquences d'enseignement et de discussion avec les

enfants. En outre, lorsqu'une troisième enseignante réalise que je fais des

observations dans les couloirs et dans le salon des professeurs, elle dit à la directrice

que si je continue, elle préfère ne pas se rendre au salon en ma présence, ce lieu

étant le seul dans l'école où elle peut se détendre et ne pas toujours surveiller sa

langue. C'est au salon que tes enseignantes se permettent d'utiliser la langue de

façon ludique en utilisant tantôt des calques de l'anglais, tantôt des acadianismes.

Une journée. par exemple, plusieurs enseignantes étaient au salon des professeurs

lorsque le téléphone a sonné. Une enseignante dit à une autre «Réponds donc le

téléphone». Une autre reprend en riant, «Réponds I'fuckin de phone !»

Outre ceux du salon, le seul autre relâchement de la norme linguistique des

enseignantes observé en milieu scoIaix-e est le suivant : QueIques élèves sont à se

préparer pour quitter l'école alors qu'ils devraient déjà être à bord de l'autobus. Les

enseignantes les incitent à se dépêcher. Le conducteur dit. en riant, qu'une des

enseignantes peut les amener «dans son grand cm>. De répondre l'enseignante : «Ah

non ! C'est ce que tu penses, mon car est pas assez grand, y a shrinké». Cette

utilisation marque l'appartenance de cette enseignante à la communauté de

Memramcook, son village natal, et elle contribue au maintien du lien qu'elfe a avec

les gens de cette communauté. Le français standard n'est pas légitime dans cette

situation et son usage aunit créé un écart entre eile-même et le conducteur en

question, mettant ainsi en péril sa place dans un de ses réseaux sociaux. Afin de

répondre aux exigences du MENB et des parents, les enseignantes doivent, par

Page 207: NQ49849.pdf - TSpace - University of Toronto

contre, laisser hors de la salle de classe toute divergence de la norme linguistique

qu'est le français standard. Cette autorégulation répond égaiement aux exigences de

leur féminité.

Selon Cameron (1995), les femmes sont sujettes à une *hygiène verbale>>. C'est-à-

dire que certaines pratiques langagières leur sont illégitimes. L' utilisation des jurons

auxquels fait référence Gisèle ci-haut et l'anecdote du salon des enseignantes est

I'une de ces pratiques. comme l'est la divergence de la langue correcte. Toute

divergence de cette norme. aussi petite soit-elle, est sujette à une régulation

normative et l'insécurité linguistique prédisposent les enseignantes à accepter la

légitimité de cette violence symbolique. Cette régulation peut venir tant de

l'institution scolaire que des parents.

Selon Gisèle, la majorité des parents sont heureux du travail que font les

enseignantes en regard de la langue. Or, un petit pourcentage est moins heureux et

fait pression pour que le personnel enseignant améliore la qualité de sa langue

parlée et écrite. En raison de son insécurité linguistique. Gisèle ne conteste pas le

bien fondé de cette coercition.

Entrevue 1997

Gisèle: Les parents sont très gentils, la plupart d'entre eux vont dire. «jltrouve qu'il a appris beaucoup de français». Encore. cette année. «t'as un bon français, ma fille apprends beaucoup de mots en français. chuis contente de ce qu'a l'a appris ». (...) J'ai beaucoup. beaucoup de commentaires positifs. mais ça là. Ceux qui peuvent comger mon langage parlé et écrit, c'est peut-être un pour cent des parents là, oublie pas, mais ce 1% là parle quand même fort. Ils jappent eux autres là. Alors c'est stressant. Puis ceux qui jappent, c'est quand même des professionnels, qui. qui sont euh ...

Phyllis: Bien placés.

Page 208: NQ49849.pdf - TSpace - University of Toronto

Gisèle: Peut-être pas bien placés, parce qu'ils ont peut-être pas d'emploi, mais par contre, ils ont quand même un bagage d'études qui est beaucoup différent du mien.

Phyllis: Tu veux dire qu'ils sont pas allés aux même écoles ou ...

Gisèle: Ben, ils sont à l'université, au doctorat ou en maîtrise en linguistique.

Phyllis: Ah okay, ils ont étudié la langue.

Gisèle: Oui. Ils la connaissent très bien.

Gisèle, Chantal et les enseignantes, de façon générale, si l'on en juge par la

difficulté que j'ai eue à trouver des participantes et les commentaires reçus

d'enseignantes dans le district pour lequel je travaille actuellement, considèrent que

Ieur maîtrise de la langue n'est pas complète. En fait, elles se situent entre la classe

hégimonique, qui possède la clef du français standard et le pouvoir de l'imposer, les

linguistes et les médecins par exemple, et les plus minorisés qui comptent sur les

enseignantes pour donner cette même variété linguistique à leurs enfants. Situées à

cette frontière, les enseignantes, comme les mères traditionnelles chiacs,

reconnaissent rarement la position conflictuelle d'un tel positionnement: elles

doivent à la fois voir au maintien de l'identité acadienne et à sa normalisation.

Les mères et les enseignantes acceptent qu'il ieur revienne d'enseigner aux enfants

que le bon franqais est le français standard et que toute déviation de cette norme est

du mauvais français. Elles acceptent également que d'autres définissent ce qu'est ce

standard et jugent tant de la qualité de leur langue que de leur travail linguistique.

Malgré l'ambiguïté qu'elles expriment devant leurs compétences linguistiques, les

enseignantes continuent donc à miser sur la langue comme indice important de leur

compétence professionnelle. Gisèle évacue cette contradiction lorsqu'elle parle de

l'importance qu'elle place sur la langue :

Page 209: NQ49849.pdf - TSpace - University of Toronto

Définitivement, la langue est importante. Mais je te dis pas que je suis une professionnelle du français. Dans le sens que j'ai seulement trois cours universi taires de français, pis j'enseigne à des premières années. J'peux pas dire que je suis bonne au niveau du français standard. Mais par contre, la langue, j'y tiens. Je trouve ça important. En tout cas, moi, c'est des disques compacts en français, la télévision, c'est en français, tu sais, tout est en français.

Comme les mères chiacs, Gisèle accepte de dire qu'elle ne maîtrise pas le français

standard. De plus, elle met en pratique toutes les stratégies de francisation (regarder

la télévision en français, écouter la radio et la musique françaises) que l'école

propose aux parents.

Enseigner en première année ne nécessite donc pas une connaissance approfondie

du français standard. Au contraire, Gisèle fait de cet enseignement un obstacle à sa

maîtrise du français standard. C'est la valorisation du français et le développement

du goût du bien parler, le désir pour le français standard qui sont importants. Ce

travail est celui de femmes gardiennes de la langue et il répond aux normes

socioculturelles de t'institution scolaire. En effet, comme on l'a vu au dernier

chapitre, les mères travaillent à la standardisation ou à l'enrichissement de leur

langue et de celle de leurs enfants. Cette standardisation répond aux exigences de

l'école et de leur féminité. Ces normes sont celles du milieu de travail des Acadiens

et Acadiennes professionnel. Ce lien favorise le développement du lien entre langue

et responsabilité professionnelle que vivent les enseignantes. On se rappellera que

les directives du ministère quant it la pédagogie à utiliser au primaire, font

également du standard une responsabilité professionnelle : par la reformulation des

éléments régionaux ou anglicisés de la langue de l'enfant, l'enseignante a la

responsabilité de le mener vers une utilisation «des structures et des termes corrects

en français» (MENB 1988). En effet, les normes scolaires valorisent le recours au

français standard et l'amélioration de la langue des enfants. Conséquemment, elles

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rendent légitime la pédagogie du bien parler. Panllèlement, la langue des enfants

qui ne parlent pas le français standard devient illégitime, voire déficiente et l'objet

de corrections continues. Cette pédagogie est le sujet de la prochaine section.

Selon Cameron (1995 : 168-169)' une identité sociale est pIus que simpIement

marquée ou reflétée dans le comportement langagier ou autre, elle est plutôt une

performance jouée par l'entremise de la répétition d'actions particulières. Ces

actions sont sujettes à une régulation normative. Cette section a démontré que la

performance de l'identité professionnelle de l'enseignante du primaire se fait par

l'entremise d'actions linguistiques normalisées (ou féminisées). L'enseignante

laisse ainsi hors de la salle de classe les actions linguistiques qui ne sont pas

appropriées à cette performance (anglicismes, acadianismes, mots vulgaires). Ces

actions sont régulées par l'institution scolaire et par des parents qui ont comme

langue sociomatemelle la norme définie par le MENB. Ces parents font partie

d'une classe professionnelle hautement scolarisée.

En plus de partager sa norme linguistique, l'école partage avec la classe

professionnelle des normes d'interaction adulte/enfant. En fait, ces nonnes sont

également inscrites dans la pédagogie du français prônée par le M W . Encore là,

eHes perdent leur caractère socioculturel ; elles deviennent normales et sont

in tégrées aux responsabilités professionnelles de l'enseignante.

La pédagogie du français

La pédagogie du français que prône le MEN3 dans son programme de 1988 est

basée sur l'approche communicative. Selon cette approche, l'enfant apprend à

communiquer. tant à l'écrit qu'à l'oral en communiquant à l'intérieur de véritables

situations de communication. d'enfant s'exprime pour faire connaître à ses

condisciples tout autant qu'au maître, ses idées. ses émotions, ses projets, ses

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De son côté, Gisèle dit savoir qu'elle fait des erreurs de langue et si quelqu'un

pouvait lui dire lesquelles, elle les corrigerait. En plus, elle me demande souvent de

juger de la qualité de sa langue, «trouves-tu que je parle bien le français ?», et si elle

est une bonne candidate pour ma recherche. Cette insécurité linguistique explique

également que ni l'une ni l'autre des deux enseignantes n'acceptent que soient

enregistrées, sur le vif, des séquences d'enseignement et de discussion avec les

enfants. En outre, lorsqu'une troisième enseignante réalise que je fais des

observations dans les couloirs et dans le salon des professeurs, elle dit à la directrice

que si je continue, elle préfère ne pas se rendre au salon en ma présence, ce lieu

étant le seul dans l'école où elle peut se détendre et ne pas toujours surveiller sa

langue. C'est au salon que les enseignantes se permettent d'utiliser la langue de

façon ludique en utilisant tantôt des calques de l'anglais, tantôt des acadianismes.

Une journée, par exemple, plusieurs enseignantes étaient au salon des professeurs

lorsque le téléphone a sonné. Une enseignante dit à une autre «Réponds donc le

téléphone». Une autre reprend en riant. <<Réponds I'fuckin de phone I N

Outre ceux du salon, le seul autre relâchement de la norme linguistique des

enseignantes observé en milieu scolaire est le suivant : Quelques élèves sont à se

préparer pour quitter l'école alors qu'ils devraient déjà être à bord de l'autobus. Les

enseignantes les incitent à se dépêcher. Le conducteur dit, en riant, qu'une des

enseignantes peut Ies amener «dans son grand c m . De répondre l'enseignante : «Ah

non ! C'est ce que tu penses, mon car est pas assez grand, y a shrinké~. Cette

utilisation marque l'appartenance de cette enseignante à la communauté de

M e m c o o k , son village natal, et elle contribue au maintien du lien qu'elle a avec

les gens de cette communauté. Le français standard n'est pas légitime dans cette

situation et son usage aurait créé un écart entre elle-même et le conducteur en

question, mettant ainsi en péril sa place dans un de ses réseaux sociaux. Afin de

répondre aux exigences du MENB et des parents. les enseignantes doivent, par

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En début d'année, l'enseignant (e) de 1" année doit agir de même en présentant à ses élèves des textes écrits sur de grands cartons ou au tableau.

Les besoins ainsi identifiés sont ceux des enfants qui partagent la culture

communicative de l'école : pour apprendre, ils doivent, a priori, comprendre et

suivre les normes qui régissent l'interaction dans la culture de l'enseignante. Qui

peut parler, quand, ce qui peut être dit et ce qui est un sujet tabou sont de telles

normes. L'interaction autour de la lecture d'un aibum illustré est égaiement une

norme socioculturelle, elle n'est pas universelle ou neutre.

Dans une étude de différents modes d'appréhension de la littératie, Heath (1982)

démontre que les difficultés des élèves de deux communautés ouvrières américaines

sont liées non seulement à la langue utilisée à l'école, mais également au type

d'interaction qu'ils y vivent autour de la langue écrite. Ces normes ne sont pas

celles apprises à la maison. Les enfants d'une troisième communauté étudiée par

Heath, celle-ci de classe moyenne, apprennent, dès la tendre enfance, un style

interactif qui est reprise à l'école primaire. Cette continuité favorise une plus grande

réussi te scolaire chez ces enfants.

Chez les enfants des milieux ouvriers, Heath a décelé deux façons divergentes de

celle de l'écote d'appréhender le monde et la littératie - une chez des enfants de

race noire et l'autre chez des enfants de race blanche. Ces deux modes

d'apprentissage sont liés aux modes de socialisation de ces deux groupes. Les

enfants de race blanche qui ont participé à l'étude apprennent à identifier des

informations écrites explicitement, mais ces connaissances sont souvent liées à la

séquence des événements plutôt qu'aux connaissances qu'on peut en retirer. Ces

enfants n'apprennent pas à faire un lien entre le livre et la vie ou à décontextualiser

leur savoir.

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Le deuxième groupe d'enfants de milieu ouvrier, ceux et celles de race noire,

observés par Heath (1982) avait une littératie fondée sur la construction coopérative

du savoir. Dans la culture de ces enfants, on ne leur demande pas de répondre à des

questions de description suite à la lecture d'un livre. On leur demande plutôt de

faire des liens, par analogie, enue différents contextes et à utiliser cette information

pour tirer des parallèles entre des items et des événements. Ils sont également

habiletés à produire des commentaires affectifs et expliquer le raisonnement

derrière une action. Le livre n'est pas lié à l'apprentissage pour ces enfants comme

i l l'est pour l'enfant blanc du milieu ouvrier ou les enfants de classe moyenne.

À la maison, les enfants de classe moyenne apprennent à passer par une

appropriation de ce qui est dit dans le livre (répondre à des questions nécessitant

une réponse tirée textuellement d'un livre) avant d'en faire une analyse ou d'y

porter un jugement affectif et personnel. Cette séquence correspond à celle utilisée

en salle de classe pour vérifier la compréhension d'un texte lu. En Acadie, cette

séquence est celle utilisée pour l'élaboration des évaluations externes du ministère

de l'Éducation.

Alors qu'il est difficile de dire quels sont les moyens d'appréhender le monde que

l'on retrouve en Acadie, les parents auxquels fait référence le MENT3 sont ceux et

celles qui ont, soit les moyens d'acheter des livres pour leurs enfants, soit l'habitude

de fréquenter, avec leurs enfants, la bibliothèque municipale. Ces parents sont ceux

qui valorisent la lecture et la scolarisation. L'enfant qui a vécu de telles expériences

i In maison amve à l'école mieux préparé que les autres enfants pour vivre la

culture scolaire, pour s'insérer dans son schème de référence et apprendre dans les

livres.. II est également probable que les histoires qu'il se raconte suivent la

séquence littéraire valorisée par I'école. II est donc en mesure de répondre plus

efficacement au questionnement de l'enseignante (cf. Michaels 1991) :

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Entrevue 1996

Gisèle : Je pense que, avec l'approche communicative, ça devrait aider. Parce que veut, veut pas, les enfants sont obligés de verbaliser. Parce qu'on va les chercher, «qu'est-ce t'as compris, qu'est-ce que t'as vu, qu'est-ce tu penses ? »

Parallèlement au lancement d'un nouveau p r o C m e , ou peu après, le MENB

évalue et approuve du matériel pédagogique pour utilisation en sdle de classe. Pour

1 'enseignement du français, ce matériel est généralement constitué d'un manuel de

lecture pour l'élève et d'un guide pour l'enseignante. En première année. s'ajoutent

des éléments tels qu'un cahier d'exercices, des mots inscrits sur des étiquettes et des

images sur de cartons. Lors de son évaluation, le MEN3 cherche à établir

s'il y a cohérence entre la pédagogie proposée par le programme et celle véhiculée

par le matériel ou la collection. Le choix du matériel est important puisqu'il fait

partie des outils de normalisation de l'acte pédagogique dont dispose le MENB :

c'est à partir de ce matériel que l'enseignante planifie sa pratique quotidienne.

Pour l'enseignement du français, le MENB identifie une ou deux collections qui

serviront de matériel de base. Une autre catégorie de matériel est celle dite

complémentaire. L'enseignante peut avoir accès au manuel de base en nombre

suffisant pour l'ensemble de sa classe, alors qu'elle ne peut se procurer le matériel

complémentaire qu'à un ratio de un manuel par enseignante ou par cinq ou dix

élèves. Puisque la majorité des enseignantes utilise le même manuel pour

l'ensemble de la classe, le MENB contrôle effectivement, par son pouvoir

d'approuver ou non un matériel de base, le choix des situations de lecture et écriture

((signifiantes et authentiques» que vivra l'élève en salle de classe.

Le matériel de base utilisé lors de ma cueillette de données était le Programme

intégré lecture/oral/écrit ou, PILoÉ (Vézina 1986). L'approche de ce matériel

repose, comme l'exige le MENB, sur la création de situations de communication

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(cadre contextuel et texte) dites réelles et centrées sur l'enfant. Ce matériel fait

appel au naturel de l'acte de lire :

La mise en situation sert donc à établir un cadre contextuel qui soit le plus près possible des expériences des enfants. (. . .) Une fois la leçon bien amorcée et le contexte mis en place, tout se déroule alors comme s'il était naturel de lire le texte proposé (Vézina 1986 : IX-X).

La mise en situation dont il est question ici fait appel à une discussion qui doit

introduire la lecture. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui la prélecture. C'est donc

dire que lorsque l'enseignante suit de près la procédure inscrite dans le matériel

PWÉ, plusieurs situations de communication o d e s sont créées de toutes pièces à

partir de textes que les élèves devront lire. La tâche de l'enseignante devient ainsi

celle de s'assurer que I'enfant entre dans le texte, de faire colter le texte à sa peau. et

non de s'assurer que le texte réponde, a priori, aux besoins de communication de

l'enfant.

GisèIe : La méthode communicative, c'est quand on présente une leçon, un thème au niveau de la lecture ou mEme dans la science humaine, malgré qu'ils parlent seulement de I'approc he communicative pour la lecture, mais dans les autres domaines, on l'utilise aussi, si on fait beaucoup au niveau de la discussion. Euh, développer, faire beaucoup de partage avant d'aller dans le livre, là. C'est un petit peu comme pour emmener I'enfant à communiquer mais en même temps, c'est du vécu, ça fait ça colle plus 5 sa peau là (frappe dans ses mains), pour être capable de rentrer dans l'histoire. (...) parce qu'avant ça il y avait pas ou t'autre va dire lisez cette page-là, qu'est-ce vous avez ... . Je ne sais même pas si on faisait un retour de qu'est-ce vous avez compris. Tandis qu'aujourd'hui, on en parle, on lit, on en parle de nouveau.

La référence de l'enseignante au vécu de l'élève, à ce qui colle à la peau de l'élève

et lui permet <<de rentrer dans l'histoire» situe bien l'approche communicative dans

l'idéologie de la pédagogie centrée sur l'enfant. Or, les <~discussions» ne «collent»

Page 216: NQ49849.pdf - TSpace - University of Toronto

qu'au «vécu» de certains enfants ; la pédagogie n'est centrée que sur certains

enfants. Ce faisant, elles répondent plus facilement aux besoins des enfants qui

partagent leur schème de référence scolaire qu'à ceux et celles qui ne le partagent

pas. comme en témoignent les anecdotes suivantes.

L'apprentissage de comptines prend une cenaine importance dans la pédagogie du

français que propose Vézina (1986) ; elles sont les premiers textes de lecture des

enfants. Un jour, Gisèle fait jouer la comptine d'ai deux yeux». Un enfant est venu

la voir pour lui dire < O n l'a entendu dans Passe-Panoufi>, une émission pour

enfants sur la chaîne française de Radio-Canada, chaîne que certains adultes de

Memrarncook n'écoutent pas, selon une intervenante en alphabétisation, parce

qu'ils ne comprennent pas la langue qui y est parlée, à savoir le français standard.

Suivant les recommandations de l'auteur du matériel didactique, Gisèle demande,

après l'écoute de la comptine aux élèves de lever la main s'ils I'ont déjà entendue.

La _grande majorité des élèves lève la main et Gisèle demande à quelques-uns où ils

l'ont entendue. Us répondent tous <(à Passe-Parro~ih>. Une fille ajoute qu'elle a un

enregistrement de cette chanson à la maison. Gisèle demande à plusieurs élèves s'ils

écoutent Passe-Partorct et, si oui, quel personnage ils ou elles préfèrent. Par cette

médiation d'une discussion autour d'une comptine, l'enseignante tente de concilier

la langue et la culture des enfants à celles véhiculées par une émission de télévision.

Elle souhaite faire coller cette référence culturelle à la réalité de tous ses élèves. Ce

faisant, elle contribue au sentiment d'appartenance des jeunes qui connaissent

Passe-Pano~it - ils savent de quoi on parle - dors que les enfants qui ne la

connaissent pas sont exclus de la discussion. En effet, Gisèle ne sait que faire, autre

que demander aux parents d'écouter la télévision française, lorsque ses élèves ne

reconnaissent pas la comptine d'a i deux yeux».

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en pointant du doigt chaque mot et en s'abstenant de lire ceux que l'enfant peut deviner grâce aux illustrations ainsi que ceux qu'il connaît déjà parce qu'il les a vus souvent.

En début d'année, l'enseignant (e) de Ire année doit agir de même en présentant à ses élèves des textes écrits sur de grands cartons ou au tableau.

Les besoins ainsi identifiés sont ceux des enfants qui partagent la culture

communicative de l'école : pour apprendre, ils doivent, a priori, comprendre et

suivre les normes qui régissent l'interaction dans la culture de l'enseignante. Qui

peut parler, quand, ce qui peut être dit et ce qui est un sujet tabou sont de telles

normes. L'interaction autour de la lecture d'un album illustré est également une

norme socioculturelle, elle n'est pas universelle ou neutre.

Dans une étude de différents modes d'appréhension de la littératie, Heath (1982)

démontre que les difticultés des élèves de deux communautés ouvrières américaines

sont liées non seulement à la langue utilisée à l'école, mais également au type

d'interaction qu'ils y vivent autour de la langue écrite. Ces normes ne sont pas

celles apprises à la maison. Les enfants d'une troisième communauté étudiée par

Heath, celle-ci de classe moyenne, apprennent, dès la tendre enfance, un style

interactif qui est reprise à l'école primaire. Cette continuité favorise une plus p d e

réussite scotaire chez ces enfants.

Chez les enfants des milieux ouvriers, Heath a décelé deux façons divergentes de

celle de l'école d'appréhender le monde et la littératie - une chez des enfants de

race noire et l'autre chez des enfants de race blanche. Ces deux modes

d'apprentissage sont liés aux modes de socialisation de ces deux groupes. Les

enfants de race blanche qui ont participé à l'étude apprennent à identifier des

informations écrites explicitement, mais ces connaissances sont souvent liées à la

séquence des événements plutôt qu'aux connaissances qu'on peut en retirer. Ces

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maîtrisent cette langue normalisée avant leur entrée scolaire auopentent leurs

chances de succès scolaire.

La normalisation de la langue non standard des enfants est un des rôles que le

MENB confere aux enseignantes, mais contrairement à l'enseignement de la

lecture, celle de la langue o d e n'est pas explicitement l'objet de manuels scolaires.

Vézina (1986) suggère la discussion, par exemple, sans préciser la teneur de celle-

ci. C'est à l'enseignante de créer le lien entre l'écrit et !'oral. De plus, la majorité

des enfants de Memramcook mivent à l'école avec un français qui rend les signes

de l'enseignement peu observables. C'est à ce niveau que la pédagogie (cnaturelle»

est la moins explicitement fondée sur la connaissance professionnelle. C'est

également dans l'enseignement de la langue orale que la culture des enseignantes

rejoint ceIles de la communauté acadienne - i l faut comger notre français - et que

l'émotion est la plus forte.

En salle de classe, comme les mères à la maison, Gisèle et Chantal se font surtout

modèles du bon français pour les en fan ts. Paraiièlemen t, elles acceptent comme

normal que ces derniers parlent la langue régionale dans la cour de récréation.

Contrairement aux mères chiacs de mon échantillon, tant les acadianismes que les

anglicismes sont exclus de leur langue d'usage avec les enfants. Tel qu'il a été

mentionné au début de ce chapitre, Chantal, locutrice d'une autre variété que le

français standard avec ses ami.e.s, voit l'utilisation d'une langue autre que le bon

français comme un manque de professionnalisme et Gisèle dit que les élèves

doivent s'adapter (et ne parler que le fmpis) , car elle ne sait pas parler l'anglais.

Ceci rejoint autant le discours des mères que celui du MENB.

Dans la section de ce chapitre portant sur le contexte de l'enseignement, on a vu

que le ministère propose, en situation de communication orale, que l'enseignante

refonnule les énoncés fautifs des enfants en les plaçant dans une nouvelle phrase.

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C'est ce que les enseignantes nomment l'écho ou le miroir. Ces refomulations sont

un outil de l'approche communicative pour l'enseignement du français, approche

où l'on apprend à communiquer en communiquant (MENB 1988 : 5) . Tout comme

la pédagogie centrée sur l'enfant, l'enseignante ne doit pas faire un enseignement

explicite. Elle doit plutôt permettre à l'enfant de s'exprimer et savoir mener

I'intenction afin de ne pas brimer l'élève tout en le corrigeant. C'est afin de

permettre cette libre expression que le ministère stipule que <<les situations de

communication en salle de classe doivent porter sur des sujets susceptibles

d'intéresser les élèves» (MENB 1988 : 7). Comme le travail de production d'êtres

ethniques, ce travail doit s'insérer dans le quotidien.

Les enseignantes utilisent l'écho pour comger tout emprunt de l'anglais.

Notes 29 août 1994

Gisèle demande aux élèves ce qu'on pourrait faire pour se souvenir des mots d'une comptine. Charles répond; < O n pourrait l'écouter b a c b Gisèle reformule : << On pourrait la réécouter. Est- ce qu'il y a autre chose? »

Joseph dit à Gisèle qu'il a perdu sa dent. Un autre enfant dit : «Sa dent est lousse.» Gisèle refomule : « Sa dent bouse. >> Gisèle trouve une enveloppe dans laquelle elle place la dent de Joseph.

Notes 3 1 août 1994

Chantal dit aux élèves que la peinture n'est pas encore sèche sur les balançoires. Susanne lui dit : « Y en a sur le teeter-totter aussi. » Chantal refomule : << Ah, oui! Il y en a sur la balançoire à bascule. »

L'écho est également utilisé pour comger certaines utilisations de langue courante.

Une enseignante raconte en riant, par exemple, que ptusieurs élèves demandent s'ils

peuvent aller <qissen> (accent et allongement du i). Dans leur réponse à cette

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requête, les deux enseignantes emploient l'expression <<aller aux toilettes».

L'utilisation d'expressions telles que «icitte» sont comgées de la même façon.

Comme le souligne Gisèle, «on fait du langage partout», la langue est partie

intégrante de l'ensemble des expériences que vivent les enfants en salle de classe.

En fait. dans son pro--me de français à l'élémentaire, le MENE3 propose

l'utilisation de la reformulation dans l'enseignement de l'oral, parce que «de telles

interventions peuvent être faites à tout moment pendant les activités où les enfants

parlent), (1988 : 52). Or, les situations de communication o d e que propose le

MENB sont plus souvent de types spontanées (conversation) que formelles ou

préparées à l'avance (p. 15).

Placé dans un milieu constamment préoccupé par la standardisation linguistique,

l'enfant développe rapidement un réflexe d'autocorrection des anglicismes et des

acadianismes. Dès le mois d'octobre, cette autorégulation tant à remplacer la

régulation par l'enseignante. Un jour, lorsque j'étais suppléante dans la classe de

Chantal, un garçon me raconte qu'il est allé faire du ski avec son père. À un

moment tournant de son récit, il dit quis j'ai toute largué (silence) mes affaires à

bas!» Pendant le court moment de silence, ce garçon me regarde, à Ia recherche

d'un mot pour remplacer largué, un acadianisme tir6 du vocabulaire marin

signifiant jeter. D'après le Glossaire acadien de Pascal Poirier (1993 : 245),

larguer, un «terme, essentiellement maritime, est aussi débarqué à terre, où il reçoit

plusieurs acceptions. il a conservé celui de lâcher, mais i l a pris en plus celui de

laisser tomber, d'échapper, de laisser allem. L'hésitation de ce garçon n'est donc

pas due à un mauvais emploi du terme, mais bien à la possibilité que ce ne soit pas

un mot approprié à la salle de classe. En fait, les enfants font I'autocorrection de

plusieurs mots.

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Au salon des enseignantes, je parle aux autres de cet incident et certaines

commencent, en riant, à parler de mots qu'elles ont personnellement mis au rancart.

Ces mots ne sont généralement permis en classe que lors de la semaine de la fierté

française, alors qu'on veut souligner l'appartenance des élèves à la communauté

acadienne.

Or. certains élèves ne semblent pas sentir l'obligation de s'autoconiger autant que

d'autres. Simone, une fille dans la même classe que Jean-Philippe. est une des

élèves qui hésitent le moins devant l'utilisation des mots empruntés de l'anglais. Elle

est également une «bonne élève» et a de «bons parents». Certes, Simone n'utilise

pas souvent de tels mots, mais lorsqu'elle le fait, c'est sans gêne. Au contraire, un

enfant qui est perçu comme un problème de discipline, tel Jean-Philippe, hésite

devant son emploi de mots anglais ou acadiens. Cet enfant prend également

beaucoup de temps à apprendre à lire, malgré un intérêt marqué pour les livres dès

Iri première journée d'école.

À l'opposé de JeamPhilippe, Simone sait comment se mouvoir dans le monde

scolaire dès son arrivée en première année. Elle attend que I'enseignante lui donne

la parole avant de parler par exemple, et se met rapidement au travail. En plus, son

enseignante me fait remarquer que Simone a un bon vocabulaire, «on voit que ses

parents s'occupent d'elle». Ces parents font diverses activités avec leurs enfants et

en profitent pour nommer tout ce qu'ils voient. Ils s'assurent également que les

devoirs sont faits et valorisent la lecture. Finalement, même si elle ne le parle pas

toujours, Simone est locutrice d'un français standard. Cette culture partagée avec

l'école permet à Sirnone de développer une croyance positive en sa capacité de bien

parler et autorise des lapsus qui ne sont pas accompagnés du sentiment

d'inefficacité qu'est l'insécurité linguistique.

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Dans les sections précédentes, on a vu que I'institution scolaire, par le biais du

ministère de l'Éducation du Nouveau-Brunswick (MENB), met en place des

éléments de contrôle qui rendent difficile la divergence de son projet de

normalisation linguistique. Alors que t'institution scolaire se veut gardienne de la

langue et de Ia culture acadiennes, cette langue et cette culture se voient

marginalisées en faveur du français standard. De pius, 1' insécurité linguistique, cette

croyance qu'on ne parle pas bien sa langue maternelle, est un élément identitaire

acadien qui prédispose enseignantes, parents et élèves à accepter, voire même

exiger, cette marginalisation de leur langue régionale en milieu scolaire. Cette

insécurité linguistique rend légitime la pédagogie coercitive, cette pédagogie du

bien parler qui vise l'assimilation de tous au français standard, que propose le

MENB.

On a également vu que le contexte de l'enseignement au primaire est féminisant.

C'est-à-dire que ce n'est pas uniquement parce que les femmes forment la majorité

du personnel enseignant de ce niveau scolaire qu'on peut dire que l'enseignement

au primaire est hautement féminisé, mais également parce que les conditions

(temps, disponibilité de l'enseignante, priorité des besoins d'autrui) et la définition

(maternelle/naturelle) de ce travail sont celles d'occupations dites féminines. Ce

contexte rend également difficile une divergence du projet de standardisation de

I'institution scolaire. Par la création du désir du français standard et de la croyance

qu'il suffit à l'enseignante de créer un milieu propice à l'apprentissage de cette

langue pour que l'enfant apprenne (comme si cela était facile) à <<bien parlem,

l'enseignante est rendue responsable, voire coupable, des échecs de ses élèves.

L'enseignante travaille donc sans cesse à faire apprendre l'enfant. Puisque cet

apprentissage doit se faire naturellement, c'est par la médiation au quotidien des

activités de l'enfant que l'enseignante tente de le faire apprendre. Ce quotidien

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reproduit, sans les rendre explicites, les valeurs tant comportementales que

linguistiques de la culture dominante et l'enseignante rejoint ainsi plus facilement

les besoins des enfants qui s'y identifient. Voulant faire ce qui est le mieux pour ses

élèves, l'enseignante participe ainsi à la reproduction des inégalités sociales.

Les enseignantes peuvent, par ailleurs, résister aux exigences du MENB. Alors que

peu de résistance est offerte au projet de standardisation linguistique, on verra dans

la présente section qu'il existe une résistance au niveau de la pédagogie de la lecture

et de I'écriture. Au fur et à mesure que le MENB impose de nouvelles pratiques

pédagogiques, les enseignantes en ajoutent certaines à leur bagage, mais sans

nécessairement délaisser leurs vieilles pratiques. L'emprise du MENB sur leur

quotidien n'est donc pas complet. En effet, l'enseignante partage avec ses collègues

une culture pédagogique qui peut, soit soutenir sa résistance, soit faciliter un

changement. Rare sont les changements de --de envergure. Cela se comprend si

on voit le maintien de certaines pratiques comme stratégie de survie professionnelle

: même un succès mitigé avec une ancienne méthode est préférable au succès

incertain qu'offre une nouvelle pédagogie. En effet, une directive du ministère ne

peut ni effacer les succès que l'enseignante a rencontrés dans sa pratique antérieure,

ni garantir le succès d'une nouvelle pratique.

La pédagogie du français observée à Memrarncook est le résultat des diverses

méthodes auxquelles GisèIe, la plus expérimentée des deux enseignantes

participantes, a été exposée au f i l de sa carrière.

Gisèle : Depuis que j'enseigne, i l n'y a plus une chose que je fais pareil. Peut-être les figurines [de la méthode gestuelle]. La seule chose qui est pareille. Puis les sciences humaines, ils se ressemblent parce que c'est le même programme. Le programme de sciences a changé, la lecture, i l n'y avait pas d'Piloé [de Vézina] on n'avait pas Défi marliérnatique, on n'avait pas de fiches de sciences, on n'avait rien sur l'environnement, rien sur

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l'environnement. Oh ! C'était pas croyable comment on n'avait pas beaucoup, tu sais.

Phyllis : Comme sa t'as changé avec les programmes ?

Gisèle : Oui, à mesure qu'il y a des choses qui changent, qui s'ajoutent. Tu t'adaptes.

O n verra qu'en lecture et en écriture, Gisèle a plutôt ajouté des pratiques

pédagogiques que changé l'ensemble de son approche. Dans la pratique de Chantal,

on voit également se pointer quelques pratiques qui rappellent un enseignement

plus traditionnel. Par exemple, elle fait lire les enfants à tour de rôle sans qu'il y ait

recherche de sens. k s modifications qu'apportent ces enseignantes à l'approche

communicative témoignent d'une certaine autonomie pédagogique et d'une

possi biiité d'action sociale.

Ces enseignantes ont intégré à leur pratique la discussion avant et après la lecture

d'un texte. l'heure quotidienne du conte et des moments de discussion (causerie)

autour d'un sujet quelconque. Ces pratiques s'insèrent dans la philosophie de

l'approche cornmunicati ve. Parallèlement, Gisèle et Chantal ne respectent pas les

principes de cette approche lorsqu'elles enseignent l'association ppho-phonétique

(association d'une lettre à un son) et l'écriture. Le principe de base de l'approche

communicative veut que les enfants apprennent à communiquer en communiquant

à l'intérieur de situations authentiques. L'enseignement que font Chantal et Gisèle

de la grapho-phonétique et de l'écriture est décontextualisé ; ces habiletés sont

enseignées pour elles-mêmes plutôt que pour répondre à un besoin de

communication authentique.

Vézina, auteur du matériel de base PILOÉ rappelle avec insistance qu'il n'y a pas

lieu de s'attarder trop longtemps sur un même texte (. . .) pour éviter que les

enfants ne fassent que mémoriser un texte parce qu'on s'y attarde trop longtemps»

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( 1986 : XTV, texte en gras dans l'original). Or, lors d'une rencontre avec les parents,

une des enseignantes-participantes précise que les enfants diront qu'ils savent lire,

mais, en réalité ils apprennent les premiers textes de leur manuel de lecture par

cœur. En fait, les enseignantes font lire à plusieurs reprises les premières comptines

du manuel et privilégient l'apprentissage de stratégies en lecture qu'elles tirent de

méthodes qui ont précédé celles de Vézina. Elles démontrent ainsi une possibilité

d'action pédagogique autonome.

Alors que Vézina (1986 : XVI) suggère de passer par l'apprentissage des syllabes

(ba. be, bi) pour l'apprentissage du système graphe-phonétique, l'enseignante utiii se

la méthode gestuelle, ainsi nommée pour les gestes que l'élève doit apprendre à

associer aux graphies et aux sons de la langue française. Voici un exemple d'une

session d'enseignement tirée de mes notes d'observation.

Notes du 4 octobre 1994

Gisèle raconte l'histoire d'Isabelle. Elle dit qu'Isabelle a un petit frère qui rit beaucoup. C'est un rieur. Gisèle passe un peu de temps à expliquer ce qu'est un rieur. Elle explique que c'est une personne qui rit tout le temps. II peut tomber et il ne se fait pas mal; i l va rire. Un jour, la mère d'Isabelle regarde un livre d'animaux avec le frère 5 Isabelle. Chaque fois qu'il voit un animal le petit frère rit. Isabelle trouve ceci drôle. Elle regarde son frère rire en faisant le son [il et avait le doigt sur le coin de sa bouche.

Gisèle révèle la figurine du I : on voit Isabelle, le doigt sur le coin de la bouche et la Iettre [il écn te dessous.

En plus, Vézina stipule que la grapho-phonétique doit étre utilisée uniquement

comme qrocédé de dépannage et non une stntégie continuelle de lecture» (p. XII),

mais, lorsqu'un élève a de la difficulté à lire un mot, Gisèle et Chantal l'incitent à

utiliser les gestes appris afin de faciliter le décodage. Plus rares sont les moments où

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I'enfant est encouragé à repérer des mots déjà vus et reconnus globalement

(idéographique) ou à partir d'un mot de la même famille. Encore moins fréquentes

sont les occasions où l'enfant est amené à utiliser le contexte, première stratégie que

propose l'auteur du matériel de base.

L'utilisation de la gestuelle, méthode qui a précédé celle de Vézina dans la pratique

pédagogique de plusieurs enseignantes, entraîne également une non-conformité

dans l'enseignement que font Gisèle et Chantai de l'orthographe. Les gestes de cette

méthode sont utilisés pour la pratique de I'onhognphe lexicale : l'enseignante dit un

mot et. par la suite. le découpe en sondgestes. A l'aide de cette méthode. les enfants

doivent orthographier le mot en utilisant des lettres inscrites sur des carrés de

plastique. En fait, il n'est pas question de faire le tracé de ces mots avant que la

calligraphie de chaque lettre de l'alphabet soit maîtrisée. De plus, seuls les mots

composés de sons appris sont dictés. La croyance générale des enseignantes de la

première année, tant à Memnmcook que dans mon district actuel veut que

l'enseignement de l'écriture - le fond plutôt que la forme - ne peut débuter que

lorsque les enfants savent tracer toutes leurs lettres et lire tous les sons (association

grapho-phonétique). L'enseignement de la technique est donc décontextualisé de la

situation de communication authentique.

L'ne belle calligraphie est, en fait, utilisée pour distinguer les élèves qui s'appliquent

de ceux et celles qui ne «veulent pas travaillen> ; ceux qui sont vaillants, de ceux qui

sont entêtés. C'est alors que, dans mon rôle d'agent pédagogique, plusieurs

enseignants et enseignantes de la cinquième et de la sixième année me demandent

ce qu'ils doivent accepter et se plaignent que les enfants ne se donnent pas la peine

de bien écrire. En effet, une discussion autour de la table du salon des professeurs à

l'école Du Bouleau démontre que les enfants qui ne suivent pas le bon tracé, font la

boule du [ 6 ] avant la ligne par exemple, se font critiquer et parfois réprimander par

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les enseignantes de Ia deuxième et troisième année. Lors de cet échange, une

enseignante de la deuxième année dit qu'elle a fait effacer tous les [6] ainsi formés

par un élève.

Les enseignantes continuent donc à faire l'enseignement de l'association c$mpho-

phonétique, de ITorthormphe et de la cailicoraphie à l'extérieur de situations de

communication authentiques. Ces pratiques constituent une résistance aux

directives du MENB, aux formations données par les agents pédagogiques et à la

démarche proposée par le nouveau matériel pédagogique. Comment comprendre la

force de cette résistance ?

Tant la méthode gestuelle que l'enseignement systématique de la calligraphie sont

des pratiques que l'institution scolaire et ses cadres pédagogiques tentent de

déloger. La méthode gestuelle, est mise en doute parce qu'elle mène au

surinvestissement en une seule stratégie de lecture - la ppho-phonétique - et la

callignphie, parce qu'elle va à l'encontre de l'émergence <(naturelle» de l'écrit. Ce

développement est censé passer par différents stades (cf. Thériault 1996) :

Présyllabique (gribouillis, pseudo-lettres), - syllabique (une syllabe = une lettre), - syllabico-aiphabétique (stade intermédiaire, une lettre = une lettre et parfois,

une lettre = un son. Exemple : Grarnr = Grand-mère. [Gr] - une lettre pour un

son, [a m r] - une lettre pour une syllabe),

a alphabétique (cornespondance lettre-son, mais l'orthographe n'est pas encore

conventionnelle).

Selon les cadres pédagogiques de plusieurs districts, dénaturer ce processus

brimerait la créativité et le plaisir que prend l'enfant à écrire. 11 est donc à se

demander pourquoi des enseignantes du primaire, qui accordent une grande

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importance au développement du «goût de plein de choses», maintiennent une

pratique qu'on leur dit néfaste au goût de l'écriture? La réponse se trouve dans la

nécessité que crée la pédagogie centrée sur l'enfant d'évaluer le cheminement de

l'élève afin de l'accompagner plus efficacement dans son apprentissage.

L'imputabilité de l'apprentissage à l'enseignante contribue égaiement à ce besoin

d'évaluation. Une enseignante précise, <comment estce que je vais savoir où ils

sont rendus dans leur apprentissage de la lecture si je n'enseigne pas des sons ? ».

L'importance accordée à la calligraphie relève donc du fait qu'elle constitue un signe

observable de l'enseignement - si on ne lui enseigne pas ce tracé, l'enfant ne

l'apprendra pas de lui-même- En effet, pIusieurs enseignantes de ia matemelle

désirent prendre la responsabilité de cet enseignement rifin de montrer aux parents

qu'à la matemelle, on fait plus que simplement jouer. De son côté, la stratégie

grapho-phonétique est la seuIe stratégie facilement quantifiable - i l n'y a qu'un

nombre limité de sons et on peut compter le nombre maîtrisé, mais comment

compter l'utilisation du contexte, de la syntaxe ou de la morphologie ? Finalement,

le nombre de mots qu'il est possible de reconnaître globalement étant illimité, i l est

difficile d'identifier un niveau de maîtrise de cette stratégie.

La culture partagée des enseignantes offre également un soutien à cette résistance.

Les enseignantes partagent leurs succès avec différentes approches et lorsqu'une

nouvelle enseignante débute sa carrière, elle se trouve un mentor. La relation entre

Chantal et Gisèle en est un exemple parmi d'autres. Elles planifient souvent leur

enseignement ensemble et Chantal se tourne vers Gisèle pour obtenir du matériel et

des connaissances. Entre autres, Gisèle partage avec Chantal la façon qu'elle a

trouvée de former des équipes et d'encourager la coopération.

Depuis mon retour dans le système scolaire, je vois également plusieurs débutantes

rechercher l'aide et le soutien d'une collègue plus expérimentée. Ces mentors

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attestent du succès obtenu avec les méthodes grapho-phonétiques - «tu

n'apprendras jamais aux élèves à lire sans ça [cahier de sons]» dit une enseignante

de mon district actuel à sa protégée. Puisque les nouvelles enseignantes ne reçoivent

aucune autre forme continue de soutien, il n'est pas surprenant qu'elles reproduisent

les pratiques de leur mentor. De plus, bon nombre d'élèves ont appris à lire et à

écrire par ces méthodes, pourquoi changer pour une approche sans garantie de

succès ? Une enseignante d'expérience dit : d e ne changerai pas avant d'être

certaine que mes enfants ne seront pas pénalisés». Or, cette preuve est difficile à

faire s'il n'y a pas d'enseignantes prêtes à prendre le risque d'essayer et d'aller à

l'encontre des façons de voir et de faire de la culture partagée.

Lorsque l'enseignante se trouve dans une école où une autre pédagogie est utilisée,

le changement est plus facile. En fait, ce changement fait partie du processus

d'inté*gration à la culture de la nouvelle école. Telle est la situation vécue par

Gisèle. Lors de mon année à l'école Du Bouleau, GisèIe exprime souvent le désir

d' un changement vers 1' utilisation des centres d'apprentissage. Les <<centres

d' apprentissages» correspondent généralement aux di verses matières scolaires et

sont fréquentés par de petits groupes d'élèves. Chaque groupe travaille ainsi à

réaliser l'activité de son centre, indépendamment des autres groupes d'élèves. Le

rôle de l'enseignante est de planifier judicieusement les activités de chaque centre

pour répondre aux objectifs d'apprentissages du pro,oramme.

Seule une autre enseignante de l'école Du Bouleau utilise cette approche et ce n'est

que lorsqu'elle intègre une école où l'utilisation des centres est plus répandue que

Gisèle effectue ce vinse. Même lorsque les enseignantes désirent enseigner

autrement, il n'est pas facile de faire un changement qui ne cadre pas avec la culture

pédagogique environnante. La présence d'interlocuteurs svec lesquels négocier est

essentielle à la production d'une nouvelle culture pédagogique. Ce besoin est

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encore plus grand pour l'enseignante désireuse d'explorer une pédagogie qui

mettrait à nu le pouvoir hégémonique du français standard: cela n'est pas

I'intention du MENB et le français standard est un élément important à l'identité,

tant personnelle que professionnelle, des enseignantes. Par ailleurs, les programmes

de français de 1988 et de 1998 offrent une possibilité de résistance à la norme

linguistique encore peu exploitée.

Dans le programme de français de 1988, le MENB indique que Le français standard

doit être la langue de la salle de classe. Parallèlement, il reconnaît l'importance de

ne pas brimer l'enfant dans sa langue régionale. Alors qu'on a vu au début de ce

chapitre que l'objectif véritable du MENB est l'assimilation de tous et toutes au

français standard. la reconnaissance même de l'existence d'autres registres ouvre la

porte à d'autres interprétations. Lorsque cet autre registre est défini par l'utilisation

d'acadianismes. il gagne en légitimité puisqu'il est la langue authentique acadienne.

Ci-dessous, trois approches à la divergence dialectale sont présentées. La première

de ces approches encourage ce qui pourrait être caractérisé de «diglossie dialectale»,

chaque dialecte. ou variété linguistique étant associée à un domaine social. La

deuxième permet égaiement cette diglossie, mais tend à la rendre plus consciente.

Cette approche épouse un certain relativisme linguistique voulant que toutes les

variétés s'équivalent puisque chacune sert des besoins de communication. Ix

pouvoir symbolique du franqais standard et la hiérarchie linguistique ne sont pas les

objets de cette conscientisation. Finalement, la dernière réponse à la divergence

linguistique présentée ci-dessous démontre une certaine conscience de la valeur

symbolique du français standard. mais vise !'homogénéisation complète de la

langue des enfants.

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Vézina. auteur du matériel de base PLOÉ rappelle .avec insistance qu'ü n'y a pas

lieu de s'attarder trop longtemps sur un même texte (. . .) pour éviter que les

enfants ne fassent que mémoriser un texte parce qu'on s'y attarde trop longtemps»

(1986 : XIV, texte en dans l'original). Or, lors d'une rencontre avec les parents,

une des enseignantes-participantes précise que les enfants diront qu'ils savent lire,

mais, en réalité ils apprennent les premiers textes de leur manuel de lecture par

cœur. En fait, les enseignantes font lire à plusieurs reprises les premières comptines

du manuel et privilégient l'apprentissage de stratégies en lecture qu'elles tirent de

méthodes qui ont précédé celles de Vézina. Elles démontrent ainsi une possibilité

d' action pédagogique autonome.

Alors que Vézina (1986 : X V I ) suggère de passer par l'apprentissage des syllabes

(ba, be, bi) pour l'apprentissage du système grapho-phonétique, l'enseignante utilise

Ia méthode gestuelle, ainsi nommée pour les gestes que l'élève doit apprendre à

associer aux graphies et aux sons de la langue française. Voici un exemple d'une

session d'enseignement tirée de mes notes d'observation.

Notes du 4 octobre 1994

Gisèle raconte l'histoire d'IsabeIle. Elle dit qu'Isabelle a un petit frère qui rit beaucoup. C'est un rieur. Gisèle passe un peu de temps à expliquer ce qu'est un rieur. Elle explique que c'est une personne qui rit tout le temps. II peut tomber et i l ne se fait pas mai; il va rire. Un jour, la mère d'Isabelle regarde un livre d'animaux avec le frère à Isabelle. Chaque fois qu'il voit un animal le petit frère rit. Isabelle trouve ceci drôle. Elle regarde son frère rire en faisant le son [il et avait le doigt sur le coin de sa bouche.

Gisèle révèle la figurine du 1 : on voit Isabelle, le doigt sur le coin de la bouche et la lettre [il écrite dessous.

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Gisèle réussit donc à gérer la tension entre langue d'identité et langue standard en

établissant une distinction entre la sdle de classe et les aires de jeu ; en sdle de

classe les enfants doivent utiliser le français standard alors qu'elle ne reprend pas

les élèves qui utilisent le chiac dans la cour de récréation. Lorsque les élèves

parlent le non-standard en classe, Gisèle utilise l'écho ou dit aux élèves qu'elle ne

comprend pas ce qu'ils disent, elle ne comprend que le français. Malgré son désir

de respecter Ia langue des enfants, Gisèle contribue donc à la définition du français

standard comme seul vrai français. torsqu'elle dit ne comprendre que le français,

eIle dit également que ce que les élèves parlent n'est pas le français.

De son côté, une employée cadre système scolaire du sud-est de la province voit le

rôle de l'école acadienne comme celui d'amener I'enfant vers d'autres registres de

langue et de l'habiliter à savoir comment s'adapter à différentes situations de

communication. Ainsi, la langue de l'enfant n'est pas dévalorisée ou comgée, mais

pIacée dans son contexte socid. Puisqu'elle répond à un besoin ce communication,

cette langue est équivalent au français standard ou toute autre variété linguistique. Ii

s'agit donc ici de rendre conscient le choix de code implicite que pratiquent les

élèves de Gisèle. Ici on voit l'influence des connaissances que cette employée-cadre

ri acquises des linguistes, dont Annette Boudreau, auteure citée au début de ce

chapitre :

Entrevue 1995

Rose : La langue permet de communiquer avec différentes personnes, puis t'as avantage à développer ton vocabulaire, ou tes connaissances, pour te permettre de communiquer avec un plus grand nombre de personnes. À l'école, on a ce rôle-là, de l'amener vers d'autres registres de langue, de connaître, de savoir que si tu sors de ton milieu et utilises ce mot-là, tu risques de ne pas être compris par un très grand nombre de personnes. Ici c'est ça le mot qu'on utilise, ça, c'est correct, c'est un mot qui permet de communiquer une rialité, ici, dans la région, dans ton milieu, dans

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ta famille ou dans ta communauté et c'est correct. Pour exprimer ia même réalité, i l y a d'autres mots, et d'autres mots qui sont peut- être connus à l'extérieur. À un moment donné, tu te rends compte que tu fais appel à ces mots-là. Mais pas dans une pédagogie, comme on dit une pédagogie de l'erreur, ou une pédagogie de dévalorisation. Tu as un niveau de langue par rapport à l'autre. Tu sais, de vraiment reconnaître le chiac ou le régionalisme, ou des mots anciens, tu sais, les acadianismes, ou des choses comme ça, puis ça, je crois que on l'a pas toujours fait. On a encore tendance aujourd'hui, peut-être, à dénigrer, quoique ça change, mais je pense qu'on a besoin de changer davantage, parce qu'il y a beaucoup de jeunes ... Il y a pire que mat s'exprimer, il y a pas s'exprimer du tout.

Tu es sûrement au courant de tout ce que Annette Boudreau puis Lise Dubois ont fait dans Ieurs recherches au niveau de l'insécurité linguistique, puis tout ça. Bien l'insécurité linguistique, on sait quel effet que ça l'a : ça empêche des personnes de s'exprimer parce qu'ils pensent que leur langue, leur façon de parler est pas correcte, par contre, toutes les autres sont correctes. Puis on a vu que c'était un fait, dans cette région entre autres, les gens ont, même chez les adultes, un malaise. Ça prend énormément d'expériences différentes pour aniver un jour à dépasser ça puis dire, bien, écoute, c'est pas parce que j'ai un accent différent ou un vocabulaire différent, que j'ai pas des choses à dire, que j'aï pas des moyens de le dire. À ce niveau-là, je crois que les enseignants ... commencent à en être un peu plus conscients de l'importance de, tout simplement, s'ouvrir. C'est une ouverture aux autres. C'est une ouverture 5 d'autres façons de dire. Tu sais? Au lieu de connaître un mot qui exprime une réalité, mais on en connaît deux, trois. Finalement c'est plus riche parce que la journée où on va, .... L'autre fois, j'entendais quelqu'un dire : «c'est être caméléon>^: c'est être capable de t'adapter à une situation changeante, si t'as à faire avec un, avec un Parisien, tu sais que tu ne vas pas tout comprendre, mais crime, tu vas utiliser «bonnet», parce que ça tu le sais (rire). Tu sais qu'en disant des bas, il va pas te comprendre, tu vas dire des chaussettes, mais quand tu es ici, par exemple.. .

L'utilisation du terme <caméléon» est ici révélateur de la visée de cette employée-

cadre du système scolaire : elle voudrait que les enfants puissent <Tasser» pour des

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locuteurs Iégitimes sur plusieurs marchés Iinguistiques. Le caméléon prend les

couleurs de ce qui l'entoure, mais ne devient pas cet environnement. D'autres, par

contre, nient toute possibilité d'utilisation de la langue identitaire en salle de classe,

sinon dans l'ensemble de l'école. Dans le cadre de cette recherche, je me suis

inscrite, avec une trentaine d'enseignantes, à un cours en didactique du français qui

se donnait à l'université de Moncton durant la saison estivale de 1995. Une

col lègue de classe, enseignante dans le sud-est du Nouveau-Brunswick, s'est

exclamée qu'il faut corriger la langue des enfants, tellement elle est de mauvaise

qualité : <varce qu'ici on a des enfants qui parlent mal, ils pourraient même en

apprendre de La petite vie ! » La petite vie est une émission de télévision dans

laquelle les comédiens utilisent un vernaculaire québécois. Aux yeux de cette

enseignante, la langue des enfants est de mauvaise qualité et doit être comgée. Ce

besoin de correction est tellement "pnd que l'apprentissage du fmçais standard est

un but hors d'atteinte. Cette enseignante semble reconnaître que l'accessibilité du

fmnçais standard est un mythe. Or, elle continue à croire en la supériorité de cette

variété linguistique. Plus, elle nie la légitimité de la langue des enfants comme

marque de l'identité acadienne : elle ne participe pas à sa glorification. Pour cette

enseignante, le lien entre la langue française des enfants et leur identité et

appartenance à une communauté francophone est douloureusement évidente.

Si nous voulons que la pédagogie devienne un outil de changement social, il faudra

passer par une conscientisation du personnel enseignant quant à I'imponance de

leur travail de socialisation et de sélection sociale et de la place de la langue dans ce

travail. Les enseignantes observées dans le cadre de cette recherche considèrent

qu'el les ne participent pas activement au développement de la communauté que

dessert l'école. Quelques jours après une discussion des buts de ma recherche,

Chantal dit d'un ton inquiet qu'elle ne voit pas quel rôle elle joue dans la

communauté. Comme Gisèle qui me demande souvent si elle est une bonne

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candidate pour ma recherche, Chantal est désireuse de me donner ce dont j'ai

besoin pour réussir.

L'approche communicative offre des possibilités de résistance à l'hégémonie du

français standard. La langue orale est l'outil de la médiation tant de l'apprentissage

de la lecture que des autres matières scolaires. 11 n'y a pas de moment à l'horaire

entièrement consacré à la langue ode , son enseignement est informel. mais

omniprésent. Lors de discussions avec les élèves, que ce soit suite à une lecture. Iors

d'une activité de sciences humaines ou lors d'une causerie, l'enseignante valotise

déjà certaines interventions et visions du monde. C'est ainsi qu'à Memramcook, où

la chasse fait partie de la culture familiale, elle n'est pas un sujet de conversation

approprié à la salle de classe. La beauté des animaux et la nécessité de protéger la

terre et ses habitants est plutôt de mise. Parallèlement, les voyages à Ottawa, dont

peu d'enfants peuvent profiter, se voient valorisés et discutés en profondeur dans les

classes de Chantal et Gisèle, alors que peu d'attention est portée à l'enfant qui parle

du voyage qu'il a fait en camion-remorque. Cette valorisation de ce qui est dit est

aussi importante dans la définition de I'acadianité légitime qu'est la valorisation du

registre utilisé pour le dire. Comme les milieux de travail où le franqais standard est

la langue d'usage sont les seuls légitimes. certaines expériences culturelles sont plus

légitimes que d'autres.

Suite à une certaine conscientisation du personnel enseignant, l'heure du conte ainsi

que les causeries pourraient devenir autant d'occasions de laisser entrer une

nouvelle vision du monde dans la salle de classe. De plus. le nouveau programme

de 1998 laisse place 5 encore plus d'interprétation que celui de 1988. En effet, dans

ce nouveau programme le respect des registres et la possibilité de choisir celui

approprié à différentes situations de communication sont deux objectifs qui ouvrent

la porte à l'exploration de la variation linguistique. Ils ouvrent également la porte à

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un remise en question de la place du français standard et à une prise de conscience

de son pouvoir hégémonique. En plus de voir les possibilités du programme et du

milieu scolaire pour un tel projet de conscientisation et d'action sociale, il importe

par contre de comprendre le risque que prendrait une enseignante désireuse de le

mener à terme.

Le premier obstacle à un changement pédagogique en faveur d'un plus p n d

respect des besoins de communication de tous les jeunes est la langue et la culture

sociomatemelles des enseignantes. il est possible par exemple que les enseignantes

utilisent I'écho de façon inconsciente, que I'écho soit une pratique socioculturelle

professionnalisée. En fait, sachant que j'étais là pour observer la langue, Gisèle

marque, par un sourire et un regard de mon côté, les déviations de la langue dont

elle est consciente - l'utilisation d'un chiac marqué par une utilisation d'anglicismes

plus prononcée que d'habitude ou une erreur reliée au développement langagier

(»iaraco>ii au lieu de macaroni) par exemple. À ces moments, elle n'utilise pas

l'écho. De plus, ce n'est qu'à ces moments qu'elle marque les manquements

linguistiques des élèves; normalement, elle utilise l'écho comme si cela faisait

partie du cours normal de la conversation. En fait. elle me dit que ses élèves ne font

pris beaucoup d'erreurs dans leur parler.

En outre, les enseignantes disent qu'elles ne font rien de spécial dans leur

enseignement de la langue o d e . De plus, j'ai observé l'emploi de la technique de

I'écho chez une amie non enseignante avec ses enfants en bas âge et je me suis

surprise à utiliser I'écho en conversation avec les élèves de Gisèle et de Chantal.

Tout indique que cette utilisation relève d'une pratique culturelle, qu'on peut rendre

consciente ou non. Le transfert de cette pratique à l'enseignement de la langue à

l'école s'inscrit dans la foulée de la pédagogie cenuée sur l'enfant. Cette pédagogie

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est axée sur la création d'un environnement maturel~, propice à l'apprentissage,

plutôt que sur l'enseignement explicite. Comme le souligne le MENB :

Fait-on semblant de parler à l'enfant de trois mois sous prétexte qu'il est trop petit pour comprendre ce qu'on lui dit ? Bien sûr que non. Dès sa naissance, on lui fait vivre de véritables situations de communication en lui disant, par exemple qu'on l'aime ou qu'il boira bientôt.

Bref, tout le monde accepte et conçoit aisément que l'apprentissage de la communication orale s'effectue d'abord et avant tout en communiquant. Fait à noter : cet apprentissage est marqué, partout dans le monde, par un taux de réussite tout à fait exceptionnel. (1988 : 7-8)

L'enseignement et l'apprentissage de la langue orale se font donc de façon

spontanée ou naturelle, nul besoin de se préparer à l'avance. En fait, lors du cours de

didactique de français suivi dans le cadre de cette recherche, l'enseignement de

l'oral n'est traité qu'à la dernière session et la professeure est surprise par les

questions que posent les enseignantes, comme si le problème que soulèvent ces

dernières quant à la correction de la langue des enfants n'est pas une préoccupation

du domaine théorique de la didactique du français.

C'est lorsque I'apprentissage jugé normal ne se fait pas ou lorsque la langue

maternelle est fautive et dévie trop de la norme établie par l'institution que les

enseignantes, comme celles qui assistent au cours de didactique du français,

cherchent à rendre explicite une pédagogie de la langue orale. C'est alors qu'une de

mes enseignantes participantes a été en mesure d'articuler ce qu'elle ne faisait que

naturellement auparavant. Cette enseignante a demandé un transfert dans une école

de la ville non longtemps après mon passage dans sa classe. Vers la fin de sa

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première année d'enseignement en ville, je la rencontre pour une deuxième

entrevue.

Pendant cette entrevue, l'enseignante dit qu'il y a beaucoup plus de variations dans

la langue des enfants de la ville : certains sont issus de familles exogmes où la

langue de la maison est l'anglais ; d'autres ne parlent que le chiac (chiac-

anglicismes) ; alors qu'un certain nombre, de milieux professionnels et hautement

scolarisés. parlent un français encore plus standard que le sien. Ce n'est que suite à

ces exgriences que l'enseignante rend explicite son utilisation de l'écho ou du

miroir :

Première entrevue (1995)

Gisèle : dans la classe comme telle, là vraiment au niveau du français, j'suis satisfaite. Puis ils s'expriment bien.,. puis des fois, ils vont pour dire comme q ~ c k , ah rondelle, madame» . . . Bien, oui moi je comprends pas [quand les enfants utilisent l'anglais]. Puis là des fois je vais dire, qu'est-ce ça veut dire ? Moi, je sais pas qu'est-ce ça veut dire ça. As-tu un autre mot pour ça ? (elle rit)

Deuxième entrevue (1996)

Gisèle : Je vais faire miroir là, lorsqu'il parte, comme là aujourd'hui y 'n a un qui m'a dit «un jaune crayon D, puis là j'ai dit «ah, c'est vrai c'est français ton crayon jaune M. Alors tu sais, je fais le miroir.

Tout indique donc que lorsque la langue de l'enfant ne dévie pas significativement

de la norme scolaire, l'enseignante agit de façon (maturelle» et comge les «erreurs»

de parcours en meformulant» les dires des enfants. brsqu'il y a une déviation plus

marquée, le besoin d'enseignement correctif est également accencué, donc plus

conscient. L'enseignante cherche alors à définir plus explicitement la pédagogie

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qu'elle utilise. Parmi les outils qui sont à sa disposition, seul le guide du MENB lui

vient en aide en suggérant l'utilisation de l'écho, technique qu'elle utilisait d'emblée.

En fait, le matériel péâagogique ne donne aucune solution de rechange à

l'enseignante. Malheureusement, le contraire de «fornulen> ses pensées en mots est

de daire» l'expression de ses pensées et c'est le danger qui guette la pédagogie

proposée par le MENB.

En plus de la culture de l'enseignante qui peut rendre invisibles les actions

régulatrices sur la langue, l'enseignante est membre d'une communauté

d'enseigantes qui a égaiement sa culture partagée. Une partie importante de cette

culture est le désir du français standard. En effet, le français standard est une clef

d'accès très importante à la profession enseignante. Les diverses évaluations de la

langue qu'impose le MENB au personnel francophone en est la preuve. Une autre

influence qu'a le MENB sur la culture partagée des enseignantes est son monopole

sur le choix de matériel pédagogique.

II est souvent difficile pour l'enseignante de passer à côté du matériel puisqu'il ne

représente pas uniquement un texte qui lui est destiné, mais également des manuels

destinés aux élèves. De plus, les enseignantes qui désirent mettre de côté le matériel

recommandé par le MENB doivent continuellement expliquer, aux parents, à la

direction de l'école et à l'agent pédagogique, pourquoi elles ne font pas comme les

autres. Pendant une décennie, duke de vie (durée pendant laquelle son utilisation

est recommandée par le MENB et ses cadres) approximative d'un maténe1 scolaire,

l'enseignante doit négocier sa théorie et sa pratique de l'enseignement en relation

avec ces textes. C'est souvent dans le cadre de la pédagogie proposée par ce

matériel que les enseignantes discutent avec d'autres de leur enseignement. Lors de

discussion au salon des enseignantes, le personnel de l'école Du Bouleau fait

référence au programme ou au matériel pour parler d'une activité d'apprentissage

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ou d'une rencontre prévue avec les parents. Par exemple, avant une rencontre

d'information pour les parents tenue au mois de septembre, les enseignantes

discutent de ce qu'elles diront aux parents. Toutes s'entendent pour dire qu'elles

parleront des thèmes qu'elles doivent couvrir en sciences humaines. Ces thèmes

sont ceux du pro,oramme du MENB. Les enseignantes échangent sur les moyens à

prendre pour faire des résolutions de problèmes en mathématiques et, en lien avec

le cours de français, elles discutent de I'introduction du personnage central à tous

les textes du manuel de lecture. C'est également à partir du matériel pédagogique

rendu disponible par le MENB et son district scolaire que G i d e accompagne

Chantal dans sa première année d'enseignement en première année. Lors des

planifications quotidiennes, elles décident quel son introduire et quand introduire

une nouvelle comptine.

Le temps constitue, on l'a vu précédemment, une condition essentielle au

développement d'une culture partagée. Puisque l'enseignante vit pendant une

dizaine d'années avec un matériel pédagogique, parfois imposé par le district ou le

MENB, les pratiques et théories de l'auteur du matériel deviennent imbriquées dans

la culture partagée du personnel enseignant d'une école, la même collection étant

souvent utilisée d'un niveau scolaire à l'autre ou encore dans plusieurs écoles. En

effet, lorsque des enseignantes se rencontrent lors de sessions de formations

provinciales, on entend souvent la question «tu utilises quel matériel?» comme on

pourrait entendre « d'où viens-tu? >> dans un autre type de rencontre. La prochaine

question est normalement : «Tu es rendue où (thème ou page)?» LRs enseignantes

trouvent également important que d'autres enseignantes, si ce n'est pas dans la

même école, au moins dans le district, utilisent le même matériel qu'elles. Comme

le souligne Anderson (1983) pour la lecture du journal, l'utilisation du même

matériel donne un sentiment de communion, de communauté avec d'autres

enseignantes. Comme les lecteurs d'un quotidien savent que d'autres lisent ou liront

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le même texte, les enseignantes savent que d'autres enseignantes font ou feront lire

les mêmes textes par leurs élèves ou planifient les mêmes activités d'apprentissage

i partir d'un même matériel de base.

Ce sentiment de communauté facilite le travail de réglementation pédagogique du

MENB : il suffit d'introduire un matériel quelconque dans un assez grand nombre

de classes pour créer un tel sentiment. Une enseignante qui utilise un matériel

différent de la majorité se trouvera ainsi sans interlocuteurs et, par ce fait même,

exclue de plusieurs discussions et du groupe. Cela explique à la fois le nombre

limité de collections, de un à trois par matière et niveau d'enseignement, approuvé

par le MENB et, mal@ son discours de responsabiIisation et de professionalisation

(MENB 1994)' son insistance pour que soit utilisé un matériel de base.

Un trop grand nombre de collections favoriserait une plus grande divergence

pédagogique et nuirait à la création d'un sens de communauté communauté.

Parallèlement, l'approbation de plus d'un matériel en pédagogie du français donne

l'illusion d'un choix, liberté que le MENB tente de contrôler en insistant sur

l'utilisation d'un matériel de base agréé. En fait, Apple (1986) démontre comment,

avec la féminisation de la profession, le manuel scolaire a été inventé dans le but de

contrôler l'action de I'enseignante et d'assurer les apprentissages visés. Comme en

témoigne Gisèle, c'est davantage le manuel de lecture et son guide pédagogique que

Ies connaissances professionnelles qui informent la pédagogie du français des

enseignantes en Acadie.

Phyllis : J'aimerais ça savoir qu'est-ce que t'as pensé, si ça t'as servi la formation que tu as reçue pour enseigner le français.

Gisèle : Ça m'a assez mêlée que j'avais peur d'avoir une classe.

Phyllis : C'est-tu vrai ?

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Gisèle : Oh, Seigneur de la vie ! C'était énervant. C'était matériel ici. puis un matériel qui passait par là. Puis c'était une pédagogie de ceci, puis une pédagogie de ça. Puis c'était analytique, puis c'était synthétique. Ah ! Moi j'étais mêlée. C'est quand je suis anivée dans une salle de classe, que j'ai pris les guides [de l'enseignant], puis j'ai commencé à lire. Ah, bien regarde, on pourrait faire tutututu que j'ai tout, c'est pas à l'université que t'as appris comment enseigner le français ... Si tu veux savoir comment enseigner le fransais, tu prends une classe puis tu l'enseignes. (À la fin de la plzrase, elle frappe fort sur la table avec quelque chose de dur comme pour renforcer son argument).

La culture partagée des enseignantes est non seulement construite en relation avec

le matériel pédagogique, mais égdement, et peut-être surtout, dans la relation entre

enseignantes.

Tout comme les enfants qui acceptent de standardiser leur langue risquent le rejet

de leur communauté, les enseignantes qui acceptent de relever le défi du

changement risquent le rejet de leurs collègues. Tel est le cas d'enseignantes qui

choisissent actuellement d'enseigner dans des groupements multiâges ou qui

essaient de laisser tomber les cahiers de sons ou l'enseignement systématique de la

calligraphie. LRs enseignantes de groupes multiâges se font accuser de trahir leurs

pairs qui ont peur de se faire imposer de tels regroupements. Les enseignantes qui

délaissent les cahiers de sons sont surveillées de près et les dificultés de leurs

élèves sont attribuées à ce choix. En ce qui a trait à la calligraphie, la pression est

encore plus grande puisque les enseignantes qui reçoivent leurs élèves l'année

suivante peuvent se plaindre de la qualité de leur travail. Lors d'une discussion au

salon des enseignantes à Du Bouleau par exemple, les enseignantes de la deuxième

année comparent le travail des élèves qui leur sont arrivés de la classe de Gisèle et

d' Anita, l'enseignante qui avait précédé Chantal.

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Notes, 17 novembre 1994

Suzanne dit que plusieurs de ses élèves écrivent très bien, mais que d'autres écrivent moins bien. Violette lui dit que ce sont les élèves d'Anita qui écrivent moins bien puisqu'ils ont eu moins de pratique. Anita enseignait le script en début d'année et la cursive seulement vers la fin de l'année. Gisèle commençait tout de suite par la cursive. Les enseignantes de la deuxième année préfèrent l'écriture de ceux qui ont commencé par la cursive, c'est-à-dire les élèves de Gisèle.

L s choix pédagogiques que font les enseignantes d'un niveau ont donc des

répercussions sur la gestion des apprentissages que devront faire les enseignantes

d'un autre niveau. Souvent, les difficultés des élèves deviennent ainsi la

responsabilité des enseignantes du début du primaire. Récemment, une direction

d'école me disait par exemple que si ses élèves de la huitième année obtiennent de

mauvais résultats aux examens du MENB, c'est qu'en première année ils ont reçu

un enseignement suivant les anciennes méthodes.

La culture partagée des enseignantes fait donc pression pour que certaines pratiques

soient maintenues ou changées. L'enseignement du français standard est une

pratique que cette culture tend à reproduire puisqu'elle est liée à la quaiité de la

lanzue écrite et à la compréhension en lecture. De plus, on l'a vu, le français

standard est lié à la définition même de la profession enseignante en Acadie.

Finaiement, il n'est pas garanti que la communauté accepterait une remise en

question de l'enseignement du français standard. Denise, membre du comité de

parents, compare l'importance qubn donnait au bon français dans ((son temps» et

celle qu'on y accorde aujourd'hui : lorsqu'elle était à l'école, +$avais une langue avec

mes profs et dans la cour c'était le chiac». Avec les enseignants, elle parlait «le bon

français». d a n s ce temps-là, i l n'y avait pas d'emphase de mis pour qu'on parle le

bon français partout». O n pouvait parler le bon français en classe et on n'en

demandait pas plus. Contrairement à ce que dit Gisèle - dans la cour de récréation,

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consciente ou non. Le transfert de cette pratique à l'enseignement de la langue à

l'école s'inscrit dans la foulée de Ia pédagogie centrée sur l'enfant. Cette pédagogie

est axée sur la création d'un environnement <maturel», propice à I'apprentissage,

plutôt que sur l'enseignement explicite. Comme le souligne le MEM3 :

Fait-on semblant de parler à l'enfant de trois mois sous prétexte qu'il est trop petit pour comprendre ce qu'on lui dit ? Bien sûr que non. Dès sa naissance, on lui fait vivre de véritables situations de communication en Iui disant, par exemple qu'on l'aime ou qu'il boira bientôt.

Bref, tout le monde accepte et conçoit aisément que l'apprentissage de la communication orale s'effectue d'abord et avant tout en communiquant. Fait à noter : cet apprentissage est marqué, partout dans le monde, par un taux de réussite tout à fait exceptionnel. (1988 : 7-8)

L'enseignement et I'apprentissage de la langue orale se font donc de façon

spontanée ou naturelle, nul besoin de se préparer à l'avance. En fait, lors du cours de

didactique de français suivi dans le cadre de cette recherche, l'enseignement de

I'oral n'est traité qu'à la dernière session et la professeure est surprise par les

questions que posent les enseignantes, comme si le problème que soulèvent ces

dernières quant à la correction de la langue des enfants n'est pas une préoccupation

du domaine théorique de la didactique du français.

C'est lorsque I'apprentissage jugé normal ne se fait pas ou lorsque la langue

maternelle est fautive et dévie trop de la norme établie par l'institution que les

enseignantes, comme celles qui assistent au cours de didactique du français,

cherchent à rendre explicite une pédagogie de la langue orale. C'est alors qu'une de

mes enseignantes participantes a été en mesure d'articuler ce qu'elle ne faisait que

naturellement auparavant. Cette enseignante a demandé un transfert dans une école

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même les archaïsmes

l'autre, de mener à la

ne sont pas légitimes. Ceci a pour effet, tant d'un côté que de

correction de la langue des enfants et ainsi reproduire en eux

l'insécurité linguistique qui prépare à l'acceptation de leur rnarginalisation

éventuelle. Comme Les mères ne peuvent faire autrement si elles désirent le succès

scolaire de leurs enfants, les enseignantes du primaire sont liées par leur

responsabilité envers le succès futur de leurs élèves.

Le rôle de gardienne de la langue et de Ia culture est attribué aux femmes (mères ou

substituts). Même s'il ne l'était pas, les femmes ne pourraient pas passer à côté :

dans la majorité des foyers, c'est la femme qui est responsable du soin des enfants à

la maison et c'est elle qui est leur interlocutrice première. C'est dans cette

interaction que l'enfant apprend à parler et à agir selon les normes de sa société.

Puisque la mère est également reconnue première responsable de l'éducation des

enfants, le succès scolaire de ces derniers est également une marque du succès

maternel des femmes qui valorisent la scolarisation. Xi est donc difficile pour ces

mères de choisir de ne pas préparer leurs enfants à cette scoIarisation.

L'enseignement du français standard est une composante importante de cette

préparation.

Les enseignantes du début du primaire se trouvent dans un étau similaire : les

enseignantes des niveaux supérieurs leur renvoient, souvent sans s'en rendre

compte, la responsabilité de la standardisation des comportements scolaires, y

compris les comportements linguistiques que sont I'autocorrection, le silence et la

soumission à la régulation linguistique. il devient donc difficile pour I'enseignante

de la première année d'enseigner autre chose que le français standard et Ia

soumission à sa culture. Cette culture est inscrite dans les manuels et règlements

scolaires. En plus, l'enseignante de Ia première année doit mener les enfants à la

capacité de lire et de «comprendre», c'est-à-dire être capables de répondre à des

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questions qui révèlent la compréhension textuelle de ce qui est lu. L'enseignement

mène ainsi plutôt à l'acceptation de la norme inscrite dans les manuels qu'à sa

remise en question.

Les conditions féminisantes du primaire rendznt égaiement difficile une résistance

aux nomes culturelles et linguistiques de I'école. En effet, la pédagogie centrée sur

l'enfant fait appel à cette culture qui reproduit la féminité de l'enseignante :

l'enseignante doit faire le don de soi pour développer une sollicitude envers ses

élèves et créer un milieu propice à l'apprentissage. Le milieu qu'elle crée ainsi

reproduit les normes de gentillesse, de politesse et de travail de sa culture et

marginalise les élèves qui ne savent pas fonctionner dans ce cadre. Ces élèves sont

les mêmes qui savent que leur langue n'est pas appropriée à la salle de classe.

Lors de ma première rencontre avec le personnel de l'école, une des enseignantes

me dit que les enfants ont déjà fait beaucoup de progrès dans leur langue parlée

avant d'arriver en deuxième année. Les autres enseignantes semblent être du même

avis, mais à quoi ressemble ce progrès ? Il est vmi que plus l'année avance, moins

mes notes font état de corrections par la méthode de l'écho. Par ailleurs, certains

enfants font preuve de plus d'hésiwion devant leur emploi de certains mots.

Prenons I'exempie de l'enfant qui me demande un jour de aipper son jacket».

Aussitôt sa phrase dite, i l arrête et reprend : «Veux-tu zipper mon manteaum.

D'autres élèves ne sentent pas l'obligation de faire ces autocorrections.

L'ensemble des actions pédagogiques de l'enseignante, que ce soit au niveau des

comportements, de la lecture ou de la langue, ont p u r effet de produire et de

reproduire la frontière entre les enfants qui réussiront à accéder au monde du savoir

et de la langue légitime du pouvoir en Acadie : l'enseignante participe à la création

d'une élite acadienne plutôt qu'à l'avancement équitable de toute la communauté.

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Cette élite, cette classe hégémonique acadienne glisse souvent sans gêne, comme

Simone, des mots issus de l'anglais ou des acadianismes dans leur parler.

Les pratiques pédagogiques des enseignantes sont influencées par l'approche

communicative à l'enseignement du français. Cette approche est celle prescrite par

le MENB. Alors que les buts explicites du MEN3 sont de donner un accès au

français standard à tous les élèves, sans pour autant brimer leur identité familiale, il

a été démontré dans ce chapitre que la vision réelle que poursuit le ministère est

celle d'une seule identité acadienne. La maîtrise du français standard et de

comportements propres à l'être <<instruit» sont des éléments importants à la

performance de cette identité légitime. L'approche communicative et la pédagogie

centrée sur l'enfant permettent de garder cette vision implicite puisque véhiculée

par des interactions adulte/enfant (femme/enfant) «normales».

Ces interactions sont fondées sur l'apport naturel de la femme à l'éducation. En

salle de classe, la pédagogie centrée sur l'enfant fait appel aux qualités dites

féminines du don de soi, de l'altruisme, de la capacité d'être à l'écoute des besoins

de l'autre (l'enfant) et de l'empathie. À l'intérieur de cette pédagogie, l'approche

communicative met l'accent sur la création de situations, d'un environnement

propice au développement langagier des enfants. Un tel environnement rend

significatif l'apprentissage de la langue. Cet accent sur la signification pour l'élève

place ce dernier au centre de ses apprentissages, on parle ainsi d'une pédagogie

centrée sur l'enfant. Or, si l'enseignante ne tient pas compte de la diversité

vernaculaire de sa classe, seuls certains élèves se retrouvent au centre de cette

pédagogie.

Well-meaning teachers have lost sight of the fact that mere implementation of these progmrns does not necessarily translate into authentic, natural, or wholistic experiences for non- mainstream students (Reyes 1992).

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Les textes, les comptines et les discussions de la salle de classe rendent légitimes

une seule langue - le français standard - et une seule culture - unilingue française.

La langue des enfants chiacs est ainsi rendue illégitime, voire déficiente. En fait, des

tentatives de correction de la langue confirment cette illégitimité. Une telle

pédagogie conuibue donc à la production de l'insécurité linguistique des élèves

minoritaires plutôt qu'à leur sentiment d'efficacité et d'appartenance à la

francophonie.

Une application non critique de l'approche communicative est également coercitive

puisqu'elle suppose un développement normal vers la maîtrise de la langue

standard. C'est-à-dire que tout enfant normalement constitué réussira, sans

intervention directe, à maîtriser le français standard. L'enfant qui ne réussit pas vit

des activités de remédiation ou est simplement pénalisé lors d'évaluations. À

I'école Du Bouleau, plusieurs élèves reçoivent l'aide d'un tuteur à l'école. Les

parents et les élèves porterit le blâme pour ce manque : il y un manque d'effort. ils

n'écoutent pas la télévision française, ils ne Iisent pas en français. Ce blâme ne

vient pas que de l'école, mais également d'autres parents.

Entrevue 1997

Lise : Comme, elle, son père, cette enfant-là, je sais que son père est plus vieux, puis c'en est un qui aime boire puis qui est dans la grosse **. C'est pour ça que je dis moins d'importance. Eux autres, je crois, parce que ça les dérange pas comment est-ce qu'ils parlent devant les enfants, non plus, comme, parce que la gardienne des fois, elle va dire, là, ben, quand qu'il arrive, les enfants mêmes vont dire des mauvais mots, puis elle dit, elle qu'elle les corrige. Mais a dit, << je sais que ça vient de ses parents», puis moi, je le sais aussi, parce que je sais, comme, je connais assez bien ses parents, oui.

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Ce chapitre a donc permis de voir comment les enseignantes de la première année

participent à la production et à la reproduction de l'hégémonie du français standard

et de la culture acadienne marquée par le monolinguisme. Cette hégémonie mène à

I 'insécurité linguistique chez une population qui n'a pas le français standard comme

langue d'identité et qui connait profondément le pouvoir symbolique du

bilinguisme. Elle permet également une pédagogie coercitive du bien parler qui se

veut centrée sur l'enfant et sur ses besoins d'apprentissage.

Puisque ces besoins d'apprentissage sont définis par la classe dominante de

l'Acadie, l'enseignement dispensé répond aux besoins de cette classe - français

standard et dichotomie françaiskinglais - et de sa progéniture. Les enfants qui ont

des besoins autres ne trouvent pas leur compte à l'école. Cette institution reproduit

ainsi les inégalités sociales propres à l'Acadie et les marginaux du système portent

le blâme pour leurs insuccès : l'insuccès des élèves s'explique par leur choix de ne

pas se conformer aux exigences de l'école et, par extension, de ne pas accéder aux

ressources qui y sont distribuées.

Alors que la solution appht simple, il suffit d'identifier les besoins réels de ces

élèves, la culture partagée du personnel de l'institution scolaire rend cette

identification problématique et illégitime. Les enseignantes sont devenues

enseignantes ,&ce au succès qu'elles ont rencontré dans le système actuel.

Remettre en question la légitimité de ce système est synonyme de contester celle de

leur succès. 11 en est de même pour le français standard : leur maitrise d'une forme

scolaire de cette variété linguistique est la clef d'accès à leur profession. Mettre en

doute le bien-fondé de fa position du français standard remet en question l'identité

professionnelle des enseignantes.

La culture partagée du personnel enseignant et du personnel cadre du MENB a donc

à son centre la primauté du français standard. Le français standard est ainsi un objet

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de désir incontesté. est donc difficile de concevoir une pédagogie qui permette

aux élèves de définir un besoin linguistique autre que celui de la standardisation. En

fait. même les personnes les plus ouvertes vis-à-vis la langue des élèves. celles qui

croient au besoin de la valoriser, d'en enseigner la structure et de la placer dans son

contexte social, croient en dernière analyse que les élèves ont besoin du français

standard. Cette croyance mène nécessairement à l'imposition d'une vision

normalisée du monde et à l'invasion culturelle pour le bien de l'enfant de l'autre.

Ce chapitre a également souligné la possibilité d'une action pédagogique autonome

de l'enseignante. La médiation au quotidien du vécu de l'enfant a été identifiée

comme chef-lieu de la reproduction d'êtres ethniques, mais également de la

production et de la possibilité de changement social.

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ENSEIGNANTE ET FEMME, DOUBLE PARADOXE

Récemment, le sénateur JeamMaurice Simard, ancien bras droit de Richard

Hatfield, a déposé au Sénat du Canada un rapport sur la situation actuelle des

minorités de langue française au Canada. Dans l'Acadie NouvelIe, seul quotidien

francophone du Nouveau-Brunswick, Gagnon (1999) cite ce rapport :

état canadien doit assurer aux francophones et Acadiens l'égalité des chances. L'égalité des chances en termes d'éducation et de services gouvernementaux à tous les paliers. En termes d'infrastructures économiques, éducatives, culturelles, sociales, médicales, technologiques et communautaires. C'est une question de justice et d'équité.

La présente thèse suggère qu'à l'intérieur de ces infrastructures i l faut se garder,

nous francophones, Acadiennes et Acadiens, de produire et reproduire des iniquités

entre francophones, Acadiens et Acadiennes. 11 faut s'assurer que nos écoles

donnent une égalité des chances qui va au-delà de l'égalité d'accès à un bâtiment.

Présentement, ce ne sont que les enfants ayant un certain bagage linguistique et

socioculturel qui ont accès au savoir scolaire, ce savoir est le savoir de leur

communauté. D'autres enfants voient leurs savoirs, leurs visions du monde exclus

de l'école et leur accès au savoir scolaire plus limité. Pour réussir à l'école, ces

enfants n'ont pas qu'à construire leur savoir, ils ont avant tout à mettre de côté leur

savoir culturel et linguistique sociornaternel pour s'en reconstruire un nouveau : ils

doivent apprendre quoi dire et quoi faire, quand et comment. Ils ont à apprendre à

devenir de bons Acadiens. Pour être équitable, l'école acadienne devra faire une

place pour la langue et les connaissances de ces élèves. Ces derniers pourront ainsi

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participer pleinement à la construction de leur savoir et de celui de la communauté

acadienne et francophone du Nouveau-Brunswick d'abord, du Canada et du monde

ensuite.

Dans les chapitres précédents. on a vu que le peuple acadien a été longtemps tenu à

l'écart du pouvoir. Les raisons de cette exclusion ont été leur religion et leur langue.

Les Acadiens ont donc eu à lutter pour leur place au soleil et pour la survie même

de leurs communautés. Dans cette lutte, les Acadiennes se sont vues conférer le rôle

de gardiennes de la langue et de la culture.

Avec l'avènement de l'école publique, l'élite acadienne a fait de la langue

d'instruction un cheval de bataille et de l'éducation de langue franpise ale salut du

peuple». L'école est devenue, avec les mères, gardienne de la langue et de la

culture. Elle est également devenue un outil de développement et d'égalisation des

chances entre francophones et anglophones. Or, le succès de cette institution est

mitigé : l'assimilation de francophones vers l'anglophonie continue à se faire et les

Acadiens et Acadiennes continuent à vivre une certaine exclusion des couloirs du

pouvoir.

Quoique moins visible, cette exclusion est toujours actuelle. Tant les dominants

acadiens que les dominés sont membres d'une communauté minoritaire qui doit

continuel Iement négocier et renégocier son droit d'être autrement. Survivre en

franpis dans une province à majorité anglophone ne veut pas seulement dire lutter

pour ses droits, mais également vivre en marge du pouvoir. Encore aujourd'hui, i1

est difficile de concevoir un dirigeant acadien qui n'est pas bilingue, l'anglais étant

la langue des négociations avec la majorité. Les anglophones qui se *tordent la

langue» pour parler en Français choisissent de le faire, alors que les francophones

désireux d'accéder à des postes de responsabilité ou aux marchés économiques

dominants n'ont guère de choix que d'apprendre l'anglais. En fait, lors de sa récente

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élection uuin 1999) au poste de premier ministre du Nouveau-Brunswick, Bernard

Lord, diplômé de l'université de Moncton et fils d'une mère francophone et d'un

père anglophone, a prononcé la majeure partie de son discours en anglais. Seuls le

bonjour, le merci et quelques phrases furent dits dans les deux langues officielIes de

la province. Aucune partie du discours du nouveau premier ministre n'a été

prononcée uniquement en français. Mal@ cela, on continue à dire qu'il est un

premier ministre acadien. Le bilinguisme anglais /français standard est donc une

source de pouvoir plus importante que le monolinguisrne français standard. Tous

les parents interviewés dans le cadre de cette thèse ont affirmé son importance. Le

bilinguisme recherché est celui que Heller (1999 : 37-38) associe à l'idéologie de

deux monolinguismes parallèles. C'est-à-dire qu'une bilingue est une personne qui

peut parler le français et l'anglais sans qu'il y ait interférence entre les deux. Dans le

développement de ce bilinguisme. le rôle de l'école est l'enseignement du français

standard. c'est-à-dire d'un français sans «impuretés» (anglicismes ou acadianismes),

dans un milieu unilingue français. Les inégalités linguistiques que l'école devait

contrer sont donc reproduites à l'intérieur même de la communauté acadienne : la

langue demeure un critère de sélection sociale. Le français standard est la langue du

pouvoir en Acadie et ce pouvoir est hégémonique.

Aujourd'hui I'école est, avec la famille, un milieu important de production d'êtres

ethniques acadiens. Les premières responsables de cette production sont les

femmes. À la maison, les femmes demeurent les premières responsables du soin et

de l'éducation des enfants. Elles sont toujours gardiennes de la langue et de la

culture. Ces femmes reconnaissent, par ailleurs. le pouvoir d'achat du bilinguisme,

et l'importance du français standard pour ce bilinguisme. Elles reconnaissent

également que le français standard est le seul registre qui garantit l'accès à la

scolarisation. Indépendamment de leur variété maternelle ou de leur classe sociale,

toutes travaillent donc à I'améliontion de leur langue et de celle de leurs enfants.

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Ce travail se fait h s le quotidien de la relation mère-enfant. Le but de ce travail

maternel est toujours le rapprochement du français standard ou écrit et la

préparation à la scolarisation.

L'école acadienne continue également à poursuivre l'objectif de «favoriser chez les

élèves le développement et le maintien de l'identité personnelle, linguistique et

cuItureIle et le sentiment d'appartenance à la communauté francophone» (MENB

1999). L'école continue donc elle aussi à se vouloir gardienne de la langue et de la

culture. Or, comme les mères, l'école a un deuxième objectif: travailler à

<<l'amélioration de la qualité de la langue ; cette amélioration vise la

standardisation ».

Femme et enseignante, I'enseignante du primaire est située à l'intersection de

I'école et la famille, deux lieux responsables de la production d'êtres ethniques.

Cette conjonction est source de deux paradoxes que t'enseignante vit au quotidien.

D'un côté, elle est à la fois responsable de l'enseignement du français standard et du

dévetoppement, ou du maintien. du sentiment d'appartenance de l'enfant à la

communauté acadienne. Cette appartenance ne passe que rarement par le français

standard. Le deuxième paradoxe qui influence le quotidien de l'enseignante est la

féminisation de sa profession : elle doit à la fois agir de façon rnatemelle/naturelle

et professionnelle/inteiIectuelle.

Chantal et Gisèle gèrent le paradoxe de la mission de l'école minoritaire en faisant

une distinction entre la communication que les élèves ont avec elles

(individuellement ou en groupe classe), et la communication entre élèves, surtout en

ce qui a trait aux aires de jeu. Elles gèrent le paradoxe féminin en plaçant le naturel

comme trame du professionnel. Cette thèse suggère par contre, que par cette

gestion. les enseignantes participent à la reproduction de l'hégémonie du français

standard et d'inégalités internes à l'Acadie.

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Les enseignantes du début du primaire participent à la normalisation de la langue et

de l'identité acadiennes. Comme les mères, ces femmes tmvailIent à l'enseignement

du français standard. L'élément identitaire acadien qu'est l'insécurité linguistique

sen la hiérarchisation sociale et linguistique et confêre une plus p d e légitimité au

français standard et à son pouvoir hégémonique, Ce pouvoir hégémonique est

important à la reproduction du pouvoir de la classe dirigeante acadienne et à la

production du marché unifié acadien.

L'hégémonie du français standard permet la création d'une vision commune d'un

monde dans lequel l'assimilation nous guette à tous les coins de rue, la «piètre

qualité>> de notre langue en est la preuve. L'insécurité linguistique qui en découle

est l'expression de cette peur et du désir pour le pouvoir symbolique que porte le

français standard. C'est ainsi que les mères aspirent au français standard pour leurs

enfants. Cette visée rend légitime la voix des dirigeants acadiens qui disent parler

au nom de toute la communauté lorsqu'ils exigent que leur langue et leur culture

soient celles de l'école. En effet, les auteurs de rapports et du guide pédagogique

expriment ce vœu pour la jeunesse acadienne lorsqu'ils placent le français standard

comme but ultime de la pédagogie du français (MENB 1988)' de la

conscientisation, de la remédiation et de l'enrichissement (Boucireau et al. 1996).

Tous veuient donner un accès égal au français standard, langue des connaissances,

langue du pouvoir symbolique. Ce souhait est inscrit dans les guides pédagogiques

et les directives du MENB, intégré à la formation de base et continue du personnel

enseignant et traduit en critère d'évaluation de l'enseignante et de l'élève.

L'accomplissement de ce désir est la responsabilité de l'enseignante.

Pour atteindre ce but de standardisation, la Comrnission szir le rendement en

frariçais au Nozwemc-Bninslvick (Boucireau et al. 1996) propose la relativité

linguistique ; on enseignera aux enfants que les registres s'équivalent. Alors que

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cela est vni du point de vue aobjectif~ de la linguistique, les registres servent tous à

communiquer efficacement à l'intérieur de situations de communication complètes

et complexes, cette relativité sert à garder sous le silence la réalité sociale de la

hiérarchie linguistique. Cette hiérarchie confère au français standard un pouvoir

hégémonique.

La relativité linguistique permet également à l'école de continuer à dire qu'elle

valorise le français acadien, langue authentique de l'identité et de l'appartenance

des enfants, tout en lui niant une place à l'école. Ce relativisme donne à l'école le

rôle d'enseigner aux élèves le français standard qui sera la Iangue de choix dans

certaines situations de communication authentiques. Le rôle de l'école est

simplement d'élargir le répertoire linguistique de l'élève. Dans la gestion du

paradoxe linguistique (standard/appartenance), Chantal et Gisèle encouragent une

diglossie dialectale et pratiquent ainsi ce relativisme linguistique. Alors que cette

gestion semble être efficace (les enseignantes ne sont pas en conflit continuel) elle

fait violence tmt à ces femmes qu'aux enfants avec qui elles travaillent. Dans sa

gestion du paradoxe linguistique, l'enseignante se fait violence lorsqu'elle accepte

que sa compétence linguistique est insuffisante, donc soumise tant à

I'autorégulation qu'à une régulation externe.

L'enseignante fait violence aux élèves 1orsqu'eIle leur fait comprendre que leur

langue et leur identité ne sont pas légitimes. En fait. les pratiques pédagogiques qui

perpétuent le désir non critique pour la standardisation font violence à la population

acadienne. Les élèves reconnaissent, dès la première année, l'autorité de l'école et

de l'enseignante. Us reconnaissent également l'autorité du français «correct», langue

de l'école et de l'enseignante, et tentent d'y accéder. Ce désir mène à la dépréciation

des variétés linguistiques propres à l'identité des communautés acadiennes et

conséquemment de la valeur des communautés et des individus eux-mêmes. Très

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jeunes, les enfants acadiens développent ainsi un désir pour le français standard et

le sentiment d'inefficacité qu'est l'insécurité linguistique. Cette violence

symbolique est d'autant plus insidieuse qu'elle est cachée demère la médiation au

quotidien que mènent des enseignantes bien intentionnées ; elles ne veulent autre

chose que le succès de tous les enfants.

With respect to the internalization of shame by parents and chitdren, the results of this psychological violence may be even more devastating since the violence is coven and the institutionalized racism is hidden behind the genuine efforts of wel 1-intentioned educators. These educators are themselves victims of the structure within which they operate since their professional goals of helping chitdren succeed are frustrated by factors beyond their control and of which they are often unaware (Cummins 1989 : 56-57).

Nous n'avons qu'à penser au sentiment de culpabilité des enseignantes qui ne

réussissent pas à répondre aux besoins de tous les enfants de leur classe. Cette

culpabilité est teIlement --de que les enseignantes cherchent à faire porter le

blâme par la famille. Comme le souligne Curnmins, la structure dans laquelle les

enseignantes vavaillent contribue à l'émergence de ce sentiment de culpabilité. Au

primaire, cette structure est féminisante.

Vingt à vingt-cinq heures par semaine, les enseignantes sont en compagnie du

même groupe d'enfants et ce, pour une période de dix mois. Vis-à-vis de ces

enfants, elles sont dans une relation d'aide qui fait appel au don de soi et à

l'empathie, des habiletés di tes féminines. Les enseignantes sont présentes non

seulement pour enseigner les matières scolaires, mais égaiement pour soigner un

genou blessé, calmer une peine, résoudre des conflits et partager les surprises et les

histoires des enfants de leur classe. De plus. la pédagogie centrée sur l'enfant. qui

prédomine au primaire, fait appel à I'habiieté (riiaturelle» des femmes d'être à

l'écoute des besoins des enfants et d'y répondre par l'aménagement de la classe, de

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l'horaire ou des activités. Si l'enseignante réussit à créer ce milieu propice i

I'apprentissap. les enfants apprennent d'eux-mêmes. Puisque ceci devrait être

naturel pour la femme, la féminité des enseignantes qui n'y arrivent pas est atteinte.

Puisque cet état de femme explique la légitimité de la présence des enseignantes en

salle de classe et dans la société, cet échec diminue ces femmes dans le centre

même de leur être. Elles se remettent donc en question et risquent de redoubler

d'efforts dans la normalisation des enfants. L'insuccès de l'élève devient l'insuccès

de l'enseignante. Par leur gestion du paradoxe féminin, Gisèle et Chantal se font

donc violence. Elles font égaiement violence aux enfants.

La gestion de ce paradoxe par la pédagogie centrée sur l'enfant rend anormal tout

enfant qui n'apprend par .nomiaiement>>. À l'intérieur de cette pédagogie. les

enseignantes travaillent à la normalisation des comportements des enfants. Ce

travail s'effectue par le biais d'une pédagogie coercitive. Tous les enfants acadiens

doivent devenir de bons élèves, polis, gentils et vaillants qui parlent le français

standard. Ces deux aspects de l'identité de l'élève, langue et comportements,

servent à sélectionner les bons et les mauvais élèves. Les mauvais élèves, ces

enfants anormaux, sont soit cibles de plans de gestion du comportement ou référés à

I'orthopédagogue pour un enseignement correctif. Par leur médiation au quotidien

de la vie scolaire des enfants, les enseignantes produisent et reproduisent donc des

divisions sociales qui favorisent la classe dirigeante en Acadie.

Quelles sont les solutions possibles à une telle problématique ? Je suggère qu'il

faiile confronter ces paradoxes. Dans le cas du paradoxe langue authentiquellangue

autorisée, une façon de le faire serait d'en faire le centre d'une pédagogie menée

avec Ies enfants. Pour ce qui est du paradoxe féminin, cet affrontement devrait

mener au refus de la féminisation en faveur de la professionnalisation. Assumer son

savoir professionnei, son intellect et en faire le moteur de ses interactions avec les

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enfants. Cette reprise du pouvoir professionnel mèneraà une plus grande

humanisation de l'enseignante, de l'élève et de la relation enseignante/élève.

Il ne suffit pas, par contre, de mettre à jour l'hégémonie du français standard et ses

effets sur la vie de l'enseignante et celles des élèves. Une telle approche risque soit

de créer une dévalorisation de cette langue sans ajouter à la valeur des autres

variétés, soit au-menter le désir pour cette langue, source, avec la langue anglaise,

de tout pouvoir. II est essentiel de trouver un moyen de démontrer que la hiérarchie

actuel le appauvrit non seulement les plus minorisés, mais également les dominants

de la communauté acadienne. Sans une telle compréhension, pourquoi les

dominants travailleraient-ils à l'enrichissement symbolique des autres ? De plus,

queIle raison motiverait les plus dominés de notre société à vouloir former une

communauté avec les gens qui profitent actuellement de leur assujettissement ?

À l'instar de Curnrnins (1992)' je crois qu'il faut également revoir notre conception

du pouvoir. Selon cet auteur, nous devons passer de relations de pouvoir coercitives

ri des relations collaboratrices. ies relations coercitives reproduisent une conception

vouIant qu'il existe une quantité fixe de pouvoir, il devient donc important de lutter

pour sa part du gâteau. De leur côté, les relations collabo~trices fonctionnent selon

la conception d'un pouvoir généré à l'intérieur des relations interpersonnelles et

intercommunautaires. L'hégémonie du français standard est issue du concept d'un

pouvoir limité : ce sont les locuteurs de ce français qui ont gagné la lutte du

pouvoir.

Il est également faux de croire que l*école à elle seule pourra changer la culture

partagée d'une société. Les pères interviewés l'ont confirmé, les milieux politique

et de travail jouent également un rôle important dans la valorisation d'une forme

linguistique plutôt qu'une autre. ii n'est donc pas réaliste de demander aux

enseignantes d'ignorer les réalités sociales et le pouvoir du français standard dans la

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vie présente et future de leurs élèves. Les enseignantes ne peuvent pas simplement

accepter que ce ne sont pas tous les enfants qui apprendront le standard^ (Péronnet

cité dans D' Astous 1994 : 5). Il faudra également rendre explicite pourquoi il est

difficile pour certaines personnes d'apprendre le français standard alors que d'autres

peuvent passer d'un registre à l'autre sans difficulté. De plus, les élèves doivent

comprendre que ce standard est la langue des livres et la raison qui justifie ce choix,

que cette langue est utilisée dans les textes et dans les échanges parce qu'elle est la

langue de ceux qui ont le contrôle de ces marchés. ii n'est pas uniquement question

du besoin d'une langue que tous pourraient comprendre. Parallèlement, il n'est pas

question d'utiliser la seule langue apte à communiquer des pensées comptexes avec

précision et clarté. Ix choix de registre à investir de pouvoir est régi par la minorité

dominante de la francophonie. Ii est également important de voir avec les élèves

quels sont les effets de ce choix sur diverses populations ainsi que sur leur

communauté. Cela permettra de voir la place que l'insécurité linguistique occupe

dans la reproduction de l'hégémonie du français standard.

L'insécurité linguistique limite l'accès au savoir: elle diminue le sentiment de

compétence, et conséquemment la motivation à lire un texte issu de la francophonie

internationale. C'est ainsi que même des enseignantes préferent lire un roman écrit

en anglais : C e s t plus facile», dit une enseignante de mon district actuel. Une

étudiante au baccalauréat, rencontrée lors d'un séjour à l'université de Moncton,

s'insurge de son côté contre un professeur qui exige la lecture d'un article publié en

France, le vocabulaire étant trop difficile. L'insécurité linguistique ferme donc la

porte à un monde de connaissances.

Il s'avère donc important que la pédagogie proposée ici ne devienne pas une

justification pour le refus de textes venus de l'extérieur. Ces textes sont des

représentations de cultures qu'il est important de comprendre d'un œil critique. Ce

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n'est pas un nombrilisme qui est proposé, mais bien une litténtie qui commence par

une compréhension de sa condition sociale et politique. Une telle compréhension

permettra la production - plutôt que la reproduction - d'une culture partagée

acadienne qui ne fait violence à aucune section de la population qu'elle habite.

Giroux et Simon (1989) précise qu'il faille concevoir de la vie de tous les jours

comme base d'une pédagogie libératrice. Afin d'aller chercher ce qui préoccupe

réellement les enfants, Morenon et Morenon (1999) soutiennent également que

<mous devons proposer aux enfants leur condition présente tout à la fois comme une

solution et comme un défi qui exige une réponse par l'action et la réflexion». De

son côté, Walsh (1991) démontre comment on peut intéresser de jeunes adolescents

et adolescentes à l'écriture lorsqu'on est prêt à partir de leur vécu et à utiliser leur

langue. Or. ces expériences de «pédagogie critique» se font généralement au niveau

secondaire. En Acadie, le débat entourant l'utilisation d'un chiac anglicisé en classe

de français, pour l'effet de style par exemple, est d'actuaiité au secondaire. Dans

cette thèse, par contre. il est question de l'enseignement au primaire ; en première

année. lorsque les enfants ne savent pas encore lire et écrire de façon autonome,

même s'ils savent déjà qu'ils et elles <~>arlent mal», comment rendre problématique

le pouvoir du français standard? Puisque c'est par la médiation au quotidien du

vécu de l'enfant que l'enseignante produit et reproduit des êtres ethniques, il

importe de regarder de ce côté pour une solution propre au milieu primaire.

La pédagogie proposée devra donc continuer à situer l'enseignement de la langue

dans le quotidien ; puisque celle-ci est l'outil de médiation des connaissances, il

faudra continuer à «faire du langage partout». Cette pédagogie devra également

faire état du comment faire ainsi que du contenu étudié. Actuellement, ces deux

questions ne se rencontrent pas dans la pédagogie proposée pour l'apprentissage de

Ia lecture et de l'écriture chez Ies débutants. Puisque c'est en début de scolarisation

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que plusieurs élèves apprennent, comme le suggère cette thèse, à nier leur langue, i l

est important que ce jumelage n'attende pas que les élèves sachent lire leurs sons et

calligraphier leurs lettres.

À l'instar de Cumrnins (1989: 70), je suggère qu'une pédagogie

interactive/experientelle ou habilitante (empowenng) offre des pistes intéressantes.

Cette pédagogie exige de l'enseignante qu'elle adopte :

I une orientation « additive » à la culture et langue de l'élève de sorte que les

expériences de l'élève avec sa langue première [ou vernaculaire maternelle]

puissent être partagées plutôt que supprimées en classe ;

une ouverture à collaborer avec tes ressources humaines de la communauté qui

peuvent aider les élèves et enseignantes à comprendre différentes traditions

cultureIles, religieuses et linguistiques [y inclus leur façon particulière

d'appréhender le monde et le savoir] ;

une volonté à encourager l'utilisation active de l'écrit et de l'oral afin que les

élèves puissent développer leurs habiletés linguistiques et de littératie tout en

partageant leurs expériences et prises de conscience avec leurs pairs et les

aduttes qui les accompagnent ;

une orientation à l'évaluation qui prend comme point de départ l'interaction que

les élèves vivent avec le système scolaire et les moyens pour y remédier au

besoin.

Suivant l'exemple de la pédagogie basée sur un modèle de différence (et non de

déficience) culturelle (Heller et Barker 1988)' j'ajouterais que l'enseignante adopte

une croyance que ce que l'enfant dit a du sens. Ce serait alors à l'enseignante de

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chercher à comprendre le message de l'enfant (cf. Gee 1991). Cette pédagogie de la

différence s'inspire de I 'ethn~~aphie de la communication (cf. Heath 1982).

Ces principes de base sont d'une importance primordiale puisque sans leur

adoption, la pédagogie proposée peut devenir un autre outil de reproduction plutôt

que de production. En première année, l'enseignante exerce beaucoup de pouvoir

dans la décision de ce qui est important pour ses élèves - elle doit être à l'écoute

des enfants si elle ne veut pas influencer a priori leur engagement dans un projet

plutôt qu'un autre. Elle devra égaiement trouver un moyen pour s'assurer que tous

les enfants ont un mot à dire dans la définition de ce qui est important. La majorité

des filles des deux classes obsenrées ont appris la passivité, par exemple. avant leur

entrée à l'école. Pour ce faire, l'enseignante devra affronter le paradoxe féminin et

refuser le principe voulant que &pondre aux besoins des enfants m est l'apport

«naturel» de la femme. Poursuivre un tel objectif demande un engagement

inteIlectue1 dans la négociation du sens avec tous les enfants.

Sui vant les principes énoncés par Cummins (1 989), je propose qu'il faille partir de

l'écriture du monde de l'enfant plutôt que de la lecture du monde écrit par autrui.

Cela est d'autant plus vrai qu'en Acadie nous ne sommes pas devant une situation

de rencontre de deux langues en sdle de classe, comme c'est le cas des situations

décrites par Cummins, mais bien de différentes variétés de la même langue.

L'écriture permet de partir des préoccupations des enfants de la première année et

de provoquer la discussion de ces différences, différences qui sont anéanties par le

processus de publication industrialisé : une auteure d'un matériel pédagogique me

dit qu'et le devait se soumettre aux normes lexicales de son éditeur si elle désirait

que son matériel soit publié. L'écriture permet également aux enfants d'écrire leur

monde.

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Ci-dessous, je propose une tentative de démarche - elle n'a jamais été l'objet d'une

expérimentation - de cette pédagogie collaboratrice qui part d'une situation

d'écriture collective. Parallèlement à ces sessions collective, les élèves travaillent

seuls - en début d'année il est difficile de demander que les élèves écrivent en

coopération - sur leurs écrits (dessins.. .), mais sont assis en petits groupes. C'est ce

que je nomme des ((ateliers d'écriture». Cela permet l'échange avec d'autres. En

situation collective, les éièves sont assis avec l'enseignante. Cette dernière prend le

rôle de scripteure, d'accompagnatrice et de médiatrice.

À la rentrée de la récréation, il n'est pas rare que plusieurs enfants de la première année racontent à leur enseignante ce qui s'y est passé. Ces «histoires» peuvent former Ia base de l'écriture collective. LAI difficulté ici est de choisir un thème qui invite tous les enfants à raconter leur vie. R est important de comprendre qu'il n'est pas possible de raconter la vie de tous les enfants dans une seule session. LI faut donc choisir les enfants qui parleront. 1 est possible par contre de faire suivre cette session collective d'un atelier d'écriture. Tout enfant qui le désire pourra alors raconter son histoire.

Lorsqu'un enfant, ou plusieurs en coopération, racontent leur vécu, l'enseignante écrit l'histoire dans les mots de l'enfant. 11 est possible d'écrire en langue écrite plutôt qu'en langue parlée (cette affaire-là, plutôt que c't affaire là) et de substituer, avec les enfants, certains pronoms pour les prénoms appropriés. Ces deux changements permettent, lors de la relecture, de cibler des mots pour l'apprentissage du décodage tel que défini ci-dessus et discuter de la différence entre la langue parlée et la langue écrite.

Puisqu'en Acadie, les enfants apprennent très tôt à corriger leur langue, je m'attendrais à ce que ces autocorrections soit imbriquées dans les histoires des élèves. L'enseignante écrit ces reprises, elles seront discutées suite à l'écriture du texte. Cette discussion porten sur le choix du mot ou de l'expression. L'enseignante profitera également de la situation pour parler de la provenance des mots utilisés. Lorsqu'il s'agit de mots anglais, en profiter pour parler de la situation de contact que vivent les élèves, et du pouvoir de l'anglais.

Puisqu'en Acadie les classes sont hétérogènes du point de vue des variétés linguistiques - dans certains cas plus que d'autres comme l'avait souligné Gisèle -je m'attends à ce que certains enfants contestent la langue utilisée par d'autres. L'enseignante pourra alors interagir avec les élèves sur la raison du changement proposé dans le but de porter un regard critique sur ce que les

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élèves considèrent du bon français. Ce regard devra mener à la conscientisation du pouvoir hégémonique du français standard.

La journée suivant l'écriture du texte collectif, I'enseignante et les élèves en font la relecture dans le but de cibler des apprentissages liés au décodage (syllabation, globalisation, prédiction.. .).

II va de soi que cette démarche demande d'être développée davantage et mise à

l'essai. En fait, ce n'est que par l'essai avec des enfants qu'une pédagogie centrée

sur leurs besoins peut réellement être développée. De plus, dors que de grandes

lignes peuvent ressortir du travail avec un ou plusieurs groupes d'élèves, il sen

toujours nécessaire pour l'enseignante de reconstruire son enseignement en

collaboration avec chaque nouveau groupe d'enfants. 11 s'avère donc nécessaire de

trouver des moyens pour faciliter ce travail. Un de ces moyens serait le

développement d'outils d'analyse des histoires des enfants afin d'en faciliter la

compréhension et l'échafaudage par l'enseignante.

Mot de Ia fin

Finalement, I'enseignante qui choisit de défier le français standard aura besoin de se

trouver un soutien non seulement affectif, mais égaiement intellectuel qui lui

permettra de continuer à mettre en doute tant sa pédagogie que l'hiérarchie

linguistique. La culture d u personnel enseignant est forte. Tellement qu'elle rend

difficile l'imposition d'un changement venu de l'institution qui les embauche

(gestuelle, calligraphie) et le choix individuel de faire autrement (regroupements

muIti-âges). La pédagogie proposée ci-dessus remet en question le centre même où

se rencontrent la culture de I'enseignante, de l'institution et de la communauté. Ln

résistance sera ,onnde.

L'enseignante devra refuser la définition de son travail comme travail de femme,

c'est-à-dire comme travail qui relève du don maternel ou naturel de la femme. Elle

devra reconnaître le côté intellectuel de son travail, accepter de savoir et assumer ce

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savoir. Elle d e m également remettre en question son rôle de gardienne de Ia norme

linguistique et comportementale de sa communauté et reconnaître la grandeur des

petites choses qu'elle fait au quotidien.

La résistance risque donc non seulement de venir de l'extérieur, mais également de

soi. La culture partagée opère de sorte à créer le désir de la norme. Ainsi, une

personne désireuse de changer cette structure doit continuellement résister à cette

visée. En fait, la difficulté de la remise en question et de la prise de position qu'a

demandé l'écriture de cette thèse a été accentuée par ma participation dans la

culture de l'institution scolaire. Suite à une journée de suppléance dms une des

classes de la première année à Mernrarncook par exemple, j'écris :

Notes 5 octobre

J'ai trouvé au début de la journée, que la classe était extrêmement difficile à contrôler. Même si je me demandais pourquoi je sentais ce besoin incroyable de contrôler la classe, c'était plus fort que moi, il fallait que les élèves restent assis, i l fallait qu'ils écoutent, i l fallait qu'ils soient de bons écoliers.

De plus, mon poste d'agent pédagogique responsable du français exige que

j'exécute les désirs de mon ministère : je dois m'assurer que tous utilisent le

matériel approprié et valorisent le recours au français standard comme seule langue

de communication en salle de classe. En plus, toute discussion entourant

l'enseignement de la langue, l'embauche de nouveau personnel et l'évaluation des

élèves ramène à la surface la primauté du français standard. Puisqu'il n'existe que

peu d'interlocuteurs avec qui construire et articuler une nouvelle vision du monde,

penser autrement a été difficile. Sans cette articulation, comment remettre en cause

la structure actuelle ?

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Ce n'est que par la mise en doute de la smcture actuelle et de la place qu'y occupe

le français standard que les enseignantes pourront prendre une place dans la salle de

classe qui soit non violente. Par ce questionnement, ces femmes occuperont

également une position de productrices de connaissances plutôt qu'uniquement de

vaisseaux, de reproductrices des connaissances reçues, inséminées par d'autres.

Puisque les enseignantes la vivront avec les enfants, dans une pédagogie habilitante,

cette remise en question mènera à une plus grande humanisation de tous. Femmes

et enfants négocieront ainsi leur humanité en devenir (Freire 1993)' parce qu'ils

commenceront à reconnaître leur état commun d'être humain plutôt que leurs

différences linguistiques et culturelles. Ces différences sont à la base de

I'intolérance et de la violence symbolique de la normalisation ou de la

standardisation. La standardisation n'est autre chose que le changement de l'Autre

différent en l'Autre pareil à Nous.

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