L'ENSEIGNANTE, AGENTE DE DÉVELOPPEXIENT EN ACADIE DU KOL'VEAU-BRCNSWICK Thèse soumise en conformité avec les esigences du doctorat Département de curriculum Institut d'études pédagogiques de i'Onmio à 1Vniversite de Toronto G droits d'auteur PhyIlis Ddey 2000
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L'ENSEIGNANTE, AGENTE DE
DÉVELOPPEXIENT EN ACADIE D U
KOL'VEAU-BRCNSWICK
Thèse soumise en conformité avec les esigences du doctorat
Département de curriculum Institut d'études pédagogiques de i'Onmio à 1Vniversite
de Toronto
G droits d'auteur PhyIlis Ddey 2000
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L'ENSEIGNANTE, AGENTE DE
DEVELOPPEMENT EN ACADIE DU
NOClrEAC-BRCWSK'ICK
M q Phyiiis hiay Daiiey, PhD, 2000 Département de curricuIum
Institut d'études pédagogiques de l'Ontario Université de Toronto
La mission de l'éducation de langue française en milieu minoritaire canadien est de
maintenir et de développer l'identité francophone. L'école est gardienne de la langue
et de la culture françaises. Au Canada français, ce rôle est également conféré aux
mères. Cette recherche confirme la continuité du dédoublement de ce rôle en Acadie
d u Nouveau-Brunswick. Cela place l'enseignante à l'intersection de ces deux
institutions de socialisation que sont l'école et la famille. Cette étude ethnographique
démontre qu'à cette intersection émergent deux paradoxes. La gestion que font les
enseignantes du début du primaire de ces paradoxes mène à la production et à la
reproduction d'inégalités sociales.
Le premier de ces paradoxes est celui de I'authenticité/autorité linguistique. Plusieurs
variétés de la langue française sont parlées en Acadie. Ces variétés sont liées à la
performance et à la négociation d'identités acadiennes régionales, de classes et/ou de
générations. À l'exclusion de cette diversité linguistique et identitaire, par contre, le
français standard ou «correct» est la seule langue légitime en salle de classe. Se crée . - ll
ainsi le paradoxe authenticiié/autonté linguistique : l'identité acadienne qui est la
raison d'être de l'école acadienne est souvent liée à une langue exclue de la salle de
classe.
Selon le deuxième paradoxe, i 1 est naturellement donné aux femmes de voir à
l'éducation des enfants, cela relève de leur instinct maternel. Or, l'interaction
adultelenfant est une pratique qui peut varier d'un milieu socioculrurel acadien à un
autre. Lorsque deux cultures se rencontrent, il y a nécessité de négociation ou de
domination et de soumission. Puisque les enseignantes font ce qui leur est
naturellement donné de faire, elles reproduisent les pratiques culturelles de leur
communauté et traitent comme déviantes les pratiques qui appartiennent à d'autres
communautés. La salle de classe devient ainsi un milieu qui exige la soumission. La
langue et les comportements des élèves de ces autres communautés sont soumis à la
régulation de l'institution scolaire.
Cette thèse postule que seul l'affrontement du double paradoxe de l'enseignement au
primaire permettra à l'enseignante de remplacer une pédagogie coercitive par une
pédagogie col laboratrice.
L'écriture de cette thèse a traversé plusieurs tournants dans ma vie. À chaque
tournant, mon groupe de soutien s'est modifié, allongeant ainsi la liste des personnes
que je me dois de reconnaître ici.
Premièrement, je dois souligner la contribution incontestable des femmes qui m'ont
permis d'entrer dans leur salle de classe : sans ces femmes, il n'y aurait pas eu de
données à analysées. Merci pour votre honnêteté et votre ouverture. J'espère que cette
thèse réponde 5 vos attentes.
Mon analyse n'aurait pas eu sa profondeur sans le soutien, les recommandations et ies
questions de mon comité de thèse, formé des professeurs Monica Heller, Normand
Labrie et Jim Cumrnins. J'ai appris beaucoup en leur présence et leur en remercie.
Je dois une dette particulière au professeure Heller pour m'avoir invité à faire partie
d'une de ses équipes de recherche. Cela m'a permis non seulement d'acquérir une
expérience pratique de l'ethnographie, mais également d'intégrer une communauté
d'intellectuels. Cette communauté a été importante à la conceptualisation de mon
projet de recherche. Je reconnais particulièrement Mark Campbell et Laurette Evy .
Professeure Heller a également su me guider dans ma réflexion malgré la distance
géographique qui me séparait de l'Université tout au long de l'écriture de cette thèse.
Pour cela, je serai éternellement reconnaissante.
Pour les innombrables discussions autour d'une tasse de thé et la possibilité de
<< déconner >> dans la neige. je remercie Pierre Dubé, Mark Worrell, Kathy Church,
Vicky Low, Liz Callery et Frank Wania. Sans Massey College, je n'aurais jamais
rencontré ces personnes, et bien d'autres, d'origines et d'idéologies variées. Je
remercie cette institution de m'avoir donné l'opportunité de rencontrer un tel pot
poum de merveilleux êtres humains, je ne me suis que rarement senti aussi libre
d'être moi-même.
In Moncton, I found a new community waiting to take me into its fold : thanks to the
Robinson street breakfast club for heiping me through difficult times, both personna1
and intellectual. A special nod to the late Frank Richard, more often than not, the
Iignt in your office shone as late as mine.
I'ai vécu la dernière étape de mon périple dans le Nord-Ouest du Nouveau-
Brunswick. Je remercie Audrey Côté St-Onge, Huguette Desjardins et Nicole
Levesque pour avoir soutenu ma démarche inteIlectuelle et féministe - même si nous
n'étions pas toujours du même avis. Je remercie égaiement Reinelde Thériault, Jean-
Marie Gauvin, Laurier Martin et Léo-Paul Charest pour leur compréhension de
l'ampleur de ce projet et leur présence lorsque j'avais besoin qu'on m'entende.
1 wish to thank my father for instilling in me the need to see beyond the surface et ma
mère pour une bonne dose de joie de vivre. Without these two chiiracteristics I would
not have found the courage to continue what others said was an impossible task. Je
vous aime. Pour terminer, je veux exprimer ma sincère reconnaissance et mon
affection pour celui qui n'a jamais douté de mes habiletés, même lorsque je n'étais
pas certaine de pouvoir continuer, et qui m'a toujours poussé 5 remettre en question et
a défendre mes croyance et mes analyses. Les débats, mon cher Claude, ne font que
commencer.
TABLE DES ~ M T I È R E S
1. Introduction : l'enseignement du f m p ï s en d e u minoritaire
2 . 1 . La langue et l'identité
1.2. L'école reproductrice de I'identite ethnique
1.3. Le rôle de l'enseignante
2. L'éducation de langue française au Xouveau-Brunswick
2.1. La dispariaon d u fait acadien
2.2. Première strucnire scolaire
23. L'institutio~aiisation des différences
2.4. C'ne division linguistique
2.5. Les alliances entre l'Église et l'État
2.6. La prise en charge par l'État
2.7. La dualité du ministère de l'éducation
2.8. Un retour vers la droite
2.9. Conclusion
3. La merc acadienne
3.1. Le paysage ~lsuel
3.2. Cne langue qui nous ressemble
3.3. Le discours des hommes
3.4. Le discours des femmes
3.5. Gardiennes de la langue
3.6. Conclusion
4. LJ langue et le travail de l'enseignante
3.1. Lc conteste de I'enscignement en Acadie
4.2. L'enseignement au primaire, travail de femmes
4.3. Possibilités de résistancc
4.4. La conformité espliquée
4.5. Conclusion
5 Conclusion : enseignante et femme, double paradoxe
6. Bibliographie
C h a p i t r e I
INTRODUCTION
L'enseignement du français en milieu minoritaire
Alors que j'étais enseignante en Alberta, des enfants francophones se voyaient
transférés du proCpmme de français langue maternelle à celui d'immersion
française, parce qu'ils ne maîtrisaient pas leur langue maternelle. Le p r o u m e de
français langue maternelle n'était donc destiné qu'aux enfants qui parlaient le «bon»
français. Au Nouveau-Brunswick, une élève de la quatrième année me dit que Le
dicriotzrzaire des difiercltés de la l a~gue française est pour mous autres, parce
qu'on parle mal le français», également sa langue maternelle. Ces deux
constatations issues du contexte canadien sont troublantes.
L'école fmnçaise en milieu minoritaire canadien a été, avec la famille et l'église.
une institution de grande importance dans la lutte pour la survie du fait français au
Canada. Elle a permis à un peuple sans frontières géographiques, à l'exception de
celles du Québec, la seule province à majorité francophone, de se définir comme
communauté. Aujourd'hui, avec la perte de vitalité de l'église et la =orande mobilité
des personnes, le rôle de l'école dans le maintien de la langue et du sentiment
d'appartenance 5 une communauté est encore plus -md.
La mobilité des personnes, surtout vers et entre les centres urbains, entraîne un plus
orand contact entre la population francophone et la majorité anglophone. Ce contact C
a pour conséquence de réduire les domaines dans lesquels le français est la langue
d'usage. Pour plusieurs enfants, l'école est le seul milieu où la majorité des activités
1
se passent en français. Or, l'école franco-albertaine détermine qui peut se dire
francophone et ainsi profiter du prokgamme de français langue maternelle. Au
Nouveau-Brunswick, I'école participe à la définition de normes linguistiques qui
distinguent le bon du mauvais français. Comment ces actions contribuentelles au
maintien de la langue et du sentiment d'appartenance des élèves en question ? Ne
s'agit-il pas plutôt de pratiques linguistiques qui promeuvent I'exclusion ?
Partant de cette constatation d'un conflit entre les buts et les actions de l'école de
langue minoritaire et de la prémisse que cette même école cherche à: remplir son
rôle de gardienne de la langue et de la culture françaises, éléments unificateurs de la
population francophone, cette thèse vise à mieux comprendre comment l'école
définit cette langue et cette culture et les conséquences de cette définition. On verra
que I'école contribue grandement à la définition de la nonne linguistique en
référence à laquelle toute autre forme est évaluée ou dévaluée et que la lm, mue est
un critère d'inclusion et d'exclusion au monde du savoir scolaire. L'école sert ainsi
mieux les intérêts de certains citoyens et citoyennes, notamment ceux de la classe
dirigeante. Cette classe a le pouvoir de définir son savoir comme savoir légitime.
Cette légitimité aatunlisen le pouvoir de cette classe de diriger, par son empxise
sur la prise de parole et de décision collective, le sort de la population acadienne.
Puisque traditionnellement la femme canadienne-fransaise est également porteuse
du rôle de gardienne de la langue et de la culture. j'ai décidé de partir de
l'observation du travail de femmes qui enseignent au primaire. Ces femmes se
situent à I'intenection entre des institutions primaires de socialisation que sont la
famille et I'école. Cela est d'autant plus vrai lorsque le milieu de travail de
l'enseignante est la classe du primaire du premier cycle (classes des 5 à 8 ans),
période de transition de l'enfant entre la famille et I'école, entre la langue familide
et celle scolaire.
L'enseignement est une profession hautement féminisée (les femmes forment 77%
de la population enseignante au Nouveau-Brunswick (MEN3 1998). Pour savoir ce
qui se passe à I'école, i l est donc logique de cibler le travail de ces femmes et de
voir ce travaii comme un travail de femmes. Cette thèse se veut donc une étude de
la participation des enseignantes du primaire au processus de définition de la langue
légitime en salle de classe et elle vise à connaître les limites et les possibilités de
cette participation.
Plus précisément, au début de ma démarche mon but était de découvrir le rôle de
l'enseignante du niveau primaire dans la définition des formes du français
appropriées à l'école acadienne et, conséquemment, à l'identité acadienne. C'est
ainsi que j'ai entrepris cette étude de cas de deux enseignantes de la première année.
c'est e n effet à ce niveau que l'enfant devient élève et que la langue de la maison est
confrontée à celle de I'école. le croyais ainsi être en mesure d'observer plus
concrètement les actions que pose l'enseignante à l'endroit d'une langue maternelle
qui diverge de la Iangue scolaire. Or, dans les classes observées, les élèves savaient
avant leur arrivée en première année que le chiac. une langue acadienne stigmatisée.
ne doit pas être utilisé en classe. Les entrevues avec des femmes démontrent que
leur travail maternel y est pour quelque chose. Les actions normalisatrices des
mères acadiennes font que leurs enfants acquièrent des dispositions durables qui
sont le principe de leur perception de l'état du marché linguistique et, par là, de
leurs stratégies d'expressions» (Bourdieu 1977 : 25). Lors de la naissance de leur
premier enfant. ces femmes troquent leur variété régionale en faveur d'une forme
plus standardisée. Tout en apprenant à parler, les enfants apprennent donc à
modifier leun pratiques linguistiques selon les exigences de la situation. Les
différences entre In langue scolaire et celle que les enfants parlent en arrivant à
l'école ne sont donc pas aussi grandes que prévues.
On vem néanmoins que les enseignantes contribuent à la définition de la norme
linguistique qui favorise l'appropriation du savoir scolaire par certains élèves et qui
crée les conditions d'exclusion pour d'autres. De plus, le travail de ces enseignantes
est un travail de femme, tant en ce qui a trait aux conditions sous lesquelles il est
effectué. qu'en ce qui a trait aux perceptions que ces femmes et la société en général
en ont. Les actions des enseignantes dans ce milieu de travail peuvent également
être caractérisées de féminines.
Un deuxième but de cette recherche était d'alimenter une réflexion pédagogique sur
les moyens à prendre pour rendre la littératie accessible à tous les élèves. Mes
expériences personnelles et plusieurs recherches démontrent bien que notre société
a atteint l'égalité d'accès à l'école, mais que l'accès aux apprentissages scolaires est
encore à construire, voire même à concevoir (Tardif 1998). Le discours
psychologisant de notre système scolaire refuse encore cette possibilité : il admet
que <<tout enfant peut et veut apprendre, mais chacun apprend à son rythme et selon
des modalités qui lui sont propres» (MENE3 1994 : 6). L'attente ainsi formulée est
qu'à la fin de douze années de scolarité. tout élève aura fait des apprentissages, mais
que le niveau de maîtrise des connaissances ou habiletés scolaires variera selon la
capacité intel1ectuelIe de chacun. Le contexte sociologique des difficultés scolaires
demeure à la marge des considérations pédagogiques.
On verra que les conditions du travail de l'enseignante rendent difficile le
changement en faveur de l'équité : leur rôle est celui de gardienne de la langue,
c'est-à-dire d'un franpis standardisé, et du pouvoir de I'éli te. L'accomplissement
de ce rôle passe par la production et la reproduction de l'insécurité linguistique 'des
élèves. Ce rôle de gardienne de la langue sera discuté plus en détaiI au chapitre
~runidc qui mmstitc à considkrcr lcur pylcr commc plus ou moins îcccpnblc, c'ex-ji-dirc qu'ils ont I'imprcjsion dc p-~lcr unc h p e fmça&st. qu nc corrr3~>ond ps i Ldid qu'ils s'en fonm.
quatre. De plus, des moyens de surveillance suuctumux rendent difficiles
l'émergence et le maintien du désir de changer les règles du jeu. Cette thèse
démontre en fait que l'enseignante subit les règles du marché linguistique (Bourdieu
1977, 1982) qu'est l'institution scolaire, tout en participant à leur reproduction.
Cette reproduction se réalise lorsque l'enseignante intègre les règles du marché à ln
définition de son professionnalisme.
Puisque parmi les provinces canadiennes. à L'exception du Québec où les
francophones forment la majorité démographique. c'est au Nouveau-Brunswick que
la minorité francophone exerce le plus grand contrôle sur ses institutions scoiaires
(dans cette province, il y a dualité linguistique du syst2me scolaire). j'ai décidé d'en
faire mon terrain de recherche. S'il y a un endroit où l'on devrait pouvoir faire
autrement, c'est bien là où l'on a le contrôle de ses programmes. De plus, malgré
certaines difficultés liées à la recherche faite chez soi, le fait que je sois native du
Nouveau-Brunswick rend le contact plus facile ; je ne suis pas venue m'ingérer
dans les affaires des autres. La plus --de difficulté surviendra lorsque je dirai des
choses qui ne font pas l'affaire de tous : la critique de l'intérieur est toujours plus
aifficile à prendre. Lorsqu'une didacticienne, professeure à la seule université de
langue française au Nouveau-Brunswick, écrivait récemment (Duguay 1999) que le
système scolaire y est pour quelque chose si les élèves acadiens ne savent pas écrire,
des fonctionnaires du ministère de l'Éducation du Nouveau-Brunswick (MENB) se
sont exclamées que «c'est déjà assez que d'autres nous descendent, on n'a pas
besoin de ça d'un des nôtres». Cette référence à un des nôtres exige une
explication : Mme Duguay n'est pas une «des nôtres, simplement parce qu'elle
habite la même province, le lien dont il est question ici est celui de I'acadianité.
Acadianité : identité de la population acadienne, citoyens et citoyennes de l'Acadie,
si une Nation sans État peut compter des citoyens. L'Acadie n'est pas une province
du Canada et son territoire ne se calque pas sur celui d'une ou plusieurs provinces.
L'Acadie originale était l'actuelle ~ouvelle-Écosse et s'étendait en partie sur la
province du Nouveau-Brunswick. Les provinces maritimes (le Nouveau-Brunswick,
la ~ouvelle-Écosse et l'ne-du-prince-Édourad) demeurent le lieu où l'on retrouve
la majorité de la population acadienne. A panir de 1755, les habitants de cene
Acadie se sont vus déponés par les Anglais vers les États-unis, l'Europe et des
colonies françaises. C'est alors que plusieurs parlent de l'Acadie de la diaspora,
alors que d'autres insistent qu'il faille vivre en terre acadienne, de l'ancienne
Acadie, pour se dire Acadien. D'autres diront qu'il ne suffit pas de vivre en terre
acadienne, i l faut également être descendant d'une famille déjà en Acadie en 1755
et porter le patronyme - oublions l'importance de la mère gardienne de la langue et
de la culture - d'une de ces familles. Finalement, un dernier groupe croit qu'ii est
possible de devenir Acadien ou Acadienne, d'adopter la nationalité acadienne.
En plus de partager l'histoire de la déportation, la population acadienne du Canada
partage celle du retour en Acadie (des Maritimes) et de sa survivance dans des
provinces et un pays à majorité anglophone. La couleur particulière de cette
survivance au Nouveau-Brunswick est marquée par une plus p d e concentration
de francophones sur son temtoire. La langue française et la religion catholique ont
été les éléments identitaires les plus importants de l'Acadie, mais aujourd'hui, la
langue est I'élément unificateur principal. L'Acadie dont il est question dans cette
thèse est celle du Nouveau-Brunswick et. étant donné l'importance de la langue
dans la définition de l'identité acadienne, elle inclut l'ensemble des francophones
de cette province. Ce faisant, je suis consciente de mettre de côté toutes les
questions d'inclusion et d'exclusion des diverses sections de la population que
j'intègre dans cette définition.
La peur de I'assirnilation du français vers l'anglais est également un élément de
l'identité acadienne. C'est à l'école que revient la responsabilité première de contrer
ce danger. J'ai donc décidé de mener ma recherche ethnographique, c'est-à-dire une
recherche fondée sur l'observation et la participation à longue échéance (une année
scolaire), dans le sud-est du Nouveau-Brunswick, une région où le contact entre le
français et l'anglais est grand. En effet, ce contact a donné lieu à une variété
linguistique qu'on nomme le chiac. Alors que cette thèse fait état de plusieurs
définitions du chiac, c'est l'utilisation d'anglicismes qui le rend stigmatisé tant il
l'école que dans la communauté francophone de la province. Cela m'intéressait de
savoir comment les enseignantes conjuguent avec cette langue dans ieur définition
de la langue appropriée à la salle de classe. J'ai choisi l'ethnographie comme
méthode de recherche parce qu'une telle démarche permettrait de comprendre la
complexité des choix linguistiques et pédagogiques des enseignantes dans leur
contexte social et politique. Une compréhension en profondeur de la situation de vie
de l'enseignante est nécessaire au développement éventuel d'une pédagogie
collaboratrice. Ln première étape de ce projet a été de trouver des enseignantes qui
me permettraient d'entrer dans leur salle de classe.
Durant le printemps de 1994, j'ai rejoint par téléphone les directions de cinq écoles
primaires dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. Seules trois d'entre elles ont
accepté que je rencontre le personnel enseignant de leur école pour exposer mon
projet de recherche. Suite à ces rencontres, seules deux enseignantes, toutes deux à
l'école Du ou le au'. située en milieu rural, ont accepté de participer à cette
recherche. Cette difficulté à trouver des participantes à ma recherche atteste de la
charge émotive qu'arbore la question linguistique en Acadie. La langue est le
marqueur le plus important de l'appartenance à fa communauté acadienne, mais le
Ixs noms de?; pcrsonnc?; rrncontrCcs ct des .licoles \+isit.lics dans Ic udrc dc ccnc rcvhcrchc sont fictifs. .\fin dc rnicux simcr Ic Icmrur dans Ic contcxrc hrstonquc et gCographiquc dc ccnc t h k . Ics toponymrs ct ILS noms des mstitutions wolaircs ct des pcrsonnap d'une importance sont &ls.
code acadien est dévalorisé en faveur d'une variété qui se rapproche du franpis
écrit. soit le français standard. Ce paradoxe est d'autant plus vrai pour les
enseignantes puisque c'est à elles que revient la tâche de rehausser fa qualité
linguistique des nouvelles générations tout en assurant le maintien de l'identité
acadienne.
De septembre 1994 à avril 1995, j'ai passé en moyenne une joumée par semaine
dans les classes de deux enseignantes de la première année. Pendant ces journées,
j'ai intégré la salle de classe en travaillant avec certains élèves ou en vérifiant le
travail des élèves selon la demande de l'enseignante. J'ai également CO-animé, avec
I'enseipante, certaines activités de bricolage et de peinture. Les enseignantes
m'interpellaient également régulièrement lors de discussions avec les élèves (Qu'en
penses-tu, Madame PhyIlis ? As-tu déjà . . . ?). Chaque jour, je m'assoyais pendant
de longs moments à l'arrière de la classe pour observer et noter ce qui se passait. À
la fin de la joumée, je complétais mes notes en y ajoutant des observations faites
lorsque je travaillais avec des élèves ou l'enseignante. Étaient également notées des
observations faites dans la cour d'école et dans le couloir lors de l'entrée et de la
sortie des élèves. Finalement, je prenais en note les conversations avec une ou
plusieurs enseignantes de 19école (elles étaient sept) autour de la table du salon des
enseignantes, dans une salle de cIasse ou dans le couloir.
La durée de ma présence sur le terrain étant limitée à une année scolaire, la
négociation du changement proposé par une pédagogie collaboratrice devra attendre
un moment où ma disponibilité auprès des enseignantes sera plus longue. En effet,
le désire de ne pas provoquer une remise en question que je ne pourrais pas
accompagner jusqu'au bout m'a suivi tout au long de l'année de ma collecte de
données. Par contre, lors de l'écriture de cette thèse, j'ai voulu rendre accessible aux
enseignantes l'analyse que j'avais faite de leur situation. Cela dans le but d'essayer
de leur permettre de tirer profit de ma pksence dans leur salle de classe. C'est ainsi
que ta fin de ce processus a été marqué par I'invitation aux enseignantes-
participantes de me lire et de commenter mon analyse. Les deux enseignantes ont
répondu à l'invitation de lire ma thèse, mais une seul à celle de m'en parler- Au
courant du mois de mars 2000, cette dernière a instigué cinq conversations
téléphoniques avec moi. Ces conversations m'ont permises de préciser certaines de
mes analyses et d'apporter des changements que l'enseignante jugeait nécessaire au
maintient de l'anonymat de l'école et de son personnel enseignant.
En plus des observations. une des enseignantes de première année a accepté que
soient enregistrées trois entrevues semistmcturées. Ln deuxième enseignante-
participante a refusé tout enregistrement sonore de nos conversations. Les entrevues
avec la première enseignante ont eu lieu aux mois de décembre 1994, mars 1995 et,
suite à l'invitation de l'enseignante, en 1997. Les questions posées lors de ces
entrevues faisaient suite aux observations menées en salle de classe et ont permis
d'élucider certaines pratiques. En effet, passer aux entrevues après quelque temps
en salle de classe a permis de cibler les thèmes de ma discussion avec l'enseignante
Ce temps passé en la compagnie de l'enseignante a également donné lieu à une
relation interpersonnelle à l'intérieur de laquelle j'ai appris à interagir avec
l'enseignante et à mieux poser mes questions.
Suite à l'année scolaire passée en salle de classe et une analyse partielle de mes
données, le besoin de comprendre ce que les enseignantes faisaient dans un
contexte plus large que celui de la salle de classe s'est fait sentir. De là la décision
d'interviewer six hommes et dix femmes de la communauté desservie par l'école.
Ces entrevues avaient deux buts plus spécifiques : premièrement, de voir s'il y avait
un lien entre le travail des femmes en salle de classe et celui des femmes en famille
et, deuxièmement, de connaître les attentes de la communauté vis-à-vis de la langue
enseignée à I'école. Les personnes rencontrées étaient actives, pour la majorité, soit
dans le milieu scolaire, soit dans la communauté, ou dans ces deux milieux. Cet
échantillon n'est donc pas représentatif de l'ensemble de la communauté3. Cela
s'explique par le moyen utilisé pour joindre les participantes et participants, soit à
partir du comité des parents et de la liste des représentants de villages ou de districts
de services locaux (une désignation donnée aux communautés trop petites pour
détenir le statut de village et pour se doter d'un gouvernement municipal). Huit des
femmes avaient choisi de demeurer à la maison pour élever leur famille et la
majorité d'entre elles étaient membres du comité de parents de l'école, aucun
homme n'était membre de ce comité. Cinq hommes et une femme étaient membres
élus pour représenter leur municipalité ou district de services locaux OSL). Enfin,
un des hommes était le conjoint d'une des membres du comité de parents.
Finalement, j'ai également assisté à des réunions du conseil scolaire, un corps élu
qui chapeaute I'ensemble des écoles d'une région définie par le gouvernement
provincial, et j'ai interviewé des membres du personnel cadre du conseil. Ces
derniers sont responsables de la formation et de la supervision pédagogique du
personnel enseignant. Plusieurs documents font aussi partie de mon corpus, à
savoir: divers documents produits par ou pour le ministère de l'Éducation du
Nouveau-Bninswick, des documents remis aux élèves dans le cadre scolaire, le
matériel didactique qu'utilisent les enseignantes pour l'enseignement du français
(lecture, écriture et langue orale) et des documents pris à l'église, au bureau de la
société historique de Memramcook ou dans un dépanneur.
Cette thèse permet d'élucider comment le groupe minoritaire des Acadiens et
Acadiennes participe à la reproduction des relations entre francophones et
anglophones ainsi qu'à la production d'inégalités internes : la communauté
acadienne n'est pas un groupe homogène libre de toute responsabilité socide.
Comme le maintient Bourdieu (1977) et le démontrent Heller (1994, 1999) et
Dannequin (1976)' la langrre est au centre de ces divisions sociales et
l'enseignement de la langue, un outil pour les reproduire. Le rôle des enseignantes
dans ce travail est donc celui de la reproduction de la langue et de la culture de la
classe dirigeante en Acadie. Elles effectuent ce travail en refusant la divergence
linguistique. Ce refus alimente l'insécurité linguistique, cette tendance de toujours
se voir à l'écart de la maîtrise de sa langue maternelle, de la majorité des élèves,
mais plus particulièrement des classes marginalisées. Cette insécurité est imbriquée
dans I'acadianité et justifie les efforts de francisation du ministère de l'Éducation du
Nouveau-Brunswick. Avant de passer à l'analyse en profondeur de mes données de
recherche, il importe par contre, de présenter les éléments théoriques qui l'ont
informée.
Ce chapitre permettra d'établir I'importance de la langue dans la formation de
1' identité et de l'école dans sa reproduction. Les prochains chapitres traiteront de
l'histoire scolaire au Nouveau-Brunswick francophone, du rôle des mères et des
pères dans la reproduction de la langue et de la culture francophone (la femme est-
elle toujours gardienne de l'identité acadienne ?), ainsi que de ce qui a été observé
dans les deux classes de première année qui ont formé la base de cette recherche.
En guise de conclusion, une réflexion sur les liens à établir entre l'identité et la
pédagogie sen présentée au dernier chapitre de cette thèse.
LA LANGUE ET L ' I D E ~ ~
Heller (1987) démontre que l'ethnicité se construit par le biais d'une participation
au sein d'un réseau social contrôlé par le groupe ethnique. Ici la langue est
indicatrice d'appartenance et rend possible une telle participation. Or, la langue est
plus que la parole.
«The evaluation of cornpetence takes into account the relationship between the speaker's social propenies and the specifically linguistic properties of his discourse, i.e. the match or rnismatch between ianguage and the speaker ... What speaks is not the utterance, the language, but the whole social person». (Bourdieu 1977:653)
En ce sens, la façon dont un locuteur s'habille, se tient, prend la parole, la couleur de
sa peau, son identité sexuée, peuvent toutes être prises en compte dans l'évaluation
de sa légitimité. Ces éléments font partie de ce que Heller (1987) nomme la culture
partagée. Malgré sa maîtrise de la forme linguistique appropriée à la situation, un
locuteur qui ne fait pas preuve de cette culture est jugé illégitime et son discours
perd de la valeur. Le personnel enseignant du primaire, on le verra au chapitre
quatre. a sa culture partagée qui rend illégitimes certaines divergences
pédasogi ques.
La culture partagée d'un groupe ethnique est le produit de sa séparation sociale
(Heller 1987 : 184) d'avec d'autres groupements humains ; les membres d'un
réseau social partagent continuellement les mêmes expériences et celles-ci forment
Ia base d'une vision partagée du monde puisque négociée et construite ensemble.
C'est également à partir de cette vie en commun qu'un groupe vient à partager une
façon commune d'agir dans ce monde. Qui n'a jamais eu le sentiment de savoir ce
qu'un intime allait dire ou faire avant que la parole ou l'action soit produite ?
Comme on le verra, la construction sociale du monde et du savoir-faire quotidien a
un effet sur l'apprentissage de la lecture : si un enfant sait à quoi s'attendre dans la
suite des mots d'une phrase et dans le déroulement d'une histoire. il ou elle est plus
apte à ajouter cette nouveile habileté qu'est la lecture. qu'on comprendra comme la
constmction de sens et non uniquement le décodage, ou la lecture de sons et de
mots, à son répertoire d'habiletés sociales.
La nécessité de la séparation des groupes sociaux pour la construction de l'identité
ethnique explique l'importance de l'école dans la lutte pour la survie des
communautés francophones et acadiennes du Canada. il y eut un temps où ces
communautés vivaient isolément des autres groupes sociaux, dont celui,
majoritaire, des anglophones. Or, plus les francophones venaient en contact avec les
anglophones, plus i 1 s avaient besoin de définir des «cellules sociales restreintes»
(Juteau-Lee 1983 : 51) à l'intérieur desquelles sont constitués les réseaux si
importants à la construction et à la reproduction identitaires. L'église, l'école et la
famille sont de telles cellules, chacune ayant une importance relative selon l'époque
(Bourdieu 1998) et, j'ajouterais, selon la société.
Le premier réseau social de l'enfant se forme à l'intérieur de la cellule familiale,
formée des adultes et des enfants qui s'y trouvent. Puisque l'accomplissement des
tâches domestiques et de soins des enfants sont, dans la majorité des familles, du
ressort de la mère (ou de son substitut, gardienne d'enfants, femme de ménage). on
peut dire que c'est à ses côtés que l'enfant acquiert le capital culturel de son groupe
social. C'est la mère qui lui fait vivre, au travers du quotidien, les expériences qui
forment la base de sa culture : elle le noumt avec des mets de sa culture, elle
1 ' habille selon des conventions culturelles, el le vit avec l'enfant les transitions d'une
saison 5 l'autre, elle établit l'horaire de sa journée, elle lui parle dans la langue de
son identité - ou de celle qu'elle voudrait épouser. imbriqué dans les activités
quotidiennes dc la femme, ce travail de socialisation est rendu invisible et devient
l'apport <maturel» de la mère. C'est ainsi que les «idéologues nationalistes . . : ont
toujours placé les femmes, tout particulièrement les mères, au centre de la nation»
(Juteau-Le 1983 : 46)' ou plutôt, en ont fait les servantes nées qui doivent faire le
don de soi pour reproduire de nouveaux êtres ethniques qui s'identifient, dans le cas
qui nous concerne, à ['Acadie telle que définie par les hommes. Tel était le rôle que
l'élite religieuse acadienne avait donné aux femmes au tournant du vingtième siècle
et qui leur avait ouvert la salle de classe dès 1850. Dans ce rôle d'enseignante, les
femmes ont continué à faire un travail qu'on dit <maturelm de sociaiisation ou de
production d'ethnicité et de reproduction du pouvoir de l'homme de définir ce qui
compte comme identité acadienne.
Aujourd'hui, ce sont toujours les femmes acadiennes, à travers leur travail
domestique, qui sont gardiennes de la langue et de la culture. De plus, les
enseignantes du primaire se replient sur leur maternité pour expliquer la présence
majoritaire de femmes en première année et pour nier le côté intellectuel de leur
travail : elles disent faire ce qui leur est «naturellement» donné de faire. Le travail
de production et de reproduction identitaires des enseignantes qui ont participé à ma
recherche est donc invisible à leurs propres yeux. elIes ne font qu'enseigner et ne
voient pas quel rôle elles jouent dans la communauté puisqu'elles ne perçoivent pas
le Iien entre leur travail et le développement de la communauté. Ce qu'elles font est
«naturel>> ou <motmal», elles ne questionnent donc pas ou peu la portée de leurs
actions à l'extérieur de la cellule sociale qu'elles habitent. Elles laissent ainsi à
d'autres, la classe dirigeante à majorité masculine, le pouvoir de définir ce qui est et
ce qui devrait être la direction du développement nationaliste en Acadie. Cette thèse
démontrera que le rôle actuel des enseignantes est celui de reproduction et de
production d'une forme normalisée de la langue et de la culture acadienne et ainsi
du marché de l'élite acadienne et de son pouvoir symbolique, voire économique et
politique. Ce travail est effectué par l'écoie acadienne, une deuxième cellule sociale
restreinte, lieu de création d'une identité acadienne. Dans ces écoles, on tente de
créer un milieu francophone pur, complètement séparé des Anglais et de leur
langue.
L'école est gardienne de la langue et de la culture, mais pas de n'importe quelles.
Dans leur modèle de vitalité ethnolinguistique, Landry et Allard (Landry 1987;
Landry et Allard 1994) présentent l'éducation en langue maternelle comme un des
éléments de base à la reproduction de la langue et de la culture en milieu
minoritaire. En créant un lieu privilégié de contacts avec d'autres membres de la
communauté linguistique, et par-là avec la langue, une telle éducation permet de
balancer l'effet que peut avoir le milieu environnant majoritaire sur l'identité.
C'est-à-dire qu'elle permet la création d'une cellule sociale restreinte et la
formation de réseaux qui favorisent la production d'une identité distincte. h d r y et
Allard maintiennent que c'est ainsi que l'école contribue à augmenter la vitalité
ethnolinguistique de la communauté minoritaire qu'elle dessert.
Les éléments constitutifs d'une forte vitalité sont le capital démographique (nombre
brut et proportion sur un territoire), le capital politique (représentation
gouvernementale et para-gouvernementale, le service gouvernemental dans la
langue du groupe, le droit linguistique, la langue d'affichage), le capital économique
(langue d'usage dans les milieux de travail, dans les commerces, les industries, et
les institutions financières, langue d'affichage dans les magasins et centres de
services) et le capital culturel (contrôle des institutions d'enseignement, de la
garderie à l'éducation pst-secondaire et la réflexion de la langue et de la culture du
groupe dans les médias). Selon Landry et Allard, cette vitdité ethnolinguistique
élevée, qui se traduit par un pouvoir accru dans tous les domaines mentionnés ci-
haut, contribue à la reproduction d'une communauté linguistique. Or,
une vérification de la signification des termes «vitalité» et a-eproduction» démontre
que l'une ne peut causer l'autre puisque, qui dit vitalité dit reproduction et vice
versa. Le Petif Robert définit la reproduction et la vitalité ainsi :
Reproduction : 1. Fonction par laquelle les êtres vivants produisent d'autres êtres vivants semblables à eux-mêmes. II. Reproduction simple : reconstitution du capital.
Vitalité : le Vie, propriétés vitales. 2e Caractère de ce qui manifeste une santé, une activité remarquables, de ce qui est éminemment vivant. (Robert 199 1)
La reproduction est une propriété vitale de tout être vivant, comme de toute
communauté ethnolinguistique : sans cette reproduction, il n'y aurait plus de vie.
Parallèlement, les éléments constitutifs de la vitalité ethnolinguistique, de la santé
ethnolinguistique d'une communauté, sont ses capitaux linguistique, culturel et
politique. La contribution de Landry et Allard est donc une description d'une
communauté ethnolinguistique dynamique et non l'identification des causes de ce
dynamisme.
Landry et Allard ont également trouvé que lorsqüe le maintien des liens
communautaires et I'utilisation de la langue du groupe permettent aux individus de
répondre à leurs aspirations personneiles. ils demeurent membres de la communauté
et participent à sa reproduction. Une meilleure compréhension des aspirations et des
personnes dont i l est question ici permettrait de mieux cerner le comment et le
pourquoi de la reproduction d'une communauté ethnolinguistique. Quelle est la
position de ces personnes vis-à-vis du pouvoir qu'exerce leur communauté ? Quelle
constituante du groupe minori taire occupe les postes décisionnels des diverses
institutions? Comment l'école acadienne, à l'instar d'autres institutions, participe-t-
elle à la production et à 13 reproduction des relations de pouvoir internes? Ce n'est
pas, après tout, chaque membre de la communauté qui pourz goûter au pouvoir
institutionnel. Que1 est le rôle de la langue française dans ces relations? Et
lorsqu'une personne n'y trouve pas son compte, comment expliquer son
attachement continu à sa communauté ethnolinguistique ? Maiheureusement,
Landry et Allard ne traitent pas de ces questions.
Par l'étude et l'analyse approfondie de plusieurs écoles franco-ontariennes de la
région de Toronto, Heller (1994, 1999) touche à certaines de ces questions. Elle
démontre que I'école francophone en milieu minontaire distribue, de façon inégale,
des ressources linguistiques. De plus, certains groupes d'étudiants et d'étudiantes ont
une plus grande disposition, de par leurs antécédents sociaux et linguistiques, à
s'approprier les ressources distri buées. Ces inégdi tés produisent et reproduisent des
inégalités dans la communauté à l'extérieur de I'école. Les élèves qui ne parlent pas
la langue valorisée par I'école peuvent résister à la domination qu'on leur inflige. De
plus, dans les diverses situations observées par Heller, différentes formes
linguistiques sont légitimées. Au chapitre quatre, on v e m que le français standard
est nécessaire au succès professionnel des enseignantes. Pour certaines,
l'apprentissage du français standard est la clef de leur mobilité sociale. Questionner
l'emprise hégémonique du français standard met donc en cause la légitimité de ces
personnes.
Lri principale ressource linguistique distribuée par l'école est la langue française. En
effet, comme le démontre Heller pour plusieurs enfants de Toronto, I'école fmnco-
ontarienne est le seul lieu où le français prédomine sur l'anglais. Or, ce ne sont que
les variétés de français standard canadien ou européen qui sont distribuées à I'école
franco-ontarienne. Les français régionaux, tels que l'acadien, le franco-ontarien et le
québécois régional, ne sont pas distribués par I'école. Au contraire, ces parlers
constituent autant de barrières à l'acquisition du français standard et,
conséquemment, aux connaissances scientifiques, historiques et autres également
distribuées en situation scolaire : on passe premièrement par la correction des
erreurs (anglicismes et régionalismes) de vocabulaire et de syntaxe pour ensuite, si
Ie temps le permet, passer aux connaissances rattachées à la Iitténtie et à la pensée
abstraite. Ces dernières connaissances sont nécessaires à la réussite des cours qui
mènent aux études universitaires. Ces études sont, à leur tour, préalables à une
participation active (aux diverses prises de décision, par exemple) sur les marchés
linguistique, politique et économique des groupes andophone et francophone
dominants. k s élèves du niveau secondaire qui parlent une variété du français
réprimée par l'école forment une majorité numérique dans les cours qui mènent soit
au collège communautaire ou à un cours de métier, soit directement sur le marché
du travail. Les cours qui mènent aux études supérieures sont peuplés d'élèves qui
parlent un français plus standardisé. Ce sont ces derniers qui profiteront le plus du
pouvoir accru dont parlent Landry et Allard.
Comme le suggère Heller, le français standard a ses structures de phrases et de
textes. Gee (L991) démontre, par exemple, que les enfants de milieux ayant une
base socioculturelle différente de celle de l'école utilisent une sûucture narrative
que les enseignantes du primaire ne peuvent pas accompagner. en posant les bonnes
questions ou réflexions pour faire avancer le récit. Les enseignantes jugent cette
structure incohérente. On dit de ces enfants qu'ils et elles ne savent pas raconter une
histoire. Alors qu'au contraire, l'utilisation que font les enfants de la langue est
symbolique de leur appartenance à une communauté; ils et elles racontent leur
monde à la façon de leur milieu de vie. Alors qu'il serait important de savoir si de
telles différences linguistiques divisent la population francophone du Nouveau-
Brunswick, la permission de faire des enregistrements en saile de classe n'ayant pas
été accordée, une telle analyse dépasse les limites de cette recherche. Je me limiterai
donc à une discussion des interventions lexicales, également lieu principal de
l'action de mes enseignantes-partici pantes.
Il est possible de dire, par contre, que malgré des efforts de faire d'une forme
standardisée du français le s-mbole d'appartenance de tous les Acadiens et
Acadiennes, l'identité acadienne est traversée par des identités de classe auxquelles
sont rattachées des pratiques linguistiques. Le français standard de l'Acadie
appartient à sa classe dirigeante et, les variétés qui en divergent, à des régions ou
goupes sociaux particuliers. On vem que, pour les femmes interviewées, la
mobilité sociale de leurs enfants passe par l'apprentissage du français standard
canadien et que cette forme linguistique est nécessaire à l'accession au statut de
professionnel, tout au moins dans les institutions publiques, symboles de la vitalité
ethnolinguistique de la communauté acadienne. Le système scolaire acadien actuel
est sous le contrôle de ce groupe, à forte majorité masculine, et tend à reproduire
des inégalités internes qui les favorisent.
En plus du rôle de gardienne de la langue, l'école joue un rôle de sélection sociale.
C'est I'écoIe qui 4mpose les formes légitimes du discours et l'idée qu'un discours
doit être reconnu si et seulement si il est conforme à ces formes légitimes».
(Bourdieu 1977: 21). L'école acadienne définit ainsi la Lingue et la Culture
acadienne en référence à laquelle toute autre variété linguistique et pratique
culturelle acadienne est jugée.
Foucault (1975) démontre que par son action normalisatrice, qui récompense
l'élève qui est perçu comme normai et exclut l'élève qui est divergent, l'école, à
l'instar d'autres institutions, crée et reproduit des divisions sociales. Le c<normal» ou
la norrne devient la règle à partir de laquelle tous sont jugés et classés ; la classe
dirigeante devient ainsi la seule composée de gens <mormaux». Pour Bourdieu, la
norrne linguistique est au centre de la définition du normal.
Selon l'analyse de Bourdieu (1977, 1982) la langue est une forme de capital
symbolique. Ce capital est échangé sur des marchés linguistiques et chaque langue
ou variété possède une valeur différente. C'est en référence à la langue de ceux qui
contrôlent Ie marché, tant du point de vue économique que culturel, que les autres
variétés se voient attribuer une valeur plus ou moins grande : plus une variété
diverge de la norme légitime, moins on lui accorde de valeur. C'est à I'école,
expliquc l'auteur, que revient la tâche d'imposer une langue et d'évaluer sa maîuise.
L'école sélectionne ainsi les élèves qui renconmront soit le succès ou l'échec
scolaire et, par extension, définit leur place dans le marché linguistique dominant.
A l'école française du Nouveau-Brunswick, c'est le français standard, libre
d'anglicismes et d'acadianismes, qui est jugé légitime, mais I'école n'est pas la
seule responsable de la définition de la norme linguistique ni de la valeur qu'on
attribue à chacune des variétés linguistiques. Comme le mentionne une de mes
enseignantes-participantes, plusieurs élèves arrivent à I'école avec une certaine
insécurité linguistique. Les hommes qui ont participé à cette recherche indiquent
également l'importance du marché du travail dans la valorisation ou non d u français
standard. Sans nier l'importance de I'école dans le processus de sélection identifié
par Bourdieu, on ne peut pas dire qu'il commence ni qu'il se termine à I'école.
Bourdieu et Passeron (1970) affirment que dès le début de leur scoIarïsation, les
enfants passent par un processus de sélection. La langue, et surtout la langue écrite,
sen de critère d'évaluation principal dans ce processus. k s enfants qui ne
manifestent pas la performance appropriée, qui ne parlent pas une langue autorisée
en salle de classe, sont exclus du système. Dans le travail de sélection qui se fait en
première année, on voit bien l'interrelation entre les propriétés sociales et
linguistiques de la culture légitime : en première année, le comportement scolaire et
le langage ne peuvent être dissociés dans l'évaluation des enfants, puisque les
enseignantes dévalorisent plus rapidement la langue des enfants qui n'ont pas le
comportement désiré que celui des enfants qui sont à la tâche et ne dérangent pas.
À ce niveau scolaire, les enfants sont socialisés à leur rôle d'élève et cette
socialisation, tout comme celle aux normes culturelles de la famille, passe par la
construction d'une culture partagée. A l'école, l'enseignante est médiatrice des
expériences que vit l'enfant dans cette nouvel le cellule sociale. L'enseignante
inculque ainsi chez l'enfant, par le biais de récompenses et de punitions de toutes
sortes, les notions du bon et du mauvais élève et de sa place dans ce classement. Ce
sont les bons élèves qui seront sélectionnés pour le succès scolaire et,
éventuellement, pour une participation sur le marché linguistique dominant de
l'Acadie. Les autres sauront déjà qu'ils n'y appartiennent pas.
C'est ce processus de sélection qui fait de l'institution scolaire, toujours en rappon
avec les autres institutions d'une société, un instrument de p d e importance dans
la reproduction du capital linguistique.
Le système d'enseignement n'est un enjeu si important que parce qu'il a le monopole de la production de masse des producteurs et des consommateurs, donc de la reproduction du marché dont dépendent In valeur et la compétence linguistique, sa capacité de fonctionner comme capital linguistique.
Ceux qui contrôlent le système scolaire ont le pouvoir et l'autorité d'imposer leur
langue comme seule légitime en milieu scolaire. Par leur scolarisation, d'autres
groupes sociaux acceptent que la langue scolaire constitue la norme en référence à
laquelle leur langue ou leur capital linguistique s en évalué. (Bourdieu 1977:652)
On verra que dans les écoles du Nouveau-Brunswick, la norme scolaire est le
minimum requis pour être sélectionné : i l existe une variété enrichie du français
standard qui dépasse ce minimum. On verra également que, malgré les efforts de
séparation du fait français de celui de l'anglais dans la définition de l'acadianité, le
bilinguisme valorisé par le monde du travail définit également les paramètres de
cette identité.
Cette thèse démontrera l'importance du marché du travail dans la légitimité que
confêrent les pères au français standard et dans leur prise de position vis-à-vis de
l'importance de cette variété linguistique dans l'éducation de leurs enfants. Le
travail de gardienne de la langue des mères est rendu plus ou moins facile selon
cette prise de position des pères. En fait, on verra que Ies mères ont une part de
responsabilité dans la définition et la légitimation de la hiérarchie des variétés
linguistiques ; alors que Bourdieu maintient que l'enfant est évalué dès son entrée à
l'école. les mères, de par leur rôle de socialisation, participent à la construction des
normes de référence de cette évaluation et préparent leurs enfants à les accepter.
Cela n'est peut-être pas surprenant, puisque la famille et l'école sont les deux
institutions de socialisation de première ligne. Le rôle de la femme est également
important dans le travail de reproduction de l'école.
En milieu minoritaire' la création de cellules sociales restreintes est importante à la
production et à la reproduction de la communauté. Ces cellules encouragent la
formation de réseaux sociaux si fondamentaux à la production identitaire du
groupe. La langue est un symbole important de cette identité. Avec la famille,
l'école est un des chefs-lieux de cette production. L'école compte également parmi
les lieux ies plus importants de sélection sociale qui passe, elle aussi, par la langue.
Ce double rôle de I'école a une incidence sur l'identité des élèves qui y sont
instruits.
Comme les femmes à la maison, les femmes à I'école sont au centre du travail de
socialisation et de sélection de I'école. Par leur médiation des expériences scolaires
des éIèves du début du primaire, ces femmes sont des actrices clefs dans la
négociation de leurs identités et dans la construction de leurs possibilités de succès
scolaires. L'enfant apprend rapidement s'il est un bon ou mauvais élève, s'il parle
mal le français ou si au contraire son contrôle de la langue dépasse Ies attentes. Au
f i l des années de scolarité, le gouffre entre le bon et le mauvais, entre celui qui sait
s'exprimer et celui qui a un vocabulaire appauvri, s'agrandit, mais la fissure se
dessine en maternelle ou en première année : dès la première semaine de classe, les
ensrignames identifient des enfants avec lesquels elles auront de la difficulté. Dans
les classes observées, ces enfants ne partagent pas, avec l'enseignante, la lan, uue et
la culture de l'école. Cela est traité au quauième chapitre de cette thèse.
Alors que je proposerai dans ce qui suit, qu'il est possible, tel que mentionné au
début de ce chapitre. de faire autrement afin d'offrir un accès équitable aux
connaissances scolaires. nul ne peut prétendre que cela est facile. De «faire
autrement» nécessite une prise de position consciente qui va à l'encontre du courant
norrnalisateur du système tel qu'on le connaît actuellement. Puisque c'est la langue
qui est à la fois symbole de l'identité et critère de sélection, le rôle de l'enseignante
en milieu minoritaire est intimement lié à la pédagogie de la langue qu'elle
privilégie. Cette pédagogie devra devenir critique à l'égard de la hiérarchie
linguistique et de la place qu'y occupe le français standard. Or la féminisation du
travail de l'enseignante du primaire rend difficile une telle critique.
À ses débuts, on s'expliquait le phénomène de la féminisation de la profession
enseignante par les qualités naturelles de la femme. «Women, according to
Duncombe, were «fitted by dispositon and habits, and circumstances, for such
duties.~ Women were necessarily the guardian[s] of the nursery, the companion[s]
of chi ldhood, and the constant model[s] of imitation» (Curtis 1988 : 30). ~Women
were seen as to be either preparing for or playing a mothering role in the school
roorn» (Danylewycz et al. 1991:33). L'association mère-enseignante que plusieurs
chercheures et enseignantes continuent à reproduire a donc une longue histoire.
Selon Casey (1993). la construction métaphorique mère-enseignante est rejetée par
certaines enseignantes qui la considèrent imprégnée de notions de passivité. voire
même de servitude, dans un modèle de suprématie patriarcale. D'autres, se voyant
dans un rôle d'émancipation de leur communauté minoritaire, embrassent la
conception enseignante-mère, car celle-ci exprime bien l'amour et la sollicitude
qu'elles éprouvent envers leurs élèves. Mal_& les visions contradictoires de ses
participantes, Casey conclut que la pratique de toutes les enseignantes qui ont
participé à sa recherche reflète la métaphore mère-enseignante.
The metaphor of teacher-as-mother (and student-as-child) . . . clearly presents a relationship between subjects. Such an understanding allows for the possi bility in Huebner's ( 1975) words, of <<enCounter between two human beings which is the essence of educationn. Even though the life histories which 1 will discuss contain conflicting evaluations of the matemal in education, in these narratives women teachers consistently talk about students in 1-thou terms. (Casey 1993 : 17)
Ne serait-il pas possible pour une femme d'entrer en relation avec un autre être
humain sans revêtir le rôle de la mère?
Selon les écrits de Grumet (1988 : 34-25), le rôle traditionnel de la femme est de
maintenir la vie et les relations de pouvoir d'un système patriarcal, et non de les
changer. Cela est le rôle que les femmes interviewées dans le cadre de cette thèse
jouent. Malgré la similitude entre ce propos et celui des enseignantes qui rejettent la
définition maternelle de leur rôle, Grumet (1988 : 29) affi~rme que c'est en reprenant
le contrôle de ses habiletés reproductrices, processus civilisateur et procréateur, que
la femme qui enseigne pourra contrer le pouvoir patriarcal. Cet argument a une
teneur essentidiste par contre, qui fait appel à une vision romanesque de la
maternité: il existe une féminité qu'il faut remettre dans la salle de classe. Cette
féminité est celle qui est en relation presque symbiotique avec l'enfant, elle est ce
qui relie maternité et enseignement. De plus. en salle de classe. un processus qui se
veut civilisateur risque de devenir coercitif pour certains enfants.
Alors que Grumet voit une division entre la maison et l'école qu'il faut guérir. cette
thèse démontre que lorsque la mère et l'enseignante revêtent le rôle traditionnel de
reproductrices de la vie et des relations de pouvoir patriarcal, il y a continuité entre
le travail linguistique de la maison et de l'école. Tef est le cas des mères
interviewées dans le cadre de cette recherche et celui des enseignantes-participantes.
Plutôt que de mener à leur déconstruction. cette continuité permet d'ancrer encore
plus farouchement les divisions sociales : ces deux groupes de femmes partagent le
rôle de maintien de l'hégémonie de la langue standard. Les mères traditionnelles ne
désirent pas changer la stmcture hiérarchique de la société. mais bien permettre à
leurs enfants d'en gravir les échelons. Or, pour rendre l'accès au savoir égal à tous.
i l faudra mettre à nu, sinon défaire, le pouvoir que la langue stm-dard a dans les
relations de pouvoir acadiennes. Ce travail demande une politisation qui ne fait pas
partie de Iû définition que donne Grumet du féminin. Si la mère ou l'enseignante
désire travailler au changement social. elle doit donc être en mesure de revêtir un
rôle autre que celui de la mère traditionnelle, de là I'importance de cette recherche
pour le monde de la pédagogie.
Alors qu'il est vrai que cenaines personnes peuvent passer facilement d'une variété
linguistique à une autre et ainsi devenir locuteur légitime dans plusieurs situations.
d'autres ne réussissent pas ce passage. Cela est problématique puisque chaque
marché linguistique est un lieu de disui bution de ressources (appartenance.
scolrinsation, emplois) et que l'accès à ces ressources est lié à l'utilisation d'une
forme linguistique plutôt qu'à une autre. L'école est l'un de ces marchés et. selon
Gril10 (1989). la langue est souvent le critère qui détermine le plus les possibilités
de succès scolaire. La possibilité de manier, tant à l'oral qu'i l'écrit, la forme
standard d'une langue est, en milieu scolaire, signe d'intelligence.
Le ministère de l'Éducation du Nouveau-Brunswick a publié en 1997 un nouveau
programme de français. Celui-ci suit la tendance actuelle en éducation et fonde ses
principes et sa pédagogie sur les recherches en psychologie cognitive. La
psychologie cognitive veut que l'apprentissage soit une constniction du savoir et
que les connaissances antérieures de chaque élève soient le fondement sur lequel il
ou elle doit, à l'aide de ses enseignantes, bâtir. Or, le nouveau programme de
français ne respecte pas ce principe fondamental lorsqu'il présente un discours de
respect pour les variations linguistiques tout en indiquant que la langue des élèves
doit être exempte d'anglicismes et qu'elle doit, en toute situation de
communication, être «correcte». Ce discours définit la frontière du groupe
ethnolinguistique acadien par une dichotomie français/anglais. Dans l'institution
scolaire, cette dichotomie donne lieu à ce que Cumrnins (1992) appelle une
éducation coercitive : le rôle de 19écoIe est celui de sauver les enfants des ravages de
I'anglais et ainsi les garder dans le pli de la communauté acadienne. Certaines
variétés linguistiques comprennent donc des utilisations fautives du français,
utilisations qui doivent être comgées.
La langue des élèves qui parlent le chiac ou une autre variété de franglais, n'est pas
incluse parmi les variations acceptables à l'école et ne constitue pas une fondation
légitime à la construction de nouvelles connaissances. k s élèves ainsi marginalisés
continueront à dire qu'ils ou elles ne parlent pas bien leur langue maternelle et à
rencontrer des difficultés qu'on liera 5 leur manque de capacités, plutôt qu'à celle
de l'école de reconnaître leun connaissances antérieures et de répondre à leurs
besoins d'apprentissage. Qu'en sen-t-il du désir de ces élèves de continuer à
participer à la vie de la communauté acadienne ?
Cette thèse cherche à comprendre le rôle de l'enseignante du primaire dans la
définitior, des normes linguistiques de I'école et de trouver des moyens d'offrir à
tous les élèves une éducation collaboratrice (Curnrnins 1989). Afin de les habiliter à
forger un avenir plus juste et équitable, cette éducation devra affirmer la valeur de
leurs identités, de leurs langues et de leurs connaissances. C'est vers
l'accomplissement de ces objectifs que mèneront les prochains chapitres de cette
thèse.
Le prochain chapitre trace l'histoire de l'éducation de langue française au Nouveau-
Brunswick. Cette histoire démontre qu'au départ, le développement de l'école
acadienne a été un projet de l'élite masculine de l'Acadie. Alors que la majorité des
auteurs qui traitent de la question y voient un projet d'émancipation de l'ensemble
du peuple acadien, on vem que les étapes de ce développement ont à la fois suivi et
facilité celles du développement du marché économique et politique de cette élite.
D'abord, i l y a la création de marchés et d'institutions scolaires acadiens parallèles à
ceux des anglophones majoritaires. Suivent la création de liens entre les classes
dirigeantes anglophone (l'État) et francophone (l'Église catholique) du Nouveau-
Brunswick. Cela a permis la reconnaissance de l'école de langue française et la
création de travailleurs et de consommateurs francophones pour le marché que
s'était créé i'élite acadienne. Finalement, la classe dirigeante acadienne, cette fois
laïque. intègre l'appareil politique provincial et, par la création d'un ministère de
l'Éducation suivant le modèle des institutions parallèles de la première étape
mentionnée ci-haut, institutionnalise davantage la dichotomie français/anglais.
Cette dichotomie garantit la production et la reproduction de son marché
symbolique et de son pouvoir.
En effet, l'Acadie est, au sens d'Anderson (1983). une communauté imaginée. Or,
elle est une invention en réponse à la marginalisation que vit la population
acadienne. Cela n'exclut pas le fait que la constitution de l'Acadie en communauté
nationalitaire (Thériault 1995) ait également eu la conséquence de marginaliser
certaines sections de la population qu'elle prétend inclure. Le prochain chapitre fait
donc ressottir le rôle de l'école de langue française dans la création de cette
communauté nationditaire. Une attention particulière est également portée au
travail des femmes, généralement rendu invisible dans les écrits qui racontent cette
histoire, dans le développement de l'école acadienne.
Le troisième chapitre de cette thèse présente l'analyse des données recueillies lors
d'entrevues avec dix femmes et six hommes de Memramcook, la communauté que
dessert l'école Du Bouleau. On verra que les mères travaillent toutes à
I'amétiontion ou à la standardisation de leur langue et de celle de leurs enfants. il
existe, par contre, une différence qu'on peut lier à Ia scolarité de la mère : les plus
scolarisées cherchent à e ~ c h i r le lexique d'un français déjà standardisé, alors que
les moins scolarisées cherchent à évacuer les anglicismes de leur langue et à
enseigner le «bon mot» français aux enfants. Cette distinction produit et reproduit la
distance linguistique qui sépare ces deux groupes de femmes et t'inégalité d'accès
qu'ont leurs enfants au savoir scolaire. Les hommes jouent également un rôle dans
cette reproduction.
On vern que chez les hommes, c'est leur participation sur le marché du travail qui
détermine leurs croyances quant au français à enseigner aux enfants. La nécessité du
français standard est davantage remise en question par les hommes qui utilisent le
chiac et/ou l'anglais au travail. Ces hommes sont également panni les moins
scolarisés de l'échantillon. Les hommes qui ont besoin du français standard au
travail valorisent l'apprentissage de cette forme linguistique. Plus la position de
l'homme sur le marché du travail dépend de sa maîtrise du français standard, plus i l
insiste sur l'utilisation de cette langue chez ses enfants. Puisque le français standard
est la langue de communication à I'école, ces derniers risquent d'être les mieux
préparés à recevoir le savoir scolaire.
Le chapitre trois démontrera également l'importance que tous les parents accordent
au bilinguisme. Tous reconnaissent la valeur de cette ressource linguistique et pour
la majorité, l'apprentissage du français standard n'est important que dans fa mesure
où i l donne accès au bilinguisme qui a une valeur d'échange sur le marché
symbolique dominant. Ce bilinguisme est du type que HelIer (1999) caractérise
comme deux monolinguismes, c'est-à-dire la capacité de parler le français comme
un unilingue, sans emprunts ou calques de l'anglais, et de parler l'anglais sans
interférences du français.
Le quatrième chapitre de cette thèse présente l'analyse des données d'observatio~
recueillies à I'école Du Bouleau et d'entrevues avec une des enseignantes-
participantes et des cadres scolaires du district dans lequel est située cette école. On
verra que l'enseignement au primaire est féminisant tant dans sa définition que dans
ses conditions : ce travail est travail de femmes parce qu'effectué dans des
conditions qui font a.ppel à des habiletés dites féminines. Ce sont en majorité des
femmes qui font ce travail parce qu'on continue à croire qu'il leur est naturellement
donné de le faire.
Dans ce contexte, les enseignantes font un travail de production d'êtres ethniques et
de reproduction de l'élément identitaire acadien qu'est l'insécurité linguistique. Les
enseignantes participent ainsi à la sélection des bons et des mauvais élèves et à la
sélection sociale ou à la reproduction d'inégalités internes à la population
acadienne. Malheureusement, la définition et les conditions féminisantes de leur
travail rendent difficile une pédagogie plus équitable à l'endroit de tous et toutes.
Ces conditions rendent effectivement difficile la réflexivité nécessaire à un tel
changement pédagogique.
L'ÉDUCATION DE LANGUE FRANÇAISE A U NOUVEAU-BRUNSWICK
Ce chapitre traite des situations historique et actueIIe de l'éducation de langue
française au Nouveau-Brunswick. il est divisé en cinq grandes sections. La
première démontre comment, suite à la déportation de 1755, la population
acadienne a été abandonnée à elle-même. Ceci a permis une certaine consolidation
de la population, mais encore aujourd'hui on ressent le besoin de rattraper le temps
perdu. Les trois prochaines sections de ce chapitre suivent les étapes, définies par
McKee. dans «la production d'un espace institutionnel distinct» (McKee 1995:
133). Ces étapes sont «la tolérance et l'action parallèle>, : la création d'alliances entre
l'Église et l'État ; et finalement, de 1960 à 1970, la prise en charge par l'État. Le
chapitre se termine par un regard sur la situation actuelle de la population acadienne
et de son système scolaire. On voit que la création de l'école acadienne est
intimement liée aux besoins de développement du marché symbolique de la classe
dirigeante de l'Acadie.
Tout au long de ce chapitre les fondements historiques de la dichotomie
frrinçais/anglais que tente de produire et reproduire l'école sont mis en évidence.
Cette dichotomie est essentielle au maintien du marché s~mbolique et du pouvoir
de l'élite acadienne. Parallèlement, Ie bilinguisme a été, depuis toujours, une
ressource fondamentale à la participation acadienne sur des marchés symboliques
dominés par d'autres. Comme le village de Memramcook, situé au sud-est du
Nouveau-Brunswick, a été mon ternin de recherche, une attention particulière est
portée à la participation de ce village dans le développement de l'éducation en
Acadie. 11 ne faudra pas se surprendre que certains disent que l'Acadie est sortie de
Memrarncook ou que Memnmcook est le Berceau de l'Acadie, puisque c'est ici
qu'a été construit le premier collège pour garçons, qu'on a tenu la première
Convention nationale des Acadiens, qu'est née l'Association acadienne pour
l~ucat ion. et que le cours classique a été offert pour la première fois aux filles
acadiennes.
En réalité, ces événements historiques ont eu lieu dans la paroisse religieuse de
Saint-Joseph. Ce n'est qu'en 1995, date de I'amalgamation des diverses
communautés de la Vallée de Memramcook, dont «la municipalité de Saint-Joseph
et [sept] districts de services locauxr (McCaie 1995). que l'actuel village de
Memrarncook a vu le jour. À l'intérieur de ses limites. Mernramcook compte trois
paroisses religieuses. toutes catholiques et françaises.
LA DISPhRITiON DU FAIT ACADIEN
En 1755, la population acadienne de l'actuelle ~ouvelle-Écosse continentale a été
déportée par l'Angleterre, d'abord vers les colonies britanniques en Amérique du
Nord et ensuite vers la France. IlAngleterre et les Antilles. «En 1763 quand la paix a
été signée [avec le Traité de Paris], de la population florissante de 16 000 en 1755,
i l ne restait pas plus d'un millier d'âmes en Acadie même» (GrÏffiths 1987: 11).
L'Acadie prissait alors aux mains des Anglais. Plusieurs explications sont données
pour cette déportation qui a tellement marqué i'identité acadienne.
Selon Bastanche et Boudreau-Ouellet (1993) la déportation de 1755 a eu lieu suite
au refus de la population acadienne de prêter allégeance à la couronne britannique
et de dénoncer la transsubstantiation. L'Acadie affîmait don la position d'une
communauté qui se définit en ses propres termes. Sauvageau (1987) propose, pour
sa part, que ce refus n'était qu'un prétexte, les nouveaux arrivants anglais
cherchaient plutôt à exploiter les terres fertiles et déjà défrichées par les Acadiens.
L'analyse qu'ont faite Bastanche et Boudreau-Ouellet (1993) de l'action de I'autori té
anglaise sur le plan juridique vient soutenir cet argument. En fait, cette analyse
démontre que, suite à la signature des Traités d'Utrecht en 17 13 et de Paris en 1763,
les Anglais ont agi selon une vision colonisatrice d'un pays inhabité, vision qui rend
légitime une emprise totaie sur le temtoire.
Bastarache et Boucireau-Ouellet (1993) expliquent que la constitution anglaise de
l'époque stipulait qu'un temtoire conquis devait recevoir le droit public de
l'Angleterre, mais garder son propre régime de droit privé, en I'occumence le droit
civil français. En situation de colonisation, le territoire reçoit et le droit public et le
droit privé de l'Angleterre avec droit d'appel en circonstances spéciales. Dans le cas
de l'Acadie, ces circonstances spéciales auraient été la présence d'une population à
très forte majorité catholique. Sous ces conditions, Ia loi anglaise voulant que les
Catholiques n'occupent aucun poste de responsabilité civile aurait pu être contestée.
Cette contestation n'a pas été permise et le Common Law anglais est devenu le droit
privé des terres acquises sous le Traité d'Utrecht. Ceci peut se comprendre si on
considère que la déportation a théoriquement nettoyé l'Acadie de sa population
acadienne. laissant à l'Angleterre une terre «vierge». D'autres auteurs maintiennent
que Ia déportation avait comme but ultime la décimation complète du peuple
acadien, sans toutefois préciser la motivation demère cette décimation (cf. Roy
1981, cité dans McKee 1995:69). iI est également probable que les Anglais ne
considéraient pas le peuple acadien comme un peuple à part entière, mais plutôt
comme des coloniaux français.
Suivant l'analyse qu'a fait Hobsbawm (1990) de ia situation d'autres colonies
européennes, i l est probable que la population acadienne, née en terre d'Acadie et
d'origines mixtes (Griffiths LW2), n'avait pas le plein statut de sujets français.
L'Acadie appartenait à la France, mais n'était pas la France et n'avait pas ses propres
lois. ~ g t a t anglais n'avait donc pas à respecter la loi d'un pays qui n'en était pas un.
Est-ce qu'on avait à respecter les lois et les traditions autochtones? L'Acadie était
une colonie et a été traitée ainsi. ~Acadia was perceived [by both London and Paris]
as a colony and the Acadians as coloniais» (Griff~ths 1992 : 70-71).
De plus, on s'attendait à ce que les Acadiens choisissent de partir pour une des
colonies françaises avoisinantes et des provisions à cet effet ont été inctuses dans le
Traité d'Utrecht : on leur a accordé la liberté «to remove themselves within a year to
any other place, as they shall think fit, together with al1 their moveable effects» (cité
dans Griffiths 1992 : 35). S'ils décidaient de rester, ils deviendraient des sujets
britanniques. Or, depuis 1710, chaque communauté acadienne était libre de choisir
son représentant auprès des autorités coloniales et la population acadienne agissait
comme entité politique indépendante, maîtresse de son destin et légitime habitante
des terres acadiennes. ii existait alors une population acadienne, distincte autant des
Français que des Anglais : «Their colonial status was less a central and deciding
factor of their political king than it was just another aspect of life, something with
which one coped, not something by which one was controlled» (1992 : 71). La
position frontalière que réclament les bilingues d'aujourd'hui, ce positionnement
qui n'est ni français, ni anglais, a donc sa propre historicité. Celle-ci est d'autant
plus légitime si on considère que cette vision acadienne a contribué à la mise en
application de l'acte de déportation de 1755, même si elle n'en a pas été le seul
Facteur.
Avec le retour de Louisbourg aux Français en 1738, l'Angleterre décida de &Termir
sa position en Amérique du Nord. Un élément important de ce plan a été le
développement de Halifax et de la ~ouvelle-Écosse. À partir de cette période, les
tensions entre Anglais et Français, sur les terres mêmes de l'Amérique du Nord, se
sont intensifiées. Située à la frontière entre les colonies britanniques et françaises et
reconnue par les autorités coloniales comme société distincte, la présence acadienne
devenait de plus en plus problématique pour les Anglais : i l fallait savoir de quel
côté ils trancheraient et leur nombre était devenu trop grand pour simplement les
déplacer dans le camp des Français, tel que proposé lors de la signature du Traité
d'Utrecht (Griffiths 1992 : 85-88). La déportation ne visait donc pas la décimation
des Acadiens et Acadiennes, mais bien «the endication of the idea of an Acadian
communitp, d'une identité communautaire distincte, du fait acadien (p. 63). En
dispersant la population acadienne dans les différentes colonies britanniques, les
individus acadiens seraient assimilés, ou normalisés, à la culture britannique et
deviendraient de fidèles sujets anglais.
À cette époque, les colonies britanniques de l'Amérique du Nord, premières
destinations des exilés, vivaient en attente des hostilités de la guerre entre la France
et l'Angleterre. Elles étaient donc peu disposées à traiter les Acadiens et Acadiennes
comme les leurs. Au mieux, ils étaient traités selon les provisions déjà en place
pour les pauvres et les malades, tout en étant dispersés davantage et restreints dans
Ieurs mouvements. -4il pire, ils étaient contraints à la servitude. Dans tous les cas, la
condition des Acadiens et Acadiennes est décrite comme étant de la plus grande
pauvreté et de mauvaise santé. De plus, partout, tant en Amérique du Nord qu'en
Europe, deuxième ou troisième destination de certains exilés, la population
exprimait le même désir : retrouver les siens et retourner dans leur pays d'origine,
c'est-à-dire en Acadie.
Griffiths (1992) explique que les colonies nord-américaines avaient beaucoup de
difficulté à contenir la population acadienne, chacun ayant tendance à errer à la
recherche de sa famille étendue. De plus, lorsque les autorités anglaises ont
demandé aux Acadiens et Acadiennes, envoyés en Grande-Bretagne par les colonies
désireuses de s'en départir, quel serait leur désir suite à la signature de la paix avec
la France, la réponse acadienne a été :«We hope We shall be Sent into Our
Countries (...) and that our Effects etc., which we have k e n dispossessed of
(notwi thstanding the fai thfu1 neutrality which We have alwriys observed) will be
restored to Us» (Report for 1905.2: 150 cité dans Grifiths 1992 : 12 1).
Ce désir, qui a survécu huit ans entre le début de la déportation et la signature du
Traité de Paris, s'explique surtout par le fait que la population acadienne avait
développé une culture partagée liée à un territoire donné. Cette culture la divisait
tant des Français que des Anglais, elle était frontalière.
The Acadians considered that they had developed a political culture which fitted the needs of the society that they had built between two empires. In the Acadian view, a view that is repeated over and over again in the petitions they presented in exile, they had done nothing, nothing at all, to deserve deportation. It is the sense of k ing a society, of possessing both a group identity and the right to live in a particular place, that allowed the Acadians to surmount the exile and later rebuild their community in the Maritimes, as welI as establish another in Louisiana (Griffiths 1992 : 124-125).
En plus de cette identité liée à un endroit particdier, i l ne faut pas oublier que les
terres d'Acadie étaient fertites et que la population acadienne y vivait beaucoup
mieux que dans les pays vers lesquels elle était déportée. C'est sur ces terres, où ils
avaient été forcés d'abandonner tous leurs biens, que les Acadiens demandaient 5
retourner.
En 1764, une année après la signature du Traité de Paris, la population acadenne
s'est vue accorder la permission de retourner en tem acadienne. Plusieurs Acadiens
et Acadiennes y sont revenus, mais les Anglais avaient acquis tous les biens
matériels (terres, bétail, outils ...) des anciens villages acaâiens. Les revenants ont
eu à s'établir en petits groupes isolés des anglophones et loin de leurs anciennes
terres. Plusieurs se sont établis à Memramcook, lieu de la première paroisse
acadienne pst-déportation. De plus, les Anglais avaient maintenant «le monopole
du pouvoir de faire voir et de faire croire, de faire connaître et de faire reconnaître,
d'imposer la définition légitime des divisions du monde social et, par là, de faire et
de défaire [es groupes» (Bourdieu 1982 : 137. Italiques dans l'original). L'Acadie
n'avait plus de frontières ni de peuple légitime. Tout comme lors de l'application du
Traité d'Utrecht, le texte du Traité de Paris a fait de l'Acadie un pays inhabité.
Commençait alors la lutte acadienne, en opposition au pouvoir anglais, pour le
pouvoir de se définir et se constituer en peuple. L'école, par le biais de son travail
Iinguistique, a été et est toujours un outil important dans la production et
reproduction de la définition légitime de ce peuple acadien.
Le fait de ne pas marquer l'existence d'une population acadienndfrancophone dans
le Traité de Paris et lors de la création de la Province of New Brunswick rendait
illégitime toute revendication officielle de la part de la population acadienne : le
système de délégués qui avait constitué la représentation acadienne avant la
déportation n'a pas été restitué et les Acadiens ont perdu leur droit de parole dans le
domaine public de la province. Les Loyalistes étaient donc libres d'établir une
structure administrative à leur image puisque, à toute fin pratique, la population
acadienne n'existait tout simplement pas. Cette structure loyaliste prendrait la
question scolaire en main à partir du 19= siècle.
S'il y a un côté positif à la 'disparition' de la population acadienne après 1755. c'est
qu'on ne pouvait pas, puisqu'elle n'existait pas, lui interdire I'enseignement du
français. De le faire aurait identifié un groupe qui n'avait pas été reconnu, de façon
officielle, auparavant. Au début du i9= siècle, les communautés acadiennes du
Nouveau-Brunswick étaient donc libres de structurer leur vie à leur façon, tant et
aussi longtemps que la structure anglophone n'était pas dérangée. L'enseignement
en français, qui avait lieu dans les maisons de particuliers, faisait partie de la vie
communautai~ de l'Acadie de cette époque. Cet enseignement se faisait en silence
et sans déranger.
À partir de 1847. la province a alloué des sommes d'argent, tant aux communautés
acadiennes qu'aux communautés anglaises, pour la construction d'écoles primaires.
II ne serait jamais question par contre, de légaliser, et par ce fait même reconnaître,
l'enseignement du français. Godin (1987 : 12) laisse entendre que le gouvernement
anglophone des années 1830, par sa tolérance de l'enseignement du français, a fait
des concessions à la population acadienne afin de garantir son soutien, ou tout au
moins sa neutralité devant une invasion possible d u sud. Il est à se demander, par
contre, pourquoi la neutralité acadienne serait espérée, alors que moins d'un siècle
auparavant la déportation avait été la réponse anglaise à cette même neutralité.
Je propose que la poIitique anglaise du Nouveau-Brunswick s'insérait plutôt dans la
vision d u Rapport de Lord Durham : En y voyant les avantages, les francophones
s'assimileraient naturellement ou ils formeraient la main-d'œuvre des anglophones.
Cette vision des choses ne présentait aucun risque à l'appareil administratif
anglophone. surtout lorsqu'on considère que le nombre d'Acadiens et d'Acadiennes
n'était ni suffisamment grand ni suffisamment concentré pour causer de graves
ennuis; i l fallait simplement laisser libre cours à la nature et au temps. Entre-temps.
la population acadienne demeurerait en marge de la société et du pouvoir.
En 1846, un premier député acadien, Armand Landry, est élu et, selon Thériault
(1993). plusieurs Acadiens commencent à s'intéresser à la politique locale. y
occupant divers postes et participant aux débats. De cette élite acadienne, Thériaul t
demande :
Est-ce bien toutefois la spécificité du <<fait acadien» dont sont conscientes les élites acadiennes de l'époque, ou bien tentent-eltes simplement de mieux s'intégrer aux rouages administratifs sans nécessairement chercher à faire valoir une quelconque aociété distincte». Si l'on en juge par l'état actuel de la recherche, la deuxième hypothèse semble plus près de la réalité, encore que la question reste à creuser davantage (TheriauIt 1993 : 58)
Si tel est le cas. l'assimilation acadienne devait sembler chose faite aux yeux des
Anglais. Toutefois, des curés québécois s'installaient en Acadie durant cette époque
et leur travail dans le domaine scolaire favorisait la formation d'une élite acadienne
mationalisten. Par contre, cette élite instruite n'était pas la seule présente en Acadie.
Andrew (1996) identifie, pour les années 1861 et 1888, cinq catégories d'élites : des
fermiers, des commerçants, des personnes instruites (prêtres, professionnels et
enseignants), des politiciens et des pêcheurs. Selon Andrew, ce ne sont que les
élites instruite et politique qui devaient leur statut à leur éducation. Pour ce qui est
des autres, c'est leur niveau de succès qui était garant de leur statut4. Ici. i l est
question des élites pour qui l'éducation était importante. La composition de cette
élite a sûrement varié d'une étape à l'autre de l'histoire acadienne. Lors de
I'industrialisation du Nouvau-Brunswick. l'éducation a probablement gagné en
intérêt pour les commerçants tant anglophones qu'acadiens par exemple. Cette élite,
également désireuse de «participer aux rouages administratifs» et économiques de
la province, institutionnalisera, par la création d'institutions parallèles à celles de la
Il cxistait dcs trnsions rntn: c ~ s &trs quc ccttc c h i - nc fcm pas rasortir. Mon cmploi du sin&cr disigma I'cnscmblc dc cc poupc.
majorité anglophone, la séparation entre Français et Anglais et leur langue
respective. il va sans dire par contre, que l'élite elle-même sera bilingue ; l'anglais
demeure encore aujourd'hui la langue des rouages administratifs et économiques de
la province.
Dans l'absence d'une préoccupation gouvernementale, c'est l'église catholique du
Québec qui sen la première institution à s'occuper de la population acadienne. Les
premiers curés à venir en Acadie seront ambulants, mais entre 1800 et 1850 des
églises, presbytères et dépendances seront érigés et de plus en plus de prêtres
s'établiront de façon permanente dans diverses paroisses. C'est bien avant cette date
que Memramcook a eu sa première chapelle:
En 1754, pour accommoder les 200 familles déjà établies, on construisit sur la rive sud de la Memrarncook [rivière qui traverse la vallée] une Chapelle sise sur une propriété située entre le virage actuel de College Bridge [alors nommé Pointe à l'Ours] et le pont Rockland. Cinq ans après la «déportation», vers 1760, un Anglais acheta - ou s'en empara - cette propriété et démolit la chapelle dont i l employa les matériaux à la construction de ses bâtiments de ferme (200 ans de vie paroissiale à Memramcook : 3).
Une fois établis en Acadie, les prêtres ont œuvré dans le domaine scolaire. Là aussi,
c'est à Memramcook que les premiers pas ont été franchis. Le Père LaFrance y a
ouvert, pour la première fois en 1854, son collège pour garçons. Le Collège Saint-
Joseph à Mernrarncook desservait les irlandais et les Acadiens, mais, faute de
financement, i l a fermé ses portes après seulement une année d'opération et
n'ouvrira ses portes à nouveau qu'en 1864. Cet intérêt pour l'éducation avait son
pendant au sein de l'appareil gouvernemental néo-brunswickois.
Une première loi scoiaire, adoptée en 1847, a établi un conseil de éducation provincial (ancêtre de l'actuel ministère de l'Éducation) et ce conseil a fondé le
premier «Normal School~ du Nouveau-Brunswick et institué un système d'examens
pour obtenir le brevet d'enseignement. L'anglais était, par contre, la Imgue de
l'examen du conseil de 1TkIucation et la seule langue d'usage au «Normal School~
Les Acadiens, devant se conformer aux exigences d'une norme Anglaise aftn de
réussir, se trouvaient donc désavantagés par cette réforme. LRs Acadiennes, de leur
côté. étaient doublement minorisées: Les hommes qui comprenaient suffisamment
l'anglais pouvaient profiter de la «Normal School~, mais les femmes, anglophones
et francophones, n'y étaient tout simplement pas admises.
Deux facteurs ont été évoqués par le conseil de l'Éducation pour justifier ce refus
d'admettre les femmes au «Normal Schoob construit à Fredericton en 1848 : il y
avait un nombre limité de places et il était inconcevable que des femmes soient
dans les mêmes classes que des hommes. Sans éliminer toutes les inégalités, cette
situation s'est rapidement améiiorée et, en 1849, une femme a été admise à la
nouvelle <<Normal School~ de Saint-Jean. Martha Lewis était néanmoins contrainte
à porter le voile en classe, à arriver dix minutes avant les autres étudiants, à partir
cinq minutes avant la fin du cours et à quitter les lieux sans parler à ses confrères.
Elle devait également s'asseoir à l'arrière de la classe.
<<Le conseil de l'Éducation en 1850 décréta que le Directeur du [Normal] School de
Saint-Jean pouvait dorénavant admettre autant de femmes que les conditions
physiques de l'école le permettaient. Et deux ans plus tard, on comptait 49 femmes
sur un total de 92 admissions». (Godin 1984 : 52) En 19 14, i l y avait 304 femmes
contre 52 hommes et ce, maigré des salaires désavantageux : jusqu'en 1965, date de
la centralisation de l'assiette fiscale à Fredericton, les femmes recevaient quelques
centaines de dollars de moins que leurs coliègues masculins en salaire annuel. De
plus. les régions francophones, étant plus pauvres, offraient des salaires très en
dessous de la moyenne provinciale. Les Acadiennes étaient donc pénalisées de par
leur ethnicité et leur sexe. Il est donc à se demander ce qui motivait, chez les
femmes, le choix d'une carrière en enseignement.
Thériault (1993 : 71) propose que «les plus bas salaires sont peut-être l'une des
raisons principales pour lesquelles, au tournant du siècle, le corps enseignant est
devenu à très forte majorité féminine au Nouveau-Brunswick». Tout comme en
Ontario (cf. Curtis 1988)- le salaire d'un enseignant du Nouveau-Brunswick n'était
pas suffisant pour faire vivre une famitle. Les hommes ont donc fait d'autres choix
de carrière ou, s'ils sont demeurés en enseignement, sont rapidement passés aux
postes administratifs. k s femmes ont donc été libres de prendre la relève. Or, ces
femmes se faisaient payer encore moins que les hommes et en région acadienne, les
salaires étaient encore moins élevés. Pourquoi les femmes ont-elles accepté de
travailler pour ces salaires dérisoires?
Deux explications s'offrent à nous : le nombre restreint d'emplois ouverts aux
jeunes femmes instruites et, chez les Catholiques, la présence de communautés
religieuses enseignantes. Cette présence de communautés enseignantes a non
seulement permis de concevoir l'idée de I'institutrice, mais également de la vocation
qui ne demande pas ou peu de rémunération. Sœur Marie Dorothée (1984 : 113)
écrit des sœurs de Notre-Dame du Sacré-Cœur qui ont ouvert une école à
Georgetown (près de Moncton), par exemple, que «la bonne volonté et le courage
devaient tenir lieu d'argent et de confort». Guilford (1994) précise que c'est
justement parce qu'elles était des femmes et qu'elles faisaient un travail de femme
que leur salaire était si minime : dans le domaine domestique, la formation des
enfants était l'apport soit disant <matureI» des femmes.
Selon Guildford (1994), l'intersection du rôle de Isi femme, reproductrice et
responsable de la formation morale des enfants, avec celui de l'école primaire.
reproductrice de l'idéologie dominante par la formation des enfants, explique le
mieux l'ouverture envers la féminisation de l'enseignement au primaire. Certaines
femmes des provinces maritimes ont elles-mêmes utilisé cet argument (p. 138).
Cette auteure note égaiement que I'enseignement était une des seules possibilités de
travail rémunéré ouvertes aux femmes : malgré le fait qu'elles travaillaient pour des
salaires moindres. on n'a jamais cm bon de permettre la féminisation de la force
policière, domaine également en expansion. Ce domaine était réservé aux hommes
(p. 123). Un regard sur le cas spécifique de Moncton, ville ferroviaire du sud-est du
Nouveau-Brunswick, semble confirmer cette explication.
Au début de l'industrialisation de Moncton. les femmes occupaient, comme ailleurs,
des emplois qui reflétaient leurs rôles traditionnels : «les femmes se retrouvent
majoritairement dans les services domestiques et personnels (53 %), et dans les
manufactures et les industries mécaniques (36 %). La totalité des travailleuses de ce
dernier secteur est dans l'industrie du vêtement. Ce sont des emplois» que les
femmes assurent déjà à I'intéxïeur du cadre domestique. Depuis longtemps, ils sont
identifiés comme des «ghettosr de main-d'œuvre féminine. Le secteur professionnel
se compose essentiellement d'un personnel enseignant, i l attire 11 % des
travailleuses» (Lafieur 1990 : 66 - 67).
L'enseignement des plus jeunes était également un domaine féminin. On pourrait
donc croire que le transfert de la main-d'œuvre féminine au secteur public de l'école
serait perçu comme normal, une vision des choses sur laquelle se sont appuyées les
participantes à ma recherche pour expliquer la grande présence des femmes à l'école
primaire. Tel étant le cas, on pourra s'attendre à ce que les enseignantes acadiennes
jouent également leur rôle de gardiennes de la langue en classe. L'analyse de
Guildford laisse pmAtre, cependant, une certaine variation, selon la religion, dans
l'attitude envers la féminisation de la profession enseignante : les catholiques ont été
plus favorables à ce changement puisque la présence des congrégations religieuses
de femmes institutrices l'avait déjà entamé. En revanche, certaines branches de
l'église protestante ont pris beaucoup plus de temps iî accepter cette féminisation
(Guildford 1994 : 125-127). Selon McKee (1995) ce sont, en fait, les religieuses qui
ont occupé un grand nombre de postes dans les écoles publiques lors de la période
des alliances entre 1'Ég1ise et l'État au Nouveau-Brunswick. À Memrarncook,
«I1école du village de Saint-Joseph fut longtemps dirigée par les Saurs de ta Charité
et les Religieuses de Notre-Dame-du-Sacré-Cœunb (200 ans de vie paroissiale à
tMemrmcook : 29).
La politique de financement des écoles, qui a ouvert la salle de classe aux femmes
et pénalisé les enseignantes en raison de leur sexe et Ieur acadianité, a également
pénalisé plusieurs enfants acadiens. Les écoles de cette époque, tant primaires que
supérieures, n'étaient pas également accessibles à tous : les parents devaient
débourser une somme d'argent pour chaque enfant envoyé à l'école et ce ne sont pas
toutes les familles, surtout en Acadie, qui en avaient les moyens. «Riches en
progéniture mais pauvres en argent, les Acadiens subissaient nécessairement les
effets d'une telle procédure. Beaucoup d'enfants ne pouvaient aller à l'école, car les
parents n'avaient pas le moyen de payer» (Savoie 1978 : 27). Cette distinction entre
ceux qui pouvaient payer et ceux qui ne le pouvaient pas continuera à exister
jusqu'à la prise en charge complète de l'éducation par lf tat entre 196û et 1970. Les
congrégations religieuses de femmes ont, par contre, toujours ouvert leurs portes à
un certain nombre d'étudiants ou d'étudiantes de familles pauvres.
Les Anglais de dénomination protestante diront que cette loi est neutre, mais les
catholiques la quaiifieront d'anti-cathotique. Les contestations acadiennes et
irlandaises devant cette loi scolaire de 1870 provoquera la multiplication des
congrégations religieuses en Acadie. La fin de ces démêlés marquera le début d'une
plus grande tolérance, chez la classe dirigeante anglophone, de l'enseignement du
français. On y vem égaiement se dessiner une plus grande conscience identitaire
acadienne marquée par la création de nouvelles cellules sociales distinctes, soit des
institutions scolaires acadiennes. Puisque c'est par l'enseignement de la langue que
les écoles acadiennes allaient participer à la définition de l'identité acadienne, ces
nouvelles cellules se devaient d'être unilingues françaises.
La construction du collège Saint-Joseph est un signe avant-coureur de la première
des trois étapes décrites par McKee ( L995); celle-ci étant marquée par Iü tolérance
de I'enseignement du français et par ia création d'un réseau p d l è l e d'institutions
francophones privées, de collèges et de couvents «gérés par des communautés
religieuses de femmes, majoritairement, sauf pour l'enseignement supérieun,. qui
était géré par des communautés masculines (p. 134). Selon Doucet (1980), la
réouverture du collège Saint-Joseph à Memramcook en 1864 et la controverse à
venir entourant la place de la minorité catholique du Nouveau-Brunswick dans la
Confédération canadienne agirent comme catalyseurs dans la renaissance d'une
conscience collective acadienne. Le collège dota l'Acadie de sa première génération
d'élites éduquées en français, tous des hommes, capables de défendre et représenter
les Acadiens. Parallèlement, l'unanimité des Acadiens vis-&vis la Confédération a
éveillé un esprit collectif. L'éducation a été un des points les pIus contentieux lors
de la création de la Confédération canadienne. Ce débat était à la base des démêlés
entourant la prochaine loi scolaire du Nouveau-Brunswick.
L'éducation sous la constitution canadienne
L'article 93 de la Confédération attribuait aux provinces la juridiction en matière d'éducation, garantissait les droits et privilèges reconnus par les lois existantes concernant les écoles confessionnel les et prévoyait un droit d'appel pour les minori tés catholiques et protestantes (Godin 1987 : 20).
irlandaises devant cette loi scolaire de 1870 provoquera la multiplication des
congrégations religieuses en Acadie. La fin de ces démêlés marquera le début d'une
plus *wde tolérance, chez la classe dirigeante anglophone, de I'enseignement du
français. On y vern également se dessiner une plus *ocande conscience identitaire
acadienne marquée par la création de nouvelles cellules sociales distinctes, soit des
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les écoles acadiennes allaient participer 5 la définition de l'identité acadienne, ces
nouvelles cellules se devaient d'être uni lingues françaises.
LA construction du collège Saint-Joseph est un signe avant-coureur de la première
des trois étapes décrites par McKee (1995); celle-ci étant marquée par la tolérance
de I'enseignement du français et par la création d'un réseau parallèle d'institutions
francophones privées, de collèges et de couvents «gérés par des communautés
religieuses de femmes. majoritairement, sauf pour l'enseignement supérieur>,, qui
était géré par des communautés masculines (p. 134). Selon Doucet (1980), la
réouverture du collège Saint-Joseph à Memramctiok en 1864 et la controverse à
venir entourant la place de la minorité catholique du Nouveau-Brunswick dans la
Confédération canadienne agirent comme catalyseurs dans la renaissance d'une
conscience collective acadienne. Le collège dota l'Acadie de sa première génération
d'élites éduquées en français, tous des hommes, capables de défendre et représenter
les Acadiens. Pdlèlement, l'unanimité des Acadiens vis-à-vis la Confédération a
éveillé un esprit collectif. L'éducation a été un des points les plus contentieux lors
de Irt création de la Confédération canadienne. Ce débat était à la base des démêlés
entourant la prochaine loi scolaire du Nouveau-Brunswick.
L'éducation sous la constitution canadienne
L'article 93 de la Confédération attribuait aux provinces la juridiction en matière d'éducation, garantissait les droits et
privilèges reconnus par les lois existantes concernant les écoles confessionnelles et prévoyait un droit d'appel pour les minorités catholiques et protestantes (Godin 1987 : 20).
Les évêques du Québec se garantissaient alors un contrôle de leurs écoles et
I'Ontario s'assurait de l'autonomie des siennes. Lors de pourparlers au Québec en
1864. l'Évêque Connolly, deuxième évêque du Nouveau-Brunswick, demanda que
l'on accorde la même protection aux écoles confessionnelles des Maritimes. On la
lui refusa puisque l'éducation catholique au Nouveau-Brunswick n'avait alors aucun
statut légal. Les Acadiens et les irlandais auraient donc à compter sur les bonnes
grâces de la majorité anglo-protestante de leur province pour maintenir leurs droits
religieux. En plus, les Acadiens auraient également à lutter pour le droit à un
enseignement en français : la hiérarchie ecclésiastique irlandaise s'y opposait.
prétextant qu'un tel enseignement ne ferait que diviser les Catholiques français et
irlandais (Savoie 1978). ii n'est donc pas surprenant que ce droit linguistique n'ait
jamais fait partie des revendications de l'Évêque Connolly.
C'est lors de deux élections provinciales que la population du Nouveau-Brunswick
a été invitée à se prononcer sur la question confédérale. En 1865, le vote catholique
est allé contre l'entente, mais en 1866, les catholiques de langue anglaise y ont
donné leur approbation et, malgré l'opposition continue des Acadiens (Godin 1987),
la province du Nouveau-Brunswick et la population acadienne sont entrées dans la
fédération canadienne en 1867.
Selon Godin (1987), plusieurs facteurs auraient pu motiver le refus des Acadiens.
Premièrement. il y aurait eu le manque de consensus de la part du clergé
catholique : les Acadiens ne pouvaient pas se fier aux évêques pour leur dire quoi
faire car l'un et l'autre ne disaient pas la même chose. De plus, les prêtres acadiens
sont allés à l'encontre des instructions de leur évêque et ont encouragé les Acadiens
secteurs de la population acadienne. L'élite acadienne a, avec le concours des écoles
acadiennes, créé un marché unifié par «l'intégration dans une <communauté
linguistique>> (dotée des instruments de coercition nécessaire pour imposer la
reconnaissance universelle de la langue dominante : école, gnmmariens, etc.), de
groupes hiérarchisés, animés par des intékts différents» (Bourdieu 1977 : 23). La
création de ce marché a permis la production du pouvoir de domination de l'élite
acadienne et la reproduction de sa langue française. sans calques ou emprunts de
l'anglais, comme seule langue acadienne légitime. De plus, seul le bilinguisme de
cette élite, équivalent à deux monolinguismes, sen légitime. Alors que la
distribution du français légitime sen un objectif de l'école acadienne, le
développement du bilinguisme légitime ne le s en pas.
Dans cette section nous avons vu que bien avant la déportation, la population
acadienne avait développé une culture partagée qui la distinguait autant des
Français que des Anglais. Alon que nous ne savons rien de la variété linguistique
qu'elle parlait à l'époque - les Anglais les appelaient les <<French Neutrals», on peut
donc conclure qu'elle parlait le français - on peut comparer leur position à celle des
bilingues d'aujourd'hui : la population acadienne occupait la frontière entre ses
deux colonisateurs. Puisque la déportation a mis en relief l'origine française de la
population acadienne. il est possible qu'elle ait égaiement provoqué une
francisation de l'identité acadienne. Or, le lien avec la France n'a pas été
suffisamment fort pour convaincre les Acadiens et Acadiennes de demeurer dans ce
pays suite à la signature du Traité d'Utrecht. Malgré le lien linguistique, la
population de l'Acadie n'était pas devenue <<française», elle est demeurée
acadienne. La langue et la religion catholique ont été. avec la dichotomie
français/anglais instaurée sur le marché linguistique acadien unifié, un élément
important de cette acadianité. Dans la prochaine section. on verra que langue et
religion ont été sources de tensions scolaires.
Les années 1870 ont vu une multiplication des confrontations dans le domaine de
l'éducation : entre letat et l'Église d'une part. entre catholiques francophones et
catholiques anglophones d'autre part. Ces confrontations ont stimulé la création
d'institutions d'enseignement catholiques privées et ont placé la question
linguistique au centre du débat scolaire catholique.
En 1871, le gouvernement du Nouveau-Brunswick adoptait le Common Schools
Act. L'école 'neutre', non-confessionnelle est devenue la seule école soutenue par le - gouvernement. déclenchant par le fait même une lutte pour le contrôle des écoles.
Cette lutte entre le gouvernement et 1âglise catholique n'était pas uniquement une
lutte scolaire, mais surtout une lutte pour le contrôle idéologique des sujets de la
province.
Le gouvernement était sous le contrôle des Anglo-protestants et sous l'influence des
loges orangistes de la province. ~ g ~ l i s e était, bien entendu, sous le contrôle des
évêques catholiques et, plus spécifiquement, irlandais. Le gouvernement de
l'époque voulait promouvoir une vision unitaire - un peuple, un drapeau, une
langue, une religion - dans la province. Aux yeux du gouvernement, le peuple
devait être Anglo-protestant. La sco1;uisation cmeutren était une façon d'endoctriner
la population à cette idéologie. Puisque tous recevraient la même éducation et
utiliseraient les mêmes textes scolaires, une vision commune du monde, et de leur
place dans ce monde, serait développée chez chacun et chacune. Pour les Acadiens,
cette vision serait traduite en français, mais uniquement pour les premières années
scolaires, le temps qu'ils apprennent l'anglais. Tous apprendnient dans leurs livres
d'histoire, par exemple, qu'ils sont des sujets anglais. Les jeunes Acadiens et
Acadiennes verraient ainsi leur langue et leur religion mises à l'écart de la définition
légitime du bon citoyen. En fait, l'histoire acadienne ne figurera au programme qu'à
partir des années 1960. En plus, les enseignants et les enseignantes acadiens
recevaient un traitement similaire à celui de leurs élèves.
La nouvelle loi exigeait que tout membre du personnel enseignant de la province
détienne le brevet d'enseignement, disponible seulement après avoir réussi I'exmen
prévu à cet effet. Or, cet examen ne pouvait toujours être écrit qu'en anglais. Ceci a
eu pour effet de former, pour les écoles acadiennes, une population enseignante
sousqualifiée ; elle n'étudiait pas le français à la «Nomal Schmln et elle ne
dépassait que rarement le brevet de troisième classe (cf. Taillon 1957). Mal-& le
discours d'égalité du gouvernement, les élèves et les enseignantes francophones ne
trouvaient donc pas leur compte dans le système scolaire <cneutre».
Le discours du gouvernement était celui de l'égalité : égaIité d'accès à une éducation
qui donne un traitement égal à tous. Selon ce discours, enseigner à partir de
différents programmes ou manuels ne ferait qu'accentuer les différences sociales
plutôt que de créer une société égalitaire. Puisque l'école publique serait athée,
sinon anti-catholique, les évêques catholiques du Nouveau-Brunswick n'y voyaient
aucune égalité. Ces écoles répondraient aux besoins des protestants. mais non aux
besoins des catholiques pour qui la foi devait faire partie intégrante de l'éducation.
Aux yeux du clergé, le Common Schools Act était discriminatoire.
L'église a réagi au Common Schools Act en interdisant l'école publique B ses fidèles
et en construisant des institutions d'enseignement catholiques. Puisque les parents
devaient payer les fais d'inscription i ces institutions, elles étaient accessibles avant
tout aux membres de l'élite acadienne. C'est alors qu'entre 1872 et 1874, six
couvents ont ouvert leurs portes afin d'accueillir la jeunesse acadienne. Comme il a
été mentionné précédemment, ce sont surtout des congrégations religieuses de
femmes du Québec qui s'occuperont de ces couvents et collèges, sauf pour ce qui
est de t'éducation supérieure où l'on retrouvait les congrégations d'hommes (cf.
~McKee 1995). C'est ce que McKee nomme la constniction d'un réseau d'institutions
parallèles, et Raymond Breton (1964) la complétude institutionnelle.
Parmi les congrégations religieuses de femmes venues en Acadie pour fonder un
couvent, seule la congrégation des Sisters of Charity, originaire de New York et
anglophone, est venue de l'extérieur du Québec. Le Père Lefebvre, chargé du
Collège Saint-Joseph et ~~urnommé l'apôtre de l'Acadie» (200 ans de vie paroissiale
à Memnmcook). avait demandé à 12vêque Mgr. Sweeny de lui envoyer des Sœurs
de Sainte-Croix, originaires du ~ u é b e c ~ , mais Mgr. Sweeny a préféré faire appel
aux Sisters of Charity. Ces dernières se sont établies au couvent de Notre-Dame du
Sacré-Caeur à Memmmcook en 1873. En 1924, la section acadienne de cette
congrégation se scindera de la maison-mère. La nouvelle congrégation ainsi formée
prendra le nom des Religieuses de Notre-Dame du Sacré-Cœur et, suite à la
division des biens des Sisters of Charity, ces religieuses assumeront le contrôle du
Couvent de Mernramcook.
C'est en 1915 que les sœurs acadiennes ont envoyé une première demande de
séparation à Rome, mais il existe une cenaine ambiguïté quant au type de
séparation demandée : un noviciat, une province ou une nouvelle congrégation
francophone? (Marie-Dorothée 1984 : 79-81). Les sœurs se sont vues refuser cette
permission. Or, «la coexistence pacifique entre religieuses irlandaises et leurs
consœurs acadiennes dans les mêmes couvents était, on s'en doute, sinon difficile,
d u moins quelque peu ardue. En certains milieux nationalistes acadiens, on songea
assez tôt à créer un noviciat uniquement pour les candidates acadiennes. Le noviciat
de Saint-Jean n'était pas exactement un foyer de culture française» (Pichette 1990 :
90-9 1). De plus, à partir de 1922, il y avait à Carnpbellton une communauté de
religieuses enseignantes acadiennes. Les sœurs de la Charité acadiennes faisaient
donc face à la possibilité de voir le nombre de leurs recrues francophones diminuer
en faveur de Campbel t ton.
Dans une deuxième supplique que les Sœurs de la Charité ont fait parvenir au Pape
en 1922, on peut lire :
Tout d'abord, nos jeunes filles acadiennes ne peuvent se faire à l'idée qu'en entrant dans une communauté de langue anglaise. elles devront un peu mourir à leur mentalité. Alors, comme nous sommes la seule communauté enseignante dans Ie diocèse [Saint- Jean], les vocations se font rares et nous pouvons prévoir avec un serrement de cœur le jour où nous allons disparaître (Pichette 1990).
Ici on assiste à une action nationaliste visant la production d'un espace acadien, un
désir qu'il est difficile de réaliser sans l'approbation d'autrui. Cette réaiité était
d'autant plus incontournable que ce sont des femmes qui formulaient une demande
de plus grand pouvoir sur leur communauté : elles devaient obtenir l'approbation du
Pape. mais également le soutien du clergé francophone de la province.
Il y a un moyen de contourner la difficulté [causée par la lenteur de la bureaucratie romaine] : c'est d'avoir un procureur sur les lieux qui va lui-même présenter les demandes au bureau et voit à ce qu'on s'en occupe tout de suite. (...) La chose est plus difficile pour les communautés de femmes ; en 1924, c'était même impossible. Seulement te procureur d'une communauté d'hommes peut s'acquitter de cette fonction de surcroît (Marie-Dorothée 1984).
En 1923, les sœurs acadiennes ont donc fait appel aux pères de Sainte-Croix pour
parler en leur nom. C'est en 1924 que le Pape a finalement donné son consentement
à la requête des Acadiennes : les sections acadienne et irlandaise des Sisters of
Chari ty se sont partagé les avoirs de leur congrégation et le couvent de Saint-Joseph
est devenu la maison mère de la nouvelle congrégation religieuse de Notre-Dame
du Sacré-Cœur.
De 1924 à 1941, la nouvelle congrégation de Notre-Dame du Sacré Cœur a élargi
son œuvre en ouvrant cinq postes d'apostolat (à Grand-Sault, à Sackville. en
Louisiane et deux à Moncton) et cinq missions (à Drurnrnond. à Lewisville, à Cap
Pelé, à Dieppe et à Pointe-Sapin). Étant une communauté enseignante, les sœurs ont
soit ouvert des écoles catholiques dans ces localités ou, pour ce qui est de quatre de
leurs missions, enseigné dans les école paroissiales subventionnées par le
gouvernement. Pour ce travail , elles ne recevaient que peu de salaire.
En 1942. un nouveau conseil, formé de religieuses et de la mère supérieure, a été
élu pour mener les affaires de la congrégation. Ce nouveau conseil ne comptait
parmi ses membres qu'une seule sœur qui faisait partie de l'ancien conseil. Ce
renouveau apporta une nouvelle vision d'avenir, soit la construction d'un collège
classique pour filles (cf. Marie-Dorothée 1984). En 1945. la congrégation de Notre-
Darne du Sacré-Cœur a donc été la première à ouvrir un collège classique pour
jeunes femmes. Saint-Joseph, situé le long de la rivière Mernramcook. et College
Bridge, situé sur la rive opposée, ont voulu attirer le collège chez eux, mais, avant
qu'une décision finale ne soit prise. Dieppe s'est également offerte. Finalement,
Moncton s'est mise de la partie en proposant un ternin vacant. déjà propriété du
diocèse, pour la construction du collège. Le Collège Notre-Dame d'Acadie a ouvert
ses portes à Moncton en 1945.
Les actions de ces femmes démontrent bien la possibilité de devenir des agents de
changement social. même à l'intérieur d'un système qui n'est pas de leur
fabrication. Le gouvernement offrait à la population du Nouveau-Brunswick une
éducation qu'elle qualifiait de neutre. Or, puisqu'elle avait pour but l'assimilation
religieuse et linguistique, cette éducation était coercitive. L'église a décidé que ses
fidèles ne participeraient pas h un tel système et a créé des institutions séparées. Ce
sont des femmes qui ont œuvré dans ces institutions. créations des congrégations
masculines. Même lorsqu'il a été question de se scinder de la section irlandaise de
leur congrégation, les religieuses de Notre-Dame n'ont pu le faire sans les hommes.
Ce sont ces mêmes femmes qui ont posé les actions nécessaires pour donner une
éducation française, malgré les pressions de la hiérarchie ecclésiastique irlandaise,
aux filles acadiennes. Comme nous le verrons, les religieuses de Notre-Dame ont
créé un espace qui a permis la valorisation et la construction d'une nouvelle identité
acadienne distincte.
Avec la laïcisation des institutions scolaires catholiques, les religieuses de Notre-
Darne vont préférer la fermeture du collège Notre-Dame de l'Acadie à son annexion
à la nouveiie Université de Moncton. Cette laïcisation a été devancée par
I'industrialisation et la création, par l'élite acadienne, d'un Moncton, centre culturel
et économique de l'Acadie. Le déplacement des institutions acadiennes vers
Moncton a été d'une grande importance dans la réalisation de ce projet. Ces
institutions économiques et scolaires demeurent des cellules sociales dans
lesquelles la dichotomie françaidanglais est soutenue. Elles sont les outils
nécessaires à la reproduction du marché unifié acadien.
L'ouverture de Notre-Dame d'Acadie marque la première étape dans Ie déplacement
des institutions d'études supérieures de Memrarncook vers Moncton. Ce
déplacement s'est fait dans !e cadre de l'industrialisation des provinces maritimes et
de Moncton plus particulièrement. Ce mouvement entraîna celui des francophones
vers la ville, créant ainsi la base sur laquelle une nouvelle bourgeoisie acadienne a
fondé l'idée d'un Moncton, centre religieux, culturel et économique de l'Acadie
(LeBlanc 1990). C'est dans le cadre des grandes conventions nationales que cette
élite masculine et ses confrères religieux ont élaboré leur définition de l'idéologie
nationalitaire acadienne.
En 1880, une Commission des Acadiens, formée d'une centaine d'hommes,
acceptait une invitation de la Société Saint-Jean-Baptiste et s'est rendue à Québec
pour une réunion des francophones de l'Amérique. Selon Thériault (1993), les
leaders acadiens ont décidé de convoquer la première convention nationale des
Acadiens lors de cette rencontre. Cette dernière eut lieu à Memramcook en 188 1. «
Le Moniteur acadien, commentant les fêtes de la convention [notait] : Ia cloche de
Grand-Pré sonna la dispersion ... Les cloches de Mernramcook sonnent le
ralliement» (200 ans de vie paroissiale à Memrarncook : 8). Lors de cette première
convention :
L'akgiculture, la colonisation, les problèmes de l'émigration, l'éducation, le journalisme, le rôle de l'église sont les principaux thèmes débattus. On y décide des orientations à prendre, on forme des comités permanents, dont la Société nationale L'Assomption, sorte de mini-gouvernement des Acadiens des Maritimes» et prédécesseur de l'actuelle Société Nationale de l'Acadie (Théririult 1993 : 67).
ies conventions nationales ont également été l'occasion pour l'élite acadienne de se
donner des symboles nationaux tels un drapeau, un hymne national et une patronne.
Ces hommes redéfinissaient l'acadianité sans la participation du peuple. Nécessaire
à la séparation sociale de la communauté acadienne de celles anglaises et
irlandaises, le mono1 inguisme était une partie intégrante de cette définition.
La dernière convention nationale eut lieu en 1908 et, «à partir de 19 14, on dirait que
le nationalisme acadien s'essouffle» (Thériault 1987: 20). il est possible que cela
s'explique par l'état actuel du monde et du questionnement pancanadien: c'est le
début de la période des guerres mondiales et de la Grande dépression. Au Canada,
les guerres ont donné lieu à des débats entourant la conscription, question qui
occupa autant la population acadienne que la population canadienne. Comme on le
vem plus loin, le bouleversement de cette période provoqua un questionnement
idéologique dans le domaine de l'éducation qui entraîna une plus grande ouverture
envers l'enseignement en français et tout était en place en Acadie pour en tirer le
plus *oy;~nd avantage. Durant les années des p d e s conventions, c'est surtout au
niveau de l'enseignement francophone et catholique qu'il y a eu des changements.
On y voit également un changement dans l'idéologie nationaie voulant qu'on
s'éloigne de la vision ecclésiastique de L'Acadie des temes et des mers. LI populaiton
acadienne devenant moins isolée de la majorité anglophone, la langue devient,
comme dans le cas des religieuses de Notre-Dame, un marqueur encore plus -0fillld
de i'acadianité. Elle permet de maintenir la séparation si nécessaire à la formation
d'une culture partagée.
Malheureusement, cette séparation mène à la valorisation d'un français pur et à la
dévalorisation de toute divergence de cette norme. Il y a reproduction de l'idéologie
unitaire <<une langue, une culture, un peuple» de l'école neutre des orangistes et de
l'école catholique des évêques irlandais. Dans les institutions acadiennes, le
français standard est symbole de cette unité et critère de sélection sociale.
UNE DNISION LNGUÏISTIOUE
En parallèle à la lutte entre le gouvernement du Nouveau-Brunswick et l'église
catholique se situait une deuxième lutte : la lutte du clergé francophone pour un
enseignement en langue française. Les évêques irlandais du Nouveau-Bmnswic k
avaient une vision d'une église catholique unie, c'est-à-dire dont la langue
d'enseignement et d'évangélisation serait l'anglais. Ces évêques ne voyaient donc
aucun obstacle à affecter un curé anglophone à une paroisse acadienne. De plus,
puisque tout bon catholique serait anglophone, les sièges épiscopaux de Saint-Jean
et de Chatham ne voyaient aucune difficulté à ce qu'un collège ou un couvent
desserve à la fois des Acadiens et des Irlandais. Tout comme l'État protestant, la
hiérarchie catholique tolérait l'enseignement du français dans ses institutions, mais
le but ultime était l'assimilation et la normalisation de la population acadienne.
Le fait que le collège Saint-Joseph puisse donner un enseignement en français à ses
élèves acadiens, tout en offrant à ses élèves irlandais un enseignement en anglais,
n'est donc qu'une concession de la part des évêques envers le clergé francophone.
Tel était également le cas pour le couvent de Notre-Dame du Sacré-Cœur et d'autres
collèges et couvents de la province. Cette concession, d'un coliège bilingue plutôt
qu'unilingue anglais, n'a été consentie que suite aux pressions du père kfmnce,
supérieur de la conb&gation des Pères Sainte-Croix à Memramcook. L'église
catholique n'avait d'autre choix que de se plier quelque peu : dans sa lutte contre le
gouvernement, I'église ne pouvait, étant déjà minoritaire dans la province, s'aliéner
une part de ses fidèles.
Les Pères et les Sœurs francophones étaient néanmoins limités dans leurs actions :
un Père Eudiste qu'on disait trop nationaliste a perdu son poste à la direction du
collège de Chatham, alors qu'aucune religieuse acadienne n'a pu accéder à un poste
de responsabilité au sein de la ~on~gégation des Sœurs de la Charité. Les Acadiens
vivaient donc une situation de double minorité et les Acadiennes de triple minorité :
elles étaient non seutement acadiennes et catholiques, mais également des femmes.
La thèse de McKee (1995) démontre bien la position d'assujettissement des
religieuses à l'autorité ecclésiastique masculine, qu'elle soit acadienne ou irlandaise,
et ce. même lorsqu'elles étaient responsables de plusieurs couvents et d'un coiIège
classique pour filles. De plus, «ce paternalisme se durcira lorsqu'il sen question de
bâtir un autre espace structurel et cuIture1 acadien, l'Université de Moncton*
(McKee 1995 : 284). Tel qu'il a déjà été suggéré par contre, ces religieuses ont
réussi à jouer un rôle d'agent de changement.
Les congrégations religieuses de femmes ont constitué une force majeure dans la
qoduction institutionnelle ðicité» (Mckee 1995 : 4). Ces congrégations, par
le biais de leurs couvents et collèges classiques pour femmes, ont formé la majorité
des enseignantes de la première moitié du vingtième siècle (cf. Savoie 1978 ;
McKee 1995). Ces enseignantes auraient-elles appns, par l'exemple de leurs
professeures, à lutter pour la survie de la communauté acadienne? Ontelles appns à
reproduire ou à produire une identité acadienne? Si oui, laquelle? Certains
documents andysés par McKee soutiennent cette thèse :
La formation générale offerte au CoIIfge Notre-Dame d'Acadie révèle un programme classique conforme aux normes de l'époque, formellement plus canadien-français qu'acadien et semblable au programme masculin en vigueur (...). Sous cet angle, la production de I'ethnicité correspond à la préparation de professionnelles, d'enseignantes en particulier ( ) L'analyse des activités parascolaires permet de dégager une autre dimension de la production identitaire, grâce à laquelle la spécificité «acadienne» sera davantage articulée (1995: 284-285).
Les acti vit& auxquelles McKee fait référence sont les activités culturelles, les
débats, les concours oratoires et le journal étudiant. McKee indique que c'est au
début des années 1960 que le contenu des concours et celui du journal des
étudiantes de Notre-Dame deviennent plus nationaliste. En ce qui a trait aux
activités culturelles, McKee conclut, sans spécifier la nature exacte de l'acadiani té
véhiculée, que «le théâtre fut (...) un lieu important de formation car on y valorise
pour la première fois une nouvelle forme d'acadianité, celle composée par sa jeune
auteure Antonine Maillet» (p. 286).
Nous savons qu' Antonine Maillet est I'auteure de «La Sagouine», monologue d'une
Acadienne, femme de ménage. Cette pièce de théâtre est bien connue pour son
utilisation de la langue acadienne : la Sagouine ne répand pas sa sagesse par la voie
du français standard, mais bien de la langue acadienne. Une étude de l'ensemble de
l'œuvre d'Antonine Maillet serait nécessaire pour savoir si ce lien entre la langue
acadienne et la femme de ménage et/ou la pauvreté - plutôt que l'enseignante par
exemple - est une constante dans l'image qu'elle a donnée de la femme acadienne.
Alors qu'on a tendance à montrer l'utilisation que fait Maillet de la langue
acadienne sous un angle positif - elle a été la première à utiliser cette langue dans
une ceuvre littéraire et à Ia placer sur scène, donnant ainsi au français acadien une
légitimité qu'il n'avait pas antérieurement - l'image qu'elle projette peut devenir
négative. Une langue qu'on associe constamment à la pauvreté n'est pas une langue
convoitée. Si le français acadien est uniquement la langue des pauvres dans I'œuvre
d'Antonine Maillet, l'auteur participe à la production et à la reproduction du désir
de correction de la langue acadienne plutôt qu'à sa valorisation.
McKee est plus précise quant à l'image de la féminité reproduite dans le journal
étudiant et dans les discours d'adieu des finissantes du collège : (<pendant plusieurs
années une conception de la féminité cconciliatrice» [qui fait le don de soi et est
mère de famille] avec celle du milieu aura prévalu, accompagnée d'une
revendication à l'accès aux études supérieures» (McKee 1995 : 303). Les
enseignantes qui ont participé à ma recherche continuent à faire ce don de soi et à
reproduire la conception dominante de la féminité et de l'acadianité.
Alors que les revendications de l'élite acadienne pour la francisation et le
confessionnaiisme des écoles publiques étaient moins fortes et les progrès plus lents
au tournant du vingtième siècle, certains gains sont à noter. En 1875, le
aouvernement provincial a finalement fait des concessions au niveau de la loi des s
écoles neutres, mais seulement suite à une émeute et la mort de deux hommes dans
le nord-est de la province :
L'école publique subsiste seule. Les instituteurs et les institutrices astreints à un cours d'école normale, doivent obtenir le brevet de capacité. Prêtres et religieuses peuvent obtenir ce brevet comme les laïcs, mais sans stage à l'école normale en passant l'examen dans leur couvent. t e s élèves catholiques reçoivent la même instruction non-confessionnelle que les élèves protestants. Les livres scolaires en andais seulement, mais certains livres de lecture, à l'usage des écoliers acadiens peuvent porter la traduction en regard du texte anglais. Les passages anticatholiques de certains manuels pourront être voilés. L'anglais est la seule langue d'enseignement; le français, omis au programme est toléré comme langue de communication. Les contribuables dans chaque district, choisissent les commissaires ou syndics, qui engagent les instituteurs diplômés de leur choix et font enseigner le catéchisme à leur gré. en dehors des heures de classe réglementaire. Les religieuses peuvent porter leur costume à l'école (Rumilly 1875 dans Godin 1987 : 66).
Ce compromis a satisfait les évêques du Nouveau-Brunswick et ces derniers ont
demandé aux laïcs de s'y plier. Pour les francophones par contre. ce compromis ne
changeait en rien leur situation linguistique : l'école publique demeurera un lieu
d'anglicisation, les Acadiens y recevaient une éducation coercitive. Le Common
Schools Act n'encourageait pas l'enseignement du français et les écoles publiques
étaient tenues d'utiliser les livres approuvés par le département de l'Éducation. Or,
aucun livre français ne figurait sur la liste de manuels autorisés en 1872. On y lit par
contre. que «les livres de lecture élémentaire française sont à l'étude» (Savoie 1978:
57). En 1875, les Premiers et Seconds livres de lecture ont fait leur apparition dms
les écoles publiques de la province. En 1876, c'était le tour du Troisième, en 1877
au tour du Syllabaire et en 1880 du Quatrième livre de lecture. Tous ces livres
étaient bilingues; c'est-à-dire qubn pouvait lire le texte original anglais sur une
page et la traduction française sur l'autre. En 1888, il y avait également quatre autres
manuels, ceux-ci uniquement en français, sur la liste du Département de
l'éducation. De plus. adans certaines écoles, le Moniteur Acadien servait de livre de
lecture» (Savoie 1978 : m). Ce journal reflétait I'idéologe de I'élite masculine de
I'Acadie, les femmes n'ayant pas le droit d'y être publiées.
Tout compte fait, les leaders laïcs et religieux de L'Acadie ont, à quelques
exceptions près, placé la question scolaire à l'arrière-plan de leurs préoccupations
«nationales». Ce n'est que lors du mouvement vers la démocratisation de l'éducation
des années 1920 et 1930 que le tison sera ravivé et que la lutte scolaire reprendra de
plus belle. Les femmes seraient alors à la ligne de front de ce projet de changement
social. Entre-temps, l'attention de Mite acadienne s'est tournée, dès le début des
années 1880, vers I'acadianisation des structures ecclésiastiques et l'intégration des
Acadiens dans les secteurs du commerce et de l'industrie.
Il est possible que ce changement de priorité s'explique par le désir d'appartenance
de l'élite acadienne à la classe moyenne du Nouveau-Brunswick. À l'intérieur de la
hiérarchie religieuse, les Acadiens continuaient à n'occuper que les postes de diacre
et de curé, aucun ne réussissait à se faire nommer coadjuteur et encore moins
évêque. Or, la majorité des institutions idéologiques de l'époque étaient sous le
contrôle ou l'influence des religieux (églises, écoles, familles, hôpitaux et, en
Acadie, la presse écrite française). Puisque les curés, et éventuellement les évêques,
seraient des leurs, I'acadianisation de l'église assurerait à l'élite Mque un lien direct
au pouvoir ecclésiastique. il n'est donc pas surprenant que le Catholicisme était, au
départ, à la base de l'acadianité définie par l'élite acadienne lors des conventions
nationales et inscrit dans leurs symboles nationaux : l'étoile de Marie dans le
drapeau; LTAve Marie Stella, hymne national; et Marie, patronne des Acadiens.
Au même moment où les catholiques se disputaient le contrôle de leurs institutions,
un mouvement d'urbanisation se faisait sentir au Nouveau-Brunswick. La ville de
Moncton connaissait alors une période d'industrialisation grandissante et l'élite
laïque acadienne désirait de plus en plus y participer au même titre que ses
homologues anglophones. Au début, l'élite religieuse s'y opposait, disant qu'il serait
mieux de garder la population acadienne isolée dans sa campagne, loin des péchés
de la ville (et de la langue anglaise). Or, les Acadiens et les Acadiennes se
déplaçaient de leur propre chef vers la ville et, à partir de 1900, l'élite acadienne a
de nouveau uni ses efforts pour lancer une nouvelle stratégie nationaliste : faire de
Moncton un chef-lieu de pouvoir et d'influence de la collectivité acadienne.
En ville, les fmcophones cohabitaient avec les anglophones, cette nouvelle
stratégie devait donner lieu à la création de réseaux acadiens qui permettraient à
l'élite acadienne de continuer à jouir d'un certain pouvoir sur la population
acadienne- La purification de la langue par le biais des écoles a fait partie de cette
stratégie. L'école devenait donc gardienne de la langue peu de temps après le début
de la féminisation de la profession enseignante.
Malgré l'intérêt marqué de l'élite pour les choses religieuses et économiques, cette
classe dirigeante, tout comme les autres membres de leur classe sociale, ne s'est pas
complètement désintéressée de la question scolaire. Le système scolaire du
Nouveau-Brunswick de la fin du XIXc et du début du XX' siècle a, en effet, connu
quelques changements favorables à l'éducation de langue française. U y eut, suite
aux difficultés à trouver du personne1 qualifié pour les écoles des régions
francophones de la province, La création du département français au «Normal
School>, de Fredericton en 1884. Ce département avait pour mandat de préparer Ies
Acadiens et les Acadiennes à l'examen - écrit en anglais - du brevet de troisième
classe et à l'entrée au cours régulier (anglais) pour les brevets de deuxième et
troisième classe. L'année 1907 a marqué la fin des manuels bilingues au niveau
élémentaire, les manuels du niveau avancé étaient toujours en anglais. En 1914,
Une Histoire du Canada, écrite par le Père Philias Bourgeois, est introduite dans les
écoles acadiennes. Finalement, en 1922 un premier programme de français a été
élaboré pour les écoles à plusieurs niveaux :
Jusqu'à cette date tardive, le programme officiel n'imposait l'enseignement du français que dans les rares classes à un seul grade. Il n'était pas requis de l'enseigner dans les classes à plusieurs grades ou gnded schools. Pour comble de malheur, i l arrivait souvent que les titulaires de classes à plusieurs grades refusaient d'enseigner le français sous prétexte qu'ils n'y étaient pas tenus. Ces titulaires étaient peut-être moins coupables qu'on pourrait penser. Ils avaient si peu de textes français à leur disposition, encore moins de directives explicites (Taillon 1957 : 37).
11 faut également considérer la part du marché qu'occupait la francophonie néo-
brunswickoise. Sur le marché dominant, seule la langue anglaise donnait accès aux
ressources politiques et économiques qui y circulaient. Pour se tailler une place,
l'élite acadienne a dû créer un marché parallèle dans lequel circulaient les
ressources politiques et économiques francophones - de 15 des campagnes qui
encourageaient les Acadiens à n'acheter que chez des compagnies françaises. En
1922, ce marché acadien était encore fort restreint par contre et le bilinguisme
n'avait pas la valeur qu'on lui confêre aujourd'hui. L'anglais demeurait la langue
du patronat tant des poissonneries du nord de la province que des fabriques et du
chemin de fer du sud. Le français était la langue d'une partie de la main-d'œuvre.
De plus, l'anglais était toujours la langue du «Normal School>> et des examens de
certification à l'enseignement. Sous ces conditions, les enseignantes jugeaient peut-
être que leurs élèves avaient besoin de maîtriser l'anglais pour réussir dans la vie.
Leurs actions étaient-elles si différentes de celles des mères chiacs, dont il sera
question au prochain chapitre, qui enseignent le français standard à leurs enfants
dans l'espoir de leur donner accès au bilinguisme tellement convoité dans certains
milieux de travail ? Étaient-elles si différentes des enseignantes qui s'assurent de la
maîtrise des connaissances à l'examen ou qui conigent tout ce qui n'est pas français
standard, sous prétexte que cette variété linguistique est nécessaire aux études
universitaires et à la communication de par le monde francophone ?
En croyant que ce n'était que le manque de matériel et de directives qui détermine
les actions des enseignantes, Taillon nie la relation qui existe entre l'école et la
sociéti. De plus, i l nie la possibilité de l'action sociale de l'enseignante. En réalité,
les titulaires qui enseignaient en français et qui utilisaient Le Moniteur Acadien , un
quotidien de langue française, transgressaient les directives du département de
dé éducation : Le Moniteur Acadien n'a jamais été inscrit sur la liste des manuels et
livres approuvés par le département. Ces titulaires ne font pas l'objet d'une critique
de la part de Taillon puisqu'elles partageaient déjà la culture que les élites désiraient
répandre par le biais de I'école. L'action sociale qu'était l'utilisation du Moniteur
soutenait celle de Taillon et celle de ses confrères religieux et laïcs.
Alors qu'aujourd'hui les enseignantes utilisent un matériel de base et ont des
directives explici tes quant à quoi et comment enseigner, elles véhiculent elles-
mêmes l'importance de la langue. De plus, cornme la société acadienne qui les
entoure, elles éprouvent le besoin de remédier à leurs déficiences» linguistiques.
Ce besoin a été articulé pour la première fois dès le début des années 1900 : qwur
aider la majorité des instituteurs acadiens à remédier dans la mesure du possible aux
déficiences les plus flagrantes de leur formation française, il s'imposait de leur offrir
des cours répondant à ce besoin. D'où ceux de 1TJniversité Saint-Joseph, inaugurés
en 1938 (Taillon 1957 : 1 19). Cette population enseignante était, en grande partie,
composée de femmes (cf. Taillon 1957). Rappelons que la féminisation de la
profession enseignante a débuté en 1850, date à laquelle il fut convenu que les
femmes pourraient suivre les cours du diormal Schmb. C'est chez les catholiques
que cette féminisation s'est fait sentir le plus rapidement. En 1938, elle était déjà
bien installée dans les écoles acadiennes.
Or, ce n'est pas parce que les catholiques avaient une plus grande facilité à accepter
les femmes en enseignement, qu'ils croyaient qu'elles avaient, d'emblée, les
habiletés pour le faire. Dès son amvée en 1880, le premier inspecteur d'écoles
francophone, Valentin Landry. a commencé à organiser les instituteurs et
institutrices de parier de pédagogie et de leurs conditions de travail (cf.
Thériault 1993 : 70). Une cinquantaine d'années plus tard, le besoin d'améliorer le
rendement de ces femmes, ou de contrôler leur travail, continuait à se faire sentir
chez l'élite masculine. À partir de 1936, les Pères eudistes leur offriront des cours
d'été à Bathurst et les Pères Sainte-Croix feront de même à Saint-Joseph en 1938.
Ces cours devaient permettre à cette population enseignante de plus en pIus
féminine de parfaire ses connaissances de la langue et de la pédagogie. Avec cette
féminisation grandissante de la profession enseignante, c'est par leur travail auprès
du gouvernement et leur plus grand contrôle de la formation des maîtres que les
hommes ont continué à maintenir leur pouvoir sur la pr~~orammation scolaire. Cette
programmation visait la production d'un marché linguistique unifié par la
reconnaissance générale de la légitimité de la langue et, par là, du pouvoir de l'élite.
Par le biais de la création d'une dichotomie français/anglais, qui ne laisse pas de
place aux variétés linguistiques acadiennes non standard, la période des institutions
parallèles a permis la légitimation du pouvoir hégémonique de l'élite masculine
instruite. L'idéologie du monolinguisme francophone est à la base de ce pouvoir ct
I'instruction a donné à cette élite un plus grand accès au fmçais standard. Or, cette
élite aura également besoin d'avoir accès au bilinguisme. Dans ses négociations
avec l'État pour des écoles publiques de langue française, elle devra transiger.
comme les Acadiens du dix-huitième siècle devant les colonisateurs britanniques,
en anglais.
Alors que la période des alliances décrite par McKee (1995) couvre les deux
décennies de 1940 et 1950, les conditions nécessaires à la création de ces alliances
ont commencé à apparaître avec la fin de la Deuxième guerre mondiale et l'entrée
du Nouveau-Brunswick dans l'ère industrielle. J'inclus donc ces événements avant-
coureurs dans ma discussion des alliances entre l'Église et l'État.
Une montée de l'intérêt pour la langue d'enseignement dans les écoles acadiennes
marque cette période de l'histoire de l'Acadie. il est fort probable que cette
résurgence trouve son explication dans la conjoncture créée par la présence d'une
élite masculine et acadienne, q a s nécessairement [formée] de savants et de lettrés,
mais ... d'hommes de bien, aptes au travail social» (Théo Godin, cité dans Savoie
1980 : 30). active à la même époque où deux guerres mondiaies et une récession
provoquaient une remise en question idéologique chez la majorité britannique.
Les deux guerres mondiales ont entraîné une plus grande industrialisation et une
plus ,onnde immibmtion non britannique au Canada. L'industrialisation enuaîna le
besoin d'une main-d'muvre plus spécialisée, une augmentation de l'immigration, une
diminution de la force démographique des Britanniques et, conséquemment, une
plus =-de ouverture vis-à-vis la culture et la langue de l'autre (Manzer 1994).
Cette ouverture a l'autre était évidente dans le mouvement dit progressiste,
mouvement qui voulait la démocratisation du système scolaire par une éducation
centrée sur l'enfant.
In order to meet properly the educational needs of each person in schcol, public education in a multidenominational and officiall y
bi lingual political community ought to incorporate the religious and linguistic communities that constitute the cultural foundation of individual educational development. For Canadian educational policy-maken, undertaking official commitments to the principles and policies of person-regarding education involved reopening fundamental questions about the language of instruction and the place of religion in public education (Manzer 1994 : 165).
Au Nouveau-Brunswick, les Britanniques ayant maintenu leur majorité, et les loges
orangistes leur pouvoir, l'ouverture a été plus lente à se concrétiser. hrsqu'en 1928
le bureau de l'Éducation adopta un règlement légalisant l'enseignement du franpis
au Nouveau-Brunswick, les loges orangistes ont réussi à le faire renverser. Les
pressions des Acadiens ont repris de plus belle et le premier ministre Baxter a établi
une Commission royale d'enquête sur l'éducation en 193 1.
Selon Godin (1993). la situation économique et la démocratisation ont égaiement
joué un rôle dans cette montée d'intérêt envers l'éducation des jeunes. [I explique
que la centralisation du développement industriel du Canada en faveur de l'Ontario
et du Québec avançait déjà à grands pas. Les provinces de l'Atlantique se devaient
donc de prendre les moyens nécessaires afin de s'assurer une plus grande pan du
marché. Suivant l'exemple de la Grande-Bretagne, des États-unis et de l'Ontario. le
gouvernement du Nouveau-Brunswick s'est tourné vers le développement scolaire
comme outil de développement économique : l'école devait préparer les travailleurs
nécessaires au relancement économique de la province. Voulant, elle aussi, profiter
de I'indusuialisation de Moncton, l'élite laïque acadienne a encouragé le passage
d'une identité acadienne rattachée à la mer et à la terre. à celle de travailleurs pour
I'i ndustrie. Les enseignantes étaient impliquées dans ce changement d'identité chez
la population acadienne. Pour maximiser le profit de l'élite, l'école française devait
également conscientiser ses élèves à la cause française : sans population
francophone, point de pouvoir francophone.
C'est également durant les années 1930 que les Eudistes et les Pères Sainte-Croix
commençaient à offrir, à Bathurst et à Memrarncook respectivement, des cours
d'été au personnel enseignant des écoles acadiennes. Ces cours devaient mener à un
enseignement de plus grande qualité dans les écoles acadiennes et, selon le
président de l'Association acadienne de l'éducation de I'époque, < a u salut de notre
peuple» (Taillon 1957 : 41). ils ont donné lieu à la mobilisation du personnel
enseignant et conséquemment, d'un grand nombre de leurs élèves.
L'école avait égaiement été un outil de démocratisation aux États-unis. outil qui
devait permettre à tous les citoyens de prendre une part active dans la vie politique
du pays. L'influence de cette philosophie se faisait de plus en plus sentir au
Nouveau-Brunswick du début du vingtième siècle et elle a joué un rôle important
dans les réformes scolaires qui ont suivi le rapport de ta Commission royale de
193 1 (Godin 1993). Ces réformes sont aujourd'hui connues comme une période de
consolidation de petits conseils scolaires et de construction de grandes écoles
régionales. À l'intérieur de chacun des nouveaux districts scolaires, on considérait à
l'époque qu'il y aurait suffisamment d'élèves du niveau secondaire pour offrir une
diversité de cours de cuIture générale, de cours commerciaux, de cours de métiers et
d'rirt culinaire. Ces plus grands districts devaient également fournir «une base
financière adéquate pour générer des revenus de taxation suffisants» au
fonctionnement des écoles régionales où devaient s'offrir ces cours (Godin 1993 :
77).
Ce n'est qu'à partir de 1943, lorsque le financement provincial pour la construction
des écoles régionales est passé de 25 à a%, que cette réorganisation a pris de
l'ampleur et e n 1946, on comptait 18 écoles régionales construites et 26 autres en
construction. Parmi celles-ci se trouvaient 23 écoles régionales construites dans les
milieux francophones» (Godin 1993 : 90). Selon Couturier-LeBlanc et al. (1993 :
558), «près du tiers des écoles régionales rurales sont en fait des écoles paroissiales
françaises coiffées de l'étiquette «bilingue» afin de calmer les adversaires de la
francophonie. Dans ces écoles on trouve un climat français. un enseignement en
français, la plupart des manuels rédiges en français, et la gestion relève de conseils
scolaires francophones». Par contre, d'autres écoles régionaies desservaient à la fois
la population francophone et anglophone. Tel a été le cas de la ville, à majorité
francophone, de Grand-Sault au nord-ouest du Nouveau-Brunswick. Cette ville n'a
eu ses écoles homogènes qu'au début des années 1980.
C'est également à l'époque de la construction des écoles régionales que le Collège
de Notre-Dame a été fondé à Moncton. L'importance de l'école, même pour les
filles, devenait de plus en plus acceptée de tous. Une informatrice me raconte, par
exemple, que la viIle de Dieppe payait pour que les filles de la ville, dont
l'informatrice elle-même, puissent aller au collège Notre-Dame d'Acadie.
À Memramcook, les changements du début des années 1950 ont enuaîné la
fermeture de plusieurs petites écoles en faveur de la construction de plus -orandes.
Lors d'une entrevue menée dans le cadre de cette recherche, un représentant d'un
district de services locaux de Memrarncook m'explique les changements qu'a
connus sa localité :
Entrevue 1997
M : Oui, i l y avait une école pour Belliveau Village, y avait une école pour Beaumont, y a une école a Pré-d'en-Haut. Y a une petite école à Pré-d'en-Haut, y en avait une à Dover. Puis y en avait une sur le petit Dover. Ça c'était des petites écoles. (...)
Phyllis : Puis, là elles ont toutes fermé une à une ?
M : i l y en a d'eux autres, quand l'école [régionale] de Pré-d'en- Haut (...) a été bâtie dans les années 50, ça a fermé les petites
Avec la construction des écoles régionales, la fréquentation scolaire s'est améliorée
et une pénurie de personnel enseignant s'est fait sentir. Puisque la «Nomal School»
n'offrait toujours que le cours préparatoire en français, ce problème était encore plus
grand dans les comtés acadiens. En plus, les nouveaux cours de formation à
l'enseignement des cours de métiers étaient offerts en anglais et les universités
devaient prendre en charge la formation des institutrices d'art culinaire. Or,
l'Université de Moncton n'a vu le jour qu'en 1963, vingt ans après la création des
écoles régionales. La formation du personnel enseignant acadien s'est en effet
développée 2 pas de tortue : les jeunes femmes acadiennes qui devaient enseigner
les arts culinaires n'ont eu droit au cours classique qu'à partir de 1943 ; en 1947 la
«Normal School» de FrederÏcton est devenue le Teacher's College et les élèves
francophones et anglophones ont été séparés afin de recevoir des cours de
méthodologie au primaire et au secondaire dans leur tangue respective ; en 195 1 le
collège Saint-Joseph a introduit son cours de formation pédagogique ; en 1970, la
formation des enseignant et enseignantes a été intégrée à l'Université de Moncton
pour devenir la présente Faculté des sciences de éducation.
Afin de combler les postes d'enseignement créés par l'ouverture des nouvelles
écoles régionales, le gouvernement Baxter a accordé des certificats d'enseignement
à plusieurs hommes qui avaient complété leur cours classique. L'enseignement du
secondaire est donc devenu un monde à forte proportion masculine. Pendant cette
même époque, trois femmes occupaient des postes d'assistantes au surintendant de
leur district. Ces femmes ont été des agents de changement social : elles ont terminé
leur baccalauréat en éducation par le biais des cours d'été ; elles ont été
" Dm-; cct cxtmit d'unc cnum-uc. comrnc dans c r u qui suivront, I'utiiisation dcs trois points cntrc parcnthixs (. . .) sibmific I'ornksion d'unc du tcxtc Dcs astEnsquin; scrriront 5 i n d i q u ~ ~ des moû non compris lors dc Iri cnnscription.
responsables de l'établissement de cercles pédagogiques dans leur milieu respectif:
durant l'époque des =grandes polyvalentes, une d'entre elles a lutté pour garder
l'éducation secondaire dans les communautés plus éloignées de la ville ; elles ont
été et continuent d'être actives dans les sociétés culturelles et historiques de leur
communauté. Pour comprendre l'ampleur du travail de ces femmes, il serait
nécessaire d'y consacrer une étude approfondie. Une telle étude permettrait de
mettre en lumière un travail souvent effectué dans l'ombre, comme on le verra avec
la création des cercles pédagogiques.
Outre les recornmmdations pour la consolidation des conseils scolaires et la
création d'écoles régionales, la Commission royale de 1932 avait également formulé
des recommandations qui auraient fait avancer I'enseignement en français au
Nouveau-Brunswick :
Entre autres, que pour les deux premières années, les manuels soient rédigés excIusivement dans la langue que parle l'élève ; que les éditions spéciales des manuels traitant d'histoire, de géographie. d'histoire naturelle et d'hygiène, jusqu'à la huitième année inclusivement, soient bilingues ; que les élèves qui subissent l'examen d'admission au secondaire aient le privilège de répondre en français (Godin 1993 : 95).
Ces recommandations n'ont jamais été apportées devant la législature ; les
Orangistes ont. encore une fois. usé de leur pouvoir politique pour contrer l'accord
de tout privilège aux francophones. Les manuels bilingues sont donc restés le lot du
niveau primaire et les livres et examens anglais celui des autres niveaux. II fallait
donc réussir à se bilingualiser pour poursuivre ses études.
L'élite acadienne. tant laïque que religieuse. s'organisait à nouveau, mais cette fois
sous l'influence de l'Ordre de Jacques Cartier, fondé en Ontario et rapidement élargi
au Québec et dans les Maritimes. Au sein de cette société secrète vouée à la cause
francophone, certains membres de l'élite acadienne canalisaient leurs énergies dans
le domaine de l'éducation :
L'Ordre de Jacques-Cartier fut fondé à Campbellton le 12 novembre 1933, au moment où toutes les démarches entreprises pour améliorer l'enseignement du français dans les écoles publiques auprès du gouvernement provincial avaient essuyé un cuisant échec (Savoie 1980 : 107).
L'klite acadienne était donc prête à profiter de toute ouverture qui se présentait. si
petite soit-elle. L'Ordre de Jacques Cartier était une société secrète cependant et doit
instituer, en 1936, une Association acadienne de l'éducation pour accomplir le
travail nécessitant une certaine visibilité, tel que la conscientisation du peuple et du
personnel enseignant.
La population enseignante devait également jouer un rôle dans les changements qui
s'amorçaient. Insatisfaite du service rendu par leur association professionnelle dite
bilingue, cette population s'affairait, elle aussi, à la création d'organismes
francophones parallèles. Ici, i l est question de la création d'associations
professionnelIes parallèles et dans ce mouvement, ce sont les femmes qui ont été les
batisseuses de la première heure. Ce travail n'a pas encore été reconnu par la société
acadienne, peut-être parce qu'il allait dans le même sens que celui des hommes.
D'ailleurs, Savoie (1978) accorde le crédit de ce développement aux homme qui,
comme lui, étaient commandeurs de l'Ordre de Jacques-Cartier.
Au sein de ia New Brunswick Teacher's Association (N.B.T.A.), association qui
encadrait les enseignants et enseignantes tant francophones qu'anglophones de la
province. les préoccupations des enseignantes francophones n'étaient pas comprises.
Madame Marie-Esther Robichaud, première assistante au surintendant aux écoles
de Gloucester (nord-est du Nouveau-Brunswick) et représentante de sa région au
sein de la N.B.T.A., écrit :
Comme membre de l'exécutif de la N.B.T.A. j'avais beau leur faire part de nos problèmes. On répondait souvent : «si c'est un problème laissez-le tombem. Mais en plus des probIèmes communs avec les anglophones, nous avions des problèmes bien particuliers pour la cause du français et i l ne s'est trouvé personne pour l'appuyer. Alors, le président m'a dit : «Miss Robichaud, 1 simply wash my hands on [sic] your problexm. Je lui ai répondu : «Sir, from now on, we will cake care of our own problems~. J'avais réalisé qu'ils en avaient assez de leurs problèmes, mais surtout qu'ils ne comprenaient rien aux nôtres [On était en 1936 ou 1937.1 ( Robichaud 1993 : 46).
Les enseignantes et enseignants de langue française avaient déjà commencé à créer
une solidarité de groupe et ces commentaires ont aidé à la consolider : les cours
d'été, disponibles à Bathurst et à Memramcook à partir de 1936 et 1938
respectivement, ont rendu possible la rencontre d'un grand nombre d'instituteurs et
institutrices dans le but de discuter d'éducation; sous le leadership de Marie-Esther
Robichaud, un groupe d'enseignantes du nord-est de la province a organisé les
premiers cercles pédagogiques en 1937. Lors des rencontres de ces cercles, les
enseignantes discutaient de leur enseignement et pkparaient du matériel
pédagogique selon les besoins de chacune. Ces premiers cercles ont mené à la
création de chapitres, englobant plusieurs cercles, partout dans la province. On voit
ainsi se constituer des réseaux sociaux, si importants au développement d'une
culture pédagogique partagée. Aujourd'hui, le MENB et I'Association des
enseignants et enseignantes francophones du Nouveau-Brunswick s'assurent
toujours, par le biais de la formation en période estivale et durant l'année scolaire,
du maintien de cette culture.
En 1936, les chapitres pédagogiques ont fomé la base de la section des instituteurs
et institutrices de l'Association acadienne de l'éducation (AAE), fondée en 1936 par
les membres de l'Ordre de Jacques-Cartier. Avant la fondation de la section des
instituteurs et institutrices, par contre, peu d'enseignants ou d'enseignantes
participaient aux réunions de I'AAE. Tout comme lors de la création des chapitres
pédagogiques, ce sont des hommes qui ont pris la présidence de cette section,
représentant alors une population à forte majorité féminine.
Une tendance voulant que les femmes fassent Ie travail d'organisation des
regroupements de la population enseignante et que les hommes en prennent la tête
lorsqu'i 1 est question d'une représentation publique s'est dessinée dès la création du
premier chapitre de la province. L cercle fondateur du premier chapitre
pédagogique de la province comptait treize femmes et un homme. Puisque la
féminisation de la profession enseignante était déjà bien avancée à cette époque. on
peut supposer que la situation était semblable ailleurs. En ce qui concerne les dix-
huit cercles locaux du nord-est de la province, seize étaient présidés par des femmes
et treize ne comptaient aucun homme parmi les responsables du cercle. Lorsqu'il a
été question de s'organiser pour former des chapitres régionaux par contre, les
hommes ont pris la présidence de cinq des sept chapitres. La création de chapitres a
permis, en fait, une plus p d e visibilité et l'accession à une voix publique, au sein
de I'AAE par exemple. Les enseignantes faisaient néanmoins du chemin car,
malgré la présence d'un homme à la présidence, elles avaient sept des douze voix à
l'intérieur du grand conseil de leur section de I'AAE.
La section des instituteurs et institutrices de I'AAE est officiellement devenue
l'Association des Instituteurs Acadiens en 1958. Ce changement a été entamé
lorsque les dirigeants de la NBTA ont vu la nécessité de se réorganiser afin de se
rapprocher de la base de leur organisation, c'est-à-dire des enseignants et
enseignantes. Au courant de l'hiver 1952-1953, les enseignantes et enseignants de
l'Acadie du Nouveau-Brunswick se sont réunis afin de mettre au point un projet
qu'on nomma des douze résolutions» (Ferguson 1993 : 69). Le projet a été présenté
par le président de I'AIA à un comité de la NBTA à Fredericton le 20 mars 1954.
Komme on pouvait le prévoir, telle démarche suscitait passablement
d'appréhension, et on ne peut prétendre qu'il fut reçu dans un enthousiasme
délirant» (Ferguson 1993 : 69). Alors que l'auteur ne précise pas le contenu de ces
douze résolutions, la formation d'une association parallèle francophone était le but
poursuivi.
Certaines des douze résolutions finales retenues par l'NA ont été approuvées,
d'autres retenues pour étude, ou tout simplement ignorées par le comité de 1s
h'BTA. Finalement. en avril de la même année, cette dernière association a résolu
que le comité des règlements devrait tenir compte des résolutions de l'W. En
somme, la population enseignante acadienne demandait la dualité linguistique au
sein de la NBTA avec leur association comme section francophone. Au b u t d'une
décennie, on a finalement abouti ((a Ia réalisation intégrale du projet initial, soit la
formation [de la Fédération des enseignants du Nouveau-Brunswick] qui unissait
deux associations autonomes, la NBTA et l'NA», devenue l'Association des
enseignants francophones du Nouveau-Brunswick en 1967 (Ferguson 1993 : 74).
Aujourd'hui, cette association porte le nom d'Association des enseignants et
enseignantes francophones du Nouveau-Brunswick, mais utilise toujours le sigle
AEFNB. Le fait qu'on maintienne le mot «francophone» dans ce titre démontre
bien la position minoritaire des francophones du Nouveau-Brunswick : la norme est
anglophone, les anglophones peuvent donc prendre pour acquis que leur association
leur appartient alors que les francophones doivent continuellement réclamer ce qui
leur appartient.
Pour ce qui est des écoles publiques, il faudra attendre 1974 pour obtenir la dualité
linguistique au ministère de l'Éducation et la gestion francophone des écoles
acadiennes. Une première étape de ce cheminement vers l'autogestion a été
l'élection d'un premier ministre acadien en 1960. Cette élection a de beaucoup
amélioré, par le biais de l'étatisation du système scolaire, la situation linguistique et
scolaire de l'Acadie. Malheureusement, les femmes y perdront une grande part du
pouvoir qu'elles détenaient dans la formation des jeunes acadiennes.
L'étatisation du système scolaire verra également agrandir la surveillance
linguistique du personnel enseignant francophone, qui a vu le jour avec la création
des cours d'été. De plus, le besoin de continuellement démontrer l'efficacité de
l'école acadienne prendra de l'ampleur. Cette efficacité se mesure par la qualité de
Ia langue (le français standard) de ses élèves. La surveillance linguistique et le lien
établi entre le français standard et la qualité sont à la base de l'insécurité
linguistique des enseignantes qui ont participé à cette recherche. Cette insécurité
est, à son tour, un élément constitutif de la culture partagée qu'elles reproduisent
auprès de leurs élèves.
LA PRISE EN CHARGE PAR L'ÉTAT
Suite à sri nomination au barreau du Nouveau-Brunswick, l'Acadien Louis-.J.
Robichaud est allé parfaire ses études à la nouvelle École des sciences sociales de
l'université Laval. Élu premier ministre du Nouveau-Brunswick en 1960,
Robichaud implantera des programmes sociaux fortement influencés par ses études
h Laval et surtout par les propos socialistes du doyen de l&ole, le père Georges-
Henri Lévesque. Ceci perpétuera une tradition d'influence québécoise dans la
scolarisation acadienne, (rappelons le travail des diverses congrégations religieuses
arrivées en Acadie vers 1875). Encore aujourd'hui, plusieurs de nos programmes,
dont celui de l'enseignement du français, s'inspirent du programme québécois et nos
manuels ont été écrits en grande partie pour une population québécoise. Ii est
surprenant de constater que cette influence n'a pas fait l'objet d'un questionnement
ou d'une analyse quelconque.
Le premier changement effectué par Robichaud a été de nommer le plus -grand
nombre jamais vu d'Acadiens au cabinet. Le nombre d'Acadiens à l'intérieur de
l'organe administratif des divers ministères a égaiement augmenté. Finalement, la
traduction - en français - des débats de l'assemblée législative a été instaurée dès
l'arrivée de Robichaud et un projet de loi sur les langues officielles décrétant le
bilinguisme dans l'administration provinciale a été adopté en 1969. Cette même
année, le Canada promulgue sa loi sur les langues oficielles. Ensemble, ces deux
lois devaient garantir à la population acadienne l'accès à un service dans sa langue
aux niveaux fédéral et provincial. Or, encore aujourd'hui, ce service n'est pas
toujours facile d'accès. Lorsqu'on appelle Transport Canada pour connaître l'état
des routes du Nouveau-Bmnswick, par exemple, l'information préenregistrée n'est
disponible qu'en anglais et aucun lien au service en français n'est indiqué.
Les changements scolaires des années 1960 ont eu lieu dans le cadre d'un
pro,ommme de réaménagement général du système de taxation. Ce pro+gramme,
baptisé <<Chances égales pour tous», avait pour but d'équilibrer la situation
économique de la province. C'est-à-dire de comger le fait que les régions les plus
pauvres avaient à payer des taxes plus élevées que les régions plus riches afin de
recevoir un minimum de services. Avec la réforme scolaire des années 1940, par
exemple, chaque comté était responsable du financement de ses écoles. Puisque les
comtés pauvres étaient souvent composés de grandes familles, ils ne pouvaient pas
se payer la même qualité d'enseignement que les comtés riches, même si chaque
contribuable payait le double en taxes. Prenons un exemple : les contribuables d'un
comté dans lequel il y a en moyenne trois enfants par famille payent $3,00 en taxe
scolaire chacun. Pour se payer la même qualité d'enseignement, un comté dans
lequel les familles ont en moyenne douze enfants doit demander $12,00 à chaque
contribuable. soit quatre fois plus d'argent que dans les comtés riches.
Avec la centraiisation de l'assiette fiscale à Fredericton en 1967, le gouvernement a
pris la responsabilité d'assurer le financement de l'éducation dans toute la province.
Ceci s'est traduit par un salaire égal pour compétences égales pour l'ensemble du
personnel enseignant, et par des écoles et du matériel scolaire mieux entretenu
partout dans la province. De plus, le système scolaire a subi une nouvelle
consolidation de ses 423 districts en 33 plus grands districts. LES districts acadiens
étant parmi les plus pauvres, ces réformes ont eu pour conséquence de grandement
améliorer l'éducation acadienne.
Les années 1960 ont également vu de grands changements au niveau de l'éducation
post-secondaire. En effet, le plus -pnd de ces changements a été la laïcisation des
coll?ges et universités : 1963 est I'année de la fondation de l'Université de Moncton
et en 1967 elle a été placée sous le contrôle des laïcs. Six ans plus tard, la formation
des enseignants et des enseignantes sen également prise en charge par cette
institution d'éducation supérieure.
Quoique la création de l'université de Moncton représente une étape positive dans
Ie développement de l'Acadie du Nouveau-Brunswick, i l importe de noter que ce
développement a déplacé le centre des études supérieures du sud-est et de la
formation du personnel enseignant francophone de Memrarncook vers Moncton :
l'université Saint-Joseph a été intégrée à l'université de Moncton pour devenir la
Faculté des arts. En plus, la congrégation des religieuses de Notre-Dame a fermé
son collège plutôt que de se laisser gérer par les Pères Sainte-Croix de l'Université
de Moncton (cf. McKee 1995). LRs filles du sud-est perdaient donc, comme leurs
consœurs du nord-est et du nord-ouest durant la même époque, leur collège. Une
ancienne étudiante du collège Notre-Dame d'Acadie, et aujourd'hui mère de jeunes
enfants à Mernrarncook, est pamii les femmes qui m'ont accordé une entrevue.
Dans la citation ci-dessous, Marie-Hélène se souvient des dernières années du
collège et de la rapidité des changements :
Entrevue 1997
Marie-Hélène : Oui, oui. Donc j'étais comme externe, j'allais faire mon secondaire 15, mais rendue en dixième, quand j'allais prendre ma onzième année, là y a arrivé un choc : la municipalité ne payait plus. Donc je devais aller à Vanier [école régionale]. Mais là les bonnes sœurs se sont approchées de moi, puis y m'ont dit «si tu dis pas à personne, on te laissera finir ta onzième pour te donner une petite bourse». Ça fait j'ai pas dit à personne, sauf que je te le dis maintenant, puis j'ai fait ma onzième. Mais là malheureusement l'école, le collège a fermé ses portes pour [l'ouverture de] l'université. Donc je suis diplômée de Vanier, mais j'ai fait ma douzième au collège Notre-Dame, ça fait j'étais une de ces paquets de filles Ià qu'à pris une classe à Vanier puis on s'est trouvé un petit peu mai à l'aise, mais on a fini notre douzième année là. Puis de là j'ai rentré au campus de l'université de Moncton.
Les Pères eudistes d9Edmundston dans le nord-ouest et de Bathurst dans le nord-est
ont également perdu le contrôle de leurs collèges pour garçons. Bathurst a fermé ses
portes en 1963 et Edmundston et tombé sous le contrôle des Pères Sainte-Croix du
sud. L'élite acadienne réussissait à faire de Moncton le centre de développement
culturel. économique et intellectuel acadien. Une telle centralisation permet la
création de réseaux plus restreints et de construire une vision acadienne dominante.
Selon Thériault (1993 : 84). la prise en charge par le gouvernement des institutions
jadis sous le contrôle de l'église catholique - hôpitaux, collèges et universités - y
est pour beaucoup dans la politisation des débats en Acadie : avant cette prise en
charge, la société acadienne pouvait se développer en marge du pouvoir politique,
mais dès lors, il faudrait s'impliquer dans les débats politiques pour garantir la
survie de la société acadienne. Ici on est devant une situation où it faut
continuellement lutter pour être autrement que la majorité. Même lorsque l'Acadie
du Nouveau-Brunswick se sera dotée, en 1974, dun ministère de éducation francophone, ce sera sous le contrôle de l'appareil gouvernemental de la province.
Le gouvernement libéral de Robichaud a été défait aux élections de 1970 par le
conservateur Richard HatfÏeld. En 1972, le Parti acadien est fondé à Bathurst avec
le but de voir aux intérêts particuliers des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-
Brunswick. Un des buts éventuels de ce parti politique était ta ckation d'une
province de I'Acadie ou une séparation complète des mondes francophone et
anglophone. Ce parti nationaliste ne survivrait que pendant dix ans, mais, selon
Thériault (1993 : 84), il a néanmoins contribué à la promotion de l'idée d'un partage
équitable des pouvoirs entre francophones et anglophones. Outre le nombre
grandissant de ministres et de sous-ministres acadiens, c'est en éducation que le
partage des pouvoirs est le plus *md.
En 1974. le ministère de l'Éducation a été réorganisé en trois départements : deux
départements, l'un francophone, l'autre anglophone, s'occupent de la programmation
et de i'évaluation dans leurs écoles respectives ; un dernier département gère les
finances. On parle alors de dualité linguistique, mais, puisqu'un seul département
contrôle les finances de tout le système scolaire, on ne peut pas dire que
l'autonomie, ni le partage complet soient obtenus. De plus, les dernières minorités
francophones à être constituées en districts francophones à part entière ne l'ont été
qu'en 1978 et la dernière école bilingue à fermer ses portes est celle de Grand-Sault
en 1988. Ceci démontre bien comment, même si les francophones contrôlent leurs
programmes et les évaluations provinciales des élèves, ils et elles ne sont pas libres
d'organiser et de gérer leur système scolaire comme bon leur semble : les
départements du ministère relèvent toujours d'un seul ministre et celui-ci, d'un
gouvernement et d'une population à majorité anglophone. La population acadienne
est, cependant, beaucoup mieux placée pour revendiquer ses droits et influencer son
avenir politique et scolaire qu'elle ne l'avait été avant les années 1960. La part des
femmes est toujours moins importante que ne l'est celle des hommes par contre.
puisqu'aucune n'a encore accédé aux postes de ministre ou de sous-ministre de
lsducation.
En plus de la réorganisation du ministère de l'Éducation, les années 1970 ont vu
l'introduction des écoles polyvalentes. Ces écoles secondaires offraient et offrent
toujours des cours à options à divers niveaux - général, académique et avancé -
et des services d'orientation, de psychologie scolaire et d'orthopédagogie. Les
services de psychologie et d'orthopédagogie ont également été offerts aux écoles
élémentaires et intermédiaires. Ce sont ces services qui payeront une grande part de
la note lors des compressions budgétaires des années 1980 et 1990.
Or, afin d'offrir ces services, on devait aller chercher un plus grand bassin de
population. Pour certains élèves, cela veut dire un trajet d'autobus de plus d'une
heure, matin et soir. Une seule polyvalente a été construite, par exemple. pour
l'ensemble du Grand Moncton et la campagne environnante. C'est alors que les
élèves de Memramcook se sont retrouvés à l'école Lionel-Groulx, ouverte en 1970 à
Dieppe, pour leurs études secondaires. Cette intégration à une école de la ville n'a
pas été facile. Plusieurs personnes m'ont parlé de la difficulté qu'elles ont eue à
partir de leur vi llage pour parfaire leur secondaire à Dieppe, dont Ginette, une mère
de famille :
Entrevue 1997
Phyllis : Quand t'es arrivée à Lionel-GrouIx, as-tu trouvé une différence?
Ginette : Ah oui. (...) Une période d'adaptation que j'oublierai jamais. (...) Non, non, on venait de Memnmcook pour vrai, là. Les Memramcookers. Ils nous appelaient de même les Cookers. Tu sais, l'école avait ouvert, c'était quoi, ça faisait deux ans, je pense qu'elle était ouverte quand je suis allée là. (...) Dans ce temps-là, c'était plus évident. Aujourd'hui, je sais pas, on a évolué certainement. Non, mais nous autres, on était vraiment les Cookers.
ur d'autres, c'est le traitement reçu aux mains des enseignantes qui était le pl
difficile à vivre. C'est ce que raconte Dorothée :
Entrevue 1997
Dorothée : Ben, je sais pas. On dirait que t'aimes à rester dans ta paroisse, j'aimais ça, moi. J'aimais ça dans mon petit village comme, c'est ton monde. Quand t'arrives à Lionel-Groulx, c'est toute, ah, je crois, vraiment j'ai pas aimé ça à Lionel-Groulx. Je trouvais que c'était trop loin premièrement. J'aimais pas ça moi, rester sur l'autobus 45 minutes, tu perdais assez ta journée. Le matin, puis le soir. T'arrivais, i l était 4 h et quart, tu soupais, puis là, c'était aux études de nouveau, tu sais, faire tes leçons. Non. Moi, j'aurais préféré, c'est comme avant, à l'École Henri-Dugas, tu faisais ta douzième, ah, ça aurait été parfait. (...)
C'était pas juste l'idée d'être sur l'autobus, c'était, comme, l'atmosphère même. (...) On se tenait tout notre groupe de Memramcook, comme, tout le monde avait leur groupe à l'école. C'était un groupe de Dieppe, un de Memramcook, o n avait tous notre groupe. C'était pas comme à Henri-Dugas, c'est ça que je veux dire. Je m'ai vu dans une classe, par exemple, que j'avais été dit qu'il y avait une maitresse qui aimait pas le monde de Memramcook. (...) Je l'ai aperçu vite. J'étais la seule de Mernramcook dans la classe encore, puis je faisais bien, c'est en anglais, il me semble que je faisais bien. Puis t u te sentais toujours, c'était toi qui étais comme la brebis noire. Elle te le laissait savoir.
(...) Ah, comme je me souviens, juste un exemple, j'avais fait un
test, puis j'avais bien fait sur le test, j'étais assez excitée, je regardais mon test, ben elle dit, y a-ti un problème avec toi? Je l'ai eue une deuxième année, par exemple, comme quand j'mive en 1 le année, je l'avais de nouveau. j'ai pensé, y a pas deux professeurs qui me faisaient sentir comme elle. comme. tu pouvais vraiment dire. Elle était mieux, là, elle était mieux en onzième année, elle était pas qu'est-ce qu'on appellerait gentille, j'aurais mieux aimé qu'elle m'aurait pas fait mine en toute.
Encore aujourd'hui, certains jeunes vivent des difficultés d'intégration à Lionel-
Grou1.u. Certains parents croient que leurs enfants ont un meilleur français que ceux
de la ville et que, de surcroît, ils n'ont pas le même système de valeurs. Ces
différences créent certaines difficultés d'adaptation :
Entrevue 1997
Ginette : J'ai été au [complexe sportifl. à la nage, pas tellement longtemps passé, j'ai vu une madame que j'avais vue à la TV, qui parlait de I'alzheimer, puis ça. On parlait de la région. Elle a dit, qu'elle avait des racines à Memramcook, puis elle dit, «les élèves de Memrarncook sont beaucoup plus polis, sont plus respectueux. On peut dire la différence que c'est pas des étudiants de Dieppe- Moncton, hein? Parce que c'est ça, ils ont pas le GO what, whatever!» Okay? fuis ils ont pas cette attitude-là, ça fait que pour eux, elle dit c'est un gros stress, de les voir arriver. C'est quelqu'un qui travaille en psychiatrie ii l'hôpital, puis elle a été en communauté, puis tu sais, là. Elle disait, «les jeunes de Mernramcook qu'arrivent à Lionel-Groulx, c'est pas mal un gros choc». C'est vrai. Moi c'est de quoi que j'ai jamais oublié.
D'autres parents situent le problème dans un écart entre les exigences des écoles de
Memrarncook et de celles des écoles de la ville. Ici, ce sont les enfants de
Memramcook qui sont moins bons :
Entrevue 1997
Sheila : What 1 do know is that a lot of the kids from down here in Memrarncook, once they hit Lionel-Groulx, are having a lot of trouble with their French. (...) A lot of trouble. You see a student down here that has about an eighty percent in their French going to LioneI-Groulx and barely make it through. Don't ask, 1 don't know what the reasoning is but it is tme. A lot of thern.
Phyllis : No one has ever tried to explain i t to you?
Sheila : They just Say it's the different types in teaching, that down here like it's more of, it's not a one on one, but it's different in teaching. And a lot of people have stated that it's a different type of French. Now, it could be something to do with the fact that some of the teachers in Lionel-Groulx are from either Quebec, there's one from France. Where down here it's local (...) and 1 think they're not as hard marking on the students if they put a le for a la or whatever they wnte. not really k ing (coxrected) ** for now. When they go to Lionel-Groulx, it tdces a lot for them to learn that they are going to be corrected on it. They really have a problem with that, with the grammar part of it. So 1 think that the grades, 1 would Say probably five to eight now, should become more stringent on their marking.
Un informateur maintient, pour sa part, que Lionel-Groulx est un foyer
d'assimilation. II s'agit ici d'un représentant élu d'une des communautés de
Memramcook :
Entrevue 1997
Euclide : Parce qu'ils ont pris, ils sont après urbaniser toute la niralité. Y a plus de valeurs ici. Comme i l y avait un temps. k s jeunes sont pareils comme ceux-là à la ville. Parle y eux là, même idéologie. Ils n'ont pas. Puis la quand t'as ça, c'est de l'a-ssi-rni- lation qu'ils appellent, c'est ça que c'est rendu. C'est pour ça qu'il y a des problèmes partout.
L'enseignement que dispense la polyvaiente Lionel-Groulx serait donc, aux yeux de
mes informateurs et informatrices, coercitif: il pose une action civilisatrice
(changement de valeurs) qui passe par la normalisation de la langue (,anmrnaire ;
un autre type de français). Au chapitre quatre, nous verrons que ce travail se fait
également au primaire. Les informateurs et informatrices qui ont parlé de leurs
expériences à la polyvalente ont ressenti ce rejet (<(c'était toi qui étais ta brebis
noire : « on était vraiment les Cookerw) et en parlent encore avec beaucoup
d'émotion (<c'est de quoi que j'ai jamais oublié»). Comme on le verra au prochain
chapitre, ces expériences ont influencé le travail de reproduction sociale de
cenaines mères : elles enseignent consciemment un français plus standard à leurs
enfants.
Or, en épousant les valeurs linguistiques de l'école, il est possible que ces femmes
participent à ce que le dernier informateur cité appelle l'assimilation. Ce que ne dit
pas explicitement cet informateur c'est que, tout comme son fils, les jeunes ne
reviennent pas pour y rester et la population de Memramcook diminue en faveur de
la ville. Ceci entraine le vieillissement de la communauté et la fermeture d'écoles.
C'est tout au moins l'explication que le gouvernement libéral de Frrank McKenna,
qui gouverna le Nouveau-Brunswick de 1987 à 1999, a donnée aux parents de la
Vallée lorsqu'il a fermé trois de leurs écoles. Avec la venue du premier ministre
McKenna, la province du Nouveau-Brunswick a vécu un retour vers la droite et une
grande centralisation du pouvoir décisionnel. Alors que le Parti libéral est
traditionnellement vu c o r n e un parti plus populiste que le Parti conservateur, sous
le leadership de McKenna, les libéraux ont agi plus souvent en faveur des
entreprises qu'en faveur de la population.
Ce gouvernement devrait s'attarder à revenir à la philosophie libérale, qui est de se rapprocher de la population en général. Ce gouvernement est beaucoup trop à droite pour un Parti libéral. Il
protège les grandes entreprises et ne porte pas assez d'attention à la population. Nous avons le plus bas taux de prestations de l'aide sociale au Canada. il serait temps que ça change (Albert Doucet, ministre suspendu du caucus libéral, cité dans Godin 1997).
Sous ce gouvernement. le Nouveau-Brunswick a connu une politique d'austérité qui
a entraîné l'appauvrissement de la situation des francophones. Une plus kgande
surveillance linguistique des élèves et du personnel enseignant n'est qu'une des
conséquences de ce retour vers la droite dans le système scolaire.
U;\: RETOUR VERS LA DROITE
Pendant son dernier mandat comme premier ministre de la province, Richard
Hatfield a connu une perte de popularité fulgurante et, à l'élection de 1987, les
libéraux de Frank McKenna ont remporté 53 des 58 sièges et le parti Confederation
of Regions, avec sa plate-forme d'anti-bilinguisme, est devenu l'opposition
officielle. Avec ce changement politique, le système scolaire a connu des
expansions, mais il a surtout connu des compressions et un retour vers la droite. Ce
retour a engendré une plus bgande recherche de légitimité de la part du système
scolaire francophone de la province : on fait tout en son pouvoir pour prouver
I'efficacité des écoles acadiennes. Dans cette section, on parlera de tests
diagnostiques et de fin d'études secondaires, ainsi que de l'évaluation du personnel
enseignant. trois exemples du zèle avec lequel le système francophone cherche à
assurer sa légitimité et garantir la survie de son marché symbolique.
L'expansion la plus attendue au Nouveau-Brunswick a été l'établissement des
maternelles publiques. Un système facultatif a été intégré au système public en
1991. mais cela faisait déjà près d'un siècle qu'on l'attendait et vingt ans que les
gouvernements le promettaient. Depuis le milieu des années 1970, luniversité de
Moncton offre un baccalauréat en éducation préscolaire et ce sont les diplômés de
ce pro,mrne qui ont occupé les postes créés en 1991. Malheureusement, ce
personnel enseignant a dû accepter un salaire inférieur à celui reçu par leurs
collègues des autres niveaux. Ces enseignantes n'atteindront l'équité salariaIe qu'en
1999. De plus, pour fêter l'arrivée des maternelles, l'Acadie Nouvelle, le seul
quotidien francophone du Nouveau-Brunswick, a consacré une entrevue au seul
homme à occuper un de ces nouveaux postes. Même lorsqu'il est question de fêter
la reconnaissance d'un travail féminisé peu rémunéré, on réussit à placer un homme
au centre des célébrations publiques.
Une enseignante de la maternelle souligne également une différence marquée entre
la maternelle française et celle anglaise : alors que la maternelle française est axée
sur l'apprentissage des prérequis sociaux et académiques dans un environnement de
jeu structuré, la maternelle anglaise est un lieu de jeu peu structuré et moins dirigé
vers la préparation aux apprentissages scolaires à venir. il serait intéressant de
savoir sur quel modèle chacun des deux types de maternelle est basé. Pourquoi cette
plus &gande exigence chez les francophones dès l'entrée en maternelle?
Pour ce qui est des compressions des années 1980 et 1990, le personnel enseignant
a été le premier touché : les salaires ont été réduits et gelés, l'année scolaire a été
rallongée de cinq jours et le nombre de journées de perfectionnement professionnel
a été réduit de cinq à trois. Le personnel enseignant s'est donc vu obligé de se
perfectionner dans ses temps libres. En fait, le MENB offre un nombre grandissant
de sessions de formation durant la saison estivale. De plus, avec la fusion des
conseils scolaires, le personnel responsable du soutien pédagogique (conseillers,
conseillères, aujourd'hui agents pédagogiques) a vu ses effectifs diminuer de moitié.
Ce personnel relève maintenant directement du ministère plutôt que des conseils
scolaires, donnant ainsi au ministère un contrôle plus direct sur la pédagogie.
Finalement. les services de psychologie, d'onhopédûgogie et d'onhophonie
continuent à subir des coupures massives de personnel.
Les coupures du personnel spécialisé ont été rationalisées sous le prétexte de
I'inté*mtion des éIèves à besoins spéciaux. Cette intégration devait se faire pendant
des périodes variables selon les capacités de I'élève ; d'un tien à une pleine journée
scolaire avec une aideenseignante. Le rôle de I'orthopédagogue devenait de plus en
plus administratif : soutien à l'enseignante ou à l'enseignant de la classe régulière:
phification du programme éducatif de I'élève en difficulté: évaluation de I'élève
avec l'enseignante ou l'enseignant; éducation des titulaires de classe. De plus.
I'orthopédagogue devait faire un suivi et un certain enseignement auprès des élèves
en plus &mde difficulté. Dans certaines écoles, ceci est toujours le cas. mais dans
d'autres. plus petites ou éloignées des grands centres, le nombre d'élèves dans une
classe «intégrée» est diminué mais l'enseignante ou l'enseignant est responsable de
la rédaction et du développement du programme éducatif. de l'évaluation. et de
I'enseignement spécialisé requis par l'élève à besoins spéciaux. Ceci sans aide-
enseignante et un soutien minimal du conseiller ou de la conseillère en adaptation
scolaire. Telle était la situation d'une des enseignantes qui a participé à cette
recherche.
Le virage vers la droite du système scolaire du Nouveau-Brunswick, semblable au
«back to the basicw américain, a vu un retour au tronc commun de cours au niveau
secondaire et la diminution du nombre de cours à option et des niveaux de cours
disponibles. En plus, les examens provinciaux ont revu le jour et comptent pour
4010 de la note finale des cours au niveau secondaire. Les élèves francophones de la
le et de la 8' année écrivent également des examens provinciaux en mathématiques
et en frayais. Alors que ceux-ci se voulaient diagnostiques, sans but de sanction
des études ou de comparaison des écoles et des districts, ils sont utilisés à ces fins.
Comme l'admettent des membres du dépanement d'évaluation du MENB, ces
examens ont un but implicite, soit la sanction du système; il faut démontrer
l'efficacité et la validité d'un système scolaire minoritaire. il n'est donc pas
surprenant que les enseignantes enseignent, par peur de se faire juger elles-mêmes,
pour que les élèves réussissent le test. Une direction d'école me disait récemment
qu'il fallait commencer dès aujourd'hui à préparer les élèves de la 4' année pour le
test de la 8' année. On parle moins des apprentissages que les élèves doivent faire
que de la note qu'ils et elles doivent obtenir.
Du côté anglais, les examens du ministère ont été institués plus tard que chez les
francophones et ils ne sont écrits qu'en huitième et en douzième année. De plus, ils
ne semblent pas être rattachés à la sanction du système. Conséquemment, les
enseignantes francophones se disent visées et d'autres actions du MEM3 confirment
ce sentiment.
Jugeant que les connaissances du corps enseignant ne sont pas suffisamment
développées, le rapport d' une Cornmission d 'enqlcête sur 1 'e-rcellence en édricarion
mise sur pied en 1991 indique qu'il serait souhaitable de revoir la formation à
l'enseignement, ceci afin d'accroître le niveau de connaissances générales et
«d'améliorer de façon considérable le niveau général de rendement académique des
nouveaux enseignants» (Landry et Downey 1991 : 14). De plus. il est question
d'ajouter un stage d'une année à la fin du baccalauréat en enseignement et, tel que
déjà mentionné, d'encourager le personnel enseignant à assumer son propre
perfectionnement». Avec la mise en place d'un système d'évaluation du personnel
en 1998, ceux et celles qui ne participent pas aux sessions de formation estivales
mises en place par le MENB voient un jugement négatif placé dans leur dossier
professionnel. Ce système d'évaluation du personnel enseignant n'a pas son pareil
dans le système anglophone.
Les recommandations de la Commission d'enquête sont faites dans un langage
humaniste : leur but est d'améliorer le contenu et l'image de la profession
enseignante, on reconnaît que le personnel enseignant a q e u d'influence sur la
façon dont leur profession est conçue, structurée ou régie. Et quant aux petits
avantages accessoires dont jouissent les professionnels, Ies enseignants, eux en ont
peu), (Landry et al. 1991 : 13). C'est la correction de cette situation que les
commissaires cherchent à accomplir. Malheureusement, il n'y a aucune discussion
sur les avantages accessoires» dont les enseignants et enseignantes pourraient
bénéficier et, au lieu &auamenter le niveau de contrôle du personnei enseignant sur
leur profession, on suggère une augmentation du temps de formation et
l'implantation de nouvelles formes de gouvernes externes : les stages de la fin du
baccalauréat ; l'évaluation des éIèves par le gouvernement ; l'ajout de tâches telles
que l'enseignement par ordinateur et le développement de «l'esprit d'initiative et
d'entreprise» (p. 12) nécessaire à la formation de futurs entrepreneurs et
entrepreneures ; et finalement, puisque, q x u d'enseignants (sic) ont travaillé en
dehors du système scolaire>> (p. 1 3 , la recommandation de stages dans une
entreprise privée pour le personnel enseignant, «afin que les enseignants puissent
s'acquitter avec enthousiasme et compétence de cet aspect [le développement de
l'esprit d'initiative] de leurs responsabilités pédagogiques».
Le gouvernement McKenna a également procédé. à son tour, à une réorganisation
de la carte scolaire. Dans cette nouvelle consolidation, les plus petites
communautés acadiennes, situées dans les régions de Fredericton, de Saint-Jean et
de Newcastle, ont perdu le contrôle de leurs centres scolaires communautaires.
Ceux-ci ont été amalgamés à de plus grands districts francophones éloignes des
communautés en question. La commission scolaire de Fredericton, par exemple,
qui ne régissait que le centre scolaire communautaire du même endroit, fait
maintenant partie du district de la région de Moncton, située à deux heures de route
de l'école. Depuis 1991, on assiste de plus en plus à la fermeture de petites écoles
en faveur de plus grandes.
En 1995, le gouvernement a implanté le concept du primaire qui inclut tous les
niveaux de la maternelle à la huitième année (M-8). Avant cette date, seuls les
niveaux de la matemelle à la sixième année faisaient partie du primaire et les
septième, huitième et neuvième années étaient les niveaux intermédiaires. Le
secondaire débutait en dixième année et se terminait avec la douzième année. Au
primaire, une enseignante est responsable d'une classe et enseigne la majorité des
matières, seules la musique et l'éducation physique sont enseignées par d'autres
enseignants ou enseignantes. À l'intermédiaire et au secondaire, les enseignantes
sont responsables d'une classe, c'est ce qu'on nomme «une classe titulaire», mais
n'enseignent qu'une ou deux matières qu'on dit «de spécialisation». Normdement,
une enseignante du primaire fait un baccalauréat en enseignement au primaire et y
fait des cours de didactique de l'ensemble des matières scolaires, à l'exception de la
musique et de I'éducation physique, domaines laissés à des qécialistes». LR
personnel enseignant de l'intermédiaire et du secondaire fait une majeure ou une
mineure dans la matière qu'il ou elle désire enseigner et n e fait que les cours de
didactique qui s'y rattachent. C'est ainsi que les enseignantes du primaire disent
enseigner aux enfants alors qu'au secondaire, on enseigne une matière. L'insertion
des septième et huitième années dans le devait donner lieu à un
changement de cet ordre : le personnel enseignant ne serait plus composé de
qkcialistes» de matières et enseignerait la majorité des matières scolaires à sa
classe d'élèves. Ce dernier changement a été implanté de façon inégale dans la
province pour deux raisons principales.
Premièrement, l'insertion des septième et huitième années au primaire devait mener
à la création d'écoles primaires où l'on retrouverait des élèves de la matemelle à la
huitième année. Or, dans certains milieux, cela aurait exigé la constmction de
nouvelles écoles. Alors que ce changement physique facilite le changement
phi losophique (enseigner aux élèves ou enseigner des matières), l'aménagement
d'écoles primaires M-8 ne se fait qu'au fur et à mesure que d'autres conditions
l'exigent ou le facilitent. Le piètre état physique d'une ou de plusieurs petites écoles
est une condition qui peut exiger l'aménagement d'une plus grande école. La
diminution du nombre d'élèves entraine, pour sa part, la fermeture d'une ou
plusieurs petites écoles et le transfert de leurs élèves à une plus p d e école de la
même localité. L'espace de la plus grande école est ainsi utilisé à son maximum.
Une autre condition qui facilite l'aménagement d'une école M-8 est une
augmentation de la popuIation étudiante dans une localité, créant ainsi le besoin
pour une nouvelle construction. Cette dernière situation se fait rare en Acadie du
Nouveau-Brunswick.
En deuxième lieu, le changement de la spécialisation vers la généralisation est laissé
à la discrétion des districts scolaires et certains ont choisi de ne pas imposer ce
changement à un personnel enseignant qui y résiste. Le personnel enseignant de
l'ancien intermédiaire est généralement réfractaire au changement philosophique
proposé. Ces enseignantes et enseignants affirment ne pas avoir reçu la formation
nécessaire pour enseigner toutes les matières et que de toute façon, rendu en
septième année. une telle charge de travail serait trop grande. Ils citent en exemple
la longueur et la quantité de textes et de travaux à comger: les élèves de ces
niveaux produisent plus que ceux des niveaux inférieurs.
Puisque ce changement a eu lieu suite à l'année de ma collecte de données, je ne
peux pas dire si le changement vers la généralisation s'est produit à Memrarncook.
Or, plusieurs de ses petites écoles ont été fermées, dont celles de Du Bouleau et de
l'école Près du Lac. L'école Henri-Dugas, située à Saint-Joseph, accueille
maintenant tous les élèves francophones de la Vallée, de la maternelle à la huitième
année et ce. non sans avoir fait revivre des tensions entre villages.
Depuis la fondation du Collège Saint-Joseph dans la paroisse de Saint-Joseph, la
grande majorité des infrastructures et services de la Vallée de Memramcook y ont
également été construites. C'est le cas de l'école régionale qui accueillait
l'ensemble des élèves de la Vallée à patir de la cinquième année, de l'aréna, du
temain de golf, celui de soccer, la piste et pelouse, le terrain de jeux, la caisse
populaire, les restaurants. la banque, le foyer et le bureau municipal. D'autres
paroisses ont tenté de mettre en place de telles infrastructures, tant privées que
pubIiques, mais sans succès. Avec I'instailation de l'école à Saint-Joseph, les
habitants et habitantes des autres paroisses voient leur communauté perdre encore
une fois au profit de Saint-Joseph. Ce ne sont pas les enfants de Saint-Joseph qui
auront un kgand trajet d'autobus à faire avant d'arriver à I'école le matin et à la
maison le soir. Ce ne sont pas les enfants de Saint-Joseph qui seront déjà fatigués à
leur arrivée à l'école ou, comme le raconte une mère pour les élèves de sa paroisse,
qui n'arriveront pas à l'heure :
Entrevue 1997
Ginette : I'école commençait à quoi, huit heures 45, puis nos jeunes arrivaient juste i l'école 9h15, manquaient 30 minutes de français. okay. tous les matins.
Phyllis : Tous les matins.
Ginette : Tous les matins. Puis j'avais appelé au Conseil scolaire i Shédiac, mais c'est ça, y avait des parents qui sont plus a~ess i f s puis que, mais, ça pris jusqu'au mois de, ah, c'est ben dans l'hiver, di sons, peut-Stre en janvier, février, mars, okay, avant qu'i 1s changent le trajet d'autobus pour avoir les étudiants à l'école à temps. Ça fait que peut-être plus tard, dans 20 ans, là, ils vont dire, ben ces étudiants-là, ils manquaient 15, 30 minutes de français chaque matin, ben, là, ça se trouve parce qu'ils sont rendus à tels niveaux, ils sont à l'université, iis peuvent pas écrire. Tu sais, peut-être, on ne le sait pas. Mais y avait rien, je pouvais appeler [au conseil scolaire] vingt fois dans la journée, i l allait pas
pas avoir son français.
En plus de ces tensions entre villages, l'annonce de la fermeture des écoles Du
Bouleau et Près du Lac a provoqué beaucoup d'inquiétude chez les mères qui
auraient à envoyer leurs jeunes enfants à I'école avec les plus p d s :
Entrevue 1997
Lise : Moi, c'était plutôt ça, j'ai eu peur. Je sais qu'ils ont enlevé les neuvièmes aussi, mais c'était d'avoir des jeunes de maternelle, qu'ont 4 ans, quatre ans et demi, et 5 ans, avec les grands, 12, 13 ans. Parce que je me rappelle, quand j'ai commencé la sixième à Henri-Dugas, les neuvièmes y alliont piquer sur nous autres. Moi, c'est la première chose que j'ai pensé c'était à ça. Moi, j'étais pas pour au début. Ah, je disais, vois-tu des plus jeunes avec les plus vieux ? 11 y en a qui sont ben corrects, mais y en a d'autres qui peuvent être effrontés. S'il commence l'école en haïssant ça, il va pas enjoyer ses années d'école. Au début, je pensais, ah My God. ça va vraiment nuire aux jeunes. Mais après tout, sur le côté éducation, je crois que c'est mieux. (...)
Ben, comme moi, c'est ma belle-sœur, comme, elle était sur le comité, puis elle a venu nous rencontrer parce qu'on avait des enfants qu'allaient à l'école, pour savoir nos opinions. Puis là, ils nous disaient, ben, ah, Henn-Dugas ont des ordinateurs. Ils ont des salles de musique. Lls ont beaucoup plus, ils ont des salles de technologie, ils sont équipés pour 50, 60 mille piastres, tout en ordinateurs.
II a été plus difficile, par contre, pour la communauté entourant l'école Près du Lac
d'accepter ce changement. De mes informateurs, c'est un représentant élu qui m'a
parlé avec la plus grande conviction des raisons qui ont motivé cette opposition à la
fermeture de l'école Près du Lac. Celui-ci pose des arguments d'ordre historique et
financier :
Entrevue 1997
Euclide : Bien ici c'était Ie père Massé qui avait construit l'école, c'est pas le gouvernement. (. . .) Puis le Père Massé a acheté un autobus. C'est lui qu'a acheté la bus. Quand le gouvernement a décidé de changer les affaires, ils sont arrivés un jour, et ont dit, «on veut la clef de l'école et on veut la clef de la bus». «Oui ? Avez-vous de l'argent ? C'est moi qui a payé. Je donne pas ça». Puis ils sont venus à une entente. Mais ça avait été chaud pour un élan.
Ça c'est Près du Lac, l'autre je sais pas s'ils l'ont mis dedans. Ils ont seulement mis ceux-là qui sont là présentement. Mais, parce que, ils voulaient pas parce que, le gouvernement avait mis un million sur cette école-là l'année d'avant. Ils ont tout fini, toute la couverture à neuf, toute changé les fenêtres. puis là ils la ferment ? Puis ils nous disent de, de, de, prendre puis de haller la ceinture ? Tu sais là ?
En même temps que son gouvernement fermait les plus petites écoles, le
gouvernement McKenna préparait une réorganisation des conseils scolaires : au
début du printemps de 1995, les libéraux ont, sans préavis, aboli le système des
conseils scolaires. Durant l'automne de cette même année. le gouvernement a
institué un système de districts scolaires et de conseils consultatifs de parents. Avec
cette réforme, plusieurs parents croyaient avoir un pouvoir de décision, mais
aujourd'hui, ils reconnaissent de plus en plus que ce pouvoir est extrêmement
limité. Le conseil consultatif n'a, comme son nom l'indique, aucun pouvoir de
décision. De plus, les districts scolaires sont gérés par sept unités administratives,
dont trois francophones, et relèvent directement du ministère de l'Éducation. Leur
personnel cadre, direction de l'éducation et agents pédagogiques, ne jouent plus, en
réalité, qu'un rôle exécutoire.
De son côté, l'Association des comités de parents francophones du Nouveau-
Brunswick a toujours maintenu que ce changement structurel était inconstitutionnel
puisqu'il enlevait aux francophones le droit de gestion de leur système scolaire. ils
ont entamé des procédures légales afin de faire renverser la décision du
souvernement McKenna. La lutte pour le contrôle des écoles acadiennes n'est pas
terminée.
Ce n'est pas uniquement les acquis dans le domaine de l'éducation que les
francophones du Nouveau-Brunswick ont à protéger, voire même à renégocier. Les
francophones du sud-est et la Société des Acadiens et des Acadiennes du Nouveau-
Brunswick mènent également une lutte sur un autre front; les commeqants des
grands magasins et des centres d'achats affichent de moins en moins en français et i l
est devenu encore plus difficile de recevoir un service dans cette langue. Malgré une
campagne de francisation, les choses ne semblent pas vouloir s'améliorer. Or,
Moncton a été l'hôte du Sommet de la francophonie, une rencontre des chefs
d'États de 52 pays qui ont le fmçais comme langue de communication, en 1999.
En plus, les Retrouvailles et le Congrès mondial acadien de 1992 a eu un effet
francisant d'envergure. Pendant cet événement, des gens de descendance acadienne,
venus de partout dans le monde (l'Acadie de la diaspora) se sont rencontrés pour
retrouver d'autres Acadiens et Acadiennes. Plusieurs étaient particulièrement
intéressés à retrouver des gens qui portent le même patronyme qu'eux. Le congrès à
donné lieu à une série de conférences sur divers sujets d'actualité (langue, culture,
éducation) en Acadie des Maritimes et chez les Cajuns de la Louisiane (Étas-unis).
La question des femmes n'a pas été intégrée à ce congrès, mais. en parallèle, i l y a
eu un «Sommet des femmes» en Acadie. Les femmes acadiennes continuent donc i
être, et à se constituer en un groupe marginal de l'Acadie.
Durant le mois d'août de chaque année, la section francophone du MENB offre des
sessions de formation à son personnel enseignant, question de le responsabiliser
face à sa formation professionnelle. À l'ouverture de la session de 1998 en
pédagogie du fmçais, le sous-ministre adjoint à ~'Jkiucation est venu dire un mot de
bienvenue aux participantes (il n'y avait aucun homme dans Ia salle). Son allocution
faisait un lien entre le passé et le présent. Le sous-ministre a rappelé aux
enseignantes que ce n'est que suite à une lutte acharnée que les Acadiens et les
Acadiennes ont obtenu, il n'y a pas si longtemps, le droit à leurs écoles de imgue
française. fl les a ensuite implorées à continuer la lutte et a terminé en disant. Non
compte sur vous».
La lutte à laquelle le sous-ministre faisait allusion est celle décrite dans ce chapitre.
Cette lutte a été menée au mgand jour par des hommes, mais dans l'ombre de la salle
de classe, ce sont des femmes qui ont œuvré au changement. Lorsqu'elles n'avaient
que des livres écrits en anglais pour enseigner, plusieurs enseignantes sont allées à
l'encontre de la directive de leurs supérieurs et ont enseigné en français. Ma mère
raconte, par exemple, que son enseignante n'utilisait l'anglais que lorsque
l'inspecteur venait faire sa tournée. Les religieuses ont également, pendant un
certain temps, eu le contrôle des collèges classiques pour filles et ont ainsi créé un
lieu, pour leurs élèves, de renégociation de l'identité ethnique et sexuée de leurs
éIèves, même si cette construction a eu lieu pour la plupart d'ms les activités
parascolaires. En plus, il est peu probable que les étudiantes avaient une emprise sur
le contenu et le déroulement des cours. Malheureusement, ces filles ont rapidement
perdu l'espace que leur avait créé le collège.
Comme pour ce qui était des cercles pédagogiques, les hommes ont éventuellement
pris en main le travail que les femmes avaient si bien débuté : le collège de Notre-
Dame de l'Acadie n'a survécu qu'à peine vingt ans. Un projet de changement social
instigué par des enseignantes demandera donc une politisation consciente de l'acte
d'enseigner et le courage de nager à contre-courant- L'adoption d'une pédagogie
libératrice demande que l'enseignante dépasse les bornes d'un encadrement qui se
fait de plus en plus serré pour créer un milieu dans lequel il sera possible d'imaginer
une définition inclusive de I'acadianité. Une telle définition fisque de mettre en
péril la distribution actuelle du pouvoir en Acadie et, conséquemment, de provoquer
un réaménagement qui englobera l'action productrice dans un projet de
reproduction du statu quo. Ce statu quo veut que seul le français pur, le français
standard, soit la langue du pouvoir et que tous et toutes reconnaissent la légitimité
de ce pouvoir.
Demère la lutte pour les écoles françaises, on peut déceler une définition de
I'acadianité qui sert mieux les intérêts de l'élite que ceux de quiconque en Acadie.
Au début, c'est une élite d'hommes qui a reçu une formation dans les collèges des
Sainte-Croix dans le sud et des Eudistes dans le nord : la majorité des familles
acadiennes avaient besoin de la main-d'œuvre de leurs enfants pour subvenir aux
besoins de la famille. Ces jeunes collégiens sont éventuellement devenus les
avocats, les prêtres, les entrepreneurs et les médecins de l'Acadie. Ce sont eux qui
ont assisté aux grandes conventions acadiennes, qui ont élaboré un plan d'action
nationale, et qui ont doté l'Acadie d'un drapeau. d'un hymne nationai et d'une
patronne. Le Catholicisme était, au départ, à la base de I'acadianité définie par ces
s,vrnboles nationaux. Cette définition a également guidé leurs actions nationalistes
puisque leur but premier était l'obtention d'une paroisse francophone. Le curé
nommé évêque de cette nouvelle paroisse serait un des leurs, assurant ainsi à l'élite
acadienne un Iien direct au pouvoir ecclésiastique, grand dirigeant des institutions
idéologiques, ou cellules sociales restreintes, de l'époque (églises, écoles, families.
hôpitaux).
Avec I'industrialisation, les ambitions de cette élite se sont tournées vers une
participation plus grande dans le marché économique- La migration des Acadiens et
des Acadiennes vers Moncton leur a permis de rêver à un centre de pouvoir acadien
en milieu urbain, près du pouvoir économique néo-brunswickois. Une population
acadienne plus éduquée donnerait une maina'auvre qualifiée pour les entreprises
acadiennes, que ce soit une compagnie d'assurance en quête de personnel de bureau
CU un journal en quête de personnel pour faire fonctionner son imprimerie. Ici
comme ailleurs, ce sont surtout des préoccupations de classe qui ont influencé les
actions de l'élite acadienne.
La mobilisation scolaire a également servi la nouvelle élite acadienne : elle a permis
à l'Ordre de Jacques-Cartier du Nouveau-Brunswick d'étendre son programme
d'action à une plus grande section de la population acadienne, programme qui
servait les intérêts de la francophonie, mais surtout de I'élite acadienne. Celui-ci
inclut id lecture Fie i%?angéhe dans toutes les familles: l'achat de produits
fabriqués par ou vendus chez des Acadiens. C'était là un premier projet qu'on disait
de refrancisation (cf. Savoie 1980 : 70). Importante à ce projet était
l'institutionnaiisation de la dichotomie fiançaidanglais : les Français auraient leurs
institutions scolaires, mais également économiques, eccIésiastiques et politiques.
C'est sur ce plan que Savoie (1980 : 50) peut dire que les femmes ont, sans le
savoir, servi la cause des commandeurs de l'Ordre de Jacques-Cartier.
Les enseignantes ont participé à cette cause de refrancisation par la création des
cercles et chapitres pédagogiques. En ce sens, elles ont été des agents de
changement. Elles ont également répondu en nombre à l'appel vers les cours
d'été, conçus pour pallier les faiblesses linguistiques d'un personnel enseignant à
majorité féminine. Cette main-d'œuvre, investie de la langue standard par le biais
des cours d'été, pourra l'utiliser pour produire et reproduire des êtres ethniques qui
en reconnaissent la valeur - et acceptent son pouvoir hégémonique. L'appel du
sous-ministre de l'éducation actuel cherche à garantir le concours des enseignantes
dans ia continuité de ce projet de refrancisation en faveur d'une élite masculine,
sans pour autant leur donner une part plus Y m d e des reconnaissances ou des
bénéfices.
Alors qu'elles occupent un nombre aorandissant de postes (30%) de direction d'école,
seulement une minorité de femmes fait partie des équipes de direction des écoles
secondaires, où le pouvoir d'influence et les salaires sont les plus élevés. De plus,
avec ce début de féminisation des postes de direction au primaire, on voit également
apparaître leur dévalorisation et une intensification du travail et des responsabilités
qui en découlent. 11 est de plus en plus difficile de trouver des candidats ou
candidates pour ces postes et le rôle de la direction a été modifié pour inclure non
seulement des tâches administratives, mais égaiement pédagogiques. De plus. le
ratio enseigantldirection a été augmenté et celui secrétariat/enseignant diminué.
Cela se traduit par un nombre grandissant de directions qui doivent assumer une
tâche d'enseignement et combler un manque dans le service de secrétariat.
Finalement, les personnes qui occupent ces postes se voient de plus en plus
supervisées ou guidées avec fermeté dans leurs diverses tâches. Les agents
pédagogiques, par exemple, sont maintenant des accompagnateurs auprès des
directions d'école. il sera intéressant de voir quelle sera la proponion d'hommes et
de femmes dans la prochaine génération de directions dg&ole. Si la dévalorisation et
l'intensification du travail continuent, i l est probable que la féminisation de cette
profession continuera à se faire également.
Dans les deux prochains chapitres, on verra de façon plus particulière comment
deux groupes de femmes, des mères et des enseignantes, continuent à produire et à
reproduire l'hégémonie du français standard et les divisions socides en Acadie,
toujours en faveur d'une élite masculine. Ce travail s'effectue surtout au niveau des
nonnes linguistiques et comportementaies, deux champs dans lesquels il est
possible de poser des actions concrètes. On verra égaiement que l'insécurité
linguistique, tant chez les enseignantes que chez les parents et leurs enfants,
continue à faire partie de I'acadianité du Nouveau-Brunswick. Finalement, des
moyens de faire de l'enseignement un projet de changement social seront explorés
au dernier chapitre de cette thèse.
C h a p i t r e 3
LE RÔLE DE LA &RE ACADIENNE DANS LA PRODUCTION ET LA
REPRODUCTION DE L'IDENTITÉ ACADIENNE
Le grand rôie de la femme [acadienne] est surtout celui de mère et d'éducatrice. On l'appelle couramment la «gardienne de la race» (Cécile Gallant : 1992 : 5) .
Sans se douter qu'elles étaient les porte-parole de certains [membres de l'élite masculine], de nombreuses femmes ont joué un rôle très important dans des associations [vouées à la cause de l'éducation de langue française] (Alexandre Savoie 1980 : 50).
L'époque décrite par Gallant se situait au début de notre siècle, avant I'émer, dence
du mouvement féministe, et celle à laquelle fait référence Savoie, avant l'ouverture
du premier collège classique francophone pour filles en 1943. Dans le dernier
chapitre, on a vu que les femmes ont été conscientes du rôle qu'elles ont joué. Les
religieuses de Notre-Dame du Sacré-Cœur ont choisi de se scinder de leur ancienne
congrégation, les Sisters of Charity, afin de garantir une continuité de la présence
francophone dans la seule con_mé_oation enseignante de l'Acadie. En créant leur
collège, elles ont ouvert la porte aux études classiques pour les filles et leur ont
donné un espace dans lequel elles reconstruiraient leur acadianité et leur féminité.
Ces religieuses ont été des agentes de changement social. Maiheureusement, l'élite
masculine s'est approprié ce travail lors de l'ouverture de l'université de Moncton.
Des femmes laïques ont également été conscientes de l'aspect communautaire de
leur travail en milieu scolaire. Certaines ont défié les règlements pour enseigner en
français. d'autres sont devenues assistantes au surintendant et ont été les pionnières 101
de la présente Association des enseignants et enseignantes du Nouveau-Brunswick.
Les hommes ont pris la relève et les femmes n'ont jamais obtenu la reconnaissance
qui leur était due. Cela a permis aux hommes de continuer à définir le projet de
société de l'Acadie en leurs propres termes et selon leurs besoins. Le travail des
enseignantes est ainsi dirigé dans le sens de la reproduction du marché symbolique,
donc du pouvoir, de i'élite masculine. Dans ce chapitre, on vem que le travail des
femmes en milieu familial, c'est-à-dire celui des mères, mène également à la
reproduction de ce marché. Ce travail est un travail linguistique qu'un bon nombre
de femmes effectue de façon tout à fait consciente.
Dans ce chapitre, i l sera donc question du rôle de la mère dans la reproduction et la
production linguistique et identitaire. Alors que certaines données sur le rôle de
l'enseignante commencent à voir le jour, la participation de la mère, gardienne de la
langue et de la culture reste, pour la majeure partie, invisible. Aujourd'hui, à l'aube
du XXI': siècle, quel est le rôle de la femme acadienne ? Est-elle toujours première
responsable de la reproduction de la mce» ou de l'identité acadienne ? Fait-elle,
sans le savoir, le travail pour le compte d'une élite acadienne ?
Le présent chapitre traitera de ces questions en relation avec l'élément identitaire
qu'est la langue française. Pour ce faire, une malyse de données d'entrevues,
menées afin de mieux comprendre le lien entre le travail langagier des enseignantes,
la communauté et le travail des femmes de Mernramcook, sera présentée. Seize
entrevues, dont dix avec des femmes et six avec des hommes, ont été effectuées.
Les premiers contacts ont été établis avec des membres du comité de parents, toutes
des femmes, d'une des écoles de la région. Seule une femme a répondu
positivement à une demande d'interviewer son conjoint, les autres ont répondu qu'il
ne serait pas disponible en raison de son travail. De plus, seulement deux d'entre
elles ont accepté de me donner le nom d'une autre personne, moins impliquée dans
le travail scolaire qu'elles. Les personnes ainsi identifiées sont des femmes qui,
comme les premières, n'ont pas un travail rémunék Par contre, toutes ces femmes
ont déjà occupé des postes sur le marché du travail. Dans cette cohorte. il y a des
secrétaires, une professeure dans un domaine non traditionnel et une traductrice.
II est possible que les difficultés rencontrées s'expliquent par le fait que toutes les
femmes du comité de parents ont décidé de rester a la maison lorsqu'elles ont fondé
leur famille. En fait, avant de me donner le nom d'une autre personne, une de ces
dernières me dit qu'il faudrait que ce soit une personne qui ne travaille pas. Ces
femmes perçoivent donc les gens qui travaillent à l'extérieur de la maison comme
étant pIus occupées qu'elles. EI est également possible que le réseau de ces femmes
soit constitué pour la plupart de femmes qui ont quitté un travail rémunéré pour
élever leurs enfants. Ii est vrai que plusieurs amitiés de femmes se concrétisent
lorsqu'elles débutent leur vie de mère au même moment mrwin 1985). Les seules
femmes rencontrées qui ne font pas partie de ce réseau sont la maire d'un des
anciens villages de Memramcook et deux femmes rencontrées dans mon milieu de
travail. Une dernière femme est la conjointe d'un représentant d'un ancien District
de Services Locaux (DSL), c'est-à-dire d'une unité administrative sans
gouvernement municipal, donc géré par le gouvernement provincial. En 1995,
l'actuel village de Mernrarncook est né de l'amalgarnation de ces DSL et du seul
village de la région déjà incorporé.
Outre le conjoint d'une des membres du comité de parents, les hommes interviewés
sont tous des représentants élus par la communauté. Quatre d'entre eux ont été des
représentants de leur DSL et un dernier est un des conseillers municipaux du
nouveau village de Mernrarncook. Aucun homme interviewé n'a une scolarisation
de niveau universitaire. Deux d'entre eux ont, par contre. un cours collégial et
travaillent pour le gouvernement, un est mécanicien et l'autre électricien. Un seul
des quatre autres a terminé son secondaire. Ce groupe moins scolarisé est composé
d'un agriculteur, d'un retraité et de deux ouvriers. Seul l'agriculteur ne doit pas se
rendre en ville pour travailler. Absentes de cet échantillon sont les familles
comptant sur les prestations de chômage ou de bien-être social pour subvenir à leurs
besoins. Aucun parent interviewé n'est à la tête d'une famille monoparentale ou
d'une famille ayant vécu un divorce. Cet échantillon est, en fait, représentatif de la
<(norme» sociale qu'est la famille constituée de deux parents (un homme et une
femme) et leurs enfants (un ou deux seulement). Dans la majorité des cas, seul un
parent, en l'occurrence le père, occupe un emploi rémunéré. Le tableau ci-dessous
présente les caractéristiques des personnes interviewées :
Travail
Mie-Hélène
Denise
Mère et bénévole Mère et bénévole
naissatr ce Sud-Est du NB Sud-Est du NB
Joce 1 yne 1 Memramcook 1 Français 1 Secondaire 1 Mère et
maternelle Français
1 1 1 1 bénévole
Université
Annie
Charles 1 Memramcook 1 Français 1 Secondaire 1 Contremaître
Français 1 Secondaire
Memramcook
--
Gaston 1 Memramcook 1 Français 1 Collège 1 Journalier
Réginald
Euc 1 ide
Français
Memramcook
Memramcoo k
Donata
Doro t hée 1 Memrarncook 1 Francais 1 Collège
Secondaire
Lise Ginette
bénévoIe Mère et
Français
Français
Memramcook 1 Enseignante Français l Memramcook Memramcoo k
Sheila
Yves
1 (immersion)
Collège
Primaire
1 Secrétaire
Mécanicien pour le gouvernement Fermier
Français Francai s
Nord-Est du NB Memrarncoo k
Mère Col Iège Uni versi té
Mère Anglais
Français
--
Mère et Primaire
Collège bénévole Electricien pour le
Jean Memramcook
Yvette
Français
Mernramcook 1 1 auxiliaire
Français
Malgré le manque de diversification dans cet échantillon, il demeure important de
noter les différences majeures qui existent entre le discours linguistique du groupe
des femmes et celui du groupe des hommes. De plus, cette homogénéité fait
ressortir un élément de différence sociale et personnelle qui serait moins perceptible
avec un échantillon plus hétérogène. En effet, le travail linguistique des mères
diffère selon qu'elles sont plus ou moins scolarisées, alors que l'attitude des pères
vis-à-vis la langue est liée de plus près à son milieu de travail. Avant de passer à
l'exploration de ces discours linguistiques et des différences qui y sont exprimées. il
importe de préciser le contexte local dans lequel évoluent ces discours.
Pri maire
LE PAYSAGE VISUEL
souvernement Fermier à la
Collège
En 1994, la communauté acadienne du Grand Moncton, située à quelques
kilomètres de Memramcook, a été hôtesse du tout premier Congrès mondial acadien
et Retrouvailles de la diaspora acadienne7. Le drapeau acadien. le Bleu, Blanc,
Rouge étoilé, était partout et les familles acadiennes s'affichaient fièrement.
Plusieurs avaient placé une affiche. confectionnée pour l'occasion, munie d'un
drapeau acadien et de leur nom de famille ou du mot «Fêtons» devant leur maison.
On se serait cru en pleine campagne électorale et des blagues ont fait surface en ce
sens : de dire un anglophone à un autre, «What1s the election for?». L'autre répond,
«I dont know, but Fêtons is sure to win». C'est qu'à Moncton, on voyait plus
retraite In fi rmière
- IL conF& donna licu 1 divcrsrs cconfL-rnccs m r i'actuditi. acadirnnc ct Ics Rctrou\dlcs 5 dcs &unions dc iamiUc. c'csr-i-riirc d ~ s drlicrn Jmts hnS3fS. antiiiis. lotilsianis. canadirns. ctc, dcs ;\wdims qui ont v i n Ia diportrition
Jç 1755. 11 y avait la rcuninn dcs I ~ H l a n c , dcs C~audcc. drs Savoic ...
souvent affiché le mot .fêtons>> que les noms de familles. À Memramcook, par
contre, on voyait plus souvent les noms de famille.
La population de Memramcwk a rendu son visage acadien plus permanent que ne
l'a fait la municipalité de Moncton : le drapeau acadien n'était pas qu'une bannièrp
qu'on pourrait enlever à ia fin de la fête. il était peinturé à même les poteaux et les
maisons. Selon la tradition acadienne, plusieurs ont également confectionné des
figurines pour décorer leur parterre. On y voyait Évangéline et Gabriel (personnages
mythiques symbolisant la déportation), des pêcheurs et des cultivateurs. Dans une
des paroisses religieuses de Memramcook (l'actuel village en englobe trois), on
retrouvait égaiement une personnification de la passe-pierre, une herbe sauvage
utilisée dans la cuisine traditionnelle du coin. Ce personnage faisait partie d'une
campagne de refmncisrition.
Avec le passage du Congrès, Memramcook n'a pas perdu ses couleurs acadiennes.
Au conmaire. certains y ont retrouvé un sentiment d'appartenance à un peuple.
sentiment qu'ils ne veulent plus perdre :
Entrevue 1997
Denise : Mais, j'vas dire y a pas si longtemps que j'suis rendue fière de ma culture puis de ma langue. i l me semble y a pas de choses. y me semble que j'avais pris ça pour acquis. Tu sais, que notre culture allait tout le temps être là, ça faisait partie de nous autres. Mais avec le Congrès mondial acadien, puis c'était un monsieur Ià, j'peux pas penser à son nom. de la Louisiane qui parlait puis qui disait comment qu'eux autres c'était la dernière génération à parler français. J'ai pensé Wow. Tu sais. Ça pourrait être nous autres ça qui le perdrait comme ça là. II me semble que j'avais jamais été consciente que c'était une possibilité de le perdre. (...) Mais Acadiens comme tels, on est pas tellement là, si tu 'gardes euh. Je crois avec le Congrès puis tout ça, j'crois que ça m'a mis plus fière de ma culture.
De plus, on voit des éléments identitaires intégrés au paysage visuel permanent de
Mernrarncook : alors que cenains affichent plutôt le drapeau du Nouveau-
Brunswick ou du Canada, ou une combinaison des drapeaux acadien, néo-
brunswickois et canadien, plusieurs individus affichent en tout temps leur identité
soit par le drapeau acadien ou par la répétition de ses couleurs dans la confection
d'objets décoratifs étalés sur les parterres.
En ce qui a trait aux institutions, les écoles portent le nom d'Acadiens de la région
ou de lieux acadiens, allant jusqu'à reprendre des toponymes depuis longtemps
effacés des mémoires. Or, démontrant bien leur appartenance à une stnicture
provinciale, ce sont les drapeaux de la province et du pays qui sont les plus visibles;
le drapeau acadien ne fait son apparition qu'à l'occasion. Les églises ajoutent, pour
leur part. à l'image acadienne de Mernramcook en intégrant le drapeau acadien à
leurs vitraux ou en construisant, sur le terrain de l'église, un monument dédié à la
Vierge Marie, patronne des Acadiens et Acadiennes. De plus, lors des célébrations
de l'Assomption, fête nationale des Acridiens et Acadiennes, l'intérieur de l'église de
Lourdes est fièrement décoré de bleu, blanc et muge. LE gouvernement municipal
tente également de faire sa part dans la constitution d'un visage acadien, mais cela
n'est pas toujours facile, car il faut toujours passer par une autorité plus puissante
que soi.
Suite à une réunion du conseil municipal de Mernramcook, un des représentants dit
espérer qu'il sera plus facile de faire changer le nom de sa rue maintenant qu'elle est
incluse dans le village et non dans un DSL. Le membre en question habite sur la rue
La Montagne, anciennement La on tain'. Lors d'une entrevue, un autre membre du
consei 1 municipal explique :
Entrevue t 997
Yves : C'est la même chose, j'ai été supposé mentionner, on a la place, dans notre district de services locaux, c'était appelé La Montain, depuis des siècles et des siècles. Père Clément cormier9. Qu'osse t'appelles le vieux grand, (...) i l était au Collège Memramcook. Ben, c'est lui qui a voulu faire changer le nom, ils ont fait nommer ça la Montagne, parce qu'il dit que la Montain est un anglicisme. J'ai pas pu comprendre ça, j'ai été le voir. i l était pas en enfance dans ce temps-là, puis il savait pas comment Ca c'est, mais la Montagne, c'est de même les Anglais qui l'ont emprunté de nous autres. Si tu vas dans les plus vieux dictionnaires français. comme Pascal ~oirier" puis ça, la Montain, c'était comme une petite montagne. C'était, eux ils disaient c'était comme Mountain Road, ces affaires-là. Ben, tu sais, t'aurais cm qu'au moins quelqu'un qui était autoritaire comme, ben, on a essayé de le faire changer, puis c'est très difficile.
Alors qu'il est question ici de reprendre une marque identitaire acadienne, on
demande également la francisation des noms de rues nettement anglophones, tels
que celui du chemin Lake. Une informatrice dit, à ce sujet, que l'ajout du mot
chemin ou rue ne suffirait guère; on veut renommer ces rues. En fait, les plus
récentes rues portent des noms acadiens ou des noms qui reflètent I'acadianité de
Mernramcook. On y retrouve par exemple. le chemin «Butte-des-Richard>.
En plus du désir de franciser les noms de rue, une enseigne située à l'entrée d'une
des paroisses de Memramcook dénote un effort plus large de francisation : celle-ci
indique le pourcentage de commerces qui s'y affichent en français. On veut donc
que le secteur privé se francise davantage. Or, en raison de l'établissement d'une des
premières communautés acadiennes. suite à la déportation de 1755, sur ses lieux et
1" \ ' v a fair rkfkrcncc 3u C~IISIT a r d m dc Pascd Poirier (1 852- 1932). Ccnc cruvrc n'a pas &C p u b i i l ~ du v k m r dc I'aurcur. m i s unc diaon critique a p ~ u cn 1993 aux h i t i o n s d':lca&c.
de l'importance de la région pour le développement scolaire acadien, Memramcook
se dit le berceau de I'Acadie. Alors comment expliquer ce besoin de francisation?
Plusieurs commerçants desservent non seulement la popuIation de Memramcook,
mais également celles de deux communautés avoisinantes à forte majorité
anglophone et même, selon certains, anti-francophones. Avant la construction d'une
autoroute. la population de ces deux communautés devait passer par Memramcook
pour se rendre à Moncton, ville où plusieurs gens des villages avoisinants
travaillent. et i l est toujours plus rapide pour certains de passer par 18. Les
entreprises de Memnmcook s'affichent donc soit en anglais, soit en anglais et en
français et ce. malgré l'utilisation des couleurs de l'Acadie dans leur affichage et
l'adoption d'un nom de commerce qui reflète une appartenance à Memnmcoak. On
voit donc l'irnponance accordée à la langue en tant que marque identitaire. mais,
dans ce mouvement de francisation, i l s'agit plutôt de la valorisation du français
standard que de la langue du milieu. cette dernière n'échappant pas au mouvement
de conscientkation linguistique : on cherche à l'améliorer pour qu'elle ressemble
davantage au frangais standard. Ce chapitre démontrera que ce travail est celui des
femmes et de l'école.
Cette montée de conscience linguistique et identitaire n'est pas. par contre. sans
créer ce que certains considèrent être de nouvelles tensions linguistiques. Chez
Gaston, représentant d'un DSL, ces tensions se vivent à l'intérieur même de la
famil te.
Entrevue 1997
Gaston : (...) je vas pas contre le français non plus. Je suis Français moi-même. (Phyllis : oui) L'anglais. y en a plusieurs qui essayent à parler le français, y 'n a plusieurs qui veulent pas même l'entendre non plus. so t'as ça des deux bords. Parce que j'ai une belle-sœur. que j'vas lui parler en anglais, puis ...
Phyllis : Elle va te regarder de travers.
Gaston : Elle comprend pas en toute. Elle comprend, mais elle veut pas parler l'anglais. T'as ça de tous les bords. Aller jusqu'à temps que c'est sorti qu'il y avait trop de français, tout le monde s'accordait bien. Tout allait bien. Asteure, ça fait des grosses riots panout à cause qu'il faut qu'il ait trop de français. Pour quoi c'est faire du, du tapage y où c'était bien ?
LI y eut un temps où la langue du commerce et du travail de comités à Memramcook
était l'anglais, surtout si un anglophone faisait partie du groupe ou se trouvait à
proximité. Aujourd'hui, les francophones demandent de plus en plus de services et
le droit de travailler en français. Ceci crée des tensions. surtout lorsqu'une personne
se trouve personnellement touchée par ce changement. Telle est la situation que vit
Gaston. cité ci-dessus : sa conjointe est anglophone et, grâce à son bilinguisme, il
est devenu le bras droit d'un ancien patron francophone.
En ce qui concerne le commerce. l'anglais demeure une langue importante
d'échanges. Tel qu'il a été mentionné précédemment. la population de
Memrarncook n'est pas la seule clientèle desservie par les entreprises du coin, ce qui
explique le bilinguisme des enseignes et des commerçants. Le bilinguisme est
également le mot d'ordre dans le commerce avec des étrangers : lorsque j'entrc soit
à la pharmacie. au poste d'essence ou à l'un des dépanneurs, les commis utilisent à
la fois le français et l'anglais (traduction simultanée) pour me venir en aide. Or. on
parle immédiatement et uniquement en français (ou sa variété régionale) aux gens
qu'on sait être de la communauté.
Pour ce qui est de l'exogamie. il est certes plus facile de la vivre lorsque la société
qui nous entoure s'accorde pour parler la langue de la majorité - celle-ci étant très
souvent la langue du couple, puisque, dans bon nombre de cas. le conjoint
majoritaire n'apprend pas la langue minoritaire. Lorsque la minorité linguistique
s'affirme, comme le fait de plus en plus la population active de Memramcook, le
conjoint bilingue se retrouve devant l'obligation soit de traduire pour l'autre, soit de
vivre une division entre sa vie familiale et sa vie cornrnunautaire. Encore d'autres
portes se ferment lorsque Ie registre de la langue du travail communautaire tend
vers le français standard, la langue maternelle de plusieurs étant le chiac.
Une informatrice. Denise, dit que les gens du nord-ouest de la province s'installent
de plus en plus dans sa région. Certains se retrouvent au sein des mêmes comités
qu'elle. «Avant ça, on se comprenait entre nous autres. Asteure, il faut tout le temps
expliquer ce qu'on veut dire». En guise d'explication, elle raconte l'anecdote
suivante : un homme (du nord) dans un des comités avait vu un autre homme (de
Memramcook) debout «dans son car port». Celui du nord avait demandé à l'autre ce
qu'il faisait là. Le second répond qu'il espère [attend] une drive». Celui du nord lui
demande s'il ne serait pas mieux de se placer près du chemin s'il espérait
[souhaitait] que quelqu'un allait arrêter le ramassem. Voulant assurer ma
compréhension, Denise rend explicite que celui du nord avait compris que l'autre
souhaitait que quelqu'un arrête, alors que l'homme du sud attendait que sa drive
u h ~ LANGUE QUI NOUS RESSEMBLE
II existe un mouvement de francisation de la langue qu'on «comprenait entre nous
autres,, ou du chiac, mais la majorité des gens qui ont consenti à une entrevue
s'identifient au chiac. De plus, seules certaines personnes ont tendance à le dénigrer.
alors que d'autres lui donnent une connotation positive : tout dépend de la définition
qu'on lui donne. Or, cette langue est marginalisée par l'école ainsi que par ses
propres locuteurs et, surtout, locutrices.
Le chiac est une variété linguistique qu'on définit tantôt par la présence de mots ou
d'expressions tirés de l'anglais, tantôt par la présence du vieux français.
Chiac = anglicismes
Entrevue 1997
Sheila : And 1 don't know if it's the difference in the pronunciation here because they laugh and they joke about the Chiac, but it is, there's not too mmy people ... uh, around here that do speak perfectly you know, perfectly good French. it's basically Chiac. If you listen long enough you can pick up because you can pick up the English words and they're using.
Phyllis : So is that how you define Chiac then? 1s the mixture of French and English?
Sheila : That, that's what they define it as thernselves. That's what I've k e n told what they cal1 it. That's not my word, that's their word.
Phyllis : Would you have a word for it? Would you, you know, (Sheila. : well it's just) do you know if the English community has a word for it that's different?
Sheila : No, it would just be broken, like broken French basically. I've never heard it, like called anything in English other that they say down here awe're speaking in Chiac».
Chiac = vieux franpis :
Girlette Lueutrice du frailçais standard lors de sitriarions plus formelles, telles que les réunions du comité de parents oii en salle de classe. oic elle vient souvent lire des contes aux enfants.
Entrevue 1997
Mots chiacs je vois c'est des beaux mots comme cagouette. bénaise, qu'est-ce [que mon fils] va m'apporter là, *** puis il va
me sortir avec un mot puis ça fait longtemps que j'ai pas entendu le mot. Comme ça, ça (Phyllis: Ok.) c'est beau. Ça! J'aime pas quand il utilise l'anglais, l'anglais ça. ça ça me ...
La définition des linguistes combine ces deux définitions :
Le chiac se distingue des autres parlers franglais, par exemple du joual de Montréal, parce qu'il est un mélange bien particulier, non seulement d'anglais et de français, mais aussi de vieux français conservé par les Acadiens. Voici un exemple pris sur le vif : 1 s'avont émoyé de ton 'car' neu (0. Ils se sont informés de ta voiture neuve (Péronnet 1989 : 6).
Chez les locuteurs du chiac, on retrouve également ces nuances, mais on retrouve
en plus une identification au chiac : on ne fait pas que parler le chiac, on est Chiac.
Cette identité est celle d'un peuple minoritaire, vivant dans une situation de contact
entre les langues, mais qui réussit néanmoins à survivre. Pour Euclide, le chiac
franglais est né de la nécessité même de survivre :
Entervue 1997
Phyllis : Puis tu parles de diversifier, la langue française c'est pas seulement une iangue. Il y a le chiac, l'acadien, le tout ça. Le chiac pour toi qu'est-ce que c'est ?
Euclide : Ça c'est ... Une identification d'une région, c'est bon. Parce que quand tu communi ... , quand tu parles en chiac puis quand tu fais des communications sur papier c'est pas pareil. C'est comme ces cahiers42 (de la société historique), y' a pas trop de chiac là-dedans.
Phyllis : Comme ça, pour toi le chiac c'est comme parler mais c'est pas écrit.
Euclide : Bien tu le parles parce que quand t'étais pris avec les deux langues quoi c'est le choix que t'avais ? Tu savais pas comment prononcer, t'avais pas d'études pour savoir comment faire des prononciations, des verbes quoi.
Phyllis : en français.
Euclide : Bien oui. Tu sais. Puis en anglais c'est la même, les Anglais eux autres en avaient pas besoin eux. Bien dans la langue anglaise, ils sont Chiacs eux autres aussi. Si tu veux regarder ça comme i l faut. Garde dans toute leurs mots là, Not to be desired. Ça c'est la même affaire comme en Angleterre, y sont-tu Anglais? Ils sont des Anglais, supposés être des Anglais ça. English là. Puis écoute voir des Anglais d'Angleterre, i l y a pas d'eux (deux?), parce que eux aussi y avons du chiac. Va à Scotland c'est différent.
Phyllis : Comme ça le chiac ça serait une question de prononciation, le comment on prononce les mots ?
Euclide : Prononce les mots et assimiler, parce que c'est la conjoncture. Comme je vais te donner un exemple. Moi je connais des gens de même ici encore, i l y en a encore quelques-uns qui ont la misère à parler en anglais. Ils traduisent : i l y a pas de bon sens là-dedans, no good blood in that (sic). AMot pour mot. C'est ça que t'as. Si tu l'a pas appris, t'as pas été à l'école puis t'as seulement été à I'école quelques années, t'es pas rendu aux grades des verbes puis des prononciations puis des syllabes, où c'est que tu vas avec ça ? C'est pour ça que ça anive ça.
Le lien entre la scolarisation et la langue parlée que soulève cet informateur est
répété par plusieurs. Outre les gens de l'extérieur de la région (nord du Nouveau-
Brunswick, Québec. Ottawa, France), ce sont les personnes les plus scolarisées qui
parlent le «vrai français». C'est lors de situations de contact entre «Chiacs» et ces
wrais Français» que la langue exclut. Lors des réunions de certains comités, par
exemple. les locuteurs du français standard donnent à Denise l'impression qu'elle ne
parle pas assez bien et elle est parfois gênée de dire ce qu'elle pense; elle préfère se
taire plutôt que de ne pas se faire comprendre. Cette informatrice accepte que ce
soit à elle de faire l'effort pour se faire comprendre et non aux autres, venus de
l'extérieur et locuteurs du français standard, à essayer de la comprendre. D'autres
n'acceptent pas de modifier aussi facilement leur langue.
Gaston, par exemple, reprend les facteurs géographiques et éducatifs dans son
explication des tensions linguistiques, mais il accepte mal qu'on vienne lui dire
quelle langue parler :
J'veux pas condamner le, le vrai français de Québec ou de Montréal ou de France. Quoisse qui anive, y en a plus, les dernières de ces places-là, qui sont dans la région, qui sont des instructeurs à l'université. Eux-autres poussent. Pour le vrai français. Pour quelle raison ? Avant que ça saille soite toute là ça là. Tout le monde vivait pareil, tout le monde s'accordait. Oui, t'avais de la misère 5 parler. parce que j'veux dire, si tu savais pas si y était anglais là, tu savais pas tous les mots, Ok, c'était. Mais de plus en plus, tout le monde parle plus français qu'anglais. L'anglais, y en a moins qui parlent le français. Mais, tout ce qu'une personne peut faire c'est de lui donner une chance. Puis pourquoi c'est pousser le français, puis yinque sur le français? Qu'ils apprennent les deux aussi. Pour qu'ils peuvent s'arranger dans la vie eux aussi.
La distinction qui se dessine ici entre le discours d'un homme et d'une femme se
maintient de façon générale entre le groupe des femmes interviewées et celui des
hommes. Les femmes acceptent et participent activement au maintien du statut
préférentiel du français standard alors que le discours des hommes est plus
différencié; le discours des femmes est étroitement lié à la scolarisation des enf'ts,
celui des hommes l'est au monde du travail où les normes linguistiques varient
selon le milieu; les femmes parlent de différences linguistiques entre les
générations, alors que les hommes parlent de différents mondes de travail. Suite à
une discussion de ces deux types de discours, on vern que dans la plupart des
foyers, la langue demeure une préoccupation féminine.
LE DISCOURS DES HOMMES
Le discours langagier des hommes dépend du milieu de travail dans lequel ils se
trouvent. Tout comme chez Gaston, cité précédemment, la langue valorisie par les
hommes, à I'exception de l'agriculteur du groupe, est celle qui leur a le plus servi
dans le monde du travail. De fait, la référence à ce monde, dans toutes discussions
au sujet de la langue, est ce qui caractérise le plus le discous de ces hornrnes. Ceci
est aussi vrai lorsqu'il est question de la valeur du chiac que lorsqu'il est question de
l'importance du français, matière scolaire. Pour certains, le travail nuance les
réponses à mes questions (ça dépend...).
Entrevue 1997
Réginaid : Parce que, tu t'en vas sur ta job, dépendant de ta job, pour moi. le français est pas trop important sur ma job.
Phyllis : Non?
Réginald : Tu sais, parce que moi, je peux faire des affaires en anglais, parce que les programmes de computer puis ça, y a pas de programmes de français, là. (nt) (...) les matières les plus importantes [à l'école], ça dépend qu'est-ce que l'enfant veut faire. La math, la physique, des affaires de même, c'est plus important qu'ils comprennent ça, que s'en aller puis se casser la tête, à comprendre le français et l'anglais, là. Tant qu'à moi, mais là, ça dépend. Ça dépend si tu veux aller travailler, ça dépend où tu veux aller travailler. Mais y a telles places, si faut que tu parles devant le public puis tout ça, si tu, ah, si tu veux pas commencer du chiac, puis du, park my car, dans la rue, puis des affaires de même, là, tu peux, là, t'as plus de sens, là. Si t'as une telle position, faut que tu peux, tu sais, comme quelqu'un qui peut parler sur la télévision puis dire des mots de . . .
Tout comme d'autres qui travaillent dans un endroit où le bilinguisme ou le français
standard ne sont pas d'une grande importance, cet homme n'accorde pas une grande
i mpcrtance à l'apprentissage du français standard. Lorsqu'i ls en auront besoin, soit à
l'université ou au travail, les enfants l'apprendront. Réginald est également critique
de In place qu'on accorde au français standard dans la définition du bilinguisme en
milieu de travail.
Depuis 1995, plusieurs entreprises nationales et internationales ont établi un centre
d'appel dans la région du Grand Moncton. Alors que la raison évoquée pour ce
choix d'emplacement est la disponibilité d'une main-d'œuvre bilingue, d'autres
considérations doivent également avoir eu un impact. En effet, plusieurs employés,
souvent des femmes, ont été recrutés à l'extérieur pour combler un certain nombre
de postes bilingues. Certaines personnes, dont Réginald, vont jusqu'à dire qu'aucun
francophone de la région du sud-est n'a obtenu un poste bilingue dans un de ces
centres d'appel. Réginald précise que les dirigeants ont puisé leurs employés
ailleurs parce qu'ils cherchaient des locuteurs d'un français autre que celui de sa
région. Il trouve cette préférence injuste, mais ne peut rien contre cette régulation de
l'extérieur.
Entrevue 1997
Réginald : Ben, parce que, y a une chose qu'ils m'ont dit l'autre jour, le plus vieux, que je pense c'est [Compagnie XJ Moncton, ils voulaient du monde français. Puis je me souviens pas qu'osse qu'étaient les entrevues, 300 ou, y a pas de français qu'a passé.
Phyllis: Ah, non?
Réginald : C'est tout, tout fait venir des français, je sais pas si c'était du Québec, ou youssé que ça vient, (...) ça qu'il y a arrivé à [compagnie XI, on dirait que ça n'a pas de bon sens. Qu'ils viennent icitte, dans le boutte de Dieppe, Moncton, Memramcook, Bouctouche, Shédiac, tu sais, t u peux avoir du monde, moi, je dirais, de toute cette région-là, qu'avaient été faire des entrevues, puis pas un d'eux a été accepté, e n français.
11 est difficile de savoir combien de femmes du nord de la province (région à forte
majorité francophone ayant un taux de chômage très élevé) ont en effet déménagé à
Moncton afin de prendre un emploi dans un centre d'appels. D'autres gens. surtout
d'anciens étudiants et étudiantes de l'université de Moncton ou du collège
communautaire de Dieppe, ont égaiement décroché des emplois dits bilingues par
contre. Du point de vue lexical, toutes ces personnes parlent un français qui se
rapproche plus du français standard. Réginald semble donc associer locuteur du
français standard à personne venue d'ailleurs. II trouve la préférence pour ces
locuteurs injuste puisqu'il existe différentes variétés de la langue française et non
seulement un bon français. Pour appuyer cette vision, il donne l'exemple des
diplomates de la francophonie mondiale qui ne se comprennent pas entre eux-
Conséquemment, lorsqu'il est question d'élever ses enfants, il se dit qu'il est
important de leur enseigner le français, mais quel français? Que faire lorsqu'on est
fièrement chiac, mais que le monde du travail ne valorise que le bilinguisme
français standard/angIais? Que l'homme accorde de I'importance au français
standard ou non, le bilinguisme est en fait d'une importance première et le français
secondaire : on parle ce que l'on doit parler pour avoir du travail. ie bilinguisme
continue donc à être une ressource fondamentale à la participation acadienne sur
des marchés symboliques dominés par d'autres.
Pour certains hommes, le travai 1 explique I'importance accordée au «bon français».
Certains de ces hommes travaillent dans un milieu qui valorise, voire même exige,
l'utilisation du français standard, d'autres, comme les hommes cités ci-dessous, ont
besoin de communiquer avec des gens qui ne parlent pas et qui ne comprennent pas
le chiac. Euclide, Ln fermier, fait référence au besoin de comprendre et à celui de se
faire comprendre, alors que Jean, un ouvrier à la retraite, ne parle que du besoin de
comprendre. Pour ce dernier, le «bon français» est un élément essentiel au
bilinguisme nécessaire à la recherche d'emploi.
Entrevue 1997
Phyllis : Pourquoi ça serait important que l'enfant apprenne ça [le bon français] ?
Euclide : Parce que plus tard quand que, quand qu'il arrive à remplir des formules, où c'est qu'y va avec ça. Formules pas chiac. Moi je connais des jeunes de 12 ans qui pouvont pas remplir une application. Parce qu'ils comprennent pas les mots. Mais en chiac peut-être bien. Peut-être. Puis encore. (-a->
Phyllis : Mais, toi tu penses qu'ils devraient leur enseigner [le bon français] pour qu'ils puissent s'en servir plus tard.
Euclide : Bien oui c'est sûr. Parce que, peux-tu t'imaginer t'es en train de me donner une entrevue, puis OK j'ai appris à propos des syllabes tout ça, mais là je parle un peu moins vite. [Si je parlais comme d'habitude, tu ne me comprendrais pas]
Entrevue 1997.
Jean : Les apprendre à parler le bon français, oui, c'est un bon point, ça.
Phyllis : Um-hum. Puis penses-tu que ça, c'est, c'est vraiment important pour la vie future des enfants aussi?
Jean : Oui, ben faut qu'ils peuvent parler les deux langues aussi, là.
PhyIIis : Ah oui?
Jean : II faut qu'ils soient bilingues, parce que t'es pas bilingue asteure, tu vas voir pour l'ouvrage, en quelque part, c'est ça qu'ils demandont. Si t'es bilingue, ben t'as pas de problèmes à avoir. Ça c'est bon d'avoir les deux langues. le français puis l'anglais.
Phyllis : Puis si quelqu'un parle le chiac, puis l'anglais. tu penses que ça sera pas la même.
Jean : Non, non.
Phyllis : Non.
Jean: Puis y en a, tu parles comme nous autres, moi-même
asteure, un bon Français vient nous parler, puis y a des mots qu'il dit qu'on est, on sait pas qu'osse qu'ils voulant dire, parce qu'on l'a pas appris. Nous-autres. on parlait moitié, moitié anglais, moitié français, so. Y a des mots que c'est malaisé à dire, tu sais pas qu'osse qu'ils voulant dire.
Tel qu'il a été mentionné précédemment, aucun homme ayant fait des études
universitaires n'a été interviewé. Or, le conjoint de Marie-Hélène, une des femmes
interviewées, détient un diplôme universitaire et, selon elle :
Entrevue 1997
Marie-Hélène : Mon français a amélioré, ainsi que celui-là de mon mari [Alain] à cause qu'on a eu des enfants. Parce que si tu vois de quoi tu veux lui donner le vrai mot exact (...) [Alain] est très, i l est très sensible à l'éducation comme ça, c'est sûr. Parce qu'il les voit à l'université, on les voit tous les deux avec des gros rêves. Je sais pas si ça va se réaliser, mais on va souhaiter là. Puis pareil pour le français, lui aussi tu sais. Oui.
De plus, Marie-Hélène précise que son conjoint est moins tolérant qu'elle devant
l'utilisation que font leurs enfants du chiac : elle comprend que cette langue est
importante pour l'intégration sociale de leur fils, alors qu'Alain voudrait qu'il
n'utilise que le français standard. Cet homme occupe un poste de haut niveau dans
la fonction publique. 11 est fort probable que lorsqu'il utilise le français dans son
miIieu de trrivail, il doive utiliser la forme standard. En fait, dans le monde du
travail, le fnnçais standard est la marque identitaire des professionnels et
professionnelles de langue française et la seule langue qu'apprennent les politiciens
et autres anglophones «haut placés». Le français standard est donc la forme
privilégiée tant par l'élite acadienne qu'anglophone. En fait, la <qualité» de la langue
parlée et écrite est souvent un critère d'embauche chez les professionnels, comme le
précise Réginald :
Enterevue 1997
Réginald : Oui. C'est ça les mots qu'ils savent, français. Ben, là, ils disent, ils s'en vont pas à, à Mernramcook, c'est pas mal des gens en français, c'est parce que, qu'on va dire, comme tous les haut placés, on va dire qu'ils ont tout, c'était des, ben, je dis pas tout tout les Anglais, mais --
Phyllis : La majorité.
Réginafd : Si qu'il y en avait 10 Anglais, puis 5 Français, ben z'eux [les Anglais] allont apprendre le français, juste juste le français [par opposition au chiac], là. Y allont pas s'en aller chez eux le soir puis parler français. là. Tu sais, ils vont parler l'anglais de nouveau.
Chez les hommes, l'expérience personnelle, surtout au travail, est donc d'une grande
irnpocxce h m la formation d'opinions sur le français et le chiac. L'expérience
personnelle joue également ce rôle chez les femmes. Or, chez elles, la vie scolaire
sert de cadre de référence. Pour certaines, il est autant question de leur scolarisation
que de celle des enfants. Alors que pour d'autres, il est uniquement question des
options éducatives des enfants. On verra également que plusieurs d'entre elles
parient d'améliorations langagières d'une génération à l'autre, tout comme si cette
amélioration faisait partie de leur legs aux enfants. Le lien entre langue et identité
professionnelle y est pour quelque chose. En fait, comme l'a démontré Susan Gal
(1978) dans le cas d'une communauté hongroise, la langue peut être un outil de
mobilité sociale pour les femmes plus qu'elle ne l'est pour les hommes.
Alors que Gal (1978) démontre que les femmes de cette communauté hongroise
choisissent de parler l'allemand aftn d'accéder au marché du travail dominant et
laisser derrière elles la vie de campagne, les femmes de mon échantillon choisissent
de laisser de côté le français régional en faveur du français standard. Ce standard est
non seulement la langue du marché dominant francophone, mais, avec l'anglais, il
constitue une ressource importante sur les marchés dominants canadien et mondial.
Ce sont ces marchés et celui des institutions fédérales et provinciales que les
femmes interviewées convoitent. Ces marchés exigent de plus en plus la
connaissance de plus d'une langue «mondiale». En effet, le français standard est une
denrée convoitée autant par Ies anglophones, à en juger par le nombre de jeunes
anglophones inscrits dans des programmes d'immersion française (programmes où
le français est la langue d'instruction), que par les Acadiennes. Le chiac et l'acadien
ne sont pas des ingrédients d'un bilinguisme légitime.
Pour ce qui est de l'apprentissage de l'anglais, cette langue est depuis longtemps
intégrée aux valeurs de la population acadienne. b r s de l'industnalisation de la
ville de Moncton, l'anglais était nécessaire à l'obtention d'un emploi au chemin de
fer et à toutes transactions dans certaines entreprises. En fait, une Acadienne qui
habite Moncton me racontait tout récemment que lorsqu'elle était petite (elle a
actuellement une cinquantaine d'années), le fait de parler le français au travail était
une raison suffisante pour être congédiée. De plus, ses parents lui disaient de ne pas
dire un mot -elle ne savait parler que te français - lorsqu'ils entraient dans certains
magasins. II ne fallait pas parler en français si on voulait se faire servir. Or, mal"&
l'apprentissage de l'anglais, les Acadiens n'ont pas réussi à percer. En effet, les
hommes interviewés n'ont pas troqué leur langue régionale contre l'anglais. Iis ont
appris l'anglais tout en maintenant le français régional. Les femmes apprennent
également l'anglais, mais laissent le français régional denière elles lorsqu'elles
apprennent le français standard.
LE DISCOURS DES FEMMES
Toutes les femmes rencontrées s'accordent pour dire qu'il est important de parler le
«bon français» avec les enfants et, qu'en fait, elles font des efforts pour améliorer
leur propre langue depuis qu'elles sont devenues mères de famille. Carneron (1995)
démontre que le besoin de s'améliorer continuellement fait partie de ce que cela
veut dire d'être une femme et que la imormalisation» linguistique fait partie, depuis
toujours, des prescriptions offertes par les auteurs de livres d'amélioration
personnelle. Ces livres sont le plus souvent destinés aux femmes. De plus, selon
une étude effectuée par Urwin (1985), tes mères se préoccupent du bien-fondé de
Ieurs actions auprès de leurs enfants et, afin de s'assurer d'être de «bonnes mères»,
elles cherchent conseil auprès d'experts. Il n'est donc pas surprenant que ce soient
les femmes qui améliorent davantage leurs pratiques linguistiques avec I'anivée des
enfants : cela relève de leur responsabilité parentale. Rappelons également que
plusieurs hommes de l'échantillon rejettent les pressions norrnalisauices et
seulement une femme rapporte que son conjoint, lui-même universitaire, se
préoccupe de la langue des enfants.
Or. le modèle linguistique emprunté par les femmes ne provient pas de la langue
féminine ou masculine des livres de formation personnelle, mais bien de celle du
monde scolaire et, dans le cas des universitaires, des livres informatifs et littéraires.
Ce milieu est également une source importante de conseils et d'information. Denise,
par exemple, suit Ies recommandations de la direction d'une école dans ses
interactions avec ses enfants et, afin d'améliorer leur langue, reformule Ieurs phrases
en y insérant un nouveau mot ou une nouvelle expression. Mal,& ce travail accru
sur la langue française, le but ultime est, tout comme chez les hommes, de produire
de bons bilingues. Le chiac. une langue exclue de leur définition du bilinguisme,
occupe souvent une place ambiguë dans ce discours.
Une seule différence a été remarquée parmi toutes les femmes rencontrées :
certaines font la correction de leur langue et de celle de leurs enfants, alors que
d'autres travaillent à l'enrichissement linguistique. Ce sont celles ayant un diplôme
universitaire, dont Ginette et Marie-Hélène, qui voient à l'enrichissement du
vocabulaire français de leurs enfants et, par ce fait même, du leur. Elles disent
également parler un meilleur français que le franglais de leurs parents.
Entrevue 1997
Ginette : C'est mon rôle comme parent, c'est à moi à le guider. puis. Tu sais, on avait, au souper avant, on avait l'heure, l'heure qu'on mange, puis j'y ai acheté son petit dictionnaire à lui-même, moi, j'avais le mien, puis c'était, on va trouver un mot nouveau. Il m'en trouvait, moi, on riait la, y faisait des phrases, puis c'était drôle. puis, tu sais, mais on a arrêté, je sais pas pourquoi, là. En toute franchise, là, mais dernièrement, y en a un, je peux pas, un «malotru» je pense, ça c'est quelqu'un qui est salaud. (rit) II l'a trouvé dans son dictionnaire. Je pense que c'est ça, tà, c'est peut- être que moi je l'ai pas. ** (rit)
Entrevue 1997
Phyllis : Toi quand, parce que là quand t'as eu les enfants, ta dernière, t'ris arrêté de travailler. Avant que tes enfants arrivent, est-ce que t'étais aussi consciente du français qui était parlé dans la mai son ?
Marie-Hélène : Je pense que oui, parce que j'ai toujours voulu leur donner. Avant que les enfants arrivent ? Avant que les enfants arrivent. peut-être moins. Peut-être moins. Parce que mon mari et moi on partait français puis, je veux dire j'aurais pas, je me suis pas attardée, je vivais en français puis, dans ce temps-là j'enseignais en anglais. Je vivais dans une communauté française, puis mon mari puis moi-même on parlait français. Mais à chercher les mots, tout augmenter mon vocabulaire peut-être j'étais plus consciente avec les enfants. Avec les livres. J'ai appris avec mes enfants aussi. C'était un vocabulaire que je connaissais pas. Connais-tu toutes les machineries de construction? La grue avec le chariot élévateur, mais j'aurais eu un petit gars, j'ai eu un petit gars, la construction ça l'intéressait ça fait, tu prends un livre de construction puis t'apprends qu'est-ce qu'est une grue bétonnière. Moi c'était pas un mot, c'était pas un vocabulaire que j'avais. Tu sais, je les voyais passer mais je l'avais peut-être pas en anglais
non plus là tu sais là, mais j'aurais dit un truck ou j'aurais dit un camion, bien c'était toutes des camions. Mais là je les ai appris en détail. Ça fait mon français a amélioré, ainsi que celui-là de mon mari à cause qu'on a eu des enfants. Parce que si tu vois de quoi tu veux lui donner le vrai mot exact : c'est une bétonnière puis un chariot élévateur, c'est une grue. Bon on a toute voulu lui donner. Puis ça, ça prenait des livres, parce que là on a beaucoup, beaucoup de livres, bibliothèque puis les enfants l'utilisent continuellement. Ça fait que ça a augmenté mon français, sûr et certain. Je l'avais pas réalisé, mais oui.
Les femmes qui ont complété un cours collégial ou secondaire disent, de leur côté.
que la pIus vieille génération est porteuse du «vieux» français et les enfants sont
trilingues. Ces mêmes femmes disent souvent que leur génération est Ia plus
angiicisée.
Denise : Euh ... non, comme le vrai chiac y a des vieux là qui connaient le vrai chiac, mais les parents d'aujourd'hui là, c'est plutôt, tu sais c'est ça tu vas avoir, comme tu dis une cup, c'est pas du chiac ça une cup C'est de l'anglais. (rires). (...) Tu sais là. Euh, tout le monde sait qu'est-ce qu'une tasse, ou si tu le sais pas tu peux t'informer. Ça se peut que t'es assez, des fois tu l'as assez dit que tu réalises pas que c'est un mot anglais. Tu le réalises juste pas. C'est un mot anglais.
Alors que les universitaires améliorent leur vocabulaire par le biais de leurs
interactions avec les enfants, ces femmes s'auto-conigent afin d'éviter la
transmission d'un français parsemé d'anglais. Une de ces mères me dit : avant les
enfants. c'était le fridge, couch, sneaker ... après c'était le frigidaire, le sofa et les
espadrilles». Une autre explique qu'elle «va utiliser des mots anglais, comme
garbage, ou, on le faisait, moi, asteure, je watch avec mes enfants, je fais attention
parce que -».
La différence entre ces deux groupes de femmes s'expiique par le fait qu'afin de
réussir leurs camières académique et professionnelle, les universitaires ont déjà
banni les anglicismes, alors que les collégiennes se sont vues dans l'obligation
d'étudier en anglais, le collège communautaire francophone du sudest n'ayant vu le
jour qu'en 1972.
Entrevue 1997
Marie-Hélène : Tu sais moi. comme, bien imagine-toi donc. moi qui parlais à moitié anglais moitié français, j'ai toute été à l'école avec des manuels anglais, l'enseignante était peut-être français, mais tous nos manuels, tous les maths. (Phyllis : tu veux dire à Sainte-Thérèse). Ben oui hein, tout ce temps-là, même école secondaire (Notre-Dame d'Acadie). tu faisais pas de chimie sans faire ton livre de chemistry, d'algèbre. Tu sais moi j'étais dms le temps là que les manuels était toutes, toutes anglais hein. Ça fait que ce que t'avais, t'avais ton enseignante qui parlait, mais a disait tous les mots anglais pour que tu puisses le comprendre dans ton manuel hein. Fais qu'est-ce tu veux? Je veux dire, puis tu t'en allais dans une maison qu'était, puis le langage de la rue c'était moitié anglais, moitié français. Juste quand j'ai frappé les pieds à l'université de Moncton ou dans le marché de travail même avant ça, le français me faisait peur. Parce que je pouvais pas ouvrir la bouche, j'avais pas le vocabulaire. Donc tu sais j'ai eu besoin d'apprendre le vocabulaire puis je m'ai tout le temps dit que ça serait pas à mes enfants, ils auraient le vocabulaire, si ils l'utilisent pas, tant pis i l l'a, i l l'utilisera quand i l va sentir le besoin, ou la nécessité il l'a. Tu sais.
On voit donc réapparaître i'importance de l'expérience langagière personnelle dans
le développement des attitudes vis-à-vis du français standard. L'anxiété exprimée
autour de la langue des enfants est également liée de près à la préparation à I'entrée
en milieu scolaire et ce, indépendamment du niveau de scolarité de la mère.
Entrevues 1997
Lise. collégierine
Lise : Ben, j'vas dire, à un temps on aurait dit garbage, ben, aux enfants, je vais dire, mettre à la poubelle. Tu vas utiliser les bons mots, parce que je sais que les autres, à l'école, pour eux autres, c'est important. (-.-1
Ben c'est qu'on pense, c'est que moi, je pense, maiqu'ils aillent à l'école, puis que l'enfant va dire la garbage, ben, c'est, comme, on dit, well, peut-être ben qu'il y en a d'autres qui vont se moquer, parce qu'il y en a d'autres, probablement qui ont été élevés comme ça.
Der zise, diplômée dri secondaire.
Denise : Oui. l e crois que le parent a un grand rôle à jouer. Parce que dès tout petit là, l'enfant de zéro à cinq ans là, c'est comme une éponge. II peut apprendre, si qu'on savait d'autres langues ça serait le temps d'y apprendre là. C'est un vrai éponge. tout ça qu'on peut lui apprendre, il absorbe tout, tout, tout. Ça fait que, si tu lui apprends le bon français de tout petit il va jamais, jamais perdre ça. Même qu'il va parler chiac dans la cour d'école avec ses amis, même qu'il va jamais le perdre. Ça va être comme inné là. au lieu d'être de quoi appris plus tard. Tandis que s'il amve en maternelle puis qu'il sait pas quoi c'est des espadrilles, puis qu'il sait pas quoi c'est un bac à sable, puis y sait pas*** paquet de choses aussi que tout le monde le sait puis l'enseignante dit faites ça, puis tout le monde a l'air de savoir ce qui se passe puis.. .
Phyllis : cet enfant-là le sait pas.
Denise : Oui. Je sais pas si ça arrive encore de nos jours, mais je sais que longtemps passé tu pouvais avoir un élève qui arrivait à l'école puis qui savait pas qu'est-ce qu'étaient des espadrilles. Je sais pas si ça arrive encore de nos jours 12, mais tu sais ça fait pitié là.
Gir z este. riniversitaire.
Ginette : Tu sais, parce que même, «ouaille, ouaille», jamais dit ça, nous autres. (...) Puis quand même, quand même qu'à Memramcook, là, tu l'entendais beaucoup. Nous autres à la maison, là, «ouaille», jamais. Puis même, le petit a été à l'école puis le professeur me disait la remarque, i l di t pas «ouaille», lui, il dit «oui». Tu sais, c'était beau, parce qu'il avait jamais entendu ce mot-là.
Ces mêmes parents trouvent important que l'école continue le travail qu'el les ont
commencé : on accepte de discuter du parler chiac lorsqu'il est question d'afficher sa
francité ou son rtcadianité, pendant la semaine provinciale de la fierté française par
exemple, mais le rôle de I'école est d'enseigner le français standard. Dans ce rôle,
l'école ne doit pas accepter le chiac comme langue de communication légitime,
même pendant la semaine de la fierté française. Le but ici est d'agrandir les limites
du monde des enfants. Encore une fois, le discours de ces femmes est unifié ; elles
exigent que le français standard soit la langue de l'école. Par contre, i l existe des
nuances importantes qui peuvent entraîner la reproduction des différences entre les
classes sociales, telles qu'identifiées par le niveau de scolarité de la mère.
Comme i l a été mentionné précédemment, les mères qui ont une éducation
universitaire ont standardise leur propre langue afin de réussir aux niveaux
académique et professionnel. Elles n'ont pas eu à faire cette transformation lors de
l'arrivée des enfants et elles s'identifient maintenant au français standard. Elles sont
donc habiles dans la transmission du français standard à leurs enfants. Pour les
femmes qui n'ont pas ce même niveau de scolarité, ce travail ne se fait pas si
naturellement et parfois elles s'oublient et parlent en chiac, comme l'affirme
Denise : après tout c'est ma langue». Au niveau identitaire, ces femmes n'ont donc
pas le même discours.
Plusieurs informatrices craignent l'assimilation. mais ce qu'elles ne veulent pas
perdre est leur langue d'identité. Celles pour qui le français standard est une langue
d'identité disent ne pas vouloir perdre le français, mais celles qui parlent plus
naturellement le chiac disent ne pas vouloir la disparition de la langue des Acadiens
et ce, malgré leur désir de la voir exclue du milieu scolaire. Se dessine donc une
certaine contradiction dans te discours de ces dernières : on veut l'exclusivité du
français standard à l'école, mais sans que soit dévalorisé le chiac ou l'acadien. Ceci
s'explique par un désir de voir les enfants accéder à des postes de niveau
professionnel. où le bilinguisme est nécessaire, sans qu'ils n'aient à quitter
définitivement leur communauté culturelle. Or, selon Denise. d e s pus bilingue si tu
parles chiac pis pas le bon français» et «le chiac, nous autres, on peut leur apprendre
ça, mais le bon fmçais, ça y a des parents, on est pas capable, on connaît pas assez
ça>>. Ces mères sont donc en mesure de transmettre l'identité linguistique et
culturelle de leur communauté et l'apprentissage de l'anglais se fait, par le biais de la
télévision et de contacts informels, avant même que l'enfant n'entre à I'école. La
scolarisation se doit de compléter le travail de ces femmes au niveau du français
standard, sans quoi Ieun enfants n'auront pas accès aux postes bilingues convoités.
Les femmes, autant que les hommes. reconnaissent donc la valeur de rechange tant
symbolique que matérielle du bilinguisme. C'est en ce sens qu'on demande à I'école
d'élargir le monde des enfants. Ces femmes soutiennent donc le discours du
ministère de l'Éducation du Nouveau-Brunswick voulant que :
L'école doit favoriser l'utilisation du français atandarb). (MENB : 17. Guillemets dans l'original)
Chez les femmes universitaires, le désir d'élargissement se situe non seulement au
ni veau linguistique, mais également au ni veau culturel. Contrairement aux autres,
elles n'ont pas besoin de I'école pour garantir à leurs enfants l'accès au français
standard, elles sont en mesure de le leur donner au sein de leur foyer. Elles
s'attendent à ce que l'école, en plus de valoriser le français standard, procure à leurs
enfants un environnement culturel francophone enrichissant. Elles veulent que les
enfants soient exposés à des chansonniers, des auteurs, des spectacles francophones,
ceci dans le but de leur donner une vision plus large du monde et multiplier les
chances qu'ils auront dans la vie. Au prochain chapitre, nous verrons que cet
enrichissement n'est pas distribué équitablement et que les enfants qui sont prêts à
le recevoir au-mentent leur capital symbolique.
Une mère relate comment cette conscience d'une autre culture lui a permis de rêver
à autre chose :
Entrevue 1997
Marie-Hélène : Faut qu'ils voient qu'il y a un autre monde que juste le monde qu'ils vont avec tous les jours. Parce que moi c'est ça que je m'en souviens qui m'a ouvert comme les yeux. Qu'il y avait quelque. i l y avait une autre vie de culture quelque part d'autre. Tu sais. je sais pas, ça sonne drôIe quand je le mets comme culture, mais pour moi c'était comme un choc. Tu sais quand je rentrais là-dedans, c'était un monde totalement différent. Puis, peut-être que je me sentais comme si je voulais être. Je ne suis pas de ce monde-là. mais en même temps probablement j'y suis asteure. (...) Moi je crois que c'est ça qui m'a sauvée. Sauvée, je veux dire ça qui m'a éveillée. Ma i s pas perdue là. Mais si j'avais pas vu une autre culture ...
Lj où les autres veulent maintenir leur culture, les universitaires veulent donc
agrandir, voire même changer, les horizons cultureIs de leurs enfants. Non
seulement ces femmes sont-elles en mesure de donner un capital linguistique à
valeur ajoutée à leurs enfants. elles sont également soucieuses de leur ouvrir la porte
sur un capital culturel peu connu des autres mères et enfants. Ceci aura pour effet de
produire une nouvelle définition de leur classe et de reproduire la distance qui les
sépare de Ieurs consœurs actuelles.
Les deux groupes de femmes interviewées tiennent donc le même discours sur
I'imponance du français et de la scolarisation, mais leur situation de vie actuelle
permet à certaines de mieux répondre aux attentes de l'école, sinon les dépasser, et
ainsi de mieux préparer leurs enfants à ces exigences. Lorsque les femmes chiacs
valorisent la scolarisation et font un travail de normalisation linguistique à la
maison, leurs enfants n'éprouvent pas de difficultés à l'école, mais ce sont les
enfants des universitaires qui reçoivent, en nison du vocabulaire enrichi reçu à la
maison. les éloges des enseignantes. Malgré ces différences de classe, le
développement iangagier des enfants demeure le domaine de la femme et est
reconnu ainsi tant par les hommes que par les femmes elles-mêmes.
Une informatrice universitaire raconte comment son conjoint, lui-même ouvrier. a
repoussé son travail linguistique auprès de son enfant pour finalement en voir la
nécessi té :
Entrevue 1997
Ginette : Mon mari a venu bien écœuré parce que je les reprenais, tu sais. les mots anglais. puis là, c'était quoi le terme français, puis y en a qu'on connaît pas, tu sais, je sais pas, y a rien qui me vient à l'idée, tout de suite, les mots, là. En tout cas, il a venu, i l était ben écœuré. puis le petit aussi, c'était, Maman, arrête, hein? Tu sais, je voulais perfectionner sa langue, so j'ai dit okay, j'arrête, c'est fini ça (rit) on met plus d'importance sur la langue française. LI m'arrive avec son dernier bulletin, son français parlé, là, ooh! C'était pas si beau que ça! Puis là j'ai dit à son père, veux-tu que je continue, i l dit, oui, je crois! (rit) J'crois que t'as besoin!
Malgré son propre monolinguisme anglophone, la femme du couple exogarne qui se
trouve dans l'échantillon travaille à l'apprentissage de la langue française. même si
ce n'est que suite à l'entrée de sa fille à l'école.
Tina : For her benefit, for the first two years of school, my sister- in-law, 1 used to go up to my sister-in-law's. And help her [my daughter] with her pronunciation.
Un des hommes interviewés me dit clairement que sa femme (diplômée du
secondaire) fait beaucoup de travail de ce côté :
Charles : Oui. Denise travaille beaucoup sur eux.
Phyllis : Ah oui?
Charles : Parce que des fois, ils diront, qu'ossé que Denise va pas les reprendre, mais leur montrer beaucoup, comme dehors, comme alors, on va faire, ou de quoi de même, moi, j'aurais jamais dit alors avant. Mais, où donc qu'on va aller, j'aurais dit ça avant. Ça rentre beaucoup dans le vocabulaire.
D'autre part, Denise dit qu'elle ne peut pas s'attendre ii ce que son conjoint fasse le
même travail langagier, car il travaille à I'extérieur. Il est donc difficile pour lui de
maintenir un «bon français» dans ses conversations avec ses garçons. Elle précise
qu'il est plus facile pour des gens qui travaillent dans un milieu unilingue français,
dont les enseignantes, de perfectionner leur langue. Denise reconnaît donc qu'il y a
une distance linguistique à parcourir entre le monde du travail journalier de son
conjoint et celui des professionnels. C'est cette distance qu'elle compte couvrir pour
ses enfants.
Les enseignantes s'attendent, de leur côté, à ce que les familles fassent un effort de
correction Iinguistique avant I'mivée de leurs enfant à l'école. En fait, dans leurs
interactions avec les enfants, les enseignantes perpétuent l'idée que le travail,
linguistique ou autre, relié au milieu scolaire est un travail de femme : elles disent
toujours aux enfants de demander à maman d'aider avec un devoir. de signer
l'agenda scolaire ... Elles ne suggèrent jamais de demander à papa. En plus, ces
femmes ne savent pas comment répondre et prissent sous silence les commentaires
d'une enfant qui leur dit que ce n'est pas maman, mais bien papa qui est à la maison.
Dans ce chapitre, on a vu que les institutions de la communauté travaillent de pair à
la refrancisation ou à la reproduction de l'identité francophone de Memrarncook.
Or, les hommes de la communauté ne sont pas tous en faveur de ce mouvement.
Certains hommes préfèrent maintenir le stmu quo par lequel l'anglais est la langue
du commerce, des réunions et des discussions Iorsqu'Anglais et Français sont
présents.
Lorsqu'il est question de la langue à enseigner aux enfants, les hommes se fient à
Ieurs expériences dans le monde du travail pour juger de l'importance du français
standard et, souvent, disent que tout dépend de ce que l'enfant fera plus tard. De
plus, certains hommes remettent en question l'importance accordée au <<bon
français>>. disant qu'il y a plusieurs types de français. Allez donc savoir lequel s e n
nécessaire aux enfants! De façon générale, plus l'homme est scolarisé ou plus i l
s'approche d'un milieu de travail professionnel. plus il valorise la forme standard de
la langue française. En fait, l'homme le plus scolarisé dont il a été question dans ce
chapitre occupe un poste élevé dans la hiérarchie de la fonction publique. Cet
homme est également celui. parmi tous. femmes et hommes, qui tient le plus B la
reproduction du statut privilégié du français standard.
Chez les femmes, quelques nuances liées au niveau de scolarisation ont été
soulignées, mais le discours féminin est néanmoins unifié : toutes croient en
l'importance du français standard. Cette importance est expliquée par les besoins de
l'enfant en milieu scolaire. milieu qui les prépare à un niveau de vie meilleur que
celui de leurs parents. Finalement, Ie travail langagier préalable à l'entrée scolaire
des enfants est, tant aux yeux des femmes que des hommes, l'apanage des mères.
En ce sens, les mères sont toujours les gardiennes de la langue, mais, ce faisant,
quelle identité acadienne façonnent-elles?
Les femmes de l'échantillon ayant terminé soit leur cours secondaire ou collégial
voient l'éducation des enfants comme une porte d'entrée au monde professionnel.
Par le biais de leur travail sur la langue, ces mères jettent un pont entre leur milieu
et celui de l'école. Ceci vient à la fois confirmer et contredire les dires de Grumet
( 1988) voulant que ce soit les enseignantes qui enlèvent l'enfant du monde familial
pour l'emmener au monde du travail : ce sont les enseignantes qui préparent les
enfants au monde professionnel, mais non sans que les mères les aient préparés i.i
s'éloigner de leurs langue et culture d'origine. Ces femmes participent donc, malgré
leur désir de maintenir la langue de leur identité, en l'occurrence le chiac, non
seulement au but de standardisation du MENB, mais également à celui d'amener
l'enfant à «affirmer son identité culturelle en s'exprimant dans diverses
circonstances et avec diffirents interlocuteurs selon le registre de langue approprié»,
c'est-à-dire soit «le français correct» ou «une langue soutenue*, puisqu'en tout
temps, l'élève doit i<éviter I'utilisation d'anglicismes» (MENB 1997 : 12).
Ces femmes ne reproduisent donc pas leur langue et leur identité, mais bien celles
véhiculées par l'institution scolaire. Elles sont, en réalité, gardiennes de la langue et
de la culture de l'élite qui régit les écoles et les programmes. Or, comme le
démontre Foucault (1975), l'institution scolaire est un instrument de régulation
sociale et, selon Carneron (1995), la normalisation de la langue, un outil de cette
régulation. De plus, Wafkerdine (1985) propose que lorsqu'un enfant passe d'un
milieu familial qui véhicule des valeurs de la classe moyenne (possibilité et
responsabilité du choix, autonomie, utilisation de la discussion pour régler des
conflits) à celui de l'école, il ou elle s'y reconnaît et sait s'y mouvoir. Alors que
i'enfmt issu d'un milieu dans lequel les sanctions et règlements sont explicites,
plutôt qu'implicites ou négociables (parfois, on n'a pas le choix par manque de
moyens, l'autorité parentale est explicite et non négociable), doit s'adapter au monde
scolaire où la régulation est implicite. Cette adaptation n'étant pas toujours facile, la
vie scolaire risque de devenir conflictuelle. En fait, mes observations en salle de
classe de première année font état de la relation qui existe entre le milieu social de
l'enfant et la normalisation linguistique et sociale vécue à l'école : les enfants qui
n'anivent pas a l'école avec Iû langue appropriée. c'est-à-dire avec une
approximation du français standard. sont le plus souvent les enfants ciblés par les
actions disciplinaires de l'école.
Comme i l a été mentionné précédemment, les mères chiacs qui valorisent la
scolarisation et la langue standard fournissent à leurs enfants les connaissances
linguistiques nécessaires à leur succès scolaire. Les femmes universitaires
produisent, de leur côté, une nouvelle définition linguistique et culturelle de leur
classe et, ce faisant, permettent à leurs enfants de surpasser les attentes de l'école et
de devenir les enfants modèles de la salle de classe de première année. h s enfants
sont donc prêts, dès leur entrée scolaire, à prendre et à accepter leur place dans la
hiérarchie scolaire, telle que définie par le rendement et les notes.
Par leur travail de normalisation ou d'enrichissement de la langue et par leur
maintien du discours du «bon français», en parallèle à la glorification des abeaux
mots» chiacs et contre l'anglicisation du français, les femmes reproduisent une
hiérarchie linguistique qui rend légitime le travail de régulation de l'école. De fait,
elles demandent, voire même exigent, que cette régulation ait lieu. Elles permettent
ainsi à l'élite acadienne de continuer à définir ce que sera un bon Acadien ou une
bonne Acadienne.
Devant les exigences des mères, il devient difficile pour une enseignante d'avoir un
enseignement qui valorise réellement la langue de l'enfant et porte atteinte au
pouvoir hégémonique du fi-ançais standard- Tout comme Gaston résiste à la
francisation de sa communauté en raison de son investissement dans la langue
anglaise, les parents qui ont investi dans la langue standard résisteront à toute action
qui met en péri1 le pouvoir symboiique de cette langue. De plus. ces parents, plus
particulièrement les mères, investissent activement dans I'école - elles siègent sur
le comité de parents et sont bénévoles à l'école et en salle de classe. Ces dernières
sont donc conscientes de ce qui s'y passe au quotidien, ajoutant ainsi à la
surveillance normaiisatnce à laquelle sont assujetties, comme on le verra dans le
prochain chapitre, les enseignantes dans leur tâche de surveillance linguistique : les
enseigantes sont des surveillantes surveillées à leur tour.
C h a p i t r e 4
LA LANGUE ET LE TRAVAIL DE L'ENSEIGNANTE
Puisque c'est à l'école que revient le rôle de définir la nome linguistique en
référence i laquelle toute autre forme est évaluée ou dévaluée et que la lan, due est
un critère d'exclusion et d'inclusion. cette thèse cherche à mieux comprendre le
rôle du personnel enseignant en milieu minoritaire francophone canadien en ce qui
concerne la production et la reproduction de l'hégémonie du français standard.
Étant donné le rôle traditionnel de gardienne de la langue et de la culture attribué
aux femmes et la forte présence de femmes dans le domaine scolaire. i l importe de
savoir ce qu'elles font en salle de classe. Sans quoi, comment savoir ce qui se passe
à l'école et comment savoir de quelle façon se définit la norme linguistique ?
Afin d'explorer ces questions. j'ai mené une recherche ethnogmphique dans une
école rurale du sud-est du Nouveau-Brunswick, une région où le contact entre le
français et l'anglais est omniprésent. De septembre 1994 à mai 1995. j'ai passé une
demi-journée par semaine dans les salles de classes de deux enseignantes, Gisèle et
Chantal, de cette école. L'école Du Bouleau est située dans le village de
Memramcook. En plus des données recueillies en salle de classe et à l'école, ma
base de données compte des enregistrements de deux entrevues avec Gisèle, des
entrevues que m'ont accordées d'autres membres du personnel pédagogique du
conseil scolaire, et des notes prises Iors de pIusieurs réunions administratives de ce
conseil. Étaient présents à ces réunions. les représentants et représentantes élus de
chaque communauté desservie par le conseil ainsi que sa direction générale et son
administrateur. Sont également incluses dans ce chapitre des observations faites
dans le cadre de mon travail actuel d'agent pédagogique ou. formatrice et 137
supemiseure du personnel enseignant. Je suis agent pédagogique dans le district
scolaire du nord-ouest de la province. région à forte majorité francophone (95%).
Cette région partage une frontière avec les États-unis et une autre avec le Québec.
Son temtoire est majoritairement rural. mais englobe également les viiles
d9Edmundston et de Grand-Sault. La question identitaire est source de tensions
dans cette région; certains se disent Brayons et d'autres Acadiens. Plusieurs des
premiers rejettent l'identité acadienne et qualifient les Acadiens et Acadiennes de
nationalistes. Les seconds s'identifient à une dcadie des terres et des forêts» sans
nécessairement rejeter l'identité Brayonne. À la base de ces tensions est la question
de l'origine de la population qui semble conffronter la population d'Edmundston et
environs. les Brayons, et celle de Grand-Sault. les Brayons-acadiens, et environs. À
Grand-Sault, plusieurs refusent ces deux identités en faveur de celle de &ilingue».
Une recherche sur le terrain serait nécessaire pour vérifier ces différences.
L'identité bnyonne est propre à cette région du Nouveau-Brunswick. L'origine du
nom Brayon ne fait pas l'unanimité. mais il désigne un peuple ayant des origines
mixtes. Les Bnyons. habitants de ce que plusieurs nomment la <&épublique du
Madawaskw. réclament une identité issue de racines acadiennes, québécoises.
américaines et maléci tes (autoch tones du Madawas ka). Certains ajoutent
irlandaises. Nul ne fait référence par contre, aux Écossais et aux Juifs qui
composent Ia classe marchande traditionnelle de Grand-Sault et d'Edmundston
respectivement. h s Brayons sont donc des catholiques? Les Brayons
d7Edmundston sont francophones et croient parler mieux le français qu'ailleurs
dans la province. à l'exception, peut-être. du centre-nord où la population est encore
plus près du Québec et les francophones encore plus majoritaires. À Grand-Sault. la
question linguistique est plus ambiguë.
IMdgré une population à 80 à 85% fmcophone, la population francophone de
Grand-Sault a été la dernière du Nouveau-Brunswick à acquérir une école
homogène de langue française. À la fin de la sixième année, plusieurs élèves
francophones (les bilingues) choisissent encore aujourd'hui de terminer leur
éducation à l'école anglaise. Une étude du nombre d'élèves perdus au système
anglais est actuellement en cours. Comme dans le sud-est de la province, le
bilinguisme est la ressource linguistique la plus convoitée. Grand-Sault est
également en situation de contact des langues et, plus qu'à Edmundston, ce sont les
anglophones qui contrôlent le marché économique. Contrairement au sud-est par
contre, les francophones de Grand-Sault ne croient pas être en dringer d'assimilation
et c'est par une éducation bilingue cumulative (à l'opposé de parallèle) que certains
croient pouvoir atteindre le meilleur bilinguisme. Le milieu scolaire francophone
juge, par contre, que la langue française que parlent les élèves et les parents de
I'ensembIe du nord-ouest laisse à désirer.
Les observations faites dans la République du Madawaska sont utilisées dans cette
thèse pour démontrer que les pratiques pédagogiques et le discours des enseignantes
qui ont participé de près à cette recherche sont partagés par d'autres. En effet, ces
pratiques et ce discours sont des éléments importants d'une culture pédagogique
partagée par un bon nombre d'enseignantes : les élèves ne parlent pas bien le
français, le vocabulaire est faible et la langue est anglicisée, et les enseignantes
doivent les corriger et inciter les élèves à s'améliorer. Cette culture n'est pas
tributaire du niveau de contact entre Ies langues. Au contraire, comme le
démontrent mes observations dans le Madawaska, sa contribution à la reproduction
du marché unifié acadien est grand partout dans la province. Gisèle et Chantal
paxticipent à cette reproduction qui passe par l'hégémonie du français standard.
Gisèle, une des enseignantes participantes, est à sa treizième année de carrière lors
de la collecte de données pour cette recherche. Elle est née dans le nord du Québec,
mais, à un bas âge, elle est déménagée cians la Péninsule acadienne où ses parents se
sont établis sur une ferme, maintenant propriété de leur seul fils. Gisèle y retourne
le plus souvent possible avec son conjoint et ses deux enfants, dont une fille au
primaire et un garçon d'âge préscolaire. Cette femme attribue une grande
importance à son rôle de mère et ses enfants sont au centre de sa vie. Pour
démontrer ceci. elle me dit qu'elle peut vivre sans son conjoint pour un certain
temps, mais que <je ne couche jamais sans mes enfants ».
L'enseignement n'a pas été le premier choix de c h è r e de Gisèie, car <je ne voulais
pas faire comme les autres». En effet, elle raconte que l'éducation a été importante
pour ses deux kgands-mères et que sa mère était institutrice avant de rencontrer son
père. De plus, deux de ses sœurs poursuivent des carrières en enseignement. Par
contre, suite à sa première année en sciences infirmières à l'Université de Moncton,
Gisèle s'est aperçue qu'elle n'aimait pas ce domaine et elle s'est inscrite en
éducation. Aujourd'hui, elle passe ses journées avec des enfants de six ans.
Chantal est égaiement issue d'une famille d'enseignants : avant leurs retraites
respectives, son père était directeur d'école et sa mère enseignante. De plus, un de
ses frères enseigne dans une université et plusieurs de ses tantes sont des
enseignantes. L'enseignement a été un choix de carrière par défaut pour Chantal.
Une passionnée de la géographie, elle ne voyait pas vers quelle carrière, outre
l'enseignement au secondaire, des études dans ce domaine pourraient la mener. Ne
se voyant pas enseigner au secondaire, elle a choisi l'enseignement au primaire.
Percevant un lien entre le voyage et la géographie, Chantal dit aujourd'hui qu'elle
aurait peut-être aimé une carrière dans une agence de voyage.
Chantal est originaire du sud-est, mais a enseigné dans le sud-ouest de la province
et dans la Péninsule acadienne (nord-est). Elle est à sa sixième année
d'enseignement, mais pour la première fois en première année et donne naissance à
son premier enfant lors de la collecte de données. Durant sa quatrième année à
l'Université de Moncton, Chantal a fait un stage de quatre mois dans la classe de
Gisèle. Pendant la plus -grande partie de l'année scolaire 1994-95, cette relation de
mentorat est reprise et Chantal suit de près la planification que propose Gisèle.
Gisèle et Chantal sont deux enseignantes de la première année. Ces deux
enseignantes veulent donner le maximum à tous leurs élèves. Elles sont à l'écoute
des histoires qu'ils leur racontent et toujours prêtes à consoler et à aider. De plus,
lorsqu'un élève éprouve une difficulté académique, elles lui donnent une attention
particulière et cherchent à rendre la tâche plus facile. Bref, elles veulent que tous
quittent la première année avec une base académique et, on le verra, sociale bien
solide. Or, ce chapitre démontre que ces enseignantes participent non pas à la
r6ussite de tous leurs élèves, mais bien au processus de sélection scolaire qui
différencie les bons des mauvais élèves. C'est par ce processus de régulation de la
langue et des comportements que l'école joue son rôle de sélection sociale.
Pourquoi des enseignantes désireuses de voir tous leurs élèves réussir, participent-
eIles à ce processus ? Peuvent-elles faire autrement ?
Dans ce chapitre, on verra que par l'entremise de l'insécurité linguistique, ce
sentiment qu'on ne parle pas bien sa langue maternelle, et un contexte de travail
féminisant, I'institution scolaire contrôle effectivement le travail langagier de
1 'enseignante. D'un côté, I'insécuri té linguistique crée le désir p u r le français
standard chez ces femmes qui, de l'autre côté, font, comme les mères, un travail de
gardienne de la langue et de la culture acadiennes. De plus, la féminisation du
travail de i'enseigante de la première année rend illégitime un questionnement des
buts normalisateurs de l'école. Comme les mères, les enseignantes se doivent
d'enseigner le français standard, sans quoi elles mettent en p é r i l les apprentissages
futurs des enfants. Comme les mères, les enseignantes font un travail de femme en
milieu minoritaire. Alors que le contexte est différent, il existe effectivement
plusieurs similarités entre le travail des enseignantes et celui des mères.
Dans ce qui suit, le contexte linguistique et pédagogique de l'enseignement au
primaire est explicité d'abord. On vern que l'institution scolaire est un marché
linguistique et que l'enseignante y resoit des directives quant à quoi enseigner (le
français standard) et comment enseigner. La deuxième partie de ce chapitre traitera
des simili tudes entre le travail de I'enseignante, en ce qui a trait à ses conditions et à
sa définition, et celui des mères du dernier chapitre. Finalement, on verra qu'il y a
possibilité de résistance et d'action sociale dans le travail des enseignantes, mais
que celles-ci sont limitées par des conditions de travail féminisantes et une culture
pédagogique qui les produit et reproduit. Tout au long de ce chapitre, on verra
comment l'institution scolaire et les enseignantes marginalisent la langue acadienne
marqueuse d'identité. Elles produisent et reproduisent ainsi l'hégémonie du français
standard et l'insécurité linguistique acadienne.
Le contexte du travail de I'enseignante définit certaines règles de jeu linguistiques.
Ces règles sont inscrites, tantôt de façon explicite, tantôt de façon implicite. dans
divers documents produits pour ou par le ministère de l'Éducation du Nouveau-
Brunswick (MENB). À l'intérieur de ces règles se tisse une tension apparente entre
la langue régionale, porteuse de l'identité acadienne, et le français standard,
porteuse du savoir. Or, cette tension est désamorcée par le biais de l'insécurité
linguistique de la population acadienne. Au dernier chapitre, on a vu, par exemple,
que certaines mères chiacs de Memramcook préparent leurs enfants à recevoir le
savoir scolaire en leur enseignant ce qu'elles connaissent du «bon» français. Elles
comptent sur les enseignantes pour la continuité de ce projet de standardisation
qu'elles se savent incapables de mener à terme. Le but ultime de ces mères est
d'ouvrir différents horizons aux enfants. Or, ce discours rend légitime une
pédagogie coercitive qui passe par la correction de la Imgue des enfants et vise
l'assimilation de tous au bon français et à la bonne culture acadienne, c'est-à-dire
standard et unilingue. Une telle homogénéisation de l'identité acadienne permettrait
à une minorité, la classe dirigeante acadienne, de gagner en pouvoir politique et
économique puisqu'elIe serait la représentante d'une masse démographique et
politique qui partage une vision du monde et un projet de société. Cette
homogénéisation n'étant pas une réalité, c'est par la violence symbolique de
l'insécurité linguistique que ce pouvoir est maintenu. Cette insécurité linguistique
permet de maintenir le mythe de la qualité supérieure inhérente du fmnçais standard
et de reproduire la hiérarchie des variétés linguistiques.
La pédagogie coercitive contribue à la reproduction de l'élément identitaire acadien
qu'est l'insécurité linguistique et à la production d'inégalités socides internes en
Acadie. Aux yeux de tous et toutes, seul le français standard est un «bon français».
La classe dirigeante, locutrice d'un français standardisé, continue ainsi à être
investie d'un pouvoir hégémonique sur la communauté acadienne du Nouveau-
Brunswick. Puisqu'elle est la seule à parler la langue légitime, on reconnaît la
légitimité de la prise de parole et de décision de l'élite au nom du peuple.
L'insécurité linguistique, que vivent également les enseignantes, est donc un
élément important du contexte qui rend difficile un changement pédagogique en
faveur d'une valorisation réelle de la langue non standard.
Suite à une étude auprès de finissants et finissantes d'écoles secondaires du
Nouveau-Bninswick, Boudreau et Dubois (1992) concluent que cette insécurité
linguistique existe chez les élèves de la fin du secondaire. Ces auteures généralisent
ce sentiment d'insécurité à toute Ia population acadienne qui vit en situation de
diglossie. De plus, entre 49% et 70.7% (selon la région) des élèves {considèrent le
Québec comme endroit où L'on parle mieux» le français qu'ailleurs (p. 15). C'est là
où la population acadienne est la plus minoritaire, du point de vue démographique,
que cette perception est la plus répandue.
À l'intérieur du Nouveau-Brunswick, il existe également différentes «qualités» de la
langue française. Une suppléante venue enseigner à l'école Du Bouleau précise, par
exemple, qu'à Memrarncook, on 'traverse la me', à Dieppe, on 'traverse la street' et
à Moncton, on 'cross la street'. Ces trois municipalités forment un continuum
linguistique, mais également géographique : Memrarncook, plus rurale, est située à
une extrémité et Moncton, centre urbain et plus diglossique, à l'autre. Dieppe,
située entre ces deux dernières, est la ville dortoir francophone de Moncton. La ville
dortoir anglophone, Riverview, se retrouve à l'autre extrémité de Moncton.
i Riv ' rc l lc ramcook
Dieppe,.. ..'
Boudreau et Dubois attn buent I'insécun té linguistique des francophones du
Nouveau-Brunswick à leur situation diglossique, mais dans l'introduction de leur
article, d e s écrivent «qu'en Belgique, Francard (1989), sans nier ce lien [diglossie -
insécurité], en anive à la conclusion que l'institution scolaire est en grande partie
responsable de l'insécurité linguistique générale constatée à Lutrebois, en Wallonie.
Qu'en est4 en Acadie?» (p. 3). En 1991, Boudreau avait posé sensiblement la
même question : d'avons-nous pas ici un discours mythique, idéalisateur, qui
chante les mérites de la langue de «chez nous», et cet autre discours, tout aussi
présent mais plus discret, qui se pare de la légitimité pédagogique - il faut
apprendre à «bien» parler - pour dévaloriser la ou les langues régionales et aussi
accentuer davantage les stigmates que les Acadiens et les Acadiennes ont déjà à
porter lorsqu'il s'agit de leur langue?» (p. 26). Alors que cette question ne trouve pas
de réponse dans la recherche de Boudreau et Dubois, elle demeure importante
puisque, face à la violence symbolique de cette pédagogie du bien parler, les jeunes
peuvent adopter différentes stratégies. D'une part, i Is et elles peuvent soit accepter
l'hégémonie du français standard et tenter de s'y conformer, soit vivre en marge du
pouvoir acadien. Ces deux stratégies permettent la reproduction des inégalités
socides en Acadie : elles ne modifient ni la hiérarchie des langues, ni la hiérarchie
du pouvoir.
Une troisième stratégie, faire du non-standard une langue révolutionnaire, pourrait
remettre en question cette hiérarchie. C'est ce que le groupe musical Zéro0 Celsiris
a fait lorsqu'il a fait du chiac une de ses langues de chant. Comme le démontrent les
extraits suivants, tirés de l'album Coiires drt cortdeflales from the Bend, les
membres de ce groupe peuvent passer du chiac au français standard- Ce dernier est
la variété linguistique que parlent leurs parents, tous de la classe professionnelle
acadienne.
La ballade du Capitaine Gallagher
Quand j'ai arrivé l'autre soir Le feu était starté J'l'ai r'gardé toute la nuit Trop gone pour me déplacer
Carpe Diem
Les murs qui m'entourent resteront Pour cent mille ans après ma mort Les chemins de pierre qui m'emportent vers Le passé, le futur, le présent
Comme l'indique le titre de leur album. l'anglais est une autre langue de
communication du groupe Zéro. En fait, les membres de ce groupe peuvent passer
d'une langue et d'une culture à l'autre à la manière du «caméléon». Or, pour
I'instant, I'utilisation du chiac est perçue comme une contestation liée à la jeunesse.
Lon d'une conversation avec une professeure de l'université de Moncton. par
exemple, cette dernière affirme que les jeunes du sud-est ont depuis longtemps
réclamé le chiac comme langue identitaire, mais que cela n'est qu'un phénomène
passager, tout comme I'adoiescence. Avec le temps. le chiac perd donc son
canctère contestataire et, là où il demeure lié à l'identité, il reprend sa position en
marge du pouvoir acadien. Une dernière stratégie disponible aux jeunes qui n'ont
pas le français standard comme langue maternelle va à l'encontre du but même de
l'école acadienne, c'est-à-dire de produire et reproduire des êtres acadiens. cette
stratégie est l'assimilation.
Plutôt que de voir une relation de cause à effet entre l'insécurité linguistique et
l'assimilation (cf. Boudreau 1991)' vision qui cke un sujet qui subit les effets d'une
condition sociale. il est possible de voir en l'assimilation la stratégie d'un acteur
social. L'assimilation est une forme de résistance pour les Acadiens et Acadiennes
qui n'ont pas Ie pouvoir d'imposer leur discours. Plutôt que de subir la violence
symbolique (Bourdieu 1977) du français standard, violence qui passe par Ie
développement de l'insécurité linguistique, certaines personnes peuvent choisir de
se soustraire au marché linguistique acadien, croyant qu'ils risquent mieux de
réussir sur celui de la majorité anglophone. Ce marché anglophone peut même leur
sembler plus équitable. En effet, Gisèle, une des enseignantes participantes,
rapporte que son frère, propriétaire de la ferme familiale, dit que les fermiers
francophones se soupent la gorge entre eux», alors que les anglophones se
«tiennent entre eux». Ce même commentaire m'a également été rapporté au sujet
des gens d'affaires francophones. À 1 'école, cette résistance au franpis standard
devient ce qu'on nomme, en milieu éducationnel, un manque de motivation
scolaire. c'est-à-dire un non-investissement dans le travail scolaire, dont
l'apprentissage du français standard.
De récentes recherches en psychologie cognitive, domaine qtii influence
actuellement la pédagogie proposée par les guides pédagogiques du Nouveau-
Brunswick, ainsi que tout nouveau matériel que produisent les maisons d'édition
québécoises, suggèrent que la motivation scolaire est tri butaire de la perception
qu'a l'élève de la tâche à réaliser (Tardif 1997). L'élève qui perçoit une valeur dans
l'apprentissage du français standard (cette langue lui ouvrira les pones de la lecture
ou d'une profession) par exemple, qui se reconnaît les habiletés et connaissances
(exigences) nécessaires à cet apprentissage et évalue positivement sa capacité à
relever le défi avec succès (contrôlabilité), est plus apte à vouloir prendre le risque
nécessaire à l'apprentissage. En contrepartie. l'élève pour qui le chiac est one
langue d'identité et d'appartenance aura une vision conflictuelle de la valeur du
français standard (il lui ouvre certaines portes, mais fait violence à son appartenance
et à sa communauté). S'il perçoit sa langue comme étant du mauvais français», il
ne se reconnaîtra pas les connaissances et les outils nécessaires à l'apprentissage du
français standard et, placé ainsi en situation d'insécurité linguistique, il ne pourra
pas avoir le sentiment d'auto-efficacité qui lui donnerait du pouvoir sur la tâche à
accomplir. La motivation à apprendre le français standard, seule langue appropriée
à la salle de classe, et celle de faire partie de la cellule sociale qu'il représente
diminue donc chez l'enfant qui ne s'y reconnaît pas. Vue sous cette optique, l'école
qui participe, par une pédagogie coercitive à l'égard du français acadien ou
régionai, à la création d'une vision voulant que la langue de l'enfant soit
insuffisante, travaille à l'encontre de son rôle de gardienne de la langue et de Ia
culture acadiennes. Elle devient plutôt productrice d'une nouvelle langue et culture
acadiennes qui excluent toute autre forme d'expression de l'identité acadienne.
Cette rigidité ferme des portes plutôt que de créer une ouverture envers l'ensemble
de la population. Comme me dit une récente diplômée d'une polyvalente acadienne,
à I'école française. «y careont pas pour toi, y carent yinque pour le français.» (ns ne
se soucient pas de toi, ils ne se soucient que de la langue française.) Puisque telle est
sa perception, cette jeune femme recommande à une amie d'inscrire son enfant à
1 'école anglaise.
Dans ce chapitre, on verra que le lien entre insécurité linguistique et pidagogie est
dialectique : 1 'école conui bue à la reproduction de l'insécurité linguistique des
francophones et. en contrepartie. cette insécurÏté rend légitime une pratique
pédagogique du bien parler. La nome linguistique de l'école et les pratiques
pédagogiques qui doivent conduire à son actualisation sont définies dans les
programmes de français et autres documents du ministère de l'Éducation du
Nouveau-Brunswick (MENB).
Le contexte institutionnel
Le MENB compte trois départements, dont ceux des finances, de l'éducation
francophone et de l'éducation anglophone. Les départements d'éducation
francophone et anglophone sont responsables de la proborammation scolaire de leur
système scolaire respectif. Du côté francophone, les proammes de français au
primaire (maternelle à la ge année) et au secondaire (de la 9' à la 1- année)
précisent la philosophie pédagogique générale à tous les niveaux ainsi que les
objectifs spécifiques à chaque niveau d'enseignement. Dans le programme de
français au primaire (dorénavant le programme, on peut également retrouver
certaines suggestions quant aux moyens à utiliser pour l'enseignement de la lecture,
de l'écriture et de la langue o d e . Cet aspect de la pédagogie du français sera traité
plus en profondeur dans une autre section de ce chapitre. Au primaire, le
proCmme précise également la place des différents registres de la langue
française. U s'agit donc d'un document important à la définition du contexte
linguistique de l'enseignement au primaire.
Dans son proCgmnme de français au primaire de 1988, en vigueur au moment de la
collecte de données, le MEN3 précise que : «L'école doit favoriser l'utilisation du
français <amdard>. (...) Et] on trouvera en annexe une liste d'expressions à
corriger, fréquemment utilisées par les élèves d'ici» (p17). En faisant du français
standard la seule langue légitime en salle de classe, le MEN3 construit un Autre
acadien. Dans la perspective présentée par le MEM3, l'Autre est l'audience qui sera
I'interlocuteur futur de l'élève qui réussira à apprendre le français standard. Dans
les termes de Foucault (1975), par contre, c'est l'enfant et sa communauté qui sont
Autres : c'est la langue de l'enfant qui doit être normalisée afin d'être comprise par
la francophonie canadienne et internationale.
Dans cette construction de l'Autre, le MENB place les enseignantes à la frontière
entre le français standard et le français régional : elles doivent arrêter tout enfant qui
ne parle pas le français standard afin de lui prodiguer les correctifs nécessaires et
mener l'enfant du français régional, langue de son identité acadienne, vers le
français standard. Or, le programme de 1988 ne reconnaît pas l'aspect conflictuel de
cette situation et ne donne pas aux enseignantes les outils pédagogiques nécessaires
à sa résolution. La méthode préconisée par le MENB est la correction à l'intérieur
de situations de communication réelles et variées (approche communicative). Le but
poursuivi est celui d'assurer «un apprentissage efficace du français, développer chez
nos élèves la fierté de leur langue et de leur culture, et faire d'eux des individus
autonomes et créateurs» (p. 2).
Comment développer chez I'enfant la fierté de sa langue tout en la corrigeant?
Dans la proposition du MENB, on voit qu'il s'agit plutôt de la correction de la
langue de l'enfant et, ainsi, de sa marginalisation. il n'est pas question de
développer une fierté en la langue régionale, mais bien une soumission à
l'hégémonie de ce que le MENB qualifie de français standard, c'est-à-dire une
langue sans calques ou emprunts de l'anglais et sans régionalismes. C'est par cette
soumission que l'enfant démontrera sa fierté acadienne. Dans l'exemple suivant de
la pratique pédagogique qu'il propose, le MEM3 incite le personnel enseignant à
corriger, entre autres, une conjugaison régionale du verbe être. On voit également
que le MENB considère que ce sont la majorité des élèves acadiens qui ont besoin
de correctifs :
Objectifs :
3. Formuler ses idées 3.1 Utiliser des structures et des termes corrects en français et
les employer à bon escient.
Exemples d'interventions :
Enfant : aÀ l'aquarium. i sontaient beaucoup.>> Adulte : «ils étaient nombreux et ce devait être bien amusant de les observer.» ( - - - 1
Reformuler ainsi les énoncés des enfants en remplaçant un terme erroné ou mal utilisé par une expression ou un mot correct [pratique que les enseignantes nomment écho ou miroir] a le mérite de ne pas interrompre Ia communication et de ne pas discréditer le milieu familial de l'enfant. De plus, de telles interventions peuvent être faites à tout moment pendant les activités où les enfants parlent.
En plus d'agir de cette manière lors de situations de communication, il peut être avantageux de proposer périodiquement des exercices structuraux pour éliminer des stnictures fautives, employées par la majorité des éièves. Par exemple : Je peux-tu aller., .? (MENE3 L988 : 52, gras ajouté)
Inclure les régionalismes parmi les erreurs à comger chez les élèves acadiens trahit
I'objectif ultime du MENB ; effacer les différences par la standardisation des
parlers régionaux, marqueurs d'appartenance à une communauté. Par ce travail
linguistique, le ministère vise également à réduire les différences sociales.
Reconnaissant la vaieur symbolique du français standard, l'institution scolaire doit
donner à tous les élèves un accès égal i cette ressource. Les agents de cette
institution ne reconnaissent donc pas la violence de la pédagogie coercitive du bien
parler, de cette pédagogie qui veut la normalisation de tous. Par cette éducation
coercitive, tous seront fiers de parler le français standard et reconnaîtront cette
norme comme seule définition légitime du français et de leur francité. Afin de
contrer I'assimilation à l'anglais et donner à tous une chance d'accès égal aux
ressources de la communauté, le MENB souhaite assimiler tous les enfants au
français standard. Le ministère crée ainsi le mythe de l'accessibilité de ce français
standard.
Les enfants et les communautés qui parlent un registre qui s'éloigne de ce français
standard se voient donc marginalisés davantage par un système scolaire qui cherche,
comme ceux de l'école neutre de 1871 et des institutions imaginées par les évêques
irlandais de la même époque, à créer une communauté basée sur la vision «un
peuple, une langue». Ceux et celles qui ne parlent pas la langue prescrite sont
rendus anormaux ou déficients et en besoin d'un enseignement correctif.
L'hégémonie installée. ces derniers, parents et enfants, disent parler un mauvais
français et acceptent comme légitimes les actions pédagogiques coercitives de
l'école. On peut ainsi parler de dominants et de dominés à l'intérieur même de la
communauté acadienne du Nouveau-Brunswick.
Avec le programme de 1998, le MENB remplace la désignation standard>^ par
celle de «correct». Tout en insistant sur l'utilisation du français correct, le MENB
désire amener l'élève à «percevoir positivement le recours aux différents registres
de langue [et] choisir et utiliser le registre de langue approprié en fonction de la
situation de communication » (MENB 1998 : 38 et 32). Or, il n'est pas question
d'utiliser n'importe quel registre puisque l'utilisation d'anglicismes demeure
proscrite (p. 32)- il inscrit plutôt une distinction entre le français correct, qu'on parle
dans toutes les situations de communication scolaire, et le français soutenu que les
élèves doivent également apprendre à utiliser lors de communications plus
formelles.
Ce qu'on entend par «français correct» et «français soutenu» n'est pas explicité dans
le programme. On peut en déceler une définition par contre, dans une grille utilisée
par le MENB pour la correction d'examens provinciaux. Ces examens comptent
deux volets, la lecture et l'écriture. et sont écrits par les élèves de la 4e et de la 8'
année, C'est la grille de correction pour l'épreuve d'écriture dont il est question ici.
EIIe précise surtout ce qui n'est pas le français correct. Selon cette grille, le français
correct est une langue libre d'anglicismes, de locutions de la langue familière et de
jurons (MENB 1999b). Un père rend explicite la différence entre cette langue et
celle du milieu :
Entrevue 1997 Représentant de services locaux
Réginald : Ben, c'est comme la cousine de ma femme. Elle a habité à Memramcook. Zeux mont déménagé à Dieppe. Alors, si t'allais visiter là, elle avait pas le même français qu'elle avait quand qu'elle était icitte. Tu t'apercevrais tout de suite. C'était plus, je sais pas. Je crois qu'elle essayait de, peut-être ben dire quand j'habite Memramcook. quand j'habite à Dieppe, c'est, y a un ti brin plus asteure, là. Je me semble, je me sens un ti bnn plus --
Phyllis : Meilleur.
Réginald : Oui.
Phyllis : Peux-tu me donner des exemples?
Régïnald : (nt) Ah, okay. Okay, toi tu t'en aperçois pas, ben, moi je m'aperçois des choses. Ah, quand j'avais vu ça, y avait une fois, asteure ... Comme, tu sais, nous autres. on parle, comment que je vais dire ça, on parle à notre aise, on va dire. On parle, si on sent qu'on serait à l'aise on parle, tu sais, on parle. Ben là, si faut que je m'assise avec toi, puis je dis, excuse-moi, je me sens pas bien ou, tu sais, faut tout que je pense à mes mots avant que je te les dise, mais c'est un ti peu de même qu'elle parlait.
Phyllis : Ah, oui?
Réginald : Ouais. Tu sais, elle parlait pas à son aise. Elle parlait comme si, qu'elle prouve quelque chose, fallait qu'elle, tu sais, elle répète toute la phrase, chaque mot, II, puis elle parlait, tu sais, comme ça, comme je - me - fallait tout qu'elle pense, qu'osse qu'est le mot que je vais mettre après, tu sais? (rit)
Phyllis : C'est-tu ben parce que normalement, c'est pas des mots qu'elle utilise, c'est-tu ben --
Réginald : Non, c'est pas des mots qu'elle utilise, pas icitte, non, pas à Memramcmk. Nous autres.
Phyllis : Ah, okay, c'est meme pas les mêmes mots de Mernramcook, c'est comme si c'était des mots de --
Réginald: Parce que si je dirais, non, moi, je dis non, ben elle dirait no.
Phyllis : Ah, okay, c'est même pas la même prononciation. Ah, okay.
Réginald : Si je dis, non. je veux pas aller au magasin. Ben y'elle dirait, non, - je - ne - veux - pas, elle prenne une vraie.
Phyllis : Ah, okay, comme une phrase écrite, là, quasiment.
R: Oui, oui, parce que, pour dire, ben, tu sais, c'est ça, puis ça c'est ça, des bons mots, là. Si faut que je pense à tous mes mots, moi, moi, je dis (rit).
Phyllis : Tu dirais pas grand chose, hein?
Réginlad : (rit) Non, c'est un ti peu de même, la comparaison que je veux dire. Tu sais, puis c'est juste la différence de c'ti-là de Memramcook qu'aurait resté à Dieppe. Tu sais, maintenant il dirait pas rester, il dirait peut-être ben, habiter, ou, tu sais. Tu sais, y'elle se servirait d'un autre mot, là. Elle servirait pas du mot que nous autres on se sert.
La réaction du MENB aux résultats à des examens provinciaux, et à d'autres
pancanadiens, cultive une insécurité linguistique hégémonique qui rend légitime
une correction linguistique constante. Les résultats aux examens provinciaux sont
utilisés pour comparer les écoles et les districts scolaires entre eux. De plus, lorsque
les élèves francophones de la province ne donnent pas la performance escomptée
lors d'évaluations pancanadiennes en lecture et en écriture (PRS 1995). une
commission provinciale est mise sur pied afin d'expliquer les résultats et proposer
des sofutions. Cette commission utilise également le concept de français <correct»
dans son rapport et ses recommandations. Ce qui devient évident, c'est que ce n'est
ni la langue acadienne, ni le chiac qui comptent comme français correct.
Dans leur Rapport s u r le rendement scolaire en franpis, écrit pour le MENB,
Boudreau et al. (1996) reprennent le même discours que l'on retrouve dans le guide
pédagogique de 1988 :
Si le propre de l'école est de permettre à tous les élèves, peu importe leur origine sociale, d'avoir accès à un enseignement de qualité, le comité est d'avis qu'il incombe aussi à l'école de doter tous les enfants d'un français qui leur facilite l'accès au marché du travail et, plus important encore, leur ouvre les portes de la connaissance. Et ce français, c'est le français standard. Pour bon nombre d'élèves, l'école est le seul endroit où ils auront accès à un niveau de langue formel, le seul endroit où ils pourront acquérir et pratiquer un français standard.
Par contre, i l ne s'agit pas de mettre de côté Ia langue sociomaternelle de l'élève, mais plutôt de s'en servir comme point de départ pour éIargir son répertoire; i l faut lui donner les instruments qui le rendront aptes à communiquer à l'oral et à l'écrit dans un français correct (Boudreau et al. 1996 : 3).
Tout comme pour le guide pédagogique, les intentions des auteurs de ce rapport
sont louables : donner à tous les enfants un enseignement de qualité qui leur
donnera accès au monde du travail. Il s'agit toujours, par contre, de maintenir
l'hégémonie du fmçais standard et des groupes sociaux pour qui celle-ci est la
langue sociomaternelle. Ce n'est pas l'enfant qui parle déjà ou seulement le français
standard qui doit «élargir son répertoire», mais bien ceux et celles qui ont un autre
registre sociomaternel. En fait, le français standard est la seule définition légitime
que l'on donne au français. Français standard est, dans ce texte, interchangeable
avec «français correct», <<français de qualité» et de la connaissance (Boudreau et al.
1996 : 3, 10). Ce faisant, Boudreau et ai. rendent illégitime la langue acadienne ou
régionale. Certains milieux de travail se trouvent également marginalisés.
On a vu au dernier chapitre que les hommes n'utilisent pas tous le français standard
au travail. Pour certains, le français standard est en effet proscrit. En faisant du
français standard la seule clef d'accès au monde du travail, Boudreau et al. (1996)
font des milieux de travail où le français standard est la norme les seuls milieux
légitimes. Ces milieux légitimes sont le plus souvent ceux où l'on retrouve la classe
professionnelle acadienne. Par leur vdorisation de la langue de travail de cene
classe, Boudreau et al. participent à la production de son pouvoir hégémonique.
Cette classe de travailleurs acadiens parle le français standard, donc ils font un vrai
travail et méritent de meilleures conditions de travail : cela est juste et bon.
Afin d'accéder à un vrai travail, l'enfant doit apprendre le vrai français, le français
standard. Cet apprentissage est la responsabilité de l'école. Malgré la conscience
qu'ont Boudreau et al. (1996) de la diversité Iinguistique des francophones du
Nouveau-Brunswick, la langue standard ou littéraire (les documents qui sont à la
base de ce rapport sont des évaluations du rendement en lecture et en écriture) et la
culture qu'elle transmet sont les seules jugées appropriées à la salle de classe.
L'élève apprend sa langue maternelle d'abord et avant tout à )a maison. Cette langue varie selon le niveau socio-économique et les compétences linguistiques des parents, et selon la région où ils habitent. Les élèves amvent donc à l'école avec un bagage de connaissances linguistiques qui varie en fonction de ces différents facteurs. Certains possèdent une langue française di te «standard» et font bon usage des différents registres de langue. D'autres anivent à l'école avec leur seul «vernaculaire», qui varie selon les milieux et qui présente un écart important par rapport à la langue écrite et parfois par rapport à la langue d'enseignement @oucireau et al. 1996 : 3).
On parle du respect de la culture ou de l'identité de l'élève qui ne parle pas le
français standard. mais seulement pour les mettre rapidement de côté.
On doit respecter l'élève dans son identité sociolinguistique. tout en s'assurant que l'école soit un milieu où celui-ci est. le plus complètement possible, plongé dans une langue de niveau standard. Dans un contexte minoritaire. i l est important que les élèves prennent conscience de l'état parfois précaire de leur culture et apprennent à s'affirmer culturellement. (Boudreau et al. 1996 : 9)
Plus loin, on définit cette culture qui se doit d'être Cette culture doit être
la même pour tous les francophones :
L'enseignement du français et, en particulier, de la lecture est une voie d'accès au patrimoine culturel de la francophonie. La lecture donne j. l'élève un sentiment d'appartenance puisqu'elle lui permet de se doter de références culturelles communes à tous les francophones de la planète. (Boudreau et al. 1996 : 13)
Et si l'élève ne se reconnaît jamais dans ces lectures ? Les auteurs proposent
l'enseignement «dès la première année, des éléments de sociolinguistique, tels que
les registres de langue liés aux situations de communication, les différences entre
l'oral et l'écrit, etc., (p. 10). On propose également l'utilisation <~d'œuvres littéraires
de genres variés. de provenance et d'époques diverses» (p. 13). Par contre, il est
évident que les écrits en français standard doivent être favorisés : sous la mbrique
les techiqrtes pédagogiques, on valorise un retour à «la dictée, la récitation, les
exercices de mémorisation, la lecture obligatoire d'auteurs classiques» (p. 15). Qui
sont ces auteurs classiques sinon ceux d'œuvres canoniques? Les références
culturelles communes à tous les francophones sont donc celles de la classe pour qui
le français standard est la langue sociornatemelle.
Le discours pédagogique du rapport porte surtout sur la remédiation et
l'enrichissement, que ces stratégies et matériaux pédagogiques soient adaptés à tous
les niveaux d'enseignement (p. 8) ou au niveau de rendement des élèves (p. 12). Or,
comme le souligne Henry (1996), le mot remédiation trouve son origine dans le
terme latin rernediure signifiant apporter un remède à ; atténuer ou supprimer les
effets néfastes de» (Robert 199 1 : 192 1). En fait, la remédiation est une procédure
de l'enseignement dit «correctif>,. En contrepartie, enrichir signifie rendre plus riche
et plus particulièrement, dans le contexte scolaire, riche de connaissances ou de
pouvoir symbdique.
Ce discours place également l'évaluation continue des apprentissages au centre de
l'enseignement préconisé, menant ainsi à une pédagogie coercitive par les moyens
de contrôle que décrit Foucault (1975) : tes élèves deviennent des sujets qu'on
évalue continuellement de connaître leur degré. de distance de la norme. On
pourra ainsi adapter le traitement (I'enseignement) en vue de norrnaiiser les enfants
davantage. A ceux qui sont déjà <mormaux», on réserve des activités
d'enrichissement qui donnent à Ieurs connaissances une valeur symbdique ajoutée.
Ceci rt pour conséquence le renforcement de la stratification sociale dite «naturelle»
parce que basée sur le mérite ou l'intelligence. Par sa participation à cette éducation
coercitive, l'enseignante produit et reproduit, comme les mères du dernier chapitre,
des inégalités sociales en Acadie.
De plus, l'attente de Boudreau et ai. (p. 9) est que délève continue, en dehors des
cours de français, de sentir l'obligation de mettre en pratique les connaissances
langagières acquises, de façon à assimiler plus efficacement les automatismes qui le
rendront compétent en français.» il est donc question de remplacer la langue
sociomatemelle par le français standard. Aucune mention n'est faite de la situation
conflictuelle que créent de telles attentes pour les enfants chez qui la langue
standard n'est pas la langue d'identité et d'appartenance communautaire. L'attente
est que tous les enfants adopteront le désir pour le français standard comme langue
d'identité et d' appartenance. Tous accepteront ainsi que 1' identité acadienne doit
être homogénéisée ; une langue, une vision du monde, une culture partagée. Une
telle reconnaissance de la valeur du français standard assure la production d'un
marché linguistique unifié et la reproduction du pouvoir de ceux pour qui le
standard reconnu est langue d' identité et d'appartenance, Ieur maîtrise du français
standard témoignant du bien-fondé de leur pouvoir d'action et de décision au nom
du peuple. Perpétuer la conviction que cette Imgue est accessible à ceux et celles
qui sentiront «l'obligation de mettre en pratique les connaissances langagières
apprises» effectue donc la mystification sur laquelle repose la reproduction
d'inégalités. Cette langue n'est pas également accessible à tous et pour certains, elle
est même hors d'atteinte.
La seule façon pour un enfant qui dévie de la norme d'accéder au travail et aux
connaissances promises est de troquer un habitus divergeant pour 1'habitus1'
dominant. Or, I'habitus est K Je produit de toute une histoire de la relation avec un
système particulier de renforcements sélectifs n (Bourdieu 1977 : 26) et, comme il a
été démontré au dernier chapitre. les mères universitaires produisent avec leurs
enfants, par l'enrichissement lexical et des expériences culturelles diverses, un
nouvel habitus dominant. Un enfant qui ne participe pas à cette construction pourra-
t-il intékg-er cet habitus en constante évolution ou sera-t-il toujours à sa remorque ?
Pour certains enfants, i l n'est pas uniquement question de changement linguistique,
c'est le discours qui doit être normalisé. C'est-à-dire qu'il ne suffit pas d'apprendre à
l 1 i.'h;lbitus rst Ic npport d'un indixidu cc dc son g o u p c sociaf au hnpgc. au corps et au tcmps: qui SC di~eloppc au
til dc-s cxy>i.rirncrs vvi.cucs sur diffi-rrnts mruchis. I.'habinis l inwuque cc trnd à fonctionner comme un scns de
I'acc~~nbiliti. et de Iri vdcur probabIcs dc scs p r q m producrions iinguistiqucs ct ccUcs dcs autrcs sur le J. itfrrcwts - -. marchk. C'ex cc scm dc l'accc-nbilitE (...) qui (...) dCt&e Ics corrections ct toutcs Ics fornies d'autocrnsurc >b (Bourdieu 1982 : 75-76).
parler et à écrire le français standard, il faut également savoir se componer, se vêtir
et voir le monde selon la nome. À l'école Lionel-Groulx, par exemple, les garçons
de Memramcook sont reconnus et rejetés par les autres élèves, de par la façon qu'ils
portent leur casquette. Ces jeunes portent leur casquette le bec vers l'avant et peu
arrondi. Les garçons de Moncton et des environs la portent avec le bec soit vers
l'arrière, soit vers l'avant mais fortement arrondi.
Les mesures mises en place depuis la publication du rapport de la commission
provinciale rendent également di ficile la divergence pédagogique.
Le MENB doit se faire l'instigateur d'un plan d'action visant à améliorer la compétence linguistique de la population scolaire et ne doit rien négliger pour atteindre cet objectif. En principe, tous les acteurs sociaux doivent être menés à reconnaître le rôle qu'ils pourraient jouer pour améliorer la qualité de la langue franpise au Nouveau-Brunswick. Puisque la langue est le moyen privilégié de transmission de toutes les connaissances, il y a lieu de favoriser une concertation entre toutes les personnes et tous les organismes touchés de près ou de loin par l'éducation (1996 : 8, gras ajouté).
Depuis la publication de ce rappon, l'amélioration <<de la qualité de la langue
française. est une cible prioritaire du MENB. Suite à une nouvelle évaluation pan-
canadienne en 1998. le MENB a réitéré la priorité de l'amélioration de la langue en
spécifiant, dans son plan éducatif pour l'année scolaire 1999-2000 (MENB 1999).
que tout sen mis en œuvre pour améliorer le rendement des élèves à la prochaine
évaluation pantanadienne en lecture et en écriture. Les examens provinciaux sont
des indicateurs annuels de cette amélioration. Ces évaluations servent également à
la régulation des enseignantes.
Placées dans la philosophie de l'éducation centrée sur l'enfant, les évaluations
provinciales en franpis et en mathématiques se veulent diagnostiques ; leur but est
d'aider l'enseignante à cibler son enseignement selon les besoins d'apprentissage de
l'enfant. Or, ces examens ont également un but implicite de sanction du système
scolaire et les districts scolaires sont jugés d'après leur rendement aux évaluations
en français et en mathématiques. De plus, le français est souvent ciblé pour
expliquer les difficultés en mathématiques : les élèves ne réussissent pas parce
qu'ils ne savent pas lire ou parce qu'ils n'ont pas le vocabulaire nécessaire. Dans
l'exemple suivant, tiré de l'examen Mazlzéniatiques g de 1999, la difficulté des
élèves est expliquée par une incompréhension des mots «dépôt» et aetraib :
Denise avait 625$ dans son compte de banque. Depuis, elle a effectué les dépôts et les retraits suivants :
Combien d'argent a-t-elle dans son compte maintenant?
Ce vocabulaire est dit hors de !a portée des jeunes malgré la présence d'une unité
appelée Les banqitiers dans le matériel de mathématiques de la première année
(Lyons 1984) et l'utilisation des mots «dépôt» et «retrait» par l'enseignante lors de
son enseignement. Plus encore, on dit des enfants qui ne réussissent pas en
mathématiques qu'ils ne <<savent pas s'exprimer». C'est-à-dire que les réponses à
l'examen sont inappropriées parce que formulées dans un langage imprécis.
Éventuellement, les résultats des élèves sont utilisés comme indicateurs de
l'efficacité des écoles et des enseignantes. Afin de pallier aux faiblesses des élèves,
chaque palier, du MENB à chaque membre du personnel enseignant, est tenu de
rédiger son plan d'amélioration de la langue. Lorsque l'écart entre le rendement
d'une école et la moyenne provinciale est trop grand, on parle même d'un plan de
redressement. Ces situations provoquent un questionnement en ce qui a uait à la
qualité de l'enseignement.
Lors de discussions autour des résultats des élèves de mon disttict scolaire actuel
par exemple, je suggère qu'il existe un lien entre le milieu de vie des éIèves et ces
résultats. Pour ce faire, je m'appuie sur les chiffres qui placent continuellement les
résultats des écoles de milieux ruraux en dessous de la moyenne provinciale et ceux
de milieux plus urbains au-dessus & cette moyenne. La représentante du ministère
refuse ce lien disant qu'il est impossible de le prouver, il s'agit plutôt d'un
problème d'enseignement. Un autre représentant du MENB me raconte que les
évaluations externes ont permis à une enseignante du sud-est d'analyser son
enseignement et de modifier sa pédagogie afin d'assurer le succès de ses élèves.
Cette anecdote est présentée par ce représentant du MENB comme preuve de
l'utilité des tests comme indicateurs du besoin d'améliorer l'enseignement. Ici, il
n'est pas question de modifier l'enseignement pour qu'il devienne plus sensibIe aux
diverses identités culturelles et linguistiques, mais bien pour que la normalisation
culturelle et linguistique soit plus efficace. En effet, les fondements culturels des
i nstmments de mesure ne sont jamais remis en question.
Cette remise en question de l'efficacité pédagogique a pour cible une population
enseignante composée essentiellement de femmes. La responsabilité de
l'amélioration de la langue repose également sur les épaules de femmes ; les
enseignantes du primaire et du français au secondaire sont en grande majorité des
femmes. La responsabilité de cette amélioration devient de plus en pius grande.
Entrevue 1997
Gisèle : Ils nous ont dit de faire très attention au français, parce que 1% on a eu un document sur le français. qu'ils sont supposés faire. La qualité de la langue, on a reçu un document cet automne.
Je l'ai pas lu encore, j'ai pas trouvé ça. Le livre blanc vient de sortir, y a un autre document qui est sorti l'automne dernier, d'ici cinq ans qu'est-ce qu'ils veulent qu'on fasse, pis en tout cas, les documents poussent comme des champignons.
Phyllis : Pis vous autres vous êtes censées implanter ça?
Gisèle : Faut tout faire ça.
Le rapport de Boudreau et al. (1996) vient donc seconder la violence symbolique
que le MENB fait subir aux enseignantes et à leurs éfèves. En 1998, le MENB a
ajouté un nouvel outil de surveillance linguistique à sa structure : la surveillance de
la langue des enseignantes s'est formalisée avec l'introduction d'un système
d'évaluation criténée" du personnel enseignant du secteur francophone - les
anglophones n'ont pas un tel système uniformisé - du MENB. La qualité de la
langue orale et écrite est depuis un critère d'évaluation de ta qualité de la pédagogie
de l'enseignante. Cette mesure vient s'ajouter à celle de l'examen de fiançais que
chaque postulant doit écrire lors d'une entrevue pour un poste d'enseignement.
Comme l'indique une discussion entre les doyennes de l'école Du Bouleau et de
jeunes stagiaires, cette surveillance accrue de la langue du personne1 enseignant
francophone est récente. Selon ces enseignantes, il n'y a pas de cela très longtemps,
i l suffisait d'être francophone pour avoir un poste dans une école française au
Nouveau-Brunswick. En fait, l'amélioration des compétences linguistiques du
personnel enseignant déjà en place était, tel qu'it a été précisé au chapitre deux, le
but principal des cours d'été du collège Saint-Joseph. Comme les enseignantes des
années 1930 acceptaient la légitimité des buts poursuivis par ces cours, les
enseignantes d'aujourd'hui acceptent que le MENB vérifie leurs habiletés
linguistiques. En effet, les enseignantes font preuve, on le verra plus loin, d'une
' 2 hlodc d'CvJuanon où h pcrfomiuicc du sujet dans I'accomplu;scmrnt d'unc tichc qkaf iquc cst $6" ~ ~ P p x t i un seuil ou i un c r i t k dc rCussitc (ZcXndrc 1997 577)
certaine insécurité linguistique qui rend légitime cette surveillance : elles ne croient
pas maîtriser le français standard-
Dans la présente section, on a vu que le français standard est la seule langue
légitime à l'école acadienne. Cette hégémonie est construite sur la perception des
bienfaits de l'apprentissage de la forme standard : cette dernière est la seule clef
d'accès à la connaissance, au travail et au monde francophone. Enseigner autre
chose équivaut à placer I'enfant en situation de désavantages intellectuels,
économiques et sociaux. Afin d'assurer que cela ne se produise pas, le MENB
dispose de plusieurs éléments de contrôle. Le contexte dont il a été question dans la
présente section place les enseignantes sous une surveillance continuelle. LES outils
de cette surveillance sont l'évaluation du personnel et des élèves. Des outils de
régulation. tels le programme et les plans d'action pour l'amélioration de la langue,
sont également sous le contrôle du MENB.
Dans la prochaine section, on verra que cette surveillance et cette régulation
exercent sur les enseignantes un pouvoir hégémonique : malgré une certaine
insécurité linguistique, la langue est un élément déterminant de leur éthique
professionnelle. Elles voient leur rôle vis-à-vis de la langue des enfants comme
faisant partie d'un travail, que l'une dit maternel. plus englobant. Ce lien entre
enseignement et maternité est également exploité par le MENB : puisque le soin des
petits est instinctif pour les femmes, l'enseignement au primaire n'est pas une
science mais bien un art. Cet art est celui d'aimer les enfants et de faire le don de
soi afin qu'ils empruntent le droit chemin. En Acadie, ce chemin est celui du
français standard. La féminisation du travail de scolarisation crée des conditions
propices à l'implantation d'une pédagogie coercitive que tous acceptent comme
naturelle.
En fait, la prochaine section propose que ce n'est pas par hasard si ce sont des
femmes qui sont responsables de la qualité de la langue française dans nos écoles.
En faisant de l'enseignement au primaire un travail de femmes, gardiennes de la
langue, l'institution scolaire facilite la reproduction de l'hégémonie du français
standard. Les enseignantes font un travail de femmes situé dans le néant entre la
maison et le monde du travail, comme le soutient Gmmet (1988)' mais égaiement
entre la langue régionale et le français standard. En ce sens, elles sont gardiennes de
la langue et du pouvoir symbolique du discours dominant. Tout comme les mères
traditionnelIes qui ont formé mon échantillon du dernier chapitre, c'est dans le
quotidien que les enseignantes-participantes font ce travail de socialisation.
L ' E X S E I G ~ ~ L V T AU PRiMAiRE, TRAVAIL DE FEMMES
En 1998, le MENB rapportait que pour l'année scolaire 1996-97, 71% de la
population enseignante de l'ensemble des écoles de la province était des femmes.
Par contre, les hommes continuaient à occuper 70% des postes de direction d'école.
Ators que le MENB ne fait pas cette distinction, on peut dire que Ia proportion de
femmes qui enseignent au primaire est encore plus p n d e . À l'école Du Bouleau. le
personnel enseignant est composé uniquement de femmes et dans mon district
actuel, seuls trois hommes enseignent à des niveaux inférieurs à la septième année
et aucun de la maternelle à la troisième année. Des seize écoles du district où l'on
retrouve des élèves de la maternelle à la sixième année, huit sont dirigées par des
hommes et huit par des femmes. Les autres écoles n'ont que des hommes à leur
tête. Malgré la féminisation de la profession enseignante et le mouvement
féministe, les enseignantes acadiennes continuent donc à être reléguées au primaire
et exclues de la direction des écoles secondaire. La seule exception est dans le
district scolaire où j'ai mené ma recherche. Là, les directions générale et de
l'éducation sont des femmes et semblent être proactives dans la recherche de
l'égalité des sexes lors de l'attribution des postes à la direction de leurs écoles. Ces
membres de la haute direction ont placé une femme à la direction et une autre à la
direction adjointe de leur plus grande polyvalente.
Dans cette section, on verra que les femmes participent à la production et à la
reproduction du statut de la profession enseignante, travail de femme. Elle est
divisée selon les différents lieux de cette participation. Les actions des enseignantes
dans chacun de ces lieux sont explorées et l'aspect féminin des actions et des lieux
est explicité, souvent en comparaison avec les situations rapportées par les mères du
dernier chapitre. Le travail scolaire est féminin tant dans sa définition que dans ses
conditions, des conditions qui sont similaires à celles des mères du chapitre
précédant. En plus, des liens sont tissés entre mes données et les résultats d'autres
recherches. On verra également quelles sont les conséquences de cette production et
reproduction de la féminisation du travail de scolarisation au primaire. Comme le
travail linguistique des mères contribue à la stratification sociale, celui des
enseignantes est important à la réalisation du rôle de sélection sociale de l'école.
Leur carrière
Comme les mères du dernier chapitre, Gisèle et Chantal ont toutes deux un
cheminement professionnel typiquement féminin. Les mères qui sont restées sur le
marché du travail suite à la naissance de leurs enfants occupent des postes au
service des autres (infirmière, enseignante, secrétaire). Alors qu'il est possible que
des femmes de la Vallée occupent des postes moins traditionnels, aucune n'a été
identifiée et interviewée. Alors qu'une femme scientifique et professeure au niveau
universitaire fait partie de l'échantillon, celle-ci a décidé de demeurer à la maison
lors de l'amvée de ses enfants. Aucun homme de l'échantillon n'a fait ce choix et la
carrière de parent à temps complet demeure un choix essentiellement féminin. Le
choix de carrière des enseignantes est également un choix de femme.
L'enseignement est une carrière de femmes et l'enseignement au primaire premier
cycle continue à être perçu comme travail maternel. Cette perception a été cultivée
au début de la féminisation de la profession enseignante : les femmes ont acquis le
droit d'enseigner sous le prétexte que le soin des petits est le travail naturel des
femmes, le Bon Dieu ne leur a-t-il pas confié le rôle de mère ? Aujourd'hui, on
continue de s'exclamer lorsqu'un homme enseigne aux tout-petits. De plus, une
enseignante me dit qu'il serait impossible pour un homme d'effectuer ce travail, la
maternité n'appartant qu'aux femmes. Puisque ce travail est nature1 pour la femme,
i l ne peut être remis en question. Comment douter des bienfaits de l'amour et du
don de soi ?
Un deuxième élément qui atteste du caractère féminin du cheminement de ces
enseignantes est qu'elles n'ont considéré que des canières au service des autres :
infirmière ou enseignante pour l'une et agent de voyage ou enseignante pour I'autre.
De plus, dans leur enseignement, Gisèle et Chantal placent les enfants, les parents
ou leur employeur avant elles-mêmes : lorsqu'elle a un problème de discipline avec
un enfant, Gisèle se réfère aux parents pour trouver une solution et l'exécute, même
si elle va à l'encontre de ses croyances ; Gisèle accepte que certains parents
corrigent son français et que d'autres soient en classe pour faire du bénévolat,
même lorsqu'elle doute de leurs compétences ; Chantal aimerait demander un
transfert d'école, mais ne le fait pas car on lui a déjà accordé un congé sans solde et
un congé de maternité ; lors des dernières journées de sa grossesse, Chantal donne
ses dernières gouttes d'énergie aux enfants afin qu'ils ne souffrent pas d'avoir une
enseignante enceinte ; et finalement, Chantai se sent coupable lorsqu'elle n'est pas
en mesure d'en donner autant à un enfant intégré (enfant ayant un handicap
intellectuel qui reçoit son éducation en classe régulière) qu'aux autres enfants de sa
classe, du même coup, elle se sent coupable de ne pouvoir donner plus de temps
aux élèves qui ont certaines difficultés d'apprentissage.
Comme l'indique une discussion entre les doyennes de I'écoIe Du Bouleau et de
jeunes stagiaires, cette surveillance accrue de la langue du personnel enseignant
francophone est récente. Selon ces enseignantes, il n'y a pas de cela très longtemps,
i l suffisait d'être francophone pour avoir un poste dans une école française au
Nouveau-Brunswick. En fait, I'améliontion des compétences linguistiques du
personnel enseignant déjà en place était, tel qu'il a été précisé au c h a p i ~ deux, le
but principal des cours d'été du collège Saint-Joseph. Comme les enseignantes des
années 1930 acceptaient la légitimité des buts poursuivis par ces cours, les
enseignantes d'aujourd'hui acceptent que le MENB vérifie leurs habiletés
linguistiques. En effet, les enseignantes font preuve, on le vern plus loin, d'une
certaine insécurité linguistique qui rend légitime cette surveillance : elles ne croient
pas maîtriser le français standard.
Dans la présente section, on a vu que le français standard est la seule langue
légitime à l'école acadienne. Cette hégémonie est construite sur la perception des
bienfaits de l'apprentissage de la forme standard : cette dernière est la seule clef
d'accès à la connaissance, au travail et au monde francophone. Enseigner autre
chose équivaut à placer l'enfant en situation de désavantages intellectuels,
économiques et sociaux. Afin d'assurer que cela ne se produise pas, le MENB
dispose de plusieurs éléments de contrôle. Le contexte dont i l a été question dans la
présente section place les enseignantes sous une surveillance continuelle. k s outils
de cette surveillance sont l'évaluation du personnel et des élèves. Des outils de
régulation, tels le proemme et les plans d'action pour l'amélioration de la langue,
sont également sous le contrôle du MENB.
Dans la prochaine section, on vern que cette surveillance et cette régulation
exercent sur les enseignantes un pouvoir hégémonique : malgré une certaine
insécurité linguistique, la langue est un élément déterminant de leur éthique
professionnelle. Elles voient leur rôle vis-à-vis de la langue des enfants comme
faisant partie d'un travail, que l'une dit maternel, plus englobant. Ce lien entre
enseignement et maternité est égaiement exploité par le MENB : puisque le soin des
petits est instinctif pour les femmes, l'enseignement au primaire n'est pas une
science mais bien un art. Cet art est celui d'aimer les enfants et de faire le don de
soi afin qu'ils empruntent le droit chemin. En Acadie, ce chemin est celui du
français standard. La féminisation du travail de scolarisation crée des conditions
propices à l'implantation d'une pédagogie coercitive que tous acceptent comme
naturelle.
En fait, la prochaine section propose que ce n'est pas par hasard si ce sont des
femmes qui sont responsables de la qualité de la langue française dans nos écoles.
En faisant de l'enseignement au primaire un travail de femmes, gardiennes de In
langue, I'insti tution scoIaire facilite la reproduction de l'hégémonie du français
standard. Les enseignantes font un travail de femmes situé dans le néant entre la
maison et le monde du travail, comme le soutient Grumet (1988), mais également
entre la langue régionale et le français standard. En ce sens, elles sont gardiennes de
la langue et du pouvoir symbolique du discours dominant. Tout comme les mères
traditionnelles qui ont formé mon échantillon du dernier chapitre, c'est dans le
quotidien que les enseignantes-participantes font ce travail de socialisation.
L'ENSEIG~WME~ AU P R M A D E , TRAVAIL DE FEMMES
En 1998, le MENB rapportait que pour l'année scolaire 1996-97, 71% de la
population enseignante de l'ensemble des écoles de la province était des femmes.
P x contre, les hommes continuaient à occuper 70% des postes de direction d'école.
Alors que le MENB ne fait pas cette distinction, on peut dire que la proportion de
femmes qui enseignent au primaire est encore plus grande. À l'école Du Bouleau, le
personnel enseignant est composé uniquement de femmes et dans mon district
responsabilité. Selon Knopp Biklen (1985) et Acker (1993) cette position, où les
responsabilités familiales jouent dans la décision de postuler ou non un poste à la
direction d'une école, est une position de femme. Acker précise que c'est le
contexte social de la condition féminine qui explique cette position. Puisque ces
femmes sont les premières responsables du travail domestique, elles ne sont pas
libres de choisir un poste à plus grande responsabilité. Tout comme Gisèle, les
enseignantes qui ont participé à la recherche menée par Acker sont responsables des
repas, des enfants et du ménage. Dans la dichotomie privédpublique,
femmehomme, ces responsabilités, comme celles de l'enseignement de la langue et
de l'éducation des enfants, relèvent du secteur privé, domaine des femmes. Alors
que cette division des responsabilités fami liales ne reflète pas l'ensemble des
modèles conjugaux. Baudoux (1992) en relève quatre chez les couples
hétérosexuels, elle reflète bien la situation du ménage à double carrière que vivent
Gisèle et Chantal. L s autres modèles décrits par Baudoux sont : une carrièredeux
personnes, le ménage à double salaire et le couple symétrique.
Le modèle d'une carrière-deux personnes se distingue des autres par la présence
d'une (le plus souvent la femme) personne qui ne poursuit pas de vie
professionnelle. C'est la situation de plusieurs mères interviewées dans le cadre de
cette recherche. Par leur travail domestique, ces femmes libèrent complètement leur
partenaire à la poursuite de leurs carrières. Le couple à salaire double est celui dans
lequel les deux partenaires ont un travail rémunéré.
Dans ce cas, les femmes sont affectées de façon encore prépondérante (mais non exclusivement) à la sphère domestique, et les hommes à la sphère publique. (.. .) Dans ce type de couple, aucun ni aucune des deux membres du couple n'a en principe de poste exigeant, du moins en fait de temps et de responsabilités (Baudoux 1992 : 84).
Le terme à d~uble carrière s'applique là où les
offrent des possibilités d'avancement. Dans ce
responsabilité professionnelle de la femme tend
partenaires ont des emplois qui
modèle conjugal, le niveau de
à avoir des répercussions sur la
division du travail domestique ; plus la femme monte dans ia hiérarchie du domaine
public, plus les rapports conjugaux sont égalitaires. Le couple symétrique. une
situation que Baudoux qualifie d'utopique, «consacrerait I'aboIition quasi complète
de l'affectation sexuée aux sphères domestique et publique, l'accès égal des
hommes et des femmes aux ressources et pouvoirs de la société, comme aux
responsabilités familides» (p. 85).
Chantal, Gisèle et leurs conjoints respectifs, poursuivent des carrières où i l y a
possibilité d'avancement, mais l'enseignement au primaire premier cycle est un
poste situé au bas de l'échelle de la profession enseignante. En effet, maigré une
échelle de salaire qui ne tient compte que du niveau de s c o l ~ t é et du nombre
d'années de service, l'enseignement aux tout-petits est considéré comme un travail
moins professionnel et moins exigeant en fait de temps et de responsabilités que
l'enseignement aux autres niveaux scolaires. La journée scolaire de la maternelle à
la deuxième année n'est que de quatre heures et demie dors que celle de la
quatrième à la huitième année est de cinq heures et demie. Au secondaire, eile est
de six heures. De plus, les enseignantes considèrent qu'il n'est pas important
d'avoir un grand bagage de connaissances pour enseigner à ces niveaux, i l suffit
d'aimer les enfants. En effet, lorsque Gisèle me demande ce que je ferai une fois ma
thèse terminée, je lui dis que je retournerai peut-être en salle de classe. Elle
s'exclame : «Pas en première année! Peut-être au secondaire.» Elle explique que
j 'auri trop de connaissances pour enseigner en première année. ce serait une perte.
Gisèle et Chantal ont donc une profession qui n'en est pas une et. comme les autres
enseignantes de leur école, elles sont les premières responsables du travail
domestique et familial.
Notes 24 février 1995
Chantal raconte qu'un jour, ça ne lui disait pas du tout de faire à manger et, malgré le fait qu'elle doit suivre une diète spéciaIe à cause de son diabète, elle a appelé son conjoint pour lui demander de passer chercher une pizza. Chantal savait que son conjoint ne ferait pas le souper. Les autres enseignantes ont dit que c'était la même chose pour elles. En plus, lorsqu'un des mais fait à manger, i l faut lui dire comment c'est bon : si l'un d'eux fait cuire les patates, i l va dire «elles sont bonnes les patates ce soir, hein?» Les enseignantes disent ne pas recevoir de tels compliments de leur famille.
Gisèle et Chantai s'expliquent cette division du travail par les responsabilités
professionnelles de leurs conjoints. Pour Gisèle, ce sont les heures de travail de son
conjoint qui exemptent celui-ci de sa part de responsabilités domestiques. De son
côté. Chantal explique que son conjoint a besoin de beaucoup de défis pour être
heureux au travail. Il y passe dors beaucoup de temps. Ces hommes peuvent donc
compter sur le travail domestique non-payé de Chantal et Gisèle, mais ces femmes
ne voient pris la possibilité d'une telle prise en charge de la part de leurs conjoints.
Au contraire, les responsabilités familiales sont autant de raisons pour ne pas
prendre un poste de plus grande responsabilité au travail.
Avec la division du travail domestique, les conditions de travail de l'enseignante du
primaire premier cycle sont propices à la reproduction d'une identité sociale basée
sur la définition traditionnelle du féminin. Parmi ces conditions, notons que les
enseignantes du primaire passent une moyenne de cinq heures par jour, cinq jours
par semaine avec un même groupe d'élèves et, pendant ces heures, elles sont
responsables tant de leur développement social et personnel, qu'intellectuel. Pour
effectuer ce travail, l'enseignante doit faire appel à des habiletés dites féminines tel
que la sollicitude, le don de soi et la création de liens dont il a déjà été question,
ainsi que l'altruisme et I'empathie (Gilligan 1982 ; Grumet 1988 ; Tarvis 1992).
Comme le précise Tarvis par contre, ce n'est pas en raison de leur biologie que les
femmes font preuve de ces capacités humaines. Tout être humain est capable
d'altruisme et d'empathie, mais ce sont les femmes qui occupent les positions
sociales. en terme de travail et de pouvoir. qui exigent de telles capacités. Travail et
pouvoir vont souvent de pair puisque c'est la personne ayant moins de pouvoir qui
doit être en mesure de mettre ses intérêts de côté afin de s'assurer que tout va
rondement (en faveur de celle ayant plus de pouvoir).
iMuch of the stereotype of women's innate advantage in empathy denves from the different jobs that women do and their different IeveIs of power. Women are more Ii kely than men to be caretakers and monitors of relationships. They do the interaction work in conversations, making sure feelings aren't hurt and keeping the bal1 rolling. They do the invisible but tirne-consuming &in workw of managing extended farnily relations, such as organizing celebrations, sending holiday and birthday cards, making phone calls to keep in touch, and arranging dinner parties. Much of the paid work they do falls in the service sector, where they are expected to anticipate and respond to the emotions of customers and clients. (Tarvis 1992 : 65)
Puisque tel est le cas, Ies femmes qui occupent ces positions ont intérêt à
développer des habiletés dites féminines. En effet. la pédagogie prônée pour
l'enseignement au primaire exige la capacité de déceler par simple observation les
besoins de chaque enfant d'une salle de classe et d'y répondre. Un moyen d'y
parvenir consiste à créer une atmosphère propice à l'apprentissage, c'est-à-dire une
atmosphère de calme et de respect réciproque. Dans une telle classe, les besoins de
l'enseignante sont subordonnés aux besoins de t'enfant et aux exigences des
parents, du district scolaire et du MENB. Tout comme i l revient aux mères de faire
le don de soi pour reproduire des êtres ethniques en milieu minoritaire (Juteau-Lee
1983), le don de soi de I'enseignante du primaire est donc nécessaire à la création
de ce milieu où se tissent les liens entre les membres, enseignante et élèves, de la
classe. La célébration d'un anniversaire ou de la perte d'une dent est une affaire du
groupe-classe et non uniquement un échange entre enseignante et élève. Faire du
travail de l'enseignement au primaire un travail d'amour et de service rend
invisibles l'action politique et la violence symbolique que porte cet amour.
C'est à 1 ' intérieur de cette première cellule sociale/scolaire que l'enseignante, de par
la médiation au quotidien des expériences de ses élèves, participe à la production
d'êtres ethniques inscrits dans un discours unificateur. L'enseignante tente en effet
de concilier la langue et la culture de l'élève à celles autorisées par le milieu
scolaire. Par sa gestion des comportements, des discussions et des activités scolaires
et parascotaires, l'enseignante crée une cellule sociale dans laquelle les élèves
négocient une culture partagée. Créées dans un contexte scolaire qui fait appel aux
habiletés dites féminines, ces cellules sont, pour le personnel enseignant,
férninisantes. Puisque ce travail est naturel pour la femme, i l est déprofessionalisé,
c'est-à-dire qu'i 1 perd son caractère intellectuel.
Puisqu'il est naturel, il n'est pas légitime de questionner les fondements culturels de
la pédagogie centrée sur l'enfant. On ne peut donc pas reconnaître que les
interactions adultelenfant et enfanvenfant varient selon des normes culturelles. Ces
normes peuvent varier selon le groupe ethnique, mais également selon le groupe
social. Les normes dites natureIIes de la salle de classe sont celles du groupe
culturel et social de l'enseignante. Les enseignantes favorisent ainsi davantage
I'inté&mtion des enfants, au monde du savoir scolaire, qui partagent leurs normes
que ceIk des enfants issus d'autres milieux socioculturels.
La médiation au quotidien
Suivant l'hypothèse que l'école réussit, au f i l des douze années de contact, à
normaliser la langue scolaire des enfants, j'avais choisi de travailler avec des
enseignantes du primaire d'observer le travail qui se fait aux premières heures
de cette normalisation. Pour cette même raison, ma préférence était de faire des
observations en maternelle ou en première année. Or, la standardisation n'est pas
que le travail de l'école et, à l'école, il n'y a pas que le comportement langagier qui
devient scolaire, mais bien toute une gamme de comportements. Ce travail de
régulation est le propre de l'enseignante de la première année : c'est à ce niveau que
les enfants deviennent des élèves. En salle de classe, cette régulation se traduit,
entre autres, par l'enseignement de valeurs, travail qui se rapproche de celui des
mères. C'est ce que ces deux groupes de femmes, enseignantes et mères, nomment
de petites choses. Cette caractérisation reflète la valeur accordée à ce travail
pourtant si important à la production et reproduction d'une culture partagée.
Dans la province du Nouveau-Brunswick. l'enseignement de la catéchèse devient
de plus en plus la responsabilité des paroisses religieuses plutôt que des écoles. Or,
Annie, membre du comité de parents, explique que ce sont les mères, et souvent
celles qui ont choisi de rester à la maison suite à la naissance de leun enfants, qui
sont sollicitées pour effectuer ce travail bénévole.
Entrevue 1997
Annie: Y a plus (de catéchèses à l'école) l'année prochaine ça va être dans les presbytères pis ça va être la responsabilité des parents.
Phyllis: Es-tu d'accord avec ça ou tu voudrais que ça se fasse?
Annie: Ah, je sais pas ... je suis pas d'accord que ça timbe sur l'épaule des parents. (rire nerveux) (. . .) Parce que je trouve qu'ils en rnettont. je trouve qu'ils mettont assez de responsabilités sur les parents qui travaillent pas. (. . .) Une mère qui travaille, ben a va dire, j'ai pas le temps, je travaille. Comme ma belle-sœur m'a dit, mais nous autres, on travaille pas, puis elle dit, tu pourrais faire du bénévolat 23 heures sur 24, si tu te laissais faire.
De son côté, Denise explique que ce ne sont que des femmes qui se présentent aux
réunions d'information au sujet de la catéchèse. Les hommes préfèrent un travail
plus visible.
Entrevue 1997
Denise : Ça dépend, quand c'est les sports, les hommes sont là tout de suite. Comme 1% on va avoir du soccer, ben c'est tous des hommes. Mais quand c'est dans l'église ou ben donc dans i'éducation, ça c'est les femmes. (. . .) On dirait que pour les hommes. i l faut que ça aye l'air gros, il faut que ça soit important. Ils ont besoin d'avoir l'impression qu'ils changent vraiment quelque chose,
En première année, les valeurs qu'on enseigne aux enfants relèvent surtout du
domaine de l'hygiène et des relations humaines. Ce travail est, selon une
enseignante, aussi important que l'enseignement de la lecture en première année :
on ne peut pas envoyer des enfants qui ne savent pas vivre en deuxième année plus
qu'on peut y envoyer des enfants qui ne savent pas lire.
Entrevue 1995
Gisèle: C'est très, très important de lire, mais il n'y a pas juste d'apprendre à lire quand tu sors de la première année. C'est important de lire. La lecture c'est toujours important. mais c'est important aussi que quand tu sors de la classe, tu ne donnes pas un coup de poing à tout Ie monde qui passe à côté de toi là. Le respect de l'autre, c'est aussi important. (. . .)
Si tous ceux qui sortent de ma classe se lavent les mains à chaque fois qu'ils vont à la toilette, c'est un gros objectif ça.
Comment l'enseignement de ce savoir être est-il scolaire ? Dans une rencontre
générale avec les parents des élèves de sa classe en début d'année, Gisèle présente
les matières à l'étude en première année. Elle explique dors qu'en santé, les élèves
apprendront à se Iaver les mains avant un repas et après s'être mouché, à se brosser
les dents et à mettre la main devant la bouche Iorsqu'iIs éternuent. En entrevue,
Gisèle précise l'importance qu'elle donne à l'enseignement de ces valeurs ; elle
considère que c'est ce qu'elle donne de plus important aux enfants. Ce travail est
imbriqué dans le quotidien de la journée scolaire.
Entrevue 1995
Gisèle: J'espère que je leur aurai Iaissé bien des valeurs, des valeurs, pas des croyances, mais plutôt des valeurs dans le sens de prendre soin de l'environnement, le goût de lire, le goût du respect de l'autre, le goût du respect de toutes sortes de choses. Tu sais, les valeurs qu'on véhicule au courant d'une journée, se laver les mains ... tu sais, c'est toutes des petites choses comme ça.
Ce développement du goût de toutes sortes de choses, de la lecture au respect,
ressemble de près à ce que Acker à relevé chez des enseignantes d'une école en
Grande-Bretagne :
Helen is talking about the infant unit [children aged 4 to 71 to a small group of parents who had gathered for a cup of tea and this talk. One question is about music : « Do you teach them to read music ? » «No, not until secondary. I think the whole aim of prirnary education is to develop a love of everything. No child says 1 can't do this, 1 hate it ». (Acker 1993 : 5 )
Se dessine ici un parallèle important entre le discours de la mère et celui de
l'enseignante. Denise dit que les hommes ne se préoccupent que de ce qui a d'air
gros» alors que l'impact du travail des femmes semble moins concret (on ne gagne
pas de trophée à la catéchèse et il n'y a pas de spectateurs à l'école). De son côté,
Giséle parle des qetites choses» qu'elle fait (<au courant d'une journée». Or, ce sont
ces petites choses, cette éducation aux valeurs, qui forment la base de la culture
partagée d'une communauté. Cette éducation se fait par le biais de la médiation au
quotidien des comportements des enfants. Elles définissent, par exemple, des rituels
propres à la cellule sociale/scolaire, tels celui de la préparation pour l'heure du
midi.
Notes 29 août 1994
Gisèle fait préparer ses élèves une rangée à la fois pour aller manger. Elle dit à chaque équipe d'aller se laver les mains, de prendre leur boîte à dîner et de s'installer pour manger. Les élèves qui iront à la cafétéria doivent se placer en ligne. Un élève attend que Gisèle lui dise de commencer à manger. 11 est assis, sa boîte ouverte et son sandwich déballé devant lui. Ce n'est que lorsqu'il aperçoit les autres qui mangent qu'il commence j. manger.
Notes 30 août 1994
Chantal dit aux élèves qu'il est l'heure du dîner. Elle demande : «Avant de manger qu'est-ce qu'on fait?» Un élève répond : «Se laver les mains». Chantal demande qui doit aller à la cafétéria et demande à ces élèves de venir se placer en rang. Elle invite ceux qui n'iront pas à la cafétéria à venir se laver les mains au lavabo de la classe. L'ensemble de la classe, les élèves qui sont en ligne comme ceux qui attendent le signal pour aIler chercher leur boite à dîner, se lance au lavabo. Chantal a alon perdu la belle file que les élèves avaient formée devant la porte de la classe.
L a prise de parole, liée à la politesse ou au respect de l'autre, est un autre de ces
rituels :
Notes 15 septembre 1991
Les élèves sont assis en demi-cercle autour de Chantal. Les élèves ont dessiné des familles d'animaux et c'est l'heure du partage. Chaque élève présente la famille qu'il ou elle a dessinée. Chantal reprend un enfant qui parle en même temps qu'un autre enfant présente son dessin. Elle lui dit : «C'est impoli de ne pas écouter quand les amis parlent en avant. 11 faut écouter, parce que c'est poli .»
Les enseignantes passent également un certain temps, en début d'année à enseigner
aux enfants à demander le droit de parole en levant la main. On entend souvent, par
exemple : d e vais demander à quelqu'un qui est assis et a la main levée». Ou
encore : d'entends une voix, mais je ne vois pas une main levée». Parfois,
des élèves qui lèvent d'eux-mêmes la main se voient récompensés avec un
autocollant.
Les élèves doivent également apprendre à être gentils. L a situation décrite ci-
dessous est celle d'une assemblée de toutes les classes. Ces rencontres de toute
l'école sont extrêmement rares : même pour des spectacles, les élèves sont souvent
convoqués par niveau. Cela souligne le sérieux de l'occasion et l'importance d'être
gentils et de plaire à «la madame» :
Notes L 5 septembre 1994
Je suis dans La classe de Chanta1 lorsqu'elle dit aux élèves qu'ils vont aller au gymnase. Madame la directrice veut leur parler de quelque chose. Elle ne sait pas quoi. mais il faut bien écouter et se taire lorsqu'elle parle. Lorsque tous les élèves de I'école sont installés, la directrice débute l'assemblée. Celle-ci prend la forme d'un dialogue entre la directrice et les élèves. Ce dialogue est reconstitué ici :
La directrice : Combien de temps que ça fait que l'école est commencée. Les enfants : Trois semaines. La directrice demande si les élèves ont appris des choses. Les élèves : Oui. La directrice : Êtes-vous heureux à I'école? Les élèves : Oui. La directrice : Vous les madames, est-ce que vous êtes heureuses à 1 ' école? Chantal (d'une voix qu'on entend à peine) : Oui. Gisèle (d'une voix qu'on entend à peine) : Oui. La directrice : Ah! Ça pas d'l'air très, très fort. Savez-vous pourquoi c'est pas fort?
Les élèves : (silence.) La directrice : C'est parce qu'il y a des élèves qui brisent des petits règlements et puis ça fait beaucoup de peine. Par exemple, ce midi, i l y avait des élèves qui sont venus me voir. «Madarne Georgette, Madame Georgette, est-ce que je peux sortir mon goûter dehors?» Je vous ai dit oui, tant et aussi longtemps que vous ne mettez pas les déchets par terre, que vous mettez les déchets dans la poubelle.
La directrice sort un cabaret sur lequel i l y a une collection d'enveloppes d'arachides, de sacs de chips . . .
La directrice : Mais voyez-vous ce que j'ai ramassé après la récréation? Et moi, je me souviens de qui m'avait demandé : «Madame Georgette, est-ce que je peux amener ça dehors? Et oui, je vais le mettre à la poubelle.» Voyez-vous combien de peine que je peux avoir?
En salle de classe, être gentil est également synonyme de respect des règlements. La
situation suivante a lieu pendant l'heure du conte. C'est un moment fort attendu
dans la journée scolaire. ies enfants s'asseoient en demi-cercIe autour de
l'enseignante - elle sur une chaise et eux sur le plancher - pour écouter une histoire
ou discuter d'informations tirées d'un livre.
Notes 10 octobre 1994
Pendant le conte, Alain et Jérémie ont la bougeotte. Alain se couche sous la table, Jérémie fait de même. Gisèle leur dit que ce n'est pas acceptable de se coucher sous la table. Lorsque Jérémie va se placer sous la table avec Alain, il fait du bruit, Gisèle les voit et leur demande de changer de place. Ils vont se coucher sur le plancher à côté de la table. Gisèle se lève la tête, les voit, et leur dit que ce n'était pas acceptable, qu'il fallait s'asseoir «sur les fesses ». Pendant tout ce temps, Charlotte a la bougeotte elle aussi. Elle s'assoit, se lève, se promène un peu, et ainsi de suite, mais Gisèle ne la voit pas.
À la fin du conte, Gisèle dit à Jérémie et à Alain d'aller s'asseoir à leur place. Une fois que les autres sont tous prêts pour sortir, elle
demande à Alain de venir la voir. Elle lui demande : «qu'est-ce que tu vas faire demain pendant le conte.» 11 lui dit : «Rester assis.» GisèIe Iui dit, c'est ça et l'envoie s'habiller. Elle fait ensuite venir Jérémie et lui pose la même question. Jérémie répond : «Pas faire de gestes et être gentil». Gisèle lui demande ce que ça veut dire être gentil. Il hésite et dit, ne pas faire des gestes. Elle lui demande quels gestes il faisait aujourd'hui qui n'étaient pas gentils. LI dit qu'il était couché. Gisèle lui dit que c'est ça et l'envoie s'habiller.
La réponse que donne Jérémie à la question de Gisèle. qu'il ne devait pas faire de
gestes et être gentil, démontre la compréhension qu'ont les enfants des valeurs
scolaires. Lorsqu'un enfant ne suit pas les règlements dans la cour de récréation,
d'autres rapportent qu'il n'a pas été gentil. Les élèves doivent également apprendre
à être responsables :
Suite des notes du 15 septembre 1994
La directrice dit aux élèves qu'un Monsieur de Memramcook a donné des cordes à sauter à l'école. Il en a donné assez pour toutes les classes mais, des cordes à sauter, c'est fait pour . . . et les élèves répondent qour sautem. La directrice répond : «C'est ça. Je ne veux pas voir d'enfants s'amuser à placer une corde autour de la taille d'un enfant et un autre court en aiTière.»
La directrice ajoute que : «Si un élève [elle nomme un élève], sort une corde, i l en est responsable et doit la rentrer après la récréation et la ranger à sa place».
Les élèves doivent également apprendre à bien travailler. Les élèves qui le font sont
vaillants et ceux qui n'exécutent pas le travail demandé sont entêtés :
Notes 3 1 août 1994
Chantal a demandé si tous les amis ont eu leur tour pour lire des sons [lettres], si elle avait oublié d'autres amis. Elle n'a oublié personne. C'est alors qu'elle dit : «Bon, vous êtes vaillants et vaillantes. Je crois que je vais vous donner un collant, vous avez tellement bien fait ça., Elle a donné un collant à chaque élève.
Notes 4 octobre 1994
Gisèle annonce qu'elle va lire toutes les comptines et elle leur dis qu'ils vont montrer à «Madame Phyllis comment vaillants» ils sont et Gisèle me dis : &'est vrai qu'ils sont vaillants?» Je lui dit que oui, jusqu'à date, j'ai trouvé qu'ils ont bien fait ça aujourd'hui. Gisèle dit : «Attends, si tu trouves qu'ils ont bien fait ça jusqu'à maintenant, tu vas voir comment bons ils sont. lls sont comme des vrais sixièmes années.» Gisèle dit : «Trouvez-vous que c'est vrai, vous autres?» Deux ou trois élèves disent oui. Gisèle dit : «an tous cas, si c'est pas des sixièmes, c'est tout au moins des troisièmes».
Notes 10 octobre 1994
Gisèle me dit qu'elle ne sait pas quoi faire avec Michel. Il ne veut pas faire son écriture [calligraphie] seul. Elle lui a dit qu'elle allait le garder à la récréation tant qu'il n'avait pas terminé son écriture. Elle dit : «quelqu'un qui n'est pas capable, n'est pas capable, mais là c'est de l'entêtement. 11 faut qu'il pratique seul.» Elle peut faire quelques lettres avec lui, mais pas toute la page.
Etre poli, gentil, vaillant et responsable, voilà la description d'un élève modèle. Ces
valeurs forment le champ d'action sociale de l'enseignante du primaire, elles
forment la trame de sa médiation au quotidien des expériences scolaires des enfants.
Leur enseignement se fait au quotidien, à l'intérieur de diverses activités! et leur
apprentissage est préalable à la pleine participation de l'élève à ta vie de la salle de
classe et de l'école. Des enfants qui ne sont pas gentils ou vaillants peuvent être
exclus d'une récréation ou d'une activité telle que l'heure du conte. Ces moments
sont importants à la négociation d'une vision commune du monde et de la place que
chacun y occupe. En effet, l'heure du conte ne se limite pas à l'écoute d'une
histoire, mais est également un moment important de discussion spontanée. Les
enfants y construisent leur compréhension du texte et font des liens entre leur vie et
l'histoire. C'est un moment de constmction d'une vision partagée du monde.
Les valeurs décrites ci-haut appartiennent à la sphère privée/féminine de ta
dichotomie privée/publique, femmehomme. Ces valeurs sont dites petites parce
qu'elles sont véhiculées dans le quotidien de la sphère domestique de la maison ou
de la salle de classe, domaines des femmes. Les relations interpersonnelles
appartiennent également à ces sphères. 11 n'est donc pas surprenant qu'en plus des
questions d'hygiène, l'enseignante du primaire enseigne des valeurs liées à la
coopération et au respect des autres, des valeurs attribuées au féminin. Parmi les
valeurs dites masculines sont la compétition et l'agressivité (Tarvis 1992). LRs
valeurs féminines de la coopération et du respect d'autrui véhiculées au primaire
permettent aux enseignantes et enseignants des niveaux supérieurs de se tourner
vers I'enseignement de choses plus sérieuses ; c'est-à-dire les connaissances
spécialisées, voire quantifiables. En effet, Iors d'une récente discussion entourant
les besoins de formation du personnel responsable de l'enseignement du français, il
a été décidé que ce ne sont que les enseignants et enseignantes de la troisième à la
douzième année qui ont besoin des connaissances spécidisées en *pmmaire et en
pédagogie de la *grammaire. Selon certaines des participantes à cette conversation,
la connaissance du verbe, du sujet et du nom est suffisante pour enseigner les
éléments de la -ammaire nécessaires à l'écriture en maternelle, première ou
deuxième année. De plus. le comment de cet enseignement est sans importance. Ce
qui importe au primaire, c'est de faire de l'enfant un élève prêt à recevoir le savoir
scolaire. Cet élève doit avoir le goût (la motivation) d'apprendre toutes sortes de
choses et être gentil (faire ce qui lui est demandé).
Tout comme les mères, les enseignantes de la première année font un travail qui
soutient celui de leurs collègues qui enseignent aux niveaux supérieurs. k s mères,
par leur enseignement du français standard, préparent leurs enfants à devenir des
élèves. En faisant de l'enfant un élève qui sait s'asseoir, écouter, attendre son tour,
l'enseignante du début du ptimaire le prépare à passer au monde du savoir, à
devenir un être instruit. Chantai dit que la grande différence entre les élèves de la
première et de la deuxième année, c'est que ces derniers savent s'asseoir
convenablement. k s élèves de la première année ne peuvent pas rester assis ou ne
sont pas assis droit sur la chaise. Enseignante de la troisième année, je n'avais qu'à
demander à mes éIèves de se placer en équipes ou en rang, d'aller chercher un livre
à la bibliothèque ou de se préparer pour aller à la maison et. de façon généde, ils le
faisaient. Ce n'est que lorsque j'ai eu à enseigner en première année que j'ai réalisé
que mes anciens élèves avaient appris à faire ces choses suite à un enseignement
préalable. Par contre, l'appropriation du comportement scolaire n'est pas chose
facile pour les enfants qui n'ont pas le même système de valeurs que celui véhiculé
par l'institution scolaire. Une enseignante me raconte, par exemple. qu'un élève
perturbateur Iui avait demandé comment on fait pour savoir quand on peut faire des
blagues en classe, car parfois l'enseignante en rit. mais d'autres fois. la blague
mène à une réprimande. Il ne suffit donc pas de savoir comment parler, il faut
également savoir ce qui peut être dit et quand cela peut être dit.
C'est au niveau des comportements que les enseignantes distinguent pour la
première fois les bons élèves de ceux et celles qui devront être régularisés : une
enseignante me dit dès la première semaine de classe qu'elle sait qu'elle aura de la
difficulté avec Pierre et Jean. Avant le début de l'année scolaire, l'autre enseignante
avait été prévenue par ses collègues des difficultés qu'elle aurait avec Jean-Philippe.
Lon de ma première journée d'observation, je ne peux cependant distinguer Pierre
et Jean des autres et Jean-Philippe est calme et démontre un grand intérêt pour les
livres : i l passe autant de temps que possible à y regarder les images. démontrant
ainsi une conscience de l'écrit, étape que Thériault (1996) considère comme
préparatoire à l'apprentissage de la lecture. Au fil de l'année scolaire, les élèves
ciblés développent tous un cenain désintéressement vis-à-vis de l'école qui
provoque des réprimandes de la part de leur enseignante. En plus. Jean-Philippe est
un des derniers à apprendre à décoder les textes scolaires (petits livres de lecture,
manuel de lecture) et les enseignantes sont de moins en moins conscientes des
efforts positifs de ces élèves. L'exemple suivant, tiré d'une leçon d 'or th~~aphe,
illustre bien ce point.
Jean-Philippe est un élève «difficile». Déjà à fa mi-septembre, son enseignante de
première année téléphone à la maison parce qu'il a frappé un autre élève et
s'exaspère qu'il dit toujours le contraire de ce qu'elle dit. Elle ne sait plus que faire
vis-à-vis des comportements inappropriés de cet élève. L'enseignante commence
également à ne plus voir les efforts que fait ce garçon pour se conformer à ses
exigences.
Notes 27 septembre 1994
Charles est le premier à terminer l'écriture de son mot. lean- Philippe travaille derrière lui de façon concentrée lorsque Charles se retourne pour voir ce qu'il fait et lui dit que le [a] n'est pas la première lettre du mot à orthographier (dame), mais la deuxième. À ce moment, l'enseignante dit à Charles de laisser Jean-Philippe le faire seul. Lorsque ce dernier a réussi à bien orthographier le mot, Charles lui fait un sourire, et dit : <<Tu l'as eu, Jean-Philippe. Lève la maim. Jean-Philippe lève la main pour que l'enseignante vienne voir, mais il est trop tard, elle dicte le prochain mot. Jusque là, i l a travaillé en silence, mais lorsqu'il ne réussit pas à avoir l'attention de I'enseignante, Jean-Philippe commence à faire du bruit. C'est alors que l'enseignante l'aperçoit et lui dit :«Après qu'on soit allé dehors pour la catéchèse, tu vas rentrer avec moi téléphoner à ta mère pour lui dire ce que tu as fait de pas correct.»
Deux ans plus tard, la mère d'un autre enfant me parle de Jean-Philippe, dors en
troisième année. La résistance de ce garçon est devenue plus agressive et
incontournable.
Entrevue 1997
Gisèle : Le mien arrive des fois, Jean-Philippe Ruest, c'est un enfant problème, hyper je crois, il disait à la maîtresse «fuck you» !
Parce qu'extrême, le cas de Jean-Philippe illustre bien comment l'enseignante joue
le rôle de gardienne de la frontière entre le dominant hégérnonique et le minoritaire
à l'intérieur même de la communauté acadienne. Les parents de Jean-Philippe sont
tantôt ensemble, tantôt séparés. Sa mère est bénéficiaire du bien-être social. Selon
une des enseignantes de I'école, son père et ses oncles sont de grands buveurs et
amènent le petit avec eux à la taverne, qu'ils ne quittent qu'à «onze heures, même
les soirs d'école». Jean-Phiiippe est souvent vu en quatre roues (véhicule tout
terrain) avec un membre masculin de sa famille étendue et il accompagne parfois
son père à bord de sa semi-remorque. En plus d'être prévenue par ses collègues.
l'enseignante rapporte que lors de la rencontre d'information du mois de septembre.
le père à Jean-Philippe lui dit : <<si tu réussis d'asseoir JeamPhilippe, t'es bonne».
L'enseignante conclut que chez lui, Jean-Philippe est libre de faire tout ce qu'il
veut, sa mère ne lui impose aucune structure. Jean-Philippe n'a donc connu aucune
limite avant de venir à l'école, c'est-à-dire qu'il ne connaît pas les normes
culturelles valorisées par l'école.
Cette enseignante s'acharne alors tout au long de l'année à «contrôler» Jean-
Philippe. En début d'année scolaire, elle refuse les recommandations des autres :
«Carmen m'a dit que la façon de l'avoir, c'était de l'amadouer, qu'être stricte avec
lui ça ne marchait pas ; il allait seulement «boquem. Je trouve ça très difficile avec
un enfant comme Jean-Philippe de I'amadouen>. Elle tente donc la coercition :
isolement de ses pairs. retenue lors des récréations, appels à la mère. Ce travail de
régulation est fait selon la doctrine du choix : lorsque l'enfant choisit de ne pas
travailler, il choisit également la conséquence punitive. Jean-Philippe sait qu'un
mauvais comportement résultera en un appel à la maison. Afin d'éviter cette
conséquence, il n'a qu'à bien se comporter.
Plus tard durant l'année scolaire, l'enseignante décide de travailler différemment
avec Jean-Philippe et écrit un compte rendu quotidien de son comportement dans
son agenda scolaire. La mère doit, de son côté, le signer à chaque soir, attestant
ainsi qu'elle l'a lu. De plus, l'enseignante divise la journée en deux et dit à Jean-
Phi lippe que s'il travaille bien le matin, il aura droit à une récompense quelconque.
Parfois, la récompense est la possibilité de participer aux mêmes activités que les
autres en après-midi ; le matin est consacré au français et aux mathématiques et
l'après-midi aux matières d'éveil (sciences naturelles et humaines, santé, arts).
L'enseignante a plus de succès avec cette stratégie, mais elle demeure
continuellement sur le qui-vive : aussitôt qu'il a perdu la possibilité d'une
récompense, Jean-Philippe cesse de travailler et reprend ses comportements
«perturbateurs» ou de résistance.
L'élève qui n'a pas le comportement scolaire attendu ou momal» peut donc être
exclu de toute activité que l'enseignante juge appropriée, même si celle-ci relève
du régime pédagogique prescrit par le MENB. Puisque des apprentissages
importants se font pendant ces activités, les matières d'éveil sont liées de près à ce
que Gisèle appelle de petites choses, ces enfants quittent la première année avec une
base moins solide que celle de leurs pairs. Ils développent également une vision
plus négative de leurs possibilités de réussite scolaire : s'ils ne réussissent pas, c'est
parce qu'ils ont choisi de ne pas faire comme l'enseignante demandait. D'en faire
une question de choix de l'élève alimente égaiement le discours dominant de la
méritocratie. Ce discours déborde la salle de classe et mène à la régulation dans la
cour de récréation et, éventuellement, à ceIle exercée par les autres enfants.
Certains règlements sont mis en place pour encadrer les activités des enfants dans la
cour de récréation. Les élèves peuvent, par exemple, sauter à la corde, mais ne
peuvent pas inventer d'autres jeux pour utiliser la corde à sauter. L'aire de jeu des
enfants est également limitée et il n'y a qu'une façon de se mettre en rang pour
entrer dans l'école au son de la cloche. Lorsque l'élève choisit de ne pas se
conformer, il ou elle choisit également d'être puni et ce, même lorsque la
conséquence n'est pas connue au préalable. Alors que certains de ces règlements
peuvent être exptiqués par un besoin de sécurité, ils ont pour effet de toujours
mener à la sanction des mêmes élèves et à la création d'une catégorie de mauvais
élèves que les autres apprennent rapidement à blâmer, comme le démontre
l'anecdote suivante tirée d'observations dans une des classes de première année.
Un jour, une élève, Rébécca, s'aperçoit que sa gomme à effacer est coupéelbrisée en
deux morceaux. Elle se dirige immédiatement vers I'enseignante et identifie Jean-
Philippe, qui se fait souvent reprendre en classe et dans la cour de récréation,
comme responsable. Jean-Philippe est en classe ce jour. mais il ne s'est pas servi de
la gomme S effacer et n'est pas à proximité de Rébécca lorsqu'elle s'aperçoit du
bris.
11 importe de noter qu'il est fon probable que Jean-Philippe n'aurait pas reçu un
traitement plus favorable dans une autre classe. En fait, plusieurs écrits font état de
cas similaires. Une de mes enseignante participantes rend explicite la continuité
nécessaire au succès scolaire des enfants. Cette continuité est liée autant aux valeurs
communes à la maison et à l'école qu'a la continuité linguistique. Dans la citation
ci-dessous, la valorisation du travail scolaire et de l'apprentissage de la lecture
compense même pour l'utilisation de l'anglais à la maison. II va de soi que la
famille en cause est de classe professionnelle. classe qui pmage le capital culturel
de l'école.
Entrevue 1997
Gisèle : Ou, j'ai un cas où est-ce que c'est des professionnels, tous les deux, mais par contre le père est anglophone et il parle anglais à la maison. Mais je sais qu'il y a du travail qui se fait, puis le français est quand même soutenu. Tu sais, c'est quand même des parents qui sont des professionnels alors ils vont voir à ce que l'enfant réussisse. Alors sa lecture ça va bien, les leçons sont toujours faites, puis l'enfant capte vite.
Des élèves tels que Jean-Philippe n e pmagent pas ces valeurs. Souvent les devoirs
ne sont pas complétés et le niveau de concentration de l'enfant est plus limité. De
plus, La lecture ne leur est pas facile d'accès. D'autres élèves vivent le même
traitement à un moindre degré. Comme dans le cas de Jean-Philippe, ['enseignante
peut généralement faire un lien entre sa vie familiale et le manque de réussite à
l'école. De fait. que pouvons-nous espérer d'autre d'un enfant issu d'une fami Ile
désunie et sans structure, d'un autre qui se voit continuellement comparé
négativement à son frère ou qui a des parents illettrés ? Dans la majorité des cas, ce
sont les mères qui sont mises en cause. Tout comme les enseignantes désirent avoir
de <<bons» enfants, elles souhaitent donc pour de <<bons parents»'3. Le plus souvent,
ces parents sont «des professionnels, alors ils vont voir à ce que I'enfant
apprenne ». Sinon, ce sont des parents qui collaborent à la légitimation de ;a
pédagogie du bien parler.
Avec la diminution du nombre d'élèves, plusieurs écoles de la province du
Nouveau-Brunswick se doivent de créer des classes combinées ou des
regroupements multiâges. Dans une des écoles de mon district, les titulaires des
classes à niveau unique ( I R année ou T année venus le et Ze années dans la même
classe) se retrouvent, selon une enseignante, «avec les mauvais parents», c'est-à-
'' IAS rnscigmnrcs udiscnt Ic dCtcrminanr cancs> cn rkiCrcncc tant au.. CICvcs dc lcur dax. qu'aux p y r n t s dc ccs Elf V L ~ .
dire avec des parents qui ne s'impliquent pas dans l'éducation de leurs enfants. Ces
parents sont ceux qui ne font pas de Iecture à la maison, ne font pas de suivi au code
disciplinaire de I'école, ne se présentent pas aux rencontres et activités de l'école.
Ces parents sont les mêmes qui résistent, le cas échéant, à la recommandation du
médecin et de l'école de donner des médicaments mitalin) à leur enfant en raison
d'un trouble d'attention ou de comportement.
Le niveau de blâme attribué aux parents varie selon l'attitude que les enseignantes
perçoivent chez les parents et le niveau socio-économique de ces derniers- Il arrive
parfois que l'enseignante sympathise avec les parents qui valorisent Ie travail
scolaire et font tout pour que leurs enfants deviennent de bon élèves, mais sans
grand succès. Tous acceptent dors que l'école n'est tout simplement pas pour eux
et ces élèves reçoivent un traitement plus favorable parce qu'ils ne sont pas à
blâmer pour leurs difficultés. On reconnaît alors chez certains des qualités ou talents
qui font appel à d'autres ((intelligences» (Gardner (1993) en identifie sept) que
celles nécessaires au travail scolaire. Plutôt que de situer le problème dans
l'institution et dans les relations sociales de la salle de classe, on continue donc à
placer le blâme sur la psychologie de l'individu. Chez ces élèves ayant une
intelligence autre que scolaire on ne voit pas les problèmes comportementaux qu'on
dépiste chez les autres. On ne parle que de lenteur académique et d'un besoin
d'attention plus individualisée. Par ailleurs, le résultat est le même puisque ces
enfants ne réussissent pas à maîtriser le savoir scolaire et, souvent, apprennent à
attendre que l'enseignante leur vienne en aide.
Ce sont les parents de ta classe professionnelle qui sont jugés le plus sévèrement
lorsque leur enfant ne se conforme pas aux attentes de l'enseignante. C'est le cas
d'un parent enseignant et d'une autre médecin. Dans le premier cas, le parent, M.
Roberge. demande une rencontre avec l'enseignante. b lendemain de cette
rencontre, l'enseignante raconte que M. Roberge demande que des modifications
soient apportées au programme puisque son enfant trouve le temps long en classe.
L'enseignante répond immédiatement que l'enfant ne fait pas le travail demandé, et
que s'il le faisait, il trouverait le temps moins long. Ce parent, collègue des
enseignantes, devrait comprendre, mais tel ne semble pas être le cas.
En ce qui a trait à l'enfant d'une médecin, elle n'apprend que très lentement à lire et
à écrire. Or. i l est impossible qu'elle soit tout simplement moins douée que les
autres. n'est-elie pas fille de médecin ? Puisqu'elle ne passe pas, selon les
enseignantes, suffisamment de temps avec sa fille et laisse Ia tâche de l'élever à une
bonne d'enfants, c'est la mère qui est mise en cause. Disant qu'il sen difficile de
travailler avec cette mère, les autres enseignantes sympathisent avec la titulaire de
c 1 asse
Dans ces deux situations, les enseignantes semblent agir par désir de survie
professionnelle : on peut comprendre qu'on ne puisse pas enseigner à des enfants
incapables d'apprendre ou d'écouter. mais si les autres n'apprennent pas, i l y a
atteinte à la qualité de leur enseignement. De plus, il leur est plus difficile de gérer
des différends avec des parents issus de la même classe professionnelle qu'elles
puisque ceux-ci devraient partager leur vision et leur système de valeurs, c'est-à-
dire avoir le même discours qu'elles. Dans le cas de la médecin, la difficulté est
encore plus bgrande, car le niveau d'éducation et la profession de la mère lui donne
une autorité que les enseignantes n'ont pas l'habitude de mettre en doute parce
supérieurs à la leur. Comme le démontre l'anecdote suivante, l'autorité de cette
mère se fait également sentir dans la surveillance linguistique qu'elle impose à
l'enseignante de son enfant.
Les enseignantes rqoivent parfois des affiches visant la conscientisation - joumée
du livre, journée et semaine de la francophonie, mois de la nutrition, etc. L'occasion
terminée, certaines, dont l'enseignante de la fille de la médecin, les donnent aux
enfants par un tirage au son. Un jour, cette enseignante se demande si elle doit faire
tirer au hasard une ;tfftche annonçant les bienfaits du lait : le texte de cette affiche
est écrit en anglais et en français. Selon l'enseignante. la médecin n'approuverait
pas que sa fille reçoive une telle affiche de l'école. Si seulement il y avait moyen
d'enlever ce qui est écrit en anglais, ajoute-elle.
P u leur gestion des comportements en salle de classe, les enseignantes de la
première année véhiculent donc des valeurs dites féminines qui facilitent le travail
des enseignantes des autres niveaux. Cette gestion se fait dans le quotidien de la
salle de classe et contribue au processus de sélection des bons et des mauvais
élèves. Les mauvais élèves peuvent être de deux types : ceux qui ont des troubles de
comportement et ceux qui ont des difficultés d'apprentissage. Le problème de
comportement est le plus souvent lié à la maison et la difficulté d'apprentissage est
intrinsèque i l'enfant. C'est lorsqu'il existe un écart entre le pouvoir social de
l'enseignante et celui d'un parent, en faveur du parent, que les enseignanres ont le
plus de difficulté à gérer les enfants à problème. La régulation de la langue des
enfants sert également à distinguer les bons des mauvais élèves. Le plus souvent, les
élèves qui voient leur comportement sanctionnés voient égaiement leur langue
sanctionnée.
C'est dans le cadre de leur travail quotidien sur le comportement et de
l'enseignement des matières académiques que l'enseignante agit sur la langue des
enfants. En fait, elles ne sont pas aussi volubiles que les mères 5 ce sujet. Elles
disent qu'elles ne font rien de spécial. Ce qu'elles font se rapproche de près à ce que
font les mères. Dans le chapitre précédent, j'ai indiqué que les femmes sont les
premières responsables du développement langagier de leurs enfants. Elles agissent
en gardiennes de la Iangue et visent l'amélioration de celle-ci, d'abord chez elles et
ensuite chez les enfants.
Entrevue 1997
Phyllis : À la maison, qu'est-ce que tu penses qu'est ton rôle à toi, comme parent.
Jocelyne : Pour la langue?
Phyllis : Oui.
Jocelyne : De leur parler le français, là, puis les apprendre les bons mots. Comme si qu'ils s'adonnent à dire un mot anglais, en parlant, tu peux leur dire qu'est-ce qu'est le bon mot français, au lieu d'utiliser le mot anglais.
Phyllis : Puis tu quand tu as eu tes enfants, as-tu remarqué que t'as changé ta façon de parler, as-tu fait un effort particulier là-dessus, ou bien non tu continuais à parler comme tu parles.
Jocelyne : Un peu, là, au lieu de dire le «car», je pensais dire l'auto. puis des choses comme ça pour leur apprendre.
Au contraire, les hommes interviewés ne pratiquent pas une telle régulation. Le but
de cette régulation est la standardisation de la langue de l'enfant afin de favoriser
son intégration au monde scolaire. b s mères reconnaissent que seul le français
standard est légitime à l'école acadienne. Chez les enseignantes, on retrouve
sensiblement la même relation à la langue, mais dans un contexte professionnel. Ce
contexte est celui de l'école acadienne et celui des programmes du MENB dont il a
été question précédemment. Dans ce contexte scolaire, les enseignantes intègrent à
leurs responsabilités professionnelles I'autoréguIation de leur langue et la régulation
de celle des élèves. Cette responsabilité n'est pas que professionnelle, elle est
également féminine.
Langue et professionnalisme
L'école acadienne est née de et pour la lutte pour la survie de 13 langue et de la
culture acadiennes : elle est gardienne de la langue. Or. la légitimité de l'école
française au Nouveau-Brunswick dépend de sa capacité à maintenir et à promouvoir
I'urilisation d'un français de quaIité et non un français régional porteur d'identité.
Partout dans la province, les enseignantes vivent cette obligation d'améliorer leur
langue et celle. comme L'atteste la photo ci-dessous, de leurs élèves.
Le Madawaskri, le 17 mars 1999 (reproduit avec permission)
Tant dans le nord. où les francophones constituent une majorité démographique,
que dans le sud, on peut entendre des enseignantes dire que les élèves ne parlent pas
très bien, que leur vocabulaire est insuffisant. Ce discours est un élément important
de la culture partagée des enseignantes et l'importance du bien parier est intégrée à
la définition que ces femmes se donnent de leur professionnalisme. Alon que dans
le contexte de leur vie privée, Gisèle et Chantal n'entretiennent pas toutes les deux
la même relation à la langue française, en milieu scolaire, elles partagent cette
culture d u bien parler.
Dans sa vie privée, Gisèle tient au maintien de son propre monolinguisme et à une
vie unilingue française pour elle et sa famille. Cet unilinguisme est une marque de
son identité ethnolinguistique.
Entrevue 1995
Gisèie : C'est vraiment, ... on fonctionne en français.
Phyllis : À la maison. 100%.
Gisèie : LOO% 100%. Puis, j'ai un mari qui est francophone au coton.
Comme on a vu au dernier chapitre, le niveau de scolarité d'un homme et son
milieu de travail y ont pour beaucoup dans sa valorisation ou non du français
standard. Le conjoint de Gisèle a complété des études universitaires et travaille dans
un milieu où le français standard est la norme. De plus, que son conjoint soit
«frmcophone au coton» facilite le travail linguistique que Gisèle fait auprès de ses
enfants, la qualité de leur langue étant une p d e source de fierté.
Entrevue 1995
Gisèle: Mais [ma fiilel parle très bien ... . L'as-tu entendue? (...) Pas parce que c'est la mienne, là mais.. . .
Ceci dit, lors de situations d'échanges informels et uniquement à l'extérieur de
l'école, Gisèle peut glisser des angkismes liés au monde de la ferme dans son
langage.
Notes 29 août 1994:
On a toujours tout fait en famille, c'était l'esprit de coopération : quand il fallait tuer des poules, tout le monde tuait des poules. Quand c'était le temps dans le jardin, tout le monde était dans le jardin. Quand papa disait que c'était le temps d'aller feeder les
vaches, tout le monde embarquait pour dler donner du foin aux vaches. Papa avait un tracteur avec un trailer en arrière et les enfants embarquaient tous sur le trader.
Il est probable que cette utilisation reflète la langue utilisée à la ferme lorsque
Gisèle étiiit enfant et, comme les femmes universitaires du dernier chapitre, qu'elle
a standardisé davantage sa langue depuis ses études et sa participation dans un
milieu de travail francophone où la qualité de la langue est marque de
professionnalisme.
De son côté, Chantal dit que chez ses parents, on était obligé de parIer le français,
mais elle utilise, en situations sociaies, une variété linguistique autre que celle
qu'elle utilise en salle de classe. Lors d'une discussion avec une autre enseignante,
elle précise que si elle parlait avec nous, l'enseignante et moi-même, la même
langue qu'elle parle en compagnie de ses arni.e.s, nous ne la comprendrions pas.
Alors qu'elle ne précise pas les caractéristiques de cette langue, Chantai démontre
une connaissance du chiac/fnnglais : elle a amorcé un jeu de langue avec moi dans
lequel elle a utilisé ce registre.
Elle me demande un jour si je pouvais la remplacer le lendemain puisqu'elle était
convoquée à une réunion. J'accepte et elte me dit en riant «c'est toi qui watch»
[C'est toi qui surveilles] C'est-à-dire que j'aurais à faire la surveillance des élèves
pendant une récréation ou l'heure du midi. Lorsque je l'ai quittée, elle m'a
également dit. «j7te phonerai.» [Je te téléphonerai.] J'ai répondu, mon, non, j'te
callerai.» [Je tTappe1lerai.] Rares, par contre, sont les anglicismes et acadianismes
qui se glissent dans son parler en milieu scolaire. En effet, comme chez les parents
du dernier chapitre, le choix de canière de Gisèle et Chantai oblige un choix
linguistique.
Mala@ les différences dans leur vie privée, Gisèle et Chantal reconnaissent la
responsabilité qui leur incombe vis-à-vis de la langue comme faisant partie de la
définition même de leur professionnalisme. Conséquemment. elles s'abstiennent
d'utiliser des acadianismes ou des anglicismes en milieu scolaire. Gisèle dit que
«c'est sûr que si j'arrive dans la salle de classe, lorsque je parle, j'vcis pas dire des
mots vulgaires. Tu sais j'me laisse pas aller. Dans le sens qu'ii faut que je sois
professionnelle et les mots que j'utilise c'est quand même des mots qui. J'essaie
d'avoir un français standard.,, Chantal compare ce professionnalisme 5 celui d'un
médecin ou d'un avocat : «lorsque tu vas voir un avocat ou un médecin il va utiliser
les bons termes pour te parler, je t'sais pas, pour te parler de ton mal de gorge. Bien,
nous autres c'est pareil». Or, un avocat, présent lors d'une réunion du conseil
scolaire, me dit qu'il devait parfois utiliser le chiac avec ses clients afin d'assurer
une bonne communication. Chez les enseignantes, ce lien entre le bien parler et leur
statut de professionnel est néanmoins très grand et ce, malgré une insécurité
linguistique plus ou moins marquée chez chacune d'entre elles.
Lorsque j'ai rencontré de la difficulté à trouver des participantes à ma recherche,
une directrice m'a dit qu'elle comprenait que certaines puissent refuser, mais qu'elle
s'expliquait moins bien le refus d'autres. &lle, je comprends, elle a de la misère
avec son français, mais elle, elle parle bien». Chantal trouve normal que les
enseignantes refusent, ai c'était pour d'autres choses, je l'sais pas, la façon qu'on
bouge, ça serait moins pire, mais on est déjà assez surveillées pour notre langue ! il
faut qu'on se surveille tout le temps !» Cette même enseignante a, en fait, refusé que
notre entrevue soit enregistrée. Comme il a été mentionné précédemment, le MENB
a établi un système uniforme d'évaluation du personnel enseignant. Un des critères
de cette évaluation est la qualité de la langue.
De son côté. Gisèle dit savoir qu'elle fait des erreurs de langue et si quelqu'un
pouvait lui dire lesquelles, elle tes corrigerait. En plus, elle me demande souvent de
juger de la qualité de sa langue, «trouves-tu que je parle bien le français ?», et si elle
est une bonne candidate pour ma recherche. Cette insécurité linguistique explique
également que ni l'une ni l'autre des deux enseignantes n'acceptent que soient
enregistrées, sur le vif, des séquences d'enseignement et de discussion avec les
enfants. En outre, lorsqu'une troisième enseignante réalise que je fais des
observations dans les couloirs et dans le salon des professeurs, elle dit à la directrice
que si je continue, elle préfère ne pas se rendre au salon en ma présence, ce lieu
étant le seul dans l'école où elle peut se détendre et ne pas toujours surveiller sa
langue. C'est au salon que tes enseignantes se permettent d'utiliser la langue de
façon ludique en utilisant tantôt des calques de l'anglais, tantôt des acadianismes.
Une journée. par exemple, plusieurs enseignantes étaient au salon des professeurs
lorsque le téléphone a sonné. Une enseignante dit à une autre «Réponds donc le
téléphone». Une autre reprend en riant, «Réponds I'fuckin de phone !»
Outre ceux du salon, le seul autre relâchement de la norme linguistique des
enseignantes observé en milieu scoIaix-e est le suivant : QueIques élèves sont à se
préparer pour quitter l'école alors qu'ils devraient déjà être à bord de l'autobus. Les
enseignantes les incitent à se dépêcher. Le conducteur dit. en riant, qu'une des
enseignantes peut les amener «dans son grand cm>. De répondre l'enseignante : «Ah
non ! C'est ce que tu penses, mon car est pas assez grand, y a shrinké». Cette
utilisation marque l'appartenance de cette enseignante à la communauté de
Memramcook, son village natal, et elle contribue au maintien du lien qu'elfe a avec
les gens de cette communauté. Le français standard n'est pas légitime dans cette
situation et son usage aunit créé un écart entre eile-même et le conducteur en
question, mettant ainsi en péril sa place dans un de ses réseaux sociaux. Afin de
répondre aux exigences du MENB et des parents, les enseignantes doivent, par
contre, laisser hors de la salle de classe toute divergence de la norme linguistique
qu'est le français standard. Cette autorégulation répond égaiement aux exigences de
leur féminité.
Selon Cameron (1995), les femmes sont sujettes à une *hygiène verbale>>. C'est-à-
dire que certaines pratiques langagières leur sont illégitimes. L' utilisation des jurons
auxquels fait référence Gisèle ci-haut et l'anecdote du salon des enseignantes est
I'une de ces pratiques. comme l'est la divergence de la langue correcte. Toute
divergence de cette norme. aussi petite soit-elle, est sujette à une régulation
normative et l'insécurité linguistique prédisposent les enseignantes à accepter la
légitimité de cette violence symbolique. Cette régulation peut venir tant de
l'institution scolaire que des parents.
Selon Gisèle, la majorité des parents sont heureux du travail que font les
enseignantes en regard de la langue. Or, un petit pourcentage est moins heureux et
fait pression pour que le personnel enseignant améliore la qualité de sa langue
parlée et écrite. En raison de son insécurité linguistique. Gisèle ne conteste pas le
bien fondé de cette coercition.
Entrevue 1997
Gisèle: Les parents sont très gentils, la plupart d'entre eux vont dire. «jltrouve qu'il a appris beaucoup de français». Encore. cette année. «t'as un bon français, ma fille apprends beaucoup de mots en français. chuis contente de ce qu'a l'a appris ». (...) J'ai beaucoup. beaucoup de commentaires positifs. mais ça là. Ceux qui peuvent comger mon langage parlé et écrit, c'est peut-être un pour cent des parents là, oublie pas, mais ce 1% là parle quand même fort. Ils jappent eux autres là. Alors c'est stressant. Puis ceux qui jappent, c'est quand même des professionnels, qui. qui sont euh ...
Phyllis: Bien placés.
Gisèle: Peut-être pas bien placés, parce qu'ils ont peut-être pas d'emploi, mais par contre, ils ont quand même un bagage d'études qui est beaucoup différent du mien.
Phyllis: Tu veux dire qu'ils sont pas allés aux même écoles ou ...
Gisèle: Ben, ils sont à l'université, au doctorat ou en maîtrise en linguistique.
Phyllis: Ah okay, ils ont étudié la langue.
Gisèle: Oui. Ils la connaissent très bien.
Gisèle, Chantal et les enseignantes, de façon générale, si l'on en juge par la
difficulté que j'ai eue à trouver des participantes et les commentaires reçus
d'enseignantes dans le district pour lequel je travaille actuellement, considèrent que
Ieur maîtrise de la langue n'est pas complète. En fait, elles se situent entre la classe
hégimonique, qui possède la clef du français standard et le pouvoir de l'imposer, les
linguistes et les médecins par exemple, et les plus minorisés qui comptent sur les
enseignantes pour donner cette même variété linguistique à leurs enfants. Situées à
cette frontière, les enseignantes, comme les mères traditionnelles chiacs,
reconnaissent rarement la position conflictuelle d'un tel positionnement: elles
doivent à la fois voir au maintien de l'identité acadienne et à sa normalisation.
Les mères et les enseignantes acceptent qu'il ieur revienne d'enseigner aux enfants
que le bon franqais est le français standard et que toute déviation de cette norme est
du mauvais français. Elles acceptent également que d'autres définissent ce qu'est ce
standard et jugent tant de la qualité de leur langue que de leur travail linguistique.
Malgré l'ambiguïté qu'elles expriment devant leurs compétences linguistiques, les
enseignantes continuent donc à miser sur la langue comme indice important de leur
compétence professionnelle. Gisèle évacue cette contradiction lorsqu'elle parle de
l'importance qu'elle place sur la langue :
Définitivement, la langue est importante. Mais je te dis pas que je suis une professionnelle du français. Dans le sens que j'ai seulement trois cours universi taires de français, pis j'enseigne à des premières années. J'peux pas dire que je suis bonne au niveau du français standard. Mais par contre, la langue, j'y tiens. Je trouve ça important. En tout cas, moi, c'est des disques compacts en français, la télévision, c'est en français, tu sais, tout est en français.
Comme les mères chiacs, Gisèle accepte de dire qu'elle ne maîtrise pas le français
standard. De plus, elle met en pratique toutes les stratégies de francisation (regarder
la télévision en français, écouter la radio et la musique françaises) que l'école
propose aux parents.
Enseigner en première année ne nécessite donc pas une connaissance approfondie
du français standard. Au contraire, Gisèle fait de cet enseignement un obstacle à sa
maîtrise du français standard. C'est la valorisation du français et le développement
du goût du bien parler, le désir pour le français standard qui sont importants. Ce
travail est celui de femmes gardiennes de la langue et il répond aux normes
socioculturelles de t'institution scolaire. En effet, comme on l'a vu au dernier
chapitre, les mères travaillent à la standardisation ou à l'enrichissement de leur
langue et de celle de leurs enfants. Cette standardisation répond aux exigences de
l'école et de leur féminité. Ces normes sont celles du milieu de travail des Acadiens
et Acadiennes professionnel. Ce lien favorise le développement du lien entre langue
et responsabilité professionnelle que vivent les enseignantes. On se rappellera que
les directives du ministère quant it la pédagogie à utiliser au primaire, font
également du standard une responsabilité professionnelle : par la reformulation des
éléments régionaux ou anglicisés de la langue de l'enfant, l'enseignante a la
responsabilité de le mener vers une utilisation «des structures et des termes corrects
en français» (MENB 1988). En effet, les normes scolaires valorisent le recours au
français standard et l'amélioration de la langue des enfants. Conséquemment, elles
rendent légitime la pédagogie du bien parler. Panllèlement, la langue des enfants
qui ne parlent pas le français standard devient illégitime, voire déficiente et l'objet
de corrections continues. Cette pédagogie est le sujet de la prochaine section.
Selon Cameron (1995 : 168-169)' une identité sociale est pIus que simpIement
marquée ou reflétée dans le comportement langagier ou autre, elle est plutôt une
performance jouée par l'entremise de la répétition d'actions particulières. Ces
actions sont sujettes à une régulation normative. Cette section a démontré que la
performance de l'identité professionnelle de l'enseignante du primaire se fait par
laisse ainsi hors de la salle de classe les actions linguistiques qui ne sont pas
appropriées à cette performance (anglicismes, acadianismes, mots vulgaires). Ces
actions sont régulées par l'institution scolaire et par des parents qui ont comme
langue sociomatemelle la norme définie par le MENB. Ces parents font partie
d'une classe professionnelle hautement scolarisée.
En plus de partager sa norme linguistique, l'école partage avec la classe
professionnelle des normes d'interaction adulte/enfant. En fait, ces nonnes sont
également inscrites dans la pédagogie du français prônée par le M W . Encore là,
eHes perdent leur caractère socioculturel ; elles deviennent normales et sont
in tégrées aux responsabilités professionnelles de l'enseignante.
La pédagogie du français
La pédagogie du français que prône le MEN3 dans son programme de 1988 est
basée sur l'approche communicative. Selon cette approche, l'enfant apprend à
communiquer. tant à l'écrit qu'à l'oral en communiquant à l'intérieur de véritables
situations de communication. d'enfant s'exprime pour faire connaître à ses
condisciples tout autant qu'au maître, ses idées. ses émotions, ses projets, ses
De son côté, Gisèle dit savoir qu'elle fait des erreurs de langue et si quelqu'un
pouvait lui dire lesquelles, elle les corrigerait. En plus, elle me demande souvent de
juger de la qualité de sa langue, «trouves-tu que je parle bien le français ?», et si elle
est une bonne candidate pour ma recherche. Cette insécurité linguistique explique
également que ni l'une ni l'autre des deux enseignantes n'acceptent que soient
enregistrées, sur le vif, des séquences d'enseignement et de discussion avec les
enfants. En outre, lorsqu'une troisième enseignante réalise que je fais des
observations dans les couloirs et dans le salon des professeurs, elle dit à la directrice
que si je continue, elle préfère ne pas se rendre au salon en ma présence, ce lieu
étant le seul dans l'école où elle peut se détendre et ne pas toujours surveiller sa
langue. C'est au salon que les enseignantes se permettent d'utiliser la langue de
façon ludique en utilisant tantôt des calques de l'anglais, tantôt des acadianismes.
Une journée, par exemple, plusieurs enseignantes étaient au salon des professeurs
lorsque le téléphone a sonné. Une enseignante dit à une autre «Réponds donc le
téléphone». Une autre reprend en riant. <<Réponds I'fuckin de phone I N
Outre ceux du salon, le seul autre relâchement de la norme linguistique des
enseignantes observé en milieu scolaire est le suivant : Quelques élèves sont à se
préparer pour quitter l'école alors qu'ils devraient déjà être à bord de l'autobus. Les
enseignantes les incitent à se dépêcher. Le conducteur dit, en riant, qu'une des
enseignantes peut Ies amener «dans son grand c m . De répondre l'enseignante : «Ah
non ! C'est ce que tu penses, mon car est pas assez grand, y a shrinké~. Cette
utilisation marque l'appartenance de cette enseignante à la communauté de
M e m c o o k , son village natal, et elle contribue au maintien du lien qu'elle a avec
les gens de cette communauté. Le français standard n'est pas légitime dans cette
situation et son usage aurait créé un écart entre elle-même et le conducteur en
question, mettant ainsi en péril sa place dans un de ses réseaux sociaux. Afin de
répondre aux exigences du MENB et des parents. les enseignantes doivent, par
En début d'année, l'enseignant (e) de 1" année doit agir de même en présentant à ses élèves des textes écrits sur de grands cartons ou au tableau.
Les besoins ainsi identifiés sont ceux des enfants qui partagent la culture
communicative de l'école : pour apprendre, ils doivent, a priori, comprendre et
suivre les normes qui régissent l'interaction dans la culture de l'enseignante. Qui
peut parler, quand, ce qui peut être dit et ce qui est un sujet tabou sont de telles
normes. L'interaction autour de la lecture d'un aibum illustré est égaiement une
norme socioculturelle, elle n'est pas universelle ou neutre.
Dans une étude de différents modes d'appréhension de la littératie, Heath (1982)
démontre que les difficultés des élèves de deux communautés ouvrières américaines
sont liées non seulement à la langue utilisée à l'école, mais également au type
d'interaction qu'ils y vivent autour de la langue écrite. Ces normes ne sont pas
celles apprises à la maison. Les enfants d'une troisième communauté étudiée par
Heath, celle-ci de classe moyenne, apprennent, dès la tendre enfance, un style
interactif qui est reprise à l'école primaire. Cette continuité favorise une plus grande
réussi te scolaire chez ces enfants.
Chez les enfants des milieux ouvriers, Heath a décelé deux façons divergentes de
celle de l'écote d'appréhender le monde et la littératie - une chez des enfants de
race noire et l'autre chez des enfants de race blanche. Ces deux modes
d'apprentissage sont liés aux modes de socialisation de ces deux groupes. Les
enfants de race blanche qui ont participé à l'étude apprennent à identifier des
informations écrites explicitement, mais ces connaissances sont souvent liées à la
séquence des événements plutôt qu'aux connaissances qu'on peut en retirer. Ces
enfants n'apprennent pas à faire un lien entre le livre et la vie ou à décontextualiser
leur savoir.
Le deuxième groupe d'enfants de milieu ouvrier, ceux et celles de race noire,
observés par Heath (1982) avait une littératie fondée sur la construction coopérative
du savoir. Dans la culture de ces enfants, on ne leur demande pas de répondre à des
questions de description suite à la lecture d'un livre. On leur demande plutôt de
faire des liens, par analogie, enue différents contextes et à utiliser cette information
pour tirer des parallèles entre des items et des événements. Ils sont également
habiletés à produire des commentaires affectifs et expliquer le raisonnement
derrière une action. Le livre n'est pas lié à l'apprentissage pour ces enfants comme
i l l'est pour l'enfant blanc du milieu ouvrier ou les enfants de classe moyenne.
À la maison, les enfants de classe moyenne apprennent à passer par une
appropriation de ce qui est dit dans le livre (répondre à des questions nécessitant
une réponse tirée textuellement d'un livre) avant d'en faire une analyse ou d'y
porter un jugement affectif et personnel. Cette séquence correspond à celle utilisée
en salle de classe pour vérifier la compréhension d'un texte lu. En Acadie, cette
séquence est celle utilisée pour l'élaboration des évaluations externes du ministère
de l'Éducation.
Alors qu'il est difficile de dire quels sont les moyens d'appréhender le monde que
l'on retrouve en Acadie, les parents auxquels fait référence le MENT3 sont ceux et
celles qui ont, soit les moyens d'acheter des livres pour leurs enfants, soit l'habitude
de fréquenter, avec leurs enfants, la bibliothèque municipale. Ces parents sont ceux
qui valorisent la lecture et la scolarisation. L'enfant qui a vécu de telles expériences
i In maison amve à l'école mieux préparé que les autres enfants pour vivre la
culture scolaire, pour s'insérer dans son schème de référence et apprendre dans les
livres.. II est également probable que les histoires qu'il se raconte suivent la
séquence littéraire valorisée par I'école. II est donc en mesure de répondre plus
efficacement au questionnement de l'enseignante (cf. Michaels 1991) :
Entrevue 1996
Gisèle : Je pense que, avec l'approche communicative, ça devrait aider. Parce que veut, veut pas, les enfants sont obligés de verbaliser. Parce qu'on va les chercher, «qu'est-ce t'as compris, qu'est-ce que t'as vu, qu'est-ce tu penses ? »
Parallèlement au lancement d'un nouveau p r o C m e , ou peu après, le MENB
évalue et approuve du matériel pédagogique pour utilisation en sdle de classe. Pour
1 'enseignement du français, ce matériel est généralement constitué d'un manuel de
lecture pour l'élève et d'un guide pour l'enseignante. En première année. s'ajoutent
des éléments tels qu'un cahier d'exercices, des mots inscrits sur des étiquettes et des
images sur de cartons. Lors de son évaluation, le MEN3 cherche à établir
s'il y a cohérence entre la pédagogie proposée par le programme et celle véhiculée
par le matériel ou la collection. Le choix du matériel est important puisqu'il fait
partie des outils de normalisation de l'acte pédagogique dont dispose le MENB :
c'est à partir de ce matériel que l'enseignante planifie sa pratique quotidienne.
Pour l'enseignement du français, le MENB identifie une ou deux collections qui
serviront de matériel de base. Une autre catégorie de matériel est celle dite
complémentaire. L'enseignante peut avoir accès au manuel de base en nombre
suffisant pour l'ensemble de sa classe, alors qu'elle ne peut se procurer le matériel
complémentaire qu'à un ratio de un manuel par enseignante ou par cinq ou dix
élèves. Puisque la majorité des enseignantes utilise le même manuel pour
l'ensemble de la classe, le MENB contrôle effectivement, par son pouvoir
d'approuver ou non un matériel de base, le choix des situations de lecture et écriture
((signifiantes et authentiques» que vivra l'élève en salle de classe.
Le matériel de base utilisé lors de ma cueillette de données était le Programme
intégré lecture/oral/écrit ou, PILoÉ (Vézina 1986). L'approche de ce matériel
repose, comme l'exige le MENB, sur la création de situations de communication
(cadre contextuel et texte) dites réelles et centrées sur l'enfant. Ce matériel fait
appel au naturel de l'acte de lire :
La mise en situation sert donc à établir un cadre contextuel qui soit le plus près possible des expériences des enfants. (. . .) Une fois la leçon bien amorcée et le contexte mis en place, tout se déroule alors comme s'il était naturel de lire le texte proposé (Vézina 1986 : IX-X).
La mise en situation dont il est question ici fait appel à une discussion qui doit
introduire la lecture. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui la prélecture. C'est donc
dire que lorsque l'enseignante suit de près la procédure inscrite dans le matériel
PWÉ, plusieurs situations de communication o d e s sont créées de toutes pièces à
partir de textes que les élèves devront lire. La tâche de l'enseignante devient ainsi
celle de s'assurer que I'enfant entre dans le texte, de faire colter le texte à sa peau. et
non de s'assurer que le texte réponde, a priori, aux besoins de communication de
l'enfant.
GisèIe : La méthode communicative, c'est quand on présente une leçon, un thème au niveau de la lecture ou mEme dans la science humaine, malgré qu'ils parlent seulement de I'approc he communicative pour la lecture, mais dans les autres domaines, on l'utilise aussi, si on fait beaucoup au niveau de la discussion. Euh, développer, faire beaucoup de partage avant d'aller dans le livre, là. C'est un petit peu comme pour emmener I'enfant à communiquer mais en même temps, c'est du vécu, ça fait ça colle plus 5 sa peau là (frappe dans ses mains), pour être capable de rentrer dans l'histoire. (...) parce qu'avant ça il y avait pas ou t'autre va dire lisez cette page-là, qu'est-ce vous avez ... . Je ne sais même pas si on faisait un retour de qu'est-ce vous avez compris. Tandis qu'aujourd'hui, on en parle, on lit, on en parle de nouveau.
La référence de l'enseignante au vécu de l'élève, à ce qui colle à la peau de l'élève
et lui permet <<de rentrer dans l'histoire» situe bien l'approche communicative dans
l'idéologie de la pédagogie centrée sur l'enfant. Or, les <~discussions» ne «collent»
qu'au «vécu» de certains enfants ; la pédagogie n'est centrée que sur certains
enfants. Ce faisant, elles répondent plus facilement aux besoins des enfants qui
partagent leur schème de référence scolaire qu'à ceux et celles qui ne le partagent
pas. comme en témoignent les anecdotes suivantes.
L'apprentissage de comptines prend une cenaine importance dans la pédagogie du
français que propose Vézina (1986) ; elles sont les premiers textes de lecture des
enfants. Un jour, Gisèle fait jouer la comptine d'ai deux yeux». Un enfant est venu
la voir pour lui dire < O n l'a entendu dans Passe-Panoufi>, une émission pour
enfants sur la chaîne française de Radio-Canada, chaîne que certains adultes de
Memrarncook n'écoutent pas, selon une intervenante en alphabétisation, parce
qu'ils ne comprennent pas la langue qui y est parlée, à savoir le français standard.
Suivant les recommandations de l'auteur du matériel didactique, Gisèle demande,
après l'écoute de la comptine aux élèves de lever la main s'ils I'ont déjà entendue.
La _grande majorité des élèves lève la main et Gisèle demande à quelques-uns où ils
l'ont entendue. Us répondent tous <(à Passe-Parro~ih>. Une fille ajoute qu'elle a un
enregistrement de cette chanson à la maison. Gisèle demande à plusieurs élèves s'ils
écoutent Passe-Partorct et, si oui, quel personnage ils ou elles préfèrent. Par cette
médiation d'une discussion autour d'une comptine, l'enseignante tente de concilier
la langue et la culture des enfants à celles véhiculées par une émission de télévision.
Elle souhaite faire coller cette référence culturelle à la réalité de tous ses élèves. Ce
faisant, elle contribue au sentiment d'appartenance des jeunes qui connaissent
Passe-Pano~it - ils savent de quoi on parle - dors que les enfants qui ne la
connaissent pas sont exclus de la discussion. En effet, Gisèle ne sait que faire, autre
que demander aux parents d'écouter la télévision française, lorsque ses élèves ne
reconnaissent pas la comptine d'a i deux yeux».
en pointant du doigt chaque mot et en s'abstenant de lire ceux que l'enfant peut deviner grâce aux illustrations ainsi que ceux qu'il connaît déjà parce qu'il les a vus souvent.
En début d'année, l'enseignant (e) de Ire année doit agir de même en présentant à ses élèves des textes écrits sur de grands cartons ou au tableau.
Les besoins ainsi identifiés sont ceux des enfants qui partagent la culture
communicative de l'école : pour apprendre, ils doivent, a priori, comprendre et
suivre les normes qui régissent l'interaction dans la culture de l'enseignante. Qui
peut parler, quand, ce qui peut être dit et ce qui est un sujet tabou sont de telles
normes. L'interaction autour de la lecture d'un album illustré est également une
norme socioculturelle, elle n'est pas universelle ou neutre.
Dans une étude de différents modes d'appréhension de la littératie, Heath (1982)
démontre que les difticultés des élèves de deux communautés ouvrières américaines
sont liées non seulement à la langue utilisée à l'école, mais également au type
d'interaction qu'ils y vivent autour de la langue écrite. Ces normes ne sont pas
celles apprises à la maison. Les enfants d'une troisième communauté étudiée par
Heath, celle-ci de classe moyenne, apprennent, dès la tendre enfance, un style
interactif qui est reprise à l'école primaire. Cette continuité favorise une plus p d e
réussite scotaire chez ces enfants.
Chez les enfants des milieux ouvriers, Heath a décelé deux façons divergentes de
celle de l'école d'appréhender le monde et la littératie - une chez des enfants de
race noire et l'autre chez des enfants de race blanche. Ces deux modes
d'apprentissage sont liés aux modes de socialisation de ces deux groupes. Les
enfants de race blanche qui ont participé à l'étude apprennent à identifier des
informations écrites explicitement, mais ces connaissances sont souvent liées à la
séquence des événements plutôt qu'aux connaissances qu'on peut en retirer. Ces
maîtrisent cette langue normalisée avant leur entrée scolaire auopentent leurs
chances de succès scolaire.
La normalisation de la langue non standard des enfants est un des rôles que le
MENB confere aux enseignantes, mais contrairement à l'enseignement de la
lecture, celle de la langue o d e n'est pas explicitement l'objet de manuels scolaires.
Vézina (1986) suggère la discussion, par exemple, sans préciser la teneur de celle-
ci. C'est à l'enseignante de créer le lien entre l'écrit et !'oral. De plus, la majorité
des enfants de Memramcook mivent à l'école avec un français qui rend les signes
de l'enseignement peu observables. C'est à ce niveau que la pédagogie (cnaturelle»
est la moins explicitement fondée sur la connaissance professionnelle. C'est
également dans l'enseignement de la langue orale que la culture des enseignantes
rejoint ceIles de la communauté acadienne - i l faut comger notre français - et que
l'émotion est la plus forte.
En salle de classe, comme les mères à la maison, Gisèle et Chantal se font surtout
modèles du bon français pour les en fan ts. Paraiièlemen t, elles acceptent comme
normal que ces derniers parlent la langue régionale dans la cour de récréation.
Contrairement aux mères chiacs de mon échantillon, tant les acadianismes que les
anglicismes sont exclus de leur langue d'usage avec les enfants. Tel qu'il a été
mentionné au début de ce chapitre, Chantal, locutrice d'une autre variété que le
français standard avec ses ami.e.s, voit l'utilisation d'une langue autre que le bon
français comme un manque de professionnalisme et Gisèle dit que les élèves
doivent s'adapter (et ne parler que le fmpis) , car elle ne sait pas parler l'anglais.
Ceci rejoint autant le discours des mères que celui du MENB.
Dans la section de ce chapitre portant sur le contexte de l'enseignement, on a vu
que le ministère propose, en situation de communication orale, que l'enseignante
refonnule les énoncés fautifs des enfants en les plaçant dans une nouvelle phrase.
C'est ce que les enseignantes nomment l'écho ou le miroir. Ces refomulations sont
un outil de l'approche communicative pour l'enseignement du français, approche
où l'on apprend à communiquer en communiquant (MENB 1988 : 5) . Tout comme
la pédagogie centrée sur l'enfant, l'enseignante ne doit pas faire un enseignement
explicite. Elle doit plutôt permettre à l'enfant de s'exprimer et savoir mener
I'intenction afin de ne pas brimer l'élève tout en le corrigeant. C'est afin de
permettre cette libre expression que le ministère stipule que <<les situations de
communication en salle de classe doivent porter sur des sujets susceptibles
d'intéresser les élèves» (MENB 1988 : 7). Comme le travail de production d'êtres
ethniques, ce travail doit s'insérer dans le quotidien.
Les enseignantes utilisent l'écho pour comger tout emprunt de l'anglais.
Notes 29 août 1994
Gisèle demande aux élèves ce qu'on pourrait faire pour se souvenir des mots d'une comptine. Charles répond; < O n pourrait l'écouter b a c b Gisèle reformule : << On pourrait la réécouter. Est- ce qu'il y a autre chose? »
Joseph dit à Gisèle qu'il a perdu sa dent. Un autre enfant dit : «Sa dent est lousse.» Gisèle refomule : « Sa dent bouse. >> Gisèle trouve une enveloppe dans laquelle elle place la dent de Joseph.
Notes 3 1 août 1994
Chantal dit aux élèves que la peinture n'est pas encore sèche sur les balançoires. Susanne lui dit : « Y en a sur le teeter-totter aussi. » Chantal refomule : << Ah, oui! Il y en a sur la balançoire à bascule. »
L'écho est également utilisé pour comger certaines utilisations de langue courante.
Une enseignante raconte en riant, par exemple, que ptusieurs élèves demandent s'ils
peuvent aller <qissen> (accent et allongement du i). Dans leur réponse à cette
requête, les deux enseignantes emploient l'expression <<aller aux toilettes».
L'utilisation d'expressions telles que «icitte» sont comgées de la même façon.
Comme le souligne Gisèle, «on fait du langage partout», la langue est partie
intégrante de l'ensemble des expériences que vivent les enfants en salle de classe.
En fait. dans son pro--me de français à l'élémentaire, le MENE3 propose
l'utilisation de la reformulation dans l'enseignement de l'oral, parce que «de telles
interventions peuvent être faites à tout moment pendant les activités où les enfants
parlent), (1988 : 52). Or, les situations de communication o d e que propose le
MENB sont plus souvent de types spontanées (conversation) que formelles ou
préparées à l'avance (p. 15).
Placé dans un milieu constamment préoccupé par la standardisation linguistique,
l'enfant développe rapidement un réflexe d'autocorrection des anglicismes et des
acadianismes. Dès le mois d'octobre, cette autorégulation tant à remplacer la
régulation par l'enseignante. Un jour, lorsque j'étais suppléante dans la classe de
Chantal, un garçon me raconte qu'il est allé faire du ski avec son père. À un
moment tournant de son récit, il dit quis j'ai toute largué (silence) mes affaires à
bas!» Pendant le court moment de silence, ce garçon me regarde, à Ia recherche
d'un mot pour remplacer largué, un acadianisme tir6 du vocabulaire marin
signifiant jeter. D'après le Glossaire acadien de Pascal Poirier (1993 : 245),
larguer, un «terme, essentiellement maritime, est aussi débarqué à terre, où il reçoit
plusieurs acceptions. il a conservé celui de lâcher, mais i l a pris en plus celui de
laisser tomber, d'échapper, de laisser allem. L'hésitation de ce garçon n'est donc
pas due à un mauvais emploi du terme, mais bien à la possibilité que ce ne soit pas
un mot approprié à la salle de classe. En fait, les enfants font I'autocorrection de
plusieurs mots.
Au salon des enseignantes, je parle aux autres de cet incident et certaines
commencent, en riant, à parler de mots qu'elles ont personnellement mis au rancart.
Ces mots ne sont généralement permis en classe que lors de la semaine de la fierté
française, alors qu'on veut souligner l'appartenance des élèves à la communauté
acadienne.
Or. certains élèves ne semblent pas sentir l'obligation de s'autoconiger autant que
d'autres. Simone, une fille dans la même classe que Jean-Philippe. est une des
élèves qui hésitent le moins devant l'utilisation des mots empruntés de l'anglais. Elle
est également une «bonne élève» et a de «bons parents». Certes, Simone n'utilise
pas souvent de tels mots, mais lorsqu'elle le fait, c'est sans gêne. Au contraire, un
enfant qui est perçu comme un problème de discipline, tel Jean-Philippe, hésite
devant son emploi de mots anglais ou acadiens. Cet enfant prend également
beaucoup de temps à apprendre à lire, malgré un intérêt marqué pour les livres dès
Iri première journée d'école.
À l'opposé de JeamPhilippe, Simone sait comment se mouvoir dans le monde
scolaire dès son arrivée en première année. Elle attend que I'enseignante lui donne
la parole avant de parler par exemple, et se met rapidement au travail. En plus, son
enseignante me fait remarquer que Simone a un bon vocabulaire, «on voit que ses
parents s'occupent d'elle». Ces parents font diverses activités avec leurs enfants et
en profitent pour nommer tout ce qu'ils voient. Ils s'assurent également que les
devoirs sont faits et valorisent la lecture. Finalement, même si elle ne le parle pas
toujours, Simone est locutrice d'un français standard. Cette culture partagée avec
l'école permet à Sirnone de développer une croyance positive en sa capacité de bien
parler et autorise des lapsus qui ne sont pas accompagnés du sentiment
d'inefficacité qu'est l'insécurité linguistique.
Dans les sections précédentes, on a vu que I'institution scolaire, par le biais du
ministère de l'Éducation du Nouveau-Brunswick (MENB), met en place des
éléments de contrôle qui rendent difficile la divergence de son projet de
normalisation linguistique. Alors que t'institution scolaire se veut gardienne de la
langue et de Ia culture acadiennes, cette langue et cette culture se voient
marginalisées en faveur du français standard. De pius, 1' insécurité linguistique, cette
croyance qu'on ne parle pas bien sa langue maternelle, est un élément identitaire
acadien qui prédispose enseignantes, parents et élèves à accepter, voire même
exiger, cette marginalisation de leur langue régionale en milieu scolaire. Cette
insécurité linguistique rend légitime la pédagogie coercitive, cette pédagogie du
bien parler qui vise l'assimilation de tous au français standard, que propose le
MENB.
On a également vu que le contexte de l'enseignement au primaire est féminisant.
C'est-à-dire que ce n'est pas uniquement parce que les femmes forment la majorité
du personnel enseignant de ce niveau scolaire qu'on peut dire que l'enseignement
au primaire est hautement féminisé, mais également parce que les conditions
(temps, disponibilité de l'enseignante, priorité des besoins d'autrui) et la définition
(maternelle/naturelle) de ce travail sont celles d'occupations dites féminines. Ce
contexte rend également difficile une divergence du projet de standardisation de
I'institution scolaire. Par la création du désir du français standard et de la croyance
qu'il suffit à l'enseignante de créer un milieu propice à l'apprentissage de cette
langue pour que l'enfant apprenne (comme si cela était facile) à <<bien parlem,
l'enseignante est rendue responsable, voire coupable, des échecs de ses élèves.
L'enseignante travaille donc sans cesse à faire apprendre l'enfant. Puisque cet
apprentissage doit se faire naturellement, c'est par la médiation au quotidien des
activités de l'enfant que l'enseignante tente de le faire apprendre. Ce quotidien
reproduit, sans les rendre explicites, les valeurs tant comportementales que
linguistiques de la culture dominante et l'enseignante rejoint ainsi plus facilement
les besoins des enfants qui s'y identifient. Voulant faire ce qui est le mieux pour ses
élèves, l'enseignante participe ainsi à la reproduction des inégalités sociales.
Les enseignantes peuvent, par ailleurs, résister aux exigences du MENB. Alors que
peu de résistance est offerte au projet de standardisation linguistique, on verra dans
la présente section qu'il existe une résistance au niveau de la pédagogie de la lecture
et de I'écriture. Au fur et à mesure que le MENB impose de nouvelles pratiques
pédagogiques, les enseignantes en ajoutent certaines à leur bagage, mais sans
nécessairement délaisser leurs vieilles pratiques. L'emprise du MENB sur leur
quotidien n'est donc pas complet. En effet, l'enseignante partage avec ses collègues
une culture pédagogique qui peut, soit soutenir sa résistance, soit faciliter un
changement. Rare sont les changements de --de envergure. Cela se comprend si
on voit le maintien de certaines pratiques comme stratégie de survie professionnelle
: même un succès mitigé avec une ancienne méthode est préférable au succès
incertain qu'offre une nouvelle pédagogie. En effet, une directive du ministère ne
peut ni effacer les succès que l'enseignante a rencontrés dans sa pratique antérieure,
ni garantir le succès d'une nouvelle pratique.
La pédagogie du français observée à Memrarncook est le résultat des diverses
méthodes auxquelles GisèIe, la plus expérimentée des deux enseignantes
participantes, a été exposée au f i l de sa carrière.
Gisèle : Depuis que j'enseigne, i l n'y a plus une chose que je fais pareil. Peut-être les figurines [de la méthode gestuelle]. La seule chose qui est pareille. Puis les sciences humaines, ils se ressemblent parce que c'est le même programme. Le programme de sciences a changé, la lecture, i l n'y avait pas d'Piloé [de Vézina] on n'avait pas Défi marliérnatique, on n'avait pas de fiches de sciences, on n'avait rien sur l'environnement, rien sur
l'environnement. Oh ! C'était pas croyable comment on n'avait pas beaucoup, tu sais.
Phyllis : Comme sa t'as changé avec les programmes ?
Gisèle : Oui, à mesure qu'il y a des choses qui changent, qui s'ajoutent. Tu t'adaptes.
O n verra qu'en lecture et en écriture, Gisèle a plutôt ajouté des pratiques
pédagogiques que changé l'ensemble de son approche. Dans la pratique de Chantal,
on voit également se pointer quelques pratiques qui rappellent un enseignement
plus traditionnel. Par exemple, elle fait lire les enfants à tour de rôle sans qu'il y ait
recherche de sens. k s modifications qu'apportent ces enseignantes à l'approche
communicative témoignent d'une certaine autonomie pédagogique et d'une
possi biiité d'action sociale.
Ces enseignantes ont intégré à leur pratique la discussion avant et après la lecture
d'un texte. l'heure quotidienne du conte et des moments de discussion (causerie)
autour d'un sujet quelconque. Ces pratiques s'insèrent dans la philosophie de
l'approche cornmunicati ve. Parallèlement, Gisèle et Chantal ne respectent pas les
principes de cette approche lorsqu'elles enseignent l'association ppho-phonétique
(association d'une lettre à un son) et l'écriture. Le principe de base de l'approche
communicative veut que les enfants apprennent à communiquer en communiquant
à l'intérieur de situations authentiques. L'enseignement que font Chantal et Gisèle
de la grapho-phonétique et de l'écriture est décontextualisé ; ces habiletés sont
enseignées pour elles-mêmes plutôt que pour répondre à un besoin de
communication authentique.
Vézina, auteur du matériel de base PILOÉ rappelle avec insistance qu'il n'y a pas
lieu de s'attarder trop longtemps sur un même texte (. . .) pour éviter que les
enfants ne fassent que mémoriser un texte parce qu'on s'y attarde trop longtemps»
( 1986 : XTV, texte en gras dans l'original). Or, lors d'une rencontre avec les parents,
une des enseignantes-participantes précise que les enfants diront qu'ils savent lire,
mais, en réalité ils apprennent les premiers textes de leur manuel de lecture par
cœur. En fait, les enseignantes font lire à plusieurs reprises les premières comptines
du manuel et privilégient l'apprentissage de stratégies en lecture qu'elles tirent de
méthodes qui ont précédé celles de Vézina. Elles démontrent ainsi une possibilité
d'action pédagogique autonome.
Alors que Vézina (1986 : XVI) suggère de passer par l'apprentissage des syllabes
(ba. be, bi) pour l'apprentissage du système graphe-phonétique, l'enseignante utiii se
la méthode gestuelle, ainsi nommée pour les gestes que l'élève doit apprendre à
associer aux graphies et aux sons de la langue française. Voici un exemple d'une
session d'enseignement tirée de mes notes d'observation.
Notes du 4 octobre 1994
Gisèle raconte l'histoire d'Isabelle. Elle dit qu'Isabelle a un petit frère qui rit beaucoup. C'est un rieur. Gisèle passe un peu de temps à expliquer ce qu'est un rieur. Elle explique que c'est une personne qui rit tout le temps. II peut tomber et il ne se fait pas mal; i l va rire. Un jour, la mère d'Isabelle regarde un livre d'animaux avec le frère 5 Isabelle. Chaque fois qu'il voit un animal le petit frère rit. Isabelle trouve ceci drôle. Elle regarde son frère rire en faisant le son [il et avait le doigt sur le coin de sa bouche.
Gisèle révèle la figurine du I : on voit Isabelle, le doigt sur le coin de la bouche et la Iettre [il écn te dessous.
En plus, Vézina stipule que la grapho-phonétique doit étre utilisée uniquement
comme qrocédé de dépannage et non une stntégie continuelle de lecture» (p. XII),
mais, lorsqu'un élève a de la difficulté à lire un mot, Gisèle et Chantal l'incitent à
utiliser les gestes appris afin de faciliter le décodage. Plus rares sont les moments où
I'enfant est encouragé à repérer des mots déjà vus et reconnus globalement
(idéographique) ou à partir d'un mot de la même famille. Encore moins fréquentes
sont les occasions où l'enfant est amené à utiliser le contexte, première stratégie que
propose l'auteur du matériel de base.
L'utilisation de la gestuelle, méthode qui a précédé celle de Vézina dans la pratique
pédagogique de plusieurs enseignantes, entraîne également une non-conformité
dans l'enseignement que font Gisèle et Chantai de l'orthographe. Les gestes de cette
méthode sont utilisés pour la pratique de I'onhognphe lexicale : l'enseignante dit un
mot et. par la suite. le découpe en sondgestes. A l'aide de cette méthode. les enfants
doivent orthographier le mot en utilisant des lettres inscrites sur des carrés de
plastique. En fait, il n'est pas question de faire le tracé de ces mots avant que la
calligraphie de chaque lettre de l'alphabet soit maîtrisée. De plus, seuls les mots
composés de sons appris sont dictés. La croyance générale des enseignantes de la
première année, tant à Memnmcook que dans mon district actuel veut que
l'enseignement de l'écriture - le fond plutôt que la forme - ne peut débuter que
lorsque les enfants savent tracer toutes leurs lettres et lire tous les sons (association
grapho-phonétique). L'enseignement de la technique est donc décontextualisé de la
situation de communication authentique.
L'ne belle calligraphie est, en fait, utilisée pour distinguer les élèves qui s'appliquent
de ceux et celles qui ne «veulent pas travaillen> ; ceux qui sont vaillants, de ceux qui
sont entêtés. C'est alors que, dans mon rôle d'agent pédagogique, plusieurs
enseignants et enseignantes de la cinquième et de la sixième année me demandent
ce qu'ils doivent accepter et se plaignent que les enfants ne se donnent pas la peine
de bien écrire. En effet, une discussion autour de la table du salon des professeurs à
l'école Du Bouleau démontre que les enfants qui ne suivent pas le bon tracé, font la
boule du [ 6 ] avant la ligne par exemple, se font critiquer et parfois réprimander par
les enseignantes de Ia deuxième et troisième année. Lors de cet échange, une
enseignante de la deuxième année dit qu'elle a fait effacer tous les [6] ainsi formés
par un élève.
Les enseignantes continuent donc à faire l'enseignement de l'association c$mpho-
phonétique, de ITorthormphe et de la cailicoraphie à l'extérieur de situations de
communication authentiques. Ces pratiques constituent une résistance aux
directives du MENB, aux formations données par les agents pédagogiques et à la
démarche proposée par le nouveau matériel pédagogique. Comment comprendre la
force de cette résistance ?
Tant la méthode gestuelle que l'enseignement systématique de la calligraphie sont
des pratiques que l'institution scolaire et ses cadres pédagogiques tentent de
déloger. La méthode gestuelle, est mise en doute parce qu'elle mène au
surinvestissement en une seule stratégie de lecture - la ppho-phonétique - et la
callignphie, parce qu'elle va à l'encontre de l'émergence <(naturelle» de l'écrit. Ce
développement est censé passer par différents stades (cf. Thériault 1996) :
Présyllabique (gribouillis, pseudo-lettres), - syllabique (une syllabe = une lettre), - syllabico-aiphabétique (stade intermédiaire, une lettre = une lettre et parfois,
une lettre = un son. Exemple : Grarnr = Grand-mère. [Gr] - une lettre pour un
son, [a m r] - une lettre pour une syllabe),
a alphabétique (cornespondance lettre-son, mais l'orthographe n'est pas encore
conventionnelle).
Selon les cadres pédagogiques de plusieurs districts, dénaturer ce processus
brimerait la créativité et le plaisir que prend l'enfant à écrire. 11 est donc à se
demander pourquoi des enseignantes du primaire, qui accordent une grande
importance au développement du «goût de plein de choses», maintiennent une
pratique qu'on leur dit néfaste au goût de l'écriture? La réponse se trouve dans la
nécessité que crée la pédagogie centrée sur l'enfant d'évaluer le cheminement de
l'élève afin de l'accompagner plus efficacement dans son apprentissage.
L'imputabilité de l'apprentissage à l'enseignante contribue égaiement à ce besoin
d'évaluation. Une enseignante précise, <comment estce que je vais savoir où ils
sont rendus dans leur apprentissage de la lecture si je n'enseigne pas des sons ? ».
L'importance accordée à la calligraphie relève donc du fait qu'elle constitue un signe
observable de l'enseignement - si on ne lui enseigne pas ce tracé, l'enfant ne
l'apprendra pas de lui-même- En effet, pIusieurs enseignantes de ia matemelle
désirent prendre la responsabilité de cet enseignement rifin de montrer aux parents
qu'à la matemelle, on fait plus que simplement jouer. De son côté, la stratégie
grapho-phonétique est la seuIe stratégie facilement quantifiable - i l n'y a qu'un
nombre limité de sons et on peut compter le nombre maîtrisé, mais comment
compter l'utilisation du contexte, de la syntaxe ou de la morphologie ? Finalement,
le nombre de mots qu'il est possible de reconnaître globalement étant illimité, i l est
difficile d'identifier un niveau de maîtrise de cette stratégie.
La culture partagée des enseignantes offre également un soutien à cette résistance.
Les enseignantes partagent leurs succès avec différentes approches et lorsqu'une
nouvelle enseignante débute sa carrière, elle se trouve un mentor. La relation entre
Chantal et Gisèle en est un exemple parmi d'autres. Elles planifient souvent leur
enseignement ensemble et Chantal se tourne vers Gisèle pour obtenir du matériel et
des connaissances. Entre autres, Gisèle partage avec Chantal la façon qu'elle a
trouvée de former des équipes et d'encourager la coopération.
Depuis mon retour dans le système scolaire, je vois également plusieurs débutantes
rechercher l'aide et le soutien d'une collègue plus expérimentée. Ces mentors
attestent du succès obtenu avec les méthodes grapho-phonétiques - «tu
n'apprendras jamais aux élèves à lire sans ça [cahier de sons]» dit une enseignante
de mon district actuel à sa protégée. Puisque les nouvelles enseignantes ne reçoivent
aucune autre forme continue de soutien, il n'est pas surprenant qu'elles reproduisent
les pratiques de leur mentor. De plus, bon nombre d'élèves ont appris à lire et à
écrire par ces méthodes, pourquoi changer pour une approche sans garantie de
succès ? Une enseignante d'expérience dit : d e ne changerai pas avant d'être
certaine que mes enfants ne seront pas pénalisés». Or, cette preuve est difficile à
faire s'il n'y a pas d'enseignantes prêtes à prendre le risque d'essayer et d'aller à
l'encontre des façons de voir et de faire de la culture partagée.
Lorsque l'enseignante se trouve dans une école où une autre pédagogie est utilisée,
le changement est plus facile. En fait, ce changement fait partie du processus
d'inté*gration à la culture de la nouvelle école. Telle est la situation vécue par
Gisèle. Lors de mon année à l'école Du Bouleau, GisèIe exprime souvent le désir
d' un changement vers 1' utilisation des centres d'apprentissage. Les <<centres
d' apprentissages» correspondent généralement aux di verses matières scolaires et
sont fréquentés par de petits groupes d'élèves. Chaque groupe travaille ainsi à
réaliser l'activité de son centre, indépendamment des autres groupes d'élèves. Le
rôle de l'enseignante est de planifier judicieusement les activités de chaque centre
pour répondre aux objectifs d'apprentissages du pro,oramme.
Seule une autre enseignante de l'école Du Bouleau utilise cette approche et ce n'est
que lorsqu'elle intègre une école où l'utilisation des centres est plus répandue que
Gisèle effectue ce vinse. Même lorsque les enseignantes désirent enseigner
autrement, il n'est pas facile de faire un changement qui ne cadre pas avec la culture
pédagogique environnante. La présence d'interlocuteurs svec lesquels négocier est
essentielle à la production d'une nouvelle culture pédagogique. Ce besoin est
encore plus grand pour l'enseignante désireuse d'explorer une pédagogie qui
mettrait à nu le pouvoir hégémonique du français standard: cela n'est pas
I'intention du MENB et le français standard est un élément important à l'identité,
tant personnelle que professionnelle, des enseignantes. Par ailleurs, les programmes
de français de 1988 et de 1998 offrent une possibilité de résistance à la norme
linguistique encore peu exploitée.
Dans le programme de français de 1988, le MENB indique que Le français standard
doit être la langue de la salle de classe. Parallèlement, il reconnaît l'importance de
ne pas brimer l'enfant dans sa langue régionale. Alors qu'on a vu au début de ce
chapitre que l'objectif véritable du MENB est l'assimilation de tous et toutes au
français standard. la reconnaissance même de l'existence d'autres registres ouvre la
porte à d'autres interprétations. Lorsque cet autre registre est défini par l'utilisation
d'acadianismes. il gagne en légitimité puisqu'il est la langue authentique acadienne.
Ci-dessous, trois approches à la divergence dialectale sont présentées. La première
de ces approches encourage ce qui pourrait être caractérisé de «diglossie dialectale»,
chaque dialecte. ou variété linguistique étant associée à un domaine social. La
deuxième permet égaiement cette diglossie, mais tend à la rendre plus consciente.
Cette approche épouse un certain relativisme linguistique voulant que toutes les
variétés s'équivalent puisque chacune sert des besoins de communication. Ix
pouvoir symbolique du franqais standard et la hiérarchie linguistique ne sont pas les
objets de cette conscientisation. Finalement, la dernière réponse à la divergence
linguistique présentée ci-dessous démontre une certaine conscience de la valeur
symbolique du français standard. mais vise !'homogénéisation complète de la
langue des enfants.
Vézina. auteur du matériel de base PLOÉ rappelle .avec insistance qu'ü n'y a pas
lieu de s'attarder trop longtemps sur un même texte (. . .) pour éviter que les
enfants ne fassent que mémoriser un texte parce qu'on s'y attarde trop longtemps»
(1986 : XIV, texte en dans l'original). Or, lors d'une rencontre avec les parents,
une des enseignantes-participantes précise que les enfants diront qu'ils savent lire,
mais, en réalité ils apprennent les premiers textes de leur manuel de lecture par
cœur. En fait, les enseignantes font lire à plusieurs reprises les premières comptines
du manuel et privilégient l'apprentissage de stratégies en lecture qu'elles tirent de
méthodes qui ont précédé celles de Vézina. Elles démontrent ainsi une possibilité
d' action pédagogique autonome.
Alors que Vézina (1986 : X V I ) suggère de passer par l'apprentissage des syllabes
(ba, be, bi) pour l'apprentissage du système grapho-phonétique, l'enseignante utilise
Ia méthode gestuelle, ainsi nommée pour les gestes que l'élève doit apprendre à
associer aux graphies et aux sons de la langue française. Voici un exemple d'une
session d'enseignement tirée de mes notes d'observation.
Notes du 4 octobre 1994
Gisèle raconte l'histoire d'IsabeIle. Elle dit qu'Isabelle a un petit frère qui rit beaucoup. C'est un rieur. Gisèle passe un peu de temps à expliquer ce qu'est un rieur. Elle explique que c'est une personne qui rit tout le temps. II peut tomber et i l ne se fait pas mai; il va rire. Un jour, la mère d'Isabelle regarde un livre d'animaux avec le frère à Isabelle. Chaque fois qu'il voit un animal le petit frère rit. Isabelle trouve ceci drôle. Elle regarde son frère rire en faisant le son [il et avait le doigt sur le coin de sa bouche.
Gisèle révèle la figurine du 1 : on voit Isabelle, le doigt sur le coin de la bouche et la lettre [il écrite dessous.
Gisèle réussit donc à gérer la tension entre langue d'identité et langue standard en
établissant une distinction entre la sdle de classe et les aires de jeu ; en sdle de
classe les enfants doivent utiliser le français standard alors qu'elle ne reprend pas
les élèves qui utilisent le chiac dans la cour de récréation. Lorsque les élèves
parlent le non-standard en classe, Gisèle utilise l'écho ou dit aux élèves qu'elle ne
comprend pas ce qu'ils disent, elle ne comprend que le français. Malgré son désir
de respecter Ia langue des enfants, Gisèle contribue donc à la définition du français
standard comme seul vrai français. torsqu'elle dit ne comprendre que le français,
eIle dit également que ce que les élèves parlent n'est pas le français.
De son côté, une employée cadre système scolaire du sud-est de la province voit le
rôle de l'école acadienne comme celui d'amener I'enfant vers d'autres registres de
langue et de l'habiliter à savoir comment s'adapter à différentes situations de
communication. Ainsi, la langue de l'enfant n'est pas dévalorisée ou comgée, mais
pIacée dans son contexte socid. Puisqu'elle répond à un besoin ce communication,
cette langue est équivalent au français standard ou toute autre variété linguistique. Ii
s'agit donc ici de rendre conscient le choix de code implicite que pratiquent les
élèves de Gisèle. Ici on voit l'influence des connaissances que cette employée-cadre
ri acquises des linguistes, dont Annette Boudreau, auteure citée au début de ce
chapitre :
Entrevue 1995
Rose : La langue permet de communiquer avec différentes personnes, puis t'as avantage à développer ton vocabulaire, ou tes connaissances, pour te permettre de communiquer avec un plus grand nombre de personnes. À l'école, on a ce rôle-là, de l'amener vers d'autres registres de langue, de connaître, de savoir que si tu sors de ton milieu et utilises ce mot-là, tu risques de ne pas être compris par un très grand nombre de personnes. Ici c'est ça le mot qu'on utilise, ça, c'est correct, c'est un mot qui permet de communiquer une rialité, ici, dans la région, dans ton milieu, dans
ta famille ou dans ta communauté et c'est correct. Pour exprimer ia même réalité, i l y a d'autres mots, et d'autres mots qui sont peut- être connus à l'extérieur. À un moment donné, tu te rends compte que tu fais appel à ces mots-là. Mais pas dans une pédagogie, comme on dit une pédagogie de l'erreur, ou une pédagogie de dévalorisation. Tu as un niveau de langue par rapport à l'autre. Tu sais, de vraiment reconnaître le chiac ou le régionalisme, ou des mots anciens, tu sais, les acadianismes, ou des choses comme ça, puis ça, je crois que on l'a pas toujours fait. On a encore tendance aujourd'hui, peut-être, à dénigrer, quoique ça change, mais je pense qu'on a besoin de changer davantage, parce qu'il y a beaucoup de jeunes ... Il y a pire que mat s'exprimer, il y a pas s'exprimer du tout.
Tu es sûrement au courant de tout ce que Annette Boudreau puis Lise Dubois ont fait dans Ieurs recherches au niveau de l'insécurité linguistique, puis tout ça. Bien l'insécurité linguistique, on sait quel effet que ça l'a : ça empêche des personnes de s'exprimer parce qu'ils pensent que leur langue, leur façon de parler est pas correcte, par contre, toutes les autres sont correctes. Puis on a vu que c'était un fait, dans cette région entre autres, les gens ont, même chez les adultes, un malaise. Ça prend énormément d'expériences différentes pour aniver un jour à dépasser ça puis dire, bien, écoute, c'est pas parce que j'ai un accent différent ou un vocabulaire différent, que j'ai pas des choses à dire, que j'aï pas des moyens de le dire. À ce niveau-là, je crois que les enseignants ... commencent à en être un peu plus conscients de l'importance de, tout simplement, s'ouvrir. C'est une ouverture aux autres. C'est une ouverture 5 d'autres façons de dire. Tu sais? Au lieu de connaître un mot qui exprime une réalité, mais on en connaît deux, trois. Finalement c'est plus riche parce que la journée où on va, .... L'autre fois, j'entendais quelqu'un dire : «c'est être caméléon>^: c'est être capable de t'adapter à une situation changeante, si t'as à faire avec un, avec un Parisien, tu sais que tu ne vas pas tout comprendre, mais crime, tu vas utiliser «bonnet», parce que ça tu le sais (rire). Tu sais qu'en disant des bas, il va pas te comprendre, tu vas dire des chaussettes, mais quand tu es ici, par exemple.. .
L'utilisation du terme <caméléon» est ici révélateur de la visée de cette employée-
cadre du système scolaire : elle voudrait que les enfants puissent <Tasser» pour des
locuteurs Iégitimes sur plusieurs marchés Iinguistiques. Le caméléon prend les
couleurs de ce qui l'entoure, mais ne devient pas cet environnement. D'autres, par
contre, nient toute possibilité d'utilisation de la langue identitaire en salle de classe,
sinon dans l'ensemble de l'école. Dans le cadre de cette recherche, je me suis
inscrite, avec une trentaine d'enseignantes, à un cours en didactique du français qui
se donnait à l'université de Moncton durant la saison estivale de 1995. Une
col lègue de classe, enseignante dans le sud-est du Nouveau-Brunswick, s'est
exclamée qu'il faut corriger la langue des enfants, tellement elle est de mauvaise
qualité : <varce qu'ici on a des enfants qui parlent mal, ils pourraient même en
apprendre de La petite vie ! » La petite vie est une émission de télévision dans
laquelle les comédiens utilisent un vernaculaire québécois. Aux yeux de cette
enseignante, la langue des enfants est de mauvaise qualité et doit être comgée. Ce
besoin de correction est tellement "pnd que l'apprentissage du fmçais standard est
un but hors d'atteinte. Cette enseignante semble reconnaître que l'accessibilité du
fmnçais standard est un mythe. Or, elle continue à croire en la supériorité de cette
variété linguistique. Plus, elle nie la légitimité de la langue des enfants comme
marque de l'identité acadienne : elle ne participe pas à sa glorification. Pour cette
enseignante, le lien entre la langue française des enfants et leur identité et
appartenance à une communauté francophone est douloureusement évidente.
Si nous voulons que la pédagogie devienne un outil de changement social, il faudra
passer par une conscientisation du personnel enseignant quant à I'imponance de
leur travail de socialisation et de sélection sociale et de la place de la langue dans ce
travail. Les enseignantes observées dans le cadre de cette recherche considèrent
qu'el les ne participent pas activement au développement de la communauté que
dessert l'école. Quelques jours après une discussion des buts de ma recherche,
Chantal dit d'un ton inquiet qu'elle ne voit pas quel rôle elle joue dans la
communauté. Comme Gisèle qui me demande souvent si elle est une bonne
candidate pour ma recherche, Chantal est désireuse de me donner ce dont j'ai
besoin pour réussir.
L'approche communicative offre des possibilités de résistance à l'hégémonie du
français standard. La langue orale est l'outil de la médiation tant de l'apprentissage
de la lecture que des autres matières scolaires. 11 n'y a pas de moment à l'horaire
entièrement consacré à la langue ode , son enseignement est informel. mais
omniprésent. Lors de discussions avec les élèves, que ce soit suite à une lecture. Iors
d'une activité de sciences humaines ou lors d'une causerie, l'enseignante valotise
déjà certaines interventions et visions du monde. C'est ainsi qu'à Memramcook, où
la chasse fait partie de la culture familiale, elle n'est pas un sujet de conversation
approprié à la salle de classe. La beauté des animaux et la nécessité de protéger la
terre et ses habitants est plutôt de mise. Parallèlement, les voyages à Ottawa, dont
peu d'enfants peuvent profiter, se voient valorisés et discutés en profondeur dans les
classes de Chantal et Gisèle, alors que peu d'attention est portée à l'enfant qui parle
du voyage qu'il a fait en camion-remorque. Cette valorisation de ce qui est dit est
aussi importante dans la définition de I'acadianité légitime qu'est la valorisation du
registre utilisé pour le dire. Comme les milieux de travail où le franqais standard est
la langue d'usage sont les seuls légitimes. certaines expériences culturelles sont plus
légitimes que d'autres.
Suite à une certaine conscientisation du personnel enseignant, l'heure du conte ainsi
que les causeries pourraient devenir autant d'occasions de laisser entrer une
nouvelle vision du monde dans la salle de classe. De plus. le nouveau programme
de 1998 laisse place 5 encore plus d'interprétation que celui de 1988. En effet, dans
ce nouveau programme le respect des registres et la possibilité de choisir celui
approprié à différentes situations de communication sont deux objectifs qui ouvrent
la porte à l'exploration de la variation linguistique. Ils ouvrent également la porte à
un remise en question de la place du français standard et à une prise de conscience
de son pouvoir hégémonique. En plus de voir les possibilités du programme et du
milieu scolaire pour un tel projet de conscientisation et d'action sociale, il importe
par contre de comprendre le risque que prendrait une enseignante désireuse de le
mener à terme.
Le premier obstacle à un changement pédagogique en faveur d'un plus p n d
respect des besoins de communication de tous les jeunes est la langue et la culture
sociomatemelles des enseignantes. il est possible par exemple que les enseignantes
utilisent I'écho de façon inconsciente, que I'écho soit une pratique socioculturelle
professionnalisée. En fait, sachant que j'étais là pour observer la langue, Gisèle
marque, par un sourire et un regard de mon côté, les déviations de la langue dont
elle est consciente - l'utilisation d'un chiac marqué par une utilisation d'anglicismes
plus prononcée que d'habitude ou une erreur reliée au développement langagier
(»iaraco>ii au lieu de macaroni) par exemple. À ces moments, elle n'utilise pas
l'écho. De plus, ce n'est qu'à ces moments qu'elle marque les manquements
linguistiques des élèves; normalement, elle utilise l'écho comme si cela faisait
partie du cours normal de la conversation. En fait. elle me dit que ses élèves ne font
pris beaucoup d'erreurs dans leur parler.
En outre, les enseignantes disent qu'elles ne font rien de spécial dans leur
enseignement de la langue o d e . De plus, j'ai observé l'emploi de la technique de
I'écho chez une amie non enseignante avec ses enfants en bas âge et je me suis
surprise à utiliser I'écho en conversation avec les élèves de Gisèle et de Chantal.
Tout indique que cette utilisation relève d'une pratique culturelle, qu'on peut rendre
consciente ou non. Le transfert de cette pratique à l'enseignement de la langue à
l'école s'inscrit dans la foulée de la pédagogie cenuée sur l'enfant. Cette pédagogie
est axée sur la création d'un environnement maturel~, propice à l'apprentissage,
plutôt que sur l'enseignement explicite. Comme le souligne le MENB :
Fait-on semblant de parler à l'enfant de trois mois sous prétexte qu'il est trop petit pour comprendre ce qu'on lui dit ? Bien sûr que non. Dès sa naissance, on lui fait vivre de véritables situations de communication en lui disant, par exemple qu'on l'aime ou qu'il boira bientôt.
Bref, tout le monde accepte et conçoit aisément que l'apprentissage de la communication orale s'effectue d'abord et avant tout en communiquant. Fait à noter : cet apprentissage est marqué, partout dans le monde, par un taux de réussite tout à fait exceptionnel. (1988 : 7-8)
L'enseignement et l'apprentissage de la langue orale se font donc de façon
spontanée ou naturelle, nul besoin de se préparer à l'avance. En fait, lors du cours de
didactique de français suivi dans le cadre de cette recherche, l'enseignement de
l'oral n'est traité qu'à la dernière session et la professeure est surprise par les
questions que posent les enseignantes, comme si le problème que soulèvent ces
dernières quant à la correction de la langue des enfants n'est pas une préoccupation
du domaine théorique de la didactique du français.
C'est lorsque I'apprentissage jugé normal ne se fait pas ou lorsque la langue
maternelle est fautive et dévie trop de la norme établie par l'institution que les
enseignantes, comme celles qui assistent au cours de didactique du français,
cherchent à rendre explicite une pédagogie de la langue orale. C'est alors qu'une de
mes enseignantes participantes a été en mesure d'articuler ce qu'elle ne faisait que
naturellement auparavant. Cette enseignante a demandé un transfert dans une école
de la ville non longtemps après mon passage dans sa classe. Vers la fin de sa
première année d'enseignement en ville, je la rencontre pour une deuxième
entrevue.
Pendant cette entrevue, l'enseignante dit qu'il y a beaucoup plus de variations dans
la langue des enfants de la ville : certains sont issus de familles exogmes où la
langue de la maison est l'anglais ; d'autres ne parlent que le chiac (chiac-
anglicismes) ; alors qu'un certain nombre, de milieux professionnels et hautement
scolarisés. parlent un français encore plus standard que le sien. Ce n'est que suite à
ces exgriences que l'enseignante rend explicite son utilisation de l'écho ou du
miroir :
Première entrevue (1995)
Gisèle : dans la classe comme telle, là vraiment au niveau du français, j'suis satisfaite. Puis ils s'expriment bien.,. puis des fois, ils vont pour dire comme q ~ c k , ah rondelle, madame» . . . Bien, oui moi je comprends pas [quand les enfants utilisent l'anglais]. Puis là des fois je vais dire, qu'est-ce ça veut dire ? Moi, je sais pas qu'est-ce ça veut dire ça. As-tu un autre mot pour ça ? (elle rit)
Deuxième entrevue (1996)
Gisèle : Je vais faire miroir là, lorsqu'il parte, comme là aujourd'hui y 'n a un qui m'a dit «un jaune crayon D, puis là j'ai dit «ah, c'est vrai c'est français ton crayon jaune M. Alors tu sais, je fais le miroir.
Tout indique donc que lorsque la langue de l'enfant ne dévie pas significativement
de la norme scolaire, l'enseignante agit de façon (maturelle» et comge les «erreurs»
de parcours en meformulant» les dires des enfants. brsqu'il y a une déviation plus
marquée, le besoin d'enseignement correctif est également accencué, donc plus
conscient. L'enseignante cherche alors à définir plus explicitement la pédagogie
qu'elle utilise. Parmi les outils qui sont à sa disposition, seul le guide du MENB lui
vient en aide en suggérant l'utilisation de l'écho, technique qu'elle utilisait d'emblée.
En fait, le matériel péâagogique ne donne aucune solution de rechange à
l'enseignante. Malheureusement, le contraire de «fornulen> ses pensées en mots est
de daire» l'expression de ses pensées et c'est le danger qui guette la pédagogie
proposée par le MENB.
En plus de la culture de l'enseignante qui peut rendre invisibles les actions
régulatrices sur la langue, l'enseignante est membre d'une communauté
d'enseigantes qui a égaiement sa culture partagée. Une partie importante de cette
culture est le désir du français standard. En effet, le français standard est une clef
d'accès très importante à la profession enseignante. Les diverses évaluations de la
langue qu'impose le MENB au personnel francophone en est la preuve. Une autre
influence qu'a le MENB sur la culture partagée des enseignantes est son monopole
sur le choix de matériel pédagogique.
II est souvent difficile pour l'enseignante de passer à côté du matériel puisqu'il ne
représente pas uniquement un texte qui lui est destiné, mais également des manuels
destinés aux élèves. De plus, les enseignantes qui désirent mettre de côté le matériel
recommandé par le MENB doivent continuellement expliquer, aux parents, à la
direction de l'école et à l'agent pédagogique, pourquoi elles ne font pas comme les
autres. Pendant une décennie, duke de vie (durée pendant laquelle son utilisation
est recommandée par le MENB et ses cadres) approximative d'un maténe1 scolaire,
l'enseignante doit négocier sa théorie et sa pratique de l'enseignement en relation
avec ces textes. C'est souvent dans le cadre de la pédagogie proposée par ce
matériel que les enseignantes discutent avec d'autres de leur enseignement. Lors de
discussion au salon des enseignantes, le personnel de l'école Du Bouleau fait
référence au programme ou au matériel pour parler d'une activité d'apprentissage
ou d'une rencontre prévue avec les parents. Par exemple, avant une rencontre
d'information pour les parents tenue au mois de septembre, les enseignantes
discutent de ce qu'elles diront aux parents. Toutes s'entendent pour dire qu'elles
parleront des thèmes qu'elles doivent couvrir en sciences humaines. Ces thèmes
sont ceux du pro,oramme du MENB. Les enseignantes échangent sur les moyens à
prendre pour faire des résolutions de problèmes en mathématiques et, en lien avec
le cours de français, elles discutent de I'introduction du personnage central à tous
les textes du manuel de lecture. C'est également à partir du matériel pédagogique
rendu disponible par le MENB et son district scolaire que G i d e accompagne
Chantal dans sa première année d'enseignement en première année. Lors des
planifications quotidiennes, elles décident quel son introduire et quand introduire
une nouvelle comptine.
Le temps constitue, on l'a vu précédemment, une condition essentielle au
développement d'une culture partagée. Puisque l'enseignante vit pendant une
dizaine d'années avec un matériel pédagogique, parfois imposé par le district ou le
MENB, les pratiques et théories de l'auteur du matériel deviennent imbriquées dans
la culture partagée du personnel enseignant d'une école, la même collection étant
souvent utilisée d'un niveau scolaire à l'autre ou encore dans plusieurs écoles. En
effet, lorsque des enseignantes se rencontrent lors de sessions de formations
provinciales, on entend souvent la question «tu utilises quel matériel?» comme on
pourrait entendre « d'où viens-tu? >> dans un autre type de rencontre. La prochaine
question est normalement : «Tu es rendue où (thème ou page)?» LRs enseignantes
trouvent également important que d'autres enseignantes, si ce n'est pas dans la
même école, au moins dans le district, utilisent le même matériel qu'elles. Comme
le souligne Anderson (1983) pour la lecture du journal, l'utilisation du même
matériel donne un sentiment de communion, de communauté avec d'autres
enseignantes. Comme les lecteurs d'un quotidien savent que d'autres lisent ou liront
le même texte, les enseignantes savent que d'autres enseignantes font ou feront lire
les mêmes textes par leurs élèves ou planifient les mêmes activités d'apprentissage
i partir d'un même matériel de base.
Ce sentiment de communauté facilite le travail de réglementation pédagogique du
MENB : il suffit d'introduire un matériel quelconque dans un assez grand nombre
de classes pour créer un tel sentiment. Une enseignante qui utilise un matériel
différent de la majorité se trouvera ainsi sans interlocuteurs et, par ce fait même,
exclue de plusieurs discussions et du groupe. Cela explique à la fois le nombre
limité de collections, de un à trois par matière et niveau d'enseignement, approuvé
par le MENB et, mal@ son discours de responsabiIisation et de professionalisation
(MENB 1994)' son insistance pour que soit utilisé un matériel de base.
Un trop grand nombre de collections favoriserait une plus grande divergence
pédagogique et nuirait à la création d'un sens de communauté communauté.
Parallèlement, l'approbation de plus d'un matériel en pédagogie du français donne
l'illusion d'un choix, liberté que le MENB tente de contrôler en insistant sur
l'utilisation d'un matériel de base agréé. En fait, Apple (1986) démontre comment,
avec la féminisation de la profession, le manuel scolaire a été inventé dans le but de
contrôler l'action de I'enseignante et d'assurer les apprentissages visés. Comme en
témoigne Gisèle, c'est davantage le manuel de lecture et son guide pédagogique que
Ies connaissances professionnelles qui informent la pédagogie du français des
enseignantes en Acadie.
Phyllis : J'aimerais ça savoir qu'est-ce que t'as pensé, si ça t'as servi la formation que tu as reçue pour enseigner le français.
Gisèle : Ça m'a assez mêlée que j'avais peur d'avoir une classe.
Phyllis : C'est-tu vrai ?
Gisèle : Oh, Seigneur de la vie ! C'était énervant. C'était matériel ici. puis un matériel qui passait par là. Puis c'était une pédagogie de ceci, puis une pédagogie de ça. Puis c'était analytique, puis c'était synthétique. Ah ! Moi j'étais mêlée. C'est quand je suis anivée dans une salle de classe, que j'ai pris les guides [de l'enseignant], puis j'ai commencé à lire. Ah, bien regarde, on pourrait faire tutututu que j'ai tout, c'est pas à l'université que t'as appris comment enseigner le français ... Si tu veux savoir comment enseigner le fransais, tu prends une classe puis tu l'enseignes. (À la fin de la plzrase, elle frappe fort sur la table avec quelque chose de dur comme pour renforcer son argument).
La culture partagée des enseignantes est non seulement construite en relation avec
le matériel pédagogique, mais égdement, et peut-être surtout, dans la relation entre
enseignantes.
Tout comme les enfants qui acceptent de standardiser leur langue risquent le rejet
de leur communauté, les enseignantes qui acceptent de relever le défi du
changement risquent le rejet de leurs collègues. Tel est le cas d'enseignantes qui
choisissent actuellement d'enseigner dans des groupements multiâges ou qui
essaient de laisser tomber les cahiers de sons ou l'enseignement systématique de la
calligraphie. LRs enseignantes de groupes multiâges se font accuser de trahir leurs
pairs qui ont peur de se faire imposer de tels regroupements. Les enseignantes qui
délaissent les cahiers de sons sont surveillées de près et les dificultés de leurs
élèves sont attribuées à ce choix. En ce qui a trait à la calligraphie, la pression est
encore plus grande puisque les enseignantes qui reçoivent leurs élèves l'année
suivante peuvent se plaindre de la qualité de leur travail. Lors d'une discussion au
salon des enseignantes à Du Bouleau par exemple, les enseignantes de la deuxième
année comparent le travail des élèves qui leur sont arrivés de la classe de Gisèle et
d' Anita, l'enseignante qui avait précédé Chantal.
Notes, 17 novembre 1994
Suzanne dit que plusieurs de ses élèves écrivent très bien, mais que d'autres écrivent moins bien. Violette lui dit que ce sont les élèves d'Anita qui écrivent moins bien puisqu'ils ont eu moins de pratique. Anita enseignait le script en début d'année et la cursive seulement vers la fin de l'année. Gisèle commençait tout de suite par la cursive. Les enseignantes de la deuxième année préfèrent l'écriture de ceux qui ont commencé par la cursive, c'est-à-dire les élèves de Gisèle.
L s choix pédagogiques que font les enseignantes d'un niveau ont donc des
répercussions sur la gestion des apprentissages que devront faire les enseignantes
d'un autre niveau. Souvent, les difficultés des élèves deviennent ainsi la
responsabilité des enseignantes du début du primaire. Récemment, une direction
d'école me disait par exemple que si ses élèves de la huitième année obtiennent de
mauvais résultats aux examens du MENB, c'est qu'en première année ils ont reçu
un enseignement suivant les anciennes méthodes.
La culture partagée des enseignantes fait donc pression pour que certaines pratiques
soient maintenues ou changées. L'enseignement du français standard est une
pratique que cette culture tend à reproduire puisqu'elle est liée à la quaiité de la
lanzue écrite et à la compréhension en lecture. De plus, on l'a vu, le français
standard est lié à la définition même de la profession enseignante en Acadie.
Finaiement, il n'est pas garanti que la communauté accepterait une remise en
question de l'enseignement du français standard. Denise, membre du comité de
parents, compare l'importance qubn donnait au bon français dans ((son temps» et
celle qu'on y accorde aujourd'hui : lorsqu'elle était à l'école, +$avais une langue avec
mes profs et dans la cour c'était le chiac». Avec les enseignants, elle parlait «le bon
français». d a n s ce temps-là, i l n'y avait pas d'emphase de mis pour qu'on parle le
bon français partout». O n pouvait parler le bon français en classe et on n'en
demandait pas plus. Contrairement à ce que dit Gisèle - dans la cour de récréation,
consciente ou non. Le transfert de cette pratique à l'enseignement de la langue à
l'école s'inscrit dans la foulée de Ia pédagogie centrée sur l'enfant. Cette pédagogie
est axée sur la création d'un environnement <maturel», propice à I'apprentissage,
plutôt que sur l'enseignement explicite. Comme le souligne le MEM3 :
Fait-on semblant de parler à l'enfant de trois mois sous prétexte qu'il est trop petit pour comprendre ce qu'on lui dit ? Bien sûr que non. Dès sa naissance, on lui fait vivre de véritables situations de communication en Iui disant, par exemple qu'on l'aime ou qu'il boira bientôt.
Bref, tout le monde accepte et conçoit aisément que l'apprentissage de la communication orale s'effectue d'abord et avant tout en communiquant. Fait à noter : cet apprentissage est marqué, partout dans le monde, par un taux de réussite tout à fait exceptionnel. (1988 : 7-8)
L'enseignement et I'apprentissage de la langue orale se font donc de façon
spontanée ou naturelle, nul besoin de se préparer à l'avance. En fait, lors du cours de
didactique de français suivi dans le cadre de cette recherche, l'enseignement de
I'oral n'est traité qu'à la dernière session et la professeure est surprise par les
questions que posent les enseignantes, comme si le problème que soulèvent ces
dernières quant à la correction de la langue des enfants n'est pas une préoccupation
du domaine théorique de la didactique du français.
C'est lorsque I'apprentissage jugé normal ne se fait pas ou lorsque la langue
maternelle est fautive et dévie trop de la norme établie par l'institution que les
enseignantes, comme celles qui assistent au cours de didactique du français,
cherchent à rendre explicite une pédagogie de la langue orale. C'est alors qu'une de
mes enseignantes participantes a été en mesure d'articuler ce qu'elle ne faisait que
naturellement auparavant. Cette enseignante a demandé un transfert dans une école
même les archaïsmes
l'autre, de mener à la
ne sont pas légitimes. Ceci a pour effet, tant d'un côté que de
correction de la langue des enfants et ainsi reproduire en eux
l'insécurité linguistique qui prépare à l'acceptation de leur rnarginalisation
éventuelle. Comme Les mères ne peuvent faire autrement si elles désirent le succès
scolaire de leurs enfants, les enseignantes du primaire sont liées par leur
responsabilité envers le succès futur de leurs élèves.
Le rôle de gardienne de la langue et de Ia culture est attribué aux femmes (mères ou
substituts). Même s'il ne l'était pas, les femmes ne pourraient pas passer à côté :
dans la majorité des foyers, c'est la femme qui est responsable du soin des enfants à
la maison et c'est elle qui est leur interlocutrice première. C'est dans cette
interaction que l'enfant apprend à parler et à agir selon les normes de sa société.
Puisque la mère est également reconnue première responsable de l'éducation des
enfants, le succès scolaire de ces derniers est également une marque du succès
maternel des femmes qui valorisent la scolarisation. Xi est donc difficile pour ces
mères de choisir de ne pas préparer leurs enfants à cette scoIarisation.
L'enseignement du français standard est une composante importante de cette
préparation.
Les enseignantes du début du primaire se trouvent dans un étau similaire : les
enseignantes des niveaux supérieurs leur renvoient, souvent sans s'en rendre
compte, la responsabilité de la standardisation des comportements scolaires, y
compris les comportements linguistiques que sont I'autocorrection, le silence et la
soumission à la régulation linguistique. il devient donc difficile pour I'enseignante
de la première année d'enseigner autre chose que le français standard et Ia
soumission à sa culture. Cette culture est inscrite dans les manuels et règlements
scolaires. En plus, l'enseignante de Ia première année doit mener les enfants à la
capacité de lire et de «comprendre», c'est-à-dire être capables de répondre à des
questions qui révèlent la compréhension textuelle de ce qui est lu. L'enseignement
mène ainsi plutôt à l'acceptation de la norme inscrite dans les manuels qu'à sa
remise en question.
Les conditions féminisantes du primaire rendznt égaiement difficile une résistance
aux nomes culturelles et linguistiques de I'école. En effet, la pédagogie centrée sur
l'enfant fait appel à cette culture qui reproduit la féminité de l'enseignante :
l'enseignante doit faire le don de soi pour développer une sollicitude envers ses
élèves et créer un milieu propice à l'apprentissage. Le milieu qu'elle crée ainsi
reproduit les normes de gentillesse, de politesse et de travail de sa culture et
marginalise les élèves qui ne savent pas fonctionner dans ce cadre. Ces élèves sont
les mêmes qui savent que leur langue n'est pas appropriée à la salle de classe.
Lors de ma première rencontre avec le personnel de l'école, une des enseignantes
me dit que les enfants ont déjà fait beaucoup de progrès dans leur langue parlée
avant d'arriver en deuxième année. Les autres enseignantes semblent être du même
avis, mais à quoi ressemble ce progrès ? Il est vmi que plus l'année avance, moins
mes notes font état de corrections par la méthode de l'écho. Par ailleurs, certains
enfants font preuve de plus d'hésiwion devant leur emploi de certains mots.
Prenons I'exempie de l'enfant qui me demande un jour de aipper son jacket».
Aussitôt sa phrase dite, i l arrête et reprend : «Veux-tu zipper mon manteaum.
D'autres élèves ne sentent pas l'obligation de faire ces autocorrections.
L'ensemble des actions pédagogiques de l'enseignante, que ce soit au niveau des
comportements, de la lecture ou de la langue, ont p u r effet de produire et de
reproduire la frontière entre les enfants qui réussiront à accéder au monde du savoir
et de la langue légitime du pouvoir en Acadie : l'enseignante participe à la création
d'une élite acadienne plutôt qu'à l'avancement équitable de toute la communauté.
Cette élite, cette classe hégémonique acadienne glisse souvent sans gêne, comme
Simone, des mots issus de l'anglais ou des acadianismes dans leur parler.
Les pratiques pédagogiques des enseignantes sont influencées par l'approche
communicative à l'enseignement du français. Cette approche est celle prescrite par
le MENB. Alors que les buts explicites du MEN3 sont de donner un accès au
français standard à tous les élèves, sans pour autant brimer leur identité familiale, il
a été démontré dans ce chapitre que la vision réelle que poursuit le ministère est
celle d'une seule identité acadienne. La maîtrise du français standard et de
comportements propres à l'être <<instruit» sont des éléments importants à la
performance de cette identité légitime. L'approche communicative et la pédagogie
centrée sur l'enfant permettent de garder cette vision implicite puisque véhiculée
par des interactions adulte/enfant (femme/enfant) «normales».
Ces interactions sont fondées sur l'apport naturel de la femme à l'éducation. En
salle de classe, la pédagogie centrée sur l'enfant fait appel aux qualités dites
féminines du don de soi, de l'altruisme, de la capacité d'être à l'écoute des besoins
de l'autre (l'enfant) et de l'empathie. À l'intérieur de cette pédagogie, l'approche
communicative met l'accent sur la création de situations, d'un environnement
propice au développement langagier des enfants. Un tel environnement rend
significatif l'apprentissage de la langue. Cet accent sur la signification pour l'élève
place ce dernier au centre de ses apprentissages, on parle ainsi d'une pédagogie
centrée sur l'enfant. Or, si l'enseignante ne tient pas compte de la diversité
vernaculaire de sa classe, seuls certains élèves se retrouvent au centre de cette
pédagogie.
Well-meaning teachers have lost sight of the fact that mere implementation of these progmrns does not necessarily translate into authentic, natural, or wholistic experiences for non- mainstream students (Reyes 1992).
Les textes, les comptines et les discussions de la salle de classe rendent légitimes
une seule langue - le français standard - et une seule culture - unilingue française.
La langue des enfants chiacs est ainsi rendue illégitime, voire déficiente. En fait, des
tentatives de correction de la langue confirment cette illégitimité. Une telle
pédagogie conuibue donc à la production de l'insécurité linguistique des élèves
minoritaires plutôt qu'à leur sentiment d'efficacité et d'appartenance à la
francophonie.
Une application non critique de l'approche communicative est également coercitive
puisqu'elle suppose un développement normal vers la maîtrise de la langue
standard. C'est-à-dire que tout enfant normalement constitué réussira, sans
intervention directe, à maîtriser le français standard. L'enfant qui ne réussit pas vit
des activités de remédiation ou est simplement pénalisé lors d'évaluations. À
I'école Du Bouleau, plusieurs élèves reçoivent l'aide d'un tuteur à l'école. Les
parents et les élèves porterit le blâme pour ce manque : il y un manque d'effort. ils
n'écoutent pas la télévision française, ils ne Iisent pas en français. Ce blâme ne
vient pas que de l'école, mais également d'autres parents.
Entrevue 1997
Lise : Comme, elle, son père, cette enfant-là, je sais que son père est plus vieux, puis c'en est un qui aime boire puis qui est dans la grosse **. C'est pour ça que je dis moins d'importance. Eux autres, je crois, parce que ça les dérange pas comment est-ce qu'ils parlent devant les enfants, non plus, comme, parce que la gardienne des fois, elle va dire, là, ben, quand qu'il arrive, les enfants mêmes vont dire des mauvais mots, puis elle dit, elle qu'elle les corrige. Mais a dit, << je sais que ça vient de ses parents», puis moi, je le sais aussi, parce que je sais, comme, je connais assez bien ses parents, oui.
Ce chapitre a donc permis de voir comment les enseignantes de la première année
participent à la production et à la reproduction de l'hégémonie du français standard
et de la culture acadienne marquée par le monolinguisme. Cette hégémonie mène à
I 'insécurité linguistique chez une population qui n'a pas le français standard comme
langue d'identité et qui connait profondément le pouvoir symbolique du
bilinguisme. Elle permet également une pédagogie coercitive du bien parler qui se
veut centrée sur l'enfant et sur ses besoins d'apprentissage.
Puisque ces besoins d'apprentissage sont définis par la classe dominante de
l'Acadie, l'enseignement dispensé répond aux besoins de cette classe - français
standard et dichotomie françaiskinglais - et de sa progéniture. Les enfants qui ont
des besoins autres ne trouvent pas leur compte à l'école. Cette institution reproduit
ainsi les inégalités sociales propres à l'Acadie et les marginaux du système portent
le blâme pour leurs insuccès : l'insuccès des élèves s'explique par leur choix de ne
pas se conformer aux exigences de l'école et, par extension, de ne pas accéder aux
ressources qui y sont distribuées.
Alors que la solution appht simple, il suffit d'identifier les besoins réels de ces
élèves, la culture partagée du personnel de l'institution scolaire rend cette
identification problématique et illégitime. Les enseignantes sont devenues
enseignantes ,&ce au succès qu'elles ont rencontré dans le système actuel.
Remettre en question la légitimité de ce système est synonyme de contester celle de
leur succès. 11 en est de même pour le français standard : leur maitrise d'une forme
scolaire de cette variété linguistique est la clef d'accès à leur profession. Mettre en
doute le bien-fondé de fa position du français standard remet en question l'identité
professionnelle des enseignantes.
La culture partagée du personnel enseignant et du personnel cadre du MENB a donc
à son centre la primauté du français standard. Le français standard est ainsi un objet
de désir incontesté. est donc difficile de concevoir une pédagogie qui permette
aux élèves de définir un besoin linguistique autre que celui de la standardisation. En
fait. même les personnes les plus ouvertes vis-à-vis la langue des élèves. celles qui
croient au besoin de la valoriser, d'en enseigner la structure et de la placer dans son
contexte social, croient en dernière analyse que les élèves ont besoin du français
standard. Cette croyance mène nécessairement à l'imposition d'une vision
normalisée du monde et à l'invasion culturelle pour le bien de l'enfant de l'autre.
Ce chapitre a également souligné la possibilité d'une action pédagogique autonome
de l'enseignante. La médiation au quotidien du vécu de l'enfant a été identifiée
comme chef-lieu de la reproduction d'êtres ethniques, mais également de la
production et de la possibilité de changement social.
ENSEIGNANTE ET FEMME, DOUBLE PARADOXE
Récemment, le sénateur JeamMaurice Simard, ancien bras droit de Richard
Hatfield, a déposé au Sénat du Canada un rapport sur la situation actuelle des
minorités de langue française au Canada. Dans l'Acadie NouvelIe, seul quotidien
francophone du Nouveau-Brunswick, Gagnon (1999) cite ce rapport :
état canadien doit assurer aux francophones et Acadiens l'égalité des chances. L'égalité des chances en termes d'éducation et de services gouvernementaux à tous les paliers. En termes d'infrastructures économiques, éducatives, culturelles, sociales, médicales, technologiques et communautaires. C'est une question de justice et d'équité.
La présente thèse suggère qu'à l'intérieur de ces infrastructures i l faut se garder,
nous francophones, Acadiennes et Acadiens, de produire et reproduire des iniquités
entre francophones, Acadiens et Acadiennes. 11 faut s'assurer que nos écoles
donnent une égalité des chances qui va au-delà de l'égalité d'accès à un bâtiment.
Présentement, ce ne sont que les enfants ayant un certain bagage linguistique et
socioculturel qui ont accès au savoir scolaire, ce savoir est le savoir de leur
communauté. D'autres enfants voient leurs savoirs, leurs visions du monde exclus
de l'école et leur accès au savoir scolaire plus limité. Pour réussir à l'école, ces
enfants n'ont pas qu'à construire leur savoir, ils ont avant tout à mettre de côté leur
savoir culturel et linguistique sociornaternel pour s'en reconstruire un nouveau : ils
doivent apprendre quoi dire et quoi faire, quand et comment. Ils ont à apprendre à
devenir de bons Acadiens. Pour être équitable, l'école acadienne devra faire une
place pour la langue et les connaissances de ces élèves. Ces derniers pourront ainsi
participer pleinement à la construction de leur savoir et de celui de la communauté
acadienne et francophone du Nouveau-Brunswick d'abord, du Canada et du monde
ensuite.
Dans les chapitres précédents. on a vu que le peuple acadien a été longtemps tenu à
l'écart du pouvoir. Les raisons de cette exclusion ont été leur religion et leur langue.
Les Acadiens ont donc eu à lutter pour leur place au soleil et pour la survie même
de leurs communautés. Dans cette lutte, les Acadiennes se sont vues conférer le rôle
de gardiennes de la langue et de la culture.
Avec l'avènement de l'école publique, l'élite acadienne a fait de la langue
d'instruction un cheval de bataille et de l'éducation de langue franpise ale salut du
peuple». L'école est devenue, avec les mères, gardienne de la langue et de la
culture. Elle est également devenue un outil de développement et d'égalisation des
chances entre francophones et anglophones. Or, le succès de cette institution est
mitigé : l'assimilation de francophones vers l'anglophonie continue à se faire et les
Acadiens et Acadiennes continuent à vivre une certaine exclusion des couloirs du
pouvoir.
Quoique moins visible, cette exclusion est toujours actuelle. Tant les dominants
acadiens que les dominés sont membres d'une communauté minoritaire qui doit
continuel Iement négocier et renégocier son droit d'être autrement. Survivre en
franpis dans une province à majorité anglophone ne veut pas seulement dire lutter
pour ses droits, mais également vivre en marge du pouvoir. Encore aujourd'hui, i1
est difficile de concevoir un dirigeant acadien qui n'est pas bilingue, l'anglais étant
la langue des négociations avec la majorité. Les anglophones qui se *tordent la
langue» pour parler en Français choisissent de le faire, alors que les francophones
désireux d'accéder à des postes de responsabilité ou aux marchés économiques
dominants n'ont guère de choix que d'apprendre l'anglais. En fait, lors de sa récente
élection uuin 1999) au poste de premier ministre du Nouveau-Brunswick, Bernard
Lord, diplômé de l'université de Moncton et fils d'une mère francophone et d'un
père anglophone, a prononcé la majeure partie de son discours en anglais. Seuls le
bonjour, le merci et quelques phrases furent dits dans les deux langues officielIes de
la province. Aucune partie du discours du nouveau premier ministre n'a été
prononcée uniquement en français. Mal@ cela, on continue à dire qu'il est un
premier ministre acadien. Le bilinguisme anglais /français standard est donc une
source de pouvoir plus importante que le monolinguisrne français standard. Tous
les parents interviewés dans le cadre de cette thèse ont affirmé son importance. Le
bilinguisme recherché est celui que Heller (1999 : 37-38) associe à l'idéologie de
deux monolinguismes parallèles. C'est-à-dire qu'une bilingue est une personne qui
peut parler le français et l'anglais sans qu'il y ait interférence entre les deux. Dans le
développement de ce bilinguisme. le rôle de l'école est l'enseignement du français
standard. c'est-à-dire d'un français sans «impuretés» (anglicismes ou acadianismes),
dans un milieu unilingue français. Les inégalités linguistiques que l'école devait
contrer sont donc reproduites à l'intérieur même de la communauté acadienne : la
langue demeure un critère de sélection sociale. Le français standard est la langue du
pouvoir en Acadie et ce pouvoir est hégémonique.
Aujourd'hui I'école est, avec la famille, un milieu important de production d'êtres
ethniques acadiens. Les premières responsables de cette production sont les
femmes. À la maison, les femmes demeurent les premières responsables du soin et
de l'éducation des enfants. Elles sont toujours gardiennes de la langue et de la
culture. Ces femmes reconnaissent, par ailleurs. le pouvoir d'achat du bilinguisme,
et l'importance du français standard pour ce bilinguisme. Elles reconnaissent
également que le français standard est le seul registre qui garantit l'accès à la
scolarisation. Indépendamment de leur variété maternelle ou de leur classe sociale,
toutes travaillent donc à I'améliontion de leur langue et de celle de leurs enfants.
Ce travail se fait h s le quotidien de la relation mère-enfant. Le but de ce travail
maternel est toujours le rapprochement du français standard ou écrit et la
préparation à la scolarisation.
L'école acadienne continue également à poursuivre l'objectif de «favoriser chez les
élèves le développement et le maintien de l'identité personnelle, linguistique et
cuItureIle et le sentiment d'appartenance à la communauté francophone» (MENB
1999). L'école continue donc elle aussi à se vouloir gardienne de la langue et de la
culture. Or, comme les mères, l'école a un deuxième objectif: travailler à
<<l'amélioration de la qualité de la langue ; cette amélioration vise la
standardisation ».
Femme et enseignante, I'enseignante du primaire est située à l'intersection de
I'école et la famille, deux lieux responsables de la production d'êtres ethniques.
Cette conjonction est source de deux paradoxes que t'enseignante vit au quotidien.
D'un côté, elle est à la fois responsable de l'enseignement du français standard et du
dévetoppement, ou du maintien. du sentiment d'appartenance de l'enfant à la
communauté acadienne. Cette appartenance ne passe que rarement par le français
standard. Le deuxième paradoxe qui influence le quotidien de l'enseignante est la
féminisation de sa profession : elle doit à la fois agir de façon rnatemelle/naturelle
et professionnelle/inteiIectuelle.
Chantal et Gisèle gèrent le paradoxe de la mission de l'école minoritaire en faisant
une distinction entre la communication que les élèves ont avec elles
(individuellement ou en groupe classe), et la communication entre élèves, surtout en
ce qui a trait aux aires de jeu. Elles gèrent le paradoxe féminin en plaçant le naturel
comme trame du professionnel. Cette thèse suggère par contre, que par cette
gestion. les enseignantes participent à la reproduction de l'hégémonie du français
standard et d'inégalités internes à l'Acadie.
Les enseignantes du début du primaire participent à la normalisation de la langue et
de l'identité acadiennes. Comme les mères, ces femmes tmvailIent à l'enseignement
du français standard. L'élément identitaire acadien qu'est l'insécurité linguistique
sen la hiérarchisation sociale et linguistique et confêre une plus p d e légitimité au
français standard et à son pouvoir hégémonique, Ce pouvoir hégémonique est
important à la reproduction du pouvoir de la classe dirigeante acadienne et à la
production du marché unifié acadien.
L'hégémonie du français standard permet la création d'une vision commune d'un
monde dans lequel l'assimilation nous guette à tous les coins de rue, la «piètre
qualité>> de notre langue en est la preuve. L'insécurité linguistique qui en découle
est l'expression de cette peur et du désir pour le pouvoir symbolique que porte le
français standard. C'est ainsi que les mères aspirent au français standard pour leurs
enfants. Cette visée rend légitime la voix des dirigeants acadiens qui disent parler
au nom de toute la communauté lorsqu'ils exigent que leur langue et leur culture
soient celles de l'école. En effet, les auteurs de rapports et du guide pédagogique
expriment ce vœu pour la jeunesse acadienne lorsqu'ils placent le français standard
comme but ultime de la pédagogie du français (MENB 1988)' de la
conscientisation, de la remédiation et de l'enrichissement (Boucireau et al. 1996).
Tous veuient donner un accès égal au français standard, langue des connaissances,
langue du pouvoir symbolique. Ce souhait est inscrit dans les guides pédagogiques
et les directives du MENB, intégré à la formation de base et continue du personnel
enseignant et traduit en critère d'évaluation de l'enseignante et de l'élève.
L'accomplissement de ce désir est la responsabilité de l'enseignante.
Pour atteindre ce but de standardisation, la Comrnission szir le rendement en
frariçais au Nozwemc-Bninslvick (Boucireau et al. 1996) propose la relativité
linguistique ; on enseignera aux enfants que les registres s'équivalent. Alors que
cela est vni du point de vue aobjectif~ de la linguistique, les registres servent tous à
communiquer efficacement à l'intérieur de situations de communication complètes
et complexes, cette relativité sert à garder sous le silence la réalité sociale de la
hiérarchie linguistique. Cette hiérarchie confère au français standard un pouvoir
hégémonique.
La relativité linguistique permet également à l'école de continuer à dire qu'elle
valorise le français acadien, langue authentique de l'identité et de l'appartenance
des enfants, tout en lui niant une place à l'école. Ce relativisme donne à l'école le
rôle d'enseigner aux élèves le français standard qui sera la Iangue de choix dans
certaines situations de communication authentiques. Le rôle de l'école est
simplement d'élargir le répertoire linguistique de l'élève. Dans la gestion du
paradoxe linguistique (standard/appartenance), Chantal et Gisèle encouragent une
diglossie dialectale et pratiquent ainsi ce relativisme linguistique. Alors que cette
gestion semble être efficace (les enseignantes ne sont pas en conflit continuel) elle
fait violence tmt à ces femmes qu'aux enfants avec qui elles travaillent. Dans sa
gestion du paradoxe linguistique, l'enseignante se fait violence lorsqu'elle accepte
que sa compétence linguistique est insuffisante, donc soumise tant à
I'autorégulation qu'à une régulation externe.
L'enseignante fait violence aux élèves 1orsqu'eIle leur fait comprendre que leur
langue et leur identité ne sont pas légitimes. En fait. les pratiques pédagogiques qui
perpétuent le désir non critique pour la standardisation font violence à la population
acadienne. Les élèves reconnaissent, dès la première année, l'autorité de l'école et
de l'enseignante. Us reconnaissent également l'autorité du français «correct», langue
de l'école et de l'enseignante, et tentent d'y accéder. Ce désir mène à la dépréciation
des variétés linguistiques propres à l'identité des communautés acadiennes et
conséquemment de la valeur des communautés et des individus eux-mêmes. Très
jeunes, les enfants acadiens développent ainsi un désir pour le français standard et
le sentiment d'inefficacité qu'est l'insécurité linguistique. Cette violence
symbolique est d'autant plus insidieuse qu'elle est cachée demère la médiation au
quotidien que mènent des enseignantes bien intentionnées ; elles ne veulent autre
chose que le succès de tous les enfants.
With respect to the internalization of shame by parents and chitdren, the results of this psychological violence may be even more devastating since the violence is coven and the institutionalized racism is hidden behind the genuine efforts of wel 1-intentioned educators. These educators are themselves victims of the structure within which they operate since their professional goals of helping chitdren succeed are frustrated by factors beyond their control and of which they are often unaware (Cummins 1989 : 56-57).
Nous n'avons qu'à penser au sentiment de culpabilité des enseignantes qui ne
réussissent pas à répondre aux besoins de tous les enfants de leur classe. Cette
culpabilité est teIlement --de que les enseignantes cherchent à faire porter le
blâme par la famille. Comme le souligne Curnmins, la structure dans laquelle les
enseignantes vavaillent contribue à l'émergence de ce sentiment de culpabilité. Au
primaire, cette structure est féminisante.
Vingt à vingt-cinq heures par semaine, les enseignantes sont en compagnie du
même groupe d'enfants et ce, pour une période de dix mois. Vis-à-vis de ces
enfants, elles sont dans une relation d'aide qui fait appel au don de soi et à
l'empathie, des habiletés di tes féminines. Les enseignantes sont présentes non
seulement pour enseigner les matières scolaires, mais égaiement pour soigner un
genou blessé, calmer une peine, résoudre des conflits et partager les surprises et les
histoires des enfants de leur classe. De plus. la pédagogie centrée sur l'enfant. qui
prédomine au primaire, fait appel à I'habiieté (riiaturelle» des femmes d'être à
l'écoute des besoins des enfants et d'y répondre par l'aménagement de la classe, de
l'horaire ou des activités. Si l'enseignante réussit à créer ce milieu propice i
I'apprentissap. les enfants apprennent d'eux-mêmes. Puisque ceci devrait être
naturel pour la femme, la féminité des enseignantes qui n'y arrivent pas est atteinte.
Puisque cet état de femme explique la légitimité de la présence des enseignantes en
salle de classe et dans la société, cet échec diminue ces femmes dans le centre
même de leur être. Elles se remettent donc en question et risquent de redoubler
d'efforts dans la normalisation des enfants. L'insuccès de l'élève devient l'insuccès
de l'enseignante. Par leur gestion du paradoxe féminin, Gisèle et Chantal se font
donc violence. Elles font égaiement violence aux enfants.
La gestion de ce paradoxe par la pédagogie centrée sur l'enfant rend anormal tout
enfant qui n'apprend par .nomiaiement>>. À l'intérieur de cette pédagogie. les
enseignantes travaillent à la normalisation des comportements des enfants. Ce
travail s'effectue par le biais d'une pédagogie coercitive. Tous les enfants acadiens
doivent devenir de bons élèves, polis, gentils et vaillants qui parlent le français
standard. Ces deux aspects de l'identité de l'élève, langue et comportements,
servent à sélectionner les bons et les mauvais élèves. Les mauvais élèves, ces
enfants anormaux, sont soit cibles de plans de gestion du comportement ou référés à
I'orthopédagogue pour un enseignement correctif. Par leur médiation au quotidien
de la vie scolaire des enfants, les enseignantes produisent et reproduisent donc des
divisions sociales qui favorisent la classe dirigeante en Acadie.
Quelles sont les solutions possibles à une telle problématique ? Je suggère qu'il
faiile confronter ces paradoxes. Dans le cas du paradoxe langue authentiquellangue
autorisée, une façon de le faire serait d'en faire le centre d'une pédagogie menée
avec Ies enfants. Pour ce qui est du paradoxe féminin, cet affrontement devrait
mener au refus de la féminisation en faveur de la professionnalisation. Assumer son
savoir professionnei, son intellect et en faire le moteur de ses interactions avec les
enfants. Cette reprise du pouvoir professionnel mèneraà une plus grande
humanisation de l'enseignante, de l'élève et de la relation enseignante/élève.
Il ne suffit pas, par contre, de mettre à jour l'hégémonie du français standard et ses
effets sur la vie de l'enseignante et celles des élèves. Une telle approche risque soit
de créer une dévalorisation de cette langue sans ajouter à la valeur des autres
variétés, soit au-menter le désir pour cette langue, source, avec la langue anglaise,
de tout pouvoir. II est essentiel de trouver un moyen de démontrer que la hiérarchie
actuel le appauvrit non seulement les plus minorisés, mais également les dominants
de la communauté acadienne. Sans une telle compréhension, pourquoi les
dominants travailleraient-ils à l'enrichissement symbolique des autres ? De plus,
queIle raison motiverait les plus dominés de notre société à vouloir former une
communauté avec les gens qui profitent actuellement de leur assujettissement ?
À l'instar de Curnrnins (1992)' je crois qu'il faut également revoir notre conception
du pouvoir. Selon cet auteur, nous devons passer de relations de pouvoir coercitives
ri des relations collaboratrices. ies relations coercitives reproduisent une conception
vouIant qu'il existe une quantité fixe de pouvoir, il devient donc important de lutter
pour sa part du gâteau. De leur côté, les relations collabo~trices fonctionnent selon
la conception d'un pouvoir généré à l'intérieur des relations interpersonnelles et
intercommunautaires. L'hégémonie du français standard est issue du concept d'un
pouvoir limité : ce sont les locuteurs de ce français qui ont gagné la lutte du
pouvoir.
Il est également faux de croire que l*école à elle seule pourra changer la culture
partagée d'une société. Les pères interviewés l'ont confirmé, les milieux politique
et de travail jouent également un rôle important dans la valorisation d'une forme
linguistique plutôt qu'une autre. ii n'est donc pas réaliste de demander aux
enseignantes d'ignorer les réalités sociales et le pouvoir du français standard dans la
vie présente et future de leurs élèves. Les enseignantes ne peuvent pas simplement
accepter que ce ne sont pas tous les enfants qui apprendront le standard^ (Péronnet
cité dans D' Astous 1994 : 5). Il faudra également rendre explicite pourquoi il est
difficile pour certaines personnes d'apprendre le français standard alors que d'autres
peuvent passer d'un registre à l'autre sans difficulté. De plus, les élèves doivent
comprendre que ce standard est la langue des livres et la raison qui justifie ce choix,
que cette langue est utilisée dans les textes et dans les échanges parce qu'elle est la
langue de ceux qui ont le contrôle de ces marchés. ii n'est pas uniquement question
du besoin d'une langue que tous pourraient comprendre. Parallèlement, il n'est pas
question d'utiliser la seule langue apte à communiquer des pensées comptexes avec
précision et clarté. Ix choix de registre à investir de pouvoir est régi par la minorité
dominante de la francophonie. Ii est également important de voir avec les élèves
quels sont les effets de ce choix sur diverses populations ainsi que sur leur
communauté. Cela permettra de voir la place que l'insécurité linguistique occupe
dans la reproduction de l'hégémonie du français standard.
L'insécurité linguistique limite l'accès au savoir: elle diminue le sentiment de
compétence, et conséquemment la motivation à lire un texte issu de la francophonie
internationale. C'est ainsi que même des enseignantes préferent lire un roman écrit
en anglais : C e s t plus facile», dit une enseignante de mon district actuel. Une
étudiante au baccalauréat, rencontrée lors d'un séjour à l'université de Moncton,
s'insurge de son côté contre un professeur qui exige la lecture d'un article publié en
France, le vocabulaire étant trop difficile. L'insécurité linguistique ferme donc la
porte à un monde de connaissances.
Il s'avère donc important que la pédagogie proposée ici ne devienne pas une
justification pour le refus de textes venus de l'extérieur. Ces textes sont des
représentations de cultures qu'il est important de comprendre d'un œil critique. Ce
n'est pas un nombrilisme qui est proposé, mais bien une litténtie qui commence par
une compréhension de sa condition sociale et politique. Une telle compréhension
permettra la production - plutôt que la reproduction - d'une culture partagée
acadienne qui ne fait violence à aucune section de la population qu'elle habite.
Giroux et Simon (1989) précise qu'il faille concevoir de la vie de tous les jours
comme base d'une pédagogie libératrice. Afin d'aller chercher ce qui préoccupe
réellement les enfants, Morenon et Morenon (1999) soutiennent également que
<mous devons proposer aux enfants leur condition présente tout à la fois comme une
solution et comme un défi qui exige une réponse par l'action et la réflexion». De
son côté, Walsh (1991) démontre comment on peut intéresser de jeunes adolescents
et adolescentes à l'écriture lorsqu'on est prêt à partir de leur vécu et à utiliser leur
langue. Or. ces expériences de «pédagogie critique» se font généralement au niveau
secondaire. En Acadie, le débat entourant l'utilisation d'un chiac anglicisé en classe
de français, pour l'effet de style par exemple, est d'actuaiité au secondaire. Dans
cette thèse, par contre. il est question de l'enseignement au primaire ; en première
année. lorsque les enfants ne savent pas encore lire et écrire de façon autonome,
même s'ils savent déjà qu'ils et elles <~>arlent mal», comment rendre problématique
le pouvoir du français standard? Puisque c'est par la médiation au quotidien du
vécu de l'enfant que l'enseignante produit et reproduit des êtres ethniques, il
importe de regarder de ce côté pour une solution propre au milieu primaire.
La pédagogie proposée devra donc continuer à situer l'enseignement de la langue
dans le quotidien ; puisque celle-ci est l'outil de médiation des connaissances, il
faudra continuer à «faire du langage partout». Cette pédagogie devra également
faire état du comment faire ainsi que du contenu étudié. Actuellement, ces deux
questions ne se rencontrent pas dans la pédagogie proposée pour l'apprentissage de
Ia lecture et de l'écriture chez Ies débutants. Puisque c'est en début de scolarisation
que plusieurs élèves apprennent, comme le suggère cette thèse, à nier leur langue, i l
est important que ce jumelage n'attende pas que les élèves sachent lire leurs sons et
calligraphier leurs lettres.
À l'instar de Cumrnins (1989: 70), je suggère qu'une pédagogie
interactive/experientelle ou habilitante (empowenng) offre des pistes intéressantes.
Cette pédagogie exige de l'enseignante qu'elle adopte :
I une orientation « additive » à la culture et langue de l'élève de sorte que les
expériences de l'élève avec sa langue première [ou vernaculaire maternelle]
puissent être partagées plutôt que supprimées en classe ;
une ouverture à collaborer avec tes ressources humaines de la communauté qui
peuvent aider les élèves et enseignantes à comprendre différentes traditions
cultureIles, religieuses et linguistiques [y inclus leur façon particulière
d'appréhender le monde et le savoir] ;
une volonté à encourager l'utilisation active de l'écrit et de l'oral afin que les
élèves puissent développer leurs habiletés linguistiques et de littératie tout en
partageant leurs expériences et prises de conscience avec leurs pairs et les
aduttes qui les accompagnent ;
une orientation à l'évaluation qui prend comme point de départ l'interaction que
les élèves vivent avec le système scolaire et les moyens pour y remédier au
besoin.
Suivant l'exemple de la pédagogie basée sur un modèle de différence (et non de
déficience) culturelle (Heller et Barker 1988)' j'ajouterais que l'enseignante adopte
une croyance que ce que l'enfant dit a du sens. Ce serait alors à l'enseignante de
chercher à comprendre le message de l'enfant (cf. Gee 1991). Cette pédagogie de la
différence s'inspire de I 'ethn~~aphie de la communication (cf. Heath 1982).
Ces principes de base sont d'une importance primordiale puisque sans leur
adoption, la pédagogie proposée peut devenir un autre outil de reproduction plutôt
que de production. En première année, l'enseignante exerce beaucoup de pouvoir
dans la décision de ce qui est important pour ses élèves - elle doit être à l'écoute
des enfants si elle ne veut pas influencer a priori leur engagement dans un projet
plutôt qu'un autre. Elle devra égaiement trouver un moyen pour s'assurer que tous
les enfants ont un mot à dire dans la définition de ce qui est important. La majorité
des filles des deux classes obsenrées ont appris la passivité, par exemple. avant leur
entrée à l'école. Pour ce faire, l'enseignante devra affronter le paradoxe féminin et
refuser le principe voulant que &pondre aux besoins des enfants m est l'apport
«naturel» de la femme. Poursuivre un tel objectif demande un engagement
inteIlectue1 dans la négociation du sens avec tous les enfants.
Sui vant les principes énoncés par Cummins (1 989), je propose qu'il faille partir de
l'écriture du monde de l'enfant plutôt que de la lecture du monde écrit par autrui.
Cela est d'autant plus vrai qu'en Acadie nous ne sommes pas devant une situation
de rencontre de deux langues en sdle de classe, comme c'est le cas des situations
décrites par Cummins, mais bien de différentes variétés de la même langue.
L'écriture permet de partir des préoccupations des enfants de la première année et
de provoquer la discussion de ces différences, différences qui sont anéanties par le
processus de publication industrialisé : une auteure d'un matériel pédagogique me
dit qu'et le devait se soumettre aux normes lexicales de son éditeur si elle désirait
que son matériel soit publié. L'écriture permet également aux enfants d'écrire leur
monde.
Ci-dessous, je propose une tentative de démarche - elle n'a jamais été l'objet d'une
expérimentation - de cette pédagogie collaboratrice qui part d'une situation
d'écriture collective. Parallèlement à ces sessions collective, les élèves travaillent
seuls - en début d'année il est difficile de demander que les élèves écrivent en
coopération - sur leurs écrits (dessins.. .), mais sont assis en petits groupes. C'est ce
que je nomme des ((ateliers d'écriture». Cela permet l'échange avec d'autres. En
situation collective, les éièves sont assis avec l'enseignante. Cette dernière prend le
rôle de scripteure, d'accompagnatrice et de médiatrice.
À la rentrée de la récréation, il n'est pas rare que plusieurs enfants de la première année racontent à leur enseignante ce qui s'y est passé. Ces «histoires» peuvent former Ia base de l'écriture collective. LAI difficulté ici est de choisir un thème qui invite tous les enfants à raconter leur vie. R est important de comprendre qu'il n'est pas possible de raconter la vie de tous les enfants dans une seule session. LI faut donc choisir les enfants qui parleront. 1 est possible par contre de faire suivre cette session collective d'un atelier d'écriture. Tout enfant qui le désire pourra alors raconter son histoire.
Lorsqu'un enfant, ou plusieurs en coopération, racontent leur vécu, l'enseignante écrit l'histoire dans les mots de l'enfant. 11 est possible d'écrire en langue écrite plutôt qu'en langue parlée (cette affaire-là, plutôt que c't affaire là) et de substituer, avec les enfants, certains pronoms pour les prénoms appropriés. Ces deux changements permettent, lors de la relecture, de cibler des mots pour l'apprentissage du décodage tel que défini ci-dessus et discuter de la différence entre la langue parlée et la langue écrite.
Puisqu'en Acadie, les enfants apprennent très tôt à corriger leur langue, je m'attendrais à ce que ces autocorrections soit imbriquées dans les histoires des élèves. L'enseignante écrit ces reprises, elles seront discutées suite à l'écriture du texte. Cette discussion porten sur le choix du mot ou de l'expression. L'enseignante profitera également de la situation pour parler de la provenance des mots utilisés. Lorsqu'il s'agit de mots anglais, en profiter pour parler de la situation de contact que vivent les élèves, et du pouvoir de l'anglais.
Puisqu'en Acadie les classes sont hétérogènes du point de vue des variétés linguistiques - dans certains cas plus que d'autres comme l'avait souligné Gisèle -je m'attends à ce que certains enfants contestent la langue utilisée par d'autres. L'enseignante pourra alors interagir avec les élèves sur la raison du changement proposé dans le but de porter un regard critique sur ce que les
élèves considèrent du bon français. Ce regard devra mener à la conscientisation du pouvoir hégémonique du français standard.
La journée suivant l'écriture du texte collectif, I'enseignante et les élèves en font la relecture dans le but de cibler des apprentissages liés au décodage (syllabation, globalisation, prédiction.. .).
II va de soi que cette démarche demande d'être développée davantage et mise à
l'essai. En fait, ce n'est que par l'essai avec des enfants qu'une pédagogie centrée
sur leurs besoins peut réellement être développée. De plus, dors que de grandes
lignes peuvent ressortir du travail avec un ou plusieurs groupes d'élèves, il sen
toujours nécessaire pour l'enseignante de reconstruire son enseignement en
collaboration avec chaque nouveau groupe d'enfants. 11 s'avère donc nécessaire de
trouver des moyens pour faciliter ce travail. Un de ces moyens serait le
développement d'outils d'analyse des histoires des enfants afin d'en faciliter la
compréhension et l'échafaudage par l'enseignante.
Mot de Ia fin
Finalement, I'enseignante qui choisit de défier le français standard aura besoin de se
trouver un soutien non seulement affectif, mais égaiement intellectuel qui lui
permettra de continuer à mettre en doute tant sa pédagogie que l'hiérarchie
linguistique. La culture d u personnel enseignant est forte. Tellement qu'elle rend
difficile l'imposition d'un changement venu de l'institution qui les embauche
(gestuelle, calligraphie) et le choix individuel de faire autrement (regroupements
muIti-âges). La pédagogie proposée ci-dessus remet en question le centre même où
se rencontrent la culture de I'enseignante, de l'institution et de la communauté. Ln
résistance sera ,onnde.
L'enseignante devra refuser la définition de son travail comme travail de femme,
c'est-à-dire comme travail qui relève du don maternel ou naturel de la femme. Elle
devra reconnaître le côté intellectuel de son travail, accepter de savoir et assumer ce
savoir. Elle d e m également remettre en question son rôle de gardienne de Ia norme
linguistique et comportementale de sa communauté et reconnaître la grandeur des
petites choses qu'elle fait au quotidien.
La résistance risque donc non seulement de venir de l'extérieur, mais également de
soi. La culture partagée opère de sorte à créer le désir de la norme. Ainsi, une
personne désireuse de changer cette structure doit continuellement résister à cette
visée. En fait, la difficulté de la remise en question et de la prise de position qu'a
demandé l'écriture de cette thèse a été accentuée par ma participation dans la
culture de l'institution scolaire. Suite à une journée de suppléance dms une des
classes de la première année à Mernrarncook par exemple, j'écris :
Notes 5 octobre
J'ai trouvé au début de la journée, que la classe était extrêmement difficile à contrôler. Même si je me demandais pourquoi je sentais ce besoin incroyable de contrôler la classe, c'était plus fort que moi, il fallait que les élèves restent assis, i l fallait qu'ils écoutent, i l fallait qu'ils soient de bons écoliers.
De plus, mon poste d'agent pédagogique responsable du français exige que
j'exécute les désirs de mon ministère : je dois m'assurer que tous utilisent le
matériel approprié et valorisent le recours au français standard comme seule langue
de communication en salle de classe. En plus, toute discussion entourant
l'enseignement de la langue, l'embauche de nouveau personnel et l'évaluation des
élèves ramène à la surface la primauté du français standard. Puisqu'il n'existe que
peu d'interlocuteurs avec qui construire et articuler une nouvelle vision du monde,
penser autrement a été difficile. Sans cette articulation, comment remettre en cause
la structure actuelle ?
Ce n'est que par la mise en doute de la smcture actuelle et de la place qu'y occupe
le français standard que les enseignantes pourront prendre une place dans la salle de
classe qui soit non violente. Par ce questionnement, ces femmes occuperont
également une position de productrices de connaissances plutôt qu'uniquement de
vaisseaux, de reproductrices des connaissances reçues, inséminées par d'autres.
Puisque les enseignantes la vivront avec les enfants, dans une pédagogie habilitante,
cette remise en question mènera à une plus grande humanisation de tous. Femmes
et enfants négocieront ainsi leur humanité en devenir (Freire 1993)' parce qu'ils
commenceront à reconnaître leur état commun d'être humain plutôt que leurs
différences linguistiques et culturelles. Ces différences sont à la base de
I'intolérance et de la violence symbolique de la normalisation ou de la
standardisation. La standardisation n'est autre chose que le changement de l'Autre
différent en l'Autre pareil à Nous.
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