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INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS
THEOLOGICUM – FACULTE DE THEOLOGIE ET DE SCIENCES
RELIGIEUSES
INSTITUT SUPERIEUR DE PASTORALE CATECHETIQUE
Marie-Pierre CHASSAIGNE
Les congrégations enseignantes
au défi de la transmission de leur charisme.
Des pistes pour favoriser la mise en œuvre de la dynamique
charismatique
dans les établissements sous tutelle congréganiste.
Mémoire présenté au jury des licences canoniques
en vue de l’obtention de la licence canonique de théologie
(Master de recherche).
Spécialisation en théologie catéchétique et pratique
Directeur de recherche Monsieur François MOOG
Octobre 2014
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Sommaire
Introduction ………………………………………………………………………. p. 3
1ère partie : Quels charismes pour quelles communautés ?
……………………. p. 8
1 – Des charismes, qu’est-ce à dire ? ……………………………………… p. 9
2 – Des charismes pour quelles communautés ? ………………………....... p.
24
2ème partie : Une manière de penser la structuration de
l’identité chrétienne . p. 32
1 – Changer de référentiel pour penser le rapport de l’homme à
Dieu…… p. 33
2 – Les sacrements dans le réseau de la foi ecclésiale……………………..
p. 43
3 – Les sacrements institués et instituants ………………………………… p.
51
3ème partie : Des communautés façonnées par un charisme ……………………
p.57
1 – Deux exemples de structuration de l’identité de la
communauté religieuse…………………………………………………... p. 58
2 – Les médiations structurantes de la communauté
éducative……………. p. 62 3 – Favoriser la mise en œuvre de a dynamique
charismatique …………… p. 69 dans la communauté éducative
Conclusion …………………………………………………………………..……. p. 76
Bibliographie …………………………………………………………………….. p. 79
Table des illustrations …………………………………………………………… p. 81
Table des matières ………………………………………………………….……. p. 82
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Introduction
Depuis des siècles, des religieux et religieuses se sont
largement investis dans le domaine de
l’éducation. Si les écoles monastiques du Moyen Age
instruisaient l’élite de la société, le
mouvement de la Réforme a fait naître la volonté d’instruire
massivement le peuple : pour
être sauvé, il faut connaître les vérités nécessaires au salut.
Les congrégations religieuses
fondées à l’époque se sont trouvées en première ligne pour mener
à bien cette tâche. Aux
rudiments d’éducation religieuse sont bientôt venus s’adjoindre
d’autres enseignements :
lecture, écriture, calcul… Les besoins étaient grands, et de
nombreuses familles religieuses
virent le jour pour accomplir cette mission. Peu à peu, dans le
sillage de leurs fondateurs,
les unes et les autres ont forgé leur propre tradition éducative
et ont été à l’origine
d’innovations qui ont parfois eu des répercussions importantes
sur la société de l’époque.
C’est le cas, par exemple, de l’apport décisif des congrégations
féminines à l’éducation des
filles à partir du 17ème siècle : la proposition éducative
structurée qu’elles ont créée a été
ensuite imitée par nombre d’écoles laïques.
Au début du 20ème siècle, en France, les lois de séparation de
l’Eglise et de l’Etat auraient pu
porter un coup d’arrêt au déploiement de cette incroyable
créativité au service de la
croissance des jeunes. Ce ne fut pas le cas. Les besoins étaient
trop grands. On ne pouvait se
passer des services des Jésuites, Ursulines, Lassalliens,
Salésiens et Salésiennes,
Marianistes, Maristes, Chanoinesses de Saint Augustin, frères de
Ploërmel, sœurs de St
Joseph, frères de Saint Gabriel et quantité d’autres religieux
et religieuses qui avaient voué
leur vie à Jésus-Christ pour le service de l’éducation de la
jeunesse.
Mais en ce début du 21ème siècle, l’engagement des congrégations
religieuses dans
l’Enseignement catholique français ne va plus de soi. Leur «
poids » est pourtant loin d’être
négligeable. Si on s’intéresse aux chiffres, en 2013-2014, 600
000 enfants et jeunes sur les
2 042 500 élèves que compte l’Enseignement catholique étaient
répartis dans les quelques
2200 unités pédagogiques sous tutelle congréganiste. A l’échelle
de l’Enseignement
catholique en France, ceci représente 17 % des établissements du
premier degré et 38 % des
établissements du second degré1. En outre, au-delà des
statistiques, les instituts religieux,
1 Les chiffres clés de l’Enseignement catholique 2013-2014,
encart dans Enseignement Catholique Actualités, n° 359,
février-mars 2014
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riches de leurs traditions éducatives, représentent une
véritable force de proposition pour
l’Enseignement catholique, et même pour l’école en général en
matière d’innovations
pédagogiques et éducatives. Cependant, l’effondrement
démographique et le vieillissement
dû à la pénurie de candidats à la vie religieuse apostolique
féminine comme masculine
changent la donne. Il devient souvent impossible, ou très
difficile, d’assurer la présence que
les religieux avaient naguère dans les établissements scolaires.
Pères, sœurs et frères ont le
plus souvent laissé les postes de direction à des laïcs. Peu
travaillent dans les établissements
en tant que personnel OGEC et les règles administratives
régissant le recrutement et la
mobilité du personnel enseignant rendent l’accession d’un
religieux à un poste de
professeur dans un établissement de sa congrégation parfois bien
compliquée.
Si certains réseaux congréganistes ont encore les forces
suffisantes pour satisfaire aux
compétences et à l’énergie que requiert l’exercice de la
tutelle, cet investissement est parfois
bien difficile pour des congrégations plus petites, faute de
personnel disponible et/ou formé
pour ce faire. Dans d’autres cas, du fait de réorganisations à
l’intérieur de l’institut, le
supérieur majeur ou la supérieure majeure vient d’un pays
lointain et peine à se familiariser
avec la complexité de l’Enseignement catholique français. Pour
certains, la dévolution de
tutelle au diocèse, ou éventuellement à une autre congrégation,
a semblé la seule issue. Pour
d’autres instituts, le manque de religieux a conduit à porter la
mission avec des laïcs de plus
en plus nombreux, qui désormais occupent non seulement les
postes de directeur, mais aussi
ceux de délégué de tutelle, de responsable de centre de
formation congréganiste, etc…
Cette situation a poussé les congrégations à travailler
davantage ensemble. Ainsi est née, en
2006, sous la responsabilité des Supérieurs Majeurs et
Supérieures Majeures de France, à
l’initiative de l’Union des Frères Enseignants, l’Union des
Réseaux Congréganistes dans
l’Enseignement catholique. « Cette union signifie comment la vie
religieuse est partie
prenante du projet de l’Enseignement catholique comme lieu de
mission pour aujourd’hui.
Assumant la tutelle de nombreux établissements, les
congrégations, fidèles à leur inspiration
fondatrice, s’unissent pour un meilleur service de la vie de
l’Enseignement catholique2.»
L’URCEC est un lieu de soutien mutuel, un lieu où il est
possible de réfléchir ensemble,
d’inventer des réponses aux défis que fait surgir la
participation des congrégations à la
mission éducative de l’Eglise aujourd’hui, avec la richesse de
leur charisme et de leur
tradition éducative d’une part, mais d’autre part, pour
beaucoup, la pauvreté de leurs moyens.
2 Statuts de l’URCEC, 2006, modifiés en 2008, in
http://www.urcec.org consultés le 15 décembre 2012
http://www.urcec.org/
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Car des questions se posent. En effet, comment va se jouer la
fidélité au charisme des
fondateurs, des fondatrices, alors que les religieux, les
religieuses ne sont pas, ou si peu,
présents dans les communautés éducatives ? De quelle manière
former les laïcs en
responsabilité pour pérenniser le charisme ? Comment garder vive
la flamme des fondateurs,
des fondatrices ? Comment ne pas laisser se perdre la richesse
de traditions éducatives
forgées au fil des siècles ? Quels moyens se donner pour que le
service de tutelle et
l’accompagnement des personnes, et des communautés éducatives,
soit effectivement
assurés ?
Toutes ces questions posées aux congrégations elles-mêmes ont,
en outre, un écho dans
l’Enseignement catholique français, et plus spécialement auprès
des évêques qui, chacun
dans son diocèse, portent la responsabilité de la mission
éducative de l’Eglise. Les autorités
de tutelle congréganiste sont-elles vraiment en mesure d’assurer
le service pour lequel elles
sont mandatées ? Quelle reconnaissance accorder aux laïcs qui
ont reçu délégation des
autorités de tutelle congréganiste ? Dans la situation actuelle,
où les religieuses et les
religieux ne sont guère présents sur le terrain, quel va être
l’apport spécifique des
congrégations à la mission de l’Enseignement catholique ? En
outre, on peine parfois à tenir
ensemble l’inscription territoriale des établissements (avec les
orientations diocésaines) et
leur appartenance à un réseau congréganiste (avec des projets
propres au réseau).
L’articulation de la responsabilité tutélaire des supérieurs
majeurs avec la responsabilité de
l’évêque (et de son délégué épiscopal) dans l’ensemble des
établissements du diocèse peut,
dans certains cas, s’avérer délicate. Un doute s’est insinué.
Les tutelles congréganistes sont-
elles en mesure d’assurer le service qui leur est confié ? En
l’absence de religieux et de
religieuses, les établissements congréganistes apportent-ils
véritablement une contribution
spécifique à la mission éducative de l’Eglise ? Le charisme des
fondateurs et des fondatrices
peut-il être mis en œuvre par les laïcs qui ont la
responsabilité des établissements ? Les
débats qui ont animé les différentes étapes de rédaction du
nouveau Statut de l’Enseignement
catholique en France ont témoigné de ces hésitations. Derrière
ce questionnement, nous
avons repéré un flou lexical. Diverses expressions sont
employées : « inspiration
fondatrice3 », tradition éducative, esprit, spiritualité des
fondateurs, patrimoine des instituts,
etc... Mais, de quoi parle-t-on lorsqu’on utilise le mot «
charisme » dans les réseaux
congréganistes, et plus généralement dans l’Enseignement
catholique ? Quelle manière de
parler du charisme des instituts religieux va nous permettre de
résoudre les questions
3 Cf. Ibid.
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concernant d’une part l’articulation entre la responsabilité
tutélaire des supérieurs majeurs
et l’autorité de l’évêque, d’autre part la possibilité pour les
laïcs en responsabilité, dans les
communautés éducatives, de mettre en œuvre le charisme des
instituts alors qu’il n’y a pas
ou peu de religieux travaillant avec eux ?
Pour répondre à cette question nous avons d’abord cherché à
clarifier le sens du mot
« charisme ». Des charismes reçus par les chrétiens des
premières communautés au charisme
des fondateurs et des fondatrices de congrégations religieuses,
notre recherche nous a
conduits d’abord à la lecture des chapitres 12 à 14 de la lettre
aux Corinthiens, puis des textes
du magistère récent : Lumen Gentium 12, Perfectae caritatis,
Evangelica testificatio, Vita
consecrata. Nous avons alors mis en évidence deux perspectives
différentes. L’une envisage
le charisme comme une grâce objective, reçue de Dieu, transmise
par des intermédiaires.
L’autre invite à porter l’insistance non sur le don lui-même,
mais plutôt sur sa mise en œuvre
et sur sa fonction structurante pour la communauté.
Par ailleurs nous nous sommes interrogés sur la communauté
éducative. En effet, les
enseignants, les éducateurs qui rejoignent l’Enseignement
catholique aujourd’hui ont des
motivations des plus diverses, sans parler des personnels
administratifs ou de service. Si
certains y viennent au nom de leur foi, d’autres arrivent « par
hasard », sans choix véritable,
au gré du déménagement, ou autres opportunités de rapprochement
du domicile familial, du
conjoint, ou, simplement, de poste disponible. Beaucoup ne sont
pas catholiques, parfois ils
sont pratiquants d’une autre religion. En revanche, le chef
d’établissement lui, reçoit mission
de l’Eglise. Aussi, nous avons cherché à comprendre comment,
dans son hétérogénéité, la
communauté éducative pouvait donner vie au charisme de la
congrégation, c’est-à-dire, en
fait, prendre part à sa mission. Pour le dire autrement, nous
avons voulu vérifier que la
communauté éducative est une communauté ecclésiale, comme l’est
une communauté
religieuse. L’ouvrage de François Moog, « A quoi sert l’Ecole
Catholique ?», nous a permis
d’étayer notre recherche. La possibilité pour la communauté
éducative d’être sujet de la
mission ecclésiale confirmée, nous devions aller plus loin.
Le charisme manifeste l’action du Christ, par l’Esprit dans la
personne du fondateur, de la
fondatrice, il prend forme dans une communauté religieuse
donnée, par des manières de
vivre, de gouverner, de prier. Comment va-t-il alors structurer
une communauté éducative ?
Nous avons cherché un outil qui permette de comprendre comment
un charisme prend corps
dans une communauté, comment il la structure, comment il lui
donne une identité propre.
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7
Pour cela nous avons eu recours au travail de Louis-Marie
Chauvet. Dans son ouvrage
« Symbole et sacrement », en repensant tout le champ théologique
selon une dimension
sacramentelle, il a proposé un modèle de structuration de
l’identité chrétienne et montré que
ce processus, qui manifeste l’action du Christ dans son Eglise,
est toujours médiatisé.
L’exposé du modèle établi par Louis-Marie Chauvet nous conduit à
la thèse suivante. Si la
présence agissante du Christ, par l’Esprit, structure l’identité
et la mission d’une
communauté religieuse de la même manière qu’elle a structuré
l’identité du fondateur, de la
fondatrice, à travers un certain nombre de médiations, alors il
est possible de repérer et de
mettre en œuvre des médiations dans la communauté éducative qui
permettent la
structuration de son identité et de sa mission à la manière de
tel fondateur ou fondatrice.
Au cours de la lecture du nouveau Statut de l’Enseignement
catholique en France, que nous
appellerons « Statut » par simplification, nous avons mis en
évidence les médiations qui
permettent la structuration de la communauté éducative. Il reste
alors à vérifie que, dans les
conditions actuelles de l’exercice de la tutelle, ces médiations
fonctionnent effectivement.
Notre étude se présente en trois parties.
La première comprend deux volets. Il s’agit, tout d’abord, de
clarifier la notion de
« charisme ». Dans un second temps, nous cherchons à vérifier
que, malgré son
hétérogénéité, la communauté éducative peut être pensée de
manière unifiée, en mesure de
partager la mission d’une communauté religieuse, mettant en
œuvre, avec elle, le charisme
du fondateur, de la fondatrice.
La deuxième partie présente la réflexion de Louis-Marie Chauvet
dans « Symbole et
Sacrement » en vue d’élaborer un outil pour penser la
structuration de l’identité et de la
mission d’une communauté chrétienne.
Dans la troisième partie, nous vérifions le fonctionnement de
cet outil pour la structuration
de l’identité et de la mission d’une communauté religieuse.
Ensuite, nous mettons en
évidence les médiations à l’œuvre dans une communauté éducative.
Enfin, nous explorons
la possibilité de leur mise en œuvre dans le contexte actuel de
l’exercice de la tutelle
congréganiste.
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1èrepartie :
Quels charismes pour quelles communautés ?
Au cours des siècles, les congrégations religieuses enseignantes
ont largement contribué à
la mission d’éducation de l’Eglise. Aujourd’hui, leur fragilité
démographique les conduit à
s’interroger (ou à être interrogées - plus ou moins
explicitement - par les évêques) sur leur
possibilité de pérenniser leur contribution originale à
l’Enseignement catholique. Par
ailleurs, nombreuses sont les communautés éducatives qui
souhaitent vivre leur mission,
façonnées par le charisme d’une congrégation. Cela est-il encore
possible lorsqu’il ne reste
que peu ou plus de religieux dans la communauté éducative ? De
quelle manière peut-on
envisager un exercice de la tutelle qui permette de faire vivre
le charisme ? Peut-on parler
de transmission ? A quelles conditions ?
Lorsqu’on écoute des religieux et des laïcs qui collaborent avec
eux dans la mission, à
propos de leur spécificité qu’ils désirent transmettre dans les
établissements scolaires dont
ils ont la responsabilité, ils utilisent fréquemment le terme «
charisme », mais ils parlent
aussi d’un « don », de « l’esprit de la congrégation », d’ « une
spiritualité spécifique »,
d’un « enracinement », de « l’idée des premières [sœurs] et du
fondateur », de « manière de
vivre », d’ « esprit fondateur », d’ « esprit de fondation », d’
« esprit d’origine », d’ « une
approche de l’Evangile qui était importante dans l’Eglise de
Dieu et que la congrégation est
chargée de porter ou encore, de « style », de « tonalités qui
découlent de notre spiritualité »,
d’ « une espèce de coloration générale », de « teinte », d’un «
air , d’une marque de famille »,
d’une « tradition éducative ». Bref, l’acception du terme manque
pour le moins de clarté.
Aussi, si nous voulons avancer, nous devons tenter de préciser
ce qu’est un charisme, de
clarifier le sens de ce mot lorsqu’on l’utilise à propos des
congrégations enseignantes. Ce
sera l’objet du premier volet de cette partie.
Le second volet portera sur la communauté éducative. Nous
chercherons à vérifier si, dans
sa diversité et son caractère temporaire, elle est bien en
mesure de recevoir l’héritage que
les congrégations veulent lui transmettre.
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1 – Des charismes, qu’est-ce à dire ?
Notre propos est de clarifier ce qu’est un charisme, et de
préciser l’emploi de ce terme pour
la vie religieuse et sa mission. Nous procéderons en quatre
temps. Pour commencer, nous
lirons les chapitres 12 à 14 de la première épître aux
Corinthiens dans lesquels, face aux
dissensions qui affectent la communauté de Corinthe, Paul
explicite la manière dont Dieu,
par le don de l’Esprit Saint, prodigue sa grâce, pour le bien de
tous et le service d’édification
de la communauté. Cela nous permettra d’élaborer une première
définition des charismes.
Nous verrons ensuite comment cette perspective paulinienne a été
estompée pendant
plusieurs siècles. Puis, nous poursuivrons notre travail de
clarification grâce au n° 12 de
Lumen Gentium où les Pères, retournant à la source de la
primitive Eglise, renouvellent la
théologie des charismes. Dans un quatrième temps, nous
regarderons comment ce terme a
été utilisé à propos de la vie religieuse dans les textes du
magistère en veillant aux
perspectives que cela ouvre pour la suite de notre travail.
1 -1- Chacun reçoit la grâce de l’Esprit pour le bien du corps
entier - Une lecture de 1 Co 12-14
Présent 17 fois4 dans le Nouveau Testament5, dont 16 fois dans
les écrits de Paul, le terme
charisma se trouve à 5 reprises dans les chapitres 12 à 14 de la
première épitre aux
Corinthiens. Ce texte est un de plus cités par le Concile
Vatican II lorsqu’il parle des
charismes6. Il s’agit certes d’un écrit de circonstance pour
remédier au désordre des
assemblées de la communauté de Corinthe. Mais c’est aussi
l’occasion pour Paul d’expliciter
le mystère célébré : mystère de la communion dans le Christ
Jésus. C’est dans ce cadre qu’il
éclaire les Corinthiens sur les dons de l’Esprit et l’usage
qu’il faut en faire.
Les 3 versets d’introduction de cette péricope invitent au
discernement.
« Au sujet des dons de l’Esprit, je ne veux pas, frères, que
vous soyez dans l’ignorance. Vous
savez que, lorsque vous étiez païens, vous étiez entraînés,
comme au hasard vers des idoles
muettes. C’est pourquoi je vous le déclare : personne parlant
sous l’influence de l’Esprit de
4 1 P 4,10 ; Rm 5,15 ; Rm 5,16 ; Rm 6,23 ; Rm, 1,11 ; Rm 11,29 ;
1 Co 7,7 ; 2 Cor 1,11 ; 1 Tim 4,14; 2 Tim 1,6 ; 1 Cor 1,7 ; 1 Cor
12,31 ; Rm 12,6 ; 1 Co 12,4 ; 1 Co 12,9 ; 1 Co 12,28 ; 1 Co 12,30 5
Pour les textes bibliques, les citations proviennent de la TOB,
éditions du Cerf, 2011 6 Lumen Gentium 12 et 32 et Apostolicam
actuositatem 3, les principaux textes conciliaires concernant les
charismes citent 1 Co 12,7 et 1 Co 12,11
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10
Dieu, ne dit : « Maudit soit Jésus » et nul ne peut dire « Jésus
est Seigneur, si ce n’est par
l’Esprit Saint ».
Si le païen est conduit « au hasard », le chrétien, lui, est
conduit par l’Esprit de Dieu qui lui
fait reconnaître que « Jésus est Seigneur ». Ce qui vient de
l’Esprit mène à la foi. Ainsi, Paul
donne un critère pour discerner : un don vient de l’Esprit, si
de quelque manière il conduit à
confesser la Seigneurie du Christ. Voici un premier élément à
retenir pour notre définition
d’un charisme.
Les versets 4 à 6 disent la diversité des dons prodigués par un
unique donateur : Dieu Père,
Fils et Esprit Saint.
v.4 Il y a diversité de dons, mais c’est le même Esprit ;
v.5 diversité de ministères, mais c’est le même Seigneur ;
v.6 divers modes d’action, mais c’est le même Dieu qui produit
tout en tous.
Si au verset 1, c’est le terme pneumatika qui avait été retenu,
ici, on trouve trois autres
appellations de dons de l’Esprit : charismata au verset 4,
diakonia au verset 5 et energemata
au verset 6. Ces termes semblent employés ici pour évoquer une
même réalité, dans toute sa
richesse. Les nuances apportées mettent l’accent soit sur la
puissance de l’action divine, soit
sur les fonctions que ces dons permettent de remplir. Mais tous
ces dons n’ont qu’un seul
but (v. 7) : manifester l’Esprit en vue du bien de tous. Il
s’agit donc de rendre visible, dans
la communauté, l’action de quelqu’un d’invisible, l’Esprit, de
lui donner corps, et ceci,
pour le bien de tous. Nous avons là deux éléments
supplémentaires pour notre définition :
les dons charismatiques conduisent à un agir concret au sein de
la communauté, nous
pourrions même dire qu’ils n’ont de réalité que dans cette «
mise en acte » et, en outre, ils
sont donnés pour le bien de tous.
Dans les versets suivants, Paul liste divers charismes, mais
l’insistance porte sur leur origine
unique : « tout cela, c’est le même Esprit qui le produit,
distribuant à chacun ses dons, selon
sa volonté 7». Certains de ces dons permettent une meilleure
connaissance de Dieu (sagesse,
science), d’autres sont davantage tournés vers l’action (la
foi8, le don de guérir, de faire des
miracles), d’autres sont liés à la révélation (prophétie,
discernement des esprits, possibilité
7 1 Co 12,11 8 Cf. 1 Co 13,2 : « une foi agissante » et Mc11, 23
: « une foi à transporter les montagnes »
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11
de parler en langues). Il n’est pas précisé si ces dons sont ou
non permanents. Mais tous sont
produits par l’Esprit, selon sa volonté.
A partir du verset 12, Paul développe sa pensée en utilisant la
thématique du corps.
« En effet, prenons une comparaison : le corps est un, et
pourtant il y a plusieurs membres ;
mais tous les membres du corps, malgré leur nombre, ne forment
qu’un seul corps. »
De même que les membres du corps, malgré leur nombre, ne forment
qu’un seul corps,
puisqu’un seul et unique Esprit est à l’origine de dons variés,
de même tous ceux qui ont
part à cet Esprit ne forment qu’un seul corps, le Christ. La
formule concise de Paul, « il en
est de même du Christ » peut surprendre. Dans la logique du
développement on attendrait :
« il en est de même de l’Eglise ». Mais, c’est sur la personne
du Christ qu’il met l’accent,
puis au verset 13, sur l’incorporation de chacun à ce corps, de
même que, par le Baptême
dans l’Esprit Saint, chacun est uni au Christ. La logique du
texte nous fait considérer
charismes et sacrement du baptême dans un même mouvement : par
l’action de l’Esprit, ils
participent à l’édification d’un corps vivant, ils y
incorporent. C’est un troisième élément à
prendre en compte pour la définition d’un charisme. Il incorpore
à la communauté. L’Esprit,
agissant « selon sa volonté 9» donne à chacun ses dons et tous
ceux qui y ont part sont
membres du Christ.
Dans les versets suivants, Paul insiste sur l’unité dans la
diversité, sur la solidarité des
membres entre eux, le respect qu’ils se doivent mutuellement.
Car, « vous êtes le corps du
Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part10 ». Cette
affirmation souligne
l’ « identification mystérieuse, d’un ordre absolument original,
entre la personne du Christ
et les siens, entre le Christ et l’Eglise qu’il fait vivre et
rassemble en son unité11 ». A la
lumière de ce verset, nous pouvons relire le v. 7 : dans l’unité
du corps du Christ, « chacun
reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien de tous. »
Les charismes sont donnés pour
le bien du corps entier. Avec le don, chacun reçoit aussi une
mission, c’est le don « mis à
l’œuvre », manifestation de l’Esprit en vue du bien de tous. La
liste qui clôt le chapitre 12
comprend différents types de dons, certains assurant des
fonctions particulières dans
l’Eglise, d’autres non. Il ne semble pas que Paul cherche à les
distinguer. Or il sait bien qu’ils
peuvent susciter des revendications de prérogatives mettant en
danger la cohésion du corps.
9 1 Co 12,11 10 1 Co 12,27 11 Paul de Surgy-Maurice Carrez, Les
Epîtres de Paul, I, Corinthiens, Bayard éditions/Centurion, 1996,
p.98
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12
Paul indique, au chapitre 13, le chemin qui préserve l’unité :
c’est celui de l’agapè, le don
le plus grand. C’est, exercés dans la charité, que les charismes
pourront vraiment
« édifier12 » la communauté, parce qu’ils seront mis au «
service 13» les uns des autres.
Que faut-il retenir de la lecture de ces quelques versets de
l’épître aux Corinthiens ? Le
charisme est un don de Dieu, plus précisément de l’Esprit Saint,
un don gratuit, personnel,
qui manifeste l’action de Dieu dans son Eglise. Ce don conduit à
confesser la Seigneurie du
Christ. Le don n’a de réalité que lorsqu’il est accueilli par le
destinataire et mis en œuvre. Il
est reçu pour le bien du corps entier. Il incorpore à la
communauté et il participe à son
édification. En effet, pour Paul, en 1 Co 12-14, mais aussi en
Eph 4,7-13 ou Rm 12,3-8,
l’accent est mis sur l’unité du corps du Christ, et la
participation de chacun pour sa part à
son édification par les différents pneumatica.
1-2- Une période de vacance des charismes dans la structuration
de la communauté ecclésiale
Cette importance donnée au charisme dans la structuration de
l’Eglise-Corps du Christ dans
les premières communautés chrétiennes s’est assez vite estompée
et, peu à peu, s’est imposée
une structure hiérarchique de l’Eglise, l’édification de la
communauté chrétienne reposant
sur les ministres ordonnés14. Pendant des siècles, on a perdu de
vue la réalité charismatique
de la communauté ecclésiale. Le clergé s’est attribué « la
totalité des dons qui,
primitivement, se trouvaient exercés par de simples chrétiens,
en toute indépendance et que
nous appelons les charismes 15». Ainsi, le modèle d’une
communauté ecclésiale structurée
par des charismes a disparu du champ théologique, au profit de
représentations que l’on
pourrait décrire ainsi : la grâce de Dieu descend sur les
apôtres qui la transmettent à leurs
successeurs, les évêques, lesquels la communiquent aux prêtres.
C’est, enfin, par les mains
de ces derniers que les laïcs peuvent en recevoir la part qui
leur revient. Dans cette
conception, le risque est grand d’objectiver le don de Dieu. La
grâce, donnée pour le bien
de tous, devient « quelque chose » reçu par certains (les
membres du clergé) qui le
transmettent, en vertu des pouvoirs que leur confère
l’ordination, à d’autres (les laïcs). Ce
type de représentation a été, jusqu’à une époque récente, la
seule manière d’envisager la vie
12 Cf. 1 Co 14,4; 1 Co 14,12 ; 1 Co,14,26 13 Cf. 1 Co 13,4 14
Cf. Gotthold Hassenhüttl, « les charismes dans la vie de l’Eglise
», dans Congar, Yves, dir., l’apostolat des laïcs – Décret «
apostolicam actuositatem », Paris, Le Cerf, coll. « Unam Sanctam »,
n°75, 1970, p. 203-214 15 Ibid,p. 204
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13
d’une communauté ecclésiale16. Il est resté très prégnant,
d’autant plus que son
omniprésence pendant plusieurs siècles n’a pas permis le
développement d’un modèle
alternatif. De ce fait, aujourd’hui encore, lorsque nous parlons
de la transmission des
charismes dans le cadre de la tutelle congréganiste, nous le
faisons le plus souvent sur ce
registre. Le fondateur, la fondatrice, a reçu un charisme de
Dieu. Il a été partagé avec les
premiers membres de la congrégation, lesquels l’ont transmis de
génération en génération.
Aujourd’hui, la congrégation, par son autorité de tutelle, le
transmet à un laïc, délégué de
tutelle, au chef d’établissement, aux membres de la communauté
éducative. Ce qu’on peut
schématiser ainsi :
Fig.1 – Représentation de la transmission du
charisme selon le modèle hiérarchique.
Des expressions telles que « transmettre le charisme », « porter
le charisme », « passer le
flambeau », sous-entendent ce type de représentation. Le
charisme est objectivé. Au fur et
à mesure qu’on s’éloigne de la source, on peut craindre un
certain affadissement, une sorte
de dilution du don premier. Envisager les choses selon ce schéma
conduit inévitablement à
penser que l’autorité de tutelle sera davantage porteuse du
charisme que son délégué de
tutelle laïc, ou un chef d’établissement et, a fortiori, un
autre membre de la communauté
éducative. Dans cette perspective, l’absence ou la minorité des
religieux dans les
communautés éducatives devient très problématique : comment
empêcher la dilution du
16 Ibid. p. 204 « Aux dires de Léon XIII encore, l’édification
de la communauté chrétienne repose uniquement sur la fonction
enseignante de l’Eglise, sur sa structure hiérarchique. »
-
14
charisme inhérente à sa transmission même, sinon en se plaçant
dans une logique de la
répétition ? En outre, la disparition du modèle charismatique au
profit du modèle
hiérarchique a conduit à reléguer les manifestations
charismatiques en marge de la vie et de
la communauté ecclésiale, leur conférant un caractère
d’exception. Dans ce contexte, il
devient difficile de penser la place de la vie religieuse dans
la vie et la mission de l’Eglise.
En conséquence, pour le sujet qui nous intéresse, on peine à
penser l’articulation entre
l’autorité de l’évêque d’une part, et celle des responsables de
congrégation d’autre part.
Pourtant, au moment du concile Vatican II, un chemin a été
ouvert pour repenser, à frais
nouveaux, la vie et la structuration de la communauté
ecclésiale. Dans le cadre du travail
qui a conduit à la Constitution Dogmatique sur l’Eglise, de
vives discussions ont eu lieu.
Parmi les Pères, certains, fidèles à la représentation selon
laquelle l’édification de l’Eglise
repose uniquement sur sa structure hiérarchique, envisageaient
les charismes comme « des
manifestations extraordinaires de la grâce qui furent données à
quelques rares fidèles de la
primitive Eglise et qui sont aussi accordées dans des situations
particulièrement difficiles
pour rendre possible la foi en l’Eglise ou pour donner une
nouvelle vigueur à sa vie17. »
D’autres recouraient au modèle des premiers siècles de l’Eglise.
Pour eux, « les charismes
recouvrent aussi bien les ministères extraordinaires que les
ministères ordinaires et
quotidiens de l’Eglise ; ils lui sont indispensables et donnés
gratuitement par l’Esprit en tout
temps ; ils sont le bien de tous les fidèles et nécessaires à la
vie quotidienne de l’Eglise, de
sorte qu’en eux se trouve exprimée la structure fondamentale de
la communauté
chrétienne18. » C’est cette dernière vision des choses qui
prévalut finalement.
Aussi, nous allons poursuivre notre recherche par une lecture de
Lumen Gentium 12. Nous
chercherons à mettre en évidence des éléments qui permettent de
nous orienter vers
l’élaboration d’un modèle théologique pour penser la réalité
charismatique de la
communauté ecclésiale. En effet, si nous voulons répondre à
notre question de départ, nous
devons sortir de l’impasse où nous conduisent les
représentations de type hiérarchique.
17 Ibid. p. 204 - 205 18 Ibid. p. 205
-
15
1-3 – Des dons ordinaires qui participent à la structuration de
la communauté : Une lecture de Lumen Gentium 12
Le terme « charisme » a été relativement peu utilisé dans les
textes du Concile Vatican II.
Le mot lui-même se rencontre 11 fois et l’adjectif «
charismatique », 3 fois. Les deux textes
les plus importants à ce propos sont le n°12b de Lumen Gentium
et le n° 3 de Apostolicam
Actuositatem. Nous allons nous intéresser à Lumen Gentium 12b.
Outre le fait que, des deux
textes, c’est celui qui a donné l’occasion d’une discussion,
puis d’une prise de position sur
la doctrine des charismes19, c’est aussi son contexte qui nous
intéresse. Dans la Constitution
Dogmatique sur l’Eglise, ce texte se trouve au 2ème chapitre,
intitulé « le peuple de Dieu ».
La place de ce texte est importante. Par elle, les Pères
invitent à considérer les charismes,
dans le mystère de l’Eglise (cf. LG chapitre 1), comme un don
pour l’ensemble du peuple
de Dieu en marche sur cette terre, au souffle de l’Esprit (cf.
LG chapitre 2). Or, notre
question nous conduit à scruter des articulations au sein du
peuple de Dieu, dans son
ensemble. Etudions maintenant le texte de plus près.
« Mais le même Esprit Saint ne se borne pas à sanctifier le
Peuple de Dieu par les sacrements
et les ministères, à le conduire et à lui donner l’ornement des
vertus, il distribue aussi parmi
les fidèles de tous ordres, « répartissant ses dons à son gré en
chacun » (1 Co 12, 11), les grâces
spéciales qui rendent apte et disponible pour assumer les
diverses charges et offices utiles au
renouvellement et au développement de l’Église, suivant ce qu’il
est dit : « C’est toujours pour
le bien commun que le don de l’Esprit se manifeste dans un homme
» (1 Co 12, 7). Ces grâces
(charisma) des plus éclatantes aux plus simples et aux plus
largement diffusées, doivent être
reçues avec action de grâce et apporter consolation, étant avant
tout ajustées aux nécessités
de l’Eglise et destinées à y répondre. »
Si le début de la longue première phrase reprend en quelques
mots les paragraphes
précédents (par les sacrements et les ministères, l’Esprit Saint
agit de manière permanente
dans l’Eglise pour la sanctifier et la conduire. Il produit en
elle la foi, l’espérance et la
charité), la syntaxe nous permet de repérer que les Pères
veulent élargir la manière de penser
l’action de l’Esprit dans le peuple de Dieu : les dons de
l’Esprit sont pour tous ; ils rendent
les fidèles « aptes et disponibles pour assumer les diverses
charges et offices utiles au
renouvellement permanent de l’Eglise ». Dans le texte latin, le
terme charisma n’est utilisé
19 Cf. Fernande Viens Charismes et vie consacrée, Dissertatio ad
Doctoratum in Facultate Iuris Canonici Pontificiae Universitatis
Gregorianae, Rome 1983, p. 20
-
16
qu’une seule fois dans le paragraphe, mais les citations de 1 Co
12 ne laissent guère de doute
sur l’objet du propos.
Si le texte ne donne pas de définition formelle des charismes,
il pointe certaines de leurs
caractéristiques. Les charismes ne sont pas réservés à une
catégorie de fidèles. Ils sont pour
tous, laïcs comme ministres ordonnés. Ils confèrent
disponibilité et aptitude pour le service
de la communauté. En ce sens, et cela empêche de l’objectiver,
le charisme n’est pas une
qualité que l’on a (même reçue de Dieu) pour remplir telle ou
telle charge. Il est plutôt une
habilitation pour la mission donnée, au service de la
communauté. Les charismes sont des
grâces spéciales. Plutôt que de l’entendre comme un rappel de la
distinction faite par Thomas
d’Aquin entre gratie datum faciens, grâce donnée pour la
sanctification personnelle, et
gratie gratis data, grâce donnée en vue du bien commun, on peut
comprendre l’adjectif au
sens de « spécifié » : ces grâces ont un caractère concret et
personnel, puisqu’elles rendent
les personnes aptes et disponibles pour diverses charges et
offices.
Le contexte invite à aller en ce sens comme d’autres textes
conciliaires20 à propos des
charismes. Ils sont donnés pour répondre aux besoins de
l’Eglise, à son renouvellement et à
son développement. Cette mention ouvre à l’Eglise universelle.
Ce n’est pas seulement le
bien de la communauté locale qui est visé, mais les charismes
sont donnés pour le service
du corps entier, dans sa vie et sa croissance. En disant qu’ils
sont pour le renouvellement
permanent de l’Eglise, les Pères conciliaires mettent en lumière
leur permanence, comme un
mode d’action ordinaire de l’Esprit Saint. Cela va à l’encontre
des représentations décrites
plus haut qui considéraient les charismes comme des
manifestations extraordinaires et donc
rares.
L’articulation entre la dimension charismatique de l’Eglise et
sa structure hiérarchique est
précisée dans les dernières phrases du paragraphe. C’est aux
ministres ordonnés qu’il revient
de discerner l’authenticité des dons de l’Esprit et la manière
d’en user. La reconnaissance du
don porte sur sa mise en œuvre. La citation de 1 The 5,12, 19-21
invite au respect de l’action
de l’Esprit en chacun : dans ceux qui, de par leur ministère
ordonné, ont la charge de présider
20 “ À tous les chrétiens donc incombe la très belle tâche de
travailler sans cesse pour faire connaître et accepter le message
divin du salut par tous les hommes sur toute la terre. Pour
l’exercice de cet apostolat, le Saint-Esprit qui sanctifie le
Peuple de Dieu par les sacrements et le ministère accorde en outre
aux fidèles des dons particuliers (cf. 1 Co 12, 7), les «
répartissant à chacun comme il l’entend » (cf. 1 Co 12, 11) pour
que tous et « chacun selon la grâce reçue se mettant au service des
autres » soient eux-mêmes « comme de bons intendants de la grâce
multiforme de Dieu » (1 P 4, 10), en vue de l’édification du Corps
tout entier dans la charité (cf. Ep 4, 16).” In Apostolicam
Actuositatem n° 3
-
17
à la construction de l’Eglise, comme dans le peuple de Dieu tout
entier, bénéficiaire des dons
de l’Esprit. Il s’agit de « retenir ce qui est bon et de se
tenir à l’écart de toute espèce de
mal21. »
Dans ce texte, les charismes recouvrent des dons ordinaires ou
plus extraordinaires. Ils sont
« donnés gratuitement en tout temps »; ils sont le bien de tous
les fidèles et nécessaires à la
vie quotidienne de l’Eglise. Avec les charismes, on peut
envisager à la fois l’unité (tous ont
part aux charismes) et la diversité (les dons sont variés) au
sein de la communauté
chrétienne. Aussi avec Gotthold Hassenhüttl nous pouvons dire :
« Aucune communauté
n’est pensable qui ne soit charismatique de par sa nature même22
» . La grâce donnée par
l’Esprit Saint fait de chacun un être « pour les autres 23» et
permet ainsi la structuration et
la construction de la communauté. La formulation des Pères garde
du risque d’objectivation
du charisme parce qu’elle met l’insistance sur leur effet en
terme d’action : ils rendent aptes
et disponibles pour accomplir charges et offices. Remarquons-le
bien : il s’agit d’être rendu
capable d’accomplir une mission et non d’avoir telle ou telle
qualité pour un service donné.
Dans cette perspective, l’articulation avec l’Eglise
hiérarchique se joue dans le discernement
exercé par les ministres ordonnés sur l’authenticité des dons
reçus et sur la manière de les
mettre en œuvre.
A partir de ces éléments, nous devons maintenant poursuivre
notre recherche. Un parcours
à travers quelques textes du magistère nous aidera à mieux
comprendre de quelle façon le
terme « charisme » a pu être employé pour parler de la vie
religieuse et à vérifier s’il garde
ou non le même sens. Cela nous permettra également de mettre en
évidence des éléments
qui pourront alimenter notre réflexion en vue de l’élaboration
d’un modèle théologique qui
propose des pistes de réponse aux questions que nous avons
posées en introduction.
1-4 - Les charismes et la vie consacrée
Si la réalité charismatique de la vie religieuse est bien
affirmée par le Concile, le terme
« charisme » n’est pourtant pas retenu dans les textes
eux-mêmes. C’est Paul VI qui l’utilise
le premier dans l’exhortation apostolique Evangelica
testificatio24. Il l’applique trois fois de
21 Cf. 1The ,22 22 Gotthold Hassentüttl, « les charismes dans la
vie de l’Eglise » dans Congar, Yves, dir, l’apostolat des laïcs
–décret « apostolicam actuositatem », Paris, Le Cerf, coll. « Unam
Sanctam » n°75, 1970, p.209 23 Ibid. p. 213 24 29 juin 1971
-
18
manière différente, parlant du « charisme des fondateurs25 », du
« charisme de la vie
religieuse26 » et des « charismes des divers instituts 27 ». Par
contre, le terme « charisme »
n’est finalement pas gardé dans la rédaction finale du Code de
Droit Canon28 à propos de la
vie religieuse. Mais Jean Paul II le reprend pas moins de 84
fois dans l’exhortation
apostolique Vita Consecrata29. Tout cela nous invite à nous
intéresser de plus près à
quelques-uns de ces textes à propos des différents aspects de la
réalité charismatique de la
vie religieuse. Parlent-ils tous de la même chose lorsqu’ils
utilisent le mot « charisme » et
quelle(s) réalité(s) veulent-ils désigner par là ? Quels
éléments nous permettront d’avancer
vers la construction d’un modèle qui nous donne la possibilité
de progresser dans notre
recherche ?
1-4-1- La vie religieuse, un charisme
Selon Lumen Gentium, la profession des conseils évangéliques,
ces conseils eux-mêmes sont
dons de Dieu30. Le vocabulaire de la dernière phrase du n°43
évoque clairement la dimension
charismatique de la vie religieuse31. Cette modalité de la vie
chrétienne est un « don
spécial », pour « servir à la mission salutaire de l’Eglise », «
chacun à sa manière ». Elle est
fruit de l’Esprit Saint : « le charisme de la vie religieuse, en
effet, loin d’être une impulsion
née de la chair et du sang, ni issue d’une mentalité qui se
modèle sur le monde présent, est
bien le fruit de l’Esprit Saint toujours agissant dans son
Eglise 32 ». Le n° 19 de Vita
25 Evangelica testificatio n°11 « C’est ainsi que vous
éveillerez les cœurs à la vérité et à l’amour divins, selon le
charisme de vos fondateurs, suscités par Dieu dans son Église.
Aussi le Concile insiste-t-il à bon droit sur l’obligation des
religieux et des religieuses d’être fidèles à l’esprit de leurs
fondateurs, à leurs intentions
évangéliques, à l’exemple de leur sainteté, y voyant un des
principes de la rénovation en cours et un des critères
les plus sûrs de ce que chaque institut peut avoir à
entreprendre. » 26 Evangelica testificatio n° 11 « Le charisme de
la vie religieuse, en effet, loin d’être une impulsion née “de la
chair et du sang” (Jn 1, 13), ni issue d’une mentalité qui se “se
modèle sur le monde présent” (Rm 12, 2), est
bien le fruit de l’Esprit Saint toujours agissant dans l’Église.
» 27 Evangelica testificatio n°32 « Dans ce cheminement, une aide
précieuse vous est fournie par des formes de vie que l’expérience,
fidèle aux charismes des divers instituts, a fait choisir, dont
elle a diversifié les synthèses
et qu’elle ne cesse de développer. Quelque variées qu’en soient
les modalités, ces moyens sont toujours
ordonnés à la construction de l’homme intérieur. Et c’est le
souci de la fortifier qui vous aidera à reconnaître,
au milieu de tant de sollicitations diverses, les formes de vie
plus adaptées. Un désir excessif de souplesse et de spontanéité
créative peut faire taxer, en effet, de rigidité le minimum de
régularité dans les usages qu’appellent normalement la vie des
communautés et la maturation des personnes. Des élans désordonnés
qui se réclament de la charité fraternelle ou de ce que l’on croit
inspirations de l’Esprit peuvent aussi faire éclater
les institutions. » 28 1983 291996 30 Lumen Gentium n°43 31 «
Dieu appelle des fidèles du Christ de l’une et l’autre condition
[clercs et laïcs] pour jouir dans la vie de l’Eglise de ce don
spécial et servir à la mission salutaire de l’Eglise, chacun à sa
manière. » 32 Evangelica Testificatio n°11
-
19
Consecrata déploie cette action de l’Esprit à toutes les étapes
de la vie consacrée, depuis
l’appel, jusqu’à la décision de la réponse- et sa mise en
œuvre33.
Il s’agit d’un don en vue de manifester l’Esprit pour le bien du
Corps entier, ce que les
textes formulent de diverses manières. C’est « un signe qui peut
et doit exercer une influence
efficace sur tous les membres de l’Eglise 34 » . La personne
consacrée est « amenée
progressivement par la puissance de l’Esprit Saint jusqu’à la
pleine configuration avec le
Christ 35 ». On ne peut manquer d’être frappé par le vocabulaire
sacramentel employé : signe,
efficace, configuration au Christ. Par la libre action de
l’Esprit qui appelle et conduit, c’est
la personne elle-même qui est signe, en vertu de son appel et de
la réponse qu’elle y donne ;
c’est dans sa manière de vivre que le don de l’Esprit prend
corps.
1-4-2- du charisme reçu par le fondateur au patrimoine de
l’institut
Nous avons vu que Paul VI, dans Evangelica testificatio parle du
charisme des instituts. Le
mot est-il alors utilisé dans le même sens ? Nous devons le
vérifier. Le n°32 d’Evangelica
testificatio concerne les formes de vie qui vont permettre aux
religieux de devenir eux-
mêmes, c’est-à-dire « des hommes et des femmes capables
d’accepter l’inconnu de la
pauvreté, d’être épris de simplicité et d’humilité, amants de la
paix, purs de compromissions,
décidés à l’abnégation totale, à la fois libres et obéissants,
spontanés et tenaces, doux et forts
dans la certitude de la foi : cette grâce vous sera donnée par
le Christ Jésus en proportion du
don radical que vous aurez fait de vous-mêmes et que vous ne
reprendrez pas 36 ». Le don
de Dieu, pour le service de l’Eglise, transforme en don son
destinataire! Lorsque le texte
parle des charismes des instituts, tout laisse à penser qu’il
s’agit de « manières de vivre »
que l’expérience, la tradition reconnaissent comme favorables à
la croissance d’un homme
religieux. Le fondateur, la fondatrice a reçu de Dieu une grâce
par laquelle il a initié une
manière particulière de vivre, qui, reconnue par l’autorité
compétente, a donné naissance à
33 Vita consecrata n° 19“Comme l'existence chrétienne tout
entière, l'appel à la vie consacrée est lui aussi en relation
étroite avec l'action de l'Esprit Saint. C'est l'Esprit qui, au
cours des millénaires, pousse toujours de nouvelles personnes à
percevoir l'attrait d'un choix si exigeant. Sous son action, ces
personnes revivent en quelque manière l'expérience du prophète
Jérémie: « Tu m'as séduit, Seigneur, et je me suis laissé séduire »
(20,7). C'est l'Esprit qui suscite le désir d'une réponse totale;
c'est Lui qui accompagne la croissance de ce désir, portant à son
terme la réponse affirmative et soutenant ensuite son exécution
fidèle; c'est Lui qui forme et façonne l'esprit de ceux qui sont
appelés, en les configurant au Christ chaste, pauvre et obéissant,
et en les poussant à faire leur sa mission.” 34 Lumen Gentium n° 44
35 Vita Consecrata n° 19 36 Evangelica testificatio n° 31
-
20
une nouvelle famille religieuse, ce que le texte appelle un «
institut ». On peut lire aussi dans
ce sens ce paragraphe de Perfectae caritatis :
« Le bien même de l’Eglise demande que les instituts aient leur
caractère (indolem) et
leur fonction propres. C’est pourquoi on mettra en pleine
lumière et on maintiendra
fidèlement l’esprit (spiritus) des fondateurs et leurs
intentions (proposita) spécifiques,
de même que leurs saines traditions, l’ensemble constituant le
patrimoine de chaque
institut37. »
Mais, le « caractère », l’ « esprit du fondateur », l’«
intention » spécifiques » sont-ils
équivalents à ce qu’on appelle le charisme ? Il semble bien que
non. Essayons d’approfondir
notre lecture pour le vérifier.
La grâce spéciale dont bénéficie l’institut lui confère un
caractère et une fonction propres.
Le terme latin traduit par caractère est « indoles ». Il a été
utilisé plusieurs fois dans les textes
du magistère pour parler de « la physionomie propre d’un
institut qui dit son identité 38 ». Il
a parfois été utilisé pour remplacer le terme de « charisme »
dans certains schémas
préparatoires. Mais, ce faisant, on prenait, si on peut dire, un
raccourci. En effet, ce qui donne
à un institut une forme particulière, une physionomie, ce sont
tous les moyens par lesquels
il met en œuvre le don de Dieu qui lui est fait à travers son
fondateur et sa tradition propre.
Là encore, on constate qu’on ne peut réifier le charisme. Il
n’existe que par ce qui lui donne
forme.
La fonction de l’institut dit ce pourquoi il est fait, sa
mission. Caractère et fonction sont
déterminés par l’esprit des fondateurs, leurs intentions et les
saines traditions.
Qu’est-ce que l’esprit du fondateur ? Ce n’est pas forcément sa
« spiritualité », au sens où
on l’entend habituellement lorsqu’on parle de « spiritualité
franciscaine » ou « spiritualité
ignatienne ». Nous pourrions dire que cela correspond à
l’expérience spirituelle particulière
du/des fondateur(s), qui, certes, a pu être marquée par telle ou
telle spiritualité, mais aussi,
s’est enracinée dans un contexte particulier, à un moment de
l’histoire. C’est une histoire
originale, le récit d’un chemin d’alliance avec Dieu qui, laissé
en héritage à l’institut, lui
donne une âme, est source d’inspiration pour tracer son propre
chemin aujourd’hui. C’est
aussi cette expérience originale qui peut donner lieu à des
structures propres à tel ou tel
institut, par une sorte de « précipitation », au sens chimique
du terme, de « cristallisation »
37 Perfectae caritatis n° 2 38J. Beyer, Le droit de la vie
consacrée, Commentaire des Canons 573-606, Editions Tardy, Paris,
1988, p.62
-
21
du charisme fondateur dans des manières de gouverner,
d’organiser la vie, la mission, etc…
Est-ce en ce sens que Paul VI ou Jean Paul II appliquent le mot
« charisme » aux fondateurs ?
Le contexte nous permettrait de répondre plutôt par
l’affirmative39.
Les intentions du fondateur disent quelque chose de sa visée, du
but qu’il poursuivait. Nous
pourrions dire que les saines traditions sont la mise en acte
dans le temps et l’espace de
l’esprit et des intentions du fondateur, la vie dans la fidélité
aux dons reçus. Cet ensemble
est qualifié de patrimoine de l’institut. Ce terme est
intéressant pour nous, déjà en
considérant le mot lui-même. En effet, le patrimoine, c’est
l’héritage d’un groupe. Ce terme
nous permet de passer d’une dimension personnelle du charisme
(conformément à ce que
nous avons vu plus haut, il s’agit d’un don fait à une
personne), à une dimension collective :
le charisme d’un institut, c'est le don qui a initié un style de
vie partagé par l’ensemble des
membres qui le constituent. Etymologiquement, le terme «
patrimoine » évoque la figure
du père, et donc, de la filiation. Il nous permet ainsi de
prendre en compte le prolongement
historique du charisme, son passage de génération en génération.
Bien plus, ce mot a des
résonances bibliques. Il est étroitement relié à l’Alliance par
laquelle Dieu fait d’Israël son
patrimoine40, mais est aussi lui-même le patrimoine du peuple41.
Cela nous invite à
considérer les instituts religieux dans la dynamique de
l’Alliance. Une congrégation est un
don de Dieu à son Eglise, elle est aussi « son bien particulier
42 ». De cela découle la nécessité
de mettre en pleine lumière et de maintenir fidèlement la grâce
reçue à travers elle.
C’est ce terme de patrimoine qui a été repris dans le Code de
Droit Canon, et non celui de
charisme, qui pourtant a figuré dans les textes préparatoires
jusqu’au dernier moment.
Can. 577 « Il existe dans l'Eglise de très nombreux instituts de
vie consacrée, munis de dons
différents selon la grâce qui leur a été donnée: en effet, ils
suivent de plus près le
Christ priant, ou annonçant le Royaume de Dieu, ou faisant du
bien parmi les hommes,
ou vivant avec eux dans le monde, mais accomplissant toujours la
volonté du Père. »
Can. 578 « La pensée des fondateurs et leur projet, que
l'autorité ecclésiastique compétente
a reconnus concernant la nature, le but, l'esprit et le
caractère de l'institut ainsi que ses
saines traditions, toutes choses qui constituent le patrimoine
de l'institut, doivent être
fidèlement maintenues par tous. »
39 Cf. Evangelica testificatio n° 11 : « C’est ainsi que vous
éveillerez les cœurs à la vérité et à l’amour divins, selon le
charisme de vos fondateurs, suscités par Dieu dans son Eglise. » 40
Cf. par exemple Ex 34,9 41 Cf. Ez 44, 28 42 Cf. Ex 19,5
-
22
Le Canon 577 rend compte de la diversité de la vie consacrée.
Les différents dons sont
rapportés à la vie du Christ dans son humanité. Nous l’avons dit
précédemment, les
charismes unissent ceux qui les reçoivent au Christ. Aussi
peuvent-ils prolonger sa mission
dans le monde. Le texte précise qu’il s’agit toujours du Christ
faisant la volonté du Père.
Cette remarque nous invite à considérer les charismes dans la
logique trinitaire. Jésus,
« rempli de l’Esprit Saint 43 », est venu dans le monde faire la
volonté de Celui qui l’a envoyé,
accomplir son dessein de salut. En recevant le don de l’Esprit
qui lui est fait, un fondateur
suscite une communauté, unie au Christ et donc, aussi bien à la
mission de salut que le Père
lui a confiée. Le don est assorti d’une mission. Les deux sont
inséparables. La grâce
accueillie suscite une réponse, laquelle est service « pour
l'honneur de Dieu, pour la
construction de l'Église et le salut du monde44 ».
Le canon 578 reprend plusieurs éléments de Perfectae Caritatis
2, avec des termes cependant
quelque peu différents. Mais nous voudrions nous y arrêter car
il est question de la
reconnaissance par l’autorité ecclésiastique compétente. En
effet, les instituts de vie
consacrée, de par leur dimension charismatique, doivent faire
l’objet d’un discernement,
en vue de leur reconnaissance. Cette dernière porte sur la
manière d’y vivre à travers les
moyens mis en œuvre pour favoriser la vie et la mission de dudit
institut. L’autorité
compétente est l’évêque pour les instituts de droit diocésain,
la Sacrée Congrégation pour
les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie
apostolique pour les instituts de droit
pontifical. La Sacrée Congrégation reconnaît le charisme du
fondateur (sa pensée et ses
projets) dans la manière dont il est mis en œuvre dans la
nature, le but, l'esprit et le caractère
de l'institut ainsi que ses saines traditions. La nature de
l’institut permet de le ranger dans un
des trois grands types de vie consacrée que la tradition
ecclésiale a vécus puis retenus
progressivement : vie monastique, vie apostolique, vie
séculière. Le but de l’institut donne
un accent particulier : le silence de la vie monastique peut
être plus ou moins rigoureux, la
vie apostolique peut se dérouler dans tel ou tel milieu… Il se
concrétise dans des « moyens
à employer, des ministères à accomplir, les tâches spécialisées
de l’institut …/…Tâches que
le Concile a reconnues, non sans difficultés, comme de vrais
ministères appartenant à la
tâche pastorale de l’Eglise ».45 Nous ne revenons pas sur
l’esprit de l’institut dont nous avons
parlé plus haut. Par contre, nous voulons rappeler que le
caractère prend ses racines dans le
43 Lc 4,1 44 Canon 573 45 J. Beyer, Ibid. Le droit de la vie
consacrée, … p. 60 - Cf. Perfectae caritatis n°10 « Cette vie [la
vie religieuse], si utile à la charge pastorale de l’Eglise dans
l’éducation de la jeunesse, le soin des malades et
d’autres formes d’apostolat, le Concile la tient en grande
considération. »
-
23
charisme donné par Dieu au fondateur, à la fondatrice. C’est la
physionomie propre de tel
institut. La reconnaissance ecclésiastique se fait donc en
partant du moins spécifique (il y a
de nombreuses congrégations apostoliques), et allant vers le
plus spécifiques (la
physionomie propre de telle congrégation). De ce fait, elle
permet que soient gardées les
manières de vivre, de faire, qui font de l’Institut ce qu’il
est. La reconnaissance ecclésiastique
porte donc sur une communauté très concrète, dans toute son
épaisseur historique,
structurelle, contextuelle et pas seulement sur l’expérience
spirituelle propre au fondateur,
ni même sur ce qu’on appelle communément « spiritualité ». Cela
nous garde, une fois
encore, de réifier le charisme. Ce n’est pas « le charisme », en
lui-même qui est reconnu,
mais bien plutôt la dimension charismatique des moyens par
lesquels l’institut, la
congrégation prennent corps dans l’espace et le temps.
Au terme de ce rapide parcours dans quelques textes du
magistère, si la nature charismatique
de la vie religieuse ne fait pas de doute, l’emploi des
expressions « charisme de la vie
religieuse », « charisme des fondateurs », « charisme des
instituts, n’est pas sans faire
difficulté. En effet, employer le substantif « charisme », c’est
risquer d’oublier que la réalité
charismatique n’existe que par les fruits qu’a portés le don
reçu, fruits évidemment différents
selon qu’on parle de la vie religieuse, d’un fondateur, d’une
fondatrice, d’un institut. A
l’origine d’une congrégation religieuse, il y a certes une grâce
spéciale faite à un fondateur,
à une fondatrice, qui suscite, de sa part, une manière originale
de vivre l’Evangile. C’est
encore par l’action de l’Esprit que prend forme, très
concrètement, par l’intermédiaire du
fondateur, de la fondatrice, une communauté, en un lieu, en un
temps, dans un contexte
donné. Les structures, les textes, les manières de prier,
d’agir, la tradition hospitalière ou
éducative, etc… sont autant de moyens que l’Esprit, à l’œuvre
dans la communauté, suscite
au fil du temps. Ce sont ces moyens particuliers, en tant qu’ils
sont structurants pour la
communauté, qui font l’objet d’une reconnaissance par l’autorité
légitime. Par cet acte, la
congrégation est instituée en vue d’une mission par laquelle
elle contribue à la construction
de l’Eglise pour la gloire de Dieu et le salut du monde. Cette
perspective permet donc
l’articulation de la dimension charismatique et de la dimension
hiérarchique dans la
structuration de la vie et de la mission de l’Eglise.
A cette étape, que devient notre questionnement initial ? Nous
nous demandions dans quelle
mesure les congrégations religieuses, dans les conditions de
fragilité démographique où elles
-
24
sont actuellement, peuvent accompagner de manière pertinente les
communautés
éducatives dont elles ont la responsabilité dans la mise en
œuvre de leur charisme. Le début
de notre recherche nous conduit à renoncer à une représentation
du charisme tel un objet que
l’on pourrait transmettre. Le charisme n’a d’existence que par
la réponse qu’il suscite chez
ceux qui le reçoivent. Tant que les religieux et religieuses
étaient présents en nombre dans
les établissements scolaires, on ne s’est guère interrogé sur le
charisme. Les manières de
faire propres à la tradition éducative forgée par des
générations de religieux ou religieuses
fonctionnaient. Comme le disent parfois des chefs
d’établissements, aujourd’hui retraités,
qui ont travaillé avec les religieux pendant 30 ou 40 ans,
gravissant peu à peu tous les
échelons « Ça coulait de source ». Mais la situation présente
nous interroge : que se passe-
t-il lorsqu’il n’y a plus de communauté religieuse dans
l’établissement ? La présence
épisodique de l’un ou l’autre membre de la congrégation
peut-elle suffire pour que la
communauté éducative se structure dans la fidélité au charisme
de la congrégation ? A
quelles conditions la communauté éducative peut-elle prendre
part à la mission d’une
congrégation religieuse alors qu’il n’y a plus de religieux en
son sein ?
2 - Des charismes pour quelles communautés ?
2-1 – La difficulté de concevoir la communauté éducative comme
une
communauté ecclésiale
Riches du charisme de leurs fondateurs et fondatrices, les
congrégations enseignantes ont
pendant des siècles apporté leur contribution à la mission
éducative de l’Eglise. Avec la
diminution de leurs effectifs, elles ont peu à peu invité des
laïcs à collaborer avec elles dans
cette tâche. Aujourd’hui, religieux et religieuses ne sont
souvent plus présents dans les
établissements, et parmi les enseignants, les motivations pour
travailler dans
l’Enseignement catholique- sont très variées. Or penser que la
communauté éducative puisse
participer à la mission d’un institut religieux, c’est pouvoir
l’envisager comme une
communauté à laquelle il soit possible de confier une mission
ecclésiale. Et cela ne va pas
de soi ! Dans la plupart des écoles catholiques françaises, on
va retrouver,certes, des
chrétiens fervents, mais aussi des personnes plus au moins
engagées dans leur foi, des
personnes qui ne sont pas baptisées, voire qui sont d’une autre
religion. Les raisons pour
lesquelles elles ont rejoint l’Enseignement catholique sont
diverses. Peut-on imaginer
qu’une communauté aussi hétérogène, dont certains membres ne
sont pas chrétiens, puisse
-
25
mettre en œuvre un charisme et ainsi accomplir une mission à la
suite du Christ ? Faut-il
imaginer que, dans la communauté, certains chrétiens donnent
corps au charisme et édifient
le Christ à travers la mission qui leur est confiée tandis que
d’autres soient là, sans bien
savoir qu’ils peuvent faire dans un tel cadre ? Cela n’a pas de
sens, tout comme d’autres
questions qui ne manquent pas de surgir46. Pour combien de temps
ce « noyau » chrétien est-
il là ? Et si ses membres viennent à être trop peu nombreux,
voire à disparaître ? Et aussi,
combien faut-il de chrétiens convaincus pour que l’établissement
soit vraiment
missionnaire ? Ou encore, quels critères déterminent
l’appartenance à l’un ou l’autre cercle?
Le baptême ? La pratique régulière ? La connaissance de tel ou
tel aspect de la vie du
fondateur ? Bref, partir de la « qualification » des personnes
en vue de la mission envisagée
conduit à une impasse. Il nous faut trouver un outil qui nous
permette d’envisager la
communauté éducative unifiée, sujet authentique de la mission
ecclésiale.
2 – 2- Un outil pour penser la communauté éducative comme une
communauté
ecclésiale unifiée
Nous aurons recours à celui élaboré par François Moog. Nous nous
appuierons sur la
présentation qu’il en fait dans son ouvrage « A quoi sert
l’école catholique ? 47 ». Il soutient
la thèse selon laquelle « il est possible de penser une
communauté éducative qui soit sujet
d’une mission ecclésiale authentique sans pour autant être une
communauté exclusivement
composée de baptisés »48 L’argumentation commence par un rappel
fondamental : c’est la
présence agissante du Christ en elle qui fait exister l’Eglise.
Partant de là, il est possible de
dépasser une représentation disjonctive de la communauté en
appelant ses membres
chrétiens à vivre en disciples. Pourquoi cela nous oriente-t-il
vers une représentation unifiée
de la communauté ? C’est parce qu’en régime chrétien, le
disciple n’est pas celui qui écoute
l’enseignement d’un maître lointain, il est « incorporé au
Christ qui passe par lui pour agir
dans le monde, selon le principe paulinien : « ce n’est plus moi
qui vis, c’est le Christ qui vit
en moi » (Ga 2, 20). »49 En ce cas impossible de faire deux
groupes : ceux qui sont unis au
Christ et les autres. La présence du Christ est pour tous. Il
n’y a plus « eux » dont on se
46 Cf. François Moog, « A quoi sert l’école catholique ? Sa
mission d’évangélisation dans la société actuelle », Bayard, 2012,
p. 68 47 Ibid 48 Ibid, p. 64 49 Ibid p. 70
-
26
demande ce qu’ils sont venus faire dans l’Enseignement
catholique, et « nous », qui sommes
« de l’intérieur ». La grâce n’a pas de frontière. C’est
l’humanité entière que Dieu crée à
son image. Et il veut « que tous les hommes soient sauvés 50 ».
« C’est ensemble que nous
sommes attendus par le Christ pour une mission commune51 ».
François Moog propose une
lecture du récit de la Pentecôte qui permet d’accéder à cette
perspective. Au chapitre 2 des
Actes des Apôtres, nous pouvons lire que l’Esprit se manifeste
de deux manières : « un bruit
qui venait du ciel, semblable à un violent coup de vent 52 » et
« des langues qu’on eût dites
de feu 53 » se posant sur les apôtres. Mais le texte nous
présente aussi, et de manière plus
précise, les fruits de cette effusion de l’Esprit. Luc fait
remarquer que, dans la foule de ceux
qui s’étaient rassemblés, surpris, « chacun d’eux les entendait
parler son propre dialecte 54 ».
Puis, stupéfaits, ils se demandent : « comment se fait-il que
chacun de nous les entende dans
son propre dialecte ?55 ». Pour finir, ils constatent que, dans
la diversité de leurs origines
géographiques et culturelles, « tous, tant juifs que prosélytes,
Crétois et Arabes, nous les
entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu56. Et
F. Moog de faire
remarquer que « l’action de l’Esprit se joue dans la gradation
qui va de « chacun d’eux », à
« chacun de nous », puis à « nous57 » . Entendre les merveilles
de Dieu fait surgir un « nous »
qui résulte de l’action de Dieu. Et, dans le récit de la
Pentecôte, cela précède le baptême.
Bien sûr, il ne faut pas en déduire que le baptême ne soit pas
l’inauguration d’une vie tout à
fait nouvelle par la plongée dans la vie et la mort du Christ,
et l’onction de l’Esprit. Mais
cela nous rappelle, s’il le fallait, que Dieu agit selon sa
volonté : « l’action de
l’Esprit déborde d’hypothétiques frontières de l’Eglise qu’il ne
cesse de précéder dans sa
mission58 ». Cette lecture du récit de Pentecôte nous fait
comprendre que si le « nous » est
un fruit de l’Esprit Saint, alors il n’y a de communauté que par
l’œuvre de l’Esprit. Elle
permet aussi d’envisager la communauté éducative dans son unité
comme communauté
chrétienne. François Moog propose de le vérifier grâce à un
modèle heuristique, établi
d’abord pour comprendre ce qu’est une communauté chrétienne. Il
s’agira dans un second
temps de s’assurer que ce modèle permet de rendre compte de
l’existence d’une
communauté éducative unifiée en capacité d’accomplir la mission
qui est la sienne. Pour ce
50 1Tim 2,4 51 Op. cit. p. 71 52 Ac 2,2 53 Ac 2,3 54 Ac 2,6 55
Ac 2,7 56 Ac 2,11 57 Op. cit. p. 72 58 Ibid. p. 72
-
27
faire, notre théologien choisit de travailler à partir de
l’exemple de la communauté
chrétienne, sujet de l’action eucharistique. Pour comprendre ce
choix, il faut se souvenir que
c’est le Christ, présent et agissant dans son Eglise, qui en
fait une communauté rassemblée
et envoyée en mission. D’autre part la présence du Christ à son
Eglise est manifestée de
manière particulière dans l’action liturgique, et plus
particulièrement par la célébration
eucharistique59. Ce choix est d’autant plus pertinent que la
célébration eucharistique est
l’événement « à la fois le plus unifiant et le plus discriminant
60 » pour une communauté
éducative. En effet, elle produit la communion, mais ceux qui
n’ont pas célébré les
sacrements de l’initiation sont tenus à l’écart. Pour mettre en
évidence la manière dont
l’action du Christ institue la communauté comme sujet de
l’action liturgique, et comment
l’action de cette communauté manifeste ce qu’elle est, Fr. Moog
prend appui sur le dialogue
introductif de la préface entre célébrant et assemblée. C’est de
lui que surgit le « nous » de
la communauté. Regardons de plus près ce qui se passe. « Le
Seigneur soit avec vous.» dit
le célébrant. « Et avec votre Esprit » répond l’assemblée. Les
deux acteurs de la célébration
sont d’abord établis comme sujets de l’action, mais chacun d’eux
en relation directe avec le
Christ, l’acteur principal. Dès la phrase suivante « Elevons
notre cœur », le « nous » de la
communauté est constitué. Remarquons qu’il comprend le président
de la célébration et
l’assemblée. Dans la réponse « Nous le tournons vers le Seigneur
», la communauté
s’approprie son unité, mais ce n’est pas pour rester tournée sur
elle-même, c’est pour
accomplir la mission qui lui revient : rendre grâce à Dieu. D’où
le schéma proposé par
l’auteur61 :
59 Ibid. p.74 60 Ibid. p. 75 61 Ibid p. 76
-
28
Fig. 2 - Modèle d’une communauté eucharistique
Une fois le modèle élaboré, reste à vérifier qu’il peut convenir
pour comprendre ce qui se
joue dans une communauté éducative. Pour ce faire, il faut se
rappeler que l’école catholique
participe à la mission de l’Eglise. De ce fait, on peut émettre
l’hypothèse que la communauté
éducative est pourvue des mêmes caractéristiques que la
communauté eucharistique (sans
pour autant, bien évidemment, être une communauté eucharistique,
ce qui exclurait nombre
de ses membres). On peut alors proposer le schéma suivant :
-
29
Fig 3 : Modèle d’une communauté éducative
Nous pouvons relire ce schéma en nous appuyant sur le Statut de
l’Enseignement catholique
de juin 2013. Au premier niveau, l’action de l’école catholique
prend sa source dans « la
mission qui lui a été confiée par le Christ62 ». Il est présent
et agissant à travers elle. Au
deuxième niveau nous trouvons d’une part la communauté
éducative, et d’autre part ceux
qui reçoivent de l’Eglise la responsabilité de l’établissement.
La mise en œuvre de la mission
du chef d’établissement permet l’action unifiée de la communauté
éducative. Cela
correspond à la mise en acte du projet éducatif de l’école.
Pour assurer la correspondance du modèle avec les réalités de
terrain, il est nécessaire de
tenir les deux principes les plus unifiants du modèle proposé :
la présence agissante du Christ
au cœur de la communauté d’une part, et le projet éducatif
d’autre part. En effet,
« conformément à la mission qui lui a été confiée par le Christ,
elle [l’Eglise] s’adresse à
tous les hommes et à tout homme63 ; aussi par choix pastoral,
l’école catholique est ouverte
à tous, sans aucune forme de discrimination64 ». Ceci vaut bien
sûr pour les élèves accueillis,
62 Statut de l’Enseignement catholique de juin 2013, art. 10 63
Cf. Concile Vatican II, Lumen Gentium, n° 13 – Gaudium et spes n°41
64 Op.cit. Statut…art . 10
-
30
mais aussi, et peut être y pense-t-on moins facilement, pour
tous les adultes de la
communauté éducative :
«Pour mener à bien sa mission éducative à la suite du Christ,
l’Eglise appelle tous les hommes
et toutes les femmes de bonne volonté. Elle leur demande de se
mettre au service de cette
œuvre commune. Chacun, au sein de l’école catholique y participe
par des apports multiples
et complémentaires : élèves, étudiants, apprentis ou stagiaires,
parents, membres de la
communauté professionnelle (enseignants et éducateurs, salariés
et bénévoles, animateurs
pastoraux, personnels d’administration et de service), etc…
qu’ils soient laïcs, consacrés ou
ministres ordonnés. Tous prennent part à l’accomplissement de
cette mission éducative de
manière responsable selon les fonctions qu’ils remplissent. Tous
participent à la même tâche
éducative. « Tous sont vrais protagonistes et sujets du
processus éducatif 65 » 66».
Avant de clore cette première partie, il nous faut faire le
point. Notre recherche nous a
conduits à mettre au jour deux manières d’envisager les
charismes. Une première les
considère de manière objectivante. Le don de Dieu est chosifié.
Il ne peut être transmis qu’en
suivant une voie hiérarchique. Autrement dit, tous n’ont pas
accès directement au don de
Dieu. De ce fait lorsque les intermédiaires viennent à manquer,
dans notre cas, lorsque les
religieux ne sont plus présents dans les établissements
scolaires, la transmission devient
évidemment très difficile. Or, nous l’avons vu, les dons de Dieu
sont pour tous. En outre,
cette transmission du charisme, tel un cadeau venant du ciel,
qui risque de s’affadir au fur et
à mesure qu’on s’éloigne de sa source n’est guère compatible
avec la logique évangélique
dans laquelle ce qu’on partage multiplie67. Par ailleurs, dans
ce type de représentation, les
charismes n’ont pas de rôle structurant pour la communauté. Nous
peinons alors à penser
l’articulation entre l’autorité de l’évêque d’une part, et celle
des responsables de la
congrégation d’autre part. Aussi, devons-nous renoncer à cette
conception des charismes.
L’Esprit de Dieu travaille d’une autre manière. Dans le deuxième
modèle mis en évidence,
appuyé sur la théologie paulinienne, les charismes sont une
manifestation de l’Esprit en vue
du bien de tous. Ils participent à l’édification du corps du
Christ en y incorporant ceux qui
en sont bénéficiaires. Ils sont donnés pour que soit confessée
la Seigneurie du Christ.
65 Jean Paul II, Discours à l’école catholique du Latium (9 mars
1985) 66 Op. cit. Statut…art.33 67 Lc 9,12-17
-
31
Cette conception des charismes a été reprise par les Pères du
Concile Vatican II. En lisant le
chapitre 12 de Lumen Gentium nous avons mieux compris comment
les charismes
participent à la structure de l’Eglise-Corps-du-Christ et
comment ils s’articulent avec les
ministères ordonnés. En nous appuyant sur ce texte, nous avons
mis en évidence que les
charismes ne sont pas des qualités que Dieu donnerait à tel ou
tel de posséder. Mais, ces dons
de Dieu disposent et rendent aptes au service de la communauté,
chacun selon sa part.
Finalement, ils n’existent que par ce « passage à l’acte » pour
lequel Dieu donne la grâce à
celui qu’il envoie. De ce fait, la question de savoir quel est
le don ne se pose plus.
L’important est la mise en œuvre de la mission reçue. C’est cela
qui est charismatique,
manifestation de l’Esprit pour le bien de tous. La
reconnaissance par l’évêque porte sur cette
mise en œuvre. C’est d’ailleurs bien ce qui se passe pour les
congrégations religieuses. Leur
reconnaissance par l’autorité compétente porte ce que le
magistère appelle le patrimoine de
l’institut, c’est-à-dire toutes les médiations qui permettent la
mise en œuvre de la pensée du
fondateur, de ses projets, et qui confèrent à la congrégation sa
spécificité, qui la structurent
et l’instituent pour une mission spécifique au service de
l’Eglise, pour la gloire de Dieu et
le salut du monde. Les congrégations enseignantes ont apporté
leur part à la mission
éducative de l’Eglise. C’est cette mission d’éducation qu’elles
veulent poursuivre
aujourd’hui, à travers les communautés éducatives dont elles ont
la responsabilité, et qui
sont, nous l’avons vu, d’authentiques sujets de la mission
ecclésiale.
Aussi, suivant notre deuxième hypothèse, si les charismes
n’existent pas en tant que tels,
mais seulement par la manière dont ils prennent corps dans la
communauté et la structurent,
nous devons chercher un modèle théologique qui nous permette
d’en rendre compte. Les
travaux de Louis-Marie Chauvet semblent pouvoir apporter une
contribution intéressante.
En effet, le théologien propose un passage de l’ordre
métaphysique à l’ordre symbolique et
élabore, dans ce nouveau référentiel, un modèle de structuration
de l’identité chrétienne.
Cela devrait nous aider à quitter les représentations
objectivantes du charisme pour faire
droit à notre seconde hypothèse selon laquelle les dons de Dieu
prennent corps dans la
communauté et la structurent.
-
32
2ème partie : Une manière de penser la structuration
de l’identité chrétienne
Dans la première partie, nous avons cherché à préciser en quoi
consiste la dimension
charismatique des instituts religieux et à vérifier la
possibilité pour les communautés
éducatives sous tutelle congréganiste de poursuivre la mission
d’éducation dans le sillage du
charisme fondateur. Le parcours effectué a fait émerger deux
hypothèses.
La première revient à considérer le charisme tel un cadeau reçu
de Dieu par le fondateur et
à envisager la transmission de cet « en soi » sous un mode
hiérarchique. Ce passage du
charisme « de mains en mains » peut être vécu comme une perte,
une dilution. Au fur et à
mesure de la recherche, nous avons montré qu’il fallait renoncer
à cette hypothèse, au profit
d’une autre, appuyée sur la théologie paulinienne : un charisme
n’existe pas en tant que tel,
mais seulement à travers des manières de faire par lesquelles il
prend corps, qui édifient et
structurent la communauté.
Nous cherchons maintenant à rendre compte de cette hypothèse par
un modèle théologique
qui nous permette de nous saisir, avec un nouveau regard, des
questions liées à la mise en
œuvre du charisme telles qu’elles se posent aujourd’hui pour les
congrégations
enseignantes. La proposition, par Louis-Marie Chauvet, d’une
théologie fondamentale de la
sacramentalité, qui invite à une relecture sacramentelle de
toute l’existence chrétienne nous
paraît en mesure de fournir les outils nécessaires. En effet, ce
théologien envisage les
sacrements comme des figures symboliques qui donnent à voir et à
vivre l’archi-
sacramentalité constitutive de l’existence chrétienne. Pour ce
faire, il quitte le référentiel de
la métaphysique pour un ordre symbolique. Il délaisse la
catégorie de la causalité, de
l’instrumentalité (celle sur laquelle est construite notre
première hypothèse) pour une autre,
plus homogène avec le régime de la grâce, marqué par la gratuité
et la gracieuseté : l’ordre
symbolique.
Après avoir forgé des concepts propres à rendre compte du champ
symbolique, L.-M.
Chauvet présente les sacrements comme d’incontournables
médiations, sur lesquelles on
achoppe, dit-il, comme on bute sur le corps. Les sacrements nous
rappellent qu’il n’y a pas
-
33
de relation à soi-même, à autrui, à Dieu, sans passer par le
corps. Ils manifestent la
sacramentalité de toute l’existence chrétienne : le chemin de
Dieu vers l’homme, comme
celui de l’homme vers Dieu, ne peuvent s’affranchir du corps.
Cela conduit le théologien à
proposer une structure de l’identité chrétienne selon laquelle
devenir chrétien n’est pas un
passage effectué une fois pour toutes, un avoir acquis, mais
bien plutôt un travail jamais
terminé pour donn