Les ateliers et les inspirations plurielles du droit africain : réflexions sur la production du droit en général et en Afrique en particulier 1 François Féral 2 Table des matières Introduction......................................................................................................................................... 1 I.La reconversion de la fabrique juridique de l’Etat : de Hegel à la gouvernance ................................... 2 A.En héritage de l’occident : la consubstantialité du droit et de l’Etat colonial ................................. 2 B.Les transformations du droit de l’Etat régulateur : gouvernances et politiques publiques ............ 4 II.Les ateliers des droits de la société civile africaine : fractionnement des sources et des valeurs ...... 5 A.Fractionnements du droit et fractionnements sociaux ................................................................... 6 B.Les conflits de valeurs et la portée du mode de production morcelé du droit mondialisé ............. 7 Conclusion ........................................................................................................................................... 8 Introduction Le professeur Louis Constans définissait le droit comme « le substitut de l’amour absent », affirmant alors que la production des normes de droit par la société s’interposait entre la violence et l’amour. Il faut entendre par là l’altruisme constitué de l’amitié, la fraternité, la confiance en la société des hommes. Selon la définition donnée par Monique Chevillier-Gendreau la fonction du droit est de « distribuer dans la société avantages et inconvénients sous forme de droits et d’obligation (…) en désamorçant la violence par la parole ». Ainsi donc si ces définitions sont pertinentes, si le droit est donné à défaut du paradis d’un commerce social irénique et s’il nous évite la violence, nous vivons une période de crainte, d’angoisse et de paranoïa car jamais la production des normes juridiques n’a connu ce niveau de volume, de technicité, de précision et donc implicitement de méfiance. 1 Communication au Symposium de Libreville du de la Fondation Raponda-Walker pour la Science et la Culture et de l’Institut Français du Gabon « COMMENT FABRIQUE-T-ON LE DROIT EN AFRIQUE ? » 21-22 novembre 2013 2 Professeur émérite de l’Université Via Domitia Directeur d’Etudes à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes
10
Embed
Les ateliers et les inspirations plurielles du droit africain : réflexions sur la production du droit en général et en Afrique en particulier
This document is posted to help you gain knowledge. Please leave a comment to let me know what you think about it! Share it to your friends and learn new things together.
Transcript
Les ateliers et les inspirations plurielles du droit africain : réflexions sur la production du droit en général et en Afrique en particulier1
François Féral2
Table des matières Introduction ......................................................................................................................................... 1
I.La reconversion de la fabrique juridique de l’Etat : de Hegel à la gouvernance ................................... 2
A.En héritage de l’occident : la consubstantialité du droit et de l’Etat colonial ................................. 2
B.Les transformations du droit de l’Etat régulateur : gouvernances et politiques publiques ............ 4
II.Les ateliers des droits de la société civile africaine : fractionnement des sources et des valeurs ...... 5
A.Fractionnements du droit et fractionnements sociaux ................................................................... 6
B.Les conflits de valeurs et la portée du mode de production morcelé du droit mondialisé ............. 7
Le professeur Louis Constans définissait le droit comme « le substitut de l’amour absent », affirmant
alors que la production des normes de droit par la société s’interposait entre la violence et l’amour. Il
faut entendre par là l’altruisme constitué de l’amitié, la fraternité, la confiance en la société des
hommes. Selon la définition donnée par Monique Chevillier-Gendreau la fonction du droit est de
« distribuer dans la société avantages et inconvénients sous forme de droits et d’obligation (…) en
désamorçant la violence par la parole ». Ainsi donc si ces définitions sont pertinentes, si le droit est
donné à défaut du paradis d’un commerce social irénique et s’il nous évite la violence, nous vivons
une période de crainte, d’angoisse et de paranoïa car jamais la production des normes juridiques n’a
connu ce niveau de volume, de technicité, de précision et donc implicitement de méfiance.
1 Communication au Symposium de Libreville du de la Fondation Raponda-Walker pour la
Science et la Culture et de l’Institut Français du Gabon « COMMENT FABRIQUE-T-ON LE DROIT EN AFRIQUE ? » 21-22 novembre 2013 2 Professeur émérite de l’Université Via Domitia
Directeur d’Etudes à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes
Cependant, si la question de la fabrication du droit a été posée dans le cadre de notre réunion c’est
qu’on a pu précédemment s’interroger sur la capacité de l’Afrique à produire du droit tel que
l’Occident a pu le concevoir. Que n’a-t-on parlé de droit importé ? De mimétisme ? D’africanisation ?
De syncrétisme ? De pluralisme juridique ? De normes sociétales ? D’inspirations baroques...
affectant comme autant de tares la conception et la mise en œuvre du droit en Afrique ? Que de
commisérations n’a-t-on déversées sur un espace brutalement colonisé où se sont déployées toutes
les expérimentations idéologiques les plus déjantées et le plus hasardeuses selon des modalités que
nous n’aurions pu imaginer pour nous-mêmes ?
En occident, comme dans une usine fiévreuse et robotisée, les parlements, les bureaucraties des
exécutifs centralisés, déconcentrés ou décentralisés, les juridictions toujours plus nombreuses et plus
spécialisées, les experts et les arbitres, les corporations, le monde associatif, les réseaux sociaux…
produisent aujourd’hui sans relâche et réforment sans cesse un monceau de règles juridiques pour
assouvir l’appétit insatiable de normes d’une société inquiète.
Pour le continent africain le programme de notre symposium nous présente ainsi un riche catalogue
de productions juridiques : son abondance, sa haute technicité et sa diversité démontrent que
l’Afrique n’est pas en reste dans ce phénomène ; ceci devrait rassurer le précédent président de la
République française pour ce qui est de l’entrée dans l’Histoire et de plain-pied du continent! Oui
l’Afrique produit du droit en quantité et en qualité comme en produisent désormais tous les Etats
développés et la communauté internationale. Il ne faut y voir dès lors aucune spécificité africaine
même si cet alignement sur une industrie normative peut laisser perplexe. Saluons donc la capacité
désormais reconnue à l’Afrique de produire constitutions, lois, jugements, arrêts, décrets et
règlements dans tous les domaines et tous les secteurs où se réclame un « état de droit », si difficile
à concevoir et à organiser.
Doit-on pour autant rester spectateur admiratif du perfectionnement du droit africain sans nous
interroger ? N’est-il pas d’abord question du nouveau contexte général de la production du
droit dans nos sociétés globalisées? Au 21ième siècle se sont produites des transformations
fondamentales dans les conditions et les formes dans lesquelles l’Etat exerce le monopole de la
production juridique : c’est le basculement de l’Etat hégélien vers un Etat régulateur. L’Afrique
n’échappe pas à ce phénomène où l’évolution du droit accompagne le perfectionnement fonctionnel
des Etats africains.
C’est ensuite l’impression de fragmentation du droit qui retient la curiosité : une impression de
mosaïque juridique à laquelle participent désormais avec talent les juristes africains avec un
phénomène de cloisonnement que l’on observe à l’occasion de la mondialisation. Si bien que l’on se
demande si l’on ne doit pas parler ici plus volontiers des droits que du droit, ce qui a des
conséquences troublantes en raison d’un foisonnement brownien d’ateliers juridiques qui, encore
une fois, n’est pas l’apanage du continent africain.
Cette nouvelle forme de l’Etat et ce fractionnement nous amènent à examiner la fabrication africaine
du droit selon une double approche. Celle de la reconversion de l’usine étatique de la loi, celle
ensuite de la multiplication des ateliers du droit de la société civile africaine.
I. La reconversion de la fabrique juridique de l’Etat : de Hegel à
la gouvernance La production du droit est en relation étroite avec le phénomène étatique mais on ne fabrique pas aujourd’hui le droit comme on le faisait au 19ième ou au 20ième siècle. Les expériences centralisatrices
de l’Etat libéral et de l’Etat social-démocrate ont amené les juristes à ne concevoir le droit que comme consubstantiel avec l’Etat. Cependant l’émergence récente d’un Etat régulateur en négociation permanente avec la société civile modifie cette représentation unilatérale. Un Etat stratège, chef d’orchestre d’une gouvernance complexe, succède à un Etat normatif et providentiel : la confection des normes juridiques s’en trouve profondément affectée. L’Afrique héritière du modèle unilatéral voit elle-même se disperser les sources et les modes fabrication de son droit.
A. En héritage de l’occident : la consubstantialité du droit et de l’Etat
colonial Pour Kelsen, il n’est de droit que de l’Etat et l’Etat n’est rien d’autre d’ailleurs qu’une construction
juridique. Cependant il faut observer que le positivisme juridique moniste est né avec la
monopolisation par l’Etat-nation de la « contrainte légitime » : Kelsen et Weber apparaissent ainsi
comme les concepteurs d’une métaphysique juridique où il n’est de norme sociale opposable que
légitimée par l’Etat, en particulier par un appareil processuel qui « étatise » et valide la règle. Il est
inutile ici de rappeler les contorsions intellectuelles des positivistes pour purger la sphère du droit de
la morale et de l’histoire. Cependant il demeure de cette conception que la représentation du droit
est pour l’Occident fondamentalement étatiste.
L’intrication des différentes règles constitue la pyramide où, de la constitution jusqu’au contrat et à
la responsabilité des individus, la cohérence du système de droit est assurée par la science du droit,
que l’on peut définir comme une technique d’arrangement rhétorique des règles (souvent d’ailleurs
comme s’arrangent les chaises de Ionesco…). La contrepartie de cette entreprise de normalisation
étatique fut de fournir un système de droit cosmogonique, (par opposition à un droit casuistique)
sous l’égide de l’Etat et des jurisconsultes romano-germaniques ; une cosmogonie juridique dans
laquelle toutes les normes sociales s’articulent selon un ensemble de catégories et de notions
juridiques hiérarchisées.
Dans ce cadre métaphysique, l’état de droit ne se limite pas au contrôle les autorités publiques : les
codifications législatives et règlementaires ont pour objet de « mettre en cohésion » l’administration
et la société civile. Il en découle également l’édification d’un appareil administratif étatique toujours
plus étendu et plus insidieux dont Pierre Legendre décrit l’ascension et le perfectionnement jusqu’au
dernier quart du 20ième siècle. Cependant ce totalitarisme juridique est légitimé par le mythe d’un
appareil d’Etat démocratique tout au service des droits subjectifs des individus.
Le positivisme a donc opéré une double entreprise de normalisation juridique mettant au pas les
autres modes de régulation de la société : apparait d’abord une entreprise d’éradication des corps
intermédiaires s’interposant entre l’Etat et l’individu, aux premiers desquels figurent la famille, le
clan, les religions, les communautés et les groupements corporatifs ; ensuite se met en place une
entreprise d’étatisation de tout ce qui s’apparente de près ou de loin à des activités collectives ou
communes faisant penser qu’il n’est d’administration que de l’Etat.
Ce modèle juridico-étatique aux prétentions universelles s’est imposé partout dans le monde
accompagnant les différentes idéologies de l’Occident qui ont partagé le même culte positiviste :
l’Etat au service de différents projets politiques reste et demeure la source unique du Droit, celui-ci
totalement confondu avec la Loi. Au cours des 19ième et 20ième siècles, l’Etat hégélien a ainsi absorbé
progressivement toutes les fonctions régulatrices et institutionnelles de la société civile, pour
culminer dans le cadre de l’Etat Providence. C’est là où firent bon ménage le libéralisme économique
et d’un Etat centralisé protecteur de la propriété privée et garant des conventions civiles et
commerciales. Ce fut ensuite la domination de l’Etat social-démocrate, interventionniste et
providentiel, omniscient et omniprésent, monopolisant au nom de l’intérêt général toutes les formes
d’actions publiques ou collectives. Il en fut ainsi du modèle communiste, tombé lui-même dans la
fatalité étatique et bureaucratique alors que Marx avait caractérisé la « machinerie d’État » comme
un « effroyable corps parasitaire » devenu le « boa constricteur » de la société civile…
A partir du 18ième siècle, la célébration de l’Etat considéré comme la forme indépassable
d’organisation des hommes a pu aisément véhiculer l’idée de sa supériorité. Elle a légitimé la
destruction de toutes autres normes sociales, à moins qu’elles ne soient récupérées ou validées par
son appareil de coercition ou sa rhétorique juridique. A l’exception des statuts civils personnels
reconnus par le colon, l’Afrique colonisée a ainsi vu disparaitre la dimension juridique de ses
croyances, de ses villages, de ses ethnies, de ses traditions et de ses communautés. En contrepoint
de ce vide normatif, la colonisation a juridicisé par son administration centralisée de nombreux
rapports civils et sociopolitiques : l’Afrique y perdit ses empires et ses royaumes, ses chefferies et ses
gérontocraties, ses rites, et ses modes de production et d’usage des terres et des ressources. Pensant
avoir fait table rase des droits de l’Afrique, l’Etat colonial y produisit « son » droit ou, plutôt, il
l’exporta avec ses techniques, ses valeurs et ses représentations. L’armée et la bureaucratie coloniale,
le parlement métropolitain, les administrateurs civils ou les missionnaires constitutionnels, comme
autant de Dafoirus jurisconsultes, expérimentèrent et infligèrent leurs potions juridiques. Le chef de
bureau, le ministre chargé des colonies, le député et le militaire fabriquèrent alors sans vergogne le
droit des Africains. Les Hautes Juridictions y contribuèrent elles-mêmes par quelques innovations
célèbres : l’expérience coloniale du Bac d’Eloka ou de l’arrêt Couitéas put nourrir elle-même la
métaphysique juridique d’un Etat qui juridicise la société.
B. Les transformations du droit de l’Etat régulateur : gouvernances et
politiques publiques Le droit auquel répondirent nos doctrines universitaires a été caractérisé par la domination de
l’intérêt général qui se confondait initialement avec la Raison d’Etat. Il s’en déduisit une nette
frontière entre les sphères privées et publiques, un régime de droit exorbitant pour les actes, les
biens, la responsabilité et les personnels de l’Etat. Des privilèges de juridiction et de procédures ont
accompagné ce régime où la personne juridique de l’Etat et son administration étaient toujours en
position de force. L’extension des tâches de l’Etat a été fulgurante à partir du 18ième siècle. Mais,
progressivement, ce que Hauriou appelait « la revanche des pays » et les « corps intermédiaires » ont
repris une place qui leur était reconnue avant la Révolution selon un processus croissant
d’autonomie et de décentralisation. La place de l’individu et des droits humains fait qu’il n’est plus
désormais illégitime de chicaner le contenu de l’intérêt général et de réclamer que soient prises en
compte des données individuelles. Les considérations économiques s’affichent désormais avec
arrogance et, au niveau international, les traités rognent tous les jours un peu plus la souveraineté
des Etats.
Depuis le dernier quart du 20ième siècle le modèle politique et bureaucratique wébérien affronte ainsi
le « réveil de la société civile » et d’une sorte de saint-simonisme mâtiné de l’épopée démocratique.
De nombreux travaux de sciences politiques évoquent alors l’émergence d’un Etat régulateur mal
assuré de son unilatéralisme. Les notions de politiques publiques et de gouvernance font leur
apparition en même temps que l’idée de régulation : elles donnent à l’intervention de l’Etat un
contenu stratégique par opposition à la conception normative d’une action publique intrinsèquement
juridique. La montée des exécutifs de l’après-guerre marque la dépossession des parlements, ce qui
anticipe cette reconfiguration technocratique de la fabrique du droit. Le parlementaire formé dans
les facultés de droit cède le pas à la cohorte des ingénieurs reconvertis dans l’administration
publique ; il s’efface aussi devant le médecin, le biologiste, le vétérinaire, le banquier, le comptable,
l’informaticien, le chef d’entreprise… Ainsi est progressivement apparu un droit méconnaissable dans
son contenu et son mode de production.
Un contenu d’abord de plus en plus technique et spécialisé, loin de l’entendement de la majorité des
citoyens et parfois même des juges ; un contenu éclaté ensuite sur d’innombrables disciplines assises
sur de nouvelles polices, de nouvelles techniques, de nouveaux risques. Dans une société inquiète et
complexe, l’instabilité de la règle s’inscrit également dans la génétique des normes de l’Etat
régulateur ; le voici sans cesse convoqué à ajuster, arranger et enfin même à « expérimenter » ses
lois au gré des lobbies et des émotions sociales amplifiées par les medias. Le journal officiel s’épaissit
sans cesse du fatras législatif et règlementaire d’un appareil d’Etat qui multiplie les institutions,
légifère, codifie, règlemente. Mais c’est un travail de Pénélope car l’autel législatif et règlementaire
est toujours chaud du sang de la réforme : les codifications laborieuses ne cessent de renvoyer le
praticien à des tombereaux d’articles disparus ou modifiés que les codificateurs dispersent sur
d’innombrables droit spéciaux.
Au niveau du mode de production de la règle, l’appareil d’Etat engage la négociation de la norme
juridique avec les experts et la société civile. Ce ne sont plus seulement les bureaux de
l’administration centrale qui peaufinent la loi avec les commissions parlementaires : avant cette
ultime mise en forme, on étudie, on consulte, on dialogue… Alors que le parlement enregistre le
texte gouvernemental pour le légitimer dans sa forme, l’expertise et la démocratie participative sont
désormais bien en amont les étapes incontournables de la fabrication de la règle et de la décision
publique sur le fond ; ainsi s’organisent le débat public et les batailles d’experts… où se perdent la
lisibilité de la volonté de l’Etat et une part croissante de sa responsabilité.
Qu’en est-il en Afrique face à ces transformations du fonctionnement d’un Etat occidental qui reste
son modèle ? Il n’est pas sûr d’abord que les juristes africains se soient convertis à l’idée d’un Etat
régulateur. Souvent confrontés à des régimes autoritaires et présidentialistes, Il n’est pas exclu que
le modèle de l’Etat unilatéral dans ses différentes formes idéologiques ait gardé leurs faveurs. La
production de nombreux cadres et de nombreux intellectuels dans les universités et les écoles de
l’Occident fournit à l’Afrique l’expertise idoine pour façonner ce droit mondialisé, mais est-ce pour
autant la garantie de l’infléchissement du droit vers une pensée juridique africaine ? Le sentiment
émerge que nos plus brillants élèves inclinent au contraire à entretenir le musée du positivisme
juridique et à alimenter le prosélytisme du droit républicain.
Cependant avec les politiques d’alignements structurels et les nombreux programmes
de modernisation administrés comme autant de purges, on ne peut nier la continuité de
l’importation des formules et des modèles venus de la France, de l’Europe ou des agences
onusiennes. La régulation y trouve alors sa place, en particulier sous la forme de l’assistance
technique financée par les bailleurs de fonds. La consultation juridique, souvent d’ailleurs en parent
pauvre, accompagne l’ingénierie des secteurs économiques, sociaux ou sanitaires ; c’est le préalable
au paradis du développement assis sur le commerce mondialisé. A la suite des missionnaires
constitutionnels, la foule des pèlerins législatifs et règlementaires s’est déversée sur l’Afrique : fortes
de recettes éculées et de formules creuses, elle a inondé les administrations et les parlements
africains de ses normes puisées dans des codex ou des règlements techniques professionnels. On ne
saurait nier à cet égard la technicité croissante du droit et l’alignement fonctionnel des normes
africaines en relation avec l’économie libéralisée. Par contre, on peut supputer que le volet
participatif et la transparence y sont les parents pauvres de la régulation ; on peut également
s’inquiéter comme préalable à la norme africaine d’une expertise importée trop souvent
copiée/collée sur les ordinateurs des consultants.
II. Les ateliers des droits de la société civile africaine : le
fractionnement des sources et des valeurs Face aux bouleversements de la production du droit étatique le réveil de la société civile produit dans
ses propres ateliers un ensemble de droits fractionnés. Ceux-ci s’expriment sous forme d’un
pluralisme juridique qui perturbe l’harmonie pyramidale du droit conçue dans la métaphysique d’un
Etat juridique idéalisé. Outre les remous internes alimentés par le réveil des groupes, corporations,
territoires et autres églises ou religions, la communauté des Etats produit un ensemble de règles
supra-étatiques que seuls les sophismes des juristes les plus retords peuvent encore étager sur
l’échelle de Kelsen.
Cette multiplicité des droits exprime aussi la multiplicité des valeurs et le choc de différents systèmes
de droit : la production du droit en Afrique nous renseigne ainsi plus largement sur l’évolution
ontologique de la production des normes juridique dans le cadre de la mondialisation.
A. Fractionnements du droit et fractionnements sociaux La surabondance du droit dans des sociétés inquiètes et complexes n’épargne aucun continent, à
titre d’inventaire mesurons combien les juristes africains doivent aujourd’hui tenir de fers aux feux
de la réforme et de la production normative.
A l’intérieur même de l’appareil d’Etat apparaissent des territoires normatifs auxquels se réfèrent
des corps de professionnels ou de sociétés élitistes : les infra-sociétés de la classe politique, des
constitutionnalistes, des juges, des bureaucrates apparaissent développant chacune sa propre
logique juridique. Est ainsi fissurée de facto l’unité normative de l’Etat, écartelée entre diverses
représentations du droit qui ressemble plus à un champ de tensions institutionnelles qu’à un édifice
stable et harmonieux. Par illustration comparatiste en Europe signalons la mythologie complaisante
du dialogue des juges qui dissimule mal la compétition féroce que se livrent in petto les magistrats
d’un inextricable foisonnement de juridictions.
Notons ensuite la permanence des interventionnismes étatiques dans leurs formes traditionnelles et
particulièrement la production augmentée de normes de polices spéciales qui accompagnent de