Top Banner
1 Le rôle du Parlement de Paris dans la vie économique de la Cité au XVIIIe siècle Première cour de justice du royaume, il est certain que le parlement de Paris est mieux connu pour ses attributions judiciaires et politiques que pour son rôle économique. La seule incursion des historiens du Parlement dans le champ économique concerne souvent les épices, considérées comme un des fléaux de la justice d’Ancien Régime, rétribution injuste de magistrats corrompus et incapables. Un auteur du XIX e siècle, compilateur des polémistes stipendiés par le chancelier Maupeou lors de sa réforme judiciaire pouvait encore écrire : « Les épices rapportaient beaucoup, surtout quand le rapporteur savait tenir la balance d’une main si ferme entre les deux parties, qu’il fût bien difficile à chacune d’elles de la faire pencher en sa faveur, à moins d’empiler les poids les uns sur les autres ; c’est ce qu’on appelle plumer la poule sans la faire crier ». Encore aujourd’hui, faute d’études, ces considérations relayées par Marcel Marion puis Michel Antoine restent sans renouvellement et symbolise l’atonie de la recherche sur l’économie d’une cour de justice. Pourquoi finalement s’intéresser au rôle économique du Parlement de Paris, alors que les archives judiciaires de la série X ferait le bonheur de dizaine de chercheurs pendant encore des siècles ? Il me semble que les problèmes que connut le Parlement de Paris au cours du xviiie siècle ne sont pas uniquement politiques, mais sont à percevoir comme un tout, intégrant la situation économique de la cour. Quels que soient les problèmes traités, l’économie apparaît souvent en filigrane. Dans cette réflexion globale apparaît une constante, objet de notre réflexion du jour, le rôle du Parlement de Paris dans la vie économique de la cité. Par ses besoins considérables, par l’espace qu’il occupe sur l’île de la Cité et par le rôle judiciaire qu’il joue, le Parlement s’insère dans l’économie parisienne et dans la circulation monétaire. La réflexion peut être menée par échelle : quelle influence a-t-il pour l’île de la cité ? Pour Paris ? Pour la monarchie ? Ces questions amènent à réfléchir sur l’impact de la présence de la première cour, et a contrario sur son absence lors des exils : quel rôle a le Parlement : client par ses commandes ? stimulateur du crédit par les frais de justice ? Prolongement du Trésor royal pour ce qu’il perçoit au nom du roi ? Ce sont ces différentes facettes qu’il conviendra d’analyser pour s’attacher à comprendre l’influence économique du Parlement. Je m’attacherai d’abord à revenir sur le budget du Parlement, pour mettre en relief les besoins et les dépenses du parlement. Dans un second temps, j’analyserai le rôle que le Parlement peut jouer pour la monarchie, avant de m’intéresser au rôle de stimulateur de la circulation monétaire.
18

Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

Apr 20, 2023

Download

Documents

Welcome message from author
This document is posted to help you gain knowledge. Please leave a comment to let me know what you think about it! Share it to your friends and learn new things together.
Transcript
Page 1: Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

1

Le rôle du Parlement de Paris dans la vie économique de la Cité au XVIIIe siècle

Première cour de justice du royaume, il est certain que le parlement de Paris est mieux

connu pour ses attributions judiciaires et politiques que pour son rôle économique. La seule

incursion des historiens du Parlement dans le champ économique concerne souvent les épices,

considérées comme un des fléaux de la justice d’Ancien Régime, rétribution injuste de

magistrats corrompus et incapables. Un auteur du XIXe siècle, compilateur des polémistes

stipendiés par le chancelier Maupeou lors de sa réforme judiciaire pouvait encore écrire :

« Les épices rapportaient beaucoup, surtout quand le rapporteur savait tenir la balance d’une

main si ferme entre les deux parties, qu’il fût bien difficile à chacune d’elles de la faire

pencher en sa faveur, à moins d’empiler les poids les uns sur les autres ; c’est ce qu’on appelle

plumer la poule sans la faire crier ». Encore aujourd’hui, faute d’études, ces considérations

relayées par Marcel Marion puis Michel Antoine restent sans renouvellement et symbolise

l’atonie de la recherche sur l’économie d’une cour de justice.

Pourquoi finalement s’intéresser au rôle économique du Parlement de Paris, alors que

les archives judiciaires de la série X ferait le bonheur de dizaine de chercheurs pendant encore

des siècles ? Il me semble que les problèmes que connut le Parlement de Paris au cours du

xviiie siècle ne sont pas uniquement politiques, mais sont à percevoir comme un tout,

intégrant la situation économique de la cour.

Quels que soient les problèmes traités, l’économie apparaît souvent en filigrane. Dans

cette réflexion globale apparaît une constante, objet de notre réflexion du jour, le rôle du

Parlement de Paris dans la vie économique de la cité. Par ses besoins considérables, par

l’espace qu’il occupe sur l’île de la Cité et par le rôle judiciaire qu’il joue, le Parlement

s’insère dans l’économie parisienne et dans la circulation monétaire. La réflexion peut être

menée par échelle : quelle influence a-t-il pour l’île de la cité ? Pour Paris ? Pour la

monarchie ? Ces questions amènent à réfléchir sur l’impact de la présence de la première

cour, et a contrario sur son absence lors des exils : quel rôle a le Parlement : client par ses

commandes ? stimulateur du crédit par les frais de justice ? Prolongement du Trésor royal

pour ce qu’il perçoit au nom du roi ? Ce sont ces différentes facettes qu’il conviendra

d’analyser pour s’attacher à comprendre l’influence économique du Parlement. Je

m’attacherai d’abord à revenir sur le budget du Parlement, pour mettre en relief les besoins et

les dépenses du parlement. Dans un second temps, j’analyserai le rôle que le Parlement peut

jouer pour la monarchie, avant de m’intéresser au rôle de stimulateur de la circulation

monétaire.

Page 2: Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

2

I. Le Parlement, un client du marché parisien

A. Il convient avant tout de donner quelques renseignements sur le budget du Parlement

pour estimer sa marche de manœuvre économique

1. Les acteurs de la gestion

Le Parlement n’avait pas de trésorier en titre, il commettait chaque année une personne

pour se charger des dépenses de la cour. Jusque 1767, le greffier en chef fut désigné pour

effectuer ces dépenses. À la mort de Roger François Gilbert de Voisins, greffier en chef civil

du Parlement, cette tâche pesante fut confiée à un commis à la recette des menues nécessités

du Parlement. Si le greffier jouait le rôle essentiel de payeur, en réalité, le procureur général

avait un droit de regard sur certaines dépenses.

2. L’évolution du budget du Parlement.

Pour comprendre le rôle économique du Parlement, il est essentiel de se demander

quelle fut l’origine des fonds du Parlement. Évidemment, le Trésor royal était le premier

soutien du Parlement, du moins en théorie car dans la réalité, il s’était rapidement désengagé

en assignant les dépenses du Parlement sur les recettes des domaines et amendes de la

généralité de Paris, dont les revenus étaient inclus dans les baux de la Ferme générale.

Le budget du Parlement fut fixé en 1699 à 56671£ puis relevé au cours du xviiie siècle à

trois reprises, car il se trouvait constamment en déficit : il passa donc de 56671£ à 73000£ en

1717, s’éleva à 85000£ en 1756, pour terminer à 100000£ vingt-cinq ans plus tard. Dans le

même temps, le roi forçait aussi les fermiers généraux à éponger les dettes cumulées du

Parlement, toujours plus importantes au fil du temps : en 1717, les fermiers généraux avaient

payé 105900£, puis 53823£ en 1756. En 1781, le contrôleur général des finances Joly de

Fleury, augmentait la contribution des fermiers généraux à 100000£ pour chaque année,

charge aussi à eux de combler les 251 485£ 9s 3d dues pour excédent de dépenses. Ces

premiers chiffres donnent une première idée de l’influence économique du parlement dont les

dépenses s’élevaient chaque année à près de 100000£.

B. Il convient désormais d’analyser ces dépenses du Parlement, moteur de l’activité

marchande de la capitale

Fournir le Parlement était un honneur mais aussi un marché juteux : il fallait, rien que

pour le Parlement (sans compter le reste du Palais), fournir bougies, vin, et bois, sans parler

Page 3: Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

3

du pain pour les prisonniers de la conciergerie, le parchemin pour la rédaction des arrêts ou le

papier pour l’envoi des lois dans tous les sièges des juridictions inférieures.

Le budget du Parlement était composé de sommes fixes versées chaque année et de

sommes variables, données uniquement en estimation dans l’état du roi. Pour la restauration

des parlementaires, la buvette recevait chaque année une somme fixe qui servait de fonds

d’approvisionnement. À partir de 1717, le fonds fut de 16950£ et resta ainsi jusqu’à la fin de

l’Ancien Régime. Le buvetier en chef de la Grand’Chambre recevait 6000£ et ses deux

serviteurs 300£, chaque buvetier des Enquêtes et des requêtes recevait 1300£, le buvetier du

parquet 1000£ et il était aussi versé aux huissiers 250£ pour leur droit de buvette. Si les

buvetiers de chaque chambre dépensaient davantage, la somme n’était pas prise sur le budget

du Parlement mais devait être prise sur les épices de chaque chambre.

Le reste des dépenses du Parlement étaient des sommes variables, ce qui posait

évidemment des problèmes récurrents d’ajustements et souvent de déficit : il s’agissait du

bois, des bougies du pain des prisonniers et des « dépenses imprévues ».

De ces quatre dépenses, le bois était probablement celui qui causait le moins de

surprises. Le greffier en chef devait utiliser chaque année le fonds de 9000£ prévu pour

acheter le bois et le distribuer dans les chambres. Si l’hiver avait été peu rigoureux, il restait

des stocks de bois pour l’année suivante et cela lui permettait d’économiser sur ce fonds pour

faire d’autres dépenses, en évitant de dépenser l’intégralité des 9000£.

Sur tout le siècle, c’est la seule ressource dont la dépense effective resta inférieure à la

somme fixée par l’état du roi : entre 1714 et 1790, la dépense moyenne annuelle fut de 9068£

alors que la moyenne de l’état du roi fut de 9342£ (9000£ jusqu’en 1781 puis 11500£). La

consommation avait toujours été inférieure à l’état du roi et le pic de 1774 s’expliquait par le

retour du Parlement au Palais. Durant trois années, l’approvisionnement avait été chaotique et

il avait fallu commander une quantité plus importante de bois. Les livraisons étaient d’ailleurs

considérables : le fournisseur de bois amenait chaque année des volumes importants de bois

pour chauffer le Palais tout l’hiver : En 1790, il avait été fourni au Parlement 151 voies de

bois (300 stères) 16000 cotterêts et 12000 fagots.

Pour les bougies, l’évolution avait été plus contrastée, particulièrement à cause de

l’évolution du prix de la cire. En moins de cinquante ans, le prix des bougies avaient

augmenté de plus de 30%. Si cela obérait effectivement les dépenses du Parlement, il faut

signaler qu’à partir de 1756, les dépenses liées aux bougies étaient restées inférieures à la

somme allouée. Jusqu’à cette date, les 8761£ suffisaient rarement pour le paiement de ces

Page 4: Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

4

fournitures. En 1756, ce plafond fut relevé à 12800£, montant approximatif des dépenses

depuis les années 1740, et maintenu après la suppression de trois chambres au Parlement.

Troisième chef de dépense, la fourniture du pain des prisonniers de la Conciergerie fut

un problème récurrent pour les finances du Parlement. En effet, les fonds ne furent jamais

assez suffisants pour payer les fournitures faites par le boulanger. Cela s’expliquait par deux

raisons : le fonds fixe n’avait pas résisté à l’augmentation du prix du pain sur le siècle.

Surtout, il était inadapté à l’augmentation du nombre de prisonniers au Parlement. Sur le

siècle, la Conciergerie maintint en détention de plus en plus de prisonniers. Au delà de cette

augmentation structurelle, la consommation de pain explosait aussi lors des encombrements

conjoncturels de la Conciergerie, à l’occasion de grands procès criminels, comme celui de

Cartouche où plus de 600 complices furent emprisonnés et jugés ou celui de Nivet au début

des années 1730. Ainsi, malgré les augmentations conséquentes de l’état du roi (5000£ jusque

1756 puis 12400£ et 20000£ en 1781) le pain pour les prisonniers fut réellement à l’origine du

déficit du fonds du Parlement : entre 1714 et 1790, l’état du roi avait consacré 720000£ pour

le pain des prisonniers (9863£ par an en moyenne), mais les dépenses avaient atteint 991021£,

soit plus de 13500£ par an. Pour ces fournitures, le Parlement procédait à des enchères au

rabais et le boulanger le moins cher emportait le contrat. Il fournissait ensuite le pain et

donnait au procureur général un état des fournitures pour être ensuite payé.

En plus du pain, un autre chef creusait le déficit : les dépenses imprévues. Il s’agissait

de toutes les dépenses qui n’étaient pas comprises dans les autres chefs de frais.

La part la plus importante concernait les frais pour les procès criminels : lorsqu’un

procès criminel était intenté, c’est le procureur général qui se constituait partie civile, seule ou

avec la partie lésée. Dans tous ces cas, les frais de procès étaient à la charge du procureur

général. Ces derniers pouvaient être conséquents, notamment lors des procès retentissants : en

1757, le procès Damiens avait coûté 24900 £.

Le Parlement avait aussi la responsabilité de la publicité de la loi. Lorsqu’une décision

du roi était enregistrée, le Parlement la faisait imprimer auprès de l’imprimeur du Parlement

qui disposait de presses au sein même du Palais. Les textes étaient alors envoyés dans tout le

ressort du Parlement aux substituts du procureur général, les procureurs et avocats du roi dans

les bailliages et sénéchaussées. Pour les textes à envoyer dans le ressort du Parlement,

l’imprimeur faisait 571 exemplaires, dont 250 étaient envoyés dans le ressort, le reste étant

distribué au Palais ou aux ministres. Encore une fois, le coût n’était pas négligeable : en 1787,

l’impression de l’édit sur l’état civil des non-catholiques coûta 9000£. D’ailleurs, pour les

années 1785-1788, le coût des impressions dû au sieur Nyon, imprimeur du Parlement fut de

Page 5: Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

5

146197£ 2s, avec des dépenses annuelles considérables, notamment pour l’année 1786

(44646£) et 1787 (42566£) alors que l’année 1788 avait été beaucoup moins coûteuse

(13017£). Les prévisions n’étaient d’ailleurs pas encourageantes pour les finances du

Parlement car le procureur général estimait les dépenses d’impressions à près de 60000£, en

attendant le mémoire de l’imprimeur Nyon.

Marchands de cire, de vin, de papier, de parchemin, imprimeurs ou apothicaires, tous les

corps de métiers étaient intéressés et se disputaient les faveurs du Parlement, tant le service de

la cour pouvait rapporter.

3. Au delà du monde marchands, tous les corps de métiers servaient aussi au parlement.

Le Parlement était aussi un lieu de perpétuel travaux et ce bien avant l’incendie du

Palais en 1776. Durant tout le XVIIIe siècle, les parlementaires avaient demandé des fonds au

roi pour faire la réfection des salles du Palais : dès 1729, des travaux avaient été entrepris

dans la Grand’Salle du Palais pour y loger les registres du Parlement. Les tours insalubres du

Palais avaient aussi été rénovées pour accueillir les bureaux du parquet et du greffe. En 1785

encore, on désirait faire des aménagements dans les couloirs du Palais pour « faire faire aux

commodités publiques qui se trouvent auprès des 1ère et 2e chambres des enquêtes ce qui serait

nécessaire pour empêcher que les personnes qui sont dans le cas d’aller à ces commodités ne

fassent pas leurs ordures dans le petit corridor qui y conduit, malpropreté qui empoisonne

lesdites chambres et les environ »

Le Parlement était donc un chantier permanent, tant pour les travaux de gros œuvre que

pour l’entretien quotidien. De nombreux artisans servaient en effet quotidiennement le palais

par des contrats d’entretien qu’ils avaient signés : le tapissier responsable des bancs et des

tapisseries, le serrurier, le nattier, chargé de fournir les nattes au Palais, sans parler du

menuisier, du châssisseur ou du vitrier, qui étaient employés par le Parlement pour l’entretien

et la remise en état du Palais.

Entre 1730 et 1740, le nattier avait donné des mémoires s’élevant à 952£ et le tapissier

s’était fait payé 2577£ sur une décennie. Il est inutile de multiplier les exemples qui vont tous

dans le même sens pour démontrer que servir le Parlement pouvait constituer pour les artisans

parisiens une source de revenus réguliers et confortables. Les artisans n’étaient d’ailleurs pas

les seuls concernés. Le Parlement employait trois médecins, une sage femme, de nombreux

portiers ou gardes. À cause des nombreuses enquêtes à mener, le Parlement faisait souvent

appel à des loueurs de chevaux ou à des experts qu’il fallait payer et dont toutes les quittances

ont été conservées par le procureur général, jusqu’à celles de Samuel Hirsch, fournisseur de

mort aux rats pour le Parlement.

Page 6: Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

6

C. Pourtant, s’il était un bon client, ses difficultés financières en faisaient aussi un

mauvais payeur

Le procureur général Joly de Fleury ne cachait pas les embarras financiers du Parlement

et sa situation préoccupante :

« Il est évident que jamais les fonds n’ont été suffisants, ou du moins, ils l’ont été quelques années, il s’est

toujours trouvé des années ou soit par l’augmentation des prisonniers, ou du prix du pain, ou de la cire ou par la

quantité d’instructions criminelles ou autres dépenses imprévues, il a fallu des fonds extraordinaires […]. Il est

certain en second lieu qu’en aucune année le fonds des dépenses imprévues et des frais de procès criminels n’a

suffi ».

Le déficit constant du Parlement était lié en partie au retard des versements du Trésor

mais surtout à l’inadaptation du fonds des dépenses imprévues face à toutes les attributions

dont le Parlement était chargé.

L’aspect chaotique de ce graphique annonce l’état des finances du Parlement. À de très

rares exceptions, les recettes avaient excédé les dépenses. Les multiples pics s’expliquaient

par les chertés subites du pain, comme en 1724-1725, ou par son augmentation constante et

régulière surtout à partir des années 1760. Plus fréquemment, ces pics avaient pour origine les

conséquences des procès criminels retentissants comme celui de Nivet en 1729, celui des

convulsionnaires en 1735, les émotions de 1750 et surtout celui de Damiens en 1757.

On était loin de l’orthodoxie financière. La gestion des finances du Parlement était une

course contre la montre permanente où on payait les plus pressés, en essayant de retarder les

paiements les moins indispensables.

Certains, très compréhensifs ou mis devant le fait accompli, acceptaient ces paiements

tardifs, parce que le Parlement était un client essentiel. L’imprimeur du Parlement, Simon,

dont les presses étaient au Parlement, fut systématiquement payé en retard de tout ce qu’il

fournissait : le procureur général lui versait chaque année un montant fixe qui suffisait

rarement : à l’arrivée de Joly de Fleury au parquet, les dettes du Parlement à son égard pour

les années 1709-1716 étaient de 16975£. Rien ne s’était arrangé à la fin de l’Ancien Régime

puisque pour les années 1775-1780, il lui restait à percevoir 93591£. Il était loin d’être le seul

dans cette situation qui semble être devenue la norme après le retour des parlements : Sillans,

l’apothicaire de la Conciergerie attendait le paiement des 19099£ dues pour les années 1777-

1780 et le sieur Griveau, huissier au Parlement (sans doute pour la communauté des

huissiers), devait se faire payer 80000£ d’arriérés en 1780.

Page 7: Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

7

Pourtant, tous les fournisseurs du Parlement n’avaient pas la même patience. Dès 1717,

la situation était devenue si difficile que le fournisseur de bois et le boulanger menaçaient de

faire défaut au Parlement et de suspendre les livraisons. Cela avait poussé le procureur général

à demander une augmentation du fonds alloué au Parlement qui fut alors rapidement obtenu :

C’est cette somme [165100£] que nous devons au marchand de bois qui ne veut plus fournir , il n’y a plus un

fagot ni une bûche dans tout le Palais pour la rentrée de la Saint-Martin, au boulanger à qui est dû plus de dix

mille écus, à tous moments, je crois qu’il va tout abandonner, j’ai besoin de promettre que je ne puis pour le

retenir, il est dû aux buvetiers qui déboursent tous les jours et sont prêts à tout quitter, enfin à cent ou deux cents

petits créanciers, huissiers, archers, greffiers de province qui ont déboursé pour des frais de procès criminels faits

au Parlement depuis dix ans et qui crient sans cesse après moi ; voilà l’état présent auquel on ne peut trop tôt

remédier »

Certains étaient même passés à l’acte. En 1789, Trudon, de la manufacture des cires

d’Antony, avait refusé de faire la livraison des bougies. Le procureur général s’en était plaint

au contrôleur général Lambert, mais Trudon avait persisté à cause de l’ampleur des arriérés :

« J’ai l’honneur de vous prévenir que je n’ai pu déterminer le sieur Trudon, fournisseur ordinaire de la bougie du

parlement à faire pour l’année 1789. Il s’y refuse absolument sous le prétexte que n’étant pas payé de celle qu’il

a fait de 1788, il ne peut hasarder celle de 1789 ; que d’ailleurs craignant que ce qui lui est dû déjà et qui lui

serait dû encore par une nouvelle fourniture ne tomba dans ce qu’il appelle arriéré et le tout pouvant lui être payé

à une époque non déterminée avec des effets qui pourront être dans le cas de perdre en les réalisant , il ne veut

point, dit-il, augmenter la créance ».

Ainsi, lorsque les dépenses d’un chapitre dépassaient chaque année l’état prévu, il

n’était pas rare que des mémoires et factures soient acquittés après quelques années :

l’exemple le plus révélateur est celui de Simon, imprimeur du Parlement : le 15 mars 1748, il

obtenait quittance d’un mémoire de 1172£ qu’il avait donné au Parlement en 1745. Cela était

loin d’être un cas isolé tant le greffier en chef et le procureur général étaient limités dans leur

action quand les fonds manquaient : en 1778, ils payèrent des mandements datant de 1768 à

l’apothicaire du Parlement pour une somme de 3000£.

II. Le Parlement, porte-monnaie de la monarchie

Au-delà de ce simple rôle de client, que les artisans étaient chargés de fournir, le

Parlement était percepteur de nombreux droits qui revenaient ensuite au roi.

Page 8: Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

8

A. Les profits du domaine du roi : caves et boutiques.

Si les mercuriales ont souvent insisté sur le caractère presque sacré du magistrat dans

l’espace judiciaire, elles ont beaucoup moins montré la réalité du Palais, temple de la justice

largement investi par les marchands. Au cœur de l’Île de la Cité, les espaces vides du Palais,

notamment les caves, avaient rapidement trouvé preneur parmi les tonneliers, orfèvres et

autres artisans de la Cité qui payaient chaque année une location, versée au Domaine. En

1773, le procureur général Joly de Fleury avait pris conscience de ce commerce qui négligeait

totalement la sécurité du Palais, futailles, fagots et vieux tonneaux encombraient les caves non

éclairées dans lesquelles il fallait descendre avec une torche, faisant du Palais un brasier en

puissance. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il découvrit que des cendres étaient entreposées

dans ces caves :« Dans le même passage à côté de cette cave, en est une autre remplie de

cendres des orfèvres que l’on y lave, occupée par le sieur Colly, elle peut répondre à la

Grande salle immédiatement près le parquet, il serait important de savoir si l’on y fait que

laver les cendres car on prétend qu’il y a une vaste cheminée où l’on y fait la fonte de ce que

l’on retire de ces cendres ». Depuis un arrêt du Parlement du 21 mai 1663, il était en effet

interdit pour les locataires des caves et boutiques du Palais de posséder une cheminée car

certains marchands avaient entrepris de fabriquer au Palais de la poudre à canon.

Mais l’occupation du Palais n’était pas que souterraine. Dès le début du XVIIe siècle, la

monarchie avait mis en location les espaces libres au Palais, structurés progressivement aux

XVIIe et XVIII

e siècles. Les « boutiques du Palais » étaient une véritable institution qui frappait

les visiteurs étrangers, dans un mélange cocasse où parlementaires graves en robe noire

côtoyaient les marchandes bavardes et rusées.

L’origine de ces boutiques était loin du folklore, elle était surtout motivée par la

possibilité de faire rentrer davantage d’argent dans le trésor royal grâce au Domaine. Un arrêt

du Conseil du 18 décembre 1604 avait décidé la location des boutiques, échoppes et bancs du

Palais dont le montant fut affermé à la corporation des merciers pour neuf ans. Ces baux

furent renouvelés jusqu’en 1674 où le roi décida de mettre en vente les boutiques. Les

adjudications s’étaient faites au compte-goutte jusque dans le premier tiers du XVIIIe siècle et

ce furent essentiellement les parlementaires qui en firent l’acquisition. Les Le Roy d’Herval

avaient reçu en héritage quatre boutiques vendues à la fin du XVIIe siècle pour la somme totale

de 24680£. Ils percevaient un loyer de 100£ pour chaque boutique mais devaient verser une

rente annuelle au Domaine de 23£, dernier revenu que le roi pouvait espérer toucher sur les

boutiques qu’il avait engagées en plus d’un cens modique et des droits de mutation,

Page 9: Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

9

notamment les lods et ventes. La manne n’était pas tarie pour autant, car il suffisait au roi de

créer de nouvelles boutiques, ce qu’il fit au rez-de-chaussée de la façade du Parlement

donnant sur le quai de l’Horloge au milieu du XVIIIe siècle. On dénombrait au XVIIIe siècle

plus de 130 locataires, sans compter les boutiques des escaliers et de la cour du Palais. Le

terrier du roi de 1700 matérialise justement la localisation de toutes ces boutiques qui

pullulaient au Palais. Elles sont représentées par toutes les petites encoches dans la cour et les

différentes galeries.

On trouvait de tout dans ces boutiques dont les gravures permettent de cerner

précisément l’intérieur, des marchandes vendant gants, mouchoirs ou d’accessoires de modes,

aux libraires proposant almanachs, livres d’adresses de Paris ou les derniers arrêts du

Parlement, en passant par les papetiers ou écrivains publics.

Ces représentations cassent l’image traditionnelle du Palais. Loin d’être un lieu froid et

épuré, il était constamment en mouvement sous un brouhaha incessant mêlant convocations

des huissiers, invectives des procureurs et publicités des mercières. Le Parlement était donc

totalement intégré à la vie de la Cité, bien plus qu’on ne pourrait le penser et ces

parlementaires, grands seigneurs, conseillers du roi et parfois futurs ministres se mêlaient à

une foule qui avait toujours la possibilité de les solliciter.

B. Le service du roi au service du Trésor.

Les revenus des locations étaient réguliers mais modiques. Cela n’était rien en

comparaison des rentrées que généraient les frais pour entrer au service du roi. Les

transmissions et ventes d’offices ne rapportaient plus rien au roi de manière directe, car les

charges étaient toutes au XVIIIe siècle dans les mains des conseillers et appartenaient à une

vénalité privée. Mais la vénalité, notamment à partir de 1604 et la création du droit annuel,

avait introduit un lien financier entre le roi et ses officiers par l’intermédiaire de multiples

droits, tant pour la provision, l’exercice et la transmission de l’office.

Une série de droits étaient à acquitter pour tout conseiller désireux d’obtenir les

provisions de l’office de conseiller. Il fallait avant tout payer le droit de survivance, augmenté

d’un droit de deux sols pour livre (10%) au receveur des parties casuelles.

Tous les officiers devaient aussi acquitter le droit de marc d’or ou droit de serment,

censé alimenté la caisse de l’Ordre du Saint-Esprit et qui était versé alors au commis à la

recette du marc d’or. Une fois ces deux droits payés et les quittances obtenues, il était possible

au futur officier de demander l’expédition de ses lettres de provisions en chancellerie, où elles

Page 10: Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

10

étaient scellées par le chancelier, ouvrant le paiement de deux nouveaux droits : le droit de

sceau et les honoraires pour les officiers de la Chancellerie.

Si le conseiller ne remplissait pas toutes les conditions, des lettres de dispense lui

permettaient d’exercer, mais elles avaient aussi un coût et devaient aussi être vérifiées et

occasionnant de nouveaux frais. Tous ces frais étaient payés avant ou après l’achat de l’office

et le prix mentionné dans les traités d’office passés devant notaires comprenaient ou non ces

nombreux frais.

Ces frais variaient évidemment selon les offices, mais ils étaient fixes pour chaque

office. Un dépouillement de la série V1 entre 1781 et 1789 permet de connaître le montant

précis de ces frais de provisions. Pour la monarchie, les frais perçus étaient considérables,

même si les quatre droits allaient dans trois caisses différentes : les parties casuelles, la caisse

de l’ordre du Saint-Esprit et celle de la Chancellerie. Sur la période 1781-1789, elle avait

perçu 543460£ sur neuf années, soit en moyenne 60000£ par an.

C. La monarchie et le « casse » du bureau des consignations

Boutiques et droits liés à l’acquisition de l’office étaient deux volets de recettes

permanentes pour le Trésor royal. D’autres recettes pouvaient être plus ponctuelles mais aussi

plus considérables, c’est le cas des fonds du bureau des consignations sur lesquels la

monarchie avait fait main basse entre 1719 et 1721.

Il n’est pas l’objet ici de faire l’histoire complexe du bureau des consignations qui

occupe toute une sous-série aux Archives nationales. Il s’agit simplement de montrer

comment ses fonds furent prélevés par la monarchie.

Par un édit de juin 1578, la monarchie avait créée l’office de receveur des

consignations. Il était le dépositaire des deniers ou biens en contestation judiciaire et se

chargeait de les administrer jusqu’à la fin du procès. Lorsque les procédures judiciaires

débouchaient sur un arrêt du Parlement ordonnant la saisie, le bien était placé en consignation.

Une fois la décision rendue, le receveur des consignations distribuait les biens aux créanciers

en respectant l’ordre donné par l’arrêt.

En théorie donc, le travail du receveur était de consigner l’argent ou les immeubles et de

les rendre aux parties ou aux créanciers une fois l’affaire jugée. Le principal problème

concernait ce que l’on devait rendre : afin de ne pas léser les parties, le receveur devait rendre

le bien et les intérêts du bien. Cela obligeait donc le receveur à continuer de gérer les

immeubles en passant des baux. Pour les sommes en nature, cela était plus complexe, car il

devait faire fructifier cet argent par des placements en théorie sûrs, mais en veillant à ce que le

Page 11: Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

11

fonds disponible soit important pour pouvoir rendre les biens à ses propriétaires. Cet

engrenage avait évidemment connu ses excès au début du règne personnel de Louis XIV avec

la faillite retentissante du receveur Le Tillier en 1665. Il avait d’abord multiplié les mauvais

placements, creusant les pertes des consignations et il avait aussi eu la fâcheuse tendance à

contracter des prêts pour se rembourser du coût de son office, confondant ainsi sa bourse et

celle de la monarchie. Pendant quatre ans de 1665 à 1669, le Parlement avait géré le bureau

des Consignations avant qu’une compagnie ne le reprenne, acceptant les dettes de Le Tillier,

mais réussissant en quelques décennies à faire la fortune de ses sociétaires.

En 1719, pour favoriser l’entreprise de Law et de son papier monnaie, la monarchie

avait décidé de défendre l’usage des espèces, notamment au bureau des consignations. Les

receveurs obtempérèrent bien malgré eux : les millions d’écus furent converties en papier

monnaie mais deux ans plus tard, suite aux vicissitudes du système de Law, une déclaration

du 24 juin 1721 convertit le fonds de billets en une rente sur les aides et gabelles au denier 40.

Cette manipulation n’était pas seulement un moyen de solder l’échec des idées de Law, c’était

un prétexte habile pour se saisir du fonds considérable du bureau des consignations, qui

disposait alors de 13 529 850£, dont 11 454 160£ pour les fonds du Parlement.

Cette manipulation coûtait d’autant moins cher au Trésor que les contrats sur les aides et

gabelles n’allaient bientôt plus être honorés, comme la plupart des engagements à long terme

de la monarchie : en novembre 1731, le contrôleur général des finances demandait

officiellement au payeur des rentes de suspendre le versement des rentes. Cela n’avait pas eu

de conséquences immédiates tant le fonds des consignations était important. En 1731, il avait

été délivré aux créanciers 7 693 977 £ depuis les dix dernières années, ne laissant dans les

caisses que 3 760 183£. Mais en 1759, les receveurs des consignations demandèrent la

protection du procureur général face aux multiples procès qui risquaient de s’abattre sur eux,

alors que le fonds jadis opulent était désormais pratiquement vide et que les plaideurs qui

avaient été forcés de placer leur bien en litige au bureau des consignations en 1721 venaient

réclamer le bien ou la somme avec les intérêts des 37 dernières années.

Le Parlement était donc un agent économique essentiel pour la monarchie car il jouait le

rôle d’immense pompe à deniers. Malheureusement, aucun d’eux ne servait directement à

alimenter le budget de l’institution. La circulation économique était à sens unique au profit du

Trésor royal.

Page 12: Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

12

III. Le rôle du Parlement dans la stimulation de la circulation monétaire.

A. Le rôle des frais de justice dans la circulation monétaire

Il est d’abord évident que les frais de justice constituaient la principale cause de

circulation monétaire. Dès le début du procès en appel au Parlement, il était nécessaire, pour

chaque procès, de consigner au receveur des amendes 12£ pour l’amende de fol appel. Si les

juges considéraient que la cause portée au Parlement était infondée, cette amende était

encaissée, sinon, elle était rendue, ou plutôt déduite des frais du procès. Dans le cas des

défauts ou congés, l’amende montait à 25£. Plus l’appel demandait une procédure complexe,

plus l’amende était importante : dans le cas des requêtes civiles, si le demandeur était débouté,

il devait payer 450£ d’amende, dont les deux tiers revenaient au roi et un tiers à la partie.

Le cas le plus considérable concernait les frais de procédures, qui pour chaque affaire,

montait à plusieurs centaines de livres. On peut distinguer trois types de dépenses à acquitter :

les frais d’instruction (avocats, procureurs, huissiers), les droits du roi (papier timbré, contrôle

et droits du greffe) et les frais de jugements (épices, vacations, droits au secrétaire). Les frais

de jugements étaient relativement limités en réalité et ne dépassaient guère les 20% du coût

d’un arrêt. Or, on sait que chaque année, les épices et vacations aux Enquêtes et à la

Grand’Chambre rapportaient aux conseillers 80000 écus, on peut supposer que le total des

frais de justice montait grosso modo à 400000 écus, soit plus de 1 200 000£ par an, dont une

partie revenait aux acteurs du Parlement (avocats, procureurs, greffiers, huissiers, conseillers),

mais aussi et surtout au Trésor royal par le jeu des droits multiples et variés. Les frais

judiciaires jouaient donc un rôle central de redistribution des espèces sonnantes et

trébuchantes. On peut aussi supposer qu’ils favorisaient la stimulation du crédit compte tenu

des sommes à acquitter au cours des procès. Il n’est pas à douter que pour payer les frais, des

plaideurs aient emprunté ces sommes à court terme, par l’intermédiaire d’obligations.

Malheureusement, ces types de transactions se faisant souvent sous seing privé et sans minute

de notaire, il est impossible d’en connaître l’ampleur.

B. Parlement, crédit et circulation monétaire.

Le Parlement jouait aussi un rôle essentiel dans la circulation de l’argent. Il fut un

stimulateur de la circulation monétaire et du crédit.

S’il n’a pas été trouvé de minutes mentionnant cette utilisation, il est cependant certain

que l’achat d’un office de conseiller, voire de président ou d’avocat général, supposait

Page 13: Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

13

souvent le recours au notaire et à la pratique, non plus de l’obligation, mais pour ces montants

bien plus conséquents, de la rente constituée. Il était extrêmement rare qu’un conseiller ait à

sa disposition la somme en argent sonnant et trébuchant à verser au vendeur, le jour du traité

d’office. En fonction des exigences du vendeur, plusieurs options se présentaient pour le futur

magistrat : si le vendeur était conciliant, il pouvait accepter que la finance de l’office soit

convertie intégralement en une rente, mais cela était rare. Dans bien des cas, souvent parce

qu’il devait lui-même rembourser les créances qu’il avait contractées pour l’achat de sa

charge, le vendeur acceptait une partie de la somme en argent sonnant et trébuchant et le reste

converti en rente : Claude de La Michodière avait vendu en 1740 son office de conseiller

55000£ à Antoine Mégret d’Étigny. Il avait consenti à recevoir 1000£ immédiatement et

30000£ après les provisions. Pour les 24000£ restants, il acceptait une rente de 1000£ au

denier 24. On trouve ces arrangements dans la plupart des traités d’offices qui ont été

dépouillés. En fonction de la proximité familiale et de l’amitié que se portaient les

contractants, le denier pouvait varier de l’officiel denier 20 (5%), au denier 24 (4,16%),

beaucoup plus courant, en allant même jusqu’au denier 30 (3,33%).

Dans certains cas, poussé par la nécessité, le vendeur pouvait demander le paiement

intégral : en 1743, René Marcel Fermé avait exigé le paiement des 43000£ pour l’office de

conseiller au Parlement un mois après la provision de Pierre Henri Benoît d’Arquisade de

Saint-Fulgent1. Cela était en réalité assez rare : fallait-il y voir la réprobation du vendeur,

obligé de céder son office et qui n’avait pour acheteur que le fils de l’ancien maire de Nantes,

lieutenant de la grande vénerie du roi, anobli par une charge de secrétaire du roi près le

parlement de Pau ? C’est probable, d’autant que la plupart des arrangements et des facilités de

paiements marquaient justement cette bienveillance confraternelle liée à la solidarité

parlementaire.

Pour les charges les plus prestigieuses et les plus coûteuses, comme celles de présidents

ou d’hommes du roi, les vendeurs réclamaient souvent une grande partie de la finance en

argent, obligeant les acheteurs à multiplier les constitutions de rente pour payer leur office. En

1717, le paiement du brevet de retenue de 300000£ au chancelier d’Aguesseau par le nouveau

procureur général Guillaume-François Joly de Fleury avait occasionné la constitution de treize

contrats qui financèrent l’intégralité des 300000£. Cela n’était qu’un début puisqu’il avait

ensuite constitué vingt nouveaux contrats, pour tenter de diminuer les arrérages des premières

1 AN, MC, MC LXV 294 bis, 10 juin 1743, traité d’office de conseiller au Parlement de Louis Marcel Fermé à

René d’Arquisade pour son fils Pierre Henri Benoît d’Arquisade.

Page 14: Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

14

constitutions. En tout, l’achat de la charge avait occasionné plus de trente contrats, dont une

partie passait à son fils Guillaume-François-Louis.

Près de trente ans plus tard, Cardin François Xavier Lebret reproduisait ce schéma de

sollicitations lorsqu’il payait la finance de l’office d’avocat général au Parlement estimée à

400000£ à Pierre Paul Gilbert de Voisins.

Par 12 contrats de constitutions, il avait réglé une grande partie de la somme et n’avait

versé de ses propres deniers que 53166£ 13s 4d., la dot de sa femme, Anne Louise Charlotte

Le Pelletier de La Houssaye, lui permettant aussi d’acquitter 60000£. Dans la plupart des cas,

notamment chez l’avocat général Lebret, la solidarité parlementaire jouait son plein effet

puisque les crédirentiers étaient essentiellement des familiers (son frère), des collègues

parisiens (François Boula de Montgodefroy) ou provinciaux (François-Xavier Coriolis de

Villeneuve, président à mortier au parlement d’Aix), voire des soutiens parlementaires par les

frères (Louis Léon Pajot), mais surtout les filles, femmes ou veuves de membres du Palais,

ayant souvent de près ou de loin des liens avec la famille (Marie-Madeleine Thibert des

Martrais2, Henriette Anne Louise d’Aguesseau de Fresnes3, Catherine Le Marchand de

Bardouville, veuve de Gourgues4). Il en allait de même pour l’Hôtel-Dieu, généreux

débitrentier d’une rente au principal de 78000£, dont la gestion était confiée à des

administrateurs, dont les principaux acteurs étaient le premier président et le procureur

général.

L’office était donc un puissant moteur de stimulation du crédit et l’office de conseiller

ne faisait pas exception, quel que soit finalement l’évolution du prix de l’office au XVIIIe

siècle.

L’achat de l’office n’était pas le seul moment de dépense et de redistribution. Toutes les

cérémonies de réception au Parlement étaient l’occasion de frais payés au Parlement, mais

redistribués entre les membres du Parlement : chaque conseiller payait le jour de sa réception

des frais montant à 400£ qui étaient redistribués entre les membres de la chambre. Les ducs et

2 Elle était la fille du premier lit de Jacques Ennemond Thibert des Martrais, receveur des consignations du

Parlement et de Marguerite Madeleine de La Grange-Trianon. Son demi-frère, Jacques Philippe, issu du mariage

en secondes noces de son père avec Marie-Jeanne Le Maire de Montlevault, François-Alexandre Aubert de La

Chesnaye Des Bois, Dictionnaire généalogique, héraldique, historique et chronologique, Paris, Duchesne, 1761,

t. VI, 3e supplément, p. 454. 3 Henriette Anne Louise d’Aguesseau (1737-1794) était la fille de Jean-Baptiste Paulin d’Aguesseau de Fresnes

(1701-1784), conseiller d’État. Il avait épousé en secondes noces Marie-Geneviève Rosalie Le Bret, sœur de

Cardin François Xavier Le Bret. Henriette Anne Louise d’Aguesseau était donc la nièce de l’avocat général. 4 Catherine Le Marchand de Bardouville (-1771), fille d’un conseiller au parlement de Rouen, était la veuve de

Jean François Joseph de Gourgues (1670-1734), maître des requêtes. De leur mariage (1709) naquirent plusieurs

fils, dont deux entrèrent au Parlement : Armand-Pierre-Marc Antoine (1717-1743) et Alexis-François-Joseph

(1725-1818), conseiller à la 3e chambre des enquêtes en mars 1747, maître des requêtes en 1753, président au

Grand Conseil en 1760, intendant de Montauban en 1761.

Page 15: Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

15

pairs reçus au Parlement avaient eux-aussi une liste de gratifications à faire pour remercier les

principaux acteurs du Parlement, notamment le premier président, les membres du parquet et

du greffe. Cette gratification était bien plus considérable et s’élevait à plus de 3000£ (3329£

pour la réception d’un pair).

Enfin, il faut aussi signaler que les pratiques d’hommages, de dons ou de contre-dons,

donnaient aussi l’occasion de nombreux échanges dans le cadre du Parlement. De nombreux

magistrats recevaient et donnaient à leur tour des étrennes, en argent ou en nature, dont les

totaux cumulés pouvaient être considérables. L’avocat général Joly de Fleury avait reçu en

1716 des centaines de bouteilles et de nombreux présents en nature. Le président Le Pelletier

ne faisait pas exception : il recevait en nature des dizaines de présents et versaient quelques

centaines de livres pour remercier la plupart des contributeurs aux menues tâches du Palais.

C. Assistance et charité, bases de l’influence financière du Parlement.

À l’exception de son budget, le Parlement ne disposait officiellement d’aucun fonds

propre lui laissant une quelconque latitude. Pourtant, au fil du XVIIIe siècle, le procureur

général, protecteur-né des pauvres, avait eu à gérer des fonds de plus en plus considérables,

fruits des multiples donations et fondations faites au profit des pauvres ou pour des

assignations bien précises souvent à l’instigation des conseillers eux-mêmes.

Le procureur général, défenseur des pauvres et mineurs, avait, avec le premier président,

un rôle essentiel dans les institutions de charité, dont tous deux étaient souvent les

administrateurs, au sein de l’Hôtel-Dieu, du Grand Bureau des pauvres ou de l’Hôpital

général5. Lors de fondations pieuses, il revenait au procureur général la tâche de vérifier si le

legs pouvait être effectif. Son rôle s’arrêtait en théorie à ce contrôle. À partir de la fin du

XVIIe siècle et surtout au XVIII

e siècle, pour garantir l’exécution des legs, les donataires eurent

tendance à faire les dons directement au Parlement ou au procureur général et à ses

successeurs dans la fonction. Par ces multiples fondations, le Parlement devenait un acteur

essentiel de la charité parisienne et renforçait considérablement son poids économique, par les

sommes considérables qu’il avait en sa possession, compensant ainsi l’état chaotique de son

budget de fonctionnement.

5 Le premier président était aussi administrateur de la communauté des filles de Saint-Joseph, instituée par Marie

Delpech de L’Estang à Paris en 1641, ibid., fol. 128. AN, L 775 : titres de la fondation de la congrégation et de

son établissement à Paris ; L 1061 : legs et donations. Sur cette question, Léon Cahen, Le Grand bureau des

pauvres au milieu du XVIIIe siècle, Paris, Société nouvelle de librairie et d’édition, 1904 ; Camille Bloch,

L’assistance et l’État en France à la veille de la Révolution (1764-1790), Paris, Picard, 1908 ; id., « Inventaire

sommaire de la collection Joly de Fleury concernant l’assistance et la mendicité », dans BEC, 69, 1908, p. 63-

168.

Page 16: Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

16

On a retrouvé quatorze légataires dont les fondations étaient encore en cours dans le

fonds Joly de Fleury de la Bibliothèque nationale, mais il est impossible de savoir si d’autres

fondations étaient sous la responsabilité du procureur général.

En disposant d’un capital de 1 474 380£, le Parlement distribuait donc chaque année

51452£ 17 s. par an pour des œuvres de charité à Paris et aussi dans certains villages de son

ressort, selon la demande des fondateurs.

Les fondations charitables pour les pauvres étaient les plus courantes et les plus

nombreuses. Certaines avaient pour objet de faire dons aux pauvres, comme la fondation

Florée, ou de créer des fonds pour des écoles de charité. D’autres prévoyaient de venir en aide

aux pauvres en leur apprenant un métier ou en les dotant. Tel était la recommandation des

fondations Métezeau, Colbert ou Pion. D’autres enfin étaient très spécifiques, comme

l’aumône Courlandon, fondée en 1707, qui consistait en une rente de 1200£ à répartir entre les

incendiés et les propriétaires ruinés par la grêle dans les différentes provinces du royaume.

Une autre fondation, dont on ne connaît pas l’origine avait ce même motif, pour une rente de

125£.

D’autres fondations avaient été directement adressées au procureur général, lui laissant

à gérer des fonds considérables. C’est le cas des dons et legs faits par le président Melchior

Cochet de Saint-Vallier qui « par sa grande économie, ou plutôt par son avarie sordide et par

ses usures, avait amassé des biens considérables ». Entre 1734 et 1738, il multiplia les

cessions au procureur général pour favoriser les pauvres nobles. Par sept contrats de cession

de rentes, il laissait au procureur général un capital de principaux de rentes de 1 151 680 £

pour un total des arrérages annuels de 36950£. Trois rentes étaient consacrées à l’entretien de

pauvres nobles retirés dans une maison ou un couvent : la première de 3700£ au principal de

97840£ visait à aider « cinq gentilshommes peu avantagés par les biens de la fortune » retirés

dans la maison de l’Oratoire âgés d’au moins soixante ans ; les deux autres du 18 janvier 1735

avaient la même fonction : 3750£ de rente au principal de 105000£ devaient servir à nourrir et

entretenir cinq gentilshommes sexagénaires désirant se retirer dans une maison, tandis que

3500£ de rente au principal de 92240£ étaient consacrées à cinq femmes nobles d’au moins

cinquante-cinq ans afin qu’elles se retirent dans un couvent de leur choix. Les autres cessions

étaient destinées à doter une pauvre femme noble, à secourir de pauvres magistrats ou à

financer l’entrée d’un pauvre noble dans un collège prestigieux. La dernière enfin était un

fonds de 6000£ de rente au principal de 300000£ destiné à rénover les églises et de favoriser

les œuvres pieuses, dont le procureur général était le seul décideur.

Page 17: Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

17

Le Parlement avait généralement sous sa direction les fondations pour l’amélioration du

sort des prisonniers. Les parlementaires et leurs femmes jouaient d’ailleurs un rôle central

dans ces fondations. La compagnie pour la délivrance des prisonniers pour dettes, fondée à la

fin du XVIe siècle par la famille Lamoignon et gérée par les femmes des présidents

Lamoignon, s’employait à la délivrance des prisonniers les plus indigents. Le procureur

général en était le président et de nombreux magistrats et leurs femmes y participaient

activement. Au XVIIIe siècle, les parlementaires fondèrent eux-aussi une telle compagnie, dans

un but plus précis, la compagnie de Messieurs pour la délivrance des prisonniers pour dettes

de mois de nourrice. Certaines fondations privées avaient aussi pour but l’amélioration du sort

des prisonniers. La fondation Billecocq était une rente pour payer les frais des lettres de grâce

et de commutation de peine que certains condamnés réussissaient à obtenir, mais ne pouvaient

faire exécuter, faute d’avoir les fonds nécessaires pour payer les droits de ces lettres. Si le

père oratorien Jean–Claude Billecocq était bien l’instigateur théorique de ce legs, passé chez

le notaire Marchand le 7 septembre 1744, il ne servait en réalité que de prête-nom au legs

qu’avait fait discrètement le chancelier d’Aguesseau, propriétaire réel des 25000£ de rentes

sur les aides et gabelles, fournissant chaque année une rente de 625£ au denier 40. Seul le

procureur général était au courant et les archives de la collection Joly de Fleury, sans doute

dans un souci de gestion efficace, ont exhumé ce secret qui faisait du détenteur de la grâce le

premier secours des prisonniers, dont le procureur général était directement responsable. Le

chancelier avait aussi dans son testament fait un legs de 1000£ pour cette cause, montrant tout

l’intérêt qu’il portait au sort des prisonniers.

La situation financière du Parlement contrastait avec son influence et son rôle

économique. Délaissé par la monarchie qui n’avait jamais pris en compte ses difficultés

budgétaires, les acteurs de la gestion de la cour avaient été contraints de systématiquement

courir contre la montre, ménageant les créanciers dans l’attente des fonds versés de plus en

plus tardivement. Pourtant, l’argent était loin de manquer au Palais. On peut dire qu’il coulait

à flots, mais le Parlement était totalement écarté de cette manne qui profitait exclusivement au

roi qui n’avait d’ailleurs pas hésité à consommer toutes les ressources du Parlement,

notamment les fonds du bureau des consignations. Ces faiblesses étaient compensées par le

rôle économique du Parlement dans l’économie parisienne, particulièrement sur l’Île de la

Cité, dont il était un moteur essentiel. Plus largement, ses besoins et son activité créaient des

effets induits sur la circulation monétaire ou le crédit. L’activité du Parlement générait les

Page 18: Le rôle économique et financier du parlement de Paris à paris au XVIIIe siècle, séminaire Pr. Reynald Abad, 14 mai 2013

18

effets d’un cercle vertueux d’activité économique que matérialisait son rôle dans l’assistance

et la charité.