VERS LA LEGALISATION DE L´APPROPRIATION ILLICITE DE L´OEUVRE D´ART ? . Depuis l´émergence des nationalismes outre-mer et l ´indépendance retrouvée des colonies, le musée s´est trouvé interpellé de façon croissante sur l´origine de ses collections et sur leur mode d´acquisition. Les conservateurs des principaux musées des Etats-Unis inquiets de ces revendications ont parrainé un projet de loi interdisant toute saisie ou toute réclamation d ´oeuvres d´art de leurs collections, dont l´appropriation serait contestée, estimée ou avérée illicite, à l ´exception des oeuvres d´art appartenant à des familles juivess et saisies par le régime nazi lors de la seconde guerre mondiale. Ce projet de loi connu comme « Foreign Cultural Exchange Jurisdictional Immunity Clarification Act « qui a été voté par la Chambre des Représentants et se trouve soumis actuellement au Sénat, vise à protéger les musées publics aux Etats-Unis comme à l´étranger ( tel le Louvre ou le Prado ) dans le cadre du prêt de pièces de leurs collections à l´étranger. Il a reçu, dans un premier temps, le soutien du Conseil national des Musées de 1
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VERS LA LEGALISATION DE L´APPROPRIATION
ILLICITE DE L´OEUVRE D´ART ?
.
Depuis l´émergence des nationalismes outre-mer et l
´indépendance retrouvée des colonies, le musée s´est
trouvé interpellé de façon croissante sur l´origine de ses
collections et sur leur mode d´acquisition. Les
conservateurs des principaux musées des Etats-Unis
inquiets de ces revendications ont parrainé un projet de
loi interdisant toute saisie ou toute réclamation d
´oeuvres d´art de leurs collections, dont l´appropriation
serait contestée, estimée ou avérée illicite, à l
´exception des oeuvres d´art appartenant à des familles
juivess et saisies par le régime nazi lors de la seconde
guerre mondiale.
Ce projet de loi connu comme « Foreign Cultural
Exchange Jurisdictional Immunity Clarification Act « qui
a été voté par la Chambre des Représentants et se trouve
soumis actuellement au Sénat, vise à protéger les musées
publics aux Etats-Unis comme à l´étranger ( tel le Louvre
ou le Prado ) dans le cadre du prêt de pièces de leurs
collections à l´étranger. Il a reçu, dans un premier
temps, le soutien du Conseil national des Musées de1
France, mais son directeur général, Julien Anfruns, semble
revenir sur cette décision compte tenu du tollé que ce
projet de loi soulève dans le monde.
Le texte de loi reviendrait à empêcher désormais
tout recours en justice pour la récupération d´oeuvres
dont l´acquisition est considérée illicite et introduirait
dans l´appropriation illicite une approche discriminatoire
en faveur des oeuvres dérobées à des familles juives lors
du deuxième conflit mondial.
Le sac de Constantinople lors de la IVème croisade
(1202-1204), le sac de Bagdad (1258), la conquête du
Mexique et du Nouveau Monde (1517-1519), le sac du Palais
d´Eté à Pékin (1860), les guerres napoléoniennes (1803-
1815), la colonisation italienne, allemande, anglaise et
française en Afrique, la Seconde Guerre Mondiale et, plus
récemment, l´intervention turque à Chypre (1974), et l
´occupation de l´Irak (2003) ont été autant d´occasions de
pillages ou d´appropriations illicites d´oeuvres d´art
dont les collections des principaux musées portent,
aujourd´hui, la trace.
Les expéditions militaires à l´époque coloniale
étaient accompagnées d´archéologues et d´experts chargés
de sélectionner des oeuvres d´art pour les musées. Des
archéologues du British Museum accompagnaient les troupes2
britanniques lors de l´invasion de l´Ethiopie en 1868,
comme en 1945 des experts d´art accompagneront l´avance en
Allemagne des troupes soviétiques.
La ‘’Pierre de Rosette’’, une stèle découverte en
1799 dans la cité portuaire égyptienne de Rosette (Rashid)
lors de l´expédition napoléonienne, a été transportée en
Angleterre après la victoire de la flotte anglaise en rade
d´Aboukir. Elle a permis de déchiffrer les hiéroglyphes.
Elle se trouve exposée au British Museum avec la mention
bien visible sur son socle : ‘’capturée en Egypte par l
´armée britannique en 1801’’. L´Egypte a demandé la
dévolution de cette pièce qu´elle considère comme ‘’une
icône de son identité’’, pour reprendre l´expression
utilisée par le conservateur en chef des antiquités
égyptiennes, Zahi Awass.
Le code Liebert, code de conduite destiné à l´Armée
du nord pendant la guerre de Sécession, signé par Abraham
Lincoln, autorisait explicitemente la saisie et la
spoliation d´oeuvres d´art, des collections et des
bibliothèques (article 36).
L´exemple le plus connu est, évidemment, la mise à
feu et à sac du Palais d´Eté de l´Empereur de Chine commis
par les troupes franco-britanniques en 1860, qui
contenait, selon le directeur actuel du Palais, plus d´un
million d´objets inestimables. La vente aux enchères, par
Christie´s, de la collection d´art du couturier Yves3
Saint-Laurent en 2008 à Paris, parmi laquelle deux têtes d
´animaux en bronze venant du Palais d´Eté et dont la
République Populaire de Chine demandait la restitution, a
rappelé ce triste épisode. Christie´s avait tenté de
marchander ces pièces à la Chine avant la vente pour 20
millions de dollars, un prix que les autorités de Pékin
estimaient excessif, compte-tenu du caractère illégitime
de leur acquisition.
Victor Hugo a consacré à l´époque á ce fait d´arme
des lignes célèbres : ‘’Deux bandits sont entrés dans le Palais d´Eté. L
´un a pillé, l´autre l´a incendié. L´un des vainqueurs a empli ses poches, l´autre,
ce que voyant, a rempli ses coffres. Ce qu´on avait fait au Parthénon, on l´a fait
au Palais d´Eté, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser.
Nous, européens, nous sommes les civilisés et pour nous les chinois sont des
barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. Devant l´histoire, l´un
des deux bandits s´appelle la France, l´autre s´appelle l´Angleterre... J´espère qu
´un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine
spoliée. En attendant, il y a un vol et deux voleurs’’. Mais le
gouvernement français a tiré profit de cette vente puisqu
´il a loué, à un tarif confidentiel, à Christie´s, le
splendide espace public parisien d´expositions, le Grand
Palais, et les enchères de cette collection d´art ont
dépassé 373 millions d´euros.
Les exemples d´interventions militaires punitives
spoliant le patrimoine culturel d´un pays sont nombreuses,
telles les interventions de l´armée britannique en4
Ethiopie (Magdala) en 1868, au Ghana (Kumasi) en 1874, au
Bénin (royaume d´Edo) en 1897.
En temps de paix, au XIXème siècle, ce sont les
diplomates qui s´improvisent antiquaires et archéologues.
Les collections de Sir William Hamilton, plénipotentiaire
anglais à la Cour de Naples pendant 37 ans, sont au
British Museum qui doit à Henry Salt, consul général en
Egypte, la statue de Ramses II de Thèbes. Lord Elgin,
ambassadeur de sa Majesté à la Cour ottomane, est à l
´origine de la déprédation des frises du Parthénon. Elles
sont restées plusieurs années dans l´humidité sur le
terrain de sa propriété à Londres en attendant un
acquéreur et une partie de cette frise se trouve, aujourd
´hui, au British Museum. La Grèce en demande la
restitution depuis 1830.
Les archéologues ont, par formation et vocation,
quelles que soient leurs spécialités et nationalités, pour
intérêt premier la préservation du site, du monument, de
la stèle et de l´objet antique afin de comprendre et d
´interpréter l´histoire des civilisations. Les missions
archéologiques obéissent à des codes éthiques que l´on
retrouve dans les principales organisations
représentatives (The Society of American Archeology, l
´Ecole Française d´Extrême Orient, l´Institut Allemand d
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´Archéologie, la Mission Archéologique italienne en
Egypte, Archeological Survey of India, etc.).
En raison des infrastructures de qualité qu´offrent
les départements spécialisés (recherches, restauration,
préservation, identification, codification) des principaux
musées occidentaux, le transfert d´objets – mais non leur
propriété – était opportun d´un point de vue scientifique.
Les quelque 5.000 pièces trouvées au Machu Pichu par
l´archéologue anglais Hiram Bingham, professeur à l
´université de Yale, prêtés formellement pour une période
de 12 mois par le gouvernement du Pérou pour être étudiées
et restaurées, et que le Pérou réclame avec constance
depuis 1920, sont toujours abusivement retenues dans le
musée Peabody à New Haven, en dépit du soutien apporté au
Pérou par feu Hiran Bingham, par la National Geographic
Society qui avait financé les fouilles et par le sénateur
pour le Connecticut, Christopher Dodd. L´université de
Yale n´a pas autorisé l´accés á ces objets aux
archéologues péruviens.
Le buste de Nefertiti (3.400 avant J.C.), découvert
par l´archéologue allemand Ludgwig Borchardt en 1912 et
rapporté à Berlin pour y être étudié, est toujours au
Neues Museum de Berlin en dépit des demandes de dévolution
de l´Egypte.
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Le choix muséographique de transférer des pièces
monumentales altère l´harmonie, la compréhension et,
surtout, l´intégrité des sites.
Le Zodiac de Dendarah, qui ornait le plafond du
temple d´Athor en Egypte, a été arraché, lors de la
campagne napoléonienne, à l´aide d´explosifs et la statue
d´Osiris, qui la jouxtait, détruite. Il se trouve au
Louvre et sa restitution est demandée par l´Egypte.
La frise du Parthénon, qui se trouve encore au
British Museum, soustraite du temple d´Athéna par Lord
Elgin en 1801, fait partie d´un ensemble plus vaste, la
procession des Panthénées, désormais défigurée, que les
autorités grecques, à la faveur de l´inauguration du
nouveau musée de l´Acropole, s´efforcent de reconstituer
(des fragments de cette procession ont été restitués en
2008 par l´Italie, par le Vatican et par l´université de
Heidelberg).
Les mosaïques de Kanakia, proposées au musée Paul
Getty de Los Angeles en 1988 par des marchands sans
scrupules, dérobées comme toutes les mosaïques et icônes
(plus de 15.000) aux églises byzantines cypriotes depuis l
´invasion turque en 1974 – comme celles acquises en 1984
par la Fondation Menil de Houston – ont été découpées afin
de faciliter leur transport et très abimées par ce
vandalisme, oeuvre du ‘’marchand’’ Aydin Dikman, en
détention depuis 1997. Ainsi, trouve-t-on aujourd´hui, au7
nord de Chypre, des chapelles au choeur défiguré et à
Houston une église byzantine apocryphe et factice
construite par la Fondation Meril pour abriter des
mosaïques du XIIème siècle en exil.
Au Musée National des Arts Asiatiques à Paris (Musée
Guimet) se trouve l´original du porche ouest en grés rose
du troisième groupe du temple Khmer de Banteay Srei,
temple dédié à Shiva, dont André Malraux avait soustrait à
la scie, en 1923, quatre belles sculptures d´Asparas.