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VERS LA LEGALISATION DE L´APPROPRIATION ILLICITE DE L´OEUVRE D´ART ? . Depuis l´émergence des nationalismes outre-mer et l ´indépendance retrouvée des colonies, le musée s´est trouvé interpellé de façon croissante sur l´origine de ses collections et sur leur mode d´acquisition. Les conservateurs des principaux musées des Etats-Unis inquiets de ces revendications ont parrainé un projet de loi interdisant toute saisie ou toute réclamation d ´oeuvres d´art de leurs collections, dont l´appropriation serait contestée, estimée ou avérée illicite, à l ´exception des oeuvres d´art appartenant à des familles juivess et saisies par le régime nazi lors de la seconde guerre mondiale. Ce projet de loi connu comme « Foreign Cultural Exchange Jurisdictional Immunity Clarification Act « qui a été voté par la Chambre des Représentants et se trouve soumis actuellement au Sénat, vise à protéger les musées publics aux Etats-Unis comme à l´étranger ( tel le Louvre ou le Prado ) dans le cadre du prêt de pièces de leurs collections à l´étranger. Il a reçu, dans un premier temps, le soutien du Conseil national des Musées de 1
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L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

Apr 29, 2023

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Page 1: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

VERS LA LEGALISATION DE L´APPROPRIATION

ILLICITE DE L´OEUVRE D´ART ?

.

Depuis l´émergence des nationalismes outre-mer et l

´indépendance retrouvée des colonies, le musée s´est

trouvé interpellé de façon croissante sur l´origine de ses

collections et sur leur mode d´acquisition. Les

conservateurs des principaux musées des Etats-Unis

inquiets de ces revendications ont parrainé un projet de

loi interdisant toute saisie ou toute réclamation d

´oeuvres d´art de leurs collections, dont l´appropriation

serait contestée, estimée ou avérée illicite, à l

´exception des oeuvres d´art appartenant à des familles

juivess et saisies par le régime nazi lors de la seconde

guerre mondiale.

Ce projet de loi connu comme «  Foreign Cultural

Exchange Jurisdictional Immunity Clarification Act «  qui

a été voté par la Chambre des Représentants et se trouve

soumis actuellement au Sénat, vise à protéger les musées

publics aux Etats-Unis comme à l´étranger ( tel le Louvre

ou le Prado ) dans le cadre du prêt de pièces de leurs

collections à l´étranger. Il a reçu, dans un premier

temps, le soutien du Conseil national des Musées de1

Page 2: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

France, mais son directeur général, Julien Anfruns, semble

revenir sur cette décision compte tenu du tollé que ce

projet de loi soulève dans le monde.

Le texte de loi reviendrait à empêcher désormais

tout recours en justice pour la récupération d´oeuvres

dont l´acquisition est considérée illicite et introduirait

dans l´appropriation illicite une approche discriminatoire

en faveur des oeuvres dérobées à des familles juives lors

du deuxième conflit mondial.

Le sac de Constantinople lors de la IVème croisade

(1202-1204), le sac de Bagdad (1258), la conquête du

Mexique et du Nouveau Monde (1517-1519), le sac du Palais

d´Eté à Pékin (1860), les guerres napoléoniennes (1803-

1815), la colonisation italienne, allemande, anglaise et

française en Afrique, la Seconde Guerre Mondiale et, plus

récemment, l´intervention turque à Chypre (1974), et l

´occupation de l´Irak (2003) ont été autant d´occasions de

pillages ou d´appropriations illicites d´oeuvres d´art

dont les collections des principaux musées portent,

aujourd´hui, la trace.

Les expéditions militaires à l´époque coloniale

étaient accompagnées d´archéologues et d´experts chargés

de sélectionner des oeuvres d´art pour les musées. Des

archéologues du British Museum accompagnaient les troupes2

Page 3: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

britanniques lors de l´invasion de l´Ethiopie en 1868,

comme en 1945 des experts d´art accompagneront l´avance en

Allemagne des troupes soviétiques.

La ‘’Pierre de Rosette’’, une stèle découverte en

1799 dans la cité portuaire égyptienne de Rosette (Rashid)

lors de l´expédition napoléonienne, a été transportée en

Angleterre après la victoire de la flotte anglaise en rade

d´Aboukir. Elle a permis de déchiffrer les hiéroglyphes.

Elle se trouve exposée au British Museum avec la mention

bien visible sur son socle : ‘’capturée en Egypte par l

´armée britannique en 1801’’. L´Egypte a demandé la

dévolution de cette pièce qu´elle considère comme ‘’une

icône de son identité’’, pour reprendre l´expression

utilisée par le conservateur en chef des antiquités

égyptiennes, Zahi Awass.

Le code Liebert, code de conduite destiné à l´Armée

du nord pendant la guerre de Sécession, signé par Abraham

Lincoln, autorisait explicitemente la saisie et la

spoliation d´oeuvres d´art, des collections et des

bibliothèques (article 36).

L´exemple le plus connu est, évidemment, la mise à

feu et à sac du Palais d´Eté de l´Empereur de Chine commis

par les troupes franco-britanniques en 1860, qui

contenait, selon le directeur actuel du Palais, plus d´un

million d´objets inestimables. La vente aux enchères, par

Christie´s, de la collection d´art du couturier Yves3

Page 4: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

Saint-Laurent en 2008 à Paris, parmi laquelle deux têtes d

´animaux en bronze venant du Palais d´Eté et dont la

République Populaire de Chine demandait la restitution, a

rappelé ce triste épisode. Christie´s avait tenté de

marchander ces pièces à la Chine avant la vente pour 20

millions de dollars, un prix que les autorités de Pékin

estimaient excessif, compte-tenu du caractère illégitime

de leur acquisition.

Victor Hugo a consacré à l´époque á ce fait d´arme

des lignes célèbres : ‘’Deux bandits sont entrés dans le Palais d´Eté. L

´un a pillé, l´autre l´a incendié. L´un des vainqueurs a empli ses poches, l´autre,

ce que voyant, a rempli ses coffres. Ce qu´on avait fait au Parthénon, on l´a fait

au Palais d´Eté, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser.

Nous, européens, nous sommes les civilisés et pour nous les chinois sont des

barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. Devant l´histoire, l´un

des deux bandits s´appelle la France, l´autre s´appelle l´Angleterre... J´espère qu

´un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine

spoliée. En attendant, il y a un vol et deux voleurs’’. Mais le

gouvernement français a tiré profit de cette vente puisqu

´il a loué, à un tarif confidentiel, à Christie´s, le

splendide espace public parisien d´expositions, le Grand

Palais, et les enchères de cette collection d´art ont

dépassé 373 millions d´euros.

Les exemples d´interventions militaires punitives

spoliant le patrimoine culturel d´un pays sont nombreuses,

telles les interventions de l´armée britannique en4

Page 5: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

Ethiopie (Magdala) en 1868, au Ghana (Kumasi) en 1874, au

Bénin (royaume d´Edo) en 1897.

En temps de paix, au XIXème siècle, ce sont les

diplomates qui s´improvisent antiquaires et archéologues.

Les collections de Sir William Hamilton, plénipotentiaire

anglais à la Cour de Naples pendant 37 ans, sont au

British Museum qui doit à Henry Salt, consul général en

Egypte, la statue de Ramses II de Thèbes. Lord Elgin,

ambassadeur de sa Majesté à la Cour ottomane, est à l

´origine de la déprédation des frises du Parthénon. Elles

sont restées plusieurs années dans l´humidité sur le

terrain de sa propriété à Londres en attendant un

acquéreur et une partie de cette frise se trouve, aujourd

´hui, au British Museum. La Grèce en demande la

restitution depuis 1830.

Les archéologues ont, par formation et vocation,

quelles que soient leurs spécialités et nationalités, pour

intérêt premier la préservation du site, du monument, de

la stèle et de l´objet antique afin de comprendre et d

´interpréter l´histoire des civilisations. Les missions

archéologiques obéissent à des codes éthiques que l´on

retrouve dans les principales organisations

représentatives (The Society of American Archeology, l

´Ecole Française d´Extrême Orient, l´Institut Allemand d

5

Page 6: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

´Archéologie, la Mission Archéologique italienne en

Egypte, Archeological Survey of India, etc.).

En raison des infrastructures de qualité qu´offrent

les départements spécialisés (recherches, restauration,

préservation, identification, codification) des principaux

musées occidentaux, le transfert d´objets – mais non leur

propriété – était opportun d´un point de vue scientifique.

Les quelque 5.000 pièces trouvées au Machu Pichu par

l´archéologue anglais Hiram Bingham, professeur à l

´université de Yale, prêtés formellement pour une période

de 12 mois par le gouvernement du Pérou pour être étudiées

et restaurées, et que le Pérou réclame avec constance

depuis 1920, sont toujours abusivement retenues dans le

musée Peabody à New Haven, en dépit du soutien apporté au

Pérou par feu Hiran Bingham, par la National Geographic

Society qui avait financé les fouilles et par le sénateur

pour le Connecticut, Christopher Dodd. L´université de

Yale n´a pas autorisé l´accés á ces objets aux

archéologues péruviens.

Le buste de Nefertiti (3.400 avant J.C.), découvert

par l´archéologue allemand Ludgwig Borchardt en 1912 et

rapporté à Berlin pour y être étudié, est toujours au

Neues Museum de Berlin en dépit des demandes de dévolution

de l´Egypte.

6

Page 7: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

Le choix muséographique de transférer des pièces

monumentales altère l´harmonie, la compréhension et,

surtout, l´intégrité des sites.

Le Zodiac de Dendarah, qui ornait le plafond du

temple d´Athor en Egypte, a été arraché, lors de la

campagne napoléonienne, à l´aide d´explosifs et la statue

d´Osiris, qui la jouxtait, détruite. Il se trouve au

Louvre et sa restitution est demandée par l´Egypte.

La frise du Parthénon, qui se trouve encore au

British Museum, soustraite du temple d´Athéna par Lord

Elgin en 1801, fait partie d´un ensemble plus vaste, la

procession des Panthénées, désormais défigurée, que les

autorités grecques, à la faveur de l´inauguration du

nouveau musée de l´Acropole, s´efforcent de reconstituer

(des fragments de cette procession ont été restitués en

2008 par l´Italie, par le Vatican et par l´université de

Heidelberg).

Les mosaïques de Kanakia, proposées au musée Paul

Getty de Los Angeles en 1988 par des marchands sans

scrupules, dérobées comme toutes les mosaïques et icônes

(plus de 15.000) aux églises byzantines cypriotes depuis l

´invasion turque en 1974 – comme celles acquises en 1984

par la Fondation Menil de Houston – ont été découpées afin

de faciliter leur transport et très abimées par ce

vandalisme, oeuvre du ‘’marchand’’ Aydin Dikman, en

détention depuis 1997. Ainsi, trouve-t-on aujourd´hui, au7

Page 8: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

nord de Chypre, des chapelles au choeur défiguré et à

Houston une église byzantine apocryphe et factice

construite par la Fondation Meril pour abriter des

mosaïques du XIIème siècle en exil.

Au Musée National des Arts Asiatiques à Paris (Musée

Guimet) se trouve l´original du porche ouest en grés rose

du troisième groupe du temple Khmer de Banteay Srei,

temple dédié à Shiva, dont André Malraux avait soustrait à

la scie, en 1923, quatre belles sculptures d´Asparas.

Il arrive que les archéologues se méprennent sur

leur ministère et s´égarent dans des fonctions d

´orpailleur ou d´antiquaire.

L´archéologue autrichien Norbert Hadrawa pille Capri

à la fin du XVIIIème siècle de ses trésors romains qu´il

disperse aux quatre vents. L´archéologue britannique,

James Mellaart, ancien directeur de l´Institut Britannique

d´Archéologie, sis à Ankara, et qui explorait le site

néolithique de Catalhöyük en Turquie, a été expulsé du

pays et son permis révoqué, après avoir exposé

publiquement des pièces que le conversateur du musée

archéologique d´Istambul soupçonne d´avoir été dérobées du

site en 1965. Plus récemment (2007), l´Egypte annonçait qu

´elle n´accueillerait plus d´archéologues du musée du

Louvre tant que ne lui seraient pas restituées cinq stèles

pharaoniques acquises par le Louvre au début des années

2000 et que le Caire estimait avoir été dérobées en marge8

Page 9: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

des fouilles officielles dans les années 80. Les stèles

ont été finalement restituées en décembre 2009.

Le directeur général des antiquités de Thèbes-Ouest,

Mohammed A. El Bialy, me disait, en 2001, à l´occasion d

´une exposition d´égyptologie au Brésil, organisée par la

Fondation Armando Alvares Penteado, le département des

Antiquités Egyptiennes du Musée du Louvre et le Conseil

Suprême des Antiquités en Egypte, que les archéologues

égyptiens ne sont pas autorisés à pénétrer dans une tombe

sans la présence d´un agent de sécurité du gouvernement

égyptien.

L´UNESCO a élaboré des codes de déontologie à l

´attention des musées, regroupés au sein du Conseil

International des Musées, en 1986 (amendé en 2004) et à l

´adresse des marchands (1990). Mais certains musées ont

manifesté leur agacement à l´égard de ces concepts d

´éthique et d´équité.

Le groupe de Bizot – du nom de l´ancienne directrice

de la Réunion des Musées Nationaux de France – composé des

directeurs d´importants musées et galeries d´art, animé

par son mentor le président du British Museum, Neil Mac

Gregor, développe des arguments de plusieurs ordres pour

conserver des oeuvres acquises de manière douteuse ou

illicite.

9

Page 10: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

Ces responsables estiment être à l´origine de la

restauration et de la valorisation de ces oeuvres. Le fait

qu´un objet ait été sélectionné pour faire partie de leurs

collections lui confère une valeur marchande bien

supérieure que sa restitution, sans autre forme de procés,

ne prend pas en considération. Ils ont développé l´idée

que la stabilité de leurs administrations et leur

notoriété offrent une garantie de sécurité et une densité

de fréquentation qu´un musée de la ‘’périphérie’’ n´est

pas en mesure d´offrir.

Certes, cet argument serait peu pertinent lorqu´il s

´agit de manuscrits dont la lecture ou la compréhension n

´est guère possible que dans le pays d´origine. Ainsi des

297 manuscrits coréens , pillés á Seoul en 1866 par les

troupes françaises, que la Bibliothéque Nationale de

France refuse de restituer à la Corée du Sud.

Le Musée du Louvre reçoit en moyenne chaque année

8,5 millions de visiteurs, le British Museum 9 millions.

La Fondation Solomon Guggenheim maintient des musées à

Venise (collection Peggy Guggenheim), à Bilbao, à Berlin,

à Abu Dhabi. Le Musée du Louvre inaugure en 2012, sur l

´île de Saadiyat à Abu Dhabi, son premier établissement

extra-muros. Le British Museum se joindra à lui et

participera avec ses collections au Zayed National Museum

á Abu Dhabi dont l´ouverture est prévue en 2013.

10

Page 11: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

Mais le monde s´est globalisé et le Machu Pichu

reçoit chaque année plus de 800 000 visiteurs, alors que

le musée de l´université de Yale retient, au Connecticut,

abusivement, les trésors archéologiques de ce site unique.

Les exemples de l´Irak et de l´Afghanistan sont

cités le plus fréquemment avec le pillage du Musée de

Bagdad en 2003, après l´intervention militaire américaine

et les exactions commises par le régime des Talibans en

Afghanistan contre le patrimoine boudhiste (destruction à

la dynamite des boudhas de Bamiyan) pour illustrer la

garantie offerte par les collectionneurs et les musées

occidentaux.

Ainsi, le collectionneur norvégien Martin Schayen,

qui possède une collection de manuscrits boudhistes

trouvés dans les grottes de Bamiyan en 1993-1995 et

achetés par ses soins à Londres, estime avoir sauvé ces

piéces menacées par le régime des Talibans et exclue

clairement sur le site informatique de sa collection toute

restitution.

Ce même argument de préservation est utilisé par le

British Museum à l´égard des bronzes du Bénin, dont le

Nigéria demande avec constance la restitution (5.000

bronzes avaient été pillés en 1897 par les troupes

britanniques lors de l´invasion du royaume du Bénin et

près de 700 se trouvent au British Museum) et à l´égard

des frises du Parthénon, un argument, dans ce dernier cas,11

Page 12: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

qui a beaucoup perdu de sa pertinence depuis l

´inauguration du magnifique musée grec de l´Acropole.

En ce qui concerne l´identification et la

codification, l´argument est moins convaincant. Tous les

pays disposent, aujourd´hui, de spécialistes, d´experts et

d´archéologues de qualité. Ce n´est plus l´apanage des

grands musées d´Occident. La plupart des fouilles

archéologiques sont conduites, désormais, en coopération

avec des équipes locales et comportent un important volet

de formation. Plus de cent archéologues étrangers ont été

formés en France au cours de ces dix dernières années,

pays qui co-finance, en 2010, avec des institutions

locales quelque 154 missions archéologiques dans 75 pays

(de la paléontologie à l´époque médiévale). Le British

Museum apporte une assistance technique aux musées

nationaux du Soudan et de l´Ethiopie et anime une série d

´ateliers de formation en faveur des pays d´Afrique de l

´ouest, financé par la Fondation Ford.

Mais l´argument principal du groupe de Bizot est

plus spécieux. L´objet d´art n´appartient à aucun pays. Il

fait partie du patrimoine de l´humanité. Le lieu où il se

trouve préservé, sa propriété légale ou légitime,

importent peu : l´oeuvre d´art appartient à tous. La

déclaration publiée en 2002, inspirée par le British

Museum pour l´aider dans son contentieux avec la Grèce

sur les frises du Parthénon et signée par 37 conservateurs12

Page 13: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

du musées et directeurs de galeries d´art , soutient la

thèse suivante : ‘’Avec le temps, les objets acquis – par

achat, comme cadeau ou à titre de partage – sont devenus

parties du musée qui les a préservés et, par extension,

partie de l´héritage des nations qui les abritent’’. C´est

de l´anthropophagie muséographique ! Le quotidien

britannique ‘’The Guardian’’ a publié un sondage d´opinion

auprés de ses lecteurs le 8 juillet 2009 au terme duquel

94,8 % se prononçaient en faveur du retour des frises du

Parthénon à la Grèce.

La position du British Museum rappelle l´approche

nationaliste de la législation espagnole qui considère que

les collections maintenues plus de dix ans en Espagne font

désormais partie de l´héritage national et ont besoin dès

lors d´une licence d´exportation pour sortir légalement du

pays.

L´ancien conservateur du Musée Paul Getty de Los

Angeles, Marion True, conservatrice de 1986 à 2005, et le

marchand américain Robert Hecht ont été traduits, en mars

2009, devant le tribunal de Rome pour acquisition illégale

d´antiquités provenant du site étrusque de Cerveteri,

situé à proximité de Rome. L´inculpation fait suite à une

dénonciation et à un raid de la police helvétique dans l

´entrepôt du marchand italien Giacomo Medici, condamné à

10 ans de détention en 2005.

13

Page 14: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

Tant que les musées seront désireux d´acquérir des

antiquités dans le commerce d´art, les collusions entre

conservateurs et marchands, et les errements, sont

inévitables. Un musée comme le Paul Getty dispose d´une

budget annuel d´acquisition de 100 millions de dollars.

Les musées ont des dificultés à reconnaître que leur

commerce, les donations reçues et leurs acquisitions

encouragent – ou se nourrissent – de la contrebande et du

fric-frac de sites archéologiques. Le musée Paul Getty a

acquis au cours des années 90 la collection privé d

´antiquités de Lawrence et Barbara Fleischman dont le

principal pourvoyeur était Giacomo Medici. Le musée

Carlsberg Glyptotec de Copenhague a, dans ses collections,

de nombreuses pièces étrusques et gréco-romaines, achetées

au marchand Robert Hecht, et dont l´Italie a demandé la

restitution.

C´est dans ce sens qu´il faut interpréter la

plaidoirie d´Alex Nyerges, directeur du Musée des Beaux-

Arts de Virginie, à l´occasion de la session au mois de

mai 2011 du comité consultatif du Département d´Etat pour

la propriété culturelle (State Department Cultural

Property Advisory Comittee), pour que l´Italie ouvre

davantage le commerce des oeuvres d´art en surnombre dans

ses musées, lesquelles ne sont pas exposées faute d

´espace.

14

Page 15: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

Philippe de Montebello, ancien conservateur en chef

du MET (Musée d´Art de New York), estimait récemment que

le temps des grandes acquisitions était révolu pour les

musées et ceux-ci doivent s´en convaincre et s´en

accommoder.

A la suite des soucis du Museum Paul Getty et de la

démission de son conseiller en chef, Marion True, les

musées nord-américains ont abordé plus ouvertement les

demandes de restitution qui leur étaient présentées par l

´Italie.

Le Metropolitan Museum of Art de New York a ouvert

des négociations avec l´Italie en février 2006 et a rendu

une quarantaine de pièces dont l´une des plus belles

pièces de ses collections, l´urne signée par l´artiste

athénien Euphronios, acheté en 1972 au marchand Robert

Hecht pour un million de dollars, après avoir été dérobée

sur le site de Cerveteri. Le MET s´est engagé à restituer

en 2012 la statue d´Aphrodite provenant du site de

Morgantina, achetée en 1988 pour 18 millions de dollars au

marchand Robin Symes.

L´Italie a également sollicité plusieurs musées

américains de prestige (Musée des Beaux-Arts de Boston,

Musée de l´Art de Princeton, Musée de Cleveland, Musée des

Beaux-Art de Virginie). Ces institutions se sont montrées

ouvertes, en dépit de l´absence d´une législation

contraignante, à la mise en oeuvre de programmes de prêts15

Page 16: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

et d´échanges qui permettent la restitution des oeuvres

dont l´acquisition est estimée et prouvée comme illicite

par l´Italie.

Les Etats-Unis et l´Italie ont renouvelé en janvier

2006 un accord pour cinq ans par lequel les douanes

américaines interdisent l´importation en provenance d

´Italie d´oeuvres d´art datées du IXème siècle avant J.C.

jusqu´au IVème siècle après J.C. Le nouveau conservateur

du Musée Paul Getty, Karol Wight, s´est déclarée

satisfaite de la coopération avec l´Italie lors de l

´audience organisée en mai dernier par le comité

consultatif du Département d´Etat.

Les Etats-Unis ont signé des accords de ce type avec

11 pays (Bolivie, Pérou, Chypre, Mali, Guatemala, etc...)

dont la République Populaire de Chine. L´accord avec la

Chine impose désormais une licence d´exportation pour

toute oeuvre de l´époque paléolithique à la dynastie Tang

(907 après J.C.) et pour toute peinture ou gravure de plus

de 250 ans. Une mission d´experts chinois chargée de

rechercher et d´identifier les oeuvres pillées lors du sac

du Palais d´Eté a été reçue au MET (Metropolitan Museum of

Art) en décembre 2009.

L´Italie a montré l´exemple. Elle a restitué en 2008

à la Lybie, sous la forme d´un prêt permanent, la Venus de

Cyrème (IIème avant J.C.), rapportée en Italie en 1913 ;

une restitution s´inscrivant dans le cadre d´un accord de16

Page 17: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

dédommagement pour l´occupation du pays par ses troupes

(1912-1943). Elle a restitué à l´Ethiopie en 2008 l

´obélisque d´Axoum, volé en 1937 par les troupes de

Mussolini. C´est également sous la forme d´un ‘’prêt

permanent’’ que le Musée Archéologique Antonio Salinas de

Palerme (Sicile) a restitué à la Grèce un fragment des

frises du Parthénon représentant le pied de la déesse

Artémis (2.500 avant J.C.) que Lord Elgin avait

généreusement offert, en 1816, au consul britannique en

Sicile.

Les Etats-Unis ont encouragé ces accords. Le

directeur des antiquités au sein du Ministère de la

culture italien, Stefan de Carlo, est invité aux réunions

du comité consultatif sur la propriété culturelle que le

Département d´Etat a mis sur pied en 1983 et dont les

audiences régulières rassemblent conservateurs,

archéologues et experts.

L´Italie a réuni, dans le cadre de l´exposition

présentée symboliquement à l´occasion de l´inauguration du

nouveau musée grec de l´Acropole, une soixantaine d

´oeuvres d´art qui lui ont été restituées récemment par

des musées, des galeries et des collectionneurs des Etats-

Unis (Boston Museum of Arts, New York Shelby White

Collection, Princeton University Museum of Art, New York

Royal Athena Gallery, New York MET, Malibu Paul Getty

Museum). L´exposition emprunte son titre à un poème épique17

Page 18: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

grec qui raconte le retour difficile à sa patrie du héros

après la guerre de Troie (¨ nostoi capolavori

ritrovati ¨).

Le Federal Bureau of Investigation (FBI) a créé un

département spécialisé spécialisé (Art Theft Program) à la

suite du pillage des musées nationaux de Bagdad et de

Mossoul en 2003-2004. Ce département est dirigé depuis

2005 par une archéologue, Magness-Gardiner. C´est grâce à

elle qu´a été retrouvée aux Etats-Unis, en juillet 2006,

la statue du roi Entemens, joyau du musée National de

Bagdad, qui avait été decouvert à Ur (Irak) au XXème

siècle lors des fouilles menées par l´université de

Pennsylvanie et le British Museum. En 2008, Interpol, qui

a élaboré une liste noire d´oeuvres volées, a pu arrêter

sur le site e-Bay la vente de deux tablettes babyloniennes

provenant du musée de Bagdad. La même année, le FBI a

saisi chez un marchand de Floride plus de 600 statuettes

qui ont été, depuis, restituées à l´Equateur. Le Pérou a

pu récupérer 300 pièces pré-colombiennes de la collection,

à l´origine douteuse, du marchand américain Leonardo

Patterson.

L´université de Yale est restée à contre-courant de

ces initiatives. Ses exigences – royalties sur les

collections du Machu Pichu pendant 99 ans, restitution

partielle, non-reconnaissance de la propriété du Pérou – n

´ont pas permis de mettre en oeuvre le projet d´accord qui18

Page 19: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

avait été signé en septembre 2007 par l´ancien président

péruvien, Alejandro Toledo, assisté de son épouse, l

´anthropologue Elian Karp.

Le pillage d´oeuvres d´art par les officiers nazis

en Europe pendant le second conflit mondial et par l´armée

soviétique, notamment la saisie illégale des collections

et d´oeuvres appartenant à des marchands et à des familles

d´origine juive, ont conduit la communauté internationale

à adopter une législation destinée à recouvrer les oeuvres

d´art acquises de manière illégale et à éviter le commerce

illicite.

Pendant la Seconde Guerre, Hermann Goering, qui

était collectionneur comme Hitler, avait désigné un

marchand, Bruno Lohse, pour sélectionner des oeuvres d´art

dans la France occupée. Les nazis ont saisi, entre 1937 et

1945, quelque 600.000 oeuvres d´art en Allemagne et dans l

´Europe occupée, parmi lesquelles 100.000 n´ont pas été

retrouvées à ce jour. L´URSS, dont 110 musées ont été

détruits pendant la guerre, a perdu 140.000 peintures de

maîtres

La Convention de La Haye, adoptée par une centaine

de pays (1er protocole en 1954, 2ème protocole en 1994),

entrée en vigueur en 2004, porte sur la protection des

oeuvres d´art en cas de conflit armé.19

Page 20: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

L´UNESCO a adopté en 1970 une convention qui déclare

illégale l´importation et l´exportation d´oeuvres d´art

acquises de manière illicite et qui incite les pays

signataires à restituer les oeuvres d´art illégitimes à

leur pays d´origine. Cette convention n´est contraignante

qu´après sa ratification. Elle n´a pas d´effet rétroactif.

Le comité ad-hoc, mis sur pied par l´UNESCO – ‘’Comité

inter-gouvernemental pour la promotion du retour des biens

culturels à leur pays d´origine ou de leur restitution en

cas d´appropriation illicite’’ - se réunit pratiquement

chaque année (il a tenu sa 16ème session en 2010), mais n

´émet que des recommandations. Le deuxième sphinx de

Bogazkoy, capitale de l´ancien empire hittite (XXème –XIIème

siècle avant notre ère), qui se trouve au musée de Berlin,

a fait l´objet de recommandations en faveur de sa

restitution à la Turquie, lors de sept sessions de ce

comité de l´UNESCO au cours des dix dernières années, sans

résultat à ce jour.

L´UNESCO a fait appel à l´Institut International du

Droit Privé (UNIDROIT) afin d´élaborer une charte, adoptée

à Rome en 1995 (‘’Convention UNIDROIT sur les objets

culturels dérobés et exportés illégalement’’). Celle-ci

étend la convention de 1970 aux institutions et aux

personnes privées. Elle autorise un Etat à engager des

poursuites judiciaires contre l´acquéreur illégitime de

20

Page 21: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

ses biens devant les tribunaux du pays de sa résidence. Le

délai de prescription est passé à 50 ans.

A ce jour, seuls 11 Etats ont ratifié la charte

UNIDROIT – aucun grand pays ‘’receleur’’ – et 12 y ont

simplement adhéré. Elle fait l´objet de vives critiques de

la part des marchands et des antiquaires.

La recherche et la restitution des oeuvres d´art

volées aux juifs pendant la deuxième guerre mondiale fait

l´objet d´un consensus. Quarante quatre pays ont adopté en

1998 un texte non-contraignant connu comme ‘’les principes

de Washington’’. Il encourage les signataires à tout

mettre en oeuvre afin de retrouver ou d´identifier des

oeuvres d´art disparues ou spoliées. Il recommande aux

musées de trouver une solution équitable. Un registre

recense 70.000 oeuvres d´art disparues et recherchées par

leurs propriétaires et leurs héritiers.

En juin 2009, s´est tenue à Prague la Conférence

internationale sur les biens liés à l´Holocaust, chargée

du suivi des décisions prises à Washington (1998) et au

Forum de Vilnus en (2000), lequel était placé sous les

auspices du Conseil de l´Europe. Les 47 pays présents se

sont engagés à poursuivre le processus de restitution. L

´Allemagne a souligné, à cette occasion, qu´elle n´était

pas favorable à ce que soit fixé une échéance à ce

processus comme le souhaitent les musées et les galeries.

Interpol a constitué une base de données on-line de 34.00021

Page 22: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

oeuvres d´art volées à des familles et marchands juifs,

administrée par le gouvernement allemand. Une commission,

‘’Commission for looted Arts in Europe’’, dépendant du

Conseil Européen des Communautés Juives, basée à Londres,

assiste les musées.

Certains pays, au demeurant, se sont montrés

réticents à évaluer de manière critique les collections de

leurs principaux musées publics. La Pologne et la

Lithuanie n´ont pas élaboré de politique d´indemnisation

ou de restitution. L´Union Soviétique disposait d´une

brigade (la ‘’brigade des Trophées’’) spécialisée dans le

pillage d´oeuvres d´art sur le territoire allemand à titre

de dédommagement des ravages causés en Russie par la

Wehrmacht. Hormis une politique plus ouverte à l´égard de

la Hongrie, de la Pologne et de la République Démocratique

Allemande (entre 1955 et 1960, la RDA a bénéficié du

retour de plus de 1,5 million de pièces de musée, dont des

collections entières de peinture européenne notamment du

musée de Dresde), elle a observé une approche rigide,

poursuivie par la Fédération russe : archives closes,

restitutions refusées. Le Parlement russe (Douma) a

adopté, le 15 avril 1987, une loi qui déclare patrimoine

national de la Fédération russe les oeuvres d´art

transférées en Union Soviétique après la Seconde Guerre.

La législation n´envisage pas de restitution des

oeuvres, mentionne des dédommagements en instituant une22

Page 23: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

distinction entre pays alliés pendant la Seconde Guerre

(Pologne, Yougoslavie, France, Belgique, Pays Bas) et pays

ennemis (Allemagne, Hongrie, Roumanie). Elle n´accepte de

revendication qu´au niveau des gouvernements et exclue

toute revendication de personne juridique ou physique

(art. 18/1), mais mentionne dans son préambule le principe

de réciprocité dans le réglement des contentieux. L´Agence

fédérale russe pour la Culture a mis en place on-line une

liste de 1.148.100 objets d´art disparus pendant la

deuxième guerre mondiale en Union Soviétique.

Moscou a refusé de restituer les 362 dessins de

maîtres (Van Gogh, Goya, Delacroix, Rembrandt, Titien...)

volés par l´officier russe Viktor Baldin dans le musée

Kunsthalle de Brême le 29 mai 1945. Le tribunal de Moscou

a débouté l´Allemagne dans sa tentative de récupérer le

chef d´oeuvre de Rubens ‘’Taquinius et Lucrecia’’, découpé

dans son cadre par un officier soviétique à Berlin le 25

avril 1945 et trouvé, à sa mort en 1998, dans le grenier

de sa maison. Ce tableau, offert á la vente á l´Allemagne

par un homme d´affaire russe, assez abimé, se trouve

aujourd´hui au musée Pouchkine aprés avoir été restauré

par le département spécialisé du musée de L´Hermitage.

Les trésors de Piam, rapportés illégalement du site

d´Hissarik (où se trouvait Troie) en Turquie, en 1873, par

l´archéologue allemand Heinrich Schliemann, cédés au Musée

Impérial de Berlin en 1880 et rafflés par l´Armée Rouge,23

Page 24: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

se trouvent encore au Musée Pouchkine de Moscou, malgré un

accord signé avec l´Allemagne.

La Cour de Justice anglaise, dans son arrêt de mai

2005, avait conforté le British Museum Act de 1983 (qui

interdit toute restitution à quelque titre que ce soit) en

soulignant qu´aucune obligation d´ordre moral ne pouvait

imposer à une institution une restitution .Mais en

décembre 2009, le Parlement britannique a adopté une

légistation spécifique concernant les oeuvres d´art volés

aux juifs entre 1933 et 1945 (Holocaust Stolen Art

Restitution Act). Le British Museum possède des dessins

provenant de la collection d´Arthur Feldman, saisie par la

Gestapo en 1939.

Les Pays-Bas ont mis sur pied en 2001 un comité

consultatif composé d´avocats, d´historiens et de

spécialistes chargés d´assister les musées confrontés à

des demandes de restitution, parfois abusives. A ce titre,

des tableaux réclamés par les héritiers du marchand juif,

Jacques Goudstikker, ont été restitués en 2006 et 28

tableaux ont été rendus aux héritiers des frères Nathan et

Benjamin Katz (sur les 225 revendiqués) dont celui de

Rembrandt, ‘’Portrait d´un homme’’, qui avait été échangé

par l´intermédiaire du banquier allemand Alois Miedl,

chargé par Herman Goering du pillage d´oeuvres d´art aux

Pays-Bas, contre la libération de la mère de Nathan et

24

Page 25: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

Benjamin , Eva Franken Katz, détenue dans un camp de

concentration.

Les principaux musées français ont organisé à Paris,

en 2008, au Musée d´Art et d´Histoire du Judaisme, une

exposition d´une cinquantaine de tableaux dérobés à des

familles juives par le régime collaborateur de Vichy,

intitulée ‘’A qui appartenaient ces tableaux ?’’.

L`Autriche a transformé le musée Leopold de Vienne

en une fondation de statut privé en 1994 afin d´échapper

plus aisément aux demandes de restitution présentées par

les héritiers, notamment de Walter Westfeld, marchand et

collectionneur juif, mort à Auschwitz en 1943, et Heinrich

Rieger, assassiné avec son épouse Berta au camp de

concentration de Theresienstadt en 1942, et dont le musée

Leopold possède des oeuvres de leurs collections spoliées.

Les musées, les galeries et les collectionneurs se

sont montrés réticents à respecter une procédure qui, sans

que soit fixé d´échéance, fragilise, selon eux, leurs

catalogues, leurs collections et leur vocation.

Par exemple, un tableau comme celui de Lucas Cranach

(1527), ‘’Cupide se plaint à Venus’’, acquis par la

National Gallery dans les années soixante, avait été vu

dans la collection privée d´Hitler et pourrait faire l

´objet d´une revendication.

Ce sentiment de précariété est allé de pair avec

celui d´une légitime frustration de la part des25

Page 26: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

conservateurs et des collectionneurs lorsque, une fois l

´oeuvre restituée aux héritiers, ceux-ci s´empressent de

la placer en salles de ventes.

Le tableau de Turner, ‘’Glaucus et Scylla’’, saisi

par le régime de Vichy en 1943 et acheté par le Kimbell

Art Museum (Fortworth) en 1980 d´une galerie new yorkaise,

a été restitué en 2006 par le musée Kimbell aux héritiers

de John et Anna Jaffé, vendu quelques mois plus tard par

Christie´s (Rockfeller Galleries) pour 6,4 millions de

dollars.

La peinture ‘’Scène de rue berlinoise’’ (¨Berliner

Strassenszene¨) du peintre Ernst L. Kirchner, restitutée

par le Musée Brücke de Berlin en juillet 2006, a été

vendue par Christie´s au mois de novembre de la même année

pour 38 millions de dollars. Cette vente a suscité un

débat parlementaire en Allemagne parce que la famille de

Alfred Hess, collectionneur et propriétaire de l´oeuvre,

réfugiée en Suisse, l´avait déjà vendue en 1936 pour une

somme importante. Le musée Brücke a obtenu des héritiers,

au moment de la restitution, le remboursement du prix payé

pour l´oeuvre en 1980 (un million de dollars), une somme

qui s´est avérée plus tard avoir été avancée aux héritiers

par la maison Christie´s.

En raison de la valorisation très importante des

oeuvres d´art depuis la Seconde Guerre, les musées publics

ont demandé la création d´un fonds financier qui leur26

Page 27: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

permettrait de négocier des accords de dédommagement et

conserver les oeuvres.

Les héritiers de Paul von Mendelssohn-Bartholdy,

banquier juif, qui réclamaient avec des arguments

contestables, à la Fondation Solomon Guggenheim, au musée

d´Art Moderne de New York et à la Fondation Andrew Lloyd

Webber des oeuvres aussi prestigieuses de Picasso comme,

respectivement, ‘’Le Moulin de la Galette’’ (1900),

‘’Enfant menant un cheval’’ (1905), le ‘’Buveur d

´absinthe’’ (Portrait d´Angel Fernandez de Soto – 1903)

ont accepté le versement d´une indemnité, à ce jour

confidentielle, qui a permis aux musées de garder ces

tableaux. Mais le 24 juin dernier, Christie´s vendait á

Londres, á la demande de la Fondation Andrew Lloyd Webber,

le Portrait d´ Angel Fernandez de Soto pour 31 millions de

livres sterling.

La restitution est, généralement, le résultat d

´enquêtes et de procés et, rarement, le fruit d´une

décision volontaire du musée. Le musée ethnographique de

Leyden aux Pays-Bas a restitué à la Nouvelle Zélande des

objets de ses collections. La France a restitué, le 10

juin dernier, à l´initiative du Musée d´Histoire Naturelle

de Rouen, 16 têtes maories à la Nouvelle-Zélande, à la

suite d´un vote favorable de l´Assemblée Nationale.

27

Page 28: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

La prise de conscience des pays d´anciennes

civilisations sur l´importance de la mémoire collective et

de l´héritage culturel, qui va de pair avec leur émergence

sur la scène internationale (Chine, Inde, Iran, Egypte,

Turquie, Corée...) conduisent ces pays à exercer des

pressions croissantes et à interpeller de façon constante

musées, marchands et collectionneurs qui ne peuvent plus

ignorer ou traiter avec condescendance les questionnements

dont ils font l´objet.

Dans un monde plus rapproché, plus globalisé, mais

où les nationalismes culturels qui procèdent généralement

du patrimoine sont, paradoxalement, plus prononcés, ces

pays ont bénéficié d´une approche constructive des

institutions internationales et des instances judiciaires

et d´une posture désormais plus prudente des grands

musées, notamment aux Etats-Unis, à l´égard de l

´acquisition d´oeuvres d´art dont l´origine est illicite.

Le musée Barbier Mueller de Genève a accepté le 10

mai dernier, dans le cadre d´un accord parrainé par le

Conseil International des Musées, de rendre à la Tanzanie

le masque de Makonde acheté à Paris en 1985, qui avait été

dérobé au National Museum de Dar-Es-Salam en 1984.

Cette évolution est irréversible et disqualifie l

´illusoire concept du patrimoine culturel universel

défendu par le conservateur du British Museum.

28

Page 29: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

Au mois d´avril dernier s´est tenu au Caire, à l

´initiative de Zahi Hawass, directeur des antiquités

égyptiennes, une conférence internationale sur la

protection et la restitution du patrimoine, à laquelle

participaient 22 pays (la France, la Grande-Bretagne et l

´Allemagne n´avaient pas été invitées). Les pays

participants se sont entendus sur l´élaboration de listes

d´oeuvres d´art argumentées dont la restitution est

considérée comme primordiale pour leur patrimoine.

Le 1er juin dernier, le directeur général des

antiquités indiennes (Archeological Survey of India),

Gautan Sengupta, a annoncé avoir pris l´initiative, avec

le soutien de l´UNESCO, d´une campagne internationale

centrée sur la restitution d´une liste d´oeuvres d´art

considérées comme uniques dans le patrimoine des pays

mobilisés (Mexique, Pérou, Chine, Bolivie, Chypre,

Guatémala, Corée, Egypte...) /.

Patrick

Howlett-Martin

Diploma

te

Minist

ère des Affaires Etrangères.

Paris.

France.29

Page 30: L´appropriation illégitime des oeuvres d´art

Ouvrag

e récent : «  Capri en mer » l l´héritage grec et

romain. Editions Skira. Milan. 2009 .

30