La Pie-grièche à tête rousse Lanius senator en Indre-et-Loire Statut. Répartition. Résultats (enquête 2009) Direction régionale de l’environnement CENTRE Septembre 2009 Saint-Cyr-sur-Loire LPO Touraine RP 0909-01
La Pie-grièche à tête rousse Lanius senator en Indre-et-Loire
Statut. Répartition. Résultats (enquête 2009)
Direction régionale de l’environnement CENTRE
Septembre 2009 Saint-Cyr-sur-Loire LPO Touraine
RP 0909-01
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Sommaire
I‐ Présentation de l’espèce ..................................................................................................................2
1‐ Systématique ........................................................................................................................3
2‐ Répartition française .............................................................................................................3
3‐ Phénologie ............................................................................................................................4
4‐ Histoire récente en France et en Touraine .............................................................................4
5‐ Eléments de biologie générale ..............................................................................................5
a) Habitat ...............................................................................................................................5 b) Alimentation ......................................................................................................................6 c) Chant et parades.................................................................................................................6 d) Emplacement du nid ...........................................................................................................7 e) Ponte des œufs et élevage des jeunes ................................................................................7
6‐ Statut juridique en France .....................................................................................................7
II‐ La Pie‐grièche à tête rousse en Touraine : analyse des données existantes .....................................9
1 ‐ Analyse spatiale des données ............................................................................................. 10
2‐ Analyse historique et phénologique des données ................................................................ 13
III‐ Résultat des prospections menées en 2009 .................................................................................. 16
1‐ Méthodologie générale ....................................................................................................... 16
2‐ Résultat des prospections ................................................................................................... 18
a) Les résultats en termes d’oiseaux contactés .................................................................... 18 b) Les résultats en termes de milieux rencontrés .................................................................. 18
3‐ Les raisons du déclin : ......................................................................................................... 19
a) Les facteurs locaux ........................................................................................................... 19 b) Les facteurs globaux ......................................................................................................... 20
IV‐ Conservation et avenir ................................................................................................................. 21
1‐ Dispositifs de protection existants ....................................................................................... 21
2‐ Proposition d’actions .......................................................................................................... 21
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BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................................. 23
ANNEXE I : QUELQUES SITES FAVORABLES A LA PRESENCE DE LA PIE‐GRIECHE A TETE ROUSSE EN PERIODE DE REPRODUCTION ............................................................................................................ 25
ANNEXE II : EXTRAIT DE CARTE IGN au 1:25 000ème UTILISEE POUR PREPARER LES PARCOURS DE PROSPECTION (REGION DE TOURNON SAINT PIERRE) ....................................................................... 29
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I- Présentation de l’espèce
1- Systématique
La Pie‐grièche à tête rousse a une répartition essentiellement méditerranéenne. Il s’agit d’une espèce polytypique constituée de 3 sous‐espèces qui se partagent l’aire de distribution comme suit : ‐ Senator, la sous‐espèce nominale, occupe l’intégralité de l’Europe méridionale, depuis les rives orientales de la Mer Egée jusqu’au sud du Portugal, en passant par la péninsule balkanique, les rivages de l’Adriatique, les deux‐tiers du territoire français à l’exclusion du nord et du nord‐ouest, et la péninsule ibérique dans sa quasi‐totalité. La Frange littorale du Maghreb est également largement occupée, depuis le sud du Maroc jusqu’à l’est de la Lybie, en passant par l’Algérie et la Tunisie. ‐ Badius est exclusivement représentée sur les îles de la Méditerranée orientale : l’archipel des Baléares, ainsi que la Sardaigne et la Corse, où la population est comprise entre 400 et 800 couples. ‐ Niloticus, enfin, occupe la partie extrême‐orientale de l’aire : Liban, Israël, sud de la Turquie, Syrie, nord de l’Irak, et nord‐ouest de l’Iran. L’intégralité des populations hivernent en Afrique dans la zone sahélienne, comprise entre le sud du Sahara et l’Equateur. La race Senator, présente en Touraine, hiverne du Sénégal jusqu’au Soudan et à la République démocratique du Congo, en passant par les pays bordant le Golfe de Guinée où elle cohabite avec Badius en cette saison. La race Niloticus occupe la partie orientale du Sahel : Soudan, Ethiopie, Erythrée, Somalie...
2- Répartition française
La population mondiale de l’espèce serait comprise entre 480 000 et 1 200 000 couples dont près de 80% présents dans la seule péninsule ibérique. En France, l’effectif total de la Pie‐grièche à tête rousse oscillerait entre 8 000 et 12 000 couples au milieu des années 2000 (Dubois & al., 2008), soit environ 1% de la population totale. Sans surprise, le bastion de l’espèce en France se trouve sur le littoral méditerranéen, principalement sur les côtes du Languedoc‐Roussillon, qui abriteraient à elles seules la moitié de la population hexagonale avec un effectif total compris entre 3800 et 5700 couples. Singulièrement, l’espèce est peu abondante et semble en forte régression à l’est du Rhône : il y aurait moins de 100 couples en Région Provence‐Alpes‐Côte d’Azur.
En dehors de la zone méditerranéenne, les noyaux de population les plus importants se situent en Alsace‐Lorraine, en Aquitaine, et dans les contreforts nord du Massif Central : Limousin, Berry, Nivernais, Bourbonnais.
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Les autres régions situées au sud d’une ligne Vendée‐Ardennes sont plus faiblement occupées : Rhône‐Alpes, Midi‐Pyrénées, Franche‐Comté, Champagne‐Ardenne, Poitou‐Charentes compteraient chacune moins de 100 couples. Au nord de cette même ligne, l’espèce est absente ou très sporadique : c’est le cas pour l’Indre et Loire qui se situe donc en limite d’aire de répartition. Plusieurs départements voisins se trouvent dans une situation similaire : le Maine et Loire, la Sarthe, le Loir et Cher, le Loiret. Les départements du Cher et de l’Indre, situés juste au sud de la ligne abritent des populations plus fournies, probablement riches d’une à plusieurs dizaines de couples.
3- Phénologie
En France les premiers retours interviennent rarement fin mars, plus souvent début avril, logiquement dans le sud de l’aire de répartition, c'est‐à‐dire habituellement sur le pourtour méditerranéen. Le passage peut être prolongé jusqu’en mai, mais beaucoup d’observations tourangelles effectuées en juin et même en juillet concernent à l’évidence des non‐nicheurs dont l’origine reste mystérieuse : s’agit‐il de non‐nicheurs erratiques en « overshooting » ou migrateurs précoces ayant échoué dans leur reproduction ? Vraisemblablement, les deux possibilités sont envisageables. Le départ vers l’Afrique a lieu presque immédiatement après l’envol des jeunes, dès fin juillet, et tout au long du mois d’août. L’espèce est encore observée régulièrement en septembre ça et là dans l’Hexagone, mais la donnée la plus tardive en Touraine concerne un individu observé le 23/08/1987. La Pie‐grièche à tête rousse effectue une migration en boucle dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Le gros des effectifs passe très nettement par la Méditerranée orientale à l’époque de la remontée vers les quartiers d’été, tandis que le passage d’automne s’effectue à travers une voie beaucoup plus occidentale, plus proche de l’Océan Atlantique et de la Méditerranée occidentale.
4- Histoire récente en France et en Touraine
En France, la Pie‐grièche à tête rousse était commune partout jusque dans les années 50, à l’exception du nord (Picardie, Nord‐Pas‐de‐Calais) et de l’extrême nord‐ouest de la France (Bretagne, Maine, Normandie, Cotentin). Cette répartition semble correspondre plus ou moins à l’isotherme de 19°c du mois de juillet, qui constitue donc une limite naturelle pour cette espèce thermophile. (Lefranc 1993). Dès cette époque cependant, une régression est sensible, puisqu’au début du XXème siècle l’espèce était signalée jusque dans le Morbihan et en Normandie jusqu’en Seine‐Maritime. Dès les années 60, le déclin s’accélère encore et semble perdure de nos jours : en plus des nombreuses régions d’où l’espèce a désormais complètement disparu, les densités sont de plus en plus faibles dans les régions encore occupées. Dans les départements proches de l’Indre et Loire, la situation semble tendre vers un déclin généralisé des populations. Les départements du Loir et Cher, du Maine et Loire, de la Sarthe et de la Mayenne, situés encore plus en marge de l’aire de répartition actuelle que la Touraine, ne font plus l’objet que d’observations sporadiques avec cependant des cas de
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nidification isolés certaines années (Loir et Cher en 2006, Maine et Loire en 2007, Sarthe en 2008, Mayenne de 2000 à 2003 au moins). Les départements situés au sud ou au sud‐est de la Touraine enregistrent également une baisse significative de leurs effectifs, même si la présence de populations encore consistantes rendent la détection de cette baisse moins aisée. L’Indre et Le Cher notamment, qui se trouvent au contact des premiers contreforts du Massif Central et recèlent encore de vastes surfaces bocagères dédiées à l’élevage abritent les populations de Pie‐grièche à tête rousse les plus fournies du Centre‐ouest et font figurent de derniers bastions de l’espèce dans cette région. Quand bien même, un recul est également perceptible dans ces deux départements. Ainsi, dans l’Indre, il n’y aurait plus de reproduction régulière en Brenne depuis le début des années 2000, l’essentiel des effectifs étant désormais localisé dans le Boischaut‐sud. Singulièrement, dans ce département et dans celui de la Vienne, une embellie semble avoir eu lieu au milieu des années 90, alors que l’espèce y était déjà devenue très rare (1 seule donnée en 1986 dans l’Indre, 2 couples connus en 1989 dans la Vienne). Les effectifs vont ainsi culminer respectivement dans ces deux départements à 36 couples en 1993 pour l’Indre et 71 couples en 1995 pour la Vienne. Depuis cette époque, les effectifs ont reculé très nettement à nouveau : 3 couples nicheurs dans l’Indre en 2008 et 1 seul couple certain dans la Vienne en 2009. Dans ce dernier département, l’Atlas régional des oiseaux nicheurs du Poitou‐Charentes (2005‐2008) donnait 9 couples certains, 2‐3 probables et 5 possibles. Cet étrange renversement de tendance n’a pas du tout été ressenti en Indre et Loire, malgré la proximité de ce département avec l’Indre et la Vienne, sans doute en raison de sa situation géographique bien plus en marge de l’aire habituelle de répartition, associée sans doute à un déficit de prospection des zones favorables à l’espèce durant cette période. En Touraine malheureusement, il n’existe pas d’auteurs qui puissent nous éclairer sur le statut ancien de la Pie‐grièche à tête rousse, puisqu’aucun naturaliste ne semble avoir parcouru de façon assidue notre territoire avant une période récente et que par conséquent le volume de données anciennes disponibles est très faible. Cependant, la situation devait être la même que dans les départements voisins, où l’espèce était donnée commune dans la première moitié du XXème siècle (Voir par exemple pour le Loiret De Tristan 1932, pour l’Indre Martin & Rollinat 1894, et pour le Saumurois Mayaud 1952). En Touraine le réel essor de l’ornithologie de terrain date du milieu des années 70, époque à laquelle la Pie‐grièche à tête rousse était déjà en forte régression au plan national; c’est pourquoi le nombre de données récoltées en Indre et Loire est relativement faible et que l’espèce pourrait y sembler au premier abord en augmentation, alors que c’est simplement la pression d’observation qui y a enregistré une hausse considérable depuis quelques années. C’est ainsi que sur les 29 données récoltées en Indre et Loire depuis 1975, 10 sont postérieures au début de l’année 2007.
5- Eléments de biologie générale
a) Habitat
Celui‐ci diffère fortement en fonction des zones géographiques. Sur le pourtour méditerranéen, l’espèce affectionne les milieux ouverts, de type garrigue dégradée, à végétation rase, parsemée de
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petits arbres et d’arbustes épineux. La race orientale Niloticus fréquente même les semi‐déserts arides, qui pourraient constituer le milieu originel de l’espèce (Lefranc 1993).
Dans notre région, la Pie‐grièche à tête rousse se trouve généralement dans des secteurs d’élevage traditionnel extensif (ovin ou bovin), qui lui garantissent la présence d’insectes et un faible couvert végétal en raison du pâturage, critère indispensable pour lui permettre de chasser. La présence de vieux arbres (chênes, arbres fruitiers) constitue également une condition sine qua none à l’installation de la Pie‐grièche à tête rousse. C’est dans leur feuillage qu’elle construira son nid, tandis que les branches excentrées lui serviront de perchoir pour guetter ses proies au sol. Lorsque ces quelques éléments sont réunis, l’installation d’un couple nicheur est possible, cela même si la superficie du milieu favorable est réduite. L’espèce affectionne également les vergers à hautes tiges, lorsque ceux‐ci sont l’objet de fauches régulières, la présence de végétation rase étant indispensable à sa survie. Malheureusement, ces milieux sont devenus très rares dans notre région, et représentent désormais une surface très marginale de l’espace agricole.
b) Alimentation
Comme la plupart des autres espèces de laniidés la Pie‐grièche à tête rousse est assez éclectique dans le choix de ses proies, mais elle consomme en grande majorité des insectes, parmi lesquels une proportion très importante de coléoptères. Son choix peut cependant se porter sur une foule d’autres choses, principalement des invertébrés (araignées, vers, gastéropodes), mais aussi des vertébrés : Lefranc cite une étude faite en Allemagne en 1991 par Wagner et Ulrich, basée sur la dissection de 544 pelotes de réjection où il apparaît que ceux‐ci constituent 5% des proies (n=80 sur 1622). Les petits rongeurs sont au premier rang des victimes, suivis de façon beaucoup plus occasionnelle par les batraciens, les reptiles et les oiseaux. Les oiseaux capturés sont généralement des jeunes ou des poussins, mais la capture de passereaux adultes peut avoir lieu si ceux‐ci sont fatigués ou affaiblis. Enfin, Lefranc cite également une observation personnelle d’un individu en train de consommer des fruits de cerisier, comportement tout à fait exceptionnel semble‐t‐il.
c) Chant et parades
Les parades ne sont que rarement observées, les couples étant déjà appariés avant leur arrivée sur le site de reproduction. Selon Ullrich (1971), la formation du couple aurait lieu sur les sites d’hivernage ou au cours des étapes migratoires. La mortalité étant élevée au cours de la migration, il arrive que des individus se retrouvent célibataires lors de l’arrivée sur les sites de reproduction. C’est à cette occasion que l’on peut observer des oiseaux chantant et/ou paradant. Le chant est souvent décrit comme un gazouillis confus mêlé d’imitations, proche de celui de la Pie‐grièche écorcheur, mais sensiblement plus mélodieux, entrecoupé de cris typiques de l’espèce. La femelle est également capable de chanter, et Ullrich signale d’ailleurs que l’on peut parfois entendre les deux partenaires chanter simultanément. Tout comme l’écorcheur, la Pie‐grièche à tête rousse possède un cri d’alarme grave et rêche, de type « tchrek » et peut également claquer du bec en cas de danger.
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Les parades n’ont rien de spectaculaire. Le mâle se perche à proximité de la femelle et chante sans discontinuer tout en hochant la tête et en hérissant les plumes rousses de sa calotte. C’est notamment à cette occasion que l’on peut entendre les deux partenaires chanter en duo (Ullrich 1971 in Lefranc 1993).
d) Emplacement du nid
Dans la partie septentrionale de l’aire de répartition, à laquelle appartient la Touraine, le nid est situé exclusivement dans des arbres. Les études menées en Lorraine et et en Alsace notamment par Lefranc démontrent une prédilection très nette pour les arbres fruitiers : pommiers, poiriers et pruniers/mirabelliers, suivis par le noyer. Etonnamment, l’auteur cite un seul cas (sur 81) de nid dans un chêne, alors que la présence de cette essence semble déterminante sur une grande partie des sites occupés dans notre région, les vieux sujets étant même des postes de guet recherchés. Contrairement à la Pie‐grièche écorcheur, qui construit généralement son nid dans des buissons épineux bas, la Pie‐grièche à tête rousse peut donc s’établir à grande hauteur. Lefranc cite ainsi comme cas extrême celui d’un nid situé dans un peuplier à 15 mètres de hauteur en Lorraine, et mentionne même la découverte d’un nid à 20 mètres de hauteur au sommet d’un pin par Langelott en 1951. A l’autre extrémité, Lefranc cite le cas d’un nid situé à seulement 1,90 mètre de hauteur sur la branche basse d’un noyer, la hauteur moyenne du nid constatée par l’auteur étant de 5,50 mètres, toujours en Lorraine, avec 70% des nids (n=38) situés entre 3,5 et 7 mètres de hauteur. Le nid est généralement situé sur une branche latérale, généralement dans le bas de la partie centrale de l’arbre, mais très rarement au sommet de celui‐ci.
e) Ponte des œufs et élevage des jeunes
La plupart des études disponibles mentionnent que la Pie‐grièche à tête rousse pond généralement 4 à 6 œufs, rarement 7 ou 8 et très rarement 3 ou 4. Dans ce dernier cas, il s’agit souvent d’une ponte de remplacement faisant suite à un échec de la première tentative (Lefranc 1993). La durée de l’incubation varie de 14 à 16 jours, puis le séjour des poussins au nid se prolonge 14 à 18 jours après l’éclosion. A l’issue de cette période, les jeunes passent encore beaucoup de temps dans l’arbre qui supporte le nid, effectuant de courts déplacements de branches en branches, sollicités par les adultes qui amènent la becquée à tour de rôle. Ce n’est qu’une dizaine de jours plus tard en moyenne que les jeunes commencent à suivre les parents et à s’éloigner petit à petit du lieu de leur naissance. Selon Ullrich (1987), sauf exception, la famille ne se sépare pas avant d’avoir entamé sa migration vers les quartiers d’hiver.
6- Statut juridique en France
L’espèce est protégée au niveau national (articles 1 et 5 de l’arrêté modifié du 17 avril 1981), et elle est inscrite à l’annexe II de la convention de Berne.
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Par ailleurs, la liste rouge des oiseaux menacés de France de 1999 la classe dans les espèces « en déclin » (Rocamora & Yeatman‐Berthelot, 1999), avec une tendance comprise entre ‐20% et ‐50% des effectifs depuis le début ou le milieu des années 70. Quant à la liste rouge des oiseaux nicheurs de France métropolitaine, à paraître en 2010, elle classe la Pie‐grièche à tête rousse dans la catégorie intermédiaire « quasi‐menacée » (NT : Near Threatened), les espèces menacées constituant 26% des espèces de cette liste et les espèces non menacées 61%.
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II- La Pie-grièche à tête rousse en Touraine : analyse des données existantes
La Pie‐grièche à tête rousse a donné lieu à seulement 29 observations en Touraine depuis 1975. C’est à peu près à cette période que l’on voit s’organiser la prospection ornithologique en Touraine, avec la naissance du Groupe Ornithologique de Touraine (GOT) et le début de la centralisation des données. Aucune donnée plus ancienne n’est malheureusement parvenue jusqu’à nous, et il n’existe donc aucun témoignage d’une éventuelle abondance de l’espèce dans la première moitié du XXème siècle comme il en existe pour certains départements voisins de l’Indre‐et‐Loire. Il s’est donc écoulé seulement 34 ans depuis la première donnée recueillie, ce qui nous permet de conclure que l’espèce donne lieu à moins d’une observation par an sur notre territoire. Ce chiffre doit cependant être tempéré par plusieurs facteurs : ‐ La très faible pression ornithologique exercée entre le milieu des années 70 et le début des années 80 conduit à l’existence d’une période de plus de 10 ans sans aucun contact avec l’espèce qui pèse lourdement sur la moyenne. Si l’on excepte donc la donnée de 1975 on dispose de 28 données de Pie‐grièche à tête rousse entre 1985 et 2009, période au cours de laquelle on atteint donc une moyenne de 1,2 observation par an (contre 0,85 en incluant la période 1975‐1986). ‐ La prise en compte du nombre de données exclut la prise en compte du nombre d’individus. On entend ici par donnée toute mention de l’espèce au sens strict, l’observation simultanée de plusieurs individus étant considérée comme constituant une seule et même donnée. Par ailleurs, pour plus de lisibilité du statut de l’espèce, les observations successives d’un individu supposé identique sont également prises en compte comme une donnée unique. Si tel n’était pas le cas, nous disposerions de 35 données pour 41 individus, chiffres certes bien supérieurs à ceux retenus ici (29 données pour 33 individus), mais sans doute moins en phase avec la réalité. ‐ La géographie humaine de l’Indre‐et‐Loire a sans doute également une influence importante sur l’apparente faiblesse du nombre de données disponibles. L’Indre‐et‐Loire est en effet un département dans lequel la densité de population correspond à la moyenne hexagonale mais avec une répartition très inégale dans l’espace : l’agglomération tourangelle absorbe près de 60 % de la population départementale, tandis que le reste du territoire et singulièrement le sud et le sud‐est sont fortement touchés par la désertification. Le noyau dur de l’ornithologie tourangelle n’échappe pas à cette règle démographique et c’est ainsi que la grande majorité des ornithologues aguerris résident au sein de l’agglomération tourangelle ou dans son aire d’influence directe, tandis que le sud du département au sens large souffre d’un défaut total d’observateurs locaux et ce depuis de nombreuses années. Cela explique qu’une grande partie des richesses avifaunistiques de cette région nous est encore inconnue et que malgré des efforts récents de quelques ornithologues motivés pour combler ces lacunes, le statut d’espèces discrètes et peu abondantes comme l’est la Pie‐grièche à tête rousse nous échappe encore en grande partie. L’année 2009 qui a vu le déroulement de cette étude est cependant venue tempérer quelque peu ce facteur.
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1 - Analyse spatiale des données
Fig. 1 : Répartition des données de Pie‐grièche à tête rousse par commune
25 communes d’Indre et Loire ont déjà donné lieu à au moins une observation de Pie‐grièche à tête rousse. Cela représente un peu moins de 10% des communes du département, qui en compte 277. 22 d’entre elles (soit 88%) n’ont produit qu’une donnée, 2 ont accueilli deux fois l’espèce (8%) et seule une commune enregistre 3 données (4%). Ces communes sont respectivement matérialisées sur la carte de la fig. 1 en jaune, orange et rouge.
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Fig. 2 : Carte d’abondance relative de la Pie‐grièche à tête rousse en Indre‐et‐Loire La carte d’abondance relative permet de dégager deux grands sous‐ensembles géographiques qui correspondent à deux régions bien distinctes, plus un troisième noyau beaucoup plus marginal et isolé : ‐ L’aire urbaine de Tours : un certain nombre de données proviennent de communes situées dans l’environnement immédiat de la capitale tourangelle. Le décryptage des données en question laisse à penser que la plupart des oiseaux impliqués sont très probablement des migrateurs victimes d’ « overshooting », c'est‐à‐dire de migrateurs printaniers ayant dépassé leur région normale de nidification en voyageant trop loin vers le nord. L’espèce est très souvent touchée par le phénomène, qui peut l’emmener encore bien plus loin au nord que la Touraine. Par exemple, en Grande‐Bretagne, où l’espèce n’a jamais niché, chaque printemps donne lieu à au moins une dizaine de données de migrateurs égarés, ce chiffre pouvant même atteindre la vingtaine certaines années particulièrement favorables au phénomène d’ « overshooting ». D’autres espèces méditerranéennes coutumières du fait accompagnent d’ailleurs souvent les Pies‐grièches à tête rousse dans leur périple, les deux plus fréquentes étant l’Hirondelle rousseline Hirundo daurica et la Fauvette passerinette Sylvia cantillans. Concernant la Touraine, les données récoltées dans la région de Tours sont presque en totalité datées des mois d’avril et de mai, et seulement très rarement postérieures à ce dernier mois (1 de juin, 1 de juillet et 1 d’août, les deux dernières concernant probablement
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des oiseaux en migration postnuptiale dont l’origine reste mystérieuse). De plus, les milieux d’observation de ces oiseaux y sont au mieux peu favorables, au pire très incongrus pour cette espèce. C’est ainsi qu’un individu a pu être observé dans une zone d’activité située en pleine banlieue de Tours, tandis qu’un autre a été découvert dans une petite zone ouverte sur une île de Loire située elle aussi en pleine agglomération. Il peut sembler singulier que tant de données proviennent précisément de communes périphériques à l’agglomération de Tours, puisque s’agissant d’oiseaux égarés l’occurrence des observations devrait toucher de façon égale l’ensemble du département. L’explication du phénomène tient au fait que ces communes constituent les lieux de résidence de la majorité des ornithologues locaux, ce qui, comme évoqué plus haut, induit un important déséquilibre de prospection sur le plan territorial. ‐ Le tiers sud‐est du département : il apparait clairement sur la carte qu’une série de données se sont faites sur des communes situées en bordure de la limite sud‐est du département, depuis la Champeigne tourangelle jusqu’à la confluence Creuse‐Gartempe. Ces communes se trouvent à proximité du département de l’Indre, qui est le département limitrophe de l’Indre‐et‐Loire hébergeant la plus forte population de Pie‐grièche à tête rousse. L’espèce y est notamment présente en Brenne, une région naturelle que se partagent les deux départements. Cela laisse à penser qu’une plus grande partie des contacts obtenus en cette région concerne d’éventuels nicheurs, d’autant plus que les habitats favorables à l’espèce sont bien présents localement dans cette partie de la Touraine. La phénologie des observations va dans le sens de cette hypothèse, avec sur 12 données, aucune d’avril, 5 de mai, 3 de juin, 3 de juillet et 1 d’août, soit une répartition homogène des mentions tout au long de la période théorique de présence des nicheurs. C’est d’ailleurs, sur la commune de Chédigny dans la vallée de l’Indrois que la seule preuve formelle de reproduction de l’espèce a été rapportée, avec 1 couple menant 2 jeunes à l’envol en 2008. C’est également dans cette région qu’a eu lieu la seule autre observation d’un juvénile en Indre‐et‐Loire, le 2/08/2009, indiquant là encore un cas de nidification très probable. Si l’on prend en considération le manque chronique de prospection de ces régions par les ornithologues tourangeaux, ainsi que la redoutable discrétion de l’espèce en période de nidification, on peut en conclure que la reproduction de l’espèce y est sans doute régulière mais largement sous‐détectée. De plus sa position très précaire en limite d’une aire de répartition qui ne cesse de se rétracter rend probablement très fluctuante la population présente selon les années. ‐ Un troisième troisième noyau d’observations, très localisé, existe à l’ouest du département : il s’agit du site de « Port Guyet », rattaché à la commune de Saint‐Nicolas‐de‐Bourgueil. Au moins un couple s’y est vraisemblablement reproduit en 1985 et 1986 et peut‐être en 1989. Il s’agit d’un secteur de plaine du Val de Loire dans lequel a subsisté longtemps un bocage dense entrecoupé de prairies pâturées. Malheureusement, le passage de l’autoroute A 85 au cœur de ces milieux de qualité jusque là épargnés, ainsi que la progression de la maïsiculture aux dépens de l’élevage a rendu impossible le maintien de l’espèce sur ce site.
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Fig. 3 : Site de reproduction de la Pie‐grièche à tête rousse en 2008 à Chédigny « Vernelle ». Il comprend une vieille ferme close de murs plantée de grands arbres fruitiers, adossée à une prairie pâturée sur laquelle se trouve un grand châtaignier. Le couple était régulièrement observé chassant et nourrissant les jeunes sur le fil téléphonique passant devant l’habitation (visible sur la photo). L’Indrois coule à moins de 100 mètres en contrebas de la maison.
2- Analyse historique et phénologique des données
Fig. 4 : Répartition historique des données
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1 1
3
1 12
1 1 12
6
2
01234567
1975
1985
1995
2005
2009
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Fig. 5 : Répartition géographique des observations par classe temporelle
La première donnée (1975) a été suivie de presque 10 années blanches, puis l’espèce est notée quasi annuellement à la fin de la décennie 80 et au début de la décennie 90, puis très irrégulièrement jusqu’en 2006 inclus. Depuis 2007, 10 données ont pu être enregistrées, soit 30% du total des données en seulement 3 ans, grâce surtout à l’année 2008, de loin la plus productive. La faiblesse du nombre de données ne permet pas de retrouver dans le graphique les grandes tendances nationales, et les variations sont vraisemblablement dues essentiellement à l’importance de la pression d’observation. La Touraine étant en marge de l’aire de répartition de la Pie‐grièche à tête rousse, les fluctuations interannuelles sont surtout perceptibles en négatif : les mauvaises années ne donnent lieu qu’à peu de contact, voire pas du tout.
Fig. 6 : Répartition mensuelle des données Le seul cas indiscutable de reproduction n’a pas été pris en compte dans la graphique de la figure 6 car il implique nécessairement une présence continue du couple tout au long de la
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12
56
3
0
2
4
6
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10
12
14
Avr
Mai
Juin Juil
Aoû
t
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période. Par ailleurs, un cas de stationnement prolongé débuté en juillet et se prolongeant sur le mois d’août a été compté comme constitutif d’une donnée pour chacun de ces deux mois. Le graphique montre la prépondérance du mois de mai pour observer l’espèce. C’est en effet, le mois au cours duquel la plupart des nicheurs reviennent sur leur territoire, et également celui qui voit s’égarer le plus grand nombre de migrateurs. Les mois de juin, juillet et août sont beaucoup moins représentés, mais les données récoltées au cours de ces mois concernent beaucoup plus souvent des nicheurs comme l’attestent les rares stationnements connus, qui sont observés au cours de ces mois (par exemple, du 15/07 au 22/07/1985, du 16/07 au 9/08/1986 ou encore du 12/07 au 21/07/1998).
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III- Résultat des prospections menées en 2009
Les recherches menées dans le cadre de cette étude ont été effectuées selon un protocole bien défini, bien que les zones faisant l’objet des prospections aient été sélectionnées de manière arbitraire pour optimiser les chances de découverte. Les résultats ont été très en deçà des attentes formulées et laissent supposer, au‐delà du fait que 2009 a probablement été une mauvaise année pour l’espèce, un statut précaire et un avenir très incertain pour la Pie‐grièche à tête rousse en Touraine.
1- Méthodologie générale
En raison du temps imparti, les prospections étaient nécessairement ciblées sur les secteurs où la présence de l’espèce était déjà suspectée, principalement dans les régions du tiers sud‐est du département, évoquées plus haut. Les recherches se basaient d’abord sur le site internet « Géoportail » de l’Institut Géographique National (IGN). Celui‐ci nous permet de naviguer à travers toute la France, à plus ou moins grande échelle, au moyen de photos satellite. Plusieurs éléments favorables à la présence de Pies‐grièches à tête rousse peuvent être repérés sur une photographie aérienne. Le bétail par exemple peut y être visible soit directement, soit grâce aux traces laissées sur le sol par le déplacement des troupeaux. On peut également y détecter les rangées d’arbres ou les grands arbres isolés, les friches, les vergers, etc... La méthode peut aussi être appliquée de façon négative, les sites présentant des caractéristiques rédhibitoires pour les pies‐grièches étant également aisément repérables sur photos aériennes, notamment les espaces de grande culture qui constituent le paysage dominant en Touraine. Parallèlement à ce travail préalable de prospection photographique, l’ensemble des secteurs retenus comme potentiellement favorable à la présence de l’espèce sont matérialisés sur des cartes IGN à l’échelle 1/25000ème, à la suite de quoi il n’y a plus qu’à les inclure à un parcours qui sera réalisé ultérieurement sur le terrain. La prospection elle‐même se déroule conformément aux parcours prédéfinis selon la méthode expliquée plus haut. Chaque site matérialisé fait l’objet d’un arrêt au cours duquel il est balayé à la jumelle ou à la longue‐vue selon sa configuration, les éventuels perchoirs pouvant être utilisés par les pies‐grièches étant particulièrement détaillés. Au besoin la technique dite de la « repasse » est utilisée. Celle‐ci consiste à émettre une ou plusieurs fois le chant de l’espèce, en utilisant un CD de chants d’oiseaux depuis un poste fixe ou mobile. Cette méthode, pouvant occasionner des dérangements, n’a été utilisée que lorsque la configuration d’un site rendait difficile la détection éventuelle d’individus. Son efficacité est réelle, mais le contact visuel est nécessaire lorsqu’un oiseau y répond, car l’individu se manifestant peut également être une Pie‐grièche écorcheur, dont le chant est parfois assez proche de sa cousine à tête rousse. La méthodologie générale de prospection choisie était donc largement arbitraire mais la rareté de l’espèce recherchée exigeait de cibler avec la plus grande précision possible les secteurs éventuellement occupés pour optimiser les chances de contact avec l’espèce. Si cette méthode permet de repérer efficacement les grands ensembles écologiques pouvant accueillir l’espèce, elle présente néanmoins l’inconvénient de ne pas permettre la détection
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des microsites dont l’espèce sait parfois se contenter. Ainsi, le site occupé sur la commune de Chédigny en 2008 aurait probablement échappé à des repérages sur photo aérienne en raison de sa petitesse et de son caractère relativement atypique pour la Pie‐grièche à tête rousse.
Fig. 7 : Cartographie générale des communes prospectées au cours de l’étude La figure 7 a pour objet de donner un aperçu de la surface couverte par les prospections au cours de l’étude. Seules les communes de l’extrême sud‐est ont été incluses dans des parcours respectant le protocole d’études, tandis que quelques autres communes ici et là dans le département ont été parcourues de façon aléatoire lorsque des milieux favorables étaient rencontrés souvent à l’occasion de déplacements n’ayant pas pour objet l’étude ici présente. Elles ne sont donc pas comprises dans le total d’heures comptabilisées pour la réalisation de la phase terrain de celle‐ci.
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2- Résultat des prospections
a) Les résultats en termes d’oiseaux contactés
Les prospections de terrain proprement dites se sont déroulées entre le 1er juillet et le 10 août et n’ont produit qu’un maigre fruit : 1 juvénile observé le 2 août sur la commune de Verneuil‐sur‐Indre au lieu‐dit « Les Générateaux ». Malgré l’absence d’adultes à ses côtés, l’oiseau était manifestement fraichement volant et était donc issu selon toute vraisemblance d’un couple local. Il s’agit donc du deuxième cas de reproduction consécutif prouvé en Touraine, le site occupé à Chédigny en 2008 n’ayant malheureusement pas été réoccupé cette année. L’oiseau de Verneuil se trouvait à l’affût en bordure d’un buisson épineux de type prunellier, qui lui‐même bordait une prairie pâturée par quelques bovins. Une seule autre donnée a pu être obtenue en 2009, mais hors protocole d’étude, dans le centre‐ouest de la Touraine. Elle concerne une femelle adulte observée le 11/05/2009 à Thilouze « La Fosse Noire » (N. Issa, comm. pers.), très probablement un migrateur victime d’ « overshooting » qui ne sera pas retrouvé par la suite, malgré des recherches approfondies incluant l’utilisation de la repasse.
Fig. 8 : Pie‐grièche à tête rousse juvénile et le milieu dans lequel elle a été observée (Verneuil‐sur‐Indre, 2/08/2009, J. Présent)
b) Les résultats en termes de milieux rencontrés
Il faut essayer de regarder au delà de ces résultats très faibles, car les prospections n’ont pas été vaines pour autant. Elles ont permis d’inventorier de façon rigoureuse et efficace les milieux les plus propices à l’espèce dans les régions les plus favorables à l’espèce. A partir de ces résultats, on peut établir un premier diagnostic de l’état des milieux qui constituera un témoin des évolutions à venir, et nous permettra d’appréhender efficacement les éventuels bouleversements à venir, notamment au sein du paysage agricole tourangeau. Il est à signaler qu’un travail d’inventaire similaire a déjà été mené à grande échelle en Indre‐et‐Loire en faveur de la Pie‐grièche écorcheur, dont le dénombrement systématique des nicheurs par quelques passionnés a abouti à la localisation plus 500 couples sur près de 140 communes, soit plus de la moitié des communes du département. Toutes les données de cette espèce récoltées depuis 2007 sont ainsi compilées et cartographiées avec la plus
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grande précision possible, afin de permettre de rendre plus facilement détectable les tendances d’évolution futures de cette population fragile (N. Issa, J. Présent).
3- Les raisons du déclin
a) Les facteurs locaux
Il existe d’une part des facteurs visibles de régression. En premier lieu, les milieux décrits comme typiques pour la Pie‐grièche à tête rousse dans la littérature sont désormais très faiblement représentés en Touraine, y compris dans le sud du département. L’agriculture intensive a comme presque partout beaucoup progressé au cours des dernières décennies, et marque désormais fortement le paysage. Sur les plateaux, l’arrachage des haies et la disparition du bétail au profit des cultures a produit des paysages très hostiles pour les pies‐grièches, qui plus est sur des surfaces très importantes. Dans les vallées (Indre, Claise, Creuse, Gartempe...), les terres ont été asséchées, puis transformées au profit de la maïsiculture et de la populiculture, tandis que disparaissaient les vieux arbres et prés pâturés. Beaucoup de vieux vergers ont été soit arrachés, soit abandonnés et se sont enfrichés. A l’heure actuelle, les secteurs favorables à l’espèce sont devenus relictuels. Sous nos latitudes, contrairement aux populations méditerranéennes, la présence de la Pie‐grièche à tête rousse est totalement dépendante de l’activité humaine. Si l’intensification de l’agriculture lui est défavorable, la déprise agricole la dessert également car elle provoque l’enfrichement des terres qui lui servent de terrain de chasse (alors même que la Pie‐grièche écorcheur y trouve elle des milieux de substitution). A peu de choses près les sites encore attractifs pour l’espèce se trouvent de façon morcelée dans l’extrême sud du département (région comprise entre la vallée de la Claise et la Vallée de la Creuse), en Haute Vallée de l’Indre, et, plus localement, en Vallée de l’Indrois et de l’Aigronne. En revanche, les milieux favorables sont encore bien présents dans le nord‐ouest du département malheureusement situé trop en marge de l’aire habituelle de répartition pour être occupé régulièrement. Le reste du département ne comprend que quelques rares sites susceptibles d’accueillir l’espèce, toujours isolés et de faible surface. Il existerait un certain nombre de facteurs non visibles de régression locale pouvant expliquer le déclin de la Pie‐grièche à tête rousse. L’abondance et la diversité de l’entomofaune ont subi une érosion spectaculaire d’une part en raison des modifications du milieu décrites plus haut, mais également à cause du développement des traitements phytosanitaires employés dans l’agriculture, y compris dans les vergers à haute tige qui constituent souvent un terrain de chasse privilégié pour l’espèce. Ceux‐ci agissent d’une part directement sur les espèces‐proies, mais également sur les plantes qui les accueillent. Il semblerait également que les produits vétérinaires aient un rôle à jouer dans cette disparition des ressources alimentaires de la Pie‐grièche à tête rousse en éliminant les insectes coprophages qui se nourrissent des excréments produits par le bétail et qui constituent une part importantes des proies consommées par l’espèce.
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Il apparait enfin que l’intensification des prairies, notamment par les amendements, réduit la diversité floristique et donc diminue le nombre d’insectes. Cette pratique a déjà fait la preuve de son impact négatif sur d’autres espèces présentes en milieu prairial et pourrait donc être une cause de disparition de la Pie‐grièche à tête rousse également, notamment dans les fonds de vallées (Indre, Indrois, Claise, Creuse).
b) Les facteurs globaux
Les raisons du déclin tiennent aussi à certains changements globaux imperceptibles sur le terrain qui viennent s’ajouter à la disparition et à la dégradation des milieux. Ainsi, les changements climatiques semblent avoir toujours eu un impact fort sur la distribution de cette espèce thermophile. Or, il semble que depuis quelques décennies le nord‐ouest de la France ait vu l’influence océanique se renforcer, favorisant des étés plus frais et humides sur des régions où les étés étaient habituellement chauds et relativement secs. Cela expliquerait la rétractation de l’aire constatée depuis le début du XXème siècle, et la disparition de l’espèce des régions les plus océaniques comme la Bretagne et la Normandie. De plus, l’évolution des pratiques agricoles touche également fortement les pays émergents dans lesquels la Pie‐grièche à tête rousse a ses zones d’hivernage. Il s’agit notamment au Sahel de la lutte contre les insectes ravageurs comme le criquet pèlerin qui justifie chaque année l’emploi de quantités très importantes de pesticides dans des régions où l’espèce est théoriquement présente. Même si l’impact de ces pratiques est mal connu, il est probable que l’entomofaune dans son ensemble en soit très affecté et par là‐même l’ensemble de l’avifaune insectivore. Enfin, en migration comme en hivernage, cette espèce fait l’objet de prélèvements, notamment à Malte et en Afrique du Nord. Ceux‐ci pourraient avoir un impact non négligeable sur les populations de Pies‐grièches. Pour l’ensemble de ces raisons, la conservation de la Pie‐grièche à tête rousse est une gageure qui suppose que la multiplicité des facteurs du déclin soit prise en considération. Sur un plan purement local, elle nécessite le maintien d’une agriculture raisonnée.
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IV- Conservation et avenir
1- Dispositifs de protection existants
La loi du 17/04/1981, dans son article 1, classe la Pie‐grièche à tête rousse dans la liste des espèces protégées. En conséquence, sont interdits sur le territoire métropolitain et en tous temps la destruction, l’enlèvement des œufs et des nids, la mutilation, la capture ou l’enlèvement, la naturalisation de spécimens vivants ou morts ainsi que leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente et leur achat. Cette protection intégrale de l’espèce, indispensable, est cependant impuissante à lutter contre les raisons actuelles du déclin, qui ne découlent pas de destructions directes, mais indirectes. La Pie‐grièche à tête rousse est également citée en Annexe II de la Convention de Berne du 19/09/1979. Elle appartient donc aux espèces de faune strictement protégées dans la Communauté Européenne. Cette convention inclut les atteintes aux milieux dans lesquels l’espèce se reproduit, contrairement à la loi du 17/04/1981, mais il faut que les destructions soient volontaires pour entrer dans le cadre visé par ses dispositions. De plus, obligation est faite aux états signataires de mettre en œuvre une politique volontaire de protection des espèces citées, en intégrant la protection des oiseaux et de leur milieu dans les politiques nationales d’aménagement et en promouvant la mise en place de ces mesures de protection par l’information et l’éducation. En 1979 a également été votée au Parlement Européen la Directive Oiseaux, dont découle la création des Zones de Protection Spéciale (ZPS). Sur les périmètres de ces zones, la prise de mesures visant à préserver la faune, la flore et les milieux sont facilités. Dans chaque ZPS doit avoir lieu la rédaction d’un document d’objectifs par l’ensemble des acteurs du site. Celui‐ci aura pour but de définir des actions prioritaires à mener et de proposer des mesures de gestion en faveur de la sauvegarde des espèces visée à l’Annexe I. Il s’agit d’un outil très efficace dans la lutte pour la sauvegarde des oiseaux menacés, mais la Pie‐grièche à tête rousse n’étant pas incluse dans la liste des espèces de l’Annexe I, sa seule présence ne peut justifier la désignation d’un territoire en ZPS. Or, les rares secteurs favorables à la présence de l’espèce en Touraine ne se trouvent pas dans des régions sur lesquelles vivent d’autres espèces menacées visées par la Directive Oiseaux et par conséquent, il n’existe pas en Indre et Loire de zone potentiellement occupée par la Pie‐grièche à tête rousse qui soit située sur une ZPS. Cet arsenal juridique pourtant prévu pour protéger les espèces patrimoniales et leurs habitats s’avère donc inutile pour venir en aide à cette espèce pourtant particulièrement emblématique et menacée.
2- Proposition d’actions
Certaines actions pourraient être favorables à la conservation de la Pie‐grièche à tête rousse. La rareté de l’espèce en Touraine nous oblige à n’envisager que des actions ponctuelles, menées sur les sites qui sont effectivement occupés. Comme l’espèce montre une très faible tendance à la phylopatrie, ceux‐ci sont souvent découverts alors que la saison de reproduction a déjà débuté, d’où l’exigence d’une certaine rapidité d’action. Il conviendrait
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de contacter les propriétaires des sites concernés pour les informer qu’une espèce rare et menacée tente de se reproduire sur leur terrain et de les inciter à respecter les exigences de l’espèce pour optimiser les chances de réussite du couple nicheur. Cela reviendrait à demander une limitation de l’emploi de produits phytosanitaires, une fauche régulière des parcelles de chasse ou encore une limitation des dérangements dus aux intrusions de diverses natures à la périphérie de l’emplacement du nid. Dans le cadre du Plan National de Restauration, il faudrait que la prise de mesures agro‐environnementales destinées spécifiquement à la Pie‐grièche à tête rousse devienne possible pour inciter les agriculteurs à adopter un comportement respectueux des exigences écologiques de l’espèce, qui sont aussi celles d’un grand nombre d’autres espèces animales. Ces mesures permettraient sans doute d’augmenter les cas de reproduction réussie, et de fixer certains couples sur un site, seule possibilité de pouvoir recréer un jour un noyau de population viable à partir duquel la reconquête des territoires sera possible.
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ANNEXE I : QUELQUES SITES FAVORABLES A LA PRESENCE DE LA PIE-GRIECHE A TETE ROUSSE EN PERIODE DE REPRODUCTION
Fig. 1 : Saint Flovier « Les Corlouets » : présence de vastes prés pâturés parsemés de grands arbres (chênes, châtaigniers)
Fig. 2 : Betz‐le‐Château « La Berthaudière » : pâtures parsemées de chênes et de vieux arbres fruitiers
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Fig. 3 : Tournon Saint Pierre « L’Echaudé » : présence de bovins au sein de grands prés bordés de vieux chênes
Fig. 4 : Tournon Saint Pierre « Le Petit Pouillé » : prés pâturés par des ovins, bordés de grands chênes et d’arbres fruitiers
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Fig. 5 : Tournon Saint Pierre « Pouillé » : bocage traditionnel, pâturé par des bovins et parsemé de grands chênes
Fig. 6 : Tournon Saint Pierre « Salvert » : pâturage extensif jalonné de vieux arbres fruitiers et d’arbustes épineux divers
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Fig. 7 : Channay‐sur‐Lathan « La Galerie » : pâturages bovins et vieux chênes
Fig. 8 : Savigné‐sur‐Lathan « Neuvry » : vieux vergers de pommiers pâturés par des bovins
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ANNEXE II : EXTRAIT DE CARTE IGN au 1:25 000ème UTILISEE POUR PREPARER LES PARCOURS DE PROSPECTION (REGION DE TOURNON SAINT PIERRE)
Légende :
‐ Les zones hachurées en rose fluorescent matérialisent des secteurs potentiellement favorables à la présence de la Pie‐grièche à tête rousse pré‐repérés à la fois sur la carte et sur les photographies aériennes du site « Géoportail ».
‐ Les routes et chemins surlignés en rouge ont fait l’objet d’au moins un passage.
‐ Les astérisques rouges matérialisent la présence d’un couple de Pie‐grièche écorcheur Lanius collurio, également comptabilisés pour mémoire lors de la réalisation des parcours.
‐ Les zones hachurées en gris sont situées hors Indre‐et‐Loire.