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Géométrie Comparée Étude de la Composition dans les Arts Prague Jan 2012 LA COMPOSITION DE MELENCOLIA § I - SECONDE PARTIE - La farandole des cartes des tarots par Yvo Jacquier Nul n'est censé ignorer la Science Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 1 sur 44
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LA COMPOSITION DE MELENCOLIA § Iart-renaissance.net/EDL/Melencolia-Durer-Composition-2.pdf · TABLE DES MATIÈRES-----p. 2 Présentation p. 2 Le Projet Dürer p. 2 Les différentes

Feb 18, 2021

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  • Géométrie ComparéeÉtude de la Composition dans les Arts

    PragueJan 2012

    LA COMPOSITION DE MELENCOLIA § I

    - SECONDE PARTIE -La farandole des cartes des tarots

    par Yvo JacquierNul n'est censé ignorer la Science

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 1 sur 44

  • PRÉSENTATION---------------------------------------

    La paternité des tarots de Nicolas Conver (1760) revient à Albrecht Dürer (1471-1528). Un faisceau de preuves

    l'établit, et chacune d'entre elles suffirait à convaincre. La plus étonnante de toutes est la Farandole des cartes.

    Pendant des siècles, les cartiers ont scrupuleusement recopié les modèles d'origine que Dürer a gravés autour de

    1514. Cela explique les différences de format des cartes (Dodal/Conver) et certains contrastes dans la qualité des

    motifs (I/XX). Le tarot choisi pour cette étude est celui que Nicolas Conver continuait à perpétuer en 1760. Le

    seul jeu complet connu à ce jour est précieusement archivé à la BNF de Paris :

    http://www.melencoliai.org/Tarots/Costumes.html

    Le Projet Dürer

    Melencolia fait partie de quatre gravures du même format, rassemblées sous le terme de « Meisterstiche » . Ce

    concept historique ‘étendu’ comprend la gravure mère - Adam et Ève (1504), la reine du bal - MELENCOLIA § I

    (1514), et ses deux dauphines - Le Chevalier, le Diable et la Mort (1513), et Saint Gérôme dans sa cellule

    (1514). Leur confrontation directe, par transparence et à la même échelle, livre de nombreux messages. Un

    article complet est consacré à cette introduction de Dürer à la géométrie sacrée, l'échelle de Melencolia :

    http://www.art-renaissance.net/EDL/Yvo_Jacquier-Echelle_de_Melencolia.pdf

    À l'intérieur de son projet didactique, Dürer a conçu Melencolia comme l'écrin des tarots. Les arcanes majeurs y

    jouent une véritable pièce de théâtre, par laquelle les éléments des cartes entrent en dialogue : entre eux, avec

    ceux de la gravure, tout autant qu'avec les lignes de sa composition. Cette multi-confrontation des cartes sur

    Melencolia se fait de la même façon que la précédente, par transparence et sans changer d'échelle. Un premier

    article aborde ce processus, où l'on découvre la composition de base de la gravure :

    http://www.art-renaissance.net/EDL/Melencolia-Durer-Composition-1.pdf

    Les différentes places des cartes sur Melencolia

    La composition de Melencolia est une démonstration mathématique au terme de laquelle émerge un double carré

    vertical : le cadre des tarots. Cette première place concerne une carte en particulier : la lame du Monde, dont le

    personnage féminin se perche sur le polyèdre. La composition des tarots se lie alors directement à l'oeuvre, et

    trouve un second emplacement sur la gravure. Un indice particulièrement probant fixe cette option : le pied droit

    (absent) de la mort des tarots est coupé par le symbole de la fertilité de Melencolia. En cette place, toutes les

    cartes se présentent à l'Archange Saint Michel (voir Annexe V de “l'échelle de Melencolia”).

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 2 sur 44

    http://www.melencoliai.org/Tarots/Costumes.htmlhttp://www.art-renaissance.net/EDL/Melencolia-Durer-Composition-1.pdfhttp://www.art-renaissance.net/EDL/Yvo_Jacquier-Echelle_de_Melencolia.pdfhttp://www.melencoliai.org/Melencolia-Chevalier-St_Gerome.html

  • Cette fois, nous allons découvrir une autre dimension au dialogue des cartes. Chacune trouve une place favorite,

    qui lui est propre, dans le contexte de Melencolia. Le discours symbolique se trouve catalysé et la géométrie

    accompagne, guide et adoube ses prolifiques échanges.

    Pour rappel, en images - « MELENCOLIA § I »

    Albrecht Dürer

    1514

    Gravure au burin sur cuivre

    — British Museum de Londres

    — Musée Jenisch, cabinet cantonal des Estampes

    Vevey, Suisse (Fond Decker)

    — Strasbourg, Cabinet des Estampes et des Dessins

    La composition de Melencolia

    La base de sa composition sacrée est une croix grecque.

    http://www.art-renaissance.net/EDL/Melencolia-Durer-Composition-1.pdf

    En outre, le grand carré engendre un triangle 3-4-5 qui sert de relai à une autre figure :

    un double-carré, cadre des tarots. L'apparition de la carte du Monde au sommet du

    polyèdre parachève la superbe démonstration mathématique de Dürer.

    N.B. : Les deux cercles les plus importants de la composition des tarots, mis à l'échelle du cadre (double carré) que produit la composition de Melencolia, correspondent exactement à celui de la boule et de l'arc en ciel de la

    gravure. En d'autres termes :

    La composition de Melencolia se conclue par la composition des tarots qui colle à son tour à Melencolia.

    Pour les puristes : le cercle de la Mandorle / arc en ciel est défini par deux fois géométriquement, à partir du

    grand carré de Melencolia, et à partir du cadre des tarots. Le cercle intime/boule est défini géométriquement

    dans le cadre des tarots et par l'appréciation graphique sur la gravure.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 3 sur 44

    http://www.art-renaissance.net/EDL/Melencolia-Durer-Composition-1.pdfhttp://www.melencoliai.org/farandole/MELENCOLIA.jpghttp://www.melencoliai.org/Echelle/Compo_base-Melencolia.jpg

  • TABLE DES MATIÈRES------------------------------------------------------------------------------------------------

    p. 2 Présentation

    p. 2 Le Projet Dürer

    p. 2 Les différentes places des cartes sur Melencolia

    p. 3 Pour rappel, en images - « MELENCOLIA § I »

    p. 3 La composition de Melencolia

    p. 4 TABLE DES MATIÈRES

    PREMIÈRE PARTIE - L'OUVERTURE DU BAL

    p. 7 Avant-propos

    p. 8 La présentation de Christophe de Cène

    SECONDE PARTIE - L'ARC DE CUPIDON

    p. 11 1 - La signature de Pythagore

    p. 11 Les nombres entiers - en toute simplicité

    p. 12 Le Tétraktys

    p. 12 Quid du nombre 17 ?

    p. 13 La somme des deux (10 + 17 = 27)

    p. 13 Platon et Aristote

    p. 14 2 - Cupidon de Melencolia

    p. 14 A - La géométrie sacrée se comporte comme une science appliquée

    p. 14 B - Les deux positions de l'arc

    p. 15 C - Les indications graphiques de Dürer

    p. 15 D - Cupidon et les lignes du grand triangle

    p. 16 3 - La carte de l'Amoureux - VI

    p. 16 A - Horizons

    p. 17 B - La position dite “à gauche” de Cupidon

    p. 18 C - La position dite “à droite” de Cupidon

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 4 sur 44

  • p. 19 4 - L'arc et les cartes

    p. 19 I - Le Bateleur

    p. 20 X - La Roue de Fortune

    p. 21 Les codes de l'art ancien

    p. 22 XX - Le Jugement

    p. 23 XXI - Le Monde

    p. 23 XIII - L'arcane sans nom

    p. 23 XV - Le Diable

    p. 24 IIII - L'Empereur

    p. 24 III - L'Impératrice

    p. 24 II - La Papesse

    p. 25 VIII - La Justice

    p. 25 Autres lames, avec Cupidon dans sa position à droite :

    V - Le Pape, XIV - Tempérance, XVI - Maison Dieu, XVIII - La Lune, Le Mat

    TROISIÈME PARTIE - LES COUPLES BASIQUES

    p. 26 La Papesse - II

    p. 27 Le Pape - V

    p. 28 Le couple papal - II et V

    p. 29 L'Empereur - IIII

    p. 30 L'Impératrice - III

    p. 31 Le couple impérial - III et IIII

    p. 32 La Force - XI

    p. 34 Le Bateleur - I

    p. 35 Le couple du savoir - I et XI

    QUATRIÈME PARTIE - LES LAMES COMPLEXES

    p. 36 VIII - La Justice

    p. 36 IX - L'Ermite

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 5 sur 44

  • p. 37 Parenthèse - Le losange de la fertilité

    p. 38 Confrontation du losange à la réalité des couples

    IIII - III — V - II — XI - I — VII - VI

    p. 39 Quelques cartes seules

    XIIII - XVIII - XX - XXI

    p. 39 XVII - L'Étoile

    p. 40 VII - Le Chariot

    p. 40 XIII - La Tempérance et le couple qu'elle forme avec la Justice - Saint Michel

    p. 41 XVI - La Maison Dieu

    p. 41 XV - Le Diable

    p. 41 XVI-XV - Le couple des religions

    p. 42 XV-XIIII - Le Diable et la Tempérance

    p. 42 XVIII - La Lune et le personnage du Monde

    p. 43 XVIIII - Le Soleil

    p. 43 XVIIII-XVIII - Le couple Soleil-Lune

    p. 43 ? - Le Mat

    p. 44 La suite de l'étude

    p. 44 ÉPILOGUE

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 6 sur 44

  • PREMIÈRE PARTIE - L'OUVERTURE DU BAL

    Avant-propos-----------------------------

    1 - La place que prend chaque carte sur la gravure, à titre personnel, est établie depuis des années. À cette

    époque, le statut du polyèdre et de la meule de pierre n'étaient pas révélés, pas même l'idée que ces éléments

    puissent avoir un statut. Leurs formes et leurs traits suffisaient à un dialogue graphique qu'il s'agissait de

    constater. Ainsi le baudrier de Cupidon bande les yeux de son homologue sur la gravure. A-t-on besoin d'étudier

    la mythologie pour apprendre que l'amour est aveugle ? Les images qui se construisent en cette farandole ont ce

    côté direct et explicite qui permet les développements, mais ne les attend pas pour exister. Nous découvrons un

    véritable langage de l'image. Un sentiment de confiance résulte aujourd'hui de cette confrontation des cartes,

    dont la place est fixée depuis des années, avec deux objets dont le statut s'est établi depuis (et de façon tout à fait

    indépendante). Le polyèdre représente la Terre; la meule de pierre est solaire, elle représente le temps cyclique.

    2 - Cet article entend établir en priorité les faits. La part de l'interprétation se réduit en conséquence au minimum

    (voire aux évidences). Cette forme d'exigence permet de ne pas compromettre les preuves graphiques nées de la

    stricte observation des oeuvres, doublées de leur développement mathématique. Le lecteur, spécialisé ou non,

    dispose ainsi d'éléments fiables pour entreprendre sa propre méditation. Dans cet esprit, j'invite en cet article le

    symboliste Christophe de Cène à nous livrer son interprétation, sachant qu'il étudie ce sujet depuis bientôt trente

    ans avec une approche complémentaire : la combinatoire numérique.

    La trame qu'il propose pour ouvrir ce bal des arcanes est des plus passionnantes, et nous l'en remercions !

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 7 sur 44

  • La présentation de Christophe de Cène --------------------------------------------------------------------------------------

    Avec quelques années de recul, la découverte d’Yvo Jacquier me semble encore aujourd’hui fondamentale : la

    plus célèbre gravure de la renaissance, Melencolia I de Dürer, est une fresque dont les acteurs sont les arcanes du

    Tarot de Marseille. J’ai eu la chance de suivre toutes les étapes de l’invention de ce trésor par le peintre Jacquier.

    Dürer, on le sait, s’intéressait au Tarot, à sa dimension symbolique, comme nombre d’artistes de la Renaissance.

    A la fin du XVe siècle, le maître allemand collabore notamment avec le graveur Michel Wohlgemut à l’édition,

    sur bois, d’une série de tarots de Mantegna. Mais une autre piste rapproche le Tarot de l’œuvre de Dürer,

    particulièrement de Melencolia : l'étude que j'ai menée pendant plus de vingt ans sur la combinatoire numérique.

    En effet, par leurs combinaisons, les dés construisent exactement le même type de structure que les tarots (les

    dés sont un ancêtre plausible pour les cartes à jouer). Les 21 et 56 possibilités de deux et de trois dés

    correspondent aux 21 atouts et aux 56 cartes de couleurs des tarots. Ensuite, les valeurs associées aux seize

    figures (rois, reines, cavaliers, valets) forment un carré magique parallèle à celui des nombres avec trois dés. Or

    il se trouve que ce carré est d’un type bien particulier, parmi les 880 possibles : celui que Dürer a précisément

    choisi de faire figurer sur sa gravure Melencolia !

    Yvo Jacquier a très vite compris que la clé de cette gravure mystérieuse pourrait être le Tarot, et il s'est donné les

    moyens de le vérifier : il a commencé par étudier la structure graphique des cartes, prenant pour base le Tarot de

    Nicolas Conver. Ce célèbre jeu du XVIIIe siècle (Marseille, 1760) constitue un standard, copié sur un modèle

    renaissance bien antérieur. Les costumes sont en effet ceux portés en Allemagne, en Flandre, à la cour de

    Bourgogne, à la fin du XVe et au début du XVIe siècle.

    La géométrie comparée est née le jour où Yvo Jacquier a repéré l’omniprésence

    d’un premier calque à la base du Tarot de Conver, fondé sur un triangle 3-4-5,

    dit de Pythagore. Son cercle inscrit est de rayon 1. La sphère de Melencolia,

    élément premier de géométrie, prendrait-elle cette unité ? Pour le vérifier, il

    suffit de superposer, à l’échelle, les cartes et la gravure. Et là, première surprise :

    la largeur de la gravure correspond à celle de trois cartes de Tarot*, sans

    changement d’échelle. C'est le début d'un passionnant travail d’analyse.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 8 sur 44

    http://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/01-placement-trio.jpg

  • (*) ci à droite : un bois original de Conver où les cartes sont espacées pour

    permettre l'impression de tous leurs cadres.

    À gauche : au fil de jours, des mois, le peintre devenu

    géomètre a placé une à une les cartes du Tarot sur la

    fresque de Melencolia, et mis en évidence une

    géométrie complexe d’une incroyable précision. Ainsi,

    l’arc-en-ciel de la gravure construit la mandorle du

    Monde (arcane XXI des tarots).

    Le symboliste que je suis a participé au placement de

    quelques cartes : les lames consécutives 6, 7, 8 et 9,

    respectivement l’Amoureux, le Chariot, la Justice et

    l’Ermite. L’analogie est évidente entre l’Amoureux et le

    Cupidon de Melencolia. De même, la Balance de la Justice et

    le Sablier de l’Ermite sont des indices de rapprochement

    qu’il convient de suivre. Dürer a sans doute vu l’ermite des tarots de Visconti-Sforza (Milan, XVe siècle) tenant

    un sablier, symbole saturnien ; ou le même objet entre les mains de l’Ermite du tarot dit de Charles VI (en fait un

    tarot italien lui aussi du XVe siècle). Ces éléments rapprochent objectivement la gravure des tarots.

    La ligne d’horizon du paysage marin de Melencolia est utile au placement des cartes. Si on place le haut de la

    carte de l'amoureux sur cette ligne d’horizon, le Cupidon du Tarot épouse avec précision celui de Melencolia. De

    même, les trois lames consécutives 7, 8 et 9 trouvent leur place naturelle en haut de la gravure, occupant tout

    l’espace de gauche à droite. Ainsi, la ligne d’horizon coupe le centre des trois cartes, rendant le placement du

    Chariot particulièrement expressif. La Balance de la Justice

    coïncide avec celle de la gravure, tandis que le Sablier se

    retrouve tenu par l’Ermite en lieu et place de la lanterne.

    Tous les éléments symboliques du haut de la gravure de

    Melencolia se retrouvent ainsi placés dans l'ordre exact des

    cartes 7, 8 et 9. Cette précision permet de réfuter

    l’hypothèse de superpositions dues au hasard.

    Ci dessus : les mêmes confrontations à partir de l'épreuve du British Museum

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 9 sur 44

    http://www.melencoliai.org/Composition/Melencolia-011.jpghttp://www.melencoliai.org/composition-BM/conver-bois-1760-cadre.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/03-placement-trio.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/02-placement-trio.jpghttp://www.melencoliai.org/composition-BM/051-presentation-frise.jpghttp://www.melencoliai.org/composition-BM/050-presentation-frise.jpg

  • Le peintre Jacquier a trouvé dès le début, des preuves formelles de la relation entre tarots et Melencolia, avec

    leur construction géométrique commune. Parfois moins accessible à un large public, il faudra plusieurs centaines

    de pages pour expliquer cette relation.

    Trouver au sommet de la gravure une mise en place du ternaire 7-8-9 ouvre

    des perspectives nouvelles, d’autres ternaires pouvant faire l’objet de

    développements : 1-2-3, 4-5-6, … 13-14-15 : La Mort, l’Archange et le

    Diable des tarots évoquent irrésistiblement la gravure de Dürer intitulée le

    Chevalier, la Mort et le Diable, laquelle a été souvent associée à

    Melencolia (format, époque).

    Le travail d’Yvo Jacquier, autant que nos fructueux échanges, ouvrent la voie à un véritable langage de l’image,

    les formes géométriques permettant l’association des symboles, source de méditations d’une infinie richesse.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 10 sur 44

    http://www.melencoliai.org/041-Le-Chevalier-le-Diable-et-la-Mort.jpg

  • SECONDE PARTIE - L'ARC DE CUPIDON

    Chaque pan de l'étude se sert d'un vecteur. La première partie reconstitue les couples à la base de la pyramide

    des tarots, à partir des signes graphiques laissés à dessein par Dürer. Cette fois, le vecteur est encore plus

    minimaliste : l'arc que se partagent les deux représentations de Cupidon, dans les cartes et sur Melencolia.

    1 - La signature de Pythagore

    On peut extraire graphiquement l'arc de l'Amoureux (VI). Un arc de cercle pointé sur

    l'avant bras de Cupidon précise une ligne de mire, l'axe de la flèche. Le trait depuis ce

    point jusqu'à l'extrémité de la pointe est assez long pour révéler sa pente. L'angle que

    fait la flèche de l'Amoureux avec la verticale est de 13,33°, soit ≈ 360°/27 ! Pourquoi

    27 ? Parce que nous sommes en plein ésotérisme, et que 1 + 2 + 3 + 4 + 8 + 9 = 27...

    Alors le 27, comment ça marche ? Explication !

    Les nombres entiers - en toute simplicité

    Prenons deux suites de nombres entiers, croissant l'une par 2, l'autre par 3. Ce sont des progressions

    géométriques. La multiplication d'un terme de la suite par une raison permet de trouver le suivant.

    1 2 … 4 … … … 8 … … … … … … … 16

    1 … 3 … … … … … 9 … … … … … … … … … 27

    Maintenant, rassemblons ces nombres dans la même suite :

    1 2 3 4 8 9 16 27

    En fait, mentalement, cette suite ressemble à cela visuellement :

    1 2 3 4 … 8 9 … 16 … 27

    Les sommes ont été l'objet d'une grande attention de la part des Grecs, et parmi les

    meilleurs d'entre eux il y a les Pythagoriciens ! Ainsi :

    1 + 2 + 3 + 4 = 10 est la base du célèbre Tétraktys, dont la structure

    trouve un passage entre l'arithmétique et la géométrie : les nombres deviennent figures

    et réciproquement. Miracle ou Magie ? Science !

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 11 sur 44

    http://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/05-placement-amoureux-Croix.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/Tetraktys.jpg

  • Certaines sommes de nombres consécutifs entrent dans la grande suite que nous avons constituée.

    C'est le cas de :

    1 + 2 + 3 = 6 et de 1 + 2 + 3 + 4 + 8 + 9 = 27

    27, que l'on peut décomposer comme suit :

    [ 1 + 2 + 3 + 4 ] = 10 : le Tétraktys + [ 8 + 9 ] : quid du nombre 17 ?

    Le Tétraktys

    Le Tétraktys, ou Décade, était vénéré par les Pythagoriciens car sa structure permet de résumer symboliquement

    le monde. Il représente l'être parfait, toutes les dimensions de l'espace y sont représentées : 1 (le point), 2 (la

    ligne), 3 (la surface) et 4 (le solide). Les Pythagoriciens ont fait ainsi de dix un nombre parfait, plus précisément

    le plus parfait de tous, puisqu'il comprend en lui toutes les différences des nombres : « Toute raison, toute

    proportion, toute forme numérique sont contenues dans la décade. » (Porphyre, Vie de Pythagore, § 51-52).

    Quid du nombre 17 ?

    XVII est le nombre assigné à l'Étoile des tarots. La symbolique de cette

    lame intègre plusieurs dimensions religieuses, qui s'y mêlent en un tout

    cohérent. La plus ancienne source est celle de Vénus, attachée depuis la

    nuit des temps au Vesica Piscis. Pythagore mesurera en priorité sa

    lentille (brièvement assimilée à une mandorle), avec le premier outil de

    l'histoire : son théorème. L'Étoile des tarots se rappelle ensuite du

    baptême. La main de Dieu qui tient l'une des cruches de la belle en

    témoigne. Le tableau fait encore référence à un épisode de la Bible : la pêche miraculeuse du Christ, qui se solde

    par la prise de 153 poissons (Jean 22.11). C'est ce troisième point qui nous intéresse.

    1+ 2+ 3+ 4+ 5+ … + 17 = 153

    (le nombre est triangulaire par définition, selon cet exposé). Que viennent faire 153 poissons dans une histoire

    que rapporte l'arcane XVII, avec pour héroïne physique une Vénus dont le halo mathématique est un vesica

    piscis ? Suivons le guide, Pythagore, et observons les nombres : Jean dit "153", et Vénus dit "√3", et 265÷153

    est une très bonne approximation de √3, de l'ordre de 1,4 pour 100 000 ! Ce nombre 17 est lié par deux fois, sur

    le devant de la scène géométrique, et dans les coulisses des nombres, au mystère céleste ! Qui eut cru que la

    Belle, qui danse avec le Soleil au rythme du pentagramme, nous apporterait ainsi sa racine céleste ? Rappelons-

    nous qu'elle est la fille d'Ouranos, avant de débarquer sur son pentagramme, pardon ! Sa coquille Saint Jacques.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 12 sur 44

  • Cette histoire est une sorte d'écho à l'explication du nombre d'or, tel que les anciens le vivaient. C'est le cadeau

    de(s) Dieu(x) aux hommes pour qu'ils puissent construire, si possible avec harmonie . Vénus, fille du Ciel,

    passant la porte mystique du Vesica Piscis, porte en sa danse sacrée un pentagramme chargé d'or. Voilà en une

    phrase résumée le propos du tableau de Sandro Botticelli : « La naissance de Vénus ». Dürer pourrait avoir

    beaucoup appris de lui, comme de ce tableau...

    La somme des deux (10 + 17 = 27)

    Le total intègre donc le Tétraktys qui représente un monde "pensé" et le “17” qui représente un monde “rêvé”.

    Avec ça, on peut faire de la symbolique ! Et même de la musique : les Pythagoriciens furent les premiers dans

    cette voie, ils poussèrent la mécanique des nombres jusqu'à ses limites à partir des vibrations d'une seule corde !

    Nous éluderons ce chapitre particulièrement musclé... Et garderons la morale de cette superbe épopée : le 27 est

    la signature des Pythagoriciens, et de tous leurs héritiers. Albrecht Dürer est manifestement de ceux-là. Il tend la

    corde d'un arc et la fait vibrer en silence selon le nombre de l'harmonie musicale de ses maîtres anciens.

    Platon et Aristote

    L'on ne peut évoquer ces questions sans citer Platon et Aristote. Le premier fait référence à Pythagore dans le

    Timée, quand il construit l'histoire du Démiurge. Le second dans la Métaphysique, quand il entend expliquer sa

    pensée. Première réflexion : comme souvent, les versions des deux auteurs sont incompatibles à propos des

    mêmes choses, notamment le petit lexique qu'ils établissent des nombres de 1 à 4. Pythagore aurait-il prêté son

    cerveau gauche à l'un afin de préserver le droit à l'intention de l'autre ? Seconde réflexion : les Pythagoriciens

    maîtrisaient toutes les nuances du secret. Auraient-ils confié des informations essentielles à des non initiés (en

    dépit de leur talent et de leur érudition) ? Qui plus est à des gens dont le métier est d'écrire, d'enseigner et de

    diffuser ce que l'on résume par le mot “savoir” ?

    Ainsi se pose un double problème de “transmission”, depuis l'école (ou l'ordre) des Pythagoriciens jusqu'au

    lecteur d'aujourd'hui. Quelle est la vraie nature de cette pensée, très particulière à maîtriser, et quelle est celle du

    propos des intermédiaires ? Les solides de Platon sont à n'en pas douter des solides éprouvés par les

    Pythagoriciens, et pas seulement pour en prendre la mesure.

    La notion de référence ou de source n'a pas à cette époque son statut d'aujourd'hui. L'on cite essentiellement un

    auteur pour pouvoir affirmer que l'on est pas d'accord avec lui : id est quand c'est indispensable...

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 13 sur 44

  • 2 - Cupidon de Melencolia

    A - La géométrie sacrée se comporte comme une science appliquée

    L'arc de Cupidon joue un rôle majeur dans cette ronde des symboles. Il apporte un élément dynamique à un

    ensemble d'éléments fixes. 2π/27 est sa valeur symbolique, celle qui trouve un sens par les nombres. Et cet angle

    est très proche d'un autre que l'on peut construire facilement : celui que fait la droite qui passe d'une ligne dorée

    à l'autre dans la grande croix grecque (elle passe par le centre de la croix).

    Résultats de calcul : la différence entre les deux angles est de 3,8 ‰ (la valeur de 4 ‰ revient très souvent dans

    les marges de précision de la géométrie sacrée). Pour être exhaustif : la différence des deux angles est de ≈

    13,333° - 13,283° ≈ 0,051° (un demi dixième de degré). Les deux droites s'écartent sur le grand carré (qui

    mesure 2475 pixels) de 1,16 pixel, soit 0,075 mm. Concrètement, la différence entre les deux droites, sur le

    cadre de la croix, est de moins d'un dixième de millimètre...

    2π/27 est lié à cet angle de la croix grecque comme 5/3 est lié au rapports des sphères du polyèdre de Dürer. La

    version symbolique est simple et interprétable, quand la version exacte est facile à tracer par la géométrie et

    illisible en termes d'interprétation. (voir http://www.art-renaissance.net/EDL/Melencolia-Durer-Polyedre.pdf)

    B - Les deux positions de l'arc

    L'Amoureux à un rôle central dans le ballet des cartes, et il

    hérite de deux places. À gauche : Une deuxième ligne de

    mire passe de l'autre côté du grand livre. La première position

    est rappelée ici à droite, où la flèche vise le centre de la croix.

    Nous tenterons de garder cette configuration gauche-droite,

    qui se rappelle des deux positions de l'ange sur l'oeuvre.

    Comme nous l'avons observé en première partie, l'angelot tient sa tablette et son stylet

    à la façon d'un arc et d'une flèche. Une image va le confirmer.

    À gauche : il suffit de lui prêter l'arc de l'Amoureux. La flèche vise le point où la règle

    et la scie se croisent tout en bas. La symbolique est simple : la règle trace un trait d'un

    point à un autre, tel une ligne de mire, et la scie fend le bois comme la flèche fend l'air.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 14 sur 44

    http://www.art-renaissance.net/EDL/Melencolia-Durer-Polyedre.pdfhttp://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/05-placement-amoureux-Croix.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/10-Deux-lignes.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/Arc_de_Cupidon.jpg

  • Remarquons (toujours à gauche) la coïncidence de la pointe avec une des lignes d'or figurant au grand carré.

    Ainsi, par l'image, par la géométrie, et par les nombres, cet arc s'inscrit dans la gravure. Il manquerait l'écrit, si la

    droite ne passait par le coin du grand livre de Saint Michel. L'escamotage de la main inactive de Cupidon est

    parfait : la flèche vient dans sa main et l'avant bras issu de la carte lui donne une allure académique.

    La forme de l'arc se rappelle du trident, principal attribut du Dieu grec Poséidon (Neptune pour les romains). Il

    est parfois représenté par un taureau. Cet arc évoque également la lettre grecque Psi (Ψ), abréviation de Psyché

    (ψυχὴ) mot grec souvent traduit par “âme”. Il arrive qu'Amour s'empare de Psyché. Le symbole Ψ est-il tourné vers son origine ou au contraire ?

    C - Les indications graphiques de Dürer

    La représentation de Cupidon est l'élément graphique le plus sophistiqué des tarots.

    L'identification de ses signes, marques et points de repères a pris plusieurs années.

    Visuel de Gauche : considérons les deux segments noirs, sur

    son torse. L'un est marqué par la corde de l'arc. Remarquons le

    trait en forme de zigzag à la naissance de sa cuisse.

    Considérons enfin la forme aplatie de son épaule gauche. Ces

    trois indications invitent à placer le motif de Cupidon en une

    seconde position. Les marques noires, devenues vertes, se

    placent à la pointe des triangles rouges, et la flèche vient se coller au plat de l'épaule, marquée de bleu.

    Visuel de droite : la position gauche de Cupidon, ici résumée à son arc, s'enchevêtre avec la droite. Les deux

    segments notamment, trouvent dans cette superposition l'argument de leur légitimité, en marquant la distance

    entre les cordes des deux arcs.

    D - Cupidon et les lignes du grand triangle

    La symbolique est avant tout une affaire de liens.

    Les trois couches de la composition de Melencolia, grand carré

    - grand triangle - cadre de la carte du monde, sont ici reliées

    par un des principaux motif du vocabulaire des tarots.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 15 sur 44

    http://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/10-Deux-lignes.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/10-Deux-lignes.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/06-placement-cupidon-cadre_monde-Triangle.jpghttp://www.melencoliai.org/composition-BM/101-Cupidon-G-grand_triangle.jpg

  • À gauche : Cupidon est dans sa position du même nom. Il n'est pas calé sur le centre de la grande croix ni sur

    ses cordes dorées. Il va chercher le cercle du grand triangle et la diagonale horizontale de son rectangle doré.

    À droite : Cupidon, dans sa position droite (quand il vise le centre de la croix), se lie au cadre de la carte du

    monde à la pointe de sa flèche (le cercle jaune est le grand cercle de Jupiter).

    Dans les deux cas, les bissectrices du grand triangles impriment leurs directives au motif de l'angelot, qui se

    retrouve comme posé sur ces fils. Les ailes ne sont pas représentées pour donner de la lisibilité au dessin. Ces

    liens, tissés de multiple façon à différents niveaux, constituent peut-être l'amorce d'une réponse à la question du

    philosophe sur le statut des nombres : sans l'image, on ne voit pas vraiment ce qu'ils signifient.

    3 - La carte de l'Amoureux - VI

    L'Amoureux est en premier lieu une représentation symbolique de l'union du Ciel et de la Terre. Dans une large

    mesure, par les actes graphiques de Cupidon notamment, elle sert de “vecteur” à cette étude. Le sens général de

    la carte est clair : elle présente un contrat de mariage. L'Amour en tant que cadeau du Ciel entend s'ancrer dans

    le Terrestre. L'amoureuse se trouve gentiment écartée par son fiancé, du revers de la main, car celui-ci est en

    pleine discussion avec la belle-mère - responsable de l'avenir de sa fille. À ce propos, le centre du cercle intime

    du triangle solaire (3-4-5) pointe précisément le bout de son nez !

    A - Horizons

    La ligne de l'horizon coupait les cartes VII-VIII-IX par la

    moitié, et cette fois l'on voit apparaître une deuxième ligne,

    exactement à la base du sablier, pour caler l'Amoureux, ce par

    deux fois. Et, alors que la ligne d'horizon sépare les deux

    premiers niveaux du carré magique, cette autre ligne justifie

    ce qui est inscrit dans ses cases, à savoir : 4, 15, 14, 1.

    Ces deux images se réfèrent au fichier du B.M., les suivantes reprennent le fichier classique.

    Par deux fois, cette sorte de seconde horizon (à marée basse), sert de repère à la carte de l'Amoureux. À gauche,

    tout le cadre est dessous, et à droite, elle délimite le cartouche.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 16 sur 44

    http://www.melencoliai.org/composition-BM/112-amoureux-droit.jpghttp://www.melencoliai.org/composition-BM/111-amoureux-gauche.jpg

  • B - La position dite “à gauche” de Cupidon

    En première partie, nous avons placé les cartes en fonction de la composition de la

    gravure, et trouvé une position “centrale” face à Saint Michel. Cette fois, ce sont les

    objets et les “personnages” de Melencolia qui nous guident. Après ceux qui animaient

    la frise du haut, quatre éléments se profilent à l'arrière de l'Amoureux : le polyèdre, la

    roue de pierre, le grand livre et le compas. Chacun assume un rôle symbolique d'ordre

    générique. Ainsi, le polyèdre est celui de la Terre, en tant que planète. C'est celui qui

    manqua tellement à Kepler pour achever la construction de son modèle planétaire à partir des solides de Platon.

    (voir à ce propos http://www.art-renaissance.net/EDL/Yvo_jacquier-La_conscience_de_Durer.pdf)

    La meule de pierre est une roue du temps cyclique, par opposition au temps linéaire qui avance inexorablement

    (le Sablier de Saturne). La confrontation par transparence de Melencolia avec « Le Chevalier, le Diable et la

    Mort », confirme cette opinion : le brelage du cheval pare symboliquement la roue d'un magnifique gnomon :

    (voir à ce propos http://www.melencoliai.org/046-Chevalier-et-Gerome-chez-Melencolia.jpg)

    Cette roue est solaire, mais encore vénusienne si l'on tient compte de son fils Cupidon juché à son sommet.

    Le lourd compas servira à tracer le cercle de cette famille qui s'agrandit. Enfin le grand livre que porte Saint

    Michel sur ses cuisses représente la loi, le texte de référence sur lequel on s'engage. Il n'est pas question que

    d'argent dans ce contrat.

    Grâce aux “symboles génériques”, tels que l'on peut les nommer, la lecture de la scène devient particulièrement

    claire. La mère se réclame de la Terre, puisqu'elle est adossée à son polyèdre. La grande roue du temps la sépare

    de sa fille, son bord va même jusqu'à toucher le bout de son nez (faisant ainsi écho à la composition des tarots).

    De l'autre côté, le trait passe par le poignet de la jeune fille, partie désignée dans le cas d'un mariage. L'axe de la

    roue du temps se pose sur le bras droit et viril du jeune homme. Il est ainsi au centre de la préoccupation des

    deux femmes. La vieille décide, la jeune espère. En bas de la roue, le triangle sombre, symbole néolithique de la

    fertilité, vient se poser sur la robe de la mère.

    La jeune femme ne participe pas aux débats. D'ailleurs l'homme l'écarte du revers de la main, et derrière le

    rideau “le grand livre” se profile : il lui faudra jurer sur la bible où il pose sa main. Le compas place son lourd

    pommeau au niveau de la bouche de la future mariée. La parole est au centre, et l'équilibre en dépend.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 17 sur 44

    http://www.melencoliai.org/046-Chevalier-et-Gerome-chez-Melencolia.jpghttp://www.art-renaissance.net/EDL/Yvo_jacquier-La_conscience_de_Durer.pdfhttp://www.melencoliai.org/farandole/06-amoureux.jpg

  • C - La position dite “à droite” de Cupidon

    Le milieu de la carte s'aligne avec le tisonnier et l'aile de

    Saint Michel. La ligne accroche sur son passage un signe

    curieux, niché dans la manche de l'Archange. Cette fois, le

    jeune homme prend la couronne, quand le compas place son

    point d'équilibre entre les futurs époux. Enfin, Cupidon a les

    yeux bandés et la belle mère aussi devient aveugle !

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 18 sur 44

    http://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/07-placement-amoureux-melencolia.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/08-Melencolia-amoureux-pos2.jpg

  • 4 - L'arc et les cartes

    L'espiègle Cupidon se faufile entre les cartes. En réalité, ce sont les cartes qui tournent autour de lui, chacune

    occupe une place différente sur Melencolia, tandis que Cupidon reste invariablement près de son homologue.

    I - Le Bateleur

    L'Amour, comme l'Humour, se plait à pratiquer l'imprévu. La table rectangulaire du

    Bateleur se réclame du 4 par sa forme et repose sur trois pieds. Cupidon sort du

    chapeau du magicien et s'empresse de le souligner : la trajectoire passe pile à la

    naissance d'un des pieds, unissant le 4 de la surface au 3 de son support. Union

    explicite du Ciel et de la Terre.

    À droite - Cette fois, la flèche pointe un graphème que nous n'aurions sans doute pas

    remarqué : l'esquisse d'un ‘L’ majuscule. Ce tracé n'est pas dans la logique anatomique

    de la main, pas d'avantage que ses six doigts... Le livre caché dans son sac, sur la table

    se trouve relié par la ligne de mire à celui de Melencolia.

    La pointe de la flèche sépare la baguette du Bateleur selon la proportion dorée. C'est

    assez logique : le Bateleur est le premier geste des tarots, en tant que livre de sagesse et

    de connaissance. Le premier pas est celui de la bonne mesure. En méditant cette image,

    l'on peut alors prolonger ce discours par celui de la Psyché, en tant qu'âme ne

    manquant pas d'esprit... La mesure est celle du cercle inscrit de Jupiter, dont la baguette

    totale trouve le rayon de 7/6, l'intérieur mesurant 1. Le cercle rouge adopte en

    conséquence un rayon de 7÷ 6φ. Il attrape habilement le petit doigt du Bateleur.

    Le cercle inscrit de Jupiter, le grand bénéfique, vient chercher la manche du Bateleur et la corde de l'arc au sens

    propre et mathématique (l'angle semble être de 2π/9, soit 40°). Le même cercle vient toucher le plateau de la

    Balance à l'arrière plan, sur Melencolia.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 19 sur 44

    http://www.melencoliai.org/farandole/Arc-Bateleur.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/C01-cupidon-bateleur.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/29-Cupidon-D-sur_I-CI_Jupiter.jpg

  • X - La Roue de Fortune

    Les deux roues se conjuguent, assemblant leurs axes et mélangeant leurs graphes.

    Cupidon sort de sa cachette derrière la carte pour tirer une flèche sur le sphinx, à un

    endroit précis que ma mère m'a défendu de nommer ici . Est-ce une déclaration de

    guerre ? Une plaisanterie de potache ? Le maître de la roue est un Sphinx : la partie

    centrale, débarrassée de ses ailes, sa queue, ses pattes et son visage fait apparaître la

    chrysalide du papillon éponyme. Il doit son nom à la façon dont sa chenille redresse la

    tête en rampant. À l'époque de Dürer, grand observateur de la nature, cet élément est tout à fait plausible. La

    définition du Sphinx, de ses attributs et de sa fonction, ne doivent céder à aucune égyptomanie...

    Eliphas Levi et Papus ont identifié sa constitution : les pattes du lion et les ailes se

    réclament du Griffon, et représentent le côté droit (solaire) de la pyramide des tarots. Ces

    éléments se retrouvent dans la carte du Monde. La tête anthropoïde et la queue du taureau

    s'adressent à l'autre côté (lunaire). Les quatre évangiles sont ainsi réunis. L'aigle de St

    Jean, le Lion de St Marc, le Boeuf de St Luc et le visage de St Matthieu.

    Christophe de Cène nous l'enseigne : aucun humain n'entre armé dans la pyramide des lames majeures. Le roi

    d'épée n'y trouve pas comme les trois autres, de correspondance directe. Par exemple, le Roi de Deniers avec sa

    combinaison 4.4.4 trouve la correspondance de l'Empereur avec la combinaison 4.4. L'épée, chez les majeurs,

    est un attribut qui se réclame du Divin. La Roue de Fortune représente en cela la justice

    immanente, et très explicitement son épée est plus courte que celle de la grande Justice (lame

    VIII). Les trois barres que forment les rayons ne sont pas sans rappeler le Chrisme,

    monogramme du Christ descendu sur Terre. (source image : Wikipedia)

    La flèche pointe la chrysalide du Sphinx, non sans provocation. Serait-ce pour éloigner la piste d'Oedipe ou pour

    en donner une version plus “décontractée” ? Peut-être le Sphinx ne pose-t-il pas la bonne question... La visée

    croise l'épée, et sa trajectoire passe par l'animal qui monte, sur la roue dont elle devient la tangente. Cette droite

    se fait aussi l'alliée de la manivelle. En termes clairs : Cupidon donne un coup de pouce au destin. Une part de

    grâce se combine à la justice immanente. La roue de pierre est orthogonale à la Roue de bois. Le temps cyclique

    et solaire exprime une dimension complémentaire, d'ordre alterné lui aussi, mais en fait fort différent. Le

    balancier du destin fonctionne sur des rythmes difficilement perceptibles à l'homme. Un évènement providentiel

    peut être perçu comme un accroc du temps, ce que montre l'entaille dans la pierre. Ensuite, la position du

    triangle noir, symbole ancestral de la fécondité, demeure l'un des piliers du destin : la vie règne sur le temps

    autant que sur le lot des évènements.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 20 sur 44

    http://www.melencoliai.org/Tarots/Nicolas-Conver-1760-G/8-Justice.jpghttp://www.melencoliai.org/Tarots/Nicolas-Conver-1760-G/8-Justice.jpghttp://www.melencoliai.org/Tarots/Nicolas-Conver-1760-G/8-Justice.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/10-Arc-Fortune.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/Sphinx.jpghttp://en.wikipedia.org/wiki/File:Sarcophage_de_Drausin_03_chrisme.jpg

  • la Roue de Fortune, au haut de laquelle est un Singe couronné, nous apprend qu'après

    la chûte de l'homme, ce ne fut déjà plus la vertu qui donna les dignités: le Lapin qui

    monte & l'homme qui est précipité, expriment les injustices de l'inconstante Déesse:

    cette roue en même-tems est l'emblême de la roue de Pythagore, de la façon de tirer

    les sorts par les nombres: cette Divination est appellée Arithomancie.

    - A. Court de Gébelin

    Ci-dessus (image non-cliquable) : les repères de Cupidon, repérés plus haut, cadrent l'épée du Sphinx.

    Position gauche de Cupidon - Cette fois, c'est le Sphinx qui se joue de Cupidon. Son

    épée lui perce les entrailles. Cupidon vise la manivelle qui fait tourner la roue, et la

    ligne de mire rencontre sur son passage, juste avant de passer entre les oreilles du

    “lapin”, un signe bizarre en forme d'amande qui pointe sur elle. Ce signe est à mi-

    chemin de la distance qui sépare la flèche de son but...

    Et une fois encore, c'est le cercle inscrit de Jupiter qui donne la mesure. Il vient ici

    dicter sa loi en territoire solaire. Tout bien considéré, cette carte est une sorte de

    symphonie astrologique. Nous y trouverons même l'angle de π/7 ! Comment s'en

    étonner, il n'y a pas qu'un moyen de s'élever (et réciproquement un seul de descendre).

    Il est à noter que sans cette farandole des cartes, le signe qui montre le centre du cercle

    paraîtrait inutile. Sans cette confrontation, il serait tout au plus l'objet d'un inventaire.

    Les codes de l'art ancien

    Au terme de plusieurs années de leur fréquentation, ces marques de composition finissent par devenir familières.

    Cela ne serait pas possible si elles n'avaient été conçues pour être identifiables. En cela, il y a lieu de les

    distinguer des “codes” propres à tout groupe humain constitué : ceux-ci ne sont valables que pour un ensemble

    défini de personnes et pour un temps déterminé. Une même nuance concerne l'écriture. La cryptographie

    fonctionne quand les principes utilisés sont d'ordre mathématique - numérique dans ce cas. Une grande majorité

    de codes contemporains revendiquent le statut de “signes” quand ils sont tout au plus des “traces”. Les reliefs de

    repas intéressent l'archéologue. Mais est-ce avec ça qu'il fonde son opinion sur une Culture ?

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 21 sur 44

    http://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/C10-cupidon-fortune.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/30-Cupidon-D-sur_X-CI_Jupiter.jpg

  • XX - Le Jugement

    Un détail graphique avait tendance à s'effacer dans le temps au fur et à mesure que les

    cartiers recopient les modèles. Dans le lot des cartes, cette lame est une des moins

    “fidèles”. Le jeu de Conver, conservé à la BNF, est le dernier , et il est complet...

    Le personnage qui se relève de la tombe porte la trace de l'arc de Cupidon. Cette

    marque s'explique. À ce propos, la carte du Jugement se combine avec celle de

    l'Empereur (III) pour construire un des messages les plus explicites du langage de l'image (voir annexe IV - Les

    tarots, langage de l'image. Le visuel est accessible ici). « Le Ciel nous dit qu'il faut prier pour les morts affin

    que leur âme s'élève vers Dieu »

    L'axe de la flèche devient son de la trompette et traverse le mort. Le rond de sa tête se précise comme son âme,

    elle se retrouve littéralement dans les cordes de Cupidon. Quel est le destin de cette âme ? Sur la droite, la

    balance est suspendue aux nuages avec son Oméga, signe de l'ultime décision. L'ange pose sa main sur la ville,

    au troisième plan de Melencolia.

    La présence de l'échelle ne doit pas nous surprendre : cet élément figure à nombre de versions des tarots. Le

    drapeau céleste y est comme suspendu., et l'arc en ciel traverse l'ange de sa lumière céleste, de concert avec la

    comète. La lumière vient d'en haut.

    La synthèse des éléments fait de cette lame celle du Jugement Dernier.

    Cupidon, position à droite - Cette image est une merveilleuse illustration du sobriquet

    “Souffle-cul” attribué aux angelots de décoration (ils ont l'air de sortir de l'atelier d'un

    souffleur de verre). Plus sérieusement, il est ici question de procréation. L'enfant, signe

    de vie que le Ciel adresse à la Terre, montre l'horizontalité se son rapport avec la

    femme, et la verticalité de celui qu'il entretient avec l'homme. Et il couvre le mort qu'il

    vient “remplacer” sur terre.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 22 sur 44

    http://www.art-renaissance.net/Historique/Empereur%20et%20Jugement.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/20-Arc-Jugement.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/C20-cupidon-jugement.jpg

  • XXI - Le Monde

    À gauche - Le roi des animaux terrestre vient lui même expliquer que l'amour charnel

    rend aveugle. La chevelure du personnage du Monde se trouve poétiquement liée par la

    pointe à cette toison animale. La précision de cette ligne est

    extrême : elle passe par la le point de repère au sommet de la

    mandorle. Cupidon tire de très haut son inspiration.

    À droite - Cupidon, fils de Vénus, chevaucherait les lions et

    d'autres animaux comme les dauphins...

    XIII - L'arcane sans nom

    À gauche - Nous avons amplement évoqué le symbole de la fertilité qui coupe l'un des

    pieds de la Mort. Ses mains s'inscrivent dans le mouvement de la roue cyclique du

    temps. Le détail le plus intéressant de cette composition est la

    situation de l'arc : il sort de la bouche de la Mort. Le fil de

    l'arc est attaché à une de ses dents pour l'extraire. Cela

    confirme le statut de cette lame comme celle de tous les

    passages (d'où “Arcane sans nom”).

    À droite - Cette fois, la Mort lance des éclairs !

    XV - Le Diable

    La flèche de Cupidon traverse (coupe ?) la corde qui retient l'un des personnages au

    pied du Diable. La tête de l'angelot semble posée sur sa poitrine pour l'écouter. La

    sexualité n'est manifestement en cette carte, plus une aliénation.

    À droite - Cupidon de fait Diablotin.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 23 sur 44

    http://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/C21-cupidon-monde.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/amoureux-monde.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/C13-cupidon-mort.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/Arc-Mort.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/Arc-Diable.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/C15-cupidon-diable.jpg

  • IIII - L'Empereur

    Tout est charmant et précis graphiquement en cette image. En revanche, l'interprétation

    tient de la gageure... L'Empereur peut tout désirer, du moment que cela ne dépasse pas

    les limites de son pouvoir/empire ? Sinon, c'est la guerre ?

    À droite - Cette fois, Cupidon enfourche la visière du casque.

    III - L'Impératrice

    Elle porte Cupidon au bout de son sceptre, telle un désir qui se manifeste. Peut-être ses

    désirs, justement deviennent-ils réalité... Le jeu graphique sophistiqué des lignes sur

    l'orbe terrestre ne livre pas encore ses secrets. Ils sont

    forcément d'importance, car Cupidon appartient à la lame de

    synthèse (l'Amoureux) du couple impérial.

    À droite - Une grande précision des lignes de cet assemblage.

    II - La Papesse

    La bonne inspiration, le vrai désir, lie les actes et les mots, les paroles, aussi sûrement

    que les actes à la personne (main-poitrine). Cupidon définit ici les points cardinaux de

    l'amour. S'il est inspiré, subjectif et partial, il n'en est pas

    moins didactique et précis.

    À droite - La flèche pointe le même endroit de la main

    que celle du Bateleur.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 24 sur 44

    http://www.melencoliai.org/farandole/Arc-Empereur.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/C04-cupidon-empereur.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/C03-cupidon-imperatrice.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/Arc-Imperatrice.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/Arc-Papesse.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/cupidon/C02-cupidon-papesse.jpg

  • VIII - La Justice

    L'ange s'inscrit sur le coeur bleu de la robe de la Justice, tel un graffiti sur le tronc d'un

    arbre d'école. Signe d'équilibre : il vise le milieu de la carte tout en bas. Pour autant, on

    le soupçonne de chercher à faire pencher la balance dans le

    sens qui lui paraît le plus juste, mine de rien... Le voile blanc

    de l'inspiration se gonfle de cette idée, juste au dessus de sa

    tête. Et la Justice garde son calme souverain.

    À droite - La symbolique est la même par l'association de la

    surface cordiforme de la robe bleue.

    Autres lames, avec Cupidon dans sa position à droite

    V - Le Pape XIV - Tempérance XVI - Maison Dieu XVIII - Lune

    Mat

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  • TROISIÈME PARTIE - LES COUPLES BASIQUES

    La Papesse - II

    Commençons par une image charmante : la Papesse prend Cupidon sur ses genoux.

    Les voiles de son Inspiration, valeur qu'elle représente, se suspendent exactement au

    montants de l'échelle et du sablier, et même à l'arc-en-ciel. Aujourd'hui sûrement, elle

    aurait Internet ! Le 2 montre ici le mauvais statut dans lequel on l'enferme, puisque sa

    source est ternaire. Dürer nous ouvre à la subtilité de la symbolique. La source de

    l'inspiration est multiple, et elle navigue entre palpable et impalpable. La méditation de

    la Papesse intègre les notion d'initiation, de temps, d'étude, et le Céleste y trouve plusieurs voies : le sablier de

    Saturne, l'échelle et l'arc en ciel des Anges.

    Les plateaux de la balance viennent encadrer son chef, et l'Oméga orne sa tiare. Cet Oméga occupe une place

    très importante dans ce ballet des cartes. C'est le point où tout s'achève, s'accomplit. Dans une certaine mesure,

    c'est à qui aura le dernier mot : cette dernière lettre. La Papesse se contente de l'arborer sur son chapeau, avec

    une grande sérénité. Le compas du bâtisseur est sous sa jupe, dans la partie qu'occupe la lumière, ainsi que le

    Livre. La roue de pierre se cache pour une part dans la partie sombre séparée du reste de la carte par une courbe

    serpentiforme. L'axe du temps cyclique se trouve pongé dans le noir. Est-ce une façon pour Dürer de poser la

    question de son contemporain Copernic ? Plus symboliquement, le centre d'un phénomène physique, son

    barycentre ou le point autour duquel il s'organise est souvent vide comme le milieu de la roue. Les anciens ont

    manifestement élargi ce concept pratique. À bien regarder, la roue entière et la position des mains de la Papesse,

    une image se révèle : elle est telle un capitaine à la barre d'un grand navire. L'allure générale du décor de

    Melencolia se prête à cette idée, particulièrement la cabine et sa cloche. Et le polyèdre devient alors la cargaison

    précieuse que l'on convoie : le secret de la planète Terre.

    La papesse touche ce polyèdre du bout des doigts. Elle n'est pas coupé du monde terrestre. Mais son contact, la

    prise qu'elle a sur le concret se résume au montant d'une échelle que seuls les Anges peuvent emprunter. Pour le

    simple mortel, elle est impraticable (cf. L'échelle de Melencolia). Cupidon est à son aise sur le livre ouvert de la

    Papesse. Elle est en pleine méditation... L'angelot en profite pour prendre des notes, qu'il cache par précaution de

    toutes parts. Ce qu'il écrit n'est pas forcément publiable ! Mais où est ton arc, fils de Vénus ? Si tu as oublié ta

    mission, tes bras et tes mains s'en souviennent ! Tu tiens cette tablette comme un arc d'une main, et l'on pourrait

    sans problème placer une flèche dans l'autre...

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 26 sur 44

    http://www.melencoliai.org/farandole/02-papesse.jpg

  • Le Pape - V

    Le pape nous offre une seconde image navale, et Dürer la traite avec un certain

    réalisme : le bateau que forment les éléments de la tunique laisse derrière lui une

    trainée d'écume... Et visiblement, il accoste ! La lumière au sommet du mat est la

    comète du tableau, et le cartouche de la gravure devient flamme qui flotte au vent.

    Selon la même référence que pour les cartes précédentes, les gens prient autour du

    polyèdre. Deux mains se joignent même sur une arête; elles désignent une fois de plus l'épaisseur du montant de

    l'échelle, comme si elles l'enserraient. Le Pape lui aussi s'accroche à l'échelle, aussi sûrement qu'à sa croix. L'arc

    en ciel est manifestement concerné par le geste du pasteur guidant son troupeau. La croix marque la rencontre du

    montant et d'un barreau de l'échelle avec l'arc en ciel : trois directions, trois préoccupations; là encore la logique

    ternaire préside la pensée.

    Le coude du Saint Père se pose “naturellement” sur la langue de terre que porte l'horizon. Les formes se joignent

    en harmonie. D'autres détails graphiques témoignent des intentions de Dürer, avec sa légendaire précision.

    Quelques traits de la chevelure, a contrario du mouvement général vers le bas, prennent la direction des raies

    lumineuses de la comète. De façon générale, les plis du vêtement s'harmonisent selon le rayonnement de la

    “presque étoile”. À l'époque de Dürer, elle était conçue comme telle. Il fallait un sérieux remarquable aux

    cartiers pour respecter, sans le savoir, ces indications graphiques à la lettre pendant des siècles. Il leur fallait

    aussi disposer des bois d'origine de la main même du maître, pour que cette opération soit simplement possible.

    Conver comme ses prédécesseurs honoraient ce qui n'était pas seulement la source de leur revenu, mais

    vraisemblablement l'objet d'une authentique dévotion. Ils savaient que tous ces détails devaient être respectés...

    Il n'est pas si facile de poser des mots sur la valeur du 5 que porte de Pape. Elle tient de la structure, du dogme,

    et en fait se rapporte à l'humain (le pentagramme est à cet égard un bon exemple). Il y a dans cette valeur du 5

    toute la grandeur de l'homme, sa capacité à construire (le nombre d'or ne sert qu'à cela), et aussi toute la

    précarité de son jugement. Les dogmes sont là pour nous le rappeler.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 27 sur 44

    http://www.melencoliai.org/farandole/05-pape.jpg

  • Le couple papal - II et V

    Détachons les deux cartes de la Papesse et du Pape de leur contexte, sans changer leur

    position respective. Cela va nous permettre de constater leur relation graphique. Cette

    opération gagner en complexité dans le futur, car elle intégrera la composition des

    cartes. Pour l'instant, abordons cette rencontre comme une simple observation. Le

    message de ce tableau est très simple. Les lignes du livre s'envolent et se rangent en

    direction des mains en prière. Les deux formes d'autorité sont ainsi unies par la prière.

    Le cornet d'étoffe vertical de la Papesse s'unit au bras du Pape. En revanche, le symbole de son autorité, la croix

    en or, échappe à l'échange.

    Rappelons qu'une des rares Papesses de l'histoire périt sur le bûcher pour cette raison ! La secte dite “des

    Guillelmites” a pour origine Guglielma de Bohème, fille d'Otokar Ier et soeur de Sainte Agnès, patronne de la

    Bohème (1211-1282). Elle répandit sa foi à Milan, et l'Église qui en résulta fut pourchassée par l'Inquisition. Ce

    mouvement Chrétien défendait notamment le droit des femmes à prendre des responsabilités, mais ses ambitions

    allaient bien au-delà de cette simple revendication. Le jour de Pâques 1300, la soeur Maifreda (ou Manfreda)

    Visconti da Pirovano fut élue Papesse à Milan. Malheureusement, elle fut mise à mort au cours de la même

    année sur le bûcher, avec les restes du corps exhumé de Guglielma, fondatrice de ce courant religieux.

    http://marygreer.wordpress.com/2009/11/07/papess-maifreda-visconti-of-the-guglielmites—new-evidence/

    La carte II présenterait-elle le portrait commémoratif de Manfreda Visconti ?

    Graphiquement, le bord de la carte II s'aligne avec le pilier du fauteuil du V, et en bas, la courbe de la manche

    d'un personnage appartenant au V vient confirmer cette verticale (tout comme le ‘V’, justement, que forme la

    surface claire sous le bras du Pape.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 28 sur 44

    http://marygreer.wordpress.com/2009/11/07/papess-maifreda-visconti-of-the-guglielmites%E2%80%94new-evidence/http://www.melencoliai.org/farandole/Couple_papal.jpg

  • L'Empereur - IIII

    Albrecht Dürer (1471-1528) se démontre ici comme le précurseur impérial de

    Giuseppe Arcimboldo (1527-1593). En effet, le visage de l'Empereur se cache dans la

    végétation derrière le polyèdre. Que l'ombre du monarque se profile dans celle du

    solide qui représente la Terre n'a rien de surprenant. C'est Dürer qui crée la surprise par

    un procédé sinon avant-gardiste, au moins inattendu.

    L'Empereur est ô combien terrestre ! Son buste est ajusté à deux arêtes du polyèdre,

    qui se cassent en une troisième à l'endroit de son sexe, marqué d'un arc rouge. Le

    sceptre bien vertical choisit encore cette forme du solide pour prendre sa mesure. Le

    symbole de la Terre, ce globe surmonté d'une croix se pose enfin comme une signature

    sur la surface du polyèdre.

    Alors que la Papesse gouvernait le navire du temps, avec la barre que symbolise la meule de pierre, l'Empereur

    s'y adosse, bien confortablement. Ce temps cyclique duquel on parle lui appartient. Et le médaillon se retrouve

    sur le bord de la meule, comme une planète sur son orbite. Curieux ! L'empereur écrase littéralement le museau

    du chien, mais veille à ne pas salir la robe de Saint Michel, en pliant délicatement la jambe jusqu'à ce que son

    pied épouse le pli de la robe blanche... Juché sur son épaule, Messire Cupidon de Melencolia, nom à particule

    s'il en est, tient la partie arrière de son casque (c'est un guerrier, la forme se rappelle de la salade). Serait-ce une

    précaution ou un avertissement ? Tout sera consigné, en tout cas. La notice ne précise pas si c'est pour ici-bas, ou

    bien pour l'au-delà...

    L'aigle est confié tout entier à Saint Michel. Ils ne volent pas dans les mêmes cieux, mais le volatile pourrait

    apprendre de ce maître des maîtres. Enfin le IIII “en toutes lettres”, pour rappeler que la symbolique n'est pas de

    la comptabilité, s'écrit sur le village entre les montants de l'échelle. Tout au long de cette présentation, signée

    Albrecht Dürer, l'on trouve des marques de propriété, de pouvoir sur le temps, les biens et les gens.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 29 sur 44

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  • L'Impératrice - III

    L'impératrice porte la trace d'un symbole ante-diluvien : une croix au dessus d'un

    serpent et surmontée d'un oiseau. Mais que vient faire la représentante du Ciel sur,

    voire dans un polyèdre qui symbolise la Terre ? La question contient pratiquement sa

    réponse. C'est son rôle, d'amener le Ciel sur Terre. D'ailleurs, alors que le buste de son

    homme adoptait les arêtes du solide, le sceptre de l'Impératrice s'en écarte doucement

    pour trouver le montant de l'échelle : l'échelle des Anges. Les épis de blé que l'on

    devine à peine dans les dessins dorés (au dessous de son coude) se posent sur la meule : c'est comme ça qu'elle

    “conçoit” le cycle du temps, celui d'une moisson devenant promesse de pain. De même, la courbe de la roue du

    temps passe entre ses cuisses.

    Le Ciel sur la Terre, pour ne pas dire dedans, c'est la douceur avec laquelle la Femme des tarots apprivoise la

    bête, couchée à ses pieds (ou, comme le serpent, sous le contrôle du bâton de son sceptre). L'aiglon apprend

    cette Terre que sa mère lui raconte, leurs “mains” sont toutes deux sur la même arête du polyèdre.

    L'Impératrice et la Papesse sont directement liées, selon la pyramide des nombres de Christophe de Cène, à la

    Tempérance. Cette autre carte est, avec la Justice, une des deux représentations de Saint Michel. En l'occurrence,

    la Tempérance prête aux deux femmes le halo de ses ailes. Le voile de l'Inspiration se pose au bas de la

    pyramide sur les lames II et III mais en fait, sa véritable nature se révèle un étage plus haut avec la lame XIV.

    Techniquement, la combinaison de nombres de l'Impératrice (III) est 33, celle de la Papesse (II) est 22 et la

    combinaison des deux donne 32 au carrefour de la Tempérance (XIV). Nous développerons cet aspect dans un

    autre article, avec la composition géométrique des cartes.

    En bas, cette lame est une des rares à aller chercher la forme de la sphère de Melencolia. Cette sphère symbolise

    la Lune, et l'on ne pouvait pas l'oublier à propos d'une femme. Le bord gauche de la carte prend la verticale qui

    passe par le milieu de la sphère. Plus généralement, les grandes lignes de la composition de Melencolia

    réussissent à l'Impératrice. Elle n'est pas forcément conformiste, mais reste très ouverte à l'échange. Le point de

    la parole, sur son cou, se pose sur une ligne dorée du grand carré, de même sa cuisse et les pattes de l'aiglon. Il

    est à noter que le blason par sa forme n'est pas celui d'une femme. Il concerne donc sa descendance.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 30 sur 44

    http://www.melencoliai.org/farandole/03-imperatrice.jpg

  • Le couple impérial - III et IIII

    Nous commençons logiquement cette étude avec les symboles les plus basiques et les

    plus explicites. Dans ce cas précis, les messages sont d'une grande robustesse !

    Le père tape du poing celui du fils, symbolisé par l'Aiglon, à la façon des joueurs de

    baseball quand ils marquent un point. La vision de Dürer n'allait vraisemblablement

    pas jusque là, c'est plutôt la nôtre qui à travers ce type de manifestation retrouve ses

    réflexes ancestraux. L'aigle de monsieur vient en symétrie caresser de son aile la jambe de madame quand une

    serre touche exactement sa robe.

    L'harmonie des sceptres s'adressant aux deux conjoints est remarquable : un sceptre droit face à une personne

    qui se tient droit, un autre qui s'incline légèrement pour retrouver le visage de celui qui s'adosse à son trône. Les

    stries des bâtons s'arrêtent là où passe le collier du partenaire. Cette marque graphique n'a pas forcément d'autre

    but que celui de confirmer la composition. Le bâton de la dame passe à l'intérieur du collier de monsieur, mais la

    réciproque ne se fait pas. En termes de pouvoir, la traduction est délicieuse. D'ailleurs, l'Impératrice garde un

    oeil sur la sphère de l'Empereur et graphiquement, on dirait qu'elle marque un point. Parallèlement, l'homme

    digère littéralement ce que lui propose son épouse. Ensuite, symboliquement, le pied de l'Empereur essaie de ne

    pas contrarier le serpent qui rampe au pied de sa compagne. Il n'y a pas contact, même si la situation lui donne

    l'autorité. Il faut voir ce couple “archaïque” réuni pour le comprendre...

    Le détail piquant de cette photo de famille est la coïncidence parfaite de la forme de la main de madame avec la

    forme discoïdale rouge que monsieur porte au niveau du sexe (censée être le pendant de la volute de son

    fauteuil). La disposition est appuyée de la main gauche par l'Empereur, qui aide son épouse dans cet exercice de

    coïncidence graphique.

    La synthèse de ce couple, marqué par les combinaisons 44 (IV), et 33 (III), est l'Amoureux que nous avons

    étudié au début (combinaison 43, Arcane VI). Enfin l'Impératrice est associée au signe de la Vierge (épi de blé),

    et l'Empereur à celui du très jupitérien Sagittaire.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 31 sur 44

    http://www.melencoliai.org/farandole/Couple-imperial.jpg

  • La Force - XI

    La force incarne l'énergie, une capacité à modifier les choses où à défaut à les

    apprivoiser. La matière est comme l'animal bien difficile à changer, on apprend donc à

    la dompter. La première leçon graphique est celle de la précision : la Dame ne place

    pas ses mains n'importe comment ni n'importe où. Si la droite tient le lion, la gauche

    semble d'avantage le nourrir que lui ouvrir la gueule. Cette scène n'est pas celle d'un

    affrontement : une relation de maîtrise se manifeste. D'ailleurs le chien de Melencolia

    love sa tête contre l'encolure du lion, comme pour chercher amitié.

    La carte de la Force est calée en bas et à gauche du grand carré de Melencolia (sa partie peinte, hors cartouche).

    Or c'est très curieux. L'on s'attendrait à une variation sur le thème du soleil : le 66 de sa combinaison numérique,

    souligné jusque sur son chapeau l'inspire, autant que le signe du lion auquel la carte se rattache. Sixième lame à

    la base de la pyramide, angle extrême d'une pente située en plein soleil, la Force ne semble pas à un paradoxe

    près. Déjà elle nourrissait le lion au lieu de le combattre, maintenant elle s'appuie sur la Lune quand elle dépend

    du Soleil. Prenons du recul. Dès qu'il s'agit de symbolique, nous avons l'habitude d'une approche astrologique

    plus ou moins conceptuelle, mais Dürer est en rapport avec des astronomes qui préparent la révolution

    copernicienne, au bout de laquelle un siècle plus tard, Kepler finira par mettre le Soleil à sa place. Au moment

    où Dürer édite le véritable manifeste que constitue sa gravure, la guerre ne fait que commencer... Pour les choses

    de l'esprit, depuis Socrate, rien ne vaut les questions en guise de réponse. Et Dürer est particulièrement habile à

    éviter les pièges du présomptueux : le burin ne supporte pas les regrets et il en a pris la leçon ! Il expose le

    problème de l'astronomie en trois points. Le premier est au centre d'une sphère qui représente la lune, le second

    est une couronne solaire posée en plein polyèdre, au centre de la Terre en quelque sorte. Le troisième point est

    pratiquement invisible, il faut aller à la Bibliothèque Nationale de Paris pour le vérifier à la loupe (ce qui fut fait,

    et c'était la seule supplique du voyage). Un tout petit cercle qui sur les reproductions ne se distingue pas des

    pétouilles d'impression. On le devine à peine sur ce visuel, il se retrouve sur le bord du trou central de la meule

    de pierre. Intégrant la gravure, il devient le centre de la roue du temps cyclique, d'une orbite planétaire... Et vu

    le titre de la carte, il est légitime de se poser la question si Dürer n'anticipait pas Newton ! Car avec les marées

    que provoque la Lune, les terriens peuvent très bien avoir senti le principe de la gravitation universelle plusieurs

    siècles avant que les lois de Kepler paraissent. Et si le polyèdre de Dürer anticipe les besoins de ce Pragois

    d'adoption, quand il construira son modèle planétaire avec les solides de Platon, pourquoi la même culture ne

    produirait pas des principes comme celui de l'attraction universelle ? Voilà pourquoi la robe bleue de la Force

    fait tant de vagues !

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 32 sur 44

    http://www.melencoliai.org/farandole/11-force.jpg

  • Il est clair que le troisième couple que nous abordons avec cette carte, l'autre étant celle du Bateleur (I),

    nécessite une approche beaucoup plus complexe que celle des deux premiers : les couples d'autorité spirituelle et

    temporelle. Pour autant, selon le principe ternaire qui partout se manifeste en ces cartes, l'idée d'un troisième

    mode est a envisager. Pourquoi pas celui de la science, ou plutôt de ce qui l'a précédé ? Sans doute devrons-nous

    abandonner nos préjugés sur un empirisme dont les définitions sont erronées. Elles sont posées par des êtres qui

    n'ont pas une grande expérience du concret... Dürer comme ses pairs se considérait comme un artisan, et c'est à

    ces orfèvres chaque jour en dialogue avec la matière que l'on doit la science. La culture symbolique qu'ils ont

    patiemment construite, depuis l'ancienne Égypte jusqu'à la Renaissance, est une préfiguration magistrale ! La

    connaissance manifeste aussi son autorité. Un troisième axe apparait, celui du savoir. D'ailleurs le terme de

    Force fait face aux formes d'autorité que représentent les couples papal et impérial.

    La carte XI comme les autres porte en elle des messages plus concrets. le lion domestiqué sépare graphiquement

    (ou unit, selon l'état d'esprit), deux symboles explicites : les testicules du chien et le symbole féminin de la

    fécondité. Là encore, la vision du principe se veut distanciée puisqu'elle rappelle la nature animale du processus.

    Même si la carte ne revendique pas explicitement le contrôle des naissances, le lion reste sous contrôle... Autre

    détail très concret : les tenailles qui apparaissent sous le pied de la dame. Cet outil particulièrement mécanique

    participe à l'image d'ensemble de la maîtrise “pratique”.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 33 sur 44

  • Le Bateleur - I

    C'est la première lame de l'alphabet des tarots. Son chapeau en forme de ∞ (symbole

    mathématique de l'infini) le désigne comme le conjoint de la force, et sa combinaison

    numérique est naturellement 11. Christophe de Cène l'associe à la magie. Pour les

    anciens, ce terme avait un sens très différent de celui qu'on lui donne aujourd'hui : le

    premier pas de la magie est la mesure ! Jusqu'à la Renaissance, les géomètres n'ont

    disposé que du théorème de Pythagore, du compas et de l'équerre comme outils. Toute

    mesure était l'objet de hautes spéculations, tant sur le plan théorique que sur le plan technique. L'explosion des

    techniques, à la Renaissance, va rendre la vie de l'étude beaucoup plus confortable. Avant, il fallait bâtir des

    modèles avec peu d'informations et beaucoup spéculer pour en tirer leçon... Le personnage qu'exhibe le Bateleur

    en le tenant comme un enfant en bas âge n'est pas assis derrière un ordinateur, il s'applique à prendre des notes

    avec un stylet. Cette mesure apparaît sur la carte nue, car cette main gauche du bateleur tient un baguette

    magique : la mesure. Celle dont on a besoin pour comprendre la géométrie des symboles, mais aussi le matière.

    La pente gauche de la pyramide numérique des tarots dont le bateleur est l'angle de base est celle de

    l'expérience, de l'observation intime et personnelle du monde. On trouvera sur cette pente un ermite, un pendu

    (par les pieds), un Diable, une Lune et au sommet la carte du Monde.

    Toutes les cartes qui mènent au sommet portent cette idée commune de l'expérience. Successivement celle de la

    retraite (dans les bois !) avec l'Ermite, celle du sacrifice initiatique avec le Pendu, celle de la chair avec le

    Diable, enfin celle de la plongée dans l'inconscient avec la Lune créatrice. L'idée que nous nous faisons de la

    hiérarchie se trouve un peu bousculée, mais les couples que Christophe de Cène a reconstitués ne laissent

    aucune prise au hasard : en symétrie sur l'autre versant, l'ermite fait face à la Roue de Fortune, le Pendu a pour

    vis à vis l'arcane sans nom, enfin le Diable trouve la Maison Dieu et la colombe du Saint-esprit. Ainsi l'honneur

    est sauf !

    La carte du Bateleur est calée sur la droite à l'endroit précis où le compas de Saint Michel pointe sur sa robe.

    L'idée de mesure se confronte ici à la notion de précision et de repère : le bord de la table vient s'en-quiller dans

    un pli de la robe. En haut, le chapeau du Bateleur se cale sur un barreau de l'échelle. La courbe en arc de cercle

    de la roue du temps croise le rebord de la table au point précis où la tunique prolonge le bord d'un gobelet.

    Enfin, le livre de Melencolia plonge dans le sac entrouvert sur la table, dont l'on suppose justement qu'il en

    contient un ! Ensuite, la composition de Melencolia verrouille la place de cette carte. L'angle arrière de la table

    est sur une ligne d'or du grand carré, tout comme le sommet du gobelet rouge et or.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 34 sur 44

    http://www.melencoliai.org/farandole/01-bateleur.jpg

  • Le bras droit du Bateleur prend appui sur la Terre du polyèdre, la courbe de la manche passe par son angle

    pointu. L'arête, que l'on aurait pu juger raide sans cette explication, dessine l'autre bord et plus haut, cette droite

    rattrape aussi le col. Tout le bras est ainsi engagé dans le terrestre. L'oeil accompagne cette disposition qui

    prépare l'esprit. Le buste lui, masque la roue du temps et la main droite exhibe un objet que d'aucuns prétendent

    être un denier... Sa place est près de l'axe de la meule. Le Bateleur prend le temps de l'observation et il note le

    résultat de ses observations, de ses mesures et de ses expériences terrestres. Drôle de magie direz-vous ? C'était

    comme ça à l'époque des sages.

    Le couple du savoir - I et XI

    Les deux personnages se “connectent” en un point précis : celui dont nous avons parlé

    sur le mur de la force. Ce cercle minuscule mériterait d'être classé comme le plus petit

    des monuments historiques à la Bibliothèque Nationale ! Il est ici souligné, sur sa

    petite plage.

    L'on apprend ce que mange un lion éduqué. La dame quant à elle semble friande de

    pots de confiture alchimique. Un jeu graphique se produit : la main partage le dessus du pot rouge en deux, la

    manche partage le corps du pot vert également en deux. Le Bateleur regarde sa compagne avec tendresse. Tout

    son bras accompagne les traits de son visage, dans le moindre détail. L'oeil gauche de la Force se retrouve en

    son homme quand le droit garde son indépendance. Une seconde lecture voit des ondes se propager depuis la

    bouche de la Force jusqu'au buste de son époux. D'ailleurs, le cadre de la carte XI cale le vêtement du I, et à

    table, il sépare les couteaux. Le lion déjà apprivoisé ne mangera pas l'homme d'avantage que le serpent de

    l'Impératrice ne menace l'Empereur. Bras dessus-bras dessous, ce couple est harmonieux.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 35 sur 44

    http://www.melencoliai.org/farandole/Couple_force.jpg

  • QUATRIÈME PARTIE - LES LAMES COMPLEXES

    Reprenons le simple dialogue des cartes avec la gravure qui leur sert d'écrin : Melencolia. L'arc de Cupidon

    méritait d'être traité à part, et nous reprenons cette étude avec la même carte. Dans cette partie, les éléments des

    cartes et de la gravure vont se combiner, mais aussi la composition de base de Melencolia, particulièrement le

    grand triangle qui fait le lien entre la grande croix grecque et le cadre du Monde (lame XXI). Ce cercle ne

    montrait jusque-là que son rôle “technique” : son carré/losange inscrit serait celui de la fertilité...

    VIII - La Justice

    Cette Justice a quatre plateaux, et Dürer le précise en plaçant son Oméga en travers de

    la balance de Melencolia. Le signe de fin, d'achèvement vient dans la main de la

    Justice (même si le visuel prétend l'inverse). L'échelle semble faire partie de sa

    panoplie de travail. L'autre Cupidon prend sensiblement la place du premier mais alors

    que l'archer fendait les airs, celui-ci est vraiment assis, assigné au poste de greffier.

    IX - L'Ermite

    Saturnien par vocation, Jupitérien par nature, l'Ermite s'il ne peut pas changer le

    monde, tente au moins de le sauver. Son bâton source sa force dans le bras autant que

    l'esprit de Saint Michel, son propre bras vient chercher le 3 céleste du carré magique

    tandis que son 9 devient question, inévitable errance sur le chemin de la vérité.

    Le sablier transforme le plomb du temps en or. Ce même temps permet, en haut, à la lanterne d'éclaircir les

    choses. La corde de cet “ecclésiastique forestier” réapparaît dans son dos, tenant la cloche qui bat comme un

    coeur au fond de sa poitrine. L'aile de Saint Michel enfin, vient épouser sa robe, allégeant un pas qui cesse d'être

    lourd et laborieux. « Une lumière dans la nuit » résume Oswald Wirth.

    Cette représentation de Varuna, dieu de la nuit védique, ne commet pas d'échange avec la lame complémentaire,

    La roue de Fortune (X), représentant Mitra. Le jour ne rencontre pas la nuit en cette farandole.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 36 sur 44

    http://www.melencoliai.org/farandole/08-justice.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/09-ermite.jpg

  • Parenthèse - Le losange de la fertilité

    Le cercle inscrit au grand triangle de Melencolia est ici en blanc. Son carré inscrit est

    mis en évidence par deux fois, en vert, en position droite et incliné à 45°. Les barreaux

    de l'échelle sont les seules indications qui se rapportent aux nombres dans la gravure.

    Ils prennent donc une extrême importance.

    - Le cadre des tarots qui reçoit la carte du Monde les prend tous de 1 à 7.

    - Le grand carré de Melencolia, qui se divise en croix grecque, les prend de 1 à 5.

    - Le cercle inscrit au grand triangle prend les barreaux de 1 à 4 : c'est le Tetraktys des Pythagoriciens.

    - Le carré inscrit en position droite prend les barreaux 2 et 3.

    - Le losange inscrit, désormais appelé losange de la fertilité, prend les barreaux 1, 2 et 3.

    Par cette référence au Tétraktys, Dürer consacre l'espace du cercle inscrit au grand

    triangle comme un tout. Rappelons-le, la Décade était vénérée par les Pythagoriciens

    car sa structure permet de résumer symboliquement le monde. Et Cupidon, qu'il soit de

    Melencolia ou de l'Amoureux des tarots, a manifestement sa place dans son intimité. À

    l'intérieur de ce cercle résumant le monde, le losange inscrit s'avèrera parler de

    fécondité. Il complète d'une flèche le symbole de la fertilité, en bas de la roue du temps.

    Ce losange est également celui de la héraldique, des Kilims berbères etc. et l'arc se marie graphiquement avec

    son tracé comme avec celui du cercle. Le “1, 2, 3” des barreaux exprime le principe de la parthénogenèse.

    Confrontons les cartes à cet outil de lecture.

    Yvo Jacquier - La Composition de MELENCOLIA I - Albrecht Dürer, 1514 - PARTIE II 37 sur 44

    http://www.melencoliai.org/farandole/Losange-fertilite.jpghttp://www.melencoliai.org/farandole/Arc-losange_fertilite.jpg

  • Confrontation du losange à la réalité des couples

    Nous allons confronter cette nouvelle figure aux couples basiques des tarots, y compris l'Amoureux et le Chariot

    qui sont l'axe vertical de la pyramide. Les cartes occupent chacune leur place favorite sur Melencolia.

    IIII - III V - II XI - I VII - VI

    IIII - III Photo de famille. Dans ce monde Impérial (cercle blanc), les époux royaux définissent un cadre

    concret (carré droit) en vue de procréer (losange). L'Empereur cède son rôle de chef militaire (salade complète),

    et abandonne sa médaille pour resserrer ses points de repère. L'Impératrice sauve en partie ses ailes, que pointe

    le losange... Ils perdront tous deux quelques cheveux dans cet exercice de prolongation, mais leurs rapports

    conserveront les bases observées en première partie.

    V - II On ne peut pas à proprement parler de “fécondité” entre le Pape et la Papesse. Le livre coupé en

    deux donne le ton, et les mains en prière sont au centre de ce monde ecclésiastique. L'église est avant tout

    constituée de fidèles. À gauche, une âme échappe à l'effort de catéchèse, quand à droite une autre se montre plus

    fertile. Le schéma de la nef esquissé par le vêtement du Pape souligne la dimension collective de ce propos.

    XI - I Couple basique s'il en est, le couple de la connaissance met en commun sa tête et ses yeux. La

    science n'est pas loin. Les six cuspides qui ornent le chapeau de la Force prennent ici de l'importance (objet de

    l'attention du Bateleur), ainsi que le symbole de l'infini, au chapeau du bateleur, qui entre ici dans le processus

    de “création” du couple.

    VII - VI Les lames VI et VII, l'Amoureux et le Chariot, sont à la verticale l'une sur l'autre dans la pyramide,

    et de l'une à l'autre elles constatent une évolution, un changement de préoccupation. En bas, la carte de

    l'Amoureux confirme son statut de “contrat de mariage”. Au final, le regard de la mère se retrouve seul dans le

    losange face au corps d'un bébé. L'arc devient ici cordon ombilical. E