1 UNIVERSITE RENE DESCARTES – PARIS V FACULTE COCHIN – PORT ROYAL LA BIENFAISANCE, N’EST-ELLE PAS UNE EVIDENCE ? DIU Éthique et soins des malades Alzheimer et leur famille. Année 2011-2012 Marie Noëlle LE ROUX-TESSIER Directeur de mémoire : Judith MOLLARD Psychologue expert. France Alzheimer
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LA BIENFAISANCE, - … · des fondements de la réflexion éthique et que léthique se définit comme une recherche ... unité du pôle de médecine polyvalent gériatrique,
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UNIVERSITE RENE DESCARTES – PARIS V
FACULTE COCHIN – PORT ROYAL
LA BIENFAISANCE,
N’EST-ELLE PAS UNE
EVIDENCE ?
DIU Éthique et soins des malades Alzheimer et leur famille.
Année 2011-2012
Marie Noëlle LE ROUX-TESSIER
Directeur de mémoire : Judith MOLLARD
Psychologue expert.
France Alzheimer
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« Dans la vie, il n’y a pas de solutions,
Il y a des forces en marche : il faut les créer, et les solutions arrivent ».
Antoine de Saint Exupéry. Vol de nuit.
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J’adresse mes plus vifs remerciements
A Judith Mollard, psychologue expert à France Alzheimer pour son soutien.
Aux formateurs de ce DIU,
Aux équipes des soignants des services ALOIS-VIVALDI-LE GALION- DALI 1et 2 de
l’HGMS de Plaisir Grignon et particulièrement à Anne Marie BAZZI, cadre de santé pour son
aide, et Armelle PERON, pour son accueil.
A mes « testeurs » et « relecteurs », Brigitte, Jean-Luc, Marino, France, Aldric.
A Gilbert, pour son soutien de chaque instant ;
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SOMMAIRE
INTRODUCTION 1
En stage à l’hôpital Gérontologique
et Médico-social de Plaisir-Grignon. 2 - 3
Un retour à domicile improbable pour Mme L. 4 - 5
I) De la définition de maltraitance à l’émergence
de la notion de bientraitance 6 - 10
De la bientraitance 11 – 17
II) Analyse des questionnaires soumis
aux soignants de l’Hôpital Gérontologique
et Médico-Social de Plaisir Grignon. 18 - 24
III) Les difficultés de la communication
dans la maladie d’Alzheimer. 25 - 26
IV) La présence à l’Autre 27 - 29
V) Quelles voies pour tendre vers la bienfaisance ? 30 - 37
CONCLUSION 38 - 40
ANNEXES
ANNEXE 1 : le questionnaire soumis aux soignants
ANNEXE 2 : le classement des réponses
ANNEXE 3 : les diagrammes
ANNEXE 4 : le classement des testeurs
ANNEXE 5 : Charte Alzheimer, éthique et société 2011
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INTRODUCTION
Infirmière dans un service de Long Séjour, en 1991, je rencontre Jean Louis, 68 ans.
Il est ma première expérience de soignante avec un patient atteint de la maladie d’Alzheimer.
Déjà très maigre et incontinent, parfois agité, presque violent, je devais dominer ma peur pour
l’approcher, lui prendre la main en l’appelant par son nom et tout doucement, l’entourer de
mes bras pour l’apaiser.
Mon contexte familial, mon engagement de 10 années de bénévolat auprès des personnes
désorientées m’ont donné envie d’apprendre pour mieux comprendre, d’où ma présence dans
cette formation ‘’DIU Ethique et soins aux personnes Alzheimer et leur famille’’.
Au cours de mon stage en unité de psycho-gériatrie aiguë, j’ai vu des soignants prendre soin
sans soigner et d’autres soignants, soigner sans prendre soin, et je me suis posé la
question suivante:
« Les soignants sont-ils conscients de n’être pas bienfaisant ?
Je n’ai pas posé ma question ainsi : « les soignants ont-ils conscience d’être malfaisants ? »
Parce que le terme de malfaisant peut blesser l’oreille des soignants.
Dans l’inconscient collectif un soignant ne peut pas être malfaisant.
Notre propos n’étant pas de choquer, j’ai ainsi libellé l’objectif de l’enquête auprès des
soignants de l’Hôpital Géronto-Médico-Social de Plaisir:
« Evaluer la conscience des soignants au regard de la non-malfaisance dans une unité
d’accueil et de soins des personnes Alzheimer »
Car il s’agit bien de cela. La volonté du soignant n’est pas de nuire, mais l’absence de
réflexion conduit à la « non bienfaisance ».
La littérature foisonne d’articles traitants du vieillissement de la population, de la dépendance,
et de la maltraitance.
Le professeur HUGONOT, fondateur d’ALMA a écrit : « La bientraitance n’est pas que l’absence
de maltraitance »
Nous définirons dans un premier temps la maltraitance, puis nous tenterons de cerner les
nouveaux concepts de bientraitance et de bienfaisance.
La bienfaisance dans le quotidien du soignant et de toute personne serait une attitude encore
plus subtile faite de délicatesse, illustrée par exemple, par un choix des mots pour dire et faire
sans heurter.
Je choisis ce terme de bienfaisance pour évoquer l’attitude des soignants parce qu’il est un
des fondements de la réflexion éthique et que l’éthique se définit comme une recherche
incessante, tenant compte de tous les possibles, pour tendre vers le comportement le plus
adapté.
Nous avons recours au questionnement éthique quand un sujet de société nous pose problème.
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La prise en soin des personnes malades d’Alzheimer est problématique.
La loi de janvier 2002 demande à tous les professionnels d’obtenir le consentement des
patients.
Mais qu’en est-il lorsque le patient, atteint de troubles cognitifs, ne parvient pas à se faire
comprendre de son entourage ?
Adopter une attitude bienfaisante suppose d’être conscient de la subjectivité de l’Autre par-
delà ses difficultés, et de vouloir être présent pour lui.
La présence à l’Autre demande une perpétuelle remise en question de soi, en tant que
soignant.
Compte tenu des troubles qu’entraine la maladie d’Alzheimer dans la communication, et du
fait de la complexité de la présence à l’Autre, nous comprendrons que la bienfaisance n’est
pas une évidence.
Pour conclure je ferai part de mes réflexions et propositions, particulièrement dans le champ
de la formation, qui à mon sens, devrait être la source d’une culture du questionnement,
favorable pour tendre vers une attitude bienfaisante.
En stage à l’hôpital Gérontologique et Médico-social de Plaisir-Grignon.
Fondé en 1862, et né de la transformation de l'hôpital Départemental des Petits Prés, l'Hôpital
de Plaisir-Grignon en Yvelines connait une médicalisation croissante depuis l'ouverture de
son premier service en 1969.
Aujourd’hui, l’hôpital Gérontologique et Médico-social (HGMS) s’organise en 2 pôles :
Le pôle gériatrique se compose d’une filière de psycho-gériatrie cognitive,
d’une filière de médecine polyvalente gériatrique dont VIVALDI : hôpital de jour
polyvalent.
La filière médecine physique et réadaptation ; les Unités de Soins Longue Durée (2
USLD), un service Espace Vie et Animation et les Etablissement d’Hébergement des
Les Aides-Soignantes (AS = 9) et les Infirmiers (es) (IDE = 9) sont majoritaires.
100% des soignants qui ont participé à ce sondage, ont choisi leur métier.
69% ont choisi de travailler dans leur service actuel.
Voici leurs motivations avec plusieurs réponses possibles :
J’ai ou j’ai eu une expérience familiale de cette pathologie : 3.8%
Je me suis spécialisé 30%
Ce sont des horaires qui me conviennent (service de jour) 7.7%
C’est un sujet de société qui m’interroge 27%
Je n’ai pas choisi, mais j’aime 34,5%
Autres : 7,5%
J’ai choisi et j’aime ; rapprochement géographique,
Besoin de changer d’activité,
Envie d’accompagner les patients et les aidants
L’exploitation des questionnaires:
Nombre de questionnaires distribués : 40
Nombre de questionnaires reçus : 26 soit 65%
N = 25 car un questionnaire sera inexploitable car non rempli.
Critiques des résultats et limites de ce travail: (diagrammes annexe 2)
Le questionnaire n’a pas été testé avant d’être diffusé, par oubli. Il le sera à postériori pour
évaluer mon propre classement.
Les consignes n’ont certainement pas été suffisamment claires et précises car les
professionnels n’ont pas tous compris que, dans les situations proposées, c’est l’attitude du
soignant qui doit être évaluée.
De plus, certains soignants ont eu tendance à modifier ou interpréter le contexte. Nous
pensions que le contexte décrit, même sobrement, était suffisant pour dire d’une situation si
elle est bienfaisante ou non.
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Certaines situations sont estimées à l’unanimité bienfaisantes (les situations c et g), ou
malfaisante (la situation s).
Neuf situations sont classées majoritairement (88% à 96%) bienfaisante (h) ou malfaisantes
(d-f-k-l-m-p-q-t).
Les résultats du classement pour les situations ci-dessus sont conformes à ce qui était attendu.
Les résultats divergent pour certaines questions ; cela m’interroge et la justification des
réponses fait défaut pour se positionner dans l’interprétation.
La situation -a) : 5 IDE et 5 AS répondent Bienfaisant– 4 IDE et 4 AS répondent
malfaisant—
a) Il fait 26° dehors; Chantal AMP choisit
sans hésitation une tunique sans manche pour
Mme C,
A mon sens, les termes ‘’sans hésitation’’ sont en faveur d’une attitude malfaisante dans le
sens ou l’avis de la personne n’est pas sollicité.
La situation -b) : 6 IDE et 1 AS répondent Bienfaisant– 3 IDE et 8 AS répondent malfaisant—
b) Tout le service est en retard dans les soins
du matin, Iris, AS, donne une douche rapide à
Mme I,
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Il me semble que la personne malade ne devrait pas subir les difficultés du service à fortiori
lorsqu’il s’agit d’une personne malade d’Alzheimer ; même si la douche est proposée, elle ne
doit pas être rapide.
Le soignant donne priorité à l’organisation du travail plutôt qu’à la personne.
La situation -e) : 4 IDE et 3 AS répondent Bienfaisant– 5 IDE et 6 AS répondent malfaisant.
e) Myriam, IDE procède à la toilette intime au
lit de Mme P et dit :’’Ecartez les cuisses, s’il
vous plait, Mme P ».
Est-ce que les soignants ont focalisés sur le ‘’ s’il vous plait’’ pour évaluer cette situation
bienfaisante ?
Il me semble qu’une formule plus délicate, moins connotée, conviendrait mieux pour
s’adresser à une femme : » ouvrez vos jambes Mme s’il vous plait » permet d’obtenir le
même geste.
A propos des situations ci-dessus, les chiffres sont assez proches entre le classement
bienfaisant et le classement malfaisant.
La comparaison des réponses (situations a-b-e) en fonction de la formation AS ou IDE montre
que les AS apparaissent plus sensibles que les IDE dans le repérage des situations de
malfaisances (18 contre 12).
Pour expliquer cela, mon argument serait d’évoquer le lien entre la proximité des AS avec les
patients.
A propos de la situation - n) : le libellé n’est pas suffisamment clair et tous les soignants n’ont
pas compris qu’on attendait leur avis sur le comportement du soignant. Dans cette situation, il
fallait lire : « l’ergothérapeute propose à Mr. X, un atelier « perles » pour rééduquer sa
motricité manuelle ».
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n) Mr. refuse de participer à l’atelier
« Perles » qui a pour but de rééduquer la
motricité manuelle.
L’activité n’est pas vraiment bien adaptée car dévalorisante pour ce monsieur, c’est en cela
que la proposition n’est pas bienfaisante.
La situation -o) oblige les soignants à évaluer les bénéfices et les risques, les souhaits d’une
personne face aux réactions du groupe.
o) Mme C a envie de changer de place dans la
salle à manger mais cela perturbe les autres
résidants, aussi Amélie AS, conduit son
fauteuil à sa place habituelle
Le choix délibéré de l’aide -soignante de ne pas entendre le souhait de Mme C, est considéré
comme malfaisant par une majorité de soignants – 68%. Les soignants qui classent cette
décision ‘bienfaisante’ privilégient certainement l’expression du groupe-28%.
Nous voyons ici, que même dans le cadre d’une décision instantanée, la réflexion est
nécessaire pour considérer le désir de l’une :
Son voisinage ne lui convient-il pas ? Est- elle éblouie face à la lumière ou au
contraire, préfère-t-elle être en pleine lumière ? Souhaite-t-elle rencontrer d’autres
résidents ?
Et prendre en compte l’intérêt des autres :
Comment leurs a-t-on présenté le changement ? Quels mots, quel ton, quels gestes?
Quels effets sur la dignité de la personne et indirectement sur la prise du repas induit
l’absence du respect de l’autonomie de la personne en fauteuil roulant ?
Qui est perturbé par ce changement : les résidents ou les soignants ?
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r) Amélie fait participer Mme C à la
conversation quand la fille de celle-ci
l’interroge sur l’état de santé de sa mère.
Concernant la situation - r) : les préjugés concernant la maladie d’Alzheimer amènent
quelques soignants (5 sur 25) à penser qu’une personne malade ne peut pas participer à une
conversation.
Adopter une attitude bienfaisante, c’est considérer toute personne comme apte à penser et
s’exprimer surtout lorsqu’il s’agit de sujets la concernant.
A propos de ces différences de résultat, est-ce à dire qu’évaluer une situation « malfaisante ou
bienfaisante » dépend de l’interprétation du soignant, de sa personnalité ou de sa culture, de
son expérience, de sa formation ?
Oui, certainement et cela confirme que la bienfaisance s’inscrit dans une démarche éthique
qui laisse une place majeure à la réflexion personnelle qui peut être guidée par la formation et
la concertation sein des équipes. Nous reprendrons ce thème dans la discussion.
Le vécu des soignants concernant les situations de malfaisance.
76% des soignants disent avoir été confrontés à une situation de malfaisance,
8% disent ne pas avoir connu de telles situations,
16% ne se prononcent pas.
Les circonstances évoquées expliquant ces situations
26 % évoquent le stress et la fatigue
26% manque de personnel
21 % manque d’empathie-de respect- d’humanité
15 % manque de temps- problème d’organisation du planning ou du système hospitalier
15 % manque de professionnalisme- de compétences- de motivation
10 % les habitudes – la routine
Certains soignants évoquent des gestes de soin délicats comme le changement de chambre,
la toilette, le réveil.
Le ressenti des soignants:
Malaise et gêne : 52 %
Enervement –colère : 26 %
Incompréhension : 10 %
Frustration : 10 %
Peine : 5 %
Agression : 5%
0%
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Malfaisant
Bienfaisant
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Leurs réactions
Discussion-échange- recadrage avec le soignant concerné : 31 %
Excuses-explications-dédramatisation auprès du patient : 26%
Réunion – information-formation : 10 %
Optimiser l’organisation : 5%
Faire au mieux : 5%
Justification par obligation de soin d’hygiène : 5%
Justification par « mauvaises habitudes » : 5%
Un soignant dit n’avoir parfois rien dit : 5% Un soignant dit ne jamais s’être interrogé sur la capacité des patients à se rendre compte : 5%
La réalité est implacable, nombreux sont les soignants qui ont été impliqués dans une
situation de malfaisance.
Plus de la moitié des soignants mettent en cause 2 éléments interactifs, la fatigue et le
manque de personnel.
Un soignant sur 5 explique le phénomène de malfaisance par une absence de valeurs
humaines.
Si nous faisons le lien avec le fait que 100% des soignants ont choisi ce métier, sommes-nous
autorisé à penser que les motivations de certains soignants ne sont pas l’intérêt pour l’Autre
mais plus l’assurance d’un emploi dans la fonction publique ?
15% des soignants remettent en cause l’organisation du service et/ou la lourdeur de
l’institution hospitalière.
25% des soignants font le lien avec un défaut de compétences et/ou de motivation.
Les situations de malfaisance sont toujours à l’origine de souffrance des soignants quelle que
soit leur fonction.
Pratiquer les métiers du soin est le plus souvent un choix (100% pour les soignants interrogés)
motivé par une adhésion à des valeurs d’humanité.
Ce conflit interne est peut-être un des éléments expliquant la difficulté à parler de la
malfaisance.
Etre confronté ainsi à des malfaisances à l’égard des personnes vulnérables est difficilement
supportable, ce que confirment les chiffres, puisque plus de 50% des soignants réagissent en
tentant de recadrer les auteurs et/ou en expliquant et s’excusant auprès du patient.
Il me semble important de noter qu’aucun soignant n’évoque les difficultés de
communication avec la personne atteinte de maladie d’Alzheimer comme risque de
malfaisance
J’imagine que les soignants n’ont pas identifié cette déficience comme un obstacle à une prise
en soin adaptée.
Nous reprendrons cette problématique dans la dernière partie en proposant la formation
comme hypothèse pour tendre vers la bienfaisance.
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Le paragraphe suivant tente de cerner les troubles engendrés par la Démence Type Alzheimer,
qui perturbent le mode de communication conventionnelle entres les personnes.
Favoriser l’expression des personnes accueillies est un pilier de la démarche de bienfaisance.
La préoccupation concernant la « difficile bientraitance » (3) est amplifiée :
du fait de l’évolution du nombre des personnes diagnostiquées Démence Type
Alzheimer.
Les projections indiquent qu’en l’absence de prévention, le nombre de malades
Alzheimer passerait de 13,5 millions en l’an 2000 à 36,7 millions en 2050. (Françoise FORETTE « des mots à dire » FNG).
du fait des difficultés vécues par les soignants pour comprendre les troubles,
les désirs, les attentes des personnes atteintes de DTA.
Les soignants n’ont pas identifié la maladie d’Alzheimer comme cause de la malfaisance.
Nous décrivons maintenant les principales perturbations qui affectent la communication
III) Les difficultés de la communication dans la maladie
d’Alzheimer.
La dégénérescence des fonctions cérébrales va restreindre les capacités cognitives comme le
registre sémantique, l’écriture et le langage, ainsi que la capacité d’attention et de
concentration.
Les fonctions intellectuelles comme le raisonnement et le jugement sont altérés.
La relation avec une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer est perturbée du fait que les
troubles cognitifs atteignent la perception de son schéma corporel et entrainent des difficultés
de repérage et d’orientation spatio-temporels.
L’agnosie réduit les capacités à reconnaitre et se servir de son environnement matériel
La personne éprouve des difficultés à conserver son identité.
Les troubles mnésiques déconstruisent son histoire de vie et l’empêche d’identifier les
personnes qui l’entourent.
Où qu’elle soit, la personne malade se trouve dans un environnement devenu inquiétant et est
envahie par l’angoisse à l’origine de troubles du comportement.
Son image narcissique est blessée, et la personne éprouve des sentiments de frustration, de
tristesse, de révolte, l’amenant vers des comportements qui déroutent l’entourage.
Bien évidemment, malgré ses troubles, la personne malade est avant tout une personne qui
porte en elle son histoire et les interactions montrent combien elle devient sensible à son
environnement. La capacité émotionnelle est présente.
« La partie inaltérable de l’être cherche à se manifester, requiert la proximité d’une âme
sensible qui l’aidera à passer vers l’autre versant de sa vie » ‘’ Aude ZELLER à l’épreuve de la vieillesse’’ p 122
30
A la fin des années 80, Naomi FEIL, thérapeute reconnue sur le plan international, a mis au
point une approche thérapeutique qui permet de communiquer avec les personnes très âgées
désorientées ou diagnostiquées DTA : la VALIDATION. (7) Validation mode d’emploi Naomi FEIL page 45-48 .
« Cette thérapie basée sur une attitude de respect et d’empathie, vise à aider ces grands
vieillards malorientés à recouvrer leur dignité et leur éviter de sombrer dans le stade
végétatif »
La validation s’appuie sur 10 principes et valeurs fondamentales :
« La validation est basée sur le postulat qu’il y a une raison derrière tout comportement.
Comprendre pourquoi les personnes désorientées ont tel ou tel comportement, et accepter que
ce comportement soit le leur, est la clé qui permettra de les valider ».
L’intervenant en validation doit être capable d’accepter les personnes désorientés et de se
sentir bien à leur contact…/… de laisser de côté leur propre jugement et leurs attentes sur le
comportement d’autrui./… Cette technique requière une écoute attentive et une authentique
empathie. »
Deux attitudes attendues de la part des soignants dans « la présence à l’Autre ».
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« La vérité est ce qui brûle. La vérité est moins dans la parole que dans les yeux, les mains
et le silence. La vérité ce sont des yeux et des mains qui brûlent en silence. »
Christian BOBIN dans « LA PRESENCE PURE ».
IV) La présence à l’Autre.(5)
L’Autre est présent malgré la maladie d’Alzheimer.
En tant que soignants, nous devons faire de ‘’la présence à l’Autre’’ le fondement de la
qualité relationnelle dans l’aide et le soin. C’est cette attitude qui nous mènera vers la
bienfaisance.
« L’humanité, c’est ce visage qui m’oblige » (E LEVINAS)
« Le visage porteur de la souffrance oblige le professionnel de santé à accueillir l’homme
souffrant et ainsi à assumer sa dignité de soignant et sa responsabilité d’humain ». (6) Revue de littérature autour de la notion de bientraitance. Nadia PEOCH, p10
« Dans cette relation tellement spécifique qu’est le soin, les valeurs à préserver touchent
essentiellement à la qualité du rapport noué et entretenu avec la personne ».
‘’C’est une alliance complexe et changeante (8)’’, toujours à travailler. (8) E HIRSCH Repenser la maladie d’Alzheimer –p 114
Cela nous renvoie à la dynamique nécessaire à la démarche de bienfaisance, à une position
volontaire à adopter par le soignant pour garder une conscience aiguë des enjeux de la
relation.
Dans ce sens, nous dirons que le soignant maitrise la notion de prendre soin alors que, ce
même soignant, dans la capacité permanente à s’adapter à l’Autre fait preuve d’une
« démaitrise » (8), notion qui permet l’expression et l’existence de l’autre.
Nous retrouvons la notion du « lâcher prise », l’importance de l’humilité nécessaire qui nous
aide à accepter nos limites et laisse la place à l’Autre, sujet de soin.
« La proximité sans présence à l’autre est une juxtaposition » (9)
« Pour que cette proximité trouve un sens et soit acceptable sur le plan éthique, elle doit se
traduire en terme de présence, c'est-à-dire inclure le souci de respecter l’Autre dans son
altérité, son statut de sujet -sujet de soins et non objet-, inclure le souci de le maintenir dans
un partenariat, quels que soient la précarité ou le caractère problématique de son existence
dans sa manifestation concrète. » (9) B MATRAY La présence et le respect- page 16-18
Autrement dit, quelques soient les difficultés de compréhension, les atteintes cognitives de la
personne dont nous allons prendre soin, nous devons la considérer avant tout comme une
personne libre, compétente pour décider, et digne de notre respect.
Etudier la pathologie aide à comprendre mais ne réduit pas la personne à ces symptômes.
La personne malade est experte de ses désirs, de ses besoins, de sa qualité de vie » (8) P DORENLOT-M FREMONTIER- p 118
32
Dans la préface de « la présence et le respect » (9) de B MATRAY, Patrick VERSPIEREN
écrit :
« Il n’est pas facile de laisser advenir cette présence, de soi-même à l’autre, présence de
l’autre à soi-même, surtout si l’autre est affecté par la douleur ou un autre type de souffrance.
Chacun pourra découvrir en lui des réticences, des résistances, à cause de la contagion de la
souffrance, du choc des émotions… la distance est souvent maintenue et la relation
compromise.
Or, c’est de cette présence qu’a le plus besoin celui qui est atteint…/…
Ne pas entendre serait un manque d’attention et d’intérêt; au contraire, s’imposer représente
une forme de violence ».
« On ne soigne pas vraiment à distance du corps ni à distance du cœur »
La difficulté réside dans la capacité à être suffisamment proche pour percevoir et comprendre
l’Autre sans s’identifier à l’Autre.
C’est cela que Naomi FEIL nomme l’écoute authentique. (7)
Ecouter signifie d’abord : savoir se taire pour laisser la parole à son interlocuteur et surtout
savoir se taire intérieurement.
Mettre à distance ses propres réactions émotionnelles et quitter son propre système de valeurs
sans les abandonner (10) Julie ou l’aventure de la juste distance. Pascal PRAYEZ - p 131-133
Dans l’approche centrée sur la personne, Carl Rogers propose l’empathie comme attitude
relationnelle qui « permet de percevoir le monde subjectif d’autrui, comme si on était cette
personne »
La maladie d’Alzheimer amène le soignant dans un registre de soin différent.
Nous ne sommes plus dans la technicité, depuis longtemps déterminant essentiel du soin.
Mais, même si le savoir- faire technique est incontournable dans le métier du soin,
souvenons-nous que « trop de technique appauvrit le soin » (11) MF COLLIERE Promouvoir la vie –p 322
Nous devons rompre avec cette dissymétrie que peut devenir la relation de soins.
« Les soins véhiculent un pouvoir réducteur à chaque fois que le soignant n’a pas identifié ce
que peut ou sait faire seule la personne dépendante, ou ce qui la motive, ce qui lui fait gagner
en confiance, ce qui la valorise…/… Fort heureusement, le pouvoir véhiculé par les soins
infirmiers est libérateur chaque fois qu’il permet aux usagers de mobiliser tout ce dont ils sont
encore capables ; chaque fois qu’il favorise l’interaction entre les personnes soignées ;
chaque fois qu’il reconnait le savoir des personnes soignées et qu’il accroit leur autonomie ». (11)
La personne seule est celle qui se connait le mieux ; demandons lui son accord, son avis, son
ressenti, et soyons suffisamment attentif et concentré pour décoder tout ce que son corps et
ses mots maladroits veulent nous dire.
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Avant de rentrer dans la chambre, prenons le temps de quelques secondes de concentration
pour nous préparer en entrer en relation avec la personne, ici présente, derrière cette porte de
chambre, et pour nous dire : « je vais rencontrer Mme ou Mr untel, ensuite je lui proposerai le
soin ».
C’est un temps nécessaire à une relation vraie telle que la formation et l’engagement du
bénévole auprès des personnes en fin de vie nous y entrainent.
Cela ne nous empêche pas de s’assurer que le matériel nécessaire au soin est rassemblé ; mais
essayons, tout en gardant la rigueur nécessaire au soin de qualité, de considérer d’abord la
personne, devenue si particulière par son mode de communication.
« Accompagner une personne atteinte de maladie d’Alzheimer c’est accepter la
communication non verbale comme réel outil de soins, en prendre conscience et savoir
l’utiliser.
C’est s’interroger sur la qualité de nos gestes, de notre façon de toucher.
C’est également accepter d’être regardé et touché autrement…
C’est repenser la façon dont on regarde, dont on nomme, dont on parle aux malades.
Et c’est peut-être enfin, pouvoir regarder l’autre, non pas en terme de capacités déchues mais
bien comme un être en constante dynamique pour s’exprimer et pour être en lien ».
Deborah Lowinski-Létinois, psychomotricienne- formateure DIU Ethique et soins aux personnes atteinte
de la maladie d’Alzheimer et leur famille – Janvier 2012
Dans son livre ‘’ la présence à l’Autre ‘’(5) Marcel NUSS demande aux aidants d’être
conscients de leurs actes, il leur demande de la concentration, d’avoir présent en pensée
l’image de l’Autre et les effets de leur acte sur l’Autre.
C’est donc une application et un questionnement permanents.
Pour tendre vers cette éthique relationnelle, il faut de la volonté, agir avec l’intention
déterminée de maintenir la personne dans sa dignité.
C’est cette posture qui apporte de la richesse et donne du sens à la présence du soignant.
La motivation et l’envie de comprendre la personne désorientée supposent une attention
constante qui demande du temps et de l’énergie.
Dans la revue « soins gérontologique n°91 sept-octobre 2011 », Catherine FLOCH infirmière
libérale du Morbihan écrit :
« Prendre le temps de connaitre le patient : cette notion est primordiale […/...] prendre soin
des personnes vieillissantes suppose de les soigner à la mesure de leurs temps : avec un
ralentissement. »
Les comportements des personnes désorientées sont parfois déroutants et il est nécessaire que
les soignants soient formés pour décrypter les messages et apprendre à y répondre de façon
adaptée.
La recommandation n°3 pour la bientraitance décrite par l’ANESM le rappelle :
« Cette disponibilité d’écoute active suppose d’avoir ancré chez les professionnels la
conviction que, quel que soit son éloignement des normes de comportements habituellement
en vigueur, quelle que soit la difficulté de compréhension qu’ils peuvent rencontrer, l’usager
est et demeure un être qui s’exprime et doit être rencontré en tant que tel. Ceci appelle une
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grande faculté de compréhension et d’analyse chez les professionnels en contact avec les
usagers manifestant des troubles du langage ou des troubles de comportement importants.
Il est donc recommandé qu’ils soient formés à cet effet. »
En dépit de la volonté de bien faire et d’un savoir être fondamental, « nous devons admettre
que la tâche du soin auprès d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer est lourde et
douloureuse. « L’image de la démence renvoie à la psychiatrie avec enfermement et
déchéance,…/… » (8) p 112
La présence est fragile, jamais assurée, toujours à reprendre. Elle suppose de garder à l’esprit
la singularité de l’autre, ce qui compose son identité, la différence de sa culture.
C’est par cette conscience de soi et de l’Autre que notre présence de soignant ou d’aidant
prend tout son sens.
Maintenir les conditions de la présence revient à rendre possible la bienfaisance.
C’est un chantier mis en œuvre depuis plusieurs années qui restera toujours inachevé mais
actif , puisqu’il intègre la notion de temps, l’évolution des sciences et des techniques et qui,
par-dessus tout, doit tenir compte de la singularité et l’inconstance, de la fragilité et la dignité
de l’être humain.
V) Quelles voies pour tendre vers la bienfaisance ?
Assurer les conditions de la présence revient à réfléchir sur les voies à suivre pour tendre
vers la bienfaisance.
C’est un questionnement perpétuel qui place dans la balance les exigences du service - la
qualité ne peut être obtenue que par l’adhésion des soignants- et l’intérêt du patient -
considérer sa vulnérabilité est primordiale
Les champs de réflexion sont nombreux et parmi les quelques hypothèses émises dans le
domaine du soin, je place en tête les modalités de la formation dans le secteur de l’aide à la
personne.
En 2007, l’espace éthique de l’AP-HP publie la ‘’charte Alzheimer, éthique et société’’
dont l’article 2 propose le développement et la garantie des compétences professionnelles par
les formations initiale et continue ainsi que par le travail en équipe.
a) Valoriser les métiers d’aide et de soins à la personne.
E HIRSCH (8) reconnait la difficulté de prendre en soins les personnes désorientées et,
en même temps l’absence de reconnaissance. Il écrit : « Cette part de l’activité
soignante recèle pourtant une richesse de talent et de générosité peu reconnu. »
Valoriser ces métiers, c’est reconnaitre la responsabilité des professionnels en leur attribuant
un salaire et une perspective de carrières décentes.
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Pourquoi ne pas adopter la politique du « donnant donnant » en opérant une sélection qui
permettra de recruter des candidats motivés.
Aujourd’hui, peu de candidats se présentent pour ces formations car les métiers d’Aide à la
Personne sont réputés difficiles.
Aussi les formateurs observent un choix par défaut, par nécessité alimentaire.
Rappelons que ce secteur est le plus porteur d’emploi ; un communiqué de presse de mars
2012 émanant de la Direction de l’Animation, de la recherche, des études, des statistiques
(DARES), service du ministère du travail et de l’emploi, de la formation professionnelle et du
dialogue social écrit :
« Les perspectives de création d’emploi devraient principalement profiter … /…aux métiers
du soin et d’aide aux personnes fragiles. Infirmiers, aides-soignants et aides à domicile,
figureraient parmi les métiers bénéficiant des plus importants volumes de créations d’emploi
d’ici 2020 ».
Prendre soin de l’Autre, dépendant et vulnérable, demande des qualités humaines relatives à
la personnalité du futur professionnel, qualités que la formation ne peut apporter, mais
seulement enrichir.
Nier ce prérequis c’est prendre le risque de la malfaisance voire de la maltraitance.
Que dire des formations de l’Education Nationale pour lesquelles les entretiens de sélection
des candidats sont supprimés, prétextant que les métiers d’aide à la personne n’exigent pas un
grand savoir.
Ce n’est pas l’évaluation des capacités à apprendre que les formateurs repèrent au cours de
ces entretiens, mais ils tentent de cerner les qualités humaines et les motivations pour ces
métiers si complexes et généreux de l’aide à la personne.
Si les missions de l’Education Nationale sont de proposer une formation aux jeunes pour les
mener vers un métier, la préoccupation tout aussi légitime et la responsabilité des formateurs
est de valider des futurs professionnels de l’aide à la personne, digne de ce titre.
La maturité et notre expérience de vie nous rend plus réfléchi, plus patient et mieux préparé
à affronter des situations relationnelles difficiles, cependant nos ainés dépendants ne peuvent
pas attendre que le temps fasse son œuvre pour améliorer le comportement des jeunes
soignants.
Le docteur R MOULIAS cite encore la déontologie comme préalable à la bientraitance.
Pour lui chaque métier a sa déontologie. La déontologie est aussi indispensable pour les
métiers de l’aide. « On ne peut continuer à les considérer comme de simples ‘’services à la
personne’’ dans la mesure où la personne dépend de ces professionnels pour vivre ». (2) pages 10-13
b) Changer les relations dans le soin.
La bienfaisance n’est pas une attitude qui se veut charitable, c’est au sens du respect de la
dignité que nous devons l’entendre.
Au cours de la relation d’aide ou de soin, le soignant porte attention au choix de ses gestes,
de ses mots ; il cherche à obtenir le consentement de la personne aidée, il est alors dans le
respect de l’autonomie.
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La question se pose à propos de la personne désorientée quand le sens de ses propos nous
échappe : Sans la possibilité d’obtenir ce consentement, le soignant doit partir du postulat que
la personne garde au plus profond d’elle-même l’identité qu’elle a mis tant d’années à forger
et que son refus éventuel, après que le soignant ou l’aidant ait mis en œuvre toutes les
conditions pour favoriser la compréhension, porte une valeur que nous devons entendre.
Il s’agit pour le soignant d’accepter de perdre cette forme de pouvoir sur l’Autre.
De réfléchir et peut être de gagner la liberté de penser le soin autrement ; briser la routine
pour faire de son travail quotidien un moment de qualité favorable à la bienfaisance et
valorisant par une sublime rencontre avec l’Autre.
c) Repenser l’organisation des services et le fonctionnement des équipes.
Que les soignants me pardonnent, mes remarques d’observateur externe à l’organisation sont
certainement naïves, mais elles reflètent seulement le constat d’un fonctionnement qui
m’apparait perfectible.
En dehors du fait indéniable que cette posture de bienfaisance apporte de la richesse et
donne du sens à la présence du soignant, la nécessaire concentration que requiert la qualité
des soins, est épuisante.
Le roulement des postes de travail des Aides-Soignants et des infirmiers se fait sur 12 heures
dans les unités de médecine aiguë de psycho-gériatrie cognitive.
Pour l’avoir pratiqué, il est impossible pour le soignant d’être attentif et concentré sur cette
amplitude.
Cet emploi du temps est souvent un choix du soignant lui-même, cependant il n’est pas
forcément compatible avec une prise en soin optimisée et sécurisante de la personne
désorientée.
Concernant la situation- m- proposée dans le questionnaire, 92% des soignants pensent que
coucher les patients à 18h 30 est une attitude malfaisante.
Je suis curieuse de connaitre les freins dans l’organisation des services pour obtenir cette
amélioration tellement attendue dans la vie quotidienne des patients.
Espérons que les textes nombreux qui prônent le droit des personnes à choisir leur mode de
vie amèneront les soignants à intégrer l’heure du coucher comme un élément du mode de vie.
Où est passé le binôme IDE-AS ?
Je n’ai pas vu pratiquer la toilette en binôme AS- IDE, alors que les soignants questionnés
identifient cet acte de soin comme propice à la malfaisance ?
L’intérêt du binôme est d’être un moyen de soutien, de formation continue, et d’évaluation
réciproque des pratiques auprès du patient.
La pratique du binôme, qu’on peut appeler aussi tutorat ou parrainage, s’organise en
couplant deux professionnels de formation différente et complémentaire, l’un étant plus
pragmatique, l’autre plus dans la réflexion.
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L’échange entre les deux faisant émerger le questionnement et transformer l’attitude
empirique en savoirs intégrés et partagés.
La bienfaisance est un processus évolutif, un travail de longue haleine qui suppose de la
réflexion, de la concertation, donc du temps
Les Recommandations de l’ANESM pour la bientraitance abordent cette question du temps :
« Les professionnels interviennent auprès des usagers dans des modalités de temps et de
rythme marqués par leurs contraintes institutionnelles. Il est important que ces contraintes
soient néanmoins périodiquement questionnées et ajustées autant que possible pour que
l’ensemble des besoins de l’usager soit pris en compte, et que les rythmes naturels dans sa vie
quotidienne (cycles de sommeil, d’appétit, mais aussi besoins de contacts et d’interactions
sociales, par exemple) soient respectés au mieux. Il est également important que les rythmes
propres de l’usager dans ses mouvements et sa vie quotidienne (temps du lever, de la toilette,
par exemple) soient connus, respectés et pris en compte dans l’organisation du travail des
professionnels ».
La question du manque temps est récurrente.
Donner du temps aux soignants c’est aussi le donner aux personnes âgées dépendantes, ce qui
est un des piliers de la bienfaisance.
Nous savons bien qu’en prenant de l’âge, il faut plus de temps pour réagir, pour s’exprimer,
pour se déplacer etc.
Alors comment faire avec les personnes désorientées auprès desquelles l’approche doit être
réfléchie, la présence douce, l’écoute attentive, le décodage permanent, l’adaptation
incessante.
Donner du temps aux soignants c’est leur donner les moyens de la réflexion et les moyens de
se mettre à distance. B MATRAY (9) écrit : « celui qui discerne saura se mettre à l’écoute ».
Mais le temps est une monnaie à haute valeur ajoutée, aussi dans cette période de crise, il est
peu probable que les soignants aient plus de temps. Ils en auront peut-être moins, contraints
par les obligations de traçabilité dans la pratique de la prise en soin des personnes.
Les soignants doivent compter sur leur volonté de travailler dans la bienfaisance et peut être
réfléchir encore et toujours, et se donner la liberté de penser le soin autrement
Devenir créatif dans la relation à l’Autre tout en respectant le cadre de soins, cela pourrait
être un programme de réflexion mené par les cadres et les formateurs avec l’objectif de rendre
les soignants plus autonome dans l’organisation des soins d’aide à la personne. Nous ne
pouvons plus rester dans un emploi de temps de journée type puisque la recommandation
citée ci-dessus mentionne « que les rythmes propres de l’usager dans ses mouvements et sa
vie quotidienne -doivent être- connus, respectés et pris en compte dans l’organisation du
travail des professionnels ».
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d) Repenser les contenus des formations et la pédagogie des formateurs
dans les métiers d’Aide à la personne
Dans l’ouvrage n°133 « Pour une bientraitance : faut-il repenser le soin ? » (2) édité par la
Fondation Nationale de Gérontologie, le docteur R MOULIAS président de ALMA, affirme
qu’il ne peut exister de bientraitance sans certains préalables dont la compétence. « Sans compétences, nul ne peut être bien traitant…/…La compétence ne se limite pas
à la qualification mais la qualification est un des meilleurs outils d’acquisition de la
compétence…/… et par une remise à niveau continue de ses connaissances ».
MF COLLIERE (11) écrit : « Le pouvoir réducteur (du soin) n’est pas forcément le fait d’un
mobile intentionnel, il est le plus souvent le signe d’une difficulté que le soignant ne parvient
pas à identifier …/… Par exemple l’hyper développement des capacités techniques fait que
les réponses apportées aux problèmes seront essentiellement d’ordre technique au détriment
du relationnel ».
D’où l’intérêt de repenser les contenus et la hiérarchie des priorités dans les programmes de
formation.
Nous pourrions comparer l’importance (en nombre de lignes ou en heures de cours) accordée
dans les référentiels de formation des AS-AMP-AVS pour aborder les thèmes
‘’ Éthique’’ et ‘’relation d’aide’’.
De façon plus globale, nous pourrions nous interroger sur la part du relationnel et la part du
technique, dans un programme de formation des métiers d’aide et de soin à la personne ?
Souvenez-vous : L’aide-soignante stimule Mme L en ces termes : « Il faut manger Mme L,
c’est important si vous voulez rentrer à la maison » !!
Ainsi que me le fait remarquer Mme B, cadre de santé de l’unité DALI, il faut se poser la
question si le comportement de l’Aide-Soignante, incitant Mme L à manger pour rentrer plus
vite à son domicile, est guidé par le souci de bien être de la patiente ,ou plutôt ‘’par les
contenus et modalités de sa formation qui veulent qu’un soignant accompagne la personne
dans la réalisation de ses besoins fondamentaux voire l’assiste activement !!’’.
Dans l’ouvrage ‘’Réflexions sur la formation’’ Jérôme PELLISSIER critique, en effet, la
façon avec laquelle les formateurs utilisent la liste des besoins fondamentaux de l’être
humain résumés par Virginia Henderson. (12) n°118- ‘’Réflexions sur la formation’’ FNG- p 37 à 54.
Il reprend notamment le fait que l’on ne peut pas réduire la personne à une liste de besoins,
qui plus est, passe sous silence les besoins sexuels.
Il s’étonne que ne soit pas listés le besoin de liberté ou le besoin d’autonomie.
A mon sens, et pour le pratiquer avec mes étudiantes, une étude approfondie de ces besoins, et
le lien fait entre eux, permet d’aborder bien des notions qui caractérisent l’être humain.
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Par exemple expliciter le besoin n°11‘’Agir selon ses croyances et ses valeurs’’ peut tout à
fait illustrer la notion de liberté et par extension, celle de pratiquer la sexualité de son choix.
Cette réflexion en groupe est riche et elle permet aux futurs professionnels d’adopter une
attitude réfléchie et attentionnée qui conditionne la capacité d’adaptation dans l’aide à la
personne dépendante.
Autre question à se poser : le formateur a-t-il insufflé au sein de son groupe de stagiaires, une
culture du questionnement, propice à donner au soignant l’autonomie nécessaire pour
répondre au mieux aux besoins des personnes aidées ?
Répondre au mieux aux besoins des personnes aidées, implique d’avoir pris connaissance du
projet individualisé de la personne, du contexte familial et social et bien sûr du processus
pathologique qui induit sa dépendance.
Partageant ces données, chaque soignant de l’équipe est à même d’adapter sa posture d’aidant
pour une prise en soin bienfaisante.
La formation continue est un droit et une obligation :
La loi HPST n° 2009-879 du 21 juillet 2009 instaure l’obligation de développement
professionnel continue (DPC) à l’ensemble des professionnels de santé.
Une attitude éthique semble accessible à chacun de nous puisqu’il s’agit de se questionner à
tout moment, même et surtout concernant des activités quotidiennes, de « routine » qui se
déroulent en présence de l’Autre, personne le plus souvent vulnérable, qui mérite toute notre
attention.
Pourtant cette remise en question n’est ni simple ni évidente, et cette culture du
questionnement et du doute ne va pas de soi.
« C’est par le manque que l’on éprouve que l’on peut s’approcher de l’autre ; ce n’est pas en
partant de certitudes »
Dans ces termes, Didier SICARD dans ‘’l’ éthique médicale et la bioéthique’’ ,
nous explique que le comportement de l’autre nous trouble parfois et que, ce n’est pas en
imposant notre explication des faits mais plutôt en cherchant à les comprendre que l’on
parvient à une attitude empathique, soucieuse de l’Autre. (13) Didier SICARD ‘’l’ éthique médicale et la bioéthique’’ p 63.
La démarche d’Evaluation des Pratiques Professionnelles est reconnue comme un levier
intéressant pour tendre vers la bientraitance (cf. loi 2 janvier 2002).
C’est bien la nécessité de prendre du recul, par l’analyse des pratiques qui permet aux
professionnels soignants de mesurer l’impact de leurs actes sur la personne et qui donne sens
au rôle de soignant.
Parce que la prise en soin des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer est complexe, la
mesure n°20 du plan Alzheimer 2008-2012 crée une formation spécifique de 140 heures, en
direction des professionnels de niveau 5, leur permettant d’appréhender plus justement et plus
sereinement les soins et l’accompagnement des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer
et leurs familles.
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Rappelons que, dans les justifications des situations de malfaisance vécues par les soignants,
personne n’a évoqué les difficultés de communication avec la personne atteinte de maladie
d’Alzheimer comme risque de malfaisance.
Et pourtant, c’est bien l’incompréhension des comportements et la difficulté de la prise en
soin de ces patients qui donnent lieu à tant de questionnement et de désarroi.
Tant de questionnement, tant d’ouvrages, et tant de mots pour parler de bientraitance !
Je ne peux développer mon approche de la formation sans parler des mots.