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LES REFERENCES AU SAVOIR DANS L'ENSEIGNEMENT SPECIALISE DE LA DIRECTION DE CHŒUR
Marianne GUENGARD1
La question de la référence dans l'enseignement de la direction de chœur est complexe. Nous tentons de cerner ce problème en dégageant les spécificités de la direction de chœur et de son enseignement, ainsi qu'en analysant les savoirs en jeu. Les savoirs en direction de chœur sont liés à des pratiques, à des expertises, pour lesquelles l'apprentissage joue un rôle déterminant. L'ensemble des savoirs de direction est mobilisé dans des compétences tant musicales que pédagogiques, qui aident le chef de chœur à répondre et à s'adapter à toutes les situations particulières qu'il rencontre au cours de son activité. Nous mettons en exergue la mixité des savoirs pouvant servir de référence et la nécessité de construire un modèle qui permettra ensuite d'élaborer un programme de formation. Mots-clés : référence, savoir, compétence, enseignement, pratique, direction de chœur.
1 Doctorante à L'Observatoire Musical Français, (OMF), Université Paris-Sorbonne (Paris IV).
JREM vol. 7, n°1 & 2, 2008, 55-86
© OMF / université Paris-Sorbonne (Paris IV) www.omf.paris-sorbonne.fr
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INTRODUCTION
La question de la référence, en didactique des disciplines, a fait l'objet de
nombreuses recherches, notamment en ce qui concerne les savoirs qui sont à
l'origine des contenus d'enseignement. Celles qui lui ont été consacrées, à travers le
concept de transposition didactique, en particulier à travers l'analyse de sa première
phase appelée "transposition didactique externe" (Chevallard, 1991), ont connu de
nombreux débats qui ont largement dépassé le cadre de la didactique des
mathématiques.
Dans la forme initiale de la théorie de la Transposition Didactique, le savoir
savant s'impose comme origine du savoir scolaire. Au cours des recherches
contemporaines et ultérieurement à l'émergence de la présentation de la théorie, est
apparue la nécessité de prendre en compte les problématiques spécifiques aux
différentes disciplines, par exemple, d'analyser les pratiques sociales auxquelles
elles font référence (Martinand, 1986). Les travaux récents en didactique de la
musique montrent l'intérêt porté à la question de la référence au savoir (Beaugé,
2002, Bourg, 2006).
La question de la référence dans le champ de l'enseignement des disciplines
musicales est d'autant plus problématique que les savoirs sont difficiles à définir.
C'est le cas pour la direction de chœur, domaine artistique diversifié et en pleine
évolution.
Comment aborder cette question de la référence en didactique de
l'enseignement de la direction de chœur ? Quels sont les savoirs qui peuvent
s'imposer comme référence en regard de la complexité de cette discipline ? C'est ce
que nous nous proposons d'éclairer dans le présent article.
Notre étude portera sur l'enseignement de la direction de chœur dans les
établissements d'enseignement spécialisé en France.
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Tout d'abord, nous chercherons à caractériser l'activité de direction de chœur.
Nous dégagerons ensuite les spécificités de son enseignement. Nous tenterons
enfin d'identifier et d'analyser les savoirs convoqués dans l'exercice de la direction
de chœur, pouvant servir de référence à son enseignement, en nous situant dans le
cadre théorique de la transposition didactique, et plus particulièrement dans son
extension aux disciplines autres que les mathématiques.
CARACTÉRISATION DE LA DIRECTION DE CHŒUR
Diversité des contextes d'implantation du chant choral
Le chant choral embrasse un large domaine de pratiques diversifiées tant dans
leur implantation sociale que dans leur organisation. Présent dans les milieux
associatifs et liturgiques, dans le monde de l’entreprise, dans l’Éducation Nationale,
dans l’enseignement spécialisé, et dans les grandes structures musicales
professionnelles, il est pratiqué par une population d’âge et de compétences variés :
enfants, adultes, personnes du troisième âge, quel que soit leur niveau musical.
La pratique chorale est majoritairement amateur en France. Cela peut
s’expliquer par la facilité d’accès à cette activité. En effet, pour chanter, il n’est pas
nécessaire de posséder des bases solfégiques, l’apprentissage pouvant s’effectuer
par mémorisation. Par ailleurs, la voix en tant qu'instrument permet une pratique
musicale immédiate, sans le souci d’un apprentissage instrumental qui requiert une
maîtrise technique.
L’orientation du choix qui s’opère vers une pratique au sein de tel ou tel chœur
dépend très souvent du type de répertoire travaillé, (et de son niveau de difficulté).
D’autres paramètres sont également déterminants tels que le nombre de chanteurs
(un chœur peut être de géométrie très variable, allant de l’ensemble vocal de 12 à
16 personnes jusqu’au chœur d’oratorio qui peut comporter environ 80 choristes,
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voire plus), la fréquence des répétitions, le lieu où se déroule l’activité, le montant
de l’inscription.
La pratique de cet art en tant que chanteur professionnel comporte une
dimension plus économique, en raison de son appartenance au monde du travail.
Ici, nous rencontrons des musiciens qui ont une formation de chanteur, et qui ont
étudié leur discipline dans une perspective de professionnalisation. Pour ces sujets,
la frontière entre choix et contrainte quant à l’orientation vers tel chœur ou tel autre
est ténue, en raison de la nécessité d’embauche. Cela a une incidence sur le statut
même du chanteur qui peut être amené à travailler en tant que salarié de la structure
qui l’emploie ou comme intermittent.
Nous observons, par les réflexions ci-dessus, la dimension sociale de la
pratique chorale.
Pluralité de profils des chefs de chœur
Les chefs de chœur présentent une pluralité de profils qui font écho à
l’importante diversité de situations dans lesquelles s’exerce la pratique chorale. Ces
chefs ont des parcours singuliers, au cours desquels l’activité musicale tient une
place plus ou moins importante.
La fonction de chef de chœur peut s’exercer dans le milieu tant amateur que
professionnel. Si l’on a reconnu au choriste amateur la possibilité de faire partie
d’un chœur sans prérequis musical, il n’en va pas tout à fait de même en ce qui
concerne les chefs. Les études menées à ce sujet montrent qu’un bagage minimum
est nécessaire pour pouvoir exercer cette responsabilité. Quand bien même le type
de répertoire abordé ne nécessiterait qu’un apprentissage par mémorisation, sans
support de partition, le chef aurait la charge de rectifier les écarts entre exemple et
réponse, et de les expliciter verbalement ou vocalement.
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Pour autant, toute personne dirigeant un chœur ne suit pas ou n’a pas suivi une
formation de direction de chœur. La grande majorité des chefs entreprend la
direction après une expérience de choriste. Certains reprennent la direction de
l’ensemble dont ils font partie lors du départ en retraite du responsable. D'autres
créent un ensemble entre amis, motivés par un répertoire donné et par le fait de se
retrouver autour d’une activité artistique et conviviale. Dans tous ces cas,
l’expérience de chef se construit directement sur le terrain, dans une dynamique
d’exploration et d’invention, en même temps que la reprise des modèles observés.
De nombreux chœurs sont dirigés également par des chefs dont le métier est
en rapport avec la musique ; on rencontre fréquemment des enseignants de
l’enseignement spécialisé de la musique, mais aussi des professeurs de l’Éducation
Nationale, des musiciens tels que des chanteurs intermittents du spectacle, des
instrumentistes, dont des pianistes engagés dans les métiers d'accompagnateur et de
chefs de chant.
La sphère professionnelle de la direction de chœur offre elle aussi une palette
représentative de cette pluralité de pratiques, que ce soit dans des structures
associatives, dans des structures municipales, départementales ou régionales, et que
les formations dirigées soient composées d'enfants, d'adolescents ou d'adultes.
Selon la structure où ils œuvrent, certains chefs de chœur sont spécialisés dans
différents répertoires et genres musicaux tels que musique ancienne, musique
contemporaine, musique sacrée, opéra.
La diversité des profils de tous les acteurs engagés dans la direction de chœur
souligne la complexité de cette fonction, mais en même temps sa richesse.
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Spécificités de la direction de chœur
Terminologie
Dans le terme “ direction de chœur ”, nous entendons clairement qu’il s’agit de
chœur, ce qui permet de comprendre dans quel domaine musical nous nous
trouvons. Mais le terme direction est plus difficile à saisir, car il est polysémique.
- En premier lieu, on peut comprendre qu’il s’agit de diriger un groupe au sens
de le conduire vers un but, de prendre des décisions pour lui – et avec lui.
- En second lieu, on comprend qu’il s’agit de l’action de diriger, c’est-à-dire
de se placer devant le chœur et de le diriger musicalement par des gestes.
La complexité de la direction de chœur peut être saisie si l’on comprend le
terme direction dans ces deux acceptions.
Une pratique artistique
La direction de chœur s'impose comme une pratique artistique. Cette pratique
se déroule dans le temps de l'interprétation d'une œuvre musicale ainsi que celui
des phases préparatoires au concert que sont le travail personnel du chef sur l'œuvre
abordée et les répétitions.
Le chef de chœur utilise des gestes pour diriger le chœur. Peut-on considérer
cette technique de direction comme une pratique instrumentale ?
Le chef est dans une situation d'interprétation particulière qui requiert, comme
pour n'importe quel interprète, une technique – ici, le geste – mais qui n'a pas de
prise directe sur le son, car l'instrument – le chœur – est celui formé par les voix
des chanteurs qui se trouvent face à lui.
Ainsi le chef pourrait-il dire, dans une certaine limite : “je joue du chœur”,
mais en aucun cas “je joue des voix”, car les voix des chanteurs prises
individuellement ne sont pas encore le chœur. Elles deviennent chœur dans une co-
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construction sonore qui se réalise entre les individus du groupe à l'intérieur de ce
groupe lui-même et d'autre part entre le groupe et le chef, sous son écoute et sous
sa conduite.
On peut ici comparer la direction de chœur à la direction d'orchestre, où là
encore, le chef ne joue pas concrètement et directement d'un instrument d'orchestre.
Henri-Claude Fantapié le souligne ainsi :
“Quant à l'orchestre, il s'agit bien d'un instrument composite, véritable
organisme vivant et plus que semi-autonome dont on ‘joue’ par procuration.
Ici, on ne lutte pas directement avec la matière, comme le font le violoniste ou
le pianiste [...]. On doit faire naître d'un conglomérat d'individus et
d'instruments a priori hétérogènes un nouvel organisme vivant qui s'appelle
l'orchestre” 1.
La direction de chœur et d'orchestre comporte, comme tout instrument, des
techniques particulières qui s'enseignent et s'apprennent, avec des codes, des
principes, consignés dans de nombreux ouvrages. (Caillard, 1994 ; Caillat, 1988 ;
Salaün, 1998 ; Berlioz [1856] 1988 ; Fantapié, 2005 ; Scherchen, 1966 ; Schuller,
1994).
Cette technique de type instrumental comporte les éléments relatifs aux battues
des différents schémas de mesures, aux respirations (levées), vitesses (tempi),
articulations, à l'amplitude (nuances), aux dynamiques, à l'expression. Elle est
communément appelée “gestique” :
“Gestique : ensemble chironomique qui se présente comme une forme de
langage servant à traduire la volonté expressive et technique du chef
d'orchestre pour un orchestre chargé de la musicalisation d'une œuvre” 2.
1 Fantapié, 2005, p. 15. 2 Id., 2005, p. 389.
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D'autres pratiques instrumentales sont à l'œuvre dans la direction de chœur,
pendant les phases de répétition. Tout d'abord, le chant, instrument privilégié du
chef de chœur, aide précieuse dans l'exemple musical, dans la mise à portée de sa
conception de l'interprétation. Le piano, instrument réalisateur, s'inscrit comme
relais de la voix, très utile dans la mise à disposition de l'exemple polyphonique de
l'œuvre, et dans le soutien harmonique du chœur.
La direction de chœur s'inscrit également dans cette pratique artistique en ce
qu'elle se déroule in situ et qu'elle requiert des prises de décisions et une adaptation
en temps réel, au cours du déroulement sonore de l'interprétation de l'œuvre.
Donnons un exemple d'un enchaînement possible de déroulement de répétition :
- le chef dirige le chœur qui chante ;
- le chef demande au chœur de suspendre l'interprétation (ou le chœur suspend
de lui-même l'interprétation en raison d'un problème particulier l'empêchant de
continuer à chanter) ;
- le chef procède à des ajustements concernant les différents paramètres
musicaux et l'interprétation. Ces ajustements peuvent être des consignes verbales,
des exemples chantés, des exemples instrumentaux - notamment, le piano ou tout
autre instrument polyphonique ;
- le chef dirige à nouveau l'œuvre, en tenant compte, dans son geste, des
consignes qu'il a données.
Les adaptations se font alors même que le chef est dans l'action de sa direction
par le geste. Le geste est lui même au service des choix opérés parmi la palette des
possibles interventions en répétition, lorsque le chœur s'arrête de chanter. Une
pratique qui s'effectue donc dans une dynamique sans cesse en évolution.
Des connaissances théoriques mobilisées dans les pratiques
Le chef de chœur est un musicien qui, quel que soit son niveau d'expertise
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musicale, a besoin de connaissances théoriques dans l'exercice de sa fonction.
Prenons par exemple le cas d'un chef de chœur ayant étudié la musique dans
un conservatoire et abordant avec son chœur des œuvres du répertoire écrit sur
partition. Le solfège est un savoir indispensable pour avoir accès à l'œuvre à travers
sa trace écrite. Il comporte une forte dimension théorique. Mais in fine, le but de
son étude n'est autre que celui de pouvoir transformer les signes musicaux en sons,
et d'appliquer la théorie dans la pratique instrumentale.
La culture musicale – l'analyse, l'histoire de la musique, l'esthétique –,
s'actualisent également dans le travail de l'œuvre pendant les phases de préparation
des répétitions, dans celles du travail avec le chœur.
Dimension pédagogique de la direction de chœur
La direction musicale d'un concert requiert une phase préalable de répétitions
ainsi qu'une préparation de ces répétitions. Le chef de chœur peut être considéré
comme un pédagogue car il mène une réflexion sur la mise en œuvre de la
répétition. Il fixe les objectifs de travail, il est au cœur des situations
d'enseignement-apprentissage, il met en place des stratégies de répétition, il guide
les chanteurs dans leur progression.
Son travail commence dès le choix du programme, qu'il effectue en fonction
du niveau du groupe, de l'âge des chanteurs, de leur nombre, des conditions dans
lesquelles se déroulent les répétitions et des lieux dans lesquels s'effectueront les
concerts.
L'adaptabilité du chef de chœur est une composante majeure dans les
situations pédagogiques rencontrées.
Chaque consigne que le chef donne ou chaque exemple qu'il chante est motivé
par l'appréciation rapide qu'il effectue pendant que le chœur chante. Ce diagnostic
va alors l'aider à réagir et à proposer des ajustements. Ces derniers ne se font pas
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dans un ordre aléatoire. Le chef organise les différentes consignes qu'il va donner,
de telle façon qu'à la prochaine reprise du passage interprété, le chœur puisse
mettre à profit les ajustements proposés.
Ainsi le travail du chef se situe-t-il à deux niveaux : un niveau d'anticipation,
qui garantit l'efficacité du geste et qui permet l'organisation des ajustements à
effectuer, et un niveau d'action en temps réel, constitué de l'écoute/diagnostic du
chœur ainsi que de la retombée de l'anticipation du geste de direction.
C'est aussi cette adaptabilité qui permet au chef de réagir à toute situation qui
ne se présente pas comme il l'avait prévue et d'optimiser le travail avec le chœur.
SPÉCIFICITÉS DE L'ENSEIGNEMENT DE LA DIRECTION DE
CHŒUR
Présentation
L'enseignement de la direction de chœur s'est considérablement développé ces
quinze dernières années dans les conservatoires à rayonnement départemental et à
rayonnement régional. Le nombre de ces établissements se situe actuellement aux
alentours de trente.
Les conservatoires nationaux supérieurs proposent respectivement une
formation de direction de chœur (Lyon), et une formation de direction de chœur
grégorien (Paris). Quelques écoles maîtrisiennes proposent une initiation à la
direction.
Comme le montre l'un des premiers rapports sur cet enseignement
(Deslandres, 2001), cette discipline présentait une importante hétérogénéité dans
les premières années de son enseignement. Peu à peu, les enseignants ont exprimé
la volonté d'une plus grande structuration de la discipline. Très vite a émergé la
question de l'homogénéisation des niveaux entre les différents établissements, afin
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que la circulation des étudiants puisse s'effectuer dans de bonnes conditions.
Par ailleurs, avec l’émergence de la discipline dans les Centres de Formation
des Enseignants de la Musique – formation diplômante délivrant le Diplôme
d’État – il a fallu proposer des cursus conduisant à ces formations, mais également
définir les conditions d’accès aux classes de direction de chœur.
Parallèlement, les sessions de rencontre entre les différents acteurs se sont
multipliées, notamment sous l’impulsion du ministère de la Culture et de la
communication, et avec les partenariats de structures telles que l’Institut Français
d’Art Choral ou les associations régionales. Elles ont permis de confronter les
propositions quant à la définition des compétences en direction de chœur.
Face aux caractéristiques de la direction de chœur, l'enseignement de cette
pratique artistique s'organise suivant deux spécificités : un enseignement incluant
plusieurs disciplines, une formation pouvant conduire les élèves vers une
professionnalisation.
Un enseignement incluant plusieurs disciplines
La plupart des conservatoires confient l'enseignement de la direction de chœur
à une équipe pédagogique comprenant l'enseignant de la discipline principale,
coordinateur de la formation, et les enseignants chargés des disciplines
complémentaires.
Ce découpage de l'enseignement en plusieurs disciplines vient de la nécessité
d'offrir aux étudiants des enseignements spécialisés dans les différentes branches
nécessaires à l'acquisition de compétences spécifiques requises pour l'activité de
direction. Le formateur en direction de chœur est un spécialiste de la direction. Cela
n'implique pas qu'il ait les compétences pour être formateur dans les autres
disciplines complémentaires, même si par exemple, il est pianiste, chanteur, et qu'il
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a suivi de surcroît des cursus d'érudition musicale.
La discipline principale comporte les enseignements relatifs à la direction. Les
disciplines complémentaires comprennent les enseignements relatifs aux
connaissances et techniques particulières que l'élève doit acquérir dans le but
d'exercer l'activité de direction de chœur. Selon les établissements, le nombre et la
nature de ces enseignements diffèrent ; mais on retrouve dans la majeure partie des
cas un socle commun : formation musicale, chant, piano – notamment la réduction
et l'harmonisation au clavier –, analyse musicale, écriture musicale. Parmi ces
disciplines complémentaires, nous trouvons également l'histoire de la musique,
l'esthétique, la direction d'orchestre, l'acoustique.
La mise en pratique des notions et techniques abordées fait également partie
intégrante de cette discipline. Des activités de tutorat, au cours desquelles les
apprentis chefs de chœur dirigent des chorales de différents niveaux sous la
responsabilité de leur enseignant de direction, viennent assurer cette expérience de
terrain.
Un enseignement visant une formation professionnelle
Les conservatoires, notamment les établissements à rayonnement régional, ont
pour mission, à coté de l'initiation et de l'éducation des jeunes enfants, la formation
des futurs musiciens professionnels.
Une des vocations des classes de direction de chœur est donc de répondre à
cette spécificité. À côté des jeunes étudiants de conservatoire visant une
spécialisation, ou d'adultes motivés par une initiation, des musiciens ayant
l'ambition d'une carrière viennent chercher une formation de ce type. Certains
étudiants sont en reconversion professionnelle. Pour ces derniers, l'enjeu est
majeur, et le passage par ce cursus s'avère indispensable pour intégrer des
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préparations au Diplôme d'État ou présenter l'examen en externe.
La plupart des étudiants, notons le également, exercent déjà la direction de
chœur soit dans le milieu associatif, soit dans des écoles de musique. Cette situation
est quelque peu particulière. L'étudiant vient chercher dans cette institution les
outils adaptés à ses besoins de terrain.
En même temps, l'institution offre une formation visant l'acquisition de
compétences spécifiques à l'activité exercée. Nous y reviendrons plus loin.
L'enseignement de la direction de chœur va donc se présenter comme une
formation complexe à mettre en œuvre, dans laquelle seront développés :
- des enseignements en vue d'une expertise musicale et technique.
- des enseignements en vue d'une acquisition de compétences pédagogiques et
professionnelles.
DES RÉFÉRENCES POUR L'ENSEIGNEMENT DE LA DIRECTION
DE CHŒUR
L'analyse des spécificités de la direction de chœur et de son enseignement a
permis de mettre en exergue plusieurs points que nous allons rappeler :
- un domaine d'activités revêtant une forte dimension sociale ;
- une implantation institutionnelle variée ;
- un domaine de pratiques dont certaines sont liées à des connaissances
théoriques ;
- une activité pouvant s'exercer à différents niveaux d'expertise musicale ;
- un enseignement spécialisé de la direction de chœur orienté à la fois vers
l'enseignement initial et vers l'enseignement pré-professionnel.
Cette analyse incite à faire l'hypothèse selon laquelle la question de la
référence pour l'enseignement de la direction de chœur ne peut être envisagée que
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dans une dimension plurielle du savoir, et que les pratiques, expertises,
compétences présentes dans l'exercice même de l'activité, ainsi que les contextes
institutionnels dans lesquels les activités se déroulent doivent être également pris en
compte.
L'observation de cet aspect multiple de la référence pour la direction de chœur
trouve un appui théorique dans l'élargissement de la théorie de la transposition
didactique tel que Jean-Louis Martinand l'a présenté dès 1981 (Martinand, 1981,
1986, 1989, 2001), mais également dans les propositions des chercheurs d'autres
disciplines, notamment celles issues de la didactique de l'enseignement
professionnel.
Pratiques sociales de référence
Jean-Louis Martinand, dans sa conception élargie de la transposition
didactique, a défendu pour la didactique de la physique une position qui tend à
prendre en compte “non seulement des savoirs mis en jeu, mais les objets, les
instruments, les problèmes et les tâches, les contextes et les rôles sociaux”1 pour
penser le problème de la référence.
C'est en cela qu'il parle de pratiques. Il s'agit donc de penser ces pratiques
" dans tous leurs aspects y compris dans leurs composantes de savoirs, discursifs ou
non, explicites ou implicites, individuels ou collectifs "2.
Ce qu'il appelle “pratiques sociales de référence”, est caractérisé ainsi :
" - ce sont des activités objectives de transformation d'un donné naturel
ou humain (‘pratique’)
- elles concernent l'ensemble d'un secteur social, et non des rôles
1 Martinand, 2001, p. 19 2 Ibid., p. 22.
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individuels (‘social’)
- la relation avec les activités didactiques n'est pas d'identité, il y a
seulement terme de comparaison (‘référence’) "1.
Sa démarche est née de la nécessité d'analyser la problématique " du degré
d'authenticité des activités scolaires proposées, par rapport aux activités
productives industrielles"2. Cette problématique s'imposait à lui pour la
caractérisation des objectifs dans le cadre de choix de contenus pour une initiation
aux techniques de fabrication mécaniques. Selon lui, un des principes
fondamentaux d'élaboration de contenus d'enseignement consiste à “ comparer de
manière systématique les activités, les situations, les matériels avec leurs éléments
correspondants dans des pratiques dont on veut donner à travers l'enseignement une
image réaliste” 3.
En ce qui concerne l'enseignement de la direction de chœur, on peut considérer
comme référence des pratiques issues du domaine de la direction de chœur. Cela ne
signifie pas pour autant que sont laissés de côté les savoirs qui leur sont liés. Il
convient au contraire de les définir précisément et d'analyser comment l'un et l'autre
s'articulent.
Liens entre pratiques et savoirs
Les spécificités de la direction de chœur nous permettent de noter en premier
lieu la présence de pratiques et de savoirs complémentaires.
Il nous semble indispensable, à ce stade, de clarifier notre terminologie.
1Martinand, 1986, p. 137. 2 Ibid., p. 128. 3 Ibid., p. 286.
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Pratique
Lorsque nous parlons de pratique, nous comprenons ce terme non seulement
dans son acception la plus courante – une activité humaine volontaire et la façon
concrète dont elle se déroule – mais aussi dans sa composante adaptative et
réflexive, qui nous intéresse particulièrement ici, comme nous l'avons vu dans le
paragraphe consacré à la dimension pédagogique de la direction de chœur.
Ce point de vue est à rapprocher de ce que Gaston Mialaret nomme " pratique
de troisième niveau " dans son analyse de la pratique de l'éducateur. Celle-ci " est
non seulement une réponse adaptée aux exigences de la situation, mais elle est
considérée par le sujet comme la recherche d'une solution – originale évidemment –
aux problèmes rencontrés dans la réalité quotidienne»1, ce qui la distingue de celles
de premier et second niveau, où le comportement du sujet est exempt de créativité.
C'est l'analyse de la situation, c'est cette faculté réflexive qui permettent à
l'éducateur d'inventer des réponses aux situations rencontrées.
En direction de chœur, le chef, directeur musical mais également pédagogue,
se trouve constamment confronté à cette situation d'inventivité adaptative en
fonction de la réponse sonore du chœur face à son geste, ses consignes, et ses
exemples musicaux.
Savoir
Lorsque nous parlons de savoir, il convient en premier lieu de délimiter le sens
que nous attribuons à ce concept. Nous proposons pour cela de nous référer à la
définition de Philippe Perrenoud. Celui-ci propose " de réserver la notion de savoir
ou de connaissance à des représentations du réel et aux concepts et théories
1 Mialaret, G., 1998, p. 164.
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savantes, expertes ou de sens commun qui les structurent »1. En direction de chœur,
plusieurs savoirs sont impliqués :
- d'une part, les savoirs nécessaires à la pratique de la direction de chœur.
Parmi eux, certains sont théoriques, comme ceux liés aux notions solfégiques, ou
encore, au vocabulaire de l'analyse musicale.
- d'autre part, les savoirs réflexifs de la pratique, grâce auxquels sont possibles
les ajustements dont nous avons parlé plus haut.
- enfin, les savoirs sur la pratique, produits par l'analyse des situations
rencontrées.
Comment articuler pratique et savoir ?
Selon nous, loin de s'opposer, ils se complètent dans une dynamique où la
pratique génère des savoirs qui eux-mêmes s'actualisent dans de nouvelles
pratiques.
Sur les pas de Philippe Perrenoud, nous postulons qu'il n'y a pas de savoirs
sans pratiques, ni de pratiques sans savoirs2. Pour l'auteur, les savoirs " pratiques "
tels que savoirs en acte, savoirs implicites, les savoirs professionnels ont la
particularité d'être « contextualisés, liés à une expérience et à des formes d’action
dont on ne les détache que pour les besoins de l’analyse»3.
Si les savoirs savants bénéficient, par leur statut social, d'une possible
décontextualisation, on ne peut pas pour autant les détacher complètement de ce qui
les a fondés. Ceci fait dire à l'auteur :
" On peut tenter de ‘faire abstraction’ des porteurs concrets d’un savoir,
de le décontextualiser, d’effacer toute ‘trace de présence humaine’. 1 Perrenoud, 1998, p. 500. 2 Ibid. 3Ibid., p. 492.
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L’abstraction qui en résulte n’aura, en fin de compte, de sens que si elle est
pensée par quelqu’un, qui la recontextualisera immédiatement en la reliant à
d’autres représentations, à son passé, à ses projets, à sa place dans la société.
Même le chercheur le plus ‘désincarné’ ne peut découvrir une théorie pointue
dans son champ de spécialisation sans se dire immédiatement : ‘ Pourquoi ne
l’ai-je pas trouvée moi-même ? Est-elle aussi solide qu’elle le paraît ? ’, sans
se demander en quoi elle va renforcer sa propre pensée ou la mettre en crise"1.
En direction de chœur, tous les savoirs en présence, du fait de leur
mobilisation dans l'action, subissent cette recontextualisation immédiate dans
chaque situation particulière.
Philippe Perrenoud justifie l'affirmation qu'il n'y a pas de pratiques sans
savoirs, en mettant en avant qu'aucune pratique ne peut se dérouler sur un mode de
pilotage automatique pendant toute sa durée. Toute pratique nécessite, à un moment
ou un autre, des phases de réflexion qui ont pour but d'anticiper ce qui va suivre, en
fonction de problèmes spécifiques rencontrés. L'auteur précise :
" Le savoir ne se présente pas alors comme un système organisé pour lui-
même, mais comme un ensemble de ressources dans lesquelles le praticien va
puiser, au gré des besoins de l’action "2.
Les réflexions de Philippe Perrenoud s'appliquent à la direction de chœur.
Nous affirmons que la direction – idéalement s'entend – n'admet aucune routine.
Dans une pratique instrumentale, il peut arriver qu'on laisse les doigts fonctionner
tout seuls, dans des moments où la concentration se relâche. Quel pianiste n'a pas
vécu ce phénomène où la pensée s'absente du contrôle des mains, laissant les doigts
à leurs automatismes, au risque d'entraver le jeu de ce qui va suivre.
1 Ibid., p. 494. 2 Ibid., p. 502-503.
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Il en va de même pour la direction : l'essence même de l'activité est de
" conduire " le chœur, c'est à dire d'avoir toujours une pensée d'anticipation par
rapport à ce que l'on désire qu'il comprenne. Déconnecté de sa pensée, le geste de
direction perdrait les fonctions qui lui sont assignées, et deviendrait inopérant.
L'effet qui en résulterait est ce qu'on appelle dans le langage des chefs " se laisser
diriger par le chœur ". À ce moment, le geste n'a plus de prise sur le son. Ce
phénomène est observable, où l'on voit le posé du geste arriver après l'émission du
son.
La direction ne peut donc se passer de cet ensemble de ressources qui en
assure l'efficacité.
« Savoirs techniques » et « savoirs hautement techniques »
Dans le cadre d'un questionnement sur la genèse des savoirs étudiés du point
de vue de leur apprentissage, Samuel Johsua introduit la notion de " savoirs
techniques " :
" J'appellerai [...] ‘savoirs techniques’ l'ensemble des cibles
d'apprentissage repérables qui nécessitent une étude systématique en vue de
leur maîtrise. Dans cette classification, il importe peu que les cibles en
question ne se manifestent que sous la forme d'une ‘pratique’ [...], comme ce
sera souvent le cas, ou d'une ‘théorie’"1 .
L'auteur oppose ce savoir, lié à une étude, à celui constitué par « frayage ».
Mais cette opposition n'est en aucun cas synonyme de frontière infranchissable. Au
contraire, selon lui, toute cible qui n'est pas technique ou hautement technique au
départ peut le devenir. Il parle de « continuum », mettant en avant qu'il n'existe pas
1 Johsua, 1998, p. 82.
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de frontière nette entre ces savoirs1.
Parmi les « savoirs techniques », Samuel Johsua distingue encore ceux qui
" nécessitent pour ce faire des dispositifs intentionnels, séparés en général de
l'environnement courant, et dont l'exemple est celui des écoles ". Il appelle ces
cibles des " savoirs hautement techniques ", et les relie aux institutions
spécialisées2.
L'auteur met également en avant l'aspect rare mais inévitable de l'étude (les
savoirs techniques) pour les apprentissages. Rare, car les individus auraient
toujours tendance à éviter au maximum l'étude, pour n'intégrer que les informations
disponibles dans leur contexte environnemental, et n'entreraient en « étude », que
lorsque cette forme d'apprentissage " économique " n'est plus possible. Inévitable,
car même dans le cas d'un apprentissage hors de toute institution ou de toute
contrainte extérieure, par exemple, d'une pratique personnelle, l'étude reste
présente.
Ce type d'appréhension des savoirs nous intéresse particulièrement pour
l'enseignement de la direction de chœur. Il réduit l'opposition pratique/théorie, car
les " savoirs techniques " et les " savoirs hautement techniques " réunissent les deux
notions dans une même catégorie. Il engage également à prendre en compte la part
de " frayage " dans les apprentissages.
Même si le conservatoire est une institution où se déroulent les apprentissages
de savoirs hautement techniques clairement annoncés, il reste un espace où siègent
l'implicite, le caché, par le jeu de dynamiques internes, et en écho des expériences
faites hors de l'institution.
Si la diversité des profils de chefs est associée aux conditions et aux contextes
1 Ibid., p. 84. 2 Ibid., p. 84.
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dans lesquels la pratique artistique se déroule, elle n'en est pas moins liée à cet
élément qu'est l'apprentissage, et au niveau d'étude du sujet. Le terrain de la
direction de chœur voit ainsi se côtoyer des chefs ayant divers niveaux d'expertise
– cela dit sans jugement de valeur. Ces niveaux dépendent du parcours personnel
de chaque sujet engagé dans une pratique de direction, et en particulier du degré
d'apprentissage préalable dont il est porteur, que cet apprentissage ait été effectué
ou non dans le cadre d'un enseignement spécialisé.
« Savoirs experts », « savoirs personnels »
La notion de savoir expert a été introduite par Samuel Johsua, dans le cadre de
l'extension du concept de transposition didactique à d'autres disciplines que celles
pouvant se réclamer d'un savoir savant. L'auteur cherche à identifier ce qui
différencie un savoir savant de tout autre savoir. Selon lui, la distinction est de
nature institutionnelle :
" Les institutions où vivent les deux types de savoir diffèrent en termes de
reconnaissance sociale. Sont considérés comme savants les savoirs qu'une
société donnée considère comme tels à un moment donné de son histoire "1.
Ainsi distingue-t-il :
- les savoirs savants, " pour lesquels une communauté restreinte a obtenu
le droit social de ‘dire le vrai’ d'une manière universelle (ou du moins à
l'échelle de toute une formation sociale) ".
- les savoirs experts, " propres à des groupes dont la visibilité est en
général moins grande, et qui surtout ne disposent pas d'un ‘droit de tirage sur
la vérité’ aussi étendu ".
- les savoirs personnels, pour lesquels " l'institution ‘experte’ concernée et 1 Johsua, 1996, p. 67.
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son réseau peuvent se résumer à quelques individus, voire à un seul »1.
Il est à noter que ces savoirs nommés " experts " par le chercheur ne sont
autres que les " savoirs techniques " et les savoirs " hautement techniques " réunis.
Selon lui, ce sont les savoirs experts qui sont les plus répandus à une époque et
dans une société données.
Nul doute que les savoirs musicaux puissent entrer dans cette catégorie.
L'auteur donne un exemple en ce sens2. En direction de chœur, le geste de direction
peut s'imposer comme un savoir expert, mais également la réduction de la partition
de chœur au piano, ou encore le chant de chaque partie vocale.
De tels savoirs experts peuvent être identifiables dans tous les axes ayant trait
au geste et au travail avec le chœur.
Compétences
L'analyse des savoirs de direction présentée ci-dessus montre que les savoirs
pratiques, techniques, théoriques, pour une part savants, sont présents de manière
imbriquée dans l'activité de direction. Tous ces savoirs peuvent être mobilisés dans
des compétences permettant au chef de chœur de faire face aux différentes
situations rencontrées avec le chœur.
Tout d'abord, précisons ce que l'on entend par compétence : on peut définir la
compétence comme un savoir en action. Elle serait du côté des savoir-faire de haut
niveau, ceux de bas niveau étant plutôt du côté des habiletés3.
Les compétences présentent les caractéristiques suivantes :
1 Johsua, 1998, p. 92-93. 2 Ibid. p. 93. 3 Perrenoud, 1995, p. 75.
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" - une compétence suppose un rapport à l’action : c’est sur ce point que
se situe la différence la plus nette avec les connaissances ; la dimension
opératoire prend le pas sur la dimension conceptuelle ;
- une compétence s’inscrit dans un contexte : elle ne peut être postulée à
priori, elle est toujours finalisée et demande une mise en œuvre effective, à
l’inverse des capacités qui peuvent être envisagées comme un préalable à
l’action ;
- une compétence mobilise la dimension cognitive : les ressources
intellectuelles du praticien se traduisent sous diverses formes, analyse de
situations, résolution de problèmes, décisions, régulations ;
- une compétence se présente comme une intégration complexe de savoirs
disciplinaires, de savoirs de situation, en vue d’une prise de décision ou d’une
résolution pertinente ;
- une compétence implique un processus de validation. Le praticien est
reconnu compétent à partir de critères ou d’indicateurs donnés 1 ».
Nous pouvons donner quelques exemples pour le domaine de la direction de
chœur et présenter les compétences classées en deux catégories :
- les compétences d'ordre musical et culturel
- les compétences pédagogiques.
Il est à noter qu'il n'est pas question de faire une séparation nette entre le
musical et le pédagogique, le musical étant toujours présent dans la situation
pédagogique qu'est la répétition ou dans les interprétations en répétition et non
uniquement dans les interprétations de concert.
Les compétences musicales en direction de chœur sont liées à la culture
générale musicale – histoire et culture musicale, styles, analyse, harmonie,
1 Jorro, 2002, p. 8.
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répertoire. Elles sont également associées à l'écoute et à la pratique instrumentale
(chant, clavier, geste) ainsi qu'aux connaissances des langues et de la phonétique,
qui sont directement liées à l'identité même de la musique vocale. Par exemple :
- élaborer une interprétation en fonction du style du compositeur ;
- chanter les parties séparées de l'œuvre chorale telles que souhaitées ;
- jouer au clavier la réduction de l'œuvre ;
- prononcer un mot, une phrase de langue étrangère et donner son sens ;
- lire un mot, une phrase grâce à la phonétique internationale, y compris pour
la langue maternelle ;
- diagnostiquer les écarts de réalisation musicale du chœur par rapport à la
partition ;
- diriger en anticipant les événements musicaux ;
- diriger l'œuvre chorale avec une gestique fidèle aux choix d'interprétation.
Les compétences pédagogiques sont liées à la pédagogie elle-même, à la
gestion et à l'animation de la répétition. Par exemple :
- choisir un répertoire adapté au chœur en présence ;
- communiquer verbalement les choix musicaux opérés en amont ;
- procéder aux ajustements susceptibles de faire progresser le chœur vers
l'interprétation souhaitée ;
- organiser le déroulement de la répétition en fonction des œuvres abordées ;
- gérer l'organisation de la répétition dans le temps imparti ;
- diriger l'œuvre chorale en incluant dans le geste les éléments relatifs aux
consignes données pendant la répétition ;
- animer la répétition de manière à susciter le désir de progression de la part
des chanteurs.
Si l'on reconnaît de telles compétences dans l'activité de direction de chœur, on
peut défendre l'idée qu'une formation de chefs de chœur va inclure les dispositifs
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permettant l'acquisition de ces compétences.
Cette question du développement de compétences en formation n'est pas
spécifique à la direction de chœur : le concept de compétence a été souvent analysé,
notamment dans le cadre de la didactique de l'enseignement professionnel, où le
rapport entre formation et professionnalisation est particulièrement étroit. (Jorro,
2002 ; Raisky, 1996, 2001 ; Rogalski et Samurçay, 1994 ; Vergnaud, 1992).
Dans une formation professionnelle, il s'agit de concevoir des programmes
d'étude qui permettent aux étudiants de développer des compétences pour être
opérationnels dans le monde du travail.
Les formations en direction de chœur sont pour une part des formations à visée
professionnelle, comme nous l'avons souligné plus haut. Un concepteur de
programme dispose de documents tels que le référentiel du diplôme d'État de
professeur de musique, rédigé en termes d'activités et de compétences. Cela
implique que les institutions spécialisées puissent proposer des dispositifs de
formation qui favorisent le développement de ces compétences. Cela s'avère
d'autant plus nécessaire que tout étudiant titulaire du Diplôme d'Études Musicales
d'un conservatoire, en fonction de son parcours antérieur, peut prétendre à se
présenter au Diplôme d'État ou au Certificat d'Aptitude sur épreuves, sans passer
par une formation supérieure diplômante. On retrouve d'ailleurs cette nécessité sur
toute la chaîne des cursus de direction, quel que soit le niveau d'études des élèves.
Cela peut se comprendre si l'on considère qu'une partie de l'évaluation s'effectue en
situation réelle de direction, ce qui consiste, pour le chef, à mener devant un jury
une séquence de travail avec un chœur.
Imaginer ces dispositifs de formation et élaborer des contenus d'enseignement
implique que la référence ait été préalablement construite. Nous utilisons le terme
de construction, car, tout comme pour l'enseignement professionnel, la référence
pour la formation des chefs de chœur est à construire. D'où l'idée de référentiel
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professionnel, qui constitue un " recueil des activités spécifiques du métier ou de
l'ensemble de métiers visés "1.
Pour construire cette référence, il s'agirait d'une part d'analyser les activités
réelles des chefs de chœur dans les diverses situations qu'ils rencontrent, de repérer
comment les savoirs décrits plus haut sont mobilisés dans les compétences
spécifiques aux situations, d'autre part de dégager des invariants dans les pratiques
de direction et de répétition afin de créer un modèle de ces pratiques. Ce qui rejoint
les propositions de Rogalski et Samurçay, qui envisagent la construction d'un
" corps de savoirs de référence ", décrit comme " un ensemble organisé d'invariants
dégagés sur les dispositifs opérationnels, les fonctions à remplir, avec différents
niveaux descriptifs, et partiellement prescriptifs "2.
Cette démarche permet de mettre en évidence les points pertinents pour
élaborer les contenus d'enseignement, et créer des situations didactiques qui
favorisent le développement des compétences identifiées comme représentatives
d'objectifs à atteindre.
CONCLUSION
À travers cette contribution, nous avons tenté d'éclairer la problématique de la
référence aux savoirs dans l'enseignement de la direction de chœur. Le concept de
" pratiques sociales de référence " développé par Jean-Louis Martinand, et les
travaux des chercheurs en didactique de la formation professionnelle ont constitué
un cadre théorique privilégié pour étayer notre analyse.
1 Raisky, 1996, p. 46. 2 Rogalski et Samurçay, 1994, p. 67.
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Nous avons tout d'abord cherché à rendre compte de la complexité du domaine
du chant choral, en mettant en exergue la variété des contextes d'implantation de
l'activité et la diversité de profils des chefs de chœur.
L'analyse des spécificités de la direction de chœur et de son enseignement a
permis de mettre en avant la dimension plurielle des savoirs pouvant servir de
référence pour l'enseignement de la direction de chœur.
Les savoirs de la direction de chœur sont, pour la plupart, liés à des pratiques.
Nous avons cherché à analyser le couple savoirs/pratiques, et à montrer son
articulation.
À la lumière des travaux de Samuel Johsua, nous avons identifié les savoirs de
la direction de chœur comme des savoirs techniques et hautement techniques que
l'auteur nomme savoirs experts. Nous avons situé les compétences tant musicales
que pédagogiques comme centrales en direction de chœur.
L'identité de l'enseignement de la direction de chœur comme formation de
type professionnel nous a amenée à envisager une approche par compétences pour
la mise en place de programmes d'études, à l'instar de l'enseignement professionnel.
Le choix de références pour l'enseignement de la direction de chœur s'avère
complexe, en regard de la mixité des savoirs et expertises mis en jeu et des
conditions de leur actualisation. Il constitue un préambule à tout projet
d'élaboration de finalités, d’objectifs, de contenus, d’organisation et d’évaluation
d'une formation de chefs de chœur.
Comme pour beaucoup de disciplines, cette référence n'est pas disponible
immédiatement. Elle est à extraire des pratiques des acteurs de la direction et des
multiples situations dans lesquelles cet art s'exerce. Elle est ensuite à construire, par
une prise en compte de toutes les composantes de la direction de chœur, mais aussi
à partir du rapport des différents acteurs – enseignants et élèves – à cette activité et
à son apprentissage.