Bases de la psychologie du développement et différentielle Raphaële MILJKOVITCH Françoise MORANGE-MAJOUX CHAPITRE B : MODELES ET THEORIES EN PSYCHOLOGIE DU DEVELOPPEMENT Ce cours a pour objectif de fournir à l’étudiant les concepts de base de la psychologie du développement. Ainsi, seront successivement abordés l’histoire de la psychologie du développement (Chap. A), les principales théories et modèles proposés pour expliquer le développement (Chap. B), ainsi que les principales méthodes utilisées (Chap. C)
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Bases de la psychologie du développement et différentielle
Raphaële MILJKOVITCH
Françoise MORANGE-MAJOUX
CHAPITRE B : MODELES ET THEORIES EN PSYCHOLOGIE DU DEVELOPPEMENT
Ce cours a pour objectif de fournir à l’étudiant les concepts de base de la psychologie du
développement. Ainsi, seront successivement abordés l’histoire de la psychologie du
développement (Chap. A), les principales théories et modèles proposés pour expliquer le
développement (Chap. B), ainsi que les principales méthodes utilisées (Chap. C)
TABLE DES MATIERES
B- LES PRINCIPAUX MODELES EN PSYCHOLOGIE DU DEVELOPPEMENT ............................................................ 3
B. 1. LES APPORTS DE LA THEORIE FREUDIENNE A LA PSYCHOLOGIE DU DEVELOPPEMENT ............................... 3
B.1.1. La psychanalyse freudienne.................................................................................................................. 4
B.1.2. La structure mentale ............................................................................................................................ 4
B.1.3. Les mécanismes de défense .................................................................................................................. 5
B.1.4. Les stades de développement ............................................................................................................... 5
B.1.5. Autres approches psychodynamiques .................................................................................................. 7
B. 2. LA THEORIE CONSTRUCTIVISTE DE PIAGET .................................................................................................. 7
B.2.2. Les influences de Piaget ....................................................................................................................... 8
L'INFLUENCE DE L 'HISTOIRE DES SCIENCES ............................................................................................. 8
L'INFLUENCE DE LA BIOLOGIE ................................................................................................................... 9
B.2.3. Les concepts clefs de la théorie constructiviste de Piaget .................................................................. 10
B.2.4. la méthode clinique de Piaget ........................................................................................................... 11
B.2.5. Les stades ........................................................................................................................................... 12
STADE SENSORI-MOTEUR : DE 0 A 18 MOIS/2ANS .......................................................................................... 13
STADE PREOPERATOIRE OU INTUITIF : DE 2 A 7/8 ANS ................................................................................... 15
STADE OPERATOIRE CONCRET : DE 7/8 A 12 ANS ............................................................................................ 16
STADE DES OPERATIONS FORMELLES : A PARTIR DE 11/12 ANS...................................................................... 18
B- LES PRINCIPAUX MODELES EN PSYCHOLOGIE DU DEVELOPPEMENT
En psychologie, modéliser consiste à utiliser des outils logiques ou mathématiques pour se
représenter un phénomène. Bien qu’il ne soit pas un outil explicatif et de généralisation, il joue
un rôle important dans la formulation des théories. Les modèles constituent généralement une
projection d’une théorie, une partie concrète de la théorie. Parce qu’ils font référence à une
gamme plus limitée de situations que la théorie dont ils sont issus, les modèles sont
habituellement d’application plus réduite. Le modèle
Les modèles développés en psychologie permettent d’aider le psychologue à
organiser sa pensée concernant les comportements,
guider ses décisions et ses interventions,
communiquer dans un langage commun et systématique avec les collègues.
En termes scientifiques, les meilleurs modèles sont ceux dont les implications et les
hypothèses peuvent être rigoureusement mises à l'épreuve dans un grand nombre de
contextes. Un bon modèle pour un psychologue doit comprendre un exposé complet et
vérifiable du développement, du maintien et du changement des comportements à la fois
problématiques et non problématiques.
Toutefois, les psychologues qui dépendent trop d'un modèle peuvent en arriver à plaquer les
postulats du modèle sur ce qu'ils observent, même si cela semble requérir un changement de
perspective. Si un modèle permet d'avoir un langage commun avec les autres adhérents de
ce modèle, il peut en même temps créer une barrière de langage entre psychologues de
modèles différents et rendre la communication entre eux plus difficile. Or, comprendre et
apprécier d'autres points de vue peut prévenir le fait d'avoir des visions étroites qui pourraient
être préjudiciables aussi bien pour le psychologue que pour l'enfant ou l'adolescent.
B. 1. LES APPORTS DE LA THEORIE FREUDIENNE A LA PSYCHOLOGIE DU DEVELOPPEMENT
Le modèle freudien repose sur les postulats suivants:
1. Le comportement humain est déterminé par des pulsions, des désirs, des motivations
et des conflits qui sont intrapsychiques et souvent inconscients.
2. Les facteurs intrapsychiques sont à la fois à l'origine des comportements normaux et
pathologiques.
3. Les fondements du comportement sont établis pendant l'enfance à travers la
gratification ou l'insatisfaction des besoins et des pulsions de base. A cause de leur
rôle central dans ces besoins, les relations précoces avec les parents, les frères et
sœurs, les grands-parents, les pairs et les figures d'autorité font l'objet d'une grande
attention. Il y a un aspect développemental dans le modèle psychodynamique en
raison de son intérêt pour les aléas de l'enfance.
B.1.1. LA PSYCHANALYSE FREUDIENNE
Le modèle psychodynamique de Freud (1856-1939) est fondée
notamment sur la notion de déterminisme psychique, c’est-à-dire que
le comportement est lié à des causes que des observateurs
extérieurs tout comme la personne elle-même ne peuvent voir. De
ce point de vue, presque tous les comportements (même les
"accidents") sont considérés comme porteurs de signification étant
donné qu'ils révèlent des motivations et des conflits inconscients
(Freud, 1901).
B.1.2. LA STRUCTURE MENTALE
Dans le système de Freud, les instincts inconscients forment le ça, qui est présent à la
naissance et qui contient toute l'énergie psychique, soit la libido disponible pour inciter un
comportement. Le ça recherche la satisfaction immédiate de ses désirs; c'est pourquoi on dit
qu'il fonctionne selon le principe de plaisir. A mesure que le nourrisson grandit et que le monde
extérieur impose des contraintes grandissantes sur les gratifications du ça, la deuxième
instance, le moi, commence à s'organiser (à environ un an) et commence à trouver des
moyens sûrs pour l'expression des instincts. Puisque le moi s'ajuste aux exigences
extérieures, on dit qu'il opère selon le principe de réalité. Une troisième instance mentale est
le surmoi, autre résultat de l'influence sociale de la réalité. Il comprend tout ce que la famille,
la culture nous a appris
concernant l'éthique, la morale et
les valeurs. Et selon Freud, ces
principes sont intériorisés pour
devenir l'idéal du moi, c'est-à-dire
ce que l'on on aimerait être. Le
surmoi comprend aussi la bonne
conscience, qui cherche à
promouvoir un comportement
parfait, conforme et socialement
acceptable, généralement
opposé au ça.
B.1.3. LES MECANISMES DE DEFENSE
Les trois instances définies par Freud sont constamment mêlées à des conflits internes qui
donnent lieu à de l'anxiété. Le moi tente de garder en dehors de la conscience ces conflits et
le désagrément qui en résulte. Pour cela, il utilise un ensemble de mécanismes de défense,
en général à un niveau inconscient. Un des mécanismes les plus courants, et pour Freud les
plus prototypiques, est le refoulement : le moi garde simplement une pensée, un sentiment
ou une pulsion inacceptable en dehors de la conscience. Cela correspond en quelque sorte à
un "oubli" intentionnel. Il faut noter cependant que le refoulement nécessite un effort important
et constant (comme de garder un ballon sous l'eau), et par moments, la pensée indésirable
peut menacer de faire surface. Pour prévenir cela, le moi emploie des défenses inconscientes
supplémentaires (Annexe 1).
B.1.4. LES STADES DE DEVELOPPEMENT
Freud a postulé que pendant que les enfants grandissent, ils traversent plusieurs stades
psycho-sexuels, chacun nommé d'après la partie du corps la plus associée avec le plaisir du
moment. La première année correspond au stade oral, parce que les activités orales telles
que manger, sucer, mordre ou autres sont les sources de plaisir prédominantes. L'enfant "oral"
est occupé à incorporer le monde extérieur. Si, à cause d'un sevrage prématuré ou retardé du
biberon ou du sein, les besoins oraux sont frustrés ou satisfaits de manière exagérée, l'enfant
peut avoir du mal à traverser le stade oral, se fixant à des comportements qui y sont associés.
Les adultes qui manifestent des comportements oraux de dépendance comme fumer, manger
à l'excès, etc… peuvent être vus comme étant fixés au stade oral. Les adultes crédules ou
passives peuvent aussi être considérées comme ayant une personnalité "orale"1.
La deuxième année correspond au stade anal, parce que Freud voyait l'anus et les stimuli
associés à l'expulsion et à la rétention des fèces comme étant les principales sources de plaisir
à ce moment-là. Cette période est marquée par l'apprentissage de la propreté durant laquelle
il peut y avoir un clivage entre la volonté des parents et celle de l'enfant. La passivité du stade
oral laisse la place au défi de la période anale. La fixation anale résulterait de pratiques
surprotectrices ou laxistes dans ce domaine. Les comportements adultes supposés
révélateurs d'une fixation anale comprennent les comportements contrôlant ou au contraire le
laisser-aller et le désordre. Les personnes qui sont avares, obstinées, très organisées,
concernées par la propreté ou les détails et celles qui sont peu soignées, mal organisées et
1 Freud pensait que plus une fixation à un stade psychosexuel est importante, plus des comportements typiques de ce stade se manifestent plus tard, et plus il y a de chances que la régression à ce stade se fasse sous l'effet du stress. Les cas dans lesquels une personne devient très dépendante des autres ou très déprimée quand ses besoins de dépendance ne sont pas satisfaits peuvent être vus par les Freudiens comme une régression au stade oral.
dépensières peuvent être vues comme manifestant des caractéristiques anales.
L'enfant entre dans le stade phallique à environ trois ou quatre ans, quand les organes
génitaux deviennent la principale source de plaisir. Comme le nom de ce stade l'indique, Freud
s'est plutôt intéressé au développement psychosexuel du
garçon. Selon lui, pendant le stade phallique, le petit garçon
commence à désirer sa mère et veut se débarrasser de son rival
: son père. C'est ce qu'on appelle le complexe d'Œdipe. Parce
que l'enfant craint la punition d'être castré pour ses désirs
incestueux et assassins, le complexe d'Œdipe et l'anxiété qui y
est associée sont résolus par le refoulement des désirs pour la
mère, par une identification au père et la rencontre ultérieure
avec une partenaire sexuelle appropriée.
Freud a abordé le complexe d'Œdipe féminin en stipulant que la petite fille souffre de l'envie
du pénis et d'un sentiment d'infériorité, pensant déjà avoir été castrée. Elle sublimerait ces
sentiments en substituant le désir d'avoir un pénis par l'envie d'avoir un enfant, et ce faisant,
en s'identifiant à sa mère2.
Pour Freud la résolution réussie des conflits du stade phallique est cruciale pour le bon
développement psychologique. La fixation au stade phallique étant souvent invoquée comme
cause des problèmes interpersonnels de nombreux adultes, y compris la rébellion, l'agression,
et des pratiques sexuelles mal perçues socialement à l'époque telles que l'homosexualité,
l'exhibitionnisme et le fétichisme.
Selon Freud, il y aurait une période de latence après le stade phallique. Pendant cette période,
le principe de réalité prendrait plus d'importance dans la vie de l'enfant. Une dissipation du
complexe d'Œdipe permettrait à l'enfant de développer des compétences sociales et
éducatives et ce jusqu'à l'adolescence, quand la maturité physique de l'individu introduit la
période génitale. Dans ce stade final (qui se prolonge dans les années adultes), le plaisir se
situe encore dans la zone génitale, mais si tout s'est bien passé dans les stades précédents,
l'intérêt sexuel n'est pas seulement dirigé vers l'auto-satisfaction comme dans la période
phallique, mais vers la mise en place d'une relation hétérosexuelle stable et durable, dans
laquelle le besoin de l'autre est valorisé.
2 Freud pensait que le surmoi d'une femme était moins développé que celui d'un homme étant donné qu'il ne reposait pas sur une forte angoisse qu'est l'angoisse de castration.
B.1.5. AUTRES APPROCHES PSYCHODYNAMIQUES
Toutefois, plusieurs critiques faites au modèle freudien vont entrainer l’apparition d'autres
théories psychanalytiques, notamment,
l'insatisfaction du rôle central des instincts inconscients dans la motivation,
la reconnaissance grandissante de l'influence des variables sociales et culturelles sur
le comportement humain,
une plus grande prise en compte des aspects conscients de la personnalité, et
la croyance que le développement de la personnalité n'est pas terminée pendant
l'enfance mais qu'elle continue tout au long de la vie.
Dans ces versions contemporaines de la psychanalyse, le moi ne se développerait pas qu'en
fonction du ça et de ses conflits avec l'environnement ; il disposerait de sa propre énergie et
de la capacité de se développer sans être lié aux fonctions défensives inconscientes. Cette
pensée "néo-freudienne" plaît à de nombreux cliniciens d'orientation analytique, car elle fait
un portrait de l'homme comme étant plus positif et moins soumis à ses instincts.
B. 2. LA THEORIE CONSTRUCTIVISTE DE PIAGET
Jean Piaget (1896-1980) a élaboré une théorie qui propose un
modèle cohérent du développement cognitif, applicable de
la naissance à l'âge adulte. Sa théorie a pour but de
déterminer quels mécanismes sont à l'œuvre dans la
genèse et le développement de l'intelligence. Elle
détermine également quelles sont les acquisitions
habituellement réalisées à chaque âge et comment ces
acquisitions s'organisent selon un processus d’équilibration progressive en une suite d’étapes
qui définissent des stades successifs dont l'ordre reste le même pour tous les enfants.
https://www.youtube.com/watch?v=PqO0wZllOKY
B.2.1. ELEMENTS BIOGRAPHIQUES
Né à Neuchâtel le 9 août 1896, sa carrière scientifique commence dès 1907 (11 ans) où il écrit
un article sur l'observation d'un moineau albinos. Passionné d'histoire naturelle, il publie en
1912 un article sur les mollusques d'eau douce vivant dans les lacs suisses. En 1918 il publie
Recherche, un roman philosophique religieux et obtient son doctorat en sciences naturelles.
En 1919 il rejoint le laboratoire d'Alfred Binet à Paris et s’intéresse à la question de la logique
chez l'enfant : il entreprend de comprendre pourquoi et comment le raisonnement de l'enfant
est si différent de celui de l'adulte. Cet intérêt est totalement lié à un autre intérêt celui pour la
biologie et Piaget n’aura de cesse de confronter développement scientifique et développement
de l’enfant. En effet pour Piaget, la logique et le raisonnement sont la forme optimale de
l’adaptation biologique (donc du cerveau). Cette adaptation est possible grâce à l’activité
opératoire du sujet lui-même et des sources d’équilibration qu’elle comporte. Après un stage
à Paris chez Binet, il s’installe, en 1920 à l’Institut Jean-Jacques Rousseau à Genève et se
consacre totalement à l'étude de la pensée enfantine. Sa vie se partage alors entre ses
diverses fonctions d'enseignant, de chercheur, de direction, ses publications3 , sa vie de famille
et l'observation de ses enfants. Il y meurt en 1980.
B.2.2. LES INFLUENCES DE PIAGET
L'INFLUENCE DE L 'HISTOIRE DES SCIENCES
Comment la pensée devient-elle ce qu’elle devient ? Quels sont les mécanismes qui sous-
tendent l’accroissement des connaissances ?
La visée de Piaget est à la base fondamentalement épistémologique : Piaget cherche, à
travers l'étude chez l'enfant de la genèse et du développement des connaissances, à retracer
la genèse et le développement de la pensée au cours des siècles. Cet ancrage le conduit à se
centrer sur les mécanismes généraux (c’est-à-dire communs à tous les hommes)
d'acquisitions et d'accroissement des connaissances : il s'intéresse à un sujet épistémique,
différent du sujet individuel. Son modèle vise donc à mettre en évidence ce qui est
généralisable dans la conduite d'un grand nombre de sujets.
Pour Piaget ces changements ne peuvent être imputés à la seule maturation nerveuse : plus
les acquisitions s’éloignent de leur origine sensori-motrice, plus leur chronologie d’apparition
est variable; ce qui démontre que la maturation nerveuse n’est pas seule à l’œuvre. Il se
différencie donc très clairement de Gesell. L’expérience apparaît également comme un facteur
nécessaire, mais non suffisant, dans la mesure où le structures logico-mathématiques, les
opérations intellectuelles relèvent de la coordination des actions du sujet et non de la pression
du monde physique. La connaissance n’est pas une copie de la réalité, mais un processus
actif qui consiste à assimiler les données de l’expérience aux cadres de connaissances du
sujet.
Ainsi pour expliquer l’évolution régulière et dirigée au cours du développement, Piaget
propose-t-il l’équilibration. Ni l’individu, ni l’environnement n’étant statique, l’état d’équilibre
3 C’est l’œuvre la plus vaste produite au XXème siècle dans le domaine du développement, avec une cinquantaine d’ouvrages et plus de 700 d’articles. Vous trouverez à la fin de ce document une bibliographie succinte.
permanent est impossible; les conduites s’accompagnent donc toujours d’un processus
d’équilibration qui comporte deux pôles : l’assimilation et l’accommodation. L’assimilation
est un processus par lequel un objet du milieu est appréhendé par la structure actuelle du sujet
et l’accommodation est une activité par laquelle la structure actuelle du sujet se modifie pour
s’ajuster à une modification de l’environnement.
L'INFLUENCE DE LA BIOLOGIE
Les mécanismes qui régissent l’évolution des espèces sont-ils semblables à ceux qui régissent
le développement ? Apprendre, grandir, est-ce s’adapter ?
Ayant une formation initiale en sciences naturelles, Piaget est très tôt passionné par l’évolution
des espèces (son travail de thèse porte sur l’évolution des formes des ammonites). Il a été
fortement marqué par la théorie darwinienne et la notion d’adaptation des espèces à leur
milieu pour survivre. Pour Piaget, l’intelligence humaine s’inscrit dans l’évolution générale de
la vie et à ce titre, est le meilleur exemple d'adaptation à la vie, à l'environnement. Comme
Darwin, qui montre qu’au cours de l’évolution, les espèces les mieux organisées survivent à
leur milieu, Piaget considère que les conduites intellectuelles sont le produit d’un organisme
particulier et l’aboutissement de l’évolution biologique. Ainsi pour lui, « l’intelligence constitue
une activité organisatrice dont le fonctionnement prolonge celui de l’organisation biologique,
tout en le dépassant, grâce à l’élaboration de nouvelles structures » (Piaget, 1936, p. 356).
Ainsi, les processus psychologiques apparaissant dès la naissance résultent des processus
biologiques mais suivent ensuite leur propre développement grâce à l’activité opératoire du
sujet, qui assimile d’une part dans sa structure actuelle certains éléments du milieu et
accommode en retour, c’est-à-dire modifie sa structure en raison des influences du milieu.
Cela permet à l’organisme de s’adapter, l’adaptation étant définie comme un équilibre entre
assimilation et accommodation. L’organisation interne (structure) et l’adaptation avec ses deux
pôles d’assimilation et d’accommodation constituent le fonctionnement de l’intelligence,
fonctionnement qui est commun à la vie, mais qui est capable de créer des structures variées.
Ainsi pour Piaget, l’intelligence est adaptation et permet à l’humanité de survivre dans des
milieux qui dépassent les possibilités d’adaptation de l’organisme humain. L'intelligence ne
reflète pas passivement le milieu : elle n'est pas une actualisation spontanée de possibilités
données a priori (innéisme), mais elle se construit au cours des interactions suscitées entre
l'individu et son milieu par l'activité de l'individu.
L'INFLUENCE LOGICO-MATHEMATIQUE
Pour Piaget, l'intelligence la plus aboutie est logico-mathématique. Le développement de
l'intelligence est donc celui des organisations cognitives (structures). Le développement des
structures tend vers le développement des opérations supérieures (c’est-à-dire logico-
mathématiques), qui sont l'aboutissement du développement. Ainsi, se développer consiste à
intérioriser l’action en opération (réversible) ; les opérations sont coordonnables en système
d'ensemble qu'on appelle le groupement. L'intelligence procède de l'action en transformant les
objets et le réel : la connaissance est essentiellement une assimilation active opératoire. Ainsi,
les cadres de connaissance (programmes d’action, structures mentales) assimilent certains
aspects de la réalité et réagissent sous l’influence de ces éléments de la réalité. Dès que
l’enfant (ou le bébé) a acquis un nouveau programme d’actions, il tend à soumettre tous ces
objets à ce programme, encore appelé par Piaget, schème d’action. Ainsi par exemple, le bébé
acquiert vers 5 mois le schème "saisir" et il assimile tous les objets rencontrés à ce schème.
Or certains objets, comme une ficelle, requiert de modifier légèrement le schème "saisir" en
schème "tirer" ; cette modification du programme est une accommodation.
B.2.3. LES CONCEPTS CLEFS DE LA THEORIE CONSTRUCTIVISTE DE PIAGET
Voie médiane entre l’empirisme et l’innéisme, le constructivisme se situe au-delà de ces deux
conceptions radicales; il les dépasse tout en les englobant : les structures de l’intelligence ne
sont pas innées ou préformées dans le système nerveux et elles ne sont pas non plus
préformées dans le monde physique où il n’y aurait qu’à les découvrir. Les structures de
l’intelligence naissent de l’interaction entre le milieu et le sujet, par l’activité du sujet (la
focalisation sur l’assimilation explique le privilège accordée par Piaget à l’action du sujet).
L’enfant est comme un petit savant en herbe qui redécouvrirait les grandes lois qui régissent
notre monde. Piaget rejette l’empirisme car pour lui la connaissance n’est pas une copie de la
réalité. Il en veut pour preuve que les enfants de 5/6 ans ne différencient pas un triangle d’un
carré au cours d’une exploration tactile ; à partir de 6/7 ans, ils peuvent faire la différence et
Piaget observe une augmentation de l’exploration tactile. En d’autres termes, c’est l’activité du
sujet qui détermine sa prise d’informations ; dans cette perspective, cela signifie qu’un bébé
de 5 et 10 mois par exemple ne prennent pas les mêmes informations visuelles (ce qui peut
expliquer l’erreur A non B par exemple).
L'équilibration : l'équilibre cognitif se fait "… à la suite de compensations actives du sujet en
réponse aux perturbations extérieures et d'un réglage, à la fois rétroactif (feedback) et
anticipateur, constituant un système permanent…"
L’assimilation : c’est l’intégration dans la structure actuelle de l'organisme de certains
éléments du milieu. Lorsque l'enfant voit un chien et lui associe le mot "chien", il assimile
l'animal à sa catégorie, ou schème, de chiens.
L’accommodation : c’est la modification de la structure actuelle de l'organisme en raison des
influences du milieu. Un bébé qui a appris à attraper un petit objet qui se trouve à sa portée
tend à soumettre tous les objets à cette structure; en terme piagétien, il assimile les objets à
son schème d’action. Mais il ne peut dans un premier temps attraper des objets volumineux,
car son schème de préhension manuelle n’est pas adapté à ces nouveaux objets : il va devoir
se servir simultanément de ces deux mains pour enserrer l’objet volumineux. Il modifie ainsi
son schème de préhension manuelle par accommodation.
Les schèmes : ce sont les instruments de l'assimilation, ils se définissent comme des
organisations d'actions ou des structures qui se répètent dans des circonstances semblables
et analogues et qui se généralisent. Le schème n’est pas le comportement, il est le
correspondant cognitif non observable.
Selon Piaget, le développement mental est une succession de grandes structurations : le
groupe pratique des déplacements, le groupement des opérations concrètes et le groupe des
opérations formelles. Ces grandes constructions sont des structures, c’est-à-dire un ensemble
d’acquisition organisées, d’opérations qui portent sur un domaine particulier et qui se
définissent par les relations qu’entretiennent entre elles les opérations. Les opérations
mentales regroupées en structures sont plus puissantes que des opérations isolées. Les
structures favorisent donc l’émergence du raisonnement. Elles sont organisées de telle façon
que si on observe une acquisition, on peut en prévoir une autre. Ainsi, la théorie de Piaget est
structuraliste. Les structures de l’intelligence se développent selon un processus d’interaction
entre l’organisme et le milieu. Le point de départ est biologique et l’arrivée est logico-
mathématique, le schème étant l’instrument d’assimilation.
B.2.4. LA METHODE CLINIQUE DE PIAGET
Il faut souligner que l’originalité de Piaget n’est pas de se limiter à une description des
structures mais d’analyser et comprendre l’évolution de ces structures dans le temps. Ainsi,
l’analyse structurale ne considère pas les faits isolément, pas plus qu’elle ne les intègre dans
une chaîne associative. Les faits sont appréhendés en tant que structure d’éléments qui se
déterminent les uns les autres quant à leur nature et leur fonction. Pour comprendre l’évolution
des structures au cours du temps, Piaget développe une méthode, dit l’entretien clinique, qui
consiste en une conversation avec l’enfant, à propos de la tâche qu’on lui demande de faire
et pendant qu’il fait celle-ci. Cette méthode clinique considère deux choses simultanément :
le matériel de la tâche et sa manipulation par l'enfant (le matériel a été choisi de manière à
permettre un constat relatif à une question que l'on se pose) et les verbalisations de l'enfant.
Le matériel et sa présentation sont les mêmes pour tous les enfants (ils sont
standardisés), on observe l'activité de l'enfant au cours des manipulations, les
modifications suscitées dans ces manipulations et dans les jugements auxquels elles
conduisent, par certains changements introduits dans la tâche proposée. La tâche est
présentée comme un jeu. Le jeu est proposé à des enfants d'âges différents car c'est
la comparaison des observations faites à des âges successifs qui constitue le principe
de la méthode.
Dans le même temps, le psychologue s'adapte aux réactions et verbalisations de
chaque enfant. Le but étant de suivre la démarche de l'enfant, son raisonnement, la
structure de sa logique. Qu'il réussisse ou qu'il échoue, que ses réponses soient
exactes ou non, on demande à l'enfant de justifier ses réponses. Pour l'amener à le
faire, on pourra contester ou critiquer ce qu'il dit, invoquer les avis contraires
prétendument fournis par un camarade… : autrement dit on facilite autant que possible
la verbalisation de la démarche.
Le principe de cette méthode est donc un contrôle assez souple du déroulement de
l'expérience, avec des interventions de l'expérimentateur, le recueil et l'interprétation de tout
ce que fait et dit le sujet. Voir cette vidéo sur la méthode piagétienne :
B.3.3. LA THEORIE DE L'APPRENTISSAGE SOCIAL (COGNITIVO-COMPORTEMENTALE)
Quelques adhérents de la théorie cognitivo-comportementale comme Albert Bandura (1986)
estiment qu'on ne s'est pas assez intéressé au rôle des processus
cognitifs ou symboliques (i.e. la pensée) dans le développement,
le maintien et la modification des comportements. Un des
principaux points de la théorie de Bandura est l'attention qui est
portée sur l'apprentissage par observation et les processus
cognitifs indirects. D'après lui, le comportement se forme non
seulement à travers ce que l'individu apprend directement par
les conditionnements classiques et opérants, mais aussi à travers
l'observation et la représentation symbolique d'autres personnes et
événements.
Bandura a montré que les êtres humains peuvent acquérir de nouveaux comportements sans
renforcement évident et même sans avoir eu l'occasion de l'exercer. Il suffit que la personne
ait observé un autre individu, ou un "modèle" avoir le comportement en question. Plus tard,
surtout si le modèle a été récompensé par sa performance, l'observateur peut aussi avoir cette
même réaction si l'occasion lui est donnée de le faire. Dans une expérience, Bandura, Ross
et Ross (1963) ont fait observer à des jeunes enfants des modèles soit en train d'attaquer
férocement une poupée, soit assis tranquillement à côté d'elle. Après cela, les enfants qui
avaient observé l'agression tendaient à reproduire le comportement du modèle alors que ceux
qui avait vu le modèle passif avait tendance à ne pas être agressifs.
http://www.youtube.com/watch?v=hHHdovKHDNU
D'après Bandura, les effets des processus indirects peuvent être aussi déterminants que les
effets d'un apprentissage direct. Ils peuvent faire apparaître des nouvelles réponses,
l'inhibition ou la désinhibition de réponses déjà apprises (comme quand une personne traverse
au rouge après avoir vu quelqu'un d'autre le faire), et faciliter ou inciter un comportement.5
5 Dans le cas précédemment cité l'adolescent qui a peur des situations sociales, Bandura signalerait qu'il existe au moins deux sources de malaise. L'une est externe et comprend les aspects angoissants des situations sociales elles-mêmes (les autres personnes, les invitations, les rires), alors que la seconde est interne, soit cognitive. Cette seconde source provient des pensées que l'adolescent a à propos des situations sociales (je vais me ridiculiser, je n'arrive pas à me faire des amis) qui servent à maintenir l'évitement. Julian Rotter (1954) pense que les attentes qui influencent le comportement sont acquises au travers de l'apprentissage. Pour avoir une attente de quelque chose, il faut d'abord avoir vécu une expérience directe ou indirecte dans des situations similaires dans le passé.