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Bulletin trimestriel n° 49 / 1995
Histoire et mémoire des crimes et génocides nazis
Congrès InternationalBruxelles, 23-27 novembre 1992
ACTES VI
Paul HALTER : Présentation des Actes VI du colloque.
Josette ZARKA (Université de Paris X) : Comparaison entreles
témoignages recueillis en France et aux Etats-Unis(Commission
«Témoignages et Archives»).
Marek ORSKI ( Historien - Pologne) : Les Récits et les
témoi-gnages comme source d’histoire. L’exemple du camp deStutthof.
Evolution et formes. (Commission «Témoignages etArchives»).
Krystyna OLEKSY (Vice-Directeur du Musée d’Etatd’Auschwitz -
Pologne) : Die tragische Wirklichkeit des zwei-ten Weltkrieges hat
die Humanisten und unter ihnen dieSchriftsteller vor eine neue,
ungewönliche Situation gestellt(Commission «Littérature»).
Albert FAUST (Président FGTB-Bruxelles) : Urgence de laPédagogie
anti-fasciste en milieu syndical (Commission«Pédagogie»).
Hermann LANGBEIN (Comité International des Camps -Autriche) :
Erfahrung der Diskussion als Zeitzeuge in Schulen.(Commission
«Pédagogie»).
Arthur HAULOT (Président de l’Amicale nationale deDachau) :
L’Amicale belge de Dachau : un Bilan d’avenir(Commission «Milieux
et Mémoire»).
André CHARON (Vice-Président de la Fraternelle des Amicalesde
Camps et Prisons nazis - Belgique) : La Fraternelle desCamps : un
trop long silence (Commission «Milieux deMémoire»).
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Jacques DE BRUYN (Président de la Confédération Nationaledes
Prisonniers Politiques et Ayants droit de Belgique) : Lemaintien
d’une mémoire réelle des événements de 39-45 faceà la disparition
des survivants (Commission «Milieux etMémoire»).
Mariana SAUBER (Agrégée de Lettres, Ecole des HautesEtudes en
Sciences Sociales) : Un enjeu de Mémoire dans lacité : les plaques
commémoratives (Commission «Monumentset Commémorations»).
Josette ZARKA (Université de Paris X) : Les effets
déstabili-sateurs des témoignages à la vidéo : leurs aspects
anxiogèneset/ou reconstituants (Commission «Aspects
Psychologiques»).
Sommaire des Actes I, II, III, IV ET V
Supplément au Bulletin n° 49/1995
Editorial du Président
Informations
Services pédagogiques:- Encadrement- Dossier pédagogique-
Conférences pédagogiques- Voyage d’étude- Journées pédagogiques-
Visites à Breendonk- Concours de dissertation- Vidéothèque-
Bibliothèque spécialisée- Conférences pédagogiques- Prix Fondation
Auschwitz- Prix de la Paix
- Edition Vidéo: Les camps de concentration nazis 1933-1945.
Une distinction significative: Entretien avec le Présidentde la
Fondation Auschwitz Paul HALTER.
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Notes de lecture:
Rebekka GÖPFERT, Ich kam allein. Die Rettung von zehn-tausend
jüdischen Kindern nach England 1938/39 (G.Moonens) ; Léon ARDITI,
Vouloir vivre, deux frères àAuschwitz (H. Nejszaten) ; Hermann
GRAML, Widerstandim Dritten Reich. Probleme, Ereignisse, Gestalten
(G. Moonens) ;André LEYSEN, Derrière de miroir, Une jeunesse dans
laguerre (P. Halter) ; Alain ERLANDE-BRANDEBOURG,Brigitte BLANC,
Henry ROUSSO, Chantal DE TOUR-TIER-BONAZZI, La Seconde Guerre
Mondiale. Guide dessources conservées en France 1939-1945 ; Martin
SCHU-MACHER, Die Reichtagsabgeordneten der Weimarer Republikin der
Zeit des National-sozialismus. Politische Verfolgung,Emigration und
Aus-bürgerung 1933-1945 ; Wolfgang BENZet Barbara DISTEL (Ed.),
Erinnern oder Verweigern ;Christoph STUDT, Das Dritte Reich. Ein
Lesebuch zurDeutschen Geschichte ; Ziva AMISHAI-MAISELS,
Depictionand Interpretation, The Influence of the Holocaust on the
VisualArts ; Hans SAFRIAN, Eichmann und seine Gehilfen ;
Jean-Philippe SCHREIBER, Politique et Religion, Le
ConsistoireCentral Israélite de Belgique au 19eme siècle ;
PeterSCHÖTTLER (éd.), Lucie Varga, Les Autorités invisibles.Une
historienne autrichienne aux Annales dans les annéestrente ; Hervé
MAURAN, Les lieux de Mémoire de laRésistance Espagnole.
Dernières acquisitions de la Bibliothèque
In Memoriam
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Présentation des Actes VIdu Congrès de novembre 1992
Après la publication de notre enquête sur le deuil per-pétuel1
et celle des Actes de la Rencontre InternationaleAudio-visuelle de
septembre 1994 à Paris 2, nous voilà ànouveau sur le chantier pour
éditer, après une assez longueinterruption, le VIème volume des
Actes du CongrèsInternational sur l’Histoire et la Mémoire des
crimes etgénocides nazis.
Regrettant le retard que nous avons pris dans ce domai-ne,
plusieurs de nos lecteurs et amis nous ont contactéspour nous
encourager à poursuivre cette publication déjà fortvolumineuse.
Fidèles à notre engagement, nous continue-rons sans relâche cette
réalisation à laquelle nous tenons par-ticulièrement.
Paul Halter
Président de la
Fondation Auschwitz
1 voir A. W. Szafran et Y.Thanassekos, Un deuil
perpétuel,Bulletin trimestriel de la FondationAuschwitz, N° spécial
46, janvier -mars 1995.2 Voir Bulletin trimestriel de laFondation
Auschwitz, N° spécial 47- 48, avril - septembre 1995.
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Comparaison entre lestémoignages recueillis enFrance et aux
Etats-Unis (*)
L’objet de mon exposé comme l’indique le titre est de pro-poser
une comparaison des témoignages de survivants juifsdes camps nazis,
recueillis à la vidéo en France et auxEtats-Unis durant la dernière
décade, selon les mêmesméthodes et dans le même but (être
archivés). J’en ai vision-nés 83 (55 en France et 28 aux
Etats-Unis) cf tableau1.
La disparité de l’échantillon (pays d’origine et résiden-ce
actuelle) est un élément essentiel à la recherche. Eneffet
l’existence de similitudes chez des gens d’origine dif-férente,
mais vivant dans le même pays et de différencesentre des gens de
même origine mais vivant dans des paysdifférents permet de faire
des hypothèses concernantl’influence du contexte (après la guerre)
sur ces témoi-gnages.
Dans cette perspective, donc après des observations et lec-tures
de l’ensemble du corpus, j’en ai retenu 42. J’ai procédéà deux
sortes d’analyse. La 1ère porte sur la structure et ledéroulement
des récits et la seconde relève des études de cas.J’ai donc fait
une analyse exhaustive (structure et contenu)de 23 témoignages de
Juifs d’origine polonaise (12 ayantémigré aux U.S.A. et 11 s’étant
établis en France).
(1)
RÉSIDENCE FRANCE U.S.A.ACTUELLE
Femmes Hommes T Femmes Hommes TPAYS D’ORIGINE * * * * * *France
18 18 36 5 3 8Pologne 7 4 11 6 6 12AllemagneGrèce/Hongrie 5 3 8 4 4
8
30 25 55 15 13 28
Josette ZARKA
Professeur de
Psychologie sociale -
Université Paris X
(France)
1 Je tiens à remercier les Equipes du«Fortunoff Video Archive
forHolocaust Testimonies» del’Université de Yale (Etats-Unis) et
deson Antenne en France «Témoignagepour Mémoire» de m’avoir
autorisé àtravailler sur leurs documents.
(*) Communication prononcée le 25novembre 1992 à la
Commission«Témoignages et Archives»(Président de séance : Mr. J.
Nagels,Prof. U.L.B.)
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A la suite de quoi, j’ai revu l’ensemble du corpus pourrepérer
la présence ou l’absence de certaines thématiques(chance,
incommunicabilité, impuissance) afin d’appro-fondir mes réflexions
sur les points communs et les diffé-rences, et d’étayer mes
interprétations.
Mon postulat était que ces différences relèveraient moinsde
l’expérience concentrationnaire elle-même que de lamanière dont on
la considère à l’heure actuelle (c’est-à-direde la signification
qu’elle a pu prendre après coup). Cetteperception actuelle de son
passé se rétracte sur la manièredont on le relate. C’est pourquoi,
j’ai accordé une telleimportance à l’analyse des processus mis en
oeuvre dans ledéroulement du discours. Ils permettent de comparer
deuxpopulations non comparables sur le plan des contenus.
D’une manière générale, nous n’avons pas noté de dif-férence
quant à la nature des faits. La cruauté des conditionsde vie au
camp apparaît partout avec la même intensité. Ladénonciation de
l’horreur et la fidélité à la mémoire des dis-parus constituent
d’ailleurs les motivations essentielles destémoignages, les
craintes relatives au révisionnisme/néga-tionnisme renforcent ces
motivations.
I. Comparaisons des structures des récits
1. AUX ETATS-UNIS
On constate une certaine homogénéité entre les récits dontle
déroulement fluide présente une certaine continuité. Lenarrateur
très concentré procède par auto-investigation pro-gressive. Il
semble se parler à lui-même davantage qu’il nes’adresse à
l’interviewer ou à la caméra sauf à certainsmoments «forts» ou
quand il répond à des questions.
La Direction de son regard et de ses gestes, le son de savoix et
ses postures sont révélatrices de cette forme d’inté-riorisation
d’un discours qui n’exclut pas, bien au contrai-re, l’émergence
d’affects intenses.
2. EN FRANCE
On constate une hétérogénéité bien plus marquée entreles
récits1. Ces différences les plus notables sont les sui-vantes
:
1 cf ma communication sur les effetsdéstabilisateurs de la vidéo
où jedécris la diversité des structures enFrance.
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A. Les récits plus laborieux et moins fluides ne présen-tent pas
la même continuité ni la même unité queprécédemment.
B. On constate davantage de rupture, de retours enarrières, de
digressions, de généralisations, d’anecdoteset de détails «à côté».
Il y a plus de longueurs et plusd’essoufflements aussi. Certaines
séquences semblentfaire office de «remplissage».
C. On observe des différences beaucoup plus nettes entreles
témoins dans la Maîtrise du langage. L’aisanceou les difficultés
verbales qui reflètent des différencesd’appartenance
socio-culturelle jouent souvent unrôle prédominant dans le
déroulement du récit.
D. Les redondances sont bien plus fréquentes, ce quipeut dénoter
soit une certaine viscosité par rapport àun thème donné (une femme
répète 14 fois son refusd’être Kapo) soit un phénomène de
sidération.
E. Le narrateur s’adresse davantage à l’interviewer et/ouà la
caméra. Mais cela n’exclut pas des moments deforte
concentration.
En résumé le témoignage prend plus souvent une tournurede
dialogue intérieur aux Etats-Unis, alors qu’en France, ildemeure
(sauf à certains moments) très intense, un dia-logue sur soi, avec
quelqu’un d’autre. Aussi les témoinsapparaissent-ils moins
défensifs Outre-Atlantique. Ils nesemblent pas essayer de protéger
une image d’eux-mêmesni de défendre leur identité.
Aux U.S.A. c’est le récit d’un témoin et en France uneinterview
de témoignage.
On ne saurait imputer ces différences à la seule
équationpersonnelle des enquêteurs. Car tant aux Etats-Unis
qu’enFrance, on retrouve les mêmes constantes avec des
inter-viewers différents dans chaque pays.
II. Analyse des deux groupes comparables2
J’ai analysé cas par cas 23 récits de personnes origi-naires de
Pologne. 11 (7 femmes et 4 hommes) vivent enFrance et 12 (6 femmes
et 6 hommes) aux Etats-Unis. Cetravail montre des différences, non
seulement dans la struc-ture des discours, mais aussi dans les
contenus. Certains
2 Il faut entendre cette seconde partie,avec toutes les réserves
qui s’impo-sent étant donné la faiblesse de monéchantillon. De
toute façon du pointde vue des contenus, les différencessont moins
nettes que précédemment.
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thèmes sont soit totalement absents des récits en France,
soittraités avec prudence.
Parallèlement, les affects se manifestent de manière bienplus
diversifiée qu’aux Etats-Unis. Les thèmes «délicats» quidistinguent
les deux populations concernent plus spécifi-quement la vie dans
les ghettos et les relations entre lesdéportés.
1. LA VIE DANS LES GHETTOS
A. LA POLICE JUIVE
Les témoins installés en France ont de grandes réti-cences à
évoquer le rôle de la police juive, à l’exceptiond’une femme qui
dit avoir éprouvé du dégoût à l’égard deces policiers, les autres
se gardent de tout jugement à leurendroit. Certains même nous
avaient prévenus avant l’inter-view qu’ils ne voulaient pas en
parler. Aux Etats-Unis, lestémoins en parlent très librement, les
uns la dénoncent,les autres tentent de l’expliquer ou de l’excuser
et d’autresenfin conviennent que certains de leurs proches ou
eux-mêmes en faisaient partie pour protéger leur famille.
Les témoins aux Etats-Unis semblent plus détachés,mieux
distancés, peut-être, de cette question qui reste assezépineuse en
France.
B. LES RELATIONS FAMILIALES
Une autre question que l’on aborde quelques fois auxU.S.A. mais
jamais en France est celle des relations àl’intérieur de la
maison.
Dans les deux pays, on décrit les conflits qui ne manquentpas de
se produire entre les familles entassées dans deslogements trop
petits pour les contenir toutes.
Les conflits entre ces familles créent des tensions à
l’inté-rieur d’une même famille et entachent un climat déjà
for-tement éprouvé par la promiscuité. A mesure que la famineet la
terreur s’installent, les «petits conflits» interpersonnelsferont
place à une espèce de dilution de l’unité familiale. Cephénomène
apparaît à mots couverts dans certains textesaméricains. Il arrive
que les membres d’une même familledeviennent des étrangers les uns
pour les autres. Quand onne se reconnaît plus soi-même, comment
reconnaître lesautres que l’on découvre sous un autre jour ?
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Quoiqu’il en soit, on ne peut pas isoler les relationsfamiliales
de l’ensemble de la vie dans le ghetto où l’étran-ge devient
familier et le familier étrange. Avec la dispari-tion des rites
religieux la famille perd ses supports les plussolides.
L’intérieur de la maison n’est plus un abri, on cherche àéviter,
à fuir les rues jonchées de cadavres mais le «foyer»(home) a perdu
à son tour sa fonction sécurisante par rap-port au monde
extérieur.
L’absence de cérémonie quand il y a un mort à la maison,dont on
doit abandonner la dépouille à un ramassage impieet/ou
irrespectueux accable tout le monde et accentue l’iso-lement de
chacun. La douleur et le malaise créent la plusgrande confusion
dans les esprits. Les rapports intrafamiliauxdeviennent assez
confus. L’attachement persiste même si l’onn’attend plus rien les
uns des autres. On est terrifié à l’idéeque les siens puissent
disparaître, mais en même temps onse sent parfois moins
proches.
La perte de toute pratique religieuse supprime donc lesoccasions
de rapprochements, et dans certains cas les liensse disloquent
totalement.
Quelqu’un aux U.S.A. raconte comment chez son onclechacun
cachait sa nourriture et cherchait désespérément àdécouvrir la
ration des autres pour s’en emparer. Même side telles cassures sont
exceptionnelles, elles sont citéesaux U.S.A. alors qu’elles
n’apparaissent jamais dans lesrécits français. Une seule fois
quelqu’un mentionne samésentente avec son père mais elle ne
résultait pas de cesconditions de vie infernales.
Quand la détérioration du tissu familial est mentionnéeen
France, elle concerne les familles des autres, pas lasienne.
Cependant l’image du père apparaît dans certainsrécits français
notablement plus altérée que dans les récitsaméricains. Les femmes
surtout en sont encore très troublées.
De toute façon il est plus facile (ou moins conflictuel)
deparler de la douleur et de l’angoisse de voir ses proches
souf-frir que de la fragilisation des liens, surtout quand
l’ensemblede la famille est menacé. Cependant on ose parfois le
faireaux Etats-Unis sans avoir l’impression de détruire
rétros-pectivement une famille à laquelle on demeure très
attaché.
Quoiqu’il en soit face à l’imminence du danger
(rafles,arrestations), les liens les plus relâchés se
resserrent.
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En bref, la perte des pratiques religieuses, la confusiondans
ses attaches, et surtout la terreur et la faim conti-nuelles (on
ferait n’importe quoi pour un bout de pain)donnent à certains
sujets aux U.S.A. l’impression d’êtredevenus de véritables
sauvages.
2. DÉCHÉANCE PERSONNELLE ET RELATIONSAVEC LES AUTRES
DÉPORTÉS
A. LA DÉCHÉANCE PERSONNELLE
Le mot français a un caractère de jugement moral quiapparaît
moins dans les textes américains. En dehors deces aspects
spécifiquement langagiers, la connotation mora-le est bien plus
accentuée en France. Dans les deux pays, onconvient en être arrivé
à «l’état de bête» depuis la clôturedes ghettos.
En France, on attribue sa déchéance à un état
physiquedéplorable, on évoque les humiliations forcées, la
souf-france, et la honte de rester passif et impuissant dans
dessituations atroces.
Aux Etats-Unis, on va beaucoup plus loin dans la des-cription de
ses comportements individuels sans toutefoistomber dans
l’auto-accusation. Une femme par exemplen’hésite pas à dire sans
aucune honte rétrospective qu’elleavait embrassé la main d’un S.S.
Parallèlement à l’expres-sion d’une moindre honte aux Etats-Unis,
on se montreplus sévère à l’égard de l’ensemble des autres
déportés.
B. LES RELATIONS ENTRE DÉPORTÉS
En dehors de certaines relations privilégiées, ces rap-ports
apparaissent dans l’ensemble très durs. Tous lestémoins ont pu
observer des changements considérableschez certains camarades. Des
sujets, auparavant doux etcorrects, se révélaient grossiers,
vulgaires, agressifs etméchants. Les témoins aux U.S.A. insistent
davantage surles aspects négatifs et parfois très menaçants des
autresdéportés.
Au-delà du simple égoïsme, ils dénoncent la cruauté,voire la
sauvagerie de certains déportés devenus aussi dan-gereux que les
Kapos. Une femme par exemple décrit laférocité qui sévissait dans
son wagon où les gens quis’envoyaient des excréments à la figure
l’avaient battue, mor-due et presque étranglée.
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En France, on évoque la terreur et/ou la folie pour
justifiercertains comportements et l’on s’attache davantage à
décri-re des relations positives surtout chez les femmes.
L’entrai-de joue un rôle considérable dans la survie. Les
dangersvenant des autres déportés sont contrebalancés par la
vigi-lance de certains camarades.
Parallèlement à une certaine image de soi, on défendaussi
peut-être dans les récits français une image de ses com-pagnons
(compagnes) comme si les images étaient à leurtour solidaires les
unes des autres, comme si la dégradationdes uns pouvait entacher
l’image des autres.
III. Autre niveau de comparaison
Un 3ème niveau de comparaison de l’ensemble des témoi-gnages
dans les deux pays porte sur le style plus souventexplicatif en
France alors qu’aux U.S.A., les témoins restentpresque tout le
temps sur le registre du «narratif - des-criptif» et sur
l’apparition de certaines thématiques parexemple :
1. Les références à la chance se rencontrent parfois
auxEtats-Unis. Elles apparaissent dans presque tous lestémoignages
réalisés en France : les nombreuses évo-cations de la chance
dénotent que le récit procèdemoins d’un dialogue avec soi-même que
d’un témoi-gnage adressé à un autre à qui il faudrait
presque«justifier» le fait d’avoir survécu.
2. Dans les récits en France, on se réfère davantage
àl’impuissance (surtout les hommes). Cette évocationentrerait dans
le registre «explicatif, justificatif» de sapropre déchéance. Alors
qu’aux Etats-Unis, on évoquesa propre déchéance et celle de ses
proches commeinévitable (impossible de faire/d’être autrement).
3. Quels que furent leurs comportements, les témoinsaux U.S.A.
se définissent comme des victimes nonresponsables bien entendu de
ce qui leur arrivait, ni sur-tout de leur propre réaction. Aussi
leur récit ne s’appa-rente-t-il jamais à une «confession» ; ils
n’avouentpas, ils témoignent. La dimension de «l’inavouable»circule
plus souvent en France. Le caractèreavouable/inavouable porterait
sur la signification aprèscoup de son expérience
concentrationnaire.
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4. L’invraisemblable, l’incroyable, l’inimaginable, tra-versent
tous les récits. Cependant, l’idée d’incommu-nicable fréquente en
France est forcément moinsprésente aux U.S.A. (dialogue avec
soi-même) où lecaractère «indicible» de l’expérience
concentrationnaireapparaît moins souvent.
IV. Commentaires / Interprétation
On pourrait attribuer ces différences :
a) aux conditions d’enregistrementb) aux méthodes (talent) de
l’interviewerc) aux structures linguistiques des deux langues
(fran-
çais et anglais)d) à des composantes culturelles (modes
d’expression
plus affranchis aux U.S.A.).
Ces facteurs jouent sûrement un certain rôle notammentsur des
questions périphériques (celle de la police juivepar exemple) mais
ils ne suffisent pas pour comprendreles différences sur le fond,
c’est-à-dire plus «heurté», sinonplus défensif des récits en
France.
Avant toute interprétation, je crois utile de rappeler les«modes
de recrutement» des témoins dans les deux pays,c’est-à-dire la
prise de contact pour qu’ils apportent leurtémoignage. Aux
Etats-Unis, l’initiative appartient auxtémoins. En France, ils
répondent à notre demande.
Lorsque la démarche vient du sujet lui-même un grandpas a été
franchi par rapport à un passé dont il a moinspeur.
L’ambivalence relative aux témoignages a pratiquementdisparu. En
France, dans la plupart des cas l’ambivalencepersiste. Elle
recouvre la peur de réveiller un passé trop dou-loureux. Je
reparlerai demain de cette ambivalence qui, jele répète, semble
exceptionnelle aux U.S.A. alors qu’enFrance elle est monnaie
courante.
J’en reviens à mon hypothèse majeure sur ces diffé-rences de
fond. Elles ne tiendraient pas à la réalité del’expérience
concentrationnaire mais à ce que j’appelle le«remodelage» de cette
réalité eu égard à l’impact de l’envi-ronnement depuis le retour
des camps.
Ce «remodelage» porterait moins sur une distorsion desfaits ou
une reconstruction «a posteriori» de certains sou-
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venirs que sur l’essence même du phénomène, à savoir
lessentiments de déshumanisation. Il y a une parfaite conver-gence
dans la description de l’horreur et de la cruauté.Cependant même
quand il fait état de ses sentiments dedéshumanisation, le témoin
aux U.S.A. demeure, je le répè-te, dans le registre du «dicible».
Alors qu’en France, il seheurte au noyau dur de «L’indicible»,
inhérent à ce vécuparadoxal de la déshumanisation.
Ils ont tous subi la même entreprise de déshumanisation,mais
elle se traduit dans les récits aux Etats-Unis par la plusprofonde,
la plus cruelle inhumanité, alors qu’en France ondemeure dans
l’ordre du non-humain, dans l’ordre du non-sens, on constate
d’ailleurs des phénomènes de «sidéra-tion» dans certaines
interviews recueillies en France.
Comme si le témoin ne parvenait pas à réaliser ce qui luiétait
arrivé. Il en est encore littéralement stupéfait (au sensfort du
terme) et parfois paralysé.
Je suppose que les témoins résidant en France ont davan-tage
connu la dénégation de leur expérience que ceux quiont émigré aux
Etats-Unis. Cette dénégation aurait eu deseffets pervers en ancrant
dans l’inconscient des victimes enFrance l’idée qu’ils se seraient
laissés déshumaniser, alorsque les survivants émigrés aux U.S.A.
sont restés convain-cus d’avoir été déshumanisés. La perception et
l’utilisa-tion de l’espace entre «être déshumanisé» et «se
laisserdéshumaniser» est au coeur du remodelage.
Dans la mesure où l’on est intimement convaincu d’avoirété
déshumanisé, le paradoxe disparaît de lui-même et l’onpeut
librement et sans aucune censure évoquer jusqu’oùl’humain peut
aller à la fois dans les mauvais traitements etdans
l’«avilissement», on ne «s’est pas avili», on l’a été.Mais si le
moindre doute persiste, l’idée de s’être laissédéshumaniser s’ancre
sournoisement mais solidement.«L’avilissement» devient inavouable
et sa perte d’humani-té indicible.
Je termine sur la dénégation : elle fonctionne commeun «bâillon»
qui fixe et renforce le noyau dur alors quel’indifférence (par
ignorance) de la part du milieu permet dedissiper le paradoxe
inhérent au non-sens de la déshuma-nisation. Aux Etats-Unis, les
survivants auraient pu davan-tage qu’en France se libérer du
fardeau d’avoir effectivementvécu l’impensable.
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Les récits et les témoignagescomme source d’histoire.L’exemple
du camp de Stutthof.Evolution et formes.(*)
Il s’agit de démontrer dans cette étude que dans larecherche
d’histoire des camps de concentration, les sourcesindirectes telles
que récits véridiques, mémoires et rela-tions des témoins ont une
importance à ne pas négligerdans la découverte de la vie et des
activités de ces campsainsi que des crimes qui y ont été
commis.
Au fur et à mesure que la situation militaire del’Allemagne
nazie évoluait, le statut des camps de concen-tration était modifié
sous divers aspects, tendant à une poli-tique d’anéantissement
(camps d’extermination) etparallèlement cherchant à développer une
production mili-taire. En réalisant une revue des événements
survenus aucamp de Stutthof on y retrouve bientôt cette évolution
desstructures et des attitudes de l’administration
hitlérienneenvers ses camps de concentration.
Ce camp de Stutthof dont l’origine remonte aux débutsde la
guerre, n’avait pas, au départ, été reconnu «camp deconcentration
d’Etat» quoique, étant subordonné à l’admi-nistration du Reich,
district Gdansk Prusse Occidentale«Reichsgau Danzig-Westpreussen»,
il ait rempli des fonc-tions similaires à celles que remplissaient
les camps subor-donnés à l’Inspection des Camps de
Concentration«Inspektion der Konzentrationslager».
Il n’y a pas si longtemps encore, le nom du camp deStutthof
n’était connu qu’en Pologne et dans certains paysde l’ancien bloc
de l’Est, presque pas du tout connu dans les
Marek ORSKI
Historien, Conservateur
du Musée de Stutthof.
(Pologne)
(*) Communication prononcée le 26novembre 1992 à la
Commission«Témoignages et Archives»(Président de séance : Mr. R.
VanAerschot - Voorzitter Vrije Universi-teit Brussel).
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pays d’Europe Occidentale, ni aux Etats-Unis, malgré qu’ilne fut
pas moins important que les autres camps de cette par-tie d’Europe.
Ce fait est dû, surtout, à l’ancien blocaged’informations de part
et d’autre, aux relations culturelleset scientifiques très limitées
entre les institutions similairesdes deux parties d’Europe,
réapparues d’une façon extra-ordinaire dans les années
quatre-vingt.
En ce qui concerne le camp de Stutthof et
l’institutionreprésentée par l’auteur de cette étude, ce problème
nous asuivi pratiquement dès les premières années de notre
acti-vité, soit à partir de 1962, lorsque le Musée National
deStutthof a été créé à Sztutowo, à l’initiative des cerclesformés
par les anciens détenus de Stutthof.
L’approbation formelle des postulats de ces cercles atrouvé son
expression dans une décision du Conseil de laProtection des
Monuments de Bataille et de Martyres,concernant la création d’une
unité spéciale pour s’occuperde la recherche et de l’entretien sur
le territoire de l’anciencamp. Le Praesidium du Conseil Populaire
de Voiévodie deGdansk qui administrait à cette époque-là le terrain
del’ancien camp, a décidé de créer le Musée de Stutthof le 12mars
1962.
L’inventaire des archives du camp, réunies avec
beaucoupd’efforts, encore aujourd’hui ne pouvant être
considérécomme terminé, avait créé une nécessité dès le début,
deconfronter les sources d’archives à la documentation four-nie par
les anciens détenus encore pendant leur séjour aucamp aussi bien
qu’après la libération. Ceci constituaittoujours, et même
aujourd’hui, la tâche principale dans lesrecherches effectuées par
notre Musée.
Le nouveau système politique créé après la chute durégime
communiste en Pologne et en d’autres pays, rendpossible
d’entreprendre d’une façon ouverte et sincère,sans être soumis à
des rigueurs quelconques, une rechercheapprofondie dans le domaine
de la vie des détenus parti-culiers, aussi bien que dans l’histoire
du camp lui-même,dans le plein sens de ces termes. Bien sûr, ceci
ne suppri-me pas les résultats des recherches faites auparavant et
quireflétaient plus ou moins le savoir actuel sur l’histoire
ducamp.
Sans doute ces deux problèmes de la recherche : accèslimité aux
archives des pays de l’Ouest, aussi bien que del’Est d’ailleurs, ce
qui n’a pas toujours été un obstacle
18
-
pour des raisons politiques, mais souvent pour la simple rai-son
que les autorités compétentes de l’Ouest avaient fixé desdélais
pour garder les dossiers au secret, et manque denotoriété dans les
relations, ont limité et parfois mêmerendu impossible de continuer
la recherche. Une barrière spé-cifique émanait des archives gardées
en confidentialité surle territoire de la Pologne, telles que par
exemple, lesarchives du Comité Central du Parti Ouvrier Unifié,
cellesde l’Institut d’Histoire Militaire, celles du Ministère
del’Intérieur et autres.
La recherche strictement scientifique sur l’histoire ducamp, n’a
été inaugurée que vers la deuxième moitié desannées soixante. Elle
a commencé par la fondation duMusée de la Martyrologie en 1962 et
ensuite par le lance-ment d’une large demande de sources en Pologne
et àl’étranger. Un lot de documents appartenant auparavant aucamp,
a été remis au Musée. Ce lot comportait, entre autres,un grand
recueil de dossiers personnels des détenus, desregistres, des
livres de décès. Un autre lot de documents dumême groupe, a été
réuni auparavant aux Archives de laCommission Générale des
Investigations des Crimes Nazisen Pologne, où il y a encore
d’autres dossiers concernantStutthof, non compris dans ce groupe.
Ces autres docu-ments ont servi de base aux premières recherches
effectuéespar les gens du Musée aussi bien que par les autres
quiétudiaient les thèmes apparentés.
Pendant de nombreuses années, les questions se rattachantau camp
de Stutthof et à sa genèse, ont été évitées dans lespublications
scientifiques constituant des synthèses d’his-toire des camps
hitlériens de concentration aussi bien quedans des études générales
concernant les temps de la guer-re et de l’occupation en Pologne. A
la base de ces faitsgisait un manque d’accès aux archives de
Stutthof, dû à ladécentralisation des recueils existants et faute
d’un inven-taire, ce qui avait empêché de suivre des recherches
scien-tifiques fondamentales pour l’histoire du camp. Un
autreempêchement important a été causé par le manque d’uncentre de
recherche pouvant coordonner les différents tra-vaux de
recherche.
Les premières publications concernant Stutthof étaientbasées
presque exclusivement sur les relations et dépositionscontenues
dans la documentation sténographiée lors desprocès contre les
criminels de Stutthof. Les relations sur leséjour au camp ont une
valeur très inégale en tant que
19
-
source historique. Leur crédibilité doit être envisagée sousdeux
aspects. D’une part, elles sont chargées d’une sub-jectivité due à
la nature des choses. L’appréciation de leursincérité dépend
beaucoup de facteurs tels que le tempsécoulé, la contenance
thématique, et surtout de l’auteur,de ces relations orales ou
écrites, de son éducation, de saposition sociale et du rôle qu’il a
joué dans les événementsqu’il présente.
En appréciant cette crédibilité des relations, il ne fautpas
mésestimer la forme de leur transmission. Il ne fautpas négliger
non plus, de savoir si les informations concer-nées ont été
auparavant sélectionnées par la personne faisantl’enquête ou bien
si elles constituent seulement le résultat deses propres réflexions
et de l’autocensure. La forme detransmission (une relation, un
souvenir, une enquête, uninterview, un récit, etc…) est pour les
deux cas, fonction dela nature de transmission, de son objectif, du
but auquelles informations recueillies devraient servir.
Autrement dit, la personne qui se prononce au sujet de
sadétention au camp de concentration dans le but de remettreson
texte à un concours ou pour en faire une publication aurades
réflexions différentes de celles d’une personne quirépond aux
questions concrètes qui lui sont posées, auxsujets sans contexte
historique. Il va sans dire que cettedernière forme de relation que
j’appellerai «contrôlée» ou«limitée» constitue un élément
fondamental dans le pro-cessus de recherche.
Cependant, cette forme-là ne donne pas toujours lesrésultats
espérés. Il arrive souvent que pour différentes rai-sons (lacunes
de mémoire, réactions subjectives, pressiondu milieu social,
contexte politique, etc.), l’informationcomplète n’est pas possible
à obtenir. Une forte prédilectiontémoignée par l’enquêteur, ayant
pour but d’obtenir desrenseignements déterminés se rattachant à un
fait concret,peut complètement empêcher une réponse à la
questionainsi posée. Le facteur psychologique joue un rôle
bienimportant et il s’agit souvent de rompre les barrières
psy-chologiques existantes chez l’interlocuteur par rapport
àl’enquêteur aussi bien que par rapport au sujet entamé.
Il est évident qu’on ne pourrait espérer, dans une situa-tion
politique telle qu’elle existait par exemple enRépublique Populaire
de Pologne (RPP), que les anciensdétenus de ce camp de
concentration, et parmi eux desanciens combattants parmi les
organisations conspiratrices
20
-
du groupe de Londres, considérées par le régime commu-niste
comme réactionnaires et antinationales, puissent vou-loir donner
leurs confidences de bon gré. La fin de la guerreet la fin de
l’occupation hitlérienne n’ont pas du tout réso-lu le problème
polonais dont la suite a été reprise parl’occupation soviétique et
par les répressions appliquées parles autorités soviétiques et
polonaises envers le mouve-ment politique clandestin. Ceci
concernant également lesdétenus de Stutthof, constitue à présent un
deuxième élémentessentiel dans notre activité de recherche.
On peut généraliser en disant que le critère d’originedes
personnes séjournant au camp de concentration, lepays de leur
origine et celui de leur domicile, ont beaucoupinfluencé leur
critère d’appréciation du camp qui pour lesuns est devenu le lieu
de leur internement, pour les autres- lieu de détention ou même
d’extermination. Le critèreadopté a joué sur leur façon de voir les
choses et d’appré-cier les événements survenus au camp durant leur
séjour.
Le système politique créé au printemps de 1989 durantles «débats
de la table ronde» en Pologne et les changementspolitiques en
découlant, ont permis de commencer d’unefaçon intégrale et notoire,
sans être limité en quelque sorteque ce soit, une recherche
scientifique découvrant la véri-table histoire de ce camp. Cette
année constitue la datelimite entre les deux périodes bien
différentes l’une del’autre en ce qui concerne l’accès à la
documentationd’archives et la notoriété dans la propagation des
idées.Beaucoup de questions attendent toujours leur procédure
dereconnaissance, une partie des personnes est décédée etune partie
des documents a été détruite par l’appareil de sur-veillance. Les
archives soviétiques sont toujours fermées auxchercheurs, là où se
trouve déposée la documentation des ex-camps de concentration
organisés par l’Allemagne nazie surle territoire de la Pologne.
Une première documentation de l’ancien camp a étéétablie par la
Commission Nationale Extraordinaire convo-quée par le chef de la
48ème Armée du Front Biélorusse quiavait occupé le camp de Stutthof
à partir du 9 mai 1945. Cen’est qu’aujourd’hui que cette question
commence à prendresa vraie version libre des émotions politiques.
Le fait que desdivisions soviétiques ayant rompu la défense
allemande àl’emplacement de la Flèche Littorale de Vistule,
soiententrés à Stutthof, a été considéré jusqu’à la moitié
desannées quatre-vingt comme la «libération du camp», on
21
-
accentuait d’une façon exagérée les faits se rattachant à
lareprise du camp et à la libération des détenus se trouvantalors
sur l’itinéraire de leur évacuation en Poméranie deGdansk. Ce fait
avait sans doute son importance symboliquepour les détenus restant
au camp à ce moment-là et qui nesavaient pas encore que l’Allemagne
avait signé l’acte de sacapitulation inconditionnelle et que la
guerre avait été ter-minée le 7 mai 1945.
En 1966, le Bureau du Procureur Militaire de l’URSS aremis à la
Commission Générale des Investigations desCrimes Nazis en Pologne,
les matériaux issus de l’enquê-te introduite sur des crimes commis
sur le territoire ducamp. En mai et en juin, à la demande de la
CommissionNationale Extraordinaire, des commissions
soviétiquesémanant de la 48ème Armée ont fait une enquête
prélimi-naire concernant Stutthof. Elles ont, entre autres,
effectuél’examen visuel des os trouvés au Nord-Ouest du camp,
deschaussures entassées et un dépôt des produits vénéneux.Elles ont
fait une expertise technique des locaux du camppartiellement
conservés et en même temps, elles ont eu denombreux entretiens avec
des ex-détenus de Stutthof dansle territoire du camp et dans les
hôpitaux militaires de la villed’Elblag où un groupe d’enquêteurs a
été envoyé. Mais cene fut pas des conversations innocentes ou des
interviewscomme il pourrait résulter des contenus des rapports
concer-nés mais c’étaient des interrogatoires dirigés par les
fonc-tionnaires du NKWD (le Commissariat National des
AffairesIntérieures). Aux travaux de plusieurs de ces
commissionsassistait également l’enquêteur supérieur du
contre-espion-nage «Smiersz» (Smierc szpiegom = mort aux
espions)137, Sd le capitaine Ignatow.
Le texte du document fait plus de 200 pages dactylo-graphiées.
C’est un recueil de rapports et d’expertises faitespar les
commissions concernées ainsi qu’une partie desdépositions faites
par d’anciens détenus, des Russes enmajorité, directement après
l’entrée des Russes au camp eten plus il y a des dépositions faites
plus tard, comprises dansle volume de la période antérieure à la
remise de ces docu-ments à la Pologne. Les faits énoncés par le
Bureau duProcureur de l’URSS pendant de nombreuses années, ontservi
de base à la recherche concernant la dernière périoded’existence du
camp. Une partie de ces informations malinterprétées et erronément
classifiées, ont été accessibles aupublic par l’intermédiaire de
différentes publications etlivres. On parle ici surtout du nombre
des groupes existant
22
-
au camp (les captifs de guerre, les ouvriers forcés et àpeine un
petit groupe d’anciens prisonniers de Stutthof). Lesdépositions
d’anciens détenus sont marquées par une géné-ralisation et très peu
d’informations concernant la ségré-gation des détenus, les
structures administratives existantes,etc. Il est indubitable que
la forme des rapports, présentéeà la partie polonaise, a été
soumise à la double censure serattachant aussi bien à leur contenu
qu’au fait même del’enquête introduite parmi les détenus qui dans
leur majo-rité, étaient d’origine soviétique. Les investigations
réaliséesbien après, ont démontré que ce point de vue était
correctet que les rapports faits par le bureau du procureur
russeétaient faux.
Ce n’est qu’en 1983, en complément de ces rapports, quele Musée
Stutthof de Sztutowo a reçu un court film dequelques minutes,
réalisé pendant l’enquête par les ser-vices concernés de la 48ème
Armée. La majorité des bâti-ments du camp, présentés sur ce film,
n’existent déjà plusayant été liquidés en 1945 ; certains ayant été
détruits parles Allemands avant leur départ et avant la prise du
camp parles armées soviétiques.
On ignore à ce jour combien de documents d’archives del’ex-camp
de concentration Stutthof ont été repris par Nkwdet évacués à
Moscou.
Les travaux essentiels pour la préparation des docu-ments et
témoignages au procès contre les criminels deStutthof, ont commencé
vers la fin du mois d’août 1945. Surdemande de l’actuelle
Commission Principale pourl’Investigation des Crimes Allemands
commis en Pologne,le Tribunal de district de Gdansk a fait des
démarchesayant pour but d’assurer et garantir les justificatifs
descrimes, se trouvant sur le terrain du camp.
Dans le rapport d’une des commissions soviétiques ayantpour
tâche de faire l’inspection du camp, c’est-à-dire, dechercher dans
tous ses locaux, des traces d’une activitécriminelle, on trouve une
information au sujet de la décou-verte d’une documentation du camp.
Et notamment, on y lit :«(…). Presque tous les documents auparavant
existant dansdes locaux de service, ont été évacués par les
Allemands etparmi les documents laissés on a pu trouver : 1. un
dossiercontenant les rapports journaliers sur l’état actuel et la
cir-culation des détenus ; 2. une feuille contenant la copied’une
dénonciation adressée au commandant du camp
23
-
Sturmbannfuhrer Hoppe, et 3. plusieurs centaines de
fichesd’enregistrement des détenus»1.
La Commission Principale pour Investigation des Crimescommis par
les Allemands en Pologne a chargé le JugeAntoni Zachariasiewicz
d’engager une enquête concernantle camp de Stutthof. Lors de cette
enquête il a pu rassem-bler quelques dizaines de dépositions
d’anciens détenus etdes membres du personnel SS. La part
prépondérante de sesrésultats, concerne le système d’extermination
réalisé aucamp, la mortalité et la structure d’organisation des
servicesde Stutthof, ce qui était important pour déterminer le
degréde responsabilité des personnes concernées pour les
crimescommis au camp.
Sans parler de ses souvenirs du temps de son séjour aucamp
pendant l’occupation allemande qu’il a ramasséssous une publication
parue après la guerre2 et dont lesextraits ont paru dans la revue
clandestine intitulée «Les ter-rains d’Ouest de la République»3, le
travail du JugeZachariasiewicz mérite une réflexion particulière.
Réuniessous un volume séparé, les dépositions des témoins
descrimes4 font une première étude aussi large et contenant toutela
diversification de la totalité des activités du camp deStutthof.
Certaines relations citées sont uniques, n’exis-tant pas dans
d’autres documentations juridiques. Ainsidonc, les premiers travaux
de recherche ont été basés sur-tout sur le travail du Juge
Zachariasiewicz, devenu uneréférence classique pour les
chercheurs.
Une autre source d’informations sur le camp, égalementbasée
surtout sur le témoignage des participants en tantque témoins du
camp, étaient les procès de Gdansk contreles criminels de Stutthof,
ayant eu lieu dans les années1946-1947. Publiés durant les années
1946-1949 dans lapresse centrale et celle de Gdansk, les rapports
sur les pro-cès concernant les criminels de Stutthof, basés sur les
textessténographiés au cours du procès, orientaient
essentiellementles idées de ses lecteurs sur le caractère du procès
ayant uneportée extraordinaire et pendant lequel les bourreaux
per-sonnels des détenus ont été jugés. Ceci impliquait le choixdes
témoignages à citer, aussi bien de la part des témoins quede celle
des accusés. Il faut souligner que les publicationsde presse
futures ainsi que les éditions, pour peu nom-breuses qu’elles
étaient, copiaient ce modèle sans objections.L’histoire du camp
faisait l’objet d’écritures non seule-ment des anciens détenus,
mais aussi des journalistes pro-
1 Les «Archives du Musée Stutthof»(nommés dans la suite les
«AMS»),Dossier du Bureau du ProcureurMilitaire de l’URSS, sign.
Z-V- 24,p. 22.
2 W. Gajdus, Nr 20998 opowiada (Lematricule 20998 raconte),
Krakow1962 ; H. Malak, Klechy w obozachsmierci (Calotins dans les
campsd’extermination), volumes I-II,Londres 1961.
3 Les fragments des souvenirs de W.Wnuk, Przemianujmy Stutthof
naBoltowo (Nommons-nous autrementStutthof à Boltowo, édités dans
len°4 en 1943, volumes VII-IX), consa-crés à l’abbé de Feliks Bolt
qui estmort à Stutthof le 7 avril 1940 ; idem,Sen wieznia (Le
sommeil du déte-nu, éd. probablement en juillet 1943)et To
tragiczne aj waj (ce tragiqueai wai) ; Commentaires et textes
dessouvenirs dans : B. Chrzanowski, A.Gasiorowski, Stutthof w
swietledokumentow (Stutthof sous un jourde documents), «Stutthof.
ZeszytyMuzeum» (Stutthof - Cahiers deMusée) n°5, 1984, pp. 180-185
; A.Gasiorowski, Pomorze Gdanskie wlatach II wojny swiatowej w
swietlekonspiracyjnego periodyku «ZiemieZachodnie Rzeczypospolitej»
(LaPoméranie de Gdansk au temps dela deuxième guerre mondiale selon
unpériodique de Résistance «Les ter-rains d’Ouest de la
République»),ibidem, n°4, 1981, pp. 81-84 ; B.Chrzanowski,
Organizacja sieci przer-zutow z Polski do Szwecji (L’orga-nisation
du réseau des rejets de laPologne à la Suède), ibidem, n°5,1984 et
AMS, Actes du Ministère del’Intérieur, Londres, sign. Z-V-1.
4 Les archives de la Glowna KomisjaBadania Zbrodni
PrzeciwkoNarodowi Polskiemu (CommissionCentrale pour Investigation
desCrimes contre la Nation Polonaise,nommés dans la suite CCI)
;l’ensemble du Tribunal de district deGdansk, sign. SO Gd., volume
81a.
24
-
fessionnels qui laissaient glisser des informations peu
cré-dibles et non confirmées.
La seule exception a été réalisée par Z. Eukaszewicz en19475 par
son étude assez vaste, conforme aux sources surl’histoire du camp.
La source principale dont il s’est servi,était fournie par le
recueil du Juge A. Zachariasiewicz et lesténogramme du procès de
1946. Vu l’état actuel desarchives du camp de Stutthof, on peut
constater que cetteétude assez généraliste, se rattachait à
l’histoire du camp deStutthof, aux conditions de la vie, à la
mortalité des détenus,aux formes d’extermination directe. Les
problèmes se rat-tachant à l’extermination indirecte, exploitation
des détenusà des fins économiques, étaient moins observées.
D’aprèsles documents actuellement disponibles, il a précisé
d’unefaçon estimative la mortalité globale du camp, y compris
sonévacuation, confirmée ensuite par d’autres chercheurs.
Dans la même période, dans d’autres pays d’Europe etaux
Etats-Unis, le procédé de documenter les crimes s’estdéclenché. Il
a été différent du modèle polonais sous diversaspects. Le seul fait
d’avoir organisé à Gdansk des procèscontre les groupes de personnes
responsables des crimescommis au camp et le fait de sa localisation
dans la VilleLibre de Gdansk, ont décidé du caractère des
dépositions etdes relations réunies. Leur portée a été limitée par
la cen-sure d’Etat qui dictait le choix des sujets contenus dansdes
études concernées. On n’y abordait pas les problèmesde la
responsabilité de l’URSS pour le partage de la Pologneen septembre
de 1939 et l’image véritable du conflit entreles groupes de détenus
soviétiques et les détenus polonais.Les crimes commis par les
Soviétiques contre les détenusdu camp de Stutthof n’ont fait
l’objet d’aucune étude, sansmême entamer ce problème après la
liquidation du camp etplus tard.
Les récits des anciens détenus étrangers se rattachentdans
chaque cas séparé, à différentes périodes de l’histoi-re du camp de
Stutthof, suivant la période passée au campqui variait de plusieurs
mois à deux et trois ans. Le plus sou-vent, ce sont les
publications des détenus de Scandinavie,soviétiques et juifs et
pour l’Europe Occidentale, ceux deFrance et d’Italie. Les premiers
de ces récits ont été faits en1945, d’abord par les détenus
d’origine occidentale(Norvège, Danemark, France, Allemagne). A part
ceuxqui ont été édités, il y a aussi ceux qui font l’objet
desdépositions des détenus d’origine allemande et juive et
5 Z. Lukaszkiewicz, Oboz koncen-tracyjny Stutthof (Camp de
concen-tration Stutthof), «Biuletyn GlownejKomisji Badania
ZbrodniHitlerowskich w Polsce» (Bulletinde la Commission Centrale
pourInvestigations des Crimes Nazis enPologne), Volume 3, Varsovie
1947,pp. 61-90.
25
-
enfin des manuscrits faits sur la base de notes prises enco-re
au camp ou bientôt après la libération.
Tous ces récits édités ou manuscrits ont un trait commun,ils
sont uniformes et véridiques dans leur version sur lavie au camp et
démasquent d’une façon indiscutable les actescriminels contre les
détenus commis par les fonctionnairesde la SS. Ce qui les
différencie, ce sont les événementsdifférents qu’ils décrivent,
leur savoir dépassant parfoisl’ordinaire et puis la forme et la
manière d’envisager l’his-toire de Stutthof, balançant entre une
subjectivité dépasséeet les opinions exagérées dans leur
objectivité.
Il ne sera jamais possible d’apprécier les informations aupoint
de vue de leur pleine sincérité historique, ne disposantpas d’assez
de sources d’archives, ni de celles créées par lesdétenus eux-mêmes
d’une façon indirecte. La valeur deleurs relations reste fonction
de facteurs tels que le type depersonnalité de l’auteur, sa
culture, ses moeurs, la traditionnationale du pays d’origine et
enfin de l’ensemble des cir-constances rencontrées personnellement
au camp. Donc, leuradaptation a été bien différente l’une de
l’autre.Conformément à la politique hitlérienne concernant
lespopulations, les gens d’origine Scandinave, Hollandaise,d’une
partie de la Belgique, du Luxembourg (à l’exclu-sion de la
population juive) ont été considérés en tant quepopulation
germanique, ce qui décidait de la façon dont onles traitait. Les
Juifs et les Gitans se sont trouvés dans lasituation la plus
difficile. Après eux, les Soviétiques et lesautres nations slaves,
que les Nazis avaient prévu d’exter-miner immédiatement ou
échelonnés dans le temps. Cetélément déterminait leur situation au
camp et dans la suite,indiquait leur manière de concevoir les
choses et leur appré-ciation des événements survenus à Stutthof
pendant leurdétention.
En principe, leurs souvenirs ont été décrits dans leursrécits,
non sur commande mais par le simple besoin des’exprimer en prêchant
la vérité au nom des victimes.
Cet élément a été souvent souligné dans les écrits
publiéspendant les premières années d’après guerre, soit 1945-1947,
période antérieure au règlement définitif des comptesavec les
Allemands nazis et le début de la «guerre froide»dans les relations
entre les pays à régimes opposés. Ceci aété très bien exprimé par
les deux Français anciens détenus,employés à partir de la
mi-septembre 1944, en tant qu’infir-miers à l’hôpital de camp, les
dénommés Alphonse Kienzler
26
-
et Paul Weil : «Nous avons été des témoins ; revenus, nousavons
le devoir de témoigner. Ce n’est pas sans dégoût ni las-situde que
nous rapportons tous ces assassinats mais nousvoulions recréer
l’atmosphère du camp. Il fallait que cela fûtécrit. Nous avons
apporté ce document afin qu’on n’oubliepas. Ceux qui sont revenus
doivent ces témoignages à lamémoire de ceux qui sont restés»6.
Les détenus de nationalité juive qui ont laissé à Stutthoftoute
leur famille, avaient vécu l’enfer des chambres à gazet des
crématoires, déjà avant d’arriver au Stutthof, ils ontfait d’une
façon réaliste et dépourvue d’émotions une ana-lyse très
approfondie de la cruauté des Nazis envers lesJuifs.
Un dénommé Josef Katz, Juif allemand de Lubeck, dansses mémoires
écrites aux Etats-Unis en 1946 et publiées en1973, a motivé son
retour au passé de la façon suivante :«Pour moi et pour mes amis
qui ont vécu le même passé, lescicatrices hitlériennes
persisteront. Je ne peux pas oublieret je ne le veux pas. Pour moi,
le passé est toujours présentcar la tension et l’incertitude
continuent»7.
Les récits et les relations des anciens détenus de natio-nalité
juive, édités en Allemagne, en France, aux Etats-Unis, en URSS
aussi bien que ceux recueillis par lesinstitutions juives
concernées, montrent le camp, vu à tra-vers le prisme d’expériences
personnelles des détenus juifs.
Ces auteurs juifs étaient originaires de pays tels
quel’Allemagne, l’Autriche, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie,la
France. Les Allemands les traitaient tous de la mêmefaçon. Avant
d’arriver à Stutthof, ils furent arrêtés et dépor-tés dans
différents lieux isolés tels que des ghettos, prisons,camps de
concentration en Lituanie, Lettonie, Estonie et àAuschwitz.
Partout, leur vie fut menacée par les fonction-naires SS et les
détenus fonctionnaires de camp. Fauted’assistance médicale, la
famine, les mauvaises conditionsde vie, la mauvaise résistance aux
changements de climat,causée par l’épuisement total et le manque de
vêtementsd’hiver, tout cela contribuait, beaucoup plus souvent chez
lesJuifs par rapport aux autres nationalités, à les rendre
malades.
Ce sont les problèmes majeurs contenus dans toutes lesrelations
juives, lesquelles sont marquées par une subjectivitétrès poussée
dans leurs appréciations aussi bien que parun manque d’objectivité
par rapport aux événements dépas-sant leur savoir accessible au
camp.
6 A. Kienzler, P. Weil, A. Stutthof.Document sur le service
Sanitaired’un camp d’extermination. Del’Université aux camps de
concen-tration. Témoignages strasbourgeois,éd. II, Paris, 1954, p.
340.
7 J. Katz, One who came back. Thediary of a Jewish Survivor,
NewYork, 1973, p. 24.
27
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Ayant déjà vécu dans des camps et prisons aussi durs queceux de
Lituanie, de Lettonie, d’Estonie, celui de Stutthofleur paraissait
être le plus dur de tous. Car depuis l’été1944 jusqu’à l’automne de
cette année, ce camp a pris lesfonctions d’extermination de la
population juive évacuée desrépubliques baltes et d’Auschwitz. Les
conditions d’exis-tence créées ici pour les Juifs arrivant dans ce
camp, au pointde vue nourriture, conditions sanitaires, hébergement
- ontété incomparablement inférieures à celles créées au camparyen.
L’horreur se réalisait par des sélections souventeffectuées dans
tous les blocs, qui avaient pour but d’assas-siner des détenus
faibles et défaillants. Bien qu’un soit-disant hôpital fût organisé
dans le bloc 18 et puis 30, destinéaux Juifs, qui en réalité était
pour eux une dernière étape aucamp, nommé par les détenus
«l’exterminateur» (Stinksaal),l’assistance médicale n’existait
pratiquement pas. J. Katz,avant de quitter Stutthof au bout d’une
dizaine de jours(pour aller dans une de ses filiales) avait marqué
sur ses notes: «Chacun de nous n’avait qu’un seul désir : quitter
cetenfer pour n’importe où, pas ici». En tant que témoins
ocu-laires des crimes allemands commis au camp et aussi en tantque
victimes, dans leurs relations, ils mentionnent lesenvois arrivant
au camp pour être gazés, les bourreaux SS,la brutalité envers les
Juifs de la part des fonctionnaires -détenus polonais, ce qui est
fort accentué par les auteurs deces témoignages ; ils racontent la
famine et le travail qui apermis à certains d’améliorer leur vie au
camp et de survivrejusqu’à l’évacuation8.
La famine et l’impossibilité de se trouver un travail endehors
du camp, faute d’un support de la part de ses proches,famille et
amis, tout ça très souvent cassait leur moral.Seulement une forte
volonté de vivre et un fort espoir de sur-vivre, les ont encouragé
à se battre. Les cas de cannibalismesont confirmés, de même que le
délire, l’apathie des Juifsdésespérés qui se laissaient mourir.
Lorsqu’ils écrivent deStutthof, ils utilisent le plus souvent des
expressions tellesque : enfer, cauchemar, horreur.
L’image de la mort les accompagnait pendant toute leurdétention
au camp. Une Juive hongroise, Lajosne Fleicheravait déterminé la
situation des Juifs comme processusmortel réparti dans le temps.
«Oh, combien de fois étions-nous en train de mourir durant cette
période d’un an etdemi. Combien de fois avions-nous vécu la terreur
de lamort ?»9.
8 Ibidem ; M. Rolnikajte, Ja dolznarasskazat (Je dois raconter),
Moskva1965 ; M. Kaufmann, DieVernichtung der Juden
Lettlands,München 1947 ; J. Unger, Le sanget l’or. Souvenirs de
camps alle-mands, Paris 1946 ; AMS, Relationset Mémoires, Volumes
VII, VIII, X etXIII.
9 L. Fleicher, Fodoboz Grodno (Lafiliale Grodno). AMS, Relations
etMémoires, Volume XI, p. 33.
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La libération, la liberté étaient des notions complète-ment
détachées de leur réalité. Il n’y avait que leur lutte detous les
jours pour la survie, la lutte contre la maladie,contre la famine -
ennemis les plus féroces. Ce motif estsaillant lorsqu’on lit les
mémoires d’une Juive lituanienne,Marie Rolnikajte, éditées en 1965
à Moscou sur la base denotes faites au camp dans son petit journal
: «Commentrésister à une maladie ? Où trouver assez de forces pour
nepas manger de la soupe, notre seule et unique nourriture ?Comment
apprendre à ne rien manger, même à ne pasmettre à la bouche une
neige salie ? Mais est-ce que tout çapeut aider ?».
Au second plan restaient normalement les questionsconcernant le
camp lui-même, sa structure, son équipe-ment, sa localisation, les
événements changeant le cours dela vie au camp mais qui ne
concernaient pas les détenusdirectement. Une exception est faite
par les témoignages deceux qui travaillaient aux commandos
extérieurs ou auxsous-camps mais jusqu’à la limite des faits liés
directe-ment avec eux (conditions, travail, évacuation).
Ellescontiennent en outre beaucoup d’erreurs par rapport auxdates,
noms, et certains événements.
Au cours de nombreuses années, les problèmes du campde Stutthof
n’ont pas trouvé leur place dans les étudesscientifiques se
rattachant aux camps de concentration. Etce n’est qu’en 1960 que la
recherche strictement scientifiquea été engagée en tant que
recherche historique dans ledomaine de la Deuxième Guerre
mondiale.
L’initiateur principal de cette recherche a été le Musée
deStutthof créé en 1962 et qui a pris le rôle d’un centre
decoordination de la recherche et de l’organisation de
ladocumentation. Sa première tâche a été celle de fairel’inventaire
des archives éparpillées partout en Pologne.Comme je viens de le
mentionner plus haut, cet inventairen’est pas encore terminé et à
ce jour nous ne pouvons passavoir combien d’archives restent
réunies en URSS et dansles pays occidentaux. Les archives
actuellement existantessont très diversifiées. Certaines ont été
créées en dehors ducamp, dans des institutions liées indirectement
avec l’admi-nistration du camp de Stutthof, comme par exemple
lesentreprises de SS et des sociétés juives privées ayant orga-nisé
leurs filiales aux alentours du camp. Un grand ensembled’archives
est constitué par la documentation de l’évacua-
29
-
tion des détenus en Allemagne, créé par les
institutionsanglaises, américaines et suédoises.
A présent, le Musée de Stutthof est en possession
d’unedocumentation complète d’un ensemble conservé
deKonzentrationslager Stutthof (récemment encore la plusgrande
partie, sauf le fichier personnel de détenus, se trou-vait aux
Archives de la Commission Principale pourInvestigation des Crimes
Nazis en Pologne). D’autres docu-ments n’appartenant pas à cet
ensemble, sont conservéssous forme de photocopies ou microfilms.
Tous les dossiersdu procès du Tribunal de District de Gdansk et
d’autresencore, ont été déposés à Varsovie.
Une partie séparée des structures d’organisation desarchives du
Musée de Stutthof est celle de témoignages etrécits d’anciens
détenus (aussi bien qu’une partie des copiesde sténogrammes des
procès, lesquels ne sont pas gardés àVarsovie) aussi bien des
Polonais que des étrangers (copiesdes dépositions au tribunal,
réunies par d’autres archivesétrangères). Les archives du Musée
contiennent à présent les30 volumes de 9.000 pages et 4 volumes
contenant desrapports d’enquête (copies) puisés aux archives de
laCommission Régionale pour Investigation des Crimes Nazisde
Gdansk. La forme et la portée de ces documents chan-geaient en
fonction du caractère des travaux d’étude. Unepartie de ces
témoignages (récits) a été écrite d’une façonautonome, sans
intervention de la part de tiers, sur com-mande du Musée ou bien
dans le cadre des concours spé-cialement organisés ou d’enquêtes.
Une autre partiecomprend les témoignages recueillis par les
employés denotre Musée dans le cadre de leur travail de
recherche.
Au début - jusqu’à la fin des années soixante -, larecherche
scientifique concernant l’histoire du camp s’esttrouvée dans une
impasse en se basant presque exclusive-ment sur des témoignages
d’anciens détenus, avec un petitbrin de documents d’archives. En
1966 paraît une publicationconstituant la première tentative de
traiter le camp du pointde vue scientifique. L’auteur de cette
monographie -Krzysztof Dunin-Wasowicz10, - ancien détenu à partir
du 24mai 1944 a tiré beaucoup de conclusions de son expérien-ce
personnelle. Il a travaillé au camp dans plusieurs bureaux,entre
autres au bureau de rapports «Rapportabteilung»,d’où son étude a
puisé beaucoup de matériaux de recon-naissance. Malgré cela, elle
contenait beaucoup d’erreurs etd’inexactitudes, et notamment là où
il parlait des faits anté-
10 K. Dunin-Wasowicz, ObozKoncentracyjny Stutthof (Camp
deconcentration Stutthof), Gdynia 1966,éd. II, Gdansk 1970.
30
-
rieurs à son arrivée au camp. La première partie de sontravail
basée surtout sur les souvenirs et témoignagesrecueillis
personnellement par lui ou puisés dans les archivesétrangères,
évoque des doutes. Certaines constatations pré-sentées d’une façon
autoritaire, ont évoqué beaucoup decontroverses, en ce qui
concernait par exemple la doublenumérotation introduite à Stutthof,
la structure d’organisationdu camp, sa genèse, et l’attribution du
statut du camp deconcentration d’Etat. Les recherches futures
détaillées,effectuées en Pologne et à l’étranger, prouveront que
ces avisétaient erronés. La deuxième version de cette
parution,quatre ans après, n’a pas beaucoup changé, malgré la
réac-tion négative de la part du milieu scientifique et d’un
grou-pe d’anciens détenus de Stutthof.
Malgré les défauts de cette première étude monogra-phique,
celle-ci a servi de base, pendant une période assezlongue, à la
recherche approfondie et globale de l’histoiredu camp. Beaucoup de
problèmes restaient non résolus vuque les archives avaient de
grosses lacunes de documenta-tion et vu que souvent, il a été
difficile d’avoir des témoi-gnages et des récits. Pour préparer une
monographie sur lecamp de concentration de Stutthof, il a été
nécessaire de faired’abord plusieurs études détaillées sur les
sujets déterminésfondamentaux. Telle était la genèse du camp, sa
structureorganisée dans différentes étapes de son fonctionnement,
sesservices et leur personnel, détenus et leurs
nationalités,questions se rattachant à une exploitation économique
desdétenus au camp central et dans ses filiales, formes et por-tée
de l’extermination, évacuation. Mais avant de procéderà ces sujets,
il a fallu faire une recherche approfondie dessources.
Le rôle et l’importance des sources indirectes dans
lareconstitution de l’histoire du camp, bien qu’une
périodesignificative se soit écoulée depuis la fin de la guerre,
ontété très bien appréciées par les chercheurs de cette époque.Il
s’agit ici surtout de ces questions qui ne peuvent pasêtre résolues
par les documents originaires, comme parexemple, les formes de
l’autodéfense des détenus, le carac-tère de la surveillance au camp
par les organisations dedétenus, les conditions de vie et de
travail, les formesd’extermination, le déroulement de l’évacuation,
etc. Lesarchives conservées ne permettent pas de reconstruire la
tota-lité de l’histoire du camp, faute de documentation com-plète.
Le plus difficile est de concevoir la première périoded’existence
du camp, à compter de sa création le 1er sep-
31
-
tembre 1939 jusqu’au 7 janvier 1942 (c’est-à-dire, jusqu’àla
date où le camp a été inclus dans la centrale des campsde
concentration d’Hitler).
Les années soixante-dix et les années quatre-vingts peu-vent
être considérées comme des années de réussite en cequi concerne la
fécondité des mémoires et des récits de lapart des anciens détenus.
Les événements politiques survenusen Pologne durant les années
1980-1981 et leurs consé-quences ont eu ici une certaine influence.
Durant cespériodes ont paru deux autres monographies sur
Stutthofcouronnant les efforts de beaucoup d’années de la part
deschercheurs de l’histoire du camp. Cependant, ces travaux
nepeuvent pas être estimés comme des succès inébranlablesqui
puissent clôturer cette étape de recherches.
Durant les années 1969-1970 sur les cinq numéros de larevue
«Communiqués du Musée de Stutthof», on a publiéplusieurs brefs
articles sur les sources existantes et surl’état des recherches
concernant l’histoire du camp deStutthof ainsi que les problèmes
choisis de cette histoire.«Stutthof. Cahiers de Musée» édités à
compter de 1976 etdont le dixième numéro en tant que dernier, a
paru cetteannée, font une continuation de «Communiqués» tout
ens’orientant plus à leur caractère scientifique
(EditionsOssolineum). Parallèlement à la publication des
articlesconcernant l’histoire du camp, les «Cahiers» ont
entreprisla tâche de présenter aussi des études traitant des
sources etpubliant les documents se rattachant aux différents
momentsde l’histoire du camp.
En 1979, cette édition a publié une nouvelle étude surl’histoire
du camp de Stutthof, faite par le directeur duMusée, Miroslaw
Glinsky11, y ayant été en place de nom-breuses années. L’objectif
de cette étude a été de reconstruirela structure organisée de
Stutthof pour la période du 1er sep-tembre 1939 au mois de mai de
1945. Jusqu’à l’heureactuelle, cette question a abouti à une «carte
blanche». Lapartie principale de cette étude traite de la période
la pluslongue et la plus importante dans l’histoire du camp
com-mençant en janvier 1942 et se terminant en janvier
1945,c’est-à-dire, la période pendant laquelle il a été attribué
àStutthof le statut de camp de concentration d’Etat, ce qui
amodifié sa structure.
L’auteur de cette étude, M. Glinski, démontre que lagenèse du
camp est strictement liée à la préparation del’Allemagne nazie à
une guerre avec la Pologne et à l’exter-
11 M. Glinzky, Organizacja obozukoncentracyjnego Stutthof
(1Wrzesnia 1939 - 9 maja 1945) :(L’organisation du camp de
concen-tration de Stutthof - 1 septembre 1939- 9 mai 1945),
«Stutthof. Cahiers deMusée», n°3, 1979.
32
-
mination de la population civile demeurant dans la VilleLibre de
Gdansk et à la Poméranie de Gdansk. Il présented’une façon
détaillée le rôle de la division «SS-Wachtsturmbann Eimann»
responsable des crimes com-mis au début de la guerre sur le
territoire de la Poméranie.Cette question, de même que la première
période d’activi-té du camp (questions concernant le statut du
camp), ont ététrès peu connues jusqu’à présent et ont fait naître
pas malde controverses du côté de différents chercheurs. Ce
pro-blème a été traité encore avant par K. Dunin-Wasowicz etaussi
par le chercheur français Josef Billig12 dans son étudeau sujet de
l’exploitation de la force ouvrière de détenus dansl’économie de
guerre du IIIème Reich.
Le problème de la structure du camp et celui de sesliens avec la
centrale SS de Berlin ont provoqué jusqu’à pré-sent beaucoup de
réticences. Le travail de Glinski a remplicette lacune en
permettant ainsi de continuer une recherchedétaillée à ce sujet.
Cependant, de nombreux problèmesprésentés ici d’une façon
superficielle demandaient à êtreréétudiés et approfondis. Une
source d’information trèsvalable est donnée par les survivants du
camp dont lestémoignages ont beaucoup renforcé les travaux,
réalisant unemonographie complète du camp. Ils ont beaucoup aidé à
trai-ter les thèmes n’ayant pas leur écho aux archives, tels quepar
exemple, les formes et la portée de l’extermination.Les années
quatre-vingts ont apporté un nombre excep-tionnel de témoignages
sous forme de témoignages directsou de récits publiés par d’anciens
détenus, en Pologneaussi bien qu’à l’étranger, ainsi que beaucoup
d’étudesscientifiques de recherche, parues en général à
l’initiativedu Musée de Stutthof.
En 1983, il a été remis à l’Edition Interpress de Varsovieun
travail collectif constituant une monographie du camp,effectué par
les travailleurs du Musée de Stutthof. Cettemonographie a été le
résultat de longues années derecherches à partir de la source de
l’histoire du camp, pre-nant en considération tous les aspects de
la création, del’activité et des principes de fonctionnement du
camp deStutthof. Malheureusement, un long procédé d’édition qui,en
ce cas, a duré cinq ans, n’a pas favorisé ce travail. De nou-velles
recherches et constatations se rattachant aux thèmesqui n’avaient
pas été suivis d’analyses très approfondiespourraient rajouter
beaucoup de découvertes bien pré-cieuses.
12 J. Billig, Les camps de concentra-tion dans l’économie du
Reich hit-lérien, Paris, 1973.
33
-
Pendant cette période, plusieurs sessions scientifiques ontété
organisées. Pendant ces sessions, on a présenté lesrésultats des
recherches qui n’étaient repris que partiellementdans l’étude
publiée par Interpress. En 1985 a eu lieu àGdansk une conférence au
sujet de la dernière étape d’exis-tence du camp de Stutthof, à
partir du moment où son éva-cuation avait commencé, le 25 janvier,
jusqu’au 9 mai194513. En 1987, lors de la session scientifique
tenue àMalbork, il a été présenté une communication sur
l’étatactuel des recherches concernant l’histoire de la Poméraniede
Gdansk du temps de l’occupation allemande14.
Il a été publié au «Stutthof. Cahiers du Musée» auxnuméros 7 et
10, les documents de sources sur les détenusexécutés au camp de
Stutthof et sur ceux qui s’étaient éva-dés du camp15. Ces documents
englobent tout ce qui exis-tait aux archives et d’autre part, tout
ce qui existait en tantque témoignages d’anciens détenus. Ces
derniers confirmentles faits connus par les documents, même s’ils
ne connais-saient pas les noms des victimes, ne se souvenaient
pastrès exactement des dates, des nationalités, ni du nombre
depersonnes exécutées. Une étude globale des sources, initiéepar le
Musée de Stutthof vers la moitié des années quatre-vingts, a mis en
valeur ces témoignages en tant que sourcehistorique inappréciable,
confirmant ou rectifiant les faitsconstatés par d’autres
moyens.
Il y a encore beaucoup de problèmes possibles à étu-dier. Et il
faudrait faire cette étude sans plus attendre vu quel’écart de
temps augmentant, réduit les possibilités d’avoirdes relations de
la part des témoins oculaires. Parmi ces pro-blèmes à étudier, il y
a surtout l’appréciation de la morta-lité au camp et les trajets de
l’évacuation des détenus, lastructure et l’organisation du camp,
histoire de ses filialesl’hôpital du camp et son activité, la
structure sociale, lecalendrier d’événements et autres.
En même temps que l’informatisation de toutes lesarchives y
compris la seule possibilité d’en faire un inven-taire, il faudrait
créer un catalogue englobant tous les récitsmanuscrits ou publiés
sous toutes les formes, mémoiresou autres formes de relations
faites par les anciens détenus.Ceci nécessite du temps et des
moyens importants dont leMusée ne dispose pas. Il serait donc
souhaitable de fonderun établissement coordonnant les travaux en
question touten encourageant la recherche scientifique et les
études surbase des moyens recueillis.
13 Dernière étape de l’histoire du KLStutthof et sa libération -
25 janvier -9 mai 1945, Gdansk, 1985.
14 L’état des recherches sur l’histoirede la Poméranie de Gdansk
au tempsde l’occupation. Demandes derecherches, Gdansk, 1987.
15 M. Jezierska, Straceni w obozieStutthof (Exécutés au camp
deStutthof), «Stutthof. Cahiers dumusée» n°7, 1987 ; idem ;
Ucieczkiz obozu koncentracyjnego Stutthof(Evasions du camp de
concentrationde Stutthof), ibidem, n°10, 1992.
34
-
En 1989 le Musée de Stutthof de même que d’autresunités
semblables, ont engagé des recherches concernant lesrépressions
pratiquées par l’armée soviétique entrant enPoméranie de Gdansk,
par rapport aux activistes clandestinspolonais, leurs internements
et déportations aux goulags loindans la Russie. Deux ans après,
suite à l’initiative duDirectoire de l’Association
Kaszubsko-Pomorskie ainsique de la Commission Régionale pour
Investigation desCrimes contre la Nation Polonaise à Gdansk (c’est
le nomde cette organisation, actuel depuis 1989. L’ancien nom
:Commission Générale et Régionale pour Investigation desCrimes
Nazis), une conférence à ce sujet a été organisée16.Parmi les
différents propos se rattachant au sort des Polonaisvictimes de
l’agression de l’URSS contre la Pologne le 17septembre 1939 ainsi
qu’aux déportations dans les campsdes membres de la Résistance ; il
en a été également ques-tion, sous forme d’un communiqué spécial
portant sur unextrait de l’histoire de Stutthof17.
En tant que césure initiale, j’avais opté pour le momentde
rencontre des troupes militaires soviétiques avec lesgroupes de
détenus sur le territoire du camp de Stutthof etd’Elblag à partir
du 9 mai 1945 ainsi que dans les localitésde Poméranie de Gdansk où
en mars 1945 les détenus ontété libérés des mains des Allemands. La
notion de «répres-sions» doit être traité dans son sens le plus
large, englobantd’une part les moyens juridiques de pénaliser les
actes par-tialement trouvés par l’URSS comme criminels, et
d’autrepart, tous les autres moyens revanchards (ayant un
caractèremoral ou politique, annexion de biens, contrainte par
corps,abus vis-à-vis des personnes arrêtés) ne résultant pas
direc-tement des accords respectifs polono-soviétiques ou bien
desdispositions concernant les zones d’occupation sur les-quelles
stationnaient les troupes militaires.
Contrairement aux questions de représailles par rapportaux
activistes de la Résistance, pour lesquels la documen-tation a été
conservée d’une façon plus ou moins accessible,les questions
concernant les anciens détenus de Stutthofn’ont trouvé que
partiellement et c’est en partie minime, leurinscription aux
archives. Jusqu’à l’année 1989, cette ques-tion ne pouvait
aucunement être traitée dans le cadre d’uneétude sur la
reconstruction du camp de concentration deStutthof. Pratiquement
aucune investigation n’y a été orien-tée, au moins officiellement
et en plus, on exagérait à expo-ser le moment de l’entrée des
Russes à Stutthof le 9 mai1945, en lui donnant un symbole de
noblesse de libéra-
16 Les Polonais de la Poméranie deGdansk en URSS, internés,
prison-niers de guerre, détenus des camps detravaux forcés ainsi
que leur sort dansla période 1939-1956. L’état desrecherches et
demandes derecherches, Gdansk, 1991.
17 M.Orski, Les répressions prisespar les autorités soviétiques
par rap-port aux détenus du camp de concen-tration de Stutthof au
moment de laprise de la Poméranie de Gdansk parl’Armée Rouge au
mois de mars de1945. Dans : Dossier d’une session du17 septembre
1991, Gdansk, 1991.
35
-
tion des détenus arrachés de l’esclavage allemand et celuide la
fin de l’occupation.
Toutes les autres informations se rattachant aux anciensdétenus
et concernant la période d’après l’entrée de l’arméesoviétique, ont
été recouverts de silence par peur devant lesconséquences d’une
révélation des faits démontrant le rôlejoué par les services NKWD
sur le territoire du camp ainsique par les détenus polonais de
Stutthof dans les premiersjours de la libération.
Outre les brèves notices sur la situation post-guerre desanciens
détenus du camp, trouvées dans les mass mediasofficiels ainsi que
dans la «deuxième circulation d’infor-mation», ce n’est qu’en 1989
que le nouveau système poli-tique créé au cours de débats «de la
table ronde» a permisd’engager d’une façon flagrante et non limitée
par quoique ce soit, des recherches et investigations concernant
lesanciens détenus pendant leur vie après la fin de la guerre.Un
lot de documents concernant les détenus de nationalitéjuive, ont
été remis au Musée de Stutthof au début desannées soixante par
l’Institut de l’Histoire Récente (YadVashem) de Jérusalem18. Aux
Etats-Unis on a égalementnoté plusieurs mémoires des anciens
détenus de nationali-tés juive et lituanienne touchant aussi à la
question du nou-veau système politique créé sur le territoire de la
Pologneoccupé par l’armée soviétique19.
Vers la moitié de 1989, l’atelier d’étude de l’anciencamp de
concentration de Stutthof a fait les premièresinterviews avec les
anciens détenus du camp en question deleur déportation de Pologne
vers l’URSS. Une des plusintéressantes a été la relation durant
deux heures déposée parle déjà décédé, Marian Pawlaczyk, originaire
de Gdynia, pré-sentant un groupe de détenus polonais restés au camp
cen-tral jusqu’au 9 mai 194520. Cette relation constitue toujoursla
seule description complète de la déportation dans lesgoulags
soviétiques, de la détention des anciens détenus deStutthof et
enfin de leur rapatriement en Pologne aux années1954-195621.
Dans les publications datant de ces dernières années,ces
questions ont trouvé une importance plutôt marginale,ce qui
résultait non seulement du fait que la documentationavait manqué
mais aussi parce que les groupes déportésne comptaient pas beaucoup
de détenus22.
18 AMS, Relations et Mémoires,Volumes VII et VIII.
19 J. Katz, op. cit., S. Yla, A Priest inStutthof. Human
experiences in theWorld of Subhuman, New York1971; voir aussi
quelques autres sou-venirs édités aux Etats-Unis, entreautres, A.
Gervydas, Uz spygliu etuvielu, Chicago, 1950 ; B.S Sruoga,Dievu
Miskas, Chicago 1957.
20 Enregistrement aux AMS.
21 On a rassemblé pareillement lesdéclarations et courts récits
du côtédes personnes suivantes : L.Zdrojewski, F. Szwaba, J.
Kroplewski,P. Drzewiecki, K. Dymczyk, J.Bedzinski, A. Arendt, L.
Ryger, J.Kroplewski, I. Nowak, M. Borowski.
22 W. Jastrzebski, W dalekim, obcymkraju. Deportacje Polakow z
Pomorzado ZSRR w 1945 r. (Dans le payslointain et étranger,
Déportations desPolonais de la Poméranie en 1945),Bydgoszcz
1990.
36
-
Le fait de la déportation a été soumis aux
conséquencesjuridiques et politiques résultant des accords signés
par leprésident du PKWN (comité polonais de libération natio-nale),
Edward Osobka-Morawski et par le CommissairePopulaire aux Affaires
Extérieures, Wiaczeslaw Molotow,conclus le 26 juillet 1944 entre le
PKWN et le Généralissimesoviétique. L’article 7 de ces accords
stipulait que les infrac-tions commises par la population civile
sur le territoirepolonais, contre l’armée soviétique, dans la zone
d’opéra-tions de guerre, étaient soumises à la jurisprudence
deStaline en tant que généralissime23.
En vertu de ces accords, les activistes polonais civils
etmilitaires étaient arrêtés et transportés aux goulags enURSS. En
complément des accords il y a eu l’ordre duGénéralissime des armées
soviétiques du 9 août 1944 où onparle des trophées appartenant en
tant que réparations deguerre, la part soviétique, telles que :
armes, moyens detransport, matériel d’intendance, carburants, et
autres maté-riaux servant aux opérations guerrières, convenus avec
la partpolonaise. Les réquisitions réalisées ou plutôt de
simplespillages des biens n’avaient jamais été concertés avec
lesautorités polonaises concernées, lesquelles n’ont eu aucu-ne
possibilité d’intervenir auprès de telles décisions. Lestroupes
militaires soviétiques, lorsqu’elles rentraient surun territoire
purement polonais, le traitait en tant que ter-ritoire allemand, ce
qui les autorisait, d’après eux, à faire desdémarches pareilles. Il
n’existait pas une convention polo-no-soviétique déterminant la
ligne séparant les territoires desdeux Etats24.
Les premières arrestations des Polonais, anciens détenusde
Stutthof, ont commencé au bout de plusieurs jours déjàà compter du
moment où les troupes soviétiques sont entréesdans des localités
dans lesquelles les colonnes entières dedétenus avaient été
évacuées par les Allemands ; d’autresarrestations se sont
effectuées aux domiciles des détenus. Lesdétenus libérés recevaient
d’abord une assistance médica-le et alimentaire et passaient
ensuite aux fonctionnairesdu NKWD pour les «interviews et
conversations» - de jolismots donnés par les services soviétiques
de sécurité, àleurs interrogatoires au camp de concentration de
Stutthof.Les premières questions étaient posées sur place ou
bienaprès lorsque le détenu avait déjà été emmené au bureau duNKWD.
Les détenus soupçonnés d’avoir participé à laRésistance, surtout
dans l’AK (Armée Nationale) ou TOW«Gryf Pomorski», dans les Szare
Szeregi (les Lignes Grises
23M. Turlejska, Te pokolenia zalo-bami czarne… Skazani na smierc
iich sedziowie (Ces générations à deuilnoir… Condamnés à mort et
leursjuges), Varsovie, 1990 : un texted’accord d’après l’ouvrage ;
Teheran-Jalta-Poczdam. Dokumenty konfe-rencji rzadow trzech
wielkichmocarstw, Varsovie, 1970, pp. 82 s.
24 W. Jastrzebski, op. cit., p. 50.
37
-
- scouts) ou bien les anciens fonctionnaires de camp,
étaientemprisonnés à Grudziadz et ensuite, au bout d’une
séried’interrogations, transportés au camp collectif Dzialdowopour
être finalement déportés aux camps de Sibérie.
D’après Leszek Zdrojewski, ancien détenu à Stutthof, 200à 300
personnes ont été interviewées à Stutthof et à Elblag,par les
agents du NKWD. Ces arrestations n’avaient pas uncaractère
accidentel car les fonctionnaires des servicesconcernés disposaient
déjà des listes antérieurement pré-parées sur la base des
informations fournies par les détenusrusses. L. Zdrojewski a été
témoin oculaire à Puck où il avu le secrétaire de «revir», Marian
Sukowski originaire deBordnica, être fusillé devant les autres,
ayant été dénoncépar l’un des détenus russes. Il y eut beaucoup de
cas pareilsmais qui ne se sont pas toujours terminés d’une façon
aussitragique25.
De nombreuses arrestations et des interrogatoires effec-tués sur
les anciens détenus de Stutthof qui ne disposaientd’aucun document
personnel ou, le cas échéant, des docu-ments allemands, sont
racontés par Bronislaw Nietyksza quià Wejherowo, avait fondé le
Comité National polonaisayant comme objectif de défendre les
détenus de Stutthof.Grâce à son assistance et à ses démarches
devant les auto-rités du NKDW, il a réussi à sauver 250 personnes
arrêtéespar les Russes à leur entrée dans la ville, suspectes
d’être desanciens soldats de Wlasow26 déguisés.
Au camp de travail de Roza, situé à 25 km deCzelabink (URSS),
dans un envoi de détenus venant dela Poméranie de Gdansk au
printemps de 1945, s’esttrouvé Teofil Knut qui dans son récit sur
ce camp, aconfirmé le fait de détention dans ce camp des
anciensdétenus de Stutthof27.
Un autre ancien détenu de Stutthof, Jan Krol né le 15juin 1909 à
Korczykowo district de Kartuzy, a été arrêtépar la police allemande
de sécurité le 29 décembre 1944.Dans le camp, il lui a été attribué
la catégorie de détenuen prévention, étant soupçonné d’avoir aidé
les partisansde Tow «Gryf Pomorski». Sur les registres du camp il
aété enregistré en tant que Johann Kroll immatriculé104748. Au mois
de mars de 1945, il a été arrêté par leNKWD et ensuite transporté à
Grudziadz où est il estdécédé28.
25 Selon l’information donnée parLeszek Zdrojewksi -
MarianSukowski, né le 9 avril 1903 àMonkowarsk, depuis le 27
septembre1944 à Stutthof ; AMS, Einlief-erungsbuch, sign.
I-IIE-15.
26 B. Nietyksza, Nadzieje. Zluczenia.Rzeczywistosc. Wspomnienia
z lat1912-1945 (Espérances. Illusions.Réalité. Souvenirs des années
1912-1945), volume 1, Varsovie 1985, pp.390 s.
27 K. Ciechanowski, Poslowie ; DrogiPolakow z Pomorza do
radzieckichobozow w l. 1939-1945 w ; S. Janke,E. Szczesiak, Kolec
syberyjskie rozy(Préface. Chemins des Polonais dela Poméranie de
Gdansk aux campssoviétiques dans la période 1939-1945, dans :
L’épine de la rose sibé-rienne) ; le dossier personnel, AMS,sign.
I-III-686 ; arrêté par le NKWD,pris aux transports dirigés aux
campsen URSS.
28 D’après la correspondance de F.Krol ( frère de Jan), du 25
mars 1991au musée Stutthof et celle du 3 février1991 à la CCI.
38
-
Au moment de la prise de Stutthof par l’Armée Rouge,au camp, se
trouvaient encore environ 100 détenus nonévacués. Une partie de ce
groupe faisait une équipe spéciale,ayant pour tâche de protéger le
camp, désignée par le com-mandant p.o., Haupttsturmfuehrer-SS Paul
Ehle. Tous, ilsétaient restés au Vieux Camp.
Le groupe assurait, entre autres, la surveillance desfemmes du
Vieux Camp, Kazimiera Jackowska ; les déte-nus polonais du bloc No
5 du Nouveau camp, MarianPawlaczyk, Jan et Czeslaw Bedzinski,
Bernard Opiekunsiet Henryk Smierzchalski. Chacun d’eux avait essayé
deparvenir à Gdansk par la seule voie possible, à pieds, qui
pas-sait par Elblag29.
Tous les cinq sont parvenus à Elblag au bout de deux joursde
marche. Ils se sont présentés au bureau polonais d’héber-gement.
Ici, sans aucune explication, ils ont été dirigésvers un point
russe de mobilisation. Avant d’y parvenir,ils furent arrêtés par
une patrouille de NKWD assistée parun détenu de Stutthof qu’ils
connaissaient et qui réglât decette façon ses comptes privés avec
les frères Bedzinski. AElblag, ils furent volés de tous leurs
documents et objets per-sonnels. Les interrogatoires se
multiplièrent et ils furentaccusés d’avoir collaboré avec les
Allemands au camp audétriment des autres détenus. Comme argumen