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Bernard Le Calloc'h
Alexandre Csoma de Krs, le bodhisattva hongroisIn: Revue de
l'histoire des religions, tome 204 n4, 1987. pp. 353-388.
AbstractAlexander Csoma de Krs, the Hungarian Bodhisattva
The Hungarian traveller Alexander Csoma de Krs (1784-1842) is
the founder of tibetology. He is the author of the firstdictionary
and the first grammar of the classical Tibetan language, and of
many other works on Tibetan culture. When he left hishomeland for
the East, his intention was to trace the mysterious origin of this
people in high Asia, but he could not reach his initialaim, so that
he remained in the Himalaya and became the first specialist of
Tibetan buddhist civilisation. Man of high virtue and ofexceptional
determination, he has been proclaimed a bodhisattva on the 22nd of
February 1933 at the Japanese university ofTaish, Tokyo, in
recognition for the fundamental part he played in the discovery of
Tibetan buddhism. He is the only Europeanwho may be regarded as a
buddhist saint .
RsumAuteur du premier dictionnaire et de la premire grammaire de
la langue tibtaine classique, ainsi que de nombreux autrestravaux
sur le Tibet, le voyageur hongrois Alexandre Csoma de Krs
(1784-1842) est le fondateur de la tibtologie. Parti en Asieavec
l'intention d'y rechercher le berceau suppos de son peuple, il fut
dtourn par une srie d'vnements de son but initial etamen
s'intresser longuement au monde himalayen, dont il fut le seul
spcialiste jusqu' sa mort. C'est en hommage au rlepionnier qu'il
joua dans la dcouverte de la civilisation bouddhique du Tibet, aux
vertus dont il fit preuve toute sa vie, ainsi qu'son indomptable
courage, qu'il a t solennellement proclam bodhisattva le 22 fvrier
1933 l'Universit Taish de Tokyo.Csoma de Krs se trouve ainsi le
seul Blanc qui ait jamais t honor d'un titre aussi prestigieux,
comparable ce que lasaintet est dans la tradition chrtienne.
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Le Calloc'h Bernard. Alexandre Csoma de Krs, le bodhisattva
hongrois. In: Revue de l'histoire des religions, tome 204 n4,1987.
pp. 353-388.
doi : 10.3406/rhr.1987.2166
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1987_num_204_4_2166
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BERNARD LE CALLOC'H
ALEXANDRE CSOMA DE KROS LE BODHISATTVA HONGROIS
Auteur du premier dictionnaire et de la premire grammaire de la
langue tibtaine classique, ainsi que de nombreux autres travaux sur
le Tibet, le voyageur hongrois Alexandre Csoma de Krs (1784-1842)
est le fondateur de la tibiologie.
Parti en Asie avec intention d'y rechercher le berceau suppos de
son peuple, il fut dtourn par une srie d'vnements de son but
initial et amen s'intresser longuement au monde himalayen, dont il
fut le seul spcialiste jusqu' sa mort.
C'est en hommage au rle pionnier qu'il joua dans la dcouverte de
la civilisation bouddhique du Tibet, aux vertus dont il fit preuve
toute sa vie, ainsi qu' son indomptable courage, qu'il a t
solennellement proclam bodhisattva le 22 fvrier 1933 l'Universit
Taish de Tokyo.
Csoma de Krs se trouve ainsi le seul Blanc qui ail jamais t
honor d'un titre aussi prestigieux, comparable ce que la saintet
est dans la tradition chrtienne.
Alexander Csoma de Krs, the Hungarian Bodhisattva
The Hungarian traveller Alexander Csoma de Krs (1784- 1842) is
the founder of libeiology. He is the author of the first dictionary
and the first grammar of the classical Tibetan language, and of
many other works on Tibetan culture.
When he left his homeland for the East, his intention was to
trace the mysterious origin of this people in high Asia, but he
could not reach his initial aim, so that he remained in the
Himalaya and became the first specialist of Tibetan buddhisi
civilisation.
Man of high virtue and of exceptional determination, he has been
proclaimed a bodhisallva on the 22nd of February 1933 at the
Japanese university of Taisho, Tokyo, in recognition for the
fundamental part he played in the discovery of Tibetan buddhism. He
is the only European who may be regarded as a buddhisi saint .
Revue de l'Histoire des Religions, cciv-4/1987, p. 353 388
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Le 18 septembre 1983, Budapest est le thtre d'un vnement peu
banal. Dans le jardin d'une villa appartenant la mission
bouddhique, sise dans le XVe arrondissement de la capitale
hongroise, en prsence des vingt ecclsiastiques formant le sagha et
de nombreux fidles, est inaugur un mhod- rtan (chrten), monument
commmoratif tibtain issu du stoupa indien.
Prside par le fondateur de la mission, le vnrable Lama
Dharmakrti Padmavajra1, la crmonie est dirige par son
1. Lama Dharmakrti Padmavajra, de son nom d'tat civil Ernest ()
Hetnyi, est n Budapest le 13 fvrier 1912. Docteur en droit, il est
devenu bouddhiste l'ge de 24 ans, en 1936, la suite d'un voyage en
Italie, o il rencontra le clbre moine kargyudpa d'origine allemande
Anangavajra Khamsum Wangchuk, plus connu en Europe sous le nom
qu'il avait reu lorsqu'il s'tait converti au bouddhisme du petit
vhicule : Anagarika Govinda (17 mai 1898- 14 janvier 1985). C'est
pourquoi il choisit d'tre ordonn dans l'ordre Arya Maitreya
Mandala, que ce dernier avait cr, ordre qui se rattache la secte
des Droukpa, elle-mme dpendante de celle des Kargyudpa. Tout
naturellement, la mission bouddhique de Hongrie en est une branche
et relve donc du bouddhisme de rite tibtain non rform (bonnet
rouge).
Cette mission fut cre en 1962, dans les difficiles conditions
qu'on imagine, aprs que M. Hetnyi eut pu mettre profit les
dispositions constitutionnelles nonant la libert des cultes et des
croyances religieuses. L'article 54, alina premier, de la
Constitution du 20 aot 1949, amende en 1957, prcise en effet que la
Rpublique populaire hongroise garantit la libert de conscience de
tous les citoyens et la libert des cultes . Malgr une certaine
hostilit des milieux officiels, tonns d'une telle audace, et une
mfiance plus certaine encore du fait de la nouveaut de son
initiative, il est parvenu tablir une petite Eglise bouddhique en
recrutant des adeptes parmi les jeunes qui pratiquent le yoga.
Cette Eglise fut la seule officiellement reconnue dans un pays de
l'Europe orientale jusqu' la cration en Pologne de Ecole zen Kuan
Um , en 1981.
La mission bouddhique hongroise jouit prsent d'une bonne
tolrance. Elle peut diter ses propres ouvrages de documentation
religieuse. Elle entretient de bons rapports avec les autorits et
le monde universitaire.
En fvrier 1986, Lama Dharmakrti Padmavajra est all reprsenter la
Hongrie au congrs bouddhique international de Vientiane en la
compagnie de l'orientaliste Gza Bethlenfalvy, secrtaire gnral de la
Socit Csoma de .
Sa femme, Mme Eva Ferenczi, docteur de l'universit de Budapest,
est la secrtaire de la mission. Elle enseigne aussi la langue
tibtaine dans le cadre de l'Institut de bouddhologie Csoma de
Krs.
Une premire et trs petite communaut bouddhique hongroise avait t
cre dans les annes 1930 par le Dr Gyrgy Kovcs, bibliothcaire du
Muse des arts asiatiques Franois Hopp de Budapest. Elle tait de
rite theravda (petit vhicule). Le Dr Kovcs est mort le 31 mai
1985.
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Alexandre Csoma de Krs 355
adjoint, le vnrable Lama Dharmaratna2, l'initiative de qui est
due l'rection de ce monument, premier de son genre tre construit en
Europe orientale3.
La pose de la premire pierre a eu lieu le 22 fvrier prcdent, et
nous verrons que cette date n'a pas t choisie au hasard. A cette
occasion, conformment la tradition tibtaine, un rituel de
propitiation a t adress la divinit chthonienne, dessine
symboliquement sur le sol avec des poudres colores, avant d'tre
crmoniellement ouvert la pioche. Puis des reliques ont t enfouies
l'endroit prcis o doit se trouver le cur du chrten. Celles-ci ont
consist en une, statuette indienne reprsentant Shakyamouni, en un
peu de terre rapporte de Sarnath, la ville situe 10 km au nord de
Bnars qui est le lieu mme o le Bouddha pronona son premier sermon
sur les quatre nobles vrits et o, selon l'expression consacre, il
mit en branle la roue de la loi , ainsi qu'en une poigne de terre
prise dans le jardin de ce qui fut jadis la maison natale
d'Alexandre Csoma de Krs. Considre comme sacre, ou plus exactement
comme sacralise, celle-ci a t ramene du village de Krs, dont il
porta
2. Lama Dharmaratna, de son nom d'tat civil Gza Rcs, avait
vocation succder un jour M. Hetnyi, dont il tait l'adjoint depuis
la cration de la mission. Docteur en droit, il tait lui aussi
disciple d'Anagarika Govinda et avait suivi un chemin parallle
celui de son matre et ami. C'tait plus prcisment lui qui tait charg
des offices et du culte. Il est mort en dcembre 1983. Ses cendres
ont t dposes dans le chOrten de Budapest le 21 janvier 1984. Ses
fonctions sont prsent assumes par le Dr Joseph Horvth, par ailleurs
responsable des publications de la mission.
3. Si le chrten de Budapest est le premier exister en Europe
orientale, on notera qu'il en existe quatre en France. Le premier
en date fut difi au monastre du Mandar'Om, prs de Castellane, dans
les Alpes-de-Haute-Provence, en 1975. Le second est celui du
monastre de Kagyu Ling, prs de Toulon-sur- Arroux, en
Sane-et-Loire, consacr en mai 1980. Le troisime a t inaugur en
avril 1983 au monastre de Nyima Dzong, dans les gorges du Verdon ;
il relve de l'ordre ancien des Nyingmapa. Enfin, un quatrime
chOrten a t consacr en juin 1986 au centre d'enseignement
bouddhique et de retraite de Karma Migyur Ling, Montchardon, dans
l'Isre.
Un cinquime monument de ce type est actuellement en construction
au monastre kargyudpa de Karma Ling, en Savoie. Haut de treize
mtres, il abritera un grand moulin prires m par l'eau.
La mission bouddhique hongroise a entrepris, par ailleurs, de
construire un second chrten Szilvsvrad, dans le massif du Btikk, au
nord d'Eger, o elle dispose d'un petit centre de retraite.
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356 Bernard Le Calloc'h
le nom et o il vit le jour la fin du mois de mars 1784, deux
cents ans plus tt4. Ce village, situ dans le comitat de Hrom- szk,
en Transylvanie, s'appelle d'ailleurs maintenant en son honneur
Csomakrs afin de perptuer tout jamais la mmoire et la gloire de son
illustre fils5.
Le chrten lui est, en effet, ddi et porte en hongrois le nom de
Csoma bodhiszattva buddhista emlkmu. , c'est-- dire monument
bouddhique commmorant le bodhisattva Csoma 6. Il est dit en tibtain
Phyi-gli gi grwa-pa'i mhod- rtan , ou stoupa du disciple venu de
l'Occident .
Par ses dimensions, comme par son style et sa silhouette, il
s'inspire directement des modles en usage au Tibet, sauf peut-tre
en ceci que, pour des raisons d'conomie, il. a t bti avec des
briques dont le dessin demeure apparent sous la couche d'enduit la
chaux.
4. La date de naissance d'Alexandre Csoma de Krs n'est pas
connue avec certitude. On sait seulement qu'il a t baptis le 4
avril 1784. Encore cette dernire date fait-elle l'objet de
controverses entre spcialistes. Certains historiens pensent qu'il
serait plutt n en 1787, du fait de l'ge qui est indiqu sur le
laissez-passer frontalier dont il se servit pour quitter la
Transylvanie. D'autres croient pouvoir tablir qu'il ne naquit qu'en
1789 et que ses parents ne firent pas enregistrer sa naissance afin
qu'ii chappt l'obligation du service militaire perptuel, alors en
usage chez les Sicules.
Il est de fait qu'il n'a jamais indiqu son ge, pas mme lorsque
les autorits anglaises de l'Inde lui demandrent de rdiger un
curriculum viae dtaill, en janvier 1825. C'est ce qui explique que,
sa mort, le secrtaire de la Socit asiatique du Bengale, Henry
Torrens, ait fait inscrire sur sa tombe, au cimetire anglais de
Dardjiling, qu'il n'avait que 44 ans, alors qu'il en avait 58, 56,
ou 53, selon les hypothses retenues..
5. Le comitat de Hromszk est le plus oriental des comitats de
l'ancienne principaut de Transylvanie. Celle-ci tant devenue
roumaine au trait de Trianon en 1919, Hromszk porte gnralement sur
les cartes son appellation roumaine de Trei Scaune. Il n'existe
plus sous ce nom aujourd'hui, les divisions administratives
transylvaines ayant fait l'objet de nouveaux dcoupages.
Le village de Csomakrs est appel Chiurus. en roumain. Il se
situe au Sud de Kovszna (Covasna), dans les Carpathes.
6. Le mot bodhisattva est un terme sanscrit. Il dsigne un tre
(sattva) qui se destine l'veil ou illumination (bodhi), mais qui ne
l'a pas encore atteint, autrement dit un tre qui est en mesure de
devenir un bouddha. Selon la tradition propre au Grand vhicule ou
Mahyana, dont le vhicule tibtain est un dveloppement particulier,
un tel tre veill ou illumin peut, par compassion envers autrui,
renoncer la batitude du nirvana, qui est la cessation de la douleur
inhrente au fait d'exister, et accepter de retourner dans le cycle
indfini des vies et des morts, seule fin d'aider ses semblables
atteindre leur tour la bouddhit.. Le concept de bodhisattva,
expression la plus acheve de la compassion et de la bienfaisance, a
pris une extension particulire dans les formes tibtaine et
japonaise du bouddhisme.
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Alexandre Csoma de K rs 357
Conformment aux canons de l'architecture religieuse tibtaine, ce
rceptacle de la loi (c'est le sens du mot chrten) est conu selon la
structure symbolique cinq tages correspondant aux cinq
dhiani-bouddhas, ou bouddhas de mditation, aux cinq lments, et aux
cinq chakras. Au-dessus d'une base cubique et massive, s'lve un
empilement de cinq plateformes quadrangulaires, sur lequel repose
un bulbe o s'insre le reliquaire. Le tout se prolonge par une
pointe douze anneaux de plus en plus petits que couronne
traditionnellement l'alliance du soleil et de la lune, reprsente
par un disque et un croissant. Au total, ce monument fait plus de
quatre mtres de haut.
Il concrtise la volont des bouddhistes hongrois, qui l'poque
sont environ six cents7, de rendre hommage solennellement celui de
leurs compatriotes qui a jadis ouvert l'Occident europen, par ses
recherches et ses travaux, la connaissance du bouddhisme de la voie
adamantine tel qu'il existe dans les rgions himalayennes8.
Il complte la cration, ct de la mission proprement religieuse,
d'un Institut Csoma de Kros (Krsi Csoma Intzet), spcialis en
bouddhologie, dont font partie plusieurs orientalistes clbres, tant
hongrois qu'trangers. Cet institut n'est pas rserv uniquement aux
bouddhistes ou ceux qui souhaitent le devenir. Quoique de taille
restreinte, c'est un vritable tablissement d'enseignement, reconnu
par les autorits de la Rpublique populaire, qui participe aux
activits universitaires. Ses membres donnent des cours et des
confrences qui portent notamment sur l'histoire du bouddhisme
depuis les origines, sur celle du bouddhisme du Nord en
particulier, mais aussi sur les arts, la littrature,
l'organisation
7. S'il faut en croire l'article paru dans le journal Htfi Hirek
(Nouvelles du lundi) du 23 aot 1982, qui titrait : Ici, ils sont
six cents suivre le Mahayana.
8. La voie bouddhique tibtaine est dite Vajrayana, c'est--dire
voie (ou vhicule) de diamant, le mot vajra pouvant se comprendre
aussi dans le sens de foudre. C'est pourquoi certains auteurs
prfrent parler de voie de foudre- diamant .
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358 Bernard Le Calloc'h
sociale et ecclsiale, la symbolique, le yoga, le zen, la
cosmobiologie et la langue tibtaine classique, bref sur les aspects
les plus divers de la civilisation traditionnelle du Tibet.
Enfin, sur le plan strictement spirituel, le chrten de Budapest
est la conscration d'un fait unique, sans prcdent et sans exemple :
la proclamation d'Alexandre Csoma de Krs comme bodhisattva par les
bouddhistes japonais en 1933.
Le 22 fvrier 1933 l'Universit Taish
A partir de la publication de ses ouvrages fondamentaux,
c'est--dire de son dictionnaire et de sa grammaire de la langue
tibtaine classique, dits Calcutta en janvier 1834 par la Socit
asiatique du Bengale, sous les auspices de la Compagnie britannique
des Indes orientales, Alexandre Csoma de Krs a connu une certaine
notorit dans les milieux orientalistes. Non sans raison, ses pairs
ont vu en lui un pionnier d'autant plus mritant qu'il n'avait pas t
prpar sa tche, qu'il dt tout improviser, et qu'il l'accomplit au
milieu de difficults inoues, dans un dnuement accablant..
De leur ct, ses compatriotes, fiers de la part capitale qu'il
prit dans la dcouverte scientifique du monde himalayen, n'ont pas
manqu de lui tmoigner de nombreuses reprises leur reconnaissance et
leur estime, au point qu'il est devenu assez vite dans leur esprit
une manire de hros national.
Rien pourtant ne laissait prvoir qu'un jour la gloire posthume
du savant voyageur irait jusqu' ce qu'on peut appeler, faute d'un
meilleur mot, la canonisation . Modeste, eiac, taciturne, peu sr de
lui, fuyant la compagnie des hommes et refusant leurs honneurs
qu'il jugeait factices et futiles, ce protestant austre qui ne se
complaisait que dans le labeur, n'avait rien fait pour s'attirer la
faveur de ses semblables, faveur que de son vivant il aurait, du
reste, rejete avec la dernire nergie. C'est nanmoins ce qui, la
surprise des contemporains, est finalement arriv. Quatre-vingt-onze
ans
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Alexandre Csoma de Krs 359
aprs sa mort, survenue Dardjiling le 11 avril 1842, il est
devenu en quelque sorte un saint bouddhique.
Cela s'est pass le 22 fvrier 1933, et l'on comprend prsent
pourquoi la mission hongroise de Budapest tint ce que la pose de la
premire pierre du chrten se ft le 22 fvrier 1983, juste cinquante
ans plus tard. Il s'agissait d'un jubil.
Ce jour-l, en effet, trois heures de l'aprs-midi, au cours d'une
fastueuse crmonie dans le temple de l'Universit Taish, en prsence
de reprsentants du gouvernement et d'une foule value plus de cinq
cents personnes, compose de savants, de diplomates et de
personnalits du tout-Tokyo, il a t officiellement proclam
bodhisattva par les autorits bouddhiques du Japon. Sa statue,
cadeau de la Socit des Orientalistes hongrois au Muse imprial
japonais, due au ciseau du sculpteur Gza Csorba9 et qui le
reprsente en posture de samdhi, a t remise par le dlgu hongrois
Flix Valyi l'archiabb Fukuda, recteur de l'Universit, qui clbrait
l'office10.
Prenant le premier la parole, Flix Vlyi11, qui s'exprimait
9. Gza Csorba (1892-1974) est aussi l'auteur d'une autre statue
de Csoma de Krs. Elle s'intitule Le plerin (A vndor) et le
reprsente en pied, vtu d'une longue robe troite, coiff d'un bonnet,
le bton la main, marchant grandes enjambes vers quelque mystrieuse
destination. Cette statue se trouve depuis 1965 dans le jardin du
Muse chinois de Budapest.
10. L'archiabb Hossu Fukuda fut dans la priode d'entre les deux
guerres mondiales l'une des personnalits les plus marquantes du
bouddhisme japonais en gnral, et particulirement de la secte
Tendai. En tant que recteur de l'Universit Taish, il exera une
grande influence sur plusieurs gnrations de ses compatriotes.
11. Flix Vlyi, docteur en droit de l'Universit de Budapest,
commena sa carrire vers 1900 comme avocat au barreau de sa ville
natale. Mais il ne poursuivit pas longtemps dans cette premire
voie. Trs intress par les questions de politique trangre, cet homme
de forte culture franaise et anglaise dcida en 1913 de crer Paris
une revue diplomatique ouverte aux reprsentants de toutes les
tendances politiques et nationales de l'poque, dans la conviction
que, de cette confrontation permanente des ides, pouvait sortir une
nouvelle forme d'humanisme et de comprhension mutuelle. Ce fut la
Revue politique internationale, dont il confia le secrtariat de
rdaction un jeune homme destin un avenir brillant, Andr
Franois-Poncet. Le premier numro en parut en janvier 1914.
Malheureusement, la dclaration de guerre, du fait de sa nationalit
austro-hongroise, il dut quitter la France. Install Lausanne, il
russit continuer faire paratre sa revue jusqu'en mars 1920,
appelant vainement les peuples et les gouvernements de l'Europe se
retrouver et se rconcilier.
C'tait un spcialiste du monde islamique et de la Turquie, au
sujet de laquelle il a crit plusieurs ouvrages. On le retrouve
prcisment en 1925,
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360 Bernard Le Catloc'h
en anglais et que traduisait mesure le Pr Tsunoda, retraa la vie
aventureuse, mais difiante, de son grand compatriote, vie faite de
plus de souffrances que de joies, vie de sacrifices consentis
dlibrment la science. Il dit combien l'honneur insigne fait
Alexandre Csoma de Krs tait ressenti par le peuple hongrois tout
entier comme un hommage l'un des plus illustres, et aussi des plus
mritants de ses fils. Il exprima le souhait que cette crmonie de
conscration servt la cause du rapprochement entre les peuples et
contribut renforcer le sentiment de la fraternit universelle. Puis
il remit solennellement la statue aux mains du vnrable Fukuda, qui
alla la placer sur l'autel du Bouddha, violemment claire par une
profusion de bougies.
Alors commena une courte crmonie, d'une dizaine de minutes,
accomplie selon le rite propre l'cole semi-sot- rique du Tendai12,
rite ponctu de gestes des mains (mudr) valeur mystique et
symbolique. Prononant avec lenteur et gravit les paroles
sacramentelles d'usage en pareille circonstance, puis procdant la
fumigation de la statue, toujours selon les gestes symboliques de
la liturgie du Tendai, le prtre proclama que le savant hongrois
honor en cette occasion devait tre dsormais reconnu comme
bodhisattva et qualifi de Csoma bosatsu , l'gal de ceux que dj les
bouddhistes honorent de cette appellation sublime. Puis, se
tournant vers l'assistance, il l'invita et par-del celle-ci
l'ensemble des
publiant Londres un livre sur Les rvolutions spirituelles et
politiques dans l'Islam, puis en 1927 Genve, o il entreprend
d'diter une nouvelle revue diplomatique The Review of nations,
qu'il dfinit comme devant tre l'organe du pan-humanisme et de la
libert spirituelle . Mais c'est un chec. La revue est arrte aprs
son cinquime numro.
Disposant d'une fortune personnelle confortable et de nombreuses
amitis dans les milieux les plus divers, il consacra beaucoup de
son temps des voyages lointains. C'est au cours d'un de ses voyages
qui l'avait amen au Japon qu'il prit part la crmonie du 22 fvrier
1933.
12. L'cole du Tendai doit son nom au monastre chinois de T'ien
T'ai, o Dengy Daishi, son fondateur, tudia les critures sacres du
bouddhisme dans les premires annes du ixe sicle. C'est une secte
qui fait appel au sens de la discipline et qui manifeste une
tendance assez marque l'sotrieme, mais un moindre degr qu'une autre
secte cre la mme anne, celle du Shingon.
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Alexandre C sma de Krs 361
bouddhistes du monde entier prononcer avec un infini respect le
nom du premier tibtologue qui avait jadis ouvert l'Europe la voie
de la Connaissance.
Lorsque la partie proprement religieuse de l'office eut t
acheve, plusieurs orateurs montrent la tribune, notamment le clbre
sanscritiste Junjir Takakusu, dont le nom est familier aux
indianistes en gnral, et aux Franais en particulier, puisqu'il fut
l'auteur avec Sylvain Lvi et Paul Demi- ville d'un ouvrage
encyclopdique sur les sources chinoises et japonaises du
bouddhisme13. Il insista sur le fait qu'il ne servirait rien
d'attribuer les honneurs de la bouddhit Alexandre Csoma de Kors si
les Japonais ne savaient pas tirer la leon qui s'impose de
l'exemple qu'il leur a donn. Son dvouement la science pouss jusqu'
l'immolation de soi- mme, son admirable abngation, sont exactement
conformes l'idal de renoncement prch par le Bouddha. Ils sont dans
le droit fil de ce que les Jtaka nous content de ses vies
antrieures et de ce que nous montre son enseignement. En cette
circonstance exceptionnelle, le Japon peut trouver le modle dont il
a besoin pour reprendre la direction des tudes boud- dhologiques,
aprs s'en tre trop longtemps dsintress au profit des universits
occidentales, lorsqu'il fut saisi de la fivre matrialiste au point
d'en ngliger ses propres valeurs intellectuelles et d'en oublier
ses idaux spirituels traditionnels. C'est pourquoi, dans sa
proraison, le Pr Takakusu proposa tous les bouddhistes, de quelque
obdience qu'ils fussent, de suivre dsormais le vertueux exemple de
Csoma de Kors qui n'hsita pas voici un sicle, btir au pril de sa
vie la science bouddhologique moderne sur des fondements nouveaux.
En agissant de la sorte, qu'il en ait eu conscience ou non, il est
devenu le hros de la science du bouddhisme et a
13. Junjir Takakusu (1866-1945) linguiste et philosophe, a t en
son temps l'un des plus brillants historiens du bouddhisme. Il a
publi avec Sylvain Lvi tin Dictionnaire encyclopdique du bouddhisme
d'aprs les sources chinoises et japonaises, dont Paul Demiville fut
le rdacteur en chef. Il a laiss de nombreux ouvrages sur le
bouddhisme Mahyna, dont plusieurs dits Londres en anglais. Il est
aussi le biographe de Yi Tsing (1896).
rhr 14
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362 Bernard Le Calloc'h
donc pleinement mrit d'tre reconnu comme tel en cette occasion
solennelle.
Enfin, la parole fut donne pour conclure au vnrable Ekai
Kawaguchi, le clbre moine japonais (1866-1945), qui tait all la fin
du sicle prcdent tudier le tibtain et le bouddhisme du vhicule
adamantin en se faisant passer pour un religieux chinois. On sait
que, recteur du monastre Gohyakurakan, il en donna sa dmission en
mars 1891 dans l'intention de se consacrer dsormais l'tude de la
civilisation tibtaine. Aprs avoir fait pendant trois ans retraite
Kyoto, il quitta le Japon en juin 1897 et n'y revint qu'en mai
1903, ayant pass au total trois annes en terre tibtaine, dont
quinze mois au monastre de Sera, prs de Lhassa. Kawaguchi tint
rappeler que c'est pour imiter l'exemple de Csoma et sous
l'influence de ses travaux qu'il se dcida partir pour l'Himalaya,
malgr les dangers considrables qu'une telle entreprise comportait
alors. L'entre du Tibet tait, en effet, rigoureusement interdite
aux trangers, y compris ceux de race jaune, mais l'exception des
Chinois et des Mongols14. Le pandit indien Sarat Chandra Das15,
dont il fut l'hte Djardiling, lui avait vivement dconseill de se
lancer dans une aventure que, pour l'avoir lui-mme vcue prcdemment,
il jugeait condamne chouer. Malgr cela, l'indomptable
14. L'exclusion du Tibet de tout tranger, blanc ou jaune,
remonte l'poque o s'tablit sur ce pays la suprmatie de la dynastie
mandchoue. Elle date trs prcisment de 1792, alors que huit ans
auparavant le capitaine Samuel Turner avait encore t reu par le
Panchen lama Shigats. A partir de ce moment-l, aucun tranger ne fut
plus admis pntrer, plus forte raison sjourner, dans le royaume du
Dalai lama. De l l'expulsion de Thomas Manning en 1812, celle des
abbs Hue et Gabet en 1846. L'hypothse gnralement admise par les
biographes de Csoma de Krs selon laquelle, s'il n'tait pas mort
Dardjiling, il aurait pu gagner Lhassa et mme traverser le Tibet
pour se rendre dans la Chine des dix-huit provinces, est donc peu
plausible.
15. Sarat Chandra Das (1849-1917) fit deux sjours au Tibet,
d'abord en 1879, ensuite en 1881. Il est l'auteur d'un dictionnaire
tibtain-anglais avec synonymes sanscrits, paru Calcutta en 1902.
Bien qu'il ait t officiellement invit par le Panchen lama, en sa
double qualit de linguiste et de pandit indien, son professeur de
tibtain, l'abb de Dongst, qui l'avait hberg, fut plus tard, sur
l'ordre des Chinois, jet dans le fleuve Tsangpo, et son domestique
emprisonn. C'est assez dire combien tait prise au srieux
l'interdiction de toute collaboration, qualifie de complicit, avec
les trangers, mme lorsqu'il s'agissait d'un savant asiatique.
-
Alexandre Csoma de Kros 363
Japonais s'tait mis en route et il avait russi atteindre Lhassa
en passant par le Npal. Mieux encore, il avait su se gagner la
confiance de nombreux Tibtains, dont un ministre du gouvernement
lamaque, qui l'avaient pris pour un moine chinois. Grce son
stratagme, mais dans des conditions prcaires, puisqu'il courait
constamment le risque d'tre dcouvert, il put, comme Csoma l'avait
fait avant lui, tudier les textes du canon tibtain, avec l'aide
d'un lama lettr. Tout au long de son sjour il garda prsente
l'esprit la manire difiante dont le Hongrois avait surmont les
obstacles les plus rudes, par sa persvrance et la force de sa
volont.
C'est pourquoi, trente ans aprs son retour au Japon, lorsqu'il
entendit parler de l'intention qu'avaient les orientalistes
hongrois d'offrir son pays une statue de leur illustre compatriote,
lui qui tait plein d'admiration pour ce courageux pionnier de la
bouddhologie, dcida qu'il fallait faire en sa faveur un geste
spectaculaire de nature frapper les imaginations. Et c'est alors
qu'il prit l'initiative de la crmonie au cours de laquelle le
savant hongrois devait tre proclam bodhisattva.
Appartenant l'cole Tendai, il tait logique qu'il ft appel pour
cela l'Universit Taish de Tokyo, fonde en 1912 par cette cole, et
qui s'tait largie en 1927 la secte sotrique du Shingon ainsi qu' la
secte amidiste du Jdo16. Aussi bien le rituel suivi pour honorer
Csoma avait-il t celui du Tendai.
Aprs le discours de l'abb Kawaguchi, l'office reprit et
l'assistance fut convie chanter des hymnes religieux dont le texte
comportait une allusion au nouveau bodhisattva, a Csoma bosatsu
.
Ainsi fut canonis le premier, et le seul, bodhisattva europen de
tous les temps.
16. L'cole du Shingon, ou de la vraie parole , a t fonde en 807
par Kb Daishi. C'est la plus sotrique des sectes bouddhiques
japonaises et de ce fait la plus proche du tantrisme tibtain. La
secte du Jdo est celle de la terre pure . Son culte est ax sur la
vnration du bodhisattva de la lumire infinie Amitbha (Amida en
japonais, d'o amidisme), le quatrime des cinq dhyani bouddhas, ou
bouddhas de mditation.
-
364 Bernard Le Calloc1 h
A la recherche du berceau des Hongrois
Comment Alexandre Csoma de Kors avait-il pu en arriver jusqu'
une telle gloire posthume ? C'est ce que l'histoire de sa vie,
brivement conte, va nous permettre de comprendre.
Il tait n, vraisemblablement en 1784, dans une humble famille de
soldat-paysan, comme l'taient l'poque peu prs tous les Sicules. Il
appartenait, en effet, cette fraction du peuple hongrois qui occupe
depuis prs de dix sicles les rgions les plus orientales de la
Transylvanie. L'origine des Sicules est un mystre. On ne sait
toujours pas d'o ils proviennent. Une seule chose est certaine :
ils parlent le mme hongrois que les autres habitants de la Hongrie,
mais se distinguent par certains traits, des habitudes diffrentes,
un folklore particulier. Il en a toujours t ainsi. Cela est si vrai
qu' l'poque de Csoma les Sicules constituent une nation , en vertu
du statut historique transylvain, aux cts des Hongrois proprement
dits et des Saxons ou Allemands. C'est pour cette raison que, tout
au long de ses voyages en Orient et dans les ouvrages qu'il fera
paratre, Csoma se dsignera comme Siculo- Hongrois de Transylvanie .
Ce n'est de sa part ni souci d'originalit ni dsir de se distinguer
tout prix de ses semblables. Les Sicules constituent encore de nos
jours un peuple qui se juge et est jug tout naturellement diffrent
du reste des Hongrois.
A l'ge de quinze ans, ses parents l'ont envoy au collge de
Nagyenyed qui tait alors la ppinire de l'Eglise calviniste, avec
l'espoir qu'il pourrait un jour devenir pasteur. Puis ils l'y ont
littralement abandonn, ne lui envoyant jamais un centime pour
subsister. Contraint de se faire domestique, il ne renonce pourtant
pas ses tudes, mais il renonce en revanche toutes les joies de la
vie. Il devient ds cette poque une sorte d'ascte qui se prive du
ncessaire et se soumet des mortifications dans le but de se prparer
ce qui sera le grand, l'unique ressort de son existence : un voyage
aux sources du peuple hongrois, quelque part au cur de l'Asie.
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Alexandre soma de Krs 365
II lui parat vident, en effet, que, si les Hongrois sont issus
des Huns, comme presque tout le monde le croit encore cette poque,
leur berceau primitif doit se situer l d'o sont jadis partis ces
derniers. Or, il semblerait bien, d'aprs Joseph de Guignes17, que
les Huns soient les descendants des tribus que les annales
chinoises appellent Hiong Nou (Xiung-Nu), lesquelles habitrent
jadis au nord de la grande muraille, peu prs l o se situe prsent la
Mongolie. S'il en est ainsi, il doit tre possible, en faisant le
chemin inverse, de retrouver quelque trace de ces anctres supposs,
et mme de dcouvrir des peuples ou des tribus qui parlent encore des
langues apparentes au magyar. C'est l la grande ide qui dsormais va
pour toujours dominer sa vie : retrouver le berceau de sa race. Il
lui consacrera toutes ses forces, physiques et morales, et quand en
1842 il viendra mourir soudain Dardjiling, ce sera encore parce
qu'il voulait gagner la haute Asie o il tait persuad de pouvoir
dcouvrir l'origine nigmatique de son peuple.
Aprs son baccalaurat, trop pauvre pour s'offrir des tudes
universitaires, il devient rptiteur au collge de Nagyenyed jusqu'
ce qu'une bourse, jadis offerte par de gnreux donateurs anglais,
lui permette de partir pour Gttingen18.
17. Joseph de Guignes (1721-1800) est l'auteur de l'Histoire
gnrale des Hans, des Turcs, des Mogols et des autres Tartares
occidentaux, publie Paris entre 1756 et 1758, dans laquelle il
croit pouvoir tablir une filiation entre Hiong Nou et Huns. Cette
thse, gnralement admise comme allant de soi par les historiens
hongrois, en particulier par les biographes de Csoma de Krs, a t
conteste par plusieurs auteurs, notamment par Louis Hambis, comme
insuffisamment prouve. De toute manire, mme si les Huns d'Attila
avaient quelque lointaine parent avec les Hiong Nou, ils s'taient
en quelque sorte dilus dans un nombre considrable d'autres tribus
ou peuplades, allies ou vaincues, mesure de leur avance vers
l'Ouest, au point d'en devenir mconnaissables. Seule l'appellation
gnrique tait demeure.
18. Il y a dans le destin d'Alexandre Csoma de Krs une manire de
fe anglaise , qui interviendra constamment dans sa vie et lui
apportera, souvent dans des conditions inattendues, l'aide sans
laquelle il n'aurait rien pu entreprendre. Sa premire manifestation
est justement l'octroi d'une bourse, due la gnrosit des protestants
de Londres, qui lui permet de se rendre l'Universit de Gttingen,
universit qui, quoique situe en Allemagne et de langue allemande,
tait sous la haute protection du roi d'Angleterre, alors encore
prince lecteur de Hanovre.
Par la suite, cette fe anglaise lui apparatra sous les traits du
secrtaire du rsident britannique Bagdad, Karl Anton Bellino, puis
du charg d'affaires
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366 Bernard Le Calloc'h
Quand il quitte la Transylvanie pour l'Allemagne en avril 1816,
c'est en principe pour se prparer la carrire pastorale. C'est en
ralit pour devenir apte remplir la mission singulire qu'il s'est
choisie une fois pour toutes. Tout en suivant les cours de la
facult de thologie (o il ne soutiendra toutefois aucune thse de
doctorat), il se lance dans l'tude des langues orientales. Parmi
ses professeurs, deux au moins ont sur lui une influence peut-tre
dcisive. Le premier estBlumen- bach, pre de l'anthropologie
moderne, qui croit en l'origine asiatique des Hongrois parce qu'il
les tient pour des parents des Turcs Ougour, le second est
Eichhorn, smitologue de renomme internationale, qui lui conseille
de se rendre Constantinople et qui lui apprend l'arabe19.
De retour en Transylvanie en octobre 1818, il refuse de prendre
l'habit ecclsiastique et de devenir professeur, comme l'y invitent
ses anciens matres et ses amis. Il voudrait prcipiter son dpart
pour l'Asie, mais il mesure brusquement la ncessit d'apprendre le
russe ou le slavon, s'il veut, comme cela parat logique et
souhaitable, se rendre en Mongolie en traversant l'empire des tsars
d'ouest en est20. Pendant encore un an, il s'isole Temesvar, puis
Zagreb afin d'acqurir les notions essentielles qui faciliteront ses
dplacements en Russie.
de la Compagnie des Indes orientales Thran, Henry Willock, puis
des explorateurs William Moorcroft et George Trebeck, puis du
capitaine Charles Pratt Kennedy et du Dr James Gilbert Gerard,
enfin sous ceux des diffrents dirigeants de la Socit asiatique du
Bengale et des autorits gouvernementales de Calcutta.
19. Johann Friedrich Blumenbach (1752-1840), mdecin,
physiologiste, professeur Gttingen, est le pre de
l'anthropologie.
Johann Gottfried Eichhorn (1752-1827) enseignait l'arabe et
l'hbreu. Il a transform l'isagogique traditionnelle en une vritable
histoire littraire des textes bibliques.
Que Csoma de K6r6s ait entrepris l'tude de l'arabe alors qu'il
voulait se rendre en haute Asie peut paratre singulier. En ralit,
il apprit cette langue dans l'espoir de trouver dans les rcits des
voyageurs musulmans du haut Moyen Age des informations sur les
anctres des Magyars, l'poque o ils se trouvaient au nord de la mer
Noire.
20. La traverse de l'empire russe jusqu' Irkoutsk tait la manire
la plus commode, la plus rapide, et finalement la moins aventure,
de gagner la Mongolie, o Csoma de KrOs pensait retrouver la trace
des anctres de sa nation. Cette traverse n'en reprsentait pas moins
de sept mille kilomtres parcourir dans des rgions connues pour leur
climat glacial et o n'existait encore l'poque aucune route
carrossable.
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Alexandre Csoma de Krs 367
Mais, sitt rentr, l'automne 1819, il ne veut plus attendre
davantage. Il a, d'ailleurs, maintenant trente-cinq ans.
Le 23 novembre 1819, il quitte enfin son pays, seul, presque
sans bagage, sans gure plus d'argent, sans mme un manteau, et il
s'enfonce vers le sud. Au dernier moment, en effet, en raison du
statut particulier qui est le sien en tant que Sicule, il ne lui a
pas t possible de solliciter un passeport rgulier des autorits
autrichiennes. Et sans ce document, il ne peut pas entrer en
Russie, ni donc la traverser jusqu' Irkoutsk, comme il l'avait
d'abord envisag. Il fait donc un dtour par l'empire ottoman, o pour
circuler il n'est besoin d'aucun papier, et se fixe pour premier
but Constantinople.
Mais les choses ne se passent pas du tout comme il l'a escompt.
Le voyage qui va l'emmener jusque dans l'Himalaya est une
incroyable succession d'vnements qui ne cessent de le contrarier
dans sa progression et l'obligent circuler en dents de scie travers
une douzaine de pays diffrents, dans les conditions les plus
prouvantes. Repouss ici parla quarantaine, en raison d'une pidmie
de peste, il l'est l par le fanatisme ; ici par les luttes sans
merci que se livrent les fodaux, et l par la menace d'une invasion
trangre. Quand il est en Iran, il est condamn attendre prs de huit
mois le dpart d'une caravane vers Boukhara, tant l'inscurit est
grande. En Afghanistan il est vraisemblablement victime de rdeurs.
Il est vrai que, en revanche, il est aid par le secrtaire du
rsident anglais Bagdad et plus tard par le charg d'affaires
britannique Thran. Sans eux, aurait-il seulement pu continuer son
chemin, alors qu'il tait dpourvu de toutes ressources ? En tout
cas, il russira parcourir neuf mille kilomtres pied en deux ans et
demi avec peine plus d'argent qu'il n'en faut d'autres pour se
rendre au chef-lieu de leur dpartement. Mais il ne parviendra pas
du tout l o il avait voulu aller.
Quand, aprs un dtour par Lahore et Srinagar, il arrive au Ladakh
en juin 1822, son intention est de franchir la gigantesque barrire
du Karakorum et de gagner le Turkestan
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368 Bernard Le Calloc'h
oriental, d'o il voudrait atteindre la Mongolie travers l'empire
chinois. Il en est encore une fois empch par les prils extrmes qui
le menacent et par le dnuement plus extrme encore qui est le sien.
Alors, la mort dans l'me, il se rsigne rebrousser chemin, dans
l'espoir de retrouver Lahore deux officiers franais, Jean-Franois
Allard et Jean- Baptiste Ventura, avec lesquels il a fait
connaissance en Afghanistan et qu'il a accompagns dans la traverse
du Pendjab. Peut-tre auront-ils le moyen de l'aider poursuivre son
interminable marche d'approche21.
Il est difficile d'imaginer ce que Csoma de Krs serait devenu si
le hasard n'avait pas mis sur sa route, alors qu'il revenait sur
ses pas travers le Ladakh, l'explorateur anglais William
Moorcroft22. Celui-ci, agrablement surpris de dcouvrir un rudit
europen sous l'habit dguenill d'un voyageur qu'il avait d'abord
pris pour un plerin mendiant, fraternise bientt avec lui, l'invite
sa table, le rconforte. Au cours de la conversation, il lui confie
son regret de ne pouvoir consulter aucun dictionnaire ni aucune
grammaire de la langue tibtaine, faute qu'il en existt.
C'est alors que Csoma, las d'une errance sans fin qui parat ne
pas pouvoir aboutir, bout de ressources, ne sachant plus quel saint
se vouer, puis physiquement par des preuves sans pareilles, propose
son hte anglais de relever le dfi que, sans le vouloir, il lui a
lanc. Si Moorcroft peut l'y aider, il
21. Jean-Franois Allard (1785-1839) et Jean-Baptiste Ventura
(1790- 1858) taient deux officiers des armes napoloniennes. Aprs
avoir vainement propos leurs services au khdive d'Egypte, ils
taient entrs dans les armes d'Abbas Mirza (1789-1833), hritier du
trne de Perse et commandant en chef. En 1821, l'instigation des
Anglais, Fath Ali Shah avait d toutefois consentir se sparer de ses
officiers franais. C'est alors qu' Allard et Ventura eurent l'ide
de gagner le Pendjab o, entrs au service du maharadjah Randjit
Singh (1780-1839), ils firent tous deux une carrire
blouissante.
22. William Moorcroft (1765-1825), vtrinaire, officier de l'arme
des Indes, explorateur. Il fut le premier Europen traverser
l'Himalaya jusqu'au lac Manasarowar. Aprs deux annes passes au
Ladakh, et faute d'avoir obtenu le droit de se rendre Yarkand et
Kashgar comme il le voulait, il entreprit de visiter avec George
Trebeck (1798-1825) le Cachemire, le Pendjab, l'Afghanistan et
Boukhara. C'est au retour de cette ville qu'ils moururent, peut-
tre victimes d'un empoisonnement.
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Alexandre Csoma de Kros 369
acceptera d'arrter pour un temps son voyage ; et puisqu'il est
extrmement dou pour l'tude des langues (il en possde l'poque une
dizaine), il apprendra assez le tibtain pour en composer un
dictionnaire et en rdiger une grammaire.
Le march est conclu. Un contrat en bonne et due forme est pass
entre les deux hommes ; et en juin 1823 Csoma monte s'installer
dans un monastre himalayen, o l'attend un lama rudit, connaissance
de Moorcroft, avec la ferme intention d'y sjourner aussi longtemps
qu'il le faudra pour se conformer ses engagements.
Ainsi, l'homme qui tait parti de Transylvanie pour dcouvrir le
berceau des Hongrois, se lance-t-il prsent la dcouverte de la
civilisation du Tibet.
Dcouverte de la civilisation tibtaine
Alexandre Csoma de Krs restera finalement plus de sept annes
dans l'Himalaya, tantt au Zanskar23, et tantt en Kinnaur24, avant
de pouvoir enfin en redescendre avec son ouvrage achev. Entre
temps, bien des choses se sont passes. Il est notamment entr en
rapport avec les autorits anglaises de l'Inde, ainsi qu'avec la
Socit asiatique du Bengale, la premire et la plus clbre des socits
orientalistes du monde occidental25. Ce qui n'tait au dpart qu'un
contrat priv avec
23. Le Zanskar est un ancien royaume himalayen tomb au xvne
sicle dans la dpendance du Ladakh. Csoma de K6rs y sjourna trente
mois au total d'abord Zangla, puis Phuktal. C'est une des rgions
habites en permanence les plus froides du globe.
24. Le Kinnaur est la partie septentrionale de la principaut
indienne du Bishawar, qui couvre la haute valle du Satledj jusqu'
la frontire du Tibet. Csoma de Krs avait choisi cette rgion parce
qu'elle est peuple de Tibtains, . que son climat est relativement
assez doux, que le monastre de Kanam possde la collection complte
du canon bouddhique, et aussi parce qu'il souhaitait demeurer sous
la protection britannique, protection laquelle il ne pouvait
prtendre lorsqu'il tait au Zanskar.
25. La Socit asiatique du Bengale a t cre en 1784 par Sir
William Jones et Sir Charles Wilkins, l'instigation de Warren
Hastings. A l'poque o Csoma prend contact avec elle, son secrtaire
est Horace Hayman Wilson, champion des tudes sanscrites,
continuateur de l'uvre de Thomas Colebrooke.
-
370 Bernard Le Calloc'h
Moorcroft est devenu un contrat public pass avec la Compagnie
des Indes orientales.
La chance qui l'avait si mal servi dans les premiers temps est
prsent ses cts. Aprs lui avoir donn Moorcroft comme une sorte de
deus ex machina, elle lui fournit comme professeur un rudit tibtain
de premire force, le lama Sangye Phuntsog26, la fois abb de son
monastre, secrtaire d'Etat du gouvernement ladakhi et mdecin, mais
surtout homme de grande bonne volont qui se met aussitt au travail
avec lui, lui dresse des listes de mots, lui explique les mcanismes
de sa langue et bientt crira pour lui de vritables livres. Grce
cette collaboration, Csoma fait des progrs rapides ; mais dresser
le dictionnaire d'une langue que personne n'a tudie auparavant est
chose trs difficile. En dpit de ses efforts pour pntrer les secrets
de ce monde inconnu, en dpit de ceux du lama, et mme des deux
autres religieux qui viennent en renfort27, il lui faudra beaucoup
plus de temps qu'il ne l'avait imagin pour venir bout de sa
mission.
En revanche, quand, il sera enfin prt et pourra quitter sa
montagne avec son dictionnaire et sa grammaire, il sera devenu le
fondateur d'une science nouvelle : la tibtologie. Non seulement il
aura perc les mystres de la langue, mais il connatra parfaitement
la civilisation bouddhique du Tibet. Pour en arriver l, il n'a pas
hsit lire intgralement les deux collections canoniques, le Kandjour
et le Tandjour, soit au total plus d'une centaine de milliers de
feuillets28. Aussi bien l'uvre
26. Sangye Phuntsog (Sas-rgya Phun-hogs) tait n Padam,
principale agglomration du Zanskar, en 1773, et avait donc 50 ans
quand il fit la connaissance du Hongrois. Il avait fait de fortes
tudes dans les universits monastiques de Lhassa ainsi qu'au collge
mdical de Chakpori (Lcags-po-ri). Il tait partisan d'une politique
d'entente avec les Anglais contre les vises expansionnistes de
Randjit Singh.
27. L'un tait l'abb du monastre de Dzongkhul (Rjo-khul), Kundga
Tcheuleg (Kun-'nga Chos-legs). L'autre, nomm Tsultrim Gyatso (Chul
khrims rgya-mcho) tait un lama rudit n en 1760, qui avait pass
vingt-cinq annes Lhassa.
28. Les 108 volumes du Kandjour (Bk-') constituent le recueil
des paroles du Bouddha, et les 225 volumes du Tandjour ( Bstan-
gyur ) en sont le commentaire. Cette immense collection de plus de
300 livres, regroupant 4 569 textes diffrents, est elle seule une
vritable bibliothque. Il est d'usage de la placer dans les temples
ou proximit immdiate.
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Alexandre Csoma de Krs 371
qu'il nous a laisse n'est-elle pas uniquement philologique. Elle
comporte aussi des travaux relatifs la gographie, la mdecine,
l'histoire, la littrature, et bien entendu la religion. Jusqu' sa
mort, il sera le seul Europen capable de lire, crire et parler le
tibtain, et sa contribution aux travaux de la Socit asiatique du
Bengale sera de ce fait particulirement prcieuse. Devenu
bibliothcaire tibtain de cette institution entre 1831 et 183529, il
en sera nomm bibliothcaire en chef en mai 1838, poste qu'il
conservera jusqu'en mai 1841, c'est--dire jusqu'au moment o il
dcidera de reprendre son projet de voyage aux sources du peuple
magyar30. Pendant toutes ces annes, il uvrera beaucoup dans sa
spcialit, il crira des tudes parues tantt dans le Journal of the
Asiatic Society et tantt dans la collection scientifique Asiatic
Researches . Mais il se laissera peu peu dtourner du chemin emprunt
jusque-l lorsqu'il entreprendra d'approfondir sa connaissance du
sanscrit et des langues modernes de l'Inde, dans la croyance,
malheureusement errone, qu'il pourrait y avoir une parent
quelconque entre celles-ci et sa langue maternelle31. C'est
seulement aprs un sjour de deux annes dans le nord du Bengale,
Titaliah, qu'il comprendra son
29. La Socit asiatique du Bengale avait reu dans les annes qui
prcdrent l'arrive de Csoma Calcutta (1831), et reut encore dans les
annes qui suivirent, un nombre important d'ouvrages tibtains,
manuscrits et xylographies, en provenance du Npal, o le rsident
anglais, Brian Houghton Hodgson (1800-1894), se montrait
particulirement actif dans la collecte des documents concernant le
bouddhisme du Nord.
Csoma de Kts en dressa un catalogue raisonn achev en avril 1833,
que James Prinsep, le secrtaire de la Socit, prsenta aux membres le
24 du mme mois. Malheureusement, cet ouvrage fondamental ne fut
jamais publi, d'abord parce qu'il n'existait pas encore de
caractres d'imprimerie tibtains Calcutta, puis, aprs 1835, parce
que la Compagnie des Indes orientales cessa de verser la Socit les
subsides dont elle avait bnfici jusque-l pour ses publications
orientales.
30. Il a donn sa dmission le 1er mai 1841. Celle-ci a t accepte
le 14 du mme mois, et ds le 21 juin suivant il est remplac dans son
poste de bibliothcaire en chef par l'indianiste allemand Edouard
Rer (1805-1866), auteur notamment de travaux sur les Vedas et les
Upanishads.
31. Il crut un moment si bien en cette parent qu'il s'en ouvrit
dans la prface de son dictionnaire tibtain, allant jusqu' crire sa
fiert de pouvoir annoncer sa propre nation que l'tude du sanscrit
lui sera plus profitable qu' tout autre peuple de l'Europe. Les
Hongrois trouveront dans son tude une source d'informations sur
leur origine, leurs coutumes et leur langue, car la structure du
sanscrit est trs analogue celle du hongrois .
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372 Bernard Le Calloc'h
erreur, mais il n'en reviendra pas pour autant une meilleure
comprhension du problme des origines de sa nation. Jusqu' son
dernier souffle, il restera convaincu que les Magyars sont les
descendants des tribus hunniques et que leur foyer d'origine est
ncessairement en haute Asie32. C'est bien pourquoi justement, malgr
son ge dj avanc (cinquante-huit ans) et ses forces diminues, il
dcidera une fois de plus de tout quitter, et reprendra son bton de
plerin pour aller finalement mourir foudroy dans l'Himalaya avant
d'avoir pu seulement atteindre la frontire du Tibet.
Il faut dire que, au cours de ses travaux, il avait fait la
dcouverte dans les traits du Tandjour, trois reprises, d'un peuple
mystrieux, les Yougars, dont le nom ne pouvait pas ne pas lui
rappeler celui sous lequel les Hongrois sont connus, et qu'il
paraissait aussi possible de rapprocher de celui des Ougours. Or,
il y avait en ce temps-l toute une cole de savants qui pensaient
que les Hongrois et les Ougours taient apparents de quelque
manire33. Les textes tibtains o il tait question des Yougars taient
d'une grande imprcision, mais on croyait savoir que ceux-ci
devaient habiter l'ouest de la Chine, au nord-est du Tibet 34,
c'est--dire justement l o la tradition hunnique hongroise situait
peu prs la patrie d'origine (oshaza) d'o taient partis, croyait-on,
les anctres lointains des Magyars. Pour trancher de la
question,
32. L'origine finno-ougrienne, donc ouralienne, du hongrois
avait pourtant t dmontre ds 1799 par le Transylvain Samuel
Gyarmathi, auteur du livre Affinitas linguae hungaricae cum linguis
fennicae originis grammaiice demonstrata, publi Gttingen. Bien que
Csoma de Krs ait connu personnellement Gyarmathi et se soit li
d'amiti avec lui lors d'un sjour Kolozsvr, il n'a jamais admis sa
thse. Pour lui, si les Finnois taient les parents lointains des
Hongrois, cela signifiait simplement qu'eux aussi descendaient des
Huns.
33. La croyance en une certaine parent entre Hongrois et Ougours
n'est pas morte avec le triomphe apparemment dfinitif de la thorie
fino-ougrienne la fin du xixe sicle. On la retrouve tout au long du
xxe dans l'cole turcolo- gique de Budapest. Tout rcemment encore,
un anthropologue, Istvn Kiszely, ayant travaill dans le Xin Kiang
chinois, a cru pouvoir en reparler comme d'une hypothse admissible.
.
34. Ce sont les termes mmes employs par Csoma de Krs lorsque,
sur son lit de mort, il se confie son hte, le Dr Archibald
Campbell, surintendant de Dardjiling, termes que ce dernier
reproduit dans une lettre adresse aux autorits britanniques de
Calcutta aussitt aprs le dcs du savant hongrois.
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Alexandre Csoma de Krs 373
Csoma n'avait qu'un moyen : se rendre sur place, et cela avait,
du reste, toujours t son ambition. C'est pourquoi, au dbut de
fvrier 1842, il avait quitt Calcutta et entrepris d'escalader la
barrire himalayenne, dans l'intention de traverser le Tibet et de
se porter la rencontre des mystrieux Yougars.
Mais le destin en dcida autrement. Epuis par une vie de
souffrances et de privations, il s'teignit brusquement, victime
d'une crise de fivre, le 11 avril 1842.
Ainsi celui qui avait t la tibtologie faite homme ne vit-il
jamais le Tibet.
Le bodhisaliva
On serait tent de dire que toute l'entreprise d'Alexandre Csoma
de Krs a t btie sur une erreur, celle qui consistait confondre les
Huns et les Hongrois. Mais, la diffrence de ce qui arrive
gnralement en pareil cas, cette erreur a t fconde. Elle lui a
permis de dcouvrir le monde du Tibet, monde qui tait encore
compltement ferm aux regards des Occidentaux., Du mme coup, il
n'est plus possible de parler d'erreur son sujet alors que son uvre
tmoigne loquem- ment de son apport exceptionnel la science
orientaliste. C'est peut-tre ce qui est le plus singulier dans une
destine qui, de toute manire, devait l'tre parce que tout tait
singulier dans la personnalit du savant.
Mais ce qui l'aura t le plus, finalement, c'est son destin
posthume. Les linguistes sont rarement l'objet de l'admiration des
foules. Bien peu d'entre eux, mme les plus grands, ont survcu
l'oubli. Tel n'a pas t le cas de cet esprit original, possd tout
entier par une ide qui fut son obsession. Bien qu'il n'ait pas
dcouvert ce qu'iL tait all chercher, il a t ds le lendemain de sa
mort considr dans son pays comme un hros. On ne compte plus les
livres, les tudes, les articles, les romans, les pomes, ou les
pices de thtre qui lui ont t consacrs. On ne compte plus les rues,
les places, les coles, les instituts qui portent son nom. Dix-neuf
statues lui ont t
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374 Bernard Le Calloh
leves, Budapest, en province, aussi bien qu'en Transylvanie. Sa
popularit est immense parmi ses compatriotes, aujourd'hui autant et
plus encore qu'hier. Et cela n'est pas la chose la moins
surprenante, quand on songe au peu de cas qu'il faisait de lui-mme,
de sa science et de ses capacits. Modeste jusqu' l'excs, rserv au
point de paratre indiffrent, il considrait qu'il avait gch sa vie
et que celle-ci tait un chec puisqu'il n'avait pu dcouvrir l'unique
objet de ses dsirs, le berceau suppos de son peuple.
Et pourtant, l'ermite des gompas himalayennes est devenu aprs sa
mort l'gal des plus grands. N'est-il pas prodigieux, en effet, que
cet homme ait t finalement reconnu comme un saint du bouddhisme
?
Quelles peuvent tre les raisons qui amenrent, l'instigation de
l'abb Kawaguchi, les autorits bouddhistes japonaises faire un geste
aussi insolite, si insolite qu'il est depuis lors demeur unique
?
Quand on analyse la vie et l'uvre d'Alexandre Csoma de Krs, on
peut penser qu'il fut accept aux cts des bodhi- sattvas orientaux
d'abord parce qu'il a su pntrer jusqu'au sens le plus profond,
voire le plus cach, des critures saintes du Vajrayana. En
apprenant, comme il a su le faire, le tibtain classique, et en y
ajoutant mme plus tard le sanscrit, il a eu en son temps la
possibilit qu'aucun orientaliste europen n'avait eue avant lui de
prendre une connaissance totale et parfaite de l'ensemble du canon
bouddhique. Il aurait pu se contenter, comme le firent si souvent
sous d'autres cieux des missionnaires chrtiens, de collationner des
mots et d'en faire un lexique plus ou moins complet. Au lieu de
cela, avec ce got du travail bien fait qui le caractrisait, il
s'est vertu raliser du premier coup une uvre d'une telle qualit
qu'elle a pu, encore tout rcemment, en 1984, tre rdite sans
changements35.
35. En 1973 aux Editions Manjusri de la Nouvelle Delhi ; en 1978
aux Editions Cosmos de la mme ville ; et en 1984 aux Editions
acadmiques de Budapest.
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Alexandre Csoma de Krs 375
Cependant, son travail de pionnier de la linguistique tibtaine
n'a pas seulement une incontestable valeur scientifique, il a aussi
une grande importance sur le plan spirituel. Il ne s'est pas limit
compiler un dictionnaire et rdiger une grammaire, comme il arrive
assez souvent qu'on le dise, il a crit galement un grand nombre
d'articles, dont certains ont eu une importance capitale pour la
connaissance et la comprhension du bouddhisme. Parmi ces articles
on relve, par exemple, une traduction anglaise de la Mahavyutpatti,
cette grande connaissance du vocabulaire ecclsial bouddhique ralise
dans sa version sanscrite au ixe sicle par des pandits cachemiriens
et traduite peu aprs au Tibet.
Jusqu' Jacques Bacot, et surtout jusqu' Alexandra David-Neel36,
il a t certainement l'Europen qui a le mieux connu de l'intrieur le
monde tibtain, car il ne s'est pas content de l'tudier
superficiellement, dans le confort douillet d'un cabinet de travail
ou d'une bibliothque. Il l'a vcu dans ce qu'il a la fois de rude et
d'lev. Il s'en est, si l'on peut dire, imprgn jusqu'au plus profond
de lui-mme. Rares sont ceux qui se sont aussi totalement consacrs,
sans mnager ni leur temps ni leurs forces, l'tude intgrale de
l'immense canon de la voie adamantine.
Telle est bien l'une des raisons pour lesquelles, aux yeux de
ceux qui en 1933 l'ont dsign la vnration des foules bouddhistes, il
prend rang parmi les plus illustres personnalits du vhicule tibtain
qui ont travaill jadis traduire, interprter et organiser les
critures canoniques : Shantarakshita, Pad- masambhava, Atisha,
Tsongkhapa, etc., que prcisment le bouddhisme tibtain honore du
titre de bodhisattva37.
36. Jacques Bacot (1877-1965) sjourna dans les marches tibtaines
en 1913-1914, et de nouveau en 1930-1931. Traducteur de Milarpa, il
est aussi l'auteur d'une grammaire du tibtain littraire et d'un
essai d'histoire du Tibet.
Alexandra David-Neel (1868-1969) est clbre pour ses nombreux
voyages en pays tibtains. La plupart de ses livres racontent ses
aventures et ses expriences myst iques.
37. sntaraksita, savant professeur de l'Universit bouddhique de
Nlanda, venu au Tibet l'invitation du roi Tirong Detsen (Khri-sro
Lde btsan). Il
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376 Bernard Le Calloh
Mais en outre, par ses travaux qui ont t l'poque, ne l'oublions
pas, une vritable rvlation, il a littralement ouvert l'Occident la
comprhension du message bouddhique tel qu'il est vu par les tenants
du Mahyana. Les mrites qu'il s'est acquis dans la recherche et la
publication de la voie tibtaine du bouddhisme sont fondamentaux.
Tous les efforts qu'il a dploys, tous les sacrifices qu'il a
consentis n'ont vis qu' une chose : faire connatre l'Europe une
forme de sagesse et de vision du monde qui lui tait jusque-l
demeure inconnue. L'uvre imprime qu'il nous a laisse en est le
tmoignage irrcusable.
Par ailleurs, les biographes du voyageur hongrois sont unanimes
insister sur son asctisme. En fait, ds l'instant o il s'est fix
pour but unique de partir en Asie, sachant quels rudes obstacles il
aurait surmonter, Csoma s'est entran supporter toutes les formes de
privations et de mortifications. C'est pourquoi il n'a eu aucune
peine, lorsqu'il s'est retrouv au milieu des moines tibtains, a
adopter leur mode de vie particulirement Spartiate. Il a accept
sans mal la mauvaise nourriture, la salet, l'absence de toute forme
de confort, mme le plus rudimentaire. Il a endur sans se plaindre,
et sans mme paratre en souffrir, la fois la chaleur torride et le
froid polaire, l'air vici d'une cellule trop petite, la monotonie
d'une alimentation misrable, la vermine, l'immobilit, l'isolement,
que sais-je encore ? Install dans une hutte d'ermite38 il n'a song
qu' son travail, et quand il a compris qu'il ne pourrait pas tudier
cause de la fume du foyer de bouse
fut l'initiateur du monastre de Samy (bSam-yas) avec
Padmasambhava. Ce dernier, mort en 797, tait un matre tantriste qui
contribua puissamment donner au bouddhisme tibtain sa coloration
magique et son ritualisme.
Atisa (982-1052) est surtout considr comme l'artisan de la *
seconde conversion du Tibet au bouddhisme, aprs l'apostasie de
Langdarma.
Quant Tsongkhapa (Co-kha-pa) (1357-1419), il fut le grand
rformateur de l'Eglise bouddhique du Tibet, le crateur du nouvel
ordre des gelougpa (dge-lugs-pa) ou bonnets jaunes , et le
thoricien de la voie progressive ou Lam rim.
38. La cellule o il vcut Zangla existe toujours. Celle de
Phuktal est tombe de la falaise, victime du dlabrement. Sa
maisonnette de Kanam est presque intacte.
-
Alexandre Csoma de Krs 377
sche qui lui brlait la gorge et les yeux, l'empchant de lire et
de poursuivre ses recherches, il a cess de se chauffer, prfrant
avoir froid et souffrir cruellement plutt que d'abandonner la tche
lui confie. Quand on sait qu'au Zanskar, o il passa deux hivers, le
thermomtre descend en janvier quarante degrs au-dessous de zro (la
temprature enregistre la mme poque au sommet du mont Blanc), on
peut mesurer de quelle abngation il a t capable et comprendre qu'il
ait t compar ces asctes himalayens sur qui le froid parat n'avoir
pas prise.
En fait, il a ralis cet idal de renoncement et d'indiffrence aux
agrments et dsagrments de la vie que souhaitent atteindre tous les
saints lamas, et dont la littrature tibtaine, depuis Milarpa39,
nous fournit maint exemple. Mais ce qui est mieux encore et
peut-tre plus singulier de la part d'un Europen, c'est que cette
vie asctique, ce mpris total des contingences de l'existence, il
n'a pas cru devoir y renoncer quand, loin des monastres himalayens,
il s'est retrouv Calcutta, au milieu de la colonie anglaise, dans
ce qui tait alors la brillante et sduisante capitale de l'empire
des Indes. Les tmoins qui l'ont connu et nous ont rapport leurs
impressions notent avec stupfaction qu'il ne frquente pas ses
semblables, ignore rceptions et banquets, bals et mondanits. Il ne
mange jamais de viande, n'absorbe ni produits excitants ni boissons
enivrantes, ne fume pas, ne se dlasse pas, ne se promne pas, bref
ne prend jamais de bon temps. Il se contente trois cent
soixante-cinq jours par an d'un plat de riz cuit l'eau et de ce th
tartare , sal et beurr, qui fait faire la moue aux Anglais. Aussi
bien est-il vident que, mme quand il n'y est pas contraint, il vit
dans la pauvret, l'abstinence et la chastet, se refusant tout
plaisir et toute autre distraction que le travail,
39. Milarpa (Mi-la-res-pa) (1038-1123), l'homme la robe de coton
, tait le disciple de Marpa le traducteur, fondateur de l'ordre des
Kargyudpa. Il est l'auteur des Cent mille pomes, chef-d'uvre de la
littrature tibtaine. Ayant vcu toute sa vie en anachorte, il est
considr comme un modle achev de l'asctisme.
-
378 Bernard Le Calloc' h
toujours le travail. N'est-ce pas l plus qu'il n'en faut pour
faire un saint ?
Il a t, en effet, une manire d'anachorte en plein milieu de la
grande cit, comme il l'avait t Zangla, Phuktal et Kanam40. Ce qui
paraissait une ncessit contraignante et pnible, accepte bon gr mal
gr, mais impose par des circonstances exceptionnelles, tait en
ralit sa manire de vivre. Victor Jacquemont41, James G. Gerard42,
par exemple, qui l'ont connu dans l'Himalaya, n'ont pas imagin que
la vie d'une extrme austrit qu'il menait alors se poursuivrait sans
changement lorsqu'il se retrouverait au milieu des sductions de la
capitale. Jules Desnoyers43, Thodore Pavie44, et surtout Auguste
Schoefft45, nous en ont pourtant apport la preuve. Us nous disent
qu'il ne sort jamais de l'immeuble de
40. Alexandre Csoma de Krs a sjourn Zangla du 26 juin 1823 au 22
octobre 1824 ; Phuktal du 10 novembre 1825 au 2 novembre 1826 ; et
Kanam des premiers jours de juin 1827 au 30 octobre 1830.
41. Victor Jacquemont (1801-1832) tait un naturaliste. Il
voyagea en Inde du Nord pour le compte du Museum national
d'histoire naturelle de Paris. Il rencontra Csoma de Krs Kanam deux
reprises, alors qu'il explorait l'Himalaya occidental. Il a consacr
seize pages de son journal son hte hongrois, qu'il dcrit avec
beaucoup de dtails comme un original au comportement
particulirement insolite.
42. James Gibert Gerard (1795-1835) tait un mdecin britannique.
Il s'occupait de l'unit militaire de Sabathou, commande par le
capitaine Kennedy. Il se prit d'une vive amiti pour Alexandre Csoma
de Krs, qu'il aida de son mieux, et il lui rendit visite dans son
ermitage de Kanam en septembre 1828. Lui-mme a laiss un nom dans
l'histoire de la dcouverte de l'Himalaya comme gologue et
minralogiste. Compagnon d'Alexandre Burnes, lors du second voyage
de celui-ci en Afghanistan et Boukhara, il contracta une maladie
dont il mourut 40 ans.
43. Jules Desnoyers (1800-1887) tait un naturaliste. En 1831,.
il vint en Inde et y rencontra Csoma de Krs au sige de la Socit
asiatique du Bengale. Il devait plus tard devenir le bibliothcaire
en chef du Museum de Paris.
44. Thodore Pavie (1811-1896) tait un orientaliste, la fois trs
vers en sanscrit, en hindoustani et en chinois. En 1840, il ft un
sjour Calcutta et travailla la Socit asiatique, ce qui lui donna
l'occasion de connatre Csoma de Kors. Il devait par la suite
devenir charg de cours de sanscrit au Collge de France, la mort
d'Eugne Burnouf. Il a traduit des fragments du Mahbh- rata, la
chronique chinoise des trois royaumes, etc.
45. Auguste Schoefft (1809-1888) tait un artiste-peintre
hongrois qui vint en Inde pour faire le portrait de personnalits et
de souverains. Au cours de son sjour Calcutta, il rencontra
Alexandre Csoma de Krs et eut avec lui de longs entretiens. Par la
suite, il se rendit au Pendjab, o il fit le portrait des membres de
la cour du maharadjah de Lahore, parmi lesquels les officiers
franais Allard et Ventura.
-
Alexandre C sma de Krs 379
la Socit asiatique, o il a son logement. Ils constatent qu'il
prfre la compagnie des livres celle des hommes et des femmes, juge
frivole. Il ne fait d'exception que pour les savants orientalistes
qu'il ctoie journellement dans son travail. C'est un homme affable,
mais c'est tout de mme un sauvageon, repli sur lui-mme, que Thodore
Pavie voit souriant ses propres penses 46, et que Schoeft dcrit
comme ne s'animant qu' l'vocation du lancinant problme des origines
de son peuple47. Enferm dans sa chambre, il est au milieu de ses
livres et de ses cahiers, la plume la main, tel le chercheur dans
son laboratoire, poursuivant inlassablement sa qute, convaincu
qu'un jour il dcouvrira enfin le secret qu'il poursuit.
Quand il part en voyage, il est seul ou presque seul, sac au
dos. Il emporte son petit tapis de sol, sur lequel il dort, mange,
travaille, ou mdite, le torse droit, les mains plat sur le giron,
dans la mme position o reprsent le sculpteur Gza Csorba, lorsqu'il
lui a fallu l'imaginer en bodhi- sattva.
Mais Alexandre Csoma de Krs n'est pas seulement un ascte, il est
aussi, sur le plan moral, un homme d'une extraordinaire droiture.
Jamais il n'accepte de cadeau, mme quand cela lui rendrait grand
service. James G. Gerard a toutes les peines du monde lui faire
accepter des livres, plus forte raison un manteau, dont pourtant il
aurait le plus grand besoin dans l'atmosphre glace des hauteurs
himalayennes. Dj, quand il tait Gttingen, il n'avait consenti
recevoir un chapeau d'un de ses amis qu'en change de quelques
pices. Toute sa vie, il refusera l'argent. Quand le gouvernement
anglais des Indes lui proposera des honoraires au titre des travaux
qu'il fait pour lui, il n'acceptera que le strict nces-
46. Dans Le Thibet et les tudes thibtaines, Revue des Deux
Mondes, juillet 1847.
47. La lettre d'Auguste SchoefTt sa famille en Hongrie, adresse
d'Agra le 16 mars 1842, fut publie le 9 juin de la mme anne
Budapest dans le priodique Szzadunk (Notre sicle).
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380 Bernard Le Calloc'h
saire, qu'il partagera, d'ailleurs, galit avec son professeur,
le lama Sangye Phuntsog. Il se froisse quand on lui propose des
droits d'auteurs sur son dictionnaire et sa grammaire. Il ne prend
son traitement de bibliothcaire que lorsqu'il n'a plus un sou
vaillant48. Quand, sa renomme ayant travers les mers, ses
compatriotes croient bien faire en lui envoyant de l'argent pour
lui venir en aide, il en renvoie la plus grande partie pour des
tudiants pauvres et des institutions universitaires. Pourtant, dans
plusieurs lettres, il avoue manquer de moyens et en tre gn. Il
renonce au voyage qu'il avait projet dans le nord de l'Inde
orientale, faute du minimum de ressources indispensables. Mais, au
mme moment, il repousse l'ide d'une contribution: de la Socit
asiatique. Celle-ci ne parvient lui faire accepter un peu d'argent
que trs difficilement.
Ainsi est cet homme qui aurait pu connatre une certaine aisance
grce ses travaux philologiques, et qui demeure dlibrment pauvre,
presque misrable, jusqu' son dernier jour.
Sa fidlit la parole donne est galement bien connue de ses
biographes. Il vient rendre de l'argent aux autorits anglaises,
aprs son sjour Phuktal, parce qu'il n'a pas russi avancer ses
recherches autant qu'il s'y tait engag. Les Anglais refusent. Il le
prend de haut. Finalement, ce sont les Anglais qui capitulent, car,
quand il prend une dcision, il s'y tient et n'en dmord plus.
Il reste Kanam trois ans et demi sans en redescendre parce qu'il
a promis de ne se montrer que lorsqu'il serait en possession de son
dictionnaire. Il tient parole, en dpit de ce qu'il peut lui en
coter. Jacquemont nous dit combien il est las de la vie qu'il mne
en cet endroit perdu du Bishawar49,
48. Ce qui fait qu' sa mort on dcouvrit chez le caissier de la
Socit asiatique du Bengale une somme de 4 000 roupies, ainsi que
nous l'apprend une lettre du secrtaire Henry Torrens, date du 24
mars 1842 et lue lors de la sance du 12 avril.
49. II semble fatigu, dgot, ennuy de tout , crit-il dans son
journal (IV partie, p. 395).
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Alexandre Csoma de Krs 381
mais cette extrme lassitude n'a pas prise sur sa dtermination,
car jamais il ne remet en question l'engagement qu'il a pris,
l'accord qu'il a pass. Il en fait une affaire d'honneur et se
montre d'une rigueur pousse jusqu' l'intransigeance, ce qui lui
vaut d'tre accus de fiert mal place. Il n'en a cure. Ce qui compte
ses yeux, c'est sa conscience, pas l'opinion qu'en ont les
gens.
Ce n'est pas trop de dire qu'il a t le hros de la recherche
dsintresse. Assurment, s'il a appris le tibtain, ce n'tait pas pour
en faire commerce, ni mme pour en tirer gloire. On le verra bien,
justement, lorsque viendra l'heure de la gloire. Il s'y drobera
nergiquement, l'tonnement de son entourage qui ignore ses
sacrifices et en mconnat la signification.
Persvrance, tnacit, volont de fer, courage pouss jusqu'
l'hrosme, abngation exemplaire, on ne sait quels mots retenir quand
il s'agit de lui, car il les contient tous la fois.
Prcisment, en raison des qualits morales et de la force de
caractre peu commune dont il a fait preuve tout au long de sa vie
et plus particulirement dans la terrible preuve himalayenne,
Alexandre Csoma de Krs a pu toucher cette srnit qui est, en
dfinitive, l'idal mme du bouddhisme. Peu d'Europens ont su autant
que lui pratiquer la sagesse du dtachement, mener une vie dpourvue
de toute ostentation, comme il le fit. Rarement l'quanimit se sera
mieux incarne qu'en cet homme aux vertus aussi solides
qu'innombrables.
On dit que celui qui parvient la bouddhit possde les 37
bodhipakhiya, les 10 paramitas et les 4 sangahavattu50. Le disciple
venu de l'Occident les avait toutes. C'est certainement parce
qu'ils en taient convaincus que les bouddhistes japonais l'ont
finalement proclam Csoma Bosatsu , malgr les rserves bien
comprhensibles qu'ils pouvaient prouver. Le caractre inhabituel, et
pour tout dire extraordinaire, de
50. Ces mots sanscrits, considrs comme les attributs obligs du
bodhisattva, rappellent que seuls peuvent esprer accder au nirvana
ceux qui sont capables de toutes les perfections..
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382 Bernard Le Calloc'h
leur dcision sufft marquer qu'ils ne la prirent pas la lgre, ni
pour quelque motif d'opportunit. Et ceci est d'autant plus
remarquable que, au fond, Csoma n'a jamais dit ni crit qu'il
adhrait la doctrine du Bouddha. A force de l'tudier, d'en percer
les secrets, d'en saisir les nuances les plus subtiles, il aurait
pu tre tent de se rallier l'interprtation que le sage des Shakya
donne de l'univers, de son impermanence, des illusions qu'il
suscite, de la non-existence du moi. Il n'en a rien fait. A-t-il t
sduit par cette voie du sentiment et de la spculation qui est celle
du bodhisattva mahayaniste ? Rien ne permet de le dire, pour la
simple raison que Csoma de Krs ne parle jamais de lui et ne rvle
pratiquement aucune de ses penses. Son attitude, telle qu'elle est
dpeinte grands traits par ceux qui l'ont approch, est celle du
dtachement envers une doctrine qu'il connat bien, mais qui peut-tre
ne l'a pas convaincu. Ce n'est pas parce qu'on consacre beaucoup de
son temps l'tude d'une certaine philosophie qu'il faut
ncessairement en admettre la supriorit sur toutes les autres. Les
orientalistes, surtout cette poque, n'avaient pas coutume d'pouser
leur sujet de prdilection au point de s'y convertir. Alexandre
Csoma n'a sans doute pas chapp la rgle. Trs vers dans l'tude du
bouddhisme, capable de lire le canon tibtain dans le texte, ayant
vcu plusieurs annes dans les monastres en la compagnie des moines,
il n'a jamais franchi le pas et n'a sans doute jamais song le
faire. N calviniste, il est mort calviniste. Il fut, d'ailleurs,
enterr au cimetire protestant de Dardjiling selon les usages de son
glise. Aucune des dispositions caractre testamentaire qu'il a
prises au cours de sa vie, et notamment alors qu'il s'apprtait
quitter Calcutta pour son dernier voyage, n'autorise conclure sa
conversion au bouddhisme51.
51. S'il avait t bouddhiste, il n'aurait sans doute pas voyag
avec la Bible en sept langues diffrentes, la Gense, l'vangile de
saint Matthieu, un livre de prires anglais et un autre en bengali,
ainsi qu'on put le constater quand, aprs sa mort, l'on ouvrit ses
cantines pour en faire l'inventaire. Onze livres chrtiens, et de
cette importance, c'est beaucoup pour un bouddhiste suppos.
L'ancien tudiant en thologie protestante est rest fidle sa
religion. D'ail-
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Alexandre Csoma de Krs 383
Si cela n'a pas empch d'en faire un bodhisattva, c'est parce
que, pour tre reconnu digne de cette suprme dignit, nul n'est
besoin de gestes formels. Nul n'est besoin non plus de se perdre
dans les spculations mtaphysiques et les abstractions. Un homme de
haute culture est apprci au Tibet l'gal d'un saint, parce que tre
cultiv , c'est tre en mesure de toucher la batitude et que la
batitude est l'tat normal du bodhisattva. Or, ainsi que le dit fort
judicieusement l'indianiste hongrois Ervin Baktay, dans son
comportement, dans sa faon de penser, il faisait plutt songer un
sage bouddhiste qu' un Occidental 52. Et il ajoute : II ne fait
aucun doute que la connaissance approfondie qu'il avait de la
philosophie bouddhique a encore renforc chez lui cette vision
particulire des choses qui procdait de sa nature et de ses
penchants fondamentaux. 53 Bref, ceux qui ont dcid un jour de faire
de lui le premier bodhisattva europen ne se sont pas tromps. En le
dsignant la vnration des foules, ils n'ont pas seulement voulu
rendre hommage un grand savant. Ce qu'ils ont voulu souligner, ce
sont les vertus morales qui lui ont donn assez de force, au milieu
des pires difficults, pour accomplir sa tche, et l'accomplir
sereinement, dans un esprit qui est celui-l mme auquel aspirent les
vrais bouddhistes.
Quant aux Hongrois qui pour la plupart ignorent la signification
qu'il convient de donner la notion mahayaniste du bodhisattva, ils
ont voulu discerner en lui la fois le patriote et le savant, prt
tous les sacrifices. La plaque que l'Acadmie
leurs, s'il tait devenu bouddhiste, comme d'aucuns l'ont affirm,
il se serait exprim tout autrement au sujet du Bouddha. Il aurait
d'abord commenc par ne pas l'appeler, comme il le fait toujours,
simplement Shakya . Il n'aurait pas crit la premire page de son
analyse du Dulva (Asiatic Researches, I, 1836) : Shakya, a buddha ,
mais le Bouddha avec l'article dfini et une majuscule, ou mme la
manire tibtaine le Seigneur Bouddha . Il n'aurait pas crit non plus
son sujet : Who is supposed... , ce qui revient mettre en doute la
vracit de la tradition le concernant.
52. Magatartsban, gondolkozsban jobban emlkeztett egy buddhista
blcsre, mint nyugati einberre , Baktay Ervin, Krsi Csoma Sndor,
Gondolt Budapest, 1962, p. 272.
53. Ktsgtelen, hogy a termszetbl, alapvet hajlamaibl ered
szemllett a buddhizmus blcseletnek mlyrehat megismerse mg hat-
rozottabb szilardtotta , Baktay, op. cit., p. 311.
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384 Bernard Le Calloc'h
hongroise des Sciences fit jadis apposer sur sa tombe le dit
clairement : Ci-git le savant hongrois Alexandre Csoma de Kors,
1784-1842. Pour le monde entier, il est l'un des grands de la
science orientaliste. Pour nous, ses compatriotes, il est aussi un
exemple ternel de patriotisme et d'abngation. Il cherchait le
berceau de sa nation, et c'est son tombeau qu'il a trouv ici, mais
il y a aussi trouv l'immortalit.
-
Alexandre Csoma de Krs 385
l'ceuvre tibtologique d'alexandre csoma de krs
1) Notice gographique sur le Tibet d'aprs les sources indignes,
Journal de la Socit asiatique du Bengale (JASB), Calcutta, 1832, p.
121 127.
2) Traduction d'un fragment de texte tibtain, JASB, Calcutta,
1832, p. 269 276.
3) Note sur l'origine des systmes du Kala-chatra et de l'Adi-
bouddha, JASB, Calcutta, 1833, p. 57 59.
4) Traduction d'un passeport tibtain, JASB, Calcutta, 1833, p.
201. 5) L'origine du nom du clan des Shakya, traduit du La ou 26e
volume
de la classe Do du Kandjour, commenant la page 161, JASB,
Calcutta, 1833, p. 385 392.
6) Essai de dictionnaire tibtain-anglais, Imprimerie de la
mission baptist, Calcutta, 1834.
7) Grammaire de la langue tibtaine (en anglais), Imprimerie de
la mission baptist, Calcutta, 1834.
8) Noms symboliques tibtains utiliss comme numriques, JASB,
Calcutta, 1834, p. 5 8.
9) Extraits d'ouvrages tibtains traduits, JASB, Calcutta, 1834,
p. 57 61.
1U) Analyse d'un ouvrage mdical tibtain, JASB, Calcutta, 1835,
p. 1 20.
11) Interprtation d'une inscription tibtaine sur une bannire
bhotya prise en Assam et offerte la Socit asiatique par le
capitaine Bogie, JASB, Calcutta, 1836, p. 264.
12) Note sur l'charpe en satin blanc brod des prtres tibtains,
JASB, Calcutta, 1836, p. 383.
13) Analyse du Dulva, partie de l'ouvrage tibtain appel
Kandjour, Asiatic Researches, Calcutta, 1836, p. 41 93.
14) L'inscription tibtaine d'Iskardo, .JASB, Calcutta, 1838, p.
38 et 39.
15) Notices sur les diffrents systmes du bouddhisme au Tibet,
JASB, Calcutta, 1838, p. 142 147.
16) Enumeration des ouvrages historiques et grammaticaux dans la
littrature du Tibet, JASB, Calcutta, 1838, p. 147 152.
17) Notices sur la vie du bouddha Shakyamouni, Asiatic
Researches, Calcutta, 1839, p. 285 317.
18) Analyse du Sher-p'hyin (Cher Tchin), seconde division de
l'ouvrage tibtain appel Kandjour, Asiatic Researches, Calcutta,
1839, p. 393 552.
19) Abrg du Bstan Hgyur (TandjoUr), Asiatic Researches,
Calcutta, 1839, p. 553 585.
20) Remarques sur des amulettes bouddhiques transhimalayennes,
JASB, Calcutta, 1840, p. 905 907.
-
386 Bernard Le Calloc'h
21) Brve notice sur le Subhashita Ratna Nidhi de Saskya Pandita,
avec extraits et traductions, JASB, Calcutta, 1855, p. 141 165
(premire partie) ; JASB, Calcutta, 1856, p. 257 294 (deuxime
partie).
22) Fragments d'un vocabulaire compar sanscrit-hindi-hongrois,
publi par Thodore Duka, en appendice son ouvrage Life and works of
Alexander Csoma de Krs, Londres, Trubner, 1885; Version hongroise :
Krsi Csoma Sndor dolgozatai, dition de l'Acadmie des Sciences,
Budapest, 1885.
23) Vocabulaire sanscrit-tibtain-anglais, dition et traduction
de la Mahavyutpatti, Mmoires de la Socit asiatique dit Bengale,
Calcutta, 1910 (premire partie) ; 1916 (deuxime partie) et 1944
(troisime et dernire partie).
BIBLIOGRAPHIE
La bibliographie relative Alexandre Csoma de Krs est
essentiellement de langue hongroise. N'ayant que trs
exceptionnellement fait l'objet de traductions en langues trangres,
elle est peu prs inabordable aux chercheurs ventuels.
L'pisode relat dans l'article ci-contre et concernant la
proclamation du tibtologue comme bodhisattva en 1933 n'a
curieusement jamais donn lieu une tude spcifique, ni en Hongrie, ni
ailleurs, pas mme au Japon. Tout au plus quelques livres et
articles de revue y font-ils une allusion, souvent rapide et
superficielle. Faute d'avoir russi rassembler une documentation
d'accs trs difficile, les auteurs, mme les plus qualifis, ont la
plupart du temps vit le sujet ou l'ont nglig. Il est remarquable
que les livres publis en Hongrie et en Transylvanie en 1984,
l'occasion du 200e anniversaire de la naissance du savant voyageur,
n'y font que rarement rfrence.
Nous croyons ne devoir donner ci-dessous que quelques titres,
priant le lecteur que le sujet intresserait particulirement de se
reporter notre essai de bibliographie publi dans le Journal
asiatique d'octobre 1987 et intitul La littrature orientaliste de
langue franaise et Alexandre Csoma de Krs .
Victor Jacquemont, Correspondance avec sa famille et ses amis,
Paris, Eugne Foumier, 1833.
Victor Jacquemont, Voyage dans VInde, Paris, Firmin Didot, 1841.
Jules Mohl, Ncrologie d'Alexandre Csoma de Krs, Journal asia
tique, Paris, 1843. Thodore Pavie, Le Thibet et les tudes
thibtaines, Revue des Deux
Mondes, Paris, 1847. Victor Jacquemont, Correspondance indite,
Paris, Michel Lvy, 1867. Lon Feer, Analyse du Kandjour par A. Csoma
de Krs, Annales du
Muse Guimet, Paris, 1881.
-
Alexandre C sma de Krs 387
Jules-Barthlmy Saint- Hilaire, Vie et ouvrages d'Alexandre Csoma
de Krs par Thodore Duka, Journal des savants, Paris, novembre
1887.
Louis Ligeti, Ouvrages tibtains rdigs l'usage de Csoma, Toung
Pao, Leyde, 1933.
Louis Ligeti, Les prgrinations de Csoma de Krs et le pays des
Yugar, Revue des Etudes hongroises, Budapest, 1934.
Louis Ligeti, Alexandre Csoma de Krs, Nouvelle Revue de Hongrie,
Budapest, 1935.
Bernard Le Callo'ch, Hommage Alexandre Csoma de Krs, Les
Nouvelles sinologiques, Paris, mars 1984.
Bernard Le Calloc'h, II y a deux cents ans naissait A. Csoma de
Krs, Les Cahiers du bouddhisme, Grenoble, mars 1984.
Bernard Le Calloc'h, La vie et l'uvre d'Alexandre Csoma de Krs,
Nouvelle Revue tibtaine, Paris, avril 1984.
Bernard Le Calloc'h, Alexandre Csoma de Krs et la thorie fmno-
ougrienne, Revue de la Socit flnno-ougrienne (suomalais-ugrilaisen
seuran aikakauskirja), Helsinki, n 79, dcembre 1984.
Bernard Le Calloc'h, Alexandre Csoma de Krs, Nouvelle Revue
tibtaine, Paris, n 10 spcial, janvier 1985.
Bernard Le Calloc'h, Les biographes d'Alexandre Csoma de Krs,
Journal asiatique, Paris, n08 3-4, 1985.
Bernard Le Calloc'h, Le dictionnaire tibtain d'Alexandre Csoma
de Krs, Revue de la Bibliothque nationale, Paris, n 16, 1985.
Bernard Le Calloc'h, Alexandre Csoma de Krs et la question de la
parent ftnno-ougrienne, Eludes finno-ougriennes, Paris et Budapest,
no 19, 1985.
Nous indiquons par ailleurs, ci-dessous, quelques-uns des titres
de langue hongroise les plus importants :
Duka Tivadar, Krsi Csoma Sndor dolgozatai, MTA kiads, Budapest,
1885.
Benedek Elek, Nagy magyarok lete, Athenaeum, Budapest, 1907.
Baktay Ervin, A vilg tetejn, Lampel, Budapest, 1930. Nmeth Gyula,
Krsi Csoma Sndor clja, Magyar tudomanyos
akadmia, Budapest, 1935. Baktay Ervin, Hromszktl a Himaljig, j
Idk, Budapest, 1942. Tcsi Tchy Oliver, Krsi Csoma Sndor es a tibeti
buddhizmus,
Magyar keleli lrsasg, Budapest, 1944. Baktay Ervin, A messzesgek
vndora, Mra konyvkiad, Budapest,
1960. Baktay Ervin, Krsi Csoma Sndor, Gondolt, Budapest, 1962.
Szilgyi Ferenc, Krsi Csoma Sndor hazai tja, Akadmiai konyvk
iad, Budapest, 1966. Terjk Jzsef, Krsi Csoma dokumentumok az
akadmiai knyvtar
gyujtemnyeiben, Magyar tudomnyos akadmia, Budapest, 1976.
-
388 Bernard Le Calloc'h
Szilgyi Ferenc, Igy lt Krsi Csoma Sndor, Mra konyvkiad,
Budapest, 1977.
Bodor Andrs, Krsi Csoma Sndor, Buddha lete s tanitsai,
Krilerion, Bucarest, 1982.
Szilgyi Ferenc, Krsi Csoma Sndor levelesldja, Szpirodalmi
konyvkiad, Budapest, 1984.
Terjk Jzsef, Emlkek Krsi Csoma Sndorrl, MTA konyvtra, Krosi
Csoma Trsasg, Budapest, 1984.
Szilgyi Ferenc, Tiszteletads Krsi Csoma Sndornak, Budapest,
Mission bouddhique, 1986.
Szilgyi Ferenc, Krosi Csoma Sndor lete nyomban, Gondolai,
Budapest, 1987.
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PlanLe 22 fvrier 1933 l'Universit Taish A la recherche du
berceau des Hongrois Dcouverte de la civilisation tibtaine Le
bodhisattva L'uvre tibtologique d'Alexandre Csoma de
KrsBibliographie