Le général Dodds
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Le général Dodds etl'expédition du
Dahomey / par Fr.Desplantes,...
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Desplantes, François (1843-19..?). Le général Dodds et l'expédition du Dahomey / par Fr. Desplantes,.... 1894.
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FR DESPLANTES
LE
GENERAL'DODDSET
L'EXPÉDITION DU DAHOMEY
AVEC c.uwrms DANS il- TEXTE
R 0 U E N
MÉMRD BT G", IMPRIMEURS-ÉDITEURS
U\ie Saint-Hilaire, 136.
BIBLIOTHÈQUE MORALE
DK
LA JEUNESSE
SÉRIE GRAND ÎN-^ CABRÉ
Reproduction autorisée pour lés publications périodiques ayant un traité
avec la Société des>Gens dé Lettres:.
LE OÉNÉBAL DODDS SUlf LE rO.YT DU Thibcl.
Commandant Drudc. General Dodds. Lieutenant Vuillcmot.
Commandant Roques. L'alibè Vathclel.
Lltardi, commandant le Tliibct.
M. Mouton, agent de la Cu Fraissinet. M. Taglia.
LE
GÉNÉRAL DODDSET
UJXÏSENLTION DU DAHOMEY
PAU
%H. DESPLANTES
Officier do l'Instruction ]Hili!iqiie
AVEC GRAVUHES DANS LE TEXTE
ROUEN
MÉGARD ET Cie, LIBRAIRES-EDITEURS
1394" :-
Propriété des Éditeurs,
LE GÉNÉRAL DODDS
ET
L'EXPEDITION DU DAHOMEY
l.
Le Dahomey. — Climat et maladies. — Cruautés dahoméennes. — S. M, Bahadung,
l'un des prédécesseurs de Béhanzin.
On sait que le Dahomey se trouve dans le vaste continent
africain. Il est,situé dans la Guinée supérieure, entre les mon7
tagnes Kong et l'Océan, admirablement exposé : bien arrosé,
son sol est très fertile. C'est l'un des royaumes de la Guinée
supérieure ouNigritie; il a au nord des limites encore incon-
nues et est borné à l'est par le royaume de Bénin, où nous
possédons de nombreux établissements, au sud par le golfe'
de Guinée, et à l'ouest par le pays des Aehantis. Sa capitale
8 LE GÉNÉRAL DODDS ,
politique est Abomey ; il a aussi une capitale religieuse,
Kana.
Le climat du Dahomey est chaud et malsain; nous en par-
lerons plus longuement tout à.l'heure: Son sol, iJlat et fertile,
est en plusieurs endroits couvert d'immenses forêts, « où les
arbres acquièrent des dimensions telles, qu'on en fait des
canots d'une seule pièce pouvant contenir soixante-dix à cent
personnes ». Elles sont le refuge de nombreuses bêtes féroces.
Dans les parties du sol non boisées et couvertes de brousse,
c'est-à-dire d'herbes longues et touffues, on. rencontre du
bétail en abondance.
D'effroyables orages éclatent souvent au Dahomey dans la
Saison des pluies
Gouverné par un roi absolu, ayant droit de vie et de
mort sur ses sujets, qui le révèrent et le craignent comme un
Dieu, ce pays ne se livre guère au commerce : l'huile de palmier
est à peu près le seul produit qui y donne lieu à des transac-
tions commerciales.
Le roi du Dab.om.ey « est gardé par une. ar333.ee de femmes ;
son trône est incrusté de dents humaines. La cruauté de son
gouvernement est inouïe ; en 1843, un officier français, témoin
d'une fête en l'honneur des aïeux du roi. évalua à mille le
nombre des victimes humaines sacrifiées. »
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 9
La religion du Dahomey est le fétichisme (1), nom, nous dit
M. Périgot, « sous lequel on désigne le polythéisme le plus
grossier, c'est-à-dire l'adoration des objets naturels, animaux,
arbres, plantes, rivières, pierres, armes de guerre, etc. Le féti-
chisme a été la religion d'un grand nombre de peuples de
l'antiquité, particulièrement des Egyptiens des castes infé-
rieures. Aujourd'hui il est encore répandu en Laponie,en Sibérie
et dans quelques parties de l'Asie orientale, chez les tribus
indigènes des deux Amériques, dans l'Océanie, et principale-
ment dans l'Afrique centrale. Les ministres de ces fétiches se
nomment en Afrique griots, en Sibérie chammis, en Amérique
jongleurs. »
Nous venons de dire que le climat du Dahomey est malsain ;
nous aurions pu ajouter qu'il est peut-être le plus malsain de
tout notre globe terrestre : la réputation de la Côlc desEsclaves,
nom sous lequel on désigne . communément toute cette
partie de la côte africaine, est depuis longtemps faite à cet
égard.
« Un soleil torride, une- humidité constante, des lagunes
d'où se dégagent incessamment des miasmes délétères, offrent
(1) Fétichisme, du mot portugais fctisso, chose enoliautéo, chose fée, lequel est lui-
même dérivé du latin fatum, destin.
10 LE GÉNÉRAL DODDS
les meilleures conditions de développement aux redoutables
affections qu'on appelle les maladies despays chauds. ».
On voit, d'après cela, dans quelles conditions désastreuses
se sont trouvés ceux de nos vaillants soldats qui ont conquis
le Dahomey, sous le commandement du général Dodds, et
quelles souffrances ils.ont eu à endurer. Les maladies ont été
pour eux plus terribles et plus cruelles que les armes de leurs
ennemis.
« L'acclimatement dans ces régions de l'Afrique est impos-
sible, écrivait un médecin distingué, peu après la fin de notre
victorieuse expédition du Dahomey : les Européens y dépé-
rissent fatalement sous l'influence de l'action débilitante du
climat. Le blanc peut cependant y vivre quelques années,
mais à la condition d'y adopter un régime et une hygiène
sévères, d'éviter tout excès alcoolique, d'habiter une maison
spacieuse et bien aérée; et de faire tous les deux ans une cure
d'air natal.
« Quant aux troupes européennes, elles.ne sauraient, en
dépit des précautions hygiéniques les plus minutieuses, résis-
ter plus d'une année à ce climat de mort! L'expérience faite
dans la première campagne contre Béhanzin i'a bien montré.
Le petit corps expéditionnaire avait été formé avec des
troupes indigènes provenant du Sénégal et du Gabon, des
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 11
compagnies d'infanterie et d'artillerie, et d'une compagnie
de disciplinaires.
« Les tirailleurs sénégalais et gabonais ont bien supporté
le séjour de la côte du Bénin, qui ne diffère guère de leur
pays; mais le contingent européen, presque complètement
composé déjeunes gens de vingt-deux à vingt-cinq ans, a été
renouvelé presque tout entier dans le court espace de huit
mois. Il y a eu peu de morts néanmoins, si le nombre des
malades a été considérable; mais ce résultat, n'a été atteint
que grâce ati rapatriement immédiat des soldats atteints et
à de fréquentes évacuations faites dans les hôpitaux du Gabon
et du Sénégal....
« "Voulez-vous maintenant un aperçu des maladies les plus
communes au Dahomey?... ajoutait le même docteur, à qui
nous empruntons encore ce qui suit. Nous avons d'abord la
fièvre intermittente ; à celle-ci personne n'échappe ; c'est de la
monnaie courante ; tout ce qu'on peut espérer, c'est de n'avoir
que les formes anodines et relativement bénignes du mal, des
accès de fièvre plus ou moins répétés, qu'on peut encore
combattre.avecle sulfate de quinine; mais, au bout de quelque
temps, l'anémie profonde, l'hypertrophie de la rate et du foie,
la cachexie palustre, ne tardent pas à se produire.
« La fièvre bilieuse, hématurique dans laquelle on urine le
12 LE GÉNÉRAL D0DDS
sang à plein vase, est plus redoutable; les Anglais l'appellent
la fièvre noire; elle atteint les blancs d'une façon moins régu-
lière et moins rapide que la fièvre intermittente ; mais, au bout
de deux ans de séjour, bien peu l'évitent.
« La dyssenterie règne en souveraine, plus grave que celle
de Cochinchine ; une fois atteint, on n'a qu'une ressource, c'est
de quitter le pays; sinon, les récidives sont incessantes.
« L'hépatite est encore une maladie ordinaire, et les abcès
du foie sont la conséquence fréquente de cette inflammation.
« Quand la petite vérole éclate dans ces régions, elle donne
lieu à, des épidémies terribles qui déciment la population ;
mais enfin on peut s'en garer par la vaccination et la revacci-
nation.
« Nous ne parlons pas des insolations qui peuvent foudroyer
les imprudents; des ulcères aux jambes qui sont habituels ;
des maladies cutanées de toutes sortes qui fleurissent sur la
peau des blancs soumise à une transpiration inaccoutumée;
des bourbonilles qui n'épargnent personne.
« Par contre, on ne connaît pas encore au Dahomey la fièvre
jaune ni le choléra. Mais en revanche on y observe deux ma-
ladies très curieuses, qui jusqu'à présent paraissent sévir de
préférence sur les noirs : le ver de Guinée et la maladie du
sommeil.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 13
« Le ver de Guinée ou dragonneau est un ver gros comme
un fil, dont la longueur varie de dix centimètres à trois ou
quatre mètres. On suppose qu'il pénètre à l'état de larve dans
le corps, soit au moyen de l'eau de boisson, soit plus probable-
ment directement par la gaine des poils. On l'observe en effet
très souvent aux membres inférieurs chez les noirs qui
marchent pieds nus.
« D'ordinaire le ver est très superficiellement situé ; il donne
alors au toucher la sensation d'une petite corde tournée en
spirale ou serpentant sous la peau ; il ne produit d'abord
qu'une petite démangeaison, mais bientôt il survient des abcès,
dont l'ouverture peut donner issue aux parasites, mais qui
peuvent aussi s'accompagner d'accidents très graves. Le ver
de Guinée trouvé sur l'homme est en effet toujours une femelle,
et une femelle féconde; elle est remplie d'embryons, et ces
petits vers, en se répandant dans les tissus, peuvent déterminer
ie vastes suppurations, des gangrènes et même la mort.
« Aussi le traitement consiste-t-il, dès qu'on a constaté la
présence du ver, à inciser la peau, à lier l'extrémité du parasite
avec un fil de soie qu'on attache à un petit bâtonnet, autour
duquel on enroule avec précaution le ver en évitant de le
briser ; car la rupture du parasite amènerait l'envahissement
des tissus par les embryons et serait le signal des accidents
14 *LÉ GÉNÉRAL DODDS
graves. On met ainsi quinze, vingt jours, parfois plus d'un
mois, à extraire complètement le ver.
« La maladie du sommeil est causée par un autre parasite
qui pénètre, lui, dans le système circulatoire. C'est une
variété de ftlaire du sang. Sans aucune raison apparente,
l'individu atteint de cette étrange affection perd peu à peu
ses forces, devient abattu, apathique, somnolent. La ten-
dance au sommeil s'exagère progressivement et finit par
aboutir à la mort en deux ou trois mois. Sur cent sujets
atteints-, quatre à peine échapperaient à cette terminaison
fatale.»
La cruauté des Dahoméens est telle, que l'on ne saurait s'en
faire une idée sans les témoignages écrits de ceux qui ont eu
l'occasion d'en être les témoins. Les sacrifices humains, nous
l'avons vu plus haut, sont chose assez commune dans ce
royaume où règne le plus absolu fétichisme. De plus, quand le
roi est en guerre avec quelque peuple voisin, les prisonniers
sont généralement tous égorgés de sang-froid après le. combat,
ainsi que les femmes et les enfants des vaincus; à peine en
conserve-t-ôn quelques-uns pour en faire des esclaves.
Ces moeurs et ces coutumes, qui existent depuis des cen-
taines d'années, subsistent toujours et demeurent encore trop
vivaces, bien qu'un peu atténuées dans ces derniers temps.:
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY, 15
Le roi Béhanzin, que nos soldats ont eu à combattre, le féroce
Béhanzin n'est donc point une exception; il ne fait que se
conformer aux coutumes et aux habitudes des rois ses prédé-
cesseurs; car le Dahomey est l'un des plus anciens royaumes
de l'Afrique. .
Voici entre autres, à ce sujet, quelques traits de la vie de
Bahadung, l'un des ascendants de Béhanzin, qui ont été, en
1862, rapportés tout au long dans le Journal des Missions êvangé-
liques. Nous citons textuellement :
« Le roi du Dahomey, nommé Bahadung, lisait-on dans
cette intéressante et excellente publication, continue le cours
de ses atrocités. Il vient de détruire entièrement une ville
chrétienne, Ischagga, ville assez importante (de trois à quatre
mille habitants) du pays des Egbas Une fois déjà, en 1851,
Bahadung, qui a sous ses ordres une armée de quarante mille
soldats et de dix mille amazones armées de mousquets, avait
essayé de surprendre cette ville, mais sans y réussir. En mars
dernier, ses mesures étaient mieux prises. La ville, investie
durant la nuit par des forces considérables, a été emportée
d'assaut, et tous ses habitants, dont on évaluait le chiffre à
trois ou quatre mille, ont été ou massacrés sur place ou emme-
nés, pour être vendus comme esclaves ou immolés, à Abomey,
capitale du Dahomey, en l'honneur du feu roi Ghezzo, dont
16 LE GÉNÉRAL DODDS
l'exécrable fils Bahadung ne cesse pas de célébrer ainsi les
funérailles....
« Bahadung n'est pas seulement un amateur effréné du
sang versé ; on pourrait dire qu'il a la fanfaronnade de ce goût.
Ayant appris, à cette époque, qu'un marchand hollandais,
nommé M. Enschart, se trouvait accidentellement dans le
port de Whydah, qui appartient au Dahomey, il envoya
l'inviter à le venir voir dans sa capitale. Peu soucieux de se
rendre aux désirs d'un tel hôte, M. Enschart voulut décliner
cet honneur; mais les chefs de la ville lui firent comprendre
que les voeux du roi étaient des ordres, et que s'il ne partait
X^as de bonne grâce, des soldats étaient là pour le faire
marcher.
« Arrivé, sous bonne escorte, à Abomey, M. Enschart fut
reçu par plusieurs grands officiers du roi, qui lui firent con-
naître la pensée de leur maître en ces termes : « Le roi n'avait
« jamais vu de Hollandais, et son père Ghezzo n'en avait
« jamais vu non plus: maintenant qu'il a beaucoup de gens à
« faire tuer, il a eu envie de voir un Hollandais'et sera heu-
« reux d'apprendre votre arrivée. » Ils lui firent ensuite boire
plusieurs fois à la santé du roi; puis, après avoir dansé autour
de lui en chantant, ils le conduisirent, au bruit de la mous-
queterie, dans la maison qu'on lui avait préparée.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 1T
« Deux jours après, il fut introduit auprès du roi, qui l'a
accueilli de la manière la plus amicale, mais le fit ensuite
reconduire dans son logis, où il resta gardé à vue pendant
trois jours.
« Au terme de ces arrêts forcés, on vint, le 5 juillet, le
chercher pour le mener sur la place du marché, en l'informant
que la veille un grand nombre de personnes avaient été mises
à mort, et la première chose que vit le pauvre Européen sur
cette place fut le corps du digne catéchiste d'Ischagga. On
l'avait crucifié contre un arbre, avec un clou à travers le front,
un autre à travers la poitrine, et quatre à travers les mains et
les pieds. On lui avait mis, sans doute par dérision, un grand
parasol de coton dans la main gauche. Un peu plus loin, au
centre de la place, le roi, monté sur une vaste estrade, haran-
guait le peuple en lui faisant distribuer des cauries, des vête-
ments, du rhum, et en lui promettant de conduire bientôt son
armée contre Abbéokuta. En face de lui s'étalaient de longues
rangées de têtes, fraîchement coupées, sans doute après
d'horribles tortures infligées à ces pauvres victimes dune rage
meurtrière qui dépasse toute conception. La place entière
était encore comme saturée de sang.
« Mais tout n'était pas fini. Cinq jours après, M. Enschart,
ramené de nouveau devant Bahadung, le trouva sur la même
2 .
18 LE GÉNÉRAL D0DDS
estrade et entouré de ses amazones. Un tremblement de terre
s'était fait sentir la veille. Le roi dit au Hollandais que ce qui
avait secoué le sol, c'était la colère de son père, irrité de ce
que « la grande coutume du pays » ne s'accomplissait pas
d'une manière convenable. Puis, faisant amener devant lui
trois chefs d'Ischagga, il donna ordre de les décapiter, en leur
commandant d'aller dire à son père qu'à l'avenir on se confor-
merait mieux à ses volontés.
« La scène qui suivit peut à peine être racontée. Plus de
vingt prisonniers, amenés sur l'estrade, furent jetés successi-
vement au milieu de la foule, qui, dansant, chantant et hurlant,
se précipitait sur eux, les déchirait et se disputait les lambeaux
de leurs corps. L'homme assez heureux pour rester en posses-
sion de la tête venait ensuite la présenter au roi et recevait
en récompense une tête de cauries (environ 2 fr. 50).
« Et ce ne fut pas tout encore. Le 22 juillet, M. Enschart,
conduit dans une autre partie de la ville, en face du palais du
feu roi, y vit dressées deux estrades, dont l'une portait seize
hommes et l'autre seize femmes, destinés encore à être offerts
en sacrifice aux mânes de Ghezzo. C'étaient encore des prison-
niers d'Ischagga, car tous portaient des vêtements européens.
Les hommes, assis ou plutôt enchaînés autour d'une grande
table ronde, avaient chacun devant eux un verre de rhum.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 19
« On attendait le roi. Dès qu'il fut arrivé, les malheureux
furent obligés de boire à sa santé ; puis on étala devant eux
les vêtements du roi. décédé, que la foule adorait à mesure
qu'ils passaient, et, après un long défilé de troupes, les trente-
deux victimes furent solennellement décapitées. On égorgea
en même temps qu'elles plusieurs chevaux et un alligator dont
on eut soin de mêler le sang au leur.
« Après avoir été témoin de ces monstrueux spectacles,
M. Enschart reçut enfin la permission de s'éloigner d'Abomey,
et on peut se figurer quel empressement il mit à s'en pré-
valoir. »
18 LE GÉNÉRAL D0DDS
estrade et entouré de ses amazones. Un tremblement de terre
s'était fait sentir la veille. Le roi dit au Hollandais que ce qui
avait secoué le sol, c'était la colère de son père, irrité de ce
que « la grande coutume du pays » ne s'accomplissait pas
d'une manière convenable. Puis, faisant amener devant lui
trois chefs d'Ischagga, il donna ordre de les décapiter, en leur
commandant d'aller dire à son père qu'à l'avenir on se confor-
merait mieux à ses volontés.
« La scène qui suivit peut à peine être racontée. Plus de
vingt prisonniers, amenés sur l'estrade, furent jetés successi-
vement au milieu de la ioule, qui, dansant, chantant et hurlant,
se précipitait sur eux, les déchirait et se disputait les lambeaux
de leurs corps. L'homme assez heuretix pour rester en posses-
sion de la tête venait ensuite la présenter au roi et recevait
en récompense une tête de cauries (environ 2 fr. 50).
« Et ce ne fut pas tout encore. Le 22 juillet, M. Enschart,
conduit dans une autre partie de 3a ville, en face du palais du
feu roi, y vit dressées deux estrades, dont l'une portait seize
hommes et l'autre seize femmes, destinés encore à être offerts
en sacrifice aux mânes de Ghezzo. C'étaient encore des prison-
niers d'Ischagga, car tous portaient des vêtements européens.
Les hommes, assis ou plutôt enchaînés autour d'une grande
table ronde, avaient chacun devant eux un verre de rhum.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 19
« On attendait le roi. Dès qu'il fut arrivé, les malheureux
furent obligés de boire à sa santé ; puis on étala devant eux
les vêtements du roi. décédé, que la foule adorait à mesure
qu'ils passaient, et, après un long défilé de troupes, les trente-
deux victimes furent solennellement décapitées. On égorgea
en même temps qu'elles plusieurs chevaux et un alligator dont
on eut soin de mêler le sang au leur.
« Après avoir été témoin de ces monstrueux spectacles,
M. Enschart reçut enfin la permission de s'éloigner d'Abomey,
et on peut se figurer quel empressement il mit à s'en pré-
valoir. »
IL
S. M. Béhanzin, roi du Dahomey. — Coutumes dahoméennes. — Forces militaires
du Dahomey en 1892. — Les amazones. — Armement des troupes dahoméennes.
S. M. Béhanzin, roi du Dahomey, n'est point un de ces
petits souverains, comme il en pullule en Afrique, qui s'im-
posent momentanément, soit par la force, soit par la ruse et
le prestige qu'ils ont l'adresse de s'attribuer, à des peuplades
soumises et crédules sur lesquelles ils régnent leur vie durant,
sans que leur gouvernement éphémère ait la moindre assu-
rance de durée après leur mort. Il descend. « en ligne directe du
fameux Tacoudonou, qui, en 1625, si l'on en croit Robert
Norris, fonda l'empire du Dahomey en ruinant l'empire des
Foys. » On voit qu'il est de bonne souche royale.
BÉHANZIN , roi du Dahomey.
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 23
Il s'intitule Bedoazin-Boaidjéré-Hossu-Bowelé, ce qui veut dire
l'OEuf du Monde et le Fils du Requin. Il est de taille moyenne et
trappu ; ses cheveux laineux commencent à grisonner, car il
approche de cinquante ans.
« En dehors des cérémonies, le vêtement de Béhanzin est
simple, écrivait dans le Temps, au mois d'août 1892, M. P. Vigne
d'Octon, à qui nous empruntons les détails qui suivent. C'est
le costume national, le chocolo, sorte de caleçon de bain étroit
et court n'arrivant qu'au genou ; par-dessus il passe Yacho,
semblable au pagne des peuplades septentrionales et de
couleurs vo3^antes; il le jette sur l'épaule gauche en le rame-
nant sous le bras droit découvert.
« Dans l'intérieur de son palais, il se coiffe d'un serre-tête
d'un tissu très fin et dénommé aramari en langage dahoméen ;
mais quand il sort, il arbore Vakaia, chapeau aux ailes larges
en feuilles de palmier.
« Seul avec ses dignitaires, le mingan (premier ministre), le
rjaou (général en chef), les cabcceres(chefs de district) et les agori-
r/Mis (conseillers), il a le droit de se chausser de sandales de
cuir et d'étaler sur sa tête le parasol.
« Pas de colliers de clinquant ou de métal précieux, pas
même de boucles d'oreilles, comme la majorité de ses riches
sujets.
24 LE GÉNÉRAL DODDS
« Son unique coquetterie est de s'enduire la peau d'alilié,
cosmétique complexe fait de clous de girofle, de grains d'anls,
de musc, de résine de courbarie et de feuilles odorantes impor-
tées de la côte de Krou.
« Il ne quitte Aboraey, la capitale sanglante, que pour aller
à Kana, où, au pied d'une verte colline, s'élève son second
palais. Une distance de douze kilomètres sépare les deux
villes, réunies par une superbe route carrossable bordée de
bentaniers, de tamarins et d'arbres à ko]os.
« S'il est simple dans son vêtement, Béhanzin l'est beaucoup
moins dans l'appareil dont il s'entoure au dedans et au dehors.
Tout autour du palais, une compagnie d'amazones monte une
garde vigilante et continue ; dans l'intérieur, au travers de
chaque porte, l'une d'elles est couchée.
« Dans ses appartements, outre ses ministres et ses digni-
taires, s'agite une foule de femmes dont les attributions sont
distinctes.
« Veut-il fumer, c'est Dada (la reine) qui lui tend la pipe
royale ; une autre lui offre le brasier, une troisième avance le
crachoir.
« Il possède tout un orchestre de griots (musiciens) dont il est
très fier; les uns jouent du gbédou (c'est un tronc d'arbre creux
orné de sculptures bizarres et recouvert d'une peau de chien) ;
ET L:EXPÉDITION DU DAHOMEY. . 25
d'autres soufflent dans une flûte minuscule en bambou ; il en
est qui pincent du douroun, guitare faite d'une noix de coco,
d'une peau de serpent et d'un manche enjolivé d'amulettes et
de cauris. Certains — des apprentis ceux-là — font tournoyer
au bout d'une ficelle des graines creuses où se trouvent du
sable et des cailloux.... »
Se douterait-on que l'un des prédécesseurs de Béhanzin sur
le trône du Dahomey fut en relations directes et suivies avec
Louis XIV? « C'est pourtant de l'histoire, dit M. P. Vigne
d'Octon, et de l'histoire contée par le chevalier de Marchais.
« Le monarque dahoméen était Adanzou Ier. Son ambassa-
deur, mulâtre portugais, comme le médecin actuel de Béhanzin,
s'appelait ïvïatheo Lopez. ïl arriva à Paris en décembre 1670,
fut reçu par le grand roi lui-même et par le directeur de la
Compagnie des Indes, qui possédait sur la côte des Esclaves
de nombreux comptoirs. Comme ce dernier lui demandait que
le roi Adanzou autorisât la Compagnie à faire couvrir sa loge
et ses magasins en tuiles, au lieu de paille, qui les exposait
trop au feu, l'ambassadeur répondit qu'il emploierait ses
offices auprès du roi son maître pour l'obtenir, mais que,
n'étant pas assuré de ses intentions, il ne pouvait donner de
parole.
« C'est à ce même Adanzou Ier que les Dahoméens sont
26 LE GÉNÉRAL DODDS
redevables des fameuses coutumes qui, chaque année, ensan-
glantent la capitale. Il voulut perpétuer le souvenir de l'exter-
mination des Foys, anciens possesseurs du pays, par ces
sacrifices où les victimes représentaient la race des vaincus.
« Pour la première fois depuis la fondation du ro3raume, on
a manqué pour Béhanzin aux règlements de l'intronisation.
« Quand le roi a rendu le dernier soupir, pendant deux ans
le secret ou tout au moins le mystère doit planer sur sa mort.
Sous les peines les plus sévères, tous ses sujets sont tenus de
croire qu'il est en vie et de se comporter comme s'il régnait
encore.
« Sur l'expresse volonté de Gelé-lé (1) agonisant, le prince
Kondô, son fils, fut dispensé de ce stage et reconnu roi le len-
demain.
« En montant sur le trône, Béhanzin a pris, comme tous
ses ancêtres, le titre de « seigneur » d'Allada, l'ancienne capi-
tale et la ville sainte du Dahomey.
« On a beaucoup exagéré la cruauté de ce monarque et la
barbarie de ses sujets. Certes, toute exagération mise de côté,
la part de vérité reste suffisamment navrante....
(1) Le père et prédécesseur de Béhanzin sur le trône du Dahomey. On écrit égale-
ment Glè-Glé.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 27
« A l'heure actuelle, bien qu'ils n'aient pas pour la vie de
leurs semblables tout le respect qu'ils devraient avoir, Béhan-
zin et son peuple trouvent plus pratique de faire travailler
leurs esclaves que de répandre inutilement leur sang.
« Malgré cet adoucissement des moeurs dahoméennes,
S. M. V OEuf du Monde n'en est pas moins un dieu pour ses sujets.
Maître souverain de la vie et de la fortune de tous les vivants,
il hérite de tous les morts. Nul ne peut le considérer en face ;
ses femmes lui appartiennent au même titre que du bétail.
Seuls, les fils de la favorite, qui est la dada ou reine, peuvent
prétendre à la qualité de princes royaux ; les fils des autres
femmes ne sont que des serviteurs du palais. C'est parmi eux
qu'il choisit ses cabeceres. Béhanzin s'éloigne rarement
d'Abomey, sa capitale, ou de Kana, le « Versailles » du
Dahomey. Il lui est même interdit par son fétiche de franchir
la lagune de l'Ouémé. »
Voilà le souverain que nos soldats allaient avoir à com-
battre. Voici maintenant, d'après M. Jean Bayol, qui, au mois
d'avril 1892, a, dans la Revue scientifique, donné d'intéres-
sants détails sur l'organisation militaire du Dahomey, la
composition, l'organisation et l'effectif de l'armée du roi
noir :
Dans le royaume de Béhanzin (M. Jean Bayol dit Bodazin),
28 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU, DAHOMEY.
tout le monde est soldât, lisons-nous à ce sujet dans le Temps.
Le service est obligatoire pour tout homme valide. Les con-
tingents, réunis à Abomey au moment où le roi a l'habitude
de se mettre en marche pour les razzias qui doivent alimenter
les sacrifices annuels et les ventes d'esclaves, sont incor-
porés dans des cadres permanents.
Le roi est le chef suprême de l'armée. Il délègue parfois ses
pouvoirs de généralissime à un gaou, qui prend alors le com-
mandement. Pendant la célébration des coutumes, le roi fait
' à Abomey des distributions de vivres et de vêtements. Qua-
torze « dépôts » de régiments résident à Abomey. Pour treize
d'entre eux, M. Jean Bayol nous donne les noms dans la
langue du pays. Le quatorzième est le « régiment des musul-
mans ». A la fête des coutumes, le crieur du roi'appelle
successivement chaque troupe. Et les hommes sous les armes
répondent : Sodébè(nous voilà prêts pour la guerre).
M. Jean Bayol évalue à dix ou douze mille hommes le
nombre des soldats réguliers vivant de la guerre et habitant
soit à Abomey, soit dans les camps disséminés sur la frontière.
Les contingents levés dans le royaume peuvent atteindre dix
mille hommes. Cela fait en tout vingt-deux mille.
N'oublions pas cependant les « amazones », les fameuses
amazones. On a raconté que le roi du Dahomey est gardé en
Les amazones du Dahomey.
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 31
son palais par une armée de femmes ; le peuple dahoméen les
appelle minos (mi, notre, nos, mère), et, familièrement, les femmes
du roi. Or, cette appellation ne saurait leur convenir, pas plus
d'ailleurs que celle d'amazones.
En effet, l'idée d'amazones implique l'équitation, le cheval. Et
il n'y a pas de cavalerie au Dahomey. D'autre part, la garde
féminine du roi de Dahomey est tout à fait distincte du
Harem : celles qui la composent sont vouées au célibat.
On recrute les amazones du Dahomejr soit parmi les enfants
des chefs, soit parmi les jeunes filles captives. Leur vêtement
consiste en un gilet sans manches, un pantalon très court
recouvert d'un pagne et un bonnet sur lequel est brodé un
animal, généralement un caïman. Elles sont quinze cents
environ, réparties en deux bataillons, le bataillon de Gougbé
et le bataillon d'Agodojigé, réunis toujours sous le comman-
dement d'une femme illustre par ses exploits. Les amazones
l;ccompagnent le roi à la guerre et ne donnent que sur l'ordre
tnêrne du souverain.
Les amazones ont un courage, et même une férocité, à toute
épreuve. Nous compléterons à cet égard lès renseignements
de M. Jean Bayol par cet extrait du récit d'un témoin des
sacrifices humains à Abomey":
« ..... Je vis apporter un homme sur un akoko, sorte de porte-
32 LE GÉNÉRAL DODDS
bagages dont les noirs se servent-pour porter leurs calebasses
ou leurs pots d'huile de palme.
« Ce malheureux était fortement ligotté sur ledit porte-
bagages : un bonnet noir lui couvrait la figure jusqu'au nez,
un morceau de bois s'amincissant à chaque bout et taillé pour
la circonstance lui entrait dans la bouche, afin de l'empêcher
de crier. Deux grands nègres portaient ce fardeau; ils vinrent
se placer devant le roi, qui parla au mingan (bourreau), lequel
demanda à la foule si le roi faisait bien de sacrifier cet homme
pour honorer la mémoire du précédent roi. Sur la réponse
affirmative du peuple, le roi déclara qu'il allait envoyer cet
homme à son père.
« Le mingan fit au condamné toutes sortes de recommanda-
tions à porter au roi défunt. Après quoi, on lança ce malheu-
reux à terre, de la hauteur des hommes qui le portaient. Son
front frappa le premier à terre. Le mingan continua à donner
des ordres ; on redressa le porte-bagages de façon que le cou
du condamné donnât bien prise au couteau du bourreau qui
allait diriger l'exécution.
« Une amazone âgée d'environ vingt ans s'avança crânement
vers les deux hommes qui tenaient le condamné. On voulait
éprouver cette jeune femme, nouvelle recrue qui n'avait encore
pu tuer personne.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 33
« Armée d'un sabre du pays bien aiguisé, qu'elle tenait à
deux mains, elle frappa une première fois, puis une seconde
et une troisième. Après quoi elle coupa tranquillement les
dernières chairs qui rattachaient la tête au tronc. Le mingan fit
ramasser à terre la tête, qu'un homme emporta pour la placer
dans le palais du roi ; un autre homme fut chargé de prendre
le corps pour le jeter dans les fossés de la ville.
« Après l'exécution, l'amazone essuya avec sa main le sang
resté sur son sabre et le but.... »
Les guerriers du Dahomey n'ont pas tous le même arme-
ment.
Le régiment du roi, celui des musulmans et la garde parti-
culière du prince héritier, ont de longs fusils de traite (Buccancr
gun), fabriqués à Birmingham.
C'est le fusil de prédilection des Bambaras du haut Sénégal
et des Toucouleurs des bords du Niger. Ils portent à quatre-
vingts mètres au maximum et sont en général chargés de
plusieurs balles ou projectiles divers (pierres ferrugineuses,
morceaux de fer, de cuivre, etc.). Chaque soldat a une cartou-
chière contenant des charges de poudre toutes prêtes et un sac
de balles. En plus du fusil, le guerrier dahoméen est armé
d'un large couteau et d'un bâton de bois très dur, recourbé à
uns extrémité et appelé aglopo.
3
34 LE GÉNÉRAL DODDS
Les fusils dits de boucanier ne sont pas très nombreux et
paraissent réservés aux corps d'élite.
Les fusils les plus répandus et certainement les meilleurs
sont de petites carabines françaises (mousquetons de la cava-
lerie, modèle 1822).
Un corps particulier peu important est armé d'un fusil très
court, à canon évasé depuis le milieu jusqu'à la gueule. Le
canon est en cuivre. On le charge avec un grand nombre de
balles, et on tire à petite portée.
Ce sont de véritables tromblons ou espingoles, comme ceux
dont les sapeurs de l'infanterie française faisaient usage il
y a un siècle, et qui ont été vendus au Dahomey par les
Portugais.
Toutes les armes ci-dessus énumérées sont à pierre.
Quelques Dahoméens sont encore armés d'arcs et de flèches.
La tribu des Mahis, notamment, alliés du Dahomey, ne
possède encore que peu de fusils et a conservé l'habitude de
se servir de flèches et de zagaies.
L'armée dahoméenne n'a pas de cavalerie. Les chefs impor-
tants seuls peuvent avoir un cheval. Le nombre de ces chevaux
ne dépasse pas trente. Ce sont, en général, des animaux de
petite taille, très faibles. Nous avons vu plus haut que,
malgré leur nom, les amazones n'ont pas de chevaux.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 3Ï>
L'artillerie est représentée à Allada par sîx!rviëùx°can:ornis
enlevés sans doute au fort que les Français entretenaient àù
XVII 0 siècle à Xavier ou Savi, et qu'ils abandonnèrent lbrsrdè
la conquête du royaume de Jnda par Cuadjâ^-Trûdd. D'autres;
canons de très petit calibre se voient sur là route qui conduit
à Onagbo, aux portes nord d'Allada, et soiit à moitié' 'enfouis
dans le sol. ' ;'3" ;î
En entrant dans Abomey, on aperçoit, sur la route'qui
conduit à Kana, trois vieux canons saris affûts^ qùr-'sbhi
placés de manière à défendre la porté de lâ^vilié. En général,1
cez canons, dont les Dahoméens se servent les jours'de fête,
toul comme ceux, du reste, qu'ils emportent dans leurs expé-
ditions, ne possèdent ni affûts, ni caisses à munitions.
Quand on veut s'en servir, c'est un homme condamné 'pour
adultère qui poi'te le canon sur ses épaules et fait ainsi fô'nc-
tion d'artilleur. Pour faire feu, il place le canon sur le sol ;:
puis, au moyen d'un gros morceau de bois glissé au-dessous
de l'arme jusque vers son !miîiëu ', il élèvê'là gueule, qui'est
ainsi orientée suivant lé.but à1 atteindre; LâJ charge Con-
siste en poudre, bourre; de,;paille maridirie^bàîlësj:'grosses
pierres, etc. Les Dahoméens-'••'possèdenthmême' quelques
boulets pleins.- ~~ "" ~
A l'usage des armes :-à feù; ïëskDàbbim5êeris:! préféreraient
36 LE GÉNÉRAL DODDS
d'instinct le coutelas et l'assommoir, dont ils jouent agréable-
ment. Ils sont très entraînés physiquement, par la gymnas-
tique, les longues marches, les danses. Ils sont vigoureux et
de haute taille. On sait, d'ailleurs, qu'ils sont belliqueux.
Depuis qu'il a quitté le Dahomey, M. Jean Bayol croit
savoir que l'armement des troupes de Béhanzin s'est notable-
ment perfectionné. Ces troupes'auraient environ trois mille
bonnes armes à feu, pour la plupart des fusils Sniders livrés
par les maisons allemandes de Togo et de Whydah. Béhanzin
aurait aussi quelques canons Krupp de petit calibre.
Nous verrons dans la suite de ce volume que les supposi-
tions de M. Jean Bayol n'étaient que trop fondées. De nom-
breuses armes de précision des modèles les plus nouveaux
avaient été fournies à Béhanzin par diverses maisons alle-
mandes ayant des représentants établis sur les côtes du Bénin ;
îles, instructeurs avaient même été mis à sa disposition pour
en apprendre le maniement à ses troupes (1). On a en outre tout
iïeu de supposer que la tactique adoptée par les Dahoméens
dès le début de l'expédition, tactique qui a consisté à fuir
deyairj: nos colonnes, leur a été conseillée par les Allemands,
qui estimaient plus meurtrières pour nos troupes les éma-
:(U.ypir..àLr-4pMncJieÊ?41,a.fVfl;duO'olurae : l;— LES ALLEMANDSET BÉHANZIN.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 37
nations malsaines des lagunes que les balles des soldats de
Béhanzin.
Quant au souverain noir, cette tactique n'était pas laite
pour lui déplaire ; il avait tout avantage à l'adopter et à éviter
une rencontre de laquelle aurait pu résulter pour lui un échec
sérieux susceptible de porter un coup terrible à sa puissance.
Il savait trop bien que, s'il était vaincu, sa défaite pourrait
être attribuée à la défaveur des dieux par ses féticheurs, qui,
pour apaiser la colère de leurs divinités et conserver leur
prestige sur la population, étaient fort capables de le faire
mettre à mort.
Disons enfin, avant de terminer ce chapitre, que le Dahomev
comprend trois villes principales, trois centres de vie poli-
tique : la capitale Abomey, la ville sainte Allada, etWhydab,
port de mer qui fut bloqué dès le commencement de la
campagne par nos vaisseaux, puis occupé, après notre entrée
à Abomey, par les compagnies de débarquement de nos na-
vires.
III.
Causes de l'expédition du Dahomey. — Le général Dodds. — Les fortifications de
Porto-Novo et de Kotonou. — Sur la défensive.
La France, qui depuis longtemps possédait un établissement
à Whydah, avait, dans ces dernières années, acquis en outre
par des traités (notamment le 10 octobre 1890) divers autres
points du territoire de la côte des Esclaves, tels que Kotonou,
Porto-Novo et sa banlieue, etc., où de nouveaux établisse-
ments français s'étaient formés. D'autre part, un certain
nombre de petits chefs de peuplades voisines des côtes, entre
autres le roi Toffa, s'étaient mis sous le protectorat de la France.
Or, le roi du Dahomey, habitué à être considéré comme le
plus puissant souverain de ces parages, fut sans doute fort
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 39
mécontent de nous voir établir aussi près de son territoire.
Probablement mal conseillé, il résolut de nous déloger de la
côte africaine et se crut assez fort pour arriver à ce résultat.
Il fit envahir par ses troupes la plupart des territoires nou-
vellement acquis par nous ou placés sous notre protectorat
immédiat. Les Dahoméens s'avancèrent jusqu'aux environs
de KLotonou et de Porto-Novo, menaçant à chaque instant la
sécurité de nos nationaux et de nos alliés.
Il n'était pas possible de supporter une pareille conduite de
la part du souverain noir. Des représentations lui furent
adressées; des sommations de se retirer lui furent faites....
Rien n'y fit. Sous divers prétextes, tous plus spécieux les uns
que les autres, ses soldats demeuraient sur les territoires enva-
his. Dans ces conditions, il n'y avait plus qu'à recourir à la
fores pour lui faire entendre raison. Voilà comment fut rendue
nécessaire et résolue l'expédition du Dahomey.
Il s'agissait pour nous de mettre à la tête d'une expédition
aussi hasardeuse un homme énergique, résolu, habitué au
séjour des pays chauds et déjà au courant des habitudes et
des moeurs des populations africaines. Notre ministre de la
marine choisit le colonel Dodds, qui commandait à Toulon le
8e régiment d'infanterie de marine, et qui était tout récem-
ment revenu du Sénégal, où il avait exercé le commandement
40 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
supérieur de nos troupes dans cette colonie. Nul choix ne
pouvait être meilleur; de plus, le rang du colonel sur le
tableau d'ancienneté, où il était placé le deuxième, permettait
de le nommer à bref délai général de brigade en récompense
des services qu'il allait rendre.
Dans le chapitre précédent, nous avons présenté le roi du
Dahomey à nos lecteurs ; il est bien juste de leur faire con-
naître aussi l'officier français qui s'est illustré en le combat-
tant et en lui infligeant une irrémédiable défaite. C'est ce que
nous allons faire avant de commencer le récit de cette héroïque
expédition.
On peut dire du général Dodds que c'est un Africain; car,
d'après un de ses biographes, à qui nous empruntons la plupart
des détails qui suivent, sa famille, d'origine anglo-saxonne,
est établie au Sénégal depuis le commencement de ce siècle.
Son grand-père était né dans la colonie anglaise de la Gambie ;
il vint s'installer à Saint-Louis du Sénégal, où il épousa la
fille d'un colon d'origine lorraine et d'une femme peuhle. De
ce mariage naquit un fils, Emery Dodds, qui appartint à
l'administration locale du Sénégal et qui épousa une jeune
Sénégalaise d'origine normande, M" 8Biliaud.
C'est de cette union qu'est issu, le 6 février 1842, le vain-
queur de Béhanzin.
Gênerai DODDS.
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 43
Voici son acte de naissance, tel qu'il est inscrit sur le registre
de l'état civil de Saint-Louis du Sénégal :
« Aujourd'hui 8 février 1842, à trois heures de l'après-midi,
par-devant nous, François Pecarrère, officier de l'état civil de
l'île Saint-Louis du Sénégal, est comparu le sieur Antoine-
Henry Dodds, commis-négociant, âgé de vingt-trois ans,
demeurant en cette île.
« Lequel nous a déclaré que dame Charlotte Billaud, sans
profession, domiciliée en ladite île, âgée de dix-huit ans, est
accouchée avant-hier, 6 du présent mois, à quatre heures du
matin, au domicile de sa mère, la dame Marie Escal, situé
rue Dubois, à Saint-Louis, d'un enfant du sexe masculin, qu'il
m'a présenté, et auquel enfant ledit sieur, déclarant qu'il s'en
reconnaît le père, a donné les prénoms de Alfred-Amédée.
Lesquelles déclaration et présentation ont été faites en pré-
sence du sieur Alphonse-César Fieury, commis de marine,
âgé de vingt-neuf ans, et Charles Porquet, traitant, âgé de
vingt-neuf ans, tous les deux domiciliés à Saint-Louis, témoins
qui ont signé le présent acte avec ledit sieur Dodds et nous,
officier de l'état civil, après lecture faite. »
Le général Dodds a donc actuellement (avril 1893) cinquante
et un ans.
Grand, élancé, le visage allongé, le front haut, les traits
44 LE GÉNÉRAL DODDS
d'une finesse remarquable, le teint clair, le général Dodds est
un des plus brillants officiers de l'infanterie de marine. D'une
bravoure personnelle absolue, il donne à tous l'exemple en
se portant le premier au feu et en saluant les balles qui sifflent
à ses oreilles de ce refrain boulevardier, emprunté à la Timbale
d'argent : « Encore un qui ne m'aura pas. »
Au sortir du lycée de Carcassonne, où il avait fait ses
études, il entra à Saint-Cyr le 10 novembre 1862, Il en sort
sous-lieutenant en 1864 et demande à servir dans l'infanterie
de marine. Il est nommé lieutenant le 25 octobre 1867, et fait
partie, en cette qualité, du détachement en résidence à la
Réunion. Il s'y trouvait en 1868, lorsque des troubles éclatèrent
dans cette colonie. -H.
Une pierre lancée par des émeutiers l'atteignit au front et lui
fit une large blessure. Cependant son sang-froid ne l'aban-
donna pas, et il eut la force d'empêcher ses hommes de tirer
sur la foule, évitant ainsi de grands malheurs.
Il fut, à la suite de cet incident, cité à l'ordre du jour par le
contre-amiral Duperré, gouverneur de la colonie, et le 25 dé-
cembre 1869 il fut promu au grade de capitaine.
Lors de la guerre de 1870, il fit partie de l'armée du Rhin.
Fait prisonnier à Bazeilies, il s'évade et rejoint l'armée delà
Loire. Le 24 décembre 1870, il est fait chevalier de la Légion
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 45
d'honneur. Il passe ensuite à l'armée de l'Est, et, après avoir
été interné en Suisse, il revient à l'armée de Versailles et prend
part au second siège de Paris.
De là, il repart pour le Sénégal, où il reste de 1871 à 1878,
puis passe un an en Cochinchine et rentre encore une fois au
Sénégal, qu'il ne quitte plus qu'en 1883. C'est pendant cette
période qu'il reçoit le grade de chef de bataillon,le 13 avril 1879,
et qu'il se distingue dans l'expédition de la Haute-Casamance,
à l'assaut de Moricounda.
Lieutenant-colonel le 25 mai 1883, officier de la Légion
d'honneur le 29 décembre de la même année, il est envoyé au
Tonkin, où il rend de grands services, et est nommé colonel.
le 2 septembre 1887.
Quelques mois plus tard, il est désigné pour exercer les
fonctions de commandant supérieur du Sénégal.
Au cours de cette dernière campagne, il se distingua par les
qualités de prudence et de méthode qui ont, tout récemment,
si largement contribué au succès de l'expédition du Dahomey,
et qui, à cette époque déjà, avaient eu de si heureux résultats,
puisque la campagne se termina par la pacification complète
du Fonta central, et que nos pertes, durant cette expédition,
furent insignifiantes.
Commandeur de la Légion d'honneur le 30 décembre 1891,
46 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
le colonel Dodds fut nommé, par décret du 30 avril 1892,
commandant supérieur des établissements français du Bénin.
C'est en cette qualité qu'il dirigea l'expédition contre Béhanzin,
expédition qui, après une série de brillants combats et d'opé-
rations conduites avec, autant de prudence que d'habileté,
s'est terminée, en novembre 1892, par la prise d'Abomey et
par la fuite du roi dahoméen.
En récompense de ses services, le colonel Dodds fut nommé,
par décret du 9 novembre 1892, générai de brigade, et, quelques
jours plus tard, il a été élevé à la dignité de grand-officier de
la Légion d'honneur.
Ajoutons que le général Dodds a épousé sa cousine, M"e Ma-
deleine Alsace, comme lui, originaire du Sénégal.
Voyons maintenant quelle était, au Dahomey, la situation,
au point de vue de leur défense possible, de Porto-Novo et de
Kotonou, les deux localités de nos possessions plus parti-
culièrement menacées par les troupes de Béhanzin, qui, après
avoir envahi leurs environs, allaient chercher à s'en em-
parer.
Ces deux localités avaient été pourvues, dans le cours des
deux dernières années, de toute une série de défenses édifiées
par la direction de l'artillerie. En ce qui concerne les fortifica-
tions, elles se trouvaient donc dans d'assez bonnes conditions
Une
vue
de
Port
o-N
ovo
,prise
de
lala
gune.
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION BU DAHOMEY. 49
au mois d'avril 1892, lorsque le colonel Dodds fut appelé au
commandement supérieur, du Bénin. Il n'en était pas de même
pour la garnison. Les troupes chargées de la défense de nos
possessions étaient trop faibles pour tenir longtemps tête à
l'armée de Béhanzin et pour la mettre à la raison. Aussi deV-:>'''
nombreux renforts furent-ils rapidement envoyés au Dahomey,
comme nous Talions voir tout à l'heure.
Voici, en attendant, ce que publiait, en avril 1892, la Politique
coloniale au sujet de l'état des fortifications de Porto-Novo et
de Kotonou :
« A Porto-Novo, l'enceinte en latérite et les fossés ont été
refaits. Le plateau sur lequel sont bâties les factoreries Régis
et le poste des officiers sont défendus par un premier ouvrage
en terre, dit fort des Amazones, qui balaye la plaine dans la
direction de Takou.
« La résidence, la mission et le camp des Haoussas sont
protégés par'le fort Oudard, sis au bout de l'avenue Gabrieïïe,
au nord de Porto-Novo.
« La plaine dAdjara et la basse ville sont couvertes par le
fort Mousset.
« Le palais de Toffa et le chemin de Ropo sont garantis
parlefortToffa.
« Tous ces travaux de fortification passagère ont été cons-
4
50 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
fruits et entretenus par le service de l'artillerie. Les chaloupes,
armées en guerre, protègent la lagune.
« Dans un périmètre de trois kilomètres environ, on a
coupé tous les arbres et les lianes ; ce débroussaillement
donne aux huit canons de 4 de montagne et aux six pièces de
80 un champ de tir suffisant pour résister à toute surprise.
« A Kotonou, une ligne de palanques et un fossé vont de
la mer au lac Denham ; tous les bois ont été rasés.
« Au télégraphe, deux canons-revolvers; sur la bissectrice
du triangle isocèle formé par la lagune, la mer et la ligne de
palanques, on a construit un cavalier en maçonnerie, sur
lequel on a placé deux canons de 80. Enfin, au nord-ouest du
village indigène, le fort Comperat, armé de quatre canons
de 4 de montagne, blockhaus sérieux, en maçonnerie, permet-
tant à cent tirailleurs de résister à l'attaque de toute
l'armée dahoméenne. La route de Kotonou à Godomey est
déblayée. Un chemin de fer Decauville permet de transporter
tous les jours dans l'enceinte les roniers destinés à renforcer
les piliers fixés dans le sable.
« En arrière de la ligne de palanques, un réseau de fils de
fer, un enchevêtrement d'abatis, de fougasses, complètent le
système de défense.
« Porto-Novo est relié à Kotonou par le télégraphe aérien.
La
barr
ade
Koto
nou.
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 53
« La canonnière Kmeraude, mouillée à l'entrée du chenal qui
conduit à l'entrée du lac Denham, protège Kotonou vers les
marécages de l'ouest. »
Telle était la situation de Porto-Novo et de Kotonou au
moment où le colonel Dodds allait s'embarquer avec les pre-
miers renforts pour prendre la direction des opérations mili-
taires. Toujoiirs sur le qui-vive, les faibles garnisons de ces
deux localités se gardaient avec soin pour ne pas être exposées
à une surprise de l'ennemi.
D'autre part, de nombreux fugitifs dahoméens, peu confiants
sans doute dans la protection de Béhanzin, venaient chaque
jour se réfugier au milieu de nos soldats : ils étaient, il est
vrai, plus encombrants qu'utiles ; mais il eût été inhumain
et en même temps impolitique de ne pas les accueillir.
Voilà dans quel état nous nous trouvions lorsque le colonel
Dodds débarqua au Dahomey et commença à s'occuper acti-
vement, dans les premiers jours de juin, des préparatifs de la
campagne qu'il allait diriger en personne. Mais lui aussi dut
rester encore assez longtemps sur la défensive, en attendant
qu'on lui eût envoyé de France et de nos autres colonies des
renforts suffisants pour permettre de prendre une hardie et
sû^ft offensive.
IV.
Toujours sur la défensive. — Préparatifs. — Effectif de nos troupes au début de
l'expédition. — Lettre du colonel Dodds à Béhanzin. — Premières opérations
offensives.
Dès le 4 juin, le colonel Dodds avait envoyé un ultimatum à'
Béhanzin : la réponse du souverain noir lui fut apportée le
18 à Porto-Novo par des messagers royaux. Béhanzin protes-
tait de son amitié pour les Français, tout en revendiquant
encore Kotonou et même la banlieue de Porto-Novo comme
territoires dahoméens. Il menaçait en outre de prendre les
canonnières qui s'avanceraient dans les eaux de l'Ouémé.
En somme, cette lettre du roi dahoméen n'avait pour but
..que de gagner du temps, afin de permettre à un vapeur aile-
LÉ GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 55
mand — qu'il attendait prochainement à Wb.ydab.~- de lui
apporter un approvisionnement complet d'armes et de muni-
tions. Il ne se doutait pas que le blocus de Whydah, rigou-
reusement appliqué, empêcherait forcément le débarquement
sur lequel il comptait. Il n'avait d'ailleurs point besoin de se
mettre en frais de xjareilles affirmations pour retarder nos
opérations offensives. Le colonel Dodds se trouvait bien forcé
de demeurer sur la défensive tant que des renforts suffisants
ne lui seraient pas parvenus.
Mais la défensive qui lui était ainsi imposée par les circon-
staaces était loin de ressembler à de l'inaction. En effet, au
moyen de reconnaissances continuelles, de colonnes mobiles
lancées à chaque instant de divers côtés, il tenait l'ennemi en
haleine, l'inquiétait, et tâchait de lui faire évacuer sans tarder
les territoires acquis à la France par les traités en vigueur,
c'est-à-dire ceux de Kotonou, de Porto-Novo et de sa banlieue,
irrégulièrement occupés par les troupes dahoméennes.
D'autre part, tous ces préparatifs de l'expédition et les
mesures énergiques de défense prises par le colonel Dodds de
concert avec le lieutenant-gouverneur Ballot, eurent vite
rendu confiance à la population indigène. Le roi Toffa recruta
et présenta, le 24 juin, au colonel et au gouverneur trois mille
hommes engagés par lui pour accompagner l'expédition* : un-,<
56 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
grand enthousiasme fut le résultat de cette présentation et
donna la preuve que, l'expédition une fois menée a-vec énergie
"et "résolution, noirs pouvions compter sur le concours effectil
des tribus de l'intérieur, habituellement razziées par le Da-
homey.
Cet enthousiasme fut habilement entretenu par le colonel
pendant tout le mois de juillet et le commencement d'août.
Le 14 juillet, le télégramme suivant était encore envoyé en
France à ce sujet :
« Les envoyés des peuplades environnantes arrivent offrir
leur concours contre les Dahoméens. Il règne un grand en-
thousiasme. D'autre part, des désertions nombreuses se pro-
duisent dans l'armée dahoméenne, par suite de la famine et de
la peur.
« La bonne saison a commencé le lor juillet : elle durera
jusqu'au 15 octobre. Après cette date, l'expédition se ferait
difficilement.
« Si les renforts arrivent à la fin d'août, le Dahomey entier
sera pacifié avant le mois d'octobre. »
Les mois d'août et de septembre étaient en effet les mois les
plus favorables pour une expédition dans l'intérieur du Da-
homey, à cause de la salubrité relative du climat à cette
époque. En outre, les hautes eaux dans l'Ouémé pouvaient.
TotKA , roi de Porto-Novo.
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 59
dans cette saison, beaucoup faciliter le transport des troupes,
des munitions et des approvisionnements.
Notre ministre de la marine, qui était alors M. Burdeau,
était parfaitement au courant de toutes ces considérations qui
militaient en faveur d'une prompte entrée en campagne, et il
pressa de telle sorte nos envois de troupes au Dahomey, que,
au commencement d'août, le colonel Dodds se trouva à la
tête de près de trois mille cinq cents hommes, qui se décompo-
saient ainsi :
1 bataillon de la légion étrangère;
1 compagnie d'infanterie de marine ;
4 compagnies régulières de tirailleurs sénégalais';
3 compagnies auxiliaires de tirailleurs sénégalais;
2 compagnies de tirailleurs haoussas;
2 escadrons de spahis sénégalais ;
1 batterie d'artillerie de montagne avec obus à la mélinite;
1 section du génie
sans compter tous les services auxiliaires de l'armée.
En effet, le colonel disposait en outre des hommes que le roi
Toffa avait mis à sa disposition, comme nous l'avons Vu plus
haut. Mais les sujets de ce foi dahoméen n'étaient guère sus-
ceptibles d'être employés comme combattants en rase cam-
pagne. Ils n'étaient cependant point à dédaigner, car ils ser-
60 LE GÉNÉRAL DODDS
virent à garder nos postes de Kotonou et de Grand-Popo, de
concert avec l'équipage du Sané, que le ministre de la marine
laissait momentanément au Bénin, afin de permettre au
colonel Dodds de marcher à l'ennemi avec toutes les forces
dont il pouvait disposer.
Trois mille cinq cents hommes tout au plus, voilà donc le
faible effectif avec lequel le colonel Dodds commença ses
opérations militaires, qu'il allait mener avec une régularité et
une méthode écrasantes pour les Dahoméens.
Toutefois, avant de lancer ses colonnes contre les troupes de
Béhanzin, le colonel tint à agir avec ce souverain aussi correc-
tement que s'il avait eu affaire à une puissance civilisée. Il se
donna donc la peine de répondre à la lettre de Béhanzin dont
nous avons parlé plus haut, lui déclarant que « sa lettre
étrange, puérile et même ironique, l'avait étonné. » Il rappela
ensuite le traité du 30 octobre 1890, dont les stipulations
avaient été violées et l'étaient encore en ce moment par
Béhanzin, qui faisait occuper par ses troupes des territoires
acquis à la France.
« Je n'insisterai pas davantage, ajoutait le colonel, sur
l'importance qu'il faut attacher à vos affirmations ni sur la
•valeur des sentiments dont vous dites être animé à l'égard des
Français, sentiments qui sont peu d'accord, vous l'avouerez :
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 61
« 1° Avec l'attaque inqualifiable dont le lieutenant-gouver-
neur Ballot et le commandant des troupes ont été l'objet,
lorsqu'ils naviguaient paisiblement à bord d'une canonnière
française dans des eaux appartenant sans contestation à la
France;
« 2° Avec les lettres antérieures adressées par vous ou vos
chefs, du 29 mars au 1er mai, au représentant de la République
à Porto-Novo.
« Quoi qu'il en soit, et malgré le peu de crédit qu'il convient
d'accorder à vos revendications, j'ai cru devoir les transmettre
à mon gouvernement, qui les appréciera et me fera connaître
sa décision à leur égard, décision que je m'empresserai de vous
communiquer dès qu'elle me parviendra.
« En attendant, non seulement je maintiens la défense for-
melle de circuler sur les routes et lagunes du Dahomey, mais
encore je vous fais connaître que cette mesure est complétée
par l'interdiction de toute communication par mer avec les
ports du Dahomey, le gouvernement français ayant décidé et
notifié aux puissances étrangères qu'à partir du 18 de ce mois
(août) le blocus serait établi sur les côtes de nos possessions
du golfe de Bénin.
« Salut.
« Signé : DODDS. ».
62 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
Béhanzin, pour toute réponse à ces déclarations très nettes,
inventa une histoire de guet-apens que des gens du roi Toffa,
son ennemi, auraient tendu à son envoyé. Celui-ci se serait vu
dépouiller du bâton royal, qui le rendait inviolable.
Le colonel Dodds, malgré le peu de vraisemblance de ces
plaintes, ordonna une enquête qui en démontra, en effet, la
lausseté.
Après cet échange de correspondance et le résultat de l'en-
quête qui en fut la suite, il n'y avait plus pour nous qu'à
conduire activement les opérations militaires. C'est ce que
comprit et fit le colonel Dodds.
Dès le 8 août, accompagné du lieutenant-gouverneur, il
•s'embarqua sur l'Opale et se rendit à Kotonou. Le lendemain,
il fit commencer le bombardement de toute la côte daho-
méenne.
Whydah fut bombardée par le Talisman; la plaine de Koto-
nou, où campaient de nombreux Dahoméens, par le bloc-
khauss et le fort; Abomey-Calavy, par VOpale. Enfin, le Héron
et l'Ardent, qui avaient commencé par lancer seulement
quelques obus, finirent par bombarder sérieusement Godomey
et Avrékété.'
Ce bombardement général de la côte dahoméenne fut le
premier acte sérieux de nos opérations militaires, et l'effet en
Bom
bard
em
ent
deU
icûte
dahom
éenne.
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 65
fut excellent. Les indigènes, nos alliés, qui ne comprenaient
rien à notre inertie apparente, se trouvèrent, du coup, ras-
surés. Ils sentirent que la force était du côté de leurs nou-
veaux protecteurs, les Français, et que l'ancienne et redou-
table puissance de Béhanzin ne serait bientôt plus qu'un
souvenir.
Ce même jour, 9 août, à six heures du matin, pendant que
commençait le bombardement, une colonne de trois cents
tirailleurs, sous les ordres du commandant Stephani, sortait
de Kotonou et poussait une reconnaissance jusqu'à Zobo, à
l'entrée du lac Denham. Elle avait pour objectif de dégager le
territoire français de Kotonou. Egarés par les guides, nos
soldats finirent pourtant vers midi par rencontrer l'ennemi,
dix fois supérieur en nombre, près de Godomey.
Les tirailleurs luttèrent vaillamment pendant dix heures et
restèrent maîtres du champ de bataille. Zobo fut brûlé.
L'ennemi, armé de fusils Winchester, opposa une vive résis-
tance et subit de grandes pertes. Nous eûmes un sergent blanc
et un sergent indigène tués, dix tirailleurs et quatre porteurs
indigènes grièvement blessés. Morts et blessés furent rap-
portés à Kotonou, où la colonne rentra le 10 août, à huit
heures du matin. Le colonel Dodds, accompagné du lieute-
nant-gouverneur, M. Ballot, avait dirigé les opérations.
S
66 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
On voit* que, malgré la trahison ou l'ignorance des guides
que l'on avait choisis, cette première opération sérieuse réussit
pleinement. La résistance et la bravoure des tirailleurs séné-
galais pendant dix heures consécutives que dura le combat
contre un ennemi infiniment supérieur en nombre et bien
armé, et leur victoire finale, donnèrent dès le début à tous,
soldats et indigènes, pleine confiance dans l'avenir de l'expé-
dition.
Telle fut la première des démonstrations préparatoires par
lesquelles le colonel Dodds entraîna ses troupes, surtout les
auxiliaires, et dégagea les environs de Kotonou et de Povto-
Novo, afin de s'assurer la liberté de ses mouvements.
V.
En campagnol/.. — Départ de Porto-Novo. — Marche sur Sakélc. — Les Eghas tfc
les Jcsus. — Combat de Bogha (19 septembre). — Le commandant Faurax.
De nouveaux et importants renforts étaient attendus au
Dahomey; ils devaient arriver à la fin d'août. Le colonel Dodds
les attendait pour se lancer avec eux dans l'intérieur du pays,
à Japoxxrsuite et à l'attaque des soldats de Béhanzin. Mais il
était important de tenir jusque-là l'ennemi constamment sur
le qui-vive. Aussi, dès le 17 août, le colonel partit, en compa-
gnie du gouverneur, à la tête d'une colonne comprenant treize
cents combattants et deux mille porteurs.
L'objectif du commandant en chef était Sakélé, où devait
avoir lieu sa jonction avec deux mille indigènes. Cette réunion
68 LE GÉNÉRAL DODDS
une fois opérée, le plan du colonel, était de revenir à l'ouest,
pour camper au bord de l'Ouémé, et de pénétrer dans l'intérieur
du Dahomey aussitôt que les renforts attendus seraient arri-
vés avec le Mytlw, bâtiment qui les amenait.
La colonne n'emportait que huit jours de vivres, car une
flottille était toute préparée pour assurer le ravitaillement.
Celle-ci partit, en effet, le 18 août, et remonta le cours de
l'Ouémé à la rencontre de la petite expédition.
Le départ de la colonne de Porto-Novo, effectué le 17 août,
eut lieu avec un certain apparat, nécessaire dans ces contrées
pour en imposer aux indigènes. Voici le récit qu'en faisait au
mois d'août le correspondant d'un grand journal parisien :
« Depuis le bombardement de la côte, au commencement du
mois, et l'affaire de Zobo, du 9, où la reconnaissance dirigée
contre les Dahoméens avait eu pour effet de donner un peu d'air
à nos troupes, le colonel Dodds a préparé une colonne ayant
pour but de débarrasser le Dékamé des bandes dahoméennes
qui occupaient Takou et Bekandja, bandes fortes de trois
mille hommes, dont mille armés de fusils perfectionnés.
« Le 16 août, a eu lieu sur le platqau des Amazones la
grande revue du départ. Sauf la compagnie d'infanterie de
marine et quelques artilleurs, toutes les troupes étaient noires
et ont défilé avec un entrain superbe devant le colonel et son
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 69
état-major. On a remarqué l'allure des compagnies de volon-
taires : ces hommes, ayant trois mois de service à peine,
marchaient comme de vieux soldats.
« Après la revue, les troupes, qui étaient en tenue de cam-
pagne, se sont établies immédiatement au bivouac, sauf les
2e et 3" compagnies de volontaires, qui sont rentrées dans
Porto-Novo pour garder la ville. En un clin d'oeii le bivouac
en carré était installé, avec deux compagnies sur chaque face,
l'artillerie aux coins du carré.
« Les tentes des officiers et des sous-officiers en arrière du
côté du carré qu'ils commandaient, les tentes des médecins,
des différents services de l'ambulance, les quinze cents por-
teurs régulièrement groupés, tout cela prenait un aspect
réellement pittoresque. Les Européens sont logés à l'intérieur
du carré, dans de petites maisons transportables faites avec
des tiges de palmier; le toit est constitué par des tentes-abris,
et les murs par d'immenses branches engagées dans les mon-
tants. C'est très bien imaginé et très pratique; là-dessous on
est à l'abri des insolations et on a une certaine fraîcheur.
L'intérieur du carré figure ainsi une sorte de village, à large
rue, et absolument vert. Le colonel occupe à peu près le
centre. -
« Les porteurs, qui se sont fait aussi des abris, préparent
70 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
leur cuisine bizarre; ils ont chacun une plaque en bois avec
leur nom, une toque dont la couleur varie avec les services.
Elle est blanche, bleue, jaune, rouge, verte, etc., selon que le
porteur appartient au service des vivres, à l'artillerie, à
l'ambulance, à l'état-rnajor.
« Les Sénégalais, devant leur tente en forme de pyramide,
fument tranquillement leur pipe. Pour eux, la guerre est
l'état normal; en paix, ils ne vivent pas. Un de mes amis cause
avec eux. Dans toutes leurs réponses on sent la simplicité,
l'ardeur à se faire hacher pour nous et notre pays. Les anciens
racontent leurs campagnes depuis Faidherbe: ils ont toujours
combattu et vaincu à nos côtés; pour eux, il ne reste qu'un
seul roi noir qui ose encore résister à la France : ce roi,
c'est Béhanzin; aussi il va voir quelle leçon ils vont lui
donner.
« Cela vous fait monter l'orgueil au front, d'entendre de ces
gens qui nous sont si simplement et si complètement dévoués ;
pauvres diables qu'on ne récompensera jamais comme ils le
méritent; car, malgré leurs nombreuses blessures, il en est
bien peu qui ont la médaille militaire.
« Les petits soldats d'infanterie de marine, eux aussi, sont
à leur affaire; la compagnie est répartie en trois groupes,
chacun étant avec une colonne.
En
un
clin
d'o
eil
lebiv
ouac
en
carr
ééta
itin
stallé
.
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION BU DAHOMEY. 73.
« Le 17, au matin, la colonne partait dans la direction
d'Adjarah; elle a été grossie an départ de deux à trois cents
auxiliaires, gens à turbans jaunes, qu'on, a armés avec de
vieux fusils, et qui ont une revanche à prendre sur les Daho-
méens , ayant eu leurs villages très souvent pillés.
« Le défilé, commencé à six heures, était fini à sept, et,
dans Porto-Novo, tout rentrait dans le calme.
« Porto-Novo est gardé actuellement par deux compagnies
de volontaires sénégalais et par quatre cents hommes de la
légion. Nous n'avons donc rien à craindre, en dépit des décla-
rations de Béhanzin, qui s'est vanté d'attaquer Porto-Novo
et d'y enlever le roi Toffa.
« En attendant que le corps expéditionnaire prenne contact
avec les forces principales du Dahomey, il faut s'attendre,
dans leDékamé, aune guerre de partisans.
« Elle a déjà commencé, et, dans les opérations du Dékamé,
nous avons eu deux commandants blessés sur trois.
« Les Dahoméens se mettent dans des trous qu'ils creusent
près des routes, dans des fourrés impénétrables; dès qu'ils
voient un chef, ils lâchent leur coup de fusil et se cachent; on
a beau envoyer des feux de salve, c'est en vain : ils sont à
l'abri. »
Avant de reprendre le récit de la marche de la colonne sur
74 LE GÉNÉRAL DODDS
Sakélé, disons encore que cette localité de Sakélé est un vil-
lage assez important, situé dans le nord du royaume de
Porto-Novo, sur les bords de la rivière Adjarah. Le colonel
Dodds avait fait établir une route de trente-six kilomètres,
qui relie Sakélé à Porto-Novo, afin, précisément, de pouvoir,
le jour voulu, porter une partie de ses forces dans la région
supérieure du ro3^aume de Porto-Novo. Il allait contourner,
dans cette marche, le paj^s de Dékamé, afin de se retourner
vers l'ouest sur l'Ouémé, lorsqu'il serait parvenu à Sakélé,
au nord du pays de Dékamé. C'était donc ce pays de Dékamé
qui était l'objectif de la colonne, pays dont le territoire
s'étend sur la rive gauche du fleuve. Il était occupé par des
populations indigènes restées soumises aux Dahoméens, alors
que les villages situés au sud ou au nord relevaient de l'auto-
rité de Toffa, le roi de Porto-Novo.
Nous allons voir que, en marchant par Sakélé, la colonne
conduite par le colonel Dodds se dirigea sur l'Ouémé. Comme,
d'un autre côté, la flottille remontait l'Ouémé au-devant de
la colonne, la manoeuvre eut pour effet de menacer les Daho-
méens qui pouvaient se trouver dans le pays dékamé, ce qui
les amenait à se concentrer sur la rive droite du fleuve.
Revenons maintenant à la marche de la colonne expédi-
tionnaire.
ET L EXPEDITION DU DAHOMEY. 7D
Partie le 17 août de Porto-Novo, celle-ci employa deux
jours pour le passage de la lagune d'Adjarah. Elle arriva à
Kouti (Ouétin) le 19, bombarda et enleva Takou le 20. Là,
les commandants Lasserre et Rioufurent blessés légèrement,
et quatre soldats indigènes tués. Elle arriva à Sakélé le 21 et
en repartit le 22.
En marchant sur Katagon, la colonne fut attaquée par les
Dahoméens. Le capitaine Bellamy fut blessé légèrement ;
deux sergents européens furent grièvement atteints, et six
tirailleurs furent également blessés, mais légèrement.
La région traversée était très boisée, et l'ennemi, isolé-
ment embusqué dans les fourrés épais, sur le passage de la
colonne, tirait de préféi'ence sur l'état-major et les officiers.
La colonne s'empara de Katagon le 24. Elle s'y reposa deux
jours, et elle en repartit pour atteindre l'Ouémé le 27.
En résumé, l'ennemi était refoulé devant nos troupes au fur
et à mesure qu'elles avançaient. Des routes étaient en même
temps ouvertes, reliant les points traversés. Le ravitaillement
de la colonne était journellement effectué par Porto-Novo, au
moyen de porteurs. La santé des troupes demeurait d'ailleurs
constamment bonne, et leur moral ne se démentit pas un seul
instant.
Ce même jour, 27 août, huit cents légionnaires, deux cents
76 LE GÉNÉRAL DODDS
spahis et un détachement du génie, arrivés par le Mylho et le
Saint-Nicolas, débarquaient au Dahomey ; c'était le renfort
attendu, qui allait permettre au colonel de prendre une sé-
rieuse offensive.
En attendant, le colonel, laissant ses soldats camper et se
reposer quelques jours sur les bords de l'Ouémé, revint mo-
mentanément à Porto-Novo, afin d'organiser de nouvelles
colonnes à l'aide delà légion étrangère (qui était récemment
débarquée à Kotonou) et d'un certain nombre d'auxiliaires
nu'il avait recrutés dans le paj^s même.
Pendant que le colonel Dodds se livrait activement à tous
ces préparatifs, en vue d'une prochaine et sérieuse attaque,
Béhanzin, de son côté, ne demeurait point inactif. D'Abomey,
sa capitale, où il s'était retiré, le souverain noir avait lancé
une proclamation à ses sujets, par laquelle il les engageait à
raser tous les palmiers et à s'unir à lui pour défendre son
royaume. Ilfutobéi; la destruction des palmiers fut opérée,
car tous les habitants du royaume ne cessaient d'être circon-
venus par les féticheurs qui, partout, prédisaient l'échec de
notre expédition et la destruction complète de nos troupes.
Cependant, dès le début des hostilités, Béhanzin apprit à
Abomey une nouvelle qui l'affecta vivement : les Egbas et les
Jésus, peuplades alliées de la France, qui avaient envahi son
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 77
territoire par le nord, s'étaient rencontrés avec l'avant-garde
de son armée, composée de deux mille guerriers. Après un
vif combat, les Dahoméens avaient dû battre en retraite dans
la direction d'Abomey, laissant plus de trois cents des leurs
sur le terrain.
Ce combat avait eu lieu le 15 août, et les Egbas et les Jésus
demeuraient campés sur les positions que ces peuplades
amies de la France venaient de conquérir.
Dès le commencement de septembre le royaume de Porto-
Novo se trouva complètement évacué par l'ennemi, dont les
troupes s'étaient concentrées à Allada, •— la colonel Dodds
en était certain, bien que Béhanzin fît tout son possible pour
faire croire que son armée était à Godomey. Tout le pays
riverain de l'Ouémé étant pacifié, la marche de notre colonne,
qui allait remonter l'Ouémé à la rencontre d'un gué prati-
cable, devenait assez facile, du moins au début.
Celle-ci, dont l'état sanitaire continuait fort heureusement à
être bon, était réunie à Kesounou, où. la rejoignaient succes-
sivement les renforts récemment arrivés. Le 7 septembre,
lorsque sa cavalerie fut arrivée à Fan vie, localité voisine de
Kesounou, son effectif fut au complet, et elle reprit sa marche
en avant du côté de Kodé.
Kodé et Fanvié sont situés à quelques kilomètres
78 .LE GÉNÉRAL DODDS
d'Azaouissé. D'après la carte de Hansen, Fanvié se trouve à
une trentaine de kilomètres au nord de Porto-Novo, et la
distance entre Kodé et Fanvié n'est que de cinq à six kilo-
mètres. Le gué sur lequel on comptait pour traverser l'Ouémé
se trouve entre ces deux points. De là à Allada, il y avait
encore une trentaine de kilomètres à parcourir; mais, comme
nous Talions voir, la colonne expéditionnaire dut modifier son
itinéi-aire, et ce ne fut pas sur Allada qu'elle se dirigea.
La marche en avant avait donc repris, le 8 septembre, sous
le commandement du colonel Dodds. L'expédition arriva
le 14 au matin à Dogha — à soixante kilomètres environ de
Porto-Novo — par des routes ouvertes dans les forêts par
les indigènes alliés. Nos soldats installèrent aussitôt leur camp
sur le plateau sablé d'une colline, qui constituait une position
superbe et salubre.
Quant à la cavalerie, qui n'avait pas pu suivre dans ces
chemins à peine frayés, elle fut transportée par eau et rejoi-
gnit peu après.
Tout avait été parfaitement prévu par le commandant en
chef. Les transports par terre et par eau étaient complète-
ment organisés, et par suite le ravitaillement pleinement
assuré. La colonne était donc maintenant dans de bonnes
conditions pour rencontrer l'ennemi. Enfin, heureux présage
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 79
pour l'avenir, le Dékamé tout entier et de nombreux villages
dahoméens, situés le long de l'Ouémé, étaient déjà venus faire
leur soumission au colonel.
Celui-ci donna quelques jours de repos à ses soldats à
Dogha. La marche vers le nord ne fut reprise que le 19 au
matin, bien que la cavalerie n'eût pas encore rejoint. Mais,
au moment où la colonne expéditionnaire venait de quitter
Dogha pour se concentrer à Oboa, seulement à quelques kilo-
mètres dans la direction du nord, elle fut, dès cinq heures du
matin, furieusement attaquée par cinq mille Dahoméens.
Le colonel Dodds, informé de leur approche par le gouver-
neur, M. Ballot, avait pris d'habiles dispositions pour les
recevoir.
L'affaire fut très chaude : le combat dura jusqu'à neuf
heures.
Plus de mille cadavres dahoméens jonchaient la plaine. Un
grand nombre de fusils Winchester, Sneider, Manser, Re-
mington, Dreysse, et même des chassepots, furent ramassés
sur le champ de bataille.
De notre côté, nous avions eu cinq tués, dont le comman-
dant Faurax, de la légion étrangère, le lieutenant Badaire,
de l'infanterie de marine, et dix blessés grièvement.
Les deuxième et troisième groupes, formés en carrés, avaient
80 LE GÉNÉRAL DODDS
seuls pris part à l'affaire, le premier groupe étant à quinze
kilomètres en avant.
Le colonel Dodds courut les plus grands dangers, en se
portant bravement sur le point le plus menacé; il dirigea
toutes les opérations avec une grande habileté et un impertur-
bable sang-froid.
« Les assaillants, écrivait à ce sujet le correspondant du
Temps, commandés par le frère du roi, Géo-Béo, avaient
franchi l'Ouémé au gué de Tohoué, c'est-à-dire à vingt-cinq
kilomètres au nord de Dogha. Ils venaient d'Abomey, et com-
prenaient les contingents que les démonstrations du colonel
avaient chassés du Dékamé. Ils ont essayé, par une manoeuvre
assez habile, de rejeter nos troupes datas l'Ouémé, en les for-
çant à leur faire face, ayant le fleuve à dos. Ils comptaient
réussir, d'autant plus qu'ils savaient qu'en raison des diffi-
cultés que présente le pays, le corps expéditionnaire est obligé
de marcher en trois colonnes. La première, formée de Séné-
galais, était en avant-garde. Les deux autres comprenaient
plus particulièrement les contingents européens et les
bagages.
« Malgré l'impétuosité de l'attaque et le courage des soldats
de Géo-Béo, nos troupes ont pu infliger à leurs adversaires
une défaite sanglante. Cela tient à la solidité du noyau
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 81
d'Européens composé d'hommes dont l'éloge n'est plus à
faire.
« Ce qu'il y a de plus particulièrement heureux dans ce
combat, c'est que les Dahoméens, contrairement à la tactique
qu'ils avaient paru vouloir suivre tout d'abord, sont venus
nous attaquer. Nos troupes ont donc pris un premier contact
avec eux. Il semble ainsi probable, en dépit de l'échec qu'il
vient de recevoir, que. le roi prendra ses mesures pour dé-
fendre sa capitale, et qu'il y aura lieu d'engager une autre
action sous les murs d'Abomey, objectif de notre corps expé-
ditionnaire. »
Le colonel Dodds venait ainsi de donner, dans la matinée
du 19 septembre, une leçon des plus sérieuses aux Daho-
méens; il fut très satisfait de la conduite de ses troupes et se
prépara à poursuivre activement la campagne. Dès le 21, il
reprit sa marche vers le nord, et traversa la rivière aussitôt
après avoir été rejoint par sa cavalerie, comme nous Talions
voir dans le prochain chapitre. Mais, avant de le suivre sur la
route d'Abomey, nous tenons à consacrer quelques lignes au
brave commandant Faurax, qui trouva une mort glorieuse au
combat de Dogha.
Grièvement blessé dans la matinée du 19 septembre, le
commandant Faurax avait été aussitôt transporté d'urgence
6
82 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
par eau à Porto-Novo, Il y mourut le 20 septembre, à trois
heures du matin.
Le commandant Faurax, sous les ordres de qui était
placé le bataillon de la légion étrangère, était originaire de
Lyon.
C'était un vaillant officier, qui, engagé volontaire en 1870,
avait conquis ses grades sur les champs de bataille, notam-
ment au Tonkin, où il avait fait un très long séjour.
A son retour d'extrême Orient, il avait obtenu de passer au
98e de ligne, en garnison à Lyon, afin de se rapprocher de sa
famille. Mais, dès qu'il apprit qu'une campagne s'organisait
contre le Dahomey, il demanda à y prendre part. Sa demande
fut agréée; il passa alors au 1er régiment de la légion étran-
gère , à Sidi-Bel-Abbès, et contribua à l'organisation du
bataillon formé avec les éléments les meilleurs des régiments
de la légion. Il était parti avec ses troupes sur le Mylho, au
commencement du mois d'août, et il n'avait rejoint Tavant-
garde du corps expéditionnaire que depuis peu de jours, au
moment de la concentration des troupes à Kesounou.
Etait-ce un pressentiment?... Quelques jours avant son
départ pour le Dahomey, le commandant Faurax écrivait la
lettre suivante à un de ses amis, lettre dans laquelle le vaillant
officier ne se dissimule pas les dangers qui l'attendent
Le commandant FAURAX.
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 85
« Mon cher ami,
« Le ministre vient de décider qu'un bataillon de la légion
étrangère sera envoyé au Dahomey. Vraisemblablement, le
commandement de ce bataillon me sera confié. Je ne serai
fixé définitivement à ce sujet que dans deux ou trois jours,
et, dans le cas où mes suppositions se réaliseraient, je m'em-
barquerais dans les premiers jours d'août.
« J'ai tenu à ne pas attendre le dernier moment pour te
faire mes adieux, les derniers peut-être. Je ne sais quelle corde
vibre en moi, mais j'ai un pressentiment que je dois mourir
dans ce pays, au service de notre chère France.
« Malgré tout, et bien que j'aie huit chances sur dix de ne
pas revenir de cette nouvelle expédition, je ne te cacherai pas
que je suis enthousiaste de partir pour cette expédition loin-
taine, et que, pour le faire, j'ai fait toutes les démarches
possibles.
« Les nombreuses sympathies que j'ai dans l'armée, à tous
les degrés de la hiérarchie, m'en ont facilité la réussite, et,
dans quelques jours, comme je te l'ai dit plus haut, je m'em-
barquerai avec mes huit cents hommes de la légion, chargés de
rappeler le roi Béhanzin au respect de notre drapeau.
« Ce sera pour moi un grand honneur d'être ainsi le premier
86 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
•et le seul officier de mon grade auquel incombera cette glo-
rieuse mission.
« La campagne que nous allons entreprendre sera des plus
pénibles; il n'y a aucune illusion à se faire à ce sujet.
« La plupart d'entre nous n'en reviendront pas, et, eu
égard à notre nombre et aux difficultés de la guerre dans les
pays intertropicaux, nous pouvons être exposés à de terribles
épreuves militaires.
« Mais tous nous avons le coeur haut, la confiance en nous-
mêmes , et la ferme volonté de justifier la belle réputation de
la légion étrangère et le choix qui lui permet de s'illustrer
sur un nouveau champ d'opérations. Et maintenant, à la
grâce de Dieu! C'est pour la France que nous marchons. »
VI.
Reprise de la marche sur Abomcy. — Combat de Gbédé (4 octobre). — Le capitaine
Bellamy et le lieutenant Amolot. — Combat de Poguessa (6 octobre). — Pré-
visions de M. Jean Bayol.
Après le combat de Dogha, à la date du 23 septembre, le
colonel Dodds avait adressé au ministre de la marine la dé-
pêche suivante :
« Nous avons eu affaire, dans le combat du 19, à l'élite des
troupes dahoméennes, dont la déroute a été complète : les
fuyards n'ont pu se rallier que deux jours après.
« Toutes les troupes sont actuellement concentrées à Zenon,
sur l'Ouémé, à quinze kilomètres d'Oboa. La cavalerie, dont
le mouvement avait été paralysé par les inondations, a rejoint.
88 LE GÉNÉRAL DODDS
« La colonne va se porter à la rencontre des Dahoméens. »
Zenon, où avait lieu la concentration des troupes, est un
village situé sur la rive gauche de l'Ouémé, entre Oboa et le
gué de Tohoué, par lequel le coi-ps expéditionnaire devait
traverser la rivière, et à peu près à égale distance de ces deux
points.
Le mouvement en avant fut donc repris presque aussitôt
après le combat de Dogha, dès que la cavalerie eut rejoint, et
avec autant de célérité que le permettait le terrain que Ton
avait à parcourir.
La cavalerie, composée de deux solides escadrons, sous les
ordres'du commandant de Villiers, était en effet destinée à
rendre de très grands services dans cette région de la boucle
• du Niger, couverte de grands herbages non encore défrichés
par les indigènes.
La colonne arriva le 26 septembre auprès d'Oué, au nord
d'Oboa, sur le haut Ouémé, à huit kilomètres au plus du gué
de Tohoué.
Mais, avant de tenter le passage de l'Ouémé et de continuer
sa marche sur Abomey, le colonel Dodds fit exécuter des
reconnaissances par terre et par la rivière.
Le 28, le Corail et YOpale remontèrent la rivière jusqu'à
Tohoué ; nos deux canonnières furent vivement attaquées à la
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 89
hauteur d'Unounmen (village indiqué sous le nom de Oumôu-
nou sur la carte de Hansen) par des forces nombreuses em-
busquées sur les deux rives. Les canonnières, qui avaient à
bord chacune une section de la légion étrangère, ripostèrent
vigoureusement et firent subir à l'ennemi des pertes très sé-
rieuses. Les Dahoméens étaient donc en force sur la rive droite
de l'Ouémé, ce qui semblait indiquer que le passage du fleuve
serait vivement disputé. Nous allons voir qu'il n'en fut
rien.
Les canons-revolvers (malheureusement en nombre trop
restreint) qui armaient les canonnières embossées sur le
fleuve, facilitaient beaucoup les mouvements de la colonne
expéditionnaire, qui, le 1er octobre, s'était avancée jusqu'à
Avangitomé, localité que la carte de Hansen désigne sous le
nom d'Avananiamey.
Il est bon de remarquer, à l'occasion de ces différences de noms
pour une même localité, que le colGnel s'avançait maintenant
dans une région pour ainsi dire encore inexplorée des Euro-
péens et dont la topographie nous était fort peu connue ; car
nos relations avec lés Dahoméens ne nous avaient jamais
permis de l'explorer scientifiquement.
Le passage de l'Ouémé fut effectué le 2 octobre sans oppo-
sition de la part des Dahoméens, qui, à la suite des reconnais-
90 LE GÉNÉRAL DODDS
sances du 28 septembre, s'étaient retirés à Poguessa, à une
dizaine de kilomètres du fleuve, dans .l'intérieur des terres,
dans une position assez forte défendue par de l'artillerie, — des
canons Krupp se chargeant par la culasse, fournis à Béhanzin
par des traitants allemands de Whydah.
Après avoir franchi le gué de Tohoué, le colonel employa la
journée du 3 octobre à ouvrir une route qui pût lui permettre
de tourner les ouvrages de défense que les Dahoméens avaient
élevés devant lui. Ceux-ci cherchèrent à le prévenir. En effet,
dès le lendemain, au moment où il faisait exécuter à ses
troupes le mouvement tournant en question, nos soldats
furent attaqués par l'ennemi à deux kilomètres du village de
Gbédé.
Les dispositions de combat furent rapidement prises,
malgré les nombreuses difficultés que présentait le terrain,
et, après un engagement très vif, car l'attaque des Dahoméens
fut très violente, l'armée de Béhanzin fut encore une fois mise
en déroute et forcée de prendre la fuite.
Voici d'ailleurs le télégramme par lequel le ministre de la
marine fut informé de ce nouveau succès de nos énergiques et
vaillants soldats :
« La journée du 3 octobre avait été employée à ouvrir une
route sous bois, grâce à laquelle la colonne a pu déborder
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 91
l'ennemi et, malgré une brousse épaisse, se déployer avant de
recevoir le choc des assaillants.
« Un combat très vif s'est engagé et a duré une heure ; l'en-
nemi, vigoureusement reçu et repoussé, s'est enfui, poursuivi
par nos feux.
« Quoiqu'il soit impossible de se rendre compte d'une façon
complète des pertes de l'ennemi, la recherche des cadavres
étant difficile dans la brousse, on a cependant pu compter
deux cents cadavres, dont vingt amazones tombées à dix pas
de nos lignes, et on a ramassé deux cents fusils à tir rapide.
« Après quelques heures de repos, la colonne a repris sa
marche et a pris position, le soir, près du village de Po-
guessa.
« La manoeuvre du 4 a ainsi permis au colonel Dodds de
tourner et de faire tomber les lignes de défense, très fortes,
accumulées autour de Tohoué et de Poguessa.
« Nos pertes sont de huit tués : cinq Européens et trois
tirailleurs sénégalais; nous avons trenfe-trois blessés : vingt
Européens et treize indigènes. »
Un autre télégramme, expédié de Porto-Novo peu après
celui qu'on vient de lire, donnait des renseignements plus
complets'sur le combat-du 4 octobre. Le voici encore dans son
entier •
92 LE GÉNÉRAL DODDS
c Porto-Novo, 7 octobre, 9 heures du matin.
« Un grand combat a été livré le 4 octobre, à neuf heures du
matin, entre la colonne expéditionnaire et l'armée dahoméenne.
qui était forte de dix mille guerriers et possédait dix canons
Krupp se chargeant par la culasse.
« Après trois heures d'un combat acharné, les Dahoméens
ont été mis en complète déroute. Ils ont fui vers le nord, en
laissant un nombre considérable de cadavres et de nombreuses
armes à tir rapide de système allemand. Les obus trouvés sur
le champ de bataille portent la marque Krupp.
« Nous avons eu neuf tués, dont le capitaine Bellamy, capi-
taine au 6° régiment d'infanterie de marine, détaché aux
tii ailleurs sénégalais, et le lieutenant Amelot, du 2° régiment
de la légion étrangère, et trente-deux blessés, parmi lesquels
le capitaine Lasserre (1), de l'artillerie de marine, commandant
une colonne, et les lieutenants Ferradini, du 4° régiment d'in-
fanterie dé marine, attaché à Tétat-major, du colonel Dodds,
et Bosano, lieutenant au 4e régiment d'infanterie de marine,
détaché aux tirailleurs sénégalais, déjà blessé dans une précé-
dente rencontre, tous les trois grièvement atteints.
(1) Voir à l'Appendice, à la fin du volume : IV. — UN ÉLOQUENT DISCOURSDE
M. CAVAIGNAC.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 93
« La colonne se trouve actuellement à Poguessa, sur la
route d'Abomey.
« Béhanzin assistait à la bataille; il a fui le premier.
« Les Dahoméens ont montré une grande bravoure et une
force de résistance incroyable. Des amazones se sont fait tuer
à dix mètres du carré. »
Après le combat, le colonel Dodds fit prendre quelques
heures de repos à ses soldats, puis la colonne se remit en
marche : dès le 4 octobre, dans la soirée, elle campait auprès
du village de Poguessa, où allait se livrer une bataille décisive.
Deux officiers français avaient trouvé une mort glorieuse
dans le combat de Gbédé, le capitaine Bellamy et le lieutenant
Amelot.
Le capitaine Bellamy, de l'infanterie de marine, qui n'était
âgé que de trente-trois ans, avait été un des plus brillants
élèves du lycée de Rennes et était entré à Saint-Cyr en 1880,
dans un très bon rang. Son père, médecin à Saint-Brieuc, a
encore un fils, médecin comme lui et établi à Saint-Brieuc. Le
capitaine Bellamy avait épousé à Dinan M"e Thérèse Even,
fille d'un avoué. Sa jeune veuve était sur le point d'être mère
lorsqu'il tomba mortellement frappé au Dahomey.
Quant au lieutenant Amelot, de la légion étrangère, il avait
cessé d'appartenir à l'armée lorsque fut décidée l'expédition
94 LE GÉNÉRAL DODDS
contre Béhanzin. Il avait, en effet, donné sa démission pour
pouvoir se marier, sa femme ne possédant pas la dot régle-
mentaire. Mais, lorsque fut formé le corps expéditionnaire du
Dahomey, le lieutenant avait instamment demandé à re-
prendre du service et il avait été admis à le faire au titre
étranger. Dès que la nouvelle de sa moii: fut parvenue en
France, le ministre de la guerre envoya à Montmartre, où
elle demeurait, un de ses officiers d'ordonnance présenter ses
sympathiques condoléances à la malheureuse veuve du valeu-
reux officier mort pour la France.
Les hostilités se trouvaient maintenant sérieusement enga-
gées, et la colonne expéditionnaire allait avoir à soutenir
presque chaque jour de sanglants combats contre les Daho-
méens. Béhanzin faisait, en effet, tous ses efforts pour arrêter
notre marche sur Abomey et pour faire écraser par la mul-
titude de ses soldats notre petite colonne expéditionnaire, car
il comprenait fort bien que si nous réussissions à nous emparer
de sa capitale, c'en était fait de sa puissance et de son prestige.
— peut-être même de sa vie. Il sentait également la nécessité
de remonter le moral de ses soldats, qui commençaient, au dire
des prisonniers restés entre nos mains, à se démoraliser sé-
rieusement, à la suite de cette première série d'échecs qu'ils
venaient de subir.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 95
Les journées des 5 et 6 octobre furent employées autour de
Poguessa, par le colonel Dodds, à ouvrir une route à travers
la brousse et à lancer de nombreuses reconnaissances dans
toutes les directions. Le commandant Gonnard, qui dirigeait
Tune d'elles, fut même attaqué dans l'après-midi du 6, tout
auprès du camp, par les Dahoméens, en nombre bien supérieur
à celui de sa petite troupe. Mais, promptement soutenu par
des renforts venus du camp, il repoussa l'ennemi, qui éprouva
de grandes pertes. Voici le télégramme par lequel ce nouveau
combat fut annoncé en France :
« Porto-Novo, 9 octobre, 9 heures du matin.
« Le 6 octobre, à trois heures de l'après-midi, la colonne
expéditionnaire a rencontré de nouveau une bande de Daho-
méens, forte de plus cinq mille hommes, derrière la rivière de
Poguessa.
« Un pont fortifié a été enlevé de vive force par une charge
à la baïonnette admirable.
« Après un combat acharné, l'ennemi s'est enfui vers
l'ouest, en abandonnant un grand nombre de cadavres et de
fusils sur le terrain.
« Nos pertes sont de sept morts, dont un lieutenant, et de
vingt-deux blessés, dont le lieutenant Farail.
96 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
« Le lieutenant Bosano, blessé dans le combat du 4 octobre,
est mort hier à Porto-Novo. »
La dépêche suivante du colonel Dodds complétait ces pre-
miers renseignements et indiquait la marche qu'il allait
suivre :
« Béhanzin, télégraphiait le colonel, avait fortifié quatre
lignes de défense successives; nous avons enlevé les deux pre-
mières. A la suite du combat du 6, la troisième est tombée
entre nos mains sans coup férir.
« La dernière ligne de défense, établie àSabovi, à douze
kilomètres à l'ouest de Poguessa et à mi-chemin entre
TOuémé et Abomey, sera prochainement attaquée par nos
troupes.
« La colonne est largement approvisionnée en vivres et en
munitions par la voie de TOuémé.
« Le moral et la santé des troupes sont excellents. »
A la suite de ce dernier combat, la colonne expéditionnaire
put, le 7 octobre, établir son camp sur la position que l'en-
nemi avait fortement organisée en arrière de Poguessa et dont
elle demeurait maîtresse.
Ainsi donc, il ne semblait maintenant plus rester au colonel
Dodds qu'un seul obstacle à enlever pour être maître de la
route de Kana et d'Abomey, et, par suite, pour s'emparer des
Les journées des ti et G octolire furent employées à lancer de
nombreuses reconnaissances.
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 99
deux capitales (religieuse et politique ) du royaume. La démora-
lisation, des troupes de Békanzin paraissait devoir lui faciliter
cette tâche, et déjà, en France, on considérait généralement
comme fort prochaines la fin de la campagne et la défaite
irrémédiable et complète de Béhanzin. Nous allons voir que
Von se faisait encore une certaine illusion à cet égard — du
flioins au sujet du temps nécessaire pour arriver à ce résultat
— et que notre valeureuse colonne expéditionnaire eut encore
à supporter bien des fatigues et à déployer plusieurs fois son
héroïsme avant de remporter la victoire finale.
Quelques personnes cependant, mieux informées que la
généralité du public, essayaient parleurs écrits de réagir contre
cette tendance à croire que l'expédition du Dahomey pouvait
être considérée comme terminée à bref délai; — entre autres
M. Jean Bayol, l'ancien lieutenant-gouverneur du Sénégal,
que nous avons déjà eu l'occasion de citer, qui écrivait au com-
mencement du mois d'octobre :
« Après leur défaite à Gbédé, le roi Béhanzin et les débris
de son armée ont préféré laisser ouverte la route qui conduit
à Abomey par Kana, et aller se concentrer entre Tohoué et
Agouy, qui est le camp retranché, la véritable ville forte du
royaume. Il est incontestable que la réserve des troupes daho-
méennes doit se trouver, sur ce point, prête à tenter un dernier
100 LE GÉNÉRAL DODDS
effort; prête également à franchir l'Ouémé et à se retirer avec
le roi, soit dans les montagnes escarpées du pays des ~Mahis,
soit à se rendre à Ganagoumé, dans le nord-est dAgouy, où
se trouve une résidence royale.
« Il m'est permis, connaissant le caractère opiniâtre et or-
gueilleux du roi Béhanzin, de supposer qu'il ne voudra pas
encore se déclarer vaincu. Un nouvel effort sera peut-être
nécessaire de la part du colonel Dodds et de ses héroïques
troupes. Mais cet effort sera couronné de succès, et le colonel
Dodds, après être sorti des fourrés épais qui avoisinent les
rives de l'Ouémé, fourrés où il est nécessaire de s'ouvrir une
route avec le sabre d'abatis, débouchera avec sa colonne dans
une vaste plaine au sol dur, à peine boisée, qui le conduira
dans les environs de la capitale dahoméenne, Abomey, la ville
construite par les ancêtres du roi actuel sur le ventre de leui
ennemi, et dont la première muraille a été faite avec de l'argile
pétrie dans le sang humain.
« En supposant que le roi Béhanzin, qui ne voulait pas
admettre la possibilité d'une défaite dans un conflit avec la
France, ait songé depuis deux ans à fortifier sa capitale, je ne
pense pas que les murailles protectrices faites avec des barres
d'argile (argile séchée au soleil) puissent résister à l'artillerie
puissante que le colonel a à sa disposition. Les artilleurs de
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 101
marine ont fait leurs preuves dans le Soudan avec le général
Desbordes, le colonel Archinard et le colonel Humbert. Des
tatas d'un mètre cinquante d'épaisseur ont été éventrés, et nos
troupes sont passées hardiment par la brèche. Les remparts
d'Abomey et les maisons fortifiées de Kana ne tiendront pas
un quaii: d'heure devant nos obus.
« Ni Kana ni Abomey ne sont des forteresses sérieuses
comme on en rencontre dans les pays musulmans ou féti-
chistes du Soudan français. Nous pouvons, avec un chef
comme le colonel Dodds, prévoir la prise d'Abomey. Seule-
ment, au sud d'Abomey, entre Agrimey et Onagbo, existe un
marais immense où nos troupes ne sauraient s'aventurer avant
la fin du mois de décembre. Un fleuve de vase, où le piéton
s'enfonce jusqu'à la ceinture, sert de rempart entre le pays
d'AUada et la capitale. Le colonel Dodds a évité cet obstacle
en prenant la route de Poguessa; mais si Béhanzin, vaincu,
n'est pas tué par ses sujets, ou si le roi actuel, dépossédé, est
remplacé par un de ses nombreux frères, une résistance sé-
rieuse peut s'organiser dans les environs de la Lama (fleuve de
vase).
« Le pays qui s'étend au sud de cette défense naturelle est
excessivement boisé et des plus pittoresques. Les arbres de
première grandeur, benténiers, caïcedrats, ficus, palmiers à
102 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
huile, lianes, caoutchouc, fougères gigantesques, forment une
forêt impénétrable, à travers laquelle les Dahoméens ont tracé
une seule route bien entretenue, mais des bords de laquelle,
garnis de fourrés inextricables, un ennemi déterminé peut
écraser une colonne en marche.
« Le colonel Dodds, qui a donné de si grandes preuves de
son habileté, saura la conduite qu'il doit tenir. Je suis heu-
reux, pour ma part, que ce soit à ce colonel, aussi modeste
qu'énergique, qu'ait été dévolu l'honneur de venger les nom-
breuses insultes faites au pavillon national par le roi du
Dahomej»-. »
Nous allons voir dans les chapitres qui suivent que plusieurs
des prévisions de M. Jean Ba3rol se sont réalisées.
VIL
Toujours en avantî — Série de combats (12, 13, 14 et 15 octobre). — Le comman-
dant Marmet. — Passage de la rivière Koto. — Prise des forts de Kotopa et de
Muako. — Prise de Kana (4 novembre).
A la suite du combat du 6 octobre, l'armée dahoméenne
tout entière s'était concentrée à Sabovi, pour tenter d'arrêter
la colonne expéditionnaire. Le colonel précipita sa marche pour
la déloger de cette position : il n'en eut pas la peine. En effet,
après avoir infligé, le 8 octobre, une nouvelle défaite aux
postes avancés de l'ennemi, il trouva, deux jours plus tard, la
position de Sabovi complètement évacuée par les soldats de
Béhanzin.
Sabovi fut immédiatement occupé par nos troupes. Les
104 LE GÉNÉRAL DODDS
approvisionnements laissés par les Dahoméens dans les.
camps et sur la route témoignaient d'une grande précipi-
tation dans leur retraite.
La colonne continua son mouvement en avant aussi préci-
pitamment que le lui permettait la nature du terrain. Le 12,
au delà de Ouébomédi, elle rencontrait encore des avant-postes
ennemis, les culbutait et poursuivait sa marche.
Voici d'ailleurs en quels termes ces derniers événements
étaient annoncés en France par le télégraphe :
« C'est le 10 octobre que les cantonnements de Poguessa
furent quittés par la colonne expéditionnaire, qui était clans
l'intention d'attaquer Sabovi. Mais les positions étaient aban-
données par les troupes dahoméennes.
« Des reconnaissances furent alors effectuées, et la colonne,
la route étant libre, continua de. marcher jusqu'à Kouloupa,
où le campement de nuit fut établi.
« Ouébomédi fut atteint le lendemain, toujours sans tirer
un coup de fusil.
« Cependant, le 12, deux compagnies étant allées en recon-
naissance, signalèrent', lors de leur retour, la présence des
troupes de Béhanzin massées à dix kilomètres de Kana, près
d'Akpa, derrière des retranchements hâtifs s'appuyant sui-
des marécages.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 105
« Aussitôt le colonel Dodds engagea l'attaque, enlevant tout
d'abord les grand'gardes de l'ennemi.
« La lutte fut rude, et le combat ne se termina qu'à la nuit
tombante. A ce moment, nos braves soldats étaient maîtres
de toute la première ligne, et les Dahoméens affolés s'en-
fuyaient, abandonnant leurs dernières positions ainsi que les
cadavres, très nombreux, et les blessés.
« De notre côté, nous comptions environ une vingtaine de
blessés, parmi lesquels un officier ; quatre soldats ont été
tués. »
La lutte fut rude en effet le 12 octobre ; mais l'ardeur et
l'héroïsme de nos troupes vinrent à bout de la résistance
acharnée qui leur était opposée. Voici un trait du clairon
Daudart qui en donnera une idée :
Pendant le combat, le clairon Daudart sonnait la charge au
moment où nos troupes faisaient une attaque furieuse à la
baïonnette; atteint sérieusement à la jambe par une balle, il
n'arrêta pas pour cela sa sonnerie guerrière. Le courageux
clairon sonna toujours jusqu'au moment où, les forces lui
manquant, il s'affaissa sur les mains et dut se laisser emporter
à l'ambulance.
Un obus dahoméen vint tomber ce jour-là parmi les por-
teurs de la colonne, et, en éclatant, fit sauter une caisse de
106 LE GÉNÉRAL DODDS
cartouches Lebel ; trois porteurs furent tués et plusieurs
autres grièvement blessés par cette explosion.
Les 13, 14 et 15 octobre, nouveaux combats, dont le colonel
Dodds rendait compte au ministre de la marine dans le télé-
gramme suivant :« Akpa, le 17 octobre.
« Nous avons continué notre marche en avant les 13, 14 et
15 octobre.
« Le 13, après avoir tourné par le nord une position ennemie
à cheval sur la route, nous avons occupé un camp important
précipitamment évacué par les Dahoméens.
« Le 14, notre bivouac, porté au nord du village de Koto,
est attaqué par l'ennemi, qui est repoussé.
« Le 15, deux attaques successives de l'ennemi sont repous-
sées ; à- la seconde, les Dahoméens, pris entre les feux croisés,
ont été rejetés avec des pertes considérables.
« De notre côté, nous avons perdu, dans les divers combats
des journées des 13, 14 et 15 octobre, dix-huit tués, dont un
officier, et quatre-vingt-cinq blessés, dont six officiers.
« Le 16, nous avons établi notre bivouac à l'est d'Akpa.
« Dès que j'aurai achevé notre ravitaillement en vivres et en
munitions, j'attaquerai la ligne de la rivière Koto, qui protège
les forces dahoméennes, successivement battues par nous ces
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 107
jours derniers, et avec lesquelles la garde particulière de
Béhanzin est actuellement campée. »
« La colonne expéditionnaire, télégraphiait de son côté le
correspondant du Temps à la date du 20 octobre, après avoir
livré de nombreux combats entre Oubomédi et Akpa, dans
les journées des 12, 13, 14 et 15, s'est établie dans un camp
fortifié, à deux kilomètres de Kotopa. Le reste de l'armée
dahoméenne, six mille hommes environ, campe derrière le
Koto, petite rivière coulant de l'est à l'ouest, à un kilomètre
de Kotopa.
« Depuis le 16, il ne s'est produit aucune attaque. Le colonel
a pu évacuer tous les blessés et les malades, et continuer son
ravitaillement. Il attend dans de très bonnes positions les
renforts arrivant de différents points de la colonie. On espère
que la ville d'Abomey, située à quinze kilomètres environ
du camp français, sera occupée prochainement.
« Nous avons perdu, dans les derniers combats, le capitaine
Marmet, officier d'ordonnance du colonel Dodds, et quinze
hommes. Nous avons quatre-vingt-cinq blessés, dont les
commandants Stefani et Villiers, les capitaines Battréau et
Fonssagrives, les lieutenants Cornetto, Passaga, Kieffer,
d'Urbal, Grandmontagne et Gelas. Ce dernier est mort des
suites de ses blessures. »
108 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
Le capitaine Marin et, tué dans les environs d'Oubomédi,
venait précisément d'être nommé chef de bataillon pour sa
brillante conduite au Dahomej'- : sa nomination parut au
Journal officiel presque en même temps que la nouvelle de sa
mort. Le commandant Marmet était âgé de trente-trois ans ;
promu sous-lieutenant le 1er octobre 1881, à sa sortie de l'école
de Saint-Cyr, il était lieutenant le 10 octobre 1883 et capitaine
le 31 décembre 1884. Le décret qui le nommait chef de
bataillon porte la date du 8 octobre 1892.
Le commandant Marmet, né à Nîmes, où habite toute sa
famille, n'était marié que depuis deux ans avec la fille d'un
ancien député du Gard : au moment où elle devint veuve,
M1™ Marmet était mère d'un jeune enfant d'un an. Un des
frères du commandant, sergent-major d'infanterie de marine,
étaitmox't au Tonkin quelques années auparavant.
« La colonne si brillamment dirigée par le colonel Dodds,
écrivait un de nos plus distingués publicistes-, après la récep-
tion des télégrammes annonçant ces derniers combats,
s'avance avec quelque lenteur vers Kana, la ville sainte, ê.
vers Abomey, la ville royale. Nous sommes loin de nous
plaindre de cette lenteur qu'imposent les reconnaissances dans
un pays marécageux au sud-ouest, couvert par la brousse au
nord.
Le colonel a pu évacuer les Llessos et les malades.
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 111
« Nos troupes ont occupé, le 13 octobre, une position forti-
fiée abandonnée par les Dahoméens. Le 14 et le 15, elles ont
repoussé trois attaques successives de ces nègres dont la résis-
tance, malgré les défaites répétées, peut surprendre. Ces
Dahoméens ont décidément confiance dans la tactique de
défense que leurs éducateurs européens leur ont enseignée.
« Béhanzin s'est établi derrière la rivière Koto, qui se perd
au sud dans un marais. Toutes ses forces et sa garde royale
y sont réunies. Le colonel Dodds va attaquer directement
cette ligne. Sa dépêche nous apprend que c'est la dernière,
d'après les renseignements des fuyards et des prisonniers.
« Béhanzin lutte avec désespoir. Il aura demain dû nous
passer la main. La prudence et l'énergie du colonel Dodds
sont une garantie certaine du résultat.
« Nos troupes sont, en effet, sorties des passages les plus
difficiles. Elles ont pu remonter l'Ouémé, le franchir malgré
tes Dahoméens, qui savaient tirer grand parti de la brousse.
« L'effectif du colonel Dodds campe maintenant au pied du
plateau sur lequel s'élèvent Kana et Abomey. La rivière Koto
reste à franchir. Elle sera franchie comme l'Ouémé l'a
été. »
La ligne de la rivière Koto était bien, suivant l'expression
du colonel Dodds, le dernier retranchement des Dahoméens
112 LE GÉNÉRAL DODDS
en avant de leurs deux capitales. L'action qui allait s'engager
sur ce point devait donc avoir un cai-actère décisif; mais,
avant de se lancer à fond dans une attaque sérieuse, le colonel
prit le temps de la préparer méthodiquement et s'entoura de
toutes les précautions possibles.
La colonne expéditionnaire campait maintenant à environ
dix kilomètres de Kana. Malgré cette proximité dé la capitale
religieuse du Dahomey, et en dépit des attaques pour ainsi
dire journalières des Dahoméens qui ne cessaient de la har-
celer, l'offensive ne fut reprise que le 25 octobre, quand tout
eut été bien préparé pour la prise de Kana.
« Du 15 au 22, télégraphiait-on de Porto-Novole 31 octobre,
nos soldats, harcelés par un ennemi dix fois supérieur en
nombre, armé de canons et de fusils nouveau modèle, com-
mandé par des Européens et. des métis brésiliens, ont eu à
repousser, à l'arme blanche, des attaques furieuses et ont
livré, victorieusement, neuf combats acharnés.
« Nos troupes, manquant d'eau, sous un soleil ardent, ont
été admirables de courage, d'abnégation, de discipline et
d'entrain. D'autre part, nos porteurs, décimés par l'artillerie
dahoméenne, mourant de fatigue et de privations, se révol-
taient et refusaient tout service. En cette horrible occurrence,
le mot de retraite n'a pas même été prononcé. Le colonel
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 113
Dodds, admirable d'énergie et. d'entrain, a donné à ses soldats
l'exemple des plus magnifiques vertus militaires.
« C'est grâce à sa ténacité et aussi à son initiative intelli-
gente et à l'activité si connue du gouverneur Ballot, que le
plus grand succès vient de récompenser tant de sacrifices.
« En effet, en moins de six jours, deux mille porteurs sup-
X>lémentaires et six cents soldats de renfort, rappelés à la hâte
des Popos, de Kotonou et de Porto-Novo. arrivent à Akpa,
conduits par le brave commandant Audéoud.
« La colonne, complètement débarrassée de ses blessés et
malades, reprend l'offensive le 25. Les triples positions forti-
fiées par l'ennemi pour défendre le passage du Koto, ainsi que
les deux forts de Kotopa, sont enlevés à la baïonnette après
deux brillants combats. L'ennemi, évalué à dix mille hommes,
fuit devant nos deux mille braves, nous abandonnant ses
armes, ses munitions et des approvisionnements entrés grandes
quantités. Le colonel poursuit l'ennemi jusqu'à un kilomètre
de Kana et y établit, le 26, son camp. Il évacue alors ses
blessés et attend de nouveaux approvisionnements pour mar-
cher sur Abomey et s'en emparer. »
Ainsi, dans la journée du 26, la colonne expéditionnaire
avait enlevé les retranchements élevés par les Dahoméens en
avant du bras droit de la rivière Koto.
8.
114 LE GÉNÉRAL DODDS
Le lendemain, l'attaque se porta sur les deux forts de
Kotopa, où Béhanzin avait concentré tous ses moyens de
défense. Ces deux forts, en terre, palissades, étaient armés de
cinq canons Krupp et de quelques mitrailleuses.
L'artillerie de la colonne, composée de trois batteries, put
démonter la plupart des pièces ennemies, que les Dahoméens
réussirent pourtant à retirer.
Le colonel Dodds occupa alors les positions de Kotopa,
situées entre les deux branches de la rivière Koto, tout en se
ï>réparant à marcher sur Kana, après le retour de son convoi
de ravitaillement.
Dans le combat du 26, nous avions eu sept tués, dont deux
officiers (les lieutenants Toulouse, de l'infanterie de. marine, et
Michel, de l'artillerie de marine), et vingt-neuf blessés, dont
deux officiers, qui sont le commandant Viîliers et le capitaine
Crémieu-Foa, des spahis auxiliaires. Ce dernier mourut des
suites de sa blessure (1).-
Le. 27, il y eut trois tués et quarante-quatre blessés, dont le
capitaine Courbettes, de l'infanterie de marine, atteint d'une
blessure très légère.
Les difficultés matérielles que. la colonne avait encore à
(',) Voir-à l'appendice, à la fin du volume : V. — LA. MOri'r- DISK HÉROS.
ET L'EXPEDITION DU DAHOMEY. 115
vaincre étaient, on le voit, assez considérables. La rivière
Koto, au-devant de laquelle se trouvaient nos troupes après
l'occupation d'Akpa, coule de l'ouest à l'est. Elle a deux bras :
l'un que la colonne franchit dans la journée du 27, l'autre qui
séparait la position de Kotopa, qu'elle occupait alors, du
plateau sur lequel se trouvent Kana et Abomey. Cette
rivière Koto a ses sources précisément sur le plateau d'Abo-
mey.
La colonne ne se trouvait donc pas encore dans la région
débroussaillée et cultivée qui entoure la capitale. Elle avait
encore un nouvel effort à faire pour atteindre le pays décou-
vert, où il lui serait enfin possible d'évoluer à son aise et d'en
finir, une fois pour toutes, avec les contingents quelque peu
démoralisés de l'armée dahoméenne.
La marche en avant ne put pour ce motif avoir lieu qu'après
le retour de la colonne de ravitaillement. Cette colonne, com-
posée de porteurs escortés par cent cinquante à deux cents
soldats, était partie de Kotopa, emmenant les malades et les
blessés sur les ambulances de Porto-Novo. Elle suivit la foute
tracée par la colonne de Kotopa à Gbédé, sur l'Ouémé, et là,
elle transborda les hommes sur les canonnières qui descen-
dirent à Porto-Novo et qui ramenèrent le matériel de guerre
et les vivres. Comme il fallait environ six jours à la colonne
116 LE GÉNÉRAL DODDS
de ravitaillement (partie du camp le 28 octobre) pour effectuer
son voyage complet, aller et retour, on s'explique que les opé-
rations offensives contre Kana n'aient guère été reprises
qu'après son retour et que la ville sainte ne soit tombée au
pouvoir de nos soldats que le 4 novembre.
Toutefois les hostilités avaient repris avec acharnement dès
le 2 novembre, comme l'indique fort bien le télégramme sui-
vant envoyé le 9 de Kotonou à Paris :
« La colonne poursuit sa marche victorieuse. Les 2, 3 et
4 novembre, des combats acharnés ont eu lieu près de Kana,
et nous avons pu nous emparer le 4 au soir de la ville sainte
des Dahoméens, autour de laquelle ces derniers avaient accu-
mulé des redoutes et des lignes fortifiées. L'ennemi a fait une
défense désespérée.
« Le 2 au matin, nos troupes ont commencé l'action contre
les approches du fort Muako ; la nuit mit fin au combat, qui
recommença le lendemain matin. Malgré l'incessante fatigue,
nos troupes se sont battues avec une nouvelle vigueur.
« Dans la journée, Muako était enlevé à l'assaut. L'ennemi
débandé battait en retraite en laissant des monceaux de
cadavres sur le champ de bataille. Quelques heures après,
cependant, il revenait contre nos lignes avec rage,
« Enfin, grâce au feu meurtrier de nos troupes, la position
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 117
a été enlevée. Les Dahoméens ont abandonné beaucoup
d'armes entre nos mains.
« La journée du 4 marqua la fin de cette série de
combats.
« L'armée de Béhanzin, réduite à quinze cents hommes.,
défendit encore quelques positions autour de Kana avec une
énergie extrême, mais dut l'abandonner.
« De notre côté, les pertes s'élèvent pour les deux journées
des 3 et 4 novembre à seize tués et quatre-vingt-trois blessés.
Au nombre des morts se trouve le lieutenant Mercier.
« Les officiers blessés sont : le capitaine d'infanterie Ragot,
le docteur Rouch, les lieutenants Gay, des tirailleurs sénéga-
lais, Menan, Jacob Cani, et les sous-lieutenants Maron, de
l'artillerie, et Mérienne, des tirailleurs haoussas. Le lieutenant
Gay a été frappé à la poitrine ; sa blessure est profonde. Le
docteur Rouch a été atteint au genou.
« Les blessures des officiers et soldats n'ont pas un carac-
tère grave, bien que les Dahoméens, dans la lutte désespérée
qu'ils ont soutenue à Kana, se soient servis de balles explo-
sibles.
« Les troupes ont été merveilleuses d'entrain.
« Le colonel Dodds pousse sa marche sur Abomey, dont il
n'est plus éloigné que de six kilomètres. »
H8 LE GÉNÉRAL DODDS
Voici maintenant le télégramme par lequel le colonel annon-
çait à notre ministre de la marine ces derniers succès :
« Dioxoué, 7 novembre.
« Le 4 novembre, la colonne a brillamment enlevé le village
Dioxoué et le grand palais du roi.
« Les troupes dahoméennes, maintenant considérablement
réduites, se sont battues avec le courage du désespoir, sous le
commandement de Béhanzin lui-même.
« Nos pertes sont de six tués, dont cinq Européens, et de
quarante-cinq blessés, dont dix-huit Européens, parmi les-
quels quatre officiers. Elles sont dues principalement au tir
des chasseurs dahoméens embusqués, qui visent de préférence
les états-majors, les officiers et les gradés.
« L'entrain des troupes est splendide, et leur conduite est
au-dessus de toute éloge. Je n'ai jamais eu l'honneur de com-
mander à de plus admirables soldats. On peut tout leur
demander.
« Le 5, la colonne a bivouaqué sous les murs de Kana.
Le 6, elle est entrée dans la ville, qu'avaient évacuée les
Dahoméens. »
Le même jour et presque à la même heure, notre ministre
de la marine adressait, de son côté, par le télégraphe, au com-
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 119
mandant en chef de l'expédition du Dahomey les félicitations
suivantes :
« Marine à général Dodds.
« Je reçois seulement aujourd'hui votre télégramme du 5.
J'admire avec vous la valeur et l'entrain superbe de vos troupes.
L'éloge que vous en faites est pour elles la première et restera
la plus précieuse des récompenses.
« Le ministre de la guerre, le sous-secrétaire d'Etat aux
colonies et moi adressons de nouveau à vos soldats et à vous
nos plus vives félicitations. »
VIIL
Abomey et ses environs. — Marche sur Abomey. — Béhanzin demande la paix. —
Négociations à ce sujet. — Rupture des négociations. — Fuite de Béhanzin. —
— Entrée des Français à Abomey (17 novembre).
Kana était maintenant prise et occupée par nous, et l'armée
de Béhanzin se trouvait en complète déroute. Abomey, à son
tour, n'allait pas tarder à tomber au pouvoir de nos soldats, et
la prise de possession de cette capitale allait mettre fin à notre
glorieuse mais pénible campagne de trois mois.
Toutefois, avant de raconter ces dernières opérations mili-
taires , nous allons donner à nos lecteurs de fort intéressants
détails sur Abomey et ses abords, détails qui furent publiés à
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 121
Paris, peu de temps avant la prise de cette ville, par un
voyageur qui avait récemment pu pénétrer jusqu'à la capitale
de Béhanzin.
Construite au milieu d'une grande plaine, racontait le
voyageur en question, la ville d'Abomey, si l'on peut ainsi
dénommer cet amas de cahutes en pisé, est défendue au sud
par la brousse, sorte de marécage où, sous la double influence
du soleil et de l'humidité, se.propage une flore parasite d'une
incroyable vigueur : lianes, buissons, hautes herbes, qui
arrêtent la marche, dérobent à l'oeil la présence des fondrières
et abritent une faune pullulante de reptiles et d'animaux
sauvages, depuis le rat palmiste jusqu'au chat-tigre d'une
taille exceptionnelle.
Les oiseaux de l'ordre des rapaces, tels que l'aigle et le
vautour, y chassent le poil et la plume, la gazelle élancée et
les passereaux aux couleurs chatoyantes, tels que le bengali
azuré et l'innombrable variété des colibris, ces pierres pré-
cieuses de l'air.
Il y a à Abomey quatre saisons distinctes : celle des grandes
pluies, du 15 mars au 15 juillet; la petite saison sèche, du
15 juillet au 15 septembre; la petite saison des pluies, qui va
jusqu'au 1er décembre ; et la grande saison sèche, qui se pro-
longe jusqu'au 15 mars.
122 LE GÉNÉRAL DODDS
Durant les grandes pluies, la brousse prend un développe-
ment contre lequel le noir indolent ne tente même pas de
réagir; puis, lors de la grande saison sèche, la terre saturée
d'eau se tarit, se fendille, les herbes se dessèchent et recouvrent
bientôt le sol de débris fertilisants. Le soleil règne en
maître.
Abomey s'élève au milieu d'une oasis de bombax et de
palmiers. Douze grandes portes, dépourvues de tout ornement,
construites en un pisé sorti des vases de la brousse, y donnent
accès. On se trouve ensuite devant un fossé plein d'eau, mais
à sec durant la saison chaude. Du côté de la ville, il est bordé
par une palissade très serrée. A ses pieux aigus on accroche
des têtes, après les razzias.
Le palais des rois de Dahomey occupe une superficie d'environ
trois kilomètres, en y comprenant les dépendances. Entouré
d'un mur en terre, il foi-me une seconde ville forte au milieu
de la ville proprement dite.
Il se compose d'une cinquantaine de cases, dont vingt
sont consacrées au harem royal. Elles sont sommairement
meublées d'un lit d'osier, d'un mortier avec son pilon, taillé
dans un tronc de bombax, et qui sert à piler l'akassa, le mets
national par excellence.
La case de Béhanzin est plus confortablement installée, avec
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 123
des meubles européens, cadeau des traitants intéressés à se
faire bien venir du royal marchand de chair humaine.
Les rues, fort étroites à cause du soleil, s'enchevêtrent les
unes dans les autres, formant une sorte de labyrinthe, facile1-
ment défendable contre l'infanterie. Elles sont bordées de
huttes construites en dehors de toutes les règles de l'ali-
gnement.
Presque toutes ces huttes sont entourées d'une varangue ou
véranda, sous laquelle les riches habitants font la sieste dans
des hamacs ou.sur des nattes, aux heures où l'ardeur du soleil
interdit toute occupation. Les enfants s'y ébattent, pendant
que les mères font la cuisine en plein air.
Les toits de ces huttes sont en chaume et très pointus.
Quelques obus au pétrole suffiraient pour faire un immense
brasier de la capitale de Béhanzin.
Répartie dans un millier de huttes rectangulaires, la popu-
lation peut s'élever au plus à cinq ou six mille nègres des deux
sexes, vivant pêle-mêle avec les brebis qui sont les vaches
laitières du paj^s, des phacochères, des porcs minuscules,
souvent ladres, et des chiens assez nombreux, au poil roux et
galeux, mais jusqu'ici exempts de la rage, ce présent de la
civilisation.
Tel est, dans son ensemble, ce repaire du sanguinaire
124 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
Béhanzin, dont les primitifs moyens de défense ont été depuis
peu renforcés par des fortifications en terre, élevées selon les
règles de la fortification moderne, avec l'aide et par les conseils
des Allemands. Elles obligeront le chef de notre expédition à
procéder méthodiquement à leur destruction, au lieu d'enlever
la place par un coup de main hardi. D'où le retard apporté à
l'attaque définitive qui doit mettre fin à la campagne.
Revenons maintenant à la colonne expéditionnaire que nous
avons laissée à Kana, à la fin du chapitre précédent.
La prise de Kana produisit une impression immense dans le
paj^s des Egbas, soumis depuis de longues années aux incur-
sions sanglantes des Dahoméens : le grand marché noir
d'Abéokouta célébra même par de longues réjouissances la
destruction du grand ennemi héréditaire des Egbas.
A la suite de la chute et de la destruction de Kana, livrée
aux flammes par le colonel Dodds, Béhanzin s'était enfermé
dans Abomey avec les derniers de ses soldats, réduits à douze
ou quinze cents. Une prompte attaque de vive force contre la
capitale dahoméenne aurait certainement réussi ; il n'y avait
pas à douter du succès. Mais la colonne expéditionnaire
comptait de nombreux malades ; par suite, l'effectif des
colonnes d'attaque se trouvait fort réduit ; ce qui, évidemment,
pouvait faire accroître le nombre des soldats mis hors de
Kaaa
livré
eaux
flam
mes
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LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 127
combat. Dans ces conditions, le général Dodds (1), toujours
prudent et ménager de la vie de ses hommes, préféra attendre
l'arrivée de renforts qui lui étaient annoncés, pour porter le
dernier coup à Béhanzin. Il ne s'avança donc que lentement
contre Abomey.
La marche sur la capitale dahoméenne fut reprise le surlen-
demain de la prise de Kana, c'est-à-dire le 8 novembre, après
avoir procédé à l'évacuation des blessés et avoir reçu un convoi
de munitions et de vivres.
Le d3, les escadrons de spahis reconnurent les abords
immédiats de la place et débusquèrent de très faibles partis
de Dahoméens placés dans des embuscades, à quelques cen-
taines de mètres des murailles. Ils enlevèrent même quelques
prisonniers, qui furent interrogés par le général Dodds.
Ces noirs affirmèrent au commandant du corps expédition-
naire que Béhanzin ne possédait plus avec lui, dans Abomey.
(1) Nous avons vu dans le chapitre III que le colonel Dodds fut promu général <b-
brigade par arrêté du 9 novembre 1892. Cette promotion lui fut notifiée par le
télégraphe à la suite de la prise de Kana. D'ailleurs, les étoiles de brigadier n'étaient
point une récompense sérieuse et suffisante de ses excellents services; car, on s'en
souvient, il se trouvait en tête du tableau d'avancement au moment de son départ
pour le Dahomey. Aussi le général Dodds reçut-il également une promotion dans la
Légion d'honneur: il fut fait peu après grand-officier de notre ordre nati*nal.
128 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
que douze cents hommes, dont une grande partie était formée
par les prêtres chassés de Kana.
Ces derniers avaient fanatisé ce qui restait de l'armée
du Dahomey, à un tel point que ces derniers soldats avaient,
juré de se faire tuer jusqu'au dernier, plutôt que de fuir dans
l'Ouest, pour se réfugier dans le pa3's de Togo. Béhanzin se
trouvait même le prisonnier de ces fanatiques, qui l'avaient
menacé de mort, s'il essayait de se soustraire à ses devoirs de
chef.
Comme confirmation des renseignements fournis par les
noirs, le général reçut bientôt une longue lettre de Béhanzin,
apportée au camp par une femme, par laquelle ce dernier
demandait à capituler. Il offrait comme principales conditions
l'abandon à la France de tout le littoral, avec ses lagunes,
compris entre nos colonies de Kotonou et de Porto-Novo ; il
pnyposait ensuite au général Dodds de lui payer une contri-
bution de quinze millions de francs, destinée à couvrir les
dépenses de la campagne que nous avions été forcés d'entre-
prendre contre lui.
Mais, d'après le dire de soldats malades ramenés par ce
convoi, il paraissait évident qu'il serait fort difficile à Béhanzin
d'exécuter les clauses de sa capitulation, car il était très pro-
bable que les derniers défenseurs qui l'entouraient ne lui en
Interrogatoire des prisonniers.
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 131
laisseraient point la faculté, d'après leurs formelles menaces
de mort.
Toutefois, le général Dodds eut le scrupule de ne pas re-
pousser sans explication les avances de Béhanzin. Il lui fit
savoir que, pour consentir à une suspension des hostilités, il
lui fallait des garanties sérieuses : il réclama, comme garanties,
la livraison des mille fusils à tir rapide et de l'artillerie des
Dahoméens et le versement immédiat de l'indemnité de
quinze millions. Béhanzin répondit en offrant seulement cent
fusils et la moitié des canons, et en déclarant qu'il ne pouvait
pas verser immédiatement l'indemnité offerte par lui. Dans
ces conditions, les pourparlers furent rompus, et le général
Dodds, qui venait de recevoir les renforts attendus, prépara
tout pour l'attaque finale.
Pourtant, avant d'ordonner l'assaut, le général envoya de
nouveau un prisonnier au roi Béhanzin. Il lui faisait annoncer
par cet envoyé la destruction complète de Kana par les
flammes, et il sommait Béhanzin de se rendre sans con-
dition.
Béhanzin renvoya, le lendemain, au camp français le même
émissaire avec sa réponse. Il informait le général Dodds que
les Français, s'ils pénétraient dans Abomey, trouveraient la
capitale abandonnée par ses soldats et par ses habitants.
132 LE GÉNÉRAL DODDS
Cette dernière réponse fit comprendre au général qu'il n'y
avait plus lieu de retarder l'action. Dans la matinée du 17, il
disposa ses colonnes d'attaque. Les premières troupes qui arri-
vèrent contre l'enceinte fortifiée ne rencontrèrent aucune
résistance. Bientôt après, elles pouvaient pénétrer dans la
ville.
Comme l'avait dit Béhanzin, Abomey était abandonné.
En s'enfuyant, les Dahoméens avaient laissé derrière eux
un nombreux butin, parmi lequel fut trouvé le trône en or de
Béhanzin, que le général Dodds fit envoyer à Porto-Novo
pour l'offrir au roi Toffa, notre allié.
Le roi Toffa, aussitôt notre entrée à Abomey, avait d'ailleurs
été chargé d'envoyer dans tout le pays des messagers pour
avertir les populations que les hostilités étaient terminées
et pour engager les Dahoméens jusque-là demeurés
fidèles à Béhanzin à faire sans retard leur soumission à la
France.
Au moment où Abomey tombait ainsi au pouvoir de nos
soldats, le général Dodds recevait de France le nouveau télé-
gramme de félicitation suivant :
« Marine à général Dodds,
« La Chambre des députés, après un vote unanime, et sans
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 133
attendre l'issue qu'elle espère de la campagne conduite par le
général Dodds au Dahomey, associe ses félicitations à celles
que le gouvernement lui a envoyées déjà, ainsi qu'à ses
vaillantes troupes. »
Pendant que notre colonne expéditionnaire entrait dans
Abomey et prenait possession du grand palais sur lequel étaient
aussitôt arborées les trois couleurs nationales, Béhanzin,
fuyant devant nos reconnaissances, se retirait à trois jours de
marche au nord de sa capitale avec les débris de son armée.
Mais, avant d'abandonner Abomey, il avait brûlé tous ses
palais, ainsi que les maisons des princes et des chefs, afin de
les forcer à le suivre.
Le roi noir n'était d'ailleurs accompagné que de très peu de
soldats ; son armée, déjà cruellement décimée par le feu de nos
troupes, s'était encore considérablement réduite à la suite de
chaque défaite successive par les désertions, conséquence de la
démoralisation qui, à la fin, était devenue fort grande parmi
ses guerriers. Il n'était plus entouré que de quelques centaines
d'hommes, lorsqu'il prit la direction du nord et s'enfonça de
plus en plus dans les régions encore inexplorées et inconnues
qui bornent de ce côté le royaume du Dahomey et dans
lesquelles on perdit ses traces.
134 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
Comme il n'était pas possible de l'y suivre, on le laissa
aller cacher la honte de sa défaite dans ces vastes contrées
inconnues (1).
(1) Voir à l'Appendice, à la fin du volume : Vif. — UNE NOUVELLE CAMPAGNE AU
DAHOMEY.
IX.
La nouvelle de l'entrée à Abomsy à la Chambre des Députés et au Sénat. —
Rentrée triomphale à Porto-Novo. — Occupation de Whydah et des villes du
littoral. — Vive et forte impression causée aux Dahoméens et aux noirs de la
côte par les continuels succès de nos soldats. — Organisation provisoire du
Dahomey sous le protectorat de la France.
Dès que la nouvelle de l'entrée de nos troupes à Abomey fut
parvenue au ministère de la marine, notre gouvernement
tint adonner immédiatement connaissance à la Chambre des
députés et au Sénat du magnifique succès final de notre expé-
dition du Dahomey. M. Burdeau, ministre de la marine, fut
chargé par ses collègues de cette agréable mission. Il com-
mença par la Chambre des députés.
136 LE GÉNÉRAL DODDS
« Par une dépêche qui nous est parvenue cette nuit, dit-il,
et que le gouvernement, suivant une règle constante, s'est
hâté de publier, le général Dodds nous apprend qu'à la date
du 17 novembre, les Français sont entrés dans Abomey.
{Applaudissements.) Le drapeau français flotte sur le palais du roi
Béhanzin. (Applaudisscmenls.)
« Ainsi un coup décisif a été porté à une royauté sangui-
naire, fondée sur l'esclavage et sur les sacrifices humains.
(Très bien! très bien!)
« La France a fait respecter à la fois son drapeau, vengé des
traités qui n'étaient pas obéis, après avoir été librement con-
sentis , et défendu la civilisation. (Très bien ! très bien!)
« Le Parlement a déjà manifesté son admiration pour la
vaillante conduite de ces troupes, dirigées par un officier aussi
sage qu'énergique, le général Dodds. »
« Le gouvernement, ajouta le ministre, a pensé être l'in-
terprète du Parlement en lui proposant deux projets de loi,
dans le but de créer une médaille commémorative du Dahomey
et de concéder des décorations supplémentaires. »
La Chambre décida aussitôt de procéder d'urgence à la
discussion de ces deux projets de loi, qui furent immédiate-
ment votés, pour ainsi dire, par acclamation.
Le ministre de la marine se rendit alors au Sénat, pour y
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 137
faire la même communication, et pour demander à la haute
Assemblée de vouloir bien sanctionner sans retard le vote de
la Chambre des députés. Mais la nouvelle de nos derniers
succès avait déjà été patriotiquement proclamée à la tribune
du Sénat par M. Halna du Fretay, qui avait en outre de-
mandé à ses collègues un vote de félicitations pour nos soldats
entrés à Abomey.
« Messieurs, avait dit l'honorable sénateur, aujourd'hui
qu'il est officiellement confirmé que notre vaillante colonne
expéditionnaire est entrée victorieuse à Abomey, je pro-
pose au Sénat d'envoyer ses félicitations aux braves sol-
dats, si brillamment conduits par le général Dodds, qui ont
eu à vaincre, pour obtenir ce glorieux résultat, des obstacles
insurmontables. » (Vive approbation. — Applaudissements unanimes.)
M. Le Royer, président de la haute Assemblée, s'empi-essa
d'associer le Sénat à cette patriotique pensée :
« Le Sénat tout entier, dit-il, s'associe à la proposition dont
l'honorable amiral Halna de Fretay vient de prendre l'ini-
tiative.
« Elle traduit un sentiment qui était déjà dans nos coeurs.
« Je dois ajouter, messieurs, que vous allez avoir à statuer
tout à l'heure sur un projet de loi par lequel M. le ministre de la
marine demande un certain nombre de décorations pour les
138 LE GÉNÉRAL DODDS
vaillants soldats et le chef brave, zélé et dévoué, qui ont si
bien fait leur devoir au Dahomey. » (Vive approbation.)
Et M. Audren de Kerdrel ajouta : « Le Sénat s'associe à
l'unanimité aux paroles que vient, de xu'ononcer M. le prési-
dent. »
Pendant que ces paroles étaient prononcées au Sénat, le
ministre de la marine était encore retenu à la Chambre des
députés : il n'arriva au Luxembourg qu'un peu plus tard. Il
monta aussitôt à la tribune et déclara en ces termes, au milieu
des acclamations générales, que le gouvernement entendait,
lui aussi, célébrer la victoire de nos troupes :
« J'ai à faire au Sénat, dit M. Burdeau, une communica-
tion très brève. Le gouvernement a reçu, cette nuit, du géné-
ral Dodds un télégramme en date du 17 novembre. Les
troupes françaises sont entrées à Abomey. (Très bien! très bien!)
Notre drapeau flotte sur le palais du roi Béhanzin.
« Vous savez tous, messieurs, quels obstacles il a fallu
vaincre pour atteindre le but: nos troupes, commandées par
un chef à la fois sage et énergique (Très bien! très bien!), ont
triomphé d'un climat redoutable et d'un ennemi inspiré par le
plus sauvage, le plus farouche des fanatismes, et muni d'armes
qu'on avait cru jusqu'ici réservées aux nations civilisées. (Très
bien! très bien!) Il a semblé au gouvernement qu'une expédition
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 139
aussi honorable pour nos armes, aussi brillante, devait don-
ner lieu à des récompenses exceptionnelles.
« L'opinion publique nous a précédés; le pays n'a pas mé-
nagé ses sympathies et son admiration à nos vaillants sol-
dats. (Très bien! très bien!)
« Il appartient au Parlement de donner une sanction à ces
sentiments. Le gouvernement a proposé à la Chambre des
députés et fait adopter deux projets de loi que j'ai l'honneur
de déposer sur le bureau du Sénat. (Lisez! lisez!)
« Je demanderai au Sénat de vouloir bien déclarer l'urgence.
« L'adoption d'une pareille mesure augmentera encore le
prix des récompenses accordées au général Dodds et aux
troupes qui ont si vaillamment combattu. » (Très bien! très
bien ! )
Les deux projets de loi furent votés par acclamation au
Luxembourg comme au Palais-Bourbon (1).
Abomey occupé par nos troupes et Béhanzin en fuite dans
des pays inconnus, avec les débris de son armée, l'expédition
était terminée. Il était temps; car la mauvaise saison qui
survenait allait rendre impossible à des Européens la conti-
(1) Voir en outre à YAppendice, à la fin du volume : II. — SERVICE FUNÈBRE EN
L'ÉGLISE BE-LA MADELEINE.
140 LE GÉNÉRAL DODDS
nuation des opérations militaires à une aussi grande distance
de la côte. Le général Dodds laissa donc des garnisons à
Abomey et à Kana et revint à Porto-Novo s'occuper de l'or-
ganisation de notre conquête. Voici le télégramme par lequel
il annonça au ministère de la marine son retour à Porto-
Novo :« Porto-Novo, 30 novembre.
« J'ai quitté Abomey le 27 novembre avec la colonne et suis
arrivé à Porto-Novo aujourd'hui.
« Les troupes que j'ai laissées à Abomey, sous les ordres du
lieutenant-colonel Grégoire, sont fortement établies au palais
Goho.
« J'ai reçu la réponse des habitants de Whydah au message
que je leur avais envoyé pour les inviter à accepter la souve-
raineté de la France. Ils se déclarent très heureux de se ranger
sous notre autorité et prêts à accueillir les troupes fran-
çaises.
« Aussitôt après l'occupation de Whydah, la colonne se
dirigera sur Allada et poussera ensuite jusqu'à Abomey, par
la route de l'intérieur, pour assurer l'occupation complète du
pays.
« Je vous prie de transmettre au gouvernement l'expression
de ma profonde reconnaissance et celle des troupes pour les
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 141
récompenses qui viennent d'être votées par le Parlement, sûr
sa proposition. »
On voit par ces derniers mots que le général avait déjà eu
connaissance par le télégraphe des acclamations qui avaient
été patriotiquement adressées, à lui et à ses troupes, par les
deux Chambres françaises. Il fut d'ailleurs reçu avec le plus
grand enthousiasme à son arrivée à Porto-Novo; il y avait
devancé de quelques jours le gros de la colonne expédition-
naire. Celle-ci, le 1er décembre, y effectua une entrée triom-
phale avec tout l'état-major et le général, qui était revenu se
mettre à sa tête à cette occasion.
Le 1er décembre fut un beau jour de fête pour nos vaillants
soldats. Dans une allocution patriotique, le général rendit
hommage aux services éminents du lieutenant-gouverneur,
M. Ballot, et le remercia au nom du corps expéditionnaire. Il
remercia également le roi Toffa et la population de leur con-
cours dévoué, et glorifia les exploits de ses soldats, qui,
malgré les maladies, les intempéries du climat, les privations
excessives, ont triomphé, dans seize combats acharnés, d'un
ennemi audacieux et brave, discipliné, bien armé, et dix fois
supérieur en nombre. « Je suis fier, dit le général Dodds en
terminant, d'avoir commandé aux premiers soldats du
monde. »
142 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPEDITION DU DAHOMEY.
Huit cents [hommes, sous le commandement du colonel
Grégoire, étaient restés à Abomey, dans un fort, à l'abri de
toute surprise. Le reste de la colonne, dès sa rentrée à
Porto-Novo, fut aussitôt employé à s'emparer des villes du
littoral et à les occuper, à l'exception toutefois de Whydah,
dont la marine était chargée d'effectuer l'occupation.
Ainsi, dès le commencement de décembre, les compagnies
de débarquement des navires sur rades étaient entrées à
Whydah et y tenaient garnison; les autres villes, Abomey-
Kalavi, Godomey et Avrékété, recevaient également, sans
opposition, des garnisons françaises. De la sorte, nous étions
maintenant les maîtres du Dahomey. Ce dernier et important
incident de l'expédition fut annoncé en France par le télé-
gramme suivant :« Porto-Novo, 4 décembre, 8 h, 25 m.
« Les villes du littoral, Whydah, Avrékété, Godomey,
&odinefojobo, Abomey-Kalavi, ont envoyé des représentants
au gouverneur pour annoncer qu'elles faisaient leur soumis-
sion. — Whydah est occupé par une garnison française. — Le
drapeau français flotte sur les autres villes, qui seront occupées
par les troupes françaises lundi prochain. »
Maîtres maintenant du Dahomey, il s'agissait d'organiser
notre conquête : ce fut ce dont s'occupa aussitôt le général
M. BALLOT, lieutenant-gouverneur.
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 145
Dodds. Mais, avant d'indiquer en quelques lignes ce qu'il fit
à cet égard, nous pensons faire plaisir à nos lecteurs en leur
faisant connaître l'impression produite sur les noirs de la côte
et même de l'intérieur de l'Afrique par nos succès au Daho-
mey, lies détails que nous allons donner à ce sujet paraîtront
peut-être un peu trop rétrospectifs, mais ils n'en sont pas moins
fort intéressants. Ils nous furent apportés par le courrier du
Dahomey, arrivé en France au commencement de décembre,
et l'on va voir que, même avant notre victoire finale, nos
premiers succès avaient déjà fortement impressionné en notre
faveur toute la partie de la poj)ulation africaine des environs
du Dahomey.
Ce courrier apportait, en effet, en France plusieurs lettres
donnant des détails sur la marche de la colonne expédition-
naire, de Porto-Novo à Kana.
L'une d'elles contenait d'assez curieux renseignements sur
l'état d'esprit des noirs de la côte. « Ceux-ci, disait-on, ont
été tout d'abord étonnés de la marche toujours victorieuse
des Français à travers le Dahomey. Les nouvelles exagérées
ont aussitôt circulé sous forme de légendes, de Cala bar aux
Ashoutis, et le prestige des blancs, que le traité de 1890 avait
profondément atteint, est aujourd'hui plus grand que
jamais- »
Ï0
146 LE GÉNÉRAL DODDS
Au Dahomey même, les habitants furent terrifiés. Une
migration très importante eut lieu sur le Togoland,
tandis que vers le Bénin des 'masses se préparaient à fuir
la domination anglaise et à se réfugier sur la rive droite
de l'Ouémé. Badagry se dépeuplait à vue d'oeil, et les
anciens sujets de Toffa retournèrent peu à peu dans leur
capitale.
« On peut s'attendre, ajoutait-on, à une forte migration
d'Egbas fuyant la domination anglaise. La nouvelle du succès
de notre armée est parvenue jusque dans l'intérieur, et on la
connaît sûrement, à l'heure qu'il est, à Yola et à Sokoto. Elle
a été communiquée avec la même rapidité du côté du Soudan,
jusque dans le camp de Samory. Les résultats obtenus par le
général Dodds auront donc les plus heureux effets pour l'in-
fluence française et seront d'un très grand profit pour nos
tentatives futures. »
Voici maintenant de quelle façon le général Dodds, avant
son retour en Europe, fut autorisé à organiser l'administration
et le gouvernement du Dahomey. Nous ne donnons, bien
entendu, que les grandes lignes de cet important travail,
auquel songeait le général dès la fin de novembre.
Le. 27 novembi-e, en effet, dix jours après son entrée à
Abomey, il adressait déjà au ministre de la marine une
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 147
longue dépêche, dans laquelle il exposait son programme
pour l'organisation provisoire du pays.
Le général constatait tout d'abord que cette organisation
était rendue difficile par ce fait que Béhanzin avait, dans sa
retraite, emmené avec lui tous les principaux chefs du pays.
Le général proposait de profiter de cet état de choses pour
morceler le royaume de Dahomey. Les territoires de la côte
avec Whydah seraient incorporés aux possessions françaises
du Bénin, et le reste du royaume comprendrait trois provinces
indépendantes les unes des autres. L'une aurait Allada comme
capitale; la seconde, Abomey; et la troisième, constituée avec
les villages de l'Ouémé, aurait pour chef-lieu un village situé
entre Agony et Dogha, dans les environs de Tohoué, par
exemple. Quant au pays dékamé, il serait replacé sous l'auto-
rité de notre allié Toffa, roi de Porto-Novo.
A côté des chefs intronisés par nous dans les trois provinces,
se trouveraient des résidents français qui relèveraient du gou-
vernement de nos établissements du Bénin.
Nous avons déjà vu précédemment que, pour assurer la
pacification du pays et pour empêcher Béhanzin de faire un
retour offensif avec les éléments militaires dont il disposait
encore, le général Dodds était resté à Abomey jusqu'à la fin
de novembre. A son départ de l'ancienne capitale de Renan-
148 LE GÉNÉRAL DODDS
zin, il y avait laissé des forces importantes, composées d'une
compagnie d'infanterie de marine et de quatre compagnies de
tirailleurs sénégalais, avec de l'artillerie.
Ce fut après avoir pris ces premières dispositions, par me-
sure de précaution, qu'il s'occupa de la prise de possession de
la côte. Comme les eaux étaient alors fort basses, il revint à la
côte par Allada et "Whydah ; et, dès que le pays eut été placé
sous notre autorité, il fit établir d'urgence une route reliant
Abomey à "Whydah, afin de permettre à nos forces militaires
de prêter leur appui, le cas échéant, à la garnison momenta-
nément laissée à Abomey.
Le gouvernement approuva les lignes générales du pro-
gramme du général Dodds, ses intentions étant non d'occu-
per effectivement le Dahomey, mais d'exercer sur le pa3rs un
protectorat de surveillance, de nature à empêcher le rétablis-
sement d'un ordre de choses susceptible de nécessiter une
nouvelle expédition.
L'annexion de "Whydah et du territoire de la côte fut ap-
prouvée, et il fut décidé que le blocus ne serait levé que le jour
DU les douanes françaises fonctionneraient à Whydah et à
Godomej'-, comme elles fonctionnaient déjà à Grand-Popo et
à Kotonou.
Cette organisation, qui ne nécessitait pas de fortes dé-
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 149
penses, permettait de prévoir que, dans un laps de temps
assez court, la colonie pourrait se suffire à elle-même, comme
la colonie de Grand-Bassam.
En attendant, et pour permettre aux opérations commer-
ciales de s'effectuer comme autrefois, le gouvernement laissait-
au général Dodds les troupes nécessaires pour assurer le
maintien de notre autorité.
Un seul point fut laissé en suspens par le gouvernement
français, qui ne crut pas pouvoir immédiatement statuer à cet
égard : c'était le démembrement du royaume du Dahomey en
trois provinces, comme l'avait indiqué le général Dodds dans
sa dépêche. Rien d'ailleurs n'a encore été décidé à ce sujet, au
moment où nous écrivons ces lignes, car l'exécution de ce
programme dépend essentiellement des chefs dont il sera
possible de disposer dans l'avenir.
X.
'te général Dodds apprécié par un de ses officiers. — Anecdote relative à sa
nomination de général. •— Retour du général en France. — Arrivée à Marseille.
— Réception enthousiaste. — Arrivée à Paris. •— Trophées rapportés par le
général Dodds. — Un monument en l'honneur des officiers et soldats morts au
Dahomey,
Nous avons déjà présenté le général Dodds à nos lecteurs au
début de ce petit volume. Le récit des faits saillants de l'expé-
dition du Dahomey qu'ils viennent de lire leur a montré la
façon énergique et habile dont les opérations militaires ont été
conduites par le commandant en chef, qui s'ingéniait à tout
prévoir et à ne rien laisser au hasard. Il nous reste cependant
encore à faire connaître l'estime dont n'ont cessé de l'entourer
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 151
les officiers qu'il avait sous ses ordres. Nous empruntons, à
cet effet, au Gaulois le récit qu'a donné un de ses rédacteurs, en
décembre 1892, d'un entretien qu'il venait d'avoir à ce sujet
avec le commandant Battréau, tout récemment rapatrié par la
Yille-tk-Maccio.
« Laissez-moi vous parler du général Dodds, lui avait dit le
commandant ; et en le faisant, je suis — et vous pourrez vous
èa assurer en interrogeant les hommes qui sont sur le bateau
>--l'interprète de tous, en vous disant de quelle vénération-
nous l'entourons, quelle admiration nous professons pour sa
bravoure et sa ténacité. Car, il faut bien qu'on le sache, c'est
grâce à sa ténacité que nous sommes arrivés au résultat
obtenu. Dès le début de la campagne, son plan était bien
arrêté, bien mûri et solidement réfléchi, et il ne s'en est pas
écarté une minute.
« Bien mieux, à plusieurs reprises, il a eu, non pas à lutter
avec les officiers sous ses ordres, car Dieu sait que, dans la
colonne, la discipline a été toujours strictement et souveraine-
ment observée, mais il est arrivé quelquefois que, consultant
certains de ses officiers, commandants d'unités, ceux-ci diffé-
raient d'avis aA^eclui sur les dispositions à prendre. Une fois
même il avait réuni le conseil de guerre, et l'opinion qu'il
défendait n'avait pas prévalu ; la minorité seulement s'était
152 LE GÉNÉRAL DODDS
rangée de son avis. Il a tenu bon, néanmoins, agissant, ainsi
qu'il en avait le droit, sous sa propre responsabilité, et 3e
résultat nous a prouvé qu'il avait raison.
« Je vous parlais de la discipline; jamais elle n'a été mieux
observée, et Dieu sait cependant les souffrances et les fatigues
que nous avons eues à endurer. Ce qui nous a surtout le plus
abattus par moments, c'était le manque d'eau. Ainsi, après
l'affaire d'Akpa, où nous nous étions vaiJlamnient battus, nous
avons dû cependant retourner de quatre journées de marche en
arrière, les approvisionnements en vivres et en munitions
n'ayant pu nous arriver. L'eau aussi nous faisait défaut. On
ne tenait plus les troupes africaines dans la main. « Pas d'eau,
« pas marcher ! » disaient-ils dans leur idiome.
« Et dame, nous autres, nous commencions à nous regarder,
lorsqu'une tornade épouvantable a éclaté providentiellement.
= Hommes, sous-officiers, officiers, tout le monde tendait sa
gamelle, les marmites de campement ; enfin, on a disposé tous
les récipients, et noxis avons pu nous approvisionner d'eau
suffisamment pour attendre le ravitaillement. La veille, nous
en étions réduits le matin, au petit jour, à arracher les feuilles
et les herbes humides de rosée et à les sucer pour en avoir un
peu de rafraîchissement.
« — Et où avez-vous été blessé, mon commandant?
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 153
« — A l'attaque des sources de Koto. Ces sources sont
complètement dans la brousse, et nos Dahoméens faisaient
bonne garde autour d'elles. Nous venions de leur pousser, avec
la légion, une charge à ia baïonnette, et les troupes fraîches
arrivaient sur nous lorsqu'une amazone, qui marchait en tête,
m'a envoyé mon affaire.
« — J'espère qu'elle ne recommencera plus?
« — Pour cela, non. Elles étaient une douzaine. Mon lieu-
tenant s'en est chargé. D'un feu de salve bien dirigé, il les a
toutes nettoyées. Elles sont, du reste, ainsi que les hommes,
d'une bravoure extraordinaire, bien dirigées, bien disciplinées.
J'ignore qui leur a appris, à tous, le maniement des armes et
le tir ; mais celui-là n'a pas volé son argent.
« J'ai vu dans les journaux qu'on parlait d'Allemands, de
Belges, qui auraient été faits prisonniers, et que le général
Dodds aurait fait fusilier ; mais je n'en ai pas eu connaissance.
« Ce que je sais, c'est qu'ils étaient armés de fusils "Win-
chester à répétition, et que leurs canons et leurs poudres
provenaient de maisons françaises. On a pris des caisses de
poudre portant la marque de l'Etat français.
« Les fusils Lebel, par exemple, leur ont causé une stupé-
faction indicible. Ce qui leur a surtout causé le plus d'effroi,
c'est lors de l'affaire très véridique de l'arbre traversé et de six
154 LE GÉNÉRAL DODDS
Dahoméens tués qui se tenaient à l'abri derrière. Dès qu'il a
été averti de ce fait, Béhanzin, qui se tenait toujours à certaine
distance de ses troupes, s'est encore tenu un peu plus loin. 11
craignait trop l'effet des lebels. Heureusement qu'ils n'avaient
que des winchesters ; sans cela, mon compte eût été bon.
« Aussitôt que les Dahoméens voyaient que nous appro-
chions d'eux, ils faisaient reculer leurs canons, ce qui fait que
nous n'avons pu en prendre une seule fois.
« Un maréchal des logis sénégalais, un noir médaillé et
décoré, a chargé une pièce et sabré les servants; mais les
Dahoméens sont venus à la rescousse, et il a été tué. Ces
pièces, il est malheureux d'avoir aie dire, sont servies par des
laptots des noirs du Haut-Fleuve, qu'on emploie à bord des
navii-es de guerre au Sénégal et dans la Gambie, et auxquels
on apprend la manoeuvre du canon. Ils s'y mettent fort bien
et deviennent de fort bons tireurs. Ils avaient été engagés par
Béhanzin et nous ont fait beaucoup de mal. Pour vous en
donner une preuve, je vous dirai qu'à l'ambulance du camp, où
j'avais été transporté après ma blessure, avant d'être évacué
sur Kotonou, deux hommes ont été tués par un de leurs obus
dans l'ambulance même, et que je ne sais pas comment je n'ai
pas été touché à mon tour.
« Puisque vous vouiez parler de ce que nous avons fait,.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 155
dites bien que la légion étrangère a été d'un grand secours. Du
reste, le général Dodds en faisait le plus grand cas, et les noirs
ne marchaient vraiment bien que lorsque les légionnaires
étaient à leurs côtés. Notez que je ne veux rien enlever à
l'infanterie de marine, qui a été admirable, comme toujours ;
mais nos hommes, plus âgés, plus forts, offraient plus de
résistance. »
Voici maintenant une intéressante anecdote relative à la
nomination du colonel Dodds au grade de général, anecdote
qui fut publiée en ce même mois de décembre 1892 :
Quelques jours avant de quitter Toulon, M. le chef de
bataillon Grégoire (aujourd'hui colonel) achetait, à tout
hasard; chez un chapelier du port, les six étoiles d'argent que
les généraux de brigade portent à leur képi et sur les manches
de leur dolman, sachant bien que ces insignes ne resteraient
pas de longs mois au fond de sa cantine et qu'il aurait, un
jour ou l'autre, l'occasion de les offrir à son chef.
Cette occasion, comme on le sait, ne s'est pas fait- attendre,
et, quelques minutes après la réception du télégramme officiel
de M. Burdeau (ministre de la marine), le général Dodds, tout
en recevant les félicitations de ses officiers, trouvait sur son
petit bureau, dans sa tente, les étoiles qu'il venait de conquérir,
l'épée au poing.
156 . LE GÉNÉRAL DODDS
On voit que si le général Dodds est un chef qui sait prévoir
jusqu'aux moindres détails d'une expédition, les officiers de
son état-major ne lui cèdent en rien.
A la fin du chapitre précédent, nous avons laissé le général
Dodds en train d'organiser sa conquête : il consacra encore
plusieurs mois à ce travail, puis il prit un congé et revint en
France jouir en famille d'un repos bien gagné et nécessaire à
sa santé, à la suite des fatigues de la pénible campagne que
nous Amenons de raconter à nos lecteurs (1).
Une réception enthousiaste l'attendait à Marseille, où il
débarqua le jeudi 11 mai ^1893, après une traversée de dix-huit
jours effectuée sur le Thîbct, paquebot de la Compagnie
Fraissinet. Le peuple de la vieille cité phocéenne, les autorités
civiles et militaires, firent un accueil triomphal au général
victorieux. Nos lecteurs nous sauront gré, sans doute, de leur
faire connaître les détails de cette magnifique réception. "Voici
donc textuellement le compte rendu très complet qui en a été
donné par l'un de nos meilleurs journaux :
Le Thïbct,, imprimait-il le 12 mai, fut signalé au large
dès huit heures et demie. Immédiatement une flottille de
. (I) Voir également à l'Appendice, à là fin du volume : III. — RENTRÉE TRIOM-
PHALE EN ALGÉRIE DES TROUPES EXPÉDITIONNAIRES.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 157
yachts et d'embarcations s'est portée au-devant du paquebot
et l'a escorté au port, du cap Couronne au bassin nord de la
Joliette, où il s'est amarré.
Sur le quai de l'Estaque, se tiennent MM. Albert Fraissinet,
de la compagnie Fraissinet, Sarroin, directeur de la santé du
port de Marseille, et Hanès, commissaire général de la marine,
qui montent à bord les premiers, dès que le Thibd a mouillé,
afin de donner la libre pratique et de remettre au général une
médaille commémorative.
Les autorités, arrivées, dès huit heures, en voitures sur le
môle, attendent au grand complet.
Le général est reçu au débarcadère par M. Deffès, préfet, le
général Mathelin, commandant le 15° corps, le maire, de nom-
breux conseillers municipaux, M. Bouge, député de Marseille,
ainsi que toutes les autorités civiles et militaires, les présidents
du tribunal et de la chambre de commerce, et les délégués des
diverses sociétés.
Mmo Dodds, en compagnie de Mn,c Deffès, attendait l'arrivée
de son mari sur le môle.
Tous les navires qui se trouvent dans le port sont pavoises.
La foule, qui est très considérable, encombre les quais et les
môles.
A son entrée dans les bassins, le Thibd est accueilli par des
158 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
acclamations formidables. La musique militaire joue l'hymne
national. Le général Dodds, placé à l'arrière du navire, reçoit
de la foule une ovation enthousiaste.
C'est M. Hanès, commissaire général de la marine, délégué
par le ministre, qui, à bord du Thibel, a, le premier, souhaité la
bienvenue au général au nom du gouvernement et lui a remis
lia médaille commémorative de l'expédition du Dahomey.
Cette médaille est en argent, du module ordinaire : sur une
face, elle porte l'effigie de la République ; sur l'autre se
détache, au centre, l'inscription « Dahomey », sur laquelle est
une étoile en relief avec ses rayons ; au-dessous, un faisceau
de drapeaux et une ancre. Cette face de la médaille est entourée
d'une couronne de chêne. Le ruban de la médaille est à filets
jaunes et noirs.
L'écrin dans lequel cette médaille a été expédiée à Marseille,
est en cuir de Russie rouge ; il porte, sur le couvercle, les
inscriptions suivantes : « Dahomey, 1892 », et, entourée d'une
couronne en vermeil de laurier et de chêne, celle-ci : « Général
Dodds, commandant en chef le corps expéditionnaire. »
L'intérieur de l'écrin est en velours bleu et satin bleu ; sur le
satin intérieur se détachent, en lettres d'or, les dates suivantes :
Dahomey, 1892 — 27 mars, Danou — 9 août, Zabbo — 22 août,
Takou — 19 septembre, Dogha. — 4 octobre, Poguessa —
M. Uaucs remet an général Dodds la médaille comméiuorutive Uo
l'expédition du Dahomey.
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 161
20-21 octobre, Akpa — 26-27 octobre, Koto — 2-3 novembre,
Ouakon — 4 novembre, Kana.
Dès que le Thibd a accosté, les autorités montent à bord et
souhaitent la bienvenue au général Dodds, qui, très ému, a
répondu par quelques paroles de remerciement.
M. Flaissière, maire de Marseille, a prononcé le discours
suivant :
« Monsieur le général, au nom de la population de Marseille,
au nom du conseil municipal, j'ai l'honneur de vous souhaiter
la bienvenue parmi nous. "Vous représentez le corps expédi-
tionnaire du Dahomey, et j'ai mandat de mes concitoyens et
de mes collègues de vous exprimer les sentiments que nous
avons ressentis pour votre vaillante armée et pour vous-
même.
« Marseille, dont le génie commercial et industriel fait la
gloire et la richesse, a applaudi, aux'efforts tentés pour une
oeuvre de civilisation.
« Elle vous remercie hautement d'avoir ouvert une voie
nouvelle à l'activité du commerce et de l'industrie.
« A tous mes remerciements je dois ajouter quelques consi-
dérations d'un ordre plus élevé. Je vous présente les félicita-
tions que la foule va tout à l'heure traduire et affirmer avec
toute la franchise habituelle de son esprit et de son coeur.
a
162 LE GÉNÉRAL DODDS
« Elle vous dira, cette foule, avec quel intérêt, avec quelle
anxiété, avec quelle angoisse parfois nous avons suivi votre
marche à travers les dangers de toute espèce qui s'élevaient et
se renouvelaient sans cesse devant vous.
« Lorsque nous apprenions vos succès, avec quelle impa-
tience nous attendions le résultat final!
« C'est que, plus que toute autre, la population de Marseille
a pu apprécier les difficultés que vous avez A'aincues, et sa
reconnaissance est d'autant plus grande pour vos courageux
compagnons d'armes et pour vous-même, que nous avons ouï
récemment les récits de nos chers soldats revenus au milieu de
nous, éprouvés par la maladie et les fatigues d'une dure cam-
pagne, mais pleins de joie et glorieux.
« Nous nous sommes sentis fiers d'eux. Nous nous sommes
inclinés devant cette abnégation qu'ils avaient montrée,
devant ce courage indomptable que seul peut donner le patrio-
tisme éclairé.
« C'est de la bouche même de ces hommes vaillants que
nous avons appris, monsieur le général, combien vous étiez
vous-même bon et vaillant. Et lorsque vous aurez éprouvé la
joie bien légitime de félicitations qui seront adressées à votre
tactique habile, à vos qualités personnelles de soldat", il vous
l'esterà un souvenir plus doux encore que ces félicitations.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 163
« Vous vous souviendrez que vous avez été le camarade de
vos soldats ; vous vous souviendrez que vous- les avez encou-
ragés et soutenus lorsqu'ils étaient vos frères ; vous vous
souviendrez qu'ils vous ont donné eux-mêmes ce témoignage.
« Nous nous souviendrons aussi, nous tous Français, que
ces hommages qui vous étaient rendus par les petits et par les
humbles seront vos plus grands titres de gloire.
« Honneur à vous, général Dodds ! Honneur à l'armée du
Dahomey I Vive la patrie française ! Vive la Rérrublique ! »
Après ce discours, le cortège se forme et se dirige vers 13
préfecture.
Le général Dodds, le général Mathelin, le préfet et M. Hanès,
ont pris place dans le premier landau.
Les autres landaus sont occupés par le secrétaire général de
la préfecture, de nombreux officiers supérieurs et les officiers
revenus du Dahomey avec le général.
Un certain nombre de soldats rapatriés par le Thibd suivent
le cortège, qui, sur tout le parcours, est escorté par deux pelo-
tons de gendarmerie et trois pelotons de hussards.
Une manifestation enthousiaste salue le général Dodds. On
crie de tous les points : « Vive l'armée ! » Les mouchoirs et les
chapeaux s'agitent, les {leurs pleuvent dans les voitures, ainsi
que des banderoles portant les mots :« Vive l'armée ! »
164 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
Un certain nombre de sociétés sont placées sur le parcours
du cortège, et leurs membres chantent la Marseillaise sur le
passage du général.
A la Cannebière et dans la rue Saint-Ferréol, le général a
été accueilli par des applaudissements frénétiques, et l'enthou-
siasme le plus franc déborde de toutes parts.
De nombreux bouquets ont été offerts au général au débar-
cadère et sur le parcours.
Arrivé à la préfecture, le général s'est rendu dans l'apparte-
ment du préfet, où Mme Dodds l'attendait ; puis, à midi, il s'est
rendu à l'hôtel du corps d'armée pour assister au déjeuner
offert par le général Mathelin.
Quand, vers deux heures, le général Dodds sort de la pré-
fecture, accompagné du général Mathelin et de M. Hanès,
pour se rendre au punch offert par les officiers de la garnison,
la foule, qui n'a cessé de stationner sur la place de la préfecture
et dans la rue Saint-Ferréol, lui fait une brillante ovation.
Cette ovation se continue sur tout le parcours que suit
le général pour se rendre au cercle des officiers, dont les abords
sont également envahis par la foule, qui a de nouveau vive-
ment acclamé le vainqueur du Dahomey.
Tous les officiers de la garnison, dont seize officiers généraux
en activité ou en retraite, assistent à la réunion.
Pré
fect
ure
de
Mars
eill
e.
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 167
L'entrée du général est saluée par de frénétiques hourras.
La salle est décorée d'emblèmes militaires, de drapeaux, de
trophées, de faisceaux et de cartouches rappelant les victoires
du Dahomey.
Le général Mathelin prend le premier la parole.
En quelques mots, il rend hommage au corps expédition-
naire du Bénin et à son chef.
Le colonel Fabre rappelle la brillante carrière de son cama-
rade de promotion, et il le suit dans ses étapes victorieuses.
M. Bouge, député, prononce ensuite le discours suivant :
« Au nom de la population, marseillaise accourue de toutes
parts xtonx vous acclamer, je suis heureux de saluer votre
retour et d'être l'interprète des sentiments de reconnaissance
et d'admiration que ressentent pour vos soldats et pour vous
Marseille et la France entière.
« Sur une terre lointaine, ne disposant que de contingents
réduits en face d'un ennemi nombreux, courageux et fanatique,
aux prises avec les difficultés du pays et les dangers du climat,
peut-être plus terrible encore, vous avez forcé la victoire et
fait honneur à notre drapeau.
« Vous avez demandé à vos admirables soldats et vous en
avez obtenu toutes les privations, tous les sacrifices, toutes les
souffrances. C'est que vous les partagiez vous-même, toujours
168 LE GÉNÉRAL DODDS
au milieu de leurs rangs, les encourageant comme un ami et
un père, les soutenant par votre exemple et par le souvenir
de la patrie.
« Tandis que la France vous suivait avec une émotion affec-
tueuse et peut-être parfois un peu impatiente, vous poursuiviez
méthodiquement votre rdan avec une prudence, un calme et
une mesure qui étaient à la fois un grand exemple et une utile
leçon.
« Vous avez, en effet, rendu à la France le service de lui
rappeler nue le courage ne suffit plus à décider du sort des
batailles, et. que la prudence et l'esprit de méthode qui ne
laissent rien au hasard, qui veulent qu'aucun progrès nouveau
ne soit tenté sans que celui de la veille ait été affirmé, et sans
qu'aient été prises les mesures préservatrices de la vie et de la
subsistance des hommes, sont aujourd'hui plus que jamais les
qualités de tactique indispensables.
« Puisse cette leçon de sang-froid et de calme ne pas être
perdue par l'opinion publique en France! .
« Vous avez puisé, vos soldats et vous, le courage de toutes
ces vertus dans le sentiment du devoir et dans ce patriotisme
profond qui est et restera la source la plus féconde de toutes
les grandes actions et de tous les héroïsmes. Aussi le gouver-
nement et la Chambre, fidèles interprètes du pays, ne vous
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 169
ont-ils pas ménagé déjà les marques de leur confiance et de
leur haute estime; permettez-moi d'y joindre, mon général,
mon hommage modeste, mais profondément sincère.
« Messieurs, au corps expéditionnaire du Dahomey! Au
général Dodds ! A l'armée française, objet de tant de sollici-
tude, de tant d'amour, et de tant d'espoir ! »
Voici maintenant le discours prononcé par le préfet au
banquet offert au général Dodds :
« Monsieur le général en chef,
« Monsieur le général Doclds,
« Messieurs,
« En me levant pour saluer, au nom du gouvernement de la
République, l'armée et ses chefs, je ne puis me défendre d'une
profonde émotion. C'est à vous, monsieur le général Mathelin,
que je dois tout d'abord adresser l'hommage de notre affec-
tueux respect -et l'expression sincère de notre dévouement.
Vous donnez le noble exemple de toutes les vertus militaires,
et votre autorité, si elle s'inspire d'une impartiale et ferme
justice, s'exerce avec bienveillance.
« Je m'autorise de votre exemple, monsieur le général Dodds,
pour laisser dans l'ombre, comme si les fumées de la gloire des
armes la voilaient encore, votre haute personnalité, et vous me
170 LE GÉNÉRAL DODDS
permettrez de vous oublier comme vous vous oubliez vous-
même dans votre paternelle tendresse pour les braves que
vous aviez l'honneur de commander. Le seul hommage qui va
au coeur des chefs tels que vous ne doit-il pas s'adresser à ceux
qui, dans le rang, ont fait vaillamment leur devoir? Vos
troupes, général, ont donné, dans des circonstances difficiles,
la mesure de ce que peuvent la discipline, le courage et surtout
l'énergie morale. Aussi l'expédition du Dahomey, que vous
venez de si brillamment conduire, est-elle particulièrement
remarquable. Elle éveille en nous une fierté sans jactance et de
patriotiques espérances.
« Un impassible sang-froid, une sage ténacité clans les
desseins, une attentive vigilance, alliés à une constante et
cordiale sollicitude pour les soldats, ont préparé les succès
d'un commandement qui ne^ connut pas de défaillance. Forts
de cette autorité morale et soutenus par leur confiance en
leurs chefs et en eux-mêmes, les officiers et les soldats du
corps expéditionnaire du Dahomey ont.écrit une nouvelle et
glorieuse page de notre histoire militaire. Que l'accueil cha-
leureux de la grande et généreuse cité marseillaise vous
apparaisse, général, comme le témoignage solennel et ému de
la reconnaissance nationale et la suprême glorification des
héros morts à vos côtés.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 171
« Je bois au général Mathelin, au général Dodds, au corps
expéditionnaire, à l'armée ! »
Le général Dodds a répondu en ces termes au discours du
préfet :
« J'ai déjà eu l'occasion, au cours de cette journée, d'exprimer
ma reconnaissance au gouvernement, à la population et à son
premier magistrat, de l'accueil que j'ai reçu à Marseille.
« Permettez-moi, monsieur le préfet, au nom des officiers
et des soldats du corps expéditionnaire, de vous dire que si
nous avons rencontré des difficultés, et si nous avons eu dans
cette campagne des obstacles à surmonter, nous avons tou-
jours été soutenus par les sjmrpathies de la nation tout entière
et la sollicitude du gouvernement.
« Nous avions aussi pour nous guider le drapeau, symbole
de la patrie. Si le corps expéditionnaire, qui s'est si vaillam-
ment conduit, a pu provoquer l'admiration de nos compa-
triotes, j'ajoute que les indigènes partageaient ces sentiments
et que nos ennemis furent parfois étonnés. Je ne peux pas
invoquer de meilleur témoignage du courage, de l'entrain des
troupes, de leur endurance et de leur facilité à marcher dans
les brousses, que ce mot d'un de nos ennemis : Cenesont pas des
soldalSj ce ne sont que des tirailleurs, ce sont des noirs.
« Je termine, messieurs, en buvant à l'armée tout entière, à
172 LE GÉNÉRAL DODDS
ses chefs, à son représentant, M. le général Mathelin, et à la
France ! »
Ces paroles du général Dodds sont vivement applaudies.
A ce moment, le colonel Pigier rentre dans la salle avec les
soldats rapatriés par le Thibel. Ceux-ci passent devant les offi-
ciers généraux, qui leur serrent la main, aux applaudissements
de tous les officiei-s.
La musique militaire joue alors la Marseillaise et l'Hymne russe,
que toute l'assistance écoute debout.
Avant de quitter la réunion, le général Mathelin a fait le
tour de la salle et a présenté le général Dodds aux principaux
officiers.
A.près cette présentation, le général Dodds s'est retiré pour
rentrer à la préfecture.
Les mêmes manifestations qu'à l'arrivée se produisent au
départ.
Complétons maintenant le compte rendu des fêtes mar-
seillaises que nous venons de transcrire en entier, en ajoutant
que, le soir, il y eut encore réception et fête à la préfecture en
l'honneur du général Dodds, qui, dès le lendemain matin,
partit pour Paris avec Mmo Dodds.
A toutes les gares où le train s'arrêtait, le général était
l'objet des ovations de la population. A son arrivée à Paris, à
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 173
onze heures du soir, la foule accourue pour l'acclamer était si
considérable aux abords de la gare de Lyon, que la -voiture
dans laquelle il était monté avec Mmo Dod.ds dut s'arrêter à
diverses reprises au milieu de la foule, qui voulait saluer de
ses chaleureux vivats le vainqueur de Béhanzin.
Nous ne suivrons point maintenant le général Dodds dans
la capitale, où il fut partout, aussi bien dans les régions offi-
cielles que dans les cercles particuliers, l'objet de chaleureuses
réceptions. Toutefois nous tenons à mentionner ici que le
général a rapporté du Dahomey, pour être remis aux musées
de Paris, un certain nombre d'objets curieux et d'idoles pro-
venant du Dahomey.
Signalons, entre autres choses, trois grandes statues en bois
de Béhanzin, de son père Glé-Glé et de son grand-père.
Béhanzin, qui a pour surnom le Requin, y est représenté avec
une tête de requin. Glé-Glé, dont le surnom Kini-Kini veut dire
lion, est représenté avec une tête de lion. Ces trois statues ont
été prises à Abomey.
Le général a rapporté également la bannière de Béhanzin
qui avait été donnée au roi par des négociants portugais. Cette
bannière porte en inscription, en portugais : Rei Béhanzin, avec,
au-dessous, les armes du Dahomey : un requin, un oeuf (l'oeuf
symbolique du monde) et deux palmiers.
174 LE GÉNÉRAL DODDS
Ajoutons que le Mylho, arrivé en France un peu après le
général, a en outre rapporté pour les Invalides deux canons
Krupp pris aux Dahoméens, qui, après notre entrée à
Abomey, les avaient enfouis dans un champ.
Ces divers trophées de nos victoires dahoméennes furent
distribués à différents. musées. Quant à la bannière de
Béhanzin, elle fut remise aux Invalides.
Un mot encore, avant de terminer ce petit volume, pour
nous associer à un voeu patriotique formé au mois de
décembre 1892 par la plupart des journaux de Paris, le Pclil
Journal en tète : ce voeu a pour objet l'érection sur une des
places publiques de Paris d'un monument commémoratif en
l'honneur des officiers et soldats français morts au cours de
l'expédition du Dahomey.
La chose, écrivait à ce sujet l'un de nos publicistes les plus
distingués, à qui nous empruntons ce qui suit, la chose a été
déjà faite (en partie, du moins) pour les soldats du Tonkin :
sur le boulevard Voltaire, à l'intersection du boulevard
Richard-Lenoir, s'élève la statue de Bobillot, le héros de
Tuyen-Quan, et, sur le socle de cette statue, on lit l'inscription
suivante :
« Au sergent Bobillot et à ses compagnons d'armes morts
au Tonkin. »
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 175
Pourquoi ne ferait-on pas de même pour les morts du
Dahomey?
Une statue n'est pas nécessaire : il suffirait d'un simple
monument, surmonté d'un sujet approprié à la circonstance,
et sur le socle duquel on inscrirait ces mots :
« Aux commandants Faurax et Marmet, et à leurs compa-
gnons d'armes morts pour la France au Dahomey. »
Et, au-dessous, les noms des quinze officiers qui ont suc-
combé au cours de l'expédition :
Les commandants Faurax et Marmet ;
Les capitaines Bellamy, Crémieu-Foa et Bérard ;
Les lieutenants Badaire, Amelot, Gelas, Doué, 'Valabrègue,
Michel, Toulouse, Mercier et Menou ;
Le médecin-major Rouch.
Et Ton ajouterait cette mention que propose très justement
le Petit Journal :
« Et aux 200 sous-officiers et soldats de toutes armes, des
armées de terre et de mer, tués à l'ennemi pendant
l'expédition. »
APPENDICE
I.
Les Allemands et Béhanzin,
Nous avons dit au commencement de ce volume, et nous
avons constaté à diverses reprises, dans le cours du récit de la
jampagne du Dahomey, que différentes factoreries allemandes
avaient fourni à Béhanzin les armes perfectionnées avec les-
quelles il comptait venir en peu de temps à bout des valeu-
reux soldats qui formaient notre petite colonne expédition-
naire. Ces factoreries, qui entretenaient avec le roi noir de
continuelles relations d'affaires, ne se bornaient point à la
42
178 LE GÉNÉRAL DODDS
seule opération commerciale consistant dans la fourniture de
l'armement; elles se livraient également à la traite des noirs.
De cette façon, messieurs les commerçants allemands empo-
chaient un double bénéfice, d'abord sur la vente des armes,
puis sur le trafic des esclaves.
Les Allemands ont nié de toutes les manières et sur tous les
tons le fait de s'être livrés à ces divers trafics, surtout au der-
nier, rigoureusement interdit par des conventions successives
signées à diverses époques par les nations civilisées. Tout
mauvais cas est niable. Mais on a eu plusieurs fois la preuve
de la fausseté de leurs allégations intéressées à cet égard. Il
ne sera pas sans intérêt pour nos lecteurs d'avoir sous les
yeux une de ces preuves, entre autres, publiée par le journal
le Temps; dès le début de la campagne.
On n'a pas perdu le souvenir, lisait-on, en effet, dans ce
journal des mieux renseignés, à la date du 27 juillet 4892, des
protestations que les Allemands firent entendre, lorsque la
presse française les accusa de pratiquer ouvertement la traite
sur les côtes du Dahomey. Nous disions que ces estimables
commerçants exerçaient leur industrie sous la protection des
agents consulaires de leur pays, et ces accusations dirigées
contre des fonctionnaires allemands nous attirèrent des.
démentis indignés.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 179
On verra, à la lecture des détails suivants que l'on télégra-
phie de Marseille sur la situation et les agissements des
Allemands au Dahomey, ce que valent ces démentis :
« Les Allemands circulent librement au Dahomey, surtout
les agents de la maison Wolbert et Bohm. La plage était
interdite le 10 avril; mais, bien après cette date, les Alle-
mands se sont livrés à leur trafic habituel d'esclaves.
« En effet, le 27 avril, un navire de guerre allemand,
leHalicht, arrivait à Whydah. La barre étant infranchissable,
ce ne fut que le 29 que trois officiers du Ilabichl et d'autres
Allemands descendirent à terre.. Les officiers causèrent lon-
guement avec un des principaux fonctionnaires de Béhanzin,
qui les reçut avec beaucoup d'honneurs.
« Le 1er mai, le steamer Woermann embarqua à "Whydah cinq
cents esclaves achetés par un agent allemand pour le Congo
belge; mais l'arrivée subite d'une canonnière portugaise
entrava l'opération. Les Portugais ne se seraient pas mis en
travers, car ils sont installés sur le même point pour le même
i)ut'. Mais les Allemands n'ont pas osé accomplir leurs opéra-
tions de traite en présence d'un vaisseau européen. Alors le
bétail, suivant l'expression locale, a été dirigé sur Avrékété
par MM. Richter et Russ, agents de la maison Wolbert et
Bohm, et sous les yeux de M. Daake, agent consulaire aile-
180 LE GÉNÉRAL DODDS
mand, qui les a assistés et qui a dressé le procès-verbal dt
l'embarquement.
« Les officiers du Habichl, prévenus de cette opération,
avaient conseillé de ne pas la faire dans les circonstances
actuelles; mais les agents ont passé outre, pour se payer de
leurs fournitures d'armes. Ils en fournissent, en effet, sans
cesse à Béhanzin. D'ailleurs, Richter lui-même a été nommé
grand cabécère de guerre. Il exeixe les soldats, dirige leur
instruction, et leur apprend en particulier l'usage des canons.
Aî^ant débarqué dernièrement plusieurs pièces, il avait dit à
qui voulait l'entendre : « Les Français peuvent venir, je me
« charge de les recevoir! » Il répand le bruit que nous en-
voyons vingt mille hommes pour anéantir le Dahomey, et il
excite de toutes façons les indigènes contre nous.
« Il est certain que cette maison allemande a fourni des
armes et surtout une artillerie importante avant lé blocus si
lardivement établi. Mais actuellement le littoral est bien
gardé, jusqu'au moindre cours d'eau, et on suppose que si
les Dahoméens ont un armement sérieux, les munitions ne
sont pas en rapport. »
Nous avons vu dans le cours de ce volume que les supposi-
tions que l'on faisait alors à ce sujet n'étaient malheureuse-
ment point exactes. Les Allemands avaient déjà eu le temps de
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 181
fournir à Béhanzin non seulement un nombre relativement
considérable d'armes perfectionnées, mais encore un approvi-
sionnement très sérieux de munitions. Malgré toutes ces circon-
stances défavorables au succès de notre expédition, nos valeu-
reux soldats et leur vaillant chef ont pourtant réussi à infliger
assez vite à l'orgueilleux souverain noir une défaite irrémé-
diable et complète. Mais plusieurs de ces braves ont payé de
leur vie les agissements peu honnêtes des factoreries alle-
mandes.
Rendons cependant justice à ces dernières en constatant
que les maisons allemandes du Togo, qui avaient prêté tout
leur appui à Béhanzin puissant et riche, se sont empressées
de rompre toute affaire avec Béhanzin ruiné et vaincu. En
effet, après la défaite du roi noir, trois de ses délégués se sont
vainement adressés, durant plusieurs semaines, à tous les
comptoirs de Petit-Popo, sollicitant des fournitures, qui leur
ont été partout refusées avec une touchante unanimité. Les
pauvres diables, tout déconfits, n'osaient plus retourner
auprès de Béhanzin, dans la crainte du châtiment que l'échec
de leur mission devait leur attirer de la part de leur maître.
IL
Service funèbre en réalise de la Madeleine (22 décembre 1892).
Quelques semaines après le double vote et les acclamations
patriotiques du Sénat et de la Chambre des députés, en
apprenant le succès définitif de notre expédition au Dahomey,
un solennel service funèbre fut célébré (le 22 décembre) en
l'église de la Madeleine, à la mémoire des officiers, sous-offi-
ciers , caporaux et soldats d'infanterie de marine tués au
Tonkin, au Soudan et au Dahomey.
Le pourtour de l'hémicycle de la grande nef, derrière le
maître-autel, avait été tendu de draperies noires. Au milieu
de l'église se dressait un catafalque orné de drapeaux cravatés
de deuil.
LE GÉNÉRAL D0DDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 183
On remarquait, aux premiers rangs de l'assistance, le lieu-
tenant-colonel Pistor, représentant du président de la Répu-
blique. Les ministres de la guerre et de la marine étaient
représentés par le capitaine Mugnier et par le capitaine de
Pampelonne. Le général Saussier, gouverneur militaire de
Paris, était représenté par le commandant Courbebaisse et le
capitaine Ebener. Le lieutenant de vaisseau Caron représentait
l'état-major général de la marine.
M. Jamais, sous-secrétaire d'Etat aux colonies, retenu au
conseil des ministres, avait délégué pour le remplacer M. Ordi-
naire, son chef de cabinet. Auprès de lui se tenaient
MM. Haussmann, Billecocq, Dubard et Deloncle.
Venaient ensuite les amiraux Gervais et Rieunier, les géné-
raux Buchot, Hédou, Reste, de Saint-Julien, Ladvocat, le
général Bégin, présidant le comité d'organisation; des officiers,
parmi lesquels le lieutenant-colonel Bouinais, le commandant
Raffenel, le capitaine Lavoiseau et le lieutenant Garnier.
Le commandant Monteil et le capitaine Binger assistaient
à la cérémonie funèbre, ainsi qu'un grand nombre de notabi-
lités scientifiques, parmi lesquelles le prince d'Arenberg,
président du comité de l'Afrique.française; MM. Meurand et
Gauthiot, delà Société de géographie commerciale; M. Jules
Simon, le prince Henri d'Orléans, M. Danâl, etc.
184 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
Avant la messe, qui a été dite par M. l'abbé Pluquet, M. Le
Rebours, curé de la Madeleine, a célébré la mémoire des offi-
ciers et soldats qui se font tuer au service de la France à
l'étranger, et il a engagé leurs compagnons d'armes à resser-
rer l'intimité étroite qui unit les différents corps de l'armée.
« Ce n'est pas seulement, a ajouté l'orateur, un acte de
camaraderie que vous avez voulu faire : c'est un acte de reli-
gion, car l'idée de religion est profondément gravée au coeur
de l'armée française. L'Eglise, elle aussi, s'associe aux desti-
nées de noire patrie. Elle veut que ceux qui ont été au péril
soient à l'honneur.
« Gardez, messieurs, pour vos soldats, beaucoup d'amour;
et pour vous, les sentiments élevés, nobles et généreux des
choses éternelles. »
Pendant la messe, MM. Alvarez et Renaud, de l'Opéra,
ont chanté YAgnus Bel, le Dies iras, et le Pie Jesu de Stradella.
L'absoute a été ensuite donnée par M. Caron, vicaire géné-
ral, représentant l'archevêque de Paris.
III.
Rentrée triomphale en Algérie des troupes expéditionnaires.
Nous avons vu au chapitre X quelle réception enthousiaste
fut faite au général Dodds à son arrivée à Marseille et à Paris,
au mois de mai 1893. Les troupes ayant pris part à l'expédi-
tion, rapatriées peu de temps auparavant par divers trans-
ports et paquebots, avaient déjà été l'objet de chaleureuses
acclamations de la part des patriotiques populations de nos
côtes françaises et de l'Algérie.
En Algérie surtout, on leur fit un accueil triomphal, comme
on va le voir par les comptes rendus de l'arrivée à Oran du
Thibel et du Pélion, sur lesquels furent successivement rapatriés
divers corps.des troupes expéditionnaires.
186 LE GÉNÉRAL DODDS
Le Thibet, paquebot de la compagnie Fraissiuet, parti de
Kotonou le 26 décembre 1892, avec .1,297 hommes de troupes,
dont 854 pour Dakar, 228 pour Oran et 209 pour Toulon,
arriva à Oran le 11 janvier 1893, dans la matinée.
« Les soldats de la légion étrangère qu'il a débarqués ici,
disait un télégramme annonçant à Paris leur arrivée, en
Algérie, sont très affaiblis par les fièvres et par les fatigues de
la campagne; un grand nombre ont pu à peine traverser la
ville à pied; soixante-neuf sont entrés immédiatement à
l'hôpital militaire, conduits en voiture, dans un état de fai-
blesse extrême. Six légionnaires sont décédés pendant la
traversée.
« Des spahis sénégalais 'se trouvaient aussi sur le Thibet.
Leur état de santé n'est guère florissant.
« Les légionnaires passeront deux jours à Oran avant d'être
dirigés sur Bel-Abbès et Saïda.
« Prévenue trop tard, la ville n'a pu recevoir les passagers
du Thibet comme ils le méritent; mais on s'organise, comme à
Bel-Abbès, pour fêter et soulager les vainqueurs d'Abomey.
Depuis midi, dans les divers quartiers de la ville, notamment
sur le passage des troupes, de nombreux drapeaux ont été
arborés.
« Les capitaines Jouvelet, Morandi, le lieutenant Morin, le
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 187
commandant Villiers, sont parmi les arrivants, ainsi que le
lieutenant Legrand, qui est malade. »
Le Thibet repartit d'Oran le soir même et arriva le surlen-
demain à Toulon.
Un mois plus tard, le Pélion, courrier du Dahomey, abordait
à son tour à Oran, ayant à son bord des troupes d'infanterie
et d'artillerie de marine à destination de la France, et cent
quinze légionnaires, qui débarquèrent à Oran dans la matinée.
Cette fois, par suite de l'arrivée de nuit qui obligea à at-
tendre le jour pour effectuer le débarquement, la population
oranaise eut le temps de faire à ces vaillants une ovation digne
d'eux.
Une réception splendide, lisons-nous dans un compte rendu
daté du 8 février, vient d'être faite à ces braves qui, avec les
compagnies arrivées par le Thibet et quelques détachements
restés au Dahomey, ont fait la rude campagne conduite parle
général Dodds, et rentrent décimés par le feu et par les
maladies.
Toutefois, les hommes arrivés aujourd'hui sont en meil-
leure santé qu'à leur départ du Dahomey. La traversée, disent-
ils, a été excellente et leur a fait grand bien.
Les troupes d'artillerie de marine, de l'artillerie et du génie,
qui sont sur le Pêlion, sont, au contraire, plus fatiguées. Elles
188 LE GÉNÉRAL DODDS
viennent pour la plupart du Soudan, où un climat très dur et
les fièvres ont enlevé une grande partie de l'effectif et affaibli
ceux qui restent.
Une foule immense vient de faire aux légionnaires une
émouvante réception. Toute la ville était pavoisée. Un arc de
triomphe avait été dressé sur la place d'Armes par les soins
du conseil municipal et du comité de réception des Femmes
de France. En outre, on avait pris toutes les dispositions
nécessaires pour faire donner des soins aux blessés ou aux
malades, et pour distribuer des vivres aux hommes valides.
Un coup de canon tiré de la division ayant annoncé le dé-
barquement, la foule, qui avait envahi les quais et les prin-
cipales avenues qui conduisent au quartier d'artillerie, caser-
nement provisoire des légionnaires, est devenue tellement
compacte, que les délégations des sociétés, le conseil municipal
et les diverses autorités ont eu la plus grande peine à appro-
cher du Pélion. On peut évaluer à vingt mille personnes le
nombre des habitants qui faisaient cette ovation aux
légionnaires et aux passagers du Pélion.
Un service d'ordre organisé a permis de faire procéder au
débarquement et à la distribution du café à tous les passagers,
parles soins des Dames de France.
Lés blessés et les malades, au nombre de vingt-six, ont été
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 189
conduits dans des voitures du comité de réception, et le
cortège immense s'est mis en mouvement à travers les quais
et la ville, précédé de la musique des zouaves jouant la
« Marche de la légion » , des délégations des sociétés de gym-
nastique, du.lycée, des pompiers, portant d'immenses cou-
ronnes.
Puis venaient les légionnaires, que la foule acclamait et
chargeait de fleurs en se découvrant respectueusement devant
eux.
Au quai, se trouvaient les autorités, le conseil municipal, le
secrétaire général, le général et d'autres délégations, et la
foule acclamant la légion.
La traversée de la ville jusqu'au quartier a été une longue et
patriotique ovation.
A onze heures, un banquet est servi aux légionnaires. Le
général a désigné les délégations des officiers et sous-officiers
âe la garnison pour y assister. Dans le port, tous les navires
.sont pavoises.
Ainsi furent fêtés et chaleureusement acclamés, à leur
retour en Algérie, ces braves et modestes héros, dont la
vaillance, la constance et l'énergie avaient assuré le succès de
l'expédition,.comme on l'a vu à chaque page, pour ainsi dire,
de ce petit volume. Ce n'était que justice. Leurs souffrances
190 LE GÉNÉRAL DODDS
vaillamment supportées au pays de Béhanzin justifiaient
amplement tous les honneurs qu'on leur rendait.
Presque au même moment où les héroïques légionnaires
étaient ainsi accueillis à Oran, un autre transport, la Yilh-dc-
Muranhao, ramenant en France des malades et des blessés,
effectuait son entrée en Gironde. Son arrivée et le débarque-
ment des passagers furent annoncés à l'un des grands journaux
de Paris par le télégramme suivant, daté du 6 février 1893 :
En raison de la persistance du brouillard, on a dû débarquer
les passagers de la Ville-de-Maranhao à Pauillac et les expédier
à Bordeaux par le chemin de fer. Ils sont donc arrivés hier
soir à la gare du Médoc.
Cinq voitures d'ambulance et dix brancards, desservis par
vingt hommes, les attendaient. Ces préparatifs ont été heu-
reusement à peu près inutiles. Sur cinquante-quatre soldats
ou marins venant du Dahomey, un seul, en effet, se trouvait
gravement malade. Celui-ci était atteint de dyssenterie.
Quant aux autres, ils étaient loin de montrer ces physiono-
mies souffreteuses, amaigries ou blêmes, qui nous avaient tant
frappés lors de l'arrivée des premiers convois de Kotonou. La
plupart avaient de superbes apparences. Quelques-uns, fati-
gués par la mer ou éprouvés là-bas par le climat africain,
paraissaient un peu affaissés. C'était le petit nombre.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 191
Tous parlent avec enthousiasme de la campagne à laquelle
ils viennent de prendre part. Par exemple, ils sont tous
d'accord pour se plaindi-e des souffrances que leur a fait
endurer le manque d'eau. C'a été là décidément le point noir
de la campagne.
Plusieurs officiers étaient dans le train, ainsi que M. Ballot,
lieutenant-gouverneur de nos établissements du golfe de
Bénin. Ce dernier souffre d'un anthrax qui lui interdit l'usage
du bras droit. Toute sa famille l'attendait à la gare. Il va se
soigner quelques jours à Bordeaux avant de partir pour
Paris.
Les officiers et les soldats, à leur sortie de la gai'e, ont été
acclamés parla foule, heureuse de leur faire fête.
IV.
Un éloquent discours de M. Cavaignac.
Le dimanche 29 janvier 1893 eut lieu la réunion annuelle des
anciens élèves de l'Ecole polytechnique, sous la présidence de
M. Cavaignac, ancien ministre de la marine.
Le distingué pi~ésident de cette assemblée d'élite, qui se
tenait dans le grand amphithéâtre de physique de l'Ecole,
prononça ce jour-là un discours dans lequel il s'attacha à
faire ressortir les services rendus au pays par les polytechni-
ciens et à signaler leurs nombreux traits d'héroïsme, dans nos
colonies et notamment pendant la récente expédition du
Dahomey. En donnant ici, en appendice, plusieurs extraits de ce
remarquable et patriotique discours, nous pensons être d'au-
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 193
tant plus agréable à nos lecteurs, qu'ils y retrouveront un des
héros du combat du 4 octobre auprès de Gbédé (chapitre VI),
le commandant Lasserre, promu depuis lieutenant-colonel,
qui a fait une relation très émouvante de cette sanglante et
glorieuse rencontre, relation dont M. Cavaignac a cité un des
plus intéressants passages.
« Chacun de ceux qui m'ont précédé ici, a dit en commen-
çant le sympathique orateur, soldat, savant, ingénieur, est
venu apporter un témoignage vivant des résultats atteints par
nos aînés. Qu'il s'agisse des procédés scientifiques de la guerre
moderne, des progrès de la science pure, des transformations
matérielles de la surface du globe, chacun, en vous faisant
toucher ces moissons généreuses que l'Ecole polytechnique a
semées pour la patrie, chacun étayait ses paroles du poids des
services rendus, de l'illustration acquise, ou des hauts faits
accomplis. Au regard de semblables devanciers, je me sens,
naturellement et sans effort, très modeste.
« Les services que l'homme politique peut rendre à son
pays sont souvent impalpables, très souvent discutables et
toujours discutés. Il ne peut se vouer aux tâches exclusives.
Il s'arrête aux aspects superficiels des choses. Il est tenu de
savoir un peu de tout, et ses détracteurs ont beau jeu pour
assurer qu'il ne sait rien. *
13
194 LE GÉNÉRAL DODDS
M. Cavaignac, après s'être ainsi excusé de faire de la politique,
a rappelé le discours prononcé l'an dernier, en semblable cir-
constance, par le général Borgnis-Desbordes, qui avait modes-
tement glissé sur son rôle dans la grande oeuvre d'expansion
coloniale. Il en a profité pour rendre hommage à tous les
anciens élèves de l'Ecole polytechnique qui ont pris part à ces
campagnes lointaines :
« Il faut avoir eu une occasion particulière de le savoir pour
connaître ce qui se dépense en ce moment d'héroïsme au
Tonkin, dans ces combats constants où de petites troupes
d'Européens enlèvent d'assaut les réduits redoutables des
pirates annamites, risquant chaque joui*, dans leurs excursions
audacieuses, de rencontrer les embuscades de bandits aguerris
et bien armés, montrant peut-être encore plus de constance
et de force d'âme dans la mauvaise fortune que dans la bonne;
luttant des heures contre des forces dix fois supérieures, pour
reconquérir, du moins, dans la retraite, le corps d'un des leurs;
campés durant des mois dans une pagode abandonnée, au
milieu d'un marécage pestilentiel, sacrifiant tout ce qu'un
homme peut sacrifier, sans un murmure et sans une récrimi-
nation, souvent avec le sentiment. amer que tant de forces
vives et d'abnégation ne sont pas dépensées le plus utilement
possible, sans qu'il soit possible de trouver derrière leur
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY, 195
héroïsme une arrière-pensée intéressée ; n'ayant souvent pas
même à espérer ce peu de renommée qui est la seule récom-
pense attendue de leur sacrifice.
« C'est d'eux vraiment que l'on peut dire avec le poète :
Ignorés de la gloire et pourtant ses martyrs.
L'orateur a ensuite parlé du Dahomey :
« Plus d'un de nos camarades a laissé son nom inscrit dans
l'histoire de l'expédition. Deux d'entre eux, Menou et Michel,
y ont été envoyés au sortir même de l'Ecole de Fontaine-
bleau : tous deux ont été tués à l'ennemi. Valabrègue y est
mort des suites de ses fatigues. Le capitaine Roques, du génie,
y a rendu les plus grands services. Lasserre y a été blessé
deux fois ; la première fois, à l'affaire de Takou, il a reçu dans
la jambe une balle que l'on a pu extraire, et, tantôt porté,
tantôt boitant, il a continué la campagne jusqu'au combat
du 4 octobre, à Gbédé, où il a été grièvement blessé d'une
balle clans le foie. J'ai pu obtenir de lui le récit des circons-
tances où il a été atteint, et vous me permettrez d'arrêter un
instant votre attention sur cet épisode très vivant de la der-
nière campagne, si meurtrière et encore si peu connue :
« La route de guerre qui relie Abomey à la rivière Ouémé
196 LE GÉNÉRAL DODDS
aboutit à Tohoué. La colonne expéditionnaire était attendue
à Tohoué ; mais elle surprit l'ennemi en franchissant la rivière
à Gbédé, à 12 kilomètres au-dessous de Tohoué. Le passage
put ainsi s'effectuer sans encombre ; mais, de l'autre côté de
la rivière, on ne trouva, en guise de route, que la brousse la
plus impraticable. Vous pourrez en juger par le court récil du
lieutenant-colonel Lasserre, auquel je cède la parole :
« Nous formions ainsi une série de petites colonnes mar-
« chant parallèlement, à une douzaine de mètres d'intervalle les
« unes des autres ; en tête de chacune de ces colonnes, quelques
« tirailleurs, armés de sabres d'abatis et de hachettes, abattent
« les herbes ou branchages et frayent ainsi les chemins par où
« passe la troupe. L'herbe est tellement épaisse, haute et
« touffue, que ces petites colonnes ne peuvent se voir en
« marchant. Les chefs de section poussent de temps en temps
« des cris d'appel pour rester en liaison et conserver leurs
« intervalles.
« Vers huit heures et demie, les têtes de colonne reçoivent
« quelques coups de fusil ; les sections se déploient immédia-
« tement, tant bien que mal, à travers les hautes herbes; elles
« ne tardent pas à se souder et à former une ligne continue....
« Les tirailleurs, à genoux, presque couchés, répondent sans
« se troubler au feu de l'ennemi, toujours invisible. Je m'ap-
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 197
« proche du capitaine Bellamy, pour lui donner quelques
« ordres, et je'm'éloigne aussitôt; mais à peine avais-je fait
« quelques mètres, que je vois le capitaine chanceler et
« tomber. Je reviens à lui ; il est tombé raide mort, frappé
« d'une balle dans la région du coeur. Le sous-lieutenant de la
« compagnie, M. Bosano, vient à moi en même temps, le bras
« pendant et la poitrine ensanglantée ; il devait mourir quatre
« jours après, des suites de ses blessures. J'appelle le lieute-
« nant en premier, M. Passagnie, pour lui donner le comman-
« dément de la compagnie et lui prescrire de remplacer immé-
. « diatement le sous-lieutenant Bosano à la tête de sa section;
« puis, je m'éloigne vers l'arrière. J'avais à peine fait une
« douzaine de mètres, que je ressens sur le flanc droit comme un
« grand coup de bâton qui me fait pivoter et me j ette à terre sur.
« le côté gauche. J'essaye en vain de me relever ; mon adjudant
« d'état-major, l'adjudant d'artillerie Schmacker, court vers
« moi avec l'intention probable de me secourir, mais il tombe
« lui-même; il devait mourir le lendemain. Mon ordonnance
« noir, le tirailleur sénégalais Demba, prend dans ma poche
« le pansement individuel dont nous étions tous munis, me
« panse aussi bien qu'il peut, s'éloigne et revient bientôt avec
« un cadre et six porteurs.
« On me charge sur le cadre, et me voilà en route pour
198 LE GÉNÉRAL D0DDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.
« l'ambulance du champ de bataille, escorté par le fidèle
« Demba. Nous avons à parcourir 400 mètres environ. Aux
« deux tiers de la route, nous avons à traverser une zone dans
« laquelle les balles sifflent avec intensité. Mes porteurs,
« affolés, jettent le cadre sur lequel je suis couché et se
« couchent eux-mêmes à plat ventre. Demba les relève à coups
« de crosse, et nous repartons pour l'ambulance, où nous ne
« tardons pas à arriver.
« Sur la ligne, le combat continue, mais le feu cesse vers
« onze heures, par suite de la fuite de l'ennemi. A une distance
« de moins de 25 mètres de la partie du front où est tombé le
« capitaine Bellamy et où moi-même j'ai été atteint, on
« relève un grand nombre de cadavres d'amazones armées de
« carabines Winchester. J'apprends aussi que le lieutenant
« Amelot, ayant exécuté le mouvement que j'avais l'intention
« de lui prescrire, a été mortellement blessé. »
V.
La mort des héros,
La mort du capitaine Crémieu-Foa, survenue, comme nous
l'avons vu au chapitre Vil, à la suite des blessures reçues pa?
ce vaillant aux combats du 26 octobre en avant.de Kotopa, et
celle de tous les autres officiers héroïquement tombés à la tête
de leurs soldats pendant toute la durée de l'expédition, ont
inspiré à M. G. Bernard-Kahler quelques lignes émues que
nos lecteurs nous sauront gré de leur faire connaître. Sous le
titre que nous lui empruntons ici, la mort des héros, il écrivait à
la. fin du mois de novembre 1892 :
« La mort du capitaine Crémieu-Foa, tombé devant
l'ennemi, sera douloureusement ressentie..., Elle nous apporte,
200 LE GÉNÉRAL DODDS
une fois de plus, le cruel témoignage que la guerre qui se
poursuit sur la terre dahoméenne n'est pas une guerre d'en-
fants. Rarement, en si peu de jours, l'on avait vu tant d'offi-
ciers mis hors de combat.
« Il faut bien le reconnaître, les Dahoméens font preuve
d'une vaillance extraordinaire. Us'montrent un mépris delà
mort que l'on ne peut s'empêcher d'admirer. Et les guerrières
noires, ces amazones au visage sinistre sous la blancheur des
dents, aux yeux étincelants, qui se grisent avant le combat
avec le gin de nos amis d'Angleterre, peu nous importe, elles
savent se battre et mourir. Et l'hommage que nous leur
rendons, nos soldats en ont, par suite, leur large part.
« Ce n'est pas le champ de bataille des guerres futures sur
lequel ils se trouvent actuellement. Lorsque la grande mêlée
des nations civilisées appellera les hommes et les enfants de
l'Europe à la boucherie..., les bataillons seront placés devant
la mitraille comme des machines de chair et d'os. L'on se
fusillera à distancé, sans savoir où va la balle dans sa course.
Et l'on ignorera la main qui donnera le coup suprême. Les
charges héroïques sei'ont peut-être terminées — faute
d'hommes — avant que les sabres se soient croisés et que les
chevaux étrangers aient froissé leurs mors dans le heurt
meurtrier des cavaliers.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 201
« Mais là-bas, sur la terre noire, l'intelligence, la présence
d'esprit, sont des formes particulières de la bravoure. On
demande aux soldats, non pas seulement de s'élancer en héros
à l'attaque, mais de savoir veiller, de mettre à profit toutes
leurs qualité d'initiative en même temps que de prudence. Au
milieu de milliers d'ennemis, la moindre faute peut avoir les
conséquences les plus fatales. La plus petite imprévoyance
est suffisante pour entraîner la déroute, c'est-à-dire un
désastre irréparable. Voilà pourquoi nos troupes méritent
tout éloge, et le général Dodds est digne de la gratitude de la
nation, lui qui, par son habile tactique et ses préoccupations
en quelque sorte paternelles, a su "triompher des difficultés
militaires et des obstacles naturels. Si l'on n'a pas de pertes
plus considérables à regretter, c'est à lui seul qu'il faut en être
reconnaissant. Il a mis, dans la mesure du possible, ses
hommes à l'abri des rigueurs du climat, et sa prévoyance, sans
cesse en éveil, leur a permis de résister aux fièvres inexo-
rables,
« Aussi les légionnaires marchant sous ses ordres lui sont-
ils dévoués corps et âme. Le récit qu'a donné récemment un
de nos confrères, un soldat revenu du Dahomey, le prouve
surabondamment. Dans la bouche de "ce soldat qui ne sait
point farder la vérité, on voit, en quelque sorte, notre corps
202 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY..
expéditionnaire opérer sous nos yeux, s'avançant lentement,
en éveil devant les surprises, gagnant du terrain pas à pas et
s'y fortifiant, luttant sans trêve contre l'ennemi qui l'assaille,
et revient plus nombreux, plus acharné, après chaque défaite.
« Une petite ligne m'a surtout frappé, car elle m'a rappelé
le souvenir de lectures anciennes. Un détachement de spahis
est envoyé en reconnaissance. Il prend contact avec l'ennemi,
puis, au bout de quelque temps, se replie sur le corps. Un des
cavaliers manque à l'appel. Il a disparu avec son cheval et ses
armes. Il est tombé entre les mains des noirs. Je me suis
représenté soudain la scène qui avait dû se passer, scène de
nuit, pleine de douleur et de rage. Que de tortures immédiates
a subies ce malheureux! ou pour quelles représailles ou quelles
fêtes de sang a-t-il été emmené en captivité? Ce n'est pas lui,
hélas ! qui aura eu cette sépulture de gazon sous laquelle
dorment ses camarades et qui, dissimulée dans le feuillage de
la forêt vierge, recouvre leurs restes pour l'éternité de leur
nuit inviolée.... »
VI.
La campagne du Dahomey jugéo par un patriote.
Elle a conquis le Dahomey, la petite armée si vaillante,
aujourd'hui si glorieuse, commandée par le général Dodds,
chef prudent et intrépide, écrivait, le 1er décembre 1892, dans
un élan de joie patriotique, l'un de nos plus érninents publi-
cistes. La campagne est virtuellement close. Quel ensemble de
qualités n'a-t-il pas fallu au corps expéditionnaire, si faible
comme effectif, pour avoir raison d'une troupe imposante par
le nombre, fortement armée, fanatisée, et d'une grande bra-
voure !
Us n'étaient pas trois mille, nos valeureux soldats, et l'on
peut dire que pendant plus de deux mois ils se sont ouvert les
204 LE GÉNÉRAL DODDS
chemins d'Abomey étape par étape, pied à pied. La valeur
individuelle, le courage, l'entrain de chacun ont seuls permis
un succès qui restera parmi les plus étonnants dans nos annales
militaires." Il faut rendre hommage au chef avisé, sage, éner-
gique, qui a conduit ces soldats valeureux avec tant de pru-
dence et de sûreté.
Le corps expéditionnaire était parti de Kesounou, son point
de concentration, le 8 septembre. Ce n'est que le 17 novembre
que nos troupes sont entrées dans Abomey, après avoir par-
couru environ cent cinquante kilomètres, livré plus de vingt
combats, sur des teri-es d'accès difficile et sous un climat
pénible.
Après les rencontres en paj^s dékamé à Takou et à Kétagon
au mois d'août, le contact lut pris avec les troupes daho-
méennes, le 19 septembre, à Dogha, où la colonne fut assaillie
au petit jour par les soldats de Béhanzin, qui s'étaient portés
vers le bivouac des nôtres par une marche rapide de nuit de
plus de vingt kilomètres. Le combat fut rude. On se fusillait à
dix mètres. C'est là que tomba le commandant Faurax, de la
légion étrangère ; aujourd'hui, à cette même place, s'élève un
fort, point de station sur le fleuve Ouémé, auquel on a donné
le nom du glorieux commandant.
Le ravitaillement, était assuré, et le colonel Dodds, après
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. . 205
cette première victoire, continua hardiment la marche en
avant. Le lendemain, l'adversaire était culbuté à Unoumen.
Huit jours après, la colonne atteignait la ville de To.wé, sur
l'Ouémé, au confluent du Zou, après avoir de nouveau battu
l'ennemi à Gbédé.
La colonne expéditionnaire n'était plus qu'à cinquante kilo-
mètres d'Abomey. Par une marche relativement rapide, vers
le nord, utilisant la route de l'Ouémé, le colonel Dodds se
trouvait dans une position favorable, menaçant directement
par l'est la capitale religieuse et la capitale politique, Kana et
Abomey. Mais si l'état sanitaire était bon, les troupes étaient
harassées. Et cependant le moment était venu des plus
grands efforts. L'armée de Béhanzin s'était accrue en nombre
et devenait de plus en plus fanatisée. Elle avait hérissé de
défenses redoutables la route de Towé à Kana.
Le colonel Dodds mena dès lors plus lentement la cam-
pagne, reposant, refaisant ses troupes, ne réclamant d'elles
quelque effoit que lorsqu'il était assuré qu'elles étaient
capables de le donner, ne laissant rien au hasard.
La marche en avant était reprise : le 4 octobre, l'ennemi
était de nouveau battu; le 6, sous le feu de l'ennemi, un pont
était jeté sur le Zou-Von, et la rive gauche de cette rivière
enlevée de vive force. Le 8, quelques kilomètres plus loin, à
206 LE GÉNÉRAL DODDS
Poguessa, un combat des plus sérieux et très inégal était
livré; les premières lignes de défense élevées par les Daho-
méens tombaient entre nos mains. Nos troupes, exténuées par
cette série de luttes opiniâtres, durent suspendre la marche et
se reposer pendant trois jours.
La colonne reprend sa marche en avant le 10 octobre, bat
une partie des forces dahoméennes à Oubomédi le 12, livre
six combats consécutifs les 12, 13, 14 et 15, pour revenir
reprendre bivouac à Akpa, à proximité des lignes de défense
dahoméennes de Kotopa.
Le colonel Dodds dut se fortifier dans cette position, atten-
dant des renforts pour compléter sa colonne, affaiblie par cette
suite de combats. En Outre, la situation sanitaire devenait
moins satisfaisante. La petite saison des pluies était quelque
peu prématurée et beaucoup plus forte qu'à l'ordinaire. Le 20>
et le 21, les Dahoméens tentèrent plusieurs attaques infruc-
tueuses contre le camp.
Enfin, le 24 octobre, le commandant Audéoud arrivait avec
les renforts réunis à la côte. Le surlendemain, le colonel Dodds
reprenait l'offensive. Après plusieurs combats, les lignes
fortifiées de Kotopa étaient enlevées à la baïonnette. L'ennemi
s'était encore montré plus résolu que dans les attaques précé-
dentes; nos troupes continuèrent avec une ardeur toujours
.- . ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 207
nouvelle à le battre chaque jour. Le 31 octobre, les 2, 3 et
4 novembre, tous les points fortifiés, notamment la forteresse
de Muako, étaient glorieusement enlevés par la petite colonne.
Kana, la ville sainte, était occupée le 5 et le 6 de ce même
mois.
Le corps expéditionnaire, après de si nobles mais de si
pénibles exploits, était gravement' affaibli; le général
Dodds se vit dans l'obligation de suspendi-e les opérations.
Béhanzin avait concentré dans Abomey les débris de son
armée; le général Dodds se décida à attendre les renforts
demandés pour frapper le coup décisif. Le 15, après onze jours
de repos, le général, ayant sa colonne complète et reformée, se
prépara à forcer Béhanzin dans sa capitale.
Béhanzin et ses troupes ne trouvèrent leur salut que dans
une fuite précipitée.
Quels commentaires ajouter? Nombre, armement, courage,
fanatisme, rien n'a pu un seul instant arrêter notre petite
colonne expéditionnaire si glorieuse.
Elle n'a pas eu un seul instant de défaillance dans cette
marche victorieuse. On ne saurait rendre un trop grand hom-
mage à la valeur et au courage des soldats, à la sagesse et à
l'énergie du chef.
VII.
Une nouvelle campagne au Dahomey. — Les ambassadeurs de Béhanzin.
Nous avons vu à la fin du chapitre VIII que Béhanzin, en
abandonnant Abomey, après avoir incendié ses palais, s'était
enfui au nord de son empire. Là, dans ces vastes régions
inexplorées où il était pour l'instant impossible de le suivre,
on perdit momentanément ses traces. Mais on conçoit qu'un
souverain tel que Béhanzin n'ait pas accepté sa défaite. Aussi
ne tarda-t-on point à avoir connaissance des nouveaux agis-
sements du roi noir. Tout en travaillant activement à se
refaire des partisans et à reconstituer son armée, il sollicita à
diverses reprises la permission de rentrer dans son royaume,
promettant d'observer fidèlement à l'avenir les conventions
antérieurement consenties. On était payé pour savoir ce que
LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 209
valait sa parole, et on se garda bien de consentir à son retour à
Abomey et à Kana.
Loin de là, il fut décidé que, dès que la saison le permettrait,
les hostilités seraient reprises, afin de bien prouver au souve-
rain parjure et à tous les noirs de la côté qu'on ne se jouait pas
impunément de la France.
Le général Dodds, qui avait si bien dirigé la première expé-
dition, fut tout naturellement désigné pour commander la
seconde. Celle-ci ne fait que commencer au moment où va >
paraître le présent volume, auquel nous ajoutons en toute hâte
quelques lignes pour mettre nos lecteurs au courant des der-
niers événements relatifs au Dahomey.
Les opérations furent au début quelque peu retardées par
de fortes inondations : le général Dodds le télégraphiait au
gouvernement français à la date du 3 octobre 1893.
Le haut Dahomey, disait-il, était alors presque entière-
ment inondé à la suite de pluies exceptionnelles. Toutes les
rivières étaient débordées ; il y avait deux mètres d'eau sur la
route suivie, en 1892, par la colonne d'Abomey. L'ancien che-
nal de la lagune de Kotonou s'était rouvert, et le courant dans
le chenal atteignait une vitesse de six noeuds.
L'état de santé et le moral des troupes étaient .'excellents...-'
Tous les hommes ayant fini leur temps au Dahomey ou fati-
'-'...:"-'' ik .
210 LE GÉNÉRAL DODDS
gués par le climat avaient été rapatriés ou allaient l'être
incessamment. Le général Dodds attendait que les eaux se
fussent retirées, pour se porter vers le nord avec la colonne qui
était toute prête.
Béhanzin avait écrit au général, dès qu'il avait eu connais-
sance de son retour à la tête de nos troupes, pour tenter de
rouvrir des négociations lui permettant de gagner du temps.
Le généi'al Dodds avait aussitôt répondu que le gouvernement
de la République était prêt à lui faire des conditions hono-
rables s'il effectuait .sa soumission, mais sa soumission com-
plète et sans arrière-pensée.
Dès le milieu d'octobre, la colonne expéditionnaire était
parvenue à cinq kilomètres d'Agony, après cinq jours de navi-
gation sur l'Ouémé, et le général Dodds télégraphiait
d'Ouenieto :
« La colonne occupe l'espace compris entre les rivières
Ouémé et Zou. Cette dernière descend du pays des Mahis et
se jette dans l'Ouémé à la hauteur des gués de Tohoué, où,
l'année dernière, nos troupes ont traversé l'Ouémé pour mar-
cher sur Abomey.
« La crue exceptionnelle des eaux permet, cette année,
d'utiliser la livière Zou comme route de pénétration vers le
nord-ouest.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 211
« L'inondation baisse très lentement et n'est pas sans com-
pliquer les opérations du débarquement.
« Le général Dodds compte se porter prochainement en avant.
« L'état" sanitaire et le moral des troupes sont excellents.
Le général Dodds a renvoyé par les derniers paquebots
250 hommes ayant terminé leur temps de séjour au Dahomey,
estimant qu'il avait les contingents nécessaires pour mener à
bien l'expédition qu'il vient de commencer. »
Quant à Béhanzin, après avoir reçu du général la réponse
que l'on vient de voir un peu plus haut, il s'était empressé
d'informer le chef de notre colonne expéditionnaire qu'il avait
envoyé un ambassadeur en France, dans l'espoir sans doute
de gagner encore du temps et de retai-der les opérations mili-
taires qu'il redoutait. Mais le général, sans tenir plus compte
de cette nouvelle communication du souverain noir que des
précédentes, continua à avancer et lui répondit que la France,
étant victorieuse, avait le droit, non plus de traiter avec lui
sur les bases anciennes, mais de lui imposer maintenant une
soumission absolue, pleine et entière. A lui de voir s'il voulait
se rendre à discrétion.
Nous allons retrouver un peu plus loin l'ambassadeur de
Béhanzin à son arrivée en Europe.
Le 27 octobre, les Dahoméens reculant toujours devant lui,
212 LE GÉNÉRAL DODDS
le général Dodds était déjà arrivé à Zaganodo, ancien camp
retranché de Béhanzin, situé sur l'Ouémé, un peu au nord du
parallèle d'Abomey, Il envoya de là le télégramme suivant :
« L'arrivée de notre colonne a amené la soumission des
populations qui se trouvent entre le Zou et l'Ouémé.. L'ancien
roi semble de plus en plus abandonné par les féticheurs de la
région que nos troupes occupent actuellement; et la région du
Dassa, au nord d'Atcheribe, dernier séjour de Béhanzin, se
montre peu favorable à ce dernier. »
Le général Dodds annonçait en outre sa marche en avant
sur le camp de Béhanzin. Le colonel Dumas devait marcher
parallèlement à lui, en appuyant sur la gauche, pendant qu'un
troisième groupe pénétrerait dans la même région par le cours
du Haut-Mono.
Le général signalait enfin une tranquillité complète sur ses
derrières et un état sanitaire satisfaisant dans la colonne et
dans les postes : l'inondation baissait toujours.
Voilà où en sont les opérations militaires au Dahomey an
moment où se termine l'impression de ce volume. Voici main^
tenant le résumé d'un rapport, daté du 8 octobre, adressé par
te général Dodds au ministre de la marine, rapport qui con-
firme et complète tous les renseignements donnés par les
divers télégrammes que nous venons de citer.
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 213
D'après ce rapport, les postes d'observation de Béhanzin,
établis en avant de la ligne de nos positions dans le Nord, ont
été maintenus, mais tous les guerriers auraient reçu des ordres
pour disparaître devant nos patrouilles. Les peuplades du
Nord et de l'Ouest sont hostiles à Béhanzin, mais n'osent pas
se montrer ouvertement contre lui.
A la suite des premières reconnaissances opérées dans leNord,
des délégués de la population d'Agony sont venus demander
l'occupation immédiate de leur territoire par les Français.
Les habitants de cette région sont cependant encore dominés
par les chefs de Béhanzin et craignent d'être obligés par-les
guerriers dahoméens à évacuer leurs villages. D'autre part, un
ensemble de reconnaissances vient d'être opéré entre la rive
gauche de l'Ouémé et notre frontière Est jusqu'à la hauteur de
Kétou. Nous avons aussi trouvé de ce côté des populations
disposées en notre faveur, mais elles ne prendront parti pour
nous que lorsque nous serons à leur proximité immédiate.
Avant de reprendre, l'offensive, le général Dodds a tenté
une nouvelle démarche pacifique auprès de Béhanzin et de.ses
principaux partisans.
C'est après ces pourparlers, qui n'ont pas abouti, que le
général s'est porté à Agony. Béhanzin, sans accuser réception
de la lettre qui lui avait été adressée, a envoyé à "Whydah un
214 LE GÉNÉRAL DODDS
messager porteur d'une lettre de lui, dans laquelle il exprime
son grand désir de faire la paix, en se basant sur les proposi-
tions qu'il nous faisait déjà l'année dernière pour arrêter nos
troupes avant leur entrée à Abomey.
Il annonce qu'il a envoyé un ambassadeur en France pour
plaider sa cause auprès du gouvernement.
Il a été répondu à Béhanzin que la France victorieuse a le
droit d'exiger sa soumission pure et simple, en se remettant à
la générosité du gouvernement. Depuis, on le sait, les opéra-
tions militaires ont été commencées dans le nord du Dahomey
et dans le pays des Mahis. Nous n'aurons qu'à de rares inter-
valles des nouvelles du général,Dodds, qui a dû quitter Agony
le 30 octobre, à la .tête de quatre colonnes convergeant vers
Atchéribe. .
Ces quatre groupes sont sous les ordres des chefs de ba-
taillon Drude, Boufen, de Cauvigny et Chmitelin. Les deux
premiers sont placés sous le commandement du colonel Dumas
et opèrent dans l'Ouest, et les deux autres sous le comman-
dement du lieutenant-colonel Mauduit. C'est avec cette colonne
que marche le général Dodds.
Pour ravitailler notre petite armée, des approvisionnements
de vivres ont été constitués sur la route, principalement. à
Dogha, et le service des transports par l'Ouémé a été assuré
ET L EXPÉDITION DU DAHOMEY. 215
par l'achat d'un nouveau remorqueur, qui vient d'arriver à
Porto-Novo par Lagos, et par l'affrètement du petit vapeur
Olinda.'
La crue extraordinaire des eaux rend, en effet, très difficiles
les transports par terre; aussi la flottille a-t-elle pu porter une
colonne jusque près d'Agony par l'Ouémé.
En arrière de notre corps expéditionnaire,la côte etlesprin-
cipaux points de l'intérieur restent occupés par des sections
d'étapes ou de forteresses. La garde civile a constitué sur le
chemin de Whjrdah-Ouagbo-Kpomé une série de petits postes,
échelonnés de façon à assurer une communication, rapide de
ce côté avec la côte. Pendant la marche du général Dodds,
c'est le lieutenant-colonel Boistel qui exerce le commande-
ment sur le littoral. La santé des troupes est toujours bonne,
et elles sont parties pleines d'entrain pour cette nouvelle
expédition, dont les préparatifs ont déjà porté une atteinte
, sérieuse au prestige de Béhanzin.
Quant à l'ambassadeur du roi noir et aux personnages
dahoméens qui l'accompagnent en France, ils ont débarqué le
2 novembre à Liverpool et sont arrivés le 10 au soir à Paris.
A sa sortie du train, à la gare Saint-Lazare, la mission
dahoméenne s'est rendue ausitôt à YUôlel Terminus. Elle est
conduite parle conseiller du roi Chedingar; elle est composée
216 LE GÉNÉRAL DODDS
du gouverneur de Godorney, Ajinkinken; de Toffah, le mes-
sager confidentiel du roi; de Henri Dasoo, secrétaire du roi;
et enfin de John Jackson, journaliste à Lagos.
Trois domestiques nègres sont attachés à la mission,
qu'accompagne, en outre, M. Neviller, le représentant euro-
péen du roi à Lagos.
Les messagers du roi Béhanzin apportent au gouverne-
ment français les propositions de paix de leur maître.
Béhanzin a compris, disent-ils, qu'il avait été berné par les
puissances européennes dont il a suivi jusqu'ici les conseils
l'encourageant à la résistance, et il demande pour son pays
le protectorat de la France, sous certaines conditions, que
pensent discuter avec le gouvernement de la République ses
envoyés. Ceux-ci, en outre du bâton royal, symbole des pou-
voirs qui leur sont dévolus, apportent en France de nom-
breux cadeaux, bijoux d'or et d'argent, etc., offerts par
Béhanzin à M. Carnot.
Les membres de la mission dahoméenne ont trouvé, en
arrivant à YHôtel Terminus, la table servie dans une des pièces
qui leur étaient réservées. Us ont demandé, dès leur arrivée,
une audience au président de la République et au ministre des
affaires étrangères.
Les envoyés de Béhanzin seront-ils reçus par le président
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 217
de la République française? On ne le sait pas encore au mo-
ment où nous écrivons ces lignes. Mais, qu'ils soient reçus ou
non à l'Elysée, ils arrivent trop tard et n'ont point de pouvoirs
suffisants pour signer une convention sérieuse. L'obstination
de leur souverain a rendu indispensable la nouvelle expé-
dition que. commande actuellement le général Dodds. Elle se
poursuivra jusqu'à la fin, jusqu'à ce que Béhanzin soit obligé
de se rendre à discrétion. Ce ne sont point ses envoyés à
Paris qui pourront le préserver du sort qui lui est fatalement
réservé.
Voici d'ailleurs quelques lignes de M. Jean Bayol, dans
lesquelles, à la date du 16 novembre 1893 et sous le titre de
la Fin du Dahomey, le célèbre explorateur expose magistralement
la situation désespérée de Béhanzin et la fin de son pouvoir
autoritaire sur les côtes du Bénin :
« 11 y a quatre ans, aujourd'hui, que deux officiers de la
garde dahoméenne me remettaient avec un grand cérémonial,
et en présence de tous les chefs de Kotonou, le bâton du roi,
recouvert entièrement de plaques en argent, et dont l'extré-
mité recourbée avait la forme d'une tête de canard. Le bâton
du roi était la preuve manifeste que j'étais autorisé à me
rendre à Abomey et que ma personne devait être respectée.
«: A mon retour à Kotonou, le 31 décembre 1889, je n'avais
218 LE GÉNÉRAL DODDS
ni bâton royal, ni guide, et un quart d'heure après mon arrivée
au. poste français habité par une douzaine de tirailleurs sous
les ordres d'un sergent, j'apprenais que les émissaires du roi,
portant le bâton sacré, venaient d'arriver à Kotonou avec
l'ordre de fermer les routes conduisant à l'intérieur. Si je
n'avais pas prévu cette mesure et brûlé les étapes, j'aurais été
obligé de retourner à Abomey, d'où je ne serais peut-être
jamais revenu. Je suis certain que Henri Dasoo, secrétaire du
roi Béhanzin, doit, à l'heure actuelle, méditer longuement sur
les événements qui ont précédé la rupture des relations ami-
cales de son pays et du nôtre.
« Il pourrait me rendre cette justice que j'ai essayé avec une
patience qui ne s'est jamais démentie, malgré de cruelles
souffrances physiques et morales, pendant mon séjour à la
cour de son maître, de leur faire comprendre le vif intérêt
qu'ils avaient à se rapprocher de la France, à s'entendre avec
elle, et à ne pas écouter les conseils intéressés des négociants
allemands et de certains habitants de Lagos, désireux de
voir l'Angleterre s'emparer de Porto-Novo d'abord, pour
placer ensuite le Dahomey sous le protectorat britannique.
« Malheureusement, le roi du Dahomey était comme ce
monarque africain dont parle Montesquieu : il se croyait le
niaïtre de l'univers. . -
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 219
« A tous mes arguments, à ma patience inaltérable pour
arriver à résoudre d'une manière absolument pacifique, les
questions pendantes, le prince Kondô, qui devait, quelques
jours plus tard, succéder à son père, me répondait que les
Français étaient gouvernés par des jeunes gens irréfléchis et
qu'il fallait abolir la République, pour rappeler le descendant
des anciens rois de France !
« Et aujourd'hui, pendant que le général Dodds poursuit
sans coup férir sa marche au nord d'Abomey et slempare, si les
dépêches privées parvenues de Kotonou sont exactes, succes-
sivement de Zaganado et d'Atchéribe, que l'on signalait
comme le dernier refuge de l'ex-roi Béhanzin, des chefs daho-
méens, accompagnés de Henri Dasoo, attendent, dans un
hôtel de la capitale de la France, que le président de la Répu-
blique daigne leur permettre de se prosterner à ses pieds et
accepter leur soumission complète.
« Ainsi que je l'ai fait dire à Henri Dasoo, je ne puis ni
voir les envoyés de Béhanzin, ni leur parler, tant qu'ils n'au-
ront pas été reçus officiellement, et, comme il est probable
qu'on ne les,recevra pas, je serai privé d'une entrevue qui
aurait pour moi le plus vif intérêt.
« L'attitude très ferme prise par le gouvernement après la
violation du traité .Cuveryille^Porgère, la campagne heureuse
220 LE GÉNÉRAL DODDS
du général Dodds, ont appris au roi Béhanzin que la Répu-
blique française n'était patiente que parce qu'elle était forte,
et qu'elle savait imposer le respect qui lui était dû lorsque cela
devenait nécessaire.
« Aujourd'hui, le roi du Dahomey paraît être définitivement
battu. L'entrée du général Dodds à Atchéribe en est la preuve
matérielle; la présence à Paiis de ces infortunés chefs noirs
qui, au prix d'un voyage pénible, ont tenu à venir s'humilier
devant le premier magistrat de notre pays, en est la preuve
morale.
« C'est bien la fin du Dahomey autoritaire et mystérieux
qui s'annonce. De toutes parts, des envoyés arrivent auprès
du général Dodds. Le roi des Mahis, Baguidi/ qui réside à
SaA^alou et était soumis au Dahomey, paraît se rallier à notre
cause. Au nord, au sud et à l'ouest, les-routes paraissent
fermées. Il reste au roi Béhanzin la route.de l'est, vers Lagos,
à moins que les Egbas, échappant à la surveillance des
Anglais, ne s'en mêlent. Seuls, MM. Neville, Jackson et Dasoo
pourraient se permettre de donner une opinion sérieuse.
« Je suppose le roi Béhanzin mort ou en exil, le Dahomey
joacifié, la population peu nombreuse qui l'habite retournée
.dans les villages reconstruits: que ferons-nous de cette nou-
velle conquête?
ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 221
« C'est là l'intéressant problème qui va se poser devant la
Chambre.
« Allons-nous, comme on paraît le désirer, depuis que, par
suite de la conférence de Berlin, les bouches du Niger ont été
perdues pour nous, essayer de relier le Niger moyen à
notre colonie du Bénin? Allons-nous reprendre, au Dahomey,
la même tactique qu'au Soudan, celle des conquêtes succes-
sives ? Où bien, tout en étant très soucieux de l'avenir de notre
colonie nouvelle et du rôle qui nous est destiné sur le Niger,
allons-nous nous contenter d'occuper solidement Porto-Novo
et le littoral?
« Cette dernière idée était celle de l'honorable M. Barbey et
la mienne, et je vois encore la dépêche de l'honorable sénateur
du Tarn, alors ministre de la marine, au commandant du
Sanê : «Nous ne voulons pas expédition dans l'intérieur, mais
« nous voulons possession côte parfaitement assurée. » A mon
avis, c'est la solution la plus pratique, la plus sage et la plus
économique. Les Anglais ont su s'en contenter après leurs
victoires sur les Ashantis, et ne s'en trouvent pas plus mal.
Pourquoi ne pas les imiter?»
Selon les prévisions de M. JeanBâyol, les ambassadeurs de
Béhanzin n'ont pas été reçus par le président de la République
française. Au moment où s'effectue le tirage des derniers
222 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION JDU DAHOMEY.
feuillets du présent volume, la mission dahoméenne est partie
de France, retournant au Dahomey.
En quittant Paris le jeudi 16 novembre 1893, elle a fait
remettre à l'Elysée une lettre rédigée en anglais imparfait par
Dasoo, le secrétaire du roi.
Il est dit dans cette lettre que « la mission était venue
pour conclure la paix et dissiper les malentendus créés par le
roi Toffa. N'ayant pas obtenu d'être reçue et ne pouvant rester
plus longtemps sous le climat de France, elle se retire. Elle
n'a pas eu le bonheur de contribuer à amener la paix; que
Dieu la fasse ! »
Les messagers de Béhanzin ajoutent qu'ils s'embarqueront
à Liverpooi et qu'ils s'arrêteront à la grande Canarie. Us solli-
citent du président la faveur de pouvoir rejoindre leur roi en
passant par Whydah.
La lettre est signée des quatre membres de la mission.
Le roi Béhanzin n'a plus maintenant d'autre perspective
que de se rendre à discrétion au général Dodds, s'il veut
conserver quelque parcelle d'autorité sur une partie-de. son
ancien royaume. /> <S\
FIN.
TABLE
PAGES
I. — Le Dahomey. — Climat et maladies. — Cruautés dahoméennes. —
S. M. Bahadung, l'un des prédécesseurs de Bèhanzin 7
II. — S. M. Bèhanzin, roi du Dahomey. — Coutumes dahoméennes. —
Forces militaires du Dahomey en 1892. — Les amazones. —
Armement des troupes dahoméennes 2(f
III. — Causes de l'expédition du Dahomey. — Le général Dodds. — Les
fortifications de Porto-Novo et de Kotonou. — Sur la défensive. 38
IV. — Toujours sur la défensive. — Préparatifs. — Effectif de nos
troupes au début de l'expédition. — Lettre du colonel Dodds à
Bèhanzin. — Premières opérations offensives. . ... . .54
V. — En campagne !... — Départ de Porto-Novo. — Marche sur
Sakélè. — Les Eghas et les Jésus. — Combat de Dogha (19 sep-
tembre).— Le commandant Faurax 67
VI. — Reprise de la marche sur Ahomey. — Combat de Gbédé (4 oc- '-.
tobre). — Le capitaine Bellamy et le lieutenant Amelot. —
Combat de Poguessa (6 octobre). — Prévisions de M. Jean.Bayol. 87
VIL — Toujours en avant! — Série de combats (12, 13, 14 et 15 octobre). —
Le commandant Marmet. — Passage de la rivière Koto. — Prise
des forts de Kotopa et de Muako. — Prise de Kana (4 novembre). 103
224 TABLE. -.
PACES
VÏII.— Abomey et ses environs. — Marche sur Abomey. — Bèhanzin
demande la paix. — Négociations à ce sujet. — Rupture des
négociations.— Faite de Bèhanzin. — Entrée des Français à
Abomey (17 novembre). •. . 120 ,
IX. — La nouvelle de l'entrée à Abomey à la Chambre des Députés et au
Sénat. — Rentrée triomphale à Porto-Novo. — Occupation de
Whydah et des villes du littoral. — Vive et forte impression
causée aux Dahoméens et aux noirs de la côte par les continuels
succès dé nos soldats. — Organisation provisoire du Dahomey
sous le protectorat de la France. . 135
X. — Le général Dodds apprécié par un de ses officiers. •— Anecdote
relative à sa nomination de général. —: Retour du général en
France. — Arrivée à Marseille. — Réception enthousiaste. —
Arrivée à Paris. — Trophées rapportés par le général Dodds. —
Un monument en l'honneur des officiers et soldats morts au
Dahomey. 150
APPENDICE.
I. — Les Allemands et Bèhanzin. 177
IL — Service funèbre en l'église de la Madeleine (22 décembre 1892). . 182
III. —Rentrée triomphale en Algérie des troupes expéditionnaires. . . 185
IV. — Un éloquent discours de M. Cavaignac . . . . 192
V. — La mort des héros 199
VI. — La campagne du Dahomey jugée par un patriote. ...... 203
VII. — Une nouvelle campagne au Dahomey. — Les ambassadeurs de
Bèhanzin , ^t'"., ...>-. 208
FIN DE LA TABLE,
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