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Le général Dodds et l'expédition du Dahomey / par Fr. Desplantes,... Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
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Le général Dodds

Mar 12, 2016

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La vie de l'Amicale des Anciens de la Légion Etrangère de Montpellier et Environs...
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Page 1: Le général Dodds

Le général Dodds etl'expédition du

Dahomey / par Fr.Desplantes,...

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Page 2: Le général Dodds

Desplantes, François (1843-19..?). Le général Dodds et l'expédition du Dahomey / par Fr. Desplantes,.... 1894.

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Page 3: Le général Dodds

FR DESPLANTES

LE

GENERAL'DODDSET

L'EXPÉDITION DU DAHOMEY

AVEC c.uwrms DANS il- TEXTE

R 0 U E N

MÉMRD BT G", IMPRIMEURS-ÉDITEURS

U\ie Saint-Hilaire, 136.

Page 4: Le général Dodds
Page 5: Le général Dodds

BIBLIOTHÈQUE MORALE

DK

LA JEUNESSE

SÉRIE GRAND ÎN-^ CABRÉ

Reproduction autorisée pour lés publications périodiques ayant un traité

avec la Société des>Gens dé Lettres:.

Page 6: Le général Dodds

LE OÉNÉBAL DODDS SUlf LE rO.YT DU Thibcl.

Commandant Drudc. General Dodds. Lieutenant Vuillcmot.

Commandant Roques. L'alibè Vathclel.

Lltardi, commandant le Tliibct.

M. Mouton, agent de la Cu Fraissinet. M. Taglia.

Page 7: Le général Dodds

LE

GÉNÉRAL DODDSET

UJXÏSENLTION DU DAHOMEY

PAU

%H. DESPLANTES

Officier do l'Instruction ]Hili!iqiie

AVEC GRAVUHES DANS LE TEXTE

ROUEN

MÉGARD ET Cie, LIBRAIRES-EDITEURS

1394" :-

Page 8: Le général Dodds

Propriété des Éditeurs,

Page 9: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS

ET

L'EXPEDITION DU DAHOMEY

l.

Le Dahomey. — Climat et maladies. — Cruautés dahoméennes. — S. M, Bahadung,

l'un des prédécesseurs de Béhanzin.

On sait que le Dahomey se trouve dans le vaste continent

africain. Il est,situé dans la Guinée supérieure, entre les mon7

tagnes Kong et l'Océan, admirablement exposé : bien arrosé,

son sol est très fertile. C'est l'un des royaumes de la Guinée

supérieure ouNigritie; il a au nord des limites encore incon-

nues et est borné à l'est par le royaume de Bénin, où nous

possédons de nombreux établissements, au sud par le golfe'

de Guinée, et à l'ouest par le pays des Aehantis. Sa capitale

Page 10: Le général Dodds

8 LE GÉNÉRAL DODDS ,

politique est Abomey ; il a aussi une capitale religieuse,

Kana.

Le climat du Dahomey est chaud et malsain; nous en par-

lerons plus longuement tout à.l'heure: Son sol, iJlat et fertile,

est en plusieurs endroits couvert d'immenses forêts, « où les

arbres acquièrent des dimensions telles, qu'on en fait des

canots d'une seule pièce pouvant contenir soixante-dix à cent

personnes ». Elles sont le refuge de nombreuses bêtes féroces.

Dans les parties du sol non boisées et couvertes de brousse,

c'est-à-dire d'herbes longues et touffues, on. rencontre du

bétail en abondance.

D'effroyables orages éclatent souvent au Dahomey dans la

Saison des pluies

Gouverné par un roi absolu, ayant droit de vie et de

mort sur ses sujets, qui le révèrent et le craignent comme un

Dieu, ce pays ne se livre guère au commerce : l'huile de palmier

est à peu près le seul produit qui y donne lieu à des transac-

tions commerciales.

Le roi du Dab.om.ey « est gardé par une. ar333.ee de femmes ;

son trône est incrusté de dents humaines. La cruauté de son

gouvernement est inouïe ; en 1843, un officier français, témoin

d'une fête en l'honneur des aïeux du roi. évalua à mille le

nombre des victimes humaines sacrifiées. »

Page 11: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 9

La religion du Dahomey est le fétichisme (1), nom, nous dit

M. Périgot, « sous lequel on désigne le polythéisme le plus

grossier, c'est-à-dire l'adoration des objets naturels, animaux,

arbres, plantes, rivières, pierres, armes de guerre, etc. Le féti-

chisme a été la religion d'un grand nombre de peuples de

l'antiquité, particulièrement des Egyptiens des castes infé-

rieures. Aujourd'hui il est encore répandu en Laponie,en Sibérie

et dans quelques parties de l'Asie orientale, chez les tribus

indigènes des deux Amériques, dans l'Océanie, et principale-

ment dans l'Afrique centrale. Les ministres de ces fétiches se

nomment en Afrique griots, en Sibérie chammis, en Amérique

jongleurs. »

Nous venons de dire que le climat du Dahomey est malsain ;

nous aurions pu ajouter qu'il est peut-être le plus malsain de

tout notre globe terrestre : la réputation de la Côlc desEsclaves,

nom sous lequel on désigne . communément toute cette

partie de la côte africaine, est depuis longtemps faite à cet

égard.

« Un soleil torride, une- humidité constante, des lagunes

d'où se dégagent incessamment des miasmes délétères, offrent

(1) Fétichisme, du mot portugais fctisso, chose enoliautéo, chose fée, lequel est lui-

même dérivé du latin fatum, destin.

Page 12: Le général Dodds

10 LE GÉNÉRAL DODDS

les meilleures conditions de développement aux redoutables

affections qu'on appelle les maladies despays chauds. ».

On voit, d'après cela, dans quelles conditions désastreuses

se sont trouvés ceux de nos vaillants soldats qui ont conquis

le Dahomey, sous le commandement du général Dodds, et

quelles souffrances ils.ont eu à endurer. Les maladies ont été

pour eux plus terribles et plus cruelles que les armes de leurs

ennemis.

« L'acclimatement dans ces régions de l'Afrique est impos-

sible, écrivait un médecin distingué, peu après la fin de notre

victorieuse expédition du Dahomey : les Européens y dépé-

rissent fatalement sous l'influence de l'action débilitante du

climat. Le blanc peut cependant y vivre quelques années,

mais à la condition d'y adopter un régime et une hygiène

sévères, d'éviter tout excès alcoolique, d'habiter une maison

spacieuse et bien aérée; et de faire tous les deux ans une cure

d'air natal.

« Quant aux troupes européennes, elles.ne sauraient, en

dépit des précautions hygiéniques les plus minutieuses, résis-

ter plus d'une année à ce climat de mort! L'expérience faite

dans la première campagne contre Béhanzin i'a bien montré.

Le petit corps expéditionnaire avait été formé avec des

troupes indigènes provenant du Sénégal et du Gabon, des

Page 13: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 11

compagnies d'infanterie et d'artillerie, et d'une compagnie

de disciplinaires.

« Les tirailleurs sénégalais et gabonais ont bien supporté

le séjour de la côte du Bénin, qui ne diffère guère de leur

pays; mais le contingent européen, presque complètement

composé déjeunes gens de vingt-deux à vingt-cinq ans, a été

renouvelé presque tout entier dans le court espace de huit

mois. Il y a eu peu de morts néanmoins, si le nombre des

malades a été considérable; mais ce résultat, n'a été atteint

que grâce ati rapatriement immédiat des soldats atteints et

à de fréquentes évacuations faites dans les hôpitaux du Gabon

et du Sénégal....

« "Voulez-vous maintenant un aperçu des maladies les plus

communes au Dahomey?... ajoutait le même docteur, à qui

nous empruntons encore ce qui suit. Nous avons d'abord la

fièvre intermittente ; à celle-ci personne n'échappe ; c'est de la

monnaie courante ; tout ce qu'on peut espérer, c'est de n'avoir

que les formes anodines et relativement bénignes du mal, des

accès de fièvre plus ou moins répétés, qu'on peut encore

combattre.avecle sulfate de quinine; mais, au bout de quelque

temps, l'anémie profonde, l'hypertrophie de la rate et du foie,

la cachexie palustre, ne tardent pas à se produire.

« La fièvre bilieuse, hématurique dans laquelle on urine le

Page 14: Le général Dodds

12 LE GÉNÉRAL D0DDS

sang à plein vase, est plus redoutable; les Anglais l'appellent

la fièvre noire; elle atteint les blancs d'une façon moins régu-

lière et moins rapide que la fièvre intermittente ; mais, au bout

de deux ans de séjour, bien peu l'évitent.

« La dyssenterie règne en souveraine, plus grave que celle

de Cochinchine ; une fois atteint, on n'a qu'une ressource, c'est

de quitter le pays; sinon, les récidives sont incessantes.

« L'hépatite est encore une maladie ordinaire, et les abcès

du foie sont la conséquence fréquente de cette inflammation.

« Quand la petite vérole éclate dans ces régions, elle donne

lieu à, des épidémies terribles qui déciment la population ;

mais enfin on peut s'en garer par la vaccination et la revacci-

nation.

« Nous ne parlons pas des insolations qui peuvent foudroyer

les imprudents; des ulcères aux jambes qui sont habituels ;

des maladies cutanées de toutes sortes qui fleurissent sur la

peau des blancs soumise à une transpiration inaccoutumée;

des bourbonilles qui n'épargnent personne.

« Par contre, on ne connaît pas encore au Dahomey la fièvre

jaune ni le choléra. Mais en revanche on y observe deux ma-

ladies très curieuses, qui jusqu'à présent paraissent sévir de

préférence sur les noirs : le ver de Guinée et la maladie du

sommeil.

Page 15: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 13

« Le ver de Guinée ou dragonneau est un ver gros comme

un fil, dont la longueur varie de dix centimètres à trois ou

quatre mètres. On suppose qu'il pénètre à l'état de larve dans

le corps, soit au moyen de l'eau de boisson, soit plus probable-

ment directement par la gaine des poils. On l'observe en effet

très souvent aux membres inférieurs chez les noirs qui

marchent pieds nus.

« D'ordinaire le ver est très superficiellement situé ; il donne

alors au toucher la sensation d'une petite corde tournée en

spirale ou serpentant sous la peau ; il ne produit d'abord

qu'une petite démangeaison, mais bientôt il survient des abcès,

dont l'ouverture peut donner issue aux parasites, mais qui

peuvent aussi s'accompagner d'accidents très graves. Le ver

de Guinée trouvé sur l'homme est en effet toujours une femelle,

et une femelle féconde; elle est remplie d'embryons, et ces

petits vers, en se répandant dans les tissus, peuvent déterminer

ie vastes suppurations, des gangrènes et même la mort.

« Aussi le traitement consiste-t-il, dès qu'on a constaté la

présence du ver, à inciser la peau, à lier l'extrémité du parasite

avec un fil de soie qu'on attache à un petit bâtonnet, autour

duquel on enroule avec précaution le ver en évitant de le

briser ; car la rupture du parasite amènerait l'envahissement

des tissus par les embryons et serait le signal des accidents

Page 16: Le général Dodds

14 *LÉ GÉNÉRAL DODDS

graves. On met ainsi quinze, vingt jours, parfois plus d'un

mois, à extraire complètement le ver.

« La maladie du sommeil est causée par un autre parasite

qui pénètre, lui, dans le système circulatoire. C'est une

variété de ftlaire du sang. Sans aucune raison apparente,

l'individu atteint de cette étrange affection perd peu à peu

ses forces, devient abattu, apathique, somnolent. La ten-

dance au sommeil s'exagère progressivement et finit par

aboutir à la mort en deux ou trois mois. Sur cent sujets

atteints-, quatre à peine échapperaient à cette terminaison

fatale.»

La cruauté des Dahoméens est telle, que l'on ne saurait s'en

faire une idée sans les témoignages écrits de ceux qui ont eu

l'occasion d'en être les témoins. Les sacrifices humains, nous

l'avons vu plus haut, sont chose assez commune dans ce

royaume où règne le plus absolu fétichisme. De plus, quand le

roi est en guerre avec quelque peuple voisin, les prisonniers

sont généralement tous égorgés de sang-froid après le. combat,

ainsi que les femmes et les enfants des vaincus; à peine en

conserve-t-ôn quelques-uns pour en faire des esclaves.

Ces moeurs et ces coutumes, qui existent depuis des cen-

taines d'années, subsistent toujours et demeurent encore trop

vivaces, bien qu'un peu atténuées dans ces derniers temps.:

Page 17: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY, 15

Le roi Béhanzin, que nos soldats ont eu à combattre, le féroce

Béhanzin n'est donc point une exception; il ne fait que se

conformer aux coutumes et aux habitudes des rois ses prédé-

cesseurs; car le Dahomey est l'un des plus anciens royaumes

de l'Afrique. .

Voici entre autres, à ce sujet, quelques traits de la vie de

Bahadung, l'un des ascendants de Béhanzin, qui ont été, en

1862, rapportés tout au long dans le Journal des Missions êvangé-

liques. Nous citons textuellement :

« Le roi du Dahomey, nommé Bahadung, lisait-on dans

cette intéressante et excellente publication, continue le cours

de ses atrocités. Il vient de détruire entièrement une ville

chrétienne, Ischagga, ville assez importante (de trois à quatre

mille habitants) du pays des Egbas Une fois déjà, en 1851,

Bahadung, qui a sous ses ordres une armée de quarante mille

soldats et de dix mille amazones armées de mousquets, avait

essayé de surprendre cette ville, mais sans y réussir. En mars

dernier, ses mesures étaient mieux prises. La ville, investie

durant la nuit par des forces considérables, a été emportée

d'assaut, et tous ses habitants, dont on évaluait le chiffre à

trois ou quatre mille, ont été ou massacrés sur place ou emme-

nés, pour être vendus comme esclaves ou immolés, à Abomey,

capitale du Dahomey, en l'honneur du feu roi Ghezzo, dont

Page 18: Le général Dodds

16 LE GÉNÉRAL DODDS

l'exécrable fils Bahadung ne cesse pas de célébrer ainsi les

funérailles....

« Bahadung n'est pas seulement un amateur effréné du

sang versé ; on pourrait dire qu'il a la fanfaronnade de ce goût.

Ayant appris, à cette époque, qu'un marchand hollandais,

nommé M. Enschart, se trouvait accidentellement dans le

port de Whydah, qui appartient au Dahomey, il envoya

l'inviter à le venir voir dans sa capitale. Peu soucieux de se

rendre aux désirs d'un tel hôte, M. Enschart voulut décliner

cet honneur; mais les chefs de la ville lui firent comprendre

que les voeux du roi étaient des ordres, et que s'il ne partait

X^as de bonne grâce, des soldats étaient là pour le faire

marcher.

« Arrivé, sous bonne escorte, à Abomey, M. Enschart fut

reçu par plusieurs grands officiers du roi, qui lui firent con-

naître la pensée de leur maître en ces termes : « Le roi n'avait

« jamais vu de Hollandais, et son père Ghezzo n'en avait

« jamais vu non plus: maintenant qu'il a beaucoup de gens à

« faire tuer, il a eu envie de voir un Hollandais'et sera heu-

« reux d'apprendre votre arrivée. » Ils lui firent ensuite boire

plusieurs fois à la santé du roi; puis, après avoir dansé autour

de lui en chantant, ils le conduisirent, au bruit de la mous-

queterie, dans la maison qu'on lui avait préparée.

Page 19: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 1T

« Deux jours après, il fut introduit auprès du roi, qui l'a

accueilli de la manière la plus amicale, mais le fit ensuite

reconduire dans son logis, où il resta gardé à vue pendant

trois jours.

« Au terme de ces arrêts forcés, on vint, le 5 juillet, le

chercher pour le mener sur la place du marché, en l'informant

que la veille un grand nombre de personnes avaient été mises

à mort, et la première chose que vit le pauvre Européen sur

cette place fut le corps du digne catéchiste d'Ischagga. On

l'avait crucifié contre un arbre, avec un clou à travers le front,

un autre à travers la poitrine, et quatre à travers les mains et

les pieds. On lui avait mis, sans doute par dérision, un grand

parasol de coton dans la main gauche. Un peu plus loin, au

centre de la place, le roi, monté sur une vaste estrade, haran-

guait le peuple en lui faisant distribuer des cauries, des vête-

ments, du rhum, et en lui promettant de conduire bientôt son

armée contre Abbéokuta. En face de lui s'étalaient de longues

rangées de têtes, fraîchement coupées, sans doute après

d'horribles tortures infligées à ces pauvres victimes dune rage

meurtrière qui dépasse toute conception. La place entière

était encore comme saturée de sang.

« Mais tout n'était pas fini. Cinq jours après, M. Enschart,

ramené de nouveau devant Bahadung, le trouva sur la même

2 .

Page 20: Le général Dodds

18 LE GÉNÉRAL D0DDS

estrade et entouré de ses amazones. Un tremblement de terre

s'était fait sentir la veille. Le roi dit au Hollandais que ce qui

avait secoué le sol, c'était la colère de son père, irrité de ce

que « la grande coutume du pays » ne s'accomplissait pas

d'une manière convenable. Puis, faisant amener devant lui

trois chefs d'Ischagga, il donna ordre de les décapiter, en leur

commandant d'aller dire à son père qu'à l'avenir on se confor-

merait mieux à ses volontés.

« La scène qui suivit peut à peine être racontée. Plus de

vingt prisonniers, amenés sur l'estrade, furent jetés successi-

vement au milieu de la foule, qui, dansant, chantant et hurlant,

se précipitait sur eux, les déchirait et se disputait les lambeaux

de leurs corps. L'homme assez heureux pour rester en posses-

sion de la tête venait ensuite la présenter au roi et recevait

en récompense une tête de cauries (environ 2 fr. 50).

« Et ce ne fut pas tout encore. Le 22 juillet, M. Enschart,

conduit dans une autre partie de la ville, en face du palais du

feu roi, y vit dressées deux estrades, dont l'une portait seize

hommes et l'autre seize femmes, destinés encore à être offerts

en sacrifice aux mânes de Ghezzo. C'étaient encore des prison-

niers d'Ischagga, car tous portaient des vêtements européens.

Les hommes, assis ou plutôt enchaînés autour d'une grande

table ronde, avaient chacun devant eux un verre de rhum.

Page 21: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 19

« On attendait le roi. Dès qu'il fut arrivé, les malheureux

furent obligés de boire à sa santé ; puis on étala devant eux

les vêtements du roi. décédé, que la foule adorait à mesure

qu'ils passaient, et, après un long défilé de troupes, les trente-

deux victimes furent solennellement décapitées. On égorgea

en même temps qu'elles plusieurs chevaux et un alligator dont

on eut soin de mêler le sang au leur.

« Après avoir été témoin de ces monstrueux spectacles,

M. Enschart reçut enfin la permission de s'éloigner d'Abomey,

et on peut se figurer quel empressement il mit à s'en pré-

valoir. »

Page 22: Le général Dodds

18 LE GÉNÉRAL D0DDS

estrade et entouré de ses amazones. Un tremblement de terre

s'était fait sentir la veille. Le roi dit au Hollandais que ce qui

avait secoué le sol, c'était la colère de son père, irrité de ce

que « la grande coutume du pays » ne s'accomplissait pas

d'une manière convenable. Puis, faisant amener devant lui

trois chefs d'Ischagga, il donna ordre de les décapiter, en leur

commandant d'aller dire à son père qu'à l'avenir on se confor-

merait mieux à ses volontés.

« La scène qui suivit peut à peine être racontée. Plus de

vingt prisonniers, amenés sur l'estrade, furent jetés successi-

vement au milieu de la ioule, qui, dansant, chantant et hurlant,

se précipitait sur eux, les déchirait et se disputait les lambeaux

de leurs corps. L'homme assez heuretix pour rester en posses-

sion de la tête venait ensuite la présenter au roi et recevait

en récompense une tête de cauries (environ 2 fr. 50).

« Et ce ne fut pas tout encore. Le 22 juillet, M. Enschart,

conduit dans une autre partie de 3a ville, en face du palais du

feu roi, y vit dressées deux estrades, dont l'une portait seize

hommes et l'autre seize femmes, destinés encore à être offerts

en sacrifice aux mânes de Ghezzo. C'étaient encore des prison-

niers d'Ischagga, car tous portaient des vêtements européens.

Les hommes, assis ou plutôt enchaînés autour d'une grande

table ronde, avaient chacun devant eux un verre de rhum.

Page 23: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 19

« On attendait le roi. Dès qu'il fut arrivé, les malheureux

furent obligés de boire à sa santé ; puis on étala devant eux

les vêtements du roi. décédé, que la foule adorait à mesure

qu'ils passaient, et, après un long défilé de troupes, les trente-

deux victimes furent solennellement décapitées. On égorgea

en même temps qu'elles plusieurs chevaux et un alligator dont

on eut soin de mêler le sang au leur.

« Après avoir été témoin de ces monstrueux spectacles,

M. Enschart reçut enfin la permission de s'éloigner d'Abomey,

et on peut se figurer quel empressement il mit à s'en pré-

valoir. »

Page 24: Le général Dodds

IL

S. M. Béhanzin, roi du Dahomey. — Coutumes dahoméennes. — Forces militaires

du Dahomey en 1892. — Les amazones. — Armement des troupes dahoméennes.

S. M. Béhanzin, roi du Dahomey, n'est point un de ces

petits souverains, comme il en pullule en Afrique, qui s'im-

posent momentanément, soit par la force, soit par la ruse et

le prestige qu'ils ont l'adresse de s'attribuer, à des peuplades

soumises et crédules sur lesquelles ils régnent leur vie durant,

sans que leur gouvernement éphémère ait la moindre assu-

rance de durée après leur mort. Il descend. « en ligne directe du

fameux Tacoudonou, qui, en 1625, si l'on en croit Robert

Norris, fonda l'empire du Dahomey en ruinant l'empire des

Foys. » On voit qu'il est de bonne souche royale.

Page 25: Le général Dodds

BÉHANZIN , roi du Dahomey.

Page 26: Le général Dodds
Page 27: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 23

Il s'intitule Bedoazin-Boaidjéré-Hossu-Bowelé, ce qui veut dire

l'OEuf du Monde et le Fils du Requin. Il est de taille moyenne et

trappu ; ses cheveux laineux commencent à grisonner, car il

approche de cinquante ans.

« En dehors des cérémonies, le vêtement de Béhanzin est

simple, écrivait dans le Temps, au mois d'août 1892, M. P. Vigne

d'Octon, à qui nous empruntons les détails qui suivent. C'est

le costume national, le chocolo, sorte de caleçon de bain étroit

et court n'arrivant qu'au genou ; par-dessus il passe Yacho,

semblable au pagne des peuplades septentrionales et de

couleurs vo3^antes; il le jette sur l'épaule gauche en le rame-

nant sous le bras droit découvert.

« Dans l'intérieur de son palais, il se coiffe d'un serre-tête

d'un tissu très fin et dénommé aramari en langage dahoméen ;

mais quand il sort, il arbore Vakaia, chapeau aux ailes larges

en feuilles de palmier.

« Seul avec ses dignitaires, le mingan (premier ministre), le

rjaou (général en chef), les cabcceres(chefs de district) et les agori-

r/Mis (conseillers), il a le droit de se chausser de sandales de

cuir et d'étaler sur sa tête le parasol.

« Pas de colliers de clinquant ou de métal précieux, pas

même de boucles d'oreilles, comme la majorité de ses riches

sujets.

Page 28: Le général Dodds

24 LE GÉNÉRAL DODDS

« Son unique coquetterie est de s'enduire la peau d'alilié,

cosmétique complexe fait de clous de girofle, de grains d'anls,

de musc, de résine de courbarie et de feuilles odorantes impor-

tées de la côte de Krou.

« Il ne quitte Aboraey, la capitale sanglante, que pour aller

à Kana, où, au pied d'une verte colline, s'élève son second

palais. Une distance de douze kilomètres sépare les deux

villes, réunies par une superbe route carrossable bordée de

bentaniers, de tamarins et d'arbres à ko]os.

« S'il est simple dans son vêtement, Béhanzin l'est beaucoup

moins dans l'appareil dont il s'entoure au dedans et au dehors.

Tout autour du palais, une compagnie d'amazones monte une

garde vigilante et continue ; dans l'intérieur, au travers de

chaque porte, l'une d'elles est couchée.

« Dans ses appartements, outre ses ministres et ses digni-

taires, s'agite une foule de femmes dont les attributions sont

distinctes.

« Veut-il fumer, c'est Dada (la reine) qui lui tend la pipe

royale ; une autre lui offre le brasier, une troisième avance le

crachoir.

« Il possède tout un orchestre de griots (musiciens) dont il est

très fier; les uns jouent du gbédou (c'est un tronc d'arbre creux

orné de sculptures bizarres et recouvert d'une peau de chien) ;

Page 29: Le général Dodds

ET L:EXPÉDITION DU DAHOMEY. . 25

d'autres soufflent dans une flûte minuscule en bambou ; il en

est qui pincent du douroun, guitare faite d'une noix de coco,

d'une peau de serpent et d'un manche enjolivé d'amulettes et

de cauris. Certains — des apprentis ceux-là — font tournoyer

au bout d'une ficelle des graines creuses où se trouvent du

sable et des cailloux.... »

Se douterait-on que l'un des prédécesseurs de Béhanzin sur

le trône du Dahomey fut en relations directes et suivies avec

Louis XIV? « C'est pourtant de l'histoire, dit M. P. Vigne

d'Octon, et de l'histoire contée par le chevalier de Marchais.

« Le monarque dahoméen était Adanzou Ier. Son ambassa-

deur, mulâtre portugais, comme le médecin actuel de Béhanzin,

s'appelait ïvïatheo Lopez. ïl arriva à Paris en décembre 1670,

fut reçu par le grand roi lui-même et par le directeur de la

Compagnie des Indes, qui possédait sur la côte des Esclaves

de nombreux comptoirs. Comme ce dernier lui demandait que

le roi Adanzou autorisât la Compagnie à faire couvrir sa loge

et ses magasins en tuiles, au lieu de paille, qui les exposait

trop au feu, l'ambassadeur répondit qu'il emploierait ses

offices auprès du roi son maître pour l'obtenir, mais que,

n'étant pas assuré de ses intentions, il ne pouvait donner de

parole.

« C'est à ce même Adanzou Ier que les Dahoméens sont

Page 30: Le général Dodds

26 LE GÉNÉRAL DODDS

redevables des fameuses coutumes qui, chaque année, ensan-

glantent la capitale. Il voulut perpétuer le souvenir de l'exter-

mination des Foys, anciens possesseurs du pays, par ces

sacrifices où les victimes représentaient la race des vaincus.

« Pour la première fois depuis la fondation du ro3raume, on

a manqué pour Béhanzin aux règlements de l'intronisation.

« Quand le roi a rendu le dernier soupir, pendant deux ans

le secret ou tout au moins le mystère doit planer sur sa mort.

Sous les peines les plus sévères, tous ses sujets sont tenus de

croire qu'il est en vie et de se comporter comme s'il régnait

encore.

« Sur l'expresse volonté de Gelé-lé (1) agonisant, le prince

Kondô, son fils, fut dispensé de ce stage et reconnu roi le len-

demain.

« En montant sur le trône, Béhanzin a pris, comme tous

ses ancêtres, le titre de « seigneur » d'Allada, l'ancienne capi-

tale et la ville sainte du Dahomey.

« On a beaucoup exagéré la cruauté de ce monarque et la

barbarie de ses sujets. Certes, toute exagération mise de côté,

la part de vérité reste suffisamment navrante....

(1) Le père et prédécesseur de Béhanzin sur le trône du Dahomey. On écrit égale-

ment Glè-Glé.

Page 31: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 27

« A l'heure actuelle, bien qu'ils n'aient pas pour la vie de

leurs semblables tout le respect qu'ils devraient avoir, Béhan-

zin et son peuple trouvent plus pratique de faire travailler

leurs esclaves que de répandre inutilement leur sang.

« Malgré cet adoucissement des moeurs dahoméennes,

S. M. V OEuf du Monde n'en est pas moins un dieu pour ses sujets.

Maître souverain de la vie et de la fortune de tous les vivants,

il hérite de tous les morts. Nul ne peut le considérer en face ;

ses femmes lui appartiennent au même titre que du bétail.

Seuls, les fils de la favorite, qui est la dada ou reine, peuvent

prétendre à la qualité de princes royaux ; les fils des autres

femmes ne sont que des serviteurs du palais. C'est parmi eux

qu'il choisit ses cabeceres. Béhanzin s'éloigne rarement

d'Abomey, sa capitale, ou de Kana, le « Versailles » du

Dahomey. Il lui est même interdit par son fétiche de franchir

la lagune de l'Ouémé. »

Voilà le souverain que nos soldats allaient avoir à com-

battre. Voici maintenant, d'après M. Jean Bayol, qui, au mois

d'avril 1892, a, dans la Revue scientifique, donné d'intéres-

sants détails sur l'organisation militaire du Dahomey, la

composition, l'organisation et l'effectif de l'armée du roi

noir :

Dans le royaume de Béhanzin (M. Jean Bayol dit Bodazin),

Page 32: Le général Dodds

28 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU, DAHOMEY.

tout le monde est soldât, lisons-nous à ce sujet dans le Temps.

Le service est obligatoire pour tout homme valide. Les con-

tingents, réunis à Abomey au moment où le roi a l'habitude

de se mettre en marche pour les razzias qui doivent alimenter

les sacrifices annuels et les ventes d'esclaves, sont incor-

porés dans des cadres permanents.

Le roi est le chef suprême de l'armée. Il délègue parfois ses

pouvoirs de généralissime à un gaou, qui prend alors le com-

mandement. Pendant la célébration des coutumes, le roi fait

' à Abomey des distributions de vivres et de vêtements. Qua-

torze « dépôts » de régiments résident à Abomey. Pour treize

d'entre eux, M. Jean Bayol nous donne les noms dans la

langue du pays. Le quatorzième est le « régiment des musul-

mans ». A la fête des coutumes, le crieur du roi'appelle

successivement chaque troupe. Et les hommes sous les armes

répondent : Sodébè(nous voilà prêts pour la guerre).

M. Jean Bayol évalue à dix ou douze mille hommes le

nombre des soldats réguliers vivant de la guerre et habitant

soit à Abomey, soit dans les camps disséminés sur la frontière.

Les contingents levés dans le royaume peuvent atteindre dix

mille hommes. Cela fait en tout vingt-deux mille.

N'oublions pas cependant les « amazones », les fameuses

amazones. On a raconté que le roi du Dahomey est gardé en

Page 33: Le général Dodds

Les amazones du Dahomey.

Page 34: Le général Dodds
Page 35: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 31

son palais par une armée de femmes ; le peuple dahoméen les

appelle minos (mi, notre, nos, mère), et, familièrement, les femmes

du roi. Or, cette appellation ne saurait leur convenir, pas plus

d'ailleurs que celle d'amazones.

En effet, l'idée d'amazones implique l'équitation, le cheval. Et

il n'y a pas de cavalerie au Dahomey. D'autre part, la garde

féminine du roi de Dahomey est tout à fait distincte du

Harem : celles qui la composent sont vouées au célibat.

On recrute les amazones du Dahomejr soit parmi les enfants

des chefs, soit parmi les jeunes filles captives. Leur vêtement

consiste en un gilet sans manches, un pantalon très court

recouvert d'un pagne et un bonnet sur lequel est brodé un

animal, généralement un caïman. Elles sont quinze cents

environ, réparties en deux bataillons, le bataillon de Gougbé

et le bataillon d'Agodojigé, réunis toujours sous le comman-

dement d'une femme illustre par ses exploits. Les amazones

l;ccompagnent le roi à la guerre et ne donnent que sur l'ordre

tnêrne du souverain.

Les amazones ont un courage, et même une férocité, à toute

épreuve. Nous compléterons à cet égard lès renseignements

de M. Jean Bayol par cet extrait du récit d'un témoin des

sacrifices humains à Abomey":

« ..... Je vis apporter un homme sur un akoko, sorte de porte-

Page 36: Le général Dodds

32 LE GÉNÉRAL DODDS

bagages dont les noirs se servent-pour porter leurs calebasses

ou leurs pots d'huile de palme.

« Ce malheureux était fortement ligotté sur ledit porte-

bagages : un bonnet noir lui couvrait la figure jusqu'au nez,

un morceau de bois s'amincissant à chaque bout et taillé pour

la circonstance lui entrait dans la bouche, afin de l'empêcher

de crier. Deux grands nègres portaient ce fardeau; ils vinrent

se placer devant le roi, qui parla au mingan (bourreau), lequel

demanda à la foule si le roi faisait bien de sacrifier cet homme

pour honorer la mémoire du précédent roi. Sur la réponse

affirmative du peuple, le roi déclara qu'il allait envoyer cet

homme à son père.

« Le mingan fit au condamné toutes sortes de recommanda-

tions à porter au roi défunt. Après quoi, on lança ce malheu-

reux à terre, de la hauteur des hommes qui le portaient. Son

front frappa le premier à terre. Le mingan continua à donner

des ordres ; on redressa le porte-bagages de façon que le cou

du condamné donnât bien prise au couteau du bourreau qui

allait diriger l'exécution.

« Une amazone âgée d'environ vingt ans s'avança crânement

vers les deux hommes qui tenaient le condamné. On voulait

éprouver cette jeune femme, nouvelle recrue qui n'avait encore

pu tuer personne.

Page 37: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 33

« Armée d'un sabre du pays bien aiguisé, qu'elle tenait à

deux mains, elle frappa une première fois, puis une seconde

et une troisième. Après quoi elle coupa tranquillement les

dernières chairs qui rattachaient la tête au tronc. Le mingan fit

ramasser à terre la tête, qu'un homme emporta pour la placer

dans le palais du roi ; un autre homme fut chargé de prendre

le corps pour le jeter dans les fossés de la ville.

« Après l'exécution, l'amazone essuya avec sa main le sang

resté sur son sabre et le but.... »

Les guerriers du Dahomey n'ont pas tous le même arme-

ment.

Le régiment du roi, celui des musulmans et la garde parti-

culière du prince héritier, ont de longs fusils de traite (Buccancr

gun), fabriqués à Birmingham.

C'est le fusil de prédilection des Bambaras du haut Sénégal

et des Toucouleurs des bords du Niger. Ils portent à quatre-

vingts mètres au maximum et sont en général chargés de

plusieurs balles ou projectiles divers (pierres ferrugineuses,

morceaux de fer, de cuivre, etc.). Chaque soldat a une cartou-

chière contenant des charges de poudre toutes prêtes et un sac

de balles. En plus du fusil, le guerrier dahoméen est armé

d'un large couteau et d'un bâton de bois très dur, recourbé à

uns extrémité et appelé aglopo.

3

Page 38: Le général Dodds

34 LE GÉNÉRAL DODDS

Les fusils dits de boucanier ne sont pas très nombreux et

paraissent réservés aux corps d'élite.

Les fusils les plus répandus et certainement les meilleurs

sont de petites carabines françaises (mousquetons de la cava-

lerie, modèle 1822).

Un corps particulier peu important est armé d'un fusil très

court, à canon évasé depuis le milieu jusqu'à la gueule. Le

canon est en cuivre. On le charge avec un grand nombre de

balles, et on tire à petite portée.

Ce sont de véritables tromblons ou espingoles, comme ceux

dont les sapeurs de l'infanterie française faisaient usage il

y a un siècle, et qui ont été vendus au Dahomey par les

Portugais.

Toutes les armes ci-dessus énumérées sont à pierre.

Quelques Dahoméens sont encore armés d'arcs et de flèches.

La tribu des Mahis, notamment, alliés du Dahomey, ne

possède encore que peu de fusils et a conservé l'habitude de

se servir de flèches et de zagaies.

L'armée dahoméenne n'a pas de cavalerie. Les chefs impor-

tants seuls peuvent avoir un cheval. Le nombre de ces chevaux

ne dépasse pas trente. Ce sont, en général, des animaux de

petite taille, très faibles. Nous avons vu plus haut que,

malgré leur nom, les amazones n'ont pas de chevaux.

Page 39: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 3Ï>

L'artillerie est représentée à Allada par sîx!rviëùx°can:ornis

enlevés sans doute au fort que les Français entretenaient àù

XVII 0 siècle à Xavier ou Savi, et qu'ils abandonnèrent lbrsrdè

la conquête du royaume de Jnda par Cuadjâ^-Trûdd. D'autres;

canons de très petit calibre se voient sur là route qui conduit

à Onagbo, aux portes nord d'Allada, et soiit à moitié' 'enfouis

dans le sol. ' ;'3" ;î

En entrant dans Abomey, on aperçoit, sur la route'qui

conduit à Kana, trois vieux canons saris affûts^ qùr-'sbhi

placés de manière à défendre la porté de lâ^vilié. En général,1

cez canons, dont les Dahoméens se servent les jours'de fête,

toul comme ceux, du reste, qu'ils emportent dans leurs expé-

ditions, ne possèdent ni affûts, ni caisses à munitions.

Quand on veut s'en servir, c'est un homme condamné 'pour

adultère qui poi'te le canon sur ses épaules et fait ainsi fô'nc-

tion d'artilleur. Pour faire feu, il place le canon sur le sol ;:

puis, au moyen d'un gros morceau de bois glissé au-dessous

de l'arme jusque vers son !miîiëu ', il élèvê'là gueule, qui'est

ainsi orientée suivant lé.but à1 atteindre; LâJ charge Con-

siste en poudre, bourre; de,;paille maridirie^bàîlësj:'grosses

pierres, etc. Les Dahoméens-'••'possèdenthmême' quelques

boulets pleins.- ~~ "" ~

A l'usage des armes :-à feù; ïëskDàbbim5êeris:! préféreraient

Page 40: Le général Dodds

36 LE GÉNÉRAL DODDS

d'instinct le coutelas et l'assommoir, dont ils jouent agréable-

ment. Ils sont très entraînés physiquement, par la gymnas-

tique, les longues marches, les danses. Ils sont vigoureux et

de haute taille. On sait, d'ailleurs, qu'ils sont belliqueux.

Depuis qu'il a quitté le Dahomey, M. Jean Bayol croit

savoir que l'armement des troupes de Béhanzin s'est notable-

ment perfectionné. Ces troupes'auraient environ trois mille

bonnes armes à feu, pour la plupart des fusils Sniders livrés

par les maisons allemandes de Togo et de Whydah. Béhanzin

aurait aussi quelques canons Krupp de petit calibre.

Nous verrons dans la suite de ce volume que les supposi-

tions de M. Jean Bayol n'étaient que trop fondées. De nom-

breuses armes de précision des modèles les plus nouveaux

avaient été fournies à Béhanzin par diverses maisons alle-

mandes ayant des représentants établis sur les côtes du Bénin ;

îles, instructeurs avaient même été mis à sa disposition pour

en apprendre le maniement à ses troupes (1). On a en outre tout

iïeu de supposer que la tactique adoptée par les Dahoméens

dès le début de l'expédition, tactique qui a consisté à fuir

deyairj: nos colonnes, leur a été conseillée par les Allemands,

qui estimaient plus meurtrières pour nos troupes les éma-

:(U.ypir..àLr-4pMncJieÊ?41,a.fVfl;duO'olurae : l;— LES ALLEMANDSET BÉHANZIN.

Page 41: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 37

nations malsaines des lagunes que les balles des soldats de

Béhanzin.

Quant au souverain noir, cette tactique n'était pas laite

pour lui déplaire ; il avait tout avantage à l'adopter et à éviter

une rencontre de laquelle aurait pu résulter pour lui un échec

sérieux susceptible de porter un coup terrible à sa puissance.

Il savait trop bien que, s'il était vaincu, sa défaite pourrait

être attribuée à la défaveur des dieux par ses féticheurs, qui,

pour apaiser la colère de leurs divinités et conserver leur

prestige sur la population, étaient fort capables de le faire

mettre à mort.

Disons enfin, avant de terminer ce chapitre, que le Dahomev

comprend trois villes principales, trois centres de vie poli-

tique : la capitale Abomey, la ville sainte Allada, etWhydab,

port de mer qui fut bloqué dès le commencement de la

campagne par nos vaisseaux, puis occupé, après notre entrée

à Abomey, par les compagnies de débarquement de nos na-

vires.

Page 42: Le général Dodds

III.

Causes de l'expédition du Dahomey. — Le général Dodds. — Les fortifications de

Porto-Novo et de Kotonou. — Sur la défensive.

La France, qui depuis longtemps possédait un établissement

à Whydah, avait, dans ces dernières années, acquis en outre

par des traités (notamment le 10 octobre 1890) divers autres

points du territoire de la côte des Esclaves, tels que Kotonou,

Porto-Novo et sa banlieue, etc., où de nouveaux établisse-

ments français s'étaient formés. D'autre part, un certain

nombre de petits chefs de peuplades voisines des côtes, entre

autres le roi Toffa, s'étaient mis sous le protectorat de la France.

Or, le roi du Dahomey, habitué à être considéré comme le

plus puissant souverain de ces parages, fut sans doute fort

Page 43: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 39

mécontent de nous voir établir aussi près de son territoire.

Probablement mal conseillé, il résolut de nous déloger de la

côte africaine et se crut assez fort pour arriver à ce résultat.

Il fit envahir par ses troupes la plupart des territoires nou-

vellement acquis par nous ou placés sous notre protectorat

immédiat. Les Dahoméens s'avancèrent jusqu'aux environs

de KLotonou et de Porto-Novo, menaçant à chaque instant la

sécurité de nos nationaux et de nos alliés.

Il n'était pas possible de supporter une pareille conduite de

la part du souverain noir. Des représentations lui furent

adressées; des sommations de se retirer lui furent faites....

Rien n'y fit. Sous divers prétextes, tous plus spécieux les uns

que les autres, ses soldats demeuraient sur les territoires enva-

his. Dans ces conditions, il n'y avait plus qu'à recourir à la

fores pour lui faire entendre raison. Voilà comment fut rendue

nécessaire et résolue l'expédition du Dahomey.

Il s'agissait pour nous de mettre à la tête d'une expédition

aussi hasardeuse un homme énergique, résolu, habitué au

séjour des pays chauds et déjà au courant des habitudes et

des moeurs des populations africaines. Notre ministre de la

marine choisit le colonel Dodds, qui commandait à Toulon le

8e régiment d'infanterie de marine, et qui était tout récem-

ment revenu du Sénégal, où il avait exercé le commandement

Page 44: Le général Dodds

40 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

supérieur de nos troupes dans cette colonie. Nul choix ne

pouvait être meilleur; de plus, le rang du colonel sur le

tableau d'ancienneté, où il était placé le deuxième, permettait

de le nommer à bref délai général de brigade en récompense

des services qu'il allait rendre.

Dans le chapitre précédent, nous avons présenté le roi du

Dahomey à nos lecteurs ; il est bien juste de leur faire con-

naître aussi l'officier français qui s'est illustré en le combat-

tant et en lui infligeant une irrémédiable défaite. C'est ce que

nous allons faire avant de commencer le récit de cette héroïque

expédition.

On peut dire du général Dodds que c'est un Africain; car,

d'après un de ses biographes, à qui nous empruntons la plupart

des détails qui suivent, sa famille, d'origine anglo-saxonne,

est établie au Sénégal depuis le commencement de ce siècle.

Son grand-père était né dans la colonie anglaise de la Gambie ;

il vint s'installer à Saint-Louis du Sénégal, où il épousa la

fille d'un colon d'origine lorraine et d'une femme peuhle. De

ce mariage naquit un fils, Emery Dodds, qui appartint à

l'administration locale du Sénégal et qui épousa une jeune

Sénégalaise d'origine normande, M" 8Biliaud.

C'est de cette union qu'est issu, le 6 février 1842, le vain-

queur de Béhanzin.

Page 45: Le général Dodds

Gênerai DODDS.

Page 46: Le général Dodds
Page 47: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 43

Voici son acte de naissance, tel qu'il est inscrit sur le registre

de l'état civil de Saint-Louis du Sénégal :

« Aujourd'hui 8 février 1842, à trois heures de l'après-midi,

par-devant nous, François Pecarrère, officier de l'état civil de

l'île Saint-Louis du Sénégal, est comparu le sieur Antoine-

Henry Dodds, commis-négociant, âgé de vingt-trois ans,

demeurant en cette île.

« Lequel nous a déclaré que dame Charlotte Billaud, sans

profession, domiciliée en ladite île, âgée de dix-huit ans, est

accouchée avant-hier, 6 du présent mois, à quatre heures du

matin, au domicile de sa mère, la dame Marie Escal, situé

rue Dubois, à Saint-Louis, d'un enfant du sexe masculin, qu'il

m'a présenté, et auquel enfant ledit sieur, déclarant qu'il s'en

reconnaît le père, a donné les prénoms de Alfred-Amédée.

Lesquelles déclaration et présentation ont été faites en pré-

sence du sieur Alphonse-César Fieury, commis de marine,

âgé de vingt-neuf ans, et Charles Porquet, traitant, âgé de

vingt-neuf ans, tous les deux domiciliés à Saint-Louis, témoins

qui ont signé le présent acte avec ledit sieur Dodds et nous,

officier de l'état civil, après lecture faite. »

Le général Dodds a donc actuellement (avril 1893) cinquante

et un ans.

Grand, élancé, le visage allongé, le front haut, les traits

Page 48: Le général Dodds

44 LE GÉNÉRAL DODDS

d'une finesse remarquable, le teint clair, le général Dodds est

un des plus brillants officiers de l'infanterie de marine. D'une

bravoure personnelle absolue, il donne à tous l'exemple en

se portant le premier au feu et en saluant les balles qui sifflent

à ses oreilles de ce refrain boulevardier, emprunté à la Timbale

d'argent : « Encore un qui ne m'aura pas. »

Au sortir du lycée de Carcassonne, où il avait fait ses

études, il entra à Saint-Cyr le 10 novembre 1862, Il en sort

sous-lieutenant en 1864 et demande à servir dans l'infanterie

de marine. Il est nommé lieutenant le 25 octobre 1867, et fait

partie, en cette qualité, du détachement en résidence à la

Réunion. Il s'y trouvait en 1868, lorsque des troubles éclatèrent

dans cette colonie. -H.

Une pierre lancée par des émeutiers l'atteignit au front et lui

fit une large blessure. Cependant son sang-froid ne l'aban-

donna pas, et il eut la force d'empêcher ses hommes de tirer

sur la foule, évitant ainsi de grands malheurs.

Il fut, à la suite de cet incident, cité à l'ordre du jour par le

contre-amiral Duperré, gouverneur de la colonie, et le 25 dé-

cembre 1869 il fut promu au grade de capitaine.

Lors de la guerre de 1870, il fit partie de l'armée du Rhin.

Fait prisonnier à Bazeilies, il s'évade et rejoint l'armée delà

Loire. Le 24 décembre 1870, il est fait chevalier de la Légion

Page 49: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 45

d'honneur. Il passe ensuite à l'armée de l'Est, et, après avoir

été interné en Suisse, il revient à l'armée de Versailles et prend

part au second siège de Paris.

De là, il repart pour le Sénégal, où il reste de 1871 à 1878,

puis passe un an en Cochinchine et rentre encore une fois au

Sénégal, qu'il ne quitte plus qu'en 1883. C'est pendant cette

période qu'il reçoit le grade de chef de bataillon,le 13 avril 1879,

et qu'il se distingue dans l'expédition de la Haute-Casamance,

à l'assaut de Moricounda.

Lieutenant-colonel le 25 mai 1883, officier de la Légion

d'honneur le 29 décembre de la même année, il est envoyé au

Tonkin, où il rend de grands services, et est nommé colonel.

le 2 septembre 1887.

Quelques mois plus tard, il est désigné pour exercer les

fonctions de commandant supérieur du Sénégal.

Au cours de cette dernière campagne, il se distingua par les

qualités de prudence et de méthode qui ont, tout récemment,

si largement contribué au succès de l'expédition du Dahomey,

et qui, à cette époque déjà, avaient eu de si heureux résultats,

puisque la campagne se termina par la pacification complète

du Fonta central, et que nos pertes, durant cette expédition,

furent insignifiantes.

Commandeur de la Légion d'honneur le 30 décembre 1891,

Page 50: Le général Dodds

46 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

le colonel Dodds fut nommé, par décret du 30 avril 1892,

commandant supérieur des établissements français du Bénin.

C'est en cette qualité qu'il dirigea l'expédition contre Béhanzin,

expédition qui, après une série de brillants combats et d'opé-

rations conduites avec, autant de prudence que d'habileté,

s'est terminée, en novembre 1892, par la prise d'Abomey et

par la fuite du roi dahoméen.

En récompense de ses services, le colonel Dodds fut nommé,

par décret du 9 novembre 1892, générai de brigade, et, quelques

jours plus tard, il a été élevé à la dignité de grand-officier de

la Légion d'honneur.

Ajoutons que le général Dodds a épousé sa cousine, M"e Ma-

deleine Alsace, comme lui, originaire du Sénégal.

Voyons maintenant quelle était, au Dahomey, la situation,

au point de vue de leur défense possible, de Porto-Novo et de

Kotonou, les deux localités de nos possessions plus parti-

culièrement menacées par les troupes de Béhanzin, qui, après

avoir envahi leurs environs, allaient chercher à s'en em-

parer.

Ces deux localités avaient été pourvues, dans le cours des

deux dernières années, de toute une série de défenses édifiées

par la direction de l'artillerie. En ce qui concerne les fortifica-

tions, elles se trouvaient donc dans d'assez bonnes conditions

Page 51: Le général Dodds

Une

vue

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ovo

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de

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gune.

Page 52: Le général Dodds
Page 53: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION BU DAHOMEY. 49

au mois d'avril 1892, lorsque le colonel Dodds fut appelé au

commandement supérieur, du Bénin. Il n'en était pas de même

pour la garnison. Les troupes chargées de la défense de nos

possessions étaient trop faibles pour tenir longtemps tête à

l'armée de Béhanzin et pour la mettre à la raison. Aussi deV-:>'''

nombreux renforts furent-ils rapidement envoyés au Dahomey,

comme nous Talions voir tout à l'heure.

Voici, en attendant, ce que publiait, en avril 1892, la Politique

coloniale au sujet de l'état des fortifications de Porto-Novo et

de Kotonou :

« A Porto-Novo, l'enceinte en latérite et les fossés ont été

refaits. Le plateau sur lequel sont bâties les factoreries Régis

et le poste des officiers sont défendus par un premier ouvrage

en terre, dit fort des Amazones, qui balaye la plaine dans la

direction de Takou.

« La résidence, la mission et le camp des Haoussas sont

protégés par'le fort Oudard, sis au bout de l'avenue Gabrieïïe,

au nord de Porto-Novo.

« La plaine dAdjara et la basse ville sont couvertes par le

fort Mousset.

« Le palais de Toffa et le chemin de Ropo sont garantis

parlefortToffa.

« Tous ces travaux de fortification passagère ont été cons-

4

Page 54: Le général Dodds

50 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

fruits et entretenus par le service de l'artillerie. Les chaloupes,

armées en guerre, protègent la lagune.

« Dans un périmètre de trois kilomètres environ, on a

coupé tous les arbres et les lianes ; ce débroussaillement

donne aux huit canons de 4 de montagne et aux six pièces de

80 un champ de tir suffisant pour résister à toute surprise.

« A Kotonou, une ligne de palanques et un fossé vont de

la mer au lac Denham ; tous les bois ont été rasés.

« Au télégraphe, deux canons-revolvers; sur la bissectrice

du triangle isocèle formé par la lagune, la mer et la ligne de

palanques, on a construit un cavalier en maçonnerie, sur

lequel on a placé deux canons de 80. Enfin, au nord-ouest du

village indigène, le fort Comperat, armé de quatre canons

de 4 de montagne, blockhaus sérieux, en maçonnerie, permet-

tant à cent tirailleurs de résister à l'attaque de toute

l'armée dahoméenne. La route de Kotonou à Godomey est

déblayée. Un chemin de fer Decauville permet de transporter

tous les jours dans l'enceinte les roniers destinés à renforcer

les piliers fixés dans le sable.

« En arrière de la ligne de palanques, un réseau de fils de

fer, un enchevêtrement d'abatis, de fougasses, complètent le

système de défense.

« Porto-Novo est relié à Kotonou par le télégraphe aérien.

Page 55: Le général Dodds

La

barr

ade

Koto

nou.

Page 56: Le général Dodds
Page 57: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 53

« La canonnière Kmeraude, mouillée à l'entrée du chenal qui

conduit à l'entrée du lac Denham, protège Kotonou vers les

marécages de l'ouest. »

Telle était la situation de Porto-Novo et de Kotonou au

moment où le colonel Dodds allait s'embarquer avec les pre-

miers renforts pour prendre la direction des opérations mili-

taires. Toujoiirs sur le qui-vive, les faibles garnisons de ces

deux localités se gardaient avec soin pour ne pas être exposées

à une surprise de l'ennemi.

D'autre part, de nombreux fugitifs dahoméens, peu confiants

sans doute dans la protection de Béhanzin, venaient chaque

jour se réfugier au milieu de nos soldats : ils étaient, il est

vrai, plus encombrants qu'utiles ; mais il eût été inhumain

et en même temps impolitique de ne pas les accueillir.

Voilà dans quel état nous nous trouvions lorsque le colonel

Dodds débarqua au Dahomey et commença à s'occuper acti-

vement, dans les premiers jours de juin, des préparatifs de la

campagne qu'il allait diriger en personne. Mais lui aussi dut

rester encore assez longtemps sur la défensive, en attendant

qu'on lui eût envoyé de France et de nos autres colonies des

renforts suffisants pour permettre de prendre une hardie et

sû^ft offensive.

Page 58: Le général Dodds

IV.

Toujours sur la défensive. — Préparatifs. — Effectif de nos troupes au début de

l'expédition. — Lettre du colonel Dodds à Béhanzin. — Premières opérations

offensives.

Dès le 4 juin, le colonel Dodds avait envoyé un ultimatum à'

Béhanzin : la réponse du souverain noir lui fut apportée le

18 à Porto-Novo par des messagers royaux. Béhanzin protes-

tait de son amitié pour les Français, tout en revendiquant

encore Kotonou et même la banlieue de Porto-Novo comme

territoires dahoméens. Il menaçait en outre de prendre les

canonnières qui s'avanceraient dans les eaux de l'Ouémé.

En somme, cette lettre du roi dahoméen n'avait pour but

..que de gagner du temps, afin de permettre à un vapeur aile-

Page 59: Le général Dodds

LÉ GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 55

mand — qu'il attendait prochainement à Wb.ydab.~- de lui

apporter un approvisionnement complet d'armes et de muni-

tions. Il ne se doutait pas que le blocus de Whydah, rigou-

reusement appliqué, empêcherait forcément le débarquement

sur lequel il comptait. Il n'avait d'ailleurs point besoin de se

mettre en frais de xjareilles affirmations pour retarder nos

opérations offensives. Le colonel Dodds se trouvait bien forcé

de demeurer sur la défensive tant que des renforts suffisants

ne lui seraient pas parvenus.

Mais la défensive qui lui était ainsi imposée par les circon-

staaces était loin de ressembler à de l'inaction. En effet, au

moyen de reconnaissances continuelles, de colonnes mobiles

lancées à chaque instant de divers côtés, il tenait l'ennemi en

haleine, l'inquiétait, et tâchait de lui faire évacuer sans tarder

les territoires acquis à la France par les traités en vigueur,

c'est-à-dire ceux de Kotonou, de Porto-Novo et de sa banlieue,

irrégulièrement occupés par les troupes dahoméennes.

D'autre part, tous ces préparatifs de l'expédition et les

mesures énergiques de défense prises par le colonel Dodds de

concert avec le lieutenant-gouverneur Ballot, eurent vite

rendu confiance à la population indigène. Le roi Toffa recruta

et présenta, le 24 juin, au colonel et au gouverneur trois mille

hommes engagés par lui pour accompagner l'expédition* : un-,<

Page 60: Le général Dodds

56 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

grand enthousiasme fut le résultat de cette présentation et

donna la preuve que, l'expédition une fois menée a-vec énergie

"et "résolution, noirs pouvions compter sur le concours effectil

des tribus de l'intérieur, habituellement razziées par le Da-

homey.

Cet enthousiasme fut habilement entretenu par le colonel

pendant tout le mois de juillet et le commencement d'août.

Le 14 juillet, le télégramme suivant était encore envoyé en

France à ce sujet :

« Les envoyés des peuplades environnantes arrivent offrir

leur concours contre les Dahoméens. Il règne un grand en-

thousiasme. D'autre part, des désertions nombreuses se pro-

duisent dans l'armée dahoméenne, par suite de la famine et de

la peur.

« La bonne saison a commencé le lor juillet : elle durera

jusqu'au 15 octobre. Après cette date, l'expédition se ferait

difficilement.

« Si les renforts arrivent à la fin d'août, le Dahomey entier

sera pacifié avant le mois d'octobre. »

Les mois d'août et de septembre étaient en effet les mois les

plus favorables pour une expédition dans l'intérieur du Da-

homey, à cause de la salubrité relative du climat à cette

époque. En outre, les hautes eaux dans l'Ouémé pouvaient.

Page 61: Le général Dodds

TotKA , roi de Porto-Novo.

Page 62: Le général Dodds
Page 63: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 59

dans cette saison, beaucoup faciliter le transport des troupes,

des munitions et des approvisionnements.

Notre ministre de la marine, qui était alors M. Burdeau,

était parfaitement au courant de toutes ces considérations qui

militaient en faveur d'une prompte entrée en campagne, et il

pressa de telle sorte nos envois de troupes au Dahomey, que,

au commencement d'août, le colonel Dodds se trouva à la

tête de près de trois mille cinq cents hommes, qui se décompo-

saient ainsi :

1 bataillon de la légion étrangère;

1 compagnie d'infanterie de marine ;

4 compagnies régulières de tirailleurs sénégalais';

3 compagnies auxiliaires de tirailleurs sénégalais;

2 compagnies de tirailleurs haoussas;

2 escadrons de spahis sénégalais ;

1 batterie d'artillerie de montagne avec obus à la mélinite;

1 section du génie

sans compter tous les services auxiliaires de l'armée.

En effet, le colonel disposait en outre des hommes que le roi

Toffa avait mis à sa disposition, comme nous l'avons Vu plus

haut. Mais les sujets de ce foi dahoméen n'étaient guère sus-

ceptibles d'être employés comme combattants en rase cam-

pagne. Ils n'étaient cependant point à dédaigner, car ils ser-

Page 64: Le général Dodds

60 LE GÉNÉRAL DODDS

virent à garder nos postes de Kotonou et de Grand-Popo, de

concert avec l'équipage du Sané, que le ministre de la marine

laissait momentanément au Bénin, afin de permettre au

colonel Dodds de marcher à l'ennemi avec toutes les forces

dont il pouvait disposer.

Trois mille cinq cents hommes tout au plus, voilà donc le

faible effectif avec lequel le colonel Dodds commença ses

opérations militaires, qu'il allait mener avec une régularité et

une méthode écrasantes pour les Dahoméens.

Toutefois, avant de lancer ses colonnes contre les troupes de

Béhanzin, le colonel tint à agir avec ce souverain aussi correc-

tement que s'il avait eu affaire à une puissance civilisée. Il se

donna donc la peine de répondre à la lettre de Béhanzin dont

nous avons parlé plus haut, lui déclarant que « sa lettre

étrange, puérile et même ironique, l'avait étonné. » Il rappela

ensuite le traité du 30 octobre 1890, dont les stipulations

avaient été violées et l'étaient encore en ce moment par

Béhanzin, qui faisait occuper par ses troupes des territoires

acquis à la France.

« Je n'insisterai pas davantage, ajoutait le colonel, sur

l'importance qu'il faut attacher à vos affirmations ni sur la

•valeur des sentiments dont vous dites être animé à l'égard des

Français, sentiments qui sont peu d'accord, vous l'avouerez :

Page 65: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 61

« 1° Avec l'attaque inqualifiable dont le lieutenant-gouver-

neur Ballot et le commandant des troupes ont été l'objet,

lorsqu'ils naviguaient paisiblement à bord d'une canonnière

française dans des eaux appartenant sans contestation à la

France;

« 2° Avec les lettres antérieures adressées par vous ou vos

chefs, du 29 mars au 1er mai, au représentant de la République

à Porto-Novo.

« Quoi qu'il en soit, et malgré le peu de crédit qu'il convient

d'accorder à vos revendications, j'ai cru devoir les transmettre

à mon gouvernement, qui les appréciera et me fera connaître

sa décision à leur égard, décision que je m'empresserai de vous

communiquer dès qu'elle me parviendra.

« En attendant, non seulement je maintiens la défense for-

melle de circuler sur les routes et lagunes du Dahomey, mais

encore je vous fais connaître que cette mesure est complétée

par l'interdiction de toute communication par mer avec les

ports du Dahomey, le gouvernement français ayant décidé et

notifié aux puissances étrangères qu'à partir du 18 de ce mois

(août) le blocus serait établi sur les côtes de nos possessions

du golfe de Bénin.

« Salut.

« Signé : DODDS. ».

Page 66: Le général Dodds

62 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

Béhanzin, pour toute réponse à ces déclarations très nettes,

inventa une histoire de guet-apens que des gens du roi Toffa,

son ennemi, auraient tendu à son envoyé. Celui-ci se serait vu

dépouiller du bâton royal, qui le rendait inviolable.

Le colonel Dodds, malgré le peu de vraisemblance de ces

plaintes, ordonna une enquête qui en démontra, en effet, la

lausseté.

Après cet échange de correspondance et le résultat de l'en-

quête qui en fut la suite, il n'y avait plus pour nous qu'à

conduire activement les opérations militaires. C'est ce que

comprit et fit le colonel Dodds.

Dès le 8 août, accompagné du lieutenant-gouverneur, il

•s'embarqua sur l'Opale et se rendit à Kotonou. Le lendemain,

il fit commencer le bombardement de toute la côte daho-

méenne.

Whydah fut bombardée par le Talisman; la plaine de Koto-

nou, où campaient de nombreux Dahoméens, par le bloc-

khauss et le fort; Abomey-Calavy, par VOpale. Enfin, le Héron

et l'Ardent, qui avaient commencé par lancer seulement

quelques obus, finirent par bombarder sérieusement Godomey

et Avrékété.'

Ce bombardement général de la côte dahoméenne fut le

premier acte sérieux de nos opérations militaires, et l'effet en

Page 67: Le général Dodds

Bom

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dahom

éenne.

Page 68: Le général Dodds
Page 69: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 65

fut excellent. Les indigènes, nos alliés, qui ne comprenaient

rien à notre inertie apparente, se trouvèrent, du coup, ras-

surés. Ils sentirent que la force était du côté de leurs nou-

veaux protecteurs, les Français, et que l'ancienne et redou-

table puissance de Béhanzin ne serait bientôt plus qu'un

souvenir.

Ce même jour, 9 août, à six heures du matin, pendant que

commençait le bombardement, une colonne de trois cents

tirailleurs, sous les ordres du commandant Stephani, sortait

de Kotonou et poussait une reconnaissance jusqu'à Zobo, à

l'entrée du lac Denham. Elle avait pour objectif de dégager le

territoire français de Kotonou. Egarés par les guides, nos

soldats finirent pourtant vers midi par rencontrer l'ennemi,

dix fois supérieur en nombre, près de Godomey.

Les tirailleurs luttèrent vaillamment pendant dix heures et

restèrent maîtres du champ de bataille. Zobo fut brûlé.

L'ennemi, armé de fusils Winchester, opposa une vive résis-

tance et subit de grandes pertes. Nous eûmes un sergent blanc

et un sergent indigène tués, dix tirailleurs et quatre porteurs

indigènes grièvement blessés. Morts et blessés furent rap-

portés à Kotonou, où la colonne rentra le 10 août, à huit

heures du matin. Le colonel Dodds, accompagné du lieute-

nant-gouverneur, M. Ballot, avait dirigé les opérations.

S

Page 70: Le général Dodds

66 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

On voit* que, malgré la trahison ou l'ignorance des guides

que l'on avait choisis, cette première opération sérieuse réussit

pleinement. La résistance et la bravoure des tirailleurs séné-

galais pendant dix heures consécutives que dura le combat

contre un ennemi infiniment supérieur en nombre et bien

armé, et leur victoire finale, donnèrent dès le début à tous,

soldats et indigènes, pleine confiance dans l'avenir de l'expé-

dition.

Telle fut la première des démonstrations préparatoires par

lesquelles le colonel Dodds entraîna ses troupes, surtout les

auxiliaires, et dégagea les environs de Kotonou et de Povto-

Novo, afin de s'assurer la liberté de ses mouvements.

Page 71: Le général Dodds

V.

En campagnol/.. — Départ de Porto-Novo. — Marche sur Sakélc. — Les Eghas tfc

les Jcsus. — Combat de Bogha (19 septembre). — Le commandant Faurax.

De nouveaux et importants renforts étaient attendus au

Dahomey; ils devaient arriver à la fin d'août. Le colonel Dodds

les attendait pour se lancer avec eux dans l'intérieur du pays,

à Japoxxrsuite et à l'attaque des soldats de Béhanzin. Mais il

était important de tenir jusque-là l'ennemi constamment sur

le qui-vive. Aussi, dès le 17 août, le colonel partit, en compa-

gnie du gouverneur, à la tête d'une colonne comprenant treize

cents combattants et deux mille porteurs.

L'objectif du commandant en chef était Sakélé, où devait

avoir lieu sa jonction avec deux mille indigènes. Cette réunion

Page 72: Le général Dodds

68 LE GÉNÉRAL DODDS

une fois opérée, le plan du colonel, était de revenir à l'ouest,

pour camper au bord de l'Ouémé, et de pénétrer dans l'intérieur

du Dahomey aussitôt que les renforts attendus seraient arri-

vés avec le Mytlw, bâtiment qui les amenait.

La colonne n'emportait que huit jours de vivres, car une

flottille était toute préparée pour assurer le ravitaillement.

Celle-ci partit, en effet, le 18 août, et remonta le cours de

l'Ouémé à la rencontre de la petite expédition.

Le départ de la colonne de Porto-Novo, effectué le 17 août,

eut lieu avec un certain apparat, nécessaire dans ces contrées

pour en imposer aux indigènes. Voici le récit qu'en faisait au

mois d'août le correspondant d'un grand journal parisien :

« Depuis le bombardement de la côte, au commencement du

mois, et l'affaire de Zobo, du 9, où la reconnaissance dirigée

contre les Dahoméens avait eu pour effet de donner un peu d'air

à nos troupes, le colonel Dodds a préparé une colonne ayant

pour but de débarrasser le Dékamé des bandes dahoméennes

qui occupaient Takou et Bekandja, bandes fortes de trois

mille hommes, dont mille armés de fusils perfectionnés.

« Le 16 août, a eu lieu sur le platqau des Amazones la

grande revue du départ. Sauf la compagnie d'infanterie de

marine et quelques artilleurs, toutes les troupes étaient noires

et ont défilé avec un entrain superbe devant le colonel et son

Page 73: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 69

état-major. On a remarqué l'allure des compagnies de volon-

taires : ces hommes, ayant trois mois de service à peine,

marchaient comme de vieux soldats.

« Après la revue, les troupes, qui étaient en tenue de cam-

pagne, se sont établies immédiatement au bivouac, sauf les

2e et 3" compagnies de volontaires, qui sont rentrées dans

Porto-Novo pour garder la ville. En un clin d'oeii le bivouac

en carré était installé, avec deux compagnies sur chaque face,

l'artillerie aux coins du carré.

« Les tentes des officiers et des sous-officiers en arrière du

côté du carré qu'ils commandaient, les tentes des médecins,

des différents services de l'ambulance, les quinze cents por-

teurs régulièrement groupés, tout cela prenait un aspect

réellement pittoresque. Les Européens sont logés à l'intérieur

du carré, dans de petites maisons transportables faites avec

des tiges de palmier; le toit est constitué par des tentes-abris,

et les murs par d'immenses branches engagées dans les mon-

tants. C'est très bien imaginé et très pratique; là-dessous on

est à l'abri des insolations et on a une certaine fraîcheur.

L'intérieur du carré figure ainsi une sorte de village, à large

rue, et absolument vert. Le colonel occupe à peu près le

centre. -

« Les porteurs, qui se sont fait aussi des abris, préparent

Page 74: Le général Dodds

70 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

leur cuisine bizarre; ils ont chacun une plaque en bois avec

leur nom, une toque dont la couleur varie avec les services.

Elle est blanche, bleue, jaune, rouge, verte, etc., selon que le

porteur appartient au service des vivres, à l'artillerie, à

l'ambulance, à l'état-rnajor.

« Les Sénégalais, devant leur tente en forme de pyramide,

fument tranquillement leur pipe. Pour eux, la guerre est

l'état normal; en paix, ils ne vivent pas. Un de mes amis cause

avec eux. Dans toutes leurs réponses on sent la simplicité,

l'ardeur à se faire hacher pour nous et notre pays. Les anciens

racontent leurs campagnes depuis Faidherbe: ils ont toujours

combattu et vaincu à nos côtés; pour eux, il ne reste qu'un

seul roi noir qui ose encore résister à la France : ce roi,

c'est Béhanzin; aussi il va voir quelle leçon ils vont lui

donner.

« Cela vous fait monter l'orgueil au front, d'entendre de ces

gens qui nous sont si simplement et si complètement dévoués ;

pauvres diables qu'on ne récompensera jamais comme ils le

méritent; car, malgré leurs nombreuses blessures, il en est

bien peu qui ont la médaille militaire.

« Les petits soldats d'infanterie de marine, eux aussi, sont

à leur affaire; la compagnie est répartie en trois groupes,

chacun étant avec une colonne.

Page 75: Le général Dodds

En

un

clin

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.

Page 76: Le général Dodds
Page 77: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION BU DAHOMEY. 73.

« Le 17, au matin, la colonne partait dans la direction

d'Adjarah; elle a été grossie an départ de deux à trois cents

auxiliaires, gens à turbans jaunes, qu'on, a armés avec de

vieux fusils, et qui ont une revanche à prendre sur les Daho-

méens , ayant eu leurs villages très souvent pillés.

« Le défilé, commencé à six heures, était fini à sept, et,

dans Porto-Novo, tout rentrait dans le calme.

« Porto-Novo est gardé actuellement par deux compagnies

de volontaires sénégalais et par quatre cents hommes de la

légion. Nous n'avons donc rien à craindre, en dépit des décla-

rations de Béhanzin, qui s'est vanté d'attaquer Porto-Novo

et d'y enlever le roi Toffa.

« En attendant que le corps expéditionnaire prenne contact

avec les forces principales du Dahomey, il faut s'attendre,

dans leDékamé, aune guerre de partisans.

« Elle a déjà commencé, et, dans les opérations du Dékamé,

nous avons eu deux commandants blessés sur trois.

« Les Dahoméens se mettent dans des trous qu'ils creusent

près des routes, dans des fourrés impénétrables; dès qu'ils

voient un chef, ils lâchent leur coup de fusil et se cachent; on

a beau envoyer des feux de salve, c'est en vain : ils sont à

l'abri. »

Avant de reprendre le récit de la marche de la colonne sur

Page 78: Le général Dodds

74 LE GÉNÉRAL DODDS

Sakélé, disons encore que cette localité de Sakélé est un vil-

lage assez important, situé dans le nord du royaume de

Porto-Novo, sur les bords de la rivière Adjarah. Le colonel

Dodds avait fait établir une route de trente-six kilomètres,

qui relie Sakélé à Porto-Novo, afin, précisément, de pouvoir,

le jour voulu, porter une partie de ses forces dans la région

supérieure du ro3^aume de Porto-Novo. Il allait contourner,

dans cette marche, le paj^s de Dékamé, afin de se retourner

vers l'ouest sur l'Ouémé, lorsqu'il serait parvenu à Sakélé,

au nord du pays de Dékamé. C'était donc ce pays de Dékamé

qui était l'objectif de la colonne, pays dont le territoire

s'étend sur la rive gauche du fleuve. Il était occupé par des

populations indigènes restées soumises aux Dahoméens, alors

que les villages situés au sud ou au nord relevaient de l'auto-

rité de Toffa, le roi de Porto-Novo.

Nous allons voir que, en marchant par Sakélé, la colonne

conduite par le colonel Dodds se dirigea sur l'Ouémé. Comme,

d'un autre côté, la flottille remontait l'Ouémé au-devant de

la colonne, la manoeuvre eut pour effet de menacer les Daho-

méens qui pouvaient se trouver dans le pays dékamé, ce qui

les amenait à se concentrer sur la rive droite du fleuve.

Revenons maintenant à la marche de la colonne expédi-

tionnaire.

Page 79: Le général Dodds

ET L EXPEDITION DU DAHOMEY. 7D

Partie le 17 août de Porto-Novo, celle-ci employa deux

jours pour le passage de la lagune d'Adjarah. Elle arriva à

Kouti (Ouétin) le 19, bombarda et enleva Takou le 20. Là,

les commandants Lasserre et Rioufurent blessés légèrement,

et quatre soldats indigènes tués. Elle arriva à Sakélé le 21 et

en repartit le 22.

En marchant sur Katagon, la colonne fut attaquée par les

Dahoméens. Le capitaine Bellamy fut blessé légèrement ;

deux sergents européens furent grièvement atteints, et six

tirailleurs furent également blessés, mais légèrement.

La région traversée était très boisée, et l'ennemi, isolé-

ment embusqué dans les fourrés épais, sur le passage de la

colonne, tirait de préféi'ence sur l'état-major et les officiers.

La colonne s'empara de Katagon le 24. Elle s'y reposa deux

jours, et elle en repartit pour atteindre l'Ouémé le 27.

En résumé, l'ennemi était refoulé devant nos troupes au fur

et à mesure qu'elles avançaient. Des routes étaient en même

temps ouvertes, reliant les points traversés. Le ravitaillement

de la colonne était journellement effectué par Porto-Novo, au

moyen de porteurs. La santé des troupes demeurait d'ailleurs

constamment bonne, et leur moral ne se démentit pas un seul

instant.

Ce même jour, 27 août, huit cents légionnaires, deux cents

Page 80: Le général Dodds

76 LE GÉNÉRAL DODDS

spahis et un détachement du génie, arrivés par le Mylho et le

Saint-Nicolas, débarquaient au Dahomey ; c'était le renfort

attendu, qui allait permettre au colonel de prendre une sé-

rieuse offensive.

En attendant, le colonel, laissant ses soldats camper et se

reposer quelques jours sur les bords de l'Ouémé, revint mo-

mentanément à Porto-Novo, afin d'organiser de nouvelles

colonnes à l'aide delà légion étrangère (qui était récemment

débarquée à Kotonou) et d'un certain nombre d'auxiliaires

nu'il avait recrutés dans le paj^s même.

Pendant que le colonel Dodds se livrait activement à tous

ces préparatifs, en vue d'une prochaine et sérieuse attaque,

Béhanzin, de son côté, ne demeurait point inactif. D'Abomey,

sa capitale, où il s'était retiré, le souverain noir avait lancé

une proclamation à ses sujets, par laquelle il les engageait à

raser tous les palmiers et à s'unir à lui pour défendre son

royaume. Ilfutobéi; la destruction des palmiers fut opérée,

car tous les habitants du royaume ne cessaient d'être circon-

venus par les féticheurs qui, partout, prédisaient l'échec de

notre expédition et la destruction complète de nos troupes.

Cependant, dès le début des hostilités, Béhanzin apprit à

Abomey une nouvelle qui l'affecta vivement : les Egbas et les

Jésus, peuplades alliées de la France, qui avaient envahi son

Page 81: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 77

territoire par le nord, s'étaient rencontrés avec l'avant-garde

de son armée, composée de deux mille guerriers. Après un

vif combat, les Dahoméens avaient dû battre en retraite dans

la direction d'Abomey, laissant plus de trois cents des leurs

sur le terrain.

Ce combat avait eu lieu le 15 août, et les Egbas et les Jésus

demeuraient campés sur les positions que ces peuplades

amies de la France venaient de conquérir.

Dès le commencement de septembre le royaume de Porto-

Novo se trouva complètement évacué par l'ennemi, dont les

troupes s'étaient concentrées à Allada, •— la colonel Dodds

en était certain, bien que Béhanzin fît tout son possible pour

faire croire que son armée était à Godomey. Tout le pays

riverain de l'Ouémé étant pacifié, la marche de notre colonne,

qui allait remonter l'Ouémé à la rencontre d'un gué prati-

cable, devenait assez facile, du moins au début.

Celle-ci, dont l'état sanitaire continuait fort heureusement à

être bon, était réunie à Kesounou, où. la rejoignaient succes-

sivement les renforts récemment arrivés. Le 7 septembre,

lorsque sa cavalerie fut arrivée à Fan vie, localité voisine de

Kesounou, son effectif fut au complet, et elle reprit sa marche

en avant du côté de Kodé.

Kodé et Fanvié sont situés à quelques kilomètres

Page 82: Le général Dodds

78 .LE GÉNÉRAL DODDS

d'Azaouissé. D'après la carte de Hansen, Fanvié se trouve à

une trentaine de kilomètres au nord de Porto-Novo, et la

distance entre Kodé et Fanvié n'est que de cinq à six kilo-

mètres. Le gué sur lequel on comptait pour traverser l'Ouémé

se trouve entre ces deux points. De là à Allada, il y avait

encore une trentaine de kilomètres à parcourir; mais, comme

nous Talions voir, la colonne expéditionnaire dut modifier son

itinéi-aire, et ce ne fut pas sur Allada qu'elle se dirigea.

La marche en avant avait donc repris, le 8 septembre, sous

le commandement du colonel Dodds. L'expédition arriva

le 14 au matin à Dogha — à soixante kilomètres environ de

Porto-Novo — par des routes ouvertes dans les forêts par

les indigènes alliés. Nos soldats installèrent aussitôt leur camp

sur le plateau sablé d'une colline, qui constituait une position

superbe et salubre.

Quant à la cavalerie, qui n'avait pas pu suivre dans ces

chemins à peine frayés, elle fut transportée par eau et rejoi-

gnit peu après.

Tout avait été parfaitement prévu par le commandant en

chef. Les transports par terre et par eau étaient complète-

ment organisés, et par suite le ravitaillement pleinement

assuré. La colonne était donc maintenant dans de bonnes

conditions pour rencontrer l'ennemi. Enfin, heureux présage

Page 83: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 79

pour l'avenir, le Dékamé tout entier et de nombreux villages

dahoméens, situés le long de l'Ouémé, étaient déjà venus faire

leur soumission au colonel.

Celui-ci donna quelques jours de repos à ses soldats à

Dogha. La marche vers le nord ne fut reprise que le 19 au

matin, bien que la cavalerie n'eût pas encore rejoint. Mais,

au moment où la colonne expéditionnaire venait de quitter

Dogha pour se concentrer à Oboa, seulement à quelques kilo-

mètres dans la direction du nord, elle fut, dès cinq heures du

matin, furieusement attaquée par cinq mille Dahoméens.

Le colonel Dodds, informé de leur approche par le gouver-

neur, M. Ballot, avait pris d'habiles dispositions pour les

recevoir.

L'affaire fut très chaude : le combat dura jusqu'à neuf

heures.

Plus de mille cadavres dahoméens jonchaient la plaine. Un

grand nombre de fusils Winchester, Sneider, Manser, Re-

mington, Dreysse, et même des chassepots, furent ramassés

sur le champ de bataille.

De notre côté, nous avions eu cinq tués, dont le comman-

dant Faurax, de la légion étrangère, le lieutenant Badaire,

de l'infanterie de marine, et dix blessés grièvement.

Les deuxième et troisième groupes, formés en carrés, avaient

Page 84: Le général Dodds

80 LE GÉNÉRAL DODDS

seuls pris part à l'affaire, le premier groupe étant à quinze

kilomètres en avant.

Le colonel Dodds courut les plus grands dangers, en se

portant bravement sur le point le plus menacé; il dirigea

toutes les opérations avec une grande habileté et un impertur-

bable sang-froid.

« Les assaillants, écrivait à ce sujet le correspondant du

Temps, commandés par le frère du roi, Géo-Béo, avaient

franchi l'Ouémé au gué de Tohoué, c'est-à-dire à vingt-cinq

kilomètres au nord de Dogha. Ils venaient d'Abomey, et com-

prenaient les contingents que les démonstrations du colonel

avaient chassés du Dékamé. Ils ont essayé, par une manoeuvre

assez habile, de rejeter nos troupes datas l'Ouémé, en les for-

çant à leur faire face, ayant le fleuve à dos. Ils comptaient

réussir, d'autant plus qu'ils savaient qu'en raison des diffi-

cultés que présente le pays, le corps expéditionnaire est obligé

de marcher en trois colonnes. La première, formée de Séné-

galais, était en avant-garde. Les deux autres comprenaient

plus particulièrement les contingents européens et les

bagages.

« Malgré l'impétuosité de l'attaque et le courage des soldats

de Géo-Béo, nos troupes ont pu infliger à leurs adversaires

une défaite sanglante. Cela tient à la solidité du noyau

Page 85: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 81

d'Européens composé d'hommes dont l'éloge n'est plus à

faire.

« Ce qu'il y a de plus particulièrement heureux dans ce

combat, c'est que les Dahoméens, contrairement à la tactique

qu'ils avaient paru vouloir suivre tout d'abord, sont venus

nous attaquer. Nos troupes ont donc pris un premier contact

avec eux. Il semble ainsi probable, en dépit de l'échec qu'il

vient de recevoir, que. le roi prendra ses mesures pour dé-

fendre sa capitale, et qu'il y aura lieu d'engager une autre

action sous les murs d'Abomey, objectif de notre corps expé-

ditionnaire. »

Le colonel Dodds venait ainsi de donner, dans la matinée

du 19 septembre, une leçon des plus sérieuses aux Daho-

méens; il fut très satisfait de la conduite de ses troupes et se

prépara à poursuivre activement la campagne. Dès le 21, il

reprit sa marche vers le nord, et traversa la rivière aussitôt

après avoir été rejoint par sa cavalerie, comme nous Talions

voir dans le prochain chapitre. Mais, avant de le suivre sur la

route d'Abomey, nous tenons à consacrer quelques lignes au

brave commandant Faurax, qui trouva une mort glorieuse au

combat de Dogha.

Grièvement blessé dans la matinée du 19 septembre, le

commandant Faurax avait été aussitôt transporté d'urgence

6

Page 86: Le général Dodds

82 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

par eau à Porto-Novo, Il y mourut le 20 septembre, à trois

heures du matin.

Le commandant Faurax, sous les ordres de qui était

placé le bataillon de la légion étrangère, était originaire de

Lyon.

C'était un vaillant officier, qui, engagé volontaire en 1870,

avait conquis ses grades sur les champs de bataille, notam-

ment au Tonkin, où il avait fait un très long séjour.

A son retour d'extrême Orient, il avait obtenu de passer au

98e de ligne, en garnison à Lyon, afin de se rapprocher de sa

famille. Mais, dès qu'il apprit qu'une campagne s'organisait

contre le Dahomey, il demanda à y prendre part. Sa demande

fut agréée; il passa alors au 1er régiment de la légion étran-

gère , à Sidi-Bel-Abbès, et contribua à l'organisation du

bataillon formé avec les éléments les meilleurs des régiments

de la légion. Il était parti avec ses troupes sur le Mylho, au

commencement du mois d'août, et il n'avait rejoint Tavant-

garde du corps expéditionnaire que depuis peu de jours, au

moment de la concentration des troupes à Kesounou.

Etait-ce un pressentiment?... Quelques jours avant son

départ pour le Dahomey, le commandant Faurax écrivait la

lettre suivante à un de ses amis, lettre dans laquelle le vaillant

officier ne se dissimule pas les dangers qui l'attendent

Page 87: Le général Dodds

Le commandant FAURAX.

Page 88: Le général Dodds
Page 89: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 85

« Mon cher ami,

« Le ministre vient de décider qu'un bataillon de la légion

étrangère sera envoyé au Dahomey. Vraisemblablement, le

commandement de ce bataillon me sera confié. Je ne serai

fixé définitivement à ce sujet que dans deux ou trois jours,

et, dans le cas où mes suppositions se réaliseraient, je m'em-

barquerais dans les premiers jours d'août.

« J'ai tenu à ne pas attendre le dernier moment pour te

faire mes adieux, les derniers peut-être. Je ne sais quelle corde

vibre en moi, mais j'ai un pressentiment que je dois mourir

dans ce pays, au service de notre chère France.

« Malgré tout, et bien que j'aie huit chances sur dix de ne

pas revenir de cette nouvelle expédition, je ne te cacherai pas

que je suis enthousiaste de partir pour cette expédition loin-

taine, et que, pour le faire, j'ai fait toutes les démarches

possibles.

« Les nombreuses sympathies que j'ai dans l'armée, à tous

les degrés de la hiérarchie, m'en ont facilité la réussite, et,

dans quelques jours, comme je te l'ai dit plus haut, je m'em-

barquerai avec mes huit cents hommes de la légion, chargés de

rappeler le roi Béhanzin au respect de notre drapeau.

« Ce sera pour moi un grand honneur d'être ainsi le premier

Page 90: Le général Dodds

86 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

•et le seul officier de mon grade auquel incombera cette glo-

rieuse mission.

« La campagne que nous allons entreprendre sera des plus

pénibles; il n'y a aucune illusion à se faire à ce sujet.

« La plupart d'entre nous n'en reviendront pas, et, eu

égard à notre nombre et aux difficultés de la guerre dans les

pays intertropicaux, nous pouvons être exposés à de terribles

épreuves militaires.

« Mais tous nous avons le coeur haut, la confiance en nous-

mêmes , et la ferme volonté de justifier la belle réputation de

la légion étrangère et le choix qui lui permet de s'illustrer

sur un nouveau champ d'opérations. Et maintenant, à la

grâce de Dieu! C'est pour la France que nous marchons. »

Page 91: Le général Dodds

VI.

Reprise de la marche sur Abomcy. — Combat de Gbédé (4 octobre). — Le capitaine

Bellamy et le lieutenant Amolot. — Combat de Poguessa (6 octobre). — Pré-

visions de M. Jean Bayol.

Après le combat de Dogha, à la date du 23 septembre, le

colonel Dodds avait adressé au ministre de la marine la dé-

pêche suivante :

« Nous avons eu affaire, dans le combat du 19, à l'élite des

troupes dahoméennes, dont la déroute a été complète : les

fuyards n'ont pu se rallier que deux jours après.

« Toutes les troupes sont actuellement concentrées à Zenon,

sur l'Ouémé, à quinze kilomètres d'Oboa. La cavalerie, dont

le mouvement avait été paralysé par les inondations, a rejoint.

Page 92: Le général Dodds

88 LE GÉNÉRAL DODDS

« La colonne va se porter à la rencontre des Dahoméens. »

Zenon, où avait lieu la concentration des troupes, est un

village situé sur la rive gauche de l'Ouémé, entre Oboa et le

gué de Tohoué, par lequel le coi-ps expéditionnaire devait

traverser la rivière, et à peu près à égale distance de ces deux

points.

Le mouvement en avant fut donc repris presque aussitôt

après le combat de Dogha, dès que la cavalerie eut rejoint, et

avec autant de célérité que le permettait le terrain que Ton

avait à parcourir.

La cavalerie, composée de deux solides escadrons, sous les

ordres'du commandant de Villiers, était en effet destinée à

rendre de très grands services dans cette région de la boucle

• du Niger, couverte de grands herbages non encore défrichés

par les indigènes.

La colonne arriva le 26 septembre auprès d'Oué, au nord

d'Oboa, sur le haut Ouémé, à huit kilomètres au plus du gué

de Tohoué.

Mais, avant de tenter le passage de l'Ouémé et de continuer

sa marche sur Abomey, le colonel Dodds fit exécuter des

reconnaissances par terre et par la rivière.

Le 28, le Corail et YOpale remontèrent la rivière jusqu'à

Tohoué ; nos deux canonnières furent vivement attaquées à la

Page 93: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 89

hauteur d'Unounmen (village indiqué sous le nom de Oumôu-

nou sur la carte de Hansen) par des forces nombreuses em-

busquées sur les deux rives. Les canonnières, qui avaient à

bord chacune une section de la légion étrangère, ripostèrent

vigoureusement et firent subir à l'ennemi des pertes très sé-

rieuses. Les Dahoméens étaient donc en force sur la rive droite

de l'Ouémé, ce qui semblait indiquer que le passage du fleuve

serait vivement disputé. Nous allons voir qu'il n'en fut

rien.

Les canons-revolvers (malheureusement en nombre trop

restreint) qui armaient les canonnières embossées sur le

fleuve, facilitaient beaucoup les mouvements de la colonne

expéditionnaire, qui, le 1er octobre, s'était avancée jusqu'à

Avangitomé, localité que la carte de Hansen désigne sous le

nom d'Avananiamey.

Il est bon de remarquer, à l'occasion de ces différences de noms

pour une même localité, que le colGnel s'avançait maintenant

dans une région pour ainsi dire encore inexplorée des Euro-

péens et dont la topographie nous était fort peu connue ; car

nos relations avec lés Dahoméens ne nous avaient jamais

permis de l'explorer scientifiquement.

Le passage de l'Ouémé fut effectué le 2 octobre sans oppo-

sition de la part des Dahoméens, qui, à la suite des reconnais-

Page 94: Le général Dodds

90 LE GÉNÉRAL DODDS

sances du 28 septembre, s'étaient retirés à Poguessa, à une

dizaine de kilomètres du fleuve, dans .l'intérieur des terres,

dans une position assez forte défendue par de l'artillerie, — des

canons Krupp se chargeant par la culasse, fournis à Béhanzin

par des traitants allemands de Whydah.

Après avoir franchi le gué de Tohoué, le colonel employa la

journée du 3 octobre à ouvrir une route qui pût lui permettre

de tourner les ouvrages de défense que les Dahoméens avaient

élevés devant lui. Ceux-ci cherchèrent à le prévenir. En effet,

dès le lendemain, au moment où il faisait exécuter à ses

troupes le mouvement tournant en question, nos soldats

furent attaqués par l'ennemi à deux kilomètres du village de

Gbédé.

Les dispositions de combat furent rapidement prises,

malgré les nombreuses difficultés que présentait le terrain,

et, après un engagement très vif, car l'attaque des Dahoméens

fut très violente, l'armée de Béhanzin fut encore une fois mise

en déroute et forcée de prendre la fuite.

Voici d'ailleurs le télégramme par lequel le ministre de la

marine fut informé de ce nouveau succès de nos énergiques et

vaillants soldats :

« La journée du 3 octobre avait été employée à ouvrir une

route sous bois, grâce à laquelle la colonne a pu déborder

Page 95: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 91

l'ennemi et, malgré une brousse épaisse, se déployer avant de

recevoir le choc des assaillants.

« Un combat très vif s'est engagé et a duré une heure ; l'en-

nemi, vigoureusement reçu et repoussé, s'est enfui, poursuivi

par nos feux.

« Quoiqu'il soit impossible de se rendre compte d'une façon

complète des pertes de l'ennemi, la recherche des cadavres

étant difficile dans la brousse, on a cependant pu compter

deux cents cadavres, dont vingt amazones tombées à dix pas

de nos lignes, et on a ramassé deux cents fusils à tir rapide.

« Après quelques heures de repos, la colonne a repris sa

marche et a pris position, le soir, près du village de Po-

guessa.

« La manoeuvre du 4 a ainsi permis au colonel Dodds de

tourner et de faire tomber les lignes de défense, très fortes,

accumulées autour de Tohoué et de Poguessa.

« Nos pertes sont de huit tués : cinq Européens et trois

tirailleurs sénégalais; nous avons trenfe-trois blessés : vingt

Européens et treize indigènes. »

Un autre télégramme, expédié de Porto-Novo peu après

celui qu'on vient de lire, donnait des renseignements plus

complets'sur le combat-du 4 octobre. Le voici encore dans son

entier •

Page 96: Le général Dodds

92 LE GÉNÉRAL DODDS

c Porto-Novo, 7 octobre, 9 heures du matin.

« Un grand combat a été livré le 4 octobre, à neuf heures du

matin, entre la colonne expéditionnaire et l'armée dahoméenne.

qui était forte de dix mille guerriers et possédait dix canons

Krupp se chargeant par la culasse.

« Après trois heures d'un combat acharné, les Dahoméens

ont été mis en complète déroute. Ils ont fui vers le nord, en

laissant un nombre considérable de cadavres et de nombreuses

armes à tir rapide de système allemand. Les obus trouvés sur

le champ de bataille portent la marque Krupp.

« Nous avons eu neuf tués, dont le capitaine Bellamy, capi-

taine au 6° régiment d'infanterie de marine, détaché aux

tii ailleurs sénégalais, et le lieutenant Amelot, du 2° régiment

de la légion étrangère, et trente-deux blessés, parmi lesquels

le capitaine Lasserre (1), de l'artillerie de marine, commandant

une colonne, et les lieutenants Ferradini, du 4° régiment d'in-

fanterie dé marine, attaché à Tétat-major, du colonel Dodds,

et Bosano, lieutenant au 4e régiment d'infanterie de marine,

détaché aux tirailleurs sénégalais, déjà blessé dans une précé-

dente rencontre, tous les trois grièvement atteints.

(1) Voir à l'Appendice, à la fin du volume : IV. — UN ÉLOQUENT DISCOURSDE

M. CAVAIGNAC.

Page 97: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 93

« La colonne se trouve actuellement à Poguessa, sur la

route d'Abomey.

« Béhanzin assistait à la bataille; il a fui le premier.

« Les Dahoméens ont montré une grande bravoure et une

force de résistance incroyable. Des amazones se sont fait tuer

à dix mètres du carré. »

Après le combat, le colonel Dodds fit prendre quelques

heures de repos à ses soldats, puis la colonne se remit en

marche : dès le 4 octobre, dans la soirée, elle campait auprès

du village de Poguessa, où allait se livrer une bataille décisive.

Deux officiers français avaient trouvé une mort glorieuse

dans le combat de Gbédé, le capitaine Bellamy et le lieutenant

Amelot.

Le capitaine Bellamy, de l'infanterie de marine, qui n'était

âgé que de trente-trois ans, avait été un des plus brillants

élèves du lycée de Rennes et était entré à Saint-Cyr en 1880,

dans un très bon rang. Son père, médecin à Saint-Brieuc, a

encore un fils, médecin comme lui et établi à Saint-Brieuc. Le

capitaine Bellamy avait épousé à Dinan M"e Thérèse Even,

fille d'un avoué. Sa jeune veuve était sur le point d'être mère

lorsqu'il tomba mortellement frappé au Dahomey.

Quant au lieutenant Amelot, de la légion étrangère, il avait

cessé d'appartenir à l'armée lorsque fut décidée l'expédition

Page 98: Le général Dodds

94 LE GÉNÉRAL DODDS

contre Béhanzin. Il avait, en effet, donné sa démission pour

pouvoir se marier, sa femme ne possédant pas la dot régle-

mentaire. Mais, lorsque fut formé le corps expéditionnaire du

Dahomey, le lieutenant avait instamment demandé à re-

prendre du service et il avait été admis à le faire au titre

étranger. Dès que la nouvelle de sa moii: fut parvenue en

France, le ministre de la guerre envoya à Montmartre, où

elle demeurait, un de ses officiers d'ordonnance présenter ses

sympathiques condoléances à la malheureuse veuve du valeu-

reux officier mort pour la France.

Les hostilités se trouvaient maintenant sérieusement enga-

gées, et la colonne expéditionnaire allait avoir à soutenir

presque chaque jour de sanglants combats contre les Daho-

méens. Béhanzin faisait, en effet, tous ses efforts pour arrêter

notre marche sur Abomey et pour faire écraser par la mul-

titude de ses soldats notre petite colonne expéditionnaire, car

il comprenait fort bien que si nous réussissions à nous emparer

de sa capitale, c'en était fait de sa puissance et de son prestige.

— peut-être même de sa vie. Il sentait également la nécessité

de remonter le moral de ses soldats, qui commençaient, au dire

des prisonniers restés entre nos mains, à se démoraliser sé-

rieusement, à la suite de cette première série d'échecs qu'ils

venaient de subir.

Page 99: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 95

Les journées des 5 et 6 octobre furent employées autour de

Poguessa, par le colonel Dodds, à ouvrir une route à travers

la brousse et à lancer de nombreuses reconnaissances dans

toutes les directions. Le commandant Gonnard, qui dirigeait

Tune d'elles, fut même attaqué dans l'après-midi du 6, tout

auprès du camp, par les Dahoméens, en nombre bien supérieur

à celui de sa petite troupe. Mais, promptement soutenu par

des renforts venus du camp, il repoussa l'ennemi, qui éprouva

de grandes pertes. Voici le télégramme par lequel ce nouveau

combat fut annoncé en France :

« Porto-Novo, 9 octobre, 9 heures du matin.

« Le 6 octobre, à trois heures de l'après-midi, la colonne

expéditionnaire a rencontré de nouveau une bande de Daho-

méens, forte de plus cinq mille hommes, derrière la rivière de

Poguessa.

« Un pont fortifié a été enlevé de vive force par une charge

à la baïonnette admirable.

« Après un combat acharné, l'ennemi s'est enfui vers

l'ouest, en abandonnant un grand nombre de cadavres et de

fusils sur le terrain.

« Nos pertes sont de sept morts, dont un lieutenant, et de

vingt-deux blessés, dont le lieutenant Farail.

Page 100: Le général Dodds

96 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

« Le lieutenant Bosano, blessé dans le combat du 4 octobre,

est mort hier à Porto-Novo. »

La dépêche suivante du colonel Dodds complétait ces pre-

miers renseignements et indiquait la marche qu'il allait

suivre :

« Béhanzin, télégraphiait le colonel, avait fortifié quatre

lignes de défense successives; nous avons enlevé les deux pre-

mières. A la suite du combat du 6, la troisième est tombée

entre nos mains sans coup férir.

« La dernière ligne de défense, établie àSabovi, à douze

kilomètres à l'ouest de Poguessa et à mi-chemin entre

TOuémé et Abomey, sera prochainement attaquée par nos

troupes.

« La colonne est largement approvisionnée en vivres et en

munitions par la voie de TOuémé.

« Le moral et la santé des troupes sont excellents. »

A la suite de ce dernier combat, la colonne expéditionnaire

put, le 7 octobre, établir son camp sur la position que l'en-

nemi avait fortement organisée en arrière de Poguessa et dont

elle demeurait maîtresse.

Ainsi donc, il ne semblait maintenant plus rester au colonel

Dodds qu'un seul obstacle à enlever pour être maître de la

route de Kana et d'Abomey, et, par suite, pour s'emparer des

Page 101: Le général Dodds

Les journées des ti et G octolire furent employées à lancer de

nombreuses reconnaissances.

Page 102: Le général Dodds
Page 103: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 99

deux capitales (religieuse et politique ) du royaume. La démora-

lisation, des troupes de Békanzin paraissait devoir lui faciliter

cette tâche, et déjà, en France, on considérait généralement

comme fort prochaines la fin de la campagne et la défaite

irrémédiable et complète de Béhanzin. Nous allons voir que

Von se faisait encore une certaine illusion à cet égard — du

flioins au sujet du temps nécessaire pour arriver à ce résultat

— et que notre valeureuse colonne expéditionnaire eut encore

à supporter bien des fatigues et à déployer plusieurs fois son

héroïsme avant de remporter la victoire finale.

Quelques personnes cependant, mieux informées que la

généralité du public, essayaient parleurs écrits de réagir contre

cette tendance à croire que l'expédition du Dahomey pouvait

être considérée comme terminée à bref délai; — entre autres

M. Jean Bayol, l'ancien lieutenant-gouverneur du Sénégal,

que nous avons déjà eu l'occasion de citer, qui écrivait au com-

mencement du mois d'octobre :

« Après leur défaite à Gbédé, le roi Béhanzin et les débris

de son armée ont préféré laisser ouverte la route qui conduit

à Abomey par Kana, et aller se concentrer entre Tohoué et

Agouy, qui est le camp retranché, la véritable ville forte du

royaume. Il est incontestable que la réserve des troupes daho-

méennes doit se trouver, sur ce point, prête à tenter un dernier

Page 104: Le général Dodds

100 LE GÉNÉRAL DODDS

effort; prête également à franchir l'Ouémé et à se retirer avec

le roi, soit dans les montagnes escarpées du pays des ~Mahis,

soit à se rendre à Ganagoumé, dans le nord-est dAgouy, où

se trouve une résidence royale.

« Il m'est permis, connaissant le caractère opiniâtre et or-

gueilleux du roi Béhanzin, de supposer qu'il ne voudra pas

encore se déclarer vaincu. Un nouvel effort sera peut-être

nécessaire de la part du colonel Dodds et de ses héroïques

troupes. Mais cet effort sera couronné de succès, et le colonel

Dodds, après être sorti des fourrés épais qui avoisinent les

rives de l'Ouémé, fourrés où il est nécessaire de s'ouvrir une

route avec le sabre d'abatis, débouchera avec sa colonne dans

une vaste plaine au sol dur, à peine boisée, qui le conduira

dans les environs de la capitale dahoméenne, Abomey, la ville

construite par les ancêtres du roi actuel sur le ventre de leui

ennemi, et dont la première muraille a été faite avec de l'argile

pétrie dans le sang humain.

« En supposant que le roi Béhanzin, qui ne voulait pas

admettre la possibilité d'une défaite dans un conflit avec la

France, ait songé depuis deux ans à fortifier sa capitale, je ne

pense pas que les murailles protectrices faites avec des barres

d'argile (argile séchée au soleil) puissent résister à l'artillerie

puissante que le colonel a à sa disposition. Les artilleurs de

Page 105: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 101

marine ont fait leurs preuves dans le Soudan avec le général

Desbordes, le colonel Archinard et le colonel Humbert. Des

tatas d'un mètre cinquante d'épaisseur ont été éventrés, et nos

troupes sont passées hardiment par la brèche. Les remparts

d'Abomey et les maisons fortifiées de Kana ne tiendront pas

un quaii: d'heure devant nos obus.

« Ni Kana ni Abomey ne sont des forteresses sérieuses

comme on en rencontre dans les pays musulmans ou féti-

chistes du Soudan français. Nous pouvons, avec un chef

comme le colonel Dodds, prévoir la prise d'Abomey. Seule-

ment, au sud d'Abomey, entre Agrimey et Onagbo, existe un

marais immense où nos troupes ne sauraient s'aventurer avant

la fin du mois de décembre. Un fleuve de vase, où le piéton

s'enfonce jusqu'à la ceinture, sert de rempart entre le pays

d'AUada et la capitale. Le colonel Dodds a évité cet obstacle

en prenant la route de Poguessa; mais si Béhanzin, vaincu,

n'est pas tué par ses sujets, ou si le roi actuel, dépossédé, est

remplacé par un de ses nombreux frères, une résistance sé-

rieuse peut s'organiser dans les environs de la Lama (fleuve de

vase).

« Le pays qui s'étend au sud de cette défense naturelle est

excessivement boisé et des plus pittoresques. Les arbres de

première grandeur, benténiers, caïcedrats, ficus, palmiers à

Page 106: Le général Dodds

102 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

huile, lianes, caoutchouc, fougères gigantesques, forment une

forêt impénétrable, à travers laquelle les Dahoméens ont tracé

une seule route bien entretenue, mais des bords de laquelle,

garnis de fourrés inextricables, un ennemi déterminé peut

écraser une colonne en marche.

« Le colonel Dodds, qui a donné de si grandes preuves de

son habileté, saura la conduite qu'il doit tenir. Je suis heu-

reux, pour ma part, que ce soit à ce colonel, aussi modeste

qu'énergique, qu'ait été dévolu l'honneur de venger les nom-

breuses insultes faites au pavillon national par le roi du

Dahomej»-. »

Nous allons voir dans les chapitres qui suivent que plusieurs

des prévisions de M. Jean Ba3rol se sont réalisées.

Page 107: Le général Dodds

VIL

Toujours en avantî — Série de combats (12, 13, 14 et 15 octobre). — Le comman-

dant Marmet. — Passage de la rivière Koto. — Prise des forts de Kotopa et de

Muako. — Prise de Kana (4 novembre).

A la suite du combat du 6 octobre, l'armée dahoméenne

tout entière s'était concentrée à Sabovi, pour tenter d'arrêter

la colonne expéditionnaire. Le colonel précipita sa marche pour

la déloger de cette position : il n'en eut pas la peine. En effet,

après avoir infligé, le 8 octobre, une nouvelle défaite aux

postes avancés de l'ennemi, il trouva, deux jours plus tard, la

position de Sabovi complètement évacuée par les soldats de

Béhanzin.

Sabovi fut immédiatement occupé par nos troupes. Les

Page 108: Le général Dodds

104 LE GÉNÉRAL DODDS

approvisionnements laissés par les Dahoméens dans les.

camps et sur la route témoignaient d'une grande précipi-

tation dans leur retraite.

La colonne continua son mouvement en avant aussi préci-

pitamment que le lui permettait la nature du terrain. Le 12,

au delà de Ouébomédi, elle rencontrait encore des avant-postes

ennemis, les culbutait et poursuivait sa marche.

Voici d'ailleurs en quels termes ces derniers événements

étaient annoncés en France par le télégraphe :

« C'est le 10 octobre que les cantonnements de Poguessa

furent quittés par la colonne expéditionnaire, qui était clans

l'intention d'attaquer Sabovi. Mais les positions étaient aban-

données par les troupes dahoméennes.

« Des reconnaissances furent alors effectuées, et la colonne,

la route étant libre, continua de. marcher jusqu'à Kouloupa,

où le campement de nuit fut établi.

« Ouébomédi fut atteint le lendemain, toujours sans tirer

un coup de fusil.

« Cependant, le 12, deux compagnies étant allées en recon-

naissance, signalèrent', lors de leur retour, la présence des

troupes de Béhanzin massées à dix kilomètres de Kana, près

d'Akpa, derrière des retranchements hâtifs s'appuyant sui-

des marécages.

Page 109: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 105

« Aussitôt le colonel Dodds engagea l'attaque, enlevant tout

d'abord les grand'gardes de l'ennemi.

« La lutte fut rude, et le combat ne se termina qu'à la nuit

tombante. A ce moment, nos braves soldats étaient maîtres

de toute la première ligne, et les Dahoméens affolés s'en-

fuyaient, abandonnant leurs dernières positions ainsi que les

cadavres, très nombreux, et les blessés.

« De notre côté, nous comptions environ une vingtaine de

blessés, parmi lesquels un officier ; quatre soldats ont été

tués. »

La lutte fut rude en effet le 12 octobre ; mais l'ardeur et

l'héroïsme de nos troupes vinrent à bout de la résistance

acharnée qui leur était opposée. Voici un trait du clairon

Daudart qui en donnera une idée :

Pendant le combat, le clairon Daudart sonnait la charge au

moment où nos troupes faisaient une attaque furieuse à la

baïonnette; atteint sérieusement à la jambe par une balle, il

n'arrêta pas pour cela sa sonnerie guerrière. Le courageux

clairon sonna toujours jusqu'au moment où, les forces lui

manquant, il s'affaissa sur les mains et dut se laisser emporter

à l'ambulance.

Un obus dahoméen vint tomber ce jour-là parmi les por-

teurs de la colonne, et, en éclatant, fit sauter une caisse de

Page 110: Le général Dodds

106 LE GÉNÉRAL DODDS

cartouches Lebel ; trois porteurs furent tués et plusieurs

autres grièvement blessés par cette explosion.

Les 13, 14 et 15 octobre, nouveaux combats, dont le colonel

Dodds rendait compte au ministre de la marine dans le télé-

gramme suivant :« Akpa, le 17 octobre.

« Nous avons continué notre marche en avant les 13, 14 et

15 octobre.

« Le 13, après avoir tourné par le nord une position ennemie

à cheval sur la route, nous avons occupé un camp important

précipitamment évacué par les Dahoméens.

« Le 14, notre bivouac, porté au nord du village de Koto,

est attaqué par l'ennemi, qui est repoussé.

« Le 15, deux attaques successives de l'ennemi sont repous-

sées ; à- la seconde, les Dahoméens, pris entre les feux croisés,

ont été rejetés avec des pertes considérables.

« De notre côté, nous avons perdu, dans les divers combats

des journées des 13, 14 et 15 octobre, dix-huit tués, dont un

officier, et quatre-vingt-cinq blessés, dont six officiers.

« Le 16, nous avons établi notre bivouac à l'est d'Akpa.

« Dès que j'aurai achevé notre ravitaillement en vivres et en

munitions, j'attaquerai la ligne de la rivière Koto, qui protège

les forces dahoméennes, successivement battues par nous ces

Page 111: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 107

jours derniers, et avec lesquelles la garde particulière de

Béhanzin est actuellement campée. »

« La colonne expéditionnaire, télégraphiait de son côté le

correspondant du Temps à la date du 20 octobre, après avoir

livré de nombreux combats entre Oubomédi et Akpa, dans

les journées des 12, 13, 14 et 15, s'est établie dans un camp

fortifié, à deux kilomètres de Kotopa. Le reste de l'armée

dahoméenne, six mille hommes environ, campe derrière le

Koto, petite rivière coulant de l'est à l'ouest, à un kilomètre

de Kotopa.

« Depuis le 16, il ne s'est produit aucune attaque. Le colonel

a pu évacuer tous les blessés et les malades, et continuer son

ravitaillement. Il attend dans de très bonnes positions les

renforts arrivant de différents points de la colonie. On espère

que la ville d'Abomey, située à quinze kilomètres environ

du camp français, sera occupée prochainement.

« Nous avons perdu, dans les derniers combats, le capitaine

Marmet, officier d'ordonnance du colonel Dodds, et quinze

hommes. Nous avons quatre-vingt-cinq blessés, dont les

commandants Stefani et Villiers, les capitaines Battréau et

Fonssagrives, les lieutenants Cornetto, Passaga, Kieffer,

d'Urbal, Grandmontagne et Gelas. Ce dernier est mort des

suites de ses blessures. »

Page 112: Le général Dodds

108 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

Le capitaine Marin et, tué dans les environs d'Oubomédi,

venait précisément d'être nommé chef de bataillon pour sa

brillante conduite au Dahomej'- : sa nomination parut au

Journal officiel presque en même temps que la nouvelle de sa

mort. Le commandant Marmet était âgé de trente-trois ans ;

promu sous-lieutenant le 1er octobre 1881, à sa sortie de l'école

de Saint-Cyr, il était lieutenant le 10 octobre 1883 et capitaine

le 31 décembre 1884. Le décret qui le nommait chef de

bataillon porte la date du 8 octobre 1892.

Le commandant Marmet, né à Nîmes, où habite toute sa

famille, n'était marié que depuis deux ans avec la fille d'un

ancien député du Gard : au moment où elle devint veuve,

M1™ Marmet était mère d'un jeune enfant d'un an. Un des

frères du commandant, sergent-major d'infanterie de marine,

étaitmox't au Tonkin quelques années auparavant.

« La colonne si brillamment dirigée par le colonel Dodds,

écrivait un de nos plus distingués publicistes-, après la récep-

tion des télégrammes annonçant ces derniers combats,

s'avance avec quelque lenteur vers Kana, la ville sainte, ê.

vers Abomey, la ville royale. Nous sommes loin de nous

plaindre de cette lenteur qu'imposent les reconnaissances dans

un pays marécageux au sud-ouest, couvert par la brousse au

nord.

Page 113: Le général Dodds

Le colonel a pu évacuer les Llessos et les malades.

Page 114: Le général Dodds
Page 115: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 111

« Nos troupes ont occupé, le 13 octobre, une position forti-

fiée abandonnée par les Dahoméens. Le 14 et le 15, elles ont

repoussé trois attaques successives de ces nègres dont la résis-

tance, malgré les défaites répétées, peut surprendre. Ces

Dahoméens ont décidément confiance dans la tactique de

défense que leurs éducateurs européens leur ont enseignée.

« Béhanzin s'est établi derrière la rivière Koto, qui se perd

au sud dans un marais. Toutes ses forces et sa garde royale

y sont réunies. Le colonel Dodds va attaquer directement

cette ligne. Sa dépêche nous apprend que c'est la dernière,

d'après les renseignements des fuyards et des prisonniers.

« Béhanzin lutte avec désespoir. Il aura demain dû nous

passer la main. La prudence et l'énergie du colonel Dodds

sont une garantie certaine du résultat.

« Nos troupes sont, en effet, sorties des passages les plus

difficiles. Elles ont pu remonter l'Ouémé, le franchir malgré

tes Dahoméens, qui savaient tirer grand parti de la brousse.

« L'effectif du colonel Dodds campe maintenant au pied du

plateau sur lequel s'élèvent Kana et Abomey. La rivière Koto

reste à franchir. Elle sera franchie comme l'Ouémé l'a

été. »

La ligne de la rivière Koto était bien, suivant l'expression

du colonel Dodds, le dernier retranchement des Dahoméens

Page 116: Le général Dodds

112 LE GÉNÉRAL DODDS

en avant de leurs deux capitales. L'action qui allait s'engager

sur ce point devait donc avoir un cai-actère décisif; mais,

avant de se lancer à fond dans une attaque sérieuse, le colonel

prit le temps de la préparer méthodiquement et s'entoura de

toutes les précautions possibles.

La colonne expéditionnaire campait maintenant à environ

dix kilomètres de Kana. Malgré cette proximité dé la capitale

religieuse du Dahomey, et en dépit des attaques pour ainsi

dire journalières des Dahoméens qui ne cessaient de la har-

celer, l'offensive ne fut reprise que le 25 octobre, quand tout

eut été bien préparé pour la prise de Kana.

« Du 15 au 22, télégraphiait-on de Porto-Novole 31 octobre,

nos soldats, harcelés par un ennemi dix fois supérieur en

nombre, armé de canons et de fusils nouveau modèle, com-

mandé par des Européens et. des métis brésiliens, ont eu à

repousser, à l'arme blanche, des attaques furieuses et ont

livré, victorieusement, neuf combats acharnés.

« Nos troupes, manquant d'eau, sous un soleil ardent, ont

été admirables de courage, d'abnégation, de discipline et

d'entrain. D'autre part, nos porteurs, décimés par l'artillerie

dahoméenne, mourant de fatigue et de privations, se révol-

taient et refusaient tout service. En cette horrible occurrence,

le mot de retraite n'a pas même été prononcé. Le colonel

Page 117: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 113

Dodds, admirable d'énergie et. d'entrain, a donné à ses soldats

l'exemple des plus magnifiques vertus militaires.

« C'est grâce à sa ténacité et aussi à son initiative intelli-

gente et à l'activité si connue du gouverneur Ballot, que le

plus grand succès vient de récompenser tant de sacrifices.

« En effet, en moins de six jours, deux mille porteurs sup-

X>lémentaires et six cents soldats de renfort, rappelés à la hâte

des Popos, de Kotonou et de Porto-Novo. arrivent à Akpa,

conduits par le brave commandant Audéoud.

« La colonne, complètement débarrassée de ses blessés et

malades, reprend l'offensive le 25. Les triples positions forti-

fiées par l'ennemi pour défendre le passage du Koto, ainsi que

les deux forts de Kotopa, sont enlevés à la baïonnette après

deux brillants combats. L'ennemi, évalué à dix mille hommes,

fuit devant nos deux mille braves, nous abandonnant ses

armes, ses munitions et des approvisionnements entrés grandes

quantités. Le colonel poursuit l'ennemi jusqu'à un kilomètre

de Kana et y établit, le 26, son camp. Il évacue alors ses

blessés et attend de nouveaux approvisionnements pour mar-

cher sur Abomey et s'en emparer. »

Ainsi, dans la journée du 26, la colonne expéditionnaire

avait enlevé les retranchements élevés par les Dahoméens en

avant du bras droit de la rivière Koto.

8.

Page 118: Le général Dodds

114 LE GÉNÉRAL DODDS

Le lendemain, l'attaque se porta sur les deux forts de

Kotopa, où Béhanzin avait concentré tous ses moyens de

défense. Ces deux forts, en terre, palissades, étaient armés de

cinq canons Krupp et de quelques mitrailleuses.

L'artillerie de la colonne, composée de trois batteries, put

démonter la plupart des pièces ennemies, que les Dahoméens

réussirent pourtant à retirer.

Le colonel Dodds occupa alors les positions de Kotopa,

situées entre les deux branches de la rivière Koto, tout en se

ï>réparant à marcher sur Kana, après le retour de son convoi

de ravitaillement.

Dans le combat du 26, nous avions eu sept tués, dont deux

officiers (les lieutenants Toulouse, de l'infanterie de. marine, et

Michel, de l'artillerie de marine), et vingt-neuf blessés, dont

deux officiers, qui sont le commandant Viîliers et le capitaine

Crémieu-Foa, des spahis auxiliaires. Ce dernier mourut des

suites de sa blessure (1).-

Le. 27, il y eut trois tués et quarante-quatre blessés, dont le

capitaine Courbettes, de l'infanterie de marine, atteint d'une

blessure très légère.

Les difficultés matérielles que. la colonne avait encore à

(',) Voir-à l'appendice, à la fin du volume : V. — LA. MOri'r- DISK HÉROS.

Page 119: Le général Dodds

ET L'EXPEDITION DU DAHOMEY. 115

vaincre étaient, on le voit, assez considérables. La rivière

Koto, au-devant de laquelle se trouvaient nos troupes après

l'occupation d'Akpa, coule de l'ouest à l'est. Elle a deux bras :

l'un que la colonne franchit dans la journée du 27, l'autre qui

séparait la position de Kotopa, qu'elle occupait alors, du

plateau sur lequel se trouvent Kana et Abomey. Cette

rivière Koto a ses sources précisément sur le plateau d'Abo-

mey.

La colonne ne se trouvait donc pas encore dans la région

débroussaillée et cultivée qui entoure la capitale. Elle avait

encore un nouvel effort à faire pour atteindre le pays décou-

vert, où il lui serait enfin possible d'évoluer à son aise et d'en

finir, une fois pour toutes, avec les contingents quelque peu

démoralisés de l'armée dahoméenne.

La marche en avant ne put pour ce motif avoir lieu qu'après

le retour de la colonne de ravitaillement. Cette colonne, com-

posée de porteurs escortés par cent cinquante à deux cents

soldats, était partie de Kotopa, emmenant les malades et les

blessés sur les ambulances de Porto-Novo. Elle suivit la foute

tracée par la colonne de Kotopa à Gbédé, sur l'Ouémé, et là,

elle transborda les hommes sur les canonnières qui descen-

dirent à Porto-Novo et qui ramenèrent le matériel de guerre

et les vivres. Comme il fallait environ six jours à la colonne

Page 120: Le général Dodds

116 LE GÉNÉRAL DODDS

de ravitaillement (partie du camp le 28 octobre) pour effectuer

son voyage complet, aller et retour, on s'explique que les opé-

rations offensives contre Kana n'aient guère été reprises

qu'après son retour et que la ville sainte ne soit tombée au

pouvoir de nos soldats que le 4 novembre.

Toutefois les hostilités avaient repris avec acharnement dès

le 2 novembre, comme l'indique fort bien le télégramme sui-

vant envoyé le 9 de Kotonou à Paris :

« La colonne poursuit sa marche victorieuse. Les 2, 3 et

4 novembre, des combats acharnés ont eu lieu près de Kana,

et nous avons pu nous emparer le 4 au soir de la ville sainte

des Dahoméens, autour de laquelle ces derniers avaient accu-

mulé des redoutes et des lignes fortifiées. L'ennemi a fait une

défense désespérée.

« Le 2 au matin, nos troupes ont commencé l'action contre

les approches du fort Muako ; la nuit mit fin au combat, qui

recommença le lendemain matin. Malgré l'incessante fatigue,

nos troupes se sont battues avec une nouvelle vigueur.

« Dans la journée, Muako était enlevé à l'assaut. L'ennemi

débandé battait en retraite en laissant des monceaux de

cadavres sur le champ de bataille. Quelques heures après,

cependant, il revenait contre nos lignes avec rage,

« Enfin, grâce au feu meurtrier de nos troupes, la position

Page 121: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 117

a été enlevée. Les Dahoméens ont abandonné beaucoup

d'armes entre nos mains.

« La journée du 4 marqua la fin de cette série de

combats.

« L'armée de Béhanzin, réduite à quinze cents hommes.,

défendit encore quelques positions autour de Kana avec une

énergie extrême, mais dut l'abandonner.

« De notre côté, les pertes s'élèvent pour les deux journées

des 3 et 4 novembre à seize tués et quatre-vingt-trois blessés.

Au nombre des morts se trouve le lieutenant Mercier.

« Les officiers blessés sont : le capitaine d'infanterie Ragot,

le docteur Rouch, les lieutenants Gay, des tirailleurs sénéga-

lais, Menan, Jacob Cani, et les sous-lieutenants Maron, de

l'artillerie, et Mérienne, des tirailleurs haoussas. Le lieutenant

Gay a été frappé à la poitrine ; sa blessure est profonde. Le

docteur Rouch a été atteint au genou.

« Les blessures des officiers et soldats n'ont pas un carac-

tère grave, bien que les Dahoméens, dans la lutte désespérée

qu'ils ont soutenue à Kana, se soient servis de balles explo-

sibles.

« Les troupes ont été merveilleuses d'entrain.

« Le colonel Dodds pousse sa marche sur Abomey, dont il

n'est plus éloigné que de six kilomètres. »

Page 122: Le général Dodds

H8 LE GÉNÉRAL DODDS

Voici maintenant le télégramme par lequel le colonel annon-

çait à notre ministre de la marine ces derniers succès :

« Dioxoué, 7 novembre.

« Le 4 novembre, la colonne a brillamment enlevé le village

Dioxoué et le grand palais du roi.

« Les troupes dahoméennes, maintenant considérablement

réduites, se sont battues avec le courage du désespoir, sous le

commandement de Béhanzin lui-même.

« Nos pertes sont de six tués, dont cinq Européens, et de

quarante-cinq blessés, dont dix-huit Européens, parmi les-

quels quatre officiers. Elles sont dues principalement au tir

des chasseurs dahoméens embusqués, qui visent de préférence

les états-majors, les officiers et les gradés.

« L'entrain des troupes est splendide, et leur conduite est

au-dessus de toute éloge. Je n'ai jamais eu l'honneur de com-

mander à de plus admirables soldats. On peut tout leur

demander.

« Le 5, la colonne a bivouaqué sous les murs de Kana.

Le 6, elle est entrée dans la ville, qu'avaient évacuée les

Dahoméens. »

Le même jour et presque à la même heure, notre ministre

de la marine adressait, de son côté, par le télégraphe, au com-

Page 123: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 119

mandant en chef de l'expédition du Dahomey les félicitations

suivantes :

« Marine à général Dodds.

« Je reçois seulement aujourd'hui votre télégramme du 5.

J'admire avec vous la valeur et l'entrain superbe de vos troupes.

L'éloge que vous en faites est pour elles la première et restera

la plus précieuse des récompenses.

« Le ministre de la guerre, le sous-secrétaire d'Etat aux

colonies et moi adressons de nouveau à vos soldats et à vous

nos plus vives félicitations. »

Page 124: Le général Dodds

VIIL

Abomey et ses environs. — Marche sur Abomey. — Béhanzin demande la paix. —

Négociations à ce sujet. — Rupture des négociations. — Fuite de Béhanzin. —

— Entrée des Français à Abomey (17 novembre).

Kana était maintenant prise et occupée par nous, et l'armée

de Béhanzin se trouvait en complète déroute. Abomey, à son

tour, n'allait pas tarder à tomber au pouvoir de nos soldats, et

la prise de possession de cette capitale allait mettre fin à notre

glorieuse mais pénible campagne de trois mois.

Toutefois, avant de raconter ces dernières opérations mili-

taires , nous allons donner à nos lecteurs de fort intéressants

détails sur Abomey et ses abords, détails qui furent publiés à

Page 125: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 121

Paris, peu de temps avant la prise de cette ville, par un

voyageur qui avait récemment pu pénétrer jusqu'à la capitale

de Béhanzin.

Construite au milieu d'une grande plaine, racontait le

voyageur en question, la ville d'Abomey, si l'on peut ainsi

dénommer cet amas de cahutes en pisé, est défendue au sud

par la brousse, sorte de marécage où, sous la double influence

du soleil et de l'humidité, se.propage une flore parasite d'une

incroyable vigueur : lianes, buissons, hautes herbes, qui

arrêtent la marche, dérobent à l'oeil la présence des fondrières

et abritent une faune pullulante de reptiles et d'animaux

sauvages, depuis le rat palmiste jusqu'au chat-tigre d'une

taille exceptionnelle.

Les oiseaux de l'ordre des rapaces, tels que l'aigle et le

vautour, y chassent le poil et la plume, la gazelle élancée et

les passereaux aux couleurs chatoyantes, tels que le bengali

azuré et l'innombrable variété des colibris, ces pierres pré-

cieuses de l'air.

Il y a à Abomey quatre saisons distinctes : celle des grandes

pluies, du 15 mars au 15 juillet; la petite saison sèche, du

15 juillet au 15 septembre; la petite saison des pluies, qui va

jusqu'au 1er décembre ; et la grande saison sèche, qui se pro-

longe jusqu'au 15 mars.

Page 126: Le général Dodds

122 LE GÉNÉRAL DODDS

Durant les grandes pluies, la brousse prend un développe-

ment contre lequel le noir indolent ne tente même pas de

réagir; puis, lors de la grande saison sèche, la terre saturée

d'eau se tarit, se fendille, les herbes se dessèchent et recouvrent

bientôt le sol de débris fertilisants. Le soleil règne en

maître.

Abomey s'élève au milieu d'une oasis de bombax et de

palmiers. Douze grandes portes, dépourvues de tout ornement,

construites en un pisé sorti des vases de la brousse, y donnent

accès. On se trouve ensuite devant un fossé plein d'eau, mais

à sec durant la saison chaude. Du côté de la ville, il est bordé

par une palissade très serrée. A ses pieux aigus on accroche

des têtes, après les razzias.

Le palais des rois de Dahomey occupe une superficie d'environ

trois kilomètres, en y comprenant les dépendances. Entouré

d'un mur en terre, il foi-me une seconde ville forte au milieu

de la ville proprement dite.

Il se compose d'une cinquantaine de cases, dont vingt

sont consacrées au harem royal. Elles sont sommairement

meublées d'un lit d'osier, d'un mortier avec son pilon, taillé

dans un tronc de bombax, et qui sert à piler l'akassa, le mets

national par excellence.

La case de Béhanzin est plus confortablement installée, avec

Page 127: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 123

des meubles européens, cadeau des traitants intéressés à se

faire bien venir du royal marchand de chair humaine.

Les rues, fort étroites à cause du soleil, s'enchevêtrent les

unes dans les autres, formant une sorte de labyrinthe, facile1-

ment défendable contre l'infanterie. Elles sont bordées de

huttes construites en dehors de toutes les règles de l'ali-

gnement.

Presque toutes ces huttes sont entourées d'une varangue ou

véranda, sous laquelle les riches habitants font la sieste dans

des hamacs ou.sur des nattes, aux heures où l'ardeur du soleil

interdit toute occupation. Les enfants s'y ébattent, pendant

que les mères font la cuisine en plein air.

Les toits de ces huttes sont en chaume et très pointus.

Quelques obus au pétrole suffiraient pour faire un immense

brasier de la capitale de Béhanzin.

Répartie dans un millier de huttes rectangulaires, la popu-

lation peut s'élever au plus à cinq ou six mille nègres des deux

sexes, vivant pêle-mêle avec les brebis qui sont les vaches

laitières du paj^s, des phacochères, des porcs minuscules,

souvent ladres, et des chiens assez nombreux, au poil roux et

galeux, mais jusqu'ici exempts de la rage, ce présent de la

civilisation.

Tel est, dans son ensemble, ce repaire du sanguinaire

Page 128: Le général Dodds

124 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

Béhanzin, dont les primitifs moyens de défense ont été depuis

peu renforcés par des fortifications en terre, élevées selon les

règles de la fortification moderne, avec l'aide et par les conseils

des Allemands. Elles obligeront le chef de notre expédition à

procéder méthodiquement à leur destruction, au lieu d'enlever

la place par un coup de main hardi. D'où le retard apporté à

l'attaque définitive qui doit mettre fin à la campagne.

Revenons maintenant à la colonne expéditionnaire que nous

avons laissée à Kana, à la fin du chapitre précédent.

La prise de Kana produisit une impression immense dans le

paj^s des Egbas, soumis depuis de longues années aux incur-

sions sanglantes des Dahoméens : le grand marché noir

d'Abéokouta célébra même par de longues réjouissances la

destruction du grand ennemi héréditaire des Egbas.

A la suite de la chute et de la destruction de Kana, livrée

aux flammes par le colonel Dodds, Béhanzin s'était enfermé

dans Abomey avec les derniers de ses soldats, réduits à douze

ou quinze cents. Une prompte attaque de vive force contre la

capitale dahoméenne aurait certainement réussi ; il n'y avait

pas à douter du succès. Mais la colonne expéditionnaire

comptait de nombreux malades ; par suite, l'effectif des

colonnes d'attaque se trouvait fort réduit ; ce qui, évidemment,

pouvait faire accroître le nombre des soldats mis hors de

Page 129: Le général Dodds

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Page 130: Le général Dodds

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Page 131: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 127

combat. Dans ces conditions, le général Dodds (1), toujours

prudent et ménager de la vie de ses hommes, préféra attendre

l'arrivée de renforts qui lui étaient annoncés, pour porter le

dernier coup à Béhanzin. Il ne s'avança donc que lentement

contre Abomey.

La marche sur la capitale dahoméenne fut reprise le surlen-

demain de la prise de Kana, c'est-à-dire le 8 novembre, après

avoir procédé à l'évacuation des blessés et avoir reçu un convoi

de munitions et de vivres.

Le d3, les escadrons de spahis reconnurent les abords

immédiats de la place et débusquèrent de très faibles partis

de Dahoméens placés dans des embuscades, à quelques cen-

taines de mètres des murailles. Ils enlevèrent même quelques

prisonniers, qui furent interrogés par le général Dodds.

Ces noirs affirmèrent au commandant du corps expédition-

naire que Béhanzin ne possédait plus avec lui, dans Abomey.

(1) Nous avons vu dans le chapitre III que le colonel Dodds fut promu général <b-

brigade par arrêté du 9 novembre 1892. Cette promotion lui fut notifiée par le

télégraphe à la suite de la prise de Kana. D'ailleurs, les étoiles de brigadier n'étaient

point une récompense sérieuse et suffisante de ses excellents services; car, on s'en

souvient, il se trouvait en tête du tableau d'avancement au moment de son départ

pour le Dahomey. Aussi le général Dodds reçut-il également une promotion dans la

Légion d'honneur: il fut fait peu après grand-officier de notre ordre nati*nal.

Page 132: Le général Dodds

128 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

que douze cents hommes, dont une grande partie était formée

par les prêtres chassés de Kana.

Ces derniers avaient fanatisé ce qui restait de l'armée

du Dahomey, à un tel point que ces derniers soldats avaient,

juré de se faire tuer jusqu'au dernier, plutôt que de fuir dans

l'Ouest, pour se réfugier dans le pa3's de Togo. Béhanzin se

trouvait même le prisonnier de ces fanatiques, qui l'avaient

menacé de mort, s'il essayait de se soustraire à ses devoirs de

chef.

Comme confirmation des renseignements fournis par les

noirs, le général reçut bientôt une longue lettre de Béhanzin,

apportée au camp par une femme, par laquelle ce dernier

demandait à capituler. Il offrait comme principales conditions

l'abandon à la France de tout le littoral, avec ses lagunes,

compris entre nos colonies de Kotonou et de Porto-Novo ; il

pnyposait ensuite au général Dodds de lui payer une contri-

bution de quinze millions de francs, destinée à couvrir les

dépenses de la campagne que nous avions été forcés d'entre-

prendre contre lui.

Mais, d'après le dire de soldats malades ramenés par ce

convoi, il paraissait évident qu'il serait fort difficile à Béhanzin

d'exécuter les clauses de sa capitulation, car il était très pro-

bable que les derniers défenseurs qui l'entouraient ne lui en

Page 133: Le général Dodds

Interrogatoire des prisonniers.

Page 134: Le général Dodds
Page 135: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 131

laisseraient point la faculté, d'après leurs formelles menaces

de mort.

Toutefois, le général Dodds eut le scrupule de ne pas re-

pousser sans explication les avances de Béhanzin. Il lui fit

savoir que, pour consentir à une suspension des hostilités, il

lui fallait des garanties sérieuses : il réclama, comme garanties,

la livraison des mille fusils à tir rapide et de l'artillerie des

Dahoméens et le versement immédiat de l'indemnité de

quinze millions. Béhanzin répondit en offrant seulement cent

fusils et la moitié des canons, et en déclarant qu'il ne pouvait

pas verser immédiatement l'indemnité offerte par lui. Dans

ces conditions, les pourparlers furent rompus, et le général

Dodds, qui venait de recevoir les renforts attendus, prépara

tout pour l'attaque finale.

Pourtant, avant d'ordonner l'assaut, le général envoya de

nouveau un prisonnier au roi Béhanzin. Il lui faisait annoncer

par cet envoyé la destruction complète de Kana par les

flammes, et il sommait Béhanzin de se rendre sans con-

dition.

Béhanzin renvoya, le lendemain, au camp français le même

émissaire avec sa réponse. Il informait le général Dodds que

les Français, s'ils pénétraient dans Abomey, trouveraient la

capitale abandonnée par ses soldats et par ses habitants.

Page 136: Le général Dodds

132 LE GÉNÉRAL DODDS

Cette dernière réponse fit comprendre au général qu'il n'y

avait plus lieu de retarder l'action. Dans la matinée du 17, il

disposa ses colonnes d'attaque. Les premières troupes qui arri-

vèrent contre l'enceinte fortifiée ne rencontrèrent aucune

résistance. Bientôt après, elles pouvaient pénétrer dans la

ville.

Comme l'avait dit Béhanzin, Abomey était abandonné.

En s'enfuyant, les Dahoméens avaient laissé derrière eux

un nombreux butin, parmi lequel fut trouvé le trône en or de

Béhanzin, que le général Dodds fit envoyer à Porto-Novo

pour l'offrir au roi Toffa, notre allié.

Le roi Toffa, aussitôt notre entrée à Abomey, avait d'ailleurs

été chargé d'envoyer dans tout le pays des messagers pour

avertir les populations que les hostilités étaient terminées

et pour engager les Dahoméens jusque-là demeurés

fidèles à Béhanzin à faire sans retard leur soumission à la

France.

Au moment où Abomey tombait ainsi au pouvoir de nos

soldats, le général Dodds recevait de France le nouveau télé-

gramme de félicitation suivant :

« Marine à général Dodds,

« La Chambre des députés, après un vote unanime, et sans

Page 137: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 133

attendre l'issue qu'elle espère de la campagne conduite par le

général Dodds au Dahomey, associe ses félicitations à celles

que le gouvernement lui a envoyées déjà, ainsi qu'à ses

vaillantes troupes. »

Pendant que notre colonne expéditionnaire entrait dans

Abomey et prenait possession du grand palais sur lequel étaient

aussitôt arborées les trois couleurs nationales, Béhanzin,

fuyant devant nos reconnaissances, se retirait à trois jours de

marche au nord de sa capitale avec les débris de son armée.

Mais, avant d'abandonner Abomey, il avait brûlé tous ses

palais, ainsi que les maisons des princes et des chefs, afin de

les forcer à le suivre.

Le roi noir n'était d'ailleurs accompagné que de très peu de

soldats ; son armée, déjà cruellement décimée par le feu de nos

troupes, s'était encore considérablement réduite à la suite de

chaque défaite successive par les désertions, conséquence de la

démoralisation qui, à la fin, était devenue fort grande parmi

ses guerriers. Il n'était plus entouré que de quelques centaines

d'hommes, lorsqu'il prit la direction du nord et s'enfonça de

plus en plus dans les régions encore inexplorées et inconnues

qui bornent de ce côté le royaume du Dahomey et dans

lesquelles on perdit ses traces.

Page 138: Le général Dodds

134 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

Comme il n'était pas possible de l'y suivre, on le laissa

aller cacher la honte de sa défaite dans ces vastes contrées

inconnues (1).

(1) Voir à l'Appendice, à la fin du volume : Vif. — UNE NOUVELLE CAMPAGNE AU

DAHOMEY.

Page 139: Le général Dodds

IX.

La nouvelle de l'entrée à Abomsy à la Chambre des Députés et au Sénat. —

Rentrée triomphale à Porto-Novo. — Occupation de Whydah et des villes du

littoral. — Vive et forte impression causée aux Dahoméens et aux noirs de la

côte par les continuels succès de nos soldats. — Organisation provisoire du

Dahomey sous le protectorat de la France.

Dès que la nouvelle de l'entrée de nos troupes à Abomey fut

parvenue au ministère de la marine, notre gouvernement

tint adonner immédiatement connaissance à la Chambre des

députés et au Sénat du magnifique succès final de notre expé-

dition du Dahomey. M. Burdeau, ministre de la marine, fut

chargé par ses collègues de cette agréable mission. Il com-

mença par la Chambre des députés.

Page 140: Le général Dodds

136 LE GÉNÉRAL DODDS

« Par une dépêche qui nous est parvenue cette nuit, dit-il,

et que le gouvernement, suivant une règle constante, s'est

hâté de publier, le général Dodds nous apprend qu'à la date

du 17 novembre, les Français sont entrés dans Abomey.

{Applaudissements.) Le drapeau français flotte sur le palais du roi

Béhanzin. (Applaudisscmenls.)

« Ainsi un coup décisif a été porté à une royauté sangui-

naire, fondée sur l'esclavage et sur les sacrifices humains.

(Très bien! très bien!)

« La France a fait respecter à la fois son drapeau, vengé des

traités qui n'étaient pas obéis, après avoir été librement con-

sentis , et défendu la civilisation. (Très bien ! très bien!)

« Le Parlement a déjà manifesté son admiration pour la

vaillante conduite de ces troupes, dirigées par un officier aussi

sage qu'énergique, le général Dodds. »

« Le gouvernement, ajouta le ministre, a pensé être l'in-

terprète du Parlement en lui proposant deux projets de loi,

dans le but de créer une médaille commémorative du Dahomey

et de concéder des décorations supplémentaires. »

La Chambre décida aussitôt de procéder d'urgence à la

discussion de ces deux projets de loi, qui furent immédiate-

ment votés, pour ainsi dire, par acclamation.

Le ministre de la marine se rendit alors au Sénat, pour y

Page 141: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 137

faire la même communication, et pour demander à la haute

Assemblée de vouloir bien sanctionner sans retard le vote de

la Chambre des députés. Mais la nouvelle de nos derniers

succès avait déjà été patriotiquement proclamée à la tribune

du Sénat par M. Halna du Fretay, qui avait en outre de-

mandé à ses collègues un vote de félicitations pour nos soldats

entrés à Abomey.

« Messieurs, avait dit l'honorable sénateur, aujourd'hui

qu'il est officiellement confirmé que notre vaillante colonne

expéditionnaire est entrée victorieuse à Abomey, je pro-

pose au Sénat d'envoyer ses félicitations aux braves sol-

dats, si brillamment conduits par le général Dodds, qui ont

eu à vaincre, pour obtenir ce glorieux résultat, des obstacles

insurmontables. » (Vive approbation. — Applaudissements unanimes.)

M. Le Royer, président de la haute Assemblée, s'empi-essa

d'associer le Sénat à cette patriotique pensée :

« Le Sénat tout entier, dit-il, s'associe à la proposition dont

l'honorable amiral Halna de Fretay vient de prendre l'ini-

tiative.

« Elle traduit un sentiment qui était déjà dans nos coeurs.

« Je dois ajouter, messieurs, que vous allez avoir à statuer

tout à l'heure sur un projet de loi par lequel M. le ministre de la

marine demande un certain nombre de décorations pour les

Page 142: Le général Dodds

138 LE GÉNÉRAL DODDS

vaillants soldats et le chef brave, zélé et dévoué, qui ont si

bien fait leur devoir au Dahomey. » (Vive approbation.)

Et M. Audren de Kerdrel ajouta : « Le Sénat s'associe à

l'unanimité aux paroles que vient, de xu'ononcer M. le prési-

dent. »

Pendant que ces paroles étaient prononcées au Sénat, le

ministre de la marine était encore retenu à la Chambre des

députés : il n'arriva au Luxembourg qu'un peu plus tard. Il

monta aussitôt à la tribune et déclara en ces termes, au milieu

des acclamations générales, que le gouvernement entendait,

lui aussi, célébrer la victoire de nos troupes :

« J'ai à faire au Sénat, dit M. Burdeau, une communica-

tion très brève. Le gouvernement a reçu, cette nuit, du géné-

ral Dodds un télégramme en date du 17 novembre. Les

troupes françaises sont entrées à Abomey. (Très bien! très bien!)

Notre drapeau flotte sur le palais du roi Béhanzin.

« Vous savez tous, messieurs, quels obstacles il a fallu

vaincre pour atteindre le but: nos troupes, commandées par

un chef à la fois sage et énergique (Très bien! très bien!), ont

triomphé d'un climat redoutable et d'un ennemi inspiré par le

plus sauvage, le plus farouche des fanatismes, et muni d'armes

qu'on avait cru jusqu'ici réservées aux nations civilisées. (Très

bien! très bien!) Il a semblé au gouvernement qu'une expédition

Page 143: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 139

aussi honorable pour nos armes, aussi brillante, devait don-

ner lieu à des récompenses exceptionnelles.

« L'opinion publique nous a précédés; le pays n'a pas mé-

nagé ses sympathies et son admiration à nos vaillants sol-

dats. (Très bien! très bien!)

« Il appartient au Parlement de donner une sanction à ces

sentiments. Le gouvernement a proposé à la Chambre des

députés et fait adopter deux projets de loi que j'ai l'honneur

de déposer sur le bureau du Sénat. (Lisez! lisez!)

« Je demanderai au Sénat de vouloir bien déclarer l'urgence.

« L'adoption d'une pareille mesure augmentera encore le

prix des récompenses accordées au général Dodds et aux

troupes qui ont si vaillamment combattu. » (Très bien! très

bien ! )

Les deux projets de loi furent votés par acclamation au

Luxembourg comme au Palais-Bourbon (1).

Abomey occupé par nos troupes et Béhanzin en fuite dans

des pays inconnus, avec les débris de son armée, l'expédition

était terminée. Il était temps; car la mauvaise saison qui

survenait allait rendre impossible à des Européens la conti-

(1) Voir en outre à YAppendice, à la fin du volume : II. — SERVICE FUNÈBRE EN

L'ÉGLISE BE-LA MADELEINE.

Page 144: Le général Dodds

140 LE GÉNÉRAL DODDS

nuation des opérations militaires à une aussi grande distance

de la côte. Le général Dodds laissa donc des garnisons à

Abomey et à Kana et revint à Porto-Novo s'occuper de l'or-

ganisation de notre conquête. Voici le télégramme par lequel

il annonça au ministère de la marine son retour à Porto-

Novo :« Porto-Novo, 30 novembre.

« J'ai quitté Abomey le 27 novembre avec la colonne et suis

arrivé à Porto-Novo aujourd'hui.

« Les troupes que j'ai laissées à Abomey, sous les ordres du

lieutenant-colonel Grégoire, sont fortement établies au palais

Goho.

« J'ai reçu la réponse des habitants de Whydah au message

que je leur avais envoyé pour les inviter à accepter la souve-

raineté de la France. Ils se déclarent très heureux de se ranger

sous notre autorité et prêts à accueillir les troupes fran-

çaises.

« Aussitôt après l'occupation de Whydah, la colonne se

dirigera sur Allada et poussera ensuite jusqu'à Abomey, par

la route de l'intérieur, pour assurer l'occupation complète du

pays.

« Je vous prie de transmettre au gouvernement l'expression

de ma profonde reconnaissance et celle des troupes pour les

Page 145: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 141

récompenses qui viennent d'être votées par le Parlement, sûr

sa proposition. »

On voit par ces derniers mots que le général avait déjà eu

connaissance par le télégraphe des acclamations qui avaient

été patriotiquement adressées, à lui et à ses troupes, par les

deux Chambres françaises. Il fut d'ailleurs reçu avec le plus

grand enthousiasme à son arrivée à Porto-Novo; il y avait

devancé de quelques jours le gros de la colonne expédition-

naire. Celle-ci, le 1er décembre, y effectua une entrée triom-

phale avec tout l'état-major et le général, qui était revenu se

mettre à sa tête à cette occasion.

Le 1er décembre fut un beau jour de fête pour nos vaillants

soldats. Dans une allocution patriotique, le général rendit

hommage aux services éminents du lieutenant-gouverneur,

M. Ballot, et le remercia au nom du corps expéditionnaire. Il

remercia également le roi Toffa et la population de leur con-

cours dévoué, et glorifia les exploits de ses soldats, qui,

malgré les maladies, les intempéries du climat, les privations

excessives, ont triomphé, dans seize combats acharnés, d'un

ennemi audacieux et brave, discipliné, bien armé, et dix fois

supérieur en nombre. « Je suis fier, dit le général Dodds en

terminant, d'avoir commandé aux premiers soldats du

monde. »

Page 146: Le général Dodds

142 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPEDITION DU DAHOMEY.

Huit cents [hommes, sous le commandement du colonel

Grégoire, étaient restés à Abomey, dans un fort, à l'abri de

toute surprise. Le reste de la colonne, dès sa rentrée à

Porto-Novo, fut aussitôt employé à s'emparer des villes du

littoral et à les occuper, à l'exception toutefois de Whydah,

dont la marine était chargée d'effectuer l'occupation.

Ainsi, dès le commencement de décembre, les compagnies

de débarquement des navires sur rades étaient entrées à

Whydah et y tenaient garnison; les autres villes, Abomey-

Kalavi, Godomey et Avrékété, recevaient également, sans

opposition, des garnisons françaises. De la sorte, nous étions

maintenant les maîtres du Dahomey. Ce dernier et important

incident de l'expédition fut annoncé en France par le télé-

gramme suivant :« Porto-Novo, 4 décembre, 8 h, 25 m.

« Les villes du littoral, Whydah, Avrékété, Godomey,

&odinefojobo, Abomey-Kalavi, ont envoyé des représentants

au gouverneur pour annoncer qu'elles faisaient leur soumis-

sion. — Whydah est occupé par une garnison française. — Le

drapeau français flotte sur les autres villes, qui seront occupées

par les troupes françaises lundi prochain. »

Maîtres maintenant du Dahomey, il s'agissait d'organiser

notre conquête : ce fut ce dont s'occupa aussitôt le général

Page 147: Le général Dodds

M. BALLOT, lieutenant-gouverneur.

Page 148: Le général Dodds
Page 149: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 145

Dodds. Mais, avant d'indiquer en quelques lignes ce qu'il fit

à cet égard, nous pensons faire plaisir à nos lecteurs en leur

faisant connaître l'impression produite sur les noirs de la côte

et même de l'intérieur de l'Afrique par nos succès au Daho-

mey, lies détails que nous allons donner à ce sujet paraîtront

peut-être un peu trop rétrospectifs, mais ils n'en sont pas moins

fort intéressants. Ils nous furent apportés par le courrier du

Dahomey, arrivé en France au commencement de décembre,

et l'on va voir que, même avant notre victoire finale, nos

premiers succès avaient déjà fortement impressionné en notre

faveur toute la partie de la poj)ulation africaine des environs

du Dahomey.

Ce courrier apportait, en effet, en France plusieurs lettres

donnant des détails sur la marche de la colonne expédition-

naire, de Porto-Novo à Kana.

L'une d'elles contenait d'assez curieux renseignements sur

l'état d'esprit des noirs de la côte. « Ceux-ci, disait-on, ont

été tout d'abord étonnés de la marche toujours victorieuse

des Français à travers le Dahomey. Les nouvelles exagérées

ont aussitôt circulé sous forme de légendes, de Cala bar aux

Ashoutis, et le prestige des blancs, que le traité de 1890 avait

profondément atteint, est aujourd'hui plus grand que

jamais- »

Ï0

Page 150: Le général Dodds

146 LE GÉNÉRAL DODDS

Au Dahomey même, les habitants furent terrifiés. Une

migration très importante eut lieu sur le Togoland,

tandis que vers le Bénin des 'masses se préparaient à fuir

la domination anglaise et à se réfugier sur la rive droite

de l'Ouémé. Badagry se dépeuplait à vue d'oeil, et les

anciens sujets de Toffa retournèrent peu à peu dans leur

capitale.

« On peut s'attendre, ajoutait-on, à une forte migration

d'Egbas fuyant la domination anglaise. La nouvelle du succès

de notre armée est parvenue jusque dans l'intérieur, et on la

connaît sûrement, à l'heure qu'il est, à Yola et à Sokoto. Elle

a été communiquée avec la même rapidité du côté du Soudan,

jusque dans le camp de Samory. Les résultats obtenus par le

général Dodds auront donc les plus heureux effets pour l'in-

fluence française et seront d'un très grand profit pour nos

tentatives futures. »

Voici maintenant de quelle façon le général Dodds, avant

son retour en Europe, fut autorisé à organiser l'administration

et le gouvernement du Dahomey. Nous ne donnons, bien

entendu, que les grandes lignes de cet important travail,

auquel songeait le général dès la fin de novembre.

Le. 27 novembi-e, en effet, dix jours après son entrée à

Abomey, il adressait déjà au ministre de la marine une

Page 151: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 147

longue dépêche, dans laquelle il exposait son programme

pour l'organisation provisoire du pays.

Le général constatait tout d'abord que cette organisation

était rendue difficile par ce fait que Béhanzin avait, dans sa

retraite, emmené avec lui tous les principaux chefs du pays.

Le général proposait de profiter de cet état de choses pour

morceler le royaume de Dahomey. Les territoires de la côte

avec Whydah seraient incorporés aux possessions françaises

du Bénin, et le reste du royaume comprendrait trois provinces

indépendantes les unes des autres. L'une aurait Allada comme

capitale; la seconde, Abomey; et la troisième, constituée avec

les villages de l'Ouémé, aurait pour chef-lieu un village situé

entre Agony et Dogha, dans les environs de Tohoué, par

exemple. Quant au pays dékamé, il serait replacé sous l'auto-

rité de notre allié Toffa, roi de Porto-Novo.

A côté des chefs intronisés par nous dans les trois provinces,

se trouveraient des résidents français qui relèveraient du gou-

vernement de nos établissements du Bénin.

Nous avons déjà vu précédemment que, pour assurer la

pacification du pays et pour empêcher Béhanzin de faire un

retour offensif avec les éléments militaires dont il disposait

encore, le général Dodds était resté à Abomey jusqu'à la fin

de novembre. A son départ de l'ancienne capitale de Renan-

Page 152: Le général Dodds

148 LE GÉNÉRAL DODDS

zin, il y avait laissé des forces importantes, composées d'une

compagnie d'infanterie de marine et de quatre compagnies de

tirailleurs sénégalais, avec de l'artillerie.

Ce fut après avoir pris ces premières dispositions, par me-

sure de précaution, qu'il s'occupa de la prise de possession de

la côte. Comme les eaux étaient alors fort basses, il revint à la

côte par Allada et "Whydah ; et, dès que le pays eut été placé

sous notre autorité, il fit établir d'urgence une route reliant

Abomey à "Whydah, afin de permettre à nos forces militaires

de prêter leur appui, le cas échéant, à la garnison momenta-

nément laissée à Abomey.

Le gouvernement approuva les lignes générales du pro-

gramme du général Dodds, ses intentions étant non d'occu-

per effectivement le Dahomey, mais d'exercer sur le pa3rs un

protectorat de surveillance, de nature à empêcher le rétablis-

sement d'un ordre de choses susceptible de nécessiter une

nouvelle expédition.

L'annexion de "Whydah et du territoire de la côte fut ap-

prouvée, et il fut décidé que le blocus ne serait levé que le jour

DU les douanes françaises fonctionneraient à Whydah et à

Godomej'-, comme elles fonctionnaient déjà à Grand-Popo et

à Kotonou.

Cette organisation, qui ne nécessitait pas de fortes dé-

Page 153: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 149

penses, permettait de prévoir que, dans un laps de temps

assez court, la colonie pourrait se suffire à elle-même, comme

la colonie de Grand-Bassam.

En attendant, et pour permettre aux opérations commer-

ciales de s'effectuer comme autrefois, le gouvernement laissait-

au général Dodds les troupes nécessaires pour assurer le

maintien de notre autorité.

Un seul point fut laissé en suspens par le gouvernement

français, qui ne crut pas pouvoir immédiatement statuer à cet

égard : c'était le démembrement du royaume du Dahomey en

trois provinces, comme l'avait indiqué le général Dodds dans

sa dépêche. Rien d'ailleurs n'a encore été décidé à ce sujet, au

moment où nous écrivons ces lignes, car l'exécution de ce

programme dépend essentiellement des chefs dont il sera

possible de disposer dans l'avenir.

Page 154: Le général Dodds

X.

'te général Dodds apprécié par un de ses officiers. — Anecdote relative à sa

nomination de général. •— Retour du général en France. — Arrivée à Marseille.

— Réception enthousiaste. — Arrivée à Paris. •— Trophées rapportés par le

général Dodds. — Un monument en l'honneur des officiers et soldats morts au

Dahomey,

Nous avons déjà présenté le général Dodds à nos lecteurs au

début de ce petit volume. Le récit des faits saillants de l'expé-

dition du Dahomey qu'ils viennent de lire leur a montré la

façon énergique et habile dont les opérations militaires ont été

conduites par le commandant en chef, qui s'ingéniait à tout

prévoir et à ne rien laisser au hasard. Il nous reste cependant

encore à faire connaître l'estime dont n'ont cessé de l'entourer

Page 155: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 151

les officiers qu'il avait sous ses ordres. Nous empruntons, à

cet effet, au Gaulois le récit qu'a donné un de ses rédacteurs, en

décembre 1892, d'un entretien qu'il venait d'avoir à ce sujet

avec le commandant Battréau, tout récemment rapatrié par la

Yille-tk-Maccio.

« Laissez-moi vous parler du général Dodds, lui avait dit le

commandant ; et en le faisant, je suis — et vous pourrez vous

èa assurer en interrogeant les hommes qui sont sur le bateau

>--l'interprète de tous, en vous disant de quelle vénération-

nous l'entourons, quelle admiration nous professons pour sa

bravoure et sa ténacité. Car, il faut bien qu'on le sache, c'est

grâce à sa ténacité que nous sommes arrivés au résultat

obtenu. Dès le début de la campagne, son plan était bien

arrêté, bien mûri et solidement réfléchi, et il ne s'en est pas

écarté une minute.

« Bien mieux, à plusieurs reprises, il a eu, non pas à lutter

avec les officiers sous ses ordres, car Dieu sait que, dans la

colonne, la discipline a été toujours strictement et souveraine-

ment observée, mais il est arrivé quelquefois que, consultant

certains de ses officiers, commandants d'unités, ceux-ci diffé-

raient d'avis aA^eclui sur les dispositions à prendre. Une fois

même il avait réuni le conseil de guerre, et l'opinion qu'il

défendait n'avait pas prévalu ; la minorité seulement s'était

Page 156: Le général Dodds

152 LE GÉNÉRAL DODDS

rangée de son avis. Il a tenu bon, néanmoins, agissant, ainsi

qu'il en avait le droit, sous sa propre responsabilité, et 3e

résultat nous a prouvé qu'il avait raison.

« Je vous parlais de la discipline; jamais elle n'a été mieux

observée, et Dieu sait cependant les souffrances et les fatigues

que nous avons eues à endurer. Ce qui nous a surtout le plus

abattus par moments, c'était le manque d'eau. Ainsi, après

l'affaire d'Akpa, où nous nous étions vaiJlamnient battus, nous

avons dû cependant retourner de quatre journées de marche en

arrière, les approvisionnements en vivres et en munitions

n'ayant pu nous arriver. L'eau aussi nous faisait défaut. On

ne tenait plus les troupes africaines dans la main. « Pas d'eau,

« pas marcher ! » disaient-ils dans leur idiome.

« Et dame, nous autres, nous commencions à nous regarder,

lorsqu'une tornade épouvantable a éclaté providentiellement.

= Hommes, sous-officiers, officiers, tout le monde tendait sa

gamelle, les marmites de campement ; enfin, on a disposé tous

les récipients, et noxis avons pu nous approvisionner d'eau

suffisamment pour attendre le ravitaillement. La veille, nous

en étions réduits le matin, au petit jour, à arracher les feuilles

et les herbes humides de rosée et à les sucer pour en avoir un

peu de rafraîchissement.

« — Et où avez-vous été blessé, mon commandant?

Page 157: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 153

« — A l'attaque des sources de Koto. Ces sources sont

complètement dans la brousse, et nos Dahoméens faisaient

bonne garde autour d'elles. Nous venions de leur pousser, avec

la légion, une charge à ia baïonnette, et les troupes fraîches

arrivaient sur nous lorsqu'une amazone, qui marchait en tête,

m'a envoyé mon affaire.

« — J'espère qu'elle ne recommencera plus?

« — Pour cela, non. Elles étaient une douzaine. Mon lieu-

tenant s'en est chargé. D'un feu de salve bien dirigé, il les a

toutes nettoyées. Elles sont, du reste, ainsi que les hommes,

d'une bravoure extraordinaire, bien dirigées, bien disciplinées.

J'ignore qui leur a appris, à tous, le maniement des armes et

le tir ; mais celui-là n'a pas volé son argent.

« J'ai vu dans les journaux qu'on parlait d'Allemands, de

Belges, qui auraient été faits prisonniers, et que le général

Dodds aurait fait fusilier ; mais je n'en ai pas eu connaissance.

« Ce que je sais, c'est qu'ils étaient armés de fusils "Win-

chester à répétition, et que leurs canons et leurs poudres

provenaient de maisons françaises. On a pris des caisses de

poudre portant la marque de l'Etat français.

« Les fusils Lebel, par exemple, leur ont causé une stupé-

faction indicible. Ce qui leur a surtout causé le plus d'effroi,

c'est lors de l'affaire très véridique de l'arbre traversé et de six

Page 158: Le général Dodds

154 LE GÉNÉRAL DODDS

Dahoméens tués qui se tenaient à l'abri derrière. Dès qu'il a

été averti de ce fait, Béhanzin, qui se tenait toujours à certaine

distance de ses troupes, s'est encore tenu un peu plus loin. 11

craignait trop l'effet des lebels. Heureusement qu'ils n'avaient

que des winchesters ; sans cela, mon compte eût été bon.

« Aussitôt que les Dahoméens voyaient que nous appro-

chions d'eux, ils faisaient reculer leurs canons, ce qui fait que

nous n'avons pu en prendre une seule fois.

« Un maréchal des logis sénégalais, un noir médaillé et

décoré, a chargé une pièce et sabré les servants; mais les

Dahoméens sont venus à la rescousse, et il a été tué. Ces

pièces, il est malheureux d'avoir aie dire, sont servies par des

laptots des noirs du Haut-Fleuve, qu'on emploie à bord des

navii-es de guerre au Sénégal et dans la Gambie, et auxquels

on apprend la manoeuvre du canon. Ils s'y mettent fort bien

et deviennent de fort bons tireurs. Ils avaient été engagés par

Béhanzin et nous ont fait beaucoup de mal. Pour vous en

donner une preuve, je vous dirai qu'à l'ambulance du camp, où

j'avais été transporté après ma blessure, avant d'être évacué

sur Kotonou, deux hommes ont été tués par un de leurs obus

dans l'ambulance même, et que je ne sais pas comment je n'ai

pas été touché à mon tour.

« Puisque vous vouiez parler de ce que nous avons fait,.

Page 159: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 155

dites bien que la légion étrangère a été d'un grand secours. Du

reste, le général Dodds en faisait le plus grand cas, et les noirs

ne marchaient vraiment bien que lorsque les légionnaires

étaient à leurs côtés. Notez que je ne veux rien enlever à

l'infanterie de marine, qui a été admirable, comme toujours ;

mais nos hommes, plus âgés, plus forts, offraient plus de

résistance. »

Voici maintenant une intéressante anecdote relative à la

nomination du colonel Dodds au grade de général, anecdote

qui fut publiée en ce même mois de décembre 1892 :

Quelques jours avant de quitter Toulon, M. le chef de

bataillon Grégoire (aujourd'hui colonel) achetait, à tout

hasard; chez un chapelier du port, les six étoiles d'argent que

les généraux de brigade portent à leur képi et sur les manches

de leur dolman, sachant bien que ces insignes ne resteraient

pas de longs mois au fond de sa cantine et qu'il aurait, un

jour ou l'autre, l'occasion de les offrir à son chef.

Cette occasion, comme on le sait, ne s'est pas fait- attendre,

et, quelques minutes après la réception du télégramme officiel

de M. Burdeau (ministre de la marine), le général Dodds, tout

en recevant les félicitations de ses officiers, trouvait sur son

petit bureau, dans sa tente, les étoiles qu'il venait de conquérir,

l'épée au poing.

Page 160: Le général Dodds

156 . LE GÉNÉRAL DODDS

On voit que si le général Dodds est un chef qui sait prévoir

jusqu'aux moindres détails d'une expédition, les officiers de

son état-major ne lui cèdent en rien.

A la fin du chapitre précédent, nous avons laissé le général

Dodds en train d'organiser sa conquête : il consacra encore

plusieurs mois à ce travail, puis il prit un congé et revint en

France jouir en famille d'un repos bien gagné et nécessaire à

sa santé, à la suite des fatigues de la pénible campagne que

nous Amenons de raconter à nos lecteurs (1).

Une réception enthousiaste l'attendait à Marseille, où il

débarqua le jeudi 11 mai ^1893, après une traversée de dix-huit

jours effectuée sur le Thîbct, paquebot de la Compagnie

Fraissinet. Le peuple de la vieille cité phocéenne, les autorités

civiles et militaires, firent un accueil triomphal au général

victorieux. Nos lecteurs nous sauront gré, sans doute, de leur

faire connaître les détails de cette magnifique réception. "Voici

donc textuellement le compte rendu très complet qui en a été

donné par l'un de nos meilleurs journaux :

Le Thïbct,, imprimait-il le 12 mai, fut signalé au large

dès huit heures et demie. Immédiatement une flottille de

. (I) Voir également à l'Appendice, à là fin du volume : III. — RENTRÉE TRIOM-

PHALE EN ALGÉRIE DES TROUPES EXPÉDITIONNAIRES.

Page 161: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 157

yachts et d'embarcations s'est portée au-devant du paquebot

et l'a escorté au port, du cap Couronne au bassin nord de la

Joliette, où il s'est amarré.

Sur le quai de l'Estaque, se tiennent MM. Albert Fraissinet,

de la compagnie Fraissinet, Sarroin, directeur de la santé du

port de Marseille, et Hanès, commissaire général de la marine,

qui montent à bord les premiers, dès que le Thibd a mouillé,

afin de donner la libre pratique et de remettre au général une

médaille commémorative.

Les autorités, arrivées, dès huit heures, en voitures sur le

môle, attendent au grand complet.

Le général est reçu au débarcadère par M. Deffès, préfet, le

général Mathelin, commandant le 15° corps, le maire, de nom-

breux conseillers municipaux, M. Bouge, député de Marseille,

ainsi que toutes les autorités civiles et militaires, les présidents

du tribunal et de la chambre de commerce, et les délégués des

diverses sociétés.

Mmo Dodds, en compagnie de Mn,c Deffès, attendait l'arrivée

de son mari sur le môle.

Tous les navires qui se trouvent dans le port sont pavoises.

La foule, qui est très considérable, encombre les quais et les

môles.

A son entrée dans les bassins, le Thibd est accueilli par des

Page 162: Le général Dodds

158 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

acclamations formidables. La musique militaire joue l'hymne

national. Le général Dodds, placé à l'arrière du navire, reçoit

de la foule une ovation enthousiaste.

C'est M. Hanès, commissaire général de la marine, délégué

par le ministre, qui, à bord du Thibel, a, le premier, souhaité la

bienvenue au général au nom du gouvernement et lui a remis

lia médaille commémorative de l'expédition du Dahomey.

Cette médaille est en argent, du module ordinaire : sur une

face, elle porte l'effigie de la République ; sur l'autre se

détache, au centre, l'inscription « Dahomey », sur laquelle est

une étoile en relief avec ses rayons ; au-dessous, un faisceau

de drapeaux et une ancre. Cette face de la médaille est entourée

d'une couronne de chêne. Le ruban de la médaille est à filets

jaunes et noirs.

L'écrin dans lequel cette médaille a été expédiée à Marseille,

est en cuir de Russie rouge ; il porte, sur le couvercle, les

inscriptions suivantes : « Dahomey, 1892 », et, entourée d'une

couronne en vermeil de laurier et de chêne, celle-ci : « Général

Dodds, commandant en chef le corps expéditionnaire. »

L'intérieur de l'écrin est en velours bleu et satin bleu ; sur le

satin intérieur se détachent, en lettres d'or, les dates suivantes :

Dahomey, 1892 — 27 mars, Danou — 9 août, Zabbo — 22 août,

Takou — 19 septembre, Dogha. — 4 octobre, Poguessa —

Page 163: Le général Dodds

M. Uaucs remet an général Dodds la médaille comméiuorutive Uo

l'expédition du Dahomey.

Page 164: Le général Dodds
Page 165: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 161

20-21 octobre, Akpa — 26-27 octobre, Koto — 2-3 novembre,

Ouakon — 4 novembre, Kana.

Dès que le Thibd a accosté, les autorités montent à bord et

souhaitent la bienvenue au général Dodds, qui, très ému, a

répondu par quelques paroles de remerciement.

M. Flaissière, maire de Marseille, a prononcé le discours

suivant :

« Monsieur le général, au nom de la population de Marseille,

au nom du conseil municipal, j'ai l'honneur de vous souhaiter

la bienvenue parmi nous. "Vous représentez le corps expédi-

tionnaire du Dahomey, et j'ai mandat de mes concitoyens et

de mes collègues de vous exprimer les sentiments que nous

avons ressentis pour votre vaillante armée et pour vous-

même.

« Marseille, dont le génie commercial et industriel fait la

gloire et la richesse, a applaudi, aux'efforts tentés pour une

oeuvre de civilisation.

« Elle vous remercie hautement d'avoir ouvert une voie

nouvelle à l'activité du commerce et de l'industrie.

« A tous mes remerciements je dois ajouter quelques consi-

dérations d'un ordre plus élevé. Je vous présente les félicita-

tions que la foule va tout à l'heure traduire et affirmer avec

toute la franchise habituelle de son esprit et de son coeur.

a

Page 166: Le général Dodds

162 LE GÉNÉRAL DODDS

« Elle vous dira, cette foule, avec quel intérêt, avec quelle

anxiété, avec quelle angoisse parfois nous avons suivi votre

marche à travers les dangers de toute espèce qui s'élevaient et

se renouvelaient sans cesse devant vous.

« Lorsque nous apprenions vos succès, avec quelle impa-

tience nous attendions le résultat final!

« C'est que, plus que toute autre, la population de Marseille

a pu apprécier les difficultés que vous avez A'aincues, et sa

reconnaissance est d'autant plus grande pour vos courageux

compagnons d'armes et pour vous-même, que nous avons ouï

récemment les récits de nos chers soldats revenus au milieu de

nous, éprouvés par la maladie et les fatigues d'une dure cam-

pagne, mais pleins de joie et glorieux.

« Nous nous sommes sentis fiers d'eux. Nous nous sommes

inclinés devant cette abnégation qu'ils avaient montrée,

devant ce courage indomptable que seul peut donner le patrio-

tisme éclairé.

« C'est de la bouche même de ces hommes vaillants que

nous avons appris, monsieur le général, combien vous étiez

vous-même bon et vaillant. Et lorsque vous aurez éprouvé la

joie bien légitime de félicitations qui seront adressées à votre

tactique habile, à vos qualités personnelles de soldat", il vous

l'esterà un souvenir plus doux encore que ces félicitations.

Page 167: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 163

« Vous vous souviendrez que vous avez été le camarade de

vos soldats ; vous vous souviendrez que vous- les avez encou-

ragés et soutenus lorsqu'ils étaient vos frères ; vous vous

souviendrez qu'ils vous ont donné eux-mêmes ce témoignage.

« Nous nous souviendrons aussi, nous tous Français, que

ces hommages qui vous étaient rendus par les petits et par les

humbles seront vos plus grands titres de gloire.

« Honneur à vous, général Dodds ! Honneur à l'armée du

Dahomey I Vive la patrie française ! Vive la Rérrublique ! »

Après ce discours, le cortège se forme et se dirige vers 13

préfecture.

Le général Dodds, le général Mathelin, le préfet et M. Hanès,

ont pris place dans le premier landau.

Les autres landaus sont occupés par le secrétaire général de

la préfecture, de nombreux officiers supérieurs et les officiers

revenus du Dahomey avec le général.

Un certain nombre de soldats rapatriés par le Thibd suivent

le cortège, qui, sur tout le parcours, est escorté par deux pelo-

tons de gendarmerie et trois pelotons de hussards.

Une manifestation enthousiaste salue le général Dodds. On

crie de tous les points : « Vive l'armée ! » Les mouchoirs et les

chapeaux s'agitent, les {leurs pleuvent dans les voitures, ainsi

que des banderoles portant les mots :« Vive l'armée ! »

Page 168: Le général Dodds

164 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

Un certain nombre de sociétés sont placées sur le parcours

du cortège, et leurs membres chantent la Marseillaise sur le

passage du général.

A la Cannebière et dans la rue Saint-Ferréol, le général a

été accueilli par des applaudissements frénétiques, et l'enthou-

siasme le plus franc déborde de toutes parts.

De nombreux bouquets ont été offerts au général au débar-

cadère et sur le parcours.

Arrivé à la préfecture, le général s'est rendu dans l'apparte-

ment du préfet, où Mme Dodds l'attendait ; puis, à midi, il s'est

rendu à l'hôtel du corps d'armée pour assister au déjeuner

offert par le général Mathelin.

Quand, vers deux heures, le général Dodds sort de la pré-

fecture, accompagné du général Mathelin et de M. Hanès,

pour se rendre au punch offert par les officiers de la garnison,

la foule, qui n'a cessé de stationner sur la place de la préfecture

et dans la rue Saint-Ferréol, lui fait une brillante ovation.

Cette ovation se continue sur tout le parcours que suit

le général pour se rendre au cercle des officiers, dont les abords

sont également envahis par la foule, qui a de nouveau vive-

ment acclamé le vainqueur du Dahomey.

Tous les officiers de la garnison, dont seize officiers généraux

en activité ou en retraite, assistent à la réunion.

Page 169: Le général Dodds

Pré

fect

ure

de

Mars

eill

e.

Page 170: Le général Dodds
Page 171: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 167

L'entrée du général est saluée par de frénétiques hourras.

La salle est décorée d'emblèmes militaires, de drapeaux, de

trophées, de faisceaux et de cartouches rappelant les victoires

du Dahomey.

Le général Mathelin prend le premier la parole.

En quelques mots, il rend hommage au corps expédition-

naire du Bénin et à son chef.

Le colonel Fabre rappelle la brillante carrière de son cama-

rade de promotion, et il le suit dans ses étapes victorieuses.

M. Bouge, député, prononce ensuite le discours suivant :

« Au nom de la population, marseillaise accourue de toutes

parts xtonx vous acclamer, je suis heureux de saluer votre

retour et d'être l'interprète des sentiments de reconnaissance

et d'admiration que ressentent pour vos soldats et pour vous

Marseille et la France entière.

« Sur une terre lointaine, ne disposant que de contingents

réduits en face d'un ennemi nombreux, courageux et fanatique,

aux prises avec les difficultés du pays et les dangers du climat,

peut-être plus terrible encore, vous avez forcé la victoire et

fait honneur à notre drapeau.

« Vous avez demandé à vos admirables soldats et vous en

avez obtenu toutes les privations, tous les sacrifices, toutes les

souffrances. C'est que vous les partagiez vous-même, toujours

Page 172: Le général Dodds

168 LE GÉNÉRAL DODDS

au milieu de leurs rangs, les encourageant comme un ami et

un père, les soutenant par votre exemple et par le souvenir

de la patrie.

« Tandis que la France vous suivait avec une émotion affec-

tueuse et peut-être parfois un peu impatiente, vous poursuiviez

méthodiquement votre rdan avec une prudence, un calme et

une mesure qui étaient à la fois un grand exemple et une utile

leçon.

« Vous avez, en effet, rendu à la France le service de lui

rappeler nue le courage ne suffit plus à décider du sort des

batailles, et. que la prudence et l'esprit de méthode qui ne

laissent rien au hasard, qui veulent qu'aucun progrès nouveau

ne soit tenté sans que celui de la veille ait été affirmé, et sans

qu'aient été prises les mesures préservatrices de la vie et de la

subsistance des hommes, sont aujourd'hui plus que jamais les

qualités de tactique indispensables.

« Puisse cette leçon de sang-froid et de calme ne pas être

perdue par l'opinion publique en France! .

« Vous avez puisé, vos soldats et vous, le courage de toutes

ces vertus dans le sentiment du devoir et dans ce patriotisme

profond qui est et restera la source la plus féconde de toutes

les grandes actions et de tous les héroïsmes. Aussi le gouver-

nement et la Chambre, fidèles interprètes du pays, ne vous

Page 173: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 169

ont-ils pas ménagé déjà les marques de leur confiance et de

leur haute estime; permettez-moi d'y joindre, mon général,

mon hommage modeste, mais profondément sincère.

« Messieurs, au corps expéditionnaire du Dahomey! Au

général Dodds ! A l'armée française, objet de tant de sollici-

tude, de tant d'amour, et de tant d'espoir ! »

Voici maintenant le discours prononcé par le préfet au

banquet offert au général Dodds :

« Monsieur le général en chef,

« Monsieur le général Doclds,

« Messieurs,

« En me levant pour saluer, au nom du gouvernement de la

République, l'armée et ses chefs, je ne puis me défendre d'une

profonde émotion. C'est à vous, monsieur le général Mathelin,

que je dois tout d'abord adresser l'hommage de notre affec-

tueux respect -et l'expression sincère de notre dévouement.

Vous donnez le noble exemple de toutes les vertus militaires,

et votre autorité, si elle s'inspire d'une impartiale et ferme

justice, s'exerce avec bienveillance.

« Je m'autorise de votre exemple, monsieur le général Dodds,

pour laisser dans l'ombre, comme si les fumées de la gloire des

armes la voilaient encore, votre haute personnalité, et vous me

Page 174: Le général Dodds

170 LE GÉNÉRAL DODDS

permettrez de vous oublier comme vous vous oubliez vous-

même dans votre paternelle tendresse pour les braves que

vous aviez l'honneur de commander. Le seul hommage qui va

au coeur des chefs tels que vous ne doit-il pas s'adresser à ceux

qui, dans le rang, ont fait vaillamment leur devoir? Vos

troupes, général, ont donné, dans des circonstances difficiles,

la mesure de ce que peuvent la discipline, le courage et surtout

l'énergie morale. Aussi l'expédition du Dahomey, que vous

venez de si brillamment conduire, est-elle particulièrement

remarquable. Elle éveille en nous une fierté sans jactance et de

patriotiques espérances.

« Un impassible sang-froid, une sage ténacité clans les

desseins, une attentive vigilance, alliés à une constante et

cordiale sollicitude pour les soldats, ont préparé les succès

d'un commandement qui ne^ connut pas de défaillance. Forts

de cette autorité morale et soutenus par leur confiance en

leurs chefs et en eux-mêmes, les officiers et les soldats du

corps expéditionnaire du Dahomey ont.écrit une nouvelle et

glorieuse page de notre histoire militaire. Que l'accueil cha-

leureux de la grande et généreuse cité marseillaise vous

apparaisse, général, comme le témoignage solennel et ému de

la reconnaissance nationale et la suprême glorification des

héros morts à vos côtés.

Page 175: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 171

« Je bois au général Mathelin, au général Dodds, au corps

expéditionnaire, à l'armée ! »

Le général Dodds a répondu en ces termes au discours du

préfet :

« J'ai déjà eu l'occasion, au cours de cette journée, d'exprimer

ma reconnaissance au gouvernement, à la population et à son

premier magistrat, de l'accueil que j'ai reçu à Marseille.

« Permettez-moi, monsieur le préfet, au nom des officiers

et des soldats du corps expéditionnaire, de vous dire que si

nous avons rencontré des difficultés, et si nous avons eu dans

cette campagne des obstacles à surmonter, nous avons tou-

jours été soutenus par les sjmrpathies de la nation tout entière

et la sollicitude du gouvernement.

« Nous avions aussi pour nous guider le drapeau, symbole

de la patrie. Si le corps expéditionnaire, qui s'est si vaillam-

ment conduit, a pu provoquer l'admiration de nos compa-

triotes, j'ajoute que les indigènes partageaient ces sentiments

et que nos ennemis furent parfois étonnés. Je ne peux pas

invoquer de meilleur témoignage du courage, de l'entrain des

troupes, de leur endurance et de leur facilité à marcher dans

les brousses, que ce mot d'un de nos ennemis : Cenesont pas des

soldalSj ce ne sont que des tirailleurs, ce sont des noirs.

« Je termine, messieurs, en buvant à l'armée tout entière, à

Page 176: Le général Dodds

172 LE GÉNÉRAL DODDS

ses chefs, à son représentant, M. le général Mathelin, et à la

France ! »

Ces paroles du général Dodds sont vivement applaudies.

A ce moment, le colonel Pigier rentre dans la salle avec les

soldats rapatriés par le Thibel. Ceux-ci passent devant les offi-

ciers généraux, qui leur serrent la main, aux applaudissements

de tous les officiei-s.

La musique militaire joue alors la Marseillaise et l'Hymne russe,

que toute l'assistance écoute debout.

Avant de quitter la réunion, le général Mathelin a fait le

tour de la salle et a présenté le général Dodds aux principaux

officiers.

A.près cette présentation, le général Dodds s'est retiré pour

rentrer à la préfecture.

Les mêmes manifestations qu'à l'arrivée se produisent au

départ.

Complétons maintenant le compte rendu des fêtes mar-

seillaises que nous venons de transcrire en entier, en ajoutant

que, le soir, il y eut encore réception et fête à la préfecture en

l'honneur du général Dodds, qui, dès le lendemain matin,

partit pour Paris avec Mmo Dodds.

A toutes les gares où le train s'arrêtait, le général était

l'objet des ovations de la population. A son arrivée à Paris, à

Page 177: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 173

onze heures du soir, la foule accourue pour l'acclamer était si

considérable aux abords de la gare de Lyon, que la -voiture

dans laquelle il était monté avec Mmo Dod.ds dut s'arrêter à

diverses reprises au milieu de la foule, qui voulait saluer de

ses chaleureux vivats le vainqueur de Béhanzin.

Nous ne suivrons point maintenant le général Dodds dans

la capitale, où il fut partout, aussi bien dans les régions offi-

cielles que dans les cercles particuliers, l'objet de chaleureuses

réceptions. Toutefois nous tenons à mentionner ici que le

général a rapporté du Dahomey, pour être remis aux musées

de Paris, un certain nombre d'objets curieux et d'idoles pro-

venant du Dahomey.

Signalons, entre autres choses, trois grandes statues en bois

de Béhanzin, de son père Glé-Glé et de son grand-père.

Béhanzin, qui a pour surnom le Requin, y est représenté avec

une tête de requin. Glé-Glé, dont le surnom Kini-Kini veut dire

lion, est représenté avec une tête de lion. Ces trois statues ont

été prises à Abomey.

Le général a rapporté également la bannière de Béhanzin

qui avait été donnée au roi par des négociants portugais. Cette

bannière porte en inscription, en portugais : Rei Béhanzin, avec,

au-dessous, les armes du Dahomey : un requin, un oeuf (l'oeuf

symbolique du monde) et deux palmiers.

Page 178: Le général Dodds

174 LE GÉNÉRAL DODDS

Ajoutons que le Mylho, arrivé en France un peu après le

général, a en outre rapporté pour les Invalides deux canons

Krupp pris aux Dahoméens, qui, après notre entrée à

Abomey, les avaient enfouis dans un champ.

Ces divers trophées de nos victoires dahoméennes furent

distribués à différents. musées. Quant à la bannière de

Béhanzin, elle fut remise aux Invalides.

Un mot encore, avant de terminer ce petit volume, pour

nous associer à un voeu patriotique formé au mois de

décembre 1892 par la plupart des journaux de Paris, le Pclil

Journal en tète : ce voeu a pour objet l'érection sur une des

places publiques de Paris d'un monument commémoratif en

l'honneur des officiers et soldats français morts au cours de

l'expédition du Dahomey.

La chose, écrivait à ce sujet l'un de nos publicistes les plus

distingués, à qui nous empruntons ce qui suit, la chose a été

déjà faite (en partie, du moins) pour les soldats du Tonkin :

sur le boulevard Voltaire, à l'intersection du boulevard

Richard-Lenoir, s'élève la statue de Bobillot, le héros de

Tuyen-Quan, et, sur le socle de cette statue, on lit l'inscription

suivante :

« Au sergent Bobillot et à ses compagnons d'armes morts

au Tonkin. »

Page 179: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 175

Pourquoi ne ferait-on pas de même pour les morts du

Dahomey?

Une statue n'est pas nécessaire : il suffirait d'un simple

monument, surmonté d'un sujet approprié à la circonstance,

et sur le socle duquel on inscrirait ces mots :

« Aux commandants Faurax et Marmet, et à leurs compa-

gnons d'armes morts pour la France au Dahomey. »

Et, au-dessous, les noms des quinze officiers qui ont suc-

combé au cours de l'expédition :

Les commandants Faurax et Marmet ;

Les capitaines Bellamy, Crémieu-Foa et Bérard ;

Les lieutenants Badaire, Amelot, Gelas, Doué, 'Valabrègue,

Michel, Toulouse, Mercier et Menou ;

Le médecin-major Rouch.

Et Ton ajouterait cette mention que propose très justement

le Petit Journal :

« Et aux 200 sous-officiers et soldats de toutes armes, des

armées de terre et de mer, tués à l'ennemi pendant

l'expédition. »

Page 180: Le général Dodds
Page 181: Le général Dodds

APPENDICE

I.

Les Allemands et Béhanzin,

Nous avons dit au commencement de ce volume, et nous

avons constaté à diverses reprises, dans le cours du récit de la

jampagne du Dahomey, que différentes factoreries allemandes

avaient fourni à Béhanzin les armes perfectionnées avec les-

quelles il comptait venir en peu de temps à bout des valeu-

reux soldats qui formaient notre petite colonne expédition-

naire. Ces factoreries, qui entretenaient avec le roi noir de

continuelles relations d'affaires, ne se bornaient point à la

42

Page 182: Le général Dodds

178 LE GÉNÉRAL DODDS

seule opération commerciale consistant dans la fourniture de

l'armement; elles se livraient également à la traite des noirs.

De cette façon, messieurs les commerçants allemands empo-

chaient un double bénéfice, d'abord sur la vente des armes,

puis sur le trafic des esclaves.

Les Allemands ont nié de toutes les manières et sur tous les

tons le fait de s'être livrés à ces divers trafics, surtout au der-

nier, rigoureusement interdit par des conventions successives

signées à diverses époques par les nations civilisées. Tout

mauvais cas est niable. Mais on a eu plusieurs fois la preuve

de la fausseté de leurs allégations intéressées à cet égard. Il

ne sera pas sans intérêt pour nos lecteurs d'avoir sous les

yeux une de ces preuves, entre autres, publiée par le journal

le Temps; dès le début de la campagne.

On n'a pas perdu le souvenir, lisait-on, en effet, dans ce

journal des mieux renseignés, à la date du 27 juillet 4892, des

protestations que les Allemands firent entendre, lorsque la

presse française les accusa de pratiquer ouvertement la traite

sur les côtes du Dahomey. Nous disions que ces estimables

commerçants exerçaient leur industrie sous la protection des

agents consulaires de leur pays, et ces accusations dirigées

contre des fonctionnaires allemands nous attirèrent des.

démentis indignés.

Page 183: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 179

On verra, à la lecture des détails suivants que l'on télégra-

phie de Marseille sur la situation et les agissements des

Allemands au Dahomey, ce que valent ces démentis :

« Les Allemands circulent librement au Dahomey, surtout

les agents de la maison Wolbert et Bohm. La plage était

interdite le 10 avril; mais, bien après cette date, les Alle-

mands se sont livrés à leur trafic habituel d'esclaves.

« En effet, le 27 avril, un navire de guerre allemand,

leHalicht, arrivait à Whydah. La barre étant infranchissable,

ce ne fut que le 29 que trois officiers du Ilabichl et d'autres

Allemands descendirent à terre.. Les officiers causèrent lon-

guement avec un des principaux fonctionnaires de Béhanzin,

qui les reçut avec beaucoup d'honneurs.

« Le 1er mai, le steamer Woermann embarqua à "Whydah cinq

cents esclaves achetés par un agent allemand pour le Congo

belge; mais l'arrivée subite d'une canonnière portugaise

entrava l'opération. Les Portugais ne se seraient pas mis en

travers, car ils sont installés sur le même point pour le même

i)ut'. Mais les Allemands n'ont pas osé accomplir leurs opéra-

tions de traite en présence d'un vaisseau européen. Alors le

bétail, suivant l'expression locale, a été dirigé sur Avrékété

par MM. Richter et Russ, agents de la maison Wolbert et

Bohm, et sous les yeux de M. Daake, agent consulaire aile-

Page 184: Le général Dodds

180 LE GÉNÉRAL DODDS

mand, qui les a assistés et qui a dressé le procès-verbal dt

l'embarquement.

« Les officiers du Habichl, prévenus de cette opération,

avaient conseillé de ne pas la faire dans les circonstances

actuelles; mais les agents ont passé outre, pour se payer de

leurs fournitures d'armes. Ils en fournissent, en effet, sans

cesse à Béhanzin. D'ailleurs, Richter lui-même a été nommé

grand cabécère de guerre. Il exeixe les soldats, dirige leur

instruction, et leur apprend en particulier l'usage des canons.

Aî^ant débarqué dernièrement plusieurs pièces, il avait dit à

qui voulait l'entendre : « Les Français peuvent venir, je me

« charge de les recevoir! » Il répand le bruit que nous en-

voyons vingt mille hommes pour anéantir le Dahomey, et il

excite de toutes façons les indigènes contre nous.

« Il est certain que cette maison allemande a fourni des

armes et surtout une artillerie importante avant lé blocus si

lardivement établi. Mais actuellement le littoral est bien

gardé, jusqu'au moindre cours d'eau, et on suppose que si

les Dahoméens ont un armement sérieux, les munitions ne

sont pas en rapport. »

Nous avons vu dans le cours de ce volume que les supposi-

tions que l'on faisait alors à ce sujet n'étaient malheureuse-

ment point exactes. Les Allemands avaient déjà eu le temps de

Page 185: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 181

fournir à Béhanzin non seulement un nombre relativement

considérable d'armes perfectionnées, mais encore un approvi-

sionnement très sérieux de munitions. Malgré toutes ces circon-

stances défavorables au succès de notre expédition, nos valeu-

reux soldats et leur vaillant chef ont pourtant réussi à infliger

assez vite à l'orgueilleux souverain noir une défaite irrémé-

diable et complète. Mais plusieurs de ces braves ont payé de

leur vie les agissements peu honnêtes des factoreries alle-

mandes.

Rendons cependant justice à ces dernières en constatant

que les maisons allemandes du Togo, qui avaient prêté tout

leur appui à Béhanzin puissant et riche, se sont empressées

de rompre toute affaire avec Béhanzin ruiné et vaincu. En

effet, après la défaite du roi noir, trois de ses délégués se sont

vainement adressés, durant plusieurs semaines, à tous les

comptoirs de Petit-Popo, sollicitant des fournitures, qui leur

ont été partout refusées avec une touchante unanimité. Les

pauvres diables, tout déconfits, n'osaient plus retourner

auprès de Béhanzin, dans la crainte du châtiment que l'échec

de leur mission devait leur attirer de la part de leur maître.

Page 186: Le général Dodds

IL

Service funèbre en réalise de la Madeleine (22 décembre 1892).

Quelques semaines après le double vote et les acclamations

patriotiques du Sénat et de la Chambre des députés, en

apprenant le succès définitif de notre expédition au Dahomey,

un solennel service funèbre fut célébré (le 22 décembre) en

l'église de la Madeleine, à la mémoire des officiers, sous-offi-

ciers , caporaux et soldats d'infanterie de marine tués au

Tonkin, au Soudan et au Dahomey.

Le pourtour de l'hémicycle de la grande nef, derrière le

maître-autel, avait été tendu de draperies noires. Au milieu

de l'église se dressait un catafalque orné de drapeaux cravatés

de deuil.

Page 187: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL D0DDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 183

On remarquait, aux premiers rangs de l'assistance, le lieu-

tenant-colonel Pistor, représentant du président de la Répu-

blique. Les ministres de la guerre et de la marine étaient

représentés par le capitaine Mugnier et par le capitaine de

Pampelonne. Le général Saussier, gouverneur militaire de

Paris, était représenté par le commandant Courbebaisse et le

capitaine Ebener. Le lieutenant de vaisseau Caron représentait

l'état-major général de la marine.

M. Jamais, sous-secrétaire d'Etat aux colonies, retenu au

conseil des ministres, avait délégué pour le remplacer M. Ordi-

naire, son chef de cabinet. Auprès de lui se tenaient

MM. Haussmann, Billecocq, Dubard et Deloncle.

Venaient ensuite les amiraux Gervais et Rieunier, les géné-

raux Buchot, Hédou, Reste, de Saint-Julien, Ladvocat, le

général Bégin, présidant le comité d'organisation; des officiers,

parmi lesquels le lieutenant-colonel Bouinais, le commandant

Raffenel, le capitaine Lavoiseau et le lieutenant Garnier.

Le commandant Monteil et le capitaine Binger assistaient

à la cérémonie funèbre, ainsi qu'un grand nombre de notabi-

lités scientifiques, parmi lesquelles le prince d'Arenberg,

président du comité de l'Afrique.française; MM. Meurand et

Gauthiot, delà Société de géographie commerciale; M. Jules

Simon, le prince Henri d'Orléans, M. Danâl, etc.

Page 188: Le général Dodds

184 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

Avant la messe, qui a été dite par M. l'abbé Pluquet, M. Le

Rebours, curé de la Madeleine, a célébré la mémoire des offi-

ciers et soldats qui se font tuer au service de la France à

l'étranger, et il a engagé leurs compagnons d'armes à resser-

rer l'intimité étroite qui unit les différents corps de l'armée.

« Ce n'est pas seulement, a ajouté l'orateur, un acte de

camaraderie que vous avez voulu faire : c'est un acte de reli-

gion, car l'idée de religion est profondément gravée au coeur

de l'armée française. L'Eglise, elle aussi, s'associe aux desti-

nées de noire patrie. Elle veut que ceux qui ont été au péril

soient à l'honneur.

« Gardez, messieurs, pour vos soldats, beaucoup d'amour;

et pour vous, les sentiments élevés, nobles et généreux des

choses éternelles. »

Pendant la messe, MM. Alvarez et Renaud, de l'Opéra,

ont chanté YAgnus Bel, le Dies iras, et le Pie Jesu de Stradella.

L'absoute a été ensuite donnée par M. Caron, vicaire géné-

ral, représentant l'archevêque de Paris.

Page 189: Le général Dodds

III.

Rentrée triomphale en Algérie des troupes expéditionnaires.

Nous avons vu au chapitre X quelle réception enthousiaste

fut faite au général Dodds à son arrivée à Marseille et à Paris,

au mois de mai 1893. Les troupes ayant pris part à l'expédi-

tion, rapatriées peu de temps auparavant par divers trans-

ports et paquebots, avaient déjà été l'objet de chaleureuses

acclamations de la part des patriotiques populations de nos

côtes françaises et de l'Algérie.

En Algérie surtout, on leur fit un accueil triomphal, comme

on va le voir par les comptes rendus de l'arrivée à Oran du

Thibel et du Pélion, sur lesquels furent successivement rapatriés

divers corps.des troupes expéditionnaires.

Page 190: Le général Dodds

186 LE GÉNÉRAL DODDS

Le Thibet, paquebot de la compagnie Fraissiuet, parti de

Kotonou le 26 décembre 1892, avec .1,297 hommes de troupes,

dont 854 pour Dakar, 228 pour Oran et 209 pour Toulon,

arriva à Oran le 11 janvier 1893, dans la matinée.

« Les soldats de la légion étrangère qu'il a débarqués ici,

disait un télégramme annonçant à Paris leur arrivée, en

Algérie, sont très affaiblis par les fièvres et par les fatigues de

la campagne; un grand nombre ont pu à peine traverser la

ville à pied; soixante-neuf sont entrés immédiatement à

l'hôpital militaire, conduits en voiture, dans un état de fai-

blesse extrême. Six légionnaires sont décédés pendant la

traversée.

« Des spahis sénégalais 'se trouvaient aussi sur le Thibet.

Leur état de santé n'est guère florissant.

« Les légionnaires passeront deux jours à Oran avant d'être

dirigés sur Bel-Abbès et Saïda.

« Prévenue trop tard, la ville n'a pu recevoir les passagers

du Thibet comme ils le méritent; mais on s'organise, comme à

Bel-Abbès, pour fêter et soulager les vainqueurs d'Abomey.

Depuis midi, dans les divers quartiers de la ville, notamment

sur le passage des troupes, de nombreux drapeaux ont été

arborés.

« Les capitaines Jouvelet, Morandi, le lieutenant Morin, le

Page 191: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 187

commandant Villiers, sont parmi les arrivants, ainsi que le

lieutenant Legrand, qui est malade. »

Le Thibet repartit d'Oran le soir même et arriva le surlen-

demain à Toulon.

Un mois plus tard, le Pélion, courrier du Dahomey, abordait

à son tour à Oran, ayant à son bord des troupes d'infanterie

et d'artillerie de marine à destination de la France, et cent

quinze légionnaires, qui débarquèrent à Oran dans la matinée.

Cette fois, par suite de l'arrivée de nuit qui obligea à at-

tendre le jour pour effectuer le débarquement, la population

oranaise eut le temps de faire à ces vaillants une ovation digne

d'eux.

Une réception splendide, lisons-nous dans un compte rendu

daté du 8 février, vient d'être faite à ces braves qui, avec les

compagnies arrivées par le Thibet et quelques détachements

restés au Dahomey, ont fait la rude campagne conduite parle

général Dodds, et rentrent décimés par le feu et par les

maladies.

Toutefois, les hommes arrivés aujourd'hui sont en meil-

leure santé qu'à leur départ du Dahomey. La traversée, disent-

ils, a été excellente et leur a fait grand bien.

Les troupes d'artillerie de marine, de l'artillerie et du génie,

qui sont sur le Pêlion, sont, au contraire, plus fatiguées. Elles

Page 192: Le général Dodds

188 LE GÉNÉRAL DODDS

viennent pour la plupart du Soudan, où un climat très dur et

les fièvres ont enlevé une grande partie de l'effectif et affaibli

ceux qui restent.

Une foule immense vient de faire aux légionnaires une

émouvante réception. Toute la ville était pavoisée. Un arc de

triomphe avait été dressé sur la place d'Armes par les soins

du conseil municipal et du comité de réception des Femmes

de France. En outre, on avait pris toutes les dispositions

nécessaires pour faire donner des soins aux blessés ou aux

malades, et pour distribuer des vivres aux hommes valides.

Un coup de canon tiré de la division ayant annoncé le dé-

barquement, la foule, qui avait envahi les quais et les prin-

cipales avenues qui conduisent au quartier d'artillerie, caser-

nement provisoire des légionnaires, est devenue tellement

compacte, que les délégations des sociétés, le conseil municipal

et les diverses autorités ont eu la plus grande peine à appro-

cher du Pélion. On peut évaluer à vingt mille personnes le

nombre des habitants qui faisaient cette ovation aux

légionnaires et aux passagers du Pélion.

Un service d'ordre organisé a permis de faire procéder au

débarquement et à la distribution du café à tous les passagers,

parles soins des Dames de France.

Lés blessés et les malades, au nombre de vingt-six, ont été

Page 193: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 189

conduits dans des voitures du comité de réception, et le

cortège immense s'est mis en mouvement à travers les quais

et la ville, précédé de la musique des zouaves jouant la

« Marche de la légion » , des délégations des sociétés de gym-

nastique, du.lycée, des pompiers, portant d'immenses cou-

ronnes.

Puis venaient les légionnaires, que la foule acclamait et

chargeait de fleurs en se découvrant respectueusement devant

eux.

Au quai, se trouvaient les autorités, le conseil municipal, le

secrétaire général, le général et d'autres délégations, et la

foule acclamant la légion.

La traversée de la ville jusqu'au quartier a été une longue et

patriotique ovation.

A onze heures, un banquet est servi aux légionnaires. Le

général a désigné les délégations des officiers et sous-officiers

âe la garnison pour y assister. Dans le port, tous les navires

.sont pavoises.

Ainsi furent fêtés et chaleureusement acclamés, à leur

retour en Algérie, ces braves et modestes héros, dont la

vaillance, la constance et l'énergie avaient assuré le succès de

l'expédition,.comme on l'a vu à chaque page, pour ainsi dire,

de ce petit volume. Ce n'était que justice. Leurs souffrances

Page 194: Le général Dodds

190 LE GÉNÉRAL DODDS

vaillamment supportées au pays de Béhanzin justifiaient

amplement tous les honneurs qu'on leur rendait.

Presque au même moment où les héroïques légionnaires

étaient ainsi accueillis à Oran, un autre transport, la Yilh-dc-

Muranhao, ramenant en France des malades et des blessés,

effectuait son entrée en Gironde. Son arrivée et le débarque-

ment des passagers furent annoncés à l'un des grands journaux

de Paris par le télégramme suivant, daté du 6 février 1893 :

En raison de la persistance du brouillard, on a dû débarquer

les passagers de la Ville-de-Maranhao à Pauillac et les expédier

à Bordeaux par le chemin de fer. Ils sont donc arrivés hier

soir à la gare du Médoc.

Cinq voitures d'ambulance et dix brancards, desservis par

vingt hommes, les attendaient. Ces préparatifs ont été heu-

reusement à peu près inutiles. Sur cinquante-quatre soldats

ou marins venant du Dahomey, un seul, en effet, se trouvait

gravement malade. Celui-ci était atteint de dyssenterie.

Quant aux autres, ils étaient loin de montrer ces physiono-

mies souffreteuses, amaigries ou blêmes, qui nous avaient tant

frappés lors de l'arrivée des premiers convois de Kotonou. La

plupart avaient de superbes apparences. Quelques-uns, fati-

gués par la mer ou éprouvés là-bas par le climat africain,

paraissaient un peu affaissés. C'était le petit nombre.

Page 195: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 191

Tous parlent avec enthousiasme de la campagne à laquelle

ils viennent de prendre part. Par exemple, ils sont tous

d'accord pour se plaindi-e des souffrances que leur a fait

endurer le manque d'eau. C'a été là décidément le point noir

de la campagne.

Plusieurs officiers étaient dans le train, ainsi que M. Ballot,

lieutenant-gouverneur de nos établissements du golfe de

Bénin. Ce dernier souffre d'un anthrax qui lui interdit l'usage

du bras droit. Toute sa famille l'attendait à la gare. Il va se

soigner quelques jours à Bordeaux avant de partir pour

Paris.

Les officiers et les soldats, à leur sortie de la gai'e, ont été

acclamés parla foule, heureuse de leur faire fête.

Page 196: Le général Dodds

IV.

Un éloquent discours de M. Cavaignac.

Le dimanche 29 janvier 1893 eut lieu la réunion annuelle des

anciens élèves de l'Ecole polytechnique, sous la présidence de

M. Cavaignac, ancien ministre de la marine.

Le distingué pi~ésident de cette assemblée d'élite, qui se

tenait dans le grand amphithéâtre de physique de l'Ecole,

prononça ce jour-là un discours dans lequel il s'attacha à

faire ressortir les services rendus au pays par les polytechni-

ciens et à signaler leurs nombreux traits d'héroïsme, dans nos

colonies et notamment pendant la récente expédition du

Dahomey. En donnant ici, en appendice, plusieurs extraits de ce

remarquable et patriotique discours, nous pensons être d'au-

Page 197: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 193

tant plus agréable à nos lecteurs, qu'ils y retrouveront un des

héros du combat du 4 octobre auprès de Gbédé (chapitre VI),

le commandant Lasserre, promu depuis lieutenant-colonel,

qui a fait une relation très émouvante de cette sanglante et

glorieuse rencontre, relation dont M. Cavaignac a cité un des

plus intéressants passages.

« Chacun de ceux qui m'ont précédé ici, a dit en commen-

çant le sympathique orateur, soldat, savant, ingénieur, est

venu apporter un témoignage vivant des résultats atteints par

nos aînés. Qu'il s'agisse des procédés scientifiques de la guerre

moderne, des progrès de la science pure, des transformations

matérielles de la surface du globe, chacun, en vous faisant

toucher ces moissons généreuses que l'Ecole polytechnique a

semées pour la patrie, chacun étayait ses paroles du poids des

services rendus, de l'illustration acquise, ou des hauts faits

accomplis. Au regard de semblables devanciers, je me sens,

naturellement et sans effort, très modeste.

« Les services que l'homme politique peut rendre à son

pays sont souvent impalpables, très souvent discutables et

toujours discutés. Il ne peut se vouer aux tâches exclusives.

Il s'arrête aux aspects superficiels des choses. Il est tenu de

savoir un peu de tout, et ses détracteurs ont beau jeu pour

assurer qu'il ne sait rien. *

13

Page 198: Le général Dodds

194 LE GÉNÉRAL DODDS

M. Cavaignac, après s'être ainsi excusé de faire de la politique,

a rappelé le discours prononcé l'an dernier, en semblable cir-

constance, par le général Borgnis-Desbordes, qui avait modes-

tement glissé sur son rôle dans la grande oeuvre d'expansion

coloniale. Il en a profité pour rendre hommage à tous les

anciens élèves de l'Ecole polytechnique qui ont pris part à ces

campagnes lointaines :

« Il faut avoir eu une occasion particulière de le savoir pour

connaître ce qui se dépense en ce moment d'héroïsme au

Tonkin, dans ces combats constants où de petites troupes

d'Européens enlèvent d'assaut les réduits redoutables des

pirates annamites, risquant chaque joui*, dans leurs excursions

audacieuses, de rencontrer les embuscades de bandits aguerris

et bien armés, montrant peut-être encore plus de constance

et de force d'âme dans la mauvaise fortune que dans la bonne;

luttant des heures contre des forces dix fois supérieures, pour

reconquérir, du moins, dans la retraite, le corps d'un des leurs;

campés durant des mois dans une pagode abandonnée, au

milieu d'un marécage pestilentiel, sacrifiant tout ce qu'un

homme peut sacrifier, sans un murmure et sans une récrimi-

nation, souvent avec le sentiment. amer que tant de forces

vives et d'abnégation ne sont pas dépensées le plus utilement

possible, sans qu'il soit possible de trouver derrière leur

Page 199: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY, 195

héroïsme une arrière-pensée intéressée ; n'ayant souvent pas

même à espérer ce peu de renommée qui est la seule récom-

pense attendue de leur sacrifice.

« C'est d'eux vraiment que l'on peut dire avec le poète :

Ignorés de la gloire et pourtant ses martyrs.

L'orateur a ensuite parlé du Dahomey :

« Plus d'un de nos camarades a laissé son nom inscrit dans

l'histoire de l'expédition. Deux d'entre eux, Menou et Michel,

y ont été envoyés au sortir même de l'Ecole de Fontaine-

bleau : tous deux ont été tués à l'ennemi. Valabrègue y est

mort des suites de ses fatigues. Le capitaine Roques, du génie,

y a rendu les plus grands services. Lasserre y a été blessé

deux fois ; la première fois, à l'affaire de Takou, il a reçu dans

la jambe une balle que l'on a pu extraire, et, tantôt porté,

tantôt boitant, il a continué la campagne jusqu'au combat

du 4 octobre, à Gbédé, où il a été grièvement blessé d'une

balle clans le foie. J'ai pu obtenir de lui le récit des circons-

tances où il a été atteint, et vous me permettrez d'arrêter un

instant votre attention sur cet épisode très vivant de la der-

nière campagne, si meurtrière et encore si peu connue :

« La route de guerre qui relie Abomey à la rivière Ouémé

Page 200: Le général Dodds

196 LE GÉNÉRAL DODDS

aboutit à Tohoué. La colonne expéditionnaire était attendue

à Tohoué ; mais elle surprit l'ennemi en franchissant la rivière

à Gbédé, à 12 kilomètres au-dessous de Tohoué. Le passage

put ainsi s'effectuer sans encombre ; mais, de l'autre côté de

la rivière, on ne trouva, en guise de route, que la brousse la

plus impraticable. Vous pourrez en juger par le court récil du

lieutenant-colonel Lasserre, auquel je cède la parole :

« Nous formions ainsi une série de petites colonnes mar-

« chant parallèlement, à une douzaine de mètres d'intervalle les

« unes des autres ; en tête de chacune de ces colonnes, quelques

« tirailleurs, armés de sabres d'abatis et de hachettes, abattent

« les herbes ou branchages et frayent ainsi les chemins par où

« passe la troupe. L'herbe est tellement épaisse, haute et

« touffue, que ces petites colonnes ne peuvent se voir en

« marchant. Les chefs de section poussent de temps en temps

« des cris d'appel pour rester en liaison et conserver leurs

« intervalles.

« Vers huit heures et demie, les têtes de colonne reçoivent

« quelques coups de fusil ; les sections se déploient immédia-

« tement, tant bien que mal, à travers les hautes herbes; elles

« ne tardent pas à se souder et à former une ligne continue....

« Les tirailleurs, à genoux, presque couchés, répondent sans

« se troubler au feu de l'ennemi, toujours invisible. Je m'ap-

Page 201: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 197

« proche du capitaine Bellamy, pour lui donner quelques

« ordres, et je'm'éloigne aussitôt; mais à peine avais-je fait

« quelques mètres, que je vois le capitaine chanceler et

« tomber. Je reviens à lui ; il est tombé raide mort, frappé

« d'une balle dans la région du coeur. Le sous-lieutenant de la

« compagnie, M. Bosano, vient à moi en même temps, le bras

« pendant et la poitrine ensanglantée ; il devait mourir quatre

« jours après, des suites de ses blessures. J'appelle le lieute-

« nant en premier, M. Passagnie, pour lui donner le comman-

« dément de la compagnie et lui prescrire de remplacer immé-

. « diatement le sous-lieutenant Bosano à la tête de sa section;

« puis, je m'éloigne vers l'arrière. J'avais à peine fait une

« douzaine de mètres, que je ressens sur le flanc droit comme un

« grand coup de bâton qui me fait pivoter et me j ette à terre sur.

« le côté gauche. J'essaye en vain de me relever ; mon adjudant

« d'état-major, l'adjudant d'artillerie Schmacker, court vers

« moi avec l'intention probable de me secourir, mais il tombe

« lui-même; il devait mourir le lendemain. Mon ordonnance

« noir, le tirailleur sénégalais Demba, prend dans ma poche

« le pansement individuel dont nous étions tous munis, me

« panse aussi bien qu'il peut, s'éloigne et revient bientôt avec

« un cadre et six porteurs.

« On me charge sur le cadre, et me voilà en route pour

Page 202: Le général Dodds

198 LE GÉNÉRAL D0DDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY.

« l'ambulance du champ de bataille, escorté par le fidèle

« Demba. Nous avons à parcourir 400 mètres environ. Aux

« deux tiers de la route, nous avons à traverser une zone dans

« laquelle les balles sifflent avec intensité. Mes porteurs,

« affolés, jettent le cadre sur lequel je suis couché et se

« couchent eux-mêmes à plat ventre. Demba les relève à coups

« de crosse, et nous repartons pour l'ambulance, où nous ne

« tardons pas à arriver.

« Sur la ligne, le combat continue, mais le feu cesse vers

« onze heures, par suite de la fuite de l'ennemi. A une distance

« de moins de 25 mètres de la partie du front où est tombé le

« capitaine Bellamy et où moi-même j'ai été atteint, on

« relève un grand nombre de cadavres d'amazones armées de

« carabines Winchester. J'apprends aussi que le lieutenant

« Amelot, ayant exécuté le mouvement que j'avais l'intention

« de lui prescrire, a été mortellement blessé. »

Page 203: Le général Dodds

V.

La mort des héros,

La mort du capitaine Crémieu-Foa, survenue, comme nous

l'avons vu au chapitre Vil, à la suite des blessures reçues pa?

ce vaillant aux combats du 26 octobre en avant.de Kotopa, et

celle de tous les autres officiers héroïquement tombés à la tête

de leurs soldats pendant toute la durée de l'expédition, ont

inspiré à M. G. Bernard-Kahler quelques lignes émues que

nos lecteurs nous sauront gré de leur faire connaître. Sous le

titre que nous lui empruntons ici, la mort des héros, il écrivait à

la. fin du mois de novembre 1892 :

« La mort du capitaine Crémieu-Foa, tombé devant

l'ennemi, sera douloureusement ressentie..., Elle nous apporte,

Page 204: Le général Dodds

200 LE GÉNÉRAL DODDS

une fois de plus, le cruel témoignage que la guerre qui se

poursuit sur la terre dahoméenne n'est pas une guerre d'en-

fants. Rarement, en si peu de jours, l'on avait vu tant d'offi-

ciers mis hors de combat.

« Il faut bien le reconnaître, les Dahoméens font preuve

d'une vaillance extraordinaire. Us'montrent un mépris delà

mort que l'on ne peut s'empêcher d'admirer. Et les guerrières

noires, ces amazones au visage sinistre sous la blancheur des

dents, aux yeux étincelants, qui se grisent avant le combat

avec le gin de nos amis d'Angleterre, peu nous importe, elles

savent se battre et mourir. Et l'hommage que nous leur

rendons, nos soldats en ont, par suite, leur large part.

« Ce n'est pas le champ de bataille des guerres futures sur

lequel ils se trouvent actuellement. Lorsque la grande mêlée

des nations civilisées appellera les hommes et les enfants de

l'Europe à la boucherie..., les bataillons seront placés devant

la mitraille comme des machines de chair et d'os. L'on se

fusillera à distancé, sans savoir où va la balle dans sa course.

Et l'on ignorera la main qui donnera le coup suprême. Les

charges héroïques sei'ont peut-être terminées — faute

d'hommes — avant que les sabres se soient croisés et que les

chevaux étrangers aient froissé leurs mors dans le heurt

meurtrier des cavaliers.

Page 205: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 201

« Mais là-bas, sur la terre noire, l'intelligence, la présence

d'esprit, sont des formes particulières de la bravoure. On

demande aux soldats, non pas seulement de s'élancer en héros

à l'attaque, mais de savoir veiller, de mettre à profit toutes

leurs qualité d'initiative en même temps que de prudence. Au

milieu de milliers d'ennemis, la moindre faute peut avoir les

conséquences les plus fatales. La plus petite imprévoyance

est suffisante pour entraîner la déroute, c'est-à-dire un

désastre irréparable. Voilà pourquoi nos troupes méritent

tout éloge, et le général Dodds est digne de la gratitude de la

nation, lui qui, par son habile tactique et ses préoccupations

en quelque sorte paternelles, a su "triompher des difficultés

militaires et des obstacles naturels. Si l'on n'a pas de pertes

plus considérables à regretter, c'est à lui seul qu'il faut en être

reconnaissant. Il a mis, dans la mesure du possible, ses

hommes à l'abri des rigueurs du climat, et sa prévoyance, sans

cesse en éveil, leur a permis de résister aux fièvres inexo-

rables,

« Aussi les légionnaires marchant sous ses ordres lui sont-

ils dévoués corps et âme. Le récit qu'a donné récemment un

de nos confrères, un soldat revenu du Dahomey, le prouve

surabondamment. Dans la bouche de "ce soldat qui ne sait

point farder la vérité, on voit, en quelque sorte, notre corps

Page 206: Le général Dodds

202 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY..

expéditionnaire opérer sous nos yeux, s'avançant lentement,

en éveil devant les surprises, gagnant du terrain pas à pas et

s'y fortifiant, luttant sans trêve contre l'ennemi qui l'assaille,

et revient plus nombreux, plus acharné, après chaque défaite.

« Une petite ligne m'a surtout frappé, car elle m'a rappelé

le souvenir de lectures anciennes. Un détachement de spahis

est envoyé en reconnaissance. Il prend contact avec l'ennemi,

puis, au bout de quelque temps, se replie sur le corps. Un des

cavaliers manque à l'appel. Il a disparu avec son cheval et ses

armes. Il est tombé entre les mains des noirs. Je me suis

représenté soudain la scène qui avait dû se passer, scène de

nuit, pleine de douleur et de rage. Que de tortures immédiates

a subies ce malheureux! ou pour quelles représailles ou quelles

fêtes de sang a-t-il été emmené en captivité? Ce n'est pas lui,

hélas ! qui aura eu cette sépulture de gazon sous laquelle

dorment ses camarades et qui, dissimulée dans le feuillage de

la forêt vierge, recouvre leurs restes pour l'éternité de leur

nuit inviolée.... »

Page 207: Le général Dodds

VI.

La campagne du Dahomey jugéo par un patriote.

Elle a conquis le Dahomey, la petite armée si vaillante,

aujourd'hui si glorieuse, commandée par le général Dodds,

chef prudent et intrépide, écrivait, le 1er décembre 1892, dans

un élan de joie patriotique, l'un de nos plus érninents publi-

cistes. La campagne est virtuellement close. Quel ensemble de

qualités n'a-t-il pas fallu au corps expéditionnaire, si faible

comme effectif, pour avoir raison d'une troupe imposante par

le nombre, fortement armée, fanatisée, et d'une grande bra-

voure !

Us n'étaient pas trois mille, nos valeureux soldats, et l'on

peut dire que pendant plus de deux mois ils se sont ouvert les

Page 208: Le général Dodds

204 LE GÉNÉRAL DODDS

chemins d'Abomey étape par étape, pied à pied. La valeur

individuelle, le courage, l'entrain de chacun ont seuls permis

un succès qui restera parmi les plus étonnants dans nos annales

militaires." Il faut rendre hommage au chef avisé, sage, éner-

gique, qui a conduit ces soldats valeureux avec tant de pru-

dence et de sûreté.

Le corps expéditionnaire était parti de Kesounou, son point

de concentration, le 8 septembre. Ce n'est que le 17 novembre

que nos troupes sont entrées dans Abomey, après avoir par-

couru environ cent cinquante kilomètres, livré plus de vingt

combats, sur des teri-es d'accès difficile et sous un climat

pénible.

Après les rencontres en paj^s dékamé à Takou et à Kétagon

au mois d'août, le contact lut pris avec les troupes daho-

méennes, le 19 septembre, à Dogha, où la colonne fut assaillie

au petit jour par les soldats de Béhanzin, qui s'étaient portés

vers le bivouac des nôtres par une marche rapide de nuit de

plus de vingt kilomètres. Le combat fut rude. On se fusillait à

dix mètres. C'est là que tomba le commandant Faurax, de la

légion étrangère ; aujourd'hui, à cette même place, s'élève un

fort, point de station sur le fleuve Ouémé, auquel on a donné

le nom du glorieux commandant.

Le ravitaillement, était assuré, et le colonel Dodds, après

Page 209: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. . 205

cette première victoire, continua hardiment la marche en

avant. Le lendemain, l'adversaire était culbuté à Unoumen.

Huit jours après, la colonne atteignait la ville de To.wé, sur

l'Ouémé, au confluent du Zou, après avoir de nouveau battu

l'ennemi à Gbédé.

La colonne expéditionnaire n'était plus qu'à cinquante kilo-

mètres d'Abomey. Par une marche relativement rapide, vers

le nord, utilisant la route de l'Ouémé, le colonel Dodds se

trouvait dans une position favorable, menaçant directement

par l'est la capitale religieuse et la capitale politique, Kana et

Abomey. Mais si l'état sanitaire était bon, les troupes étaient

harassées. Et cependant le moment était venu des plus

grands efforts. L'armée de Béhanzin s'était accrue en nombre

et devenait de plus en plus fanatisée. Elle avait hérissé de

défenses redoutables la route de Towé à Kana.

Le colonel Dodds mena dès lors plus lentement la cam-

pagne, reposant, refaisant ses troupes, ne réclamant d'elles

quelque effoit que lorsqu'il était assuré qu'elles étaient

capables de le donner, ne laissant rien au hasard.

La marche en avant était reprise : le 4 octobre, l'ennemi

était de nouveau battu; le 6, sous le feu de l'ennemi, un pont

était jeté sur le Zou-Von, et la rive gauche de cette rivière

enlevée de vive force. Le 8, quelques kilomètres plus loin, à

Page 210: Le général Dodds

206 LE GÉNÉRAL DODDS

Poguessa, un combat des plus sérieux et très inégal était

livré; les premières lignes de défense élevées par les Daho-

méens tombaient entre nos mains. Nos troupes, exténuées par

cette série de luttes opiniâtres, durent suspendre la marche et

se reposer pendant trois jours.

La colonne reprend sa marche en avant le 10 octobre, bat

une partie des forces dahoméennes à Oubomédi le 12, livre

six combats consécutifs les 12, 13, 14 et 15, pour revenir

reprendre bivouac à Akpa, à proximité des lignes de défense

dahoméennes de Kotopa.

Le colonel Dodds dut se fortifier dans cette position, atten-

dant des renforts pour compléter sa colonne, affaiblie par cette

suite de combats. En Outre, la situation sanitaire devenait

moins satisfaisante. La petite saison des pluies était quelque

peu prématurée et beaucoup plus forte qu'à l'ordinaire. Le 20>

et le 21, les Dahoméens tentèrent plusieurs attaques infruc-

tueuses contre le camp.

Enfin, le 24 octobre, le commandant Audéoud arrivait avec

les renforts réunis à la côte. Le surlendemain, le colonel Dodds

reprenait l'offensive. Après plusieurs combats, les lignes

fortifiées de Kotopa étaient enlevées à la baïonnette. L'ennemi

s'était encore montré plus résolu que dans les attaques précé-

dentes; nos troupes continuèrent avec une ardeur toujours

Page 211: Le général Dodds

.- . ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 207

nouvelle à le battre chaque jour. Le 31 octobre, les 2, 3 et

4 novembre, tous les points fortifiés, notamment la forteresse

de Muako, étaient glorieusement enlevés par la petite colonne.

Kana, la ville sainte, était occupée le 5 et le 6 de ce même

mois.

Le corps expéditionnaire, après de si nobles mais de si

pénibles exploits, était gravement' affaibli; le général

Dodds se vit dans l'obligation de suspendi-e les opérations.

Béhanzin avait concentré dans Abomey les débris de son

armée; le général Dodds se décida à attendre les renforts

demandés pour frapper le coup décisif. Le 15, après onze jours

de repos, le général, ayant sa colonne complète et reformée, se

prépara à forcer Béhanzin dans sa capitale.

Béhanzin et ses troupes ne trouvèrent leur salut que dans

une fuite précipitée.

Quels commentaires ajouter? Nombre, armement, courage,

fanatisme, rien n'a pu un seul instant arrêter notre petite

colonne expéditionnaire si glorieuse.

Elle n'a pas eu un seul instant de défaillance dans cette

marche victorieuse. On ne saurait rendre un trop grand hom-

mage à la valeur et au courage des soldats, à la sagesse et à

l'énergie du chef.

Page 212: Le général Dodds

VII.

Une nouvelle campagne au Dahomey. — Les ambassadeurs de Béhanzin.

Nous avons vu à la fin du chapitre VIII que Béhanzin, en

abandonnant Abomey, après avoir incendié ses palais, s'était

enfui au nord de son empire. Là, dans ces vastes régions

inexplorées où il était pour l'instant impossible de le suivre,

on perdit momentanément ses traces. Mais on conçoit qu'un

souverain tel que Béhanzin n'ait pas accepté sa défaite. Aussi

ne tarda-t-on point à avoir connaissance des nouveaux agis-

sements du roi noir. Tout en travaillant activement à se

refaire des partisans et à reconstituer son armée, il sollicita à

diverses reprises la permission de rentrer dans son royaume,

promettant d'observer fidèlement à l'avenir les conventions

antérieurement consenties. On était payé pour savoir ce que

Page 213: Le général Dodds

LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 209

valait sa parole, et on se garda bien de consentir à son retour à

Abomey et à Kana.

Loin de là, il fut décidé que, dès que la saison le permettrait,

les hostilités seraient reprises, afin de bien prouver au souve-

rain parjure et à tous les noirs de la côté qu'on ne se jouait pas

impunément de la France.

Le général Dodds, qui avait si bien dirigé la première expé-

dition, fut tout naturellement désigné pour commander la

seconde. Celle-ci ne fait que commencer au moment où va >

paraître le présent volume, auquel nous ajoutons en toute hâte

quelques lignes pour mettre nos lecteurs au courant des der-

niers événements relatifs au Dahomey.

Les opérations furent au début quelque peu retardées par

de fortes inondations : le général Dodds le télégraphiait au

gouvernement français à la date du 3 octobre 1893.

Le haut Dahomey, disait-il, était alors presque entière-

ment inondé à la suite de pluies exceptionnelles. Toutes les

rivières étaient débordées ; il y avait deux mètres d'eau sur la

route suivie, en 1892, par la colonne d'Abomey. L'ancien che-

nal de la lagune de Kotonou s'était rouvert, et le courant dans

le chenal atteignait une vitesse de six noeuds.

L'état de santé et le moral des troupes étaient .'excellents...-'

Tous les hommes ayant fini leur temps au Dahomey ou fati-

'-'...:"-'' ik .

Page 214: Le général Dodds

210 LE GÉNÉRAL DODDS

gués par le climat avaient été rapatriés ou allaient l'être

incessamment. Le général Dodds attendait que les eaux se

fussent retirées, pour se porter vers le nord avec la colonne qui

était toute prête.

Béhanzin avait écrit au général, dès qu'il avait eu connais-

sance de son retour à la tête de nos troupes, pour tenter de

rouvrir des négociations lui permettant de gagner du temps.

Le généi'al Dodds avait aussitôt répondu que le gouvernement

de la République était prêt à lui faire des conditions hono-

rables s'il effectuait .sa soumission, mais sa soumission com-

plète et sans arrière-pensée.

Dès le milieu d'octobre, la colonne expéditionnaire était

parvenue à cinq kilomètres d'Agony, après cinq jours de navi-

gation sur l'Ouémé, et le général Dodds télégraphiait

d'Ouenieto :

« La colonne occupe l'espace compris entre les rivières

Ouémé et Zou. Cette dernière descend du pays des Mahis et

se jette dans l'Ouémé à la hauteur des gués de Tohoué, où,

l'année dernière, nos troupes ont traversé l'Ouémé pour mar-

cher sur Abomey.

« La crue exceptionnelle des eaux permet, cette année,

d'utiliser la livière Zou comme route de pénétration vers le

nord-ouest.

Page 215: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 211

« L'inondation baisse très lentement et n'est pas sans com-

pliquer les opérations du débarquement.

« Le général Dodds compte se porter prochainement en avant.

« L'état" sanitaire et le moral des troupes sont excellents.

Le général Dodds a renvoyé par les derniers paquebots

250 hommes ayant terminé leur temps de séjour au Dahomey,

estimant qu'il avait les contingents nécessaires pour mener à

bien l'expédition qu'il vient de commencer. »

Quant à Béhanzin, après avoir reçu du général la réponse

que l'on vient de voir un peu plus haut, il s'était empressé

d'informer le chef de notre colonne expéditionnaire qu'il avait

envoyé un ambassadeur en France, dans l'espoir sans doute

de gagner encore du temps et de retai-der les opérations mili-

taires qu'il redoutait. Mais le général, sans tenir plus compte

de cette nouvelle communication du souverain noir que des

précédentes, continua à avancer et lui répondit que la France,

étant victorieuse, avait le droit, non plus de traiter avec lui

sur les bases anciennes, mais de lui imposer maintenant une

soumission absolue, pleine et entière. A lui de voir s'il voulait

se rendre à discrétion.

Nous allons retrouver un peu plus loin l'ambassadeur de

Béhanzin à son arrivée en Europe.

Le 27 octobre, les Dahoméens reculant toujours devant lui,

Page 216: Le général Dodds

212 LE GÉNÉRAL DODDS

le général Dodds était déjà arrivé à Zaganodo, ancien camp

retranché de Béhanzin, situé sur l'Ouémé, un peu au nord du

parallèle d'Abomey, Il envoya de là le télégramme suivant :

« L'arrivée de notre colonne a amené la soumission des

populations qui se trouvent entre le Zou et l'Ouémé.. L'ancien

roi semble de plus en plus abandonné par les féticheurs de la

région que nos troupes occupent actuellement; et la région du

Dassa, au nord d'Atcheribe, dernier séjour de Béhanzin, se

montre peu favorable à ce dernier. »

Le général Dodds annonçait en outre sa marche en avant

sur le camp de Béhanzin. Le colonel Dumas devait marcher

parallèlement à lui, en appuyant sur la gauche, pendant qu'un

troisième groupe pénétrerait dans la même région par le cours

du Haut-Mono.

Le général signalait enfin une tranquillité complète sur ses

derrières et un état sanitaire satisfaisant dans la colonne et

dans les postes : l'inondation baissait toujours.

Voilà où en sont les opérations militaires au Dahomey an

moment où se termine l'impression de ce volume. Voici main^

tenant le résumé d'un rapport, daté du 8 octobre, adressé par

te général Dodds au ministre de la marine, rapport qui con-

firme et complète tous les renseignements donnés par les

divers télégrammes que nous venons de citer.

Page 217: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 213

D'après ce rapport, les postes d'observation de Béhanzin,

établis en avant de la ligne de nos positions dans le Nord, ont

été maintenus, mais tous les guerriers auraient reçu des ordres

pour disparaître devant nos patrouilles. Les peuplades du

Nord et de l'Ouest sont hostiles à Béhanzin, mais n'osent pas

se montrer ouvertement contre lui.

A la suite des premières reconnaissances opérées dans leNord,

des délégués de la population d'Agony sont venus demander

l'occupation immédiate de leur territoire par les Français.

Les habitants de cette région sont cependant encore dominés

par les chefs de Béhanzin et craignent d'être obligés par-les

guerriers dahoméens à évacuer leurs villages. D'autre part, un

ensemble de reconnaissances vient d'être opéré entre la rive

gauche de l'Ouémé et notre frontière Est jusqu'à la hauteur de

Kétou. Nous avons aussi trouvé de ce côté des populations

disposées en notre faveur, mais elles ne prendront parti pour

nous que lorsque nous serons à leur proximité immédiate.

Avant de reprendre, l'offensive, le général Dodds a tenté

une nouvelle démarche pacifique auprès de Béhanzin et de.ses

principaux partisans.

C'est après ces pourparlers, qui n'ont pas abouti, que le

général s'est porté à Agony. Béhanzin, sans accuser réception

de la lettre qui lui avait été adressée, a envoyé à "Whydah un

Page 218: Le général Dodds

214 LE GÉNÉRAL DODDS

messager porteur d'une lettre de lui, dans laquelle il exprime

son grand désir de faire la paix, en se basant sur les proposi-

tions qu'il nous faisait déjà l'année dernière pour arrêter nos

troupes avant leur entrée à Abomey.

Il annonce qu'il a envoyé un ambassadeur en France pour

plaider sa cause auprès du gouvernement.

Il a été répondu à Béhanzin que la France victorieuse a le

droit d'exiger sa soumission pure et simple, en se remettant à

la générosité du gouvernement. Depuis, on le sait, les opéra-

tions militaires ont été commencées dans le nord du Dahomey

et dans le pays des Mahis. Nous n'aurons qu'à de rares inter-

valles des nouvelles du général,Dodds, qui a dû quitter Agony

le 30 octobre, à la .tête de quatre colonnes convergeant vers

Atchéribe. .

Ces quatre groupes sont sous les ordres des chefs de ba-

taillon Drude, Boufen, de Cauvigny et Chmitelin. Les deux

premiers sont placés sous le commandement du colonel Dumas

et opèrent dans l'Ouest, et les deux autres sous le comman-

dement du lieutenant-colonel Mauduit. C'est avec cette colonne

que marche le général Dodds.

Pour ravitailler notre petite armée, des approvisionnements

de vivres ont été constitués sur la route, principalement. à

Dogha, et le service des transports par l'Ouémé a été assuré

Page 219: Le général Dodds

ET L EXPÉDITION DU DAHOMEY. 215

par l'achat d'un nouveau remorqueur, qui vient d'arriver à

Porto-Novo par Lagos, et par l'affrètement du petit vapeur

Olinda.'

La crue extraordinaire des eaux rend, en effet, très difficiles

les transports par terre; aussi la flottille a-t-elle pu porter une

colonne jusque près d'Agony par l'Ouémé.

En arrière de notre corps expéditionnaire,la côte etlesprin-

cipaux points de l'intérieur restent occupés par des sections

d'étapes ou de forteresses. La garde civile a constitué sur le

chemin de Whjrdah-Ouagbo-Kpomé une série de petits postes,

échelonnés de façon à assurer une communication, rapide de

ce côté avec la côte. Pendant la marche du général Dodds,

c'est le lieutenant-colonel Boistel qui exerce le commande-

ment sur le littoral. La santé des troupes est toujours bonne,

et elles sont parties pleines d'entrain pour cette nouvelle

expédition, dont les préparatifs ont déjà porté une atteinte

, sérieuse au prestige de Béhanzin.

Quant à l'ambassadeur du roi noir et aux personnages

dahoméens qui l'accompagnent en France, ils ont débarqué le

2 novembre à Liverpool et sont arrivés le 10 au soir à Paris.

A sa sortie du train, à la gare Saint-Lazare, la mission

dahoméenne s'est rendue ausitôt à YUôlel Terminus. Elle est

conduite parle conseiller du roi Chedingar; elle est composée

Page 220: Le général Dodds

216 LE GÉNÉRAL DODDS

du gouverneur de Godorney, Ajinkinken; de Toffah, le mes-

sager confidentiel du roi; de Henri Dasoo, secrétaire du roi;

et enfin de John Jackson, journaliste à Lagos.

Trois domestiques nègres sont attachés à la mission,

qu'accompagne, en outre, M. Neviller, le représentant euro-

péen du roi à Lagos.

Les messagers du roi Béhanzin apportent au gouverne-

ment français les propositions de paix de leur maître.

Béhanzin a compris, disent-ils, qu'il avait été berné par les

puissances européennes dont il a suivi jusqu'ici les conseils

l'encourageant à la résistance, et il demande pour son pays

le protectorat de la France, sous certaines conditions, que

pensent discuter avec le gouvernement de la République ses

envoyés. Ceux-ci, en outre du bâton royal, symbole des pou-

voirs qui leur sont dévolus, apportent en France de nom-

breux cadeaux, bijoux d'or et d'argent, etc., offerts par

Béhanzin à M. Carnot.

Les membres de la mission dahoméenne ont trouvé, en

arrivant à YHôtel Terminus, la table servie dans une des pièces

qui leur étaient réservées. Us ont demandé, dès leur arrivée,

une audience au président de la République et au ministre des

affaires étrangères.

Les envoyés de Béhanzin seront-ils reçus par le président

Page 221: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 217

de la République française? On ne le sait pas encore au mo-

ment où nous écrivons ces lignes. Mais, qu'ils soient reçus ou

non à l'Elysée, ils arrivent trop tard et n'ont point de pouvoirs

suffisants pour signer une convention sérieuse. L'obstination

de leur souverain a rendu indispensable la nouvelle expé-

dition que. commande actuellement le général Dodds. Elle se

poursuivra jusqu'à la fin, jusqu'à ce que Béhanzin soit obligé

de se rendre à discrétion. Ce ne sont point ses envoyés à

Paris qui pourront le préserver du sort qui lui est fatalement

réservé.

Voici d'ailleurs quelques lignes de M. Jean Bayol, dans

lesquelles, à la date du 16 novembre 1893 et sous le titre de

la Fin du Dahomey, le célèbre explorateur expose magistralement

la situation désespérée de Béhanzin et la fin de son pouvoir

autoritaire sur les côtes du Bénin :

« 11 y a quatre ans, aujourd'hui, que deux officiers de la

garde dahoméenne me remettaient avec un grand cérémonial,

et en présence de tous les chefs de Kotonou, le bâton du roi,

recouvert entièrement de plaques en argent, et dont l'extré-

mité recourbée avait la forme d'une tête de canard. Le bâton

du roi était la preuve manifeste que j'étais autorisé à me

rendre à Abomey et que ma personne devait être respectée.

«: A mon retour à Kotonou, le 31 décembre 1889, je n'avais

Page 222: Le général Dodds

218 LE GÉNÉRAL DODDS

ni bâton royal, ni guide, et un quart d'heure après mon arrivée

au. poste français habité par une douzaine de tirailleurs sous

les ordres d'un sergent, j'apprenais que les émissaires du roi,

portant le bâton sacré, venaient d'arriver à Kotonou avec

l'ordre de fermer les routes conduisant à l'intérieur. Si je

n'avais pas prévu cette mesure et brûlé les étapes, j'aurais été

obligé de retourner à Abomey, d'où je ne serais peut-être

jamais revenu. Je suis certain que Henri Dasoo, secrétaire du

roi Béhanzin, doit, à l'heure actuelle, méditer longuement sur

les événements qui ont précédé la rupture des relations ami-

cales de son pays et du nôtre.

« Il pourrait me rendre cette justice que j'ai essayé avec une

patience qui ne s'est jamais démentie, malgré de cruelles

souffrances physiques et morales, pendant mon séjour à la

cour de son maître, de leur faire comprendre le vif intérêt

qu'ils avaient à se rapprocher de la France, à s'entendre avec

elle, et à ne pas écouter les conseils intéressés des négociants

allemands et de certains habitants de Lagos, désireux de

voir l'Angleterre s'emparer de Porto-Novo d'abord, pour

placer ensuite le Dahomey sous le protectorat britannique.

« Malheureusement, le roi du Dahomey était comme ce

monarque africain dont parle Montesquieu : il se croyait le

niaïtre de l'univers. . -

Page 223: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 219

« A tous mes arguments, à ma patience inaltérable pour

arriver à résoudre d'une manière absolument pacifique, les

questions pendantes, le prince Kondô, qui devait, quelques

jours plus tard, succéder à son père, me répondait que les

Français étaient gouvernés par des jeunes gens irréfléchis et

qu'il fallait abolir la République, pour rappeler le descendant

des anciens rois de France !

« Et aujourd'hui, pendant que le général Dodds poursuit

sans coup férir sa marche au nord d'Abomey et slempare, si les

dépêches privées parvenues de Kotonou sont exactes, succes-

sivement de Zaganado et d'Atchéribe, que l'on signalait

comme le dernier refuge de l'ex-roi Béhanzin, des chefs daho-

méens, accompagnés de Henri Dasoo, attendent, dans un

hôtel de la capitale de la France, que le président de la Répu-

blique daigne leur permettre de se prosterner à ses pieds et

accepter leur soumission complète.

« Ainsi que je l'ai fait dire à Henri Dasoo, je ne puis ni

voir les envoyés de Béhanzin, ni leur parler, tant qu'ils n'au-

ront pas été reçus officiellement, et, comme il est probable

qu'on ne les,recevra pas, je serai privé d'une entrevue qui

aurait pour moi le plus vif intérêt.

« L'attitude très ferme prise par le gouvernement après la

violation du traité .Cuveryille^Porgère, la campagne heureuse

Page 224: Le général Dodds

220 LE GÉNÉRAL DODDS

du général Dodds, ont appris au roi Béhanzin que la Répu-

blique française n'était patiente que parce qu'elle était forte,

et qu'elle savait imposer le respect qui lui était dû lorsque cela

devenait nécessaire.

« Aujourd'hui, le roi du Dahomey paraît être définitivement

battu. L'entrée du général Dodds à Atchéribe en est la preuve

matérielle; la présence à Paiis de ces infortunés chefs noirs

qui, au prix d'un voyage pénible, ont tenu à venir s'humilier

devant le premier magistrat de notre pays, en est la preuve

morale.

« C'est bien la fin du Dahomey autoritaire et mystérieux

qui s'annonce. De toutes parts, des envoyés arrivent auprès

du général Dodds. Le roi des Mahis, Baguidi/ qui réside à

SaA^alou et était soumis au Dahomey, paraît se rallier à notre

cause. Au nord, au sud et à l'ouest, les-routes paraissent

fermées. Il reste au roi Béhanzin la route.de l'est, vers Lagos,

à moins que les Egbas, échappant à la surveillance des

Anglais, ne s'en mêlent. Seuls, MM. Neville, Jackson et Dasoo

pourraient se permettre de donner une opinion sérieuse.

« Je suppose le roi Béhanzin mort ou en exil, le Dahomey

joacifié, la population peu nombreuse qui l'habite retournée

.dans les villages reconstruits: que ferons-nous de cette nou-

velle conquête?

Page 225: Le général Dodds

ET L'EXPÉDITION DU DAHOMEY. 221

« C'est là l'intéressant problème qui va se poser devant la

Chambre.

« Allons-nous, comme on paraît le désirer, depuis que, par

suite de la conférence de Berlin, les bouches du Niger ont été

perdues pour nous, essayer de relier le Niger moyen à

notre colonie du Bénin? Allons-nous reprendre, au Dahomey,

la même tactique qu'au Soudan, celle des conquêtes succes-

sives ? Où bien, tout en étant très soucieux de l'avenir de notre

colonie nouvelle et du rôle qui nous est destiné sur le Niger,

allons-nous nous contenter d'occuper solidement Porto-Novo

et le littoral?

« Cette dernière idée était celle de l'honorable M. Barbey et

la mienne, et je vois encore la dépêche de l'honorable sénateur

du Tarn, alors ministre de la marine, au commandant du

Sanê : «Nous ne voulons pas expédition dans l'intérieur, mais

« nous voulons possession côte parfaitement assurée. » A mon

avis, c'est la solution la plus pratique, la plus sage et la plus

économique. Les Anglais ont su s'en contenter après leurs

victoires sur les Ashantis, et ne s'en trouvent pas plus mal.

Pourquoi ne pas les imiter?»

Selon les prévisions de M. JeanBâyol, les ambassadeurs de

Béhanzin n'ont pas été reçus par le président de la République

française. Au moment où s'effectue le tirage des derniers

Page 226: Le général Dodds

222 LE GÉNÉRAL DODDS ET L'EXPÉDITION JDU DAHOMEY.

feuillets du présent volume, la mission dahoméenne est partie

de France, retournant au Dahomey.

En quittant Paris le jeudi 16 novembre 1893, elle a fait

remettre à l'Elysée une lettre rédigée en anglais imparfait par

Dasoo, le secrétaire du roi.

Il est dit dans cette lettre que « la mission était venue

pour conclure la paix et dissiper les malentendus créés par le

roi Toffa. N'ayant pas obtenu d'être reçue et ne pouvant rester

plus longtemps sous le climat de France, elle se retire. Elle

n'a pas eu le bonheur de contribuer à amener la paix; que

Dieu la fasse ! »

Les messagers de Béhanzin ajoutent qu'ils s'embarqueront

à Liverpooi et qu'ils s'arrêteront à la grande Canarie. Us solli-

citent du président la faveur de pouvoir rejoindre leur roi en

passant par Whydah.

La lettre est signée des quatre membres de la mission.

Le roi Béhanzin n'a plus maintenant d'autre perspective

que de se rendre à discrétion au général Dodds, s'il veut

conserver quelque parcelle d'autorité sur une partie-de. son

ancien royaume. /> <S\

FIN.

Page 227: Le général Dodds

TABLE

PAGES

I. — Le Dahomey. — Climat et maladies. — Cruautés dahoméennes. —

S. M. Bahadung, l'un des prédécesseurs de Bèhanzin 7

II. — S. M. Bèhanzin, roi du Dahomey. — Coutumes dahoméennes. —

Forces militaires du Dahomey en 1892. — Les amazones. —

Armement des troupes dahoméennes 2(f

III. — Causes de l'expédition du Dahomey. — Le général Dodds. — Les

fortifications de Porto-Novo et de Kotonou. — Sur la défensive. 38

IV. — Toujours sur la défensive. — Préparatifs. — Effectif de nos

troupes au début de l'expédition. — Lettre du colonel Dodds à

Bèhanzin. — Premières opérations offensives. . ... . .54

V. — En campagne !... — Départ de Porto-Novo. — Marche sur

Sakélè. — Les Eghas et les Jésus. — Combat de Dogha (19 sep-

tembre).— Le commandant Faurax 67

VI. — Reprise de la marche sur Ahomey. — Combat de Gbédé (4 oc- '-.

tobre). — Le capitaine Bellamy et le lieutenant Amelot. —

Combat de Poguessa (6 octobre). — Prévisions de M. Jean.Bayol. 87

VIL — Toujours en avant! — Série de combats (12, 13, 14 et 15 octobre). —

Le commandant Marmet. — Passage de la rivière Koto. — Prise

des forts de Kotopa et de Muako. — Prise de Kana (4 novembre). 103

Page 228: Le général Dodds

224 TABLE. -.

PACES

VÏII.— Abomey et ses environs. — Marche sur Abomey. — Bèhanzin

demande la paix. — Négociations à ce sujet. — Rupture des

négociations.— Faite de Bèhanzin. — Entrée des Français à

Abomey (17 novembre). •. . 120 ,

IX. — La nouvelle de l'entrée à Abomey à la Chambre des Députés et au

Sénat. — Rentrée triomphale à Porto-Novo. — Occupation de

Whydah et des villes du littoral. — Vive et forte impression

causée aux Dahoméens et aux noirs de la côte par les continuels

succès dé nos soldats. — Organisation provisoire du Dahomey

sous le protectorat de la France. . 135

X. — Le général Dodds apprécié par un de ses officiers. •— Anecdote

relative à sa nomination de général. —: Retour du général en

France. — Arrivée à Marseille. — Réception enthousiaste. —

Arrivée à Paris. — Trophées rapportés par le général Dodds. —

Un monument en l'honneur des officiers et soldats morts au

Dahomey. 150

APPENDICE.

I. — Les Allemands et Bèhanzin. 177

IL — Service funèbre en l'église de la Madeleine (22 décembre 1892). . 182

III. —Rentrée triomphale en Algérie des troupes expéditionnaires. . . 185

IV. — Un éloquent discours de M. Cavaignac . . . . 192

V. — La mort des héros 199

VI. — La campagne du Dahomey jugée par un patriote. ...... 203

VII. — Une nouvelle campagne au Dahomey. — Les ambassadeurs de

Bèhanzin , ^t'"., ...>-. 208

FIN DE LA TABLE,

Rquen. -^ Imp. MEGÂR1) et C1», rué Saint-Hilairc, 136

Page 229: Le général Dodds
Page 230: Le général Dodds

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