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Dans son premier numéroparu en juin 2010, ZoomJapon avait consacré sondossier principal au polarjaponais. Depuis le livre atoujours occupé une place
importante dans nos colonnes. En ce mois demars, nous vous en offrons même un exem-plaire sous forme d’un supplément consacré àl’aventure d’un quotidien local qui a vécu unehistoire extraordinaire lors du séisme de l’an-née dernière (voir p. 3). C’est aussi pour nousla première fois que nous décernerons le PrixZoom Japon au meilleur roman et au meilleurmanga traduits en français. Et comme, c’est lemois du Salon du livre de Paris qui a choisi demettre les lettres japonaises à l’honneur, il nousest apparu logique de consacrer tout notrenuméro au livre dans tous ses états.
PRIX Celui qui n’a pas lalangue dans sa poche TANAKA Shinya a reçu le 17 janvier dernier
le 146ème Prix Akutagawa, équivalent du
Prix Goncourt, pour son roman Tomogui
[Cannibalisme, éd. Shûeisha]. Dans son
discours, il s’en est violemment pris à
ISHIHARA Shintarô, l’actuel maire de Tôkyô,
qui fut lui-même lauréat du prix en 1956.
Devenu homme politique, il est connu
pour son conservatisme radical.
SUCCÈS Le polar à lapremière placeC’est un roman policier humoristique qui
s’est classé en tête des meilleures ventes
de livres en 2011. Ecoulé à plus de
1,7 million d’exemplaires, Nazotoki wa dinâ
no ato de [La solution viendra après le
dîner, éd. Shôgakukan] de HIGASHIGAWA
Tokuya a déjà fait l’objet d’une adaptation
télévisée. La série a été diffusée entre
octobre et décembre sur Fuji TV.
Tel est le pourcentage de
Japonais qui n’ont pas lu
de livre dans le mois qui a précédé le
sondage mené fin 2011 par le Yomiuri
Shimbun. 46 % ont invoqué le manque de
temps pour se justifier, 21 % le fait qu’ils
n’avaient pas trouvé de bons livres à lire et
16 % l’inutilité de lire.
52 %
U N JOUR AU JAPON par Eric Rechsteiner
“Etes-vous sûr de vouloir étudier le français ?” semble vouloir demander cette paire d’yeux qui regarde fixement le clientvenu traîner dans le rayon langue française de cette librairie tokyoïte. Des dictionnaires bien sûr, mais aussi quelqueslivres de conversation. “Le français au marché”, “le français en se promenant”, “le français au café” ou encore “lefrançais du boulanger”. Tout un programme que ces yeux n’ont pas l’air d’apprécier.
Il y a un an, le quotidien d’Ishinomaki, au nord de Sendai, a fait un travail exemplaireque nous voulons faire connaître.
S i vous êtes un lecteur attentif et fidèle de ZoomJapon, vous devez vous souvenir de notre numéro11 de juin dernier dans lequel nous nous étions
intéressés au rôle de la presse locale lors du séisme du 11mars 2011. Nous avions alors attiré votre attentionsur le quotidien Ishinomaki Hibi Shimbun publié dansla cité portuaire d’Ishinomaki depuis 99 ans. Le trem-blement de terre et le tsunami qui a suivi a fait plus de3000 morts dans cette ville et de nombreux quartiersont été détruits. La zone industrielle où est implanté cejournal a elle aussi été submergée avec pour conséquenceimmédiate pour lui l’impossibilité d’imprimer quoi quece soit. Plutôt que de baisser les bras et renoncer à faireleur métier de journaliste, les membres de la petite rédac-tion ont décidé de produire un quotidien entièrementréalisé à la main et diffusé dans les centres d’évacuationet les quartiers les moins sinistrés. L’objectif était d’as-surer un lien certes ténu, mais essentiel pour une popu-lation traumatisée. Pendant six jours, ils ont écrit et pla-cardé cette édition spéciale, contribuant ainsi à entretenirl’espoir. Ce terme, kibô en japonais, est d’ailleurs uti-lisé pour la première fois dans le dernier numéro de cettesérie exceptionnelle. Touché par ce comportement exem-plaire, l’équipe de Zoom Japon a cherché un moyen derendre hommage au travail accompli par l’IshinomakiHibi Shimbun et de le faire connaître. C’est aujourd’huichose faite avec la publication d’un supplément à cenuméro de mars 2012 qui revient sur la mission, shimeien japonais, que s’était assignée l’équipe de ce journal ets’interroge sur le rôle des médias en cas de catastrophemajeure. Cinq plumes japonaises ont accepté de contri-
buer à cette réflexion. L’autre volet de l’hommage estl’exposition des six journaux muraux au Musée Guimetdu 10 mars au 15 avril. Ils seront accompagnés de pho-tos prises par notre collaborateur Eric Rechsteinerquelques jours après le tsunami afin de mieux appréhen-der le contexte dans lequel l’initiative de l’IshinomakiHibi Shimbun a été menée. Un rendez-vous à ne pasmanquer et à diffuser le plus largement possible.
M ardi 6 décembre 2011. Rendez-vous a étépris avec YAMAUCHI Hiroshi, responsablede la bibliothèque de Minami Sanriku. Nous
préparons un reportage sur les bibliothèques et les librai-ries dans les zones touchées par le séisme et le tsunamidu 11 mars. Minami Sanriku a été une des villes les plustouchées par la déferlante et nous voulons savoir si la villea bénéficié du vaste mouvement de solidarité lancé parplusieurs bibliothèques et éditeurs pour offrir des livresaux victimes. Pour circuler dans cette région côtière, lavoiture reste le moyen le plus pratique, car les lignes detrain emportées par la vague géante ne fonctionnent pastoutes. Aussi entrons-nous les coordonnées de la biblio-thèque de Minami Sanriku dans le GPS pour qu’il nousy conduise. Nous avons fixé l’heure de la rencontre à 16 hde façon à pouvoir bénéficier de la lumière du jour pourfaire quelques photographies. Après quelques kilomè-tres, la voix synthétique du GPS nous indique de tour-ner à gauche, la bibliothèque ne se trouvant plus qu’à unecinquantaine de mètres de là. Mais inutile de tourner, iln’y a plus de route, il n’y a plus rien. Nous sommes arri-vés dans la zone portuaire de Minami Sanriku où se trou-vait le bâtiment avant les événements. Il a été totalementdétruit par le tsunami. Un des employés n’a pas réussi àen réchapper. Nous finissons par obtenir la nouvelleadresse de la bibliothèque sise désormais sur une colline.“Il ne faut pas qu’on connaisse un nouveau drame”, confieM. Yamauchi. La nouvelle bibliothèque est installée danstrois petits préfabriqués que la municipalité a placés àproximité de la grande salle multisports de la ville. “Ellea servi de centre d’accueil pour les réfugiés, explique le bi-bliothécaire. On se rapprochait ainsi des gens qui pouvaienten avoir besoin”. La bibliothèque de Minami Sanriku arouvert le 5 octobre 2011, tandis que le centre d’ac-
Dans les régions touchées par le tsunami, laplupart des bibliothèques et librairies ontété détruites. L’exemple de Minami Sanriku.
SOLIDARITÉ “On a toujours besoin d’un livre”
C’est dans ce type de baraque préfabriquée que la nouvelle bibliothèque de Minami Sanriku a été installée, en attendant de
bénéficier d’un bâtiment plus grand et durable.
4 ZOOM JAPON numéro 18 mars 2012
M. YAMAUCHI Hiroshi (au centre) entouré de ses collègues.Faute de place, les livres attendent dans des cartons.
cueil fermait ses portes pour retrouver son affectationinitiale liée au sport. “Les gens qui fréquentent la salle nesont guère férus de lecture”, confie M. YAMAUCHI, en fai-sant la moue. Mais cela ne le décourage absolument pas.Il a bien l’intention de se démener pour redonner le goûtpour l’écrit. “On a toujours besoin d’un livre”, insiste-t-il,en se tournant vers ses collègues parmi lesquels figurentdeux jeunes recrues fraîchement arrivées. Leur missionest de s’occuper du bibliobus qui circule dans toute la villepour apporter des livres à ceux qui ne peuvent pas se dé-placer. Cette formule fonctionne plutôt bien, même sile choix est limité. “Nous essayons de proposer des nouveau-tés et de nous adapter aux goûts des gens”, poursuitM. YAMAUCHI. Comme d’autres bibliothèques de la ré-gion, sans oublier les librairies, celle de Minami Sanrikua perdu l’ensemble de son fond. Du jour au lendemain,il a fallu reconstituer une base sur laquelle pourrait êtrebâtie la future bibliothèque de la ville. Un budget a étéréservé à cette fin, mais c’est surtout grâce à un vaste mou-vement de solidarité nationale que les premiers livres ontpris place dans les rayonnages. “Nous avons reçu 10 000ouvrages, mais nous n’avons la place que pour 3 000 en-viron. La majorité reste pour l’instant dans des cartons, maisc’est formidable de pouvoir compter dessus”, affirmeM. YAMAUCHI. Son objectif est désormais de s’assurerque les habitants retrouvent le chemin de la bibliothèque.“Nous aménageons progressivement nos horaires pour per-mettre aux gens de venir après le travail. Avant le séisme,nous étions la seule bibliothèque du Japon ouverte le di-manche. Pour l’instant, ce n’est plus le cas. Mais j’espère quenous reviendrons à cette pratique. La décision repose en-tre les mains des hommes politiques. Malheureusement, ilsne semblent pas pressés de trancher”, ajoute le bibliothé-caire visiblement passionné par son travail. Il a conscienceque l’accès à la lecture est un bon moyen pour les sinis-trés de retrouver goût à la vie. “Ceux qui viennent emprun-tent des ouvrages qui leur permettent de se changer les idées.Les romans d’amour ont pas mal de succès. En revanche,il n’y a pas grand monde pour consulter les documents por-tant sur le séisme du 11 mars”, dit-il en montrant un coinoù l’on distingue une vingtaine de livres tout format avecdes images de la tragédie en couverture. “C’est encore trop
Dans la préfecture d’Iwate, voisinede celle de Miyagi dont dépend Mi-nami Sanriku, se trouve la ville deTôno. Cette dernière est très célèbredans l’archipel pour son folklore etses histoires de kappa (personnagefantastique qui est surtout connucomme étant un être espiègle tou-jours prêt à faire de mauvaisesblagues). A l’intérieur des terres,Tôno n’a pas eu à souffrir du tsu-nami, mais la ville au travers d’asso-ciations a participé à de nombreuxmouvements de solidarité. SVA(Shanti Volunteer Association) est decelles-là. Installée dans une petitezone industrielle, elle a décidé d’œu-vrer dans le domaine culturel, no-tamment dans le déploiement de bi-bliobus dans les régions côtières lesplus atteintes par la catastrophe du11 mars. Sous le nom d’Iwate o hash-iru Idôtoshokan Purojekuto [Projet debibliobus qui sillonnent Iwate], SVAmène une vaste opération depuis la
mi-juillet 2011. “Cela nous a permisde toucher 2773 personnes et deprocéder au prêt de plus de 5200 ou-vrages”, explique sa porte-parole KA-MAKURA Sachiko. Au cours des six pre-miers mois de leur existence, les pe-
tits véhicules jaunes et blancs se sontrendus dans 136 lieux différents,principalement dans les zones de re-logement qui, pour la plupart, nedisposent d’aucune infrastructureculturelle. G. B.
I NITIATIVE
Rendre le goût de la lecture
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tôt. Mais c’est important de les posséder. Ça fait partie denotre histoire commune”. Il en profite pour revenir sur saprincipale préoccupation qui est la faiblesse de la fréquen-tation de la nouvelle bibliothèque. “Il faut que nous fas-sions parler de nous. Nous avons des livres, c’est très bien.Maintenant, nous devons attirer les lecteurs. Il faudrait qu’onpuisse organiser un événement qui mobiliserait l’attention”,lance-t-il tout haut, en se tournant vers ses collègues. Ila sans doute raison, mais ce n’est pas facile pour une toutepetite ville et une minuscule bibliothèque de faire venirun écrivain connu. “A Sendai, ils ont de gros moyens. Lamédiathèque est énorme et c’est plus facile d’y créer des évé-nements”. On ne peut pas contester cette réalité, mais onpeut se dire aussi que les nouveaux locaux de la biblio-thèque ont été inaugurés récemment et qu’il faudra un
peu de temps pour que les habitants aient le réflexe des’y rendre. Dans les semaines qui ont suivi le tsunami, unsemblant de bibliothèque a été mis en place dans le hallde l’hôtel Kanyô, énorme établissement en bord de mermiraculeusement épargné par le tsunami. Elle fonctionneplutôt bien aujourd’hui après un démarrage assez lent.On y trouve pas mal de livres pour les enfants commed’ailleurs dans les rayons de la bibliothèque gérée par M.YAMAUCHI. C’est par eux que le salut viendra. “Ils sonttrès demandeurs d’histoires. On voit des mères et des pèresde famille qui viennent avec leur fils ou leur fille pour leurlire des livres”, dit-il en souriant. Le chantier ne fait quecommencer à Minami Sanriku, mais le maître d’œuvreest apparemment très motivé.
GABRIEL BERNARD
Les bibliobus de l’association Iwate o hashiru idôtoshokan purojekuto font la
Quand la flotte du commodore Perry s’est pré-sentée, au milieu du XIXème siècle, en baie deSagami pour exiger du Japon qu’il s’ouvre au
commerce international, les Japonais ont alors parléde l’arrivée des “bateaux noirs” (kurobune). L’expres-sion est restée et est encore utilisée pour désigner unemenace venue de l’étranger. Par menace, il faut enten-dre une remise en cause du train-train en vigueur danscertains secteurs économiques. Depuis l’automne 2011,elle a fait de nouveau surface après l’annonce du lan-cement sur le marché nippon du Kindle, tablette numé-rique développée par Amazon le géant américain dela disribution en ligne. Dans les jours qui ont suivi lapublication du communiqué de presse, de nombreuxjournaux ont employé l’expression kurobune pour sou-ligner la position de faiblesse des entreprises japonaisesdans le secteur du livre électronique par rapport à Ama-
zon dont le Kindle est désormais considéré commeune réussite aux Etats-Unis. En vérité, le Kindle étaitdéjà disponible au Japon, mais aucun livre en languejaponaise n’était accessible. Compte tenu du verrouil-lage du marché de la distribution dans l’archipel, lasociété américaine et sa filiale au Japonn’avaient pas pu signer d’accord avec leséditeurs locaux. Annoncé pour le moisd’avril 2012, le Kindle suscite bien desinterrogations, en particulier chez lesdistributeurs qui perdront évidemment beaucoup auchange. Ils ont en tête que le terminal d’Amazon a bou-leversé les habitudes de lecture des Américains. Dés-ormais, le libraire en ligne vend plus d’ouvrages dansleur version Kindle que sous format papier. Même siles chiffres ne sont pas détaillés, pour 100 exemplairespapiers, il en écoule 105 pour sa tablette numérique.Cette évolution fait évidemment réfléchir au Japonoù l’usage des produits électroniques n’effraie pas, loinde là. Il suffit d’emprunter les transports en communpour en prendre la mesure. Il fut un temps où les voya-
geurs étaient plongés dans la lecture du journal, d’unmagazine ou d’un livre. Désormais, les trois quartsd’entre eux ont les yeux rivés sur leur téléphone por-table, échangeant des courriels, regardant la télévisionou prenant connaissance des dernières nouvelles.
Lorsqu’on jette un regard indiscret versl’écran de son voisin ou de sa voisine, onconstate qu’ils lisent rarement des “livres”sur leur machine. De temps en temps, onaperçoit un jeune qui lit un manga, mais
la taille de l’écran (malgré une nette amélioration)limite grandement le plaisir de la lecture. La plupartdu temps, on doit se contenter de naviguer case parcase, ce qui prive le lecteur de certains effets vouluspar l’auteur qui à l’origine n’a pas conçu son œuvrepour être diffusée de cette manière. Il y a 3 ou 4 ans,était apparue une littérature pour téléphone portable,baptisée hâtivement par la presse Keitai shôsetsu [romanpour portable]. Elle se caractérisait par une écrituresimple et rythmée avec des histoires tournant autourde rapports amoureux. A quelques rares exceptions
Des expériencesmenées sansgrande réflexion
TENDANCE Livre électronique, année 0En avril, l’Américain Amazon va lancer son Kindle sur le marché nippon. Une perspective qui suscite l’inquiétude.
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Les clients de la librairie Kinokuniya dans le quartier de Shinjuku, à Tôkyô, sont invités à s’intéresser au livre électronique
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près, tous les keitai shôsetsu racontent la rencontre entreune fille et un garçon âgés de 1520 ans. Les person-nages sont en quête de l’“amour véritable”. En ce sens,ces histoires ressemblent aux mangas et aux romanspour adolescentes de jadis. C’est peut-être la raisonpour laquelle des éditeurs classiques ont choisi deles éditer sous format papier, contribuant certes à lespopulariser auprès d’un public plus large, mais surtoutempêchant l’expérience de la lecture électronique dese développer. A quoi bon télécharger un roman mêmecomposé pour un téléphone portable quand il est dis-ponible dans la première librairie venue. Et comme auJapon, les librairies n’ont pas encore disparu, y com-pris dans les zones moins peuplées, le keitai shôsetsuest devenu un genre littéraire et pas un synonyme demode de distribution électronique. “Le marché japo-nais ressemble à ce qu’il était aux Etats-Unis il y a deuxou trois ans”, confie NOMURA Hideki, responsable descontenus chez Sony. Ce dernier est conscient du défiqui se pose à la fois aux éditeurs et aux fabricants determinaux depuis l’annonce d’Amazon et le succès duiPad. C’est la raison pour laquelle on assiste depuisdeux ans à une intense activité destinée à mettre enplace la résistance au fameux kurobune. Pas questionen effet de se laisser dicter la stratégie par des étran-gers. Parmi les plus actifs, il y a Sharp qui a lancé Gala-pagos, un terminal de lecture, en collaboration avecdes prestataires de service. Une équipe de 500 per-sonnes a même été constituée pour que l’opérationsoit un succès retentissant. L’objectif était la commer-cialisation d’un million d’appareils en 2011. Mais avecà peine 15 000 machines écoulées, l’échec a été cui-sant pour le fabricant japonais qui a dissous son équipede choc et rompu les contrats de coopération avec sespartenaires. D’autres acteurs du secteur se sont aussilancés dans l’aventure comme Dai Nippon Insatsu(DNP, Dai Nippon Publishing), l’un des plus grandsimprimeurs de la planète. Ce dernier a bien comprisque le moment était venu de mettre les pieds dans leplat et de proposer des plateformes fiables pour le livreélectronique. DNP multiplie donc les initiatives etsuit de très près les expériences menées à travers lemonde. Comme ses concurrents japonais qui, eux aussi,se positionnent, le groupe a compris que l’un des prin-cipaux problèmes auquel ils sont confrontés est celuidu format, c’est-à-dire la nécessité de s’appuyer sur unenorme commune afin de pouvoir commercialiser mas-sivement des contenus. C’est d’ailleurs ce qui expliqueen grande partie l’échec de Sharp. Sans porter de juge-ment sur la qualité du produit, les ingénieurs de lamarque japonaise ont développé un format Galapa-gos, ce qui limitait l’accès au contenu. Toute choseégale par ailleurs, c’est un peu la situation qui s’étaitposée dans le secteur de la vidéo avec le format VHSet Betamax. Sony qui défendait cette norme a perdupas mal d’argent en s’obstinant jusqu’au jour où lasociété a dû se rendre à l’évidence et l’abandonner auprofit du VHS qui s’était partout imposé. Sony s’estaussi lancé dans le livre électronique, en développant
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un terminal et une boutique en ligne pour les ache-teurs de son Reader. Il a aussi monté des partenariatsavec le libraire Kinokuniya et le groupe de commerceen ligne Rakuten (propriétaire en France du site Pri-ceMinister) pour la diffusion de contenus adaptés àsa machine. Cela s’agite donc beaucoup chez les pro-fessionnels qui sentent que l’année 2012 pourrait êtredécisive dans ce secteur pourtant bien développé. Selonles données de l’Institut Yano spécialisé dans les étudesde marché, le chiffre d’affaires généré par le livre élec-tronique atteignait déjà 61 milliards de yens au Japonen 2009, ce qui plaçait le pays du Soleil-levant parmiles plus en pointe. Mais, comme il le soulignait, la quasitotalité de ce résultat est assurée par les téléphonesportables. En d’autres termes, les spécialistes du sec-teur estiment que la page du portable doit être tour-née du fait de l’avènement des smartphones et destablettes numériques qui vont détrôner petit à petitles appareils plus petits. Dans ce domaine, les entre-
prises japonaises avaient réussi à imposer des normespropres comme le iMode, car beaucoup plus perfor-mantes que celles en vigueur en Occident. Au niveaudes smartphones et des tablettes, la situation est dif-férente, car les normes qui sont en train de s’impo-ser ne sont pas made in Japan. Il serait donc presquesuicidaire que d’imaginer lancer un produit uniqueà moins d’être assuré qu’il renvoie ses concurrents dansles cordes. Sharp avec son Galapagos en a fait l’amèreexpérience. D’autre part, le succès de l’iTunes Store l’aprouvé, les consommateurs souhaitent aussi pouvoiravoir accès à des contenus les plus diversifiés possibles.Ils iront chez les prestataires qui leur assureront le plusgrand choix de titres. C’est en cela qu’Amazon estun concurrent redouté. Son expérience dans la distri-
bution de livres en ligne lui a permis de s’imposercomme l’un des principaux libraires dans l’archipel.Avec son Kindle, il est en mesure de poursuivre sur salancée et de garantir aux éditeurs des ventes conforta-bles. C’est donc moins sur le terminal (même si leKindle a prouvé son efficacité) que sur le service quetout se jouera en définitive. En ce sens, les sociétés japo-naises ont peut-être leur épingle à tirer. Elles connais-sent bien mieux les besoins et les attentes des consom-mateurs japonais qui, on le sait, sont particulièrementsensibles à la notion de service. Comme le rappelait ledesigner HARA Kenya, dans notre précédent numéro,c’est dans le domaine du service que l’avenir du Japonva se jouer. N’en doutons pas, cela concerne aussi lesecteur du livre électronique. Si elles ne ratent pas lecoche, elles devraient éviter d’être les spectatrices deleur propre échec. Les lecteurs sont en moyenne plusâgés que les consommateurs de contenus à lire sur télé-phone portable. Il faut donc que les distributeurs de
livres électroniques visent de nouvelles tranches d’âge.Aux Etats-Unis, par exemple, il est clair que les prin-cipaux utilisateurs du Kindle ont entre 30 et 50 ans.Au Japon, ce sont les 15-20 ans qui lisent le plus sur leportable. Les 30-50 ans sont deux fois moins nom-breux à le faire. C’est donc cette catégorie de gros lec-teurs qui doivent être privilégiés, car ils sont la clédu succès ou de l’échec du livre électronique dans l’ar-chipel. Si les entreprises japonaises ne veulent pas subirla loi des kurobune, elles devront se rappeler qu’en 1868,quelques années après le passage des bateaux noirs,le pays s’était lancé dans une vaste opération de moder-nisation qui lui a permis de ne pas tomber sous le jougdes Occidentaux.
ODAIRA NAMIHEI
Au cours des derniers mois, le rayon consacré au livre électronique s’est étoffé chez le librairie Kinokuniya
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Le secteur de l’édition connaît une crise importantedepuis plusieurs années. Est-ce que le livre électroniqueest une chance pour lui de sortir de l’ornière ?USHIGUCHI Junji : Je crois que c'est une chance. Tou-tefois, il ne faut pas considérer le livre électronique commele Messie. Il s'agit plutôt d'une chance de remettre à platle système de distribution usé sur lequel se fonde le sec-teur de l'édition, tout en accompagnant la diffusion dulivre électronique lui-même. Depuis des décennies, la dis-tribution des livres et des magazines est entre les mainsde deux entités (Tôhan et Nippan). Il ne fait aucun douteque ce système n'est plus adapté à la situation actuelle.Tout en le reconnaissant, les deux entreprises n'ont rienentrepris pour en sortir et le marché a continué à secontracter. Au Japon, la distribution des livres et des ma-gazines empruntent la même voie. Les sorties littérairescomme les nouvelles livraisons de revues sont ainsi dis-tribuées dans les librairies de la même façon. Puisque letirage des livres est inférieur au nombre de librairies, ilest donc indispensable de contrôler en amont la distri-bution. Une opération réalisée par Tôhan et Nippan. En-suite, les invendus sont retournés au bout d'une périodedonnée. Lorsque les ouvrages se vendent bien, le sys-tème fonctionne correctement. Cela se complique sérieu-sement quand le taux d'invendus est élevé, car cela plombel'ensemble de la filière. Pour les maisons d'édition, la pu-blication de nouveaux titres est synonyme de recettesquand ils se vendent. En revanche, les invendus rimentavec remboursement, ce qui les étrangle. Si elles ne sor-tent pas de nouveautés, elles perdent des sources de re-venus. Voilà pourquoi, malgré la crise du secteur, le nom-bre de nouveautés n'a pas cessé d'augmenter. Mais je penseque la qualité s'en ressent. A force de sortir des livres demauvaise qualité, on finit par perdre des lecteurs. Dansces conditions, si le livre électronique parvient à s'impo-ser dans ce paysage, il sera en mesure d'apporter le chan-gement. Son mode de distribution vierge de tout fonc-tionnement à l'ancienne va permettre l'émergence de nou-velles règles. C'est en ce sens que je parle de “chance”.
Quels sont les changements que le livre électroniqueapportera ?U. J. : Je ne pense pas que cela aura un impact immé-diat sur le fait même de “publier”. C'est plutôt la façonde percevoir l'objet de lecture qui va évoluer, en se disantque l'on peut lire à la fois sur un support papier et un ter-minal électronique. Une fois que cette étape sera passée,il est possible que cela donne naissance à des contenusspécifiques et à un mode de production particulier ré-
servés au livre électronique. On peut imaginer des pu-blications dont la présentation sera différente de ce qu'elleest aujourd'hui, mais surtout des contenus qui répondrontaux attentes précises des lecteurs sans oublier la possibi-lité d'interagir avec d'autres contenus. Ces évolutions déjàen place dans l'édition scientifique pourront s'étendre sil'on parvient à définir des normes communes. Je penseaussi qu'il sera plus facile d'intégrer de l'image et du son.Par ailleurs, il est évident que ces changements vont aussifavoriser l'émergence de nouveaux éditeurs en marge dusystème de distribution actuel. Toutefois, à l'exceptionde certains secteurs particuliers comme l'édition scien-tifique, il est peu probable que cela devienne le courantdominant. Le temps est venu de se demander ce que re-couvre désormais le terme “édition” au moment où lesmodèles économiques se diversifient et la frontière se ré-duit entre publication électronique et diffusion d'infor-mation sur le Net.
Amazon s’apprête à lancer son Kindle sur le marchéjaponais. 2012 pourrait bien être l’année du livre élec-tronique au Japon. Qu’en pensez-vous ?U. J. : Puisqu'on peut raisonnablement envisager une aug-mentation du nombre de titres en version électro-nique, je pense que 2012 sera vraiment l'année où le li-vre électronique va se démocratiser. C'est sans doute au
AVENIR “Il est crucial d’augmenter le nombre de titres disponibles”Spécialiste du sujet, USHIGUCHI Junji évalueles changements induits par le livreélectronique et ses chances de s’imposer.
regard de cette situation qu'Amazon a décidé de lancerson Kindle sur le marché japonais. Au départ, il existaitun marché du livre électronique réservé au téléphone por-table. Mais face à l'usage de plus en plus marqué des smart-phones, à l'avènement des tablettes numériques et desterminaux spécialisés, je crois que le livre électroniqueva continuer à se développer.
Quelles sont les conditions requises pour que le livreélectronique se démocratise vraiment ? U. J. : Il est crucial que le nombre de titres disponiblesaugmente. Cela ne concerne pas un genre en particulier,mais tous les domaines sans distinction. Ensuite, il fautcréer des librairies en ligne susceptibles de fournir un ser-vice plus pratique que ce qui est proposé pour les livrespapiers et d'avoir une longue durée de vie afin de créerune relation de confiance avec les lecteurs. Toutefois, celane se fera pas en un jour. Il y aura des étapes à franchirpour assurer le succès du livre électronique. Je crois eneffet qu'il y aura à la fois des phases d'expansion et de stag-nation dans le processus. Enfin, il me semble indispen-sable de mettre en place une base de données et d'iden-tification des contenus qui permettra de faire des re-cherches parmi les titres que l'on souhaite lire.
Etes-vous inquiet pour l’avenir du “livre papier” ? U. J. : Pour moi, le “livre papier” continuera d'exister.A la différence des contenus audio et vidéo qui néces-sitent un équipement particulier pour être écoutés ouvus, le livre est en soi autonome. C’est un contenu quipeut être utilisé sans l’aide d’aucune machine. Par ailleurs,le livre en tant qu’objet est une “valeur” en soi. Voilà pour-quoi, il semble très difficile d’évaluer le temps que celaprendra pour passer du papier au tout numérique.Mais je reste persuadé que le livre sur papier n’est pas prêtde disparaître.
Comment voyez-vous l’avenir du livre électronique ? U. J. : Comme je vous le disais, je pense que le livre élec-tronique est plus pratique, mais il y a de nombreux obs-tacles à surmonter pour qu’il s’impose compte tenu dusystème de distribution. Par ailleurs, il est encore très fa-cile, notamment dans les grandes villes, de se procurer deslivres disponibles dans bien des endroits. Ce n’est doncpas de nature à favoriser la diffusion du livre électronique.Par ailleurs, en termes de prix, compte tenu de l’existenced’un réseau de livres de seconde main, le livre électroniqueva devoir prouver qu’il est vraiment intéressant. Je pensedonc que sa diffusion sera plus lente qu’aux Etats-Unis.Reste que le Japon est créatif comme il l’a prouvé dans d’au-tres secteurs. Il pourrait bien nous étonner dans ce do-maine, en innovant en termes de contenus.
PROPOS RECUEILLIS PAR O. N.USHIGUCHI Junji est responsable du livre électronique chez
le libraire Kinokuniya, l’un des plus importants du pays
En août 2009, SATÔ Shûhô, auteur d'Umizaru,l’ange des mers [publié en français par Kabuto]et Say Hello to Black Jack [éd. Glénat], avait
défrayé la chronique et mis en émoi le monde de l’édi-tion, en lançant son site (http://satoshuho.com).Non seulement le dessinateur faisait clairement allu-sion à ses conflits avec des éditeurs comme Shôgaku-kan et Kôdansha, mais il annonçait son projet depublier ses œuvres en ligne. Il a depuis fermé son sitepersonnel pour ouvrir un espace plus ambitieux bap-tisé Manga on Web (http://mangaonweb.com) oùil promeut notamment de jeunes auteurs. La volontéclairement exprimée par le mangaka était de sortirdu système dans lequel il se sentait enfermé. “Logi-quement, ça ne devrait pas être facile. Ce que je veuxfaire, des maisons d’édition et des sites Internet l’ontdéjà tenté et aucun d’entre eux n’a réussi. Mais il mesemble que c’est une chose intéressante qu’il y ait des genspour entreprendre d’autres choses. C’est clair que jene gagne plus d’argent avec les magazines, mes livres depoche ne se vendent plus et mes albums non plus. Maisje ne veux surtout pas rester là à regarder la situationse détériorer sans rien faire. Certes, je suis en colèrecontre mes éditeurs, mais je ne cherche pas la confron-tation, je veux juste que mes mangas continuent à êtreslus. Avant que la situation ne devienne ingérable, jeveux tenter quelque chose. Bien sûr, les éditeurs cher-chent eux aussi des moyens de sortir de cette mauvaisepasse, mais il est essentiel, à mon avis, que les auteurs,les écrivains, proposent eux aussi des solutions”, avait-il répondu, quelques mois après le lancement de sonpremier site, quand on l’interrogeait sur son initia-tive. On sent aujourd’hui que l’exemple de SATÔ
Shûhô est de nature à inspirer d’autres auteurs, y com-pris dans le domaine de la littérature. Les écrivainsconstatent un recul de la lecture en général et esti-ment que les éditeurs ne font pas assez d’efforts pourrépondre à cette situation. Fin 2010, l’écrivain MURA-KAMI Ryû et le musicien SAKAMOTO Ryûichi ont tra-vaillé ensemble à la création d’une œuvre mêlantmusique et écriture qui n’a été distribuée dans un pre-mier temps que sur support électronique. Utau Kujira[La Baleine qui chante], tel est son titre, a reçu unbon accueil du public. Reste qu’une édition papier atout de même été publiée quelques mois plus tard.L’arrivée du Kindle, la multiplication des tablettesnumériques devraient cependant accroître le nom-bre de ces initiatives, d’autant que des écrivains (voirl’interview ci-contre) manifestent ouvertement l’en-vie de changer un système qui n’est plus adapté.
O. N.
IDÉES Comment les écrivains réagissentSuivant l’exemple des musiciens qui ont trouvédes moyens de distribution originaux,quelques rares auteurs tentent des expériences.
10 ZOOM JAPON numéro 18 mars 2012
Votre désir de réformer lesystème actuel est-il lié auxévénements du 11 mars ?SHIMADA Masahiko : Le 11 mars aévidemment été un grand chocpour tout le monde. Au niveau desartistes et des écrivains, commemoi, il a été extrêmement ressenti.Avant qu’il ne se produise, le senti-ment que le Japon vivait une gravecrise était profondément ancré enmoi. Les événements du 11 mars ontréveillé en moi le désir de changer leschoses. Il faut que nous réformionsle système capitaliste tel qu’il existeau Japon aujourd’hui. Nous vivonsdans un pays soumis depuis long-temps aux caprices de la nature. Aufil des siècles, les Japonais ont su réa-gir aux catastrophes naturelles. Cettefois, le système administratif sclérosén’a pas permis de trouver de ré-ponses adéquates. C’est ce qui mefait dire que le pays doit entrepren-dre une véritable mue d’autantqu’une partie de ce qui s’est déroulédepuis le 11 mars, notamment à lacentrale de Fukushima Dai-ichi, estla conséquence des activités hu-maines. Dès lors, il est indispensablede repenser le système de produc-tion, de distribution et de consom-mation, ce qui passe par un abandonpur et simple de la façon dont nousavons fonctionné jusqu’à présent. Lesartistes peuvent justement être lespionniers de cette nouvelle pensée.Ils sont en mesure d’imaginer le fu-tur et d’entreprendre des actionsconcrètes qui ouvriront la voie àd’autres. Les écrivains, les philo-sophes et les autres artistes doiventse mettre rapidement au travail. Lesmusiciens ont déjà débroussaillé lechemin avec la mise en place de sys-tèmes originaux pour distribuer leursœuvres ou organiser des concerts parexemple.
Est-ce que les écrivains peuvents’en inspirer ?S. M. : Bien sûr. Je suis par exempletrès impressionné par la façon dontLady Gaga a réussi à imposer sonmode de fonctionnement et par lagestion de ses affaires. (rires) Dansle domaine du livre électronique, ily a des choses à développer.Comme vous le savez, c’est un sec-teur qui reste sous-développé auJapon. Au moment du séisme, j’ai
lancé un projet visant à aider lessinistrés en vendant des livres et enles distribuant. J’ai beaucoup hésitéà le faire avec des livres papiers, carcela supposait toute une logistiqueassez lourde. Mais j’ai fini par m’yrésoudre car, comme je le disais, lelivre électronique n’est pas encoreassez développé dans l’archipel. Etpuis, la plupart des écrivains qui ontparticipé à ce projet avaient signéleurs ouvrages en y ajoutant despetits mots, ce qui, je le reconnais,en facilitait la vente. Les gens don-nent plus facilement si le livre estsigné par l’auteur. Toutefois la ventea été faite sur Internet à partir d’unsite qui aujourd’hui distribue deslivres électroniques. J’ai donc envied’explorer le secteur de la distribu-tion électronique d’ouvrages defaçon directe du producteur auconsommateur. Actuellement, le sys-tème de distribution des livres élec-troniques est entre les mains desociétés comme Amazon qui entirent en définitive le plus grand pro-fit alors que le coût pour elles estproche de zéro. En d’autres termes,si la vente de livres électroniques sedéveloppe, comme beaucoup sem-blent le prédire, les bénéfices déga-gés seront encore plus grands. Voilà
pourquoi les écrivains ont tout inté-rêt à choisir ce système de distribu-tion, tout en s’assurant que les pres-tataires de service ne prennent, defaçon injustifiée, un pourcentageélevé qui ne se justifie plus. Cela vaavoir un impact sur l’évolution dusystème capitaliste et cela donneraaussi un peu plus de moral au sys-tème puisque les producteurs récu-pèrent davantage que les intermé-diaires.
Comment expliquez-vous le retarddu Japon dans le domaine du livreélectronique ?S. M. : A la différence des Etats-Unisoù les libraires comme Amazon ontune influence très grande et ont puimposer certains choix, le Japonreste frileux parce que les éditeurssont tout puissants et qu’ils n’ontpas réussi à s’entendre sur unmodèle à suivre dans ce domaine.Par ailleurs, je crois que les Japonaisrestent très attachés au papier. Il y aégalement le fait que le marché enlangue japonaise est peu concurren-tiel à la différence de la langueanglaise qui exige qu’on se précipiteà lancer de nouvelles formes de dis-tribution faute de quoi le concurrentle fera à votre place. Au Japon, cen’est pas encore tout à fait le cas.Donc les éditeurs ne sentent pas l’ur-gence de faire le premier pas saufdans le secteur du manga qui est,lui, beaucoup plus concurrentiel.
Que pensez-vous de l’initiativelancée par l’écrivain MURAKAMI Ryûet le musicien SAKAMOTO Ryûichi ?S. M. : C’est justement, à mes yeux,un excellent exemple de ce qui estpossible de faire dans un futurproche pour nombre d’écrivains.Cette collaboration entre un écrivainet un musicien a permis de créer uneœuvre originale, distribuée de façonélectronique. J’imagine, en ce quime concerne, des contenus plusriches qu’un simple ajout demusique, mais ce qui importe ici,c’est la démarche qui ouvre desperspectives. J’aimerais bien revenirà l’idée de produire un livre de façonartisanale dans une dimension élec-tronique bien sûr, mais peut-être enévitant que cela prenne une ampleurtrop industrielle.
PROPOS RECUEILLIS PAR O. N.
SHIMADA Masahiko, l’artisan entrepreneur
I NTERVIEW
Né en 1961 à Tôkyô, SHIMADA
Masahiko est écrivain et acteur àses heures. Il enseigne égalementà l’Université Hôsei à Tôkyô. Il estl’auteur de nombreux romansdont Muyû ôkoku no tame noongaku [Musique pour le royaumedu somnambulisme] qui a obtenule prix Noma en 1984. Son romanMaître Au-delà est paru en Franceau Serpent à Plumes en 2004.
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Je croyais que vivre dans ce pays me permettrait natu-rellement d'acquérir certaines notions de lecture enfrançais. Enfant, j'aimais beaucoup les ouvrages occi-dentaux traduits en japonais qui me faisaient rêver depays lointains. Je n’ai donc pas lu beaucoup de romansjaponais pendant mon enfance. Mais dans les années80, j'ai découvert des auteurs contemporains et lupresque tous les ouvrages de MURAKAMI Haruki del'époque. J'aimais beaucoup son univers apatride etses textes me semblaient être traduits d'une autrelangue. A la même époque j'ai rencontré un recueilde Stéphane Mallarmé traduit en japonais et ai rêvéde le lire en version originale.Pourtant depuis que je suis enFrance, je suis presque allergiqueà la littérature ! Cela vient sansdoute des romans françaisqu'une école de langue m’avaitdonnés comme sujet d’exa-mens : Diderot et Balzac. Enconsultant un dictionnaire tousles 5 mots, je n'ai absolumentpas pu me concentrer sur l'histoire. Cet ennui est restégravé si profondément que depuis je me suis éloi-gnée de la littérature et mon seul plaisir a été de lirel’horoscope du Parisien relativement facile à com-prendre. Un peu plus tard, on m'a présenté un mangalittéraire japonais, mais écrit en français : Au temps deBotchan de TANIGUCHI Jirô. Ce fut tellement intéres-sant de lire autrement une histoire de mon pays quej'ai très rapidement avalé les 5 tomes. Après cemanga, je me suis intéressée aux auteurs japonaisclassiques et ai commencé également à les lire enfrançais. Cependant à travers leurs traductions je n'ar-rive pas à reconnaître la différence de style de chaqueauteur, sachant que nous avons 36 façons de dire“moi” en japonais. Mon seul critère pour apprécierdes écrits en français est sa facilité de lecture ! Et il nefaut surtout pas me conseiller des ouvrages écrits avecplein de jolies expressions qui me demandent untemps de réflexion considérable. Cela dit je rêveencore de pouvoir lire Stéphane Mallarmé en fran-çais...
Plaisir et douleurde la lecture
LECTURE Kitano : good boyou bad boy ?KITANO Takeshi fait partie de ces
personnages qui ne laissent personne
indifférent. Il se dégage de cet homme
une énergie et une complexité que l’on
retrouve à la fois dans son cinéma et dans
ses livres. Connu au Japon pour ses
émissions de
télévision où
il fait
souvent le
clown, il est
célèbre en
France pour
son cinéma,
en
particulier
ses films de
yakuza.
Même si
elles sont
sorties sur le
sol français, ses œuvres plus personnelles,
qui révèlent justement la complexité du
personnage comme Achille et la tortue ou
L’Eté de Kikujirô, n’ont pas connu le succès
qu’elle méritait. Peut-être qu’il aurait fallu
lire les trois nouvelles réunies dans ce
recueil paru chez Wombat. KITANO le
nostalgique nous plonge dans ce Japon de
la simplicité et de l’humanité au travers de
récits sur l’enfance avec ses hauts et ses
bas, mais surtout avec une profondeur des
sentiments. Les trois histoires évoquent
l’amitié entre camarades de classe qui
demeure malgré les années, l’amour
fraternel et l’amour tout court. Encore une
fois, KITANO parvient à nous émouvoir.
Boy de KITANO Takeshi, trad. par Silvain Chupin,
coll. Tanuki, éd. Wombat, 15 €
CINÉ-CLUB La Femme dessables à La PagodeAprès le succès de l’avant-première de
I Wish de KORE-EDA Hirokazu, nous vous
proposons un retour en arrière avec La
Femme des sables de TESHIGAHARA Hiroshi.
Adapté d’un roman d’ABE Kôbô, ce film
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taient davantage à des bains de vapeur qu’aux bains quel’on connaît aujourd’hui. Ceux-ci étaient situés dans l’en-ceinte des temples bouddhistes à une époque où le boud-dhisme se diffusait largement dans le pays. Ils sont lesancêtres des bains publics d’aujourd’hui. Les premiersont fait leur apparition au XIème siècle et le terme sentôen 1401. Combinaison de deux caractères chinois signi-fiant respectivement "monnaie" (sen) et "eau chaude" (tôqui se prononce aussi yu), sentô est le terme le plus cou-rant pour désigner ces lieux qui, à partir du XVIème siè-cle, vont connaître un développement important.C’est en 1591 que le premier sentô est construit à Edo.A cette époque, il ne s’agissait pas encore des bains quel’on connaît aujourd’hui. On parlait alors de todana-buro, ou cabine de bain, dans laquelle on trouvait unebaignoire dont l’eau était chauffée par le sol. Afin deconserver la chaleur de l’eau, les propriétaires des bainsimaginèrent d’éliminer les portes coulissantes qui favo-risaient l’évaporation de la chaleur et de créer le zakuro-guchi, un espace où la chaleur était capturée grâce àdes planches placées à l’entrée, lesquelles obligeaient les
14 ZOOM JAPON numéro 18 mars 2012
MANGA C’est l’heure du bain
C 'est l'heure pour chacun de laver le dos des autres.PDG et mendiants, moines et yakuza, personnesâgées et enfants en bas âge, nous sommes tous
égaux ici. Juste des corps qui ont besoin d'être lavés. Il n'ya aucune différence entre nous quand nous nous retrou-vons nus. Chacun sent l'âme de l'autre. Chacun fait atten-tion à l'autre. Nous ne devons pas cela à l'école ou à laloi. Car l'école nous apporte seulement le savoir. Elle nenous apprend rien de la vie. La loi ne nous apporte quele bon sens. Elle ne nous apprend rien de la vie. Voilà quifait du bain public le lieu parfait pour apprendre la vie.C'est assurément le meilleur endroit du Japon". Telles sontles paroles de la complainte chantée par un client d’unde ces bains publics (sentô) dans le film de SUGIMORI
Hidenori, Mizu no onna (2002), dont l’essentiel de l’ac-tion s’y déroule.Le bain est en effet une pratique culturelle profondé-ment enracinée dans la vie quotidienne au Japon. Sonorigine est encore floue mais l’on sait qu’elle est trèsancienne puisque dans l’Histoire du royaume de Wei,texte chinois de 297 après J. C., on rapportait que lesJaponais pratiquaient un rituel lié au bain, pratique sansdoute importée de Chine et liée à la religion. Le bainétait un moyen de se purifier lorsqu’on avait été encontact avec la mort. Dans des textes historiques ulté-rieurs, il existe de nombreuses références au bain ainsique des traces archéologiques. Iwaburo [bain en pierre]et kamaburo [chaudron] sont les deux types de bain lesplus anciens répertoriés dans l’archipel. Ils s’apparen-
Casterman publie Thermae Romae deYAMAZAKI Mari dans lequel l’auteur défendson amour pour cette tradition japonaise.
clients à y pénétrer en se courbant. Si cette solution assu-rait une température régulière à l’eau du bain, elle avaitl’inconvénient de plonger le lieu dans le noir, réser-vant ainsi quelques mauvaises surprises aux clients (cada-vres, déchets, etc.). Ce n’est qu’à la fin du XIXème siè-cle que ce système fut abandonné au profit de bâtimentsmieux éclairés, donnant ainsi naissance au sentô que l’onconnaît encore aujourd’hui.Constitué de trois zones bien distinctes (la salle de dés-habillage et de repos, la salle où l’on se lave et enfin lebain proprement dit), le bain public s’est imposé au fildes années comme un lieu de convivialité très impor-tant pour les Japonais. Dans certaines régions agricoles,on profitait du bain entre voisins pour déterminer lemoment des récoltes et les travaux à accomplir en com-mun. Cependant, à partir des années 1960, le nombrede bains publics a commencé à décliner avec la démo-cratisation de la salle de bain dans les appartements.Certes le bain en tant que moment important de lavie quotidienne n’a pas disparu, mais il ne joue plus sonrôle dans les rapports sociaux. Le développement aucours des deux dernières décennies du tourisme ther-mal avec l’engouement des Japonais pour les stationsthermales (onsen) permet occasionnellement à cha-cun de retrouver l’ambiance qui régnait dans les sentô.Mais comme le dit la complainte entendue dans Mizuno onna, “la disparition des bains publics signifie la dis-parition de l’esprit chevaleresque. C’est aussi moins de com-passion pour les autres. Et sans compassion, pas de bainspublics”. Un véritable bouleversement qui traduit leschangements profonds opérés dans la société japonaisedepuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Heureu-sement YAMAZAKI Mari avec son manga ThermaeRomae rappelle aux Japonais l’importance de cet espacecommun et permet aux lecteurs étrangers de découvrirun élément fondamental de la culture nippone.
GABRIEL BERNARD
La salle de déshabillage typique d’un sentô vue par
YAMAZAKI Mari dans le tome 2 de Thermae Romae.
RÉFÉRENCETHERMAE ROMAE de Yamazaki Mari, trad. par RyôkoSekiguchi et Wladimir Labaere, coll. Sakka,Casterman, tome 1 & 2, 7,50 € le volume.
mars2012_zoom_japon 23/02/12 18:39 Page14
SPÉCIAL SALON DU LIVRE
L orsqu’un Japonais part en voyage à l’étran-ger, l’une des premières choses dont il s’assure,c’est la présence d’une baignoire dans l’hôtel
où il descendra. Lorsqu’il s’agit d’un séjour de courtedurée, le touriste nippon pourra sans doute s’accom-moder de l’impossibilité pour lui de prendre un bainmême s’il pensera fort dans sa tête que les établisse-ments sans baignoire sont à proscrire. Mais quandun Japonais ou une Japonaise quitte son pays pours’installer à l’étranger pour une longue période, l’ab-sence de bain peut devenir source de déprime voirede rage. YAMAZAKI Mari, auteur de Thermae Romae,appartient justement à cette dernière catégorie.Envoyée très jeune en Europe pour découvrir d’au-tres horizons par une mère qui voulait lui donnerle goût pour d’autres cultures, le choc culturel a étéviolent. “C’était un peu trop fort même”, confie-t-elle.“Quand je suis arrivée en Italie, je ne comprenais rienà rien. J’ai eu envie de pleurer. Celui qui est venu versmoi à ce moment-là, sur le quai de la gare, c’est Marco,le grand-père de mon futur mari. Il avait dû être intri-gué par mon comportement, parce que j’avais tout l’aird’une petite fugueuse”. Pendant ce premier passage enItalie, elle découvre que les Italiens ne connaissentpas le bain ou du moins plus le bain. La douche estdevenue le principal moyen pour se laver. Mais commeil s’agissait d’un séjour de courte durée, elle a pris sonmal en patience et accepté bon an mal an la situation.Ce n’est que quelques temps plus tard, lorsqu’elle estune nouvelle fois expatriée en Italie pour entrepren-dre des études d’art, que la jeune femme comprendsa douleur liée à l’absence de bain. “J’ai longtempsmené une vie sans bain. J’avais tellement envie d’enprendre un que j’aurais même creusé un trou n’importe
où et mis de l’eau chaude dedans”, se souvient-elle avecun petit sourire espiègle. “Je pense que c’est la situa-tion pitoyable des bains à l’étranger qui m’a donné enviede créer Thermae Romae”, lâche ensuite la man-gaka. Elle pouvait très bien se passer de nour-riture japonaise, mais pas de bain. En selançant dans la rédaction de ce manga,elle a donc voulu se libérer d’une frus-tration qu’elle traînait avec elle depuislongtemps. Mariée deux fois à des étran-gers qui n’avaient pas dans leurs gènesl’attirance pour le bain, elle explique que“[son] mari ne peut pas entrer dans une eauà plus de 40°C. Il s’agite en criant : “C’estchaud !, C’est chaud !” Quel manque de courage !”.“Dans mon entourage, personne ne pouvait compren-dre ma frustration”, ajoute-t-elle. On connaissait lapsychothérapie pour dépasser certaines frustrations,YAMAZAKI Mari a inventé la mangathérapie pourexprimer son malaise face au manque de bain. Avantde se lancer dans ce travail, elle a poursuivi sa vied’aventurière, en se rendant à Cuba. “J’étais fascinéepar la révolution cubaine. J’ai donc absolument voulu
apporter mon soutien au peuple cubain”, explique-t-elle. YAMAZAKI Mari est assurément un personnageatypique au Japon en raison de son parcours interna-
tional. Mais elle reste fondamentalementjaponaise comme le prouve Thermae
Romae qui est, ni plus ni moins, uneode aux bains publics, tradition onne peut plus nippone (voir p. 14).Son retour au Japon après la nais-sance de son fils et sa séparationavec son premier mari illustre par-
faitement cet état d’esprit. “Je me suisdit que c’était plus sûr du point de vue
de la sécurité sociale de vivre au Japon pourune mère célibataire et son enfant”, raconte-t-
elle. “C’est aussi à ce moment-là que j’ai voulu faire dumanga”. Sans ce parcours initiatique et parfois dif-ficile, Yamazaki Mari n’aurait sans doute pas réussià accrocher les lecteurs et assurer à Thermae Romaele succès phénoménal dont il bénéficie aujourd’huidans l’archipel.
G. B.
Privée de bain pendant son long séjour àl’étranger, l’auteur de Thermae Romae atrouvé un excellent remède à sa frustration.
RENCONTRE Yamazaki Mari se jette à l’eau
mars 2012 numéro 18 ZOOM JAPON 15
Récompensé par le Grand Prix dumanga 2010 et le Prix Tezuka
Osamu, deux des principales ré-compenses dans ce secteur au Japon,adapté à la télévision dans une sérieanimée diffusée sur Fuji TV depuisjanvier 2012 et transposé au cinémadans un film qui sortira le 28 avril pro-chain, Thermae Romae est le mangadu moment au Japon. Tout le mondeen parle et salue l’originalité du scé-nario imaginé par YAMAZAKI Mari.L’histoire se déroule pendant l’Anti-
quité romaine. Un architecte ro-main, Lucius, profite d’une failletemporelle pour faire une petite vi-
site au Japon moderne où il décou-vre, aussi éberlué qu’impressionné,toute la richesse des bains publicsnippons. Pragmatique avant tout, ilva établir un pont entre deux civili-sations toutes dévouées à ces espacesde relaxation et de plaisir et appliqueraux thermes romains les idées bril-lantes qu’il a dénichées au Japon. Uneœuvre jubilatoire et pleine d’hu-mour qui joue beaucoup sur la nos-talgie qu’ont les Japonais à l’égarddes bains. G. B.
O scarisé en 2009, La Maison en petits cubes, lecourt-métrage de KATÔ Kunio et HIRATA Ke-nya, est aujourd’hui adapté en livre, ce qui per-
met en définitive de lui donner une visibilité bien plusgrande. On le sait, les courts-métrages ne sont quasi-ment jamais diffusés à la télévision et au cinéma, il fautassister à des festivals pour avoir la chance d’en voir.Aussi, il faut féliciter l’initiative de nobi nobi ! d’offrirau public francophone la chance d’accéder à une œu-vre d’une grande sensibilité et d’une très grande poé-sie. Si, de prime abord, elle s’adresse à un jeune public,on s’aperçoit très vite que l’on a affaire à un ouvrage quitranscende les générations et qui parle à chacun. Les
auteurs capables de produire des œuvres de portée uni-verselle sont suffisamment rares pour insister sur ceuxqui y parviennent. Dans cette histoire où les souvenirss’emboîtent et obligent le personnage principal à lit-téralement “plonger” dans le passé, il y a un souffle poé-tique d’une rare délicatesse. Le duo fonctionne très bien,donnant ainsi naissance à une œuvre profonde et sen-sible qui plaira aux petits comme au grands. Le dessintraduit parfaitement le propos du scénario et les motsapportent ce qu’il faut de sens pour qu’ils n’alourdis-sent pas l’ensemble. Un joli cadeau.
ODAIRA NAMIHEI
Dans un grand souffle de poésie, les deuxauteurs de La Maison en petits cubes nousoffre une belle leçon d’humanité.
Comment est né le projet de La Maisonen petits cubes ?KATÔ Kunio : On m'avait demandé de ré-fléchir à la conception d'un film d'anima-tion de dix minutes qui s'intégrerait à un en-semble. Je souhaitais aborder de façon sym-bolique la vie d'un homme seul. C'est unthème qui s'est imposé tout seul à partir decette idée de superposition des maisons.
En général, quand on prépare un des-sin animé, on part d’un scénario avantde se lancer dans la création des décors.Est-ce que cela s’est passé de la mêmefaçon pour La Maison en petits cubes ?K. K. : Pas exactement. C'est un mélangedes deux à vrai dire. Mais il y a d'abordeu une image. Je l'ai montrée à HIRATA
Kenya, le scénariste, qui a bâti l'histoire à
partir de ce qu'il avait vu.
Quand avez-vous commencé à vous inté-resser au dessin ?K. K. : Ça remonte à très loin. Lorsque quej'étais encore un très jeune enfant, ma mèrem'a donné des crayons et des ciseaux. Ellem'a alors dit de faire quelque chose de créa-tif.
Combien de temps vous a-t-il fallu pourréaliser cette œuvre ?K. K. : Pour créer le dessin animé, il m'afallu 4 mois pour le concevoir et 8 moispour le réaliser.
Dans votre œuvre, vous vous montrezparticulièrement intéressé par le thèmede la vie et de la mort.
K. K. : En effet. De façon générale, je m'in-téresse beaucoup à la façon dont les gensvivent. C’est très important d’y faire atten-tion.
Vouliez-vous délivrer un message en réa-lisant La Maison en petits cubes ?K. K. : Je ne trouvais pas très intéressantd'essayer de traduire cela avec des mots.Mon objectif était surtout d'exprimer l'en-semble de façon symbolique. Qu'est-ce quiest important dans notre existence et com-ment nous parvenons à la vivre. Voilà cequi me semble important de mettre enavant.
Les événements du 11 mars 2011 ont-ils influencé ou vont-ils influencer votreœuvre ?
K. K. : Ce qui s'est passé le 11 mars est évi-demment une catastrophe majeure. Celam'a fait beaucoup réfléchir tout au longdes mois qui ont suivi la catastrophe.Cependant, je ne pense pas que cela auraun impact sur mon travail. Cela signifie queje travaille sans penser au présent. Mon tra-vail n'exige pas que je m'adapte à l'immé-diateté et par ailleurs, je pense égalementque je n'ai pas à me lancer dans ce genrede direction.
Avez-vous déjà commencé à travaillersur un nouveau projet ?K. K. : J'aimerais me lancer dans un travail autourde la jeunesse avec un mot-clé de départ :la croissance.
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Votre chronique est parue à l’automne 2011, six moisaprès le séisme. Comment s’est déroulée cette sortie ?SEKIGUCHI Ryôko : C’est très étrange parce que, quandje sors un ouvrage de poésie, je peux dire à mes amis,qu’ils soient écrivains ou pas, que je viens de publierun nouveau livre. Dans ces cas-là, il y a une sorte d’agi-tation autour de ce petit événement. On vous demandequel est son titre et tout un tas de choses autour. Maisdans le cas de Ce n’est pas un hasard, je n’ai pas osé ledire ou je prenais plein de précautions avant d’en par-ler. Je me demandais si mes amis, en particulier les écri-vains, imaginaient que ce livre était une sorte d’anec-dote par rapport à mon travail habituel ou s’ils pou-vaient croire que j’avais profité de cet événement pourécrire une œuvre vraiment anecdotique. Voilà pour-quoi, pour la première fois de ma vie, je me suis sen-tie obligée de me justifier. Encore aujourd'hui, plus desix mois après la parution de ce livre, je pense que j'au-rais vraiment bien aimé rester un simple poète ne s'in-téressant qu’aux questions linguistiques. Puisque la tra-gédie s'est produite, je pense que mon livre devait êtreécrit au moins pour certains. Cela dit, j'aurais vraimentaimé être dans un monde où ce livre n'aurait pas de rai-son d’être. Je suis sûre que le poète de Fukushima WAGÔ
Ryôichi [voir son interview dans Zoom Japon n°14, oc-tobre 2011, pp. 4-5] pense la même chose. Le pays oùnous avons besoin de poésie de cette sorte, c'est un paysqui est traversé par le malheur.
A un moment, vous écrivez : “Etre dans l’intensité del’écriture, cela doit être un bonheur pour un écrivain. Celadevrait l’être. C’est la première fois que l’intensité de l’écri-ture n’est pas pour moi un bonheur mais une douleur queje m’impose”. Pourriez-vous expliquer cette douleur ?
TÉMOIGNAGE Ici et là-bas: un écrivain face d’écrire ou de ne pas écrire certaines choses. C’est dansces instants-là que la douleur est présente, car je me de-mandais en permanence si c’était le bon chemin que j’em-pruntais. Je faisais également face à un afflux constantd’informations vis-à-vis desquelles je me sentais en me-sure de réagir, d’autant que j’étais en France où les mé-dias rapportaient beaucoup d’âneries. Dans ce contexte,je ne pouvais pas non plus me poser comme la repré-sentante des voix japonaises. Je n’avais aucune légitimitépour cela. Ce sentiment de gêne n’est pas lié aux événe-ments du 11 mars. C’est quelque chose que j’ai toujoursressenti, en entendant, par exemple, un intellectuel arabeévoquer le Printemps arabe au nom de tous ceux quiétaient dans les rues, en ayant pour seule légitimité sonorigine. Je me suis donc posée la question de savoir sije ne faisais pas la même chose.
Avez vous trouvé une réponse ?S. R. : Oui et non. Je sais très bien qu’il n’y a pas deréponse définitive à cette question. Et puis, je penseque même une personne vivant à Rikuzentakata ou Mi-nami Sanriku et qui a perdu toute sa famille dans cettetragédie ne peut pas représenter toutes les voix de ceuxet celles qui ont vécu la catastrophe. Car ce qui s’estpassé le 11 mars, ce n’est pas une catastrophe, ce sontdes catastrophes et des catastrophes de nature diffé-rente. Si celui qui habite à Rikuzentakata affirme qu’ila connu la pire tragédie de sa vie, l’autre qui vit à Fu-kushima peut lui rétorquer la même chose. Petit à pe-tit, et notamment quand j’ai commencé à me docu-menter sur le séisme de 1923 qui a détruit la régionde Tôkyô, j’ai compris que l’important n’était pas desavoir qui parlait, mais d’écrire un texte de plus, de lais-ser une trace supplémentaire, un témoignage qui ser-vira non pas aux lecteurs d’aujourd’hui, mais à ceux dufutur. En découvrant tout ce qui avait été écrit au mo-ment du tremblement de terre de 1923, je me suisrendu compte que les récits rapportés par les écrivains
Ce n’est pas un hasard de SEKIGUCHI Ryôkorelate de façon touchante et forte lacomplexité des événements du 11 mars 2011.
S. R. : En général, lorsqu’un auteur se lance dans l’écri-ture d’un livre même s’il s’agit d’un ouvrage relatant unfait historique, il a tendance à se saisir de la thématiqueet d’en faire “son” sujet. Il devient en quelque sorte le pro-priétaire ou le dépositaire de ce sujet. Cette fois, à au-cun moment, je n’ai pu me dire que c’était “mon” sujet.Il était à la fois le sujet des autres et d’une façon indi-recte, il était aussi le mien. De fait, je me suis retrouvéedans une situation très particulière. J’avais beaucoup dechoses à dire, mais je ne savais pas où situer mesphrases. J’ai eu aussi du mal à imposer ma voix dans celivre. Vous avez sans doute remarqué la présence de nom-breux noms propres. Ils m’ont apporté beaucoup. Maisau milieu de tout cela, il y a aussi ma voix et mes choix
SEKIGUCHI Ryôko est poète, écrivain et traductrice.
de l’époque me parlaient aussi bien que s’ils avaient étérédigés la veille. A cette époque, de nombreux auteursont pris leur plume pour s’intéresser à cette catastrophe.TANIZAKI Jun’ichirô a ainsi écrit des essais et des nou-velles. En lisant tous ces écrits, j’ai souvent été bien plustouchée que par les images des destructions. Il y avaitdans leur écriture une puissance et une précision queje ne retrouvais pas dans les images. Voilà pourquoi jeme suis dit que ce que j’avais décidé d’écrire finirait paravoir d’ici 10 ou 15 ans unsens en tant qu’archives et té-moignages d’une période don-née. Et si cela peut avoir unsens, c’est aussi parce que je suisloin. J’ai compris que ce n’estpas forcément la proximitéqui légitime le propos. Je croisd’ailleurs que, si j’avais été au Ja-pon le 11 mars, je n’aurais pro-bablement pas écrit ce livre, carj’aurais eu le sentiment d’avoirvécu la même catastrophe queles autres. En étant à 10 000 ki-lomètres de là, je me suis enpermanence demandée si jevivais ou non ces événements.Je me sentais concernée tout enétant à l’abri. Mais pour revenir à la question de la douleur, je pensequ’elle était présente parce que tout simplement je ne vou-lais pas parler du malheur arrivé à mon pays d’origine.En définitive, la question de "qui a le droit de parler dequoi" sur laquelle j’ai aussi beaucoup réfléchi est acces-soire. J’avais surtout l’impression que rédiger un journalsur les catastrophes du 11 mars revenait à devoir établirun rapport sur l'état de santé de mon père qui se dégra-derait de jour en jour.
Quelles ont été vos motivations pour publier cette chro-nique sous forme d’un livre ?S. R. : Il y avait une motivation sans doute pédagogiquesi je peux utiliser ce terme. Je sentais en effet un déséqui-libre entre ce que je ressentais et que de nombreux Japo-nais ressentaient également et ce que les médias françaisrapportaient. Je voulais rétablir un certain équilibre. C’estl’aspect le plus “pratique” de la démarche qui m’a ame-née à rédiger ce livre. Si cet ouvrage n’avait été composé
que dans cette dimension, je penseque je ne l’aurais pas publié. J’aborded’autres thématiques comme la veille oula temporalité de la catastrophe qui nepouvaient, selon moi, trouver leur ex-pression que dans un ouvrage. Un ar-ticle de presse n’aurait pas permis de lesévoquer dans leur profondeur et leurdurée, alors qu’il était beaucoup plus fa-cile de faire un papier critique sur la fa-çon dont les médias étrangers ont cou-vert le séisme. La temporalité de la ca-tastrophe est une question qui était enmoi depuis longtemps, un peu commeune nappe phréatique. C’est un sujet —la temporalité — sur lequel j’avais en-vie d’écrire depuis longtemps. Je penseque cette chronique est aussi le fruit de
ce désir tout en ayant débuté par un pur hasard. Mêmesi le titre du livre est Ce n’est pas un hasard, celui-ci n’au-rait jamais existé sans de nombreux hasards. C’est un peucomme un dialogue qui s’est mis en place entre une en-vie profondément ancrée et des situations inattenduesauxquelles je me devais de répondre. C’est la premièrefois que j’ai expérimenté une situation pareille. Cela aconstitué une autre de mes motivations pour que ce texteprenne finalement la forme d’un livre. Un autre pointimportant, c’est cette notion de veille. La plupart dutemps, on évoque une catastrophe de façon rétrospec-
tive comme je l’ai fait au début. J’ai commencé à écrireaprès la première secousse et le tsunami. Mais très vite,au bout de deux ou trois jours, j’ai pris conscience quej’écrivais aussi par anticipation d’une catastrophe. Je rap-pelle que les spécialistes annonçaient une réplique de trèsforte amplitude sans oublier les risques d’explosion au-tour de la centrale de Fukushima. Je vivais donc avec cettesensation d’être à la veille d’un nouvel événement tragiquesans pour autant être en mesure de le sentir puisqu’il n’exis-tait pas. C’était très pénible. Je finissais par me dire qu’ilvalait mieux vivre une catastrophe que d’être dans cettesituation de veille. Sans la tenue de cette chronique, ilm’aurait été difficile d’appréhender ce sentiment. Aussiévident que cela puisse paraître, je me suis renduecompte que nous étions toujours la veille et que cela n’avaitpas de fin. C’est à partir du moment où j’ai fait ce constatque j’ai décidé d’arrêter d’écrire et de publier le livre. Cetteabsence de fin est d’autant plus vivement ressentie quel’accident de la centrale de Fukushima Dai-ichi empêchemême d’imaginer une fin. Fukushima, c’est un présentcontinu. Voilà pourquoi, il n’y a pas de fin à mon livre.
Comment votre livre a -t-il été reçu ?S. R. : J’ai été très contente évidemment de savoir queles lecteurs français ont apprécié ce livre, et je dois direque j’ai ressenti un vrai soulagement quand j’ai reçu desmessages de Français installés au Japon qui me disaientavoir ressenti la même chose ou s’être identifiés à ce li-vre. Ces commentaires m’ont aussi fait prendre consciencede ma situation. Ma situation représentait à la fois cellesdes Japonais vivant à l’extérieur de l’archipel, mais aussicelles des étrangers installés au Japon.
PROPOS RECUEILLIS PAR G. B.
RÉFÉRENCECE N’EST PAS UN HASARD, CHRONIQUE JAPONAISEde SEKIGUCHI Ryôko, éd. P.O.L, 14 €. www.pol-editeur.com
L a littérature japonaise est à l’honneur cette annéeau Salon de livre de Paris. C’est évidemment unebonne nouvelle non seulement parce que l’on
va pouvoir en parler un peu plus qu’on ne le fait habi-tuellement en France, mais aussi parce que les éditeursfrançais vont naturellement porter leur regard vers laproduction romanesque nippone. Dès lors, on peutlégitimement penser que les quatre prochaines annéesseront fécondes en termes de sorties littéraires nippones.Entre les contatcs pris lors du Salon, la signature decontrats, la traduction et la publication proprementdite, il faut compter parfois plusieurs années. L’éditeurPhilippe Picquier est moins concerné par ces propos,car il œuvre depuis très longtemps à la promotion de lalittéraure nippone, à tel point qu’on finit par se deman-der s’il n’est pas le passage obligé pour tout écrivain japo-nais qui se respecte. Il suffit de regarder la short listdu Prix Zoom Japon 2012 (qui sera décerné le 17 marsà 18 h30 sur la grande scène du Salon du Livre). Sur lessix ouvrages encore en lice, quatre sont édités chez Pic-quier. Il faut dire que l’éditeur d’Arles a su explorer aucours de ses trois décennies d’existence les grands cou-rants romanesques japonais, n’hésitant pas à publierdes œuvres difficiles ou jugées comme telles, à imposerdes auteurs comme MURAKAMI Ryû, homonyme deHaruki mais très différent dans le style d’écriture. Detoute évidence, Philippe Picquier n’aura pas besoin duSalon du livre pour se lancer dans la littérature japo-naise. Il s’en servira pour démontrer sa prééminencedans ce secteur et profitera de l’intérêt renouvelé pourle roman nippon que ce genre de manifestation fait naî-tre parmi les visiteurs curieux et avides de se lancer(quand ils ne les connaissent pas encore) dans la lecturede nouveaux auteurs. Ceux qui se rendront à la Porte
de Versailles à Paris auront peut-être la chance d’y croi-ser FURUKAWA Hideo, la dernière perle éditée par Pic-quier. Né à Fukushima en 1966, cet auteur n’avait jamaisencore été traduit français alors qu’il collec-tionne les principaux prix litté-raires nipponsdepuis unedizaine d’années.Les Prix de l’Asso-ciation des auteursde romans policiers,Prix Mishima, PrixNaoki pour ne citerque les plus connussont venus récompenserune œuvre riche et diver-sifiée ainsi qu’une écriturepeu commune. Bien qu’il serevendique disciple deMURAKAMI Haruki, FURU-KAWA Hideo possède un styletrès différent de l’auteur de1Q84 [dont le tome 3 paraît cesjours-ci chez Belfond]. Il est beau-coup plus incisif et plus mouvementé. En revanche, cequi le rapproche de son illustre prédécesseur (et c’estpeut-être en cela qu’il se présente comme son disciple),c’est le caractère universel de ces histoires. Alors Belka,tu n’aboies plus ? en est la démonstration. Peu d’auteursjaponais possèdent cette capacité à créer des univers oùchacun de nous peut se retrouver. Cela ne veut pas direque la dimension japonaise n’existe pas. Cela signifiesimplement qu’à aucun moment le lecteur se sentiraperdu parce que l’auteur aura oublié de s’adresser à luiou se sera lui-même perdu dans sa prose. Pourtant, leroman de FURUKAWA Hideo, dont on peut aussi saluerla traduction, n’est pas évident à première vue. L’auteura en effet choisi de s’intéresser à l’histoire du XXème siè-
cle, de la seconde moitié pour être plus précis, au tra-vers du regard de chiens. Un autre grand auteur japo-nais, père du roman moderne, NATSUME Sôseki avaiten son temps inauguré un nouveau genre en donnant
la parole à un chat dans Je suis un chat [éd. Gallimard].C’est ce qui donne aussi à cet ouvrage son caractèreexceptionnel. Tout commence évidemment par
une guerre, la Seconde Guerre mondiale, momentcharnière dans l’histoire contemporaine. Autantla date ne surprend pas — 1943, le début dela fin pour le Japon —, autant le lieu, une îledéserte dans les Aléoutiennes, est une pre-mière indication de la volonté de l’auteur denous entraîner dans des lieux étonnants pournous rappeler que, d’une certaine façon,notre destin de lecteur dépend de lui toutcomme celui des chiens était lié àl’homme. FURUKAWA Hideo joue beau-coup sur le rapport entre maître etélève/chien, montrant que celui-ci est
loin d’être aussi évident que cela. Pour nousentraîner dans son parcours romanesque plein de
rebondissements, il use de nombreuses ruses qui fonc-tionnent à tous les coups. Mais surtout il parvient ànous convaincre, nous humains, qu’il faut que nous res-tions sur nos gardes pour éviter de sombrer. “Alors voustraverserez la mer. Ensuite, vous tuerez le XXème siècle.Dans l’île des brouillards, vous bâtirez un paradis rienque pour les chiens, puis vous adresserez une déclara-tion de guerre au XXIème siècle”. C’est un ordre. Etes-vous prêt à le suivre ?
O. N.
Avec Alors Belka, tu n'aboies plus ?, FURUKAWAHideo fait la démonstration qu’il est un desauteurs les plus prometteurs de sa génération.
LITTÉRATURE Paroles de chiens
RÉFÉRENCEALORS BELKA, TU N’ABOIES PLUS ? de FURUKAWA
Hideo, trad. par Patrick Honnoré, éd. PhilippePicquier, 19,80 €.
Le nouveau chef d’œuvre de KEIICHI HARA(Un été avec Coo)
Tout cinéphile qui se respecte connaît les filmsd'Ozu et a notamment en mémoire le formi-dable Bonjour (Ohayô, 1959) où deux jeunes
frères décident de faire la grève de la parole pour protes-ter contre leur père qui leur interdit d'aller regarder latélévision chez leur voisin. Symbole des mutations duJapon de l'époque, la télévision est ici perçue commeun élément intrusif plutôt que comme un facteur de pro-grès. Pour quelqu'un comme Pipo qui cherche avant toutà s'immerger dans la langue japonaise, les programmestélé, outre le berceau d'une culture audiovisuelle qui lerend plus réceptif à toutes les surprises d'un séjour lin-guistique au Japon, sont aussi un très bon moyen d'élar-gir sa perception du japonais au quotidien. Pourtant,regarder un tournoi de sumo en rentrant de l'école, lesyeux rivés à l'écran, immobile et muet, c'est autant detemps perdu à ne pas communiquer, à ne rien expri-mer et à ne percevoir finalement que ce qui se passe à l'in-térieur du poste de télévision, c'est-à-dire loin d'ici, loinde ce qu'on vit vraiment. Et c'est cette télévision que récla-ment Minoru et Isamu dans Bonjour, excédés par l'inu-tilité de la parole lorsque celle-ci n'est que politesse. Àécouter l'aîné, les adultes devraient se taire au lieu de com-bler leurs conversations avec des phrases banales de la viequotidienne...Mais ces phrases immuables destinées à un usage bienprécis sont du pain béni pour l'élève en japonais qui peutalors trouver sa place dans une conversation et ne pas res-ter sur le carreau ! Le japonais s'apparente bien souventà un système de codes qu'il suffit d'appliquer à la lettrepour se glisser parmi la population sans faire de vagues.On s'applique alors non à être original, mais à répéter
LANGUE Les incontournablesbanalités du langage
avec le plus de fidélité possible ce qu'on entend du matinau soir, des formules toutes faites :
いただきます。Itadakimasu.Bon appétit ! (littéralement : "je reçois", il s'agit sur-
tout d'une formule pour remercier avant le repas)
ごちそうさまでした。Gochisô sama deshita.C'était un régal. (formule pour remercier à la fin du
repas, pour marquer que l'on a fini ou accessoirement
que l'on n'a plus faim)
お疲つか
れさまでした。Otsukare sama deshita.Vous devez être fatigué ! (employé notamment à la fin
d'une journée de travail pour exprimer sa reconnais-
sance envers ses collègues)
お先さき
に失礼しつれい
します。Osaki ni shitsurei shimasu.Je pars avant vous. (se dit quand on quitte le bureau
avant les autres)
Autant de mots figés qui rythment les conversations etpermettent des échanges lisses et sans heurts, et ne pas lesemployer revient finalement à faire entrave au bon dérou-lement des choses. PIERRE FERRAGUT
Ce qu'un homme ne dit pas est le sel de laconversation, dit un proverbe nippon. Et quand il parle, que dit-il alors?
PRATIQUELE MOT DU MOIS
気持き も
ち (kimochi) : sentiment, sensation
言葉ことば
だけでは伝つた
わらない気持き も
ちもあります。Kotoba dake dewa tsutawaranai kimochi mo arimasu.Il y a des sentiments que les mots ne suffisent pas à exprimer.
mars 2012 numéro 18 ZOOM JAPON 23
Association Culturelle Franco-Japonaise de TENRI
Spectacle Expositions
1 -24 mars 2012 à 20h30Cie Humaine, Ryuzo FUKUHARACie Béa BUFFIN , Asuka KOMATSUCie l’ESTAMPE, Nathalie PUBELLIERet Version Clip (les mardis soir)
“ UKIYOE sur SOIE ” 20-24/03 Michiko KOSHIYAMA / OSHIE
Festival de danseDANCE BOX 2012
Institut de Langue Japonaise de S3083833410:xaffa/☎ ( )serueh81à41edlieuueccA arffrgns.www
Le premier bon point de l’ouvrage, c’est la présenta-tion générale qui met à la fois l’accent sur le résultatavec de magnifiques photographies signées PatrickAufauvre et sur les différentes étapes qui conduirontl’apprenti cuisinier à obtenir un résultat proche decelui réalisé par le sensei, le maître. Comme il le rap-pelle fort justement dans l’introduction intituléeConversation avec le maître, “au Japon, ce n’est pas eninterrogeant qu’on apprend, mais plutôt en regardantles gestes du sensei, “celui qui est devant soi”, par sonexpérience ou par son âge”. Ces quelques mots résu-ment parfaitement la philosophie de ce formidable
ZOOM GOURMAND
I l y a ceux qui aiment les romans policiers. Il y a ceuxqui préfèrent les histoires d’amour ou les fresqueshistoriques. Il y a les amateurs de bandes dessinées
ou de manga. Et puis, il y a ceux qui ont un penchanttrès prononcé pour les livres de cuisine. Comme les vraisamateurs, ils sont exigeants. Ils ne se contentent pasde la médiocrité. Ils n’achèteront pas, par exemple, lesouvrages déséquilibrés, c’est-à-dire ceux qui accordenttrop de place à la photographie et pas assez aux expli-cations ou inversement. Ils refuseront d’acquérir deslivres qui oublient l’essentiel, à savoir donner l’en-vie de prendre soi-même les choses en main pourse lancer dans la réalisation des plats présentés avant,un jour, d’explorer de nouvelles saveurs. Mais il arrivequ’ils tombent sur des ouvrages exceptionnels, desouvrages qui réunissent à la fois les explications, l’es-thétique et le désir de réellement partager un savoir-faire. Après tout, la cuisine, c’est avant tout le partage.Ne dit-on pas que l’on partage un repas entre amis ?Un livre de cuisine, c’est aussi un espace où un profes-sionnel va partager son expérience avec des amateurspour qu’à leur tour ces derniers partagent le plaisirqu’ils ont eu, en répétant des gestes, en mélangeantdes ingrédients, en les cuisinant et en les dressant.Parmi les livres consacrés à la cuisine japonaise, deplus en plus nombreux à mesure qu’elle se popularise,ils sont peu nombreux à répondre à ces critères. Néan-moins il en existe et le plus récent est celui de TAKEU-CHI Hisayuki, chef du restaurant Kaiseki-Sushi sisdans le 15ème arrondissement à Paris. Adapté d’unouvrage paru en 2008 chez l’éditeur suisse Minerva,Mes leçons de sushi constitue sans doute l’ouvrage leplus abouti dans ce domaine de la cuisine japonaise.
Avec Mes leçons de sushi, TAKEUCHIHisayuki offre un ouvrage d’une rareintelligence sur la transmission de son art.
SAVEURS Une belle leçon de philosophie
RÉFÉRENCEMES LEÇONS DE SUSHI de TAKEUCHI Hisayuki,coll. Atelier Saveurs, Editions de la Martinière,19,90 € - www.lamartinieregroupe.com
ouvrage, outil de travail, devrais-je dire. La premièrefois que j’avais vu le livre, j’avais trouvé un peu pré-tentieux que le titre Mes leçons de sushi soit accompa-gné par la mention “par le maître Hisayuki Takeuchi”.Mais en lisant les premières pages, j’ai saisi l’état d’es-prit dans lequel il l’avait conçu et réalisé. Ce que jeconsidérais comme de la prétention mal placée étaiten fait l’expression de son désir de partager avec lesautres une expérience obtenue après un long appren-tissage. Comme beaucoup de cuisiniers japonais, ila d’abord été attiré par “la gastronomie française queje portais au pinacle” jusqu’au jour où, après son arri-vée à Paris, il est allé manger dans des restaurants japo-nais et a découvert qu’il “n’avait ressenti aucune émo-tion gustative”. Ce choc l’a amené à revoir son jugementsur “l’apparente simplicité de cet art minimaliste qui[lui] semblait accessoire” et se lancer dans “un travailsur [lui]-même pour mieux appréhender la pratique dusushi”. Dans cet ouvrage paru au printemps 2011, c’estla synthèse de toute cette démarche que l’on retrouvedans la manière d’expliquer les recettes. Voilà qui ledistingue de bien d’autres livres de recettes et qui enfait un must. “Et puis, un jour, je suis devenu à montour un sensei, auprès de mes élèves, à qui j’ai commencéà transmettre , plus qu’une simple technique culinaire,la pratique artistique que j’avais trouvée pour moncompte”, ajoute-t-il. C’est une belle leçon que TAKEU-CHI Hisayuki nous offre, en plus de quelques savou-reuses recettes classiques et des variantes qui vous fontsaliver avant même d’avoir commencé à les prépa-rer. Mes leçons de sushi appartient donc à cette caté-gorie d’ouvrages de cuisine qu’il faut avoir chez soi,car ils ne véhiculent pas seulement une technique,mais aussi une philosophie dont on a forcément enviede s’inspirer. Chapeau bas maître TAKEUCHI.
4 filets de 100 g de liche.Le bar ou la dorade remplacent très bien la liche, mais celle-ci est le symbole de la réussite et est offerte pour célébrer les grands moments de succès.
120 g de miso blanc ou de miso au yuzu.300 g d’épinard.4 cuillères à café de jus de yuzu ou citron.
PRÉPARATION
1 - Préchauffez le four 30 minutes à 210°. 2 - Pliez précisément un rectangle de papier cuisson en deux puisdépliez. 3 - Placez, à environ 5 centimètres de la pliure, 120 g d’épinard. 4 - Déposez un filet de poisson sur lelit d’épinard et nappez le poisson de miso au yuzu ou miso blanc, parfumez de quelques gouttes de jus deyuzu. 5 - Repliez le papier cuisson, repliez les bords du papier comme une papillote. Faites cuire au four pendant7 minutes, puis après les avoir sorties, percez les papillotes de trois petits trous, pour éviter de les voir s'aplatir.Dressez-les chacune dans une assiette par personne.
Le Conseil du chefCe délice peut être précédé par une salade, accompagné d’un Chardonnay bien frais, et terminé par un pla-teau de fromages orné d’un brie de Meaux ou d’un chèvre cendré.
ZOOM GOURMAND
Le poisson, élément de base dans larecette proposée par le chef de Kai-seki-Sushi, est un produit importantdans l’alimentation japonaise. Raressont les régions au Japon où le pois-son est absent de la table. On leconsomme cru, cuit, grillé ou encoremijoté. Mais ce qui fait la différence,c’est évidemment sa fraîcheur. Dansl’archipel, notamment dans les villes
côtières, il existe de très nombreuxmarchés où les ménagères vont seprocurer, le matin, le poisson dontelles auront besoin pour préparer lerepas. Outre l’ambiance souvent fortsympathique de ces lieux pleins devie, l’extrême fraîcheur des poissons,des crustacés et autres fruits de merest de nature à rassurer le consom-mateur. Un bon poisson a la chair
ferme et les yeux non troubles. Sonaspect est luisant et les dessins trèsnets. Pour conserver un poissonentier, il convient de le tremper dansde l’eau salée, de bien le laver, del’égoutter et de l’envelopper dans unfilm plastique avant de le mettre auréfrigérateur. Après cela, vous pour-rez être sûr que votre poisson auraconservé sa saveur.
Le long des quais de la Seine à Paris, les touristesétrangers sont nombreux à s’arrêter et à fouil-ler dans les rayons des bouquinistes dont le
manque d’amabilité est sûrement aussi célèbre que levert bouteille de leurs étals. Si l’on est prêt à pren-dre le risque de se faire rembarrer par un de ces char-mants commerçants que l’on a toujours l’impressionde déranger, on peut parfois tomber sur quelques édi-tions rares ou des ouvrages épuisés depuis longtemps.Avec l’avènement d’Internet, il est beaucoup plus facile
de trouver des livres anciens et il n’est plus nécessaired’aller se colleter à ces individus malotrus. A Tôkyô,les bouquinistes ne sont pas concentrés le long de laSumida et sont la plupart du temps des commerçantsaimables et prêts à rendre service. Concentrées dansle quartier de Jimbochô, les librairies de livres anciens,mais aussi de livres récents peuvent être un objectifde promenade fort agréable dans la capitale japonaise.Il fut un temps où la jeunesse étudiante s’y retrouvaitpour aller à la pêche aux éditions épuisées ou tout sim-plement pour lire debout (tachiyomi) les derniersnuméros de leurs magazines préférés. Ici, comme dansla majorité des librairies nippones, il n’est pas inter-dit de lire un livre ou un magazine tant qu’on ne
l’abîme pas. Même s’ils sont moins nombreux que parle passé, on voit encore des lycéens qui viennent s’ag-glutiner autour de la livraison toute fraîche des maga-zines de manga pour connaître la suite des aventuresde tel ou tel personnage. Mais les jeunes préfèrent
Au centre de la capitale, ce quartier concentrede très nombreuses librairies où, il y a un siècle,des Chinois venaient préparer leur révolution.
Certaines librairies se résument à un alignement d’étagères où l’on peut parfois trouver quelques trésors.
DÉCOUVERTE Jimbochô, au bonheur des livres
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26 ZOOM JAPON numéro 18 mars 2012
PRATIQUEPOUR S’Y RENDRE Deux lignes de métro font arrêt àJimbochô. La ligne Hanzômon et la ligne Mita.Néanmoins, on peut s’y rendre aussi en train. Envenant de la gare de Tôkyô, il faut emprunter laligne Chûô et descendre à Ochanomizu. Prendre lasortie ouest et descendre la Meidaidôri jusqu’aucroisement de la Yasukunidôri. Cela prend environune quinzaine de minutes.
du tourisme Paris Porte de Versailles15 au 18 mars 2012
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ZOOM VOYAGE
aujourd’hui se rendre à Akihabara, qui fut la Mecquedes fanas d’électronique, avant de se transformer, cesdernières années, en un des lieux cultes des amateursde manga et de jeux vidéo. Dès lors, Jimbochô a perduun peu de sa fraîcheur. La plupart des personnes quile fréquentent ont la trentaine bien tassée, voire davan-tage. Mais qu’importe l’âge de ceux qui s’y rendent,ce qui compte, c’est le plaisir procuré par la balade aumilieu des librairies, des livres qui s’entassent par-fois sur les trottoirs et du silence. Contrairement à denombreux autres quartiers de Tôkyô où le bruit estomniprésent, Jimbochô a fait du silence l’une de sescaractéristiques qui sied si bien au livre. Lorsqu’onsort du métro à la station Jimbochô (ligne Hanzo-mon ou Mita), c’est même un peu déconcertant, mais,rassurez-vous, on s’y habitue très bien. L’esprit peutalors se concentrer sur l’essentiel, à savoir les quelque160 librairies qui occupent ce quartier. On en trouvesur les grandes artères dans les ruelles perpendiculairesou parallèles par exemple sur la Yasukunidôri, la grandeavenue qui traverse Jimbochô. Il y en a qui ressem-blent à des librairies ou du moins à l’idée qu’on se faithabituellement d’un lieu où l’on vend des livres, maisil y en a aussi qui occupent quelques dizaines de mètrescarrés dans les étages d’un immeuble ordinaire. Voilàpourquoi cela demande une certaine attention si l’oncherche une adresse en particulier d’autant plus si lelibraire en question a choisi d’ouvrir boutique en hautd’un improbable escalier. C’est aussi ce qui fait lecharme de ce lieu qui invite à la nonchalance. Pourpeu que l’on aime le papier, le vieux papier, on peutdécouvrir dans cette immense caverne d’Ali Baba destrésors inattendus et pas seulement en langue japo-naise. Evidemment, ce serait mentir que de prétendrequ’on y trouve des centaines de milliers d’ouvrages enfrançais, mais sur les quelque dix millions de livres quiy seraient entassés, il y en a des centaines, parfois trèsrares et pas forcément chers, qui attendent de trou-ver preneur. Si l’on est décidé à trouver un livre en par-ticulier, autant bien préparer le terrain, en ciblant leslibrairies susceptibles de le posséder. En effet, la plu-part des librairies sont spécialisées. Il y a celles qui ont
fait de la religion leur centre d’intérêt tandis que d’au-tres proposent des ouvrages sur la photographie ousur l’architecture. Certaines se sont créées pour répon-dre à la demande des amateurs de musique en quêted’ouvrages spécialisés ou de magazines anciens consa-crés à leur artiste préféré. Il y en a pour tous les goûtset pour toutes les bourses. YAGUCHI Tetsuya dirige lalibrairie qui porte son nom. Bien située sur la Yasu-kunidôri, en direction de Kudanshita (sortie A3 à Jim-bochô, à 50 m sur le trottoir de gauche, tous les joursde 11 h à 18 h), sa boutique est le lieu à visiter si l’on
est fan de cinéma japonais ou occidental. “J’adore fairela conversation avec les clients et échanger avec euxsur notre passion commune : le cinéma”, dit-il avec lesourire. Rassurez-vous, même si vous n’êtes pas undingue du 7ème Art, vous serez bien reçu et vous pour-rez farfouiller dans les différents rayons pour décou-
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vrir le livre, le scénario ou la photographie sur lesquelsvous finirez par jeter votre dévolu. Vous trouverezaussi bien une revue ancienne à 500 yens [environ4,80 euros] qu’un flyer (à l’époque on disait sans doutetract) annonçant la sortie de La Tulipe noire avecAlain Delon au cinéma Scala de Hibiya le 18 avril1964 pour 20 000 yens [191 euros]. L’acteur françaisreste une valeur sûre au Japon. Si l’on préfère lamusique, le rock japonais pour être plus précis, ilconvient de se rendre chez Rockonking (Sortie A7à Jimbochô, deuxième rue à gauche, à 150 m environ
sur le trottoir de droite). Situé au deuxième étage d’unpetit immeuble, cette petite librairie regorge de tré-sors pour les fans de X Japan par exemple ou de LunaSea. Comme de nombreux autres libraires, les horairesd’ouverture (du lundi au samedi 13 h-19 h, ledimanche 12 h-17 h) sont fluctuants, notamment
On rencontre désormais de moins en moins de jeunes dans les librairies du quartier alors qu’il fut très fréquenté par eux
lorsqu’on se rapproche de la fermeture. Devant cesmasses d’ouvrages écrits souvent en japonais, on peutparfois se sentir perdu et hésiter à poursuivre l’explo-ration des multiples boutiques dont certaines se résu-ment à des armoires géantes donnant directement surla rue. Là, pas question de toucher, car les livres sontempilés de façon très savante. D’ailleurs, la plupart dutemps, les ouvrages disponibles sont signalés par desbandes jaunes sur lesquelles figurent le titre de l’ou-vrage. Ces empilements sont assez impressionnantset font d’excellentes compositions photographiques(voir ci-contre). En revanche, il est peu probable quevous trouviez chez ces marchands ultra spécialisés desouvrages de photographies. Rendez-vous plutôt chezBondi Books (sortie A1 à Jimbochô, à 10 m de la sor-tie, tous les jours de 13 h à 19 h, lundi et mardi surrendez-vous Tél. 03-3556-9299) que gère Josh Carey.On y trouve des ouvrages uniques ou extrêmementrares, ce qui explique les prix parfois incroyables decertains d’entre eux. L’édition originale du fameuxrecueil de Robert Franck “The Americans” (1959) esten vente à 840 000 yens [8029 euros], soit environ100 euros la page. C’est ça aussi Jimbochô, des petiteslibrairies qui n’ont l’air de rien, mais qui recèlent devéritables trésors. Le quartier, situé à proximité de plusieurs centres uni-versitaires, a été, comme nous l’écrivions en introduc-tion, un lieu où une partie de la jeunesse, la plus pen-sante, se rendait. C’est là que se trouve égalementl’éditeur Iwanami Shoten qui a joué un rôle crucialdans la diffusion de la littérature étrangère, mais aaussi été un des fers de lance du débat politique et phi-losophique dans l’archipel. C’est ici qu’a été fondéeen décembre 1945, quelques mois après la capitula-tion, la revue Sekai où toutes les grandes plumes dupays se sont exprimées et s’expriment encore puisquele mensuel existe encore et poursuit son engagementpacifiste, anti-impérialiste, anti-nucléaire et anti-mon-dialisation. Malgré une baisse très nette de son lecto-rat qui a accompagné la disparition progressive desjeunes du quartier, il reste un espace de discussion desplus intéressants. L’éditeur a inauguré en février 1968
(époque glorieuse où tout faisait débat) l’IwanamiHall (sortie A6 à Jimbochô), un cinéma où l’on dif-fuse des films rares, pour la plupart étrangers, qui n’au-ront pas la chance d’être distribués dans d’autres salles.Le cinéma y est d’ailleurs souvent à l’honneur, ce quipeut être l’occasion de faire une pause (1800 yens laplace ou 1500 yens si elle a été achetée à l’avance)
lorsqu’on a le mal du pays ou que l’on sature après avoirvu défiler tant de caractères chinois dans les librairies.En effet, les caractères chinois (kanji) sont très pré-sents dans le quartier tout comme l’ont été les Chi-nois eux-mêmes au début du XXème siècle. A l’époque,le Japon, qui s’était imposé comme puissance militaireface à la Chine (1895) et la Russie (1904-1905), appa-
Pour aider les clients et éviter qu’ils ne déplacent les piles pour rien, on inscrit le titre sur des bandes jaunes.
Je souhaite aider à la construction de la Maison pour tous - Minna no ie à Rikuzentakata en donnant la somme de :
Chèque à rédiger à l’ordre de ASS Japonaide à envoyer à :
Le 11 mars 2011, la côte nord-est du Japon a été frappée par un très violent séisme suivi quelques minutes plus tardpar un tsunami qui a dévasté villes et villages, faisant des milliers de victimes et des dégâts considérables. Après une concen-tration des efforts sur le relogement des sinistrés pour la plupart dans des ensembles de préfabriqués, en attendant depouvoir réorganiser l’urbanisme et la construction d’habitations dans les hauteurs, il est apparu indispensable de four-nir à ceux que l’on peut encore appeler des réfugiés, un lieu convivial où ils pourraient se retrouver et partager leursprojets d’avenir. Répondant à ce besoin manifeste, l’architecte ITÔ Toyô a décidé de bâtir une première Maison pourtous (Minna no ie) à Sendai, avec le soutien de la région de Kumamoto. Elle a été inaugurée à l’automne 2011.
Une nouvelle maison est prévue à Rikuzentakata pour laquelle ITÔ Toyô a fait appel à de jeunes architectes, INUI Ku-miko, FUJIMOTO Sou, HIRATA Akihisa et d’autres Maisons pour tous devraient ensuite être construites près de chaqueensemble de logements provisoires. Pour être mené à bien, le projet de Rikuzentakata, géré par l’association Kisyn nokai créée par Itô Toyô et plusieurs architectes japonais de renom, YAMAMOTO Riken, NAITÔ Hiroshi, KUMA Kengoet SEJIMA Kazuyo, a besoin de notre soutien. Zoom Japon s’associe à la démarche entreprise au Japon et lance auprèsde ses lecteurs un appel aux dons pour réunir les 50 000 euros nécessaires à la construction de cette maison commune.
Les fonds récoltés par l’intermédiaire de l’association Japonaide seront versés à Kisyn no kai qui les utilisera pour ache-ver le projet de Rikuzentakata.
Je souhaite recevoir une facture :Nom : _________________________Adresse : _____________________________________________________Ville : ____________ CP : _________
www.zoomjapon.info
UNE MAISON POUR TOUSみんなの家
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raissait aux yeux des jeunes Chinois comme le modèleà suivre pour sortir du joug occidental. C’est la raisonpour laquelle des milliers d’entre eux ont quitté leurpays natal pour venir étudier à Tôkyô. Parmi eux,on recense plusieurs grands noms comme Zhou Enlai,l’ancien Premier ministre de Mao Zedong, ou encoreLu Xun considéré comme l’un des fondateurs de lalittérature chinoise contemporaine. Ce dernier a passétrois ans à Jimbochô que l’on appelait alors “le quar-tier des étudiants étrangers”, voire “Chinatown”. Rienà voir avec les quartiers chinois qui existaient (et exis-tent encore) dans les cités portuaires de l’archipel(Yokohama, Kôbe et Nagasaki) où l’on trouvait sur-tout des restaurants et des boutiques. A Jimbochô,il s’agissait surtout d’intellectuels qui ont, au cours dela première moitié du siècle dernier, joué un rôle consi-dérable dans l’émergence d’une conscience chinoiseet d’un désir grandissant de faire la révolution. L’undes plus célèbres résidents du quartier n’est autre queSun Yat-sen qui contribua largement à la Révolutionchinoise de 1911 et devint le premier président de laRépublique de Chine (1911-1912). Son engagementpolitique est intimement lié au quartier de Jimbochôoù l’on imprima en 1905 le premier numéro de la revueMinbao. Il reste peu de traces de cette présence chi-noise si ce n’est une petite stèle dans l’enceinte du petitparc Anzen (sortie A3 à Jimbochô vers Kudanshita,deuxième rue à droite, puis à 100 m environ) qui rap-pelle que Zhou En-lai a étudié à cet endroit. Un res-taurant chinois, le Hanyanglou, fondé en 1911 existetoujours à proximité du parc Anzen. Le reste a dis-paru lors du séisme de 1923, puis lors de la SecondeGuerre mondiale. On trouve néanmoins deux librairies chinoises à Jim-bochô. La librairie Tôhô et la librairie Uchiyama,créées bien plus tard, disposent des fonds les plusconséquents sur la Chine ancienne et contemporaine.Voilà donc un quartier qui confirme que le livre consti-tue souvent un excellent moyen de voyager.
ODAIRA NAMIHEI
A Jimbochô, il n’est pas rare de voir des tas de livres sur le trottoir. Librairie Yagi (sortie A5 à l’opposé de Kudanshita).
L a meilleure façon de voyager au pays du Soleil-levant est d’emprunter le train. Non seulement,c’est un moyen de transport fiable et conforta-
ble, mais c’est surtout un merveilleux observatoire dela société japonaise. L’une des meilleures façons de s’in-former sur le Japon, c’est de lire tous les mois Zoom Japonqui vous propose des articles et des reportages originauxsur l’archipel et ses habitants. C’est de ce double constatqu’est né le projet de ce livre. Celui-ci est à la fois un guidetouristique et un regard sur le pays au travers du cheminde fer. Dans la première partie composée de courts cha-pitres, l’auteur montre à quel point le train occupe uneplace centrale dans le quotidien des Japonais. Ce moyende transport, autour duquel les villes japonaises se sontbâties ou étendues, est devenu un élément incontourna-ble de la culture. Au cinéma ou dans la littérature, il estomniprésent. Difficile d’imaginer un film sans qu’untrain ou qu’une gare n’apparaisse. Les grands écrivains— NATSUME Sôseki ou TANIZAKI Jun’ichirô — s’y sontintéressés, tandis que MATSUMOTO Seichô, l’un des grandsmaîtres du polar, faisait voyager ses lecteurs avec ses his-toires dans lesquelles il décrivait avec précision les itiné-raires empruntés par ses héros. De la même façon, ClaudeLeblanc nous propose de voyager sur une trentaine delignes de train réparties sur l’ensemble du territoire japo-nais. De Hokkaidô à Kyûshû, il nous entraîne dans laplupart des régions de l’archipel à la découverte de sitesméconnus ou célèbres, mais toujours avec cette envie denous donner des clés pour profiter des paysages et desendroits traversés. Même s’il consacre un chapitre auxlignes à grande vitesse (shinkansen) rapides et pratiquespour relier les grandes villes entre elles, il s’attache avanttout à nous rappeler que le train est un mode de vie quebon nombre de Japonais apprécient justement car il leurpermet de savourer tranquillement (nonbiri) le temps
Zoom Japon inaugure une collection deguides originaux pour les curieux du Japon.
GUIDE Le bon carnet de rail
RÉFÉRENCELE JAPON VU DU TRAIN de Claude Leblanc, coll. Zoom Japon, Editions Ilyfunet, 304 p., 18 euros. En précommande sur www.lejaponvudutrain.com
qui passe. On comprend donc le plaisir manifeste qu’ilsont à l’utiliser. En donnant des détails pratiques, desadresses et des conseils utiles pour que notre découvertedu Japon soit la plus agréable possible, l’auteur ouvre desperspectives intéressantes à tous ceux qui veulent voya-ger autrement. La magnifique photo d’ouverture est déjàune belle invitation. On n’a qu’une seule envie, c’est desuivre ce joli kimono dans son périple ferroviaire. Dis-ponible le 15 avril. ODAIRA NAMIHEI
La réalisation de ce projet n’aurait pas été possible sans :
Le soutien matériel de Christophe Monteiro, Rotary Club Strasbourg Sud
La coopération du quotidien Ishinomaki Hibi Shimbun et de son directeur ÔMIKôichi.
L’engagement de IKEZAWANatsuki, IWASAKI Sadaaki, KAMATA Satoshi, MINATOChihiro et UCHIDATatsuru
La complicité de Corinne Quentin, KOGARitsuko, Jérémie Souteyrat, Eric Rechsteiner, Jonas Ramuz
Le travail de traduction de Bernard Béraud, KASHIOGaku, Corinne Quentin, OZAWAKimie,Masako Saeki-Calbardure, KOGARitsuko, Claude Leblanc
Le coup de pinceau de FUJIWARAYukari
L’enthousiasme des équipes d’Ovni, Zoom Japon et Espace Japon
La présence de Japonaide
La coopération du Musée Guimet où se tient du 10 mars au 15 avril 2012 l’exposition desjournaux muraux de l’Ishinomaki Hibi Shimbun - www.expoishinomaki.com
La logistique de Yamato, UNO-NOLLETYukie, Foodex, Kirin
Ishinomaki. Décembre 2011.Cela fait neuf mois que laterre a tremblé violemment
et qu'un tsunami d'une puis-sance extraordinaire a ravagé laville. Même si la vie semble avoirrepris son cours, elle porteencore les stigmates de la catas-trophe. Bâtiments éventrés,façades rafistolées, zones com-
merciales désertées, la cité por-tuaire ressemble à un boxeursonné et défiguré après un com-bat mené contre un adversairebien trop fort. Pourtant on sentbien qu'elle n'a pas baissé les bras.Un peu partout, on aperçoit desaffiches sur lesquelles on peutlire Ganbarô Ishinomaki (Cou-rage Ishinomaki). Elles ont étéaccrochées sur les vitrines desboutiques qui ont pu reprendreleurs activités, sur des poteaux
dans les rues, à la gare, au cen-tre névralgique de la ville, quin’a pas encore retrouvé sonfonctionnement normal. Laligne qui dessert la cité voisined’Onagawa est totalementdétruite et celle qui la relie àSendai est encore coupée à cer-tains endroits. Malgré tout, onveut croire qu’il y aura des len-demains qui chantent. Au siège de l’Ishinomaki HibiShimbun, le journal local dont
D’une missionà une autre
Le siège de l’Ishinomaki Hibi Shimbun à Ishinomaki.
石巻日日新聞本社(石巻市)
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Claude LEBLANC
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la diffusion était de 11 000exemplaires avant la catastrophe,on partage la même envie dereconstruire ensemble. Celle-cise manifeste bien sûr par la pré-sence du même message Gan-barô Ishinomaki placardé à lafenêtre du premier étage. Maisle ton est différent. Il s’exprimeavec plus de vigueur. Tracé aupinceau, on sent que son auteury a mis beaucoup d’énergie. Unefeuille blanche, de l’encre et unpinceau pour exprimer l’espoir.Quelques mois plus tôt, dans lesminutes qui ont suivi les événe-ments tragiques du 11 mars,l’ensemble des salariés du quo-tidien avaient déjà manifestéleur désir de maintenir l’espoir,du moins d’éviter que la popu-lation traumatisée par un séismede magnitude 9 sur l’échelle deRichter et une déferlante meur-trière ne sombre dans le déses-poir. Privés d’électricité, de télé-phone et de moyens decommunication vers l’extérieur,les habitants étaient coupés dumonde, une situation intoléra-ble pour la petite équipe del’Ishinomaki Hibi Shimbun. Cedernier n’avait pourtant pas étéépargné par la catastrophe. Situédans une petite zone indus-trielle, le bâtiment qui abrite larédaction et l’imprimerie dujournal a été inondé. Les rota-tives endommagées, l’électricitécoupée et un personnel choqué(voir photo p. 7), la situationn’était guère favorable pour ima-giner de sortir un journal. Pour-
tant, ÔMI Kôichi et son équipen’ont pas hésité et sont partis surle terrain recueillir les informa-tions de base dont la populationavait besoin. Ils ont sorti degrandes feuilles de papier etrédigé à la main des journauxmuraux qu’ils ont ensuite diffu-sés dans les centres d’évacuationet des zones épargnées. Ils ontainsi préservé le lien certes ténuau regard de la tragédie, maisessentiel. On a beaucoup parlé dans lesmédias occidentaux de ladignité des Japonais et de l’ab-sence de panique, en cherchantà les expliquer à grand renfortde clichés. En septembre 1923,lors du séisme qui avait dévastéla région de Tôkyô, les scènes depanique et d’hystérie avaient éténombreuses. A cette époque, lapresse n’avait pas eu le réflexed’informer, mais de relayer desrumeurs. L’Ishinomaki HibiShimbun a décidé de jouer lacarte de l’information, montrantainsi l’exemple. M. ÔMI emploiesouvent le terme mission, shi-mei en japonais, pour évoquerl’initiative prise par son journalpour continuer à informer. Latâche qu’ils se sont assignés estloin d’être terminée sur place,comme l’exprime si bien la cal-ligraphie collée à la fenêtre deleur journal. Elle a cependantune dimension universelle quenous voulions saluer et mettreen évidence par rapport à notresociété où l’intérêt général estsouvent sacrifié sur l’autel des
intérêts particuliers. En organisant l’exposition desdésormais célèbres journauxmuraux de l’Ishinomaki HibiShimbun au Musée Guimet du10 mars au 15 avril, puis auMusée des arts asiatiques deNice jusqu’au 15 mai, nous sou-haitions montrer commentquelques caractères tracés à lamain sur de grandes feuilles depapier ont contribué à mainte-nir ce lien collectif alors que lechaos dominait les débats. Lesphotos d’Eric Rechsteiner prisesà Ishinomaki quelques joursaprès le 11 mars et présentéesavec les journaux témoignent ducontexte dans lequel les journa-listes ont opéré. Mais l’hommagen’aurait pas été complet sansqu’il soit accompagné d’unetrace écrite. C’est la raison d’êtrede ce fascicule qui rapporte letémoignage direct des journa-listes de l’Ishinomaki Hibi Shim-bun, mais qui se veut aussi unespace de réflexion sur le rôle desmédias dans une situation decrise comme celle que connaîtle Japon depuis mars 2011. Cinqgrandes signatures — IKEzAwANatsuki, IwASAKI Sadaaki,KAMATA Satoshi, MINATO Chi-hiro et UChIDA Tatsuru — ontapporté leur contribution, ensoulignant l’importance de lamission accomplie par le quo-tidien d’Ishinomaki. Notre mis-sion consistait à la mettre envaleur. Nous espérons y être par-venus. Bonne lecture.
Lorsque la nuit tombe sur la ville, tous les incendies n’ont pasété éteints日が暮れても燃え続ける火災。
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J’aimerais tout d'abordadresser ma sympathie àtous ceux qui ont été
touchés par le séisme du11 mars 2011. Je voudrais éga-lement remercier tous ceux quiont contribué d'une façon oud'une autre à l'aide apportéeaux victimes.Le siège de l'Ishinomaki HibiShimbun, dont je suis le direc-
teur, est situé dans une zonequi a été touchée par le tsu-nami. Le rez-de-chaussée denos locaux a été inondé, met-tant hors service une de nosrotatives. Le bâtiment en lui-même a été par miracle épar-gné, mais l'ensemble de l'instal-lation électrique ainsi que lapresse ont souffert. Dans cesconditions, après 99 ans d'exis-tence, nous nous sommes
demandés ce que "nous pou-vions" et ce que "nous devions"faire.
La réponse a été évidente."Sélectionner les informationsindispensables à la populationlocale et la leur transmettre".Cela justifiait notre existence.Nous avons alors entamé notremue en passant du statut dejournaliste à celui de localier et
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Un simple travail d’information
ÔMI Kôichi
Quelques minutes après le séisme, première évaluation des dégâts dans la rédaction.地震発生数分後の編集部の状況。
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en révisant notre devise quiétait de "contribuer à la région".L'ensemble des 27 salariés, ycompris ceux de l'administra-tion, qui composent l'entrepriseet qui vivent dans la région onttous ensemble compris que"nous étions partie prenante decette région où nous vivons".Emporté par le tsunami, un denos journalistes a dérivé touteune nuit avant d'être secourupar un hélicoptère le lende-main matin. Un autre, qui ten-tait de fuire en voiture, a étépris dans les embouteillagesavant d'être rattrapé par lavague, mais il a réussi à trouverun abri en hauteur. Et puis, lesautres employés et moi, nousétions au siège du journalquand le tsunami l'a encerclé.
Les six journaux que nousavons réalisés à la main sont deséléments vivants. Avant mêmeque l'alerte au tsunami soitdéclenchée, nous avions décidéde poursuivre notre travail etsix journalistes étaient partissur le terrain. Le reportage aumilieu du chaos est ainsi pro-gressivement devenu une infor-mation précise indispensablepour les habitants.
Cela fait six ans que je gère l'Ishinomaki Hibi Shimbun. Pourmoi qui ai vécu pendant 24 ansen dehors de cette région, aucours de ces six années, j'aichaque jour œuvré pour créerun réseau au niveau local. A l'oc-
casion de ces événements, j'ai eul'impression que toute l'équipesoudée a choisi de continuer del'avant.
La volonté des journalistes d'ac-complir leur "mission de racon-ter" alors qu'ils ne savaient passi leurs familles étaient en sécu-rité et celle des salariés de l'Ishi-nomaki Hibi Shimbun impli-qués dans la production desjournaux muraux n'ont pas fai-bli depuis une année.
A la suite de ce séisme, il a étécrucial de déterminer lecontenu et la nature des infor-mations à privilégier pour don-ner du sens et éviter les débor-dements liés aux rumeurs quipeuvent voir le jour dans cegenre de situation tout ensachant que nous étions limi-tés dans la fabrication du jour-nal et que nous serions privésde sources d'énergie pendantplusieurs jours.
Bien que nous soyons nous-mêmes et que nous ne soyonspas tout à fait en mesure d'ap-préhender la réalité de la situa-tion, il a été indispensable defournir une information véri-
fiée que nous avons reconsti-tuée par fragments. La diffu-sion de cette information rele-vait à nos yeux de notremission en tant que journallocal. Tandis que les grandsquotidiens du pays cherchaientla rapidité, nous souhaitionsmettre l'accent sur la précisionet la justesse des faits.
Désormais, c'est le temps de lareconstruction pour les parti-culiers, les entreprises et lesadministrations dans les zonessinistrées. Il faut donc partagerl'information la plus utile quiva dans ce sens et répondre àcette demande. Juste après leséisme, dans les centres de réfu-giés où s'entassaient des gensprivés d'information, j'ai vu denombreuses personnes qui sebousculaient pour être les pre-mières à lire les journauxmuraux que nous avions réa-lisés à la main.
Je crois que l'expérience, qui aconsisté à passer d'une situa-tion de confort où l'informa-tion arrive sur des terminauxhigh-tech reliés à Internet à unétat où l'on ne reçoit brusque-ment plus aucune donnée, aconfirmé la nécessité pour nossociétés de comprendre l'inu-tilité de ces machines.
Les journaux muraux que nousavons réalisés ont été à plu-sieurs reprises cités dans lapresse. La première série a été
Un engagement qui n’a pas faibli
depuis le 11 mars
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présentée au musée de la pressede washington, aux Etats-Unis.La seconde a été exposée dansplusieurs lieux pour montrerque "la vie ne s'arrête pas à causedes séismes". La troisième estaujourd'hui présentée auMusée Guimet à Paris.
On a beaucoup dit que la catas-trophe de mars 2011 était sansprécédent. Il y a eu aussi unjournal qui a réagi comme si cesrotatives n'avaient pas été inon-dées ou comme s’il avait anti-cipé le tsunami. Nos journaux
muraux sont le résultat dequelque chose qui n'avait pasété préparé afin de répondre
à une situation d'urgence. Pourun gestionnaire comme moi,ce ne fut pas forcément uneévidence. Néanmoins en tantque localiers, ils sont le fruit
bien réel de notre fermevolonté de remplir "notre mis-sion d'information auprès denotre région".
L'intérêt porté à notre travailqui consiste à "apporter l’infor-mation" nous remplit de fiertéet nous pousse à accompagnerla population dans la recons-truction et à poursuivre nosactivités pour "ramener le sou-rire à cette région que nousaimons".
La première nuit après le séisme et le tsunami du 11 mars 20112011年3月11日、震災・津波被災後の第1日目夜。
Nous avons réagi comme si nous avionsanticipé le tsunami
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Le 14 mars, préparation de l’un des journaux muraux.3月14日、壁新聞の発行を準備中。
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J’avais déjà fait l’expériencede séismes de forte intensité.
Mais celui du 11 mars 2011 a ététerrible. Peu après, des sirènes quim’ont fait penser à celles quiannoncent les bombardementsen temps de guerre ont retentipour avertir du danger d’un tsu-nami. Prise d’un mauvais senti-ment, je me suis rendue sur lacolline située en face du journal.Beaucoup de gens y étaient déjàrassemblés. Environ 40 minutesaprès le tremblement de terre, lavague géante a déferlé. Sous mes
yeux, j’ai vu défiler des maisonset des débris dans un bruit fra-cassant. J’entendais aussi lessirènes d’incendie et les klaxonsdes voitures comme si ellesétaient à l’agonie.
Après avoir visité un premiercentre d’évacuation, j’ai pris ladirection opposée au journalpour me rendre jusqu’à l’hôtel deville dans l’espoir de récolter desinformations. En y arrivant aubout de plusieurs heures, j’aiconstaté qu’elle était submergéepar plus 1,50 mètre d’eau. Avecmes collègues Todokoro etAkiyama, nous avons passé lanuit à récolter des informationsà la mairie. Toutes les nouvellesqui y parvenaient étaient dumême genre : “la ville de Naga-hama a été davastée” ou encore“le district de Nagatsura est sousles eaux”.
Après le séisme, il étaitimpossible d’utiliser le téléphoneportable, seul l’envoi de courrielsfonctionnait. Malgré l’existenced’un numéro d’appel d’urgence,le fait de ne pas pouvoir commu-niquer par téléphone le rendaitinutile. Je n’ai pas pu entrer encontact avec mes parents quiétaient à la maison et je ne savais
pas s’ils étaient sains et saufs. A20h, il n’a plus été possible d’en-voyer des courriels et nous avonsperdu le contact avec le journal.Je n’ai réussi à quitter l’hôtel deville inondé que le 13 mars dansl’après-midi.HIraI Michiko est chef d’édition,responsable de l’économie
Une fois que les secoussesviolentes se sont estom-
pées, j’ai pris la voiture pour merendre à l’hôtel de ville. Du faitdes répliques, la route ondulaitcomme une vague. Les feuxrouges bougeaient avec un bruitde grincement et donnaient l’im-pression qu’ils pouvaient tom-ber à tout moment. J’ai pu aussientendre l’alerte au tsunami lan-cée par les hauts-parleurs. Dansl’hôtel de ville, privé d’électricité,le plafond s’était effondré.Devant la gare, on pouvait voirdes lycéennes effrayées en larmeset des gens abasourdis qui s’yétaient rassemblés. Le téléphoneportable était inutilisable. Je suisretourné à la mairie afin de récol-
Le 11 mars 2011 vécude l’intérieur
HIRAI Michiko
TODOKORO Ken’ichi
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ter des informations sur lesdégâts causés par le tsunami.C’est là que j’ai vu le mot “dévas-tation” apparaître sur le tableaublanc. Je ne pouvais pas m’ima-giner que cette région soitréduite à néant. C’était pourtantla réalité. L’hôtel de ville est situéau centre ville. Encerclés par leseaux, nous étions complètementisolés. A la tombée de la nuit,dans la ville plongée dans le noir,un étrange silence s’est propagé.Le tsunami avait déjà emportéde nombreuses vies et une par-tie de la ville.TOdOkOrO ken’ichi est chef d’édi-tion adjoint. Il couvre Ishinomaki.
Le tsunami est arrivé alorsque je faisais un reportage
sur la côte. Perché sur un mur,j’avais quand même de l’eaujusqu’à la taille. C’est là que j’aivu apparaître une grosse caisse
en plastique. Je l’ai attrapée etme suis laissé porter par le cou-rant. A proximité d’une rizière,j’ai failli me noyer après avoirlâché prise. J’ai réussi à saisir ànouveau mon radeau de fortunequi m’a entraîné vers l’intérieurdes terres. J’ai ensuite été ren-voyé vers la mer où j’ai pu grim-per sur un petit bateau. J’ai vudes gens sur un toit qui flottaitdans la même direction. Monappareil photo ne fonctionnaitpas, mais j’ai pensé à ma missionde rapporter ce que j’avais vu.Entouré par le bruit du tsunami,j’ai été saisi par le froid auquelil était difficile de résister. Aprèsavoir failli laisser ma vie plu-sieurs fois, le lendemain matin,j’ai eu la chance d’être secourupar un hélicoptère avant d’êtrepris en charge par l’hôpital de laCroix rouge d’Ishinomaki.kUMaGaI Toshikatsu couvreHigashi Matsushima, les ques-tions départementales et médi-cales.
Comme j’étais en train de ter-miner un article, la terre
s’est mise à trembler violemment.Je me suis rendu sur la colline dehiyoriyama en face du journalafin de pouvoir observer l’em-bouchure du fleuve. Ne voyantaucun mouvement à la surface
même après l’heure annoncée dutsunami, j’ai décidé d’aller fairedes photos près de la mer. Nonloin de Minamihama, j’ai étécoincé dans un embouteillage.J’ai alors emprunté la voie oppo-sée en direction de la mer. J’ai prisdes photos au niveau de l’estuaire.En retournant à la voiture et enentendant les informationsconcernant le tsunami, j’ai jugébon de faire demi-tour et dechercher un lieu en hauteur pourme protéger. A la nuit tombée,je me suis dirigé vers la mairiepour y trouver refuge. Sans nou-
KUMAGAI Toshikatsu
AKIYAMA Yûhiro
action
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velle de ma famille, j’y ai passéune nuit d’angoisse en compa-gnie de mes collègues hirai etTodokoro.akIyaMa yûhiro couvre Ona-gawa, la pêche et le sport.
Quand le séisme s’est produit,je me trouvais sur le par-
king du tribunal. Après le déclen-chement de l’alerte au tsunami,je suis rentré au journal avant deme rendre au centre de secoursoù l’on était occupé à évacuer lesrésidents. Une heure environ
après le séisme, le tsunami estarrivé par la rivière Kyûkitakamiqui coule derrière la caserne. J’aialors vu la peur dans le regard deshabitants évacués. Les pompiersont été vite dépassés par l’am-pleur de la catastrophe. L’eaucommençait à monter dans laville. Tout en tentant d’échapperà l’eau, j’ai continué mon repor-tage. Jusqu’au 14 mars, j’ai pro-cédé de cette manière dans deslieux éloignés du journal. Je mesuis rendu à pied à l’hôpital, aucentre distribution d’eau et à lamorgue pour enquêter. Je nesavais pas si ma famille et mesproches étaient en bonne santé.J’ai donc fait mon travail avecune certaine angoisse. MIZUNUMa kôzô couvre la police,les pompiers et les questions agri-coles.
J’étais occupé à la rédactiond’un article lorsque le séisme
s’est produit. Les panneaux fixésaux murs et au plafond sont tom-bés. Avec l’appareil photo, j’aienregistré la scène. Ensuite, nous
nous sommes répartis les sujets.Chargé de couvrir la situationsur les routes, j’ai pu voir les ruescongestionnées par les personnesqui fuyaient. Je me suis arrêté surun parking pour me diriger versla rue commerçante. Des réser-voirs d’eau qui se trouvaient surles toits s’étaient écrasés au sol.J’ai alors voulu rentrer au jour-nal, mais le tsunami était déjà là.La voiture commençait à pren-dre l’eau et j’ai pensé aux rota-tives. A l’extérieur du centre
d’évacuation où je me suisretrouvé, j’ai vécu cette scèned’une ville sans lumière sous unalignement d’étoiles tout enayant un sentiment de malaise.Dans la direction de Kadowaki,on apercevait un rideau de fuméeaccompagné d’une odeur depoisson et de gaz sur lequel sereflétaient les formes rouges desincendies.yOkOI yasuhiko couvre les ques-tions scolaires et culturelles.
MIZUNUMA Kôzô
YOKOI Yasuhiko
Toute l’équipe autour des désormais célèbres journaux muraux.壁新聞を囲むスタッフ
Le 15 mars 2011, des passants lisent l’édition de la veille placardée sur la façade d’une supérettedévastée.2011年3月15日、通行人が被害を受けたコンビニの入口に貼ってある前日号の壁新聞を読む。
Ishi
nom
aki H
ibi S
him
bun
石巻日日新聞社の記者たち
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16 supplément à ZOOM JAPON - numéro 18 - mars 2012
12 mars 2011Séisme le plus fort jamais enregistré dansl’archipel et tsunami géant. La région d’Ishinomakitrès fortement secouée. Pour des actions fondéessur des informations exactes !
18 supplément à ZOOM JAPON - numéro 18 - mars 2012
’après-midi du 9 avril 2011 j’étais dansles locaux de l’Ishinomaki Hibi Shim-bun pour rencontrer son rédacteur enchef TAKEUChI hiroyuki. Près d’unmois s’était écoulé depuis le tremble-
ment de terre et le raz de marée. Après le tsunami,ce quotidien, humble mais riche de près d’un siè-cle d’histoire, s’est retrouvé privé de ses moyensd’impression et a commencé à publier un jour-nal mural manuscrit.
Le journal mural me rappelleles mouvements étudiants desannées 1960, ou les dazibao dela Révolution Culturelle chi-noise. Mais ce qui a donné l’idéede ce mode de communication àÔMI Kôichi, directeur du jour-nal, c’est, dit-il “le souvenir quim’est revenu à l’esprit, en fin d’école primaire, d’avoirfabriqué un journal mural et d’avoir été félicité parmon instituteur”.
ÔMI Kôichi est né en 1958, moi en 1945,nous n’avons donc pas grandi à la mêmeépoque. De mon temps, à l’école primaire,
l’instituteur distribuait les feuilles d’examen poly-copiées à partir d’un manuscrit qu’il avait lui-même rédigé sur un papier stencil tandis qu’àl’époque de M. ÔMI, il s’agissait sans doute déjàde feuilles imprimées. Dans le récit de M. TAKEU-
ChI, ce qui m’a frappé, outre bien sûr la mons-truosité de la catastrophe, c’est sa vision du métierde journaliste : “l’humain vit d’eau, de nourritureet d’information. C’est au contact d’informationssolides que les enfants développent leur faculté dedécision. Un journal, c’est un ensemble d’informa-tions que des journalistes ont eux-mêmes vérifiéeset c’est pour cela qu’on peut lui faire confiance.” C’estvrai, l’humain vit d’eau, de nourriture et d’infor-mation. Dans ce genre de situation chaotique et
effrayante, l’information est par-ticulièrement importante. Plusencore que l’approvisionnementen vivres, elle a sans doute été unsoutien vital pour les victimes.L’angoisse de ne pas savoir dansquelle situation on se trouve, onpeut se la représenter en imagi-
nant qu’on est soudain arrêté et enfermé sans rienpouvoir faire d’autre qu’attendre un interroga-toire. Dans ce genre de situation, la fiabilité desinformations est liée au fait que des journalistesles ont eux-mêmes rassemblées, pas du fait qu’ellesont été imprimées sur de grosses rotatives. C’estce qu’a aussi prouvé ce journal mural.Aujourd’hui, l’information a tendance à êtreabondante et superficielle. Par courriel ou Twit-ter, des rumeurs peuvent se répandre presque sanslimite. Quelqu’un qui a vu ou entendu quelquechose, sans le moindre doute sur la valeur de ce
L
Catastropheet force de l’écrit
IKEZAWA Natsuki
derrière cette attitude,il y avait une fierté
de journaliste
qu’il a vu ou entendu, n’effectue aucune vérifi-cation et transmet tel quel son message à desproches. Sans que soit questionnée sa véracité,le contenu sera d’autant plus largement transmisqu’il sera sensationnel et il causera des dégâts.
Cette fois, par exemple, la rumeur selonlaquelle “des bandes de voleurs chinois agiraientdans les zones sinistrées” a circulé. Il semble qu’ily a eu effectivement quelques vols, mais siquelqu’un a vu agir des personnes suspectes, com-ment a-t-il pu savoir qu’elles étaient chinoises ?En y réfléchissant un peu, on s’aperçoit rapide-ment qu’il s’agit d’une information plutôt dou-teuse, pourtant, elle est diffusée telle quelle avecun simple conditionnel. On a vu aussi des mes-sages du genre “un ami d’ami, travaillant pourTepco a expliqué en secret que…”.
C’est pourquoi un journal est important.Au départ, l’Ishinomaki Hibi Shimbuns’inquiète de la façon de traiter les infor-
mations. Les journalistes sont embarrassés pourfaire le tri des informations rassemblées avec dif-ficultés. Ils sont inquiets d’écrire ce qui ne peutpas être vérifié. Puis, dépassant ces problèmes,ils se mettent à écrire, manuellement, sur dupapier.
Derrière ce comportement il y avait une fiertéde journaliste. Serait-il bon quela publication de ce quotidienqui, en 99 ans, n’a presque jamaismanqué un numéro, soit main-tenant suspendue ? C’est sansdoute aussi cet amour-propre,dans le bon sens du terme, qui asoutenu leur action. Pour dire lavérité, ce journal mural a pris unetrop grande importance à traversle monde et les journalistes ensont eux-mêmes un peu gênés.Leur publication est devenue unsymbole de résistance de la presseface au raz de marée et avec une
certaine timidité, ils murmurent : “nous n’avonspourtant fait que ce que nous devions faire…”. Mais,lorsqu’une autre catastrophe se produira quelquepart, j’espère que les journalistes sur place se sou-viendront de cette inébranlable volonté. Au fond,les louanges adressées aux journalistes du jour-nal mural devraient avant tout sensibiliser l’en-semble des médias.
L ’ important était qu’il s’agissait d’écrit.Dans cette situation, il n’était pas essen-tiel que ce soit des caractères imprimés.
Même en lettres manuscrites le titre “IshinomakiHibi Shimbun” faisait que, dans les refuges, lesgens accordaient leur confiance au contenu destextes. Et le slogan “Pour des actions basées sur desinformations exactes !” s’est gravé profondémentdans les cœurs.
D’où vient la force de l’écrit ? De nos jours,on peut répondre en le comparant à l’image. Lesimages défilent. L’humain vit en s’appuyant àlongueur de journée sur les images qu’il perçoitet on peut sans doute dire que c’est aussi pourcela qu’il peut facilement utiliser des médiasd’images. L’image se situe dans le temps, évo-lue avec lui. C’est pourquoi l’image fait penserl’homme. Tout comme on pense en regardantpasser les gens au coin d’une rue, on peut avoir
de courtes impressions qui s’effa-ceront avec l’apparition de lascène suivante qui elle-même ferajaillir de nouvelles impressions.L’ensemble de cette chaînedevient la “pensée”.
L’écrit, lui, ne défile pas.Chaque caractère est inscrit un àun sur du papier, une planche,une pierre, parfois sur la peau.L’œil les lit un à un et les com-prend comme une phrase. Pourlire un texte, il faut s’arrêter. Ilarrive parfois qu’on reviennecomme scanner plusieurs fois la
BiographieIKEZAWA Natsuki est né en 1945,dans l’île de Hokkaidô. Il est l’undes romanciers et essayistes lesplus féconds de sa génération.En 1987, La Vie immobile estsaluée par les plus prestigieuxprix littéraires. Après une dizained’années à Okinawa, il passequatre ans en France puiss’installe de nouveau au Japon, à Hokkaidô. Plusieurs de ses romans et nouvelles sontdisponibles en françaisaux Éditions Philippe Picquier.
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réflexion
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même ligne ou le même mot. Si le lecteur n’a pasla volonté d’avancer dans le texte, les lettres écritesne font que répéter leur présence sur place. C’estpourquoi l’écrit ne génère pas la pensée, maisla réflexion. Plus qu’il n’est informatif, il demandeun travail intellectuel.
Ce qui est inscrit est inébranlable. C’estce qui fonde la confiance envers l’écritet à quoi celui qui écrit doit se résoudre.
Depuis les hiéroglyphes égyptiens sur une obé-lisque jusqu’aux textes manuscrits d’un journalmural d’aujourd’hui, tous les écrits, dans leuressence, s’opposent au cours du temps. C’estpourquoi les sous-titres qui défilent en bas desécrans de télévision ressemblent à de l’écrit maisn’en sont pas. Ce qui défile et s’efface ne peut pasêtre relu même si le lecteur en a le désir et c’estpourquoi cela ne peut êtreconsidéré comme de l’écrit.
Il y a une trentained’années, très rapidementaprès son lancement sur lemarché, j’ai acheté unemachine à traitement detexte. Je pensais qu’elle me serait utile et, bienque chère vompte tenu de mes moyens, je l’aiquand même achetée en faisant des économiessur mon budget pour l’alimentation. Jusque-là,il n’y avait pas de machine à écrire simple pourla langue japonaise qui, à la différence de languesalphabétiques, comprend un nombre extrême-ment important de caractères. Mon désir d’écrireà la vitesse de la frappe sur un clavier a ainsi puêtre enfin réalisé. A ce moment-là je me suis aussi
dit que, si par malheur, un pouvoir venait à m’in-terdire de publier, je pourrais diffuser par moi-même ce que j’écrirais. En réalité, ce que j’écrisn’est pas extrémiste, et je n’ai pas eu à recourirà la publication clandestine. A la différence del’Union soviétique, le Japon est une société tolé-rante. Mais il n’empêche qu’avec une machineà traitement de texte et une imprimante, on peutfacilement distribuer une dizaine d’exemplairesde ses textes autour de soi. Et ne serait-ce qu’unelettre, si elle est reproduite à dix exemplaires, elledevient une publication.
Je pense que c’est sur cela aussi que se fondela confiance que l’on a envers l’écrit. Maiscette position qui est la mienne vacille face
à la littérature orale par laquelle un texte se trans-met sans transcription écrite d’aucune sorte.
Cette transmission est inscrite dansles fonctions du cerveau humain. Jen’ai pas l’intention de remettre celaen question. Mais je pense que pour les vivantsayant la responsabilité de la conser-vation de ces textes, la tâche est bien
lourde. Si nous vivions dans le monde du romande Bradbury et du film de Truffaut Fahrenheit451 et si quelqu’un me transmettait oralementune œuvre, je m’empresserais sans doute de m’en-fermer dans mon bureau pour la transcrire parécrit, puis l’emporterais loin pour l’enterrer pro-fondément, en espérant que quelqu’un, mêmeun millénaire plus tard, la déterrerait peut-être.
Après cela, tant pis si on me fusillait commele dernier homme de l’écrit.
Ce qui est inscrit est inébranlable. C’est
ce qui fonde la confiance
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13 mars 2011Les équipes de secours arrivent de tout le pays. Evaluation progressive des dégâts. Pour des actions fondées sur des informations exactes !
2011年3月13日各地より救援隊到着。被害状況が徐々に明らかに。「正確な情報で行動を!」
e séisme du 11 mars 2011 et l’accidentnucléaire de Fukushima Dai-ichi deTepco ont montré au peuple japonaisque le pivot de son système social étaitbien plus endommagé qu’on aurait pu
le penser. On savait qu’il n’était pas un des meil-leurs du monde, mais on ne pensait pas qu’il étaitaussi défectueux. Surpris, le peuple japonais estdésormais tombé dans une profonde déprime.
La gestion de crise du gouvernement n’a pasentièrement fonctionné ; confor-tablement installés dans un “opti-misme sans fondement”, les spé-cialistes du nucléaire, ensous-estimant les risques de catas-trophe naturelle, n’ont fait qu’ag-graver cette série de désastres. Enmême temps, nous avons prisconscience que les médias n’avaient pas été à lahauteur de leur devoir et qu’ils continuent de nepas l’être ; telle peut être la cause de notre plusprofonde déprime.
Les médias critiquent sévèrement les fautesdu gouvernement ou de ce qu’on appelle“la confrérie du nucléaire”, mais ils restent
muets quant à leurs propres carences. On peutdiscourir indéfiniment sur le dysfonctionnementdes politiciens, des bureaucrates et des cadres,mais on ne dispose pas de mots pour parler des
médias. En effet, ce sont les médias qui devraientfournir un vocabulaire de base et une grille devaleurs pour parler d’un phénomène de société.Les médias eux-mêmes ne nous fournissent pasle vocabulaire ni le système de valeurs pour par-ler de cette dégradation. Je pense que c’est ce dys-fonctionnement qui provoque la dégradationfondamentale des médias.
Les médias, c’est la “conscience” de notresociété, et notre “roman autobiographique” pour
ainsi dire. S’ils utilisaient unvocabulaire plus consistant,moins léger, plus nuancé et facileà entendre, si leur système devaleurs pour connaître le sens etla valeur d’un événement étaitplus accessible, ouvert à touteune série d’interprétations, cela
réveillerait alors notre intelligence et enrichiraitnotre esprit. Or, à présent, que ce soit dans lesmédias traditionnels ou ceux sur Internet, le voca-bulaire utilisé est d’une grave indigence ; leur ana-lyse reste simplette et superficielle, et le nombredes émotions proposées se limite à trois, à savoirla colère contre “l’ennemi”, le rire hystérique et lechagrin-cliché (quand ce n’est pas le mélangechaotique des trois).
Si on parle de “conscience de soi “ et de “romanautobiographique” de la société, les médias nedevraient pas être aussi simplistes. “Je suis un
L’état maladif des médias japonais
UCHIDA Tatsuru
L
24 supplément à ZOOM JAPON - numéro 18 - mars 2012
Les médias ont undevoir de détachement
et d’attachement
tel être humain. Le monde est fait comme ça.(CQFd)”. Un être humain ne peut pas vivre dansune interprétation aussi candide et univoque.Ceux qui plaquent systématiquement ce genrede schéma réducteur à la réalité ne percevrontpas les informations où il est question de vie oude mort – informations portant sur les chan-gements imprévisibles et radicaux survenus dansla société.
Pour survivre, il faut être un être de chaircomplexe. Pour s’adapter à tout change-ment, il faut qu’un être vivant soit struc-
turé et doté d’une part de “fluctuation”. Sans res-ter formellement figé, être dans l’état de“fluctuation”, c’est l’essence même de l’être vivant.A l’intérieur de nous, cohabitent et se mélangentnoblesse et vulgarité, tolérance et dogmatisme,sérieux et frivolité. Nous nous considérons etnous nous acceptons comme un organisme ainsicomplexe, trouvons un équilibre dans ces élé-ments complexes en nous efforçant de les rendrecompatibles. Traditionnellement, ce genre depersonne en “fluctuation” est considéré commeun “adulte mature”. De ce point de vue, un orga-nisme social ne diffère guère d’un organisme bio-logique. Pour faire face à tout changement, il fautgarder une structure complexe. A réfléchir à lamaturité des médias, je prends le même systèmede valeurs que pour estimer la maturité deshumains. Pour moi, les médias japonais sont loind’avoir atteint la maturité.
Les grands journaux nationaux ne nous infor-ment que de ce qui est “respectable”, “politiquementcorrect”, “hors de portée de toute critique et de toutreproche de la part de quiconque” ; les télévisionset les magazines ne choisissent que des sujets “sansimportance”, de ce “qui ne devrait pas être dit” etde ce “qui rend les gens furieux et mal à l’aise”. Leurtâche est “divisée”. Voilà la cause de la dégradationdes médias et les responsables des médias ne s’enrendent pas compte.
Si le docteur Jekyll et M. hyde ont échoué,c’est parce qu’ils ont évité de se poser leproblème hautement humain d’accepter
l’intelligence et l’animalité, le contrôle et la libé-ration du désir, et qu’ils ont essayé de résoudrece conflit intérieur en divisant leur personnalité.Leur pêché est le refus de ce devoir humain derendre compatible les choses incompatibles.
Un être humain n’est humain que s’il acceptece devoir complexe. Certes, c’est une tâche quiest embarrassante, mais en l’évitant, on tombedans l’état maladif de “dissociation mentale”. C’estexactement ce qui se passe dans nos médias japo-nais. Ils sont dans l’état de “dissociation mentale”.Chaque conscience dissociée devient insensible,déformée, et commence à prendre une formeétrangère à la nature et à posséder des fonctionsinutiles.
En état de “fluctuation”, les médias ont undevoir de “détachement” et d’“attachement”.Le “détachement” signifie que face à un évé-
nement bouleversant, on garde sa distance, soncalme, d’un œil scientifique, en s’efforçant d’enparler de manière exhaustive et intelligente, dece qu’il l’a provoqué et de ce que l’on doit faireface à lui. Inversement, l’”attachement”, c’est unétat dans lequel, ébranlé par un événement, onperd le sens des distances, on pactise avec l’an-goisse, le chagrin, la joie et la colère d’autrui,on se perd, confusément et désespérément entant que personne concernée, tout en s’efforçant
Biographie
Né en 1950, UCHIDA Tatsuru enseigne au Kobe JoshiGakuin. Ce philosophe et essayiste est aujourd’hui une desvoix les plus écoutées de l’archipel. Il écrit régulièrementdans les grands quotidiens et magazines pour exprimerses doutes sur la façon dont le pays est dirigé. Il a publiéde très nombreux ouvrages dont certains traitent ducinéma et des médias.
réflexion
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26 supplément à ZOOM JAPON - numéro 18 - mars 2012
tout de même de parler d’espoir. Seuls ceux quisont capables d’effectuer en même temps ces deuxtâches, peuvent expliquer les origines de cemonde chaotique avec une grammaire (plus oumoins) claire, et proposer de manière (plus oumoins) éthique les façons humaines d’agir.
En acceptant cette tâche complexe de “déta-chement” et d’“attachement”, les médiasrempliraient leur fonction dans la société.
Mais ce qui se passe en réalité dans les médiasjaponais, c’est la division des tâches entre “déta-chement” et “attachement”. Certains médias sontdu côté du “détachement”, et d’autres du côtéde l’“attachement”. Sur un même support aussi,il arrive que certains articles ou émissions soientdu côté de “détachement”, et d’autres du côté del’“attachement”.
Côté “détachement”, les informations neconcernent que les faits directs. On ne disposed’aucune prise sur le contexte de l’événement enquestion, ni sur ce qu’il peut signifier, ni sur lesfaçons de l’interpréter. Les médias ne veulent pas
laisser la place aux “aspirations subjectives”. Côté“attachement” au contraire, les médias ne par-lent que des significations d’un événement donnépour une personne donnée. Ils se gardent d’ana-lyser, d’un point de vue “inhumain”, commentles émotions si fortes et pensées si étranges ontpu émerger chez cet individu. Car, ils détestentl’intervention de la “quiétude objective”.
Face à un “incident réel”, les informations“détachées” n’interviennent pas du tout, et celles“attachées” interviennent trop ; et des deux côtés,les informations se condamnent elles-mêmes àtrouver un chemin pour observer correctementl’événement, l’analyser et discuter des manièrespour s’y prendre. La maladie des médias japonaisest la dissociation mentale. Elle empêche lesmédias de mûrir, et endommage sa capacité deréagir correctement face aux événements impré-vus. Ce dont les médias ont besoin actuellement,si j’ose parler de manière abstraite, c’est de “chair”.Sans craindre la répétition, je dirais que pour queles médias reviennent à la vie, ils n’ont pas d’au-tres choix que de redevenir des “êtres vivants”.
14 mars 2011Vivres et matériels arrivent de tout le pays.Attention aux répliques.
2011年3月14日全国から物資供給。余震に注意。
30 supplément à ZOOM JAPON - numéro 18 - mars 2012
epuis le 11 mars, pas un seul jour sansentendre ce mot : catastrophe. Déjàune année… Après un hiver rude ettrès enneigé, le printemps approche.Mais quelle année! Nous ne parvenons
pas à prendre une distance suffisante pour mesu-rer précisément les conséquences de cette catas-trophe sur l’histoire du Japon. Certes la vie a repris,mais il faudra beaucoup de temps avant qu’onpuisse parler véritablement de reconstruction.Personne ne sait vraiment ce qui se passe au cœurdu réacteur de Fukushima Dai-ichi et les rejetsradioactifs se poursuivent. Non seulement rienn’est fini, mais on se demandechaque jour quelle surprise nousattend. Voilà la réalité.
En parcourant à plusieursreprises la région côtière de la pré-fecture de Chiba, au sud-est, àcelle de Miyagi, au nord-est, j’aiconstaté que toutes les diguesavaient été détruites. Des centaines de kilomè-tres de blocs de béton sans dessus dessous sontrejetés sur le sable comme d’innombrables bancsde poissons pulvérisés. Pour la première fois, j’aipu constater qu’il n’y avait plus aucune présencehumaine.
Au lendemain de la catastrophe, c’étaitcomme si j’avais découvert un Japon aux entraillesdéchiquetées. Si le plus terrible accident nucléaire
de notre histoire a révélé les contradictions duJapon d’après-guerre, ce sont les mots véhiculéspar les différents médias qui nous ont permis d’enfaire le constat. Dans ce malheur, je pense quela jonction des médias écrits et électroniques, apermis de dévoiler la puissance des mots que cachenotre société de “sur-informatisation médiatique”.
Sans revenir sur l’importance que l’informa-tion a joué lors d’un désastre, cette catas-trophe a provoqué des préjudices énormes
à tous les organes de presse. Les dégâts du tsu-nami en touchant une grande partie des villes
cotières ont inondé la plupart desbureaux des correspondants depresse locaux et on compte denombreuses victimes parmi lesjournalistes présents sur les lieuxdu désastre. Bien que privé derotatives, le quotidien IshinomakiHibi Shimbun a réussi quand
même à paraître sous la forme d’un journal manus-crit. Cela illustre bien le pouvoir des mots mal-gré une situation pour le moins difficile. A l’oc-casion d’une visite au musée de la presse deYokohama, je n’oublierai jamais de ma vie ce jour-nal manuscrit placardé sur les murs des centresd’évacuation. Sur le journal, on pouvait lire unephrase essentielle : “Pour des actions fondées surdes informations exactes !”
Ce qui véhicule le souvenir
MINATO Chihiro
D
Le lendemain, j’aidécouvert un Japon auxentrailles déchiquetées
Actuellement, rien n’est plus important pournous que des informations fiables. Face aux trem-blements de terre, nos 2000 idéogrammes sont bienpeu de choses. C’est probablement là la grande dif-férence avec les 26 caractères de l’alphabet latin.Que faire lorsque ces milliers de caractères en plomb,sous les secousses, s’éparpillent ça et là sur le sol ?Lors du grand séisme de 1923, toutes les imprime-ries de Tôkyô s’étaient arrêtées de fonctionner etc’est Osaka et la province qui avaient pris la relève.En 1978, lors du tremblement de terre qui avaittouché la préfecture de Miyagi, les typographesavaient dû ramasser les caractères un à un à la lumièredes bougies pour imprimer le quotidien de Sendaï,le kahoku Shimpô. Cet esprit inébranlable de téna-cité face au tremblement de terre n’a cessé de setransmettre, permettant aux journaux en s’aidantmutuellement de continuer à paraître.
Cela mérite de souligner quelques pointsimportants. Le premier, c’est qu’un carac-tère ne fait pas que transmettre le sens d’un
mot. Pour une personne confrontée à une situa-tion d’urgence, l’existence matérielle d’un carac-tère sur du papier représente avant tout un liende survie. Les journaux placardés sur les murs descentres d’évacuation, tout en étant un médiumde transmission d’informations, ont montré quec’était comme la prolongation d’un lieu de vie, unrefuge.
Le deuxième point important, c’est la solida-rité entre tous ceux dont la mission étaitd’informer. Sans électricité, le quotidien de
Sendai, kahoku Shimpô, est quand même parule matin du 12 sous la forme d’un numéro spé-cial grâce au soutien d’autres organes de pressedes régions voisines. On ne le remarque pas ordi-nairement, mais la presse écrite japonaise regorged’une énergie latente qui parvient à surmonterles aléas d’une telle catastrophe historique. Pourcontinuer dans ce sens, nous devons faire fonc-tionner ses neurones.
Sur le plan de la vitesse et des distances detransmissions de l’information, la télévi-sion est un média dont nous dépendons
en cas d’urgence, mais lorsque tout est détruit,qu’il n’y a plus ni eau, ni électricité j’ai pu remar-quer que les médias locaux étaient la seule solu-tion restante. Vu le nombre de victimes et l’éten-due des dégâts, le nombre de journalistes enmesure de recueillir des informations s’étaitréduit. Face à une telle situation, Twitter a per-mis de savoir ce qui se passait plus exactement.C’est pourquoi dans chaque rédaction un servicespécial a été mis en place.
Si d’un côté Internet a permis de récolterinstantanément des foules d’informations dansdes lieux éloignés et isolés, il est vrai que desinexactitudes et des fausses rumeurs n’ont pascessé de se propager. C’est pourquoi, danstoutes les rédactions, un service, toujours enactivité, était chargé de contrôler, vérifier etrecouper, sur un panneau d’affichage, la véra-cité et l’exactitude des informations reçues.Cette collecte d’informations qui collaient à laréalité de la région, nous a conduit, ces dernièresannées, à avoir une vision différente de l’infor-mation numérique.
Aujourd’hui, dans de nombreux pays, la placede la presse écrite face à l’information sur le Nets’est infléchie. Au Japon, certaines revues ont dis-paru et les quotidiens électroniques prennent de
Biographie
MINATO Chihiro est né en 1960. Il est un des photographesjaponais les plus doués de sa génération. Commissaire dupavillon japonais à la Biennale de Venise en 2007, ilenseigne à l’Université des arts de Tama, à Tôkyô. Outredes recueils de photographies, on lui doit plusieurs essaisportant notamment sur l’image et son utilisation.
réflexion
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l’ampleur. Dans quelques années, presse écrite etpresse électronique ne feront bientôt plus qu’une.Si on dit que ce nouveau média est majoritai-rement le vrai gagnant, je reste fermement per-suadé que lors de telles catastrophes où il est ques-tion de vie ou de mort, la vérité n’est pas aussisimple que ça.
Un troisième point, primordial, m’estapparu. Il concerne notre capacité à s’adap-ter aux changements de situation et être
en mesure de modifier nos méthodes de travail.Cela peut s’appliquer aussi à la presse. Il n’y a pasde contradictions entre faire un journal avec unmarqueur et du papier, livrer dans un sac plas-tique imperméable les notes prises lors d’un repor-tage, utiliser Twitter, et échanger des informa-tions sur un blog. L’important est d’avoirl’intelligence d’acquérir une information véri-fiée, en utilisant tous les moyens techniques etde les faire se conjuguer selon les circonstancesdu moment. Ce qui est nécessaire, non seule-ment en cas d’urgence mais dans notre quotidienordinaire, c’est un savaoir-faire fondamental com-binant la dimension locale et la dimension glo-bale, en mesure d’utiliser alternativement lesmédias d’une façon créatrice.
Mais pour moi, l’importance que j’accordeà l’écrit est différente. C’est en voyant cejournal écrit à la main que j’ai compris ce
sentiment d’urgence ressenti par les Japonais auquelje me demande s’il ne s’y mêle pas aussi une pointede nostalgie. Car n’importe quel Japonais ne sesouvient-il pas, en primaire, d’avoir participé aujournal de l’école. Que ce soit de rédiger un arti-cle, de proposer un dessin, de faire la mise en page,et d’afficher le journal dans les couloirs de l’école.Quel bonheur ! C’était notre premier travail degroupe : notre première parole sociale. Depuis lacatastrophe, j’ai toujours avec moi un cahier danslequel je ne cesse de couper, coller, rassembler arti-cles et photos de la presse japonaise et étrangère.Dans la marge, j‘y écris ce qui me passe par la têteet cela me semble la seule façon de réfléchir à lasituation qui m’entoure. C’est que l’écriture joueavec diverses temporalités. Entre l’immédiatetéet la simultanéité, l’écriture a besoin de ce courstemporel qui va vers le futur tout en remontantle passé. De là vient la matérialité de l’écriture.Seul reste un écrit qui donne aux gens le senti-ment profond de devoir le garder coûte que coûte.De ce sentiment profond envers les autres naîtune parole sociale qui fait émerger un espace “tisséde liens” pour la vie.
15 mars 2011Mise en place d’un centre pour les volontaires.Une émission de radio pour donner des nouvellesà vos proches. Besoin de bénévoles dans ledomaine des soins aux personnes.
2011年3月15日ボランティアセンター設置。ラジオ石巻が安否情報を放送。介護ボランティア求む。
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es journalistes dotés d’une conscienceont sans doute été pris de remords, ense demandant s’ils n’avaient pas com-mis une grosse erreur dans leur cou-verture de l’accident de la centrale de
Fukushima Dai-ichi qui a suivi le séisme du 11mars 2011. J’en ai en effet entendu certains d’en-tre eux dire qu’ils avaient trop fait confiance auxdéclarations “d’en-haut” ou qu’ils étaient tropdépendants des déclarations “d’en-haut”. Cesdéclarations “d’en-haut” rappel-lent la situation qui prévalait pen-dant la Seconde Guerre mondialequand le Conseil supérieur deguerre sous le contrôle direct del’empereur faisait la pluie et lebeau temps. Ainsi le fameuxconseil continuait à annoncer des“victoires” même quand l’armée subissait des reversen Chine ou dans le Pacifique. Il prétendait queles dégâts étaient “mineurs” malgré les raids dévas-tateurs. Au lieu de parler de retraite, il employaitle terme de “changement de stratégie”. Il n’a pasutilisé le mot “défaite”, mais celui de “la fin descombats” malgré la réalité de la défaite. En relayantces propos, les journaux et la radio ont contribuéà tromper les Japonais. En août 1945, la défaites’est traduite par la disparition du conseil supé-rieur de la guerre. Mais le journalisme japonais,en se concentrant sur les déclarations des milieux
économiques, de l’administration et du gou-vernement, a continué sur la voie du “journalismede déclaration”. Après la guerre, le gouvernementa continué à mentir et les journaux à publier lesdéclarations “d’en-haut”. La base de la collusionavec le pouvoir est incarnée par les influents “clubsde la presse”.
Après l’accident à la centrale de Fukushima,les déclarations du gouvernement ont rappelé
celles mensongères du Conseilsupérieur de la guerre. En dépitde la gravité de l’accident et sonimpact sur la santé et la vie desJaponais, les autorités ont affirméque “la sécurité était assurée” etqu’il n’y avait “aucune incidencedirecte sur le santé”. En se retran-
chant derrière la volonté d’éviter un mouvementde panique, les journaux ont relayé ces mensonges.Deux heures après le séisme qui a eu lieu le11 mars à 14h46, le gouvernement a publié une“déclaration sur la situation d’urgence nucléaire”accompagnée, on ne sait pas pourquoi, d’une note.“En l’état actuel, aucune fuite radioactive n’a étéconfirmée. En conséquence, les résidants des zonesconcernées n’ont pas besoin de prendre de mesuresparticulières. L’évacuation n’est pas indispensableet ils peuvent rester chez eux, en se tenant informésvia la radio, la télévision et les bulletins émis par
Nucléaire et informationune bien triste relation
KAMATA Satoshi
LUn comportement
qui a rappelé les piresannées de la guerre
les autorités chargées des secours”, pouvait-on y lire.“Encore une fois, aucune fuite radioactive à l’ex-térieur des installations nucléaires n’a été signalée.Veuillez garder votre sang froid”, avait-on ajouté.L’ordre d’évacuer les habitants dans un rayon de3 km autour de la centrale n’est intervenu que 7heures après le séisme. Présenté comme unemesure de précaution, il ne concernait pas lesautres habitants vivant entre 3 et 10 km autourde la centrale. Ceux-là devaient rester chez eux.
Dans son édition du lendemain matin,l’asahi Shimbun a publié l’article suivantsous le titre “Pas de dommages sur les réac-
teurs nucléaires”. “Les centrales nucléaires ont étéconçues afin de garantir la sécurité, en confinantles éléments radioactifs et en refroidissant le réac-teur nucléaire, même en cas d’accident extraordi-naire. Lors du séisme du 11 mars, aucun dommagen’a été découvert dans les réacteurs et aucune fuiteradioactive n’a été confirmée. a ce stade, on peutconsidérer que la centrale a été arrêtée à la suite dessecousses”. Pourtant, à ce moment-là, sur les sixréacteurs de la centrale de Fukushima Dai-ichi,le premier et le second étaient dans une situationcritique liée à “une coupure d’alimentation”. Ilsn’étaient plus alimentés en électricité de l’exté-rieur, le circuit de refroidissement d’urgence étaitarrêté et la fusion des réacteurs menaçait. Auxalentours de 15h, ce jour-là, en raison de l’aug-mentation de la pression dans l’enceinte de confi-nement, on a relâché en urgence de la vapeur. Unegrande quantité de radiation s’est répandue, aug-mentant ainsi la pollution. Voilà pourquoi il
convient de critiquer le journaliste insouciant quia écrit cet article selon les déclarations du gou-vernement.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, lesdéclarations du Conseil supérieur de la guerreont été mises en place parce qu’il n’y avait pas dejournalistes sur les champs de bataille. On ne pou-vait donc écrire qu’à partir des informations don-nées par les militaires. Quand bien même il y avaitdes correspondants de presse militaire dans cer-taines zones de combat, la censure interdisait l’em-ploi du mot “défaite”. Comme certains des jour-nalistes espéraient la victoire, ils fermaient les yeuxsur les revers militaires.
Actuellement, aucun journaliste ne peut serendre sur les lieux de l’accident de Fukus-hima, il est donc impossible de savoir ce
qu’il s’y passe réellement. Aucun article critiquantle nucléaire n’est publié, car les journaux reçoi-vent des budgets publicitaires considérables dela part des compagnies d’électricité et du gouver-nement. Aucun journaliste qui pourrait avoir uneopinion critique du nucléaire n’a été formé, cequi explique leur méconnaissance du sujet.
Au Japon, le réseau de production d’élec-tricité, divisé en 9 régions, représente un impor-tant marché détenu par neuf entreprises en posi-tion de monopole régional : hokkaidô, Tôhoku,Kantô, Kansai, hokuriku, Chûbu, Chûgoku, Shi-koku et Kyushû. Malgré cet état de non-concur-rence, l’entreprise Tepco (celle qui couvre leKantô) dépense 21 milliards de yens pour sonbudget publicitaire. Ces sommes ne servent pasà mettre en valeur ses produits, mais sont, en fait,utilisées pour renforcer le système nucléaire enplace et soudoyer les médias, les scientifiques, lesanimateurs, les écrivains et les experts.Le Tôkyô Shimbun a révélé qu’un critique spor-tif connu, s’était vu proposer 5 millions de yenspour participer à un débat dans la presse écrite etqu’il aurait refusé d’y participer. Ce quotidien quicouvre toute la mégalopole de Tôkyô est un des
Biographie
Né en 1938, KAMATA Satoshi s’est fait connaître pour sesreportages engagés. Ce journaliste a publié de nombreuxouvrages parmi lesquels Toyota, l'usine du désespoir [éd.Demopolis, 2008], Japon : l'envers du miracle [éd. LaDécouverte, 1982] traduits en français. Depuis mars 2011,il milite pour une sortie du nucléaire avec ÔE Kenzaburô.
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rares à promouvoir “la sortie du nucléaire”. Le jour-nal asahi ainsi que d’autres médias peu critiquesà l’égard des entreprises d’électricité ont enre-gistré une chute de leur lecteurs, de plus en plusnombreux à s’opposer au nucléaire. Ces derniersont fini par s’en désabonner etse tourner vers le Tôkyô Shim-bun.
Les compagnies d’électri-cité qui engrangent desbénéfices colossaux n’hé-
sitent pas à faire des cadeaux substantiels aux col-lectivités locales concernées par le nucléaire enplus des budgets de publicité. Ainsi, les contri-butions annuelles de Tepco aux collectivités localesse montaient à plusieurs milliards de yens. Pouraménager les quatre réacteurs de la centrale deFukushima Dai-ni, la société Tepco a offert 16milliards de yens pour édifier un stade de foot-ball. Pour construire une usine de retraitementde déchets, 1,6 milliard de yens ont été versés endotation à la ville de Mutsu de la préfecture deAomori. Disposant du monopole du marchérégional, ils ont fixé un prix élevé de l’électricitéen s’accordant une marge bénéficiaire excessiveacceptée par le gouvernement.
De plus, pour promouvoir l’implantation decentrales nucléaires, le gouvernement a dépensé,
sur une période de 7 ans, un montant de 50 mil-liards de yens en subventions afin que les régionsacceptent ces centrales. La politique nucléaire duJapon consiste à ce que l’Etat donne de l’argentpour la construction de centrales et que la ges-
tion soit confiée au secteur privé.“Une politique nationale, mais unegestion privée”. Mais les médias nese soucient pas de ces irrégularités.Que ce soit à la télévision ou dansles journaux aucune critique dunucléaire n’est possible. Les seuls
lieux critiques se limitent à des revues à faibletirage ou des livres.
Depuis 30 ans déjà, je ne cesse de dénoncerdans mes articles “le nucléaire comme pivot de ladémocratie” qui consiste à corrompre les collecti-vités locales, en les forçant à vendre les terrainsviables, à abandonner leur droit de pêche, maisaussi en leur accordant des sommes folles et dessubventions gouvernementales exorbitantes. Maisce n’est qu’après l’accident de Fukushima queles journaux ont fait connaître cette vérité. Fukus-hima a permis de briser la chape de plomb quipesait sur les médias. Pour la première fois, on apu découvrir la monstruosité du nucléaire avechélas, l’immense pollution radioactive qui s’en estsuivie.
16 mars 2011Les messages de soutien affluent de tout le pays. A Onagawa, on est sans nouvelles de 5 000 personnes.
2011年3月16日全国から激励のメッセージ。女川町は5千人安否不明。
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n an après le terrible séisme qui afrappé le nord-est de l’archipel, le11 mars 2011, on compte encore desmilliers de disparus et des centainesde milliers de personnes ont dû quit-
ter leur foyer. A l’occasion de cette tragédie sansprécédent, les organes d’information japonais,en premier lieu la télévision et la presse écrite,ont vu le sens de leur existence remis en cause. Jedois reconnaître que la faiblesse historique desmédias japonais a été révélée lorsde ce tremblement de terre.
Le Japon est une “grandepuissance médiatique” au niveauinternational compte tenu dunombre élevé d’abonnementsaux journaux ou encore desquelque 4 heures de consomma-tion télévisuelle enregistrée chaque jour par lesJaponais. Par ailleurs, la liberté d’expression estgarantie par la Constitution et il n’existe quasi-ment pas de contraintes légales à l’exercice del’information pour les médias comme pour lesindividus. Toutefois, le pluralisme ou la diver-sité des opinions ne sont guère assurés dans l’ar-chipel.
Actuellement, il existe plusieurs quotidiensnationaux et un ou deux journaux dans chaquerégion. Le monopole dont jouissent les quoti-diens locaux au niveau de leur région est lié à une
politique de “contrôle de la presse” entrée envigueur pendant la Seconde Guerre mondiale.La loi selon laquelle il fallait “un journal par pré-fecture” a favorisé la fusion de titres et le gouver-nement a uniformisé l’information militaire via“les déclarations du Conseil supérieur militaire”après le déclenchement de la Guerre du Paci-fique. Ce système a permis aux journaux locauxde stabiliser leur gestion et de disposer d’unmonopole sur le marché. Après la guerre, en dépit
du retour à la liberté de fonderdes journaux, les entreprises depresse ont tout fait pour conser-ver le système en place. Dès lors,à l’exception de très rares exem-ples, les journaux qui ont étécréés après 1945 ont dû, les unsaprès les autres, mettre la clé sous
la porte. Je crois que c’est lié à la pression des jour-naux déjà en place.
L’agence de presse nationale qui avait étécréée avant la guerre a disparu en 1945 pour don-ner naissance à deux nouvelles entités : l’agenceKyôdô et l’agence Jiji. Aujourd’hui encore, lesjournaux locaux, compte tenu des coûts liés aureportage, utilisent les nouvelles sportives, étran-gères ou encore politiques produites par ces deuxagences. Certains journaux dépendent même deces agences pour leur éditorial. L’agence Kyôdôdiffuse ainsi chaque jour des articles éditoriali-
Les faiblesses des médias japonais
IWASAKI Sadaaki
UUne presse locale trop dépendante
des agences de Tôkyô
sés sur différents sujets. Dès lors, il arrive que desjournaux de régions différentes diffusent le mêmejour des éditoriaux dont le contenu est sembla-ble. Ainsi il est rare que les quotidiens régionauxpublient des articles qui diffèrent du point devue défendu par Tôkyô à l’instar des deux quo-tidiens d’Okinawa avec leur suivi de la questionsdes bases militaires américaines.
Dans l’audiovisuel, on assiste à la coexistenceentre le service public assuré par la NhKet les groupes privés. Dans les régions où
il existe plusieurs chaînes locales, la plupart d’en-tre elles appartiennent à des réseaux et ont desliens avec Tôkyô. Les chaînes de télévision sontréparties en cinq grands réseaux dans tout le payset chacun d’entre eux dispose de liens capitalis-tiques ou de partenariat avec la presse écrite. Auniveau local, il n’est pas rare que les chaînes régio-nales aient des liens capitalistiques avec les jour-naux locaux. Ces rapports de dépendance entreaudiovisuel et presse écrite sont très différentsde la situation qui prévaut dans les pays occiden-taux. Bien que la législation japonaise dans ledomaine de l’audiovisuel interdise la concentra-tion pour garantir le pluralisme et la diversité auniveau local, cela n’est en définitive qu’une sim-ple façade.
Les journaux et les chaînes de télévision sonttrès dépendants des “clubs de la presse” dans leurcollecte quotidienne de l’information. Ces der-niers constituent la base autonome pour la dif-fusion de l’information au sein des entreprises,
des tribunaux, de la police ou de l’administra-tion. Ils jouent un rôle très pratique dans la four-niture quotidienne de l’information. Les jour-nalistes freelance qui n’appartiennent pas à cesclubs de presse sont souvent exclus des activi-tés qu’ils organisent (interviews, voyages depresse, etc.). Depuis l’arrivée au pouvoir du Partidémocrate en août 2009, les journalistes free-lance sont autorisés à participer et à poser desquestions lors des conférences de presse minis-térielles, mais ils restent encore à l’écart lorsqu’ils’agit des affaires de police ou de justice.
Compte tenu de cette situation, on peuts’interroger sur le rôle qu’ont eu les médiaslors du séisme du 11 mars. Les journaux
comme les chaînes de télévision ont mis en placeune couverture particulière des événements dansles heures qui ont suivi la catastrophe, s’attachantnotamment à parler de la vie quotidienne ou dusort des personnes disparues. Ayant souffertdirectement du séisme avec la disparition de sesmoyens d’impression, l’Ishinomaki Hibi Shim-bun, quotidien de petite taille, a fait face enpubliant des journaux muraux réalisés à la main.Dans l’ensemble, on peut saluer le travail de cou-verture des conséquences du séisme sur la viequotidienne des sinistrés. Le principal problèmeest lié à la couverture de l’accident de la centralede Fukushima Dai-ichi qui a suivi le tremble-ment de terre. Le gouvernement et Tepco, lasociété chargée de la gestion de la centrale, n’ontpas beaucoup divulgué d’informations impor-tantes sur l’accident. Quand il est apparu quele système de refroidissement des réacteurs n’étaitplus alimenté électriquement et que les risquesdu fusion des réacteurs étaient réels, l’Agence desûreté nucléaire a évalué l’accident au niveau 4sur l’échelle d’INES, ce qui signifie qu’il s’agitd’un accident n’entraînant pas de risque impor-tant à l’extérieur du site. Il a fallu attendre le 12avril pour qu’il soit évalué au niveau comme celuide la centrale de Tchernobyl. Par ailleurs, en ne
Biographie
IWASAKI Sadaaki est originaire de Tôkyô. Né en 1963, ce journaliste a débuté sa carrière chez TV Asahi, un desgrands réseaux télévisés privés du pays. Depuis 2001, il dirige le magazine Hôsô Report publié par le Centre de recherche sur les médias dont il est égalementl’administrateur.
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publiant pas immédiatement les données du Sys-tème de mesure d’urgence des radiations quidépend du ministère de l’Education et desSciences, cela a contribué à mettre en danger lapopulation des alentours. Sur ce sujet, les médiasont été beaucoup critiqués à l’exception dequelques rares cas qui n’ont pas suivi le gouver-nement.
Après l’accident, le gouvernement et Tepco,lors de leurs conférences de presse, n’ontcessé de répéter que les éléments radioac-
tifs rejetés dans l’atmosphère “n’affectaient pasdirectement la santé”, des déclarations que lesmédias ont repris sans sourciller. Si on s’intéresseaux reportages que les médias ont réalisé eux-mêmes dans les régions touchées par les radia-tions, ils se sont limités dans leurs investigationsnotamment dans la zone des 30 km autour de lacentrale alors qu’il y avait encore de nombreusespersonnes qui y vivaient. S’ils jugeaient la situa-tion dangereuse, leur devoir aurait été d’inciterles populations à évacuer rapidement et s’ils pen-saient que cela n’avait aucune incidence sur lasanté comme ils le rapportaient sans cesse, ils
auraient dû aller enquêter sur place. On peutdonc comprendre que cette “attitude ambiguë”ait contribué à favoriser la méfiance de la popu-lation à l’égard des médias.
Néanmoins, on peut citer l’exemple de laNhK avec son émission “Carte des radiationsélaborée en réseau” qui est allée enquêter dans deszones d’accès restreint avec l’aide de spécialistes.De son côté, le Tôkyô Shimbun a publié plus de400 articles portant sur la situation des centralesnucléaires dans l’archipel. La chaîne de télévi-sion sur Internet OurPlanetTV a aussi donné laparole aux photo-journalistes qui s’étaient ren-dus rapidement dans les zones autour de Fukus-hima Dai-ichi puis aux ouvriers qui travaillaientsur place après l’accident.
Même si c’est difficile d’en dire plus, il existecertainement des journalistes et des producteursd’émissions qui manifestent leur envie de résis-ter aux “pressions”. Avec eux, les médias locauxorganisés en réseau et les ONG qui utilisentInternet pour diffuser l’information peuventcontribuer à assurer l’avenir des médias dans l’ar-chipel.
17 mars 2011Le retour de l’électricité. 10 000 foyers retrouventl’accès au réseau électrique. L’espoir a fait son apparition !
2011年3�月17日電気復旧1万戸越す。希望が見えてきた。
Le 11 mars 2011 à 14 h 46, la terre a vio-lemment tremblé sur la côte nord-est del’archipel. Quelques minutes plus tard, untsunami a déferlé, semant le chaos. Privéde leur matériel d’impression, les journa-listes du quotidien Ishinomaki Hibi Shim-bun n’ont pas baissé les bras et ont voulupoursuivre leur travail. Ils ont eu l’idée decréer des journaux muraux pour maintenirle lien avec la population. Nous avons voululeur rendre hommage.