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Monsieur Vincent Tournier École publique, école privée : le clivage oublié. Le rôle des facteurs politiques et religieux dans le choix de l'école et les effets du contexte scolaire sur la socialisation politique des lycéens français In: Revue française de science politique, 47e année, n°5, 1997. pp. 560-588. Résumé Le rôle des facteurs politiques et religieux dans le choix de l'école et les effets du contexte scolaire sur la socialisation politique des lycéens français. A partir d'une enquête par questionnaires réalisée dans la région grenobloise auprès de 1400 lycéens (public et privé) et de leurs parents, cette étude propose de montrer que non seulement les facteurs politiques et religieux continuent de jouer un rôle très impor-tant dans l'orientation scolaire des lycéens, mais aussi que le type d'école choisie par les parents est vraisemblablement en mesure d'influencer les préférences politiques des lycéens. On interprétera cette influence à la lumière d'une problématique qui, prenant appui sur les récents développements de la sociologie de l'éducation, met en avant le rôle du contexte scolaire et du groupe des pairs dans le processus de la socialisation politique. Abstract Public school. prix ate school : the forgotten cleavage. The Role of Political and Religious Factors in Educational Choice and the Effect of Educational Context on the Political Socialization of French High School Students Based on a questionnaire survey of 1,400 public and private high school students and their parents in the Grenoble area, this study seeks to show that political and religious factors continue to play a very important role in the students' choice of educational orien-tation, and also that the type of school chosen by parents is likely to influence the students political preferences. School influence should be interpreted in the light of a problematic that emphasizes the role of the educational context and peer groups in political socialization, based on recent developments in educational sociology. Citer ce document / Cite this document : Tournier Vincent. École publique, école privée : le clivage oublié. Le rôle des facteurs politiques et religieux dans le choix de l'école et les effets du contexte scolaire sur la socialisation politique des lycéens français. In: Revue française de science politique, 47e année, n°5, 1997. pp. 560-588. doi : 10.3406/rfsp.1997.395203 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1997_num_47_5_395203
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Vincent Tournier, « École publique, école privée - le clivage oublié.

Feb 26, 2023

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Monsieur Vincent Tournier

École publique, école privée : le clivage oublié. Le rôle desfacteurs politiques et religieux dans le choix de l'école et leseffets du contexte scolaire sur la socialisation politique deslycéens françaisIn: Revue française de science politique, 47e année, n°5, 1997. pp. 560-588.

RésuméLe rôle des facteurs politiques et religieux dans le choix de l'école et les effets du contexte scolaire sur la socialisation politiquedes lycéens français.A partir d'une enquête par questionnaires réalisée dans la région grenobloise auprès de 1400 lycéens (public et privé) et de leursparents, cette étude propose de montrer que non seulement les facteurs politiques et religieux continuent de jouer un rôle trèsimpor-tant dans l'orientation scolaire des lycéens, mais aussi que le type d'école choisie par les parents est vraisemblablementen mesure d'influencer les préférences politiques des lycéens. On interprétera cette influence à la lumière d'une problématiquequi, prenant appui sur les récents développements de la sociologie de l'éducation, met en avant le rôle du contexte scolaire et dugroupe des pairs dans le processus de la socialisation politique.

AbstractPublic school. prix ate school : the forgotten cleavage. The Role of Political and Religious Factors in Educational Choice and theEffect of Educational Context on the Political Socialization of French High School StudentsBased on a questionnaire survey of 1,400 public and private high school students and their parents in the Grenoble area, thisstudy seeks to show that political and religious factors continue to play a very important role in the students' choice of educationalorien-tation, and also that the type of school chosen by parents is likely to influence the students political preferences. Schoolinfluence should be interpreted in the light of a problematic that emphasizes the role of the educational context and peer groupsin political socialization, based on recent developments in educational sociology.

Citer ce document / Cite this document :

Tournier Vincent. École publique, école privée : le clivage oublié. Le rôle des facteurs politiques et religieux dans le choix del'école et les effets du contexte scolaire sur la socialisation politique des lycéens français. In: Revue française de sciencepolitique, 47e année, n°5, 1997. pp. 560-588.

doi : 10.3406/rfsp.1997.395203

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1997_num_47_5_395203

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ÉCOLE PUBLIQUE, ECOLE PRIVÉE LE CLIVAGE OUBLIÉ

Le rôle des facteurs politiques et religieux dans le choix de V école et les effets du contexte scolaire

sur la socialisation politique des lycéens français

VINCENT TOURNIER

'est une idée assez répandue que l'enseignement primaire laïque a contribué à répandre l'incroyance et même un certain anticlérica- sme lié aux convictions politiques... Par contre, l'enseignement

congréganiste aurait assuré là où il existait, une orientation politique conservatrice»1. Cette phrase de Paul Bois permet de comprendre pourquoi la «querelle scolaire» a pris en France une intensité qui n'a guère connu d'équivalent dans les autres pays, au point qu'André Siegfried a pu parler d'une «guerre politique qui mériterait bien, à sa façon, le nom de guerre de Cent Ans»2. Si l'école est devenue le «sujet de dissentiment par excellence»3, y compris dans la période récente puisque son dernier épisode du conflit remonte à peine à la manifestation laïque de janvier 1994 4. c'est d'abord parce qu'elle a été considérée comme une arme politique au service de deux idéologies concurrentes, axées l'une sur la religion et les valeurs traditionnelles, l'autre sur la laïcité et les valeurs républicaines. Dans un cas comme dans l'autre, l'école a été perçue comme un agent de conquête et de contrôle des consciences: celui qui tenait l'école était censé tenir la société, tel était le postulat qui a justifié la cristallisation des antagonismes 5.

Mais ce postulat est-il fondé? Au fond, que peut-on penser de l'idée selon laquelle l'école est susceptible de produire des effets politiques sur les individus? Doit-on la prendre au sérieux, ou n'est-elle qu'une idée reçue,

1. P. Bois. Paysans de l'Ouest: des structures économiques et sociales aux options politiques depuis l'époque révolutionnaire dans la Sarthe, Le Mans, Imprimerie Maurice Vilaire, 1960, p. 108.

2. A. Siegfried, Tableau politique de la France de l'Ouest sous la IIIe République. Paris, Armand Colin et Fondation nationale des sciences politiques, 2e éd., 1964. (lre éd. 1913), p. 510.

3. R. Rémond, «Consensus et querelle sur l'école», Pouvoirs, 78, 1978, p. 113. 4. Le 16 janvier 1994, les défenseurs de l'école publique ont organisé une impo

sante manifestation contre le projet du gouvernement d'Edouard Balladur qui visait à abroger l'article 69 d'une loi de 1850 (dite «loi Falloux») limitant les possibilités de financement des écoles privées par les collectivités locales. Dix ans auparavant, les partisans de l'école privée se sont massivement opposés à un projet de loi préparé par le ministre socialiste de l'Éducation nationale Alain Savary et brutalement durci par des amendements parlementaires (J. Georgel, A. -M. Thorel, L'enseignement privé en France du VIIIe au XXe siècle. Paris, Dalloz, 1995, p. 40 et suiv.).

5. A. Prost. ^Les écoles libres changent de fonction», dans L.-H. Parias. Histoire générale de l'enseignement et de l'éducation en France, tome 4, L'école et la famille dans une société en mutation. Paris. Nouvelle Librairie de France, 1981, p. 414.

560 Revue française de science politique, vol. 47, n° 5, octobre 1997, p. 560-588. © 1997 Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.

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École publique, école privée

une construction politique, fruit d'un affrontement entre deux camps soucieux de défendre des principes et des intérêts contradictoires ? Bref, est-il vrai que l'enseignement catholique assure le maintien ou l'implantation des idées conservatrices, et l'enseignement public celui des idées progressistes?

Au début du siècle, dans son travail sur l'Ouest de la France, André Siegfried avait le premier mis en évidence une forte correspondance cartographique entre la pratique religieuse, le vote à droite et la fréquentation de l'école privée. Il n'hésitait pas à voir dans cette correspondance une relation de cause à effet: l'école privée lui apparaissait sans le moindre doute comme le moyen par lequel le clergé devient le «maître des âmes»1. Dressant de son côté un constat similaire dans le département de la Sarthe. Paul Bois s'est toutefois refusé à tirer de cette corrélation une conclusion en termes de causalité. «En réalité, a-t-il estimé, la présence des écoles religieuses est sans doute une cause, mais c'est encore plus sûrement un effet: elles sont installées dans les régions où elles sont sûres de trouver une clientèle»2. A l'appui de son propos, il avançait un argument de bon sens : par rapport à la population totale, « les élèves des écoles congréganis- tes sont partout en nombre négligeable»3.

Hormis les études d'A. Siegfried et de P. Bois, rares sont cependant les recherches qui se sont intéressées à la question des effets politiques de la scolarisation, sinon pour constater «l'étonnante pérennité» des cartes d'A. Siegfried dans la France de l'Ouest4. Ce manque d'intérêt pour l'un des débats les plus aigus dans la vie politique française ne manque pas de surprendre. Plusieurs raisons peuvent l'expliquer5. On songe évidemment à l'évolution de la société française, ou plus exactement à l'avènement d'un certain consensus sur la forme républicaine de l'État. Le ralliement progressif de l'église catholique à la République a rendu nettement moins menaçant un système scolaire concurrentiel, non contrôlé par l'État, qui pouvait jusque-là être considéré comme le bras armé d'une éventuelle mise en cause du régime. Avec la loi Debré de décembre 1959, l'État républicain a manifesté son désir de tourner la page et, sous certaines conditions, l'enseignement privé peut désormais bénéficier de l'aide de la République sans que celle-ci se sente menacée.

1. A. Siegfried, Tableau politique de la France de l'Ouest..., op. cit., p. 398-400. A l'occasion de son travail sur l'Ardèche, A. Siegfried a de nouveau abordé, mais de façon plus lapidaire, le rôle de l'école {Géographie électorale de l'Ardèche sous la IIIe République, Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, 1949, p. 58).

2. P. Bois, Paysans de l'Ouest..., op. cit., p. 109. 3. Ibid., p. 110. 4. J. Renard, «Vote, pratique religieuse et école dans l'Ouest de la France»,

Espace, populations et sociétés. 3. 1987, p. 468. L'ouvrage de Jean-Jacques Monnier sur le comportement politique des Bretons souligne également la corrélation entre le vote à droite et l'implantation des écoles confessionnelles (J.-J. Monnier. Le comportement politique des Bretons, 1945-1994, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1994, p. 308-309).

5. On pourrait également évoquer les difficultés d'accès à l'enseignement privé. Ces difficultés ont certainement été très réelles. Récemment encore, Jacques Georgel et Anne-Marie Thorel ont été confrontés au refus du secrétariat général de l'enseignement catholique de leur fournir certaines informations (J. Georgel, A. -M. Thorel. L'enseignement privé en France..., op. cit., p. 95). Toutefois, dans la mesure où nous avons pu bénéficier d'une très bonne coopération avec les responsables de l'enseignement catholique de l'Isère, nous ne retenons pas cette explication.

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Vincent Tournier

Une autre raison, à notre sens plus décisive, tient à l'évolution des débats sur l'école depuis la seconde guerre mondiale. Avec l'explosion des effectifs scolaires, la querelle scolaire a été mise en retrait au profit de la question de la «démocratisation» de l'école. Sous l'influence des problématiques néomarxistes, l'école a été analysée comme une instance de reproduction des structures sociales, faisant le jeu du système capitaliste et de la domination socio-économique '. Or cette évolution a été lourde de conséquences pour l'enseignement privé. A son tour, celui-ci s'est vu décrypté à travers la grille de la reproduction sociale, dont la pertinence est apparue bien plus satisfaisante que celle des clivages idéologiques. Une hypothèse forte a été rapidement avancée: celle du «changement de nature» du problème scolaire2. La loi Debré de 1959, qui reconnaît au secteur privé une mission d'intérêt général, constitue le moment décisif de ce tournant. A travers cette loi, l'État est soupçonné de vouloir créer un «service privé d'enseignement» dont la «fonction objective» serait de servir la «classe capitaliste» et les «exigences du bon fonctionnement de l'appareil de production » 3.

Pour daté que soit ce propos, il nous semble très révélateur des inflexions qui ont marqué la problématique générale de l'enseignement privé. Les grandes lignes des analyses à venir sont déjà toutes tracées. Elles tourneront désormais autour d'une idée force: l'école privée a changé de nature et de fonctions car les motifs religieux et idéologiques sont devenus très secondaires face aux considérations sociales ou scolaires. «Neutralisée» au plan politique, l'école privée n'apparaît plus que comme un service d'enseignement concurrent ou complémentaire de l'enseignement public. Elle n'est pas choisie pour des motifs religieux, encore moins pour des motifs politiques, mais en fonction de stratégies éducatives visant à contourner la carte scolaire, que ce soit pour assurer une formation haut de gamme dans des établissements d'excellence, ou au contraire pour donner une seconde chance à des élèves en grandes difficultés. Dans cette optique, les parents d'élèves ne sont plus considérés comme des sujets politiques, animés par des convictions et des croyances ; ils sont simplement des « consommateurs d'école» qui élaborent leurs stratégies en choisissant entre le «menu imposé» du public et le «menu à la carte» du privé4.

1. P. Bourdieu, J.-C. Passeron, Les héritiers: les étudiants et la culture, Paris, Minuit, 1964; P. Bourdieu, J.-C. Passeron, La reproduction: éléments pour une théorie du système d'enseignement, Paris, Minuit, 1970: L. Althusser, «Idéologie et appareils idéologiques d'État. Notes pour une recherche», La Pensée, 151, 1970, p. 3-38.

2. L. Tanguy, «L'État et l'école. L'école privée en France», Revue française de sociologie, 13 (3), 1972, p. 370.

3. L. Tanguy, «L'État et l'école», art. cité, p. 370 4. R. Ballion, «L'enseignement privé, une "école sur mesure"?», Revue française

de sociologie, 21 (2), 1980, p. 211 et 229. Dans un entretien accordé en 1982 à la revue Autrement, Robert Ballion a précisé plus franchement sa conception de la querelle scolaire. Pour lui, cette querelle est purement «artificielle»; elle est même «parfaitement dérisoire, absurde et surtout néfaste. Les Français ont suffisamment de raisons objectives d'affrontements pour ne pas s'en créer de nouvelles». A l'heure actuelle, le principal problème de l'école porte sur la création de «ghetto» : «II y a des écoles du peuple et du sous- prolétariat où ne mettra jamais les pieds un fils de bourgeois. Il y a de l'autre côté des établissements bourgeois qui ne sont pas autre chose que des appareils idéologiques de classes» (dans M. Coutty, «On le met dans le privé?», Autrement, 42, 1982, p. 225 et 229).

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Ecole publique, école privée

Cette évolution des débats a eu une conséquence importante. En faisant de l'école un objet essentiellement sociologique, elle a conduit la sociologie politique à s'éloigner de l'école, et à privilégier un autre «agent» de la socialisation politique, longtemps considéré comme plus fondamental : la famille. Cette tendance est, par exemple, assez nette dans l'œuvre pourtant très riche d'Annick Percheron. Certes, l'auteur de L'univers politique des enfants a insisté à plusieurs reprises sur l'importance de la scolarisation1. Mais on doit remarquer qu'Annick Percheron ne s'est pas elle-même intéressée à l'école. Les seuls articles qu'elle lui a consacrés restent très marginaux dans sa démarche théorique et empirique2, et c'est à peine si la distinction public/privé est évoquée dans l'un de ses ouvrages3.

En revanche, Annick Percheron a consacré plusieurs études à la famille et à la transmission des opinions entre parents et enfants. A partir de deux enquêtes réalisée l'une en 1975, l'autre en 1989, elle a notamment pu constater qu'environ un enfant sur deux (43 % en 1975, 49% en 1989) se positionne de la même façon sur l'axe gauche-droite que le parent qui a été interrogé. Aussi important soit-il, ce résultat invite donc à nuancer l'idée que la socialisation politique est un simple héritage entre parents et enfants. Car si «un enfant sur deux seulement hérite des préférences de ses parents», cela veut nécessairement dire que les «autres lieux de la socialisation politique» conservent une marge de manœuvre importante4. Les limites de la reproduction familiale ouvrent la porte à d'autres analyses sur les processus de socialisation politique.

OBJECTIFS ET DONNEES

L'objectif de cette étude est donc de revenir sur la question des clivages entre l'école publique et l'école privée. Plus exactement, nous allons essayer de poser deux séries de problèmes. Le premier concerne la «neutralisation» politique et religieuse de l'orientation scolaire. Cette neutralisation est-elle aussi évidente qu'on le dit? Est-il vrai que les parcours scolaires dépendent davantage de facteurs sociaux ou scolaires que de facteurs culturels ou idéologiques? Disons-le d'emblée: rien n'est moins sûr, et c'est justement ce constat qui nous conduira à nous interroger, dans un second temps, sur les implications de ce clivage vis-à-vis de la socialisation politique elle-même. Il s'agira alors de revenir sur le problème finalement peu traité de l'articulation entre la famille et l'école dans la structuration des

1. Cf., par exemple, «La socialisation politique. Défense et illustration», dans M. Grawitz , J. Leca, Traité de science politique, Paris, PUF, 1985, p. 215.

2. Ils portent l'un, sur un bilan de quelques études américaines («L'école en porte-à-faux. Réalités et limites des pouvoirs de l'école dans la socialisation politique», Pouvoirs, 30, 1984, p. 15-28), l'autre, sur la question bien particulière du choix des délégués de classe (avec N. Dehan, «La démocratie à l'école», Revue française de sociologie, 21, 1980, p. 379-407).

3. A. Percheron et al., Les 10-16 ans et la politique, Paris, Presses de Sciences Po, 1978 p. 236 et 272.

4. A. Percheron, «Peut-on encore parler d'héritage politique en 1989?», dans Y. Mény (dir.), Pour Georges Lavau. Idéologies, partis politiques et groupes sociaux, Paris, Presses de Sciences Po, 1989, p. 87.

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Vincent Tournier

orientations politiques, en se demandant si l'école peut être considérée connue un lieu efficace de socialisation politique.

Pour effectuer cette analyse, nous utiliserons les résultats d'une enquête par questionnaires réalisée par nos soins dans l'agglomération de Grenoble auprès de lycéens et de parents. Cette enquête a été conduite en septembre- octobre 1992 dans dix établissements d'enseignement secondaire : elle a concerné 1400 élèves âgés de 15 à 18 ans. Nous n'avons pas cherché à constituer un échantillon représentatif. Les dix lycées ont été sélectionnés en fonction de trois critères croisés: le cycle d'enseignement (général, technologique ou professionnel), le statut de l'établissement (public ou privé) et la localisation géographique (zones plutôt rurales, zones plutôt urbaines). Quatre lycées se trouvent ainsi à Grenoble même ; les six autres se répartissent à part égale entre l'agglomération grenobloise et les zones rurales du département. Les deux autres critères ont été utilisés de façon à sur-représenter. d'une part les filières technologiques et professionnelles vis-à-vis de l'enseignement général, d'autre part le secteur privé vis-à-vis du secteur public. Les cinq lycées privés sont des établissements catholiques sous contrat d'association '. Ils représentent 39 cb de l'effectif interrogé, soit un peu plus du double de la moyenne régionale, qui est elle-même très proche de la moyenne nationale.

A l'issue de la passation dans les classes, chaque lycéen recevait un dossier cacheté comprenant deux questionnaires et deux enveloppes affranchies, qu'il devait remettre à ses parents. En dépit des précautions qui ont été prises — une lettre préalable et une lettre de relance —, tous les parents n'ont évidemment pas répondu. Sur la base de 1413 lycéens interrogés, 1 434 questionnaires-parents ont cependant été réceptionnés (645 pour les hommes et 789 pour les femmes), soit un taux de retour moyen de 53 % (49 C7c pour les pères et 57 % pour les mères). Dans la majorité des cas, les deux parents ont répondu. Pour une enquête de ce genre, on peut considérer qu'il s'agit d'un résultat très satisfaisant.

PUBLIC ET PRIVE: LA FIN DES CLIVAGES?

La thèse du changement de fonction de l'enseignement privé, nous l'avons dit, s'appuie essentiellement sur l'idée que les motifs religieux sont devenus secondaires dans l'orientation scolaire des enfants. Pour étayer cette hypothèse, Robert Ballion a utilisé deux sources: les parents d'élèves et les chefs d'établissements. D'après un sondage réalisé par l'IFOP en 1978 pour La Vie, seulement 21 ac des personnes interrogées font du souci de faire

1. Défini par la loi du 31 décembre 1959 et renforcé par la loi Guermeur du 25 novembre 1977, le contrat d'association est obligatoire depuis 1980 pour tous les établissements secondaires privés. Le contrat d'association se distingue du «contrat simple» en ce qu'il accroît à la fois le contrôle (programme, horaires, méthodes) et la participation financière de l'État (salaires des professeurs et forfait d'externat). Les enseignants sont recrutés comme agents contractuels de l'État, et non comme employés d'une autorité privée; nommés par l'académie, ils sont tenus de respecter la liberté de conscience des élèves et le «caractère propre» de l'établissement.

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École publique, école privée

donner aux enfants une éducation religieuse la raison première du choix de l'enseignement privé1. Parallèlement, Robert Ballion montre, à partir d'une enquête qu'il a lui-même menée auprès de chefs d'établissement de la région parisienne, que le service confessionnel tient une place secondaire dans les choix des familles, «non seulement parce que la formation religieuse n'est qu'exceptionnellement dissociée de la formation morale mais aussi parce qu'elle est très largement balancée par la demande de type pédagogique» (qualité des services et des équipements offerts, pédagogie personnalisée, discipline plus stricte, meilleurs résultats, etc.)2.

Notre enquête ne permet pas de vérifier la place des préoccupations religieuses dans le choix des parents. Mais la question qui se pose est de savoir si l'absence de motivations explicitement religieuses dans le choix de l'école suffit à confirmer le changement de nature de la question scolaire. Les demandes pédagogiques formulées par les parents sont-elles indépendantes de leurs systèmes de valeurs? Ne peut-on faire l'hypothèse que ce ne sont pas n'importe quels parents qui mettent en avant tel type de demande plutôt que tel autre? Répondre à cette question suppose de revenir plus en détail sur les différents facteurs qui sont susceptibles d'organiser les parcours scolaires.

LE CHOIX DE L'ECOLE: CLIVAGES SOCIAUX ET CULTURELS

La récente étude de Gabriel Langouët et Alain Léger a apporté des informations intéressantes sur la sociologie de l'école privée en France. Elle a montré que les enquêtes transversales - c'est-à-dire celles qui se contentent de distinguer, à un moment donné, les élèves du public et ceux du privé - ont tendance «à sous-estimer grandement le nombre réel des usagers du secteur privé»3. Entre les élèves qui suivent toute leur scolarité dans le public et ceux qui en font de même dans le privé, il existe toute une population de lycéens (les «zappeurs» de l'enseignement) qui procède par aller et retour entre les deux secteurs, utilisant de façon temporaire l'école privée ou l'école publique. A partir d'un panel d'élèves entrant en 6e au début des années soixante-dix, G. Langouët et A. Léger estiment que le total de ces transferts est de l'ordre de 28 %, le total des utilisateurs du privé atteignant même 35 % (tableau 1).

Autrement dit, environ un tiers des élèves du secondaire a eu recours au moins une fois à l'enseignement privé. D'après les auteurs, compte tenu de la date de leur étude, il est probable que cette proportion soit aujourd'hui plus proche de 40 % que de 35 %.

1. R. Ballion, «L'enseignement privé, une "école sur mesure"?», art. cité, p. 203. On peut noter que ce chiffre de 21 % a été souvent repris, par exemple, par Antoine Prost («Les écoles libres changent de fonction», cité, p. 438).

2. R. Ballion, «L'enseignement privé, une "école sur mesure"?», art. cité, p. 217. 3. G. Langouët, A. Léger, École publique ou école privée ? Les zappeurs d'école :

trajectoires et réussites scolaires, Paris, Éditions Fabert, 1994 (lre éd. 1991), p. 140.

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Tableau 1. Les passages du public au privé selon la profession du chef de famille (% en ligne)

Agriculteurs Chefs d'entreprise Cadres supérieurs Professions intermédiaires Employés Ouvriers Non classés Ensemble

1 « Tout

public »

45,2 53,1 53,9

66,6 67,0 73,1 38,7 64,7

Source : G. Langouët, A. Léger,

2 Transfert en public

11,7 13,1 13,7

9,8 10,2 7,8

10,4 10,0

3 « Tout privé »

19,1 11,7 12,5

5,9 5,8 4,2 4,1 7,5

École publique ou école

4 Transfert en privé

23,9 22,2 19,8

17,8 17,0 15,0 16,8 17,8

privée ?,

2 + 4 Total des transferts

35,6 35,3 33,6

27,6 27,2 22,7 27,2 27,8

Paris, Éditions

2 + 3 + 4 Total des

du privé 54,8 46,9 46,1

33,4 33,0 26,9 31,3 35,3

Fabert, 1994.

L'hypothèse de passages entre le public et le privé n'est pas nouvelle: Antoine Prost l'avait, par exemple, déjà évoquée au début des années 1980 '. Mais dans l'optique de G. Langouët et A. Léger, l'ampleur de ce phénomène constitue un argument supplémentaire pour plaider en faveur de la neutralisation du clivage scolaire. Pour eux, les motivations des parents reposent en effet moins sur des «préoccupations religieuses» - dimension qui leur apparaît en réalité «extrêmement minoritaire», même si elle est «toujours indéniable» - que sur le désir d'utiliser le privé «comme une pratique de recours en cas d'échec». La sociologie des établissements privés, disent-ils, conforte leur démonstration. En dépit d'une «indéniable démocratisation du secteur privé», il existe en effet «une utilisation massive des transferts [vers le privé] par les classes sociales privilégiées et une utilisation bien moindre dans les classes populaires». Cela est dû précisément au fait que les parents des classes supérieures sont les plus à même «d'avoir des "stratégies" scolaires et d'utiliser à leur profit l'existence de deux secteurs d'enseignement»2.

La sur-représentation des milieux aisés dans les établissements privés est sans doute l'un des résultats les moins contestables des analyses empiriques sur l'école. Vérifiée par Antoine Prost à la fin des années soixante-dix - il évoquait alors la «clientèle très bourgeoise» du secondaire privé3 — cette sur-représentation a pu être récemment constatée par François Héran à partir d'une enquête INSEE/INED réalisée en 1992, qui confirme que «l'accès des milieux populaires à l'enseignement privé reste très limité»4.

1. A. Prost, «Les écoles libres changent de fonction», cité, p. 442. 2. G. Langouët, A. Léger, École publique ou école privée?..., op. cit., p. 140-141.

L'argument avait déjà été avancé par Robert Ballion en 1980. Pour lui, les couches sociales aisées de la population sont les plus tentées par le «syndrome "Que choisir?"» car elles «développent le plus d'anxiété dans les pratiques de consommation» (R. Bal- lion, «L'enseignement privé, une "école sur mesure"?», art. cité, p. 229).

3. A. Prost, «Les écoles libres changent de fonction», cité, p. 439. 4. F. Héran, «École publique, école privée: qui peut choisir?», Économie et statis

tique, 293, 1996, p. 22.

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Tableau 2. Composition sociologique (groupe socio-professionnel des pères) des lycées publics et des lycées privés (% en colonne)

Agriculteurs exploitants Art., comm., chefs d'ent. Cadres et prof. int. sup. Prof, intermédiaires Employés Ouvriers

.V Ensemb

le - 13 17 26 11 33

764

Lycées

Général

- 10 27 26 13 24

273

publics

Techno

- 14 14 30 10 32

287

Profes.

- 17 6

21 12 44

204 Ensemb

le 4

21 28 17 8

22 504

Lycées

Général

4 24 46 14 4 8

263

privés

Techno

3 16 9

26 17 29 58

Profes.

3 20

8 20 9

40 183

Remarque : pour la profession des parents, on utilise les réponses des parents lorsque ceux-ci ont répondu, et les indications des lycéens le cas échéant. Source : Enquête lycéens/parents, Isère, 1992.

Notre enquête n'apporte sur ce point aucune nouveauté, même si elle montre que les écarts ne sont pas aussi élevés qu'on pouvait s'y attendre (tableau 2). Les enfants de cadres sont bel et bien sur-représentés dans le secteur privé, où ils regroupent 28 % des effectifs, contre 17 % dans le public; à l'inverse, 33 % des lycéens du public sont issus de milieux ouvriers, contre 22 % dans le privé. A ce constat global, nous ajouterons cependant deux nuances. La première, c'est que ce clivage sociologique apparaît entièrement tributaire d'une situation particulière: la sur-représentation massive des enfants de milieux aisés dans l'enseignement général privé, où les lycéens dont les pères sont cadres atteignent 46 % des effectifs (contre 27 % dans l'enseignement général public). Du coup, si l'on met à part l'enseignement général, la sociologie du secteur public devient très proche de celle du secteur privé.

Mais une autre nuance, bien plus importante, mérite d'être formulée. Pour indéniables que soient les inégalités sociales face à l'enseignement privé, elles ne doivent pas faire oublier que les groupes favorisés sont loin de se comporter de manière homogène. On retrouve ici le problème du découpage des catégories socio-professionnelles de l'INSEE. Dans le cas de la scolarisation, les différences au sein des diverses catégories apparaissent en effet plus clairement si on analyse non plus la composition sociologique des établissements (les pourcentages en colonne), mais le type de scolarisation selon la catégorie socio-professionnelle des pères (les pourcentages en ligne) (tableau 3).

Cette présentation ne modifie pas les conclusions concernant les milieux populaires (employés et ouvriers), dont on voit qu'ils restent toujours en retrait de l'enseignement privé, quelles que soient les subdivisions internes. En revanche, elle montre que ce ne sont pas n'importe quels milieux aisés qui ont recours au secteur privé. Pour les cadres, et dans une moindre mesure pour les professions intermédiaires, l'attachement à l'école publique est très marqué chez les fonctionnaires (il est même plus marqué chez les fonctionnaires de catégorie B que chez les fonctionnaires de catégorie A),

567

Page 10: Vincent Tournier, « École publique, école privée - le clivage oublié.

Tableau 3. Proportion de lycéens scolarises dans le public et le privé en fonction de la profession des pères (/> en ligne)

Ensemble Artisans, commerçants, chefs d'entreprise dont Artisans

Commerçants Chefs d'entreprise

Cadres et professions intellectuelles supérieures dont Professions libérales

Fonction publique dull es il 'entreprise

Professions intermédiaires dont Fonction publique

Secteur prive Techniciens

Employés dont Fonction publique

Secteur privé Ouvriers dont Ouvriers qualifiés

Non qualifiés

Source : Enquête lycéens/parents, Isère, 1992,

Lycées publics

61 49

47

69

70

69

64 44 34

30 61 45

~o so 71

72 67

72 66

Lycées privés

39 51

53

31

30

31

30 50 60

70 39 55

24 41 29

28 33

2$ 34

N = 211

265

282

125

32ti

1209

55 50 76

oc> 159

67 71

144

68 57

245 81

ce qui n'est pas du tout le cas des professions libérales et des salariés du secteur privé. Le comportement des professions libérales est, sur ce plan, très proche de celui des chefs d'entreprise, dont le taux de scolarisation dans l'école privée atteint 66 % (contre 39 % en moyenne). Cette proximité entre les professions libérales et les chefs d'entreprise ne doit pas conduire à penser que tous les indépendants privilégient de la même manière l'enseignement privé : s'il est vrai que les commerçants sont proches des cadres d'entreprise, les artisans adoptent, en revanche, un comportement qui les rapprochent des employés et des ouvriers.

Ces résultats - qui étaient déjà perceptibles dans l'enquête INSEE/INED commentée par François Héran - ne mettent nullement en cause les différences sociologiques dans l'accès à l'enseignement privé, mais incitent à les nuancer en leur ajoutant un facteur d'ordre culturel, vraisemblablement lié à la nature de l'activité professionnelle. Faut-il évoquer un sens de l'État ou du service public plus marqué chez les fonctionnaires ? Peu importe au fond; l'important est ici de souligner que les facteurs culturels ne sont pas absents des choix scolaires, ce qui incite à prolonger l'analyse en direction des facteurs plus directement idéologiques.

LES CLIVAGES RELIGIEUX ET POLITIQUES

II est au fond assez surprenant de constater que la thèse de la neutralisation politique et religieuse de l'école n'a jamais fait l'objet d'une vérifi-

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s Ecole publique, école privée

cation à partir d'enquêtes spécifiques sur les convictions des parents des écoles privées et des écoles publiques (nous reviendrons sur l'exception que constitue l'enquête INSEE/INED de 1992). Cela est d'autant plus regrettable que ni l'absence de motifs explicitement religieux dans le choix de recourir à l'école privée, ni la mise en évidence d'une liaison significative entre l'origine sociale et les transferts vers le privé, ne peuvent être considérées comme des preuves du déclin des variables idéologiques. Si les parents n'attendent pas de l'école privée qu'elle donne une éducation religieuse, n'est-ce pas tout simplement parce que ceux-ci se réservent la primauté de l'éducation religieuse? Et si l'école privée se présente comme un recours pour les enfants qui connaissent des difficultés scolaires, ne peut-on pas penser que, pour un niveau équivalent de difficultés scolaires, certains parents auront plus facilement tendance que d'autres à recourir au secteur privé?

L'article de François Héran publié en 1996 dans la revue Économie et statistique a déjà permis d'apporter quelques éléments qui vont dans ce sens. A partir d'une enquête réalisée conjointement par l'INSEE et l'INED, celui-ci aboutit à la conclusion que «le rattrapage de l'échec scolaire ne saurait expliquer l'attrait spécifique de l'école privée»; en revanche, il ne fait «aucun doute» que le «choix d'une école confessionnelle est fortement lié au degré d'implication dans la religion»1. Si l'impact des difficultés scolaires n'est pas nul, il demeure «bien moindre que celui du facteur religieux». Autrement dit, l'hypothèse de G. Langouët et A. Léger tend à s'effacer devant le fait que «la référence religieuse est un facteur déterminant du recours à l'enseignement privé», signe que le «système de valeurs des parents joue un rôle central»2.

En raison de la réglementation relative aux fichiers informatiques, les responsables de l'enquête INSEE/INED ont été contraints d'utiliser un indicateur relativement fruste des préférences religieuses3. Les résultats obtenus sont-ils pour autant invalidés ? Nous ne le pensons pas car notre propre enquête confirme, au-delà de toute attente, l'importance du facteur religieux. Comme le montre en effet le tableau 4, la part des lycéens scolarisés dans le privé augmente régulièrement et fortement en fonction du degré d'adhésion à la religion catholique : minimale lorsque les deux parents sont sans religion (22 %), la scolarisation dans le privé atteint son maximum lorsqu'ils sont tous les deux catholiques pratiquants (68 %). La scolarisation dans le public est donc susceptible de varier du simple au triple entre les deux extrémités de l'adhésion au catholicisme.

1. F. Héran, «École publique, école privée: qui peut choisir?», art. cité, p. 29. 2. Ibid., p. 34 et 29. 3. Les questions sur la religion font partie des questions dites «sensibles» depuis la

loi du 16 janvier 1978. L'accord écrit des personnes interrogées est donc nécessaire, ainsi que l'agrément préalable de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), ce qui allonge considérablement les délais de programmation et complique la réalisation des enquêtes. Les instituts de sondage ne sont pas soumis à ces contraintes au motif que leurs questionnaires sont normalement anonymes. Du coup, la question sur la religion était présentée de la façon suivante: «Quelle est votre situation actuelle vis-à-vis de la religion? Vous avez... - ni sentiment d'appartenance ni pratique - un sentiment d'appartenance sans pratique - à la fois sentiment d'appartenance et pratique - ne sait pas répondre ou préfère ne pas répondre».

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Vincent Tournier

Face à la religion, la situation scolaire des lycéens (que l'on mesure ici par un indicateur sans doute imparfait: le redoublement) apparaît très secondaire, même si elle est loin d'être négligeable. Elle ne joue absolument pas pour les lycéens dont les parents sont catholiques pratiquants. En revanche, elle est susceptible de peser très sensiblement sur le choix des parents qui sont non pratiquants ou irréligieux : pour eux, le taux de scolarisation dans le privé se voit pratiquement multiplié par deux ou trois selon la situation scolaire des lycéens.

Tableau 4. Proportion de lycéens scolarisés dans le public et le privé en fonction de la religion des parents et du redoublement (% en ligne)

Deux parents catholiques pratiquants Si le lycéen... N'a jamais redoublé

A déjà redoublé Un parent pratiquant, un parent non pratiquant Si le lycéen... N'a jamais redoublé

A déjà redoublé Deux parents catholiques non pratiquants Si le lycéen... N'a jamais redoublé

A déjà redoublé Deux parents sans religion (ou un sans rel. et un non prat.) Si le lycéen... N'a jamais redoublé

A déjà redoublé

Source : Enquête lycéens/parents, Isère, 1992

Lycées 32

46

64

78

publics

32 33

46 45

76 56

90 65

Lycées 68

54

36

22

privés

68 67

54 55

. 24 44

10 35

173

109

162

98

N

75 98

43 66

59 102

50 48

De ce point de vue, on peut donc dire que la religion n'explique pas tout: pour certains parents détachés du catholicisme, le recours au secteur privé peut effectivement se présenter comme une solution de secours en cas de difficultés scolaires. Il faut cependant souligner que les variations produites par le redoublement ne mettent nullement en cause les effets produits par la religion: les parents qui se disent sans religion restent toujours majoritairement hostiles au privé ; et même lorsque leurs enfants ont redoublé, la scolarisation dans le privé est de moitié inférieure à celle que l'on observe chez les catholiques pratiquants.

Mais la religion n'est pas la seule variable qui intervient dans les choix scolaires : il faut aussi tenir compte des facteurs plus directement politiques, ce que n'a pu faire l'enquête INSEE/INED. Pour mesurer les orientations politiques des parents, nous utiliserons leurs classements sur une échelle gauche-droite à huit positions recodée en quatre groupes : gauche (positions 1, 2 et 3), centre (4), droite (5, 6 et 7) et indéterminé (position 8 «nulle part» ou sans réponse). Cinq situations peuvent ainsi être distinguées: les deux parents se classent à gauche (ou l'un à gauche, l'autre indéterminé), les deux parents se classent au centre (ou l'un au centre, l'autre indéterminé), les deux parents se classent à droite (ou l'un à droite, l'autre indéterminé), les deux parents se positionnent différemment sur l'échelle

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Ecole publique, école privée

(situations de divergence), enfin les deux parents sont indéterminés (ils se sont classés «nulle part» ou n'ont pas répondu).

Les écarts sont dans l'ensemble très proches de ceux produits par la religion (tableau 5). La scolarisation dans le secteur public est massive lorsque les parents se classent à gauche (83 %) ; mais, lorsque les parents se classent au centre ou à droite, le privé l'emporte très nettement (respectivement 54 % et 67 %). Entre les milieux proches de la gauche et les milieux proches de la droite, il y a donc une multiplication par quatre de la proportion de lycéens scolarisés dans le privé.

Tableau 5. Proportion de lycéens scolarisés dans le public et le privé en fonction des orientations politiques des parents et du redoublement

(% en ligne)

Deux parents Si le lycéen...

Deux parents Si le lycéen...

Deux parents Si le lycéen...

de gauche (ou un de gauche, l'autre indéterminé) N'a jamais redoublé A déjà redoublé

du centre (ou un du centre, l'autre indéterminé) N'a jamais redoublé A déjà redoublé

de droite (ou un de droite, l'autre indéterminé) N'a jamais redoublé A déjà redoublé

Divergences entre parents Si le lycéen... N'a jamais redoublé

A déjà redoublé Deux parents 5/ le lycéen...

indéterminés N'a jamais redoublé A déjà redoublé

Source: Enquête lycéens/parents, Isère, 1992.

Lycées publics

83 90 75

45 49 43

33 24 38

58 66 52

53 52 53

Lycées privés

17 10 25

55 57 57

67 76 62

42 34 48

47 48 47

132

110

164

120

92

N

71 61

43 67

59 105

53 67

31 60

Face aux orientations politiques, la situation scolaire mesurée par le redoublement apparaît là encore très secondaire, même si elle intervient de façon significative pour les lycéens dont les parents se classent à gauche puisque, en cas de redoublement, leur scolarisation dans le privé est multipliée par plus de deux, passant de 10 % à 25 %. Cet effet disparaît en revanche pour les lycéens dont les parents se placent au centre ou à droite. Pour les parents de droite, on a même le sentiment que les difficultés scolaires accroissent très sensiblement la scolarisation dans l'enseignement public.

L'orientation scolaire des lycéens est donc fortement associée aux préférences religieuses et aux orientations politiques des parents. Cela signifie-t- il que ces deux variables sont interchangeables? Qu'advient-il en cas de discordance ? La religion prime-t-elle sur la politique ? En dépit des limites que rencontre une analyse plus détaillée (faibles effectifs, prise en compte des caractéristiques d'un seul parent, en l'occurrence celles du père), on peut montrer que l'articulation des variables religieuses et politiques produit des résultats très intéressants (tableau 6).

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Tableau 6. Proportion de lycéens scolarisés dans le public et le privé en fonction des orientations politiques et de la religion des pères (% en ligne).

Pères de gauche et...

Pères du centre et...

Pères de droite et...

Pères indéterminés et...

Catholiques pratiquants Catholiques non pratiquants Sans religion Catholiques pratiquants Catholiques non pratiquants Sans religion Catholiques pratiquants Catholiques non pratiquants Sans religion Catholiques pratiquants Catholiques non pratiquants Sans religion

Source : Enquête lycéens/parents, Isère, 1992.

Lycées publics 69 83 94 33 49 69 22 48 47 32 58 75

Lycées privés 31 17 6 67 51 31 78 52 53 68 42 25

N 29 59 47 55 55 13 82 90 17 50 77 28

L'effet de cumul est tout d'abord incontestable: le taux de recours au secteur privé est minimum lorsque les pères sont de gauche et sans religion (6 %), et il est maximum lorsque les pères sont de droite et catholiques pratiquants (78 %). L'examen des autres situations appelle les remarques suivantes. La religion semble décisive lorsque les pères n'ont pas d'orientations politiques très identifiables, c'est-à-dire lorsqu'ils se placent au centre ou lorsqu'ils ne se situent pas sur l'échelle. En revanche, le rôle de la religion est beaucoup moins fort lorsque les pères se placent à droite et surtout à gauche. A droite, le recours au privé est en effet toujours majoritaire, même lorsque les pères se disent sans religion; à gauche, le public l'emporte toujours, quelle que soit la religion des pères, même si un écart important sépare les catholiques pratiquants et les irréligieux.

LA QUESTION SCOLAIRE, UN CLIVAGE TOUJOURS ACTUEL

Tous ces éléments nous semblent donc suffisants pour contester, à la suite de François Héran, les conclusions de Gabriel Langouët et Alain Léger. Les facteurs sociaux et scolaires ne suffisent pas à rendre compte du recours au secteur privé. Aujourd'hui encore, les clivages socio-culturels et idéologiques restent très importants. Le transfert vers le privé continue de prévaloir chez les parents issus de milieux professionnels indépendants, mais surtout chez les parents proches de la religion catholique et orientés politiquement à droite.

Si l'influence de la situation scolaire n'est pas négligeable, elle reste globalement très limitée. Elle joue un rôle significatif pour les parents dont les prédispositions politiques ou socio-culturelles s'accompagnent statistiquement d'une profonde méfiance à l'égard du secteur privé (les parents sans religion ou ceux qui se classent à gauche), sans être cependant en mesure de renverser les tendances dominantes. S'il existe une évolution des menta-

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École publique, école privée

lités — encore que nous ne disposions pas d'éléments de comparaison dans le temps -, c'est plutôt là qu'il faut la chercher: dans le fait que le recours au privé se présente comme une éventualité un peu plus acceptable pour des milieux majoritairement très hostiles à l'école privée, ce qui peut aussi expliquer pourquoi les effectifs du privé sont restés stables depuis les années soixante en dépit d'une forte baisse des pratiques religieuses'. Mais une étude plus approfondie montrerait peut-être que, dans les milieux de gauche ou irréligieux, ce ne sont pas n'importe quels parents qui, lorsque les enfants rencontrent des difficultés à l'école, font le choix de retirer leurs enfants de l'enseignement public pour le placer dans l'enseignement privé. Nous donnerons plus loin quelques indications sur ce point.

S'il est donc très probable que le désir de donner une éducation religieuse n'entre aujourd'hui que pour une faible part dans la décision des parents de recourir à l'école privée, il n'en reste pas moins que l'orientation scolaire des lycéens continue de relever, dans une proportion écrasante, de processus d'ordre religieux et politique. Mais faut- il s'en étonner? L'acceptation par une forte majorité de l'opinion, y compris par les sympathisants de gauche, d'un enseignement privé financé par l'État, dont témoigne par exemple le désir qui s'est manifesté pendant la crise de 1984 de trouver des solutions de compromis2, ne doit pas faire illusion sur ce point. L'école continue de représenter l'un des principaux points d'achoppement de la société française, l'un des rares enjeux encore capables de cristalliser les oppositions entre la gauche et la droite, voire de déclencher des mobilisations de masse3.

Comment expliquer cette survivance des oppositions politiques autour de l'école? Les principales raisons sont faciles à identifier. La première renvoie très vraisemblablement aux images - certes plus ou moins fondées - qui sont respectivement associées à l'école publique et à l'école privée. A l'opposé de l'enseignement public, soupçonné de laxisme dans l'encadrement et le suivi des élèves, voire de «politisation», l'enseignement privé est perçu comme le refuge de l'enseignement traditionnel et de la morale, comme le gardien des valeurs d'ordre et de discipline4. Un sondage SOFRES pour Le Figaro réalisé en novembre 1984 montrait ainsi que, parmi les raisons avancées par les parents pour recourir au privé, figure d'abord «la façon dont les enfants sont suivis», puis à part égale l'appren-

1. La stabilité des effectifs du privé s'explique sans doute aussi par la montée en puissance des clivages politiques face aux clivages religieux. Il n'est en effet pas exclu que la querelle scolaire prenne une tournure de plus en plus politique et de moins en moins religieuse. Certes, les catholiques pratiquants vont vraisemblablement rester massivement hostiles à l'école publique, et leur hostilité deviendra même de plus en plus marquée au fur et à mesure que se réduira leur importance relative. En revanche, l'attitude des milieux détachés de la religion catholique risque fort de se brouiller et de devenir de plus en plus tributaire des préférences politiques.

2. SOFRES, «Les libertés et la querelle scolaire», Opinion publique, 1985, p. 31-46. 3. Notamment dans l'Ouest de la France, où «l'école est apparue comme un enjeu

pour le maintien de la "contre-société globale" de l'Ouest intérieur perpétuée jusqu'à nos jours dans le cadre fermé des paroisses » (J. Renard, « Vote, pratique religieuse et école dans l'Ouest de la France», art. cité, p. 470).

4. F. Bonvin, «Une seconde famille. Un collège d'enseignement privé», Actes de la recherche en sciences sociales, 30, 1979, p. 47-64.

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Vincent Tournier

tissage du «respect des valeurs traditionnelles» et la «qualité des enseignants»1. Dans la période plus récente, une autre image est cependant venue s'ajouter aux images traditionnelles de l'enseignement privé: celle d'un univers «protégé» de l'immigration, en clair d'une école qui permet d'« éviter les petits arabes»2.

La seconde raison est d'ordre moins conjoncturel. Elle doit plutôt être recherchée dans la symbolique même de l'école, c'est-à-dire dans ce qu'elle a représenté dans l'histoire de la société française, ou plus exactement dans la place qu'elle occupe dans les idéologies respectives de la gauche et de la droite. Du côté de la gauche, il est en effet évident que l'école a permis d'incarner une idéologie du progrès social et civique ; si l'école publique a rapidement été placée «au centre de ce qui fait l'identité de la gauche française», c'est parce qu'elle est devenue le «meilleur point d'application de son «humanisme humanitaire»3. Comprendre la place de l'enseignement privé dans l'idéologie de droite suppose en revanche de prendre au sérieux l'argument qui a été systématiquement avancé par ses défenseurs depuis le 19e siècle: la liberté de l'enseignement. Car l'argument a une signification idéologique bien précise. La liberté en question n'est pas n'importe quelle liberté, c'est d'abord la liberté des familles. Plaider en faveur de la liberté de l'enseignement, c'est effectivement adhérer à un système de pensée qui oppose la souveraineté des familles aux prérogatives de l'État, en postulant que la famille est une institution «naturelle», préexistante à l'État. Est-ce au fond un hasard si l'enseignement privé se flatte de fonder sa spécificité sur une relation privilégiée avec les parents d'élèves, sur ce que François Bonvin appelle une «transparence de l'école», permettant de maintenir l'élève «sous le regard de la famille et, en quelque sorte, en son sein»4? Plus qu'un souci pédagogique, il faut voir là l'aboutissement d'une définition de l'ordre social qui reste marquée par une «idéologie traditionaliste», représentative d'une certaine idée de la famille «qui se manifeste jusqu'à notre époque»5. Cela ne signifie certes pas que la gauche se désintéresse de la famille, mais elle ne lui accorde pas une place aussi centrale dans son système de représentations.

1. D'après ce sondage, les parents délèves font en effet deux reproches à l'enseignement public: le manque de suivi des élèves et la moindre «qualité des enseignants». On peut s'étonner de ce dernier résultat dans la mesure où les enseignants du public disposent globalement d'une meilleure formation que leurs collègues du privé. En 1988- 1989. d'après les chiffres du ministère de l'Éducation nationale, 41 % des premiers étaient acre ses ou certifiés, contre moins de 8 % des seconds {Le Monde de l'Éducation, 186, octobre 1991).

2. M. Coutty, «On le met dans le privé?», art. cité. En 1991, Le Monde de l'Éducation donnait le témoignage du directeur d'une école privée de la région parisienne, qui disait sélectionner les dossiers en écartant les «voyous» et les jeunes d'origine maghrébine. «C'est une politique délibérée», reconnaissait-il en ajoutant: «C'est d'ailleurs ce que souhaitent implicitement les parents quand ils demandent à voir les listes d'élèves. Ils vérifient si elles comportent beaucoup de noms à consonance étrangère» {Le Monde de l'Éducation, 186, octobre 1991).

3. V. Aubert, A. Bergounioux, J.-P. Martin, R. Mouriaux, La forteresse enseignante. La Fédération de l'Éducation nationale, Paris, Fayard/Fondation Saint-Simon, 1985, p. 251.

4. F. Bonvin, «Une seconde famille», art. cité, p. 60. 5. P. Bréchon, La famille, idées traditionnelles, idées nouvelles, Paris. Le Centur

ion. 1976 (coll. «Socioguides»). p. 15.

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L'ECOLE COMME FACTEUR DE SOCIALISATION POLITIQUE?

Jusqu'à présent, nous ne nous sommes intéressés qu'aux seules caractéristiques politiques et religieuses des parents, en montrant que celles-ci influençaient toujours très fortement les parcours scolaires de leurs enfants. Mais les clivages politiques et religieux ont-ils encore un sens chez les lycéens eux-mêmes ? Autrement dit, la variable scolaire constitue-t-elle une variable pertinente au plan politique ou au plan religieux? Les élèves du public ont-ils des préférences politiques ou religieuses différentes des élèves du privé ?

Poser cette question, c'est d'abord aborder le problème de l'héritage politique. Si l'héritage politique correspond en effet à la réalité, il faut s'attendre à trouver un clivage assez profond entre l'enseignement public et l'enseignement privé, le premier scolarisant une proportion plus importante de lycéens irréligieux proches de la gauche, et le second une proportion plus importante de catholiques pratiquants proches de la droite. Cette interprétation, qui accorde donc une place décisive aux parents dans le processus de socialisation politique, correspond certainement à une part de vérité. On peut cependant rappeler que la problématique de l'héritage politique a aussi montré ses limites. En plus de celle que nous avons indiquée plus haut (un enfant sur deux reproduit la tendance de ses parents), nous en indiquerons deux.

La première concerne la place de l'individu dans le processus de la socialisation politique. La problématique de l'héritage est en effet restée très marquée par les théories behavioristes de l'apprentissage, qui font de l'enfant un être essentiellement passif, intériorisant de façon inconsciente des automatismes sur lesquels il n'a pratiquement aucune prise. Sans s'arrêter sur les différents débats que pose une telle conception de la socialisation politique, on peut rappeler avec Annick Percheron que le socialisé ne saurait être assimilé à «un être passif», incapable de réagir aux différents messages qui lui sont proposés [. La socialisation politique ne se résume pas à un simple transfert d'opinions entre parents et enfants; elle fonctionne moins sur le mode d'un héritage que sur celui d'une construction active de l'identité socio-politique en fonction des expériences vécues par les adolescents2.

La seconde limite renvoie à l'analyse des différentes instances qui participent à la socialisation politique. La problématique de l'héritage se contente d'établir une hiérarchie très stricte, au sommet de laquelle elle place la famille. Du coup, c'est toute la réflexion sur les articulations complexes susceptibles de se produire entre les différents lieux de la socialisation politique qui se trouve réduite à son minimum. L'école, en particulier, est conçue comme une variable quasiment neutre : tout est censé se jouer en dehors - voire en amont - d'elle.

C'est donc à ce vaste débat sur l'influence croisée de la famille et de l'école que nous ramène le clivage entre l'école publique et l'école privée. Sans chercher à prendre le contre-pied systématique du modèle de l'héri-

1. A. Percheron, L'univers politique des enfants, Préface de René Rémond, Paris, Presses de Sciences Po, 1974, p. 26.

2. A. Percheron et al., Les 10-16 ans et la politique, op cit., p. 36 et suiv.

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Vincent Tournier

tage, nous allons essayer de montrer que l'hypothèse d'un effet propre de l'école mérite d'être examinée avec la plus grande attention.

ÉLÈVES DU PRIVÉ, ÉLÈVES DU PUBLIC : DEUX MONDES DIFFÉRENTS

Commençons par vérifier un point crucial: le type de scolarité introduit- il des différences significatives entre les lycéens? Autrement dit, existe-t-il des clivages politiques et religieux entre les lycéens du secteur privé et ceux du secteur public ?

Même s'il ne faut pas exagérer l'ampleur de ces différences, il est clair que la réponse est positive. Nos données confirment de façon incontestable que les établissements privés scolarisent une proportion plus importante de catholiques pratiquants et, surtout, de lycéens proches de la droite, que les établissements publics. Dans les établissements privés, 69 % des lycéens se disent catholiques, dont 35 % catholiques pratiquants réguliers ou occasionnels, alors que, dans les établissements publics, la proportion de catholiques tombe à 47 %, la part de catholiques pratiquants atteignant à peine 18 % (tableau 7). Sur le plan politique, le clivage public/privé apparaît encore plus fort puisque le rapport entre la gauche et la droite va jusqu'à s'inverser entre le public et le privé: dans le public, 24 % des lycéens se classent à gauche et 9 % à droite, alors que, dans le privé, ils sont 8 % à se classer à gauche et 26 % à droite (tableau 8).

Tableau 7. Préférences religieuses des lycéens en fonction de l'école (% en ligne)

Public Privé Ensemble

Source : Enquête

Cath. prat. réguliers

5 14 9

lycéens/parents,

Cath. prat. irréguliers

13 21 16

Isère, 1992.

Cath. non pratiquants

29 34 31

Autres religions

15 6

11

Sans religion

38 25 33

Bien sûr, il faut se garder des généralisations excessives : tous les élèves du privé ne sont pas des catholiques de droite, et tous les élèves du public ne sont pas des irréligieux de gauche. Il faut en outre insister sur le fait que les lycéens qui se sont positionnés à droite ou à gauche ne représentent qu'une minorité des lycéens interrogés. Le constat n'en est pas moins incontournable: l'école publique et l'école privée définissent bel et bien deux univers spécifiques en termes de préférences religieuses et de choix politiques. Ces résultats conduisent donc à réévaluer la conclusion avancée par certains auteurs, par exemple Françoise Mayeur, selon laquelle «l'éducation a cessé d'être le discriminant idéologique d'autrefois: l'élève des pères ne votera pas nécessairement plus à droite que celui de la laïque»1. Même si nous n'analysons pas ici des comportements électoraux, il ne fait aucun

1. F. Mayeur, «L'éducation», dans J.-F. Sirinelli, Histoire des droites en France, tome 3, Sensibilités, Paris, Gallimard, 1992 (coll. «NRF-Essais»), p. 702.

576

Page 19: Vincent Tournier, « École publique, école privée - le clivage oublié.

Tableau 8. Positionnements des lycéens sur l'échelle gauche-droite en fonction de l'école (% en ligne)

Public Privé Ensemble

Source :

Gauche [1] +[2)

12 3

• 8

Centre- gauche [3]

12 5 9

Enquête lycéens/parents, Isère,

Centre [4]

9 14 11

1992.

Centre- droit [5]

4 13 8

Droite [6] + [7]

5 13 8

Nulle part [8] + SR

59 50 56

doute que les proportions de lycéens proches de la gauche ou de la droite varient de façon considérable entre le public et le privé.

Il faut cependant préciser que la religion n'occupe pas une place homogène dans toutes les filières. En fait, c'est dans l'enseignement général que les écarts sont les plus marqués: 48 % des lycéens de l'enseignement général privé se déclarent catholiques pratiquants, contre seulement 17 % des lycéens de l'enseignement général public. Pour les cycles technologiques et professionnels, les écarts entre le public et le privé sont très faibles.

Tableau 9. Positionnements gauche-droite des lycéens dans les lycées publics et les lycées privés (% en colonne)

Lycées

Ensemble Général Gauche [1+2 + 3] 24 Centre [4] 8 Droite [5+6 + 7] 9 Nulle part + SR 59 N 848

31 9 5

55 295

Source : Enquête lycéens/parents, Isère

publics

Techno. 20 12 13 55

305

, 1992.

Profes. 19 6 7

68 248

Ensemble 8

15 26 50

559

Lycées

Général 8

15 40 37

273

privés

Techno. 11 17 20 52 65

Profes.

9 13 12 66

227

Cette remarque vaut également pour les préférences politiques : dans le public comme dans le privé, c'est toujours l'enseignement général qui cristallise le plus fortement les clivages (tableau 9). Cela ne veut pas dire que les filières technologiques et professionnelles ne sont pas plus ou moins marquées à droite ou à gauche, mais les clivages politiques y sont toujours plus atténués. L'enseignement professionnel privé est cependant la seule filière où les différences gauche-droite soient presque négligeables.

L'ÉCOLE CONTRE LES PARENTS?

Comment interpréter ces différents résultats? S'agit-il d'un effet de l'héritage? L'hypothèse est certes très probable, et dès à présent il nous faut insister sur le fait que les éléments empiriques dont nous disposons ne

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Vincent Toumier

permettent pas d'infirmer totalement cette interprétation. Nous voudrions cependant faire part d'un certain nombre de résultats qui incitent à penser que les choses ne sont peut-être pas aussi simples, et qu'une autre hypothèse, plus favorable à la scolarité, mérite en tout cas d'être prise en considération. La démonstration empirique est au fond extrêmement simple : elle consiste à se demander quelles sont les préférences politiques des lycéens scolarisés dans le secteur public lorsque les parents sont de droite, et les préférences politiques des lycéens scolarisés dans le secteur privé lorsque les parents sont de gauche. En toute logique, si les orientations des lycéens sont davantage tributaires des parents que de 1" école, il faut s'attendre à ne trouver ici aucune différence.

Or il est particulièrement intéressant de constater que, pour une orientation politique donnée des pères, le type de scolarité introduit des différences remarquables entre les lycéens (tableau 10). Lorsque les pères se classent à gauche, la proportion de lycéens qui se placent eux-mêmes à gauche varie du simple au double entre le public et le privé (59 % contre 28 %), alors que la proportion de lycéens qui se placent à droite, très faible dans le public (4 %), atteint 32 % dans le privé. Lorsque les pères se placent à droite, les évolutions sont moins marquées, mais elles restent cependant très significatives puisque la proportion de lycéens qui se placent à droite varie de 22 % dans le public à 45 % dans le privé.

Tableau 10. Classements gauche-droite des lycéens en fonction des classements des pères et du type d'établissement (% en ligne)

Classements des lycéens

Gauche Centre Droite Nulle part N

Classements

Gauche

Centre

Droite

Public Privé Public Privé Public Privé

59 28 24 12 11 6

5 4

20 17 16 12

4 32 I?

45

32 36 43 49 51 37

126 25 16 79 74 no

Nulle part Public 10 9 5 Prive 4 13 18

Source: Enquête lycéens/parents. Isère. 1 092.

Des résultats assez comparables sont obtenus si l'on prend en compte non plus les classements d'un seul parent, mais les classements des deux parents à la fois. Ainsi, lorsque les deux parents se classent à gauche (ou un parent se classe à gauche, l'autre est indéterminé), la proportion de lycéens qui se classent à gauche varie de 60 % dans le public à 27 % dans le privé : et lorsque les deux parents se placent à droite (ou un à droite, l'autre indéterminé), la proportion de lycéens qui se placent à droite varie de 24 % dans le public à 44 % dans le privé.

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Tableau 1 1 . Classements gauche-droite des lycéens en fonction du profil idéologique des parents et de la scolarisation public/privé (% en ligne)

Les parents ont un

Les parents ont un

Source : Enquête

profil de gauche

profil de droite

lycéens/parents,

Public- Privé Public- Privé

Isère,

Gauche

47 15 10 6

1992.

Centre

8 16 16 12

Droite

3 11 18 41

Nulle part 42 58 56 41

N

161 55 79

143

Ces différents calculs amènent toutefois à utiliser des effectifs assez faibles. Pour vérifier la portée de ces résultats tout en tenant compte des deux parents, il nous faut alors délaisser les classements des parents sur l'axe gauche-droite et utiliser des indices de valeurs qui correspondent à ce que l'on pourrait appeler des profils idéologiques l. Pour écarter les effets liés aux différences entre le père et la mère, nous n'avons retenu que les situations où les deux parents présentent simultanément un profil idéologique très marqué à droite ou à gauche.

Les résultats sont conformes aux précédents : selon le type de scolarisation qui est suivi par les lycéens, on observe une évolution très nette des écarts entre la gauche et la droite (tableau 11). Pour les lycéens dont les parents ont des profils idéologiques de gauche, le rapport gauche-droite est très favorable à la gauche dans l'enseignement public, ce qui n'est pas du tout le cas dans le privé, où la proportion de lycéens qui se classent à droite se voit multipliée par trois ou quatre. Il en va de même pour les lycéens dont les parents présentent un profil idéologique très marqué à droite: dans le privé, 41 % des lycéens se classent à droite et 6 % à gauche; dans le public, ils ne sont plus que 18 % à se classer à droite, tandis que 10 % se classent à gauche.

On aura cependant remarqué que, selon la scolarisation, et pour une orientation politique identique des parents, le pourcentage des lycéens qui ne se positionnent pas sur l'échelle évolue fortement, notamment lorsque les deux parents présentent un profil idéologique identique. On peut alors se demander si, au fond, les différences que l'on observe entre le public et le privé ne résultent pas d'un simple effet «d'étiquetage» ou de déclaration des identités politiques. Soumis à des «pressions contradictoires», les lycéens issus de milieux de droite et scolarisés dans le public seraient en quelque sorte moins enclins à se déclarer de droite, de même que les lycéens issus de milieux de gauche et scolarisés dans le privé seraient moins enclins à se dire de gauche.

1. Sans entrer dans le détail, indiquons que ces indices sont construits à partir d'une série d'items qui sont fortement corrélés avec l'échelle gauche-droite. Les items sont tirés d'une liste de mots et d'opinions. Par exemple, l'indice des valeurs de droite a été construit à partir des items suivants : être favorable au rétablissement de la peine de mort, être d'accord avec l'idée qu'il y a trop d'immigrés en France, ne pas aimer les mots socialisme ou communisme, aimer les mots privatisation et capitalisme, etc. Sont alors considérés comme présentant un profil de droite ou un profil de gauche les parents qui cumulent un certain nombre de réponses «de droite» ou «de gauche».

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Vincent Tournier

Cette interprétation ne résiste cependant guère à l'examen sitôt que l'on fait intervenir les profils idéologiques des lycéens, c'est-à-dire des indicateurs mesurant leur adhésion à des opinions caractéristiques de la droite ou de la gauche. Lorsque les deux parents ont un profil de gauche, 50 % des lycéens présentent à leur tour un profil de gauche dans le public, contre seulement 16 % dans le privé; mais 13 % ont un profil de droite dans le public, contre 33 % dans le privé. De même, lorsque les deux parents ont un profil de droite, 42 % des lycéens ont un profil de droite dans le public contre 64 % dans le privé, alors que dans le même temps la proportion de lycéens qui ont un profil de gauche est multipliée par deux entre le privé et le public (8 à 15 %).

Bref, quels que soient les indicateurs utilisés, qu'il s'agisse des positionnements sur l'échelle gauche-droite ou des profils idéologiques construits à partir d'une batterie d'indicateurs, les résultats vont toujours dans le même sens: ils montrent que le type de scolarisation s'accompagne de réaménagements politiques assez considérables.

ORIENTATION SCOLAIRE ET CARACTÉRISTIQUES DES PARENTS

Mais peut-on attribuer à la seule scolarité les différences que l'on vient d'observer entre les parents et les lycéens? On songe évidemment à une autre interprétation : les parents de gauche qui scolarisent dans le privé, comme les parents de droite qui scolarisent dans le public, sont peut-être dotés de caractéristiques particulières, que celles-ci soient sociales, politiques ou religieuses, qui sont elles-mêmes davantage en mesure d'expliquer les évolutions constatées. Cette remarque nous ramène à un problème que nous avons soulevé plus haut. Il s'agit au fond de s'interroger, par une banale mais nécessaire opération de contrôle des facteurs, sur les différentes logiques qui peuvent organiser les choix scolaires de parents présentant des orientations politiques identiques.

Commençons par les caractéristiques socio-culturelles. Pour une orientation politique donnée, on constate que le choix de l'école reflète effective-

Tableau 12. Groupe socio-professionnel et diplôme des parents en fonction de leur orientation politique et de la scolarisation (lecture en ligne)

Les 2

Les 2

Source

parents ont Public Privé

parents ont Public Privé

: Enquête

Groupe socio-professionnel des pères

Agric. ACC

un profil de gauche 6

4 6 un profil de droite

21 4 24

Cadres

30 26

19 43

lycéens/parents, Isère, 1992

Prof. int.

33 18

33 14

Empl.

11 13

14 6

Ouvriers

20 33

13 9

% parents bac et +

Pères

49 31

33 55

Mères

47 43

27 53

N

161 55

79 143

580

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École publique, école privée

ment des univers sociaux assez différents (tableau 12). Les parents de gauche qui scolarisent dans le privé appartiennent moins souvent aux catégories moyennes ou supérieures de la société (les cadres et les professions intermédiaires) et ils sont moins diplômés que les parents de gauche qui scolarisent dans le public. Les différences sont aussi très sensibles chez les parents de droite qui scolarisent dans le public : eux aussi occupent moins souvent les positions de cadres et sont plus souvent issus des catégories moyennes ou populaires ; et leur niveau de diplôme est également très inférieur à celui des parents de droite qui ont recours au secteur privé.

En ce qui concerne les caractéristiques politiques, une vérification du même type peut tout d'abord être effectuée sur trois séries de variables: la politisation, la compétence politique et la fréquence des discussions politiques avec les enfants (tableau 13). Les deux premières informations sont fournies directement par les parents (considérés comme «politisés» s'ils déclarent s'intéresser beaucoup et assez à la politique, et comme «incompétents» s'ils cumulent plus de six non-réponses à une liste de quatorze mots sur lesquels ils étaient invités à émettre un jugement positif ou négatif). Pour la fréquence des discussions politiques, information fournie cette fois- ci par les lycéens, trois types de situations ont été distinguées selon le nombre de parents avec lesquels les lycéens discutent souvent ou quelquefois : les deux, un seul ou aucun.

Tableau 13. Différents indicateurs de rapport à la politique en fonction de l'orientation politique des parents et de la scolarisation (lecture en ligne)

% parents qui s'intéressent à la politique

Discussions politiques avec les parents

Compétence politique

des parents

Pères Mères Les deux Un seul Aucun Pères Mères yv Les 2 parents ont un profil de gauche

Public 74 49 34 23 43 Privé 56 40 34 13 53

9 11

3 4

161 55

79 143

Les 2 parents ont un profil de droite Public 57 34 23 13 64 3 Privé 66 48 39 21 40 2

Source : Enquête lycéens/parents, Isère, 1992.

Si la compétence politique ne se présente pas comme un critère discriminant, il n'en va pas de même avec la politisation et la fréquence des discussions. Les parents de gauche qui ont recours au privé sont moins nombreux à s'intéresser à la politique que ceux qui ont recours au public (notamment les pères), et ils sont un peu moins nombreux à avoir des discussions politiques avec leurs enfants. Les parents de droite qui ont recours au public se trouvent dans une situation très similaire: ils ont un degré de politisation bien plus faible que ceux qui ont recours au privé (notamment les mères), et ils discutent moins souvent avec leurs enfants sur des sujets politiques. Pour un même profil idéologique, le choix de la scolarisation reflète donc bel et bien des divergences assez sensibles dans la façon d'appréhender l'univers politique.

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Vincent Tournier

Mais des différences politiques peuvent également exister au niveau des systèmes idéologiques des parents. Jusqu'à présent nous avons en effet opposé la gauche et la droite comme s'il s'agissait de deux entités homogènes et clairement circonscrites. Or on peut très bien imaginer que les parents de gauche qui scolarisent dans le privé n'ont pas tout à fait les mêmes idées que les parents de gauche qu scolarisent dans le public, de même que les parents de droite qui scolarisent dans le public n'auront pas exactement les mêmes opinions que ceux qui ont recours au secteur privé.

Tableau 14. Préférences politiques des parents en fonction de leur profil idéologique et de la scolarisation des lycéens (lecture en ligne)

Socialisme Laïcité (jugement (jugement positif) positif)

Rétablir la peine de mort

(pas d 'accord)

Fier d'être Français

(pas d'accord)

Trop d'immigrés (d'accord)

Pères Mères Les 2 parents ont

Public 78 Privé 60

Source : Enquête

un profil de 73 56

Pères ; gauche

83 60

Mères Pères

83 65 53 44

lycéens/parents, Isère, 1992.

Mères

71 53

Pères

24 11

Mères

27 13

Pères

35 69

Mères

36 62

N

161 55

Privatisation (jugement positif)

Laïcité (jugement négatif)

Grève (jugement négatif)

Rétablir la peine de mort

(d 'accord)

Trop d'immigrés (d'accord)

Pères Mères Les 2 parents ont

Public 72 Privé 82

Source : Enquête

un profil ck 56 76

Pères : droite

14 38

lycéens/parents,

Mères Pères

11 66 36 73

Isère, 1992.

Mères

58 78

Pères

72 68

Mères

72 65

Pères

94 90

Mères

87 88

yv

79 143

Cette hypothèse n'est nullement infondée (tableau 14). Même si l'on observe rarement de véritables inversions de tendances, il est indéniable que les parents de gauche qui scolarisent dans le privé sont moins nombreux à juger positivement les mots «socialisme» ou «laïcité»; ils sont aussi moins nombreux à désapprouver la peine de mort, à estimer qu'il faut «être fier d'être Français» et, surtout, à penser qu'il y a «trop d'immigrés en France». Quant aux parents de droite qui scolarisent dans le public, ils sont moins nombreux à juger positivement le mot «privatisation» (notamment les mères); mais ils désapprouvent moins souvent les mots «grève» et «laïcité».

Le type de scolarisation peut donc refléter un certain brouillage des clivages entre la droite et la gauche, c'est-à-dire une différence de «contenu» dans les orientations politiques des parents. En ce sens, le choix de scolariser dans le public ou dans le privé est bien lié à un système de valeurs

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École publique, école privée

assez complexe, qui s'accompagne de combinaisons originales par rapport aux grandes tendances que sont la droite et la gauche. Il faut cependant souligner que les différences dans les «contenus» idéologiques ne sont pas systématiques. On voit par exemple que, pour les parents de droite, il n'y a pas de différences sur l'hostilité aux immigrés ou la peine de mort. Cela est également vrai pour d'autres items qui ne figurent pas dans le tableau car nous n'avons retenu ici que les plus significatifs.

Tableau 15. Rapport à la religion des parents et des lycéens en fonction de l'orientation politique des parents et de la scolarisation (lecture en ligne)

Les 2 Public Privé Les 2 Public Privé

Religion des pères

cathol. pratiq.

parents ont ur 20 39

parents ont ur 31 58

DieuU)

i profil de 42 71

i profil de 60 67

Religion des mères

cathol. pratiq. gauche

29 61

droite 51 66

51 80

73 81

1 cathol. pratiq.

20 28

33 50

Dieu

35 47

52 63

Religion des lycéens

<|J catéch.

40 68

63 77

assoc. relig.(2)

25 29

35 46

discussion '

30 33

18 43

N

N

161 55

79 143

Source : Enquête lycéens/parents, Isère, 1992. (1) % qui jugent «certaine» ou «probable» l'existence de Dieu. (2) % de lycéens qui ont fait ou qui font partie d'une association religieuse. (3) % de lycéens qui discutent souvent ou quelquefois de religion avec au moins un parent.

Reste enfin la question des caractéristiques religieuses. Là encore, une analyse plus détaillée montre que, pour un profil idéologique donné, le choix de l'école correspond effectivement à des différences assez sensibles (tableau 15). Les parents de gauche qui ont recours au privé sont plus proches de la religion catholique que ceux qui ont recours au public : ils pratiquent davantage et croient plus souvent en Dieu. Pour les parents de droite, la scolarisation dans le public marque un certain détachement à l'égard de la religion catholique, moins peut-être dans le domaine des croyances que dans celui des pratiques. Ces différences se retrouvent assez bien chez les lycéens: pour une même «origine politique», les élèves du privé sont toujours plus proches de la religion catholique que ceux du public sur la plupart des indicateurs dont nous disposons ici (pratiques, croyances, catéchisme, engagement associatif ou fréquence des discussions religieuses).

Au total, il est donc vrai que, pour une orientation politique donnée, les trajectoires scolaires des enfants renvoient à des univers sociaux, politiques ou religieux plus ou moins différenciés. De ce point de vue, le contrôle des facteurs s'est avéré riche d'enseignements: il montre que ce ne sont effectivement pas n'importe quels parents de gauche qui ont recours au secteur privé, ni n'importe quels parents de droite qui ont recours au secteur public.

Mais quel sens faut-il donner à ces résultats ? Nous ne pensons pas qu'ils remettent en cause le rôle spécifique de la scolarité dans le processus

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Vincent Tournier

de socialisation politique, ne serait-ce que parce qu'aucun des éléments que l'on vient d'examiner n'est en mesure d'expliquer les brusques évolutions que l'on a pu constater. Cependant, ils permettent de mieux éclairer les effets croisés de l'école et de la famille dans le processus de la socialisation politique. Les lycéens dont les parents sont de gauche et qui sont scolarisés dans le privé, comme les lycéens dont les parents sont de droite et qui sont scolarisés dans le public, présentent au fond un certain nombre de caractéristiques qui constituent autant de prédispositions favorables à d'éventuels changements politiques : ils sont issus de milieux moins aisés, moins diplômés et moins politisés, et les discussions politiques occupent chez eux une place moins importante. En outre, ils se voient proposer par leurs parents un système idéologique qui articule différemment les opinons de gauche et de droite. Enfin leurs préférences religieuses constituent un terrain propice aux recompositions, pour les uns parce qu'ils sont moins intégrés à l'univers du catholicisme, pour les autres parce qu'ils le sont davantage. Bref, ils correspondent à des populations qui sont assez bien prédisposées à une éventuelle recomposition des orientations politiques de leurs parents.

L'école peut-elle être considérée comme un lieu de socialisation politique? Les résultats que nous avons présentés ne permettent pas de répondre à cette question de façon définitive, loin s'en faut. Il faut en effet insister sur les limites de nos données : non seulement les effectifs dont nous disposons sont souvent apparus assez faibles pour mener à bien une analyse mul- ti variée, mais de plus nous manquons d'informations sur les parcours scolaires eux-mêmes. En particulier, nous ne savons pas depuis combien d'années - ou pour combien d'années - les lycéens se trouvent dans l'enseignement privé, information qui peut être considérée ici comme capitale. De plus, nous ne sommes pas en mesure d'écarter totalement l'hypothèse selon laquelle les différences qui accompagnent la scolarisation sont le reflet des préférences idéologiques des parents. Dans ces conditions, prétendre tirer une véritable conclusion d'une telle analyse serait largement prématuré.

Pour autant, nous pensons avoir mis en évidence un certain nombre d'éléments empiriques suffisamment convergents pour autoriser à se demander si le rôle de l'école dans le processus de socialisation politique n'a pas été sous-estimé. Après tout, si nos résultats ne permettent pas de tirer de conclusions définitives, ils ne permettent pas non plus d'infirmer l'hypothèse selon laquelle l'école peut exercer une certaine influence. S'il venait notamment à se confirmer que l'école est en mesure de provoquer une inversion des tendances politiques entre les parents et les lycéens, a fortiori lorsque les parents présentent tous les deux des profils idéologiques très marqués à droite ou à gauche, il deviendrait alors nécessaire de s'interroger plus en profondeur sur la participation de l'école à la construction des identités politiques des adolescents.

Mais, au fond, quelle peut être la nature de l'influence de l'école? S'il n'est pas dans notre intention de proposer une théorie explicative, nous voudrions du moins esquisser quelques hypothèses ou pistes de réflexion possibles. La première piste, la plus immédiate, mais sans doute aussi la plus

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École publique, école privée

simpliste, renvoie aux enseignants eux-mêmes. L'explication est en effet incontournable: souligner le rôle politique de l'école, c'est laisser entendre que les enseignants, volontairement ou non, sont en mesure de modifier les opinions politiques des adolescents en leur proposant un discours qui ne correspond pas à celui de leurs parents.

Cette hypothèse de l'influence directe des enseignants n'a jamais fait l'objet d'une analyse spécifique en France. Est-elle pourtant aussi absurde qu'il y paraît? Le manque de données se fait ici cruellement sentir, mais les rares informations dont on dispose donnent déjà des résultats qui méritent quelque attention. Un sondage réalisé par Louis-Harris entre le 15 novembre 1983 et le 15 janvier 1984 auprès de 957 enseignants du public et du privé montre en effet qu'il existe un clivage politique majeur entre les enseignants du public et ceux du privé '. Dans le secteur public, 61 % des enseignants se classent à gauche, contre seulement 13 % à droite; en revanche, dans le secteur privé, 36 % des enseignants se classent à droite et seulement 26 % h gauche. Les différences religieuses sont tout aussi importantes puisque 38 % des enseignants du public se disent sans religion, contre seulement 21 % des enseignants du privé2. Ajoutons que les différences de politisation sont aussi très sensibles : 78 % des enseignants du public disent s'intéresser à la politique, contre seulement 53 % des enseignants du privé.

Si l'hypothèse d'une influence directe des enseignants ne peut donc pas être totalement exclue, nous pensons toutefois qu'elle reste très insuffisante. Dans les critiques qu'il adressait à A. Siegfried, Paul Bois se disait déjà très sceptique sur l'idée que les instituteurs sont capables d'exercer un pouvoir total sur les enfants, car on peut se demander si «l'action, même vigoureuse, exercée à l'école sur des enfants de 6 à 13 ans est assez profonde pour durer toute la vie»3. Cette remarque nous semble toujours d'actualité: il serait effectivement assez naïf d'accorder un trop grand pouvoir aux enseignants, ne serait-ce qu'en raison de la faiblesse des discussions politiques que les lycéens déclarent avoir avec eux4.

1. Ce sondage est disponible à la Banque de données socio-politiques du CIDSP (Centre d'informatisation des données socio-politiques). Il a été utilisé par une équipe de chercheurs effectuant un travail sur la FEN (V. Aubert, A. Bergounioux, J.-P. Martin, R. Mouriaux, La forteresse enseignante..., op. cit., notamment p. 249 et 291). On doit cependant signaler que, lors de l'exploitation du sondage, les auteurs n'ont pas distingué les enseignants du public et ceux du privé.

2. Ce chiffre de 21 % nuance aussi l'idée que tous les enseignants du privé sont catholiques pratiquants. En fait, dans le privé, seulement 56 % des enseignants sont catholiques pratiquants, contre 34 % dans le public. Ces données confirment donc une certaine « décléricalisation » du corps enseignant du secteur privé, mais ils ne confirment certainement pas le chiffre avancé par J. Georgel et A. -M. Thorel, qui ont été jusqu'à parler de 97 % de laïcs chez les enseignants du privé (L'enseignement privé en France..., op. cit., p. 92).

3. P. Bois, «Dans l'Ouest: politique et enseignement primaire», Annales ESC, 1, 1954, p. 358.

4. 23 % des lycéens ont déclaré avoir souvent ou quelquefois des discussions politiques avec leurs enseignants. Ce chiffre n'est pas négligeable, mais il se situe assez loin derrière les discussions avec les pères (39 %), avec les copains-copines (42 %), voire avec les mères (30 %). De plus, au moment des élections législatives de 1993, la fréquence des discussions augmente très fortement avec les parents (on passe à 59 % avec les pères, à 55 % avec les mères) ; elle reste stable avec les copains-copines (40 %) et diminue avec les enseignants (14 %).

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Vincent Tournier

En fait, il nous semble que l'analyse des effets politiques de l'école aurait beaucoup à gagner si elle se tournait vers les problématiques récemment proposées par les sociologues de l'éducation. Délaissant une tendance longtemps en vigueur, qui a consisté à voir dans l'école un simple agent fonctionnel de la reproduction sociale, la sociologie de l'éducation manifeste depuis plusieurs années le souci de mieux cerner les processus concrets de la sélection scolaire. Elle entend pour cela «entrer dans les établissements et dans les classes», mettre en évidence «les situations, les interactions, les processus», bref «ouvrir la "boîte noire" et aller voir au niveau des interactions élémentaires comment tout ceci se fabrique»1. C'est dans ce cadre qu'un nouvel objet d'investigation est apparu: «l'effet établissement»2. Par cette expression, les sociologues de l'éducation, inspirés par les approches interactionnistes, ont affiché leur volonté d'étudier la vie scolaire au quotidien et, surtout, de prendre davantage en compte la diversité des parcours au sein d'institutions scolaires structurellement équivalentes. L'école n'est plus alors perçue «comme un système monolithique agissant aveuglément de la même manière partout et au même moment » ; elle devient « une organisation qui possède un style particulier, des modes de relations sociales spécifiques et une capacité de mobilisation de ses acteurs et de ses ressources qui lui est propre»3.

Cette perspective n'est sans doute pas très nouvelle: d'une certaine façon, Emile Durkheim l'avait déjà évoquée lorsqu'il proposait de s'interroger sur «l'influence générale du milieu scolaire», sur le rôle de l'école dans l'apprentissage du. «goût de la vie en commun», voire de «l'habitude d'agir et de penser en commun»4. Elle n'en reste pas moins particulièrement intéressante pour poser le problème de la socialisation politique à l'école. La transposition au domaine politique est alors assez simple: il suffit de considérer que les facteurs politiques ou religieux sont à leur tour susceptibles de participer à la définition du contexte scolaire5, ce qui est

1. M. Duru-Bellat, A. Henriot-van Zanten, Sociologie de l'école, Paris, Armand Colin, 1992 (coll. «U»), p. 73-78.

2. O. Cousin, «L'effet établissement. Construction d'une problématique», Revue française de sociologie, 34, 1993, p. 395-419; J.-L. Derouet, «Une sociologie des ét

ablissements scolaires: les difficultés de construction d'un nouvel objet scientifique», dans J. Hassenforder (dir.), Sociologie de l'éducation: dix ans de recherches, Paris, INRP-L'Harmattan, 1990.

3. O. Cousin, «L'effet établissement...», art. cité, p. 395. 4. É. Durkheim, L'éducation morale, leçons prononcées à la Sorbonne en 1902-

1903, Paris, PUF, 1992 (coll. «Quadrige»), p. 195-197. Avant d'entrer à l'école, soulignait par ailleurs É. Durkheim, l'enfant ne connaît que «deux sortes de groupes»: la famille et le groupe des amis. Dans le premier groupe, la solidarité résulte des rapports de consanguinité; dans le second, les relations se nouent par libre sélection. Or la «société politique ne présente ni l'un ni l'autre de ces caractères». Il se crée ainsi une «grande distance entre l'état moral où se trouve l'enfant au sortir de la famille et celui où il faut le faire parvenir». Pour combler cette distance, des intermédiaires sont donc nécessaires. Le milieu scolaire est précisément «le meilleur que l'on puisse désirer» car «l'habitude de la vie commune dans la classe, l'attachement à cette classe, et même à l'école dont la classe n'est qu'une partie, constituent une préparation toute naturelle aux sentiments plus élevés que nous voulons provoquer chez l'enfant».

5. Pour être juste, indiquons que cette problématique avait été esquissée par Françoise Bonnal et Daniel Boy à la fin des années 1970, lorsque ceux-ci avaient formulé l'hypothèse que «le "degré de politisation" des différents établissements [est] extrêmement variable; il est probable que des mots comme "manifestation" ou "revendication" ne prennent pas le même sens dans un lycée parisien et un CES de campagne» (dans A. Percheron et al., Les 10-16 ans et la politique, op. cit., p. 133).

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École publique, école privée

justement le cas de l'enseignement privé et de l'enseignement public. Car la persistance des clivages idéologiques dans le choix de l'école a une conséquence importante, que l'on a pu observer à travers cette enquête: elle conduit à créer des parcours scolaires très différenciés au plan politique comme au plan religieux. Même s'il ne faut pas généraliser, il est clair que le secteur privé scolarise une proportion plus importante d'adolescents de confession catholique et orientés à droite, et le secteur public une proportion plus importante d'adolescents irréligieux et orientés à gauche.

Notre hypothèse est alors que c'est par l'intermédiaire de ces contextes scolaires - bien plus que par une influence des enseignants, même si ces deux facteurs sont susceptibles de se renforcer mutuellement — que l'école est amenée à participer au processus de socialisation politique. En ce sens, la socialisation politique à l'école se rapproche de la socialisation par le «groupe des pairs». L'école est au fond l'un des lieux privilégiés de l'adolescence où s'expriment, s'échangent, se développent des argumentaires politiques. Simplement, cette découverte du débat politique ne s'effectuera pas dans les mêmes conditions selon le type d'école. Compte tenu de ce que nous avons pu observer dans cette étude, on peut même dire que les «deux écoles» se présentent à l'observateur comme une sorte de dispositif expérimental idéal pour étudier les effets politiques de la scolarisation dans deux contextes très différents.

Sans doute cette socialisation par l'école - ou à l'école - atteint-elle son efficacité maximale lorsqu'elle entre en congruence avec les choix des parents. Mais nous avons vu que, en cas de discordance, sa capacité d'action semble supérieure à celle des parents. Ce résultat incite d'ailleurs à se demander s'il ne faut pas revisiter le schéma qui conçoit la socialisation par les parents comme une étape nécessairement antérieure à la socialisation par l'école. Et si la socialisation politique ne commençait véritablement qu'à l'école? Il n'est en effet pas absurde d'imaginer que, pour beaucoup d'adolescents, et plus encore pour ceux qui sont issus de milieux peu politisés et peu «idéologisés», c'est la confrontation avec les pairs qui suscite un besoin de socialisation politique, peut-être par simple nécessité, pour affirmer sa propre identité face à ses camarades.

Mais cette hypothèse sur l'influence du contexte scolaire ne signifie pas que l'école se présente comme un agent déterminant de la socialisation politique, comme une sorte de matrice des opinions et des comportements dans laquelle viendraient directement se couler les adolescents. Nous l'avons vu, tous les élèves du privé ne sont pas à droite, et tous les élèves du public ne sont pas à gauche. Qui plus est, les limites de la socialisation politique par l'école sont les mêmes que celles que rencontre la socialisation par les parents: la place de l'enfance ou de l'adolescence, dont les premières études de socialisation politique ont sans doute exagéré l'importance. Certes, on sait que «l'innocence politique» des enfants est un leurre1 car «il est clair aujourd'hui que les jeunes enfants sont nettement plus sensibles aux stimuli et aux symboles politiques qu'on l'a longtemps cru»2. Reste que la

1. A. Percheron et al., Les 10-16 ans et la politique, op. cit., p. 1 1-35. 2. D.D. Searing, J.J. Schwartz, A.E. Lind, «The Structuring Principle: Political

Socialization and Beliefs Systems», American Political Science Review, 67 (1), 1973, p. 431.

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socialisation politique est un phénomène qui s'inscrit «dans la durée de la vie entière»1. Et les opinions forgées à l'école devront encore subir l'épreuve de la vie active et de la conjoncture politique. Le lycéen n'est pas encore électeur, et l'électeur n'est plus lycéen*.

Vincent Tournier est attaché temporaire d'enseignement et de recherche à l'Institut d'études politiques de Grenoble, et membre du Centre d'informatisation des données socio-politiques. Il prépare actuellement une thèse de science politique sur la socialisation politique et la transmission des opinions entre parents et enfants (CIDSP. Institut d'études politiques de Grenoble, 1030 avenue centrale, Domaine universitaire, BP 45. 38402 Saint- Martin d'Hères Cedex).

RÉSUMÉ/ABSTRACT

ÉCOLE PUBLIQUE, ÉCOLE PRIVÉE : LE CLIVAGE OUBLIÉ. Le rôle des facteurs politiques et religieux dans le choix de l'école et les effets du contexte scolaire sur la socialisation politique des lycéens français A partir d'une enquête par questionnaires réalisée dans la région grenobloise auprès de 1 400 lycéens (public et privé) et de leurs parents, cette étude propose de montrer que non seulement les facteurs politiques et religieux continuent de jouer un rôle très important clans l'orientation scolaire des lycéens, mais aussi que If type d'école choisie par les parents est vraisemblablement en mesure d'influencer les préférences politiques des lycéens. On interprétera cette influence à la lumière d'une problématique qui, prenant appui sur les récents développements de la sociologie de l'éducation, met en avant le rôle du contexte scolaire et du groupe des pairs dans le processus de la socialisation politique.

PUBLIC SCHOOL. PRIX ATE SCHOOL : THE FORGOTTEN CLEAVAGE. The Role of Political and Religious Factors in Educational Choice and the Effect of Educational Context on the Political Socialization of French High School Students Based on a questionnaire survey of 1,400 public and private high school students and their parents in the Grenoble area, this study seeks to show that political and religious factors continue to play a very important role in the students' choice of educational orientation, and also that the type of school chosen by parents is likely to influence the students' political preferences. School influence should be interpreted in the light of a problematic that emphasizes the role of the educational context and peer groups in political socialization, based on recent developments in educational sociology.

1. A. Percheron, «La socialisation politique...», cité, p. 165. * Je remercie Pierre Bréchon et la direction de la revue pour leurs conseils lors de

la préparation de ce texte.

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