VIE DE PROCLUS
VIE DE PROCLUS
PAR
MARINUS DE NEAPOLIS.
PROCLUS OU DU BONHEUR
1. Si j'avais considr le grand esprit et tout ce qui fait la
haute valeur du philosophe Proclus, notre contemporain, les
documents que doivent avoir prpars et les qualits oratoires que
doivent possder ceux qui se proposent d'crire la vie d'un tel
homme, et si j'avais ensuite regard ma propre insuffisance dans la
pratique de l'loquence, j'aurais, je crois, eu raison de me tenir
tranquille, de ne pas, comme dit le proverbe, sauter le foss et de
ne pas me lancer dans cette uvre prilleuse. Mais ce n'est pas sur
ces exigences que je me suis mesur : et j'ai rflchi que, mme dans
les sacrifices, ceux qui se prsentent aux autels ne font pas tous
des offrandes d'un prix gal, mais que les uns par le sacrifice de
taureaux, ou de chvres ou d'autres victimes semblables s'efforcent
de se montrer digne de participer aux dieux dont ils abordent les
autels, et mme leur composent avec art des hymnes tantt en vers,
tantt en prose, tandis que les autres n'ayant rien de semblable
offrir, ne prsentent en sacrifice qu'un gteau, ou quelques grains
d'encens et, n'adressant aux dieux qu'une courte invocation, n'en
sont pas moins favorablement entendus : m par ces rflexions et de
plus craignant, selon le mot d'Ibycus, non pas de manquer aux Dieux
car ce sont ses propres termes, mais de manquer ce grand sage, pour
m'assurer, par mon attitude, les loges du monde (j'ai craint en
effet que ce ne soit pas un acte de pit de me taire, moi seul,
parmi ses amis, et d'omettre de raconter sur lui la vrit, dans la
mesure de mes forces, quand c'est a moi sans doute surtout
qu'incombe le devoir de parler) ; et peut-tre mme auprs des hommes,
je n'obtiendrais pas cet honneur (car ils ne croiraient
probablement: pas que c'est pour viter l'ostentation, mais par une
certaine paresse d'esprit, ou mme par quelque dfaut d'me plus grave
encore que je me suis drob celte entreprise); par toutes ces
raisons, j'ai estim que c'tait pour moi une obligation le rapporter
par crit quelques-unes des hautes et si nombreuses qualits dont le
philosophe a fait preuve dans sa vie, et de les rapporter dans
toute leur vrit.
2. Je ne commencerai pas comme le l'ont la plupart des crivains,
qui divisent mthodiquement leur matire en chapitres se succdant en
ordre rgulier: je prendrai pour le fondement le plus convenable de
ce discours, le bonheur dont a joui cet homme vritablement
bienheureux. Car je crois qu'il a t le plus heureux de tous les
hommes dont on ait clbr, dans une longue suite de sicles, la
flicit, je ne dis pas seulement le plus heureux du bonheur qui est
le partage des sages, quoi que celui-l aussi, il l'ait possd
pleinement, ni parce qu'il a eu tous les avantages physiques qui
permettent de jouir de la vie, ni non plus sous le rapport de la
fortune, o la plupart mettent leur bonheur, quoique sous ce rapport
le hasard l'et trs favoris, et plus qu'aucun autre (car tous les
biens qu'on appelle extrieurs lui furent prodigus avec largesse),
je veux parler d'un bonheur complet et parfait, auquel rien
absolument ne manqua, et qui runit les doux conditions de la
flicit.
3. D'abord si nous divisions par genres les vertus, en vertus
physiques, morales et politiques, et au-dessus de celles-ci les
vertus purificatives et thortiques, et celle qu'on appelle du nom
de thurgiques, sans parler de celles qui sont d'un ordre encore
plus lev et qui dpassent, la condition de l'humanit, nous
commencerons par celles qui ont un caractre plutt physique, et que
nous possdons ds la naissance et qui naissent avec nous. Cet homme
que nous appelons heureux, les a eues toutes naturellement ds son
origine : ce qui se voyait manifestement dans cette enveloppe
extrieure que nous portons comme l'hutre sa coquille -: d'abord une
extrme dlicatesse des sens, qu'on peul appeler la prudence
corporelle, surtout des plus nobles de nos sens, la vue et l'oue,
qui ont t donnes par les dieux aux hommes pour qu'il puissent se
livrer la philosophie, et goter les douceurs du bien tre : notre
philosophe les a conservs intacts pendant toute sa vie; ensuite une
constitution corporelle trs robuste, qui rsistait aux grandes
chaleurs comme aux grands froids, et n'tait altre ni par un mauvais
rgime de vie. ni par la ngligence de l'alimentation, ni par les
excs de travail auxquels il se livrait la nuit comme le jour, tantt
plong dans les prires, tantt compulsant les livres de science,
tantt crivant, tantt s'entretenant familirement avec ses amis, et
tout cela avec une application aussi soutenue, que s'il n'tait
occup que d'une seule chose. Une telle puissance pourrait tre
justement appele vaillance de corps. La troisime qualit corporelle
qu'il possdait, est celle qu'on peut comparer la temprance, il
laquelle on rapporte avec raison la beaut corporelle : car de mme
que la premire consiste dans l'accord et la convenance entre elles
des facults de l'me, de mme l'autre, la beaut du corps. se laisse
voir dans une certaine symtrie de ses parties organiques. Il tait
d'un aspect extrmement agrable; car non seulement il avait la beaut
des justes proportions, mais il manait de son me je ne sais quelle
lumire vivante, une sorte de fleur merveilleuse qui rayonnait sur
son corps et qu'il est absolument impossible de dcrire par la
parole. Il tait tellement beau qu'aucun peintre n'a pu saisir sa
ressemblance, et que, tous les portraits qui circulent de lui,
quoique eux mmes trs beaux, il manque encore beaucoup de traits
pour reprsenter sa personne dans toute la vrit. La quatrime vertu
corporelle dont il tait dou est la sant, qu'on compare
habituellement la justice dans l'me ; car elle est dans le corps
une sorte de justice, analogue celle qui est dans l'me ; la justice
n'est pas autre chose, en effet, qu'une sorte d'habitude, , qui
empche les bouleversements des parties de l'me, et ce qui opre
l'ordre et le concert mutuel entre les lments sordonns du corps:
c'est l ce que les Asclpiades nomment la sant : elle tait des son
berceau si profondment enracine en lui. qu'il put dire lui-mme
combien de fois il tait tomb malade, c'est dire seulement deux ou
trois fois dans le cours d'une longue vie d'une dure de soixante
quinze ans accomplis ; et une preuve clatante de ce fait et dont je
peux moi-mme porter tmoignage c'est que dans sa dernire maladie, il
ne distinguait pas quelle tait la nature de ses souffrances, parce
qu'il ne les avait pas de longtemps prouves,
4. Et quoique ce soient l des avantages purement corporels, on
pourrait dire qu'ils taient les prodromes des espces particulires
dans lesquelles nous divisons la vertu. Les premiers biens de l'me
qui taient comme ns avec lui et qu'il n'avait pas eu besoin
d'apprendre, et ce sont pourtant l ces parties de la vertu qui,
d'aprs Platon, sont les lments d'une nature philosophique; on est
tonn de voir quel haut degr il les possdait. Car il tait dou d'une
grande mmoire, d'une intelligence ouverte toutes les tudes; il tait
libral, d'un abord plein de grce, amant et pour ainsi dire frre de
la vrit, de la justice, du courage et de la temprance. Jamais
volontairement il ne dit un mensonge : il en avait une extrme
horreur, et ne chrissait rien tant que la sincrit et la vracit. Et
en effet, il fallait bien que celui qui devait atteindre l'tre
vrai, ft, ds sa jeunesse, passionn pour la vrit; car la vrit est le
principe de tous les biens, chez les dieux comme chez les hommes .
Qu'il avait un profond mpris pour les plaisirs des sens, et qu'il
tait ami surtout de la temprance, il suffit d'en apporter une seule
preuve, c'est son ardeur extrme et son penchant tout puissant pour
les sciences et pour tous les genres de sciences, qui ne permettent
pas mme de commencer a natre aux plaisirs de la vie grossire et
animale, et souvent ont, au contraire, la force d'imprimer en nous
les joies pures et sans mlange de l'me. On ne saurait dire combien
il tait loign de l'amour du gain, ce point que ds son enfance, il
ngligea le soin de la fortune que lui avaient laisse ses parents,
qui taient fort riches, par suite de son amour passionn pour la
philosophie. Aussi tait il absolument tranger la ladrerie et tous
les sentiments de bas tage, son me tant toujours porte vers
l'universel et le tout, soit dans Tordre divin, soit dans l'ordre
humain. De cet tat d'esprit tait ne une hauteur d'me qui lui
faisait voir le nant de la vie humaine, et l'empchait de considrer,
comme les autres, la mort avec effroi. Il n'prouvait aucune crainte
de toutes les choses qui paraissent aux hommes si terribles, et
cela par une disposition naturelle, laquelle on ne peut donner le
nom d'aucune autre vertu que la vertu du courage. De tout cela, il
rsulte videmment, mme pour ceux qui n'ont pas connu par exprience
la noblesse de cette nature, combien ds sa jeunesse il aima la
justice : il fut juste et doux ; jamais chagrin dans les relations
ni difficile dans le commerce do la vie, en un mot jamais injuste :
puisqu'un contraire son caractre s'est montr nous plein de bonne
grce, tranger l'avarice, la ladrerie, l'arrogance comme la
timidit.
5. Il n'est pas hors de propos de rappeler ceux surtout qui ne
l'ont pas vu et entendu, combien son esprit tait ouvert, et son
intelligence fconde, combien de connaissances et des plus nobles il
possdait fond, combien d'ides nouvelles il a produites et mises au
grand jour, et que seul il semblait n'avoir jamais bu la boisson de
l'oubli. Sa puissante mmoire n'prouvait jamais de trouble ; il
n'tait pas sujet ses dfaillances, tait toujours en possession de
lui-mme et de sa pense, et n'avait pas d'autre affaire que la
science. Son naturel tait trs oppos la rudesse et l'humeur
discourtoise: son got le portait naturellement vers le meilleur en
toutes choses, et par sa politesse et son affabilit dans les
runions mondaines comme dans les banquets religieux et dans tous
les actes de sa vie, sans rien perdre de sa dignit, il captivait
toujours les assistants, toujours en meilleure disposition d'me
quand ils le quittaient.
6. Voil les qualits physiques et d'autres encore de mme nature
qu'apporta, en naissant, celui que Marcella, sa mre, pouse lgitime
de Patricius, donna son mari. Ils taient tous deux de Lycie, de
noble origine et de grande vertu. Il fut reu sa naissance par la
Desse Poliouchos de Byzance, qui assista pour ainsi dire sa mre
dans ses couches : c'est elle qui, ce moment-l fut cause qu'il
vcut, puisqu'il naquit dans la ville qu'elle protge et sauve, et
qui, plus tard, lorsqu'il parvint l'enfance et la jeunesse, fut
cause qu'il vcut bien : car elle lui apparut en songe pour
l'exhorter la philosophie. C'est de l, je pense, qu'il contracta
une si grande intimit avec la Desse, que c'est elle surtout qu'il
sacrifiait et que ce sont ses prceptes qu'il pratiquait avec le
plus grand enthousiasme. Quelque temps aprs sa naissance, ses
parents remmnent dans leur propre patrie, Xanthus, ville consacre a
Apollon, et qui devint la sienne lui mme, par un effet, pour ainsi
dire divin, du sort. Car j'imagine qu'il fallait que l'homme qui
devait tre le prince de toutes les sciences, fut lev et nourri sous
les yeux du Dieu Musagte. L'ducation excellente qu'il reut l, lui
permit, d'acqurir les vertus morales, de s'habituer aimer ce que le
devoir commande de faire, et se dtourner de ce qui n'est pas
tel.
7. A ce moment l, la grande faveur des Dieux dont il jouissait
ds sa naissance, se manifesta clairement. Car un jour qu'il
souffrait d'une maladie grave et qu'on le croyait perdu, un enfant
apparut au dessus de son lit, qui semblait tre un jeune garon et
d'une parfaite beaut, en qui il tait facile de reconnatre
Tlesphoros, avant mme qu'il et dit son nom. Cependant aprs avoir
dit qui il tait, et quel tait son nom, ayant touch la tte du jeune
malade (car il se tenait auprs de lui et s'appuyait sur son
oreiller) il le gurit subitement de sa maladie, et en mme temps
disparut ses yeux. Ce miracle divin tmoigna ainsi dj del faveur des
dieux peur le jeune homme.
8. Aprs avoir, trs peu de temps, frquent en Lycie une cole de
grammaire, il se rendit Alexandrie d'gypte, imbu dj trs profondment
de ces qualits morales qui charmrent les maures qu'il y frquenta.
Lonas le sophiste, Isaurien d'origine, si je ne me trompe, le plus
clbre parmi les nombreux savants qui pratiquaient le mme art, non
seulement l'admit ses cours, mais voulut le faire l'hte de sa
maison, le lit vivre de la vie commune avec sa femme et ses
enfants, comme s'il tait son fils vritable. Il le fit connatre aux
magistrats qui gouvernaient l'gypte, lesquels de la vivacit
naturelle d'esprit du jeune homme et de la distinction comme de In
dignit de ses murs, le reurent parmi leurs meilleurs amis. Il
frquenta l'cole du grammairien Orion descendant d'une caste
sacerdotale gyptienne et qui tait tellement vers dans la
connaissance de son art, qu'il composa lui-mme des ouvrages trs
utiles la postrit laquelle il les a laisss. Il assista aux leons
des matres romains et fit rapidement de grands progrs dans les
matires de leur enseignement : car au commencement, il se destinait
a la profession paternelle, o son pre s'tait rendu clbre dans la
ville royale, par ses connaissances en droit. A ce moment o il tait
encore jeune, il se plaisait beaucoup la rhtorique : car il n'avait
pas encore fait connaissance avec les tudes philosophiques: il s'y
rendit mme clbre, et se faisait admirer de ses condisciples comme
de ses professeurs mmes, par son beau talent de parole, par sa
facilit s'assimiler cet. art, et par le fait qu il semblait, par
son aptitude et son savoir faire, plutt un matre qu'un
disciple.
9. Il tait encore dans le cours de ses ludes, lorsque Lonas se
rendant Byzance, en fit son compagnon de route, voyage que Lonas
lui-mme n'avait entrepris que pour tre agrable Thodore, gouverneur
d'Alexandrie, personnage trs distingu, trs libral, et ami de la
philosophie. Le jeune homme accompagna de grand cur son matre, pour
ne pas interrompre ses tudes. Mais pour dire la vrit, ce fut un
coup de la Bonne Fortune, qui le ramenait auprs de la Desse qui
avait t comme l'auteur de sa naissance. Car son retour, la Desse
lui conseilla de s'adonner la philosophie et de visiter les coles
d'Athnes: mais il revint auparavant Alexandrie, et disant adieu la
rhtorique et aux autres tudes auxquelles il s'tait livr jusque l.
il ne suivit plus que les cours de philosophie qui s'y faisaient.
Pour s'initier la philosophie d'Aristote, il entendit les leons
d'Olympiodore le philosophe, dont la rputation tait trs rpandue ;
pour les mathmatiques, il se confia Hron, personnage trs pieux, et
qui possdait et pratiquait les meilleures mthodes d'enseignement de
cette science. Ces matres furent si charms des vertus du jeune
homme, qu'Olympiodlore qui avait une fille, leve elle-mme dans la
philosophie, voulut la lui fiancer, et qu'Hron n'hsita pas
l'initier toutes ses ides sur la religion et en faire son commensal
assidu. Aprs avoir entendu Olympiodore, qui possdait un vrai talent
de parole, mais qui, par suite d'une trop rapide locution et d'une
trop grande subtilit, tait intelligible un trs petit nombre de ses
auditeurs, Proclus, en sortant, immdiatement aprs la confrence,
rpta de mmoire et mot mot ses camarades, la leon qui avait t fort
longue, comme me l'a dit un de ceux qui y avaient assist, Ulpien de
Gaza, qui lui aussi avait consacr toute sa vie la philosophie. Il
comprit facilement les traits de logique d'Aristote et la simple
lecture, quoi qu'ils soient difficiles ceux qui les abordent.
10. Aprs avoir tudi Alexandrie sous ces matres, et profit. dans
la mesure de leur talent et de leur science, de leurs leons, il lui
sembla, en lisant un certain auteur en commun, que. le professeur,
dans son explication, n'avait pas vraiment entendu la pense du
philosophe. Il prit alors en un certain mpris ces coles, et en mme
temps se rappelant la vision divine qu'il avait eue Byzance, et
l'ordre qui lui avait t donn, il s'embarqua pour Athnes, sous
l'escorte pour ainsi dire de tous les Dieux et des bons dmons qui
veillent la conservation desOracles et de la philosophie. Car
c'tait afin que l'cole de Platon ft conserve dans sa vrit et sa
puret que les Dieux, protecteurs de la philosophie, l'envoyaient l,
comme le prouvent manifestement les dbuts de son arrive, et les
symboles vraiment divins qui lui prsagrent clairement la fonction
qu'il devait tenir de son pre, et l'lection qui devait un jour
l'appeler lui succder dans la direction et l'administration de
l'cole. Car aussitt qu'il eut abord au Pire, et que son arrive fut
connue dans la ville, Nicolaos, qui l'ut plus tard si clbre dans la
sophistique et ce moment faisait ses tudes auprs des matres d
Athnes, descendit au port pour le recevoir et lui offrir
l'hospitalit, car il le connaissait et tait son compatriote:
Nicolaos en effet tait de Lycie. Il le mena donc la ville. Chemin
faisant et arriv au monument de Socrate, Proclus se sentit fatigu
et las de marcher, et quoi qu'il ne sut pas et qu'il n'eut jamais
entendu dire, qu'il y avait, l un culte rendu Socrate, il pria
Nicolaos de s'arrter la mme un instant et de s'asseoir pour se
reposer, et en mme temps de lui procurer un peu d'eau, s'il pouvait
en trouver n'importe o ; car, dit-il, je meurs de soif. Celui-ci
trs empress, lui en fit apporter, non pas d'un endroit quelconque,
mais du lieu consacr mme : car la source de la stle de Socrate
n'tait pas loin. Aprs qu'il eu bu, Nicolaos, pour la premire fois
ce moment vit l un symbole, et lui dit qu'il venait de se reposer
dans le lieu consacr Socrate, et que c'tait de ce terrain que
venait l'eau qu'il venait de boire, la premire eau de l'Attique
qu'il but. Celui-ci se levant et ayant fait une prire, continua son
chemin vers la ville.
Comme il arrivait la citadelle, il rencontra, l'entre, le
portier, qui se prparait dj mettre les cls dans les portes de sorte
qu'il lui dit : (Je rpte les termes mmes de ce brave homme) :
Vraiment, si tu n'tais pas arriv, je fermais. Quel symbole plus
clair peut-on demander, et qui n'a pas besoin, pour tre interprt,
ni de Polls, ni de Mlampous, ni de semblables devins.
11. Tenant alors en mpris les thories et la pratique oratoires,
quoiqu'il ft vivement sollicit par les professeurs d'loquence,
comme s'il fut venu dans ce but mme, le premier des philosophes que
le hasard lui lit entendre, fut Syrianus. fils de Philoxne, la leon
de qui assistait Lachars, profondment vers dans les doctrines de la
philosophie, et qui tait alors un auditeur assidu du philosophe,
bien que son art dans la sophistique excitai autant d'admiration,
qu'Homre dans la posie. Ce dernier, comme je le disais, assistait
donc ce cours : c'tait l'heure du crpuscule, sur le tard. Pendant
qu'ils s'entretenaient ensemble, le soleil se couchait, et la lune,
pour la premire fois, sortant de la conjonction, apparaissait. Ils
cherchrent donc congdier le jeune homme, qui tait pour eux un
tranger, aprs l'avoir salu, afin de pouvoir seuls et loisir adorer
la Desse. Mais celui-ci, aprs avoir fait quelques pas, et ayant vu,
lui aussi, la lune apparatre, au sortir mme de la maison, dfit, la
place mme o il tait, ses chaussures, et, leur vue, adora la desse.
Alors Lachars frapp de l'acte libre et hardi du jeune homme, dit au
philosophe Syrianus ce mot admirable qu'a prononc Platon concernant
les grands gnies : Voil, dit-il, un homme qui sera un grand bien ou
tout le contraire. Tels sont les prsages, pour n'en citer qu'un
petit nombre parmi beaucoup d'autres, que les Dieux envoyrent notre
philosophe, peine arriv Athnes.
12. Syrianus l'ayant pris avec lui, le prsenta au grand
Piutarque, fils de Nestorius. Celui-ci ayant vu le jeune homme, qui
n'avait pas encore sa vingtime anne accomplie, et ayant appris sa
rsolution et son vif dsir de consacrer sa vie la philosophie, fui
charm de lui, au point de l'admettre avec le plus grand
empressement ses leons de philosophie, quoi qu'il ft souvent empoch
par l'ge : car il tait dj trs vieux. Il lut donc avec lui,
d'Aristote, le trait de l'me, de Platon le Phdon. Le grand matre
lui conseilla de mettre par crit le texte de leurs entretiens, et
pour mettre en branle son zle, chercha exciter en lui l'ambition,
en lui disant, que s'il terminait et compltait ces scholies, on
dirait un jour : C'est Proclus qui est l'auteur de ces commentaires
sur le Phdon D'ailleurs, mesure qu'il connaissait mieux, aprs
l'avoir prouve, son aptitude pour les belles choses, il avait plus
de got pour lui, l'appelait continuellement son enfant et le
recevait dans sa maison. Comme il le voyait s'abstenir trs
rigoureusement de viandes, dans sa nourriture, il lui conseilla de
ne pas pousser l'excs cette abstinence, afin de garder un corps
assez vigoureux pour suffire aux travaux et aux fatigues de
l'esprit. Il invita mme le philosophe Syrianus de lui donner les
mmes conseils au sujet de son rgime ; mais celui-ci rpondit, au
vieillard, - comme nous l'a rapport cette tte si chre, -- laisse-le
apprendre ce que je veux, en suivant ce rgime austre, et aprs, s'il
le veut, qu'il meure! Voil de quelle sollicitude, il tait l'objet
de la part de ses matres. Le vieillard ne survcut que deux ans,
aprs l'arrive de Proclus, et en mourant, il le recommanda Syrianus,
son successeur avec les mmes instances que son propre petit-fils,
Archiadas. Celui-ci le prit avec lui, et non seulement le fit
encore davantage profiter de ses leons, mais l'admit dornavant dans
sa maison, le fit participer la vie d'un philosophe, parce qu'il
avait enfin trouv le disciple et le successeur qu'il cherchait
depuis longtemps, c'est dire, qui ft capable de comprendre les
sciences dans leur multiplicit et leur diversit, et en mme temps de
concevoir les vrits divines.
13. Pendant cet espace de moins de deux annes, il lut avec son
matre tous les traits d'Aristote sur la Logique, l'thique, la
Politique, la Physique, et sur la science qui s'lve au-dessus de
toutes celles-l, la Thologie. Solidement muni par cette tude, qui
est pour ainsi dire une sorte d'initiation prparatoire et de petits
mystres, il l'amne la mystagogie de Platon a, en procdant par
ordre, et non en sautant par-dessus le seuil , comme dit l'Oracle;
il lui fait voir d'une vue directe et immdiate, les mystres
rellement divins contenus dans ce philosophe, lorsque les yeux de
l'me ne sont plus voils comme d'un brouillard, et que la raison,
pure de sensation, peut jeter au loin des regards fermes.
Pour lui, par un travail intense et toujours en veil, la nuit
comme le jour, il mit par crit, en y ajoutant ses remarques
critiques, les doctrines qu'il entendait professer, et dont il
constitua un ensemble synoptique, et fit de tels progrs qu' l'ge de
28 ans, il eut compos beaucoup de mmoires, et entre autres un
commentaire sur le Time, uvre crite avec un art trs lgant, et,
remplie de science. Par ces fortes et hautes tudes, la beaut morale
de sa nature ne lil que s'accrotre, en ajoutant la science, la
vertu.
14. Il acquit en outre les vertus politiques, qu'il puisa dans
les crits politiques d'Aristote, dans les Lois et la Rpublique de
Platon. Mais pour ne pas laisser croire que ces connaissances
n'taient pour lui que verbales, et qu'il n'en faisait aucune
application relle, comme il ne lui tait pas possible de se mler de
politique, parce que ses penses le portaient plus haut, il engagea
Archiadas s'y consacrer, lui donnant des leons, lui expliquant les
vertus et les mthodes politiques, et, faisant la fonction de ceux
qui excitent les coureurs, l'exhorta diriger les affaires communes
de toute sa ville, et en mme temps rendre des services aux
particuliers, dans toutes les espces de vertus, mais
particulirement dans la justice. Et en fait il engendra chez lui
une noble mulation, lui enseigna la libralit l'endroit de l'argent,
et la munificence, en faisant lui-mme des dons tantt ses amis,
tantt ses parents, tantt aux trangers clases concitoyens, enfin en
se montrant en toutes circonstances suprieur la vanit de la
richesse. Et en ralit il fit de grandes largesses publiques, et sa
mort, il lgua aux deux cits, son pays natal et Athnes, sa fortune,
pour en jouir aprs Archiadas. Quant a Archiadas il se montra, par
sa propre nature, et par suite de l'affection qu'il portait
Proclus, un ami si sincre de la vrit, que les hommes de notre temps
mme, quand ils parlaient de lui, l'appelaient de ce nom vnr : le
trs pieux Archiadas.
15. Cependant quelquefois lui-mme se mla de donner des conseils
politiques; il assistait parfois aux runions publiques o l'on
dlibrait sur les intrts de la ville, proposait des rsolutions d'une
grande sagesse pratique, confrait avec les magistrats sur les cas
qui intressaient la justice, non seulement leur donnait des
conseils, mais les contraignait en quelque sorte, avec la hardiesse
d'un philosophe, faire chacun son droit. Il veillait l'honorabilit
de ceux qui donnaient un enseignement public, les obligeait
pratiquer, dans leur conduite publique, la temprance, la leur
enseignant non seulement par des discours, mais encore par les
actes et les occupations de toute sa vie, en un mot, se faisant
pour ainsi dire, pour les autres, un type exemplaire de temprance.
Il dploya mme cette espce de courage politique qu'on peut nommer
d'Hercule. Car ayant traverser un tat de choses, o il eut subir
tant et de si terribles temptes, quand tous les vents de Typhon
dchans secouaient sa vie si rgle, sans se laisser abattre ni
effrayer, au milieu des plus grands prils il sut sauver sa vie. Un
jour cependant, en butte aux soupons et aux vexations d'une sorte
de vautours acharns a leur proie, qui l'entouraient, quand il se
vit dans celle situation il partit d'Athnes, obissant la puissance
qui mne les rvolutions du monde, et fit un voyage en Asie, o son
sjour lui fut extrmement profitable. Car c'tait afin que les
antiques institutions religieuses, qui s'taient conserves l, ne
fussent pas ignores de lui, que la divinit lui fournit l'occasion
de ce dpart. En effet, de son ct il put prendre une claire
connaissance, chez les Lydiens, de ces doctrines, et eux, qui
avaient, par suite du long cours des temps, omis ou nglig certaines
oprations liturgiques, reurent de lui une doctrine plus complte,
parce que le philosophe concevait plus parfaitement ce qui a
rapport aux Dieux. Par cette conduite, et en gouvernant ainsi sa
vie, il sut se faire ignorer, mieux encore que les Pythagoriciens
n'observent le prcepte inviol de leur matre : Cache, ta, vie. Aprs
un sjour d'un au seulement en Lydie, il revint Athnes, conduit par
la providence de la desse amie de la sagesse. Voil comment la vertu
du courage s'tablit fermement en lui, tout d'abord par la nature,
puis par l'habitude, ensuite par la science et par cette prudence
pratique qui raisonne de la cause l'effet. Il montra encore, sous
un autre point de vue, qu'il savait mettre en pratique son art
politique, en crivant aux magistrats des villes, et par ses
recommandations rendant des services des cits entires. Peuvent
tmoigner de la vrit de ce que j'avance, les peuples qui ont prouv
ses bienfaits, d'abord les Athniens, puis les habitants d'Andros,
et beaucoup d'autres de nations diverses.
16. Par suite de ces sentiments il favorisa le dveloppement de
l'activit littraire, venant en aide ceux qui se livraient a ces
travaux, rclamant des magistrats qu'ils leur distribuassent des
pensions alimentaires et d'autres avantages proportionns leur
mrite; mais il n'agissait pas en cela sans connaissance de cause,
ni par faveur, mais il obligeait ceux auxquels il s'intressait si
srieusement, de remplir avec zle leurs occupations propres, les
interrogeant et examinant leurs travaux dans tous leurs dtails :
car il tait en toutes choses un juge excellent. S'il en trouvait
quelqu'un qui ne se conformait qu'avec ngligence ses conseils, il
le rprimandait svrement, en sorte qu'il a pu paratre fort irascible
et en mme temps 1res susceptible l'endroit des respects qui lui
taient dus, parce qu'il voulait et qu'il pouvait porter sur toutes
choses un jugement vrai et sur. Il aimait en effet les honneurs,
mais cet amour del rputation ne dgnrait pas chez lui, comme chez
d'autres, en passion. Il n'tait ambitieux de gloire que pour la
vertu et pour le bien, fit peut-tre ne se ferait-il rien de grand
en ce monde, sans l'nergie qu'inspir ce sentiment. Il tait
irascible, je ne le cacherai pas, mais en mme temps, doux : il
s'apaisait facilement, et, le temps de retourner une coquille, il
montrait que sa colre avait fondu comme de la cire. Car au mme
moment, pour ainsi dire, qu'il rprimandait, son naturel sympathique
et tendre le portait obliger ceux-l mme et appeler sur eux la
bienveillance du gouvernement.
17. C'est bien propos qu'il me soit venu l'esprit de mentionner
ce trait particulier de sa nature, la sympathie, sentiment plus
puissant chez lui, que chez aucun autre homme qu'on ait connu. Car
n'ayant jamais got la joie du mariage ni de la famille, parce qu'il
ne l'avait pas voulu, car beaucoup de propositions lui avaient t
faites, trs avantageuses sous le rapport de la naissance comme de
la fortune, mais, comme je l'ai dit, demeur libre de ces liens, il
avait une telle sollicitude pour ses lves, pour tous ses amis, mme
pour leurs femmes et leurs enfants qu'il tait pour eux comme un pre
commun et l'auteur de leur propre existence: car il veillait, tous
les points de vue, leur vie. Si quelqu'un parmi ses connaissances
tombait malade, d'abord il implorait les Dieux avec une ardente pit
pour lui, par des sacrifices et des hymnes, puis visitait le
patient avec un dvouement empress, convoquait les mdecins et les
pressait d'appliquer sans retard les ressources de leur art, et
lui-mme leur suggrait certain remde plus efficace, et par l il
sauva beaucoup de malades des crises les plus prilleuses, pour son
humanit envers ses serviteurs les plus familiers, on apprendra la
connatre, si on le veut, par le testament de ce parfait honnte
homme. De tous les gens qu'il connaissait, celui qu'il aimait le
mieux tait Arcilladas et aprs lui ceux qui appartenaient cette
famille, surtout parce qu'il descendait de la famille du philosophe
Plutarque, ensuite parce qu'il avait contract avec Archiadas une
amiti pythagoricienne, enfin parce qu'il avait t son condisciple et
aussi son matre : car de ces deux formes de l'amiti qu'on trouve si
rarement rapportes chez les anciens, celle qui les liait semble
avoir t la plus profonde. Il n'y avait rien que voulait Archiadas
que ne voult pas galement Proclus, et rciproquement rien que
voulait Proclus que ne voult aussi Archiadas.
18. Aprs avoir termin d'exposer avec les dveloppements
convenables, les espces principales des vertus politiques de notre
philosophe, que scelle l'amiti, et qui sont de beaucoup infrieures
aux espces des vertus vritables, arrivons ses vertus purificatives,
qui sont diffrentes des vertus politiques. Car quoique celles ci
aient galement pour fonction de purifier l'me, de la prparer a
pourvoir aux affaires humaines sans en tre l'esclave, afin
d'acqurir l'assimilation Dieu, ce qui est la fin la plus parfaite
de l'me, elles n'oprent pas toutes cette sparation de la mme
manire, mais chacune, plus ou moins. S'il y a certaines
purifications politiques qui donnent l'ordre et la beaut ceux qui
les possdent et les rendent meilleurs, mme pendant leur sjour
ici-bas, parce qu'elles mettent des bornes et une mesure aux
affections irascibles et aux dsirs sensuels, et en gnral suppriment
les passions et les fausses opinions, les vertus purificatives leur
sont suprieures, parce qu'elles produisent une sparation complte,
nous affranchissent des poids, vritablement de plomb, de la
gnration, et oprent notre fuite sans obstacle des choses d'ici-bas.
Ce sont l ces vertus que notre philosophe a pratiques par toute une
vie consacre la philosophie, enseignant par ses leons loquentes, ce
qu'elles sont, comment l'homme les acquiert, et surtout leur
conformant sa vie et pratiquant les actes par lesquels l'me arrive
a se sparer, continuellement, pendant la nuit comme dans le jour,
usant des pratiques purificatives qui nous dtournent du mal, des
lustrations et de tous les autres procds de purification, soit
Orphiques, soit Chaldens, se plongeant sans hsitation chaque mois
dans la mer, souvent mme deux ou trois fois dans le mme mois. Non
seulement il pratiquait cette rude discipline quand il tait dans la
force de l'ge, mais mme quand il approchait dj du couchant de la
vie, il observa, sans y manquer jamais, ces habitudes austres dont
il s'tait fait pour ainsi dire une loi.
19. Quant aux plaisirs ncessaires de la nourriture et de la
boisson, ils n'taient pour lui qu'un dlassement de ses fatigues,
pour ne pas en tre troubl et sollicit : car il en usait trs
sobrement. Il pratiquait surtout l'abstinence de la nourriture
animale : si parfois une occasion imprieuse l'obligeait en user, il
ne faisait qu'y goter, et cela par dfrence et respect. Chaque mois
il se sanctifiait selon les rites consacrs la Mre des Dieux par les
Romains et avant eux par les Phrygiens, observait les jours nfastes
usits chez les gyptiens plus scrupuleusement qu'eux-mmes, et
spcialement il jenait certains jours, trs ouvertement. Car pendant
tout le premier jour du mois il restait sans nourriture, sans mme
avoir soupe la veille, de mme qu'il clbrait la nouvelle lune, dans
une grande solennit et avec une grande saintet; il observait
rgulirement les grandes ftes de tous les peuples pour ainsi dire,
et les crmonies religieuses particulires chaque pays, et il n'en
faisait pas, comme tant d'autres, le prtexte d'une distraction ou
d'une dbauche de nourriture, mais au contraire c'tait une occasion
de runions qui duraient toute la nuit, sans sommeil, de chants,
d'hymnes et autres dvotions semblables. Nous en voyons la preuve
dans la composition de ses hymnes, qui contiennent les hommages
elles louanges non seulement des dieux adors chez les Grecs, mais o
l'on voit clbrs Marnas de Gaxa, Asklpios Lontouchos, d'Ascalon,
Thyandrids, autre dieu fort en honneur chez les Arabes, Isis qui
avait un temple Philie et en un mot tous les autres dieux. C'tait
une sentence chez lui familire et que cet homme si religieux avait
sans cesse la bouche, qu'il faut que le philosophe veille au salut
non pas seulement d'une cit, ni des coutumes nationales de quelques
peuples, mais qu'il devait tre l'hirophante commun du monde entier.
Voil, en ce qui concerne l'austrit de la manire de vivre, les
exercices purificateurs et saints qu'il pratiquait.
20. Il vitait ainsi les douleurs physiques, et si parfois il en
tait atteint, il les supportait avec douceur, el en diminuait la
vivacit, parce que la partie la plus parfaite de lui-mme, ne
s'attendrissait pas sur lui-mme. La force d'me, en face de la
souffrance, il la montra clairement dans sa dernire maladie :
abattu par elle, en proie des douleurs atroces, il essayait encore
de conjurer le mal : il nous ordonnait tour tour de lire des hymnes
; pendant ces lectures, les souffrances semblaient apaises et
remplaces par une sorte d'impassibilit (d'ataraxie) et ce qui est
encore plus tonnant, il se rappelait tout ce qu'il avait entendu
lire, quoique la faiblesse qui s'tait empare de lui, lui eut fait
perdre, pour ainsi dire compltement, la mmoire des personnes. Quand
nous disions le commencement d'un hymne, il en rcitait la suite et
la fin, surtout quand c'tait des vers Orphiques : car lorsque nous
tions auprs de lui, nous lui en rcitions. Et ce n'est pas seulement
contre les souffrances physiques qu'il se montrait insensible, mais
plutt encore quand c'taient des vnements extrieurs qui le
frappaient l'improviste, et qui paraissaient contraires au cours
ordinaire des choses: quand de tels accidents survenaient : Eh
bien, disait-il, ce sont-l les accidents coutumiers de la vie .
Cette maxime m'a paru digne d'tre rapporte, parce qu'elle tmoigne
hautement de la force d'me de notre philosophe. Il contenait,
autant que cela est possible, la colore, et, ou bien il ne la
laissait pas clater du tout, ou bien ce n'tait pas la partie de
l'me doue de raison, qui en tait trouble : ces mouvements
involontaires touchaient l'autre partie, et encore faiblement et
passagrement. Quand aux plaisirs physiques de Vnus, il ne se les
permettait, je pense, que dans la mesure o l'imagination seule y
participe et encore trs superficiellement.
21. Et ainsi l'me de cet homme bienheureux se ramassant et se
concentrant en elle-mme se sparait pour ainsi dire de
son corps, dans le temps mme o elle paraissait contenue en lui.
Cette me possdait la sagesse, non plus seulement la sagesse
politique qui consiste se bien conduire dans le domaine des choses
contingentes et qui peuvent tre autrement qu'elles ne sont, mais la
pense en soi, la pense pure, qui consiste se replier sur soi mme et
ne pas s'unir au corps pour acqurir des connaissances conjecturales
; elle possdait la temprance qui consiste ne pas s'associer l'lment
infrieur de notre tre, pas mme se borner mettre une mesure ses
passions, mais veut tre absolument exemple de toute passion : elle
possdait le courage, qui consiste pour elle ne pas craindre de se
sparer du corps. La raison et la pense pure tant chez lui
matresses, les facults basses ne rsistant plus ia justice
purificative, toute sa vie en recevait une parfaite beaut.
22. Pourvu de ce genre de vertus, faisant sans effort et d'un
pas tranquille, des progrs constants en suivant l'ordre des degrs
de l'initiation mystique, il s'leva des vertus plus grandes et plus
hautes : men comme par la main, d'abord par son heureuse nature,
puis par une ducation fonde sur une science profonde : car dj
purifi et lev au-dessus des choses de la gnration, mprisant les
Narthcophores qui s'y trouvent, il s'enivrait d'amour pour les
choses premires, tait arriv voir directement lui mme les visions
vraiment batifiques de l'au-del, et tablissant sa science certaine,
non sur des syllogismes discursifs et apodictiques, mais sur ce
qu'il contemplait de ses yeux, sur les intuitions de l'activit
intellectuelle, les paradigmes contenus dans la raison divine, il
acqurait celte vertu dont le nom propre et vritable n'est pas la
science, mais qu'on doit plutt nommer la sagesse, , ou d'un autre
nom, s'il en est un plus auguste. Conformant tous ses actes celte
vertu, le philosophe n'eut pas de peine comprendre toute la
thologie hellnique et trangre, mme celles que des fictions
mythiques avaient obscurcies et il les mit au jour pour ceux qui
veulent cl peuvent en atteindre la hauteur, donnant toutes des
interprtations profondment religieuses, et les ramenant une
parfaite concordance. Il tudia fond les crits des plus anciens
auteurs, et tout ce qu'il y trouva de penses utiles et fcondes, il
le recueillit, aprs l'avoir soumis la critique; mais ce qu'il
trouvait, sans force et sans valeur, il le mit de ct, comme
purilits ridicules; tout ce qui tait contraire aux vrais principes,
il le discutait trs nergiquement el le soumettait une critique
approfondie, traitant chacune de ces thories avec autant de clart
que de vigueur dans ses confrences, et consignant toutes ses
observations dans des livres. Car il se livrait sans mesure son
amour pour le travail, faisant chaque jour cinq leons, parfois
davantage, et crivant beaucoup, peu prs 700 lignes. Ce qui ne
l'empchait pas d'aller lui-mme faire visite aux autres philosophes,
de faire le soir des confrences purement orales, et tout cela en
pratiquant pendant la nuit, en se privant de sommeil, ses dvotions,
et adorant le soleil et son lever, et l'heure du midi, el son
coucher.
23. Il est l'auteur de beaucoup de thories qui n'taient pas
connues auparavant, soit physiques, soit intellectuelles, soit d'un
ordre encore plus divin. Car c'est lui qui le premier affirma qu'il
y a un genre d'mes capables de voir la fois plusieurs ides, facult
qu'il posait par l mme, avec raison, comme intermdiaire entre la
raison qui d'avance embrasse par la pense toutes choses ensemble el
d'une seule intuition, et les mes, dont les penses discursives
passent et ne conoivent qu'une seule notion la fois. Il serait
facile, si on le voulait, de rencontrer d'autres doctrines imagines
par lui : on n'a qu' entreprendre la lecture de ses ouvrages, (ce
que pour le moment je me suis abstenu de faire, dans la crainte en
exposant ces dtails, de trop allonger cet crit). Celui qui se
livrera ce travail, reconnatra que tout ce que nous avons plus haut
l'apport de lui est vrai; et on le saurait mieux encore, si on
l'avait vu, si on s'tait trouv en sa prsence, si on l'avait entendu
faire ses leons, et prononcer de si nobles discours, lorsque tous
les ans il clbrait les anniversaires de la naissance de Socrate et
de Platon. Il tait visible qu'une inspiration divine le portait
quand il parlait, et que de cette bouche si sage tombaient flots
les paroles semblables des flocons presss de neige. Il semblait
alors que ses yeux taient remplis d'une clatante lumire, et que sur
tout son visage se rpandaient les rayons d'une illumination divine.
Un jour un personnage politique de haute distinction, trs vridique
et d'une grande honorabilit, (il se nommait Rufin) venant assister
une de ses leons, vit une lumire qui entourait sa tte. Le cours
fini, Rufin se leva et le salua respectueusement, proclamant avec
serment l'apparition divine dont il avait t tmoin. Ce Rufin, aprs
les circonstances fcheuses auxquelles il avait t expos et aprs son
retour d'Asie, lui offrit une grosse somme d'argent que celui-ci
ddaigna et refusa absolument d'accepter.
24. Mais revenons au sujet que nous avions commenc. Aprs avoir,
quoique insuffisamment, relat ce qui concerne sa sagesse thortique.
il nous reste a parler de cette forme de la justice qui est au mme
rang de dignit que ce genre de vertus. Elle ne consiste pas. comme
celles dont nous avons parl plus haut, en une pluralit de parties,
ni dans l'accord de ces parties les unes avec les autres, mais dans
un acte absolument propre, qui n'appartient qu' l'me pensante et
qui, par suite, doit tre dfini par lui-mme et part. Ce qu'il y a de
propre cette vertu, c'est que son acte se conforme absolument la
raison et Dieu : et c'tait le caractre minent de l'activit
intellectuelle de notre philosophe. Car peine repos des fatigues de
ses travaux de la journe, livrant alors son corps au sommeil, mme
pendant ces moments, sa pense ne cessait d'tre en activit. Aussi,
aprs avoir de bonne heure secou le sommeil, comme une sorte de
paresse de l'me, lorsque l'heure de ses prires n'tait pas encore
arrive parce que la nuit tait loin d'tre coule, seul, dans son lit,
il composait des hymnes, examinait certaines thories, cherchait des
ides, qu'il mettait par crit quand, le jour venu, il se levait.
25. Quant la temprance qui accompagne cet ordre de vertus, il la
possda ; car elle tait la consquence des premires. C'est la
conversion interne de l'me vers la raison, et la disposition morale
qui ne se laisse pas toucher ni branler par un penchant pour tout
le reste. Le courage qui l'accompagne, il le montra dans toute sa
perfection, cherchant imiter l'tat d'impassibilit de ce principe
sur lequel taient tendus ses regards, qu'il voulait imiter et qui
est par essence rellement impassible. En un mot il vivait, comme
dit Plotin, non lias de la vie de l'homme de bien que la vertu
politique rend digne et capable de vivre; mais mprisant cette vie
mme, il prit en change une autre, la vie des Dieux : car c'est eux
et non aux hommes de bien qu'il voulait ressembler.
26. Il possdait dj et pratiquait ces vertus quand il tudiait
encore avec le philosophe Syrianus et en lisant les traits des
anciens philosophes; il avait recueilli de la bouche de son matre
les premiers lments et pour ainsi dire les germes de la thologie
orphique et de la thologie chaldaque. Mais celui-ci n'eut pas le
temps de lui expliquer les pomes (orphiques) - (Il avait bien form
le projet d'expliquer lui et Domninus de Syrie, philosophe qui fut
aussi diadoque, l'un ou l'autre de ces ouvrages, soit ceux d'Orphe,
soit les Oracles, et leur avait laiss choisir l'un des deux ; mais
ils ne s'accordrent pas : ils ne choisirent pas tous deux le mme,
celui-ci prfrant le livre d'Orphe, notre matre, les Oracles. Ce qui
l'empcha de raliser son projet, et aussi parce que le grand
Syrianus ne vcut pas longtemps aprs). Il n'avait donc encore reu de
son matre que les premiers principes; mais aprs sa mort, il tudia
avec une grande ardeur les mmoires qu'il avait laisss sur Orphe, en
mme temps que les trs nombreux travaux de Porphyre et de Jamblique
sur les Oracles et les crits des Chaldens qui appartiennent au mme
ordre d'ides, et ainsi nourri des divins Oracles, il s'leva aux
plus hautes des vertus que le divin Jamblique a si magnifiquement
appeles les Vertus Thurgiques. Il runit aussi les interprtations
des philosophes qui l'avaient prcd, dans un recueil qui lui cota
beaucoup de travail, et qu'il soumit une cri-tique srieuse et il y
fit entrer les hypothses Chaldaques et les plus considrables des
commentaires crits sur Ies Oracles communiqus par les Dieux.
C'est l'occasion de cet ouvrage, qu'il ne put terminer qu'au
bout de cinq annes entires qu'il eut, dans un songe, une vision
divine. Il lui sembla que le grand Plutarque lui prdisait qu'il
vivrait un nombre d'annes gal au nombre des ttrades qu'il avait
composes sur les Oracles. Les ayant comptes, il trouva qu'il y en
avait soixante dix, et ce qui prouve que le songe tait divin, c'est
l'vnement, c'est a dire la fin de sa vie. Car il vcut, comme nous
l'avons dit plus haut, cinq ans au del de soixante dix: mais dans
les cinq dernires il tait trs affaibli. L'austrit trop svre,
excessive mme de son rgime, ses ablutions frquentes, et d'autres
habitudes asctiques de celte nature, avaient puis cette
constitution physique que la nature avait faite si robuste : il
commena dcliner aprs sa 70e anne de sorte qu'il ne pouvait plus
suffire toutes ses occupations. Dans cet tat, il se bornait a
prier, composer des hymnes, crire quelques lignes, converser avec
ses amis, tout cela l'affaiblissait encore. Aussi se rappelant le
songe qu'il avait eu, il en tait merveill et disait frquemment
qu'il n'avait vcu que 70 ans Malgr ce grand tat de faiblesse, Hgias
lui rendit le courage de reprendre ses leons : ce jeune homme
montrait dj ds son enfance, des indices manifestes des vertus de
ses aeux, qui prouvaient qu'il tait de la famille de la vraie Chane
d'Or, qui commenait Solon : il tudia avec ardeur avec lui les crits
de Platon, et les autres thologies. Le vieillard lui confia ses
manuscrits et prouva une grande joie de voir quels pas de gant il
faisait dans l'avancement de toutes les sciences. Quant ses travaux
sur les crits des Chaldens, il me suffit de les avoir indiqus d'un
mot.
27. Un jour lisant avec lui les pomes d'Orphe, et l'entendant
citer dans ses commentaires, non seulement les interprtations de
Jamblique et de Syrianus. mais de beaucoup d'autres encore, qui
pntraient au fond de la thologie, je priai le philosophe de ne pas
laisser, sans l'avoir interprte, cette divine posie, et de lui
consacrer des commentaires complets. Il me rpondit qu'il avait eu
souvent le projet d'en crire, mais qu'il en avait t empch par
certains songes : car il disait qu'il avait vu apparatre son matre
qui l'en avait dtourn avec des menaces. Ne concevant pas d'autre
expdient, je le conjurai du moins de paraphraser les remarques
qu'il approuverait dans les livres de son matre. Par bont, il se
laissa persuader, et crivit en tte de ces commentaires un certain
nombre de notes. C'est ainsi que nous possdons un recueil de tous
les crits qui ont rapport ce mme auteur, des scholies et des
commentaires fort tendus sur Orphe, bien qu'il n'ait pas consenti
faire ce travail sur toute la thomythie et sur toutes les
Rhapsodies.
28. Mais puisque, comme je l'ai dit, par ses tudes sur ce sujet,
il avait acquis une vertu encore plus grande et plus parfaite, la
vertu thurgique, et ne s'tait pas arrt au degr de la vertu
thortique. il ne conforma pas sa vie exclusivement l'un des deux
caractres propres aux tres divins; il ne se renferma pas
exclusivement dans la mditation, tendant sa pense toujours vers le
divin ; mais il appliqua aux choses infrieures sa facult de
prvoyance et sa sollicitude, selon un mode politique plus divin et
qui ne ressemble pas la vertu politique dont nous avons parl plus
haut ; car il pratiquait les runions et les conversations des
Chaldens, et employait mme l'art de faire mouvoir, sans prononcer
des paroles, les toupies divines. Car il croyait ces pratiques, aux
oraisons jaculatoires et d'autres dont il avait appris l'usage
d'Asklpignie, fille de Plutarque ; car les rites mystiques ()
conservs par Nestorius et toute la procdure thurgique lui avaient t
confis et enseigns elle seule par son pre. Avant cela, et selon
l'ordre prescrit, purifi par les lustrations chaldaques, le
philosophe avait assist en qualit d'popte, aux apparitions d'Hcate,
sous forme lumineuse, comme il l'a mentionn lui mme dans un crit
spcial. Il avait la puissance de provoquer les pluies, en mettant
en mouvement, en temps utile, une yunx dtermine, et put dlivrer
l'Attique d'une scheresse terrible. Il connaissait le moyen de
prvoir les tremblements de terre, avait expriment la puissance
divinatoire du trpied, et prononc lui mme, sur son propre sort, des
vers prophtiques. A l'ge de 40 ans, il lui sembla qu'en songe il
avait prononc ces vers: Ici plane une splendeur immortelle,
hypercleste, qui a jailli de la source sanctifie et d'o rayonne une
lumire de feu .
Au commencement de sa 42e anne, il lui sembla encore qu'il
criait grande voix ces vers : Un esprit est entr en moi, qui me
souffle la force du feu, qui, dployant et ravissant ma raison dans
un tourbillon de flamme, s'envole vers l'ther, et fait retentir de
ses frmissements immortels les votes toiles.
Outre ce que nous venons de dire, il avait vu clairement en
songe qu il appartenait la chane Hermaque et sur la foi d'un songe,
il tait convaincu qu'il avait l'me du pythagoricien Nicomaque.
29. On pourrait, si on le voulait, s'tendre beaucoup sur ce
point et raconter les uvres thurgiques de ce Bienheureux. J'en veux
citer seulement une entre mille, qui est vraiment miraculeuse. Un
jour Asklpignie, fille d'Archiadas et de Plutarcha, pouse de
Thagne, mon bienfaiteur, tant encore petite fille et leve chez ses
parents, tomba gravement malade, et d'une maladie que les mdecins
dclarrent incurable. Archiadas, car c'tait sur elle seule que se
fondait l'espoir de sa maison, tait dans la dsolation, et poussait,
comme il est naturel, des gmissements douloureux. La voyant
abandonne des mdecins, le pre, comme il arrive dans les
circonstances les plus graves de la vie, en vint jeter sa dernire
ancre, ou plutt courut chez le philosophe, comme celui qui pouvait,
seul la sauver, et le pria avec force instances de venir en toute
hte prier pour sa lille. Celui-ci, emmenant avec lui le grand
Pricls de Lydie, qui tait lui aussi un vrai philosophe, courut au
temple d'Asclpios pour prier le Dieu en faveur de la malade. Car
Athnes encore alors avait le bonheur de le possder et le temple du
Sauveur n'avait pas t encore ravag. Pendant qu'il priait selon le
rite antique, un changement se manifesta tout d un coup dans l'tat
de la jeune fille, et une amlioration subite eut lieu. Car le
Sauveur, en tant que Dieu, lui rendit vite la sant. Les crmonies
religieuses accomplies, il se rendit auprs d'Asklpignie qui
justement venait d'tre dlivre des souffrances qui l'avaient
assaillie, et qui se trouvait dans une parfaite sant. Il avait eu
bien soin d'accomplir ses vux et ses prires l'insu de tous, pour ne
fournir aucun prtexte la malveillance ; car toute la maison o il
habitait avait pris part cet acte : ce fut en effet un des bonheurs
de Proclus, d'habiter la maison qui lui convenait le mieux,
qu'avaient habite Syrianus, son pre, et son grande pre, comme il
appelait Plutarque. voisine du temple d'Asklpios, clbr par
Sophocle, du temple de Dionysos prs du thtre, et qui tait vue, ou
du moins apparente, de l'Acropole d'Athna.
30. Combien il fut cher la Desse amie de la sagesse, le choix
qu'il lit de la vie philosophique, qui fut celle que nous venons de
dcrire, le prouve amplement. Mais la Desse le tmoigna elle-mme,
lorsque la statue de la Desse qui tait rige dans le Parthenon, fut
change de place par des gens qui branlent ce qui est inbranlable.
Le philosophe , dans un songe, crut voir venir lui une femme d'une
grande beaut, qui lui annona qu'il fallait le plus promptement
possible prparer sa maison: car la Reine Alhenas, dit-elle veut
demeurer auprs de toi. La faveur dont il jouissait auprs
d'Asclpios, s'est montre dans le fait que j'ai racont tout l'heure,
et nous en avons t convaincu dans sa dernire maladie par
l'apparition de la Desse. Car, tant dans un tat entre le sommeil et
le rveil, il vit un serpent ramper autour de sa tte : partir de ce
moment, il commena se sentir soulag de son mal, et il eut le
sentiment que cette apparition allait le gurir de sa maladie, s'il
n'avait t retenu par un violent et ardent dsir de la mort ; je suis
en effet certain qu'il aurait recouvr compltement la sant, s'il et
voulu recevoir les soins que demandait son tat.
31. Voici encore un fait qui est digne d'tre rappel, et que je
ne rappelle pas sans attendrissement et sans larmes. Il avait
toujours craint qu'une arthrite dont avait souffert son pre, c'est
une maladie qui, frquemment el habituellement est transmise des
parents aux enfants, ne vint l'atteindre lui-mme, et ses craintes,
mon avis, n'taient pas sans fondement : car avant le fait que je
dois rapporter, il avait ressenti des douleurs de celte nature,
lorsque eut lieu un autre incident vraiment surprenant. Sur les
conseils de quelques personnes, il se mit sur le pied malade ce qu
on appelle un empltre. Pendant qu'il tait tendu sur son lit,
soudain un passereau s'abattit en volant et l'emporta. C'tait un
symbole divin, rellement paeonique et de nature lui inspirer
confiance pour l'avenir ; mais cependant, comme je le disais, il
n'en prouvait pas moins des craintes d'tre atteint plus tard de
cette maladie Ayant donc implor le dieu ce sujet, et lui ayant
demand de lui dire clairement la chose, en donnant il vit (c'est
une chose bien tmraire, et cependant il faut avoir le courage, il
ne faut pas craindre de proclamer ouvertement vrit) en dormant il
lui sembla voir quelqu'un qui venait d'pidaure, se pencher sur ses
jambes et dans un mouvement de tendre affection, sans hsiter,
embrasser ses genoux. A partir de ce jour, il vcut toute sa vie
sans inquitude ce sujet, et il arriva une extrme vieillesse, sans
ressentir aucune atteinte de ce mal.
32. Le Dieu des Adrotto montra aussi et manifestement les liens
d'affinit de ce saint homme avec lui. Car lorsqu'il visita son
temple, il lui tmoigna sa faveur par des apparitions. Comme il tait
dans le doute et qu'il dsirait savoir de source certaine quel Dieu
ou quels dieux habitaient ce lieu et y taient honors, parce que les
indignes n'taient pas d'accord sur ce point dans leurs rcits;
quelques uns, conjecturant que c'tait le temple d'Asclpios, se
fondaient sur de nombreux tmoignages; car ils disent que rellement
des voix se font entendre dans ce lieu, qu'une table y est consacre
au Dieu, quo des rponses oraculaires sur des questions relatives la
sant, y sont donnes, et que ceux qui viennent le consulter sont
guris, contre toute esprance les maladies les plus dangereuses;
mais d'autres croient que ce sont les Dioscures qui frquentent ce
temple : car quelques personnes ont cru voir, en songe, sur la
route qui conduit Adrotta, deux jeunes hommes, d'une extrme beaut,
monts sur des chevaux de grande vitesse, et disant qu'ils allaient
en toute hte au temple, de sorte qu'au premier abord ils avaient
cru voir des hommes ; mais bientt aprs, ils avaient t convaincus
que c'tait une apparition vraiment divine; car lorsqu ils furent
eux mmes arrivs au temple et qu'ils s'informrent, il leur fut
rpondu par le personnel attach aux fonctions du temple qu'on
n'avait rien vu, tandis que ces cavaliers s'taient drobs soudain
leur vue eux-mmes). Par ces raisons donc, comme je le disais, le
philosophe incertain et ne sachant que croire des faits qui taient
rapports, pria les dieux de ce lieu de lui faire connatre par
certains signes, quel tait leur vrai et propre caractre : et alors
il lui sembla en songe qu'un Dieu venait lui et lui adressait ces
claires paroles : Eh! quoi ! n'as tu pas entendu Jamblique dire
quels sont ces deux personnages, et prononcer les noms de Machaon
et de Podalirios L dessus le Dieu donna ce saint homme un tmoignage
de sa haute bienveillance. Comme les orateurs qui prononcent dans
un thtre l'loge de certains personnages, le Dieu se tenant debout,
avec un geste de la main et un accent dramatique, pronona avec une
grande force ces mots : (car je rpterai les paroles mmes divines) :
Proclus est la gloire de la Patrie. Quelle plus grande preuve
pourrait-on apporter de l'affection des Dieux pour cet homme si
parfaitement heureux? A la suite de ces tmoignages sympathiques
qu'il recevait de la divinit, il se mettait, malgr lui, fondre en
larmes, toutes les fois qu'il nous rappelait ce qu'il avait vu, et
l'loge divin qui avait t prononc sur lui.
33. Mais si je voulais numrer tous les faits de cette espce et
rapporter la dvotion particulire qu'il avait pour Pan, fils
d'Herms, les grandes faveurs et les nombreux cas o il a t sauv
Athnes par la bienveillance du Dieu, et raconter par le dtail les
protections et. les avantages qu'il a reus de la Mre des Dieux,
dont il tait si particulier fier et heureux, je paratrais ceux qui
par hasard rencontreront cet ouvrage me laisser aller un vain
bavardage, et mme quelques-uns dire des choses peu dignes d'tre
crues. Car il y a un grand nombre de faits considrables et pour
ainsi dire journaliers o la desse agit ou parla en sa faveur, et
dont le nombre est tel, en mme temps qu'ils sont si inous, que je
n'en ai pas maintenant le souvenir exact et prcis Si quelqu'un
dsire connatre avec quelle faveur il s'attachait la Desse, qu'il
prenne de ses mains son livre sur la Mre des Dieux, et il verra que
ce n'est pas sans une inspiration et un secours d'en haut, qu'il a
pu exposer toute la thologie relative la desse et expliquer
philosophiquement tout ce que les actes liturgiques et les
enseignements de vive voix nous apprennent mythiquement de la Desse
et d'Attis, en sorte qu'ils ne seront plus troubls par ces
gmissements lamentables, dont le sens se drobe, et par toutes les
traditions pleines de mystres qu'on leur raconte dans ces
crmonies.
34. Aprs avoir rapidement et en courant fait connatre et les
actes et les rsultats heureux de sa vertu thurgique, aprs l'avoir
montr en tout au niveau de toutes les vertus, et un degr que les
hommes n'ont pas vu depuis de longs sicles, mettons maintenant fin
tout ce discours. Le commencement n'en a pas t pour nous seulement
le commencement ni mme, comme dit le proverbe, la moiti du tout,
mais c'est le tout tout entier1. Car nous avons commenc par le
bonheur ; le bonheur a form le milieu, et nous voil encore ramens
au bonheur : nous avons, dans cette exposition, mis sous les yeux
les biens que les dieux et en gnral la Providence ont procurs cet.
homme de bien ; nous avons montr leur disposition l'couter
favorablement, leurs apparitions, leur sollicitude, et tous les
autres secours qu'ils lui ont prts, toutes les faveurs qu'il a
reues en partage du destin et de la Bonne Fortune, patrie, parents,
force et beaut naturelles du corps, matres et amis, tous les autres
avantages, qui, par leur grandeur et leur clat, sont bien suprieurs
ceux qu'on voit chez les autres hommes, tout cela nous l'avons fait
ressortir dans cet crit. Nous avons de plus numr ces supriorits
qu'il devait sa volont propre, et qui ne lui venaient pas d'une
cause trangre et extrieure (car telles sont ces grandeurs murales
de l'me, issues de l'ensemble de toutes ses vertus). En un mot,
nous avons mis en pleine lumire que l'activit de son me en toutes
ses dmarches, se conformait la vertu parfaite, et que pendant une
vie parfaite il a t comble de tous les autres biens humains et
divins
35. Mais afin que les personnes curieuses des choses des
sciences nobles, puissent, par la disposition des astres sous
laquelle il est venu au monde, conclure que la vie que le sort lui
rservait en partage, n'tait range ni dans les plus basses
conditions ni dans les conditions moyennes, mais dans les plus
limites, nous avons dress le tableau de la configuration des
astres, telle qu'elle se trouvait au moment de sa naissance :
Le Soleil tait dans une partie du Blier 16 26'
La Lune - dans les Gmeaux - 17 29'
Saturne - dans le Taureau - 24 23'
Jupiter - dans le Taureau - 24 41
Mars - dans le Sagittaire - 29 50'
Vnus - dans les Poissons - 23'
Mercure - dans le Verseau - 4 32'.
L'Horoscope a t pris dans le Blier 8 19'
Le Milieu du ciel () dans le Capricorne 4 42'
Le (Nud) ascendant () ou la tte du dragon 24 33'
La Conjonction (, du soleil et de la nouvelle lune prcdente dans
le Verseau , 8 51'
36. Proclus quitta ce monde la 124e anne partir de l'avnement de
Julien l'empire1, sous l'Archontat de Nicagoras le jeune, Athnes,
le 17e jour du mois de Munychion, selon les Athniens, le 17e du
mois d'Avril selon les Romains. Son corps reut les honneurs de la
spulture suivant les coutumes nationales des Athniens, et comme lui
mme de son vivant l'avait prescrit : car cet homme bienheureux
avait, plus que tout autre, la connaissance et la pratique des
honneurs funbres dus aux morts. Il ne ngligeait, dans aucune
circonstance, de leur rendre les hommages accoutums, et chaque
anne, jours fixes, il allait visiter les tombeaux des hros de
l'Attique, ceux des philosophes, de ses amis et de ceux qu'il avait
particulirement connus, accomplissait les actes prescrits par la
religion, et cela non par un intermdiaire, mais personnellement.
Aprs avoir rempli ce pieux devoir envers chacun d'eux, il allait
l'Acadmie, et dans un certain lieu particulier, sollicitait par ses
vux et ses prires, les mes de ses anctres et de ses parents, a part
et sparment, et, dans une autre partie de l'difice, faisait en
commun des libations en l'honneur de tous ceux qui avaient pratiqu
la philosophie. Aprs tout cela, ce saint personnage, traant un
troisime espace distinct, faisait un sacrifice toutes les mes des
morts qui reposaient dans cette enceinte. Son corps revtu et
dispos, comme je l'ai dit, suivant ses propres recommandations et
port par ses amis, fut enterr dans la partie la plus orientale des
faubourgs de la ville, prs du Lycabettos, o repose aussi le corps
de son matre, Syrianus. Car c'tait une volont que celui-ci, de son
vivant, avait exprime son lve, et en vue de laquelle il avait fait
faire un double monument funbre; et, comme aprs sa mort, notre
pieux matre se demandait en lui mme si cela n'tait pas contraire au
respect et aux convenances, il lui sembla le voir en songe qui lui
adressait des reproches et des menaces, et le blmait vivement mme
d'avoir eu cette pense. On grava sur son tombeau une inscription en
quatre vers, qu'il avait compose pour lui mme, et que voici : Moi,
Proclus, je suis Lycien d'origine ; Syrianus m'a nourri ici de ses
leons, pour lui succder dans son enseignement. Ce mme tombeau a reu
nos deux corps : Puisse un mme sjour tre rserv nos deux mes!
37. Il y eut un an avant sa mort des prodiges clestes, comme une
clipse du soleil tellement complte que la nuit se fit pendant le
jour : on tomba dans une obscurit profonde et les astres apparurent
; elle se produisit au moment o le soleil tait dans le Capricorne,
au centre oriental. Les savants qui s'occupent de dterminer par
crit le temps qu'il fera chaque jour, en ont signal une deuxime
qui, elle, devait se produire une anne pleine, coule aprs sa
mort.
Ces tats dsordonns que parat subir le ciel, sont, dit-on, des
indices des vnements qui arrivent sur la terre ; en tout cas. ils
nous ont montr nous, la disparition et pour ainsi dire l'clips de
lumire que subissait la philosophie.
38. Les faits que je viens de raconter de notre philosophe sont
suffisants pour moi ; mais il est permis celui qui le voudra,
d'entreprendre un rcit sincre touchant ceux qui ont t ses disciples
ou ses amis. Car beaucoup de personnes, et venues de beaucoup de
pays diffrents, ont frquent ses cours, les uns uniquement pour
l'entendre, les autres pour devenir ses mules, et se sont lis lui
par amour de la philosophie. Un crivain plus laborieux que moi
pourra faire la liste gnrale de ses ouvrages (car pour moi j'ai t
amen crire ce livre pour satisfaire un devoir de conscience, et
pour acquitter ma dette de pieux hommage envers cette tte divine et
le bon Dmon qui l'avait reu dans son partage). En ce qui concerne
ses crits, je me borne a dire que de tous, il prfrait toujours les
commentaires sur le Time, quoi qu'il et une grande prdilection pour
ceux du Thtte. Il avait aussi souvent la bouche, ces mots : Si
j'tais le matre, je ne laisserais dans la circulation, de tous les
anciens livres, que les Oracles et le Time; tous les autres, je les
ferais disparatre des yeux des hommes de notre temps, car ils ne
peuvent que nuire certains de ceux qui, tmrairement et sans
prcaution, en abordent la lecture.