Rapport d’un musicothérapeute D.U. (master 1) : La sénescence : stade de l’existentiel ou La musicothérapie : soin non médicamenteux à visées thérapeutiques, au service des Anciens, atteints de troubles neurocognitifs sévères, résidants à l’EHPAD de la Bourgonnière
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Rapport d’un musicothérapeute D.U. (master 1) :
La sénescence : stade de
l’existentiel
ou
La musicothérapie : soin non médicamenteux
à visées thérapeutiques, au service des
Anciens, atteints de troubles neurocognitifs
sévères, résidants à l’EHPAD de la
Bourgonnière
« Escargot adagio
Grimpe, gravit
Le mont Fuji. »
Haïku d’Issa (1763-1828)
A « Madame jeudi », ma mère.
Avant propos : genèse de ce rapport.
1. Anamnèse.
Depuis l’âge de 11 ans, j’ai fait le choix d’aller vers les « anawims 1» des temps actuels.
Depuis quinze années, j’exerce le métier d’éducateur spécialisé D. E. dans le secteur des
‘handicaps divers’. J’ai repris des études afin d’aller vers le thérapeutique. Ce rapport
représente plus de 1600 heures de stage professionnel musicothérapeute (je suis
aujourd’hui diplômé de la faculté de médecine…).
J’ai rédigé ce rapport dans l’attitude « mushotoku ». Cette attitude est inhérente à la
pratique du zen2 (pratiqué depuis 30 ans), [voir livre de Deshimaru Taisen, réf.8]. La
traduction peut être la suivante : « sans but, ni recherche de profit ».
Pourtant, je l’ai rédigé, empli de gratitude (plus juste en anglais : gratefullness) : en
hommage aux résidants et professionnels de l’EHPAD qui m’ont accueillis, aux résidants qui
ont accepté d’être patients en musicothérapie.
2. Elément déclencheur.
Cela a été la visualisation de la vidéo sur la table ronde : « de la musicothérapie à la
recherche fondamentale », [voir site, réf. 49]. Les interventions de Messieurs Hervé Platel et
1 Anawim : mot hébreu, cité dans la Torah, indiquant ceux qui ont tout perdu. Ici, dans les temps actuels, je l’entends comme ceux qui ont perdu jusqu’à leur vie sociale, leur dignité, leur foi, leur santé, leur espérance… 2 Zen : Boudhisme intégré dans la religion japonaise. C’est la voie la plus abrupte et la plus rapide du Boudhisme. Le zen réside dans la pratique de za-zen : c’est une posture assise (où points de position, façon de respirer, attitudes de la pensée, ont été transmises depuis 2500 ans), totalement immobile et très tonique. Ma pratique est dégagée des aspects de la religion shinto.
3. Le choix des mots.
Certains mots clefs que je choisis d’utiliser seront régulièrement justifiés. Je justifierai
ainsi dans plusieurs domaines : l’Histoire, l’Anthropologie, l’Ethnographie, l’Etymologie,
l’Epistémologie, les progrès des Neurosciences, les DSM IV et V, les Heuristiques
linguistiques, la Langue des oiseaux3, [voir livre de Monin Yves, réf.31].
4. Choix structurels.
Dans la forme de ce rapport, j’ai intentionnellement pris quelques libertés :
- les pages blanches qui s’y trouvent en font partie. Elles représentent un instant de
silence, une respiration,
- comme vous l’avez déjà remarqué, afin de ne pas alourdir la lecture, chaque
référence utilisée sera précisée par : [voir livre (ou site) de nom et prénom, ref.
numéro], le numéro faisant référence à la bibliographie (et sites internet).
3 Langue des oiseaux : langue utilisée à l’origine par les alchimistes qui permet de prendre du recul sur la langue française et d’en décrypter des sens plus profonds. D’autres langues ont cette approche multidimensionnelle comme l’hébreu par exemple.
Mots et expressions clefs :
Accompagnement fin de la vie ; aire transitionnelle ;
alliance thérapeutique ; appropriation de médiums
sonores ; apprentissages ; bande sonore commune à
partir du résidant ; bilan psychomusical ; changements
psychiques ; cadre ; chants ; circuit du bas ;
communication non verbale ; communication non
violente ; créativité ; discontinuité du cadre ; Ehpad ;
empathie soignante ; improvisation clinique ;
instrumentarium inconnu des patients ; instant présent ;
intégration (Erikson) ; inversion du rythme nycthéméral ;
langue des oiseaux ; méthode Montessori ; mort ;
musicothérapie active ou réceptive , en individuel ou en
groupe restreint ; neurogénèse ; neurosciences ;
neurotransmetteurs ; observations ; opportunité de dire
non ; pathologies dégénératives chez la personne âgée ;
paradigme pyramidal inversé ; plasticité cérébrale ; plus
de 1600 heures de stage professionnel ; sundowning
- l’unité « Pierre Mara » comportant lui aussi 14 logements individuels.
Ces deux dernières sont des unités spéciales, pour des personnes présentant des
troubles cognitifs et/ou en état de grande dépendance. Il est à noter que pour ces
deux unités, les limitations sont des portes battantes coupe feu, mais sans
verrouillage à code (choix de la direction).
Les personnes présentant des troubles cognitifs ont leur logement dans un cadre
verdoyant et reposant (jardin thérapeutique).
Les unités sont des lieux de vie sans couloirs rectilignes, avec des petits salons pour
favoriser la convivialité, des bibliothèques, une musique ambiante et de nombreux
fauteuils et canapés.
Le pôle central est constitué par le patio, la salle de restaurant et l’accueil, c’est le
concept de place du village avec espaces coiffeur, esthétique, boutique, point
courrier, entre autres.
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Le salon est conçu pour recevoir parents et amis. Le maintien des liens sociaux est
une des priorités. Visites (dans le respect des soins et des autres résidants),
informations et concertations entre les familles et l’établissement sont fortement
encouragées.
De plus :
Beaucoup de plantes sont à l’intérieur (arrosées par une résidante), et à
l’extérieur.
Il y a un effort pour favoriser l’éclairage naturel ainsi que pour éviter les
phénomènes de résonance acoustique.
Quelques animaux sont là à demeure : deux petites colombes près du patio et
dans l’unité « Pierre Mara » vivent, un beau poisson « combattant », dans son
bocal, ainsi qu’un chat qui est à tous et à personne.
c. Logement individuel :
Chacun dispose d’une superficie de 27 m², d’une terrasse ou d’un balcon, d’un
équipement de qualité adapté à la dépendance, d’une intimité (chaque résidant
possède sa propre clef et sa boite aux lettres près de sa porte). La majorité des
résidants apporte des objets et/ou du mobilier de leur ancien logement, avant
l’EHPAD. La personnalisation est bien encouragée.
d. Autres locaux :
Comme il est montré sur le plan ci-dessus, il se trouve de nombreuses salles de soins,
pharmacie, bureaux pour les soignants, salle Snoezelen, salle de bains, avec
baignoires spécifiques adaptées (en toile étanche solide et nombreux jets réglables
de massage). Des lève-personnes sont à disposition.
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e. Sas d’entrée :
C’est un endroit garantissant la sécurité. En effet, c’est le seul endroit disponible
ayant la possibilité d’être fermé par un code, changé périodiquement. Le personnel
mais surtout les personnes chargées du secrétariat et de l’accueil observent et
alertent si un résidant, en trouble cognitif sort, en se mettant en danger. Le sas est
fermé pendant les repas et la nuit.
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B- Présentation des résidants.
1-Préambule : choix linguistique.
Je choisis le vocable résidant, non commun, « celui qui est fixé dans un endroit », au
lieu de résident « celui qui est de passage dans un endroit », d’après le dictionnaire Petit
Robert des noms communs, 1975, [réf.28].
2- Anciens, personnes âgées dépendantes, vieux ou vieillard ?
a. Les Anciens :
Dans l’Antiquité, comme aujourd’hui dans de nombreuses sociétés à culture
orale dans le monde, le groupe des Anciens jouit de respect, du fait qu’ils sont peu
nombreux, et de part leur rôle de dépositaire et de transmetteur de la tradition et
des connaissances techniques. Ils ont un rôle de référence dans les domaines civils
(mariages, naissances…), de jugement de litiges ou de délits, de lien entre le Ciel et la
Terre.
Voici quelques exemples :
o Platon, dans son ouvrage « la République » (-300), cite Socrate dans sa
conversation avec Cephalus, riche négociant du Pirée : « J’aime parler aux
anciens, pour ce qu’ils aient vécu avant et que nous aurons aussi
probablement à vivre, et il me semble que nous devrions apprendre d’eux
ce qui, sur le sentier, est âpre et difficile ou bien est aisé ».
o L’apôtre Pierre, dans sa première lettre [5,1-4], dans les années 50, alors
que l’empereur romain Néron cherche à éradiquer les chrétiens lors de
martyrs publics sanglants : « [Vous, les Anciens], soyez les bergers du
troupeau (…) qui vous est confié, (…), non pas en commandant en maître à
ceux dont vous avez la charge, mais en devenant les modèles du
troupeau.. »
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o Chez les Amérindiens, dans le livre de John G. Neihardt 4: « Elan Noir
Parle », O.D. édition-Indiens de tous pays, 2014, [Elan Noir (1863-1950)
était chef et homme médecine des Sioux Oglalas], le rôle des Anciens est
déterminant ; par exemple dans son rôle d’initiateur, de conseiller, de
celui qui montre le chemin, dans son rôle de transmetteur de l’histoire
sacrée…
o Au Japon quand un Ancien est arrivé au sommet de son art, il entre dans
la catégorie des trésors nationaux vivants.
o Enfin, pour l’Afrique, l’écrivain et conteur Peul, Amadou Hampâté Bâ,
disait, au siège de l’UNESCO en 1960 : « [En Afrique], quand un vieillard
meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». Bien que cette citation reflète
la réalité, elle est dite avec un fin humour.
b. La personne âgée dépendante :
Voila la définition de la personne dans le sigle, devenu un mot
incompréhensible pour les non-initiés, l’EHPAD. La langue anglaise, en général plus
pragmatique et précise que la langue française, parle de : « old people », « old old
people » et « very old people ».
c. Les vieux et les vieillards :
La culture du livre, et maintenant d’internet, ôte à l’Ancien son rôle de
« transmission ».
De plus, la chute de la religion en France, ainsi que des croyances et religions dans le
monde (comme le montre les tableaux suivants), lui ôte aussi son rôle
d’ « initiation », de « lien entre le Ciel et la Terre » :
4 : Ce témoignage, pour la première fois édité par John Neihardt en 1932, a été repris et étudié par Carl Jung et son équipe.
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Ce tableau représentant la situation en France est à rapproché du suivant, montrant
les proportions des croyances dans le monde :
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L’Ancien a alors perdu toute sa fonction sociale. Il devient, dans un discours
politiquement et grammaticalement correct, une personne âgée au mieux sinon un
vieux (ou plus péjoratif avec le suffixe -ard), c’est-à-dire quelqu’un d’obsolète,
d’inutile (dans la langue française).
En sociologie, jusqu’à la fin des 30 glorieuses, le grand intégrateur social était la
valeur travail, c’est ce qu’ont connu les « vieux » d’aujourd’hui. Etant intimement lié
à cette valeur majeure, et encore aujourd’hui, chacun utilise cette heuristique
linguistique : « qu’est ce que tu fais dans la vie ? », « je suis ouvrier, professeur,
maçon, infirmière, mère au foyer… », c’est-à-dire que nous avons pris le pli de
confondre l’Etre et le Faire. Cela a pour conséquence que les vieilles personnes se
considèrent comme, je cite : « ayant perdu toute valeur ». Pourtant aujourd’hui le
grand intégrateur social est le statut de consommateur. Les vieilles personnes de
plus en plus nombreuses, constituent un cœur de cible marketing de choix (pour le
meilleur et pour le pire), et elles sont génératrices de plus en plus d’emplois. Mais
ceci correspond à des valeurs d’aujourd’hui, étrangères aux « old old people ».
d. Choix personnel :
Afin de remettre à sa place légitime la personne âgée, dépendante ou non, je
reprendrai donc l’appellation d’Ancien (d’où le titre de ce rapport). Mais pour des
raisons pragmatiques, je reprendrai dans les pages qui vont suivre l’appellation
classique des professionnels : « personnes âgées dépendantes » ou « résidants ».
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3-La sénescence.
Souvent mal interprétée, la sénescence (qui n’a rien à voir avec l’état de sénilité) est
une étape prépondérante de la vie d’un être humain. Dans cette optique, je cite le géronto-
psychiatre Louis Ploton, [voir sa participation dans le livre de l’A.N.F.E., réf.4]: «vieillir, c’est
faire le deuil d’une image pour en assumer une autre, c’est assumer une crise d’identité ».
Vue au travers de la langue des oiseaux, la « sen-essence » est une étape toute aussi
primordiale que celle qui entoure la « n-essence » et « l’adol-essence ». Ce sont des étapes
cruciales pour la croissance de l’être.
4- Le paradigme pyramidal inversé.
La loi du 2 janvier 2002 stipule que le résidant doit être le plus possible au centre de
son projet. Aussi la loi met en relief :
« - Le respect de la vie privée, de l’intimité.
- Le droit au maintien des liens familiaux.
- La personnalisation de l’accompagnement.
- Le libre choix des prestations.
- La recherche systématique du consentement de l’usager, ou, le cas échéant, du
représentant légal.
- L’accès à tout document relatif à sa prise en charge. »
Cette loi s’applique à tout établissement sanitaire et/ou social. De plus, à l’EHPAD, il y a
l’importance incontournable du secret médical, la mission de soin liée à la mission
d’accompagnement et l’appui de base qu’est la charte des droits et libertés de la
personne âgée en situation de handicap ou de dépendance (que j’aborderai au chapitre
suivant).
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Il est commun de représenter le dispositif ainsi :
Intervenants extérieurs
Réseau partenarial
Professionnels intradisciplinaires
de l’EHPAD
Résidant
Organismes financeurs
Familles Réseaux Santé
Lors d’un l’entretien avec un chef de service, nous avons approfondi ce point de vue,
le faisant évoluer en paradigme pyramidal inversé. L’usager est non seulement au
centre du dispositif mais aussi son fondement.
Dispositif
Résidant
Dispositif
Vue de dessus Perspective cavalière
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C’est un point de vue tiré de l’archimandrite5 Sophonie, écrivant la vie de Saint Silouane
(1866-1938), moine orthodoxe au mont Athos, aux éditions du Cerf, 2010. Cela prend sa
source dans le verset de l’évangile de Matthieu [21, 42] : « La pierre qu’ont rejetée les
bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ». Cette phrase multidimensionnelle est ici, de façon
professionnelle appliquée de la manière suivante : tout est fait pour le résidant, avec lui, le
plus possible en tant qu’acteur, et sans lui, toute la structure n’aurait plus de raison d’être.
Ce principe trouve son prolongement dans le premier livre de philosophie,
autobiographique, d’Alexandre Jollien : « L’éloge de la faiblesse », [voir livre, réf.14], mettant
en dialogue l’auteur, infirme moteur cérébral, et Socrate. Il écrit : « la question « comment
ça va ? » était vitale pour nous (…) nous entrions [ainsi] dans l’existence de l’autre (…) lui
communiquant notre amitié. »
5- Les résidants de la Bourgonnière.
a. Tableau général actuel :
- Il y a aujourd’hui 85 résidants et deux logements pour des séjours temporaires.
- La moyenne d’âge est de 88.74 ans.
- La durée moyenne du séjour avant décès est de 3 ans et 72 jours.
- Il convient de noter une progression de l’âge moyen des résidants : le plus âgé à 102
ans et le plus jeune à 71 ans. En 2010, l’âge moyen était de 86 ans.
- 14 résidants sont décédés en 2014 et 17 en 2015.
- Les résidants sont originaires pour 15% de la ville de Nantes, 35% des communes
voisines (surtout Indre) et 45% de Saint-Herblain.
5 Archimandrite : supérieur de monastère orthodoxe
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b. Le GMP : mesure de la dépendance :
La grille nationale AGGIR (Autonomie Gérontologie Groupe Iso
Ressources) constitue un outil destiné à évaluer le degré de perte d’autonomie ou le
degré de dépendance physique et psychique, des demandeurs de l’allocation
personnalisée d’autonomie, dans l’accompagnement de leurs actes quotidiens à
domicile.
L’évaluation de la dépendance est faite par la grille AGGIR également en
établissement et donne le calcul du GMP (GIR Moyen Pondéré) permettant d’obtenir
une dotation dépendance pour notamment recruter du personnel soignant et fournir
des aides matérielles ou techniques.
Le classement GIR donne lieu à des cotations (dépendance élevée : cotation élevée) :
GIR 1 : 1000 points, GIR 2 : 840 points ; GIR 3 : 660 points, GIR 4 : 420 points, GIR 5 :
250 points, GIR 6 : 70 points.
Le GMP est le calcul résultant du montant des points de l’établissement / nombre de
personnes hébergées.
Huit variables permettent de mesurer ce que fait réellement la personne. Le GIR
prend en compte les facultés de cohérence, d’orientation, de toilette, d’habillage,
d’alimentation, de transferts (se lever, se coucher, s’asseoir) et de déplacements à
l’intérieur.
L’unité « Village » a un GMP de 476.
L’unité « Pierre Mara » a un GMP de 840.
L’unité « Ermitage » a un GMP de 895.
Depuis plusieurs années, les GMP sont en constante évolution. Pourtant, comme le
souligne Michel Bauer, infirmier référent en EHPAD, « le terme dépendance est très
relatif, cela peut être la conséquence d’une accumulation de troubles divers, malgré
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tout, ce mot se définit ainsi : incapacité d’accomplir au moins trois actes de la vie
courante. »
c. Essai d’envisager le rapport au monde d’un résidant :
Le journal le Figaro du 21/01/2014 relate une enquête de l’Office
National à la Fin de Vie, recueillie auprès de résidants d’EHPAD : constat de
désespérance : « 40% des personnes âgées dépendantes en EHPAD seraient touchées
de dépression. Avoir le sentiment d’être inutile : la première mort des personnes
âgées est une mort par exclusion de la « vraie vie », celle des gens qui bougent, qui
« sont en vie », qui travaillent. (…) Il y a aussi pour les trois-quarts des résidants, le
non choix d’entrer en institution. Elles sont restées le plus longtemps possible chez
elles, avec des aides et des soignants à domicile, mais à un moment, quand les aides
deviennent trop coûteuses ou que la dépendance devient trop importante (sans ou
avec pathologie déjà bien avancée), représentant pour elles un danger souvent
dénié, elles se retrouvent « placées » avec le sentiment que l’on se débarrasse
d’elles. Les EHPAD accueillent en moyenne 42% de leurs patients atteints d’une
maladie type Alzheimer et ce « miroir de la démence », « ces hurlements » terrifient
les personnes qui ont surtout peur de « perdre la tête ». La venue de la mort effraie
beaucoup moins que celle d’une mort lente, souffrante, avec acharnement
thérapeutique. »
Je reviendrai sur l’angoisse de la mort par rapport aux personnes atteintes de
troubles neurocognitifs sévères, dans les fondements de ma construction théorique.
Je vous propose de revenir à l’EHPAD de la Bourgonnière, où, même si ce qui précède reste
vrai, il y règne en général une ambiance conviviale parmi les résidants, par affinités, par
origine géographique commune, par l’ambiance joyeuse des animations nombreuses et
variées (non obligatoires), par la responsabilisation de certains résidants, par la qualité
relationnelle du personnel. Nombreuses sont les personnes qui ont choisi de venir y
demeurer.
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Dans l’unité « Pierre Mara », lors des pauses, à certaines heures, des chansons de 1950 se
mettent à éclore spontanément en groupe, les autres résidants présents écoutent avec
plaisir…
6- Les résidants spécifiquement atteints de troubles neurocognitifs sévères.
a. Préambule - choix linguistiques :
a1. Les DSM IV et V.
Le DSM V, apparu en 2013, a eu pour effet en France, une levée de boucliers de la
part des médecins. Sauf pour les troubles neurocognitifs sévères qui regroupent, entre
autres, les maladies types Alzheimer et troubles apparentés, les démences vasculaires, les
démences mixtes, et autres (ce sont les pathologies auxquelles j’ai été confronté).
C’est par cette appellation du DSM V, que l’EHPAD désigne ces pathologies.
Je reprendrai le DSM IV pour la nosologie des maladies.
a2. Démence sénile : étymologie et historique.
- Etymologie : le mot démence vient du latin « de» qui signifie « hors de », et « mens »
qui signifie « esprit ». Sénile vient aussi du latin « senex » qui signifie « vieillard ».
Voilà donc un diagnostic médical fort péjoratif pour un patient et sa famille, voire
traumatisant. Ce qui a eu aussi pour effet d’instaurer pendant un certain temps dans le
milieu médical un « nihilisme thérapeutique ». C’est-à-dire que rien ne pouvait plus être fait
pour le malade à part satisfaire tant bien que mal ses besoins primaires, en apaisant sa
douleur physique au mieux. C’est ce que dénonce Maria Montessori (1970-1952) et, à sa
suite Cameron Camp, [voir livre de Camp Cameron, réf.6]. J’y reviendrai aussi dans les
fondements de ma construction théorique.
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- Historique de la démence sénile (d’après Philippe Albou, psychiatre, secrétaire
général de la société internationale d’histoire de la médecine), [voir son livre, réf.1] :
De l’Antiquité au XVIème siècle :
Je citerai simplement deux passages, relativement explicites :
Euripide (-480,-406) dans « Les Phéniciennes » : « Nous autres, vieillards, nous
ne sommes qu’un troupeau, une apparence, nous déambulons comme des
images de rêve, nous n’avons plus de bon sens, si intelligents que nous puissions
nous croire ».
Montaigne (1533-1592) dans « Les Essais » [1,57] : « Tantôt c’est le corps qui
se rend le premier à la vieillesse, parfois aussi c’est l’âme (…) ; et d’autant que
c’est un mal peu sensible à qui le souffre et d’une obscure montre, d’autant est-il
plus dangereux ».
XVIIIème et XIXème siècles : évolution du mot « démence » :
Le mot est vu par tous comme folie, voir folie furieuse. Dans le Code pénal,
article 64, en 1810 : « il n’y a ni crime, ni délit, lorsque le prévenu était en état
de démence au cours de l’action ».
Au début du XIXème siècle, les médecins Pinel (1745-1826) et Esquirol (1772-
1840), son élève, définissent de façon plus médicale la démence. Ils créent les
premiers asiles (mot provenant de l’antiquité romaine qui signifie « lieu
inviolable où une personne en danger trouve refuge ») où sont soignés tout
aliéné (du mot latin alien : l’autre).
Fin XIXème et début XXème siècle : isolement des « troubles mentaux à début tardif » :
C’est vers 1860 que la démence n’est plus considérée comme un « état » mais
comme un processus se développant dans le temps, étudié par Charcot (1825-
1905), par exemple, en France, fondateur de la neurologie moderne.
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XXème siècle : la neuro-anatomie de la démence :
A la suite des neurologues Paul Broca (1824-1880) et Carl Wernicke (1848-
1905), des psychiatres continuent leurs études sur la neuro-anatomie et les
symptômes de la démence, surtout Aloïs Alzheimer (1864-1915).
Dans les théories et nosologies que j’utiliserai, j’écrirai comme leurs auteurs, qui, la plupart
du temps, prennent appui sur le DSM IV.
a3 : Précisions sur le terme de maladie d’Alzheimer.
Le diagnostic de la maladie d’Alzheimer se fait post-mortem, à l’autopsie, où il
apparaît une recrudescence de plaques séniles et de dégénérescences neuro-fibrillaires.
Mais comme le cite le professeur honoraire à Paris V, Christian Derouesné, ancien chef de
service de neurologie à l’hôpital de la Pitié Salpetrière (20 ans consacrés à la maladie
d’Alzheimer et aux troubles du vieillissement) : « Ni les plaques séniles, ni les
dégénérescences neuro-fibrillaires ne sont spécifiques à la maladie : elles sont relativement
banales chez les sujets sans déficit cognitif (…), chez 19% de ces sujets, la sévérité des lésions
est analogue à celle des sujets déments ». Je parlerai donc de la maladie de type Alzheimer
avec troubles apparentés.
b. Descriptif des pathologies rencontrées :
b1. Définition de trouble neurocognitif sévère.
Ici, sont touchés sévèrement « les processus psychiques tels que la perception,
l’analyse visuelle spatiale, la mémoire, le langage, la pensée, l’attention, le raisonnement…
toutes les fonctions permettant d’acquérir des connaissances, c’est-à-dire les moyens et
mécanismes d’acquisition des informations », (cf. : Dictionnaire médical, 2014).
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b2. Maladie de type Alzheimer et troubles apparentés (la plus fréquente des maladies
neuro-dégénérative) :
Cette maladie présente une perte d’autonomie progressive qui se traduit par des
troubles cognitifs de types mnésiques associés à des atteintes d’un ou plusieurs autres
domaines. Elle est aussi associée à des troubles psycho-comportementaux. Afin de
diagnostiquer une maladie de type Alzheimer, ces difficultés doivent être présentes depuis
au moins six mois et absentes d’une autre pathologie (par exemple une tumeur).
D’abord est touchée la mémoire explicite (verbalisée) puis la mémoire implicite (non
verbalisée, le « faire »).
La première zone cérébrale touchée est la zone gardienne de la mémorisation des
informations récentes, située dans l’hippocampe, au centre du cerveau dans le cortex. C’est
la mémoire épisodique. Les anciens souvenirs restent intacts, d’où un refuge de la personne
atteinte dans le passé. Ensuite est touchée la mémoire sémantique : la connaissance que
l’on a sur le monde (ainsi que les discours) se vide, ne laissant que les mots « valises ». Puis
est touchée la mémoire procédurale, le « faire ». Voici quelques exemples :
- Apraxie : difficulté à réaliser certains gestes, à utiliser certains objets, à s’habiller.
- Aphasie : difficulté à s’exprimer, allant jusqu’à l’incohérence du langage et au
mutisme.
- Désorientation temporelle et/ou spatiale.
- Trouble de la concentration, par exemple : grande difficulté à faire un choix.
Enfin est touchée la mémoire sensorielle, perceptive, émotionnelle (la madeleine de Proust).
C’est cette mémoire qui est la plus longtemps préservée, elle se situe dans l’amygdale
cérébelleuse, dans le cerveau reptilien.
Cette pathologie est donc évolutive et à triple entrée :
- Atteinte à la mémoire :
Stade précoce : oubli, répétition.
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Stade modéré : désorientation, oubli de ses amis.
Stade terminal : l’information ne se fixe plus, incohérences, lésions du
cerveau (déglutition, respiration…), mort.
- Variable dans le temps :
En fonction de la pathologie.
En fonction du patient.
- Evolution du profil cognitif et des troubles du comportement dans
l’avancée de la maladie :
25
b3. Maladie neuro-dégénérative de Parkinson (deuxième plus fréquente après la
précédente).
Cette maladie touche les gens âgés (plus de 65 ans). Elle est caractérisée par une
dégénérescence des neurones à dopamine. C’est une maladie chronique, d’évolution lente
et progressive, dont le début est insidieux. Les malades restent asymptomatiques jusqu’à ce
que 50 à 70 % des neurones à dopamine soient détruits et que le cerveau ne soit plus en
mesure de compenser par la plasticité cérébrale. Apparaissent alors les symptômes
suivants :
Trois symptômes moteurs (ils ne sont pas forcement présents en même temps et
peuvent être d’intensité variable. Ils restent longtemps asymétriques) :
- Akinésie : lenteur dans la mise en œuvre et coordination des
mouvements.
- Hypertonie : rigidité excessive des muscles.
- Tremblements : survenant au repos, affectant surtout les mains et les
bras. Ils sont intermittents et non systématiques. [En en étant conscient,
la personne malade effectue un important effort de concentration pour
qu’ils n’apparaissent pas en public, ce qui entraîne une fois seule, des
crises plus ou moins importantes].
Symptômes non moteurs :
Par répercussions de la maladie sur le cerveau, la personne
peut présenter des problèmes de sommeil, une perte d’odorat
(anosmie), des troubles cognitifs, des troubles d’équilibre, des
douleurs, des difficultés d’élimination, des symptômes de dépression
plus ou moins importants.
26
b4. Démences vasculaires cérébrales (non dégénératives et deuxième cause de
démence après la maladie de type Alzheimer).
Elles sont dues à une anomalie de la circulation sanguine qui provoque un manque
d’oxygénation de certaines zones du cerveau. La destruction des tissus est alors irréversible
et entraîne une détérioration des capacités cognitives et de la mémoire.
Le type de ces démences que j’ai rencontré est dû à des infarctus multiples résultant de la
répétition de minis Accidents Vasculaires Cérébraux ou bien par infarctus unique d’un seul
AVC.
b5. La démence mixte.
Cette maladie associe des lésions d’origines dégénératives (ici de types Alzheimer) et
une démence vasculaire.
b6. Troubles neurocognitifs sévères exposés par Naomi Feil (née en 1932), [voir ses
livres, réf.10 et 11] :
Sa théorie (que je développerai ultérieurement, toujours dans les fondements de ma
construction théorique) expose le comportement spécifique de personnes très âgées qui
luttent pour résoudre leurs problèmes durant leur vie, restés tels quel, avant leur mort. C’est
ce qu’elle nomme la Résolution.
Ce comportement se classe en quatre étapes progressives:
La mal orientation : expression des conflits passés dans des formes déguisées.
La confusion : la personne ne se repose plus sur la réalité, elle est dans son
monde intérieur.
27
Le mouvement répétitif : ces mouvements remplacent les mots et sont utilisés
pour exprimer des conflits non résolus.
L’état végétatif : la personne s’échappe intérieurement complètement du monde
et renonce à essayer de résoudre sa vie.
Ces personnes sont souvent diagnostiquées comme ayant une démence de type Alzheimer,
à tort.
Celles que j’ai rencontrées pouvaient présenter des troubles associés, comme : des troubles
comportementaux, une aphasie de Broca ou encore des troubles dépressifs profonds,
voisinant la mélancolie, avec tentative de suicide.
b7. Troubles neurocognitifs sévères dus au grand âge :
Sans pathologie spécifique, le vieillissement naturel du cerveau (je parle des
personnes autour de 100 ans) entraîne une diminution du nombre de neurones et des
neuro-médiateurs.
La mémoire et les troubles cognitifs concernés par le processus dégénératif et les baisses de
performances sont variables d’un sujet à l’autre.
28
C- Au service des résidants : l’hydre bienveillante.
1. Préambule : choix linguistique.
Il est souvent question de « service de soins » ; « chef de service » etc…, le mot
service a en effet beaucoup de sens. J’apprécie d’utiliser ce mot, car, en arrière plan,
j’entends une de ses nombreuses définitions : « ce que l’on fait pour quelqu’un ».
2. Procédures d’admission et de suivi.
[voir site, réf.52]
3. « Charte des droits et libertés de la Personne âgée en situation de handicap ou
de dépendance ».
Ce texte est un des principaux fondements du dispositif d’un EHPAD :
29
30
4- Structure générale de l’EHPAD de la Bourgonnière.
Cet EHPAD est un établissement privé à but non lucratif géré par une
association loi 1901 : Association d’Assistance de Saint-Herblain et d’Indre.
L’établissement a mis en place des procédures « démarches qualités » conformément
au référentiel : « certification de services » de la Fédération Nationale Accueil et
Confort Pour Personnes Agées.
Le coût pour le résidant (avec possibilité d’aide sociale) est de 1841€ par mois, mis en
place par le Président du Conseil Départemental.
Organigramme (page suivante) :
31
Il convient de noter que la restauration est réalisée sur place par la société extérieure
ELIOR, qui est composée d’un chef et d’une brigade de deux personnes. Les repas
sont de qualité (gustative et autre sens…), équilibrés et adaptés aux besoins des
résidants.
Chaque acteur du service porté aux résidants est important et est recruté pour son
professionnalisme mais surtout pour ses qualités humaines, permettant de voir le
résidant comme une personne avant tout.
32
5-Etat des lieux du personnel soignant (interne et externe).
Il y a 45 salariés auxquels se rajoutent les 3 cuisiniers qui travaillent dans
l’établissement, soit 32.47 ETP (Equivalent Temps Plein).
Plus spécifiquement :
- Pour l’unité de travail Pierre Mara (14 résidants):
o 1 ASH le matin et le soir,
o 1 AMP et 1 AS le matin,
o 1 AMP ou 1 AS le reste de la journée jusqu’à 21h00.
- Pour l’unité Ermitage (14 résidants) :
o 1 ASH le matin et le soir,
o 3 AS le matin,
o 1 AS le reste de la journée jusqu’à 21h00.
- Pour l’ensemble de la structure, de 21h à 6h30 :
o 1 AS et 1 AMP.
Par décision de la Direction, les acteurs de soins qui travaillent dans les unités ‘Pierre
Mara ’ et ‘Ermitage’, ne sont pas arbitrairement nommés, mais font le libre choix de
venir dans ces services. Certains ne restent que quelques mois, d’autres (la majorité)
plusieurs dizaines d’années (ou plus).
Ces soignants suivent des formations continues adaptées que je détaillerai plus loin.
33
Le résidant (ou sa personne de confiance si nécessaire) garde son libre choix de ses
médecins et spécialistes, ainsi que de ses différents auxiliaires médicaux
(kinésithérapeutes, pédicures, orthophonistes…). Ce qui fait que 30 médecins
libéraux, exerçant essentiellement dans la commune de Saint-Herblain, mais aussi
Indre, Couëron, Nantes, prennent en charge les résidants dans l’établissement. S’ils
ne peuvent se déplacer, ou en dehors des heures ouvrables, il est fait appel à SOS
Médecin ou au centre 15 si nécessaire. Il y a aussi 7 kinésithérapeutes libéraux qui
interviennent dans l’établissement et font leur compte rendu sur le logiciel de soins.
L’EHPAD fait partie du secteur psychiatrique 1 rattaché à l’hôpital Saint Jacques de
Nantes. Un infirmier psychiatrique du Centre Médico-Psychologique Beaumanoir
peut intervenir auprès des résidants. Il peut également être fait appel au psychiatre.
A la suite de son intervention, un infirmier psychiatrique se déplacera pour le
résidant et/ou l’équipe soignante pour valider les actes d’accompagnement.
Voici le réseau partenarial de la Bourgonnière :
34
6-Attitude commune dans la pratique des soignants : l’humanitude.
a. Origine :
Selon Albert Jacquard, dans son livre « Cinq milliard d’hommes dans un
vaisseau », aux éditions Seuil, en 1987, l’humanitude recouvre « l’ensemble
des cadeaux d’évolutions que les humains se sont faits les uns aux autres aux
cours des générations, depuis qu’ils ont conscience d’être et qu’ils peuvent se
faire encore, en un enrichissement sans limite ».
35
36
b. Application pratique dans les soins :
Voici Les quatre piliers de l’humanitude :
Le regard : il doit s’échanger face à face, les yeux dans les yeux, à
hauteur du visage.
La parole : elle doit annoncer chaque geste.
Le toucher : il s’agit d’essayer de transformer le « toucher utilitaire »
en « toucher tendresse » tout en respectant la sphère d’intimité de la
personne.
La verticalité : essayer, le plus possible d’accompagner la personne
debout, tout en respectant ses limites et états du moment.
L’individualisation des soins :
Le soignant, le plus possible là encore, s’efforce de s’adapter à chaque
résidant, d’être d’avantage à l’écoute de ses désirs et de ses besoins,
d’apprendre à connaître son histoire.
Les limites :
Les GMP augmentent d’années en années mais pas les crédits pour
embaucher du personnel soignant. Donc, la lourdeur croissante des prises en
charges entraîne un temps réduit avec le résidant.
7- Formation continue du personnel soignant.
Afin d’être mieux au service du résidant, les professionnels suivent des
formations spécifiques et diverses, qu’ils partagent ensuite avec ceux qui n’ont pas
pu les suivre, ne serait-ce que par leur attitude. Par exemple :
o 10 professionnels ont bénéficié de la formation Montessori, adaptée aux
personnes âgées dépendantes,
o 5 professionnels ont bénéficié de la formation Snoezelen,
o 3 professionnels ont bénéficié de la formation d’assistant de soins en
gérontologie,
37
o 3 professionnels ont bénéficié de la sensibilisation à la méthode de validation
de Naomi Feil.
De plus, la médecin coordinatrice, est fervente élève du géronto-psychiatre Jean
Maisondieu, [voir livre, réf.30], et ainsi, sait diffuser, faire infuser, cette approche
auprès des soignants. Je préciserai le point de vue de ce professeur dans ma
construction théorique.
8- Les soins non médicamenteux.
a. Effectués par les soignants :
De par leur formation, les soignants savent pratiquer des soins non
médicamenteux comme par exemple :
Les ateliers mémoire.
La confection de potage maison tous les soirs à l’unité Pierre Mara.
Des repas thérapeutiques, en compagnie des résidants.
Les soins en salle Snoezelen, etc…
b. Les animations :
Il n’y a pas de preuve scientifique que les animations font partie des
soins non médicamenteux, mais force est de constater un mieux être chez les
résidants qui y participent (volontairement). Nombreuses sont les activités, et
l’animatrice (qui ne fait pas partie du personnel soignant) est aidée par une
solide équipe de bénévoles.
Par exemple :
L’activité chant, où les personnes viennent très nombreuses, des trois
unités, dans la salle polyvalente. Je rappelle que le chant de chansons,
parues quand les résidants avaient de 20 à 30 ans, est utilisé en
musicothérapie pour les personnes qui ont des troubles mnésiques
plus ou moins importants : à travers l’émotion provoquée par le chant
(chanté ou écouté), une petite veilleuse s’allume dans l’obscurité de
leurs souvenirs et des sens et sentiments de l’époque peuvent se
mettre au jour.
38
La sortie annuelle d’une semaine de vacances dans une maison de
Pornichet.
Le jeu du loto.
Les sorties (courses, cinéma local, marché, visites, spectacles….).
Les participations aux décorations de la résidence, adaptées au
moment de l’année.
Le ‘lien canin’, où sont conviés des chiens dressés et leur maîtres, pour
un échange de bonté, sans jugement, avec les résidants.
La célébration de la messe, les jeudis et dimanches matins.
Les célébrations, une fois par mois, des anniversaires.
L’invitation d’animateurs musicaux.
L’animation lecture.
L’invitation des enfants, en groupe, porteurs d’un projet.
La gymnastique douce (vélo d’appartement).
Les soins esthétiques.
Les moments ‘thé dansant’ en lien avec d’autres maisons de retraite,
etc….
c. La responsabilisation des résidants :
Peut-on parler là aussi de soins non médicamenteux ? Je le suppose.
Dans ce domaine, je souligne :
La participation active au Conseil de la Vie Sociale.
La gestion de la boutique.
L’arrosage des nombreuses plantes.
La confection de décorations florales, etc…
9-Les mécanismes de défense.
a. Formels :
Il y a régulièrement des analyses de la pratique. Les soignants peuvent
aussi demander des entretiens particuliers.
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b. Informels :
Il n’est certes pas évident de toujours travailler auprès de personnes
dépendantes, abîmées physiquement et mentalement, de côtoyer la mort.
Cela peut naturellement rappeler au personnel sa propre famille ou aussi ce
qu’il pourrait devenir plus tard et raviver sa propre angoisse de mort.
D’où l’importance d’avoir des mécanismes de défenses informels comme des
pauses ensemble (où il est tabou de parler travail), des discussions de couloirs
parfois de tout et de rien, des rires, voire des fous rires, de la taquinerie, de la
tendresse dans leurs appellations entre personnels, des affinités… et aussi la
musique d’ambiance, diffusée dans tout l’établissement, forte parfois,
souvent sur la station RFM, qui a pour effet de dynamiser et de prendre un
certain recul (sur ce point, j’y reviendrai en annexe 3).
10-Petite conclusion.
a. Enquêtes et classements :
En 2013, France Info annonce le fruit d’une enquête sur le classement
des maisons de retraite en France. L’enquête porte sur 10400
établissements, publics, privés et associatifs.
64 établissements ont obtenu la note 10/10, et le département
figurant en tête est… la Loire Atlantique.
En 2014 et 2015, l’association UFC Que Choisir a visité anonymement
2404 EHPAD en France. Les appréciations et critères de notation se
sont faits sur la chambre, les locaux et son environnement, la vie
quotidienne, et l’accueil.
L’EHPAD de la Bourgonnière fait partie, en Loire Atlantique, de ceux
qui ont reçu le maximum de points et est classé 4ème meilleur EHPAD
de la région.
40
b. Points à améliorer :
b1 : La salle Snoezelen.
D’origine néerlandaise, ce mot résulte de la contraction des verbes
« snuffelen » (renifler, sentir) et « doezelen » (somnoler). Il fait référence
à la notion d’exploration, de détente, de plaisir des stimulations
sensorielles.
A l’EHPAD de la Bourgonnière, je pense que cette salle est à améliorer :
dans les surfaces trop petites des différentes matières, collées
au mur, en vue d’une meilleure sensation de toucher,
dans la musique diffusée, musique commerciale soi-disant
relaxante, mais vide, musique « soap », alors qu’il serait plus
approprié qu’elle soit en concordance avec l’Identité Sonore de
la personne, [voir livre de Benenzon Rolando Omar, réf.5],
par le lit, peu modulable et couvert d’une alèse en plastique
(pratique mais pas forcément douillet),
par les parfums : utiliser un diffuseur d’huiles essentielles
naturelles en connaissance des effets recherchés,
par la température, plutôt basse. En effet, cette salle sert aussi
(malheureusement par manque de place) de lieu pour les vélos
d’appartement (gymnastique douce). Cette dernière est fort
utile mais pourrait se situer autre part, par exemple dans la
salle de soin inoccupée du 1er étage de l’unité « Village » qui
m’a été prêtée comme bureau durant mon stage. Aménagée,
elle pourrait accueillir les vélos.
b2 : L’absence de temps formel de transmission (entre référent tout au
moins) quand un résidant de l’unité « Village » est déménagé dans les
unités « Ermitage » ou « Pierre Mara », dû à l’évolution de son état.
41
b3 : La musique ambiante. Elle est génératrice de stress et d’agacement
chez les résidants et dénote une peur du silence pour le personnel,
assimilé à la mort.
c. Histoire et choix linguistique.
c1. Un changement de référentiel :
Avant la seconde moitié du XXème siècle, les Anciens, sauf troubles
dangereux, étaient gardés à la maison. Les trois générations vivaient
ensemble (enfants, parents et grands-parents encore vivants). Ceci pour le
meilleur et pour le pire. Enfin, c’est ce qu’ont connu, dans leur enfance ou
leur jeunesse, les résidants actuels de l’EHPAD. Quel bouleversement
culturel !
c2. Histoire du nom des établissements pour personnes âgées
dépendantes voire démentes :
o Au XVIIème siècle, sont créés les hôpitaux généraux.
L’étymologie du mot hôpital viens du latin hospes qui signifie
« hôte », cette racine est aussi celle du mot hospitalité.
A contrario, le but des hôpitaux généraux était d’y enfermer
toute personne jugée indésirable par la société, dont les
vieillards indigents.
Progressivement, la prise en charge s’est plus spécifiée en
fonction des personnes hébergées.
o Fin du XIXème siècle, le nom est changé en hospice, ayant la
même racine étymologique que précédemment.
42
Ce sont des lieux, ayant une capacité se dénombrant en
centaines de places, qui mélangent, en grande promiscuité,
toutes sortes de vieillards.
o En 1962, après le rapport Laroque, sont créées les maisons de
retraite, ayant trois exigences :
La conception d’établissements proches des centres
d’intérêts des agglomérations pour l’intégration sociale.
L’individualisation et la personnalisation des chambres.
L’architecture (pour 70 personnes maximum) qui
favorise l’aménagement de locaux ayant pour objectif
de faciliter la vie en commun des petits groupes.
Je vous invite à regarder de plus près cette dénomination :
Le terme maison est en fait une « violence douce » (oxymore
utilisée par le psychothérapeute Thierry Tournebise, quand il écrit sur
la prise en charge des personnes âgées dépendantes), car même si
c’est un lieu de vie, les résidants ne sont pas dupes (voir enquête de
l’ONFV) et souvent, consciemment on non, désirent rentrer dans leur
maison, chez eux.
Le terme retraite est ambigu. « Etre en retraite » peut s’entendre
par « être mis en retrait ». Ce mot peut signifier aussi que l’on est
vaincu et en fuite devant l’ennemi (ex : « la retraite de Russie »). Mais,
d’un autre versant, il peut aussi signifier un lieu tranquille où on se
ressource, où on fait le point.
o En 2002, suite à la loi 2002-2, sont créés les EHPAD qui
renforcent les droits des usagers et beaucoup d’autres
43
éléments très bénéfiques pour eux (se référer ci-dessus). Mais
pour le résidant : il se retrouve dans un sigle devenu mot, dont
pratiquement seuls les professionnels connaissent la
signification, les tenants et aboutissants.
Afin d’être plus juste, plus clair et moins discriminant, je propose une
nouvelle appellation du genre : « Lieu de vie au service des Anciens ».
44
45
III. Immersion, observations, problématique.
A- Positionnement personnel général à l’EHPAD.
Quand je regarde, filmé en accéléré, un arbre qui pousse vers le ciel, lâche ses fruits,
qui à leur tour, prennent racines et poussent encore, c’est un émerveillement. Je prends
comme métaphore le palétuvier rouge, principale espèce constituant la mangrove.
Je compare cela à notre vie d’être humain, de la famille (cf. : arbre généalogique), d’une
société donnée, de l’humanité entière.
46
Le cycle est comparable. Les jeunes bourgeons deviendront racines porteuses… Ainsi, les
Anciens, et les Ancêtres, constituent mes racines et leur histoire est en fait aussi mon
histoire.
C’est ainsi que j’ai effectué ce travail avec le sentiment permanent d’être privilégié et aussi
dans la joie des possibles rencontres. J’apprécie, depuis longtemps, écouter les histoires
vécues par les Anciens.
Par exemple un résidant me raconte son métier, qui était de pointe à ce moment là, quand il
était ingénieur sur les postes à galène, mettant la radio à la portée de tous. Ou, dans un
domaine similaire, cette résidante, qui me raconte comment elle était technicienne sur les
premières télévisions.
Je suis passionné par toutes les aventures et bouleversements du XXème siècle, et préfère de
loin les écouter en direct par les témoins qui les ont vécus.
Je suis arrivé le 1er novembre 2014. Coïncidence ? Car ce jour, dans notre culture, est
traditionnellement celui où l’on va honorer ses ancêtres. Les cimetières sont alors jonchés
de fleurs, avec comme star, le chrysanthème9.
9 En chine, le chrysanthème est une des 4 fleurs nationales. Il symbolise la paix, la vie paisible, la constance, la longue vie…
47
B- Immersion.
1- Identification.
Il est important que j’aie sur moi (je suis en « civil ») des signes extérieurs explicites
de ma fonction, autres que mes instruments de musique (plus aléatoires, car ils sont souvent
dans mes sacs). Voici donc ce qui me différencie et m’identifie :
La direction m’a aussi confié un passe, ouvrant presque toutes les portes.
48
2- Approches et contacts :
Dans mon projet de base, je me dirigeais surtout vers les unités « Pierre Mara » et
« Ermitage ». Prévenus de mon intention professionnelle, les soignants ont permis que je
participe à certaines prises en charge. Celles-ci ont été aussi envers quelques résidants de
l’unité « Village ».
Surtout la première semaine et ensuite de plus en plus rarement, pour me consacrer
exclusivement aux ateliers de musicothérapie, j’ai :
- accompagné des résidants (un à la fois) pour des balades hors de l’établissement, sur
le trottoir aménagé de l’allée de la Bourgonnière ou au parc public mitoyen,
- participé à des repas thérapeutiques à l’unité « Pierre Mara » ; c’est-à-dire, mangé
avec eux, à leur table (j’étais à la table de trois futurs patients),
- participé à donner le goûter (à des futurs patients là aussi) à l’unité « Ermitage ». Je le
rappelle : les résidants de cette unité sont très dépendants, et ont besoin, pour la
plupart, qu’une personne extérieure leur donne à manger ou à boire, de façon aussi à
éviter les fausses routes (ex : l’eau gélifiée).
49
C- Observations.
1. Méthodologie.
Par mon métier actuel d’éducateur spécialisé et par la pratique de la Communication
Non Violente, [voir livre de d’Ansembourg Thomas, réf.7], j’ai essayé d’observer
professionnellement de la façon la plus objective possible, sans jugement, sans à priori, sans
peur, discernant, au possible, mes contre-transferts.
Professeur de Communication Non Violente et psychothérapeute, Thomas d’Ansembourg
cite le philosophe indien Jiddu Krishnamurti (1895-1986) pour qui : « distinguer
l’observation d’un fait de son interprétation est l’un des stades des plus élevés de
l’intelligence humaine ».
Suivant la pratique de la CNV, je me suis mis au clair avec mes sentiments et mes besoins,
sans affect personnel (voir annexe 1).
Afin d’être observateur, j’ai mis aussi en pratique la métaphore de la roue qui tourne, dans la
tradition zen : l’individu, surtout s’il est porteur d’une souffrance, reste placé sur la surface
du pneu de la roue des évènements, qui tourne vite, et ne voit presque rien, si ce n’est le
bitume qui défile. La pratique du zen consiste à se choisir un rayon et à descendre peu à peu
vers le centre du moyeu. L’individu va alors moins vite (le rayon étant plus petit) et voit de
plus en plus clairement autour de lui ce qui se passe. Arrivé au centre de la roue, il est
complètement immobile et voit l’ensemble, en éveil.
2. Notions de temps.
C’est ma première observation. Il y a, dans l’établissement, plusieurs notions du
temps. Grossièrement, il y a les « lièvres », le personnel, et les « tortues », les résidants. Les
50
uns, de par leur mission professionnelle, les autres, de par leur grand âge et leur
dépendance.
Cela peut se voir d’une autre façon, celui des stades de développement, ou des façons de
vivre : une continuelle construction du Moi (cf. : Freud), en passant par la narcissisation,
voire l’effort fourni pour la conserver, et l’affirmation du Soi (cf. : Jung) qui est
l’aboutissement de la sénescence. J’y reviendrai dans les fondements de ma construction
théorique.
De par ma fonction, j’ai la chance de pouvoir avoir du temps.
Bien au dessus d’Agadez, au Niger, un ami Touareg avait pris une poignée de sable dans sa
main, doigts serrés, puis avait ouvert ses doigts et joignant la parole au geste m’avait dit :
« Tu vois, si tu ne prends pas le temps, tu le perds ».
Les personnes atteintes de troubles cognitifs majeurs, surtout ceux qui souffrent de
dégénérescence mnésique, vivent leur instant présent, en accord avec la représentation
unanime du temps ou avec un temps qui n’appartient qu’à eux. En travaillant avec eux, j’ai
vu ainsi en moi germer le koan10 du maître zen Kodo Sawaki (1880-1965) : « L’instant
présent est un piège pour l’éternité ».
Un koan ne peut, par définition, être expliqué, mais le philosophe et musicologue Vladimir
Jankélévitch (1903-1985), [voir son livre, réf.15], peut aider. Je le cite : « L’occasion est une
aventure, et elle advient toujours pour la première fois », « jamais auparavant et jamais
plus », « A l’irréversibilité du temps : il convient d’apporter son imprévisibilité : le temps
n’est pas une pure continuation d’être, mais innovation perpétuelle », « imprévisibilité et
irréversibilité sont d’ailleurs comme le recto et le verso d’une même temporalité : si
l’événement nouveau est toujours inédit, c’est que les évènements anciens ne souffrent
aucune répétition. »
10 Koan : courte phrase absurde voire énigmatique utilisée dans les écoles Zen, comme objet de méditation, mettant en action une logique totalement inhabituelle, confondant le mental.
51
3. Autres observations.
Il apparaît plusieurs attitudes différentes sous jacentes à l’interaction avec la
personne très âgée, atteinte de troubles neurocognitifs sévères.
Elles ne sont pas forcément toutes bien adaptées et je constate un certain désarroi des
soignants, malgré leur bienveillance, leur professionnalisme et leur humanitude.
Utilisation de la Validation (d’après Naomi Feil), [id., réf.10] que je cite :
« L’intervenant ne discute pas et ne se confronte jamais à la personne.
Il n’essaie pas de l’amener à expliquer son propre comportement.
Il n’essaie pas de l’orienter sur l’époque et le lieu, si elle ne le souhaite pas.
Il n’utilise pas les techniques de renforcement positives ou négatives pour
modifier le comportement de son interlocuteur. »
Cette méthode est celle, à mon sens, la plus adaptée (je la reprendrai dans les fondations de
ma construction théorique).
Utilisation de l’Orientation vers la réalité (développée par le psychiatre James
Folsam en 1964) :
Cette attitude fonctionne pour les personnes âgées dépendantes mais peut faire
souffrir dans les cas qui me préoccupent, car les personnes atteintes de troubles
neurocognitifs sévères déforment volontairement les réalités du jour présent, soit pour
recréer des situations qu’ils avaient mal résolues dans le passé, soit comme moyen de
survivre aux pertes causées par leur âge.
Utilisation de la Diversion (fonctionne habituellement) :
Elle est utilisée pour modifier les comportements négatifs en proposant une
distraction agréable. Toutefois, cette action ne peut être que de courte durée, parce que la
52
distraction proposée n’est pas la réponse au besoin profond qui a provoqué le
comportement.
4. L’équipe.
J’ai pu observer une équipe professionnelle saine, c’est-à-dire, étant dans la synergie
[différentiation, confrontation, complémentarité]. De plus, grâce, entre autre, à leur système
de défense, les soignants sont disponibles et patients avec les résidants.
Si j’avais fait un sociogramme de Moreno (sociologue et psychothérapeute (1889-
1974)), visant à déterminer l’organisation socio-affective, les flèches reliant les personnes
auraient été principalement dans les deux sens, avec aucun singleton. Bien sûr, il apparaît,
mais sans scission, des groupes d’appartenances pour chaque unité, chaque pôle.
D- Problématique.
1. Objectif principal.
Aider, par la musicothérapie, la personne atteinte de troubles neurocognitifs sévères,
à résoudre au mieux l’objectif du stade de la sénescence (je le verrai plus en détail dans les
éléments fondamentaux de ma construction théorique).
53
2. Visées thérapeutiques connexes.
Afin d’aller vers l’objectif principal, différents moyens et ateliers thérapeutiques vont
être mis en place (une même personne peut se retrouver dans plusieurs ateliers, suivant
l’évolution de son état). Les voici :
a. Par la pratique de la musicothérapie, dans la simulation des
neuromédiateurs, essayer de contribuer à l’allègement des traitements
chimiques dont les substances actives ont des effets secondaires souvent
délétères chez les personnes très âgées.
b. Par l’utilisation d’un instrumentarium inconnu des personnes, stimuler,
suivant Hervé Platel, la plasticité cérébrale et la neurogénèse.
c. Donner la possibilité à la personne, dans une écoute active, de s’exprimer
dans ses émotions, sentiments et besoins, par la mise en place de
séances de musicothérapie active individuelle (voir annexe 1).
d. Par des séances de musicothérapie active en groupe restreint, aider à la
communication entre les personnes d’une même unité, essayant de les
dégager de leur à priori ou de leur rôle.
e. Par la musicothérapie réceptive individuelle en direct, participer à
l’accompagnement au coucher, pour travailler chez la personne
l’agressivité, le « sundowning syndrome » et « l’inversion du rythme
nycthéméral ». Je définirai ces symptômes quand j’écrirai sur la clinique.
f. Par la musicothérapie réceptive (en direct) et la verbalisation, aider la
personne dans l’accompagnement de la fin de sa vie (qu’est ce que
« mourir en paix » ?).
54
g. Donner les moyens aux soignants, par un angle de vue
musicothérapeutique, de créer une bande sonore ambiante, basée sur le
résidant (voir en annexe 3).
55
IV. Construction théorique.
A. Préambule : Langue des oiseaux et choix linguistique.
1- Savoir et connaissance.
Selon la langue des oiseaux, le verbe savoir peut être lu comme « s’avoir », c’est-à-
dire avoir pour soi, pour sa propre érudition. Le mot connaissance quant à lui, peut être lu
comme « co-naissance », c’est-à-dire faire l’expérience de naître avec l’autre ou bien « con-
essence », c’est-à-dire partager avec l’autre ce que nous sommes en profondeur.
A mon sens, donc, le savoir (mot autocentré) ne peut devenir fécond, spécialement dans un
métier de thérapeute, que pour la connaissance (mot relationnel), (cf. : transformation de
point de vue, transformation psychique…)
2- Soignant et soigné.
Toujours selon la langue des oiseaux, le mot soignant peut être vu comme « soi-
niant », c’est-à-dire, non pas rejet de ce que l’on est, mais l’absence dans le fait de soigner,
de recherche de profit personnel. Le mot soigné peut lui être vu comme « soi-nié ».
En prenant appui sur les fondateurs de la psychanalyse, je dirai plutôt le « Moi-niant », selon
Freud (mot actif), s’occupe du « Soi-nié », selon Jung (mot passif). Ce qui devient contraire à
mon optique thérapeutique. Je préfère donc parler, non de « soigné », mais de « patient ».
56
B. Fondations..
1. Introduction.
a. Culture de l’EHPAD de la Bourgonnière.
Chaque EHPAD a sa propre culture. Afin que mon travail en musicothérapie puisse
s’insérer dans celle de la Bourgonnière, je choisis de le greffer sur un travail déjà en cours. Je
vais donc m’appuyer sur la Validation de Naomi Feil, la méthode Montessori adaptée aux
personnes âgées dépendantes et l’angle de vue du géronto-psychiatre Jean Maisondieu.
b. Une histoire de ponctuation, [voir livre de Modillat Gérard, réf.33].
Je fais référence à Hamlet, dans la pièce éponyme de William Shakespeare (1564-
1616). Dans l’acte 3, scène 1, en plein drames, Hamlet est plongé dans ses méditations avant
l’arrivée de sa maîtresse, orchestrée par le conseiller du roi meurtrier, afin de le confondre.
C’est à ce moment, seul dans un appartement du château qu’il dit cette phrase célèbre,
début d’un monologue « Etre ou ne pas être, telle est la question ? ».
Or, dès l’origine de la traduction, il y a confusion dans la ponctuation, ce qui change le sens
et l‘original souligne le génie de l’auteur. Le texte original est « To be or not? To be, that’s
the question » c’est-à-dire “Etre ou pas? C’est être qui est la question”.
2. La méthode Montessori.
a. Présentation.
Cette méthode, inspirée des travaux du docteur Maria Montessori (1870-1952), est
adaptée par le professeur Cameron Camp, [id., réf.6], neurologue et chercheur américain, en
1999.
57
b. Retour sur le nihilisme thérapeutique.
C’est l’idée qu’une personne âgée qui présente une démence, est incapable
d’apprendre ou d’exprimer quoi que ce soit et ne fait que décliner dans maints domaines.
Cette idée est insidieuse, car elle détruit l’espoir et condamne à accepter qu’il n’y a rien à
faire. Le psychologue et psycho-gérontologue Tom Kitwood (1937-1998), a été l’un des
premiers à remettre en question cette idée. L’usage d’un modèle psycho-social remplace
progressivement le modèle médical dans le soin et la démence. Je le montrerai bientôt à
l’aide du point de vue de Jean Maisondieu.
c. Activités et soins.
Les activités proposées visent à optimiser les capacités persistantes (mémoire
procédurale et mémoire émotionnelle). Elles doivent intéresser les personnes et avoir du
sens pour elles. Il convient aussi au soignant de leur donner un rôle à remplir (sentiment
d’appartenance, de sécurité et d’estime de soi).
Déroulement d’une activité (individuelle ou en groupe) :
Commencer l’activité par une invitation.
Faire une démonstration avant de demander à la personne de faire par elle-
même. Cela lui permet de se focaliser sur la procédure et non sur des directives
verbales, source de confusion.
Décomposer l’activité en tâches successives.
Clore l’activité en demandant à la personne si elle aimerait la refaire une autre
fois.
58
3. La validation de Naomi Feil.
a. Introduction :
J’ai déjà commencé à parler de cette méthode [id., réf.10 et 11].
Valider, c’est reconnaitre les émotions et les sentiments d’une personne. La Validation
emploie l’empathie thérapeutique pour s’accorder à la réalité intérieure de la personne âgée
désorientée.
b. Correspondance avec la théorie du psychologue Erik Erikson (1902-1994) :
Erik Erikson a élaboré une théorie des étapes du développement au cours de la vie,
avec leurs tâches respectives, qui se fonde sur les interactions entre les capacités
biologiques, mentales et sociales, les besoins et les pulsions. En grandissant,
l’accomplissement d’une tâche dépend de la façon dont ont été accomplies les tâches des
étapes précédentes. Les « grands vieillards désorientés », dans ce que Naomi Feil nomme la
Résolution (jamais totale), vont essayer de retrouver une Intégrité, en essayant de se
réconcilier, de se réapproprier les étapes de leur vie qui se sont mal ou très mal passées.
59
Je cite le tableau explicite suivant, d’après Naomi Feil avec quelques rajouts (en italique) :
Etape Crise psychosociale Comportement observé chez les
grands vieillards désorientés
Prime enfance Confiance vs Méfiance
Fruit : l’Espoir
Font des reproches, se sentent
désespérés et abandonnés, sans
valeur.
Tout ce qui est nouveau les effraie. Ils
« ravalent » leurs émotions.
Enfance Autonomie vs Honte, Doute
Fruit : la Volonté
Les gentils garçons et filles ne disent
jamais « non ». Ils craignent de
prendre des risques, manquent de
confiance en eux, ont peur de perdre
le contrôle. Ils accumulent des
réserves.
Age du jeu Esprit d’initiative vs Culpabilité
Fruit : l’Exploration
Ne tentent rien de nouveau.
Dépression, culpabilité, pleurs
continuels, position de victime.
Age de l’école Volonté vs Sentiment
d’infériorité
Fruit : la Compétence
Font des reproches, « je ne vaux
rien » ; dépression.
Adolescence Identité vs Confusion
Fruit : la Fidélité
Passages à l’acte d’ordre sexuel.
Résignation. Perte de l’identité,
confusion de noms propres.
Jeune adulte Intimité vs Isolement
Fruit : l’Amour
Repli sur soi, évitement d’autrui.
Dépendance.
60
Age adulte Créativité vs Stagnation
Fruit : le Prendre soin
S’accrochent au passé, aux anciens
rôles sociaux ou au travail. Disent aux
autres quoi et comment faire.
Travaillent tout le temps, veulent
« être utiles ». Déni des pertes liées à
l’âge.
Age avancé Intégrité vs Désespoir, Dégoût
Fruit : la Sagesse
Dépression, dégoût du monde.
Reprochent aux autres leurs
manquements. « je ne vaux rien ».
c. Techniques et validations permettant de communiquer avec les personnes
âgées atteintes de troubles neurocognitifs sévères :
Selon Naomi Feil, ceci concerne les vieillards désorientés au 3ème stade « les
mouvements répétitifs » et au 4ème stade « vie végétative ».
c1.La concentration.
C’est à l’intervenant en validation d’essayer d’entrer dans le monde de la personne. Pour
être ouvert à leurs émotions, il doit être libéré des siennes propres, il se doit d’être centré
(cf. : la métaphore zen de la roue qui tourne).
c2. Travailler et accepter l’ambiguïté comme moyen de répondre à une
personne incapable de s’exprimer de façon sensée.
En effet, à ces stades de la Résolution, les malades ont tendance à inventer leur propre
vocabulaire.
61
c3. Relier les comportements aux besoins.
Persistent trois besoins de bases : être aimé, être utile et exprimer ses sentiments (mais sont
présents tous les besoins détaillés par la C.N.V. en annexe1).
c4. Utiliser le contact physique.
c5. Leur renvoyer leur image en copiant les mouvements de leur corps,
leur façon de respirer, ou encore danser à leur rythme.
c6. Utiliser la voix, le toucher, des regards proches de façon sincère
pour obtenir une réaction.
c7. Se servir de la musique (sic).
d. Attitudes du praticien en validation dans tous les cas :
- Etre centré.
- Observer les caractéristiques physiques des personnes, leur langage non-verbal.
- Les écouter avec attention.
- Ne pas discuter de la vérité des faits.
- Ne pas porter de jugements.
- Etre attentif à l’espace privé, tant physique que psychologique, de chacun.
4. Carl Ransom Rogers.
a. Présentation :
Carl R. Rogers (1902-1987) était docteur en psychologie et professeur à l’université
de Chicago. Je vais relever dans sa conception de la psychologie humaniste ou existentielle,
les points qui vont contribuer à ma base de thérapeute, [voir son livre, réf.40].
62
b. La congruence :
Lorsque le psychothérapeute est congruent, c’est qu’il est authentique dans le
rapport avec son patient, sans masque ni façade. Plus le thérapeute sait écouter et accepter
ce qui se passe en lui, ses propres sentiments et besoins, plus il va être alors capable de les
exprimer au moment opportun et le changement psychique chez le patient s’en trouvera
facilité.
c. L’empathie (thérapeutique) dans la relation d’aide :
Je reviendrai plus en détail sur ce point, mais l’empathie selon Carl Rogers me semble
être la seule qui soit thérapeutique dans la relation d’aide. C’est-à-dire :
Laisser résonner en soi, en congruence et sans jugement (tout
en restant centré), tout ce que vit le patient, à ce moment
précis.
Reformuler afin de voir si l’on a bien saisi, donc montrer au
patient qu’il a bien été entendu ; peut-être suggérer quelques
pistes, dans l’empathie.
Laisser le patient cheminer, soutenu (de moins en moins) par le
thérapeute, afin qu’il trouve en lui-même les ressources pour
résoudre son problème, par transformations psychiques.
d. Le continuum :
Faisant écho à Vladimir Jankélévitch, Carl Rogers comprend que « les individus
n’évoluent pas d’un point fixe et homéostasique vers un nouveau point fixe. Au contraire,
le continuum le plus significatif se développe à partir d’un point fixe vers le changement (…),
à partir d’un état de stabilité vers un processus évolutif ». Et cela toute vie durant, tout
comme chaque être vivant.
63
5. L’empathie thérapeutique
L’empathie ne se limite pas à se mettre à la place de l’autre (ce qui est une illusion) et
ainsi l’aiguiller vers des solutions qui nous conviendraient très bien, si nous nous retrouvions
dans la même situation. Ceci n’est pas soignant. Le psychothérapeute Thierry Tournebise
définit cette empathie comme du « narcissisme relationnel », [voir son livre, réf.44].
L’empathie soignante (ou thérapeutique) est clairement définie par Carl Rogers : laisser en
vérité résonner en soi, sans jugement, les états informatifs (représentations), émotionnels et
psychoaffectifs du patient, tout en restant objectif, centré.
Je reprends la métaphore zen de la roue, mais cette fois à deux : la roue du patient roule à sa
vitesse, le patient étant à la surface du pneu, et cette roue, par alliance thérapeutique (j’y
reviendrai), comme par une courroie de transmission, est liée à la roue du thérapeute, qui
lui, est centré, immobile, sur l’axe de son moyeu. Par l’écoute active du thérapeute, il va
trouver son propre rayon pour se centrer.
Il est important, dit Thierry Tournebise, que le thérapeute ne soit ni emporté dans les
affects, ni s’être mis dans la distance (utilisation du patient jusqu’à l’opposé : absence de
relation), mais se doit d’être « distinct », donc différencié (cf. : Winnicott).
6. Thierry Tournebise.
a. Présentation :
Thierry Tournebise (né en 1951) est psychosomaticien, psychothérapeute et
formateur auprès de personnels soignants. Il est le fondateur de la « Maïeusthésie »
composé du grec « maieutke », art d’accoucher quelqu’un, et du mot d’origine indo-
européenne « aisthanesthai », sentir, percevoir, [id. réf44 et réf44bis].
64
b. Rassembler les parts de soi éparpillées, l’amour d’Isis :
Dans la mythologie égyptienne, Isis était la femme d’Osiris. Osiris avait un frère Seth,
jaloux et envieux, qui lui tendit un piège (…) Afin d’en finir pour de bon, il découpa Osiris en
quatorze morceaux qu’il éparpilla sur la terre d’Egypte.
Isis, avec l’aide de sa sœur, entreprit de le rechercher puis de rassembler les morceaux de
son mari. Osiris fut rassemblé avec tant d’amour, que non seulement il revint à la vie, mais
en plus, redevint apte à la procréation. Ensemble ils conçurent Horus.
Pour Tournebise, la thérapie est un « chemin d’amour entre celui qu’on est et tous ceux
qu’on a été ». Les morceaux, dans l’objectif de ma problématique, n’ont pas été éparpillés
dans l’espace (l’Egypte) mais dans le temps (chaque histoire personnelle). Le processus de
renaissance terminé, il reste toutefois à apprendre à vivre. Mais dans le processus de
naissance, bien que la solution soit toujours l’accueil, il convient de respecter les résistances,
ne pas forcer, car ce qui résiste « fait partie de la notice de montage du kit [des morceaux
éparpillés]».
c. Guider sur le fil :
Le reflexe qui consiste à essayer d’oublier ce qui nous a fait du mal, nous protège
correctement de la douleur immédiate. C’est la « pulsion de survie ». Afin de ne pas perdre
ce précieux instant de notre vie dont nous nous sommes personnellement amputés, nous
l’attachons à un fil, dont nous gardons précieusement l’autre extrémité près de nous. Nous
nous en occuperons plus tard, lorsque nous aurons gagné en maturité, ceci est l’œuvre de la
« pulsion de vie ».
Pour Tournebise, être thérapeute, « c’est savoir reconnaitre le fil d’Ariane que le patient
nous propose et l’aider à l’emprunter pour mieux accéder à lui-même. C’est respecter ses
peines et ses résistances (…) Si le patient est un funambule, le thérapeute doit être son
balancier l’aidant à ne pas perdre l’équilibre sur son fil. »
65
7. Jean Maisondieu.
a. Présentation :
Le docteur Maisondieu est géronto-psychiatre des hôpitaux et propose une approche
psycho-dynamique de la démence, au carrefour du médical, du sociologique et du
psychologique, [id., réf.30].
b. La maladie d’Alzheimer : un grand tiroir pratique ?
L’approche purement biologique de cette maladie a pour inconvénient, d’après Jean
Maisondieu, de dispenser de chercher à comprendre l’individu, dont les neurones se
détériorent. Les « troubles cognitifs liés à la vieillesse » ont de plus en plus été décrétés
maladie d’Alzheimer. L’objectivité affichée que permet le modèle lésionnel a ainsi glissé vers
la croyance. Ce qui pose question c’est la condamnation implicite à l’incurabilité. Je cite : « le
message paradoxal est le suivant : « Soignez les déments, ce sont des malades, mais ne les
guérissez pas, ce sont des incurables » », et il ajoute après bien des pages : « même si la
démence n’est pas incurable, elle est difficile à soigner ».
c. L’angoisse de la mort, concept de thanatose :
Selon l’auteur, c’est en réponse à l’aspect insupportable du vieillissement autant
qu’à l’angoisse de la proximité de la mort11, et le tabou qu’elle entraine, que la démence se
développe.
Alors que la sexualité était le tabou d’hier, elle est aujourd’hui omniprésente ; c’est la mort
que l’on tend à dissimuler. Jean Maisondieu décrit donc la démence comme une réponse
défensive psychosociale à triple démarche destructive : individuelle, familiale et sociale, c’est
le concept de thanatose. Je cite : « Exclure sans rejeter et rejeter sans exclure, s’exclure sans
se tuer et se tuer socialement pour ne pas mourir sont des demi-mesures auxquelles sont
conduits (…) ceux qui sont incapables d’admettre la défaite complète devant la mort », et
11En 2014, 28% des plus de 65 ans se suicident avec un pic de 40,3% pour les 85-94 ans. La France présente le taux le plus élevée de l’Europe de l’Ouest. Cette’ épidémie silencieuse’, chez les personnes âgées, augmente dans les pays à niveau de vie élevé. Pour revenir aux symptômes de mauvaise santé de la société française, je rappelle ces chiffres : première mondiale pour la consommation de médicaments avec un record sur la prise de neuroleptiques ; troisième mondiale pour le nombre de malades alcooliques.
66
aussi « le refus de donner du sens aux symptômes oblige les patients à les majorer en toute
inconscience pour se faire comprendre. »
Le premier combat à mener est un combat contre notre angoisse collective de la mort.
8. Le processus d’individuation ; le Soi.
a. Présentation :
C’est le psychanalyste Carl Gustav Jung (1875-1961) qui définit ainsi l’individuation,
[voir son livre, réf.20]:
« J’emploie l’expression d’individuation pour désigner le processus par lequel un être
devient un individu psychologique, c’est-à-dire une unité autonome et indivisible, une
totalité ».
b. Le processus :
Il consiste en l’intégration successive de différents archétypes afin de libérer le Soi.
Le Soi étant à la fois le centre de ces archétypes et l’archétype qui les organise.
Voici quelques archétypes :
- La « personna », ou masque social.
- L’ « ombre », qui contient tout ce que la personne juge
répréhensible.
- L’ « anima » (pour les hommes) et l’ « animus » (pour les femmes),
qui représente respectivement les valeurs féminines et masculines.
- Le Soi.
67
c. Le Soi :
Pour Jung, « le Soi est non seulement le centre mais aussi la circonférence complète
qui embrasse à la fois conscient et inconscient ».
(c’est par ce symbole du Tao que Carl Jung représentait le Soi)
9. Regards sur la psyché.
a. Présentation :
Je vais essayer de préciser synthétiquement les quatre éléments de la psyché : le Ça,
le Moi, le Surmoi, [voir livre de Freud Sigmund, réf.12] et le Soi, [id., réf.20], ainsi que de
distinguer l’objectal et l’existentiel.
b. Le Ça et la libido :
Tiré du second topique du psychanalyste Sigmund Freud (1856-1939), le Ça désigne
une source intérieure qui échappe à notre volonté et qui exerce une pression. La libido est
un flux d’énergie dont le Ça est la source. Le comportement de ce flux varie selon qu’il sera
libre, contrarié, refoulé, canalisé…
68
c. Le Moi et le narcissisme :
Tiré du second topique de Sigmund Freud, suite à un préalable narcissique, où le flux
libidinal s’écoule vers lui-même, celui-ci va se diriger vers l’extérieur, vers les « objets
extérieurs ». Le Moi va donc être cette porte psychique par laquelle l’individu va tenter
d’investir le monde extérieur avec son flux libidinal, dans une tentative de profiter, de se
nourrir de l’autre, c’est l’égo.
d. Le Surmoi :
Toujours tiré du second topique de Sigmund Freud, le Surmoi est l’élément
régulateur du Moi.
Le fondement du Surmoi est l’Idéal du Moi, où l’individu, face à son environnement, se
construit un Idéal à atteindre pour optimiser les performances de l’écoulement d’énergie.
Le Surmoi va donc tenir lieu de prothèse remplaçant la conscience manquante et aura pour
tâche d’éviter les débordements impulsifs du Ça. L’individu va s’appuyer sur des modèles
« tout faits » pour assurer une vie acceptable.
e. Le Soi :
Tiré des archétypes de Carl Jung, j’en ai parlé au paragraphe précédent. Si le Ça est
considéré comme source libidinale, le Soi est considéré comme source existentielle, il va,
non vers ce qui l’entoure pour s’en servir, mais vers les êtres pour les rencontrer. Alors que
le Surmoi était une prothèse de conscience, le Soi semble être une conscience à part entière.
f. Equilibre des deux flux :
La structure psychique va donc devoir satisfaire deux types d’écoulements de flux : le
flux d’énergie (libidinal) et le flux de vie (existentiel). Il est utile de préciser que l’énergie
c’est FAIRE et que la vie c’est ETRE.
69
g. Objectal et Existentiel :
Le monde des objets :
La libido se tourne toujours vers un « objet », ne dit on pas « l’objet du désir » ou
même un « amour objectal » ? Le monde des objets concerne le relationnel (la relation étant
différente de la communication).
Le monde des sujets :
Le flux existentiel se tourne vers le Soi dans un processus d’individuation. Le projet
est de rétablir la circulation existentielle, ce monde est celui de la communication, où les
êtres comptent plus que des propos.
Il y a donc coexistence entre le flux libidinal vers le Moi, qui
donne le narcissisme et le flux existentiel vers le Soi, qui donne
l’individuation.
70
Ces schémas proviennent de Thierry Tournebise.
Voilà pourquoi le titre majeur de ce rapport est « la sénescence : stade de l’existentiel ».
71
Remarque, en partant de ces schémas12, sur la prise en charge des résidants en EHPAD :
En toute bonne foi professionnelle, les acteurs d’accompagnement des personnes
âgées, dans une empathie non soignante, ont tendance à traiter la revalorisation de l’estime
de soi par une continuité (tant faire ce peut) de la narcissisation. En effet, c’est une
projection de ce qu’ils pensent, d’après leur propre cheminement de vie actuel, apporter de
mieux.
Comme je l’ai indiqué dans la partie III, et à la vue des schémas, une croissance
harmonieuse et constructive pour les personnes visant à construire leur Moi (flux libidinal)
nécessite un processus de narcissisation ; ce qui ne peut être projeté sur les personnes
visant le processus d’individuation de leur Soi (flux existentiel).
Une prise en charge pour une sénescence réussie nécessite cette prise de conscience
essentielle : les moyens de construction des résidants et du personnel sont bien différents,
voire antagonistes.
Sans le vouloir, ni le savoir, cela peut contribuer à ‘accompagner’ la personne âgée vers la
sénilité !
12 A l’intersection des deux flux, au « milieu de vie », nombres de personnes reprennent des études, font des bilans approfondis de motivations et compétences, changent leur état de vie…. Ceci afin que leur ‘faire’ devienne enfin au service de leur ‘être’. Cette crise est si importante qu’en France, par exemple, le taux de suicide en 2014 chez les 45 – 54 ans est de 26,4%.
72
C. Entresol de ma construction théorique
1. Supervision externe :
Dès le début de mon stage, et le voyant durer, je trouvais important d’être suivi en
supervision, avec, comme questionnement de départ : discerner mes contre-transferts et
décaper mon empathie afin qu’elle soit soignante.
A la moitié de mon stage, j’ai pu trouver une personne compétente. Tous les 15 jours, nous
avons travaillé une heure. J’en dévoile quelques pistes :
Travail sur la devise inscrite au frontispice de Delphes que
Socrate reprend à son compte : « Connais-toi toi-même » : [la
connaissance est immanente à l’homme, et non extérieure, la
sagesse consiste à s’en souvenir. Cela ne peut se faire que
grâce à la maïeutique], dit en substance Socrate.
Travail sur l’observation de ma façon d’être, sans aucun
jugement, en train de vaquer à mon travail en stage à la façon
décrite par Jiddu Krishnamurti, [voir son livre,réf.21]. Ceci afin
de discerner mes filtres.
Travail sur une définition psychosociale de la relation proposée,
entre autres, par Serge Moscovici (1925-2014) : « la relation
est basée sur un échange d’intérêts ». Quels sont mes centres
d’intérêts dans ma relation avec les patients de l’EHPAD en
musicothérapie et inversement ?
Travail sur mon histoire : éléments de réponses aux 1600
heures de stage.
Travail sur la résonnance inattendue de mon action auprès des
patients : ma propre intégration et mon propre processus
d’individuation en marche.
73
Je suggère que chaque personne investie dans une relation d’aide pourrait faire ce travail de
fond. Des instances officielles de supervision (en interne ou en externe) seraient alors mises
en place pour cela.
2. Instrumentarium utilisé.
a. Présentation :
Approuvé par Hervé Platel (professeur en neuropsychologie), mon instrumentarium,
inconnu des patients, est un élément important dans mes objectifs. Dans « les allegros
d’Alzheimer », [voir site, réf.55], il dit que les patients, présentant des troubles
neurocognitifs sévères, montrent la capacité de retenir des mélodies, des chansons
inconnues.
Voici mon instrumentarium :
Sanzula
Balafon pentatonique
Grelot
74
Cabassa
Maracas et shékéré
Guiro tube résonnant 2 tons
Carillons à vent
Gong japonais
Darbouka et djembés
75
Bodhran et tambourin
Mailloches et baguettes
76
Flûte baroque ténor et flûte traversière
'tête argent'
Les deux flûtes sont pour mon usage.
Il convient d’y rajouter la voix, rythmée, mélodique. Le chant improvisé par rapport à
l’histoire de la personne sur un fond de sanzula (tel un griot), l’improvisation sur le chant
libre des voyelles, sans référence consciente au « yoga des voyelles », issu, en fait, de
l’ancienne Egypte.
Selon le psychanalyste Guy Corneau, qui utilise le yoga des voyelles : « la vague produite par
le son [des voyelles] facilite l’expansion et l’ouverture de l’être », [voir site, réf.56].
En fait ces instruments de bonnes factures, simples et gratifiants, sont des instruments (y
compris la voix) de musiques que je qualifie d’originelles.
La voix, les flûtes, les racleurs, les percussions sont les tout premiers instruments de musique
de notre patrimoine humain.
77
Dans un précédent stage, auprès de patients présentant les mêmes troubles, il était apparu
les observations suivantes, éléments soignants d’un tel instrumentarium, à priori inconnu :
- par le toucher, sensation kinesthésique, recherchée par la personne ;
- par les souvenirs engendrés par la confection des instruments (aide à la
mémoire sémantique) ;
- par le son des instruments, sensation auditive nouvelle, pouvant non
intentionnellement faire resurgir des émotions ;
- par l’histoire, l’origine de l’instrument (invitation au voyage,
concrétisation de reportages télévisuels) ;
- par une dynamique de groupe nouvelle dans la création d’une histoire
sonore ;
- par le réveil de la curiosité ;
- par le plaisir de produire, dans un choix libre (aide à la difficulté de faire
des choix dans des choses déjà connues) ;
- par la communication sonore et non-verbale (aide aux difficultés
langagières, à l’aphasie) ;
- par la manipulation (aide à l’apraxie), d’où l’importance de mailloches
pour pallier à la fatigue ;
- par le plaisir de retrouver des instruments déjà investis auparavant
(aide à la mémoire épisodique, à l’agnosie) ;
- par ma relance et stimulation avec l’instrument dont je joue, de
manière adaptée (aide aux troubles de la concentration) ;
- par la création d’émotions sonores nouvelles (aides aux troubles
psycho-comportementaux) ;
- par l’effet de surprise, rompant un quotidien mortifère ;
- par la captation (aide au retour au calme).
Je montrerai, dans la clinique, l’à propos des ces observations, en les élargissant et les
approfondissant.
78
b. Apport des neurosciences (partie 1) :
Par cet instrumentarium particulier, peuvent se développer deux observations dans
le cerveau humain.
b1. La plasticité cérébrale :
De façon simple, la plasticité cérébrale est due à la capacité des neurones à faire et
défaire leurs connexions synaptiques. Le cerveau est qualifié de plastique, car les connexions
synaptiques, sont renforcées ou non, par l’environnement, la pratique. La musique provoque
une « symphonie neuronale » (cf. : Hervé Platel), c’est à dire qu’elle met en action des zones
dans tout le cerveau, ce qui aide à la plasticité.
Dans sa thèse de doctorat en 2012, [voir site, réf.57], dont un des rapporteurs était Hervé
Platel, Aline Moussard montre que « l’activité sensori-motrice de la pratique musicale
amène une réorganisation cérébrale ». La musique entraine, par la plasticité cérébrale, « des
effets de transfert à des compétences non-musicales », comme le langage et la motricité. Ce
qui est fort appréciable pour les personnes atteintes de troubles neurocognitifs sévères.
b2. La neurogénèse adulte :
Là aussi, de façon simplifiée, le cerveau adulte continue à produire des neurones. La
division des cellules souches neurales endogènes, donne naissance à des cellules capables de
se différencier en neurones (neufs) qui s’intègrent dans les circuits cérébraux existants
(limités chez l’adulte).
La musique pourrait bien accélérer la neurogénèse : des expériences menées sur des souris
et des rats soumis à des stimuli musicaux montrent que la production de neurones est
augmentée dans leurs hippocampes. « Mais on ne sait pas toujours précisément ce qui
produit cet effet neurostimulant » pointe Hervé Platel.
79
Ceci tendrait à confirmer ce proverbe japonais « On commence à vieillir quand on cesse
d’apprendre » et j’ose ajouter : ceci quel que soit l’âge civil.
80
D. Rez-de-chaussée.
1. Apport des neurosciences (partie 2), [voir livre de Levitin Daniel, réf27].
a. La route du bas :
Malgré l’espoir de la neurogénèse dans la zone de l’hippocampe, collée en son
extrémité inférieure à l’amygdale cérébelleuse, les personnes présentant des troubles
neurocognitifs sévères ont souvent l’hippocampe abimé voire détruit.
Dans ma démarche de musicothérapeute, j’emprunterai principalement avec le patient, sa
route du bas, en « m’adressant » directement à ses amygdales cérébelleuses.
b. La stimulation exponentielle des neuromédiateurs :
Le neuroscientifique canadien Daniel Lévitin (né en 1957) démontre que, dans la
musicothérapie entre autres, le fait de pratiquer ensemble de la musique et/ou du chant,
81
stimule de façon exponentielle les neuromédiateurs suivants (exponentiellement : c’est-à-
dire que 3 personnes pratiquant ensemble de la musique par exemple, n’engendrent pas 3
fois plus de stimulation mais bien plus). Les voici :
- L’endorphine.
- La dopamine.
- L’ocytocine.
- La cortisone naturelle.
- La morphine naturelle (voir endorphine).
- La baisse du cortisol.
Je propose de les connaître un peu mieux et aussi de montrer comment ils peuvent aider,
voire remplacer, les médicaments dits « agonistes » (action comparable à ces
neuromédiateurs), sans leurs effets secondaires.
b1. Définition de neuromédiateur :
Un neuromédiateur est une substance chimique (appelée aussi neurotransmetteur),
fabriquée par l’organisme et permettant aux neurones de transmettre un flux nerveux (le
message), entre eux, ou entre un neurone et une autre variété de cellule de l’organisme
(muscles, glandes).
b2. L’endorphine :
C’est un neurotransmetteur intervenant dans le soulagement de la douleur. Elle agit
sur les mêmes récepteurs que ceux de la morphine. Il est intéressant de noter que cette
« morphine naturelle du cerveau » est 10 fois supérieure à la morphine de synthèse donnée
pour soulager la personne souffrante.
82
b3. La dopamine :
C’est un neurotransmetteur synthétisé par certains neurones (dont la
dégénérescence caractérise la maladie de Parkinson) qui intervient dans la commande de la
motricité. Le phénomène de frisson dû à un plaisir fort est lié à la dopamine (dite « hormone
de la récompense »). Elle est aussi le précurseur de l’adrénaline et de la noradrénaline, elle
augmente ainsi le plaisir suscité par les conduites à risque.
Dans le cadre de la musicothérapie, je resterai sur l’aide prépondérante de la dopamine dans
la motricité et le plaisir.
b4. L’ocytocine :
C’est une hormone peptique fabriquée par les neurones du cerveau. Elle est active
dans le lien entre deux individus en relation amoureuse, et plus largement, dans le lien social
qui nous unit à nos proches.
b5. La cortisone naturelle :
C’est une hormone produite par les glandes corticosurrénales (au dessus des reins).
Elle a un rôle essentiel dans le métabolisme des sucres, les défenses immunitaires, l’action
sur l’inflammation… en bref, sur le bon fonctionnement de l’organisme.
b6. Le cortisol :
La cortisone étant un précurseur inactif du cortisol, celui-ci est communément appelé
« hormone du stress ». C’est aussi l’hormone de l’éveil, elle contrôle le niveau d’énergie,
mais elle est stimulée en outre par le stress physique et psychique.
C’est cet effet que je retiendrai dans ma pratique de musicothérapie : la baisse du cortisol
apporte donc par voie de conséquence une plus grande résistance au stress.
83
2. L’alliance thérapeutique.
a. Préambule :
Histoire et étymologie du mot thérapeute : en 1877, ce mot signifie « médecin qui
soigne » emprunté au grec « qui prend soin ».
C’est cette définition qui est de rigueur encore aujourd’hui. Je trouve intéressant de voir que
plus tôt, en 1732, ce mot signifiait « un ascète juif vivant en communauté non loin
d’Alexandrie » et en 1704, ce mot signifiait « qui sert Dieu ».
b. L’alliance thérapeutique
Quand l’équipe soignante me présente un résidant afin qu’il devienne patient en
musicothérapie, la première condition est d’établir avec lui une alliance thérapeutique.
« Celle-ci s’amorce dès l’instant où la personne expérimente dans la relation une écoute
différente de celle à laquelle il est habitué, une écoute qui l’aide à identifier la vraie nature
de sa demande » dit le docteur en psychologie Monique Brillon, [voir revue Psychologie
Québec, réf.36]. Elle s’appuie sur les capacités relationnelles du thérapeute (ouverture,
authenticité, capacité d’écoute et d’accueil, assurance personnelle) et qui bien sûr, reste
centré, distinct. Ainsi, la confiance du patient envers le thérapeute (et vice et versa ?) peut
s’établir.
3. A la suite de Winnicott, [voir livre de Winnicott Donald, réf.48 ; voir cours de
Rakonievski Alain, réf.37].
A partir de l’alliance thérapeutique, le musicothérapeute va devenir
« l’environnement suffisamment bon » cité par Winnicott. Il va établir un cadre sécurisant et
contenant par un rituel et co-construire avec le patient une aire transitionnelle de jeu.
84
Pour le patient, nous dit Winnicott, l’aire transitionnelle remplit sa fonction « quand le jeu
devient je ».
Dans cette aire peuvent alors se produire des « évènements enjeux » des « acting out ». Par
la discontinuité contrôlée du cadre, la relation thérapeutique s’ouvre à des zones de risques,
zones d’incertitudes, fort intéressantes pour la créativité.
Tout cela entraîne l’espoir de nouveaux points de vue (du musicothérapeute et du patient)
et si possible, des changements psychiques chez ce dernier.
4. Le cadre.
Le cadre est, en lui-même, primordial dans un atelier de musicothérapie, car il
permet la mise en œuvre d’une relation thérapeutique.
Il se définit par sa localisation, sa fréquence, sa durée et son matériel. Il se distingue
également par la position des personnes ; le setting selon D. W. Winnicott et la
confidentialité. Il représente un rôle de contenance (délimitation entre le dedans et le
dehors).
R. Benenzon, lorsqu'il évoque le setting de Winnicott, le compare à la salle d'opération du
chirurgien ; au moment où le lieu est déterminé, il affirme qu' « il n'y a que dans cette pièce
que peuvent se produire les véritables liens en musicopsychothérapie ».
85
Le choix du lieu favorise donc la reconnaissance du médiateur (utilisé que pour cette seule
activité thérapeutique). Il est sécurisant car contenant, tant au niveau physique (dans le
sens fonctionnel) que psychique (il affirme la différenciation des rôles et le positionnement
de chacun dans les interactions patient(s)/thérapeute et patient/patient).
La périodicité des séances est sécurisante. Pour des personnes âgées atteintes de troubles
cognitifs sévères, leur relation à l'espace et au temps peut être plus ou moins incertaine et il
est donc particulièrement nécessaire que le cadre se détermine en fonction du rythme de la
personne institutionnalisée. Si une séance doit être annulée ou reportée, il est nécessaire de
les en informer.
C'est par ce cadre sécurisant que l'atelier peut fonctionner et va autoriser le patient, ou le
groupe, à interagir, en étant protégé par rapport à ce qui pourrait provenir de l'extérieur.
Par ma présence régulière, ma fonction de musicothérapeute représente un des éléments
du cadre. En effet, le musicothérapeute est garant de la fonction d’étayage (en référence
aux notions de portage et de maintenance que Winnicott nomme respectivement holding et
handling). C'est effectivement cette capacité de contenir, et pas simplement de porter, qui
permet aux résidants d'accéder à cette aire intermédiaire d'expérience et d'exprimer leur
vécus internes.
Le cadre est délimité par des rituels, l'un d'entrée et l'autre de sortie. L’aller et le retour à la
salle d’atelier en fait partie, tout comme les morceaux connus (les mêmes à chaque séance),
que je joue au début et en fin de séance.
5. Le « non ».
a. Apports de Jacques Salomé :
Dans son livre « T’es quoi quand tu parles », [voir son livre, réf.43], le psychologue
Jacques Salomé apporte des jalons pour une « nouvelle grammaire relationnelle ».
86
En osant se réapproprier sa parole (verbale ou non), en retrouvant ses signifiants personnels,
en prenant le risque de se définir devant autrui avec ses propres références, chacun se
donne ainsi plus de moyens pour exister. Et aussi en se responsabilisant pour accepter de
s’ouvrir à une démarche d’apprentissage possible.
C’est ainsi qu’il fait émerger quatre principes de base :
- Oser demander : passer de l’enfermement des exigences vers une relation de
proposition, de stimulation.
- Oser donner : passer d’une relation d’imposition vers l’oblativité.
- Oser recevoir : passer de la dynamique du prendre vers celle de l’accueillir.
- Oser refuser : passer de l’opposition vers l’affirmation.
Le musicothérapeute que je suis aujourd’hui va donc tenter d’être dans ces quatre axes et
de faire émerger chez les personnes âgées dépendantes ces quatre mêmes axes.
b. Le « non », chez les personnes âgées dépendantes atteintes de troubles
neurocognitifs sévères :
b1. Savoir interpréter le non :
La personne utilise le non pour deux raisons majeures : la première consiste à éviter
de choisir et d’avoir à justifier son choix (c’est un « non » qui peut dire « oui »), la seconde
pour exprimer clairement sa désapprobation. La communication non verbale aide à
discerner entre ces deux non (ainsi que les soignants habituels).
b2. Oser dire non :
Je pense que cela est primordial pour une personne dépendante, voire très
dépendante, de pouvoir refuser un soin (ici, par la musicothérapie, un soin non
médicamenteux). C’est une occasion rare (et sans conflit) de s’affirmer.
87
6. Point sur la musicothérapie.
a. Historique (dans notre culture), [voir cours de Vrait François Xavier,
réf.46] :
Il me paraît intéressant de superposer ce bref historique à ceux déjà évoqués
(historique de la démence sénile, page 27, et historique du nom des établissements, page
49).
a. Chez les hébreux (environ -1000).
Dans la situation entre le roi Saül, (ayant des accès dépressifs) et David (son futur
successeur), David est considéré comme le premier musicothérapeute, qui calme Saül par le
jeu de sa cithare et son chant. Voici le récit qu’en donne la Bible, dans l’ancien Testament, au
premier livre de Samuel [16, 14-23] :
« L’esprit de Yahvé s’était retiré de Saül et un mauvais esprit, venant de Yahvé, lui
causait des terreurs. Alors les serviteurs de Saül lui disent :“Voici qu’un mauvais esprit de
Dieu te cause des terreurs. Que notre seigneur en donne l’ordre et les serviteurs qui
t’assistent chercheront un homme qui sache jouer de la cithare : quand un mauvais esprit de
Dieu t’assaillira, il en jouera et tu iras mieux.”Saül dit à ses serviteurs : “Trouvez-moi donc un
homme qui joue bien et amenez-le moi.” L’un des serviteurs prit la parole et dit : “J’ai vu un
fils de Jessé, le Bethléemite : il sait jouer, et c’est un vaillant, un homme de guerre, il parle
bien, il est beau et Yahvé est avec lui.”Saül dépêcha donc des messagers à Jessé, avec cet
ordre : “Envoie-moi ton fils David (qui est avec le troupeau).”Jessé prit cinq pains, une outre
de vin, un chevreau et fit tout porter à Saül par son fils David. David arriva auprès de Saül et
se mit à son service. Saül se prit d’une grande affection pour lui et David devint son
écuyer.Saül envoya dire à Jessé : “Que David reste donc à mon service, car il a gagné ma
bienveillance”. Ainsi, chaque fois que l’esprit de Dieu assaillait Saül, David prenait la cithare
et il en jouait ; alors Saül se calmait, il allait mieux et le mauvais esprit s’écartait de lui. »
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(L’avant dernière page de ce mémoire cite un
psaume de David).
En Europe,
- Au XIIIème siècle : pour Barthélémy L’Anglais, frère franciscain français et un des
premiers encyclopédistes (mort en 1272), la musique sert à soigner les fous. Il écrit
dans son « livre des Propriétés des Choses » : « […la musique,] pour les réjouir et
pour oster leur peur et leur tristesse. »
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- Au XVème siècle : Marsile Ficin (1433-1499), humaniste, poète, philosophe et prêtre
italien, écrit dans son livre « De triplici vita » : « le son musical, par le mouvement de
l’air purifie, excite le spiritus aérien, qui constitue le lien entre le corps et l’âme, au
moyen de l’émotion, il agit sur les sens en même temps sur l’âme ».
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- Au XVIIème siècle : Robert Burton (1576-1640), théologien à l’université d’Oxford,
écrit dans son livre « Anatomie de la mélancolie » : « la musique est l’expression du
mal de vivre et son remède ».
- Au XIXème siècle : Jean Etienne Esquirol (1772-1840), médecin aliéniste, amène, dans
une salle séparée des musiciens, les malades mentaux (expérience sur 80 femmes
convalescentes), à écouter des concerts privés de l’hôpital de la Salpetrière.
François Leuret (1797-1851), anatomiste aliéniste français, élève d’Esquirol, médecin
en chef de l’hôpital de Bicêtre, organise, avec les aliénés et des musiciens confirmés,
des chorales, en interne à l’hôpital.
Mais c’est Octave Du Mesnil (1832-1898) médecin de l’asile de Vincennes qui
généralise les orchestres d’aliénés.
- Au XXème siècle :
Entre les deux guerres, il y a l’abandon généralisé de la musique, c’est « hôpital
silence ! ».
Mais la musicothérapie est « en gestation », prenant une place annexe dans des
thérapies occupationnelles pour aider le patient à se socialiser.
- Années 1970 et suivantes :
En 1969, Jacques Jost (ingénieur du son et musicothérapeute) et Edith Lecourt
(psychologue, psychiatre et musicothérapeute), créent le Centre Français de
Musicothérapie.
Jacques Jost étudie le pouvoir psychoaffectif de la musique. Edith Lecourt réintroduit
le rapport au patient, le mettant au centre de la musicothérapie.
En 1986, Jacques Jost et Rolando Omar Benenzon (qui depuis 1977, forme des
musicothérapeutes à Buenos Aires selon sa découverte du principe de l’Identité
Sonore), créent la Fédération Mondiale de Musicothérapie.
En 1996, a lieu le premier Congrès International de Musicothérapie.
91
b. Exemples de soins, à l’aide de la musique, dans d’autres cultures :
b1. La transe (d’après l’ethnomusicologue Gilbert Rouget (né en 1961),
[voir son livre, réf.41]).
Dans tous les continents, la musique joue un rôle essentiel dans la montée en
transe. Elle prend place dans un ensemble de représentations :
o Soit l’identification, comme dans la possession.
o Soit l’incarnation, comme dans le chamanisme.
o Soit le phénomène émotionnel, comme dans la transe communielle
Différenciation :
- Le possédé, en entendant la musique rituelle jouée par les musiciens professionnels,
rentre en transe induite : c’est l’arrivée du monde des esprits qu’il incorpore dans
son corps.
- Le chaman, jouant lui-même la musique rituelle, rentre en transe conduite. Il est
maître de la transe et voyage dans le monde des esprits.
- Dans la transe communielle, le sujet garde sa personnalité et l’esprit coexiste, parle,
agit avec lui, comme dans le semâ mevlevi que l’on trouve dans le soufisme.
Les phases :
La modification s’opère suivant une suite de phases : la préparation, le
déclenchement, la plénitude, la résolution.
Il y a transe initiatique (avec chants lents, notion de pureté lumineuse) et la transe de
possession (avec chants, tambours et cloches, joués pour les initiés).
92
La musique :
Il est souligné son action hypnotique sur le système nerveux et son action
psychologique liée aux représentations culturelles.
Le rôle de la musique est au service du groupe. Elle permet de socialiser et
d’épanouir la transe. Elle la déclenche tout comme elle peut l’apaiser.
b2. En Inde.
Le Nada Yoga divise la musique en deux catégories, [voir site, réf.58] :
La musique intérieure, qui correspond à la vibration unique et
personnelle du son « om ». Ce son représente la première vibration
qui a engendré toutes manifestations dans l’univers.
La musique extérieure, qui produit des changements électrochimiques
dans le cerveau. La mélodie et l’intonation sont les clefs de la musique
indienne.
Le raga est la base de la mélodie. Le système des ragas remonte avant la
civilisation de la vallée de l’Indus (-2000).
Dans le domaine thérapeutique, il existe des ragas particuliers pour les soins ciblés,
tant au point de vue physique, qu’émotionnel ou spirituel. Le thérapeute est le
musicien qui sait ajuster le raga, en discernant l’alliance subtile du son intérieur
unique à la personne et du son extérieur nécessaire pour le soulager.
Le raga agit à la fois sur le musicien et sur le patient.
93
7. L’Identité Sonore de Benenzon.
a. Présentation de l’auteur, [voir son livre, réf.5] :
L’argentin Rolando Omar Benenzon (né en 1939), psychiatre et psychanalyste,
musicien et compositeur, est l’un des grands premiers pionniers mondiaux de la
musicothérapie. Il est le fondateur de la première faculté de musicothérapie, à
Buenos Aires en 1966. Il est aussi le découvreur en 1981 du principe de l’ISo (Identité
Sonore).
b. Définition de l’ISo :
Chaque ISo définit chaque être humain de façon unique. Les expériences d’un
individu sont, d’après Benenzon, « la condensation des énergies qui appartiennent à
o l’ISo universelle : c’est le prototype sonore commun et partagé par tous
(battements du cœur, respiration, son de l’eau, rythme de marche et de
déplacement, message des animaux, mouvements [danse] et sons [musique
et chants] ancestraux, silence.)
o l’ISo gestaltique : cette ISo est le patrimoine de l’individu en particulier qui le
différencie des autres. Elle se structure à partir de trois sources qui
sont « tous les sons qui entourent la maman durant la grossesse et atteignent
le fœtus à travers le liquide amniotique », les sons depuis l’intérieur du corps
de la maman et ceux depuis « l’inconscient de la maman à l’inconscient du
fœtus ».
o l’ISo culturelle : elle se construit par les sonorités propres à l’écosystème du
nouveau-né.
94
c. L’ISo comme principe de musicothérapie :
Je cite Benenzon : « Pour ouvrir des canaux de communication entre un
patient et un musicopsychothérapeute, il est nécessaire de reconnaître les ISo du
patient et de les équilibrer avec les ISo du musicopsychothérapeute », et ainsi, par
réciprocité, permettre au patient de retrouver, dans le non-verbal, sa source.
J’utiliserai aussi l’ISo en interaction, c’est-à-dire la dynamique entre les différentes
ISo des personnes membres d’un groupe.
8. Petite conclusion
Cette construction théorique (qui ne représente pas un modèle théorique, mais bien
une construction spécifique désirant traiter la problématique posée) a été omniprésente
dans chaque atelier de musicothérapie que j’ai mis en place. Mais, en plus, pour chaque
visée thérapeutique, j’ai ajouté des théories et techniques de musicothérapie spécifiques.
Elle est comme une métaphore théorique d‘un processus d’individuation.
‘L’arbre musicotherapique’ au service de la sénescence qui suit, est une représentation de la
théorie et de la clinique. En sélectionnant et copiant l’image et en la collant sur ‘paint’, dans
l’onglet ‘édition’, vous pourrez l’agrandir numériquement en manipulant le ‘zoom’ :
95
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V. La clinique.
A. Préambule.
1. Rappel des différentes visées thérapeutiques.
L’objectif principal est d’aider la personne à vivre au mieux le stade de la sénescence.
Selon Erikson, cela correspond à l’intégrité et selon Jung à l’accompagnement du Soi.
Pour cela, m’adressant à des patients atteints de troubles neurocognitifs sévères, je vais
mettre en place divers ateliers à visées thérapeutiques complémentaires.
Atelier de musicothérapie active individuelle.
Atelier de musicothérapie active en groupe restreint.
Atelier de musicothérapie réceptive individuelle afin de
travailler sur les syndromes particuliers, durant
l’accompagnement au coucher.
Atelier de musicothérapie réceptive individuelle, avec
verbalisation, afin de contribuer à l’accompagnement de la fin
de leur vie.
2. Présentation des patients.
Afin de respecter leur anonymat, et m’inspirant du chant des voyelles, je les
nommerai par une consonne initiale suivie de deux voyelles. Cela me rappelle le chant si
particulier des langues polynésiennes et vietnamiennes. Je présente ici leur pathologie, leur
98
âge, leur comportement général (qui, selon Naomi Feil peut donner des pistes quant aux
étapes de vie mal vécues ou « amputées »). Ensuite, je n’en parlerai plus, ayant en face de
moi des Etres Humains (au sens amérindien). Je parlerai par contre des conséquences sur
leur comportement et de leur participation aux ateliers.
Voici donc les patients :
Mr Moï :
Il demeure à l’unité « Pierre Mara ». Il a 80 ans et présente une maladie de type
Alzheimer.
Dans le groupe, il est dans un rôle qui en impose, avec gestes d’agressivité. Il est craint
par les autres résidants. Il a participé à :
10 séances de musicothérapie active individuelle.
4 séances de musicothérapie active en groupe restreint.
Mme Néü :
Elle demeure à l’unité « Pierre Mara ». Elle a 90 ans et présente des troubles psycho-
comportementaux liés à une maladie de type Alzheimer.
Dans le groupe, elle est effacée, dans sa bulle, craignant de déranger, dans la crainte en
général. Elle a participé à :
8 séances de musicothérapie active individuelle.
5 séances de musicothérapie active en groupe restreint.
99
Mme Mui :
Elle demeure à l’unité « Pierre Mara ». Elle a 95 ans et présente une démence mixte,
frontale, avec dégénérescence neurologique (pas diagnostiquée exactement).
Dans le groupe, elle est indépendante, avec un rythme d’activité suivi d’un sommeil
profond. Elle a participé à :
12 séances de musicothérapie active individuelle.
5 séances de musicothérapie active en groupe restreint.
Mr Lao :
Il demeurait à l’unité « Pierre Mara ». Décédé à 92 ans, il présentait une maladie de type
Alzheimer.
Dans le groupe, il se présentait en personne douce et sans bruit. Il a participé à :
5 séances de musicothérapie active individuelle.
3 séances de musicothérapie réceptive durant l’accompagnement de la fin de sa
vie.
Mme Baé :
Elle demeurait à l’unité « Village » puis à l’unité « Pierre Mara ». Elle est décédée à 91
ans. Elle présentait une démence mixte. Avenante, elle se mettait à crier « Maman » en
continu à certains moments.
Dans le groupe, elle pouvait être sociable mais aussi isolée dans sa bulle. Elle a participé
à :
5 séances de musicothérapie active individuelle.
1 séance de musicothérapie durant l’accompagnement de la fin de sa vie.
100
Mme Laü :
Elle demeure à l’unité « Pierre Mara ». Elle a 87 ans et présente une maladie de type
Alzheimer.
Sociable dans le groupe, elle entonne et chante souvent, entrainant les autres. Elle
souffre d’inversion du rythme nycthéméral. Elle a participé à :
14 séances de musicothérapie réceptive d’accompagnement au coucher.
Mme Maï :
Elle demeure à l’unité « Pierre Mara ». Elle a 91 ans et présente une maladie de type
Alzheimer.
Dans le groupe, elle est dans sa bulle. Elle souffre du sundowning syndrome. Elle a
participé à :
14 séances de musicothérapie réceptive d’accompagnement au coucher.
Mme Bia :
Elle demeurait à l’unité « Ermitage ». Elle est décédée à 75 ans. Elle souffrait d’une forme
de mélancolie ainsi que du sundowning syndrome.
Dans le groupe, elle était dans sa bulle. Elle a participé à :
5 séances de musicothérapie réceptive d’accompagnement au coucher, suivi,
avec approbation de son médecin, de 2 séances de musicothérapie réceptive à la
clinique du Parc (Nantes).
3 séances de musicothérapie active individuelle.
101
Mme Dui :
Elle demeure à l’unité « Ermitage ». Elle a 92 ans et présente une maladie de type
Alzheimer.
Elle est avenante et ne sait pas dire non. Elle a participé à :
7 séances de musicothérapie active individuelle.
Mr Poé :
Il demeure à l’unité « Ermitage ». Il a 82 ans et présente une démence mixte avec AVC.
Il dort beaucoup, et se montre inventif. Il a participé à :
7 séances de musicothérapie active, puis réceptive, individuelle.
Mme Gaï :
Elle demeure à l’unité « Ermitage ». Elle a 81 ans et présente une maladie de type
Alzheimer.
Elle est avenante (si elle est en confiance). Elle a participé à :
7 séances de musicothérapie active individuelle.
Mme Gaâ :
Elle demeure à l’unité « Ermitage ». Elle a 88 ans et présente des troubles du
comportement avec une aphasie de Broca.
A mes yeux, c’est une personne de caractère. Elle a participé à :
8 séances de musicothérapie active individuelle.
102
Mme Loè :
Elle demeure à l’unité « Ermitage ». Elle a 95 ans et présente une maladie de Parkinson à
un stade évolué.
Elle est pudique quant à ses crises de tremblements et montre une grande politesse. Elle
a participé à :
7 séances de musicothérapie réceptive, puis active, individuelle.
Mme Hoa :
Elle demeurait à l’unité « Ermitage ». Décédée à 102 ans, elle présentait des troubles liés
à une vieillesse normale, toujours alitée. Elle a participé à :
3 séances de musicothérapie réceptive durant l’accompagnement de la fin de sa
vie.
Mme Buo :
Elle demeurait à l’unité « Ermitage ». Décédée à 93 ans, elle présentait une démence
vasculaire, qui a pour séquelles des dégâts cérébraux. Elle a participé à :
10 séances de musicothérapie réceptive durant l’accompagnement de la fin de sa
vie.
Mr Jao :
Il demeurait à l’unité « Village ». Décédée à 88 ans, il présentait une maladie de
Parkinson avec troubles neurologiques évolués et périodes de violence. Il a participé à :
5 séances de musicothérapie réceptive individuelle.
103
Mme Giu :
Elle demeurait à l’unité « Village ». Décédée à 86 ans, elle présentait une maladie de type
Alzheimer.
Elle était fort courtoise. Elle a participé à :
2 séances de musicothérapie réceptive durant l’accompagnement de la fin de sa
vie.
Mme Puo :
Elle demeurait à l’unité « Village ». Décédée à 100 ans, elle présentait une vieillesse
normale avec troubles. Elle manifestait une humeur désagréable vis-à-vis des soignants,
de l’institution. Elle a participé à :
3 séances de musicothérapie réceptive durant l’accompagnement de la fin de sa
vie.
De plus, confiés par la psychologue de l’EHPAD :
Mr Nay :
Il demeure à l’unité « Pierre Mara ». Il a 87 ans. Il présente une maladie de type
Alzheimer. Je suis intervenu pour 2 séances de musicothérapie réceptive individuelle,
alors qu’il était dans une période dépressive.
Mme Coü :
Elle demeure à l’unité « Village ». Elle a 87 ans, en vieillesse normale avec troubles
dépressifs. Elle a longtemps été soignée par le docteur Alfred Tomatis (1920-2001) et
depuis les trois années qu’elle vit à l’EHPAD, elle n’ose se réapproprier cette méthode.
Elle a participé à :
4 séances de musicothérapie réceptive et active individuelle.
104
B- Donner la possibilité de se dire.
1. Moyens.
La première étape, dans l’élaboration des ateliers de musicothérapie active
individuelle, à été de trouver une salle, un cadre.
Les critères ont été les suivants : intimité sonore, lieu avec fenêtre, lieu contenant où la
personne se sente bien. Ces critères m’ont conduit à utiliser la grande salle de réunion (voir
sur le plan), lieu inconnu des patients, en l’aménageant. Je devais bien sûr la réserver.
105
L’aller et le retour à la salle faisait partie intégrante de l’atelier.
2. Ouverture aux émotions.
Etymologiquement, le mot émotion vient du latin « ex » : enlever, secouer et
« movere » : mettre en mouvement.
Les six émotions de base sont : la plaisir, la colère, l’anxiété, la tristesse, l’intérêt et le
dégoût, avec une myriade d’intermédiaires et d’associations.
Durant mes observations, j’avais remarqué que les émotions émises par les personnes
atteintes de troubles neurocognitifs sévères se restreignaient principalement à des attitudes
de défense: la colère (via l’agressivité) et le refuge dans l’atonie.
106
Ayant travaillé avec des personnes dont la parole est bien endommagée, je me suis appuyé
sur la communication non verbale, afin de cerner et de répondre au mieux à leurs réactions
émotionnelles.
Tout du moins au début, je me suis inspiré de « l’échelle de cotation des émotions
observées » de Mortimer Powell Lawton (1923-2001), psychologue et gérontologue
américain.
Je me suis permis d’y ajouter le dégoût :
107
Cela permet alors à la personne d’accéder à l’expression des sentiments (« états affectifs
durables lié à certaines émotions ou représentations ») et donc, d’après la communication
non violente, à la satisfaction ou non de ses besoins (voir annexe 1). Ceci représente un
essentiel thérapeutique afin d’aider la personne dans sa sénescence.
3. Utilisation du bilan psychomusical.
Pour débuter, et m’aider à définir mes séances, j’ai proposé à chaque patient (après
avoir lu son histoire de vie, souvent peu détaillée), de passer un bilan psychomusical adapté,
inspiré de celui de Jacqueline Verdeau-Pailles (1924-2010), neuropsychiatre et
musicothérapeute française, [voir son livre, réf.45]. Celui-ci sera plus détaillé en annexe 3. Ici,
il est important de commencer par cette étape afin tout d’abord d’apprendre du patient si
des séances de musicothérapie peuvent lui convenir (mesures des interactions), et, si oui,
quel style de médium sonore lui convient, combien de temps pourra durer une séance,
établir un contrat d’un certain nombre de séances avec lui, et, après une évaluation
générale, la possibilité d’établir un nouveau contrat.
J’ai invité à découvrir et expérimenter six instruments différents, tant au niveau des
possibilités mélodiques et de volumes, des timbres et des hauteurs de sons, un par un, isolé
sur la table, après avoir montré comment il pouvait fonctionner (succinctement).
Ces six instruments sont le balafon, le grand bol tibétain, le bodhran, le gong, le petit carillon
et une maracas. (Sur le conseil des soignants, j’ai changé le dernier instrument qui était un
harmonica, en effet, ce qui est porté à la bouche est d’ordinaire de la nourriture, et, ne
voyant plus l’instrument, cela devenait anxiogène).
Puis équipé de mon échelle de Lawton et des paramètres cliniques de la pemière partie du
bilan psychomusical de Verdeau-Pailles, je notais les réactions des possibles futurs patients.
Dans un deuxième temps, je gardais sur la table les instruments que le patient avait préféré
et jouais à la flûte traversière quatre morceaux correspondant aux paramètres cliniques de
la deuxième partie du bilan psychomusical de Verdeau-Pailles et notais les styles
d’interactions. Voici les tableaux de mesure :
109
PREMIERE PARTIE PARAMETRES CLINIQUES
Contact par rapport
au corps
RAPPORT
Immersion
Apprivoisement
Animisme
Force
Autre
DEUXIEME PARTIE PARAMETRES CLINIQUES
Extrait 1
Air mélodique
simple et doux
Extrait 2
Air très
rythmé
Extrait 3
Air complet
structuré,
rythmé et
mélodique
Extrait 3
Air sortant
de
l’ordinaire
Description
(chronologique) du
RAPPORT AUX
INSTRUMENTS
GESTUELLE
Cela m’a donc permis de voir les médiums adoptés par les patients, leurs interactions
possibles et de cibler une durée de séance.
Pour chaque séance, ensuite, je m’enquérissais de l’état du patient, de son rythme au cours
de la journée. Les séances duraient en général 20 minutes ou une heure.
110
4. Utilisation de l’improvisation clinique de Wigram. [voir son livre, réf.47].
Tony Wigram et Kenneth Bruscia sont professeurs émérites de musicothérapie aux
Etats Unis depuis les années 90.
En développant une improvisation musicale, en duo entre le musicothérapeute et le patient,
à partir des sons et rythmes naturels venant de lui, le musicothérapeute, lui fait re-découvrir
son ISo.
J’ai pratiqué l’improvisation sonore plutôt dans le non verbal, et j’ai utilisé, soutenu,
encouragé, par mon jeu sonore, le développement de l’expression sonore de la personne
sans imposer de structure préétablie.
Après avoir posé un cadre sécurisant permettant la mise en place d’une aire transitionnelle,
j’ai poursuivi les buts cliniques qui peuvent être réalisés par l’improvisation clinique, selon
Bruscia :
- Etablir un canal non verbal de transmission, et une passerelle à la transmission
verbale.
- Développer la capacité d’explorer son univers interpersonnel.
- Développer la sociabilisation.
- Développer la créativité, la liberté d’expression.
Les techniques thérapeutiques de base de l’improvisation clinique sont utilisées par rapport
au patient, qui est le « chef d’orchestre » et moi, musicothérapeute, « le facilitateur ».
Il est intéressant de retrouver des notions de l’écoute active selon Carl Rogers. Voici ces
techniques, utilisées en accord avec l’univers sonore où se trouve le patient à l’instant
présent de la séance :
- Le copying : je joue ce que joue le patient sur le même instrument, ensemble, avec
lui.
111
- L’imitation : je répète ce que vient de jouer le patient.
- Le reflet : dans l’affect, je rejoue ce que le patient a voulu faire passer
émotionnellement (je dois faire attention à mes contre-transferts).
- La question/réponse : nous amorçons un dialogue sonore.
- La base rythmique, comme l’ostinato, est un holding sécurisant, soutenant
l’improvisation du patient.
- Le dialogue : le patient et le musicothérapeute communiquent dans leur
improvisation.
- L’accompagnement structuré progressif, en rythme et mélodie, où le
musicothérapeute soutient l’improvisation du patient qui est devenue plus riche.
Sans oublier :
- La surprise, qui fera office de discontinuité.
- Le silence, qui redonne au patient son propre temps.
Ce procédé musicothérapeutique a été utilisé pour chaque patient, invité dans ce style de
séance.
Elle commence et finit par un morceau connu, que je joue à la flûte traversière. Ceci afin
d’établir un cadre rassurant et contenant, limité par une écoute réceptive provoquant un
écho mémoriel chez le patient, annonçant le début et la fin de la séance.
Les instruments à disposition sont de la famille de ceux choisis par le patient lors de son
bilan psychomusical.
Je vous invite maintenant à suivre le cheminement thérapeutique des patients de cet
atelier :
Il convient de noter que chaque patient a souvent détourné l’utilisation usuelle de son
112
médium sonore afin de le faire sien.
Je rappelle que chaque patient a son propre rythme où, théoriquement, le moment où il est
le plus en éveil est fixe.
Les séances se reconduisaient si le patient en exprimait le désir (à ma demande).
5. Cheminements thérapeutiques.
a. Mr Moï :
a1 : Alliance thérapeutique : commencement.
Quand je suis arrivé à l’unité « Pierre Mara », j’étais le seul homme parmi les
soignants. Dans nos premières rencontres, ce fait l’a peut-être contenu, sécurisé. Durant
mon immersion j’ai plusieurs fois mangé à ses côtés, en repas thérapeutique. Avant son bilan
psychomusical, invité dans sa chambre, je lui ai chanté, sur la sanzula, sa vie, tel un griot. Cet
homme, habituellement rigide, était tout écoute et ses yeux se sont embués de larmes
d’émotions (moment exceptionnel pour lui) : là est née l’alliance thérapeutique, définie dans
ma construction théorique.
a2 : Au fil des séances.
Pendant 15 mois, en temps cumulé, nous avons travaillé 100 heures.
C’est avec sourire et joie qu’il vient en séance. Celle-ci dure une heure et souvent, je me dois
de l’arrêter (cadre). Dans l’improvisation clinique, il se révèle être en fines interactions avec
une créativité grandissante dans son improvisation.
Dans la famille des percussions et des cloches, il s’est déployé dans des progressions
rythmiques, de timbres, de volume. Sur ce point, il jouait le plus souvent « piano » jusqu’au
presque silence.
113
a3 : Changement de comportement notable.
Tout en restant lui-même, il est devenu plus tolérant, allant plus vers les autres. Il s’est remis
à parler (doucement), à reconnaître et parler avec ses enfants.
Un soir, après une séance d’après-midi, à la fin du diner, il a effectué un ostinato rythmique
travaillé et doux avec ses couverts. Le groupe l’a accueilli comme une « oblation », au sens
utilisé par Jacques Salomé.
Un autre soir, il a réitérer ce don, en duo cette fois-ci avec l’improvisation chantée, douce,
d’une résidante de sa table, patiente d’un autre atelier de musicothérapie.
b. Mme Mui :
b1 : Alliance thérapeutique : commencement.
C’est au cours de la séance de bilan psychomusical que cela a commencé. En effet
elle a montré une grande connaissance des morceaux que je jouais à la flûte traversière et
s’est amusée en explorant les instruments.
b2 : Au fil des séances.
Pendant 15 mois, en temps cumulé, nous avons travaillé 120 heures.
C’est avec entrain qu’elle vient aux séances. Beaucoup d’instruments lui plaisent alors nous
en changeons. La séance dure environ une heure, dans la joie. Sur son fauteuil roulant (freins
mis), elle se met à danser sur la musique. Dans les moments de surprise, elle est dans le
plaisir et s’adapte vite. En soutien des improvisations, nous scandons et chantons, chacun
dans nos voix. Elle montre beaucoup de créativité. Après les séances, elle est reposée,
calme et joyeuse, tout en étant en éveil.
114
c. Mme Néü :
c1 : Alliance thérapeutique : commencement.
Mme Néü éprouve une grande crainte à sortir de l’unité « Pierre Mara ». La première
séance s’est donc effectuée dans sa chambre. Elle a vite adopté les instruments et a montré
de la joie. Je pense que l’alliance thérapeutique a commencé quand j’ai utilisé des « paroles
et musiques » sur papier original des années 30 à 50. Elle en avait une grande collection, qui
avait disparu au cours de déménagements.
c2 : Au fil des séances.
Pendant 15 mois, en temps cumulé, nous avons travaillé 80 heures.
Peu à peu, elle réussit à venir dans la salle. Les séances durent une heure, il me faut souvent
y mettre fin. Les moments de surprise la font rire. Elle montre très rapidement de
l’interaction et grandit dans la créativité de ses improvisations. Elle a aussi pleuré de chagrin
à l’écoute des «Petits chaussons de satin blanc » de Chaplin.
115
c3 : Changement de comportement notable.
Elle aussi s’ouvre aux autres membres de son unité. Elle quitte sa « bulle » et exprime ses
sentiments.
d. Mr Lao :
d1 : Alliance thérapeutique : commencement.
Lors d’un repas thérapeutique pris avec lui, je tapotais sur la table quelques rythmes,
doucement. Il s’était mis alors à utiliser ma main comme médium et avait joué avec moi,
dans les deux sens.
d2 : Au fil des séances.
Pendant 7 mois, en temps cumulé, nous avons travaillé 10 heures.
Mr Lao était doux et à la fois très tendu. Il était mutique et souffrait d’une continuelle
sécheresse buccale qui m’a fait retirer toute baguette, qu’il portait à sa bouche. Au fur et à
mesure, il y a eu de plus en plus d’interactions. Peu à peu il se détendait et dansait parfois
sur son fauteuil, il en oubliait sa soif. La séance durait 20 minutes. Un fait notoire : pendant
une séance, il m’a parlé très distinctement, dans une parfaite syntaxe, d’un souvenir
plaisant. Cet événement s’est produit avec d’autres patients atteints d’aphasies diverses
dégénératives. A mon avis, cela est le résultat de plusieurs facteurs : la plasticité cérébrale,
en lien avec la musique, le fait d’être dans un soin selon le temps du patient, d’être dans une
aire transitionnelle, que je sois dans une écoute active et une attitude de Validation.
Il a su aussi clairement et poliment me dire « non » une fois.
J’ai continué à suivre Mr Lao en séance de musicothérapie dans l’accompagnement de la fin
de sa vie.
116
e. Mme Baé :
e1 : Alliance thérapeutique : commencement.
Accueilli dans sa chambre, j’avais remarqué des reproductions de tableaux
impressionnistes sur son mur. J’en ai aussi, provenant de la même source. Je le lui ai signifié
et elle m’a répondu : « J’aime ce qui est beau », d’où un commencement par de la
musicothérapie réceptive.
e2 : Au fil des séances.
Pendant 10 mois, en temps cumulé, nous avons travaillé 50 heures.
Dans sa chambre, les séances duraient environ une heure. Elle jouait, après exploration, sans
inhibition. Les interactions se faisaient. Peu à peu, à l’aise, elle passait à l’improvisation de
plus en plus travaillée, changeant d’instrument à sa guise. Pourtant elle se dévalorisait sur la
musique jouée ensemble. Elle demeurait alors dans l’unité « Village ». Je l’ai retrouvée à
l’unité « Pierre Mara » en séance de musicothérapie dans l’accompagnement de la fin de sa
vie.
f. Mme Loè :
Pendant 15 mois, en temps cumulé, nous avons travaillé 4 heures.
Il m’a été difficile au début de travailler avec elle. Les accroches et attitudes que je pouvais
tenter et les débuts d’ateliers courts dans sa chambre ont été arrêtés après qu’elle se soit
confiée à un soignant connu. Je suis juste revenu, connaissant enfin quelques causes, lui dire
au revoir.
Vers la fin de mon stage professionnel, il m’a été demandé de retravailler avec elle. Les
séances de musicothérapie active se déroulent dans sa chambre, sur deux instruments
qu’elle a choisis. Ces séances peuvent durer une heure. Elle est participative, accueillante et
apaisée, sachant parfois me dire non, en paix. Elle a accepté même d’être en séance tout en
117
étant en pré-crise de tremblements due à sa maladie.
g. Mme Dui :
Pendant 15 mois, en temps cumulé, nous avons travaillé 4 heures.
Dans sa chambre, accueillie par des oui francs, accompagnés de sourires, les toutes
premières séances sont en musicothérapie réceptive où Mme Dui se laisse bercer, tout en
restant en éveil.
Au fil des séances (de 20 minutes jusqu’à une heure, suivant son état), nous travaillons en
musicothérapie active individuelle. (Dans l’unité « Ermitage », il me faut trouver un système
ou des positions pour que le patient puisse jouer). Mme Dui investit à sa façon les
instruments, les interactions deviennent de plus en plus riches. Elle s’amuse, et entre dans
l’improvisation. Elle a su me dire « non », posément, une fois.
h. Mr Poé :
Pendant 15 mois, en temps cumulé, nous avons travaillé 4 heures.
Durant mon immersion, je l’ai aidé à prendre son goûter. Après m’avoir accueilli dans sa
chambre afin d’effectuer un bref bilan psychomusical, Mr Poé, pour les séances suivantes de
musicothérapie active, vient en salle.
Il se montre inventif pour utiliser les instruments qu’il a investis (juste quelques doigts de sa
main droite fonctionnent). Les interactions deviennent de plus en plus riches et joyeuses.
Son regard pétille et il s’investit dans le jeu et s’affirme (il apprécie les sons forts). Les
séances durent 30 minutes. Notre code d’accord ou non se fait en serrant mon doigt.
Au fil du temps, son état évolue et il doit rester alité. Avec son accord, je viens pour des
séances de musicothérapie qui deviennent de moins en moins actives. Il montre son envie
118
de participer, d’interagir mais ne peut pas.
Je passe ensuite par quelques séances de musicothérapie réceptive, en lui expliquant, sur les
instruments qu’il avait investis. Viennent alors sourires et regards pétillants, écoute
attentive.
i. Mme Gaâ :
Pendant 15 mois, en temps cumulé, nous avons travaillé 8 heures.
Du coté psychomoteur, il ne lui reste qu’une main qui fonctionne. Cette main est rarement
sollicitée car le personnel soignant se doit de lui donner à manger à cause de fausses routes
fréquentes.
Le commencement de l’alliance thérapeutique s’est fait quand, justement, je l’ai aidée à
prendre son goûter. Et puis, il s’est affermi quand nous avons trouvé un code de
communication plus subtil que les deux fiches « oui » et « non » qu’elle avait. Ce code est le
suivant : suivant son accord ou son désaccord, avec toutes les nuances intermédiaires, elle
tirait ma main vers elle ou la repoussait.
J’ai dû adapter la position des instruments qu’elle avait choisis et trouver des baguettes très
légères. Les séances se font dans sa chambre ou en salle et durent de 30 minutes à 50
minutes, suivant son état.
Au fil des séances, Mme Gaâ s’approprie de plus en plus les instruments qu’elle a choisis,
avec plaisir. Elle s’affirme, elle est dans l’interaction et dans l’initiative de longues plages de
jeu. De ma part, j’y ajoute le chant, elle semble regarder le chant sortir de ma bouche.
Son regard est expressif, en éveil. Pendant une séance, elle, si stoïque, se met à pleurer à
chaudes larmes. Avant ma dernière séance, je la croise (comme souvent) et la salue, elle me
lance un cri guttural (avec langage non verbal) que je perçois comme : « Alors, quand est-ce
que vous revenez avec votre musique ? C’est que je vous attends, moi ! ».
119
j. Mme Gaï :
Pendant 15 mois, en temps cumulé, nous avons travaillé 4 heures.
Mme Gaï est d’origine espagnole. Lui parlant avec mes maigres mots et expressions dans
cette langue, Mme Gaï m’ouvre ses portes. Au début de mon immersion, je l’ai aidée à
prendre son goûter.
D’abord en salle, puis en chambre, se déroulent des séances de musicothérapie active. La
séance dure de 20mn à 40mn, suivant son état. Elle explore et joue à sa manière les
instruments investis. Nous sommes dans les quatre premières interactions de l’improvisation
clinique.
Elle montre de la joie franche à être en séance et sait se montrer inventive.
C- Donner la possibilité de communiquer avec l’autre.
1. Moyens.
Ayant beaucoup travaillé en musicothérapie active individuelle avec Mr Moï, Mme
Mui et Mme Néü de l’unité « Pierre Mara », j’ai proposé aux soignants et aux intéressés, le
projet de travailler en groupe restreint, ensemble, en musicothérapie active, toujours dans
l’improvisation clinique.
120
J’aurais souhaité mettre ce type d’atelier en place également avec Mme Gaâ, Mme Gaï et
Mme Dui de l’unité « Ermitage ». Mais il m’aurait fallu des soignants de cette unité, afin de
tenir les instruments de façon adaptée, pour que chacune puisse jouer. Vu leur emploi du
temps minuté, cela s’est avéré impossible. Je me suis tourné ensuite vers les bénévoles, qui
étaient d’accord, mais pour deux raisons, cela n’a pas pu se faire : c’était un soin et les
bénévoles n’avaient pas de lien suffisant avec les personnes concernées.
J’ai donc monté ce projet vers la fin de mon stage avec Mr Moï, Mme Mui, Mme Néü. Le
temps s’était écoulé et il était nécessaire, pour des raisons de fatigabilité et d’augmentation
des troubles, de trouver une nouvelle salle.
Les critères étaient les mêmes que pour l’atelier précédent mais la salle se devait d’être plus
proche et dans un endroit plus repérant, plus sécurisant.
Le bureau commun à la médecin coordonatrice et à la psychologue a été adopté (cf. : le plan,
paragraphe (II.A.3.a).
Voici l’aménagement de ce bureau :
121
Les jours, heures, durées sont fixés et parlés avec chaque personne. Auparavant, afin de les
familiariser à ce nouveau lieu, j’ai effectué une séance de musicothérapie individuelle avec
chaque futur participant, afin que le patient puisse y rétablir son aire transitionnelle. Cela a
bien fonctionné, suivant chaque futur patient de cet atelier.
122
2. Outils théoriques spécifiques
a. L’ISo en interaction :
Je cite Rolando Benenzon : « A partir de la naissance se créé aussi un grand espace
entre l’individu et l’autre ou les autres. Cet espace appartient au contexte non verbal. Et
c’est là que se condense l’ISo en interaction qui est l’union de deux spirales », [id., réf.5].
Le schéma qui suit, provient de Rolando Benenzon :
123
Benenzon continue : « l’ISo en interaction aura également un rapport avec l’ISo complémentaire13
des individus qui sont en train de communiquer. (…) S’ajouterait aussi l’ISo familiale, l’ISo
environnementale et tous les codes non verbaux qui entourent et envahissent l’espace de lien ».
Effectivement, dans le paragraphe V.A.2, j’ai dressé brièvement le comportement dans l’unité
« Pierre Mara » de ces trois patients.
b. Le groupe et le sonore par Edith Lecourt, [voir son livre, réf.24] :
Je la cite : « pour l’individu, l’expérience du groupe d’improvisation constitue une nouvelle
invitation dans son ajustement à lui-même, en groupe, à la société ».
Je vous propose tout d’abord de voir comment Edith Lecourt décrit les phases de construction d’un
groupe en communication sonore, « sa propre Identité Sonore » :
Tout d’abord commence le « bruissement » : « c’est la façon dont le groupe, dès les premiers
instants de la rencontre, occupe l’espace sonore ». Puis naît « l’effet d’ensemble » : « moment où le
groupe perçoit sa production comme faisant un tout ». Ensuite, apparaît « le groupe musique » :
« la production sonore est désignée par le groupe lui-même comme « musique », le groupe est
alors dans l’isomorphie (négation des différences) ». Enfin, le groupe passe à « la forme
musicale » : « crée par le groupe, prenant en compte les différences, c’est une manifestation
élaborée, cette fois, de l’identité du groupe ».
13 L’ISo complémentaire : « formée par un ensemble d’énergies qui apparaissent et disparaissent selon l’état d’âme de l’individu et les relations qu’il établit avec les autres (…) elle peut être complètement différente de l’ISo gestaltique (…). Ces énergies exprimées vont dévoiler un état particulier de l’individu que ne définit pas sa véritable personnalité ».
125
Durant les 5 séances prévues, en temps rapproché, j’ai observé les étapes suivantes décrites par
Edith Lecourt, de façon progressive :
- Le bruissement.
- Des moments d’effet d’ensemble.
- Une certaine construction de l’identité sonore du groupe.
- Des moments de groupe musique.
- Des apparitions de forme musicale élaborée.
3. Cheminements thérapeutiques.
a. Protocole :
Les trois patients sont prévenus à l’avance de la séance et préparés par les soignants. Je
viens les chercher, une fois la salle prête, et un soignant m’aide à les amener. Mr Moï refuse canne
ou fauteuil, il marche à son rythme. Mme Néü, habituellement s’aidant avec un déambulateur à 3
roues, vient en fauteuil, tout en gardant avec elle sa canne, objet symbolique et sécurisant. Mme
Mui vient en fauteuil.
Part la crainte de Mme Néü envers Mr Moï, je l’ai placée près de moi, autour d’une table ronde, où
sont disposés les instruments. Mme Mui est à son côté et Mr Moï termine le cercle.
Chaque séance débute par un morceau connu assez dynamique (« Les amants de Saint Jean »), que
je joue à la flûte traversière et se termine par un morceau plus doux que je joue à la flûte baroque
(« Amazing grace », lent).
A l’aide de la dabourka ou de la flûte traversière, pendant les séances, je continue l’improvisation
clinique, en étant support et lien entre les patients, me déplaçant vers chacun. C’est-à-dire que
mon jeu sert aussi de cadre.
126
b. Première séance :
Alors qu’individuellement, chacun montrait dans l’improvisation, une joie créatrice, en groupe,
durant cette séance, les jeux sont plus pudiques, par intermittence, Mme Néü est la plus
enthousiaste malgré sa crainte de Mr Moï.
Ceci me fait penser à un « round d’observation », avec quelques jeux ensemble, plutôt dans
l’écoute et l’expectative.
c. Deuxième séance :
La pudeur de montrer aux autres sa propre expressivité s’estompe. Il y a des moments d’effets
d’ensemble. J’assiste à l’étonnement de Mme Néü de jouer avec Mr Moï. Mr Moï et Mme Mui
jouent avec entrain.
d. Troisième séance :
Mr Moï refuse de venir. Sa place dans le groupe est virtuellement présente. Mme Néü ne
reconnait pas Mme Mui, mais dans la joie du jeu ensemble, avec mon soutien, se produisent
plusieurs plages d’improvisation d’ensemble, en « groupe musique ».
e. Quatrième séance :
Les trois patients sont bien présents et participatifs. Mme Mui a un moment s’endort. Par la
parole, je rassure Mme Néü. Puis apaisée, étonnée et heureuse de jouer avec Mr Moï, des
improvisations d’ensemble se font jour, dans plusieurs univers sonores.
f. Cinquième et dernière séance :
Les trois patients ont peut-être été préparés un peu plus tôt par les soignants. Ils m’attendent.
Mme Mui est en colère (rare chez elle).
Pendant la séance, Mme Mui traduit son émotion à travers un médium puissamment sonore de
temps en temps. A ses côtés, Mme Néü, bien plus à l’aise que précédemment, joue en interaction
avec Mr Moï, en improvisation créatrice de jeu très doux. A la fin, tous ont retrouvé leur calme.
127
4. Conséquences sur la vie de l’unité.
D’après les soignants, elles ne sont pas flagrantes mais j’ai espoir que ces trois personnes ont
appris à dépasser leur à priori, leurs rôles, les uns envers les autres. Leur communication sonore
non verbale a été constituée d’échanges nouveaux et a permis aux uns et aux autres de se
découvrir.
D- Contribuer à apaiser les symptômes.
1. Moyens
En séance de musicothérapie réceptive individuelle, en général en écoute seule, je travaille
avec des patients au coucher. Les séances durent en moyenne 40 minutes dans la chambre du
patient. Je fais le choix de jouer moi-même de la musique (mon instrumentarium portatif est
composé de mes deux flûtes, de la sanzula et du gros bol tibétain). Ceci afin de pouvoir être plus en
phase avec l’état psychique du moment du patient (dans le volume, le timbre et la hauteur).
2. Syndromes.
Les syndromes que ces séances visent à apaiser sont l’agressivité, le sundowning syndrome et
l’inversion du rythme nycthéméral.
Le sundowning syndrome ou syndrome du coucher du soleil est relativement fréquent chez les
personnes atteintes de troubles neurocognitifs sévères. Au coucher du soleil, identifié à la venue de
la mort, des terreurs et angoisses profondes font leur apparition chez certains patients.
128
L’inversion du rythme nycthéméral est aussi fréquente. La personne alors vit la nuit et dort le jour.
Ce qui ajoute à sa confusion.
3. Apport des neurosciences (partie 3).
Sous l’autorité de la docteur Adarsh Kumar (1935-2016), en 1999, le département de
psychiatrie et de science du comportement de l’université de Miami, publie dans la revue Altern
Ther Health Med, ses travaux sur l’augmentation de la mélatonine sérique, par la musicothérapie,
chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer.
La mélatonine sérique (c’est-à-dire contenue dans le sérum ou plasma sanguin) est une neuro-
hormone, synthétisée à partir de la sérotonine, dans la glande pinéale.
La sécrétion de mélatonine diminue dès l’adolescence et devient rare chez les personnes très
âgées.
Outre son effet régulateur du sommeil, elle a des effets importants sur le système immunitaire, sur
l‘agitation et sur l’anxiété.
129
4. Cheminements thérapeutiques.
a. Mr Jao :
Pendant 7 mois, en temps cumulé, nous avons travaillé 4 heures.
C’est le premier patient qui m’a accueilli. Nous étions surtout dans une thérapie basée sur la
validation. Pendant 45 minutes, les séances se passaient l’après-midi, dans sa chambre. Selon sa
demande, il répondait à mon invitation de musicothérapie réceptive. Il se laissait alors bercer et
apaiser en écoute attentive, au début des séances, dans son fauteuil. Puis se sont accentués ses
troubles du comportement avec agressivité physique envers les soignants. L’alliance thérapeutique
entre nous lui a fait dire un jour : « N’entrez pas aujourd’hui, je risquerai de vous faire du mal ».
Les séances de musicothérapie réceptives ont continué, suivant son état. Je lui proposais de
s’allonger, et apaisé, il s’endormait pendant mon jeu.
b. Mme Laü :
Pendant 15 mois, en temps cumulé, nous avons travaillé 10 heures.
Elle est atteinte de troubles mnésiques sévères et souffre d’inversion du rythme nycthéméral. Elle
m’accueille toujours avec joie (elle a su dire « non » une fois). C’est ma dernière patiente de la
soirée. Dans sa chambre, la séance dure entre 30 minutes et une heure, suivant son besoin.
Elle apprécie les chants connus (c’est une chanteuse qui tient des cahiers de texte de chansons). Je
reste dans des instruments sans surprise (avec les flûtes) et commence toujours par des morceaux
connus. Puis j’entremêle des morceaux lents et doux de plus en plus inconnus, l’invitant à se laisser
porter par la musique.
Je joue toujours le même répertoire (« Le chant du guardian », « Amazing grace », deux autres
ballades irlandaises, deux cantiques bretons, une musique structurée et douce du Sénégal [Keur
Moussa], deux mélodies d’Israël, une mélodie Yeddish, deux morceaux tirés du Llibre Vermeil de
Montserrat). Son hippocampe ne s’en souvient plus mais son amygdale cérébelleuse si, car au fur
130
et à mesure, elle se met à chantonner des morceaux que je jouais au départ des séances, qui lui
était complètement inconnus (cf. Hervé Platel).
Elle a une posture un peu tordue et tendue quand elle est dans son lit. Après les séances, les
professionnels ont remarqué que sa posture avait changé, complètement détendue.
Les veilleuses de nuit me transmettent qu’après chacune des séances, elle passe une nuit de
sommeil complète.
c. Mme Maï :
Pendant 15 mois, en temps cumulé, nous avons travaillé 10 heures.
Elle souffre du sundowning syndrome et le manifeste en tirant sur ses doigts tout en comptant. Les
séances du soir durent environ 45 minutes.
Elle apprécie le son de la sanzula.
Au début des séances, je me mettais à son rythme de comptage et me mettais à improviser, en
copying, en chantant sur fond de sanzula. Puis je ralentissais peu à peu tout en conservant la même
structure. Par l’effet, je pense, des neurones miroirs, cela la faisait ralentir aussi.
L’alliance thérapeutique s’est concrétisée lorsqu’elle a accepté de prendre ma main pour compter
aussi mes doigts. Le contact physique est devenu de plus en plus fréquent.
Elle se met à raconter des histoires de son passé qui l’ont troublées, à moitié en jargon. Je reprends
ces histoires sur la sanzula en chant improvisé. Je chante aussi des improvisations douces sur les
voyelles.
Elle se montre fort intéressée par la sanzula et se met à jouer avec moi.
Elle a clairement exprimé des phrases dans un français on ne peut plus correct, exprimant des
souhaits profonds.
Au fil des séances, son comportement s’apaise.
131
Après les dernières séances, d’après les soignants, elle ne se tire plus les doigts en comptant, mais
chantonne doucement, tranquillement (d’où le duo, un jour avec Mr Moï, après le dîner).
d. Mme Bia :
Pendant 10 mois, en temps cumulé, nous avons travaillé 10 heures.
Elle souffre du même syndrome que Mme Maï, mais peut s’exprimer clairement.
Elle m’a accueilli avec espoir. La première séance (45 minutes, le soir) : elle n’avait pas pu dormir la
nuit précédente, tellement ses poumons étaient encombrés et qu’elle pensait que sa fin était
proche, terrorisée. Elle s’est montrée très ouverte et très attentive aux différentes mélodies que ce
soit aux flûtes, à la sanzula avec improvisation chant, ou au bol tibétain. Le lendemain, pendant la
réunion de transmission, la kinésithérapeute qui venait lui faire de la kiné respiratoire est venue,
surprise : « c’est étonnant, hier je n’arrivais à rien et ce matin le travail s’est fait très bien ». L’IDE a
répondu : « Voilà un effet de la musicothérapie».
De nombreuses séances suivirent, où, progressivement elle s’apaisait.
Mme Bia a eu deux séances de musicothérapie active individuelle en salle ainsi que le bilan
psychomusical :
L’objectif partagé était le suivant : un travail pour mettre ses angoisses en musique ainsi qu’un
travail pour émettre « son cri intérieur» en le transférant sur les instruments. Les séances duraient
30 minutes.
Alors que pendant le bilan, elle disait préférer les sons et musiques doux et feutrés, durant ses deux
séances, elle a utilisé des instruments au son puissant.
Avec joie, elle était dans l’interaction, « dans le plaisir de jouer », dans le dialogue, la créativité et
l’improvisation.
Elle a donc utilisé ses médiums dans un fort volume. Elle se dit satisfaite d’avoir pu mettre ses
angoisses en musique, d’avoir pu enfin « crier ». Elle était toute étourdie à la fin des séances.
132
En juillet 2015, elle a été transférée à la clinique psychiatrique du Parc à Nantes. En accord avec les
soignants de l’EHPAD et avec son médecin psychiatrique de la clinique, j’ai pu continuer mes
séances de musicothérapie réceptive. Elles s’effectuaient alors dans un coin reculé du parc sur un
banc.
Mme Bia était de plus en plus apaisée, voire heureuse. Elle est décédée quelques semaines plus
tard à l’hôpital Bellier.
E- Accompagner la personne dans la fin de sa vie.
1. Préambule.
Par le biais de la musicothérapie réceptive avec verbalisation, je suis en fait au cœur de mon
sujet. C’est pour moi, un privilège supplémentaire d’accompagner les personnes pendant leurs
derniers moments. Il s’agit pour la personne d’une forte expérience de vie, avec son ressenti, et qui
a particulièrement besoin d’être entendue, reconnue, rencontrée.
Comme le souligne Thierry Tournebise : « L’effondrement du Moi montre un vide insoutenable (…)
il convient alors plus de nourrir le Soi, par la validation, conduisant à la noble sénescence », [id.,
réf.44bis].
A la question « qu’est-ce que mourir en paix ? », je répondrai donc : quand quelqu’un part pour un
long voyage, il aime en général, que sa maison soit propre et bien rangée, portes verrouillées (pour
ne pas être cambriolé), gaz et électricité éteints (pour qu’il n’y ait pas d’accident dévastateur). De
même à l’approche de la fin de sa vie, la personne a besoin de se retrouver entière, réconciliée au
possible avec les parties « amputées » d’elle-même, être dans la sénescence, stade de l’existentiel,
être Soi.
133
2. Contes, témoignages et croyances.
Voici une petite histoire : l’âge moyen d’un être humain avoisine les 90 ans, l’âge d’un fœtus :
9 mois. Imaginons que les fœtus, dans le ventre de leur maman, aient des téléphones portables
pour communiquer entre eux. Que de choses à se raconter (cf. : ISo gestaltique) durant toute leur
vie de fœtus. Mais arrive un moment où l’un des interlocuteurs se sent comme poussé dans un
étroit tunnel, le téléphone ne passe plus, et ensuite, toute la communauté des fœtus n’entend plus
jamais parler de lui : il a disparu.
En Bretagne (par exemple), avant les inventions de la radio, de la télévision, les personnes se
rassemblaient pour des veillées, et pendant la période des « mois noirs », c’est-à-dire octobre,
novembre et décembre, étaient racontées des histoires, des contes ayant trait à la mort. Anatole Le
Braz (1859-1926) les a rassemblés dans son livre « La légende de la Mort ». On y trouve les
intersignes (entre monde des vivants et monde des morts), le personnage de l’Ankou etc.…
Les témoignages d’expérience de mort imminente (EMI) sont nombreux. Ce sont des personnes
déclarées cliniquement mortes qui reviennent à la vie (n’ayant pas été jusqu’au bout de
l’expérience somme toute). Le premier livre du docteur Raymond Moody (né en 1944), docteur en
philosophie et en psychologie ainsi que médecin, est un recueil de témoignages de personnes
disant avoir vécu une EMI. Il les a recueillis durant plus de 20 ans sur toute la planète, [voir son
livre, réf.32]. Tous les témoignages se corroborent sur, par exemple, le fait d’une dé-corporation,
d’être entrainé dans un tunnel obscur vers une lumière brillante…
Son premier livre « La vie après la vie » est paru en 1977. Depuis, beaucoup de personnes
témoignent de leur propre EMI, tel la musicothérapeute Martina Niernhaussen dans son livre « Du
premier cri au dernier souffle », [voir ce livre, réf34]. Les quelques personnes qui ont fait cette EMI,
que j’ai rencontrées, ont toutes changé de vie, afin de se mettre, à leur façon, au service des autres,
que leur « faire » devienne au service de leur « être » (et non plus l’inverse).
134
Je ne citerai que deux croyances :
- Chez le peuple amérindien, nous dit Elan Noir, si l’Esprit se retrouve dans les vastes étendues
de chasses éternelles, le Corps, en se décomposant, rejoint, s’unit aux éléments de la Nature,
on le retrouve dans le brin d’herbe, le vent, le bison, la rivière…et par ces vecteurs, devient
immortel ; d’où l’importance sacrée de la Terre des Ancêtres.
- Au Tibet, l’âme fait un long et périlleux voyage avant de se réincarner ou mieux espérer être
libérée de la roue des incarnations successives. Le livre tibétain des morts, le Bardo Thödol
raconte ce voyage. « Bardo » signifie intervalle, « Thö » veut dire entendre, et « Dol » signifie
libération. Le compositeur français de musique électroacoustique, Pierre Henry (né en 1927)
met ce livre en musique dans son œuvre « Le Voyage » en 1962.
3. Moyens.
Comme moyen spécifique, j’utilise l’emploi du prénom de la personne, seul, en chantant sur
fond de sanzula, ou en le chantant précédé d’un « merci » comme seule parole, avec chant de
voyelle. En effet la sonorité du prénom de la personne l’a accompagnée intimement toute sa vie
durant, dans les bons et mauvais jours. Cela peut l’aider, en fil d’Ariane, à se rassembler, à résoudre
sa phase d’intégrité (cf. : Naomi Feil), entrer dans la sénescence en retrouvant une unité du Soi (cf. :
Tournebise).
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4. Cheminements thérapeutiques.
a. Mme Hoa :
a1 : Alliance thérapeutique : le commencement.
Mme Hoa était alitée. C’est une personne qui a parlé breton pendant une longue période de
sa vie et, quand elle était en éveil, elle pouvait parler mi-breton, mi-français et…. mi-vocabulaire
inventé. Connaissant quelques mots et expressions en breton, je suis venu, début janvier 2015, lui
souhaiter toute la formule de bonne année dans cette langue14. Cela l’a éveillée et elle s’est mise à
me parler.
a2 : Au fil des séances.
Pendant 4 mois, en temps cumulé, nous avons travaillé 1 heure.
Il y en a eu trois. J’avais demandé au maître de chapelle de Sainte Anne d’Auray, des partitions de
cantiques en breton usuels dans les années 30. Les séances duraient 20 minutes. Les salutations
d’entrée et de sortie se faisaient en breton. Je lui jouais, avec sa permission, des airs bretons aux
flûtes (cantiques, danses, complaintes), elle était bien attentive, chantait avec moi certains airs,
souriait, apaisée, son regard dans le mien.
b. Mme Giu :
b1 : Alliance thérapeutique : le commencement.
Je pense qu’elle a débuté avant les séances, quand elle était alerte. Je la croisais souvent, et
avec bonheur, nous prenions le temps de partager sur des sujets relativement profonds, c'est-à-dire
dans la rencontre, le partage des idées sur les relations humaines, la vie, la mort, la beauté de ce
qui nous entoure et qui passe inaperçue….
14 Voici cette formule (je n’ai appris le breton qu’oralement) : « bléa mat a souhaitant dor, yaa, prospériti, é baradoz i feign a gou bué ».
136
b2 : Au fil des séances.
Pendant 15 jours, en temps cumulé, nous avons travaillé 1 heure.
Il y en a eu deux de 35 minutes. Durant la première, j’étais seul avec elle. Elle me montra sa
souffrance physique. Je lui jouais de la sanzula avec une improvisation de chant voyelles, ainsi que
des airs doux aux flûtes. Elle battait la mesure, s’apaisait progressivement par rapport à son
expression de douleur, s’abandonnait.
Pendant mon jeu, elle plongeait son regard dans le mien avec intensité me tenant la main
fortement.
Durant la seconde, je me suis retrouvé avec des personnes de sa famille. J’ai demandé si je pouvais
effectuer ma séance. L’ambiance était pesante au début, puis au fur et à mesure de mon jeu, Mme
Gia montra de l’entrain et applaudissait. J’ai proposé la sanzula à sa belle-fille, qui en a joué, larmes
aux yeux, elle a été aussi applaudie par tous. Quand je suis parti, l’ambiance dans la pièce était
devenue plus sereine, plus paisible.
c. Mme Puo :
c1 : Alliance thérapeutique : le commencement.
Mme Puo, de l’unité « Village », renvoyait sèchement les soignants et refusait de s’alimenter.
L’alliance s’est découverte quand nous nous sommes reconnus comme étant originaire de la même
ville (à 50 ans d’écart) et que son mari travaillait au même endroit que mon grand-père et que mon
père.
c2 : Au fil des séances.
Pendant 2 mois, en temps cumulé, nous avons travaillé 1 heure et demie.
Nous avons eu trois séances de 30 minutes. Je jouais des morceaux de façon douce à la flûte
traversière du temps où elle dansait beaucoup (morceaux de Tino Rossi, d’Edith Piaf, de Lucienne
Delyle, de Charles Trenet, de Maurice Chevalier…… suivant ce qu’elle désirait dans mes
137
propositions). Elle fredonnait avec moi. Nous avions beaucoup d’échanges verbaux sur des
souvenirs heureux, elle était dans le sourire, dans la paix et m’a confié ce qui la tourmentait (que je
me permis de transmettre à l’équipe). Ayant eu aux séances suivantes, sa réponse, elle fut en paix
et profita de la quiétude et des rires de ses séances.
d. Mr Lao :
Je l’ai déjà eu comme patient en musicothérapie active individuelle. Je l’ai suivi pendant trois
séances de musicothérapie réceptive. Les séances duraient 30 minutes.
Mon jeu à la sanzula reprenait, par chant improvisé, les étapes de sa vie, brodant sur les souvenirs
plaisants qu’il m’avait confiés. Il souriait en ces moments et son regard était dans le mien. Quand sa
respiration devenait douloureuse, avec plaintes, je me mettais à jouer sur la sanzula, improvisant
une mélodie chantée sur son prénom, sa respiration s’apaisait alors. Il était dans une écoute
réceptive. Des moments de silence, dans la communication non verbale ensemble, ponctuaient les
séances. Il semblait s’apaiser.
e. Mme Baé :
Elle aussi a été patiente en musicothérapie active individuelle. C’est à l’unité « Pierre
Mara », en soirée, qu’une soignante m’invita à aller la voir car elle avait eu une journée difficile. Sa
communication était close depuis plusieurs jours. La séance dura 40 minutes.
Elle m’accueillit, je commençai par une improvisation de chant sur la sanzula. Nous avons échangé
verbalement. Ensuite, j’ai fait résonner sur elle, le « chant » du bol tibétain, elle a apprécié. Puis
pendant le reste de la séance, elle a improvisé dans le chant des voyelles avec moi, chantant aussi,
sur fond de sanzula. Mon accompagnement a été structuré, mélodique et progressif, et elle s’est
investie de plus en plus dans le chant improvisé. Cela a duré 30 minutes, son chant a été de plus en
plus créatif et élaboré.
138
C’est ce que j’ai appelé « son chant du cygne », en référence à la sonate éponyme D 957, de Franz
Schubert (1797 – 1828). Je l’ai quitté bien apaisée et heureuse.
Le lendemain, elle parlait de nouveau avec les soignants dans un état d’éveil et de calme, ainsi que
de la séance de la veille au soir. Le surlendemain elle décédait.
f. Mme Buo :
Si l’accompagnement de Mme Baé avait duré une séance, celui de Mme Buo a été une suite
de dix séances. Après quinze jours alitée, ne communiquant plus, ne mangeant presque plus, son
corps et son esprit sombraient. Alors l’équipe soignante a fait appel à un accompagnement
musicothérapique.
f1 : L’alliance thérapeutique.
Elle s’est vite construite, car à sa surprise, je l’ai rejoint dans son mode où elle se trouvait. C’est-à-
dire, qu’elle était dans une forme grave d’aphasie, appelée automatisme verbal, consistant à
répéter rapidement et constamment la syllabe « ma », dans un fort volume. Elle alternait par des
« s’il-vous-plait » en continu.
J’ai copié, les yeux dans les yeux, son automatisme verbal, au même volume, puis peu à peu y ai
introduit quelques nuances mélodiques légères, lui ouvrant ainsi la possibilité de sortir de son
mode.
Quand elle était dans le mode « s’il-vous-plait », sa main dans la mienne, je lui répondais en écho
« je suis là », afin d’essayer d’installer un cadre réassurant. Ce protocole d’entrée à deux portes
s’est répété à chaque début de séance et aussi pendant les séances, puis s’est estompé au fur et à
mesure, toujours dans le temps qu’elle jugeait nécessaire.
f2 : Au fil des séances.
Pendant 7 mois, en temps cumulé, nous avons travaillé 8 heures.
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Les séances commençaient à 19h30 et duraient 45 minutes. Après le protocole d’entrée en
communication, des mots ou des bouts de phrases, répétés, survenaient. Je les reformulais. Un
temps était aussi réservé à la musicothérapie réceptive sur des cantiques bretons, joués à la flûte
en bois, qu’elle écoutait attentivement avec un plaisir et une attention manifeste. Elle me prenait la
main et me caressait le visage, touchant les instruments dont j’étais en train de jouer.
Je reprenais ensuite en chant improvisé sur fond de sanzula, les mots et bouts de phrases quelle
avait dits et cela entrainait d’autres mots de sa part.
A chaque séance, ces mots et bouts de phrases constituaient un moment particulier de son histoire,
qu’ainsi je validais. A des moments, ces histoires l’agitaient au début, puis à la fin de ma validation,
elle s’endormait, en paix, au son du bol tibétain qui s’évanouissait, ou sur fond de sanzula, sur un
chant improvisé sur son prénom seul ou précédé d’un « merci ».
L’avant dernière séance, elle était très faible, mais consciente, et en fin de séance, elle s’est tournée
vers moi, et de son œil valide m’a offert un regard rempli de reconnaissance et de gratitude.
La dernière séance a eu lieu pendant ce que les médecins appellent les râles de l’agonie. Cela a été
en présence de membres de sa famille. J’ai demandé à son fils de lui mettre son appareil auditif, et
ai effectué une séance habituelle. Les variations de ses râles et silences, à mon écoute,
correspondaient aux différentes périodes de séances que nous avions partagés. Elle est décédée
deux jours plus tard, dans une grande paix, d’après sa famille.
g. La toute dernière séance de l’accompagnement musicothérapique de
l’accompagnement de la fin de la vie, le silence habité :
g1 : Procédure de l’établissement.
Au décès d’un résidant, la chambre est débarrassée de tout système de soins. Une petite
veilleuse électrique est allumée sur la table de nuit, avec quelques objets préférés et symboliques
de la personne. Une thanatopracteuse, partenaire de l’EHPAD, vient préparer la personne avec
grand soin et dignité (on est loin du masque mortuaire). Des fleurs souvent sont présentes ainsi que
140
des chaises. La chambre, fermée à clef, est devenue une « chapelle ardente ». La famille, les amis
mais aussi les soignants de l’unité viennent s’y recueillir.
Puis, les pompes funèbres arrivent, partenaires aussi de l’EHPAD, et enlèvent le corps, entouré par
une haie silencieuse composée de la famille, des soignants et de quelques résidants. La cérémonie a
lieu la plupart du temps à l’église de Saint-Herblain.
Les résidants ont en général cette réaction « ce n’est pas mon tour encore, cette fois-ci »
g2 : La toute dernière séance ;
Voici mon Instrumentarium du silence habité :
Il est composé de deux pratiques que j’effectue depuis longtemps.
Le zen, qui spécifie que, dans le mental, les pensées qui arrivent ne doivent être ni repoussées, ni
retenues.
Et l’oraison que je pratique depuis l’âge de 7 ans. Pratique où je me sens toujours dans les
« commençants » (je suis un orant pas pressé). Outre des personnes qui m’ont guidé sur ce chemin,
je me suis surtout appuyé sur deux ouvrages : « Le nuage d’inconnaissance » écrit par un anonyme
au XIVème siècle, et Jean de la Croix (1542-1591), réformateur de l’ordre religieux contemplatif du
Carmel, avec Thérèse d’Avila. Jean de la Croix donc, a écrit tout un cheminement pour la pratique
de l’oraison en trois ouvrages : « La montée de Carmel », « La nuit obscure » et « La vive flamme
d’amour » où, pas à pas, il montre comment l’âme se détache progressivement de « ses affects
(charnels et émotionnels) » puis de « sa volonté, de son entendement et sa mémoire », afin
« d’attendre de s’envoler, dans l’abandon et la confiance vers la rencontre du Tout-Autre », [voir
ces trois livres, réf.16,17,18].
Alors, pendant la durée d’une dernière séance, dans une plage horaire où je pouvais être seul avec
la personne décédée, je réglais le tuner de ma pensée sur ce que nous avions vécu ensemble, dans
la gratitude, en silence, centré.
141
F- Petite conclusion.
Que de merveilles !
D’après Carl Jung : «Ce qui manque à l’homme, c’est l’intensité ».
Je pense que les patients ont partagés des moments d’intensité (de par leur parole, mais surtout au
travers de leurs expressions non-verbales). Tous ces cheminements thérapeutiques, étape après
étape, dans leur participation à des ateliers de musicothérapie, a contribué à faciliter leur travail
personnel de sénescence. Ils se sont ouvert, chacun à sa manière, à la pulsion de vie, au flux
existentiel.
Ceci s’est de nouveau démontré lors des dernières séances qui vont être décrites dans la partie
suivante.
VI. Fin du travail en musicothérapie.
A- Les dernières séances de musicothérapie individuelles.
1. Préambule.
Il est important de mettre une fin à un accompagnement thérapeutique. C’est ce que j’ai fait
en allant proposer, dans leur chambre, une dernière séance aux patients avec qui nous avions
travaillés en atelier divers.
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2. Mr Moï.
Dans sa chambre, je chante, en improvisation, un récapitulatif sur le travail effectué
ensemble avec mes remerciements, sur fond de sanzula. Il apparaît des signes de communication
non verbale d’émotions de sa part. Je lui propose de m’accompagner sur son instrument préféré
(un tambourin et sa baguette, appartenant au service « animation » de l’EHPAD), étant couché sur
son lit, il se lève alors, prend le tambourin et la baguette et les range sur sa table de chevet,
derrière sa photo de marin.
J’en parle à sa référente, qui le conserve pour le lui laisser en essai.
3. Mme Néü.
La séance dure une heure. Elle est dans la joie, voire un peu euphorique. Son jeu est rapide,
dans l’écoute, elle réussit à réduire la cadence. Il y a beaucoup d’interactions, de rires, de chants
bouche fermée. Son improvisation est riche. Nous nous quittons en nous remerciant
réciproquement.
4. Mme Mui.
D’après les soignants, elle n’avait goût à rien durant cette journée… Elle m’accueille
chaleureusement avec enthousiasme et passe en interaction dans le jeu instrumental rapidement.
Elle change d’instrument elle-même. Elle se montre plus créative encore (dans le timbre, le volume,
l’innovation, le rythme, le chant improvisé des voyelles…) Elle est en écoute de mon jeu de soutien.
La séance dure 1h30 ! (je l’avais prévenue au départ que, pour cette séance, elle était maître du
temps [tout de même sous mon contrôle discret]).
Elle dit que cela lui a fait beaucoup de bien, de vie, et émet le désir qu’un autre musicothérapeute
me remplace rapidement.
143
5. Mme Gaâ.
La séance dure 1h30, avec la même parole de ma part que précédemment. Son physique
s’est dégradé. Nous trouvons alors d’autres positions d’instruments et d’autres façons de jouer. Son
regard est intense. Il se passe des interactions mélodieuses, inventives et justes de sa part, le temps
parait suspendu. Ensuite, selon son désir, je passe en musicothérapie réceptive. Sur un chant
improvisé sur fond de sanzula, elle montre des signes non verbaux d’émotion.
6. Mme Dui.
La séance dure une heure et se divise, selon son désir en deux parties : la première en
musicothérapie active où elle fait preuve de créativité dans un jeu complice, la seconde en
musicothérapie réceptive, son regard est lumineux, elle est pleine de sourires laissant échapper des
« comme c’est beau ».
7. Mme Gaï.
La séance dure 45 minutes. Après un accueil très chaleureux, elle s’affirme dans le choix des
instruments et trouve sa propre façon de jouer sur des médiums nouveaux pour elle. Commencent
alors les interactions dans notre jeu sonore. Elle montre des signes non verbaux de joie, elle danse
sur son fauteuil, regard en éveil, lors de la musicothérapie réceptive de seconde partie de séance.
8. Mr Poé.
La séance dure 15 minutes. La maladie a beaucoup évolué. Je lui propose de la
musicothérapie réceptive sur ses instruments privilégiés. Réveillé mais yeux clos, entendant que
c’est la dernière séance, il ouvre grand ses yeux et plonge dans mon regard, fixé sur les instruments
dont je joue avec une ébauche de sourire. Je termine par un chant récapitulatif du travail effectué
sur fond de sanzula. Son regard est expressif.
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B- Quelques avis des professionnels.
J’ai demandé à quelques soignants ce que la musicothérapie avait apporté aux résidants.
Dans la retransmission, les blancs entre parenthèses correspondent à ma personne, comme pour
un bilan.
a. Une AMP travaillant à l’unité « Pierre Mara » depuis treize ans.
« Les séances (…) ont été bénéfiques pour les personnes atteintes de troubles cognitifs. Nous
avons observé chez ces résidants un réveil, c’est-à-dire qu’ils nous ont semblé présents (regard,
corps qui se mouvait d’avantage, expressions du visage, des chants sont fredonnés sans qu’il y ait
une stimulation).
Quelle belle découverte de constater que la musicothérapie est une activité thérapeutique non
médicamenteuse. »
b. Un AS travaillant à l’unité « Ermitage » depuis treize ans.
« (…) capter l’attention des résidants peu communicatifs (ayant peu de capacités d’interactions
avec le monde qui les entoure) (…) des séances qui touchent le résidant dans ses émotions. (…)
adapté aux résidants aussi bien dans leur histoire de vie que dans leur besoins émotionnels
(sonorité adaptées aux origines de la personne, breton, espagnol ...)
Par le biais d’instruments et leur diversité, (…) arrive à faire faire des gestes à des personnes à
mobilité très réduite. L’apport des séances de musicothérapie me semble bénéfique pour les
résidants. »
145
c. Les deux Infirmiers titulaires.
c1. « Auprès des résidants atteints de troubles cognitifs :
1. Communication au travers des instruments : s’exprimer grâce à l’outil (…)
transmettre ses émotions (positives ou négatives) pendant les séances.
2. Permet une baisse de l’agressivité (…)
3. Eveil des sens (…)
4. Après une séance les résidants sont apaisés (…)
La musicothérapie est un soin de support qui, selon moi peut permettre une
baisse du dosage de certains médicaments psychotropes ou antalgiques (…) »
c2. « (…) épanouissement des résidants pris en charge à plusieurs niveaux.
Du point de vue de l’apaisement des résidants présentant des troubles cognitifs,
ainsi que vis-à-vis de l’extériorisation d’affects chez des personnes ayant des
troubles de la communication. Participation à des prises en charges palliatives,
d’un grand bénéfice pour les résidants en fin de vie rencontrés. Travail sur les
interactions de groupe avec des résidants d’unité fermée prometteur (…) ».
C- Petite conclusion.
Le 14 février 2016, je rendais mon badge et mon passe. Mon temps de stagiaire
professionnel musicothérapeute était clos.
Le lien a été conservé, de façons diverses. Je vous invite à les découvrir dans l’annexe 2, appelée
« post-stage ».
146
147
VII. Conclusion générale.
Cette conclusion se développe en deux optiques complémentaires : une première, plutôt
analogique, montre les enjeux de la sénescence ; une seconde, plutôt digitale, montre les points
importants de l’apport de la musicothérapie auprès des Anciens, atteints de troubles cognitifs
sévères, en EHPAD, étant dans ce stade de leur vie.
Je reviens sur les fruits du tableau de Naomi Feil, basé sur les travaux d’Erikson, à propos
des personnes âgées mal orientées. A chaque étape de sa vie, chaque être humain combat
intimement pour récolter les fruits suivants : l’Espoir, la Volonté, l’Exploration, la Compétence, la
Fidélité, l’Amour, le Prendre soin et la Sagesse.
Tout en gardant cela à l’esprit, je reviens sur l’organicisme que j’ai évoqué dans l’introduction, mais
cette fois-ci dans deux domaines différents :
- En philosophie : d’après Platon (-428 ;-348), la réalité peut mieux s’appréhender si elle est
vue comme un ensemble organique.
- En sociologie : né au XIXème siècle, il consiste en une approche de la société qui, par
analogie, est comparée à un organisme vivant pour son organisation et son fonctionnement,
et dont les êtres humains sont les cellules.
Chaque être humain, dans chaque étape de sa croissance, a donc travaillé des moments
spécifiques, des stades déterminants. Par ce travail particulier et unique, dans une société vue
comme un organisme vivant, chacun peut aider ses semblables, quelque soit le temps de sa
croissance où ils se trouvent, en leur partageant simplement sa propre expérience, en espérant
qu’ils puissent en tirer profit. Souvent, il sera préférable que cette expérience soit montrée dans le
comportement plutôt que transmise dans le discours.
Il y a une mode qui fonctionne très bien aujourd’hui : c’est la recherche du « bien-être ». Cette
mode lucrative ne cacherait-elle pas un profond « mal-être », ou plus simplement un manque
d’ « être », avec une fuite en avant dans le « faire » ?
148
Avec la sénescence, le flux existentiel de la vie a la possibilité de libérer le Soi, unifié, afin, enfin,
d’être. Je pense que les Anciens, ayant le mieux possible réussit leur processus d’individuation,
peuvent ainsi retrouver un rôle déterminant dans le lien social, en partageant leur expérience.
Aujourd’hui, dans nos sociétés appelées modernes, la majorité des personnes repousse cette
étape. Elles essaient alors de combler le vide qu’elle engendre si elle n’est pas assimilée, par toutes
sortes de moyens, parfois plus ou moins destructeurs.
Le silence et le fait d’être seul sont, de ce point de vue, non de terribles ennemis, mais des alliés.
J’ai l’habitude de comparer l’évolution de l’humanité à une vie d’homme. Certes, en ce moment
nous sommes dans la crise, mais à mon avis, ses effets visibles et douloureux sont les symptômes
d’une crise plus profonde, la crise d’adolescence de l’humanité.
Si nous ne nous détruisons pas, nous avons encore le temps jusqu’à la crise de la sénescence !
En sociologie toujours, dans notre culture, nous sommes passés d’une conception holistique à
l’individualisme moderne, à la Renaissance. C’est d’ailleurs à partir de ce temps que les artistes ont
signé leurs œuvres par leur nom. Après quelques petites centaines d’années, nous nous retrouvons
comme enfermés dans l’individualisme, dans l’égo, avec son lot de souffrances.
Ne serait-il pas temps, non de retourner à une conception holistique, mais en retirer le meilleur et
passer de l’individualisme au processus d’individuation ?
Ainsi, de façon unique et particulière, différencié, nous pourrons retrouver le lien qui unit chaque
être humain et dans une confrontation vraie et non violente, arriver à une complémentarité.