Utilité des antidépresseurs dans les troubles anxieux M. Ansseau Rev Med Suisse 2006; volume 2. 31603 Résumé Cet article s'intéresse à quatre troubles anxieux particulièrement fréquents tant dans la population que dans les consultations de médecine générale : le trouble panique, les phobies spécifiques, la phobie sociale et l'anxiété généralisée. Après en avoir décrit brièvement les caractéristiques cliniques et la prévalence, il en fournit les principes généraux de traitement et surtout la place spécifique des antidépresseurs. Enfin, pour chaque trouble, il propose un algorithme de décision basé sur les recommandations disponibles. Schématiquement, les antidépresseurs, et tout particulièrement les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine, possèdent une utilité importante dans le trouble panique, modérée dans l'anxiété généralisée, faible dans la phobie sociale et nulle dans les phobies spécifiques. Introduction Initialement limitées à la dépression, les indications de certains antidépresseurs se sont récemment étendues à plusieurs troubles anxieux. Les troubles anxieux représentent des troubles psychiatriques particulièrement importants, en raison, d'une part, de leur fréquence au sein de la population, d'autre part, de leurs conséquences en termes de souffrance personnelle, familiale et sociale. De plus, la prise en charge de ces patients est souvent difficile, d'abord parce que le recours aux professionnels de la santé est souvent tardif, voire inexistant, ensuite parce que le diagnostic est particulièrement complexe, enfin parce que les approches thérapeutiques sont parfois peu validées, voire contradictoires. La classification diagnostique des troubles anxieux a nettement évolué, depuis les concepts «classiques» en passant par les différentes éditions du DSM. C'est ainsi que la notion de «névrose» a été abandonnée au profit de troubles individualisés. Dans le DSM-IV, les troubles anxieux sont classés en sept catégories diagnostiques principales : trouble panique, phobie spécifique, phobie sociale, trouble obsessionnel- compulsif, état de stress post-traumatique, état de stress aigu et anxiété généralisée. 1 Dans le cadre de cet article, nous nous limiterons au trouble panique, aux phobies spécifiques, à la phobie sociale et à l'anxiété généralisée dont nous décrirons tout d'abord brièvement les caractéristiques cliniques et l'importance sur le plan épidémiologique. Ensuite, nous en fournirons les principes généraux de traitement et surtout la place spécifique des antidépresseurs. Enfin, pour chacun des troubles anxieux, nous proposerons un algorithme de décision basé sur les recommandations disponibles à ce jour, provenant notamment de l'American Psychiatric Association et des évaluations de la Cochrane Library. 2-5 Il faut cependant rester conscient que la plupart de ces recommandations reposent plus sur des avis
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Utilité des antidépresseurs dans les troubles
anxieux
M. Ansseau
Rev Med Suisse 2006; volume 2. 31603
Résumé
Cet article s'intéresse à quatre troubles anxieux particulièrement fréquents tant dans la
population que dans les consultations de médecine générale : le trouble panique, les phobies
spécifiques, la phobie sociale et l'anxiété généralisée. Après en avoir décrit brièvement les
caractéristiques cliniques et la prévalence, il en fournit les principes généraux de traitement et
surtout la place spécifique des antidépresseurs. Enfin, pour chaque trouble, il propose un
algorithme de décision basé sur les recommandations disponibles. Schématiquement, les
antidépresseurs, et tout particulièrement les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine,
possèdent une utilité importante dans le trouble panique, modérée dans l'anxiété généralisée,
faible dans la phobie sociale et nulle dans les phobies spécifiques.
Introduction
Initialement limitées à la dépression, les indications de certains antidépresseurs se sont
récemment étendues à plusieurs troubles anxieux.
Les troubles anxieux représentent des troubles psychiatriques particulièrement importants, en
raison, d'une part, de leur fréquence au sein de la population, d'autre part, de leurs
conséquences en termes de souffrance personnelle, familiale et sociale. De plus, la prise en
charge de ces patients est souvent difficile, d'abord parce que le recours aux professionnels de
la santé est souvent tardif, voire inexistant, ensuite parce que le diagnostic est particulièrement
complexe, enfin parce que les approches thérapeutiques sont parfois peu validées, voire
contradictoires.
La classification diagnostique des troubles anxieux a nettement évolué, depuis les concepts
«classiques» en passant par les différentes éditions du DSM. C'est ainsi que la notion de
«névrose» a été abandonnée au profit de troubles individualisés.
Dans le DSM-IV, les troubles anxieux sont classés en sept catégories diagnostiques
principales : trouble panique, phobie spécifique, phobie sociale, trouble obsessionnel-
compulsif, état de stress post-traumatique, état de stress aigu et anxiété généralisée.1 Dans le
cadre de cet article, nous nous limiterons au trouble panique, aux phobies spécifiques, à la
phobie sociale et à l'anxiété généralisée dont nous décrirons tout d'abord brièvement les
caractéristiques cliniques et l'importance sur le plan épidémiologique. Ensuite, nous en
fournirons les principes généraux de traitement et surtout la place spécifique des
antidépresseurs. Enfin, pour chacun des troubles anxieux, nous proposerons un algorithme de
décision basé sur les recommandations disponibles à ce jour, provenant notamment de
l'American Psychiatric Association et des évaluations de la Cochrane Library.2-5 Il faut
cependant rester conscient que la plupart de ces recommandations reposent plus sur des avis
d'experts que sur des résultats validés. A ce stade, elles ne peuvent donc représenter que des
propositions susceptibles d'orienter le choix thérapeutique.
Trouble panique
Diagnostic
La caractéristique essentielle du trouble panique est la présence d'attaques de panique
récurrentes et inattendues suivies de la crainte persistante d'avoir une autre attaque de
panique, de préoccupations quant aux implications possibles et aux conséquences de ces
attaques de panique, ou d'un changement significatif du comportement en relation avec les
attaques. Les attaques de panique se présentent sous la forme de périodes bien délimitées
d'anxiété ou de malaise très intense accompagnées par de nombreux symptômes somatiques
ou cognitifs. L'attaque a un début soudain, qui atteint rapidement son acmé ; de plus, elle est
souvent accompagnée d'un sentiment de danger ou de catastrophe imminente et d'un besoin
urgent de s'échapper. La fréquence et la sévérité des attaques de panique varient
considérablement.
L'âge de début du trouble panique se situe le plus souvent entre la fin de l'adolescence et le
milieu de la trentaine. L'évolution est le plus souvent chronique et fluctuante.
Le DSM-IV distingue le trouble panique avec agoraphobie, défini par l'anxiété liée au fait de
se retrouver dans des endroits ou des situations d'où il pourrait être difficile (ou gênant) de
s'échapper ou dans lesquels on pourrait ne pas trouver de secours en cas d'attaque de panique,
le trouble panique sans agoraphobie et l'agoraphobie sans antécédent de trouble panique.
Epidémiologie
Les différentes études épidémiologiques ont mis en évidence une prévalence sur la vie des
différentes formes du trouble panique habituellement comprise entre 1,5 et 6%. La National
Comorbidity Survey Replication américaine l'a estimée à 6,1% 6 et l'étude européenne
ESEMeD à 3%.7 En médecine générale, un trouble panique est mis en évidence chez 3,6%
des patients aux Etats-Unis 8 et 2,8% des patients en Belgique.9 Toutes les études démontrent
une prédominance nettement marquée du trouble chez les femmes, habituellement de deux à
trois fois plus fréquemment touchées que les hommes.
Principes généraux de traitement
Différentes approches psychothérapiques ont largement démontré leur efficacité dans le
trouble panique. Les thérapies cognitives apparaissent particulièrement indiquées pour le
traitement des attaques de panique tandis que les thérapies comportementales basées sur la
désensibilisation systématique sont particulièrement utiles pour le traitement des symptômes
agoraphobiques. Plusieurs classes de psychotropes ont également démontré leur efficacité :
différents types d'antidépresseurs, d'une part, certaines benzodiazépines, d'autre part.
L'association psychothérapie-pharmacothérapie est particulièrement recommandée dans la
mesure où le traitement médicamenteux présente une efficacité symptomatique plus rapide
alors que l'approche psychothérapique est associée à des résultats plus durables.
Place des antidépresseurs
Inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS) et inhibiteur du recaptage de la
sérotonine et de la noradrénaline (IRSN)
Tous les ISRS ont fait la preuve de leur efficacité dans le trouble panique.4 En raison de leur
bonne tolérance, ils sont habituellement proposés comme première ligne de traitement.2,4 Il
n'existe, à ce jour, aucune étude comparative directe entre ISRS permettant d'orienter plus
spécifiquement le choix thérapeutique. La seule exception concerne une étude en simple insu
comparant paroxétine et citalopram sans mettre en évidence de différence significative.10
La venlafaxine (Efexor ER ®) a récemment démontré son efficacité dans des études
contrôlées. Afin d'éviter une réactivation anxieuse, le traitement doit débuter par une dose de
37,5 mg pendant les sept premiers jours avant de passer à la dose active de 75 mg/j. Chez les
patients non-répondeurs, une augmentation par palier d'au moins une semaine jusqu'à une
posologie maximale de 225 mg/j peut être utile.
Le tableau 1 présente les doses de départ et les doses efficaces suggérées pour les différents
ISRS et IRSN. Il paraît essentiel d'insister sur la nécessité de commencer le traitement avec
des doses très faibles. En effet, de nombreux patients risquent de présenter en début de
traitement une réactivation anxieuse avec une aggravation de leur trouble panique si le
traitement est initié à doses trop élevées. La latence de l'effet thérapeutique prend
généralement un à deux mois. Le traitement est habituellement poursuivi pendant douze à dix-
huit mois, une période qui doit être mise à profit pour une approche psychothérapique, avant
d'être progressivement réduit puis arrêté sur une durée de plusieurs mois en restant attentif à