1 UNIVERSITE DU DROIT ET DE LA SANTE – LILLE II Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales DEA Droit communautaire et international Mention droit communautaire Le statut de la femme enceinte et de la jeune mère en droit communautaire ROPARS Julien Mémoire de recherche Sous la direction de Mme MORSON Année universitaire 2000-2001
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UNIVERSITE DU DROIT ET DE LA SANTE – LILLE II
Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales
DEA Droit communautaire et internationalMention droit communautaire
Le statut de la femme enceinte
et de la jeune mère en droit communautaire
ROPARS Julien
Mémoire de recherche
Sous la direction de Mme MORSON
Année universitaire 2000-2001
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La faculté n’entend donner aucune approbation ni aucune improbation
aux opinions émises dans le présent mémoire.
Ces opinions devront être considérées comme propres à leur auteur.
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SOMMAIRE
INTRODUCTION : p.6
PREMIERE PARTIE : LA DOUBLE PROTECTION ACCORDEE A LATRAVAILLEUSE ENCEINTE : p.11
Chapitre 1 – La protection de la santé et de la sécurité des travailleuses enceinte : p.13
Section 1 – Les dispositions sanitaires et sécuritaires de la directive 92/85/CEE : p.13
Paragraphe 1 – Les motivations incomplètes de la directive92/85/CEE : p.14
Paragraphe 2 – L’aménagement de l’environnement de travail : p.19
Section 2 – Les garanties à l’exercice effectif des droits : p.23
Paragraphe 1 – L’interdiction des discriminations déguisées : p.23
Paragraphe 2 – Les garanties internes à la directive : p.25
Chapitre 2 – La protection des droits liés à la relation de travail : p.27
Section 1 – L’interdiction du refus d’engagement fondé sur la grossesse : p.27
Paragraphe 1 – La force du principe d’interdiction : la jurisprudenceDekker : p.27
Paragraphe 2 – La confirmation du principe : l’arrêt Mahlburg : p.32
Section 2 – L’interdiction du licenciement des femmes enceintes jusqu’au terme ducongé de maternité : p.38
Paragraphe 1 – La protection contre le licenciement pendant lagrossesse : p.38
Paragraphe 2 – La consécration législative de l’interdiction : p.50
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SECONDE PARTIE : LES INCOHERENCES DE LA NOTION DE MATERNITE ENDROIT COMMUNAUTAIRE : p.62
Chapitre 1 –Egalité substantielle et grossesse : p.63
Section 1 – La reconnaissance d’un régime d’égalité substantielle applicable à lagrossesse : p.63
Paragraphe 1 – Mesures d’actions positives et protection de lagrossesse : p.64
Paragraphe 2 – La réserve de la CJCE quant aux mesures d’actionpositive : p.67
Section 2 – Une application sélective du régime d’égalité substantielle :p.75
Paragraphe 1– La légitimité d’un traitement défavorable fondé sur lamaladie : p.75
Paragraphe 2 – Les justifications invoquées : p.77
Chapitre 2 – Le statut déprécié de la maternité : p.86
Section 1 – Les conséquences de la reconnaissance de la spécificité absolue de lamaternité : p.86
Paragraphe 1 – Le congé de maternité comme période spécifique : p.87
Paragraphe 2 – Les nuances ultérieures : p.93
Section 2 – La situation de la femme au terme du congé de maternité : p.103
Paragraphe 1 – Les initiatives en faveur de la conciliation desobligations familiales et professionnelles : p.104
Paragraphe 2 – La persistance du stéréotype de la « femme-mère » : p.109
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TABLE DES ABREVIATIONS
Aff. Affaire
C/ contre
CE Communauté européenne
CEE Communauté économique européenne
CEEP Centre européen de l’entreprise publique
CES Confédération européenne des syndicats
CJCE Cour de justice des Communautés européennes
OPOCE Office des Publications officielles desCommunautés européennes
p. page
Rec. Recueil
UE Union européenne
UNICE Union des confédérations de l’industrie et desemployeurs d’Europe
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INTRODUCTION :
La maternité, cause première et fondement ultime de la discrimination sexuelle :
perspectives sociologiques
« Le fait que, contrairement aux hommes, les femmes portent des enfants, a toujours
constitué l’obstacle majeur à l’intégration complète des femmes dans la sphère publique
du lieu de travail »1. Il est possible d’aller plus loin, même, en affirmant que c’est la
perception d’une différence irréductible et incommensurable2 entre les hommes et les
femmes, basée sur le fait maternel plus que sur le sexe lui-même3, qui a fondé
historiquement la dichotomie entre la sphère publique et la sphère privée telle qu’elle
existe encore de nos jours. C’est en ce sens qu’il est possible de considérer que la
maternité, au-delà de ses caractéristiques biologiques évidentes, est essentiellement une
construction sociale4, qui a donné une signification aux caractéristiques physiques
« naturelles » des corps, différentes entre les hommes et les femmes, et créant ainsi
l’opposition entre les identités masculines et féminines.
Cette opposition anatomique entre les hommes et les femmes aurait pu s’exprimer sur le
mode de la complémentarité entre les sexes, complémentarité nécessaire et reconnue dès
les premiers temps de l’humanité dans le processus de procréation et de reproduction de
l’espèce humaine5.
1 Finley (L.M.) « Transcending Equality Theory : a Way Out of the Maternity and the Workplace Debate »,Columbia Law Review, volume 86, 1986, p. 1119 ; « The fact that women bear children and men do not hasbeen the major impediment to women becoming fully integrated into the public world of the workplace »(traduction personnelle)2 Steinberg (S.), « L’inégalité entre les sexes et l’égalité entre les hommes. Le tournant des Lumières »,Esprit, L’un et l’autre sexe, mars/avril 2001, p. 263 Mugny (G.), Oberlé (D.), Beauvois (J-L.), Relations humaines, groupes et influence sociale, Pressesuniversitaires de Grenoble, collection La psychologie sociale, Grenoble, 1995, p. 1824 Kniebiehler (Y.), « La construction sociale de la maternité », in Maternité, affaire privée, affaire publique,Bayard, collection Société, Paris, 2001, pp. 13-225 Héritier (F.), « privilège de la féminité et domination masculine », Esprit, L’un et l’autre sexe, précité, p. 83
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Pourtant, on ne peut que constater que les rapports entre les hommes et les femmes sont
profondément marqués par la domination des premiers sur les secondes6, et qu’un siècle de
féminisme organisé n’est pas parvenu à modifier de manière totale cet état de fait
aujourd’hui. Cette domination s’exprime de manière privilégiée dans la sphère
professionnelle. Ainsi, la Commission relève qu’en 2000, les femmes sont toujours
défavorisées sur le marché du travail, tant au niveau des taux d’activité, encore largement
inférieurs à ceux des hommes, qu’au niveau des rémunérations, puisque « [q]uel que soit
l’Etat membre, la rémunération de la femme ne dépasse jamais 84% de celle de
l’homme »7.
Les fondements de cette domination sont analysés de manière éclairante par Françoise
Héritier. Elle a découvert que cet invariant social que représente la valorisation du
masculin au détriment du féminin8, à l’origine de la hiérarchie entre les sexes, se fonde sur
la perception par les hommes que les femmes sont une ressource qui doit leur appartenir
afin d’assurer leur reproduction. Cette appropriation du féminin par le masculin est lui-
même la conséquence des modes élémentaires de perception et de classification du monde.
L’homme des origines, précise F. Héritier, « […] ne pouvait porter un jugement sur le
monde que par le truchement de ses sens. Son corps lui permettait de faire un certain
nombre d’observations et d’expériences et de donner sens au milieu dans lequel il était
plongé »9.
Et de fait, deux observations s’imposent à lui. D’abord, celle qu’il existe une différence
entre le masculin et le féminin dans l’ensemble du règne animal. Ensuite, celle de
l’alternance du jour et de la nuit. C’est sur ces deux « régularités duales »10 que les
premiers hommes bâtissent l’ordre symbolique de leur société, basé sur la classification
entre l’identique et le différent. Mais, nous l’avons déjà souligné, la différence n’est pas
constitutive en elle-même d’une hiérarchie, elle n’est pas immédiatement connotée de
manière négative.
6 Bourdieu (P.), La domination masculine, Edition du Seuil, collection Liber, Paris, 1998, 142 p.7 Eurostat et Commission européenne, La situation sociale dans l’Union européenne 2000, OPOCE, 2000,pp. 34-378 Ce que F. Héritier nomme « la valence différentielle des sexes », in, notamment, « Privilège de la féminitéet domination masculine », Esprit, l’un et l’autre sexe, précité, p.829 Héritier (F.), « Privilège de la féminité et domination masculine », Esprit, l’un et l’autre sexe, précité, p.8210 Héritier (F.), « Privilège de la féminité et domination masculine », précité, p. 83
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Mais les hommes observent également ce qu’ils analysent comme un privilège
exorbitant de la féminité, c’est-à-dire la faculté des femmes de produire non seulement le
féminin, l’identique, mais également le masculin, l’autre : « [d]e là va naître une
interrogation lourde de sens qui consiste à se demander comment un corps parvient à faire
du différent et ne se contente pas de produire du même »11. C’est parce que les hommes
sont privés de cette possibilité de se reproduire par eux-mêmes qu’ils considèrent alors la
femme comme une ressource rare. On le comprend dès lors, la maternité, fait unique de la
femme, va entraîner de la part des hommes l’élaboration de stratégies visant à s’approprier
et à conserver cette ressource, nécessaire pour assurer la survie de l’espèce humaine.
De là, le statut accordé à la maternité ne peut être marqué que par une ambiguïté
fondamentale, mêlant à la fois la révérence et la convoitise. En tout état de cause, la
fascination qu’exerce le fait maternel sur l’homme le conduit à mettre en œuvre une
entreprise de relégation de la femme dans le seul domaine où lui est reconnu une certaine
compétence, à défaut de légitimité : l’organisation de la famille, l’éducation et les soins des
enfants. Comme le fait remarquer Yvonne Knibiehler, « […] la nécessité vitale de ces
tâches transformait en destin la vie de la plupart des femmes ; elle fondait aussi,
solidement, leur identité et leur dignité. La répartition des tâches était certes inégalitaire,
mais elle laissait aux femmes une relative autonomie : la maternité était essentiellement
« leur affaire » »12. Elles sont ainsi cantonnées « à la gestion du biologique »13.
L’expansion du christianisme va introduire progressivement une nouvelle ambivalence
dans le rapport de la société à la maternité. Dès les premiers siècles, la chasteté et la
virginité sont présentées comme des vertus salutaires, préférables à la procréation. Cette
dernière cesse alors d’être une valeur sociale de premier ordre.
Un nouveau bouleversement de la conception de la maternité se produit pendant la
période des Lumières, avec l’émergence progressive d’une valeur de civilisation, l’amour
maternel, qui impose le modèle de la « bonne mère ». C’est ainsi que la relation affective
entre la mère et ses enfants vient à supplanter la fonction nourricière et à illuminer la
fonction éducative. Cette fonction sociale ne peut se réaliser pleinement, pensait-on alors,
11 Héritier (F.), « Privilège de la féminité et domination masculine », précité, p. 8412 Knibiehler (Y.), « La construction sociale de la maternité », in Maternité, affaire publique, affaire privée,précité, p. 1413 Héritier (F.), « Privilège de la féminité et domination masculine », précité, p. 90
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que dans le cadre protégé de la sphère privée. Ainsi, le chef de famille devient
l’intermédiaire privilégié entre la mère et le reste du monde. Cette perception, héritée des
analyses rousseauistes, conduit à une fixation idéale de l’image de la « femme au foyer »,
qui ne sera remise en question qu’avec la grande révolution que constitue l’accès à la
contraception.
Ainsi, à partir de la fin des années 1968, dans nos sociétés occidentales essentiellement,
les femmes conquièrent un statut de personnes autonomes juridiquement reconnu qui leur
était jusqu’alors refusé, grâce à la maîtrise de leur fécondité dont elles disposent enfin.
Grâce à la contraception, la femme n’est plus considérée comme une simple ressource
exploitée par les hommes et elle peut ainsi mettre fin au système de domination qui
consistait à l’utiliser pour faire des enfants. A l’assignation des femmes à la maternité, à
l’assimilation de l’identité féminine avec la fonction maternelle, le développement de la
contraception oppose l’affirmation d’une liberté individuelle et la dissociation du féminin
d’avec le maternel14. La maternité est désormais vécue comme un choix personnel.
Cependant, encore aujourd’hui, la grossesse et la maternité reste un discriminant majeur
entre l’homme et la femme, car les femmes sont, bien souvent encore, laissées seules pour
concilier travail, maternité et citoyenneté. Dans bien des cas, les femmes se trouvent
confrontées à un « arbitrage impossible »15 entre leurs responsabilités professionnelles,
nécessaires pour conforter leur indépendance vis-à-vis des hommes, et leurs responsabilités
familiales, qui leurs sont abandonnées de manière générale.
Dans cette perspective, le principe d’égalité des chances entre les femmes et les
hommes tel qu’il est appréhendé par le droit communautaire, devait accorder une place de
choix à certaines mesures spécifiques en vue de protéger les femmes contre les risques de
discrimination à raison du sexe, liés au fait maternel, qui ont justifié pendant longtemps les
manœuvres masculines d’éloignement des femmes de la sphère publique.
Nous verrons que le droit communautaire réserve effectivement un statut très protégé à
la grossesse contre les traitements discriminatoires, mais qu’il entreprend, dans le même
14 Thébaud (F.), « Féminisme et maternité, les configurations du siècle », in Maternité, affaire publique,affaire privée, précité, p. 3915 Faganini (J.), Maruani (M.), Méda (D.), Martin (C.) (table ronde avec) , « Vie privée, vie professionnelle :l’arbitrage impossible ? », Esprit, L’un et l’autre sexe, mars-avril 2001, p. 187
10
temps, une distinction chronologique contestable des droits applicables à la grossesse et à
la maternité, au détriment de la protection de la femme pendant son congé de maternité
mais surtout à l’expiration de celui-ci. C’est ce manque d’approche globale de la maternité,
essentiellement le fait de la CJCE plus que du législateur communautaire, qui nous incite à
relativiser l’étendue de la protection dont bénéficient les femmes enceintes et les jeunes
mères en droit communautaire.
Ainsi, il nous faudra d’abord procéder à l’analyse de la double protection accordée à la
grossesse par le droit communautaire (première partie), avant de revenir sur le
cloisonnement juridique présent au sein du droit communautaire entre grossesse et
maternité, révélateur des incohérences de la notion même de maternité (seconde partie).
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PREMIERE PARTIE
LA DOUBLE PROTECTION ACCORDEE A LA TRAVAILLEUSE ENCEINTE
Il est possible de dégager, dans les deux16 instruments spécifiques de protection de
la grossesse, à savoir la directive 76/207/CEE17 et la directive 92/85/CEE18, deux
orientations protectrices. L’une vise la protection de la santé et la sécurité de la
travailleuse en tant que future mère. Lorsqu’il emploie une femme enceinte,
l’employeur est soumis à un ensemble d’obligations en vue d’assurer à la travailleuse un
environnement de travail sain et sécurisé, à la fois pour elle et pour l’enfant à naître
(Chapitre 1).
L’autre vise surtout la protection de la travailleuse sur le marché du travail, placée
dans une situation spécifique, la grossesse et ses conséquences, rompant avec les
conditions « normales » d’emploi. Ainsi, la relation de travail entre l’employée enceinte
et son employeur ne saurait être affectée dans un sens défavorable pour l’employée du
simple fait de la grossesse de celle-ci. Partant, la travailleuse enceinte se voit protégée,
pendant toute la durée de sa grossesse contre les refus d’engagement qui pourraient lui
être opposés en raison de sa grossesse, et jusqu’à l’expiration de son congé de
maternité, contre les licenciements fondés sur son état spécifique (chapitre 2).
Remarquons ici d’emblée que, si l’on peut se réjouir de l’affirmation qu’il ne
saurait s’agir pour la femme de choisir entre sa maternité et son activité
16 Nous n’insisterons pas ici sur la directive 86/613/CEE du Conseil, du 11 décembre 1986, sur l’applicationdu principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes exerçant une activité indépendante, y comprisune activité agricole, ainsi que sur la protection de la maternité (JOCE n° L 359 du 19 décembre 1986,p. 56) étant donnée la modestie des dispositions visant la protection de la maternité contenues dans le seularticle 8. Et ce d’autant plus que cette disposition n’a donné lieu à aucune intervention de la CJCE, soit enconstatation de manquement d’un Etat membre, soit en interprétation dans le cadre d’un renvoi préjudiciel.17 Directive 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité detraitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotionprofessionnelles, et les conditions de travail, JOCE n° L 39 du 14 février 1976, p. 4018 Directive 92/85/CEE du Conseil du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant àpromouvoir l’amélioration de la santé et de la sécurité des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantesau travail (dixième directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE),JOCE n° L 348 du 28 novembre 1992, p. 1
12
professionnelle19, « on peut néanmoins regretter que cette interdiction soit fondée sur
les dommages éventuels d’un tel choix pour une femme enceinte et non pas sur le droit
fondamental20 à une égalité de traitement »21.
19 Voir en ce sens l’Avocat général Tesauro, dans le point 14 de ses conclusions sur l’affaire Webb (CJCE, 14juillet 1994, aff. C-32/93, Rec. 1994, p. I-3567)20 L’égalité de traitement entre les femmes et les hommes a été reconnu d’abord comme un fondement de laCommunauté dans l’arrêt Defrenne II de 1976 (CJCE, 8 avril 1976, Defrenne C/ SA belge de navigationaérienne (Sabena), aff. 43/75, Rec. 1976, p. 455). Puis, deux ans plus tard, comme un droit fondamental dansl’arrêt Defrenne III (CJCE, 15 juin 1978, Defrenne c/ SA belge de navigation aérienne (Sabena), aff. 149/77,Rec. 1978, p. 136) en ces termes : « Le respect des droits fondamentaux de la personne humaine fait partiedes principes généraux du droit communautaire dont [la Cour] a pour mission d’assurer le respect ; […] onne saurait mettre en doute que l’élimination des discriminations fondées sur le sexe fait partie de ces droitsfondamentaux […] », au point 26 des motifs, souligné par nous21 Masselot (A.), Berthou (K.), « La CJCE, le droit de la maternité et le principe de non-discrimination – versune clarification ? », Cahiers de Droit européen, n° 5-6/2000, p. 653
13
Chapitre 1 - La protection de la santé et de la sécurité des travailleuses enceintes
Les mesures de protection sur le lieu de travail sont à rechercher en priorité dans la
directive 92/85/CEE, plutôt que dans l’instrument général de lutte contre les
discriminations à caractère sexiste que constitue, toutes proportions gardées, la directive
76/207/CEE. En effet, si l’article 5 de la directive 76/207/CEE prévoit l’application du
principe d’égalité de traitement entre les sexes dans le domaine des conditions de
travail, celles-ci ne sont pas définies, hormis la question des conditions de licenciement.
On peut légitimement supposer que ces « conditions de travail » recouvrent également
des considérations sécuritaires et sanitaires, cependant ces dispositions sont visées
explicitement dans la directive 92/85/CEE (section 1). Ces dispositions protectrices,
établissant « […] un traitement différencié en faveur de la femme » et créant « […]une
rupture avec le concept d’égalité jusque-là entendu » 22 ne sauraient pour autant être
contournées pour justifier d’un traitement discriminatoire envers les travailleuses
enceintes (section 2).
Section 1 – Les dispositions sanitaires et sécuritaires de la directive 92/85/CEE
Les motivations de la directive 92/85/CEE laissent à penser que les dispositions
protectrices visant explicitement la femme enceinte sur le lieu de travail, afin de lui
offrir la garantie d’un environnement professionnel sain et sécurisé, visent surtout la
protection de l’enfant à naître, et que, dans cette perspective, les problèmes spécifiques
de santé et de sécurité des femmes sur le lieu de travail pendant leur grossesse ne sont
pas abordés de manière aussi directe et explicite que nécessaire (paragraphe 1). Ces
dispositions imposent toutefois à l’employeur la mise en œuvre d’un ensemble
particulièrement cohérent de mesures de protection de la santé de la future mère et de
son enfant à naître sur le lieu de travail (paragraphe 2).
22 Conclusions de l’Avocat général Ruiz-Jarabo Colomer sur l’affaire Brown (CJCE, 30 juin 1998, aff. C-394/96, Rec. 1998, p. I-4185), point 20 et suivants
14
Paragraphe 1 – Les motivations incomplètes de la directive 92/85/CEE
Les motivations de la directive 92/85/CEE, contenues dans le préambule de cet
instrument juridique, reconnaissent l’existence de risques éventuels pour santé et la
sécurité des femmes enceintes au travail, contre lesquels une protection particulière doit
être mise en œuvre (A). Cependant, une lecture approfondie des considérants de la
directive 92/85/CEE ne permet pas de déterminer la nature exacte des risques auxquels
peuvent être exposés spécifiquement la femme enceinte elle-même sur son lieu de
travail, ce qui limite d’emblée l’efficacité de cette protection (B).
A) L’optique protectrice développée dans le préambule
La directive 92/85/CEE du Conseil a pour base juridique l’article 118A du traité
CEE, tel qu’introduit par l’Acte unique européen de 1986, et devenu aujourd’hui
l’article 137 du traité CE. Il prévoyait que le Conseil arrêtât, par voie de directive,
adoptée à la majorité qualifiée et selon la procédure de coopération23, les prescriptions
minimales24, en vue de promouvoir l’amélioration de la santé et de la sécurité des
travailleurs, spécialement sur le lieu de travail.
le Conseil rappelle, dans un long25 préambule, le principe général et dynamique de
protection des travailleurs sur le lieu de travail, qu’énonce la charte communautaire des
droits sociaux fondamentaux des travailleurs en son article 1926. Puis il reconnaît que
les travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes « doivent être considérées à maints
23 Procédure visée aujourd’hui à l’article 252 (ex article 189 C). La procédure aujourd’hui requise parl’article 137 du traité CE est celle visée par l’article 251, dite de « codécision », et qui renforce le rôle duParlement européen.24 Ces prescriptions sont d’autant plus « minimales » qu’elles se voient limitées par une série de clausesrestrictives : applicables progressivement, elles doivent prendre en considération les conditions et lesréglementations techniques existant dans chaque Etat membre (article 118 A, deuxième alinéa), et doivent« éviter d’imposer des contraintes administratives, financières et juridiques telles qu’elles contrarieraient lacréation et le développement des petites et moyennes entreprises » (troisième alinéa).25 Nous reviendrons plus loin sur cette caractéristique du préambule : pour développé qu’il puisse paraître àla première lecture, comme le fait remarquer E. Ellis dans son analyse de la directive 92/85, in EC SexEquality law (Clarendon Press, Oxford, 1998, p. 261), il nous semble particulièrement incomplet, notammentquant à la question des risques propres à la femme enceinte, qui sont irréductibles aux seules mesures deprotection visant l’enfant à naître. Et ce, d’autant plus que la proposition de directive, élaborée par laCommission, se révélait bien plus explicite en ce domaine.26« Tout travailleur doit bénéficier dans son milieu de travail de conditions satisfaisantes de protection de sasanté et de sa sécurité. Des mesures adéquates doivent être prises pour poursuivre l’harmonisation dans leprogrès des conditions existantes dans ce domaine » (5e considérant de la directive 92/85/CEE du Conseil, du19 octobre 1992, précitée)
15
égards comme un groupe à risques spécifiques » (8e considérant), et qu’en cette raison,
une directive particulière doit être adoptée, ainsi que le prévoient les articles 15 et 16 de
la directive-cadre 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre
de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des
travailleurs au travail27.
Le choix de la base juridique s’est heurté à l’opposition du Royaume-Uni28, qui
souhaitait réduire la portée de ces dispositions en les limitant à l’obligation pour les
employeurs d’accorder une protection spécifique contre certains agents et procédés
dangereux, obligation prise en vertu de l’article 100 du traité CEE (aujourd’hui devenu
l’article 94 du traité CE). Quant aux dispositions présentes dans la directive, relatives au
congé maternité, s’agissant de fait d’un problème relatif à « la sécurité sociale et à la
protection sociale des travailleurs »29, le Royaume-Uni soutenait que l’adoption d’une
directive dans ce domaine nécessitait l’unanimité au sein du Conseil, et non la majorité
qualifiée comme le prévoyait l’article 118 A.
Après de difficiles négociations30, la directive 92/85/CEE fut adoptée le 19 octobre
1992, dans une version nettement moins ambitieuse que celle élaborée de manière
préparatoire par la Commission31 dans sa proposition de directive relative à la
protection au travail de la femme enceinte ou venant d’accoucher32. Cet instrument, qui
vise principalement les conditions de santé et de sécurité des femmes enceintes sur leur
lieu de travail, doit pourtant se lire en relation avec le principe d’égalité de traitement
entre les sexes. Une connexion est en effet établie entre ces deux domaines, dans la
27 JOCE n° L 183 du 29 juin 1989, p. 1. L’article 15 se lit comme suit : « les groupes à risquesparticulièrement sensibles doivent être protégés contre les dangers les affectant spécifiquement ».28 Zabjek (M.), Case Law Perspective of the Pregnancy Directive, Paper submitted in partial fulfillment ofthe requirements of the Master’s degree in European Legal Studies, College of Europe, Bruge, 1999, p. 1229 Article 137, paragraphe 3 du traité CE30 dues, notamment, à l’opposition de l’Italie, qui a une législation très protectrice dans le domaine de lamaternité, et aux résistances du Royaume-Uni, qui dispose d’un système de garanties limitées et complexes.Voir, en ce sens, les débats parlementaires houleux publiés au JOCE n° D 421, du 16 septembre 1992, p.167-178. Plusieurs eurodéputés se sont insurgés contre la proposition initiale du Conseil, qualifiée de« véritablement scandaleuse » et contenant des « arguments sournois » à l’encontre des femmes (MmeCramon Daiber, p. 167).31Evelyn Ellis nous apprend que « the robustness of the measure was considerably weakened during thepolitical negociations surrounding its adoption » in EC Sex Equality law, Clarendon Press, Oxford, 1998, p.261, souligné par nous.32 Commission européenne, Proposition de directive du Conseil concernant la protection au travail de lafemme enceinte ou venant d’accoucher, COM (90) 406 final, présentée par la Commission le 18 septembre1990, JOCE n° C 281 du 9 novembre 1990, p. 3
16
droite ligne tant du Programme d’action relatif aux droits sociaux de décembre 198933,
que de la jurisprudence de la CJCE34. Ainsi, le 9e considérant de la directive 92/85
précise clairement que « la protection de la sécurité et de la santé des travailleuses
enceintes, allaitantes ou accouchées ne doit pas défavoriser les femmes sur le marché
du travail et ne doit pas porter atteinte aux directives en matière d’égalité de traitement
entre les hommes et les femmes ». Cette affirmation se justifie pleinement dans la
mesure où, comme nous l’avons exposé plus haut, les mesures de protection de la
maternité ont pu servir d’argument légitimant la relégation des femmes dans la sphère
domestique35.
Cependant, en analysant plus avant les motivations qui ont prévalu à l’adoption par
le Conseil de la directive 92/85/CEE, afin de définir les actions à entreprendre pour
protéger la travailleuse sur le lieu de travail, il faut remarquer ici que les considérants ne
développent pas les raisons particulières pour lesquelles les femmes enceintes,
accouchées ou allaitantes doivent bénéficier de telles mesures de protection, ce qui
limite la portée des dispositions protectrices envisagées (B).
B) L’évacuation des risques spécifiques à la femme lors de sa grossesse
Non que ces raisons soient inexistantes, loin de là36, mais elles sont supposées être
évidentes et connues de tous. Or, c’est cette « évidence » qui nous semble pernicieuse,
dans la mesure où elle évacue tout débat de société autour des modalités de prise en
charge – qu’elles soient d’ordre social ou juridique – de la grossesse et de la maternité37.
En l’espèce, il ressort d’une brève lecture des considérants que la protection accordée
33 COM (89) 569 final, 29 novembre 198934 Voir infra, les analyses notamment, des affaires Johnston (CJCE, 15 mai 1986, aff. 222./84, Rec. 1986, p.1651) et Stoeckel (CJCE, 25 juillet 1991, aff. C-345/89, Rec. 1991, p. I-4047), dans la section 2, premierparagraphe du présent chapitre.35 Voir notre introduction36 Les faits des arrêts de la CJCE dans ce domaine sont particulièrement éclairants sur les « risques »qu’encourt la femme lors de la grossesse, et surtout la maladie causant une incapacité prolongée de travailcomme dans les affaires Hertz, du 8 novembre 1990, aff. C-179/88, Rec. 1990, p. I-3979, Webb, du 14 juillet1994, aff. C-32/93, Rec. 1994, p. I-3567, Larsson, du 29 mai 1997, aff. C-400/95, Rec. 1997, p. I-2757, etBrown, du 30 juin 1998, aff. C-394/96, Rec. 1998, p. I-4185.37 Christine Boch note ainsi dans une perspective similaire qu’il serait « […] naïf d’imaginer qu’un régimejuridique de non-discrimination puisse à lui seul répondre de manière satisfaisante à ce qui, essentiellement,devrait être un projet de société. Il serait nécessaire que la valeur sociale de la grossesse et de la maternitésoit reconnue de manière consciente et explicite par les pouvoirs publics au travers d’une ensemble demesures ». (« Où s’arrête le principe d’égalité ou de l’importance d’être bien-portante (à propos de l’arrêtLarsson de la Cour de justice), Cahiers de droit européen, n° 1-2/1998, p. 179
17
aux travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes puisse se résumer, peu ou prou38,
à des mesures compensatrices des conséquences dommageables éventuelles de la
grossesse et des débuts de la maternité sur la relation de travail.
Or, il nous semble pourtant que la première mesure à prendre afin de lutter et de
mettre un terme aux discriminations touchant un groupe particulier, réside dans
l’identification claire, précise, mais surtout complète, des risques spécifiques encourus
par ce groupe, et de s’entendre sur ce que recouvre cette notion de « risques ». Et ce,
pour deux raisons essentiellement : afin de définir sans ambiguïté les bénéficiaires de
ces droits protecteurs, ainsi que les moyens les plus efficaces de mettre en œuvre cette
protection. En d’autres termes, pour délimiter les champs d’application ratione
personae et ratione materiae de telles dispositions. Il s’agit, à notre sens, de réaliser
l’évaluation la plus précise des risques encourus par les femmes enceintes sur leur lieu
de travail, afin qu’un souci légitime de protection ne puisse, en fait, devenir un moyen
détourné d’exclusion des femmes de la sphère professionnelle39.
C’est pourquoi il nous paraît critiquable que l’entreprise d’identification des
« risques » liés à la grossesse affectant spécifiquement les femmes, entraînant tout
entière la définition des mesures de protection adéquates, ne soit entamée qu’avec la
directive elle-même, et de manière indirecte de surcroît. La seule analyse des
considérants permet simplement de conclure provisoirement que les risques spécifiques
de santé et de sécurité que rencontrent les femmes enceintes ne relèvent pas du domaine
économique40 en tant que tel, mais qu’ils s’y ajoutent, ou, plus exactement, qu’ils ont un
impact sur la relation de travail entre l’employée enceinte et son employeur. Ce dernier
domaine se voit consacré, quant à lui, de nombreux développements41, dans plusieurs
considérants et aux articles 7 à 11 de la directive 92/85/CEE.
38La protection du fœtus apparaît comme la seconde justification, assez implicite à dire vrai, à l’origine del’adoption de la directive 92/85/CEE. Nous y reviendrons plus loin, dans le second paragraphe, A), de laprésente section.39 Voir notamment en ce sens Karen Messing, La santé des travailleuses, la science est-elle aveugle ?, LesEditions du remue-ménage/Octares Editions, Québec/Paris, 1999, surtout le chapitre 10, intitulé « Lesdangers pour la reproduction », p. 189 et suivantes. Bien que ses analyses portent sur la situation des femmessur le continent nord-américain (Etats-Unis d’Amérique et Canada), elles sont parfaitement transposablespour rendre compte, mutatis mutandis, de la situation dans la Communauté européenne.40 Par « économique », nous entendons surtout les droits liés au contrat de travail lato sensu (notamment,l’interdiction de licenciement, l’aménagement des conditions de travail, le congé de maternité, le maintiendes rémunérations ou le versement de prestations adéquates, etc…)41 Sur lesquels nous ne nous étendrons pas ici. Mais nous y reviendrons plus loin, dans le second chapitre dela première partie.
18
Enfin, les motivations de la directives 92/85/CEE laissent apparaître la
préoccupation du législateur communautaire d’assurer l’effet utile optimal de cet
instrument à l’endroit de la travailleuse (17e et 18e considérants). Mais dans les
circonstances présentes, il nous semble que cette effectivité recherchée se voit
singulièrement limitée, contrariée par l’évacuation de la question de la définition de la
notion de « risque ». Evacuation d’autant plus déplorable que la proposition de directive
de la Commission concernant la protection au travail de la femme enceinte ou venant
d’accoucher42 soumettait, dès le préambule, plusieurs exemples de risques véritablement
spécifiques aux femmes enceintes sur le lieu de travail. Ces exemples ont disparu de la
directive 92/85/CEE, tant du préambule que du dispositif lui-même, c’est pourquoi il
nous semble opportun de les exposer ici.
C’est ainsi que la Commission insistait sur « la fatigue inhérente à la condition des
travailleuses enceintes ou venant d’accoucher » (10e considérant), sur « les difficultés
d’adaptation ergonomique des travailleuses en fin de grossesse à leur poste de travail »
(11e considérant) et enfin sur « la fragilité des travailleuses en post-partum immédiat
[qui] les rendent vulnérables aux risques présents sur le lieu de travail » (12e
considérant). Dans cette perspective, la connexion entre la protection des périodes pré-
et postnatales et principe d’égalité de traitement, établie par la Commission dans la
proposition de directive dans le dernier considérant43, prenait toute sa dimension. Elle
ne se réduisait pas à l’affirmation, assez théorique et peu convaincante, de la nécessité
de prendre en compte le principe d’égalité de traitement pour élaborer les dispositions
protectrices visant la travailleuse enceinte ou venant d’accoucher, comme on la trouve
dans le 9e considérant de la directive 92/85/CEE. En dépit de ces faiblesses intrinsèques,
la directive 92/85/CEE prévoit l’obligation de l’employeur d’aménager l’environnement
de travail de l’employée enceinte, afin que cet environnement ne mette pas en danger la
santé et la sécurité de la future mère et de son enfant à naître, et ce, selon diverses
modalités (paragraphe 2).
42 COM (90) 406 final, présentée par la commission le 18 septembre 1990, précitée, pp. 3-443 COM (90) 406 final , précitée : « Considérant que les mesures de protection des travailleuses enceintes ouvenant d’accoucher ne doivent pas conduire à défavoriser la place des femmes sur le marché du travail ;que, dans cette perspective, les dispositions de la présente directive ne portent pas atteinte aux dispositionsdes directives en matière d’égalité de traitement entre hommes et femmes »
19
Paragraphe 2 - L’aménagement de l’environnement de travail
Cet aménagement s’effectue en deux temps. D’abord, la Commission est chargée
de l’identification des risques pour la santé et la sécurité des travailleuses enceintes, au
travers de lignes directrices évolutives (A). Sur cette base, l’employeur met en œuvre
les mesures nécessaires pour éliminer toute exposition aux facteurs de risques
préalablement définis (B).
A) Le rôle de la Commission : l’identification des risques
La directive 92/85 charge d’abord la Commission, en concertation avec les Etats
membres et assistée du comité consultatif pour la sécurité, l’hygiène et la protection de
la santé sur le lieu de travail44, d’établir des lignes directrices relatives à l’évaluation des
facteurs de risques pour la femme enceinte, accouchée ou allaitante sur le lieu de
travail45.
Ces facteurs de risques touchant spécifiquement la travailleuse pendant la grossesse
et les premiers temps de la maternité sont identifiés aux articles 3 et 4 de la directive
92/85/CEE, en relation avec les deux annexes de ladite directive. Il s’agit en premier
lieu des risques d’exposition à certains agents chimiques et biologiques, comme le
mercure et ses dérivés, le monoxyde de carbone, le plomb et ses dérivés, ou encore le
virus de la rubéole.
Ensuite, la femme enceinte doit se voir protégée contre des risques résultant des
conditions physiques de travail, comme par exemple, les radiations, les conditions
thermiques extrêmes, les chocs vibratoires, les atmosphères de surpression ou encore les
travaux miniers souterrains. La liste des facteurs de risques spécifiques sur la santé et la
sécurité des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes n’est, de toutes les façons,
qu’exemplative46. Non exhaustif, le répertoire d’agents et de procédés présentant un
risque sanitaire ou sécuritaire peut être révisé périodiquement, en fonction du progrès
44 Selon les termes de la décision 74/325/CEE , JOCE n° L 185 du 9 juillet 197445 article 3 de la directive 92/85/CEE, précitée46 Article 4 de la directive 92/85/CEE, précitée
20
technique, des connaissances et de l’évolution des réglementations ou des spécifications
internationales dans ce domaine47.
La directive 92/85/CEE envisage également une protection particulière de la
travailleuse enceinte, accouchée ou allaitante contre les « mouvements et postures, la
fatigue mentale et physique et les autres charges physiques et mentales » liées à leur
activité48. Mais, hormis cette mention plus que modeste des risques pouvant affecter
spécifiquement la femme, il nous semble que la directive 92/85/CEE vise avant tout la
protection, non de la femme en tant que femme, mais de la femme en tant que mère.
Plus exactement, les dispositions protectrices laissent suggérer que c’est le fœtus
qui est visé en priorité, bien que cette priorité ne puisse apparaître qu’implicitement : en
effet, cette considération pour le fœtus tombe, évidemment, en dehors du champ
d’application de l’article 118 A49. Il n’est pas ici question de nier les relations
particulières entre la mère et son enfant à naître, ni d’affirmer que la protection de l’un
ne bénéficie pas, directement ou indirectement, à l’autre. Cependant, la protection de la
femme enceinte nous semble irréductible à la seule protection du fœtus, puisque la
Commission elle-même relevait certaines catégories de risques susceptibles d’affecter
spécifiquement et en priorité les femmes50. On ne saurait être surpris outre mesure de
cette « lacune » : les études scientifiques destinées à déterminer ces risques spécifiques
sont pratiquement inexistantes, et leur intérêt ou leur pertinence sont souvent contestés
par certaines femmes et par les milieux féministes51. En effet, dans un monde du travail
encore très fortement marqué par l’androcentrisme, les femmes peuvent souhaiter
adopter des stratégies « d’invisibilité » ou « d’androgynie », c’est-à-dire de
« neutralisation volontariste de leur féminité »52 afin de ne pas subir, pour le simple fait
d’être femme, des traitements défavorables, et pour être traitées « comme un homme ».
47 Article 13 de la directive 92/85/CEE, précitée : « Modification des annexes »48 Article 3, premier paragraphe, second alinéa, de la directive 92/85/CEE précitée.49 Ellis (E.), EC Sex Equality Law, Clarendon Press, Oxford, 1998, p. 261 : « In reality, the purposeunderlying the Directive [92/85/CEE] would seem to include the protection of health and safety of the fœtustoo, but this would have been outwith the scope of Article 118a. »50 Dans les considérants de la Proposition de directive du Conseil concernant la protection au travail de lafemme enceinte ou venant d’accoucher, précitée, que nous avons relevés précédemment.51 Karen Messing, La santé des travailleuses, la science est-elle aveugle ?, précité, p. 7652 Mugny (G.), Oberlé (D.), Beauvois (J-L.), Relations humaines, groupes et influence sociale, Pressesuniversitaires de Grenoble, collection La psychologie sociale, Grenoble, 1995, p. 183
21
Or, la reconnaissance de risques touchant en priorité la femme lors de sa grossesse
dans la recherche scientifique représente un obstacle certain à cette stratégie, puisqu’elle
met l’accent sur la vulnérabilité des femmes pendant cette période et qu’elle renforce la
perception d’une « différence » entre les sexes, prétexte à de trop nombreuses pratiques
discriminatoires.
Quant à l’évaluation proprement dite de ces facteurs de risque, l’article 4 de la
directive 92/85/CCE dispose qu’elle doit être entreprise « par l’employeur, directement
ou par l’intermédiaire des services de protection et de prévention » désignés par
l’employeur53. Il s’agit de pouvoir « apprécier tout risque pour la sécurité ou la santé
ainsi que toute répercussion sur la grossesse ou l’allaitement des travailleuses » et
« déterminer les mesures à prendre ». L’employeur a alors la charge d’informer les
travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes et/ou leurs représentants, des résultats
de l’évaluation, ainsi que des mesures spécifiques qu’il entend adopter pour éliminer ces
risques (B).
B) Les obligations de l’employeur
Les mesures spéciales prises par l’employeur sont visées aux articles 5 et 6 de la
directive 92/85/CEE. Si l’évaluation révèle un risque pour la sécurité ou la santé, ainsi
qu’une répercussion sur la grossesse ou l’allaitement d’une travailleuse, l’employeur
doit procéder à un aménagement temporaire des conditions ou du temps de travail, afin
d’éviter l’exposition de cette travailleuse à ce risque (article 5, premier paragraphe).
L’interdiction d’exposition aux agents et conditions de travail visée à l’annexe II de
la directive 92/85/CEE est reprise dans l’article 6 : les travailleuses enceintes et
allaitantes « ne peuvent en aucun cas être tenues d’accomplir des activités dont
l’évaluation a révélé le risque d’une exposition » à ceux-ci. Si l’aménagement n’est pas
possible, pour des motifs techniques ou objectifs, ou bien s’il n’est pas être
raisonnablement exigé pour des motifs dûment justifiés, l’employeur doit assurer à la
travailleuse concernée un changement de poste (article 5, deuxième paragraphe). De
53 Selon l’article 7 de la Directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre demesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, JOCE n°L 183, du29 juin 1989, p. 1
22
même, si cette mesure se révèle insuffisante pour assurer la santé et la sécurité des
travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes, pour des motifs identiques,
l’employeur doit dispenser temporairement la travailleuse concernée de toute activité,
conformément aux législations et/ou aux pratiques nationales (article 4, troisième
paragraphe).
Enfin, un aménagement comparable des conditions de travail doit être envisagé par
l’employeur en ce qui concerne le travail de nuit54. Les travailleuses enceintes,
accouchées ou allaitantes doivent avoir la possibilité d’être exemptées de tout travail de
nuit, par un transfert à un travail de jour, ou, si cela n’est pas techniquement et/ou
objectivement possible, ou encore que cela ne peut être raisonnablement exigé pour des
motifs dûment justifiés, par une dispense de travail ou la prolongation du congé de
maternité. On retrouve ici l’acquis jurisprudentiel de l’arrêt Stoeckel55, où la Cour de
justice avait conclu à l’incompatibilité de la législation française interdisant par principe
le travail de nuit des femmes, hormis dans le cas particulier où cette interdiction était
motivée par un souci de protection de la travailleuse enceinte ou venant d’accoucher. La
Cour a d’ailleurs rappelé dans son arrêt Habermann-Beltermann que la compatibilité
d’une législation nationale prohibant le travail de nuit des femmes enceintes était « hors
de doute »56.
Il y aurait fort à craindre, à la lecture de l’ensemble des dispositions qui visent à
assurer à la travailleuse enceinte ou venant d’accoucher un environnement de travail
sain et sécurisé, que ces mesures, pour protectrices qu’elles soient sur le plan formel, se
révèlent, en deuxième analyse, un motif parfaitement légitime, d’exclusion de la femme
de la sphère professionnelle57. Les employeurs seraient en mesure de justifier la mise à
l’écart de la femme, qu’elle soit enceinte ou simplement susceptible de l’être, en
invoquant la potentialité d’une exposition à des agents dangereux ainsi que la
vulnérabilité particulière des travailleuses concernées. La protection de la grossesse et
54 Article 7 de la directive 92/85/CEE, précitée55 CJCE, 25 juillet 1991, Stoeckel, aff. C-345/89, Rec. 1991, p. I-404756 CJCE, 5 mai 1994, Habermann-Beltermann, aff. C-421/92, Rec. 1994, p. I-1657, point 1857 Voir en ce sens, notamment, Lucinda M. Finley, « Transcending Equality Theory : A Way Out of theMaternity and the Workplace debate », Columbia Law Review, Volume 86, 1986, pp. 1121-1122 et pp. 1129-1134, Maja Zabjek, Case Law Perspective of the Pregnancy Directive, Paper submitted in partial fulfillmentof the requirements of the Master’s degree in European Legal Studies, College of Europe, Bruge, 1999, pp.40-42, ainsi que Maurice Drapeau, « La discrimination fondée sur la grossesse : un obstacle à lever pourassurer l’égalité des chances dans l’emploi », Revue du Barreau, Tome 60, Printemps 2000,pp. 56-57.
23
des débuts de la maternité servirait alors d’alibi de premier ordre aux pratiques
discriminatoires qui éloigneraient, in fine, la femme du monde professionnel en lui
accordant une dispense, même temporaire, de travail, ou pire, en refusant de
l’embaucher, comme cela s’est présenté assez récemment, dans l’affaire Mahlburg58.
Cependant, il existe un système assez complet et efficace de lutte contre ces traitements
discriminatoires, en vue d’assurer l’effectivité du droit à la protection de la santé et de la
sécurité de la travailleuse enceinte sur le lieu de travail (section 2).
Section 2 – Les garanties à l’exercice effectif du droit à la santé et à la sécurité
pour les femmes enceintes
La CJCE est consciente de ce type de discrimination, que l’on pourrait qualifier de
« détournée » ou de « déguisée », et les mesures de protections spécifiques sur
lesquelles elle est amenée à se prononcer sont toujours interprétées de manière
strictement nécessaire, en tant que dérogations au principe fondamental d’égalité entre
les sexes59. L’argumentation que la Cour de justice a développée dans l’arrêt Stoeckel60
est, à cet égard, révélatrice (paragraphe 1). En outre, au sein même de la directives sont
présentes certaines dispositions qui limitent la possibilité de contourner le principe de
protection et d’éloigner les femmes enceintes du lieu de travail (paragraphe 2).
Paragraphe 1 - L’interdiction des discriminations déguisées
Dans l’affaire Stoeckel se trouvait mise en cause la législation française relative au
travail de nuit des femmes. L’article L 213-1 du Code de travail français interdisait en
effet d’employer des femmes à un travail de nuit, notamment dans les usines, les
manufactures et les ateliers de quelque nature que ce soit. Cependant, M. Stoeckel,
directeur de la société Suma avait dû envisager le licenciement d’environ 200 employés
suite à des difficultés économiques.
58 CJCE, 3 février 2000, Silke-Karin Mahlburg c/ Land Mecklenburg-Vorpommern, aff. C-207/98, Rec. 2000,p. I-549. Voir notre analyse, infra.59 Ces mesures de protection spécifique doivent donc respecter les principes de nécessité et deproportionnalité. Voir en ce sens, notamment, l’arrêt de la CJCE du 15 mai 1986, Johnston, aff. 222./84, Rec.1986, p. 1651, surtout le point 38.60 CJCE, 25 juillet 1991, Stoeckel, aff. C-345/89, Rec. 1991, p. I-4047
24
Selon lui, ce nombre pouvait être diminué grâce à la mise en œuvre d’un système
de travail par équipes, assurant une production en continu de jour comme de nuit. Suite
aux négociations avec les syndicats des employés, un accord prévoyait que ce système
aurait un caractère exceptionnel, la société revenant à l’organisation initiale du travail
dès que les contraintes économiques auraient pris fin. Afin de donner les mêmes
chances aux travailleurs des deux sexes, les postes ont été offerts aux hommes comme
aux femmes, après que la majorité des femmes employées dans l’entreprise eurent voté
en faveur de la nouvelle organisation du travail par équipes.
Le 28 octobre 1988, M. Stoeckel fut prévenu d’avoir employé 77 femmes à un
travail de nuit, en infraction du code du travail. Celui-ci soutint alors que l’article L
213-1 dudit code contrevenait à l’article 5 de la directive 76/207/CEE. Par jugement du
4 octobre 1989, le tribunal de police d’Illkirch (France) a saisi la CJCE, en vertu de
l’article 117 du traité CEE (devenu aujourd’hui article 234 du traité CE), d’une question
préjudicielle, afin de déterminer si « l’article 5 de la directive 76/207/CEE est […]
suffisamment précis pour créer à la charge d’un Etat membre l’obligation de ne pas
poser en principe législatif l’interdiction du travail de nuit des femmes, tel qu’il figure à
l’article L 213-1 du code français du travail ».
La Cour répondra par l’affirmative, en considérant que l’interdiction du travail de
nuit des femmes, prévue par une disposition nationale de la sorte, visait à protéger la
femme contre des risques qui ne lui sont pas spécifiques. De sa réponse, nous ne
retiendrons ici que certains éléments. En premier lieu, la Cour de justice a rappelé
l’interprétation restrictive des dérogations introduites par l’article 2, paragraphes 2 et 3
de la directive 76/207, telle qu’elle avait prévalu dans l’arrêt Johnston61.
61 CJCE, 15 mai 1986, précité
25
Ensuite, la Cour indique que ces dérogations peuvent se révéler, en elles-mêmes,
source de discriminations62. Il importe donc de vérifier leur caractère proportionné,
comme la Cour de justice s’y emploie elle-même.
Il faut donc en conclure que la CJCE se montre particulièrement circonspecte,
quand elle est confrontée à l’interprétation d’une dérogation à un principe fondamental,
tel qu’en l’occurrence, l’égalité de traitement entre les sexes. Les mesures de protection,
en tant que dérogations, doivent donc aboutir à la protection effective d’un groupe
soumis à une discrimination, et non être utilisées pour contourner, en pratique, le
principe de non-discrimination. Instrumentalisées de la sorte, ces mesures dérogatoires
protectrices amoindriraient de manière significative l’effectivité du principe d’égalité
entre les sexes. Cette solution jurisprudentielle a été reprise dans son principe par la
directive 92/85/CEE (paragraphe 2)
Paragraphe 2 – Les garanties internes à la directive 92/85/CEE
C’est dans ce contexte que la directive 92/85/CEE ne se limite pas à l’énoncé de
mesures visant la sécurité et la santé des travailleuses enceintes. D’une part, la dispense
de travail accordée par l’employeur à une employée enceinte ou venant d’accoucher,
suite à l’évaluation des facteurs de risques pour la grossesse ou l’allaitement,
n’intervient qu’en dernier recours des modalités d’aménagement de l’environnement
professionnel63. D’autre part, mais surtout, la directive assortit ses dispositions assurant,
à la travailleuse enceinte ou venant d’accoucher, un environnement de travail
sécuritaire, de mesures visant à interdire aux employeurs de priver d’emploi les femmes
pour motif de grossesse, ainsi qu’à maintenir les droits liés au contrat de travail entre
l’employeur et ses employées enceintes ou venant d’accoucher. Ces mesures sont
62 CJCE, 25 juillet 1991, précité, point 20. Bien que la Cour qualifiât ainsi les nombreuses dérogations àl’interdiction légale du travail de nuit des femmes, évoquées par la France lors de la procédure (dérogationssoit de plein droit pour les femmes occupant des postes de directions ou à caractère technique et impliquantune responsabilité, ou celles exerçant dans les services de l’hygiène et du bien-être qui n’effectuent pasnormalement un travail manuel, soit par autorisation spéciale accordée par les inspecteurs du travail ou pardécret ministériel pour certaines industries), son raisonnement nous indique que toutes les dérogations dansun but de protection peuvent être discriminatoires.63 Voir en ce sens, CJCE, 19 novembre 1998, Hoj Pedersen, aff. C-66/96, Rec. 1998, p. I-7327, point 57
26
développées, codifiées pourrait-on aller jusqu’à dire64, dans les articles 8 à 11 de la
directive 92/85/CEE. En effet, elles étaient déjà largement et très précisément
annoncées par la jurisprudence de la Cour de justice, qui fondait, avant l’adoption de la
directive 92/85/CEE, ses raisonnements sur la base de la directive 76/207/CEE, puisque
cette dernière concerne spécifiquement l’application du principe d’égalité entre les
sexes en ce qui concerne l’accès à l’emploi et les conditions de travail, ce que nous
allons maintenant développer dans le second chapitre.
64 C’est notamment l’avis de la Commission européenne dans l’arrêt Larsson (CJCE, 29 mai 1997, aff. C-400/95, Rec. 1997, p. I-2757, point 18 des conclusions de l’Avocat général), ainsi que de l’Avocat généralTesauro dans ses conclusions sur l’affaire Webb (CJCE, 14 juillet 1994, aff. C-32/93, Rec. 1994, p. I-3567,point 8 des conclusions, note n° 7)
27
Chapitre 2 – la protection des droits liés à la relation de travail
Au gré des litiges qui lui ont été soumis, la Cour de justice a eu la possibilité de
consacrer la protection des femmes enceintes contre tout traitement défavorable dans le
cadre de leur relation de travail, actuelle ou potentielle, et pour le cas où ce traitement se
fonderait sur la grossesse de l’intéressée. C’est ainsi que la cour a interdit, d’une part, le
refus d’engagement des femmes du fait de leur grossesse (section 1), et d’autre part, le
licenciement des femmes enceintes pendant toute la durée de leur grossesse, jusqu’à
l’expiration de leur congé de maternité (section 2).
Section 1 – l’interdiction du refus d’engagement fondé sur la grossesse
Jusqu’à aujourd’hui, la Cour de justice n’a été amenée à se prononcer sur la
question du refus d’embaucher une femme du fait de sa grossesse que deux fois, dans
les arrêts Dekker65 et Mahlburg66, à dix ans d’intervalle l’un de l’autre. Il faut voir dans
cette séquence jurisprudentielle numériquement modeste la conséquence de la force du
principe d’interdiction d’un tel traitement que la Cour a dégagé dans l’affaire Dekker
(paragraphe 1) avant que de réaffirmer sa position, de manière toujours aussi ferme,
dans l’affaire Mahlburg (paragraphe 2).
Paragraphe 1 – La force du principe d’interdiction : la jurisprudence Dekker
C’est donc dans l’arrêt Dekker67 que la Cour de justice a été amenée à se prononcer
sur la question du refus d’embaucher une femme enceinte pour la première fois. Non
seulement la Cour reconnaît que ce traitement constitue une discrimination directe (A),
mais elle précise également quelles sont les implications de cette qualification (B).
65 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-177/88, Rec. 1990, p. I-394166 CJCE, 3 février 2000, Silke-Karin Mahlburg c/ Land Mecklenburg-Vorpommern, aff. C-207/98, Rec. 2000,p. I-54967 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-177/88, Rec. 1990, p. I-3941
28
A) L’identification d’une discrimination directe
En juin 1981, Mme Elisabeth Dekker a posé sa candidature à la fonction
d’éducateur au Centre de formation pour les jeunes adultes, géré par le Sichting
Vorgminscentrum voor jong Wolvassenen (ci-après « VJV-Centrum »). Le 15 juin 1981,
elle informe la commission chargée de l’examen des candidatures qu’elle était enceinte
de trois mois.
Néanmoins, cette commission la propose à la direction du VJV-Centrum comme
candidate la plus apte à exercer la fonction. Le 10 juillet 1981, Mme Dekker reçoit une
lettre du VJV-Centrum l’informant qu’elle ne serait pas engagée. Pour justifier son
refus, le VJV-Centrum se fondait sur la législation néerlandaise, selon laquelle
l’employeur aurait dû verser à la requérante des indemnités prévues pour la période de
maternité de son employée sans pouvoir être ensuite remboursé par les organismes de
sécurité sociale. En effet, le système néerlandais de sécurité sociale, permet à ses
organismes régionaux de refuser de rembourser, en totalité ou en partie, à l’employeur
les indemnités versées à un employé qui, au moment de son embauche, était déjà
malade ou bien qui laissait prévoir la survenance d’une incapacité de travail pour cause
de maladie dans les six mois suivant son engagement. En outre, le système néerlandais
de sécurité sociale assimile la grossesse à une maladie. Ne pouvant donc être
remboursé, le VJV-Centrum se trouverait alors dans l’impossibilité financière d’engager
un remplaçant à Mme Dekker, et serait en sous-effectif.
Mme Dekker, estimant qu’il y avait atteinte au principe d’égalité de traitement
entre hommes et femmes en matière d’accès à l’emploi, visé par les dispositions
combinées de l’article 2, premier paragraphe, et 3, premier paragraphe, de la directive
76/207/CEE. Elle contesta donc la décision du VJV-Centrum successivement devant le
tribunal d’arrondissement de Haarlem et la Cour d’appel de région d’Amsterdam, et
réclama le versement de dommages et intérêts pour « manque à gagner ».
Ses recours furent successivement rejetés : les juridictions néerlandaises ont estimé
que, bien que le refus d’embauche opposé par le VJV-Centrum soit contraire à la loi
nationale de transposition de la directive 76/207/CEE, les difficultés financières
auxquelles se serait heurté le VJV-Centrum s’il avait embauché Mme Dekker
29
« constituaient une clause d’exonération ôtant au refus d’engagement son caractère
d’illicéité »68. Elle introduisit alors un pourvoi en cassation devant le Hoge Raad (Cour
suprême) des Pays-Bas. Par arrêt du 24 juin 1988, le Hoge Raad a déféré plusieurs
questions préjudicielles à la CJCE concernant l’interprétation de la directive
76/207/CEE.
Dans la première question, le juge national cherchait à savoir si un refus
d’engagement, dans les circonstances de l’espèce, constituait une discrimination fondée
sur le sexe, interdite en vertu des articles 2, premier paragraphe, et 3, premier
paragraphe de la directive 76/207/CEE. Reprenant les conclusions de l’Avocat général
Darmon69, la Cour de justice observe « […] qu’un refus d’engagement pour cause de
grossesse ne peut être opposé qu’aux femmes et constitue dès lors une discrimination
directe fondée sur le sexe. Or, un refus d’engagement dû aux conséquences financières
d’une absence pour cause de grossesse doit être regardé comme fondé essentiellement
sur le fait de la grossesse »70.
La Cour de justice évacue donc toute possibilité de justification, sur des motifs
d’ordre économique, d’une violation directe du principe d’égalité, en suivant l’analyse
de son Avocat général : « Nous avons parfaitement conscience du fait que le centre de
formation, s’il avait embauché Mme Dekker, se serait vraisemblablement heurté à des
difficultés financières provenant de l’absence de prise en charge par [les organismes
néerlandais de sécurité sociale] des indemnités auxquelles l’intéressée aurait eu
éventuellement droit.
Toutefois, il ne nous paraît pas que le principe d’égalité de traitement doive céder
le pas devant de telles difficultés qui proviennent essentiellement de l’assimilation de la
grossesse à la maladie, assimilation techniquement justifiée lorsqu’il s’agit du calcul du
68 Conclusion de l’Avocat général M. Darmon, présentées le 14 novembre 1989, dans l’affaire Dekker, C-177/88, précitée, Rec. 1990, p. I-3956, point 5.69Au point 25 de ses conclusions, l’Avocat général affirme : « […] dans l’affaire Dekker, il nous paraît qu’unrefus d’embauche en considération de la maternité prochaine, en ce qu’il prend en compte un événement quiconcerne exclusivement les travailleurs féminins, est une discrimination directe fondée sur le sexe. Il ne noussemble pas possible de faire ici application de votre jurisprudence […] sur les discriminations indirectes[…]. La maternité ne peut jamais – pardonnez ce truisme – concerner que les femmes ; la prendre en comptepour justifier un refus d’embauche est donc par nature une discrimination directe fondée sur le sexe. »70 CJCE, 8 novembre 1990, Dekker, aff. C-177/88, précité, point 12
30
montant des indemnités journalières71, mais tout à fait critiquable lorsqu’elle conduit à
un refus d’embauche »72. La Cour résume cette thèse, en affirmant qu’« une telle
discrimination ne saurait être justifiée par des motifs tirés du préjudice financier subi
par l’employeur en cas d’engagement d’une femme enceinte, pendant le durée de son
congé de maternité ».
Ce faisant, la Cour récuse les thèses de la doctrine dominante de l’époque, qui
analysait le refus du centre de formation comme une discrimination indirecte, puisque
fondée sur l’état familial de la requérante73. Or, justement, l’article 2, premier
paragraphe, de la directive 76/207/CEE dispose que l’égalité de traitement implique
l’élimination des discriminations fondées sur le sexe, « soit directement, soit
indirectement par référence, notamment, à l’état matrimonial ou familial ». La Cour
n’entend pas plus l’argument de la partie défenderesse, qui invoque la législation
nationale comme motif direct du refus d’embaucher Mme Dekker74. Elle précise en
effet, au point 13 de l’arrêt, que « […] dans la mesure où le refus d’embauche, opposé
par un employeur sur la base de conséquences financières d’une absence due à la
grossesse, constitue une discrimination directe, il n’y a pas lieu d’examiner la question
de savoir si des dispositions de droit national telles [qu’en l’espèce] exercent une
pression telle sur l’employeur qu’elles l’incitent à refuser d’employer une femme
enceinte et qu’elles entraînent également une discrimination au sens de la directive
[76/207/CEE] ».
71 On ne saurait être surpris de cette affirmation, en forme d’ober dictum, de l’Avocat général Darmon dansle cadre de son analyse de l’affaire Dekker : ses conclusions sont communes aux affaires Dekker, précitée, etHertz (CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-179/88, Rec. 1990, p. I-3979). Or, dans l’affaire Hertz se poserajustement le problème de l’imbrication des concepts de grossesse et de maladie, avec les conséquencesdétestables que l’on connaît (voir notre introduction et infra, Titre II).72 Conclusions sur l’affaire Dekker, précitées, point 3073 Voir en ce sens le rapport d’audience établi par le Juge rapporteur G. Slynn dans l’affaire Dekker, précitée,p. I-3942, spécialement p. I-394874 Elle évite ainsi de se prononcer sur l’effet direct « horizontal » des directives, comme le souligne EnricoTraversa, in « Jurisprudence communautaire en matière de politique sociale, année 1990 », Revuetrimestrielle de Droit européen, n° 3/1991, p. 434 : « Si, en effet, l’employeur doit respecter les dispositionsde la directive [76/207/CEE], alors que sa réglementation nationale le pousse à ne pas s’y conformer, cettesituation aboutit en pratique au résultat que la directive produit ses effets à l’égard de l’employeur, c’est-à-dire d’un particulier. La considération que la réglementation nationale qui incite ce dernier à contreveniraux prescriptions de la directive ne soit pas en soi contraire à celle-ci, ne semble pas en effet exclure que ladirective produise néanmoins des effets directs « horizontaux » à l’égard de l’employeur. Il convient desouligner que la Cour ne s’est pas attardée sur ce point, pourtant très important sur le plan des principes dudroit communautaire, et que, par conséquent, on ne peut attribuer à cet arrêt une portée vraimentinnovatrice en la matière : il s’agit probablement d’un pas en avant dans la direction de la reconnaissancede l’effet direct « horizontal » des directives, mais les expressions utilisées par la Cour n’autorisent pas àtirer des conclusions plus précises. »
31
B) Les implications de la qualification de « discrimination directe »
Ensuite, le Hoge Raad a demandé à la Cour de justice si le fait qu’aucun candidat
de sexe masculin ne se soit présenté à ce poste peut influer sur la réponse à la première
question. La défenderesse faisait valoir que lorsqu’un employeur , en vue de pourvoir à
une fonction déterminée, effectue un choix entre des candidats de sexe exclusivement
féminin, comme en l’espèce, la décision de ne pas embaucher une femme enceinte qu’il
faudrait remplacer peu de temps après son engagement était guidée uniquement par des
considérations financières ou de gestion parfaitement légitimes75. Cependant étant
donné la qualification de « discrimination directe fondée sur le sexe » accordé par la
Cour, à la suite de son Avocat général, à la décision du VJV-Centrum, la Cour déclare
expressément, et pour la première fois, qu’il peut y avoir une discrimination de
caractère sexiste, même en présence de seuls candidats de sexe féminin, dès lors qu’une
femme est engagée au poste d’une autre femme victime d’une discrimination. Dans un
souci didactique, la Cour précise : « […] il convient de rappeler que la réponse à la
question de savoir si le refus d’engager une femme constitue une discrimination directe
ou indirecte dépend du motif de ce refus. Lorsque ce motif réside dans la circonstance
que l’intéressée est enceinte, la décision est directement liée au sexe du candidat. Dans
ces conditions, l’absence de candidats masculins ne saurait avoir une incidence sur la
réponse apportée à la première question préjudicielle »76.
Enfin, le juge national a demandé à la Cour de justice si les articles 2 et 3 de la
directive étaient compatibles avec une législation nationale qui prévoit qu’un recours en
indemnisation de dommages fondé sur la violation du principe d’égalité de traitement
n’est accueilli que dans le cas où est prouvé que l’employeur a commis une faute et
qu’en outre, il ne peut bénéficier d’aucune cause d’exonération de sa responsabilité.
Plus simplement, la preuve d’une violation du principe de l’égalité de traitement suffit-
elle, à elle seule, à engager la responsabilité de l’employeur ?
La Cour, rappelant son arrêt Von Colson et Kamann77, a précisé que la mise en
œuvre complète de la directive n’impose pas une forme déterminée de sanction en cas
75 Rapport d’audience à l’affaire Dekker, précité, p. I-3952, et également au point 16 de l’arrêt.76 CJCE, 8 novembre 1990, Dekker, aff. C-177/88, précité, point 1777 CJCE, 10 avril 1984, aff. 14/83, Rec. 1984, p. 1991, point 23
32
de violation de l’interdiction de discrimination. En revanche, elle implique que cette
sanction soit de nature à assurer une protection juridictionnelle « effective et efficace »
des droits que les particuliers tirent du droit communautaire, et qu’elle doit avoir un
« effet dissuasif réel » à l’égard de l’employeur78. En conséquence, l’effet utile de ces
principe serait « sensiblement affaibli » si la responsabilité d’un employeur pour
violation du principe d’égalité de traitement était subordonnée à la preuve d’une faute
qui lui fût imputable, assortie d’une absence de toute cause d’exonération reconnue par
le droit national79. Alors, dans l’hypothèse où l’Etat membre choisit une sanction qui
s’inscrit dans le cadre du régime de responsabilité civile de l’employeur, la violation du
principe de non-discrimination suffit à elle seule à engager la responsabilité entière de
son auteur, sans que soient retenues les causes d’exonération prévue dans le droit
national.
La Cour a eu l’occasion de confirmer sa jurisprudence plus récemment, dans
l’affaire Mahlburg, du 3 février 200080 (paragraphe 2).
Paragraphe 2 – La confirmation du principe : l’arrêt Mahlburg
A) Le cadre factuel
Dans cette affaire, Mme Mahlburg était engagée comme infirmière par la clinique
universitaire de chirurgie cardiaque de l’université de Rostock, dépendant du Land
Mecklenburg-Vorpommern, dans le cadre d’un contrat à durée déterminé, du 26 août
1994 au 31 août 1995. Le 1er juin 1995, la requérante a présenté sa candidature à deux
postes à durée indéterminée proposés à l’intérieur de la clinique. Ces deux postes
correspondaient au type de travail que la demanderesse exerçait en sa qualité
d’infirmière. A cette même date, Mme Mahlburg était enceinte et la grossesse avait été
constatée le 6 avril 1995. Lorsque la requérante informa son employeur de sa grossesse,
il lui fut interdit de travailler dans la salle d’opération et pendant le reste de sa
grossesse, elle travailla dans un bureau de la clinique où il n’y avait pas de risque
78 CJCE, 8 novembre 1990, Dekker, aff. C-177/88, précité, point 2379 CJCE, 8 novembre 1990, Dekker, aff. C-177/88, précité, point 2480 CJCE, 3 février 2000, Silke-Karin Mahlburg c/ Land Mecklenburg-Vorpommern, aff. C-207/98, Rec. 2000,p. I-549
33
d’infection pour elle ou son enfant, conformément à la législation nationale relative à la
protection de la grossesse.
Le 18 septembre 1995, l’employeur de Mme Mahlburg a décidé de ne pas prendre
en compte la candidature de la requérante, tout comme il avait également refusé de
prendre en considération la candidature de l’unique autre postulante, elle-même
enceinte à l’époque du recrutement. La partie défenderesse se fondait sur le fait la
requérante était enceinte et qu’elle ne pouvait assumer, dès le départ, les fonctions
prévues par le poste visé. Selon le défendeur, la non-prise en compte des candidatures
des femmes enceintes ne constitue pas un comportement discriminatoire. Il répond en
effet aux exigences légales imposées par l’article 611 a du Code civil allemand
(« Bürgerlisches Gesetzbuch », ci-après « BGB ») et par les dispositions relatives à la
protection de la mère (« Mutterschutzgesetz »), adoptés tous deux pour assurer la
transposition de l’article 2, paragraphe 3 de la directive 76/207/CEE. Celle ci, en
prévoyant dans son article 2, premier paragraphe, l’élimination des discriminations
fondées sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence notamment à
l’état matrimonial ou familial, « ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la
protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité ».
Cette loi nationale sur la protection de la maternité prévoit que les femmes enceintes ne
peuvent exercer certaines tâches considérées comme dangereuses pour la vie et la santé
de la mère et/ou de l’enfant : il est notamment interdit d’engager une femme enceinte
dans les domaines l’exposant à l’influence néfaste de substances nocives, comme c’est
le cas pour le bloc opératoire où Mme Mahlburg devait être employée.
Mme Mahlburg a contesté la décision de la clinique de Rostock, devant le tribunal
du travail de Rostock (« Arbeitsgericht Rostock »), en lui demandant de constater que le
refus d’engagement qui lui était opposé constituait une discrimination illicite fondée sur
le sexe. Son recours ayant été rejeté le 15 avril 1997, la requérante fit appel de cette
décision devant la tribunal régional du travail (« Landesarbeitsgericht Mecklenburg-
Vorpommern », ci après « LAG »).
34
Celui-ci, devant l’ambivalence de l’interprétation à donner à la législation nationale
de protection de la maternité au regard du droit communautaire81, a demandé des
éclaircissements à la Cour de justice, par la voie d’une question préjudicielle. La
question est de savoir si la directive 76/207/CEE s’oppose à un refus d’engager une
femme enceinte pour un emploi de durée indéterminée au motif qu’une interdiction
légale de travail attachée à cet état fait obstacle, pour la durée de la grossesse, à ce
qu’elle occupe dès le départ ledit emploi. Les circonstances de l’espèce étant exposées,
venons-en maintenant à l’analyse de la Cour de justice
B) Le raisonnement de la CJCE
La Cour de justice débute son analyse par le rappel de sa jurisprudence Dekker82,
où elle avait déclaré qu’un refus d’engagement pour cause de grossesse ne touche que
les femmes. Constitutif, dès lors, d’une discrimination directe fondée sur le sexe, ce
refus est par conséquent illicite. Toutefois, la Cour, à l’exemple des conclusions de
l’Avocat général Saggio, établit une distinction entre le cas d’espèce et l’arrêt Dekker.
En effet, dans l’affaire Mahlburg, la discrimination ne serait pas fondée sur l’état de
grossesse de la travailleuse, mais résulterait surtout d’une interdiction légale de travail
attachée à cet état.
Pourtant, il est possible de nuancer cette distinction : dans l’arrêt Dekker, ce n’était
pas tant la grossesse de la candidate qui motivait le refus d’engagement que
l’éventualité de pertes financières pour l’employeur, hypothèse qui résultait d’une
pratique des organismes de sécurité sociale néerlandais. Cette pratique se fondait elle-
même sur des dispositions législatives nationales, comme nous l’avons vu
précédemment. Rappelons-le, le point 12 de l’arrêt Dekker précisait que le « […]refus
81 Voir en ce sens les points 15 à 17 des conclusions de l’Avocat général M.A. Saggio sur l’affaire Mahlburg,précitée, p. I-554 et les point 16 et 17 de l’arrêt de la Cour : « Il ressort du dossier au principal que le [LAG]partage la position de l’Arbeitsgericht selon lequel il découle de la jurisprudence du Bundesarbeitsgericht[tribunal fédéral du travail] que le défendeur au principal ne viole pas le principe de l’égalité de traitemententre hommes et femmes visé à l’article 611 a du BGB. Selon cette jurisprudence, l’article 611 a du BGB nes’oppose pas à ce qu’un employeur décide de ne pas embaucher une candidate enceinte au motif qu’uneinterdiction de travail motivée par cette grossesse l’empêcherait d’employer cette dernière, dès le départ,dans le poste à pourvoir. Le [LAG] a toutefois ajouté que l’article 611 a du BGB, qui assure la transpositionde la directive [76/207/CEE], doit être interprété en conformité avec le droit communautaire. A cet égard, ilémet des doutes quant à la compatibilité de l’interprétation constante donnée à l’article 611 a du BGB avecl’article 2 de la directive. »82 CJCE, 8 novembre 1990, précité, point 12
35
d’engagement dû aux conséquences financières d’une absence pour cause de grossesse
doit être regardé comme fondé essentiellement sur le fait de la grossesse »83. Il nous
semble, en l’occurrence, que le refus d’embaucher Mme Mahlburg à cause des
dispositions législatives nationales litigieuses, peut également être regardé comme
fondé essentiellement sur le fait de la grossesse. A la lumière de notre analyse, qui
établit une analogie entre conséquences financières et conséquences « juridiques »,
constitutives in fine d’un motif illicite de refus d’embauche, la Cour aurait pu
s’épargner les développements complexes qu’elle élabore, et conclure, sans autre forme
de procès, à l’incompatibilité entre les dispositions législatives nationales telles qu’en
l’espèce et les dispositions de la directive 76/207/CEE.
En effet, Un refus d’engagement, dans les conditions du présent arrêt, apparaît, aux
termes du seul arrêt Dekker, comme contraire à la directive 76/207/CEE. Peut-être la
Cour a-t-elle voulu répondre aux critiques de la doctrine, qui regrettait que dans l’arrêt
Dekker, celle-ci n’ait « cependant jamais clarifié la base légale sur laquelle elle fondait
son raisonnement »84.
En tout état de cause, la Cour procède à une invocation assez inattendue de sa
jurisprudence relative au licenciement des travailleuses pour cause de grossesse85, pour
l’étendre au domaine du refus d’engagement des femmes enceintes, dans la droite ligne
de l’analyse de l’Avocat général Saggio. Celui-ci déclare, au point 21 de ses
conclusions qu’à l’évidence, « le refus d’embauche équivaut au licenciement. En effet,
dans les deux cas, il s’agit d’une mesure qui prive la femme enceinte de travail ». Et
qu’en l’espèce, la conclusion de la Cour dans l’arrêt Brown86, qui avait jugé que le
licenciement d’une femme enceinte, pour absences prolongées causées par une maladie
liée à sa grossesse, était incompatible avec la directive 76/207/CEE, car constitutif
d’une discrimination directement fondée sur le sexe87, trouve pleinement à s’appliquer
au cas de refus d’engagement.
83 Souligné par nous.84 Masselot (A.), Berthou (K.), « La CJCE, le droit de la maternité et le principe de non-discrimination – versune clarification ? », Cahiers de Droit européen, n° 5-6/2000, p. 64085 CJCE, 3 février 2000, Mahlburg, aff. C-207/98, précité, point 24 des motifs86 CJCE, 30 juin 1998, Brown, aff. C-394/96, Rec. 1998, p. I-418587 CJCE, 30 juin 1998, Brown, précité, point 16
36
La Cour entend souligner par-là que, pour considérer comme étant directement
discriminatoire une mesure adoptée à l’égard d’une femme enceinte, il n’est pas
nécessaire qu’elle ait pour motivation explicite l’état de grossesse. Il suffit en effet que
la motivation soit « essentiellement fondée sur cet état », comme l’avait fait remarquer
l’Avocat général Tesauro dans ses conclusions sur l’affaire Webb88.
Cette référence, sans être superflue, n’exigeait pourtant pas l’invocation de l’arrêt
Webb, puisque ce même principe pouvait aisément se dégager de l’arrêt Dekker. Ce
long cheminement intellectuel n’emporte cependant aucune conséquence malheureuse
en l’espèce, puisque la décision de ne pas embaucher Mme Mahlburg est jugée
directement discriminatoire, et de ce fait, illicite.
En fait, à notre sens, la référence à l’arrêt Webb est principalement utilisée par la
Cour pour rejeter la justification de la partie défenderesse, qui invoquait l’incapacité
évidente de la requérante à remplir, dès le départ, les conditions essentielles de son
contrat de travail, en l’occurrence, sa présence dans le bloc opératoire de la clinique.
De tels motifs ne sont pas acceptés par la Cour : « [b]ien que la disponibilité du
salarié soit nécessairement pour l’employeur une condition essentielle à la bonne
exécution du travail, la protection garantie par le droit communautaire à la femme en
cours de grossesse, puis après l’accouchement, ne saurait dépendre du fait de savoir si
sa présence, pendant la période correspondant à la maternité, est indispensable à la
bonne marche de l’entreprise où elle est employée »89. Mais il faut ajouter ici que cette
considération ne vaut, aux termes de l’arrêt, que pour les travailleurs engagés pour une
durée indéterminée90. En effet, comme le relève la Cour, l’indisponibilité de la
travailleuse n’est alors que temporaire, l’interdiction d’employer Mme Mahlburg en
bloc opératoire n’ayant d’effet que pour une période limitée par rapport à la durée totale
88 CJCE, 14 juillet 1994, Webb, aff. C-421/92, Rec. 1994, p. I-1657, points 9 et 10 des conclusions. Cet arrêtconcernait également le licenciement d’une travailleuse enceinte.89 CJCE, 3 février 2000, Mahlburg, précité, point 2490 La CJCE s’est récemment prononcée dans deux arrêts du 4 octobre 2001 la question du licenciement detravailleuses enceintes engagées pour une durée déterminée : l’affaire Jimenez Melgar, C-438/99, et l’affaireTele Danmark c/ M. Brandt-Nielsen, C-109/00, non encore publiées au Recueil. Dans les deux cas, la Cour adécidé, très logiquement, que la protection de la grossesse assurée par le droit communautaire valaitindépendamment de la durée du contrat de travail liant un employeur et une employée enceinte. Pour de plusamples détails, voir notre conclusion.
37
du contrat (point 25). La cour se fonde ici sur son arrêt Habermann-Beltermann91, où
elle a affirmé que même lorsqu’il existe une interdiction légale de travail (comme dans
l’affaire Habermann-Beltermann, celle du travail de nuit des femmes enceintes), cette
interdiction ne suffit pas pour mettre fin à un contrat de travail à durée indéterminée, et
en l’espèce, qu’elle est insuffisante pour justifier du refus d’embaucher la requérante.
Enfin, la Cour fait référence aux observations soulevées pendant la procédure,
relatives à la question des implications financières pour les employeurs, et surtout pour
les petites et moyennes entreprises. L’Avocat général revient sur ces observation aux
point 34 de ses conclusions, en relevant qu’il s’agit pour les employeurs d’un
« problème réel » qui mérite l’attention, mais sans que la Cour infléchisse sa
jurisprudence Dekker92. Elle précise simplement qu’un refus d’engager une femme
enceinte ne peut être justifié par des motifs tirés du préjudice financier subi par
l’employeur, préjudice causé par le fait que la femme engagée ne puisse occuper,
pendant la durée de sa grossesse, le poste concerné. Ce faisant, elle étend très
logiquement la protection des travailleuses enceintes contre les refus d’engagement
fondés sur la grossesse en refusant toute justification d’ordre économique.
La Cour de justice a également été confrontée à la question du licenciement des
travailleuses enceintes, avant que ne soit adoptée et n’entre en vigueur la directive
92/85/CEE qui consacre son article 10 à ce sujet. Au travers d’une séquence
jurisprudentielle complexe et cahoteuse, la Cour a énonce, au profit de la femme
enceinte93, le principe de l’interdiction du licenciement fondé sur la grossesse jusqu’au
terme de son congé de maternité (section 2).
91 CJCE, 5 mai 1994, aff. C-421-92, Rec. 1994, p. I-1657, points 18 et 2592 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-177/88, précité93 Nous aborderons dans notre second titre les modalités de la protection accordée par la Cour à la jeunemère, c’est-à-dire la situation de la travailleuse accouchée pendant et après son congé de maternité.
38
Section 2 – L’interdiction du licenciement des femmes enceintes jusqu’au
terme du congé de maternité
La Cour n’a pas reconnu immédiatement l’interdiction du licenciement pendant
toute la durée de la grossesse et jusqu’à l’expiration du congé de maternité. Dans un
premier temps, les maladies qui trouvaient leur origine dans la grossesse pouvaient
justifier, au terme dudit congé de maternité, le licenciement d’une femme placée dans
une situation d’incapacité de travail causée par les conséquences pathologiques de la
grossesse. La CJCE a adopté cette position dans l’arrêt de principe Hertz94 (paragraphe
1). Mais cette position se trouva considérablement affaiblie du fait de l’adoption de la
directive 92/85/CEE, qui consacre son article 10 au licenciement des femmes enceintes
ou venant d’accoucher. La Cour de justice revint donc partiellement sur sa
jurisprudence Hertz pour assurer la protection des travailleuses contre les risques de
licenciement survenant à cause de leurs incapacités de travail causées par la grossesse,
pendant une période allant du début de la grossesse jusqu’au terme du congé de
maternité (paragraphe 2)
Paragraphe 1 – La protection contre le licenciement pendant la grossesse
La Cour a d’abord pris position dans son arrêt de principe Hertz95, prononcé le
même jour que l’arrêt Dekker96 (A). Puis elle a confirmé son analyse dans sa
jurisprudence ultérieure (B).
A) L’interdiction de principe contenue dans l’arrêt Hertz
En l’espèce, Mme Hertz avait été engagée le 15 juillet 1982, comme caissière et
vendeuse à temps partiel chez Aldi marked. En juin 1983, elle a donné naissance à un
enfant au terme d’une grossesse à complications, au cours de laquelle, en accord avec
son employeur, elle avait été en congé de maladie. A l’expiration de son congé de
maternité, qui, selon la loi danoise, est d’une durée de vingt-quatre semaines après
94 CJCE, 8 novembre 1990, Hertz c/ Aldi, aff. C-179/88, Rec. 1990, p. I-397995 CJCE, 8 novembre 1990, Hertz c/ Aldi, précité96 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-177/88, précité
39
l’accouchement, Mme Hertz a repris son travail à la fin de 1983. Elle n’a eu aucun
problème de santé jusqu’en juin 1984.
Entre juin 1984 et juin 1985, Mme Hertz a été de nouveau en congé de maladie
pendant cent jours ouvrables. Il était constant entre les parties au litige que la maladie
de la requérante était la conséquence de sa grossesse et de son accouchement. Par lettre
du 27 juin 1985, Aldi Marked a signifié à Mme Hertz son licenciement avec le préavis
légal de quatre mois. Son employeur a justifié par la suite que la cause du licenciement
résidait dans les absences répétées de Mme Hertz, et qu’il était d’usage courant de
licencier des travailleurs souvent malades.
La requérante a contesté cette décision devant le tribunal des affaires commerciales
et maritimes (« So-og Handelsret ») de Copenhague, en faisant valoir qu’elle était
contraire aux articles 1 et 4 de la loi danoise sur l’égalité de traitement, adoptée le 12
avril 1978, afin de transposer la directive 76/207/CEE. Le So-og Handelsret ayant rejeté
le recours, Mme Hertz a interjeté appel de cette décision devant la Cour suprême
(« Hojesteret ») du Danemark, en faisant référence uniquement à la loi nationale
relative à l’égalité de traitement. Elle arguait que son licenciement avait enfreint
l’interdiction de discrimination indirecte inscrite à l’article 1, premier paragraphe, point
2, de ladite loi nationale. En conséquence, la requérante s’estimait en droit de prétendre
à une indemnité justifiée par le licenciement. La partie défenderesse, s’appuyant sur
d’autres dispositions de la loi nationale relative à l’égalité de traitement, récusait cette
interprétation. Le Hojesteret, estimant que l’affaire soulevait des questions relatives à
l’interprétation de la directive 76/207/CEE et qui pouvaient influencer l’interprétation
de la loi danoise de transposition, a déféré à la Cour de justice, par ordonnance du 30
juin 1988, deux questions préjudicielles.
La première, pour déterminer si la directive 76/207/CEE, et plus particulièrement la
lecture combinée de l’article 2, paragraphe premier, et de l’article 5, paragraphe
premier, couvre les licenciements qui sont la conséquence d’absences dues à une
maladie qui trouve son origine dans la grossesse ou l’accouchement. La seconde, afin
d’établir si, en cas de réponse affirmative à la première question, la protection contre les
licenciements dus à une maladie causée par la grossesse ou un accouchement est valable
sans limitation dans le temps.
40
Au terme d’une argumentation reprenant les observations des parties au litige, la
Cour fait application de sa jurisprudence Dekker97 du même jour. Elle estime, pour ce
qui nous concerne ici, qu’il résulte des dispositions de la directives 76/207/CEE que « le
licenciement d’un travailleur féminin en raison de sa grossesse constitue une
discrimination directe fondée sur le sexe, comme l’est également le refus d’embaucher
une femme enceinte »98.
Quant à la question des maladies survenant pendant la grossesse, du fait même de
cette grossesse - sans nous attarder sur ce point pour le moment99 -, la Cour se laisse
guider par son Avocat général. Elle conclue que les dispositions combinées de l’article
2, paragraphe premier et de l’article 5, paragraphe premier, de la directive 76/207/CEE
« ne s’opposent pas aux licenciements qui sont la conséquence d’absence dues à une
maladie qui trouve son origine dans la grossesse ou l’accouchement » (point 19).
L’interdiction de licencier une employée du fait de sa grossesse a été confirmée par
la Cour dans deux autres arrêts : l’arrêt Habermann-Beltermann100 d’abord, l’arrêt
Webb101 ensuite (B).
B) La confirmation jurisprudentielle
Dans la première affaire, Mme Habermann-Beltermann, aide-soignante diplômée
en gériatrie, s’est portée candidate à un emploi de garde de nuit dans une maison de
retraite. Pour des raisons tenant à sa situation familiale, elle ne pouvait travailler que la
nuit. Le 23 mars 1992, un contrat de travail a été signé, avec effet au 1er avril suivant
entre Mme Habermann-Beltermann et l’Arbeiterwohlfahrt. Ce contrat stipulait que
l’intéressée serait affectée exclusivement au service de nuit. Du 29 avril au 12 juin
1992, elle n’a pas travaillé pour cause de maladie. Un certificat médical du 29 mai 1992
a fait apparaître qu’elle était enceinte. La grossesse aurait débuté le 11 mars 1992, soit
douze jours avant la signature du contrat de travail.
97 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-177/88, précité98 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-179/88, précité, point 12 des motifs99 Nous y reviendrons dans le second paragraphe, B), de la présente section100 CJCE, 5 mai 1994, Habermann-Beltermann, aff. C-421/92, Rec. 1994, p. I-1657101 CJCE, 14 juillet 1994, Carole L. Webb c/ EMO Air Cargo (UK) Ltd, aff. C-32/93, Rec. 1994, p. I-3567
41
En se référant alors à l’article 8, paragraphe premier, de la loi nationale en matière
de protection de la maternité (« Mutterschutzgesetz »), qui interdit aux travailleuses
enceintes d’effectuer un travail de nuit, l’Arbeiterwohlfahrt a informé Mme
Habermann-Beltermann, par lettre du 4 juin 1992, qu’il considérait comme nul le
contrat de travail conclu le 23 mars 1992. L’intéressée a contestée cette décision de
l’Arbeiterwohlfahrt devant le tribunal du travail (« Arbeitsgericht ») de Ratisbonne.
Dans son ordonnance de renvoi, le juge national explique, qu’en Allemagne, selon
une jurisprudence et une doctrine dominantes, la violation d’une interdiction de travail
entraîne la nullité du contrat de travail. Selon cette même opinion dominante, le contrat
de travail conclu en l’espèce peut également être dénoncé par l’employeur en raison de
son erreur sur les qualités essentielles de son cocontractant. Toutefois, le juge national
se demande si les dispositions combinées de l’article 2, paragraphe 1 et 3, et 5,
paragraphe premier, de la directive 76/207/CEE du Conseil ne s’opposent pas à une
telle application des règles nationales. Il a donc décidé de surseoir à statuer et de
soumettre à la CJCE deux questions préjudicielles.
Dans ces questions, le juge national cherchait à déterminer si les principes dégagés
par la Cour dans l’affaire Dekker102 devaient être interprétés dans le sens que le contrat
de travail conclu entre un employeur et une employée enceinte, ignorant l’un et l’autre
cette grossesse, n’est pas nul du fait de l’interdiction légale de travail de nuit qui
s’applique en raison de la grossesse.
Cette référence à l’arrêt Dekker illustre le fait que la juridiction de renvoi considère
que la nullité du contrat, résultant de la violation d’une interdiction légale, s’assimile à
un refus d’engagement, refus qui est discriminatoire, et donc prohibé selon la
jurisprudence de la Cour, s’il se fonde sur la grossesse. L’Avocat général, dans le fil des
arrêt Dekker et Hertz103 du même jour, affirme que la nullité du contrat, analysée
comme un refus d’engagement, ou comme un licenciement, entraîne de toute façon la
perte d’emploi pour la femme concernée104. Et que cette perte d’emploi, motivée par la
grossesse de la travailleuse, « ne peut être opposé[e] qu’aux femmes et constitue dès
102 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-177/88, précité103 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-179/88, précité104 Conclusions de l’Avocat général Tesauro dans l’affaire Habermann-Beltermann, précitée, Rec. 1994, p. I-1657, point 8
42
lors une discrimination directe fondée sur le sexe », incompatible comme telle avec la
directive 76/207/CEE.
Cependant, en l’espèce, la nullité du contrat entraînant ladite perte d’emploi,
« serait la conséquence de la non-observation de l’interdiction de travail de nuit, qui
déterminerait, en tant que conséquence ultérieure, le vice initial du rapport de
travail »105, et non pas une conséquence directe et immédiate de la grossesse. Nous
avons déjà analysé précédemment que la distinction opérée ici, comme elle l’a été dans
l’affaire Mahlburg106, n’apporte guère d’éléments de réponse supplémentaires pour la
Cour107. En effet, en se contentant d’estimer que la perte d’emploi dont a eu à souffrir
Mme Habermann-Beltermann peut être , voire même, « doit être regardé[e] comme
fondé[e] essentiellement sur le fait de la grossesse »108, la Cour serait à même d’en
conclure que la décision de l’Arbeiterwohlfahrt est incompatible avec la directive
76/207/CEE. A notre sens, au risque de nous répéter, la nature de cette cause
« essentiellement fondée sur le fait de la grossesse », qu’elle soit législative ou
financière, ne peut avoir de conséquence sur la réponse de la Cour.
Cependant, le juge communautaire, tout en reprenant l’argumentation de l’arrêt
Dekker relative à la qualification de la discrimination – directe ou indirecte – dans le
point 15 des motifs109, entend répondre aux arguments de la partie défenderesse.
105 Conclusions de l’Avocat général Tesauro, précitées, point 9. Cette distinction est reprise dans le point 16des motifs de l’arrêt : « Il importe toutefois de relever que, à la différence de l’affaire Dekker, précitée, àlaquelle se réfère le juge de renvoi, l’inégalité de traitement, dans un cas comme celui de l’espèce, ne sefonde pas directement sur l’état de grossesse de la travailleuse, mais résulte de l’interdiction légale dutravail de nuit qui est attachée à cet état. »106 CJCE, 3 février 2000, aff. C-207/98, Rec. 2000, p. I-549107 L’avocat général relativise d’ailleurs lui-même cette « distinction » entre les affaires, distinction établie infine, à notre sens, dans un souci plus didactique qu’autre chose. Ainsi, au point 9 de ses conclusions, M.Tesauro affirme que le cas Habermann-Beltermann diffère de l’affaire Dekker, « tout au moins à premièrevue »… Puis, il semble même la rejeter totalement dans les points 15 et 16 de ses conclusions, où il estimeque la décision de l’Arbeiterwohlfahrt, entraînant la cessation du rapport de travail de la requérante « est dueà une condition (l’état de grossesse) certainement applicables aux seules femmes ».108 CJCE, 8 novembre 1990, Dekker, précité, point 12109 « Il est évident que la rupture d’un contrat de travail en raison de la grossesse de la salariée, que ce soitpar une déclaration de nullité ou par une dénonciation, ne concerne que les femmes et qu’elle constitue, dèslors, une discrimination directe fondée sur le sexe, ainsi qu’en a jugé la Cour pour le refus d’embaucher unefemme enceinte ou pour son licenciement » dans les arrêts Dekker et Hertz, précités (souligné par nous).
43
Celle-ci invoque en effet la protection spéciale de l’article 2, paragraphe 3, de la
directive 76/207/CEE pour motiver sa décision. Cette disposition, reprise dans l’article
8 du « Mutterschutzgesetz », ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la
protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité. Or,
il est « hors de doute » pour la Cour que cette disposition est compatible avec
l’interdiction du travail de nuit des femmes enceintes (point 17 des motifs). Dès lors,
cette disposition peut-elle entraîner, comme en l’espèce, l’annulation ou la dénonciation
d’un contrat de travail, conclu par une femme enceinte ? L’Arbeiterwohlfahrt fait valoir
que les Etats membres disposent d’un pouvoir d’appréciation large et autonome dans
l’appréciation des intérêts des travailleurs, masculins et féminins, ainsi que de ceux des
employeurs et de la collectivité. Une protection excessive de la mère, argue-t-il,
« pourrait donner lieu à des abus de la part des femmes ainsi qu’à une discrimination
au détriment des hommes qui ne bénéficieraient pas de la même possibilité de percevoir
une rémunération sans avoir à fournir, en contrepartie, une prestation de travail » (sic).
Sans nous attarder ici sur le terrain du « travail invisible »110, où la femme fournit,
traditionnellement, une prestation de travail domestique sans possibilité de percevoir
une rémunération, et sans que l’on parle à ce sujet d’« abus », il convient de souligner,
avec l’Avocat général, l’argumentation particulièrement spécieuse de la partie
défenderesse111, qui reflète néanmoins la persistance dans nos sociétés occidentales, et
surtout dans la sphère professionnelle, de certains stéréotypes sexistes relatifs à la
maternité112.
110 Voir en ce sens Heinen (J.), Kergoat (D.), Un continent noir, le travail féminin, L’Harmattan,Paris/Montréal, 1999, 171 p., et plus spécialement l’article de Sabine Masson « Travail en débat,travailleuses invisibles – quelques enjeux sexués autour de la redéfinition du « travail » », pp. 13-31111 Aux points 17 et 18 de ses conclusions : « Enfin, il ne nous semble pas non plus que l’on doive attacher lamoindre importance à l’argument de l’Arbeiterwohlfahrt selon lequel la solution admise ici pourrait aboutirà des abus de la part des femmes. En effet, il va de soi qu’il n’est même pas possible de parler d’abuslorsqu’on reconnaît que les femmes enceintes ne perdent pas – de ce seul fait – le droit d’être engagée et deconserver leur emploi. D’ailleurs, si l’on part de l’idée qu’une femme « programme » la naissance d’unenfant en fonction de la possibilité d’un travail de nuit, il faudrait lui reconnaître aussi la capacité de faireles calculs de manière à ne se trouver enceinte qu’après la signature du contrat, ce qui lui éviterait lesproblèmes affrontés par Mme Habermann. En effet, il est à peine nécessaire d’attirer l’attention sur le faitqu’il aurait suffi que sa grossesse ait débuté non pas le 11 mars mais le 24 mars, jour suivant celui de lasignature du contrat, pour qu’elle soit à l’abri de toute contestation. En définitive, nous ne croyons pas quel’on puisse résoudre le problème juridique qui nous occupe en se fondant sur la possibilité, éventuelle et peuprobable, d’abus. »112 Voir, pour plus de détails, Lucinda M. Finley, « Transcending Equality Theory : A Way out of theMaternity and the Workplace debate », Columbia Law Review, précité, pp. 1136 et suivantes : « Pregnancy asvoluntary » : « Une affirmation très répandue sous-jacente aux politiques en faveur de la maternité est que lagrossesse est naturelle et normale pour les femmes, et qu’il s’agit d’un choix volontaire de leur part. Lasignification de cette affirmation est qu’il a semblé, d’une certaine manière, illogique de considérer la
44
Cet argument est, sans grande surprise, rejeté laconiquement par la Cour113. Elle
procède ensuite à l’analyse des dispositions de protection de la grossesse et de la
maternité présentes à l’articles 2, paragraphe 3 de la directive 76/207. Rappelant son
arrêt Hofmann114, la Cour précise que les mesures de protection introduites ou
maintenues par les Etats membres concernant la grossesse et la maternité ne peuvent
être légitimes que lorsqu’elles vise la protection de la condition biologique des femmes
au cours de leur grossesse et à la suite de celle-ci, ainsi que la protection des rapports
particuliers entre la femme et son enfant au cours de la période post-partum (point 21).
Certes, les Etats membres disposent d’un pouvoir d’appréciation quant aux mesures
sociales qui doivent être prises en vue d’assurer la protection de la femme en ce qui
concerne la grossesse et la maternité. Cependant, cette marge de manœuvre est limitée
au « cadre tracé par la directive » 76/207/CEE, et elle vise surtout « la compensation
des désavantages de fait, en matière de conservation de l’emploi, que la femme subit à
la différence de l’homme » (points 21 et 22 des motifs), justement en raison de la
grossesse et de la maternité en général.
Bien que la Cour ne se prononce pas explicitement sur le caractère prioritaire de
cette finalité compensatrice de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 76/207/CEE,
celui-ci ressort des conclusions de l’Avocat général Tesauro, aux points 11 et 12. Selon
ce dernier, il serait « […] paradoxal […] que la reconnaissance de la fonction sociale
de la maternité [qui ressort des dispositions juridiques tant communautaires que
nationales] et, par conséquent, la protection des femmes enceintes s’effectuent en
excluant celles-ci du marché du travail » (point 11). Si bien que l’interdiction du travail
de nuit, légitime en elle-même, « ne peut être appliquée de manière à compromettre la
validité d’un contrat de travail de nuit conclu avec une femme enceinte, mais
uniquement comme une interdiction d’accomplir effectivement un travail de nuit »
grossesse comme une maladie ou un handicap – il serait honteux de traiter un événement si naturel, que lesfemmes choisissent librement, comme s’il s’agissait d’un accident du travail. En outre, il a semblé injusteaux employeurs de devoir payer, sous le régime de l’assurance maladie, pour un choix attendu des femmes àremplir leur rôle naturel. En effet, les employeurs justifient fréquemment leur refus de couvrir leursemployées par une assurance maternité en se plaignant du coût de l’assurance d’un événement qui, seloneux, à cause de son caractère naturel, survient fréquemment. Les employeurs ont ainsi suggéré qued’accorder des prestation sociales aux femmes qui ne reviendront pas sur le marché du travail au terme deleur grossesse serait injuste à l’égard des « véritables » travailleurs. Ainsi les femmes sont pénalisées ànouveau dans la sphère publique, à cause de la maternité. » (traduction personnelle)113 Au point 20 : « Cette argumentation doit être rejetée »114 CJCE, 12 juillet 1984, Hofmann, aff. 184/83, Rec. 1984, p. 3047, spécialement les points 25 et 27
45
(point 12). En outre, l’incapacité de travail de Mme Habermann-Beltermann n’était que
temporaire. Eu égard à la seule disposition de l’article 2, paragraphe 3, de la directive
76/207/CEE, la dénonciation du contrat de travail de la requérante ne satisferait déjà pas
au critère de proportionnalité. Mais la Cour va plus loin : « […] admettre que le contrat
puisse être déclaré nul ou dénoncé à cause de l’empêchement temporaire de la salariée
enceinte d’effectuer le travail de nuit pour lequel elle a été engagée [pour une durée
indéterminée, comme il ressort du point 23 des motifs] serait contraire à l’objectif de
protection que poursuit l’article 2, paragraphe 3, de la directive, et priverait cette
disposition de son effet utile »115 (point 24 des motifs).
Dès lors, la combinaison des articles 2, paragraphe 1, 3, paragraphe 1, et 5,
paragraphe 1, de la directive 76/207/CEE, « s’oppose à ce qu’un contrat de travail, sans
détermination de durée, concernant un travail qui doit être effectué la nuit et conclu
entre un employeur et une employée enceinte ignorant l’un et l’autre cette grossesse,
d’une part, soit déclaré nul en raison de l’interdiction légale du travail de nuit qui
s’applique, en vertu du droit national, pendant la grossesse et l’allaitement maternel et,
d’autre part, à ce qu’il soit dénoncé par l’employeur en raison d’une erreur sur les
qualités essentielles de la travailleuse lors de la conclusion du contrat ».
On remarque que dans cet arrêt, la Cour n’a pas spécialement examiné la
circonstance que l’employeur et son employée ignoraient tous deux la grossesse de la
requérante lors de la conclusion du contrat de travail. Il ne saurait pourtant s’agir d’une
lacune de la Cour : il ressort, bien qu’implicitement, de l’affaire Habermann-
Beltermann, que cette circonstance n’a aucune incidence sur le raisonnement juridique
de la Cour116. En effet, il faut déduire du comportement de l’employeur que s’il avait eu
connaissance de cette grossesse, il n’aurait pas conclu de contrat de travail avec Mme
Habermann-Beltermann. Or, aux termes de la jurisprudence Dekker117, ce
comportement est constitutif d’une discrimination directe fondée sur le sexe, et par
conséquent interdit.
115 point 24 des motifs de l’arrêt Habermann-Beltermann, précité116 Voir en ce sens, les conclusions de l’Avocat général Tesauro sur l’affaire Webb (CJCE, 14 juillet 1994,aff. C-32/93, Rec. 1994, p. I-3567) point 11117 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-177/88, précité
46
La Cour s’est de nouveau prononcée sur la question du licenciement d’une
travailleuse enceinte avant l’entrée en vigueur de la directive 92/85/CEE, dans son arrêt
Webb118, au terme d’une véritable « saga » judiciaire119. En 1987, la société EMO
employait seize personnes. L’une des quatre personnes affectées aux opérations
d’importation, Mme Stewart, s’est trouvée enceinte en juin 1987. EMO a décidé de ne
pas attendre son départ en congé de maternité pour engager une remplaçante, que Mme
Stewart pourrait former dans les six mois précédant ledit congé. Mme Webb a ainsi été
recrutée avec pour mission, dans un premier temps, d’assurer le remplacement de Mme
Stewart, après une période de stage. Il était en outre prévu que Mme Webb continuerait
de travailler chez EMO, même après le retour de Mme Stewart. Mme Webb a
commencé à travailler le 1er juillet 1987. Deux semaines plus tard, Mme Webb a pensé
être enceinte et son employeur en a été informé indirectement. Il l’a alors convoquée et
lui a fait connaître son intention de la licencier si elle était effectivement enceinte. La
grossesse de Mme Webb a été confirmée une semaine plus tard. Et le 30 juillet 1987,
elle a reçu une lettre de licenciement.
Mme Webb a alors formé un recours devant l’Industrial Tribunal, en affirmant que
son licenciement constituait une discrimination à raison du sexe, contraire à la loi
nationale relative aux discriminations fondées sur le sexe, le Sex Discrimination Act de
1975 (ci-après « SDA »). Mme Webb ne pouvait se prévaloir des dispositions de l’autre
instrument législatif visant les cas de licenciement fondés sur la grossesse,
l’Employment Protection (Consolidation) Act (« Loi (de codification) sur la protection
de l’emploi ») de 1978120, puisque les salariées employées depuis moins de deux ans
dans l’entreprise concernée sont exclues du bénéfice de cette protection.
L’Industrial Tribunal a rejeté ce recours, en arguant que la raison effective du
licenciement résidait dans la circonstance qu’il était impossible pour la requérante de
remplir la tâche principale pour laquelle elle avait été embauchée, c’est-à-dire remplacer
Mme Stewart pendant le congé de maternité de cette dernière.
118 CJCE, 14 juillet 1994, Carole L. Webb c/ EMO Air Cargo (UK) Ltd, aff. C-32/93, Rec. 1994, p. I-3567119 Saga qui s’échelonne en effet sur sept ans : Boch (C.), « Case Law Annotation », Common Market LawReview, Volume 33, n° 3, juin 1996, p. 546.120 L’article 54 de l’Employment Protection (Consolidation) Act interdit les licenciements abusifs, et l’article60 dispose que le licenciement fondé sur la grossesse est « abusif » (Conclusions de l’Avocat généralTesauro sur l’affaire Webb, précitée, point 3 et point 6 des motifs de l’arrêt)
47
Or, continue l’Industrial Tribunal, si un homme avait été recruté aux mêmes fins
que Mme Webb, et s’il avait indiqué à son employeur qu’il serait absent pour une
période comparable à l’absence probable de la requérante, il aurait été licencié de la
même manière. Ainsi, Mme Webb a été licenciée parce qu’elle ne pouvait être
disponible pour travailler pendant la période envisagée par l’employeur, et non parce
qu’elle était enceinte.
En outre, le tribunal a également rejeté l’argument de Mme Webb, qui aurait subi
alors une discrimination indirecte, puisque l’incapacité de travail de la demanderesse
frappe sans aucun doute un nombre plus important de femmes que d’hommes, en raison
de l’éventualité de la grossesse. Pourtant, l’employeur aurait apporté la preuve, devant
l’Industrial Tribunal, que les besoins raisonnables de son entreprise exigeaient que la
personne recrutée pour remplacer Mme Stewart fût immédiatement disponible.
Mme Webb a interjeté appel de cette décision devant l’Employment Appeal
Tribunal, puis devant la Court of Appeal, sans succès. Mais la dernière juridiction a
permis à la requérante de saisir la juridiction suprême nationale, la House of Lords
(« Chambre des Lords »). Celle-ci reprit les analyses des juridictions nationales
inférieures et aboutit aux mêmes conclusions : Mme Webb n’avait pas été discriminée,
ni directement, ni indirectement, à raison de son sexe selon les critères de la loi
nationale pertinente, le « SDA » de 1975. Elle constate que la particularité de cette
affaire réside dans le fait que la femme enceinte licenciée avait été précisément recrutée
avec pour mission, dans un premier temps, de remplacer une salariée devant elle-même
partir en congé de maternité. Elle se demande si le licenciement était impossible parce
que Mme Webb était enceinte, ou bien s’il convient de faire prévaloir les raisons qui ont
justifié le recrutement, puis le licenciement de cette dernière.
La House of Lords décide alors, bien que Mme Webb ne puisse se prévaloir des
dispositions nationales pertinentes en l’espèce, c’est-à-dire uniquement le « Sex
Discrimination Act » de 1975, que Mme Webb peut être protégée d’un licenciement
comme en l’espèce sur la base de la directive 76/207/CEE du Conseil, en particulier de
son article 2, paragraphe premier. Il incombe en effet à la House of Lords d’interpréter
la législation interne de manière à la mettre en conformité avec l’interprétation de la
48
directive 76/207/CEE. Elle surseois donc à statuer et pose à la CJCE la question
préjudicielle suivante :
« Le fait pour un employeur de licencier une employée (la demanderesse) qu’il a
engagé aux fins de remplacer une autre employée pendant le congé de maternité de
cette dernière, après une période de formation, constitue-t-il une discrimination pour
des motifs liés au sexe, en violation de la directive 76/207/CEE,
a) dès lors que ledit employeur découvre très peu de temps après l’embauche que
la demanderesse sera elle-même en congé de maternité pendant le congé de
maternité de l’autre employée, et qu’il la licencie au motif qu’il a besoin que le
titulaire du poste soit à son travail durant cette période et que
b) si l’employeur avait eu connaissance de la grossesse de la demanderesse à la
date de l’embauche, celle-ci n’aurait pas été embauchée, et que
c) l’employeur aurait également licencié un employé engagé aux mêmes fins qui
aurait eu besoin d’un congé pendant la période pertinente pour des raisons
médicales ou autres ? »
On peut être surpris à la lecture de la question posée par la House of Lords, au
regard de la jurisprudence de la Cour dans ce domaine, comme nous l’avons analysé
précédemment. En effet, la Cour avait établi très clairement, dans l’affaire Dekker121,
qu’il n’était nul besoin de recourir à une comparaison avec un travailleur masculin, afin
d’établir la discrimination fondée sur la grossesse.
En outre, la Cour se montre plus que réticente à accepter l’argument que le
licenciement ne se fonde pas sur la grossesse de l’intéressée, mais sur les conséquences
pour l’employeur de la grossesse – comme dans l’affaire Hertz122 où les conséquences
financières étaient rejetées par la Cour, et où, plus implicitement, dans l’affaire
Habermann-Beltermann123, les conséquences « juridiques » n’emportaient guère de
conséquences pour déclarer illicite un licenciement fondé sur la grossesse. Pourquoi la
Cour aurait-elle ait exception dans ce cas ? En fait, la raison pour laquelle l’affaire
Webb pose de nouveau ces questions réside dans la circonstance où la Chambre des
Lords a analysé que la jurisprudence de la CJCE ne traitait pas toutes les conséquences
121 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-177/88, précité122 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-179/88, précité123 CJCE, 5 mai 1994, aff. C-421/92, précité
49
de la grossesse de manière identique. Il a semblé à la House of Lords que, dans certains
cas, la grossesse n’était pas perçue comme le facteur déterminant pour que la Cour
qualifie le comportement d’un employeur de discriminatoire. Et, en effet, une analyse
plus poussée de la jurisprudence précédant l’affaire Webb confirme que le raisonnement
de la House of Lords se justifie124.
La Cour commence ici son raisonnement en établissant le contexte général relatif
au licenciement des travailleuses enceintes, en faisant le rappel de sa jurisprudence
Hertz et Habermann-Beltermann qui interdit un tel licenciement, puisque fondé sur la
grossesse, et constitutif d’une discrimination directe à raison du sexe. Puis, elle
réaffirme que la protection de la grossesse et de la maternité prévue à l’article 2,
paragraphe 3, de la directive 76/207/CEE, ne saurait concerner que la protection de la
condition biologique de la femme enceinte ou venant d’accoucher, ainsi que la
protection des rapports particuliers entre la jeune mère et son enfant (point 20 des
motifs). Ensuite, et pour la première fois, la CJCE se réfère à la directive 92/85/CEE, et
notamment son article 10, qui vise spécifiquement le licenciement des travailleuses
enceintes. Bien qu’elle ait été adoptée le 19 octobre 1992 par le Conseil, la directive
92/85/CEE n’est pas encore entrée en vigueur à l’époque du jugement de la CJCE, et
Mme Webb ne saurait donc se prévaloir de ces dispositions.
Il n’en reste pas moins que la volonté du législateur communautaire, qui est de
protéger la travailleuse enceinte contre tout risque de licenciement fondé sur sa
grossesse, telle qu’elle se manifeste dans la directive 92/85/CEE, conforte la
construction jurisprudentielle de la Cour relative à ce domaine.
124 Boch (C.), « Case Law Annotation », Common Market law Review, Volume 33, n° 3, juin 1996, p. 550.Christine Boch remarque par ailleurs que dans l’affaire Webb, la question de savoir quand la grossesse doitêtre considérée comme le facteur déterminant pour prouver un traitement discriminatoire reste toujours sansréponse, ce qui lui fait dire que l’affaire Webb constitue une « victoire à la Phyrrus » pour les travailleusesenceintes (« a phyrric victory for pregnant workers »). Nous étions parvenu à une conclusion assez similairedans notre développement (voyez supra)
50
Rejetant à nouveau toute comparaison avec un travailleur masculin afin d’établir le
traitement discriminatoire, la Cour se fonde sur sa jurisprudence Habermann-
Beltermann pour conclure que la rupture d’un contrat à durée indéterminée en raison de
la grossesse de la travailleuse ne saurait se justifier par la circonstance que l’employée
se trouve, à titre purement temporaire, empêchée d’effectuer le travail pour lequel elle a
été embauchée. La Cour ne revient même pas sur l’argumentation de la défenderesse,
selon laquelle Mme Webb n’eût pas été engagée si son employeur avait eu connaissance
de sa grossesse au moment de la signature du contrat de travail : ce comportement est
lui-même constitutif d’une discrimination directement fondée sur le sexe, comme nous
l’avons vu précédemment. Par conséquent, la Cour, reconnaissant que la disponibilité
du travailleur est nécessairement pour l’employeur une condition essentielle à la bonne
exécution du contrat de travail, insiste sur le fait que « la protection garantie par le
droit communautaire à la femme en cours de grossesse, puis après l’accouchement, ne
saurait dépendre du point de savoir si la présence de l’intéressée, pendant la période
correspondant à sa maternité, est indispensable à la bonne marche de l’entreprise où
elle est employée. Une interprétation contraire priverait les dispositions de la directive
[76/207/CEE] de leur effet utile » (point 26).
L’ensemble de ces solutions jurisprudentielles trouve désormais une base légale
plus explicite et plus assurée dans l’article 10 de la directive 92/85/CEE. Ce qui permet
à la Cour de justice de confirmer partiellement les analyses qu’elle a dégagées dans sa
jurisprudence sur le licenciement des travailleuses enceintes (paragraphe 2).
Paragraphe 2 - La consécration législative de l’interdiction
Les dispositions contenues dans la directive 92/85/CEE ont certes repris
l’interdiction de principe du licenciement des femmes pour des motifs liés à la grossesse
(A), mais elles ont également amené la CJCE a revenir sur l’application ratione
temporis de ce principe - notamment dans le cas de survenance d’une grossesse
pathologique entraînant une incapacité de travail -, en prévoyant une période de
protection s’étendant du début de la grossesse à la fin du congé de maternité (B).
51
A) Les dispositions législatives
Les paragraphes 1 et 2 de l’article 10 de la directive 92/85/CEE imposent aux Etats
membres de prendre les mesures nécessaires pour interdire le licenciement des
travailleuses enceintes, pendant la période allant du début de leur grossesse jusqu’au
terme de leur congé de maternité, sauf dans les cas d’exception non liés à leur état, où
l’employeur doit fournir des motifs justifiés de licenciement. Ces cas exceptionnels sont
ceux prévus par les législations et/ou les pratiques nationales, et le cas échéant, pour
autant que l’autorité compétente ait donné son accord.
Le troisième paragraphe de l’article 10 vise les modalités de sanction d’un
licenciement abusif au sens de la directive 92/85/CEE, ainsi que les réparations des
conséquences d’un tel licenciement. Etant donné la jurisprudence de la Cour dans ses
arrêts Dekker125 et Hertz126, il est possible d’estimer que cette interdiction vaut, dans les
mêmes conditions, pour le refus d’engagement, lié à la grossesse, d’une candidate à un
emploi.
La directive 92/85/CEE prévoit, de manière complémentaire, plusieurs autres
dispositions destinées à protéger la travailleuse enceinte, accouchée ou allaitante contre
les conséquences de sa grossesse et des débuts de sa maternité sur son contrat de travail,
en plus de la prémunir contre tout risque de licenciement lié aux périodes pré- et
postnatales127. Il s’agit d’assurer que l’exercice des droits de protection de la santé et de
la sécurité reconnus dans la directive 92/85/CEE ne défavorise la femme sur le marché
du travail.
Ainsi, le congé de maternité, nécessaire pour que la travailleuse puisse se rétablir
après l’accouchement, est-il visé explicitement à l’article 8 de la directive 92/85/CEE.
Les travailleuses doivent être assurées de disposer d’un congé d’au moins quatorze
semaines continues, réparties avant et/ou après l’accouchement, incluant un congé
obligatoire de deux semaines réparties avant et/ou après l’accouchement, conformément
aux législations ou aux pratiques nationales. De surcroît, la travailleuse bénéficie du
125 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-177/88, précité126 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-179/88, précité.127 Quoique les dispositions visant la période postnatale à l’expiration du congé de maternité nous paraissentinsuffisantes à bien des égards. Voyez infra, Titre II.
52
maintien de sa rémunération, ou bien du versement d’une prestation adéquate, c’est-à-
dire d’une prestation qui assure des revenus au moins équivalents à ceux que recevrait
la travailleuse concernée dans le cas d’une interruption de ses activités pour des raisons
liées à son état de santé (article 11, paragraphe 3). Les Etats membres peuvent
introduire ou maintenir, dans cette perspective, des conditions d’ouverture au droit à ces
avantages, comme des périodes de travail préalablement accomplies avant le congé de
maternité, sans que ces dernières ne puissent excéder douze mois immédiatement avant
la date présumée de l’accouchement (article 11, paragraphe 4).
Le maintien des droits liés à la relation de travail, notamment le maintien des
rémunérations ou le versement d’une prestation, doit également être assuré par les Etats
membres dans le cas où la travailleuse, suite à l’évaluation des risques sanitaires et
sécuritaires, est dispensée de travail pour éviter l’expositions à ces risques (article 11,
paragraphe premier).
En outre, les travailleuses enceintes sont en droit d’obtenir de leur employeur des
dispenses de travail, sans perte de rémunération, afin de se rendre aux examens
prénataux, si ces derniers doivent avoir lieu pendant le temps de travail (article 9).
La reconnaissance, au sein de la directive 92/85/CEE, d’une période protégée
s’étalant du début de la grossesse à la fin du congé maternité, a amené la Cour de justice
à préciser sa jurisprudence Hertz128 relative aux maladies trouvant leur origine dans la
grossesse et/ou l’accouchement, dans les conséquences qu’elles emportent sur le contrat
de travail (B).
128 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-179/88, précité
53
B) Les évolutions jurisprudentielles
Ainsi, la Cour a jugé qu’il y avait discrimination fondée sur le sexe lorsque
l’employeur licencie une femme à cause d’absences dues à son incapacité à travailler
avant le début de son congé de maternité, dans l’arrêt Brown129, en renversant par-là sa
jurisprudence Larsson130. Dans cette dernière affaire, en effet, Mme Larsson avait été
engagée par la société Fotex au mois de mars 1990, et a informé son employeur qu’elle
était enceinte, en août 1991. Au cours de sa grossesse, Mme Larsson a été à deux
reprises en congé de maladie. Le premier a duré du 7 au 24 août 1991. Le second, qui a
été rendu nécessaire pour un relâchement pelvien lié à la grossesse, a duré du 4
novembre 1991 au 15 mars 1992, date à laquelle le congé de maternité de Mme Larsson
a débuté. Elle a accouché le 2 avril 1992.
La période de congé maternité, d’une durée légale de 24 semaines selon la
législation danoise en vigueur, s’est achevée le 18 septembre 1992, date à laquelle elle a
pris son congé annuel jusqu’au 16 octobre 1992. Ensuite, comme elle continuait à être
soignée pour le relâchement pelvien, elle a de nouveau été en congé de maladie.
Elle n’a été déclarée apte à reprendre le travail qu’à partir du 4 janvier 1993.
Cependant, le 10 novembre 1992, l’entreprise Fotex lui a adressé une lettre l’informant
de son licenciement à partir de la fin du mois de décembre 1992. Mme Larsson a alors
introduit un recours contre cette décision devant en faisant valoir qu’elle était contraire
au principe d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes, argument que
rejetait son employeur. La juridiction nationale saisit alors la CJCE d’une question
préjudicielle en vue de déterminer si les dispositions combinées de l’article 5,
paragraphe premier, et 2, paragraphe premier, de la directive 76/207/CEE s’opposait
aux licenciements qui sont la conséquences d’une absence après le congé de maternité,
dès lors que cette maladie est apparue durant la grossesse et qu’elle s’est poursuivie
pendant et après le congé de maternité, étant entendu que ledit licenciement avait eu lieu
après la fin du congé de maternité.
129 CJCE, 30 juin 1998, Mary brown c/ Rentokil Ltd, aff. C-394/96, Rec. 1998, p. I-4185130 CJCE, 29 mai 1997, Handels-og Kontorfunktionoerernes Forbund i Danmark agissant pour H. E. Larssonc/ Dansk Handel & Service, agissant pour Fotex Supermarked A/S, aff. 400/95, Rec. 1997, p. I-2757. Il fautnéanmoins souligner ici que la directive 92/85/CEE n’était pas entrée en vigueur à l’époque du licenciementde Mme Larsson, ce qui peut, en partie, expliquer la conclusion de la Cour de justice en l’espèce.
54
Pendant l’audience, Mme Larsson a fait valoir devant la Cour de justice que l’arrêt
Hertz permet d’établir une distinction entre les maladies liées à la grossesse, qui sont
apparues pendant celle-ci ou pendant le congé de maternité et dont le traitement se
poursuit à l’expiration dudit congé, et les maladies qui sont apparues après le congé de
maternité. Certes, il est établi que, « s’agissant d’une maladie qui apparaîtrait après le
congé de maternité, il n’y a pas lieu de distinguer la maladie qui trouve son origine
dans la grossesse ou l’accouchement de toute autre maladie. Un tel état pathologique
relève donc du régime général applicable en cas de maladie »131. Par conséquent, sous
réserve de dispositions plus protectrices prises sur la base de l’article 2, paragraphe 3,
de la directive 76/207/CEE, les dispositions combinées de l’article 5, premier
paragraphe, et 2, premier paragraphe, de ladite directive, ne s’opposent pas au
licenciement qui sont la conséquences d’absences dues à une maladie qui trouve son
origine dans la grossesse ou l’accouchement. Cependant, dans le cas de Mme Larsson,
la maladie s’est déclarée au cours de sa grossesse, et pas à l’expiration de son congé de
maternité, comme c’était le cas pour Mme Hertz. Elle estime donc que la Cour ne s’est
pas prononcée dans ces circonstances particulières, et que la cause de son licenciement
peut être regardée comme essentiellement fondé sur le fait de la grossesse. Dès lors, elle
serait en droit d’attendre que la décision de licenciement dont elle est la victime soit
qualifiée de directement discriminatoire, et donc illicite.
L’Avocat général Ruiz-Jarabo Colomer n’est que peu convaincu par
l’argumentation de la requérante, pourtant soutenue par la Commission132. Selon lui, le
critère essentiel de distinction entre les affaires Hertz et Larsson réside dans la durée
des congés de maladie qui ont été comptabilisés afin de décider du licenciement de
Mmes Hertz et Larsson. Si cette durée était estimée à cent jours ouvrables répartis sur
toute une année dans l’affaire Hertz, après l’expiration du congé de maternité de la
requérante, dans le cas de Mme Larsson en revanche, cette comptabilité apparaît bien
plus problématique. Dans la lettre de licenciement adressée à Mme Larson, en effet,
131 CJCE, 8 novembre 1990, Hertz, précité, point 16132Au point 19 des conclusions de l’Avocat général sur l’affaire Larsson : « La Commission […] incline àpenser, sur la base de la jurisprudence de la Cour, qu’il est contraire à la directive 76/207 que l’employeurtienne compte, pour justifier un licenciement, de l’absence survenue durant la grossesse et ayant pour causeune maladie trouvant son origine dans celle-ci. Elle estime, en ce sens, que l’interdiction faite par l’article10, paragraphe 1, de la directive 92/85 [qui n’était pas entrée en vigueur à l’époque des faits], de licencierune femme pendant la période allant du début de sa grossesse jusqu’au terme de son congé de maternitén’est rien d’autre que la consécration législative de la situation juridique qui existait avant l’adoption de ladirective. »
55
l’employeur fait référence à la « longue absence » de la requérante. Or, ce licenciement
est intervenu moins d’un mois après la date à laquelle Mme Larsson aurait dû reprendre
son travail, après avoir épuisé son congé de maternité et son congé annuel. Pour
qualifier l’absence de la requérante de « longue », il faut que son employeur ait tenu
compte des cinq mois environ (du 4 novembre 1991 au 15 mars 1992) qu’ont duré le
congé maladie causé par le relâchement pelvien – dû lui-même à la grossesse - de Mme
Larsson. C’est cette « arithmétique »133 qu’il convient d’examiner au regard des
dispositions de la directive 76/207/CEE invoquées par la demanderesse. Si les congés
de maladies font l’objet d’une jurisprudence bien établie dans le cas où ils surviennent
après le congé de maternité134, ou pendant celui-ci135, la question des congés de maladie
au cours de la grossesse « […] n’a été ni réglementé[e] par la législation
communautaire, ni résolu[e] par la jurisprudence de la Cour »136.
Il ressort de l’analyse de l’Avocat général que, sur le plan de la « stricte égalité »
(point 39) entre les travailleurs masculins et féminins, la prise en compte de périodes de
congés, dont les motifs ne peuvent affecter que les seuls travailleurs féminins – à savoir
la grossesse - pour justifier d’un licenciement, est discriminatoire. Les problèmes de
santé potentiellement occasionnés par la grossesse ne sauraient dépendre du régime
général applicable aux hommes et aux femmes en cas de maladie sans que cette
assimilation ne soit clairement discriminatoire137.
133 Conclusions de l’Avocat général Ruiz-Jarabo Colomer sur l’affaire Larsson, précitée, point 26134 CJCE, 8 novembre 1990, Hertz, aff. C-179/88, précité. Les licenciements qui sont la conséquencesd’absences dues à une maladie trouvant son origine dans la grossesse ou l’accouchement ne sont pascontraires à la directive 76/207/CEE.135 CJCE, Hertz, précité, point 15 : « […] durant le congé de maternité dont elles bénéficient en applicationdu droit national, la femme est protégée contre les licenciements motivés par son absence […] ».136 Conclusions de l’Avocat général Ruiz-Jarabo Colomer sur l’affaire Larsson, précitée, point 31. Il estsurprenant de constater que c’est exactement la conclusion de la requérante, conclusion à laquelle l’Avocatgénéral ne semblait pas souscrire.137 Point 41 des conclusions de l’Avocat général, précitées : « En effet, si au moment de motiver unlicenciement, les périodes de congé de maladie accordées à la femme enceinte en raison de problèmes desanté provoqués par la grossesse sont assimilées aux périodes pendant lesquelles un homme est absent pourraison de maladie, la même règle de calcul des périodes de congé de maladie pouvant donner lieu à unlicenciement serait appliquée à des situations distinctes – à savoir, la grossesse et la maladie – et celaconstituerait une discrimination directe exercée en raison du sexe au détriment de la femme. »
56
Ainsi, il propose à la Cour de justice de répondre à la juridiction nationale que
« [l]es dispositions combinées de l’article 5, paragraphe 1, et de l’article 2, paragraphe
1, de la directive 76/207/CEE […] ne font pas obstacle à ce qu’une femme soit licenciée
pour motif d’absences postérieures à son congé de maternité lorsque ces absences sont
dues à une maladie qui est apparue au cours de la grossesse et s’est prolongée pendant
le congé de maternité et au-delà de celui-ci mais elles ne permettent pas, au moment de
calculer les absences en vue du licenciement, de prendre en compte les périodes de
congé de maladie qui ont été accordées en raison de problèmes de santé provoqués par
la grossesse avant l’accouchement ».
Cependant, la logique de l’Avocat général, refusant l’assimilation des congés de
maladie d’une femme pour cause de grossesse au régime de droit commun des congés
maladies ne séduit la Cour que très partiellement138.
Se limitant à une lecture très stricte de la directive 76/207/CEE et à une analyse
rigide de sa jurisprudence Hertz139, la Cour conclut dans son arrêt Larsson que, la
directive 92/85/CEE n’étant pas d’application rationae temporis au moment des faits140,
et sous réserve de dispositions nationales plus protectrices prises sur la base de l’article
2, paragraphe 3, de la directive 76/207, ladite directive ne s’oppose pas, en l’état actuel
du droit communautaire, aux licenciements qui sont la conséquence d’absences dues à
une maladie qui trouve son origine dans la grossesse ou l’accouchement, même si cette
maladie est apparue pendant la grossesse et s’est prolongée pendant et après le congé de
maternité. Elle récuse les analyses de la demanderesse, ainsi que celles de son Avocat
général, concernant le fait que la prise en compte des congés de maladies, conséquences
de la grossesse, pour justifier du licenciement d’une travailleuse serait discriminatoire si
ces périodes de congés étaient assimilées au régime de droit commun des congés
maladies. Le fait que les maladies liées à la grossesse ou à l’accouchement affectent
uniquement les femmes est sans incidence sur le raisonnement de la Cour.
138 Boch (C.), « Où s’arrête le principe d’égalité ou de l’importance d’être bien portante (à propos de l’arrêtLarsson de la Cour de justice) », Cahiers de Droit européen, n° 1-2/1998, p. 185139 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-179/88, précité140 La Cour semble refuser d’accorder une protection à Mme Larsson au motif « pour le moins curieux »qu’accéder à la demande de la requérante constituerait une application rétroactive de la directive 92/85. Or,« [d]ans les arrêts Dekker, Habermann et Webb, , la Cour ne semble pas troublée par l’applicationrétroactive de la directive 92/85, pourtant la directive n’avait pas encore été adoptée lors du traitementdéfavorable des plaignantes ». (Boch (C.), « Où s’arrête le principe d’égalité […] », Cahiers de Droiteuropéen, précité, p. 186.
57
Plus étonnant est l’argument de la Cour dans le point 17 des motifs : « […] il est
inexact de prétendre que la Cour a […] opéré une distinction selon le moment
d’apparition ou de la manifestation de la maladie [c’est-à-dire pendant ou après
l’expiration du congé de maternité]. En effet, elle a simplement jugé, dans le cadre
factuel qui lui était alors soumis [dans l’affaire Hertz], qu’il n’y a pas lieu de distinguer
la maladie qui trouve son origine dans la grossesse ou dans l’accouchement de toute
autre maladie. Cette interprétation est d’ailleurs confirmée par l’absence dans le
dispositif de l’arrêt Hertz de toute référence au moment de l’apparition de la maladie ».
Il nous semble que la Cour ne tire pas les bonnes conclusions de ce motif. C’est du
fait des circonstances particulières de l’affaire Hertz - une maladie trouvant certes son
origine dans la grossesse et l’accouchement, mais qui s’est déclarée après l’expiration
du congé de maternité – que la Cour a jugé qu’il n’y avait pas lieu de distinguer les
maladies entre elles, ce qui est d’ailleurs très critiquable141. Cet arrêt Hertz n’indique
rien sur la maladie qui s’est déclarée avant le congé de maternité, pendant la grossesse
et qui produit encore ses effets après ledit congé. C’était justement à cette lacune que
Mme Larsson souhaitait voir la Cour de justice apporter une réponse. Il nous semble
non pas que la Cour ait donné ici une « interprétation rigoureuse, par laquelle [elle]
restreint considérablement la protection que la femme enceinte pouvait légitimement
attendre du droit communautaire en raison des contraintes physiques normalement
liées à la grossesse »142 - cette interprétation rigoureuse était déjà le fait de l’arrêt Hertz.
Mais l’arrêt Larsson nous donne plutôt l’impression de n’être rien de plus qu’une
réitération du jugement de l’affaire Hertz, tant la Cour établit une similitude entre ces
deux cas. Une confirmation de la jurisprudence de la Cour n’est certes jamais malvenue,
mais en l’espèce, la Cour n’a pas jugé l’affaire Larsson. C’est ce qui nous semble
d’ailleurs être un facteur déterminant du « renversement » de l’opinion de la Cour sur le
même sujet du licenciement d’une salariée en raison d’absences, avant le congé de
maternité, dues à une maladie trouvant son origine dans la grossesse, tel qu’il s’est
produit dans l’arrêt Brown143.
141 En effet, au risque de nous répéter indûment, les maladies liées à la grossesse ne sauraient toucher que lesfemmes. Cette malheureuse exclusivité justifie, à elle seule, de ne pas assimiler les maladies liées à lagrossesse et les autres pathologies dont peuvent souffrir à la fois les hommes et les femmes.142 Waelbroeck (M.), Frignani (A.) , Commentaire J. MEGRET, le droit de la CE, tome7, Politique sociale,Education et jeunesse, précité, p.142, à propos de l’arrêt Larsson.143 CJCE, 30 juin 1998, Mary Brown c/ Rentokil Initial (UK) Ltd, aff. C-394/96, Rec. 1998, p. I-4185
58
Dans cette affaire, Mme Brown, requérante au principal, était employée en qualité
de chauffeur par la société Rentokil. Son travail consistait essentiellements à transporter
et à remplacer les unités de Sanitact dans des magasins et d’autres établissements, ce qui
constituait selon la requérante un travail lourd. Au mois d’août 1990, Mme Brown a
informé son employeur qu’elle était enceinte. Elle a ensuite connu des difficultés liées à
sa grossesse, et, à partir du 16 août 1990, elle a présenté plusieurs certificats médicaux
d’arrêt de travail de quatre semaines chacun mentionnant différents troubles liés à la
grossesse, comme des douleurs dorsales et des pertes de sang. A partir de cette date,
Mme Brown s’est trouvée en incapacité constante de travail. La société Rentokil avait
inséré une clause dans le contrat la liant à Mme Brown, stipulant que tout travailleur,
masculin ou féminin, serait licencié en cas d’absence pour maladie de plus de vingt-six
semaines sans interruption. La requérante fut informée, lorsque la moitié de ce délai
avait passé, qu’elle devait réintégrer son poste avant le 8 février 1991, sous peine d’être
licenciée. Mme Brown ne put revenir travailler, et reçut le 30 janvier 1991 une lettre de
licenciement prenant effet le 8 février 1991, en application de la clause mentionnée ci-
dessus. Mme Brown a donc été licenciée pendant sa grossesse. Son enfant est né le 22
mars 1991.
Mme Brown se trouvait, en outre, dans la situation où elle n’avait pas travaillé pour
la société Rentokil depuis deux ans à la date du licenciement litigieux. Elle ne pouvait
donc bénéficier des dispositions de la loi de consolidation sur la protection de l’emploi
(« Employment Protection (consolidation) Act ») de 1978. L’article 33 de l’Act prévoit
en effet que si elle avait pu se prévaloir de deux années d’emploi accomplies à la fin de
1990 pour la société Rentokil, elle aurait eu le droit de s’absenter du travail pour cause
de grossesse à partir de la onzième semaine avant la date prévue de l’accouchement,
ainsi que de reprendre son travail à tout moment dans un délai de vingt-neuf semaines
après l’accouchement.
Mme Brown a alors contesté la décision de licenciement de Rentokil devant
l’Industrial Tribunal, en affirmant qu’il était contraire à la loi nationale prohibant la
discrimination à raison du sexe, le « Sex Discrimination Act » de 1975. Cette juridiction
rejeta le recours, tout comme l’Employment Appeal Tribunal devant lequel Mme Brown
avait fait appel de la décision. La juridiction suprême du Royaume-Uni, la House of
Lords, a été saisie en appel le 18 janvier 1995. Afin de résoudre le litige, la Chambre
59
des Lords a posé à la Cour de Justice des Communautés européennes plusieurs
questions préjudicielles. Dans la première, le juge nationale cherchait à déterminer si, en
substance, la directive 76/207/CEE, et notamment ses articles 2, premier paragraphe et
5, premier paragraphe, s’opposait au licenciement d’un travailleur féminin à un moment
quelconque de sa grossesse, en raison d’une absence due à une maladie trouvant son
origine dans ladite grossesse, et si la clause contractuelle permettant à l’employeur de
licencier tout travailleur, quel que soit son sexe, après un nombre déterminé de semaines
d’absences continues avait une incidence sur la réponse à apporter. Ensuite, la House of
Lords demandait en substance si la directive 76/207/CEE était contraire aux dispositions
d’une législation nationale telle qu’en l’espèce, qui subordonnait les mesures de
protection contre le licenciement pendant la grossesse, pour motif d’absence durant
cette période, à une durée préalable d’emploi, lorsque le licenciement intervient pendant
la grossesse. En outre, elle cherchait toujours à établir si une clause contractuelle
permettant à l’employeur de licencier tout travailleur, quel que soit son sexe, après un
nombre déterminé de semaines d’absences continues, avait une incidence sur la réponse
à la question.
Au cours de l’audience, les parties se sont affrontées sur l’interprétation qu’il fallait
donner à la jurisprudence de la Cour de justice dans le domaine de la protection de la
femme enceinte, ce que l’Avocat général Ruiz-Jarabo Colomer relève avec une certaine
inquiétude144. Un problème de sécurité juridique semble donc se poser, et il invite la
Cour, à la suite de son analyse, à répondre certes aux questions préjudicielles de la
House of Lords, mais également à clarifier la jurisprudence existante. Monsieur
l’Avocat général dresse alors le bilan de cette jurisprudence, et revient plus
particulièrement, en raison des circonstances de l’affaire Brown, sur la jurisprudence
Larsson145. Mentionnant ses propres conclusions sur ce dernier arrêt, il ne fait pas
mystère de la perplexité qui l’a frappé lors du prononcé de l’arrêt : « Je dois avouer
qu’il m’est franchement difficile de concilier [les] affirmations [de la CJCE dans l’arrêt
144 M. Ruiz-Jarabo Colomer indique notamment, au point 14 de ses conclusions sur l’arrêt Brown : « [s]efondant sur la même jurisprudence que celle invoquée par la requérante pour aboutir à la conclusionopposée, la défenderesses fait valoir […] ». Mais surtout, il relève, au point 24 de ses conclusions : « Il peutne pas paraître extraordinaire, à première vue, que les quatre seuls arrêts rendus en la matière jusqu’àl’expiration du délai pour présenter les observations écrites dans la présente affaire, à savoir les arrêtsDekker, Hertz, Habermann-Beltermann, et Webb, aient été utilisés par les parties au principal […] pourdéfendre des positions aussi opposées. Ce qui est plus surprenant, et même préoccupant, est que tousinvoquent les mêmes points des motifs pour fonder leurs positions respectives. »145 CJCE, 29 mai 1997, aff. C-400/95, précité
60
Larsson] avec la ligne jurisprudentielle suivie par la Cour jusqu’au prononcé de cet
arrêt […]. Non seulement elle paraît défendre, dans l’arrêt Larsson, une position
contraire à celle qui se déduit de la simple lecture de ses décisions antérieures, mais
elle contredit directement l’interprétation qu’ont donnée de ces dernières, aussi bien
ses avocats généraux, que les nombreux auteurs qui y ont consacré des commentaires ».
Il fait en outre remarquer que la réponse de la cour dans l’arrêt Larsson ne vise le
moment auquel les absences ont eu lieu, ni que ces absences ont été causées par une
maladie due à la grossesse, pas plus qu’elle ne précise le moment où le licenciement à
eu lieu. Il demande donc à la Haute Juridiction communautaire, « étant donné les
lacunes qui l’affectent », qu’elle se prononce « avec clarté » sur le principe d’égalité
entre les travailleurs féminins et masculins dans le cas des licenciements des
travailleuses qui ont eu lieu pendant la grossesse ou après le congé de maternité et pour
lesquels sont pris en compte les périodes d’incapacité de travail dues à la grossesse,
intervenues avant le congé maternité146.
La Cour, suivant cette fois l’analyse de son avocat général, déclare, que « […]
contrairement à ce qu’[elle] a jugé dans l’arrêt du 29 mai 1997, Larsson, lorsqu’un
travailleur féminin est absent en raison d’une maladie qui trouve son origine dans la
grossesse ou dans l’accouchement, dans l’hypothèse où cette maladie est apparue au
cours de la grossesse et s’est prolongée pendant et après le congé de maternité,
l’absence non seulement pendant le congé de maternité, mais également pendant la
période qui va du début de la grossesse au début du congé de maternité, ne peut être
prise en compte pour le calcul de la période qui justifie son licenciement en droit
national »147. En effet, le licenciement d’un travailleur féminin dans ces conditions est
lié à la survenance des risques inhérents à la grossesse et doit être regardé comme fondé
essentiellement sur le fait de la grossesse. Ainsi, un tel licenciement ne pouvant
concerner que les femmes, il constitue dès lors une discrimination directe fondée sur le
sexe, et par conséquent il est interdit148.
La clause contractuelle qui prévoit pour tous les travailleurs, quel que soit leur sexe,
des modalités identiques de licenciement (vingt-six semaines ininterrompues d’absence
146 point 50 des conclusions sur l’arrêt Brown, précité147 CJCE, 30 juin 1998, Brown, précité, point 27 des motifs148 CJCE, 30 juin 1998, Brown, précité, point 24
61
pour cause de maladie) n’a aucune incidence sur la réponse de la Cour. En effet, la
discrimination ne consiste pas seulement dans l’application de règles différentes à des
situations comparables, mais également dans l’application de la même règle à des
situations différentes149. Or, la clause contractuelle ignore la spécificité de la situation
de la travailleuse enceinte, qui se trouve dans une incapacité de travail causée par les
troubles liés à la grossesse. Elle assimile cette situation à celle d’un homme qui est
absent pour incapacité de travail lié à une maladie pendant le même laps de temps. Cette
clause constitue dès lors, effectivement, une application de la même règle à des
situations différentes. Elle doit donc être qualifiée de directement discriminatoire à
raison du sexe.
Enfin, pour en terminer avec la protection de la femme relative à sa relation de
travail pendant la grossesse, la Cour a été amenée à juger qu’il y avait discrimination
fondée sur le sexe lorsqu’un employeur ne verse pas l’intégralité du salaire d’une
employée qui se trouve dans l’incapacité de travailler du fait d’une maladie directement
liée à sa grossesse alors qu’un travailleur masculin en incapacité totale de travailler
aurait perçu l’intégralité de son salaire, dans l’arrêt Hoj Pedersen150. Trois hypothèses
sont mentionnées par la juridiction nationale de renvoi quant aux absences pour
maladies liées à la grossesse. D’abord, la circonstance que la grossesse aggrave
sensiblement une maladie qui n’est pas liée par ailleurs à la grossesse. Ensuite, celle que
l’absence est due à une maladie causée directement par la grossesse. Enfin, celle que
l’absence est due au fait que la grossesse a un déroulement pathologique et que la
poursuite de l’activité professionnelle comporte un risque pour la santé de la femme ou
du fœtus. En tout état de cause, les incapacités de travail dont les requérantes ont été les
victimes résultent d’un état pathologique lié à la grossesse qui « doit être regardé
comme fondé essentiellement sur la grossesse »151 et par conséquent, les priver, avant le
début de leur congé de maternité, de l’intégralité de leur salaire est discriminatoire.
149 Voir, notamment, CJCE, 13 novembre 1984, Racke, aff. 283/83, Rec. 1984, p. 3791, point 7 ; CJCE, 14février 1995, Schumacker, aff. C-279/93, Rec. 1995, p. I-249, point 30 ; CJCE, 13 février 1996, Gillespie e.a., aff. C-342/93, Rec. 1996, p. I-475, point 16150 CJCE, 19 novembre 1998, Hoj Pedersen e. a., aff. C-66/96, Rec. 1998, p. I-7327151 CJCE, 19 novembre 1998, Hoj Pedersen, précité, point 35 des motifs.
62
SECONDE PARTIE :
LES INCOHERENCES DE LA NOTION DE MATERNITE
EN DROIT COMMUNAUTAIRE
La reconnaissance de droits très étendus applicables à la protection de la grossesse,
tant dans la législation communautaire que dans la jurisprudence de la Cour de justice,
laisserait supposer que le statut réservé à la maternité, dont la grossesse n’est que la
période liminaire, soit sensiblement aussi favorable à l’égard de la travailleuse. Or,
force est de constater que la construction juridique de la notion de maternité en droit
communautaire, établissant une spécificité radicale de cet état par rapport à la situation
de tout autre travailleur, ne confère à la femme que des droits limités et partiels à l’issue
de son congé de maternité, et, de manière tout aussi préoccupante, pendant ledit congé
de maternité. En effet, le droit communautaire fonde une distinction fondamentale entre
grossesse et maternité qui aboutit à un « système compartimenté »152, dans lequel la
maternité n’est pas appréhendée comme un droit fondamental des femmes.
C’est ce contraste flagrant entre ces deux états, qui sont pourtant indissolublement
liés entre eux, qui incite à relativiser la protection généreuse de la période de grossesse
en droit communautaire. En effet, les dispositions relatives à la protection de la
grossesse ont été interprétées comme des mesures devant déboucher sur une égalité
réelle et concrète entre les hommes et les femmes dans le domaine professionnel153.
Mais, compte tenu du champ d’application temporel des mesures protectrices, restreint à
cette seule période de grossesse, le droit communautaire n’est pas à même d’éliminer
toutes les conséquences défavorables de la grossesse pour les femmes (chapitre 1). Ces
dernières rencontrent en effet de grandes difficultés pour parvenir à la conciliation
périlleuse entre leurs obligations familiales et professionnelles, sans que le droit
communautaire ne propose, en son état actuel de développement, de véritable
alternative afin de répartir de manière plus égalitaire les charges familiales entre
hommes et femmes (chapitre 2).
152 Masselot (A.), Berthou (K.), « La CJCE, le droit de la maternité et le principe de non-discrimination : versune clarification ? », Cahiers de droit européen, n° 5-6/2000, p. 638153 CJCE, 30 avril 1998, Thibault, aff. C-136/95, Rec. 1998, p. I-2011, point 26 des motifs
63
Chapitre 1 – Egalité substantielle et grossesse
La Cour, dans les arrêts qu’elle a rendus dans le domaine de protection de la
grossesse, a progressivement reconnu que le principe d’égalité de traitement entre
hommes et femmes, qui sous-tend cette protection, doit être appliqué afin de déboucher,
non sur une égalité formelle, mais sur une égalité substantielle entre les sexes. Cette
approche « substantialiste » apparaît explicitement pour la première fois dans l’arrêt
Thibault de 1998154, mais elle était déjà présente dans nombre d’analyses des avocats
généraux dans leurs conclusions sur les affaires antérieures, à partir de 1990, dans le
domaine de la protection de la femme enceinte ou venant d’accoucher, sans que la Cour
ne le consacre expressément (section 1). Cependant, l’application que fait la CJCE de ce
principe d’égalité substantielle apparaît particulièrement sélective, puisque toutes les
conséquences dommageables de la grossesse pour la femme ne sont pas considérées de
la même manière pour refuser ou justifier un traitement défavorable de celle-ci (section
2).
Section 1 – La reconnaissance d’un régime d’égalité substantielle applicable à
la grossesse
C’est l’analyse, par la CJCE, des finalités des mesures de protection, par analogie
avec les dispositions communautaires d’action positive en faveur de la femme, qui lui
font reconnaître que la directive 76/207/CEE et la directive 92/85/CEE doivent
déboucher, dans le domaine de la grossesse, sur une égalité réelle entre les femmes et
les hommes (paragraphe 1). Cependant, au vu de la réserve qui caractérise la CJCE dans
l’appréhension des mesures de discrimination positive, certaines incertitudes persistent
quant à la portée effective des mesures de protection de la femme enceinte (paragraphe
2)
154 CJCE, 30 avril 1998, CNAVTS c/ Evelyne Thibault, aff. C-136/95, Rec. 1998, p. I-2011. Au point 26, laCour énonce : « Dans cette perspective, la directive [76/207/CEE] vise à déboucher sur une égalitésubstantielle et non formelle ».
64
Paragraphe 1 – Mesures d’actions positives et protection de la grossesse
La consécration tardive de l’application d’un régime d’égalité substantielle à la
grossesse doit se lire, selon nous, en relation avec les débats doctrinaux qui ont suivi
l’arrêt Kalanke155. Dans cette affaire, la Cour de justice avait donné une interprétation
très restrictive, et très critiquée, de l’article 2, paragraphe 4, de la directive 76/207/CEE
qui dispose qu’elle « ne fait pas obstacle aux mesures visant à promouvoir l’égalité des
chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui
affectent les chances des femmes ». Cette mesure à finalité compensatrice, que l’on peut
analyser comme autorisant les discriminations « positives » au bénéfice des femmes,
laisse à penser que la directive 76/207/CEE ne se satisfait pas de l’énoncé d’une égalité
des droits (égalité dite « formelle »), entre les sexes, mais incite les Etats membres à
prendre des mesures correctrices pour que les handicaps sociaux des femmes
disparaissent, et que cette égalité advienne en fait156. Elle vise donc, par la mise en
œuvre d’« inégalités compensatrices », temporaires par définition, l’instauration d’une
égalité réelle, concrète, dite encore égalité « substantielle » entre les sexes, au-delà du
simple discours qui la pose en principe.
Or, il est possible de percevoir une analogie entre les dispositions de l’article 2,
paragraphe 4, et celles de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 76/207/CEE. C’est
d’ailleurs la conviction de l’Avocat général Darmon au point 26 de ses conclusions sur
l’affaire Dekker157, lorsqu’il analyse la finalité l’article 2, paragraphe 3, de la directive
76/207/CEE, qui dispose, rappelons-le, que celle-ci « ne fait pas obstacle aux
dispositions relatives à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la
grossesse et la maternité ». Il souligne l’objectif protecteur et compensateur de cette
disposition, lorsqu’il affirme qu’elle « […] ne vise qu’à permettre aux Etats membres
de prendre des mesures contraires au principe de l’égalité de traitement, de manière à
accorder une protection particulière aux travailleurs féminins, par exemple en leur
réservant le bénéfice de certains droits. En d’autres termes, il s’agit notamment de ce
que le droit américain connaît sous le nom de « affirmative action ».
155 CJCE, 17 octobre 1995, Kalanke, aff. C-450/93, Rec. 1995, p. I-3051156 Alibert (C.), « L’égalité… du traité de Rome au traité d’Amsterdam » in Les cahiers du Centre d’étudeseuropéennes, L’égalité entre les hommes et les femmes et le droit social communautaire, n° 2, novembre1999, pp. 19157 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-177/88, Rec. 1990, p. I-3941
65
L’Avocat général Tesauro, dans le point 11 de ses conclusions sur l’affaire
Habermann-Beltermann158 est encore plus explicite : « […] c’est la situation spécifique
de la femme au cours de la période précédant et suivant immédiatement l’accouchement
qui fait l’objet d’une protection spéciale et, ainsi, de l’inégalité possible de traitement
[à son avantage]. A bien considérer la question, les dispositions adoptées en
application de l’article 2, paragraphe 3, de la directive [comme en l’espèce,
l’interdiction du travail de nuit des femmes enceintes] ne peuvent pas, si ce n’est
improprement, être qualifiées de dérogations au principe d’égalité, puisqu’elles tendent
plutôt à assurer l’effectivité substantielle du principe d’égalité, en permettant les
« inégalités » qui sont nécessaires pour la réaliser. Il s’agit, en définitive, d’une
hypothèse dans laquelle un traitement différent est autorisé ou imposé en faveur et en
vue de la protection des travailleuses, afin de parvenir à une égalité substantielle et non
pas formelle, qui serait au contraire la négation de l’égalité »159.
Il réaffirme avec force cette conviction dans ses conclusions sur l’arrêt Webb160,
lorsqu’il déclare, au point 8, « […] que l’égalité substantielle entre hommes et femmes
[qui se traduit par l’interdiction des discriminations directes fondées sur le sexe] en
matière d’emploi implique qu’il ne soit tenu aucun compte ni au moment de l’accès à
l’emploi, ni pendant le rapport d’emploi, d’un événement [la grossesse] qui – par
définition – n’affecte que les femmes. La logique sous-jacente aux arrêts Dekker et
Hertz a donc pour conséquence – il ne pouvait en être autrement – que la directive
[76/207/CEE] doit être lue de manière à déboucher sur une égalité substantielle et non
formelle qui serait, au contraire, la négation même de l’égalité ». C’est ainsi, qu’en
conséquence, les réserves de la Cour de justice face aux mesures d’action positive
marquent également les dispositions à visée protectrice, telles que celles relatives à la
grossesse.
158 CJCE, 5 mai 1994, aff. C-421/92, Rec. 1994, p. I-1657159 C’est nous qui soulignons. On retrouve ici clairement la thèse de « l’inégalité compensatrice », mutatismutandis, développée par M. Virally dans son « Cours général de droit international public », Recueil desCours de l’Académie de Droit international, n° 183, 1983, p. 86, cité par Henri Labayle in « Egalité dessexes et traitement du sexe le plus favorisé dans la Communauté … », précité, p. 41160 CJCE, 14 juillet 1994, aff. C-32/93, Rec. 1994, p. I-3567
66
C’est donc en 1995, dans l’arrêt Kalanke, que la Cour s’est prononcée sur le sujet
des discriminations positives et de la place à accorder à de telles mesures dans
l’application du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes. Dans cette
affaire était mise en cause la législation du Land de Brême relative à l’égalité entre
femmes et hommes dans les services publics.Celle-ci disposait, en substance, que les
candidates à un poste devaient, si elles possédaient des qualifications égales à celles de
leurs concurrents masculins, être prises en considération en priorité dans les secteurs
dans lesquels elles étaient numériquement sous-représentées, c’est-à-dire, selon la
législation litigieuse, dans les secteurs où elles ne représentaient pas la moitié au moins
des effectifs aux grades concernés de la carrière considérée dans le service. Bien que
cette règle ne fût assortie d’aucune exception, le juge national avait indiqué à la Cour de
justice que cette législation devait, conformément à la loi fondamentale allemande, être
interprétée en ce sens que l’équité devait néanmoins amener à faire, le cas échéant, une
exception à ce « privilège ».
Le requérant au principal, M. Kalanke, contestait la promotion, au poste de chef de
département du service des espaces verts de la ville de Brême, de Mme Glissman,
possédant des qualifications considérées comme égales aux siennes pour le poste et
nommée au bénéfice de la règle de priorité, du fait de la nette sous-représentation des
femmes à ce grade.
M. Kalanke a alors saisi l’Arbeitsgericht (tribunal du travail) et demandé d’être
nommé au poste vacant, au motif que la loi du Land de Brême instaurerait un système
de quota contraire aux dispositions du droit national allemand. Mais son recours fut
rejeté en première instance ainsi qu’en appel. Cependant, la juridiction d’appel, le
Bundesarbeitsgericht, a conclu que le droit national allemand ne permettait pas de
trancher définitivement le litige dont la résolution dépend de l’applicabilité de la loi du
Land de Brême en cause. La solution à cette question renvoie, selon le
Bundesarbeitsgericht, à l’interprétation de la directive 76/207/CEE. Il a donc saisi la
Cour de justice des Communautés européennes de deux questions préjudicielles sur la
compatibilité de la mesure prévue par la loi du Land de Brême avec l’article 2,
paragraphe 4, de la directive 76/207/CEE.
67
Paragraphe 2 – La réserve de la CJCE quant aux mesures d’action positive
La Cour a d’abord constaté qu’une règle de priorité en faveur de l’un ou de l’autre
sexe rompt l’égalité de traitement dans les conditions de travail, et enfreint donc, en
principe, la directive. Bien que la Cour examine ensuite le point de savoir si la
réglementation nationale litigieuse pouvait être justifiée par les dispositions de l’article
2, paragraphe 4, de la directive, cette première affirmation de la cour appelle une
remarque. En déclarant qu’une telle règle de priorité occasionne une rupture d’avec le
principe d’égalité entre les sexes, la Cour postule que l’égalité existe déjà dans les faits,
puisque la discrimination à raison du sexe est prohibée parce que, justement, elle la
rompt. Cette position de la Cour n’apparaît cependant guère réaliste : « [r]ien n’est
moins vrai dans la réalité que cet équilibre prétendu. Chacun sait bien que l’égalité
professionnelle entre hommes et femmes est bien davantage à construire qu’à défendre,
et, de ce point de vue, réduire avec le juge et le législateur communautaires le principe
[d’égalité entre les sexes] à un refus de la discrimination risque de le stériliser par
avance »161.
La Cour poursuit pourtant son raisonnement relatif à l’article 2, paragraphe 4, de la
directive 76/207/CEE en rappelant son arrêt Commission c/ France du 25 octobre
1988162. La Cour avait relevé que cette disposition avait pour but précis et limité
d’autoriser des mesures qui, tout en étant discriminatoires selon leurs apparences,
visaient effectivement à éliminer ou à réduire les inégalités de fait pouvant exister dans
la réalité de la vie sociale. Elle a alors précisé que ces dispositions autorisaient des
mesures nationales dans le cadre du domaine de l’accès à l’emploi, y compris la
promotion, qui, en favorisant spécialement les femmes, avaient pour but d’améliorer
leurs capacités de concourir sur le marché du travail et de poursuivre leur carrière sur un
pied d’égalité avec les hommes.
Puis la Cour a repris l’analyse du Conseil, formulée dans une recommandation
relative à la promotion des actions positives en faveur des femmes163, selon laquelle les
161 Labayle (H.), « Egalité des sexes et traitement du sexe le plus favorisé dans la Communauté… », précité,p. 40162 CJCE, 25 octobre 1988, aff. 312/86, Rec. 1988, p. 6315163 Recommandation 84/635/CEE du Conseil, du 13 décembre 1984, JOCE n° L 331 du 19 décembre 1984, p.34
68
normes relatives à l’égalité de traitement « […] sont insuffisantes pour éliminer toute
forme d’inégalité de fait si, parallèlement, des actions ne sont pas entreprises de la part
des gouvernements, des partenaires sociaux et d’autres organismes concernés, en vue
de compenser les effets préjudiciables qui, pour les femmes dans la vie active, résultent
d’attitudes, de comportements et de structures de la société ».
Mais elle a considéré que l’article 2, paragraphe 4, de la directive 76/207/CEE
constituait une dérogation à un droit individuel reconnu par le droit communautaire, et
devait donc faire l’objet d’une interprétation restrictive. Elle estime alors que la
réglementation en cause garantit une « priorité absolue et inconditionnelle aux femmes,
lors d’une nomination ou d’un avancement ». Par conséquent, les dispositions
nationales litigieuses vont au-delà de la promotion de l’égalité des chances prévue
textuellement à l’article 2, paragraphe 4, de la directive 76/207/CEE.
Elle a en effet retenu qu’un système tel qu’en cause assurait d’office le résultat
auquel la mise en œuvre d’une telle égalité des chances pouvait, le cas échéant, aboutir.
En d’autres termes, le système national substituait une égalité de résultat à l’égalité des
chances voulue par la directive et réalisait ainsi une égalité au point d’arrivée au lieu
d’une égalité au point de départ. La Cour en a conclu que la législation en cause dans le
litige au principal était contraire aux règles édictées par la directive 76/207/CEE.
Cet arrêt a fait l’objet de très nombreux commentaires et, surtout, de très
nombreuses critiques de la part des observateurs, dans la mesure où il semble porter un
« coup d’arrêt »164, ou, à tout le moins, donner un « sérieux coup de frein »165 aux
initiatives en matière d’action positive en faveur du sexe sous-représenté, au point que
la commission elle-même a publié d’abord une communication sur l’interprétation de
l’arrêt Kalanke166, avant de proposer une modification de la directive 76/207/CEE
visant à tirer les conséquences de cet arrêt167.
164 Pourtaud (D.), « l’Union européenne et la mise en œuvre de l’égalité des chances entre hommes etfemmes », Les rapports du Sénat, n° 293, 1996-1997, p. 21165 Charpentier (L.), « L’arrêt Kalanke, expression du discours dualiste de l’égalité », précité, p. 282166 27 mars 1996, COM (96) 88 final167 Commission européenne, Proposition de directive du Conseil modifiant la directive relative à la mise enœuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, àla formation et à la promotion professionnelles et les conditions de travail, 27 mars 1996, COM (96) 93 final
69
Dans sa communication la Commission a estimé que la Cour de justice n’avait
condamné que le régime automatique de quota du Land de Brême et a fait valoir que
seul la nature « absolue et inconditionnelle » de la priorité donnée aux femmes rendait
illégal le système de Brême. Elle proposait donc de modifier l’article 2, paragraphe 4,
de la directive 76/207/CEE de la manière suivante : « La présente directive ne fait pas
obstacle aux mesures visant à promouvoir l’égalité des chances entre hommes et
femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances du
sexe sous-représenté [ et non plus uniquement des femmes] […]. Parmi les mesures
possibles figure la préférence accordée, en matière d’accès à l’emploi ou à la
promotion, à un membre du sexe sous-représenté, pour autant que de telles mesures
n’excluent pas l’évaluation des circonstances particulières d’un cas précis »168.
Cette initiative a fait elle-même l’objet de critiques sévères, tant dans les Etats
membres qu’au sein du Parlement européen, qui regrettait que « […] la procédure qui a
été suivie par la Commission qui a intégré, sans l’adapter, la jurisprudence de la Cour
dans les textes communautaires »169. En effet, il apparaît singulier de formuler une telle
proposition de modification d’une norme communautaire, lorsque cette dernière n’a pas
été remise en cause par la Cour. Mais surtout, cette initiative a semblé à d’aucuns
prématurée, du fait de la portée incertaine de l’arrêt Kalanke, dont « l’interprétation[…]
est moins aisée qu’il n’y paraît »170. Et cela, essentiellement pour la raison que la loi du
land de Brême n’accorde pas une priorité « absolue et inconditionnelle » aux candidats
féminins, comme la Cour l’affirme pourtant. Il ressort de la simple lecture de la
disposition nationale litigieuse que le traitement préférentiel en cause ne saurait être
« absolu » « […] dès lors qu’il est lié à la démonstration préalable d’une sous-
représentation des femmes dans un secteur ou à un niveau de fonction donnée. Et ce
constat ne constitue pas, non plus, l’unique motif du traitement préférentiel puisqu’une
femme ne peut s’en prévaloir qu’à la condition expresse que sa qualification ait été
reconnue équivalente à celle de son concurrent masculin »171.
168 Sont soulignées les modifications envisagées par la Commission.169 Torres Marques (H.), Rapport au nom de la Commission des droits de la femmes sur la proposition dedirective du Conseil modifiant la directive 86/378/CEE relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité detraitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale, A4-0256/96, 25juillet 1996170 Pourtaud (D.), « l’Union européenne et la mise en œuvre de l’égalité des chances entre hommes etfemmes », Les rapports du Sénat, précité, p. 24171 Charpentier (L.), « l’arrêt Kalanke, expression du discours dualiste de l’égalité », précité, p. 287
70
En outre, l’ambiguïté persiste lorsque la Cour déclare que le système national en
cause « […] substitue à l’égalité des chances envisagées à l’article 2, paragraphe 4, le
résultat auquel seule la mise en œuvre d’une telle égalité des chances pouvait aboutir ».
Or, cette égalité de résultat est bien l’objet de l’ensemble des mesures d’action positive.
Il est donc difficile de percevoir l’étendue exacte de l’interdiction formulée par la
CJCE. C’est dans ce contexte d’incertitude que les juridictions allemandes ont sans
doute été incitées à poser des questions sur la compatibilité de réglementations
analogues afin de permettre à la Cour de justice de préciser sa jurisprudence. Les
affaires Marschall172, Badek173, et Anderson174 lui ont donné l’occasion de le faire.
Dans l’arrêt Marschall, la Cour a déclaré compatible la règle nationale prescrivant,
à égalité de compétences entre un candidat masculin et u candidat féminin, de donner la
priorité à cette dernière, à moins que des motifs tenant à la personne du candidat
masculin ne fasse pencher la balance en sa faveur. L’innovation par rapport à l’affaire
Kalanke venait du fait qu’il existait donc dans la législation nationale une clause dite
d’ouverture expresse en faveur des candidats masculins. Estimant qu’il fallait raisonner,
comme dans l’arrêt Kalanke, par rapport à l’article 2, paragraphe 4, de la directive
76/207/CEE, l’Avocat général Jacobs avait analysé que cette différence était
insuffisante pour justifier la législation qu’il estimait contraire au texte communautaire.
La Cour de justice ne l’a pas suivi et insiste d’emblée sur cette différence, au point 23
des motifs. Elle n’examine dès lors que l’incidence de cette clause d’ouverture au
regard de l’article 2, paragraphe 4, de la directive. Rappelant que, pour différentes
raisons bien connues (point 29), « […]le fait que deux candidats de sexe différent aient
des qualifications égales n’implique pas à lui seul qu’ils ont des chances égales » (point
30). Le juge communautaire semble alors introduire un contrôle de proportionnalité175
qui le conduit à déclarer incompatibles les seules législations accordant aux femmes une
priorité absolue et inconditionnelle.
172 CJCE, 11 novembre 1997, aff. C-409/95, Rec. 1997, p. I-6363173 CJCE, 28 mars 2000, aff. C-158/97, Rec. 2000, p. I-1875174 CJCE, 6 juillet 2000, aff. C-407/98, Rec. 2000, p. I-175 Huglo (J-G.), « Egalité de traitement entre les hommes et les femmes – Notion de discrimination –Dérogations en faveur de la femme. Mise en application du principe », Juris-classeur Europe, fascicule 614,2001, p. 13
71
Ainsi, au point 33 des motifs, la Cour relève qu’une réglementation nationale qui
comporte une clause d’ouverture ne dépasse pas les limites de l’exception de l’article 2,
paragraphe 4 de la directive 76/207, à condition que les candidats masculins soient
certains de voir leur candidature examinée sur la base de critères objectifs, qui ne soient
toutefois pas discriminatoires envers les candidats féminins.
Cette orientation jurisprudentielle a été confirmée par l’arrêt Badek176. Dans cet
affaire, le juge communautaire a conclu à la compatibilité avec la directive 76/207/CEE
des objectifs contraignants d’un plan de promotion des femmes pour des postes de la
fonction publique où elles sont sous-représentées, de l’instauration d’une priorité à
l’embauche en cas d’égalité des qualifications, à condition que les candidatures fassent
l’objet d’une appréciation objective qui tienne compte des situations personnelles des
candidats et que la réglementation nationale n’accorde pas de manière automatique et
inconditionnelle la priorité aux candidats féminins. De mêmes ont été jugées
compatibles avec la directive 76/207/CEE l’attribution de la moitié des places de
formation aux femmes dans les professions qualifiées où elles sont sous-représentées, la
garantie d’être convoquées à des entretiens d’embauche dans les mêmes secteurs,
l’instauration par la législation nationale de l’objectif d’une participation au moins égale
des femmes aux organes représentatifs des travailleurs et aux organes d’administration
et de surveillance.
Enfin, dans l’arrêt Anderson177, la Cour a en revanche censuré la législation
suédoise accordant une priorité aux candidats féminins, même moins qualifiées, sous la
seule condition que ce candidat présente des qualifications suffisantes pour l’emploi à
pourvoir, et que la différence de qualification avec le candidat masculin ne soit pas
d’une importance telle qu’il en résulterait un manquement à l’exigence d’objectivité lors
de l’engagement. Dans cette affaire, la Cour s’est, pour la première fois, fondée sur
l’article 141, paragraphe 4, du traité CE tel qu’il résulte du traité d’Amsterdam, et
modifiant l’article 119 du traité CEE, pour asseoir son argumentation. Elle a précisé
qu’elle donnerait une interprétation de cette disposition dans l’hypothèse où elle jugerait
la législation suédoise incompatible avec l’article 2, paragraphe 4, de la directive
76/207/CEE, ce qui s’est effectivement produit. En effet, le traité d’Amsterdam a
marqué la volonté des Etats membres de conforter leur approche de l’égalité des
chances entre les sexes et peut être à même de justifier une législation nationale telle
qu’en l’espèce. Ainsi, l’article 141, paragraphe 4, du traité CE dispose que « [p]our
assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie
professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un Etat membre de
maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à
faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à
prévenir ou compenser des désavantages dans leur carrière professionnelle ». La Cour
indique que cette disposition ne peut pas non plus justifier la réglementation suédoise en
cause. Ce faisant, la Cour de justice semble vouloir « […] maintenir une conception
uniforme de l’égalité des chances, que ce soit sur le terrain de la directive 76/207 que
sur celui du nouvel article 141 du traité CE »178.
Et c’est bien cette égalité des chances - qui ne saurait avoir d’autre but que
d’éliminer les désavantages que rencontrent les femmes dans la sphère professionnelle -
que semble viser la directive dans le cas particulier de la protection de la grossesse et
des débuts de la maternité. Et effectivement, tout traitement défavorable des femmes,
« pour cause de grossesse ou pour une cause essentiellement fondée sur cet état »179
dans le domaine des relations de travail, pendant leur grossesse ainsi que pendant toute
la durée de leur congé de maternité, est constitutif, semble-t-il, d’une discrimination
directe fondée sur le sexe, et par conséquent, prohibé. Dans cette perspective, il est
parfaitement justifié de refuser, à l’instar de la Cour, toute comparaison de la femme
pendant sa grossesse avec un travailleur masculin, en vue de prouver la
discrimination180. Nous l’avons déjà mentionné, l’égalité substantielle qui doit être
appliquée à la grossesse implique en effet l’interdiction de prendre en considération, au
moment de l’accès à l’emploi ou pendant la durée de la relation de travail, une
178 Huglo (J-G.), « Egalité de traitement entre les hommes et les femmes – Notion de discrimination –Dérogations en faveur de la femme. Mise en application du principe », Juris-classeur Europe, précité, p. 13179 CJCE, 30 juin 1990, Brown, aff. C-394/96, précité, point 16 des motifs. La Cour indique qu’il s’agit làd’une jurisprudence constante.180 Voir en ce sens les arrêts Dekker (8 novembre 1990, aff. C-177/88, précité), Hertz (8 novembre 1990, aff.C-179/88, précité), Webb (14 juillet 1994, aff. C-32/93, précité) et Mahlburg (3 février 2000, aff. C-207/98,précité). Christine Boch note, dans « Où s’arrête l’égalité de traitement, ou de l’importance d’être bien-portante… », précité, p. 182 que, « [e]n renonçant à établir une comparaison, la Cour transcende le strictmodalité d’égalité formelle ».
73
circonstance qui par définition, affecte uniquement les femmes181. Elle implique donc le
rejet de toute possibilité de comparaison avec une norme masculine pendant cette
période. En outre, aucune justification, qu’elle soit d’ordre financier comme dans les
arrêts Dekker182 et Hoj-Pedersen183, d’ordre juridique comme dans l’arrêt Habermann-
Beltermann184, d’ordre organisationnel comme dans l’arrêt Webb185 ne peut être en
principe retenu pour légitimer un traitement discriminatoire.
La grossesse apparaît alors comme une période protégée de manière maximale,
voire absolue, puisque la grossesse ne peut être un terme de cette alternative
parfaitement odieuse que représente le « choix » pour la femme entre avoir des enfants
et une vie de famille ou un emploi et une carrière professionnelle.
Comme le fait remarquer très justement la Cour, « [c’]est en considération du
risque qu’un éventuel licenciement fait peser sur la situation physique et psychique des
travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes, y compris du risque particulièrement
grave d’inciter la travailleuse enceinte à interrompre volontairement sa grossesse, que le
législateur communautaire a, en vertu de l’article 1à de la directive 92/85/CEE du
Conseil, du 19 octobre 1992, […] prévu […] une protection particulière pour la femme
en édictant l’interdiction de licenciement pendant la période allant du début de la
grossesse jusqu’au terme du congé de maternité »186. La jurisprudence de la Cour a
encore étendu, ratione temporis, cette protection aux conditions d’engagement des
femmes enceintes, ainsi que, ratione materiae, à leurs conditions de travail ( par
exemple la notation dans l’arrêt Thibault187, ou une lettre de recommandation dans
l’arrêt Coote c/ Granada Hospitality188).
181 Voir notamment les conclusions de l’Avocat général Darmon sur l’affaire Dekker (8 novembre 1990, aff.C-177/88, précité), de l’Avocat général Tesauro sur l’affaire Webb (14 juillet 1994, aff. C-32/93, précité) etde l’Avocat général Ruiz-Jarabo Colomer sur l’affaire Thibault (30 avril 1998, aff. C-136/95)182 CJCE, 8 novembre 1990, Dekker, aff. C-177/88, précité183 CJCE, 19 novembre 1998, Hoj Pedersen, aff. C-66/96, précité184 CJCE, 5 mai 1994, Habermann – Beltermann, aff. C-421/92, précité185 CJCE, 14 juillet 1994, Webb, aff. C-32/93, précité186 CJCE, 14 juillet 1994, Webb, aff. C-32/93, précité, point 21 ; CJCE, 30 juin 1998, Brown, aff. C-394/96,précité, point 18. Souligné par nous187 CJCE, 30 avril 1998, aff. C-136/95, Rec. 1998, p. I-2011188 CJCE, 22 septembre 1998, aff. C-185/97, Rec. 1998, p. I-5199
74
Ainsi, pour faire valoir l’égalité substantielle que les femmes sont en droit
d’attendre pendant leur grossesse, elles peuvent se fonder sur une lecture combinée des
dispositions de la directive 76/207/CEE et de la directive 92/85/CEE.
Cependant, il faut remarquer ici que ce principe d’égalité substantielle est appliqué
de manière aléatoire par la Cour de justice et que « […] s’il est clair que tout traitement
défavorable en raison de la grossesse constitue une discrimination directe fondée sur le
sexe, il est également clair que les conséquences d’un état de grossesse ne sont pas
toutes traitées de la même façon »189. Ainsi, on ne saurait déterminer avec précision le
moment où il faut reconnaître que le comportement d’un employeur constitue un
traitement défavorable pour une cause « fondée essentiellement » sur la grossesse
(section 2).
189 Boch (C.), « Où s’arrête le principe d’égalité ou de l’importance d’être bien portante… », précité, p. 182
75
Section 2 – Une application sélective du régime d’égalité substantielle du
principe d’égalité
Nous avons déjà rappelé que les conséquences financières, juridiques ou
organisationnelles pour l’employeur d’employer une femme enceinte sont rejetées par la
Cour lorsqu’elles sont invoquées pour justifier la décision d’écarter la femme enceinte
de la sphère professionnelle. Pourtant la Cour accepte qu’une conséquence de la
grossesse puisse constituer, dans certaines circonstances, un motif légitime de
traitement défavorable : la maladie qui trouve son origine dans la grossesse ou
l’accouchement. La maladie est considérée, à l’expiration du congé de maternité190,
comme la raison prépondérante, et légale de surcroît, du traitement défavorable
(paragraphe 1). Ce qui nous laisse en définitive perplexe quant la place que la Cour a
décidée de réserver dans nos sociétés européennes à la maternité, et quant à sa vision de
la difficile conciliation entre le principe d’égalité de traitement et les exigences de la vie
économique qu’occasionne cet événement. En effet, comme le soulignent Annick
Masselot et Katell Berthou, la Cour de justice a instauré, au fil de sa jurisprudence
relative aux droits applicables en cas de problèmes d’incapacité de travail directement
liés à la grossesse ou à la maternité, une segmentation chronologique, une distinction
fondamentale entre grossesse et maternité191. En effet, si la période prénatale est
particulièrement protégée, la travailleuse entrant dans la période postnatale voit sa
situation changer de manière assez radicale (paragraphe 2).
Paragraphe 1 – La légitimité d’un traitement défavorable fondé sur la
maladie
Il s’agit là d’une construction jurisprudentielle de la Cour qui trouve ses plus
solides assises dans l’arrêt Hertz de 1990192. Dans cette affaire, rappelons-le, Mme
Hertz, employée chez Aldi Marked comme caissière et vendeuse à temps partiel, avait
été licenciée pour cause d’absences répétées, dont la cause résidait dans les
complications résultant de sa grossesse pathologique. En effet, un an après son
accouchement, elle avait été en congé de maladie pour cette raison pendant 100 jours
190 Suite à l’arrêt Brown du 30 juin 1998, précité191 Masselot (A.), Berthou (K.), « La CJCE, Le droit de la maternité et le principe de non-discrimination –vers une clarification ? », Cahiers de Droit européen, précité, p. 639192 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-179/88, précité
76
ouvrables, entre juin 1984 et juin 1985. Mme Hertz avait contesté cette décision et la
juridiction nationale saisie de l’affaire avait interrogé la Cour sur la question de savoir
« si la directive 76/207 interdisait le licenciement pour une raison liée à la grossesse ou
à la maternité et si cette protection avait un effet illimité dans le temps »193.
La Cour a opté dans cette affaire pour une solution qui distingue nettement la
maladie de la grossesse. Ce souci, fort louable au demeurant, de ne pas assimiler une
situation affectant exclusivement les femmes à un état pathologique conduit pourtant
« à des résultats assez surprenants au regard de l’objectif de protection de la femme
enceinte »194. La CJCE s’est rangée à l’avis de l’Avocat général Darmon, qui a proposé
une analyse très rigoureuse sur le plan juridique de la question des périodes de maladie
survenues après le congé de maternité, mais trouvant directement leur origine dans la
grossesse et l’accouchement. Celui-ci commence par relever la complexité de cette
question, et avoue qu’il a été tenté de proposer à la Cour « […] une solution dans
laquelle les états pathologiques qui seraient les conséquences de façon directe, certaine
et prépondérante de la grossesse ou de l’accouchement bénéficieraient d’une sorte
d’« immunité » en ce sens que le principe de l’égalité de traitement s’opposerait à la
possibilité pour l’employeur, durant un délai raisonnable à compter de l’événement
considéré, de licencier son employée ».
Cette solution, effectivement, se placerait logiquement dans la ligne de l’arrêt
Dekker, où, rappelons-le à nouveau, constitue une discrimination directement fondée sur
le sexe un traitement défavorable à l’endroit des femmes (en l’occurrence, le refus
d’engagement) pour cause de grossesse ou pour un motif « fondé essentiellement sur le
fait de la grossesse »195. Il est absolument hors de doute que les maladies, qui sont les
« conséquences de façon directe, certaine et prépondérante » de la grossesse, selon les
termes mêmes de M. Darmon, et lorsqu’elles entraînent un traitement défavorable pour
la femme, doivent être vues comme fondées essentiellement sur le fait de la grossesse :
sans la grossesse, de telles maladies ne seraient jamais survenues.
193 Waelbroeck (M.), Frignani (A.) , Commentaire J. MEGRET, le droit de la CE, tome7, Politique sociale,Education et jeunesse, précité, p. 141194 Chavrier (H.), Truchot (L.), Coulon (E.), Loriot (G.), « Chronique générale de jurisprudencecommunautaire, le droit matériel : janvier 1997 – décembre 1998, Sixième partie, le droit socialcommunautaire », Revue du Marché commun et de l’Union européenne, n° 440, juillet-août 2000, p. 490195 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-177/88, précité, point 12
77
Elles devraient donc ne pas être prises en considération dans le déroulement de la
relation d’emploi, afin d’établir « la stricte égalité »196 entre les travailleurs des deux
sexes, puisque la grossesse et ses conséquences affectent « exclusivement » les
travailleurs féminins, pour reprendre les termes de l’Avocat général dans ses
conclusions relatives à l’affaire Dekker. Or, cette logique n’est pas retenue.
Paragraphe 2 – les justifications invoquées
Deux motifs sont en effet invoqués pour rejeter cette conclusion. L’une tient dans la
formule rhétorique « En l’état actuel du droit communautaire ». Vu le développement
inachevé et insuffisant de l’intégration communautaire au moment de l’affaire Hertz, la
directive 76/207/CEE, qui « impose la stricte égalité de traitement entre les travailleurs
masculins et féminins », implique uniquement « l’interdiction de traiter les états
pathologiques trouvant leur origine dans la maternité moins favorablement que ceux
ayant une autre origine. Elle n’impose nullement aux Etats membres l’obligation de
prévoir des discriminations positives en traitant mieux ceux-là que ceux-ci, mais leur en
laisse simplement la faculté »197. Nous considérons cet argument particulièrement
fallacieux. En effet, il ne nous semble pas que reconnaître la spécificité des états
pathologiques liés à la grossesse puisse s’analyser comme une mesure d’action positive
à proprement parler, comme l’avait d’ailleurs reconnu M. Darmon dans ses mêmes
conclusions. Et l’assimilation des maladies trouvant leur origine dans la grossesse aux
maladies touchant sans distinction les hommes et les femmes ne peut être perçue que
comme une forme de discrimination, au sens où la même règle, la prise en compte des
états pathologiques dans le déroulement de la relation de travail, est appliquée à des
situations différentes par nature. Car, à l’évidence, ce type de maladie ne saurait affecter
par nature que les travailleuses.
Enfin, M. Darmon semble ici privilégier, de manière surprenante, une vision non
plus substantielle mais formelle de l’égalité qui doit s’appliquer aux maladies liées à la
grossesse, alors que la « stricte égalité » entre les travailleurs exigeait précédemment
que soit appliqué un principe d’égalité substantielle à cet événement affectant
196 « Stricte égalité » qu’il faut ici entendre au sens substantiel du terme : c’est l’égalité réelle qui estrecherchée, puisque justement elle ne saurait s’accommoder d’une situation affectant exclusivement lesfemmes.197 Conclusions de l’Avocat général Darmon sur l’affaire Dekker, précité, point 44.
78
uniquement les femmes. Ce glissement de l’une à l’autre forme de l’égalité, qui
demeure inexpliqué, est très significatif de l’ambiguïté de la notion d’égalité en droit
communautaire. Comme d’aucuns le soulignent il est « révélateur du caractère
problématique de la logique de traitement égal »198, ce qui se déduisait de l’approche
retenue par la Cour des véritables mesures de discrimination positive, dans l’arrêt
Kalanke199 notamment.
L’Avocat général Darmon entretient donc une confusion regrettable en assimilant
mesure de protection de la grossesse et mesure de discrimination positive, et présente
ensuite une opposition toute rhétorique entre égalité formelle, « principe supérieur,
neutre et universel »200, et ces actions positives –qui sont certes deux modalités
complémentaires d’actions visant à déboucher sur l’égalité substantielle entre hommes
et femmes, mais qui sont irréductibles l’une à l’autre.
Mais il va plus loin dans son analyse : il met ensuite en avant l’argument que la
protection de certaines femmes souffrant de grossesses pathologiques est à même
d’emporter des conséquences désastreuses pour toutes les femmes sur le marché du
travail.
En effet, protéger les femmes enceintes contre les conséquences pathologiques de
leur grossesse en cas de complication de cette dernière est susceptible d’entraîner de
nombreuses difficultés financières pour l’employeur. De telle sorte que les employeurs
pourraient être tentés, « vraisemblablement sous de fallacieux prétextes » de refuser
d’embaucher des femmes enceintes ou même des femmes dont l’âge peut laisser prévoir
une prochaine maternité201. « L’on mesure ici combien une solution protectrice de
quelques femmes ayant eu de graves difficultés postnatales – c’est-à-dire en termes de
statistiques un pourcentage heureusement infime de situations – risque de comporter
des dangers pour l’ensemble des femmes désirant accéder au marché du travail »202.
198 Charpentier (L.), « L’arrêt Kalanke, expression du discours dualiste de l’égalité », précité, p. 286. Nousavons vu que la Cour n’a infléchi sa jurisprudence que pour les cas où certaines clauses d’ouvertures sontexpressément prévues par les législations nationales. Et la réserve de la Cour quant à ce type de mesured’action positive persiste.199 CJCE, 17 octobre 1995, aff. C-450/93, précité200 Charpentier (L.), « L’arrêt Kalanke, expression du discours dualiste de l’égalité », précité, p. 288201 Conclusions de l’Avocat général Darmon sur l’affaire Dekker, précité, points 45 et 46.
79
On ne laisse pas d’être étonné à la lecture de cet argument, lorsque, quelques lignes
auparavant, M. Darmon précisait justement qu’il ne lui paraissait pas le principe de
l’égalité de traitement, tel qu’il se proposait de le considérer, dans une perspective
substantialiste rappelons-le, « […] doivent céder le pas devant de telles difficultés
[financières] »203. Il se rend d’ailleurs compte lui-même de la relative faiblesse de son
argument, puisqu’il évoque juste ensuite les difficultés, bien plus sérieuses à vrai dire,
de l’application effective de telles mesures protectrices qui s’étendrait même après
l’expiration du congé de maternité. Si les difficultés des employeurs les incitent à ne pas
embaucher de femmes enceintes ou laissant prévoir une maternité éventuelle, et que ce
comportement est interdit par principe, il n’est pas sûr que de tels comportements
puissent être aisément constatés et sanctionnés. En outre, une autre source de difficultés
se fait jour : « […] [l]es critères que [la] Cour pourrait adopter pour définir dans quels
cas l’état pathologique doit ressortir de la protection due à la maternité – existence
d’un lien de causalité directe, certain et prépondérant – ainsi que pour déterminer
selon quelle la durée cette protection est applicable – recours à une notion difficile à
cerner de délai raisonnable - nous apparaissent devoir mettre dans l’embarras tant les
juge nationaux que les employeurs »204.
Pour réelles qu’elles soient, ces difficultés ne nous semblent guère insurmontables.
Un certificat médical dûment délivré par un médecin permet de décerner cette causalité
qui se doit d’être « directe, certaine et prépondérante », sans que l’on distingue très bien
d’ailleurs l’opportunité de cette triple qualification : y aurait-il ainsi plusieurs catégories
de causalité directe ?
Quant à la question certes plus épineuse de la durée de la protection, nous nous
permettrons d’y répondre en en posant une autre : la maternité serait-elle donc limitée
dans le temps, n’aurait-elle de reconnaissance juridique et sociale que pendant la
grossesse et la période du congé de maternité ?205 Comme le dit si éloquemment M.
202 Conclusions de l’Avocat général Darmon sur l’affaire Dekker, précité, point 46203 Conclusions de l’Avocat général Darmon sur l’affaire Dekker, précité, point 30204 Conclusions de l’Avocat général Darmon sur l’affaire Dekker, précité, point 47205 Dans une société « idéale » où la maternité ne serait qu’une période avant la prise en charge, parfaitementéquilibrée entre les parents, des enfants, cette conception s’imposerait d’elle-même. Or, nous savonspertinemment qu’il n’en est rien : les charges parentales (que l’on devrait qualifier de « maternelles » sanshypocrisie) restent essentiellement le fait de la mère. La question de la conciliation des charges familiales etdes impératifs professionnels demeure encore, malheureusement, une problématique typiquement« féminine ». Certes, certaines évolutions sont perceptibles au sein des couples et des familles, mais elles ne
80
Darmon lui-même au point 23 de ses conclusions sur la présente affaire : « [p]oser le
problème, c’est parfois y répondre ». Une réponse s’impose dès lors : la protection de la
femme contre les maladies qui surviennent du fait de sa grossesse serait vidée de toute
substance, ou d’une bonne partie de celle-ci à tout le moins, si elle se voyait limitée
dans le temps.
Cependant, est-ce réellement à la Cour de justice de proposer cette conclusion ? On
touche là à l’objection majeure, selon nous, de l’Avocat général : « L’on pressent ici
combien une telle solution – dont nous ne contestons pas l’opportunité – suppose
l’intervention d’un législateur, communautaire ou national, qui pourrait avec précision
en fixer les modalités, notamment quant à la durée de cette protection et sa prise en
charge financière »206. Il est certainement injuste en effet de devoir faire supporter le
poids de cette protection sur les seules épaules des employeurs, extrémité à laquelle
serait nécessairement réduite la Cour si elle reconnaissait la non limitation dans le temps
de la protection à accorder à la grossesse, en l’état actuel du droit communautaire.
Cependant, en l’absence d’une décision politique, c’est bien aux juges qu’il appartient
de fixer les limites du principe d’égalité de traitement, et de concilier les intérêts et
droits des employeurs avec ceux des employées.
Dès lors, « [s]oit les tribunaux ignorent la dimension économique et approchent le
traitement défavorable des femmes enceintes comme déterminé par l’état de grossesse
plutôt que par les conséquences de la grossesse sur la bonne marche de l’entreprise ce
qui revient à pénaliser l’employeur pour violation du principe d’égalité, soit les
tribunaux refusent de faire supporter ces coûts par l’employeur et préfèrent, au nom de
la justice, les faire supporter par l’employée »207.
Ce qui se révèle in fine n’être rien d’autre qu’un aveu d’impuissance peut-il
cependant être opposable aux femmes dont la grossesse a présenté de nombreuses et
sérieuses complications ? Pour le moment, force est de répondre par l’affirmative,
sauraient servir, comme actuellement, de « cache-sexe » à une réalité inadmissible, où les femmes ont encoreà remplir seules la majeure partie des obligations sociales posées par les enfants, dans une société finalementplus préoccupée de la production que de sa propre reproduction.206 Conclusions de l’Avocat général Darmon sur l’affaire Dekker, précité, point 47
81
malheureusement. Même s’il est possible de reconnaître une fonction normative à la
jurisprudence de la CJCE208, cette dernière ne peut se substituer au législateur
communautaire. Par conséquent, la Cour ne peut que suivre son avocat général sur cette
affaire, et conclure avec lui que, la directive 76/207/CEE ne visant expressément pas
l’hypothèse de la maladie qui trouve son origine dans la grossesse ou l’accouchement,
« […] il n’y a pas lieu de distinguer la maladie qui trouve son origine dans la grossesse
ou l’accouchement de toute autre maladie. Un tel régime pathologique relève donc du
régime général applicable au cas de maladie »209.
Dès lors, lorsqu’une femme est licenciée pour cause d’absences dues à la maladie,
la « seule question »210 qui se pose (ou, plus exactement, que la directive 76/207/CEE
autorise à poser) est de savoir si elle l’a été dans les mêmes conditions qu’un homme. Si
tel est le cas, il ne saurait y avoir de discrimination directe fondée sur le sexe. C’est
ainsi que « [l]a Cour a opté pour une solution pragmatique qui distingue nettement la
grossesse de la maladie »211.
La jurisprudence ultérieure a consacré cette approche, notamment dans les arrêts
Webb212, Larsson213 et Brown214, où ce dernier ne nous apparaît pas, concernant le
chapitre de la protection de la femme à l’expiration de son congé de maternité, comme
un infléchissement de sa jurisprudence, mais bien comme une nouvelle confirmation de
sa jurisprudence Hertz.
Dans l’arrêt Webb, la cour a ainsi expressément reconnu que « […] l’état de
grossesse n’est aucunement assimilable à un état pathologique, a fortiori à une
indisponibilité d’origine non médicale, situations qui, elles, peuvent motiver le
licenciement d’une femme sans que pour autant ce licenciement soit discriminatoire en
raison du sexe. Dans l’arrêt Hertz […], la Cour a d’ailleurs nettement distingué la
207 Boch (C.), « Où s’arrête le principe d’égalité ou de l’importance d’être bien-portante… », Cahiers deDroit européen, précité, p. 180208 Boulouis (J.), « La fonction normative de la jurisprudence », Droit social, n° 7/8, juillet/août 1989, p. 525209 CJCE, 8 novembre 1990, Hertz, aff. C-179/88, précité, point 16210 CJCE, 8 novembre 1990, Hertz, aff. C-179/88, précité, point 17211 Waelbroeck (M.), Frignani (A.) , Commentaire J. MEGRET, le droit de la CE, tome7, Politique sociale,Education et jeunesse, précité, p. 143212 CJCE, 14 juillet 1994, aff. C-32/93, précité213 CJCE, 29 mai 1997, aff. C-400/95, précité214 CJCE, 30 juin 1998, aff. C-394/96, précité
82
grossesse de la maladie, même dans l’hypothèse où cette dernière trouve son origine
dans la grossesse mais survient après le congé de maternité »215.
Dans l’arrêt Larsson, la Cour s’est montrée encore plus explicite quand elle déclare
que, « [e]n dehors des périodes de congé de maternité fixées par les Etats membres de
manière à permettre aux travailleurs féminins de s’absenter pendant la période au
cours de laquelle les troubles inhérents à la grossesse ou à l’accouchement surviennent,
et en l’absence de dispositions nationales ou, le cas échéant, de dispositions
communautaires, qui garantissent aux femmes une protection particulière, le travailleur
féminin ne bénéficie pas, en vertu de la directive [76/207/CEE] d’une protection contre
le licenciement pour cause d’absences dues à une maladie qui trouve son origine dans
la grossesse. En effet, ainsi qu’il a été précédemment rappelé [au point 18 des motifs],
les travailleurs féminins et masculins étant également exposés à la maladie, la directive
ne vise pas la maladie qui trouve son origine dans la grossesse ou l’accouchement »216.
Remarquons simplement ici la conception pour le moins curieuse, voire surréaliste, du
congé de maternité dans l’esprit du juge communautaire, puisqu’il est considéré comme
une période d’élection pour la survenance des états pathologiques liés à la grossesse. Or,
la maladie n’est que peu sensible à la loi : elle ne saurait se laisser imposer de période
légale de survenance.
Enfin, dans son arrêt Brown217, la Cour insiste toutefois sur la spécificité de la
grossesse pour interdire la prise en compte des périodes d’absences, survenues avant le
congé de maternité, dues à une maladie trouvant son origine dans ladite grossesse, en
vue de licencier une travailleuse à l’expiration de son congé de maternité. Ainsi, « […]
si l’état de grossesse n’est aucunement assimilable à un état pathologique, il n’en reste
pas moins que […] la grossesse correspond à une période au cours de laquelle peuvent
survenir des troubles et des complications susceptibles de contraindre la femme à une
surveillance médicale stricte et, le cas échéant, à l’observation d’un repos absolu
pendant toute la durée de la grossesse ou une partie de celle-ci. Ces troubles et
complications, qui peuvent entraîner une incapacité de travail, relèvent des risques
inhérents à l’état de grossesse et participent donc de la spécificité de cet état »218.
215 CJCE, 14 juillet 1994, précité, point 25216 CJCE, 29 mai 1997, précité, point 23217 CJCE, 30 juin 1998, aff. C-394/96, précité218 CJCE, 30 juin 1998, aff. C-394/96, précité, point 22
83
On ne peut que s’étonner des conséquences de la jurisprudence de la Cour pour les
femmes souffrant de grossesses à risques. Dans ce cas, elles souffrent non seulement de
ne pas avoir une grossesse normale, mais encore de ne pas bénéficier de protection
contre un traitement défavorable. Il est à cet égard « étrange que les travailleurs
féminins bénéficiant d’une grossesse normale soient protégés pour l’ensemble de leur
grossesse, cas de Mesdames Dekker et Webb, alors que celles qui nécessitent peut-être
une protection supplémentaire n’ont droit qu’à une protection réduite »219.
Cette approche se doit d’être relativisée suite à l’arrêt Hoj Pedersen220, qui, tout en
renforçant l’idée d’une segmentation chronologique de la grossesse entre une période
prénatale protégée de manière maximale, et la période postnatale qui n’offre à la femme
qu’une protection plus réduite, souligne dans le même temps l’instabilité inhérente de la
distinction entre les états pathologiques résultant de la grossesse et les troubles courants
de cet état. On se rappelle que dans cette affaire, quatre travailleuses danoises avaient
souffert de grossesses à complications – à des degrés divers – qui avaient exigé une
cessation de l’activité dans les trois mois précédant leur accouchement. La législation
nationale prévoyait qu’en cas de maladie, les travailleurs continuait de percevoir
l’intégralité de leur salaire, mais que les femmes qui se trouvent dans l’incapacité de
travailler pour un motif lié à la grossesse durant les trois mois précédant la date prévue
de l’accouchement, n’ont le droit de percevoir aucun salaire. En revanche, elles
bénéficient du versement d’indemnités journalières dites « indemnités de maternité
anticipées » lorsque selon l’avis du médecin, le déroulement de la grossesse présente un
caractère pathologique qui entraînerait en cas de poursuite de l’activité professionnelle,
un risque pour la santé de la mère ou du fœtus.
Dans cette affaire, Mmes Hoj Pedersen , Andresen et Sorensen avaient été déclarées
en incapacité totale de travail à cause des états pathologiques liés à leur grossesse : un
relâchement pelvien pour la première, un risque de fausse-couche pour la deuxième et
une hyperémèse gravidique pour la troisième221. La quatrième requérante, Mme
Pedersen, n’avait été déclarée que dans la situation d’incapacité de travail partielle en
raison d’un risque non négligeable de fausse-couche. Elle a informé son employeur de
219 Boch (C.), « Où s’arrête le principe d’égalité, ou de l’importance d’être bien-portante … », précité, p. 186220 CJCE, 19 novembre 1998, aff. C-66/96, Rec. 1998, p. I-7327221 Conclusions de l’Avocat général Ruiz-Jarabo Colomer sur l’affaire Hoj Pedersen, aff. C-66/96, précité,point 10, 11 et 13
84
son état et a souhaité reprendre son travail avec des horaires réduits. Son employeur n’a
pas accédé à sa demande, puisque selon lui, Mme Pedersen se trouvait dans l’incapacité
de s’acquitter de ses tâches de manière normale. L’employeur a donc embauché un
remplaçant à temps complet pour occuper le poste de Mme Pedersen jusqu’à la fin du
congé de maternité de cette dernière. La plaçant donc dans une situation d’incapacité
totale de travail pour cause de grossesse, il a indiqué à la requérante qu’il ne lui
verserait plus son salaire, conformément à la législation nationale. Il l’a invitée à
solliciter les indemnités journalières de maternités anticipées222.
Il était donc demandé à la Cour de justice de déterminer si le droit
communautaire223 permettait la rémunération partielle (du fait du versement des
indemnités) des femmes enceintes se trouvant dans l’incapacité de travailler pour une
maladie liée directement à la grossesse, alors que le versement intégral du salaire est
prévu pour tout autre travailleur se trouvant dans une situation d’incapacité de travail
pour cause de maladie. La Cour a jugé très classiquement, en suivant les conclusions de
son Avocat général, que « […] le fait qu’une femme soit privée, avant le début de son
congé de maternité, de l’intégralité de son salaire lorsque l’incapacité de travail dont
elle est victime résulte d’un état pathologique lié à la grossesse doit être regardé
comme fondé essentiellement sur la grossesse et donc discriminatoire »224. Cependant,
au cours de son raisonnement, la Cour opère une distinction entre un état pathologique
protégé, c’est-à-dire des complications sérieuses de la grossesse pouvant entraîner une
incapacité de travail, et les troubles courants non protégés bien que liés de manière
directe à la grossesse.
Elle choisit en effet d’examiner les quatrième et cinquième hypothèses de la
question préjudicielle déférée par la juridiction danoise, relatives au refus d’un
employeur de verser l’intégralité de son salaire à une employée enceinte, pour motif
d’absences liées aux troubles courants de la grossesse, alors que ces indispositions ne
sauraient entraîner d’incapacité totale de travail pour l’employée enceinte, ou lorsque
ces absences sont justifiées par une recommandation médicales de ménager le fœtus,
sans que celui-ci soit exposé à des risques particuliers.
222 Conclusions de l’Avocat général Ruiz-Jarabo Colomer sur l’affaire Hoj Pedersen, précité, point 12223 « … notamment l’article 119 du traité CE, la directive 75/117/CEE, la directive 76/207/CEE et ladirective 92/85/CEE », point 27 des motifs de l’arrêt Hoj Pedersen, aff. C-66/96, précité224 CJCE, 19 novembre 1998, Hoj Pedersen, aff. C-66/96, précité, point 35 des motifs
85
Contrairement à l’Avocat général Ruiz-Jarabo Colomer, qui ne distinguait pas la
pertinence de ces hypothèses225, la CJCE considère que l’une des requérantes, Mme
Sorensen, peut relever de ces hypothèses, bien que ce point n’ait pas été définitivement
tranché par la juridiction de renvoi226. La Cour estime que « […] la diminution, voire la
perte de son salaire qui affecte l’employée en raisons [d’]absences non motivées par
une incapacité de travail ne peut être regardée comme essentiellement fondeé sur le fait
de la grossesse, mais bien sur le choix qu’a fait l’employée de ne pas travailler »227.
La distinction relative aux incapacités de travail telle qu’établie par la Cour dans
cette affaire rend dès lors l’approche chronologique des risques liés à la grossesse
dégagée dans l’arrêt Brown228 bien moins cohérente229. En effet, il ressort que cette
distinction fondée sur le concept de la capacité à travailler pourrait entraîner un
infléchissement de la jurisprudence Hertz230 (confirmée par les arrêt Larsson231 et
Brown232) relative aux états pathologiques graves survenant ou persistant après le congé
de maternité, dans une direction plus protectrice de ce genre de complications liées à la
grossesse. Mais dans le même temps, cette distinction pourrait bien avoir pour
conséquence une limitation des droits liés à la grossesse dans le futur car la protection
de troubles courants liés cet état spécifiquement féminin pourra dorénavant être écartée,
puisque la CJCE semble refuser dorénavant de considérer comme un traitement
défavorable un situation résultant, selon elle, du choix de la femme de ne pas travailler.
Cette problématique est révélatrice du statut en définitive relativement déprécié de
la maternité, tel que lui accorde le droit communautaire, au travers des dispositions de la
directive 92/85/CEE qui ne saurait ici s’appliquer en relation avec la directive
76/207/CEE (chapitre 2)
225 Au point 27 de ses conclusions, précitées, il indique qu’il s’agit « […] d’hypothèses théoriques que le jugesaisi soumet à la Cour pour couvrir toutes les possibilités qu’offre [la législation nationale applicable], maisqui n’ont pas de rapport avec les quatre litiges qu’il expose dans l’ordonnance ». Il lui apparaît, au point 29,que cette question n’est manifestement pas pertinente pour la solution du litige au principal, et que la Courdoit donc la déclarer irrecevable.226 CJCE, 19 novembre 1998, Hoj Pedersen, précité, point 43 des motifs227 CJCE, 19 novembre 1998, Hoj Pedersen, précité, point 49 des motifs228 CJCE, 30 juin 1998, aff. C-394/96, précité229 Masselot (A.), Berthou (K.), « la CJCE, le droit de la maternité et le principe de non-discrimination – Versune clarification ? », Cahiers de droit européen, précité, p. 651230 CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-179/88, précité231 CJCE, 29 mai 1997, précité232 CJCE, 30 juin 1998, précité
86
Chapitre 2 – Le statut déprécié de la maternité
La relative dépréciation du statut de la maternité s’observe principalement
dans la situation de la femme à l’expiration de son congé de maternité, qui se retrouve,
en règle générale, seule en charge de la conciliation des obligations familiales avec les
impératifs de la vie professionnelle. Et ce, malgré les dispositions du législateur
communautaire, trop récentes pour modifier la réalité de la répartition des
responsabilités familiales au sein du couple, et permettre à la femme de s’émanciper
véritablement des contraintes que lui impose ce difficile arbitrage (section 2). Mais elle
est également perceptible durant la période, en principe protégée, du congé de
maternité, où toutes les conditions de travail de la femme ne sont pas maintenues. En
effet, la reconnaissance par la CJCE et la directive 92/85/CEE que le congé de maternité
place la femme dans une situation spécifique, entraîne qu’elle ne peut plus se prévaloir
du principe de l’égalité de traitement pendant cette période. Il en découle que sa
rémunération peut parfaitement être diminuée, sans que ce traitement ne constitue pour
autant un traitement discriminatoire (section 1).
Section 1 – Les conséquences de la reconnaissance de la spécificité absoluede la maternité
La Cour s’est pour la première fois prononcée sur le sujet de la rémunération des
femmes pendant leur congé de maternité dans l’arrêt Gillespie233, avant que n’entre en
vigueur la directive 92/85/CEE. On se rappelle que les dispositions de l’article 8,
paragraphe premier de ladite directive institue un congé de maternité d’au moins
quatorze semaines continues dont la répartition avant et après l’accouchement relève
des dispositions nationales. Pendant cette période, l’employée qui est, par définition,
absente de son lieu de travail, est en droit, en vertu de l’article 11, paragraphe 2b, de
percevoir une rémunération ou bien le versement d’une prestation adéquate, qui assure
des revenus au moins équivalents à ceux que recevrait la travailleuse en cas
d’interruption de son activité pour des raisons de santé.
233 CJCE, 13 février 1996, Joan Gillespie e. a. c/ Northern Health and Social Services Board e. a., aff. C-342/93, Rec. 1996, p. I-475
87
Il ne s’agit pas là, soulignons-le, tracer un parallèle assez malvenu, et de surcroît
inconsistant selon la jurisprudence de la Cour de justice234, entre grossesse et
maladie235, mais d’« […]indiquer un montant de référence concret et fixe dans tous les
Etats membres permettant le niveau minimal de la prestation de maternité à payer »236.
Il est simplement possible de regretter que cette référence fondée sur des raisons
purement techniques ne permette pas de dépasser cette analogie pernicieuse entre ces
deux états parfaitement différents, d’autant qu’une autre solution « technique » aurait pu
être envisagée237, comme le maintien d’une rémunération égale au minimum à 80% du
salaire moyen perçu par l’employée avant son congé de maternité, ou le maintien pur et
simple de la rémunération pendant le congé comme c’est le cas de toutes les employées
du secteur public au Danemark238. Comme le fait remarqué un eurodéputé, « […] si le
Conseil a besoin d’une référence technique, pourquoi ne pas adopter la référence que
nous proposons nous et qui est parfaitement claire, la référence au salaire antérieur.
Voilà une bonne base qui ne laisse aucune incertitude »239. Dans un premier temps, la
Cour n’entendra pas ces arguments et justifiera la diminution des rémunérations des
femmes pendant leur congé de maternité par le fait que les femmes sont placées dans
une situation spécifique qui les distingue nettement de tout autre travailleur (paragraphe
1). Mais elle sera ensuite amenée à relativiser cette jurisprudence, sans reconnaître
toutefois le droit pour les femmes à recevoir l’intégralité de leurs rémunérations pendant
cette période spéciale de congé, ce que ne prévoit d’ailleurs pas, de toutes les façons, la
directive 92/85/CEE (paragraphe 2).
Paragraphe 1 – Le congé de maternité comme période spécifique
Venons-en maintenant aux fait de l’affaire Gillespie. Au cours de 1988, les
requérantes au principal ont bénéficié d’un congé de maternité. Pendant cette période,
elles ont reçu, en vertu d’une convention collective, et pus précisément de la section 6,
234 CJCE, 14 juillet 1994, Webb, aff. C-32/93, précité235 Cette disposition a suscité une féroce controverse au sein du Parlement européen. Voir en ce sens, donc,les Débats du Parlement européen publiés sur cette question au JOCE n° D 421 du 16 septembre 1992, pp.167-178236 Déclaration du Conseil et de la Commission relative à l’article 11, point 3, de la directive 92/85/CEE,inscrite au procès verbal de la 1608e session du Conseil (Luxembourg, le 19 octobre 1992), JOCE n° L 348du 28 novembre 1992237 Débats du parlement européen publiés sur cette question au JOCE n° D 421 du 16 septembre 1992, pp.167-178238 Intervention de Mme Sandbaek dans les débats parlementaires précités, p. 173239 Intervention de Mme Buron dans les débats parlementaires précités, p. 177
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point 9, du General Council handbook, adopté par les Joint Councils for the Health ans
Personal Social Services d’Irlande du Nord, les prestations suivantes : leur salaire
hebdomadaire complet pendant les quatre premières semaines, neuf dixièmes de celui-ci
pendant les deux semaines suivantes et, enfin, la moitié de leur salaire complet pendant
douze semaines. Ces conditions étaient plus avantageuses que celles prévues par la
législation nationale en la matière. En novembre 1988, des négociations collectives au
sein des services de santé ont abouti à des augmentations salariales rétroactives prenant
effet au 1er avril 1988. Toutefois, les requérantes n’ont pu bénéficier de cette
augmentation en raison du mode de calcul applicable à la prestation à verser pendant le
congé de maternité tel que prévu par la Convention collective visant les requérantes. La
prestation en espèces à verser pendant le congé de maternité est en effet déterminé sur la
base du salaire hebdomadaire moyen, celui-ci étant calculé, selon la législation
nationale, à partir des deux derniers salaires, nommés les « salaires de référence », que
les intéressées ont perçu pendant les deux mois qui ont précédé la semaine de référence.
Cette dernière se définit comme la quinzième semaine avant le début de la semaine
prévue pour l’accouchement. Aucune augmentation des salaires de référence n’était
prévue dans le cas d’une augmentation salariale subséquente. Du fait de cette absence
de réévaluation de leurs prestations de congé de maternité, les requérantes soutenaient
qu’elles avaient subi une discrimination fondée sur le sexe.
Tout d’abord, la Cour analyse que les prestations de congé de maternité constituent
une rémunération au sens de l’article 119 du traité CEE et de la directive 75/117/CEE.
En effet, cette notion englobe tous les avantages payés directement ou indirectement par
l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier. La qualification juridique
de ces avantages est sans incidence sur l’application de l’article 119 CEE, dès lors que
ces avantages sont octroyés en relation avec l’emploi240. Au nombre des avantages
qualifiés de rémunération au sens du droit communautaire figurent notamment les
avantages payés par l’employeur en vertu des dispositions législatives nationales et en
raison de l’existence de rapports de travail salarié qui ont pour objet d’assurer une
source de revenus aux travailleurs même s’ils n’exercent, dans des cas spécifiques
prévus par le législateur, aucune activité prévue par le contrat de travail241. Par
240 CJCE, 9 février 1982, Garland, aff. 12/81, Rec. 1982, p. 359, point 10241 CJCE, 4 juin 1992, Bötel, aff. C-360/90, Rec. 1992, p. I-3589, points 14 et 15 ; CJCE, 27 juin 1990,Kowalsaka, aff. C-33/89, Rec. 1990, p. I-2591, point 11 ; CJCE, 17 mai 1990, Barber, aff. C-262/88, Rec.1990, p. I-1889, point 12
89
conséquent, la Cour en conclut que la prestation que l’employeur verse, en vertu des
dispositions législatives ou en raison des conventions collectives, à un travailleur
féminin en congé de maternité, quand elle se fonde sur une relation de travail, constitue
une rémunération au sens de l’article 119 du traité CEE et de la directive
75/117/CEE242.
Néanmoins, la Cour ne reconnaît pas la qualification de discriminatoire à la
pratique de non réévaluation des prestations versées pendant le congé de maternité. En
effet, « […] les femmes qui bénéficient d’un congé de maternité prévu par la législation
nationale se trouvant dans une situation spécifique qui exige qu’une protection spéciale
leur soit accordée, mais qui ne peut être assimilée à celle d’un homme ou d’une femme
qui occupe effectivement son poste de travail »243.
Alors qu’auparavant, la reconnaissance par la CJCE de la spécificité de la grossesse
l’entraînait à analyser que tout traitement défavorable en raison de celle-ci est
discriminatoire, dès lors que la femme a terminé ladite grossesse, ce raisonnement n’est
plus suivi. Bien au contraire, il va permettre de justifier un traitement défavorable sur le
plan salarial des femmes récemment accouchées, puisque la Cour affirme, sans se
prononcer sur les effets de la directive 92/85/CEE qui n’était pas d’application ratione
temporis au litige au principal244, que ni l’article 119 CEE ni la directive 75/117/CEE
n’imposaient de maintenir la rémunération intégrale des travailleurs féminins pendant
leur congé de maternité. En outre, ces dispositions ne définissaient pas de critères
spécifiques en vue de déterminer le montant des prestations qui leur étaient dues
pendant cette période.
Il faut avouer que la logique du juge communautaire est ici particulièrement ardue à
suivre. Si la grossesse, événement affectant exclusivement les femmes, ne pouvait servir
de motif à un traitement défavorable des femmes enceintes concernant leurs conditions
de travail, et notamment leur rémunération245, il faut conclure de l’analyse de la Cour
que les débuts de la maternité, marqués par un congé spécifique réservé pourtant aux
242 CJCE, 13 février 1996, Gillespie, aff. C-342/93, précité, point 14 des motifs.243 CJCE, 13 février 1996, Gillespie, aff. C-342/93, précité, point 17 des motifs244 CJCE, 13 février 1996, Gillespie, aff. C-342/93, précité, point 19 des motifs245 Voir en ce sens l’arrêt de la CJCE, du 19 novembre 1998, Hoj Pedersen, aff. C-66/96, précité
90
seules femmes246, n’est pas un événement affectant uniquement les femmes, puisqu’un
traitement défavorable sur le plan salarial n’est pas rejeté en soi. Il y a là contradiction
dans les termes247.
En tout état de causes, il existe dans la jurisprudence de la Cour des fluctuations
regrettables sur la notion de la « spécificité » des femmes, et surtout au niveau des
conséquences qu’elles emportent dans certains cas (comme la grossesse) et qu’elles ne
sauraient emporter dans d’autres (comme le congé de maternité). Une fois de plus, nous
sommes confrontés à une expression de la stricte déconnexion établie par la Cour entre
grossesse et maternité. Au point que l’on peut en venir à se demander si la grossesse
peut avoir une autre conséquence que la maternité : cette interrogation, loin d’être aussi
fantaisiste que son énoncé ne le laisserait supposer, semble recevoir une réponse
affirmative dans le droit communautaire du fait de cette dichotomie chronologique
entretenue pour des motifs financiers, rejetés par ailleurs pour justifier d’un traitement
défavorable fondé sur la grossesse248. C’est en considérations des charges financières
que les employeurs ou les services sociaux auraient à supporter d’une prise en charge
cohérente de la maternité, irréductible à celle de la seule grossesse - est-il besoin de
rappeler que la grossesse se termine en règle générale par la naissance d’un enfant ? On
se surprend à douter de cette évidence- que la Cour, véritable héraut du droit
communautaire, refuse une protection identique à la période postnatale.
Certes, nous l’avons déjà indiqué, la CJCE a pour mission première d’interpréter le
droit communautaire, de sanctionner le cas échéant sa violation selon diverses
modalités, bref, de « dire pour droit », mais non de « faire le droit ». Mais il faut
remarquer pourtant que, dans cette perspective interprétative, le juge communautaire ne
semble pas tirer toutes les conséquences du principe d’égalité de traitement entre les
sexes qu’il est amené à dégager. Ainsi de sa construction sur les causes des traitements
246 Voir en ce sens, bien sûr, l’arrêt Hofmann de la CJCE, du 12 juillet 1984, aff. 184/83, Rec. 1984, p. 3047 :« La directive [76/207/CEE] n’impose pas aux Etats membres de permettre alternativement l’octroi d’un telcongé [de maternité] au père, même en cas de décision conforme des parents ». C’est nous qui soulignons.247 La Cour se trouve semble-t-il tiraillée entre la conception sociale de la maternité, qui effectivement,concerne en priorité les femmes au point de constater que cet état singularise très nettement la femme, et laconception juridique, qui estime que si la grossesse et le fait unique de la femme, la maternité n’est qu’unemodalité de la parentalité. La période postnatale devrait impliquer la participation équilibrée du père et de lamère, car il n’est aucun devoir parental qui, exercé par la mère de manière traditionnelle – l’allaitement en estun bon exemple – ne puisse l’être également, dans des conditions très similaires, voire identiques par le père.248 Dans les affaires Dekker (8 novembre 1990, précitée) et Webb (14 juillet 1994, précitée) notamment
91
défavorables réservés aux femmes et fondés essentiellement sur la grossesse, qui n’est
appliquée que de manière très aléatoire et incertaine.
Le congé de maternité, et au-delà, la maternité tout entière, reste, dans nos sociétés
actuelles, un corollaire nécessaire à la grossesse pour la seule femme. Un traitement
défavorable reposant sur l’absence des femmes sur leur lieu de travail pendant leur
congé de maternité devrait être interdit par principe, puisque, nécessairement, le congé
de maternité se fonde essentiellement, par nature et socialement, sur le fait de la
grossesse. Directement discriminatoire, ce traitement défavorable, qu’il affecte les
conditions de travail (notation, avancement) ou plus spécifiquement les conditions de
rémunération, ne saurait trouver de justification.
Or, dans le cas présent, une justification est avancée : l’absence de la femme de son
lieu de travail pendant son congé de maternité, qui est ici constitutive d’une spécificité
qui la distingue définitivement de tout autre travailleur, quel que soit son sexe.
Comment ne pas analyser cette situation comme une résurgence particulièrement
virulente, bien que détournée, de l’exclusion immémoriale des femmes de la sphère
publique et de leur relégation dans la sphère privée, du fait de la construction sociale de
la maternité ?
Il serait possible d’arguer qu’accorder une rémunération intégrale de la femme
pendant son congé de maternité, voire au-delà, si un congé parental était autorisé selon
les mêmes conditions de rémunération intégrale, ou bien si elle souffrait de pathologies
directement liées à la grossesse se révélant longtemps après le terme du congé de
maternité249, pourrait entraîner des abus de manière quasiment automatique de la part
des femmes. Celles-ci, dans la perspective de se voir rémunérer de la même manière
que si elle travaillait tout en restant chez elles, pourraient renoncer à retourner sur le
marché de l’emploi250, voire de travailler de courts laps de temps entre des grossesses
planifiées afin de s’assurer un revenu constant.
249 Comme cela fut discuté et rejeté dans l’arrêt Hertz du 8 novembre 1990, aff. C-179/88, précité.250 On trouve une argumentation de ce type dans l’arrêt de la CJCE du 12 juillet 1984, Hofmann, aff. 184/83,rec ; 1984, p. 3047, point 15 des motifs
92
Il faut signaler ici que cette hypothèse n’est guère réaliste, en plus d’être
pernicieuse et méprisante à l’égard des femmes. Un des combats les plus important pour
celles-ci, en effet, fut, et reste encore251, d’accéder au marché du travail, et de s’y
maintenir, dans les mêmes conditions que les hommes, ou en tout cas, sans être
désavantagées uniquement parce qu’elles sont femmes. Si tel n’était pas le cas, on ne
discernerait qu’assez mal la raison d’être du principe d’égalité de traitement. Sa
consécration dans le droit communautaire n’aurait aucun sens s’il était déjà fermement
assuré dans l’ordre social. En outre, si les femmes ne se maintiennent pas dans les
mêmes proportions que les hommes sur ledit marché du travail, c’est principalement en
raison des difficultés auxquelles elles se trouvent trop souvent seules confrontées pour
concilier vie professionnelle et vie familiale252. Ces difficultés surviennent
essentiellement pendant les premières années de maternité de la femme, du fait de
l’insuffisance chronique des structures d’accueil des très jeunes enfants et des coûts
souvent prohibitifs des services de soins qui leurs sont destinés253.
Partant, il serait particulièrement critiquable de voir dans les difficultés des femmes
à se maintenir sur le marché de l’emploi une possibilité d’abus de leur part. En outre,
même si ces abus se produisaient, dans le sens où certaines femmes adopteraient des
stratégies afin de tirer parti des avantages liés aux prestations de maternité sans
contreparties dans la sphère professionnelle, ces stratégies ne seraient là que l’une des
manifestations, particulièrement perverse certes, de la domination masculine à l’endroit
des femmes, réduites à profiter, donc, de ce système, sans aucune perspective de le
réformer ou de l’abolir. Si certaines femmes peuvent être tentées d’élaborer de telles
251 Il suffit, pour s’en convaincre s’il en était encore besoin, de se reporter aux statistiques communautairesrelatives à l’emploi (et par conséquent au chômage) des femmes dans l’Union européenne. Ainsi, selonEurostat et la Commission européenne dans La situation sociale dans l’Union européenne – 2000, (OPOCE,2000, 119p.) 51, 2% des femmes agées de 15 à 64 ans exerçait une activité professionnelle en 1998 dansl’UE, contre 70,8% des hommes. Le chômage touchait, lui, 11,7% des femmes contre « seulement » 8,6%des hommes en moyenne dans l’UE en 1998. En outre, toujours en moyenne bien sûr, les femmes ayant unenfant au moins sont moins présentes sur le marché du travail que les femmes sans enfants.252 Voir en ce sens, notamment, Commission européenne, direction Emploi et affaires sociales, Europesociale, travail et garde d’enfant : comment mettre en œuvre la recommandation du Conseil concernant lagarde des enfants, Guide de bonnes pratiques, supplément 5/96, OPOCE, 1996, 47p. C’est ainsi que laCommission expose, p. 5, que « [f]aute de mesures adéquates, les travailleurs ayant la charge d’une famille– notamment les femmes, auxquelles incombe traditionnellement l’entière responsabilité de la garde desenfants – risquent d’être pénalisés par des conditions de travail et des perspectives de carrière moinsfavorables, et d’être quotidiennement contraints de combiner deux rôles essentiels alors que la flexibiliténécessaire à la bonne gestion de ces rôles leur est refusée ».253 voir notamment en ce sens, Commission européenne, Direction Emploi et Affaires sociales, Conciliationde la vie professionnelle et familiale pour les hommes et les femmes et qualité des services de soins, Rapportsur les recherches existantes dans l’Union européenne, OPOCE, 1997, p. 4-6
93
stratégies, c’est bien à cause des obstacles qui se dressent devant elle lorsqu’elles
doivent concilier vie familiale et vie professionnelle, du fait du manque de
reconnaissance sociale de l’importance de la maternité. On ne saurait dès lors blâmer
ces femmes d’être finalement les victimes, une fois de plus, de la domination masculine,
sous les apparences trompeuses que celles-ci « profitent du système ». En effet,
l’exploitation d’un système d’oppression, même dans une optique subversive, par les
personnes appartenant à un groupe socialement dominé ne fait que renforcer la
prégnance de ce système sur l’ensemble des acteurs qui le composent254.
Cependant, si l’article 119 du traité CE n’impose pas le versement de l’intégralité
de la rémunération à la femme en congé de maternité, la Cour ne laisse pas toute
latitude aux Etats membres dans la fixation des prestations qui leur sont versées255. Elle
expose ainsi que « [t]outefois, le montant de ces prestations ne pourraient être minimes
au point de mettre en cause l’objectif du congé de maternité, qui est de protéger les
travailleurs féminins avant et après l’accouchement. Pour apprécier le montant en
cause dans cette perspective, la juridiction nationale doit tenir compte non seulement de
la durée du congé de maternité, mais également des autres formes de protection sociale
reconnues par la législation nationale en cas d’absence justifiée du travailleur »256.
C’est pourquoi, la Cour a retenu que, dans la mesure où le calcul des prestations de
maternité étaient fondées sur un salaire perçu par le travailleur féminin avant le début
du congé de maternité, le montant de cette prestation devait intégrer, à partir de leur
entrée en vigueur, les augmentations de salaires intervenues entre le début de la période
couverte par les salaires de référence et la fin du congé de maternité. La Cour a estimé
qu’exclure le travailleur féminin d’une telle augmentation pendant son congé de
maternité le discriminait en sa seule qualité de travailleur féminin, puisque, si elle
n’avait pas été enceinte, la femme aurait perçu le salaire augmenté257.
254 Cette analyse nous est suggérée par la lecture de La domination masculine de Pierre Bourdieu (Editionsdu Seuil, collection Liber, Paris, 1998, 142 p).255 L’Avocat général Léger avait ainsi analysé dans les point 48 à 54 de ses conclusions sur l’affaire Gillespiedu 13 février 1996, aff. C-342/93, précitée que la ratio legis de l’article 2, paragraphe 3, de la directive76/207/CEE impliquait la reconnaissance d’une marge d’appréciation raisonnable des Etats membres dans ledomaine de la protection de la grossesse et de la maternité, puisque ces mesures sont étroitement liées auxsystèmes de protection sociale des Etats membres256 CJCE, 13 février 1996, Gillespie, aff. C-342/93, précité, point 20 des motifs.257 CJCE, 13 février 1996, Gillespie, aff. C-342/93, précité, point 22
94
Paragraphe 2 – les nuances ultérieures
La Cour a précisé, dans l’arrêt Boyle258 que la femme en congé de maternité ne peut
effectivement se comparer à aucun travailleur, quel que soit son sexe, qu’il soit malade
ou non. La CJCE a ici examiné la situation qui lui était exposée sous l’angle unique de
la directive 92/85/CEE, qui était d’application ratione temporis au moment des faits du
litige au principal259. Ce faisant, elle a suggéré que les dispositions spécifiques de
protection contenues dans la directive 92/85/CEE, relatives au congé de maternité,
constituent une garantie suffisante contre la vulnérabilité des femmes pendant cette
période.
Dans cette affaire, Mme Boyle et cinq de ses collègues étaient des salariées de
l’Equal Opportunities Commission (EOC) en âge d’avoir des enfants. Trois d’entre elles
avaient d’ailleurs été en congé de maternité. Elles contestaient certaines clauses du
Maternity Scheme destiné aux travailleurs féminins, qu’elles estimaient discriminatoires
comparées aux dispositions prévues par le Staff Handbook (vade-mecum) applicable,
lui, à tous les salariés. Il faut préciser que le régime conventionnel de maternité octroyé
par l’EOC était plus généreux que le régime légal national, le Statutory Maternity Pay.
En effet, selon le régime conventionnel, toute salariée ayant au moins une année
d’ancienneté a droit à quatorze semaines de congé de maternité intégralement
rémunérées alors que le congé légal de maternité n’est rémunéré qu’à hauteur de 9/10e
du salaire normal pendant les six premières semaines, puis à hauteur d’un montant fixe
de 55 Livres britanniques par semaine. Cependant, pour bénéficier du régime
conventionnel, la salariée doit déclarer à son employeur qu’elle a l’intention de
reprendre son travail après l’accouchement, et, dans l’hypothèse où elle ne retournerait
pas travailler, doit d’engager à rembourser la différence entre le montant conventionnel
perçu et le montant légal prévu. Or, selon le Staff Handbook, les salariés en congés
258 CJCE, 27 octobre 1999, Margaret Boyle e. a. c/ Equal Opportunities Commission (EOC), aff. C-411/96,Rec. 1999, p. I-6401259 Voir en ce sens les conclusions de l’Avocat général Ruiz-Jarabo Colomer sur l’affaire Boyle, précitée,point 27 : « […] pour résoudre l’affaire qui m’occupe aujourd’hui, on peut déjà se reporter à la directive92/85 puisque la rédaction des clauses dont les demanderesses au principal souhaitent l’annulation est cellequi leur a été donnée en vue de les adapter au texte de cette directive. Vu qu’il s’agit d’une directivespécifique, qui, comme son titre même l’indique, entend mettre en œuvre des mesures visant à promouvoirl’amélioration de la santé et de la sécurité au travail des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes,j’estime que, pour trouver la réponse aux questions préjudicielles, il faudra s’en référer, prioritairement, àses dispositions et, à titre subsidiaire, au reste de la législation communautaire, dont le contenu est plusgénéral ».
95
payés, y compris les congés de maladie, n’ont pas à rembourser leur rémunération s’ils
ne retournent pas au travail après leur période de congé. S’interrogeant sur la
compatibilité d’une telle disposition avec le droit communautaire, l’Industrial tribunal
de Manchester, saisi par les intéressées afin qu’il déclare cette clause inapplicable, a
décidé de surseoir à statuer et posa à la CJCE cinq questions préjudicielles260.
Dans la première, la juridiction nationale cherchait, en substance, à déterminer si
une clause, qui prévoit que la rémunération du congé de maternité, excédant celle du
régime légal national n’est versée que si la femme déclare son intention de retourner
travailler à l’expiration de son congé de maternité et qu’elle s’engage à la rembourser si
elle ne retourne pas travailler pendant un mois à l’issue dudit congé, est compatible avec
le droit communautaire.
Les requérantes soutenaient que le fait de traiter une femme en congé de maternité
moins favorablement qu’un travailleur en congé temporaire, pour raison de maladie par
exemple, représentait une discrimination fondée sur le sexe, et que ce traitement était
donc interdit. En effet, le congé de maternité est le résultat direct de la grossesse et cette
condition affecte exclusivement les femmes. Par conséquent, si un traitement
défavorable résultant d’une maladie liée à la grossesse est constitutif d’une
discrimination directe fondée sur le sexe avant le congé de maternité261, il semblerait
logique de conclure que lorsque le traitement défavorable de cette femme est dû à une
maladie directement liée à sa grossesse se poursuit pendant son congé de maternité262, il
constitue également une discrimination sexuelle contraire au principe communautaire
d’égalité de traitement entre femmes et hommes.
Mais la Cour ne suit pas cette analyse des requérantes. Malgré la disposition
contenue dans le préambule de la directive 92/85/CEE qui précise que « [l]a protection
de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, allaitantes ou accouchées ne
doit pas porter atteinte aux directives en matière d’égalité de traitement entre hommes
et femmes », la CJCE estime que si les travailleuses enceintes sont des travailleurs au
sens du droit communautaire, les femmes en congé de maternité, en revanche, ne
260 CJCE, 27 octobre 1998, Boyle, aff. C-411/96, précité, points 9 à 19261 CJCE, 30 juin 1998, Brown, aff. C-394/96, précité262 La question de la maladie liée à la grossesse mais survenant après l’expiration du congé de maladie a étéréglée par la jurisprudence Hertz, du 8 novembre 1990, aff. C-179/88, précité, et Brown, précité
96
répondent pas à cette qualification. En effet, nous l’avons déjà signalé par ailleurs, le
congé de maternité place la travailleuse récemment accouchée dans une situation
absolument spécifique, telle qu’elle ne peut se comparer avec aucun travailleur quel soit
son sexe263.
L’Avocat général Ruiz-Jarabo Colomer explique le fondement de ce raisonnement
dans ses conclusions sur la présente affaire, au point 41, où il établit une comparaison
entre une travailleuse en congé de maternité et un autre travailleur dans une situation
d’incapacité de travail due à une maladie264.
En premier lieu, le congé de maternité est une période fixée à l’avance,
indépendante du temps nécessaire à chaque femme pour se remettre des effets de
l’accouchement, alors qu’une période de congé due à une incapacité de travail est
uniquement fonction du temps jugé nécessaire pour le rétablissement du travailleur.
Ensuite, alors que toutes les femmes enceintes bénéficient d’un congé de maternité, il
est nécessaire de présenter un certificat médical afin de bénéficier d’un congé relatif à
un état pathologique. Enfin, pendant le congé de maternité, la femme n’est tenue à
aucune obligation liée à sa relation de travail, tandis qu’une femme absente pour raison
de maladie liée directement à sa grossesse se trouve dans l’obligation de contribuer à
son rétablissement en se soumettant au traitement prescrit par le médecin.
Ainsi, la situation des femmes en congé de maternité est soumise aux seules
dispositions spéciales de la directive 92/85/CEE, les articles 8 et 11, puisque les femmes
en congé de maternité sont dans une situation « […] qui, spécialement pendant ce
congé, ne peut être assimilée à celle d’un homme ni à celle d’une femme qui bénéficie
d’un congé de maladie »265. Dès lors, une travailleuse ne saurait faire valoir, aux termes
des articles 119 du traité, de la directive 75/117/CEE ou de la directive 76/207/CEE,
qu’un traitement défavorable sur le plan salarial, pendant son congé de maternité, est
une discrimination illicite.
263 CJCE, 13 février 1996, Gillespie, aff. C-432/93, précité264 On retrouve cette analyse dans ses conclusions sur l’affaire Hoj Pedersen, aff. C-66/96, précitée, point 41265 CJCE, 27 octobre 1998, Boyle, aff. C-411/96, précité, point 40
97
La CJCE suit bien évidemment l’approche de l’affaire Gillespie, et voit dans la
directive 92/85/CEE la confirmation de ses analyses266.
La distinction qu’elle opère ensuite entre « rémunération » et « prestation » au sens
de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 92/85/CEE lui permet de différencier la
rémunération liée au contrat de travail des autres prestations, alors que la référence à la
notion de « prestation adéquate » visée à l’article 11, paragraphe 3 l’amène à assimiler
les prestations versées pendant le congé de maternité à un paiement dû au titre de la
protection sociale et non à une rémunération contractuelle dont le montant pourrait être
plus élevé. C’est ainsi que la CJCE retient de la disposition minimale de l’article 11,
paragraphe 2b, de la directive 92/85/CEE, prévoyant donc le maintien d’une prestation
adéquate pendant le congé de maternité, qu’elle autorise une clause de remboursement
de la différence entre le montant prévu par une convention collective comme celle qui
vise Mme Boyle et ses collègues, et le montant prévu lui par la législation nationale.
Ensuite, comme le régime financier applicable au congé de maladie est plus
avantageux, dans la législation nationale applicable, que celui du congé de maternité,
Mme Boyle et ses collègues auraient souhaité prendre le moins de congé de maternité
possible et auraient voulu lui substituer un congé de maladie. Cependant, le régime de la
grossesse dans la convention collective en cause, précise qu’en cas d’absences pour
maladie liée à la grossesse avant le commencement du congé de maternité, la salariée
doit essayer de faire coïncider, de façon partielle au moins, congé de maladie et congé
de maternité, et elle doit alors avancer la date de son congé de maternité. Cette clause a
pour effet que la femme ne peut bénéficier du régime avantageux du congé de maladie.
Les requérantes prétendaient qu’il s’agissait là d’une discrimination fondée sur le sexe.
En effet, « […] un travailleur féminin qui est dans l’incapacité de travailler ne peut,
contrairement à tout autre travailleur malade, exercer son droit contractuel à un congé
de maladie rémunéré inconditionnel dans l’hypothèse où sa maladie est liée à la
grossesse et où elle accouche pendant son congé de maladie. Le travailleur féminin
serait ainsi obligé de prendre, à des conditions moins favorables, un congé de maternité
266 sans surprise, puisque la Cour, reconnaissant que la directive 92/85/CEE n’était pas d’application rationetemporis au moment des faits de l’affaire Gillespie, justifiait néanmoins son argumentation en explicitantquelles étaient les motivations du législateur communautaire lors de l’adoption de ladite directive. Il s’agit làd’un exemple particulièrement frappant d’analyse « circulaire », et finalement sophistique, de la Cour.
98
rémunéré et, notamment, de rembourser une partie du salaire perçu pendant cette
période s’il ne reprenait pas le travail après l’accouchement »267.
La Cour relève que la directive 92/85/CEE, si elle fixe la durée minimale du congé
de maternité, elle laisse néanmoins aux Etats membres le pouvoir de fixer la date du
début de ce congé. De la même manière, en vertu de l’article 2, paragraphe 3, de la
directive 76/207/CEE, les Etats membres disposent de la possibilité, sous réserve des
limites tracées par l’article 8 de la directive 92/85/CEE, de fixer les périodes de congé
de maternité. Il s’agit simplement de permettre, comme la Cour de justice l’avait
affirmé dans son arrêt Hertz, aux travailleurs féminins « de s’absenter pendant la
période au cours de laquelle les troubles inhérents à la grossesse et à l’accouchement
surviennent »268.
Ainsi, pendant la période du congé de maternité, « le principe de l’égalité de
traitement est remplacé par le principe de subsidiarité contenu dans l’article 2(3) de la
directive 76/207 et transposé à l’article 8 de la directive 92/85 »269. Les arrêts Boyle et
Gillespie montrent ainsi que la protection de la maternité reste subordonnée à la
perception qu’a la CJCE de l’autonomie nationale en matière de protection sociale. S’il
est établi, de manière très ferme, que les intérêts financiers des employeurs ne peuvent
servir de motif au traitement discriminatoire des femmes enceintes270, d’autant plus que
la Cour a affirmé très clairement dans son arrêt Schröder que la finalité économique de
l’article 119 du traité revêtait un caractère secondaire par rapport à l’objectif social271.
267 CJCE, 27 octobre 1998, Boyle, aff. C-411/96, précité, point 46268 CJCE, 8 novembre 1990, Hertz, aff. C-179/88, précité, point 15269 Masselot (A.), Berthou (K.), « La CJCE, le droit de la maternité et le principe de non-discrimination –vers une clarification ? », Cahiers de Droit européen, précité, p. 649270 Voir en ce sens les affaires Dekker du 8 novembre 1990, aff. C-177/88, précité, Webb, du 14 juillet 1994,aff. C-32/93, précité, et Hoj Pedersen, du 19 novembre 1998, aff. C-66/96, précité. Dans ce dernier arrêt, laCour a rejeté l’argument des employeurs qui faisaient valoir qu’un traitement discriminatoire était justifiablesur la base d’une législation danoise qui se voulait une réflexion sur la répartition des risques et des coûts dela grossesse entre la femme enceinte, l’employeur et la société dans son ensemble (point 38). Cettecirconstance ne saurait pourtant constituer, selon la Cour, un facteur objectif étranger à toute discriminationfondée sur le sexe (point 40). Plus loin, elle rejette l’argumentation de la défenderesse qui invoque la marged’appréciation des Etats membres pour la mise en œuvre des mesures nationales prises en vertu de l’article 2,paragraphe 3, de la directive 76/207/CEE. La Cour souligne en effet que la législation nationale en cause visemoins à protéger la condition biologique de la femme enceinte qu’à préserver les intérêts de l’employeur(point 56).271 CJCE, 10 février 2000, Schröder c/ Deutsche Telecom, aff. C-50/96, Rec. 2000, p. I-743, point 57 desmotifs
99
Pourtant, il semble que le juge communautaire accepte un argument d’ordre
économique lorsque les systèmes de protection sociale des Etats membres risquent
d’être bouleversés si l’application de la protection des femmes enceintes devait
s’étendre à la période postnatale272.
Pourtant, la règle énoncée dans les arrêts Gillespie et Boyle, relative à la spécificité
absolue de la situation de la femme en congé de maternité, pouvant justifier d’un
traitement défavorable sur le plan salarial273, s’est vue remise partiellement en cause
dans l’affaire Lewen274. Mme Lewen s’est vue refuser une prime de Noël au motif
qu’elle avait été absente pour raison de congé de maternité pendant une partie de
l’année, et que, au moment du versement de ladite prime, elle se trouvait en congé
parental pour s’occuper de sa fille.
Cette prime de Noël étant versée par l’employeur principalement ou exclusivement
comme un encouragement pour le travail futur et pour la fidélité à l’entreprise275,
l’employeur de Mme Lewen estimait qu’elle ne satisfaisait pas à ces critères et refusa de
lui verser ladite prime. L’intéressée contesta cette décision et la juridiction nationale,
afin de trancher le litige, a posé à la CJCE plusieurs questions préjudicielles, afin de
déterminer si cette prime de Noël constituait une rémunération au sens de l’article 119
du traité CE ou au sens de l’article 11, paragraphe 2b, de la directive 92/85/CEE.
272 c’est l’analyse de l’avocat général Léger sur l’affaire Gillespie, du 13 février 1996, aff. C-342/93, précité,point 48 : « […] en l’absence de texte communautaire d’harmonisation, il ne peut être valablement soutenuqu’une législation nationale ne prévoyant pas le maintien du salaire pendant le congé de maternité estcontraire [au droit communautaire]. En décider autrement, comme l’a fait remarquer le gouvernementirlandais, comporterait le risque de bouleverser l’équilibre d’un système global de protection sociale ».273 Masselot (A.), Berthou (K.), « La CJCE, le droit de la maternité et le principe de non discrimination – versune clarification ? », Cahiers de Droit européen, précité, p. 649 : « Au vu des affaires Boyle et Gillespie, ilrésulte que les femmes en congé de maternité sont dépourvues de recours quand un employeur se fonde surle principe de protection spécifique visé par la directive 92/85 pour justifier sa position. Le désavantagefinancier pour les femmes risque donc de se perpétuer : en effet, tant que le montant de la « prestationadéquate » pendant le congé de maternité sera contrôlé à la seule aune du montant perçu en cas d’absencepour congé de maladie, l’employeur ne pourra être pénalisé pour non versement d’un salaire intégralpendant un congé de maternité ».274 CJCE, 21 octobre 1999, Suzanne Lewen c/ Lothar Denda, aff. C-333/97, Rec. 1999, p. I-7243275 La CJCE ne dispose pas des éléments factuels nécessaires pour déterminer si cette prime est verséeégalement ou exclusivement pour récompenser le travail de l’année écoulée. Il est probable, cependant, quecette prime vise tant à récompenser le travail de l’année écoulée qu’à encourager la productivité destravailleurs pour l’année à venir. Voir les conclusions de l’Avocat général Ruiz-Jarabo Colomer (une fois deplus) sur l’affaire Lewen, précité, points 36 et 37
100
Elle cherchait également à savoir si l’exclusion intégrale ou partielle par
l’employeur du bénéfice de cette prime au détriment des femmes qui, au cours de
l’année d’octroi, ont bénéficié d’un congé de maternité, et qui bénéficient au moment du
versement de ladite prime d’un congé parental d’éducation, est contraire, notamment, à
l’article 119 du traité CE et à l’article 11, paragraphe 2 de la directive 92/85/CEE.
En ce qui concerne la prise en compte de la période de congé de maternité, la Cour
affirme que la prime constitue une rémunération au sens de l’article 119, mais selon
elle, il ne peut s’agir d’une rémunération au sens de l’article 11 paragraphe 2 de la
directive 92/85/CEE276, contrairement à ce qu’avait pourtant analysé M. Ruiz-Jarabo
Colomer dans ses conclusions277. Se fondant sur les arrêt Gillespie278 et Boyle279, il
estimait que la notion de rémunération utilisée à l’article 11 de la directive 92/85/CEE
englobait, à l’instar de la définition de la rémunération figurant à l’article 119 du traité,
tous les avantages que l’employeur paie directement ou indirectement pendant le congé
de maternité en raison de l’emploi de la travailleuse et que la notion de prestation à
laquelle se réfère également cette disposition comprenait tout revenu que la travailleuse
perçoit durant son congé de maternité et qui ne lui est pas versé directement par son
employeur au titre de la relation de travail. « Il est dès lors constant que la
rémunération au sens de l’article 11, point 2, sous b), de la directive 92/85, dont la
définition concorde avec celle de l’article 119 du traité, est limitée à celle versée par
l’employeur à la travailleuse pendant son congé de maternité »280.
Selon la Cour en effet, la rémunération visée par la disposition de l’article 11,
paragraphe 2b, de la directive 92/85/CEE est destinée à assurer aux travailleurs féminins
pendant leur congé de maternité la perception d’un revenu au moins équivalent à celui
que recevrait la travailleuse concernée dans le cas d’une interruption de ses activités
pour des raisons liées à sa santé, aux termes de l’article 11, paragraphe 3, de ladite
directive. Ce revenu peut être versé indifféremment sous la forme d’une prestation,
d’une rémunération ou d’une combinaison des deux, selon l’arrêt Boyle de la Cour281.
276 CJCE, 21 octobre 1999, Lewen, aff. C-333/97, précité, point 24277 Points 24 à 28 des conclusions sur l’affaire Lewen, précitée278 CJCE, 13 février 1996, aff. C-342/93, précité279 CJCE, 27 octobre 1998, aff. C-411/96, précité280 Point 25 des conclusions du l’affaire Lewen, précité281 CJCE, 27 octobre 1998, aff. C-411/96, précité, points 31 à 33 des motifs
101
Or, une prime telle qu’en l’espèce n’est pas destinée à assurer un tel niveau de
revenu pendant le congé de maternité au travailleur féminin, et elle ne saurait donc être
considérée comme relevant de la notion de rémunération au sens de l’article 11, point 2,
sous b), de la directive 92/85282.
Le juge communautaire en déduit, plus loin, que les périodes de congé de maternité
doivent être prises en compte pour le versement de la prime, puisqu’elles doivent être
assimilées aux périodes travaillées. En effet, « […] exclure les périodes de protection de
la mère des périodes travaillées aux fins de l’octroi d’une prime visant à rémunérer
rétroactivement le travail accompli discriminerait le travailleur en sa seule qualité de
travailleur puisque, si elle n’avait pas été enceinte, lesdites périodes auraient dues être
comptées comme périodes travaillées »283. De la même manière, l’article 119 du traité
s’oppose à ce qu’un employeur, lors de l’octroi d’une prime telle qu’en l’espèce, tienne
compte, de façon à réduire proportionnellement la prestation, des périodes de protection
de la mère284.
Il faut donc en conclure que lorsque la prestation considérée est octroyée en relation
avec le contrat de travail285, la femme en congé de maternité doit être assimilée à un
travailleur pour déterminer l’existence d’une discrimination. Par contre, la travailleuse
dans la même situation de congé de maternité ne peut faire valoir un traitement
discriminatoire relatif à sa rémunération lorsque cette dernière vise à assurer au
travailleur féminin un revenu minimal pendant ledit congé.
Ce sont donc deux formes distinctes de revenus qui sont reconnus par la CJCE dans
le domaine de la protection des débuts de la maternité. Un revenu minimum d’une part,
garanti par les services sociaux des Etats membres pendant les périodes d’absence de la
travailleuse en congé de maternité, qui est une rémunération ou une prestation selon
l’article 11, paragraphe 2b de la directive 92/85/CEE. Ce revenu, destiné uniquement
aux femmes dans cette situation spécifique que sont les débuts de la maternité, s’inscrit
dans une perspective de promotion de l’égalité substantielle entre les sexes, puisqu’il
s’agit de compenser – toutes proportions gardées – certains désavantages liés justement
282 CJCE, 21 octobre 1999, Lewen, aff. C-333/97, précité, point 24283 CJCE, 21 octobre 1999, Lewen, aff. C-333/97, précité, point 42284 CJCE, 21 octobre 1999, Lewen, aff. C-333/97, précité, point 48285 CJCE, 21 octobre 1999, Lewen, aff. C-333/97, précité, point 20
102
à l’absence de la femme en congé de maternité, et qui ne peuvent affecter que les
travailleurs féminins par essence. D’autre part, les autres formes de rémunération liées
au contrat de travail lui-même sont des rémunérations au sens de l’article 119 du traité
CE, comme en l’espèce une prime de Noël. Les femmes en congé de maternité sont en
droit de réclamer l’égalisation des modalités de ces rémunérations (et non pas des
rémunérations elles-mêmes) par rapport à celles que perçoivent les autres travailleurs
des deux sexes. On se situe ici dans une perspective d’égalité seulement formelle. La
protection de la femme en congé de maternité est donc plus limitée que celle qui
prévalait lors de sa grossesse. Cependant, à l’expiration dudit congé, la situation des
femmes apparaît encore plus précaire (chapitre 2).
103
Section 2 – La situation de la femme au terme du congé de maternité
Si la protection qu’est en droit d’attendre légitimement la femme pendant les
premiers temps de sa maternité peut apparaître, au terme de nos analyses, comme
insuffisante au regard de ce que l’on pouvait espérer de la reconnaissance par la CJCE
du statut tout à fait spécifique du congé de maternité, force est de constater qu’à
l’expiration dudit congé, la situation de la femme paraît encore plus préoccupante. En
effet, la maternité (ou plus exactement, le fait de devenir parents pour la femme et
l’homme) pose le problème essentiel de la conciliation de la vie familiale et de l’activité
professionnelle, problème qui concerne également les deux sexes. Or, cette conciliation,
il ne faut pas se voiler la face, reste une problématique très majoritairement féminine286.
Les soins parentaux que nécessitent les enfants, et surtout ceux en bas âge, sont toujours
perçus comme une responsabilité prioritairement féminine, au point que la vie privée
des femmes est souvent réduite à cette seule thématique de la maternité287. Cet
investissement forcé des femmes dans la sphère familiale, est-il besoin de le répéter,
crée de nombreux obstacles dans la carrière professionnelle des femmes, et sans même
parler de carrière, est à même de dissuader certaines femmes (par exemple celles dont
les niveaux de formation et/ou de qualification sont faibles) d’accéder au marché du
travail. Les initiatives du législateur communautaire commencent timidement à prendre
en compte cette situation, source de discriminations entre hommes et femmes dans le
monde professionnel, et tentent d’y apporter des solutions pragmatiques (paragraphe 1).
Néanmoins, la jurisprudence de la Cour de justice, qui témoigne de l’état actuel du droit
communautaire, semble ne pas retenir une approche de la maternité en tant que droit
286 Fagnani (J.), Maruani (M.), Méda (D.), Martin (C.), « Vie privée, vie professionnelle : l’arbitrageimpossible », Esprit, L’un et l’autre sexe, mars-avril 2001, pp. 187-201. Voici ce que livre d’embléeMargaret Maruani : « [J]e voudrais dire que l’idée d’une « conciliation » entre vie familiale et vieprofessionnelle me hérisse. Le seul terme de « conciliation », partout et toujours employé, est insupportableet injuste : en réalité, c’est un cache-sexe qu’on utilise pour signifier « femme » sans oser le dire. Quand onveut promouvoir le temps partiel, on dit que c’est pour la conciliation ; quant on veut promouvoir les congésparentaux, c’est pour la conciliation… par ailleurs, l’idée d’une conciliation me paraît fausse. Uneécrasante majorité de femmes aujourd’hui ne concilient pas vie professionnelle et vie privée (terme plus justeque vie familiale), elles le cumulent et s’en débrouillent. Dans conciliation, il y a une idée d’harmonie quin’existe pas ».287 Fagnani (J.), Maruani (M.), Méda (D.), Martin (C.), « Vie privée, vie professionnelle : l’arbitrageimpossible », Esprit, L’un et l’autre sexe, mars-avril 2001, p. 188
104
fondamental et impose en définitive une image stéréotypée de la femme, celle de la
« femme-mère »288 (paragraphe 2).
Paragraphe 1 - Les initiatives en faveur de la conciliation des obligations
familiales et professionnelles
Dans son rapport annuel de 1998 sur l’égalité des chances pour les femmes et les
hommes dans l’Union européenne289, la Commission européenne souligne que l’égalité
entre les sexes n’implique pas seulement une égalité formelle entre les femmes et les
hommes, mais également une nouvelle organisation du travail basée sur le double
principe d’un meilleur partage du temps entre les deux sexes, et d’un meilleur partage
du temps entre le travail rémunéré et non rémunéré, c’est-à-dire le travail domestique290.
Cette préoccupation résulte des profondes transformations du marché européen de
l’emploi durant ces dernières décennies, et notamment de l’augmentation du niveau de
participation des femmes à la vie active, ce qui n’a pas manqué de poser certains
problèmes. En effet, la plupart des femmes se retrouvent sur le marché du travail à
temps partiel291 ou en contrat temporaire, bien que toutes, loin s’en faut, n’en font pas le
choix. Il s’agit là d’un moyen pour ces femmes de parvenir à concilier vie
professionnelle et vie familiale, et dans la mesure où cette charge familiale leur incombe
principalement, cette situation représente « un obstacle sérieux à la réalisation de
l’égalité des chances pour les femmes »292.
Dans cette perspective, déjà en 1984, une directive sur le congé parental ou congé
pour raisons familiales avait été proposée293, se basant sur l’article 100 du traité CEE.
Mais le gouvernement du Royaume-Uni s’y est opposé en prétextant, notamment, les
coûts occasionnés par le congé parental. De même, en 1992 cette fois, le Conseil a
288 Masselot (A.), Berthou (K.), « La CJCE, le droit de la maternité et le principe de non discrimination – versune clarification ? », Cahiers de Droit européen, précité, pp. 652 et 654289 COM (99) 106 final, 5 mars 1999, 122 p.290 Rapport annuel 1998 sur l’égalité des chances entre les femmes et les hommes dans l’Union européenne,précité, p. 77291 En moyenne dans l’Union européenne, 33% des femmes exercent une activité professionnelle à tempspartiel, contre seulement 6% des hommes (Eurostat/Commission européenne, La situation sociale dansl’Union européenne 2000, précité, p. 34292 Commission européenne, L’égalité des chances pour les femmes et les hommes dans l’Union européenne1996, OPOCE, 1997, p. 57.293 JOCE n° C 316 du 27 novembre 1994, p. 7
105
adopté une recommandation concernant la garde des enfants294. Dans les considérants,
le Conseil expose en effet que les méthodes de garde des enfants, les congés parentaux
et les congés de maternité font partie d’un ensemble permettant aux travailleurs de
concilier leurs responsabilités familiales et leurs ambitions professionnelles. Il reconnaît
ainsi que « le manque de services de garde d’enfant à des prix abordables pour les
parents ainsi que d’autres initiatives visant à concilier les responsabilités familiales et
d’éducation d’enfants avec l’emploi, ou avec l’enseignement et la formation en vue
d’obtenir un emploi, des parents constitue un obstacle majeur à l’accès des femmes et à
leur participation plus efficace au marché du travail, à l’égalité des chances avec les
hommes, à la pleine participation des femmes à tous les secteurs de la société ainsi qu’à
l’exploitation efficace de leurs talents, qualifications et aptitudes »295. C’est pourquoi le
Conseil invite les Etats membres « à prendre et/ou à stimuler progressivement des
initiatives afin de permettre aux femmes et aux hommes de concilier leur responsabilités
professionnelles, familiales et d’éducation découlant de la garde des enfants ».
Il identifie plus spécialement quatre domaines où ces initiatives doivent être
envisagées : les congés spéciaux ; l’environnement, la structure et l’organisation du
travail répondant aux besoins des travailleurs avec des enfants ; la participation accrue
des hommes à la garde et à l’éducation des enfants ; les services de garde pour les
parents qui travaillent, qui sont en formation ou à la recherche d’un emploi. Enfin, la
recommandation du Conseil insiste particulièrement sur la nécessité pour les services de
garde d’être abordables et réparties de manière équilibrée sur tout le territoire
communautaire, tant en zone urbaine qu’en zone rurale296.
Concernant le congé parental, une directive a été adoptée en juin 1996 par le
Conseil297. Elle constitue le couronnement d’un débat qui a été lancé en 1983, date à
laquelle la Commission européenne avait présenté des propositions portant sur la mise
294 Recommandation 92/241/CEE du Conseil, du 31 mars 1992, concernant la garde des enfants, JOCE n° L123 du 8 mai 1992, p. 16295 Recommandation 92/241/CEE du Conseil, du 31 mars 1992, concernant la garde des enfants, précitée,10e considérant296 Recommandation 92/241/CEE du Conseil, du 31 mars 1992, concernant la garde des enfants, précitée,article 3297 Directive 96/34/CEE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l’accord-cadre sur le congé parental conclupar l’UNICE, le CEEP et la CES, JOCE n° L 145 du 19 juin 1996, p. 4
106
en place d’un instrument juridique lié au congé parental298. A l’occasion de l’entrée en
vigueur de l’accord sur la politique sociale, la Commission a entrepris de consulter les
partenaires sociaux au niveau communautaire à partir du 22 février 1995, au sujet des
initiatives à lancer sur la question de la conciliation de la vie professionnelle et de la vie
familiale, et, le 21 juin 1995, quant à la nature de l’action à entreprendre dans le
domaine spécifique du congé parental.
Le 7 juillet 1995, les partenaires sociaux (l’UNICE, le CEEP et la CES) ont
exprimé le souhait d’entamer des négociations et la Commission a alors suspendu son
initiative législative pour une période fixée à neuf mois à partir du 20 juillet 1995. Le 14
décembre 1995, les partenaires sociaux ont signé un accord-cadre sur le congé parental
destiné à mettre en place des prescriptions minimales sur ledit congé et l’absence pour
raison de force majeure, en tant que moyen important de concilier la vie professionnelle
et familiale et de promouvoir l’égalité des chances et de traitement entre les hommes et
les femmes.
Ils ont demandé à la Commission de soumettre cet accord au conseil afin qu’il
prenne une décision et rendent ces prescriptions contraignantes dans les Etats membres
de la Communauté, à l’exception du Royaume-Uni, qui n’était pas lié à l’époque par
l’accord sur la politique sociale, annexé au protocole n° 14 du traité CE.
A l’occasion de la réunion du Conseil du travail et des Affaires sociales du 29 mars
1996, les 14 Etats membres sont parvenus à un accord politique sur l’accord-cadre
relatif au congé parental conclu par les partenaires sociaux. Ainsi a été adoptée la
directive 96/34/CE du Conseil, le 3 juin 1996299. Suite au Conseil européen
d’Amsterdam des 16 et 17 juin 1997, où l’accord sur la politique sociale a été intégré
dans le traité CE, le Conseil a adopté la directive 97/75/CE, le 15 décembre 1997 qui
modifie et étend au Royaume-Uni la directive 96/34/CE relative au congé parental300.
298 Commission européenne, L’égalité des chances pour les femmes et les hommes dans l’Union européenne1996, OPOCE, 1997, p. 63. Cette proposition est publiée au JOCE n° C 333 du 9 décembre 1983, p. 6299 Directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l’accord-cadre sur le congé parental conclupar l’UNICE, le CEEP et la CES, JOCE n° L 145 du 19 juin 1996, p. 4300 Directive 97/75/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, modifiant et étendant au Royaume-Uni la directive96/34/CE concernant l’accord-cadre sur le congé parental conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES ; JOCEn° L 10 du 16 janvier 1998, p. 4
107
L’accord-cadre prévoit l’octroi d’un droit individuel à un congé parental pour tous
les travailleurs, hommes et femmes, suite à la naissance ou à l’adoption d’un enfant,
leur permettant de s’occuper de cet enfant pendant au moins trois mois, jusqu’à un âge
déterminé pouvant aller jusqu’à huit ans. Les conditions d’accès et les modalités
d’application du congé parental sont définies par les législations nationales ou les
conventions collectives conclues dans les Etats membres301. En outre, la directive
prévoit certaines garanties afin d’assurer que les travailleurs puissent exercer leur droit
au congé parental. Les Etats membres et les partenaires sociaux doivent prendre les
mesures nécessaires pour protéger les travailleurs contre le licenciement en raison de la
demande ou de la prise du congé parental302. Ainsi, à l’issue du congé parental, le
travailleur a le droit de retourner à son poste de travail, et en cas d’impossibilité, un
travail équivalent. De même, les droits acquis ou en cours d’acquisition par le
travailleur à la date du début du congé parental doivent être maintenus jusqu’au terme
dudit congé. Cependant, la directive reste muette sur la question du revenu pendant la
durée du congé. La Cour de justice aura néanmoins l’occasion de se prononcer sur cette
question dans l’arrêt Lewen303.
Il semble assez probable que l’effet principal de cette directive sera d’ordre surtout
symbolique304, en soulignant l’importance des deux parents pour l’équilibre et le bien-
être de la famille, ainsi que la nécessaire implication des hommes et des femmes pour
faire de la législation communautaire relative à l’égalité des chances une réalité.
Cependant, on peut regretter la brève durée du congé parental qui est accordé en vertu
de la directive305.
Une recommandation du Conseil, en date du 29 juin 2000 est venue compléter et
renforcer les dispositions relatives au congé parental et aux mesures visant la garde des
enfants306.
301 Directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l’accord-cadre sur le congé parental conclupar l’UNICE, le CEEP et la CES, précité, clause 2, point 1302 Directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l’accord-cadre sur le congé parental conclupar l’UNICE, le CEEP et la CES, précité, clause 2, points 4 à 6303 CJCE, 21 octobre 1999, aff. C-333/97, Rec. 1999, p. I-7243304 Ellis (E.), EC Sex Equality Law, Clarendon Press, Oxford, 1998, p. 266305 Ellis (E.), EC Sex Equality Law, précité, p. 266306 Résolution du Conseil et des ministres de l’emploi et de la politique sociale, réunis au sein du Conseil du29 juin 2000 relative à la participation équilibrée des femmes et des hommes à la vie professionnelle et à lavie familiale, JOCE n° C 218 du 31 juillet 2000, p. 5
108
Le Conseil expose d’abord que la promotion de l’égalité entre hommes et femmes
est devenue une tâche primordiale de la Communauté en vertu du traité d’Amsterdam,
avant de déclarer que « [l]e principe de l’égalité entre les hommes et les femmes impose
de compenser le désavantage des femmes en ce qui concerne les conditions d’accès et
de participation au marché du travail et le désavantage des hommes pour ce qui est des
conditions de participation à la vie familiale, qui font toujours considérer le travail non
rémunéré accompli dans l’intérêt des familles comme une responsabilité principale des
femmes et le travail rémunéré dans la sphère économique comme une responsabilité
principale des hommes »307.
Il reconnaît également de manière explicite, pour la première fois en ces termes, la
valeur sociale de la parentalité en général, et de la maternité en particulier, ce que la
doctrine appelait ardemment de ses vœux308. Ainsi, le Conseil énonce que « [l]a
participation équilibrée des femmes et des hommes au marché du travail et à la vie
familiale, qui est un avantage tant pour les hommes que pour les femmes, constitue un
élément indispensable au développement de la société, et la maternité, la paternité,
ainsi que les droits des enfants sont des valeurs sociales éminentes qui doivent être
sauvegardées par la société, par les Etats membres et par la Communauté
européenne »309.
C’est ainsi, qu’en complément de mesures destinées spécifiquement aux femmes, le
Conseil se prononce sur l’opportunité de reconnaître aux hommes certains droits
réservés traditionnellement aux femmes, comme un congé de paternité, pour faire
advenir une égalité réelle, effective entre les sexes : en effet, la parentalité ne saurait
être réduite à la seule maternité sans entraîner de traitements défavorables envers les
femmes, et, dans une moindre mesure, envers les hommes également310. C’est ainsi que
307 Résolution du 29 juin 2000, précité, 2e considérant308 Christine Boch notait, dans « Où s’arrête le principe d’égalité ou de l’importance d’être bien portante »,Cahiers de Droit européen, précité, p. 179 : « il serait nécessaire que la valeur sociale de la grossesse et dela maternité soit reconnue de manière consciente et explicite par les pouvoirs publics au travers d’unensemble de mesures. »309 Résolution du Conseil du 29 juin 2000, précitée, 4e considérant, souligné par nous310 Fagnani (J.), Maruani (M.), Méda (D.), Martin (C.), « Vie privée, vie professionnelle : l’arbitrageimpossible », Esprit, L’un et l’autre sexe, précité, p. 189 : « Sur le marché du travail, à un niveau équivalent[de qualification], les femmes rencontrent en effet plus de difficultés pour progresser dans leur carrière queles hommes. Mais un homme qui fait le choix de consacrer plus de temps à l’éducation de ses enfants et quidécide de réduire momentanément sa durée de travail est souvent confronté dans les entreprises à desobstacles de tout ordre et ce type de comportement est socialement stigmatisant. Il risque également d’êtrevictime de discrimination s’il refuse de se conformer aux normes en vigueur dans le monde du travail ! »
109
dans son article 2, point b, le Conseil encourage les Etats membres à mettre au point des
stratégies globales et intégrées visant à susciter la participation équilibrée des hommes
et des femmes à la vie professionnelle et à la vie familiale en étudiant notamment la
possibilité de reconnaître aux hommes qui travaillent un droit individuel et non
transmissible au congé de paternité, après la naissance ou l’adoption d’un enfant, tout en
conservant les droits relatifs à leur emploi, congé qu’ils prendraient en même temps que
la mère prend un congé de maternité, indépendamment de la durée de ces congés.
On le voit donc, les initiatives du législateur communautaire visent à dépasser une
vision stéréotypée des relations entre les sexes et de la participation respective des
hommes et des femmes à la vie sociale, afin de faire advenir une égalité concrète,
effective entre les sexes au-delà des clivages sociaux traditionnels relatifs au sexe. Or,
force est de constater que, pour le moment encore, la CJCE se situe très nettement en
retrait de ces préoccupations, et qu’elle n’est pas véritablement prête à appliquer à la
maternité, et au-delà, à la parentalité, un régime d’égalité substantielle (paragraphe 2).
Paragraphe 2 – La persistance du stéréotype de la « femme-mère »
Ainsi, dans l’arrêt Hofmann311, qui fut la première question préjudicielle tendant à
obtenir une interprétation de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 76/207/CEE, la
Cour de justice conclut à la validité de dispositions nationales garantissant aux femmes
exclusivement, à l’expiration du délai légal de protection de la grossesse et de maternité,
un droit spécifique à un congé supplémentaire.
Dans cette affaire, à la suite de la naissance de leur premier enfant, Ulrich Hofmann
et sa compagne avaient convenu que le père s’occuperait du nouveau-né à l’expiration
du congé de maternité obligatoire, afin de permettre à la mère, dans les meilleurs délais,
de reprendre son activité d’enseignante, lui évitant ainsi une interruption qui pouvait
s’avérer fâcheuse dans une profession où elle débutait.
311 CJCE, 12 juillet 1984, Ulrich Hofmann c/ Barmer Ersatzkasse, aff. 184/83, Rec. 1984, p. 3047
110
Avec l’accord de son employeur, M. Hofmann a donc pris un congé correspondant
au congé complémentaire facultatif, introduit par une loi allemande du 25 juin 1979, qui
dispense la mère de son activité professionnelle depuis l’expiration de son congé de
maternité obligatoire de 8 semaines après l’accouchement, jusqu’au jour où l’enfant a
atteint l’âge de six mois. Pendant ce congé complémentaire, la mère perçoit une
allocation versée par l’Etat.
M. Hofmann a demandé ultérieurement le bénéfice de l’allocation de maternité
correspondant au congé complémentaire. Devant le refus opposé par la Caisse de
maladie compétente, confirmé par jugement du Tribunal social (« Sozialgericht ») de
Hambourg, M. Hofmann a interjeté appel de cette décision devant le
« Landessozialgericht » de Hambourg, qui a déféré à la CJCE deux questions
préjudicielles. En substance, le juge national cherchait à déterminer si un congé
complémentaire de maternité, dans la mesure où il est réservé exclusivement aux mères
exerçant une activité professionnelle et non alternativement à l’un des deux parents en
cas d’accord de leur part, était compatible avec la disposition des articles 1, 2 et 5 de la
directive 76/207/CEE. Il voulait savoir ensuite, en cas de réponse affirmative à la
première question, si les dispositions précitées étaient d’applicabilité directe dans les
Etats membres.
M. Hofmann avait fait valoir que l’exclusivité dont jouissaient les mères en vertu de
la législation nationale litigieuse n’était pas fondée sur une donnée objective,
caractérisant la situation de la femme de manière spécifique, comme par exemple son
état de santé après l’accouchement. Il avait analysé que l’état de santé de la mère n’était
pas le facteur déterminant de l’octroi du congé complémentaire, et il faisait ressortir que
son véritable objectif était de permettre à la mère de se consacrer au nouveau-né.
En outre, il n’était pas nécessaire, selon lui, de réserver le bénéfice exclusif du
congé à la mère, afin de la protéger, puisque la faculté pour le père non seulement de
prendre soin de son enfant mais également de s’occuper de l’entretien du ménage
contribuerait à alléger tout autant la mère des charges qui sont susceptibles de
préjudicier à la santé de la mère. En conséquence, il affirmait que le droit au congé
complémentaire devait être ouvert au père, sur la base de l’égalité de traitement entre les
sexes dans les conditions de travail.
111
A cette argumentation, soutenue par la Commission, la Caisse de maladie et le
gouvernement allemand ont opposé, sur l’essentiel des points contestés, une
interprétation de la législation allemande qui, s’attachant à sa finalité, qui est la
protection de la santé de la mère, en démontrait la cohérence et la compatibilité au
regard de la directive 76/207/CEE312.
L’Avocat général Darmon poursuit un raisonnement tout autre. Selon lui,
l’application du principe fondamental de l’égalité de traitement entre les sexes, aux
termes de l’arrêt Defrenne III313, implique que seuls les droits réservés au sexe opposé
peuvent être revendiqués par les travailleurs de l’autre sexe, et que seuls les droits
professionnels sont couverts par la directive 76/207/CEE et non les droits afférents par
exemple à la qualité de chef de famille, quand leur exercice est indépendant de la
profession. Ainsi, il lui apparaît « […] clairement que l’établissement d’un congé ouvert
alternativement aux deux parents n’entre pas dans le domaine de la directive 76/207.
Le choix consistant à favoriser une meilleure répartition des responsabilités au sein du
couple appartient dans l’immédiat exclusivement aux Etats membres, ce qui explique
les disparités des législations nationales existant en la matière. […] Autrement dit, en
l’état actuel du droit communautaire, on outrepasserait le cadre fixé par le législateur
communautaire en présupposant établi ce qui n’est pas encore institué »314. Ces
scrupules sont, à première vue, légitimes, nous l’avons déjà analysé : la CJCE ne peut se
substituer au législateur communautaire.
Est-ce pourtant réellement ce que lui demande le requérant ? A notre sens, il s’agit
plutôt, pour le juge communautaire, de tirer toutes les conséquences du principe
d’égalité qu’il a pour mission de défendre. Ainsi, il est indubitable que la question de la
répartition des responsabilités familiales n’entre pas dans le champ d’application
ratione materiae de la directive 76/207/CEE, du moins, pas directement. Cependant, il
est indéniable que la répartition profondément inégale de ces responsabilités familiales,
symptôme autant que cause de la discrimination sexuelle, désavantage directement les
femmes sur le marché du travail. En effet, cette répartition exige de la mère un
« arbitrage impossible » entre vie familiale et vie professionnelle, du fait des attentes
312 Conclusions de l’avocat général Darmon sur l’affaire Hofmann, aff. 184/83, précité, points 5 et 6.313 CJCE, 15 juin 1978, Gabrielle Defrenne c/ Société anonyme belge de navigation aérienne (Sabena), aff.149/77, Rec. 1978, p. 1365, attendus 24 à 29314 Conclusions de l’avocat général Darmon sur l’affaire Hofmann, aff. 184/83, précité, point 8
112
sociales relatives à l’investissement très important de la part des femmes dans la prise
en charge des obligations familiales315.
Dans cette perspective, il est illusoire, voire cynique, de ne pas reconnaître que la
directive 76/207/CEE s’étend de fait, sinon par principe, à la question de l’organisation
de la famille ou de la répartition des responsabilités au sein du couple. Il faut être
particulièrement peu lucide pour affirmer que l’égalité parentale, ou plus exactement la
répartition égalitaire et équilibrée des charges familiales, n’est pas une condition
essentielle à l’établissement d’une égalité réelle entre les sexes, et qu’elle ne saurait
donc entrer dans le champ d’application de la directive 76/207/CEE316.
Faut-il voir, comme le sous-entend l’avocat général Darmon, dans la démarche du
juge communautaire une preuve de son réalisme et de sa prudence, puisqu’il ne
souhaiterait pas anticiper sur l’évolution des mœurs, « même pour un traitement qui est
incontestablement discriminatoire »317 ? En tout état de cause, la Cour de justice
confirme l’analyse de son Avocat général lorsqu’elle affirme que la directive
76/207/CEE « […] n’a pas pour objet de régler des questions relatives à l’organisation
de la famille ou de modifier la répartition des responsabilités au sein du couple »318.
Selon la Cour, la protection de la grossesse et de la maternité vise en fait « la
protection de deux ordres de besoins de la femme. Il s’agit d’assurer, d’une part, la
protection de la condition biologique de la femme au cours de la grossesse et à la suite
de celle-ci, jusqu’à un moment où ses fonctions physiologiques et psychiques sont
normalisées à la suite de l’accouchement et, d’autre part, la protection des rapports
particuliers entre la femme et son enfant au cours de la période qui fait suite à la
grossesse et à l’accouchement, en évitant que ces rapports ne soient troublés par le
cumul des charges résultant de l’exercice simultané d’une activité professionnelle »319.
Or, comme seule la femme peut se trouver sous des pressions indésirables de reprendre
prématurément son travail, un congé spécifique, légitime dans un souci de protection de
315 Voir en ce sens Fagnani (J.), Maruani (M.), Méda (D.), Martin (C.), « Vie privée, vie professionnelle :l’arbitrage impossible », Esprit, L’un et l’autre sexe, précité, p. 189316 C’est pourtant ce qu’énonce M. Darmon dans le point 10 de ses conclusions sur l’affaire Hofamnn,précitée.317 Conclusions de l’Avocat général Darmon sur l’affaire Hofmann, précitée, point 9318 CJCE, 12 juillet 1984, Hofmann, aff. 184/83, précité, attendu 24319 CJCE, 12 juillet 1984, Hofmann, aff. 184/83, précité, point 25 des motifs
113
la femme, peut lui être exclusivement réservé, sans qu’il soit incompatible avec la
directive 76/207/CEE320.
Cette conclusion appelle plusieurs remarques. D’abord, la référence à la
« normalisation » de l’état de la travailleuse après son accouchement nous laisse
perplexe : la grossesse, ainsi que toutes ses conséquences habituelles321 ne seraient donc
pas normales en elles-mêmes ? Seule une perception androcentrique de la grossesse et
de la maternité saurait qualifier ainsi le repos de la femme en post-partum de « période
de normalisation de l’état de la femme ». Mais surtout, la référence aux rapports
particuliers entre la femme et son enfant, occultant les relations, tout aussi privilégiées
pourtant, entre le père et son enfant, ne fait que continuer de « promouvoir le stéréotype
selon lequel les femmes sont les seules à pouvoir s’occuper des enfants »322. En outre,
réserver l’exclusivité du congé complémentaire, qui n’est autre qu’un congé parental en
définitive, aux femmes contribue à perpétuer l’idée reçue que se sont en priorité celles-
ci qui doivent prendre en charge les obligations familiales. Enfin, que dire de l’assertion
selon laquelle seule la mère peut être victime de pressions indésirables afin qu’elles
reprennent son travail plus tôt ? Pour justifiées qu’elles soient, ces craintes occultent
totalement le fait que de telles pressions sociales s’exercent également sur le père, mais
d’une manière assez différente. Ici, pas de pression de reprendre son activité
prématurément, il s’agit bien plutôt de pressions visant à décourager le père de
s’absenter de son lieu de travail pour s’occuper de son (ses) enfant(s). Ces contraintes
sociales se voient renforcées par la légitimation juridique ou jurisprudentielle du rôle
maternel traditionnel des femmes, légitimation qu’entreprend la Cour.
La jurisprudence Hofmann de la CJCE avait été annoncée par un arrêt de 1983,
Commission c/ Italie323. La Cour de justice a reconnu dans cet arrêt la possibilité d’un
traitement particulier pour protéger les relations entre la femme et son enfant adoptif.
Cette affaire concernait une loi italienne qui accordait l’équivalent d’un congé de
maternité à la femme qui adoptait un enfant dont l’âge n’excédait pas six ans au
moment de l’adoption. Ce congé était cependant refusé au père adoptif. La mère
320 CJCE, 12 juillet 1984, Hofmann, aff. 184/83, précité, point 26321 comme par exemple la fatigue ou la « célèbre » dépression post-partum.322 Masselot (A.), Berthou (K.), « La CJCE, le droit de la maternité et le principe de non-discrimination –vers une clarification ? », Cahiers de Droit européen, précité, p. 655323 CJCE, 26 octobre 1983, Commission c/ Italie, aff. 163/82, Rec. 1983, p. 3273
114
adoptive pouvait donc prétendre à un congé payé pendant les trois mois qui suivaient
l’entrée de l’enfant dans la famille d’adoption. La Cour a estimé que la différence de
traitement entre les parents adoptifs, en faveur de la mère, se justifiait par « le souci
légitime d’assimiler, autant que possible, l’entrée d’un enfant adoptif dans une famille
d’adoption aux conditions qui président à l’arrivée d’un nouveau-né dans une famille
durant cette période initiale particulièrement délicate »324. C’est donc postuler que la
femme est seule à devoir prendre en charge les obligations familiales, ou, à tout le
moins, qu’elle en est la seule capable.
La Cour imposera à nouveau cette vision stéréotypée du rôle des femmes dans les
arrêts Boyle325 et Lewen326. Dans l’arrêt Boyle, les salariés de l’EOC, employeur de la
requérante, avait la possibilité de prendre un certain nombre de congés non rémunérés,
comme des congés de maladie non rémunérés, des congés pour convenance personnelle
ou encore des congés de maternité supplémentaires. Pendant ces congés spéciaux, les
salariés n’ont pas droit à l’acquisition du congé annuel rémunéré. Mme Boyle et ses
collègues faisaient valoir que cette disposition était une discrimination indirecte envers
les femmes, puisqu’un nombre plus important de femmes que d’hommes prend des
congés non rémunérés dans le but de s’occuper des enfants327.
La juridiction nationale, saisie du litige au principal, a sursis a exécution et a
demandé, en substance, à la CJCE si une clause qui limite la période d’acquisition des
droits au congé annule à la durée légale minimale de 14 semaines de congé de
maternité, excluant ainsi toute autre période de congé de maternité supplémentaire, était
compatible avec le droit communautaire.
La Cour de justice a accepté qu’une plus grande proportion de femmes que
d’hommes est touchée par une telle réduction d’acquisition des droits. Cependant, la
Cour a rejeté la qualification de discrimination indirecte : « […] l’application plus
fréquente d’une telle clause aux femmes résulte de l’exercice du droit au congé de
324 Waelbroeck (M.), Frignani (A.), Commentaire J. Mégret, le droit de la CE, tome7, Politique sociale,Education et jeunesse, précité, p. 150325 CJCE, 27 octobre 1998, aff. C-411/96, précité326 CJCE, 21 octobre 1999, aff. C-333/97, précité327 La CJCE a défini la discrimination indirecte comme l’application d’une mesure nationale, bien queformulée de façon neutre, désavantage en fait un nombre beaucoup plus important de femmes que d’hommes(notamment dans l’arrêt Boyle, du 27 octobre 1998, aff. C-411/96, précité, point 76)
115
maternité non rémunéré que les employeurs leur ont accordé[…] »328. Ainsi,
l’interruption de l’acquisition des droits aux congés annuels pendant ce congé ne saurait
entraîner un traitement défavorable des femmes329.
La CJE suivra un raisonnement similaire, fondé sur le « choix » des femmes de
prendre un congé parental, dans l’arrêt Lewen330, où la requérante avait été privée du
bénéfice de la prime de Noël parce que, justement, elle avaient pris un congé parental.
La Cour énonce que « [l]e travailleur qui exerce le droit au congé d’éducation que la
législation lui accorde et qui comporte une allocation d’éducation versée par l’Etat se
trouve dans une situation spécifique, qui ne peut être assimilée à celle d’un homme ou
d’une femme qui travaille, puisque ce congé se caractérise par la suspension du contrat
de travail et, dès lors, des obligations respectives de l’employeur et du travailleur »331.
La requérante au principal avait fait valoir qu’il ne s’agissait guère d’un choix, puisque
de manière très nette, un nombre considérablement plus élevé de femmes décidaient de
prendre un congé parental, et, qu’en conséquence, plus de femmes que d’hommes se
voyaient privés du versement d’une prime telle qu’en l’espèce. Il s’agissait donc, selon
Mme Lewen, d’une forme de discrimination indirecte. Mais la Cour ne suivra pas cette
analyse, comme elle l’avait déjà rejetée dans l’arrêt Boyle. Elle affirme ainsi que, bien
que les femmes aient bien plus souvent recours au congé d’éducation que les hommes,
les femmes en congé parental ne se trouvent pas sur le lieu de travail et que leur
situation ne peut être comparée à celle d’un homme.
Ainsi, si le congé parental n’est pas – par définition - l’apanage des femmes, la
Cour ignore cette réalité juridique et se fonde sur une réalité construite socialement pour
assimiler le congé parental à un avantage spécifique pour les femmes. Depuis l’arrêt
Hofmann, malgré l’adoption de textes communautaires, on s’aperçoit donc que la
position du juge communautaire n’a guère évoluée sur la question du congé parental, ce
qui limite très certainement l’action de la Communauté qui vise à promouvoir et établir
l’égalité réelle entre les sexes, la Cour se contentant de reconnaître seulement un régime
d’égalité formelle applicable à la maternité.
328 CJCE, 27 octobre 1998, Boyle, aff. C-411/96, précité, point 78329 CJCE, 27 octobre 1998, Boyle, aff. C-411/96, précité, point 79330 CJCE, 21 octobre 1999, Lewen, aff. C-333/97, précité331 CJCE, 21 octobre 1999, Lewen, aff. C-333/97, précité, point 37
116
L’arrêt Gruber332 semble le confirmer : dans cette affaire, la Cour a décidé que la
rupture d’un contrat de travail par une salariée, au motif que les structures d’accueil
pour les enfants de moins de trois ans sont insuffisantes, ne peut être qualifiée de
cessation légitime du contrat de travail. La femme dans cette situation n’est pas fondée à
attendre une indemnisation de son employeur, indemnisation prévue par la législation
nationale, et versée aux salariés en cas de démission pour des motifs « légitimes »
comme la maladie, la diminution indue de la rémunération ou la faute de l’employeur.
En tout état de cause, les difficultés liées à la conciliation entre la vie familiale et le vie
professionnelle ne sauraient être qualifiées de motif légitime dans cette circonstance,
preuve supplémentaire s’il en fallait, que la Cour ne considère pas la maternité comme
un droit fondamental dont elle doit assurer le respect.
332 CJCE, 14 septembre 1999, aff. C-249/97, Rec. 1999, p. I-5295
117
CONCLUSION
Au terme de notre analyse, il nous apparaît certain que la protection accordée à la
femme enceinte et à la jeune mère par le droit communautaire, peut être renforcée.
Certes, la protection de la travailleuse pendant sa grossesse jusqu’à l’expiration de son
congé de maternité contre les traitements discriminatoires liés à la prise en compte de
son état spécifique ne semble guère pouvoir être développée davantage, hormis dans le
domaine sensible des rémunérations. Les travailleuses enceintes ou qui viennent
d’accoucher, et qui sont en congé de maternité, ne peuvent en effet prétendre au
versement par leur employeur de l’intégralité de leur salaire.
Pourtant, la situation de la femme à l’expiration de son congé de maternité paraît,
quant à elle, plus préoccupante, lorsque l’on constate que la CJCE elle-même, au travers
de sa jurisprudence, contribue à perpétuer l’image stéréotypée de la « femme-mère »,
chargée en priorité des responsabilités familiales. Inconsciente (volontairement ?) des
obstacles que rencontrent quotidiennement les femmes dans la conciliation difficile
entre leurs obligations familiales et professionnelles, la Cour ne propose pas de modèle
alternatif de la parentalité, qui associerait plus étroitement le père à la vie familiale et ne
la réduirait pas à la seule maternité, ainsi que l’orientation législative communautaire
dans ce domaine le demande pourtant.
Enfin, nous terminerons par un point que nous avons simplement évoqué sans
l’analyser plus avant : le fait que la protection contre le licenciement pour motif de
grossesse reste subordonnée à la conclusion d’un contrat de travail à durée
indéterminée. La doctrine s’était émue fort à propos de l’interprétation donnée par la
Cour de justice dans ses arrêts Webb333 et Habermann-Beltermann334.
333 CJCE, 14 juillet 1994, Webb, aff. C-32/93, Rec. 1994, p. I-3567334 CJCE, 5 mai 1994, Habermann – Beltermann, aff. C-421/92, Rec. 1994, p. I-1657
118
La CJCE a rendu très récemment deux arrêts relatifs au licenciement de
travailleuses enceintes engagées pour une durée déterminée335 Dans les deux cas, les
Avocats généraux ont analysé que ce traitement constituait également une
discrimination directe et devait, par conséquent, être interdit. La Cour a suivi ces
conclusions.
Intéressons-nous d’abord à l’arrêt Tele Danmark. Dans cette affaire, Mme Brandt-
Nielsen a été engagée par la société Tele Danmark pour une durée de six mois, à
compter du 1er juillet 1995. En août 1995, Mme Brandt-Nielsen a informé son
employeur de sa grossesse, dont le terme était prévu pour le début du mois de
novembre. Le 23 août 1995, elle a été licenciée avec effet au 30 septembre, au motif
qu’elle n’avait pas informé son employeur de sa grossesse lors de son recrutement.
Mme Brandt-Nielsen contesta cette décision devant les juridictions nationales, en
arguant l’illégalité d’un licenciement fondé sur la grossesse. La société Tele Danmark
faisait valoir, quant à elle, que Mme Brandt-Nielsen avait omis de signaler sa grossesse
et que son congé de maternité l’empêchait d’exercer le travail pour lequel elle avait été
engagée pendant une grande partie de la durée de son contrat. La Cour suprême danoise,
le Hojesteret, saisie de l’affaire en appel, a décidé de surseoir à statuer et à posé à la
CJCE deux questions préjudicielles. Le Hojesteret cherchait à savoir si, en substance, la
lecture combinée de la directive 76/207/CEE et de la directive 92/85/CEE s’opposait au
licenciement d’une employée dans l’hypothèse où elle avait été embauchée à titre
temporaire, que celle-ci n’avait pas informé son employeur de sa grossesse et que ladite
grossesse empêchait l’employée de travailler pendant une grande partie de la durée de
son contrat.
La Cour débute son analyse très logiquement par un rappel de sa jurisprudence
antérieure, en réaffirmant tout d’abord au point 25 des motifs, que le licenciement d’une
travailleuse en raison de sa grossesse constitue une discrimination directe fondée sur le
sexe, contraire au droit communautaire. En outre, en vertu de la directive 92/85/CEE, la
protection des travailleuses enceintes contre le licenciement s’étend du début de la
grossesse jusqu’au terme du congé de maternité. Cependant, la société Tele Danmark a
fait valoir que c’était moins la grossesse de Mme Brandt-Nielsen qui importait en
335 CJCE, 4 octobre 2001, Jimenez Melgar, aff. C-438/99, et 4 octobre 2001, Tele Danmark c/ Brandt-Nielsen,non encore publiés au Recueil
119
l’espèce, que son incapacité, en raison de son congé de maternité, à effectuer une partie
substantielle de la durée du contrat serait constitutive d’un manquement au devoir de
loyauté qui s’impose dans les relations de travail entre employeurs et travailleurs. C’est
pourquoi elle avait été licenciée. En outre, selon la société Tele Danmark, « […] c’est
seulement lorsque le contrat a été conclu pour une durée indéterminée que le refus
d’employer une femme enceinte ou son licenciement méconnaissent le droit
communautaire. En effet, dans le cadre d’une telle relation de travail, il devrait être
présumé que les obligations de la travailleuse perdurent au-delà du congé de maternité,
si bien que le respect du principe d’égalité aboutirait à un résultat équilibré »336.
Cependant, la Cour n’entend pas ces arguments. Concernant tout d’abord la
question de l’omission de Mme Brandt-Nielsen d’informer son employeur de sa
grossesse, la Cour semble se ranger à l’avis de la Commission et de la Commission de
surveillance AELE, qui ont présenté des observations écrites, et qui ont fait valoir que la
travailleuse ne se trouve pas dans l’obligation d’informer son employeur de son état
puisque ce dernier n’est pas en droit d’en tenir compte lors du recrutement. En outre, si
une telle obligation d’information était admise, elle risquerait de priver d’effet la
protection des travailleuses enceintes instaurée par l’article 10 de la directive
92/85/CEE, alors que le législateur a prévu une protection particulièrement élevée337.
Concernant l’exigence de disponibilité du travailleur et de bonne exécution du
contrat de travail que la société Tele Danmark a souligné, la Cour réaffirme que, selon
sa jurisprudence Webb338, « […] si la disponibilité du travailleur est nécessairement
pour l’employeur une condition essentielle à la bonne exécution du contrat de travail,
la protection garantie par le droit communautaire à la femme en cours de grossesse,
puis après l’accouchement, ne saurait dépendre du point de savoir si la présence de
l’intéressée, pendant la période correspondant à son congé de maternité, est
indispensable à la bonne marche de l’entreprise où elle est employée. Une
interprétation contraire priverait les dispositions de la directive 76/207 de leur effet
utile »339. Mais la CJCE continue, et affirme de manière lapidaire que cette
336 CJCE, 4 octobre 2001, Tele Danmark, aff. C-109/00, précité, point 21 des motifs337 CJCE, 4 octobre 2001, Tele Danmark, aff. C-109/00, précité, point 24 des motifs338 CJCE, 14 juillet 1994, Webb, aff. C-32/93, Rec. 1994, p. I-3567, point 26339 CJCE, 4 octobre 2001, Tele Danmark, aff. C-109/00, précité, point 29 des motifs
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interprétation « […] ne saurait être modifiée en raison de la circonstance que le contrat
de travail a été conclu pour une durée déterminée. »340
« En effet, continue-t-elle dans les points suivants, dès lors que le licenciement
d’une travailleuse en raison de sa grossesse constitue une discrimination directe fondée
sur le sexe, quelles que soient la nature et l’étendue du préjudice économique subi par
l’employeur en raison de l’absence liée à la grossesse, la circonstance que le contrat de
travail a été conclu pour une durée déterminée ou indéterminée demeure sans incidence
sur le caractère discriminatoire du licenciement. Dans les deux cas, l’incapacité de la
salariée à exécuter son contrat de travail est due à la grossesse. En outre, la durée
d’une relation de travail est un élément particulièrement aléatoire de celle-ci dès lors
que, même si le travailleur a été engagé en vertu d’un contrat à durée déterminée, une
telle relation peut être plus ou moins longue et, par ailleurs, elle est susceptible d’être
renouvelée ou prolongée.
Force est de constater, enfin, que les directives 76/207 et 92/85 n’opèrent aucune
distinction quant à la portée du principe de l’égalité de traitement entre hommes et
femmes, selon la durée de la relation de travail en cause. Si le législateur
communautaire avait voulu exclure du champ d’application des directives les contrats à
durée déterminée, lesquels représentent une part importante des relations de travail, il
l’aurait expressément précisé »341.
Enfin, dans l’arrêt Jimenez Melgar342 du même jour, la Cour reprend ses
conclusions sur l’affaire Tele danmark, mais dote de surcroît l’article 10 de la directive
92/85/CEE, relatif au licenciement des travailleuses enceintes, de l’effet direct. En effet,
la Cour constate que les dispositions de l’article 10 de la directive 92/85/CEE imposent
aux Etats membres, notamment en leur qualité d’employeur, des obligations précises
qui ne leur laissent, pour l’exécution de celles-ci, aucune marge de manœuvre343. Ainsi,
à défaut de mesures de transposition prises par un Etat membre dans le délai prescrit par
la directive, l’article 10 confère aux particuliers des droits qu’ils peuvent faire valoir
devant leurs juridictions nationales.
340 CJCE, 4 octobre 2001, Tele Danmark, aff. C-109/00, précité, point 31 des motifs341 CJCE, 4 octobre 2001, Tele Danmark, aff. C-109/00, précité, points 32 et 33 des motifs342 CJCE, 4 octobre 2001, Jimenez Melgar, aff. C-438/99, non encore publié343 CJCE, 4 octobre 2001, Jimenez Melgar, aff. C-438/99, point 31 des motifs