UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À TROIS-RIVIÈRES ESSAI PRÉSENTÉ À · universitÉ du quÉbec À trois-riviÈres essai prÉsentÉ À l¶universitÉ du quÉbec À trois-riviÈres comme exigence
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These fans, who provides satisfying explanations of their fandom which may then
be taken up by their respective fan cultures, are seemingly ‘elite’ because they
articulate communal values which would otherwise remain implicit. They are also
the ‘elite’ because they possess ‘so much information on their chosen topic »
(McLaughlin, 1996 : 24)5.
3 « offre une lecture ethnographique de la communauté fan des médias, de ses stratégies interprétatives, de
ses institutions sociales et de ses pratiques culturelles, ainsi que de sa relation trouble avec les médias et le
capitalisme de consommation » (traduction libre). 4 « doivent se conformer à l'idéal du sujet rationnel universitaire, en s’efforçant de tempérer leur
enthousiasme tout en adaptant le compte-rendu qu’ils font des intérêts et investissements des fans aux normes
rédactionnelles du « confessionnel » (mais pas trop confessionnel) universitaire » (traduction libre). 5 « Ces fans, qui fournissent des explications satisfaisantes sur leur fandom qui peuvent être ensuite reprises
par leurs cultures fans respectives, sont apparemment « l’élite », car ils expriment des valeurs communes qui
autrement resteraient implicites. Ils sont aussi « l'élite » parce qu'ils possèdent beaucoup d’'informations sur
le sujet choisi. » (traduction libre)
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Ils sont producteurs et critiques. « Fans do not just write ‘fan fic’ (fanfiction), they also
produce their own critical accounts of the programme’s texts6 » (Hills, 2002). En ce sens,
le fandom est multidisciplinaire et transdisciplinaire. Qu’un individu veuille étudier son
centre d’intérêt ou qu’un chercheur exprime son besoin de comprendre un phénomène en
le déconstruisant, le fandomisme restera, comme la culture, un concept aux multiples
facettes.
Comme nous l’avons déjà suggéré plus tôt, le lien entre le hockey et l’identité
nationale est d’ores et déjà reconnu. Selon certains chercheurs, le hockey est un vecteur
d’identité (Cha, 2009 et Valois-Nadeau, 2009), c’est-à-dire la résultante d’une
appartenance commune, un centre d’intérêt, un élément qui rejoint une collectivité (Dubar,
2007). Pour Cha (2009 : 4), « le hockey est devenu le sport national, une identité partagée
d’un océan à l’autre ». Les villes canadiennes ayant des organisations de la LNH procèdent
à l’identification et à la promotion de leur cité par une hockeyisation, définie par l’auteur
comme « le transfert du hockey dans l’espace urbain » (Cha, 2009 : 4). Par exemple, à
Montréal, en 2008, le logo bleu-blanc-rouge du Canadien s’est retrouvé partout sur les
fanions ornant les véhicules, dans les vitrines de boutiques, les terrasses de restaurants, etc.
Beaucoup d’amateurs se sont laissés entraîner par la vague et ont participé à cette parade
colorée à l’image de leur équipe lors des séries de fin de saison.
Cet engouement populaire pour le hockey a évolué au fil des ans. Comme le
souligne Valois-Nadeau, le hockey québécois et canadien « a servi très souvent de véhicule
aux aspirations nationales de ces peuples » (2009 : 34). Les différents clubs ont offert du
spectacle, de la compétition et des héros qui ont nourri l’imaginaire collectif et ainsi
favorisé la consolidation d’images collectives plurielles malgré la dénationalisation du
hockey et la perte de représentants locaux (Valois-Nadeau, 2009).
Ces recherches, qui ont montré l’importance du hockey dans le sentiment d’identité
nationale au Québec, peuvent contribuer à expliquer comment la construction d’un nouvel
6 « Les fans ne se limitent pas à écrire des fan fic (fanfictions), ils produisent leur propres comptes rendus
critiques des textes des émissions ». (traduction libre)
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amphithéâtre à Québec a pu prendre une telle importance dans l’espace public. Cependant,
leur perspective n’est pas celle de la communication sociale.
1.3 Notre objet de recherche
Posons d’emblée que nous entendons par espace public à la fois les médias,
classiques et nouveaux, mais aussi l’occupation physique des lieux comme les Plaines
d’Abraham (Marche Bleue) ou les gradins des immeubles des autres équipes de la LNH où
les partisans ont tenu à démontrer leur intérêt pour le hockey et le retour d’une équipe dans
la capitale nationale. En adoptant un angle résolument communicationnel, ce sont
précisément ces modalités d’occupation de l’espace public que nous souhaitons contribuer
à analyser en proposant un devis méthodologique comme élément central de notre essai.
Notre essai nous permettra d’étudier à la fois les anciens répertoires d’action collective,
comme les manifestations, les communiqués, les entrevues dans les médias ; et les
nouveaux répertoires d’action collective, comme la page Facebook de la communauté de
fans Nordiques Nation.
Notre proposition méthodologique vise donc à présenter un éventail de techniques
d’enquête adaptées à l’ensemble des stratégies de mobilisation déployées par la
communauté Nordiques Nation dans le dossier du projet du nouveau centre
multifonctionnel (amphithéâtre) à Québec.
Notre essai présente aussi un riche état de la question sur les stratégies d’occupation
de l’espace public. Deux domaines de recherche seront mobilisés : celui des communautés
virtuelles (Proulx, Rueff et Millerand, Le Guern, Hills, Jenkins…) et celui des répertoires
d’action collective (Tilly, Offerlé, Neveu, Granjon, Cardon…). Le lecteur pourra en
prendre connaissance dans la rubrique suivante.
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2. RECENSION DES ÉCRITS
Afin d’en arriver à proposer des techniques d’enquête appropriées pour étudier les
stratégies d’occupation de l’espace public déployées par une communauté de fans comme
celle de la Nordiques Nation, nous débuterons en présentant les études des usages des
technologies de la communication (3.1). Cette section servira à introduire les deux
ensembles conceptuels qui structurent notre recension des écrits. Il s’agit des communautés
virtuelles (3.2), conceptualisées en communication, puis des répertoires d’action collective
(3.3), d’abord étudiés en sociologie et en histoire.
2.1 Les études des usages des technologies de communication
Les nouvelles technologies de communication présentent des attraits aux yeux de
nombre chercheurs. Internet, en particulier, a été étudié sous plusieurs angles. Beaudouin
(2002) a travaillé sur les différenciations au sein des pratiques du Web. Notons aussi l’étude
menée par Charbit et Fernandez (2003) portant sur l’analyse des usages, s’intéressant à un
terrain peu fréquenté à l’époque, celui des pratiques collectives du Net. Plus
spécifiquement, ces chercheuses se sont intéressées aux « dynamiques informationnelles et
relationnelles des communautés cognitives » (Charbit et Fernandez, 2003 : 2). Ces deux
recherches s’inscrivent dans la sociologie des usages des technologies de communication.
Dans leur livre, Usages et enjeux des technologies de communication, Proulx et
Jauréguiberry (2011) traitent de l’évolution de la sociologie des usages, qui regroupe
[…] les études d’usage qui se sont d’emblée centrées sur les technologies de
l’information et de la communication, c’est-à-dire sur des objets et des systèmes
de communication qui, tout en étant des médias, sortent du modèle classique de la
diffusion des médias de masse (Jouët, 2000 : 491).
Ils retracent l’histoire des trois principales traditions de recherche y étant
rattachées : diffusion et adoption, conception et utilisation, usages et appropriation, qu’ils
nomment « approches classiques ». Puis, ils introduisent les approches les plus récentes
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en études des usages. Nous reprendrons, dans les pages qui suivent, cette typologie des
traditions de recherche.
2.1.1 Diffusion et adoption
La première « approche classique» est liée au modèle de la diffusion des
innovations de Rogers. (1962, In Proulx et Jauréguiberry, 2011 : 33). Selon Rogers,
l’adoption d’une innovation doit répondre à cinq caractéristiques :
[…] son avantage relatif (non seulement en termes de prix ou de bénéfices
escomptés, mais aussi de prestige ou de distinction); sa comptabilité avec les
valeurs du groupe d’appartenance et les expériences antérieures; sa complexité
(plus ou moins grande difficulté à la comprendre et à l’utiliser); son
« essayabilité» (trialability : possibilité de la tester et de l’expérimenter); et enfin,
sa visibilité (disponibilité à être observée et évaluée en fonction de résultats)
(Proulx et Jauréguiberry, 2011 : 34).
Le processus d’adoption d’une innovation est en cinq phases. La connaissance est
l’étape où une personne explore l’innovation et acquiert des notions sur son
fonctionnement. La persuasion est le moment où l’individu commence à se forger une
opinion sur l’innovation. Vient ensuite la décision : l’adoption ou le rejet de l’innovation.
La quatrième phase est la mise en œuvre. À ce stade, l’innovation est utilisée pour
permettre à son utilisateur de l’évaluer. Au final, il y a la confirmation qui conforte
l’adoptant dans l’affirmation de son choix.
Rogers a classifié les usagers selon une courbe temporelle de diffusion. Il y a cinq
types d’usagers: les innovateurs (les aventureux, qui sont à l’affût des nouvelles idées et
amènent les innovations dans leur cercle social); les adoptants précoces (ils légitiment la
nouveauté et sont des leaders d’opinion); la majorité précoce (ils adoptent l’innovation en
connaissant ses avantages prouvés); la majorité tardive (les suiveurs, ils adoptent
l’innovation quand elle devient incontournable); et les retardataires (les réfractaires, ils
mettent du temps à l’adoption de l’innovation ou la rejettent). Moore (1991, In Proulx et
Jauréguiberry, 2011) ajoute une nouvelle dimension au modèle de Rogers, jugeant qu’il y
a un « gouffre » entre l’adoption par les utilisateurs précoces et celle de la majorité précoce.
Pour qu’une innovation soit adoptée, elle doit passer le gouffre et réussir à persuader la
majorité précoce. Dans le cas contraire, l’innovation sera vouée à disparaître. Le passage
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est délicat, car les utilisateurs précoces et la majorité précoce n’ont pas les mêmes valeurs
et attentes. Les premiers sont prêts à essayer l’innovation malgré le fait qu’ils risquent de
se heurter à des défectuosités. Ils sont des insatiables des nouveautés techniques. Les
seconds, quant à eux, reflètent la prudence. Ils aiment les innovations, mais attendent que
leurs avantages soient mis de l’avant pour les adopter.
La théorie diffusionniste a permis « de réintroduire l’épaisseur du social entre
l’innovation et l’individu par l’intermédiaire du rôle tenu par le milieu d’appartenance, les
contacts interpersonnels et les réseaux d’influence » (Proulx et Jauréguiberry, 2011 : 36).
Il est semblable en cela au modèle du two-step flow, développé par Katz et Lazarsfeld
(1955), qui montre que les médias n’ont que peu d’influence directe sur l’opinion
populaire. En s’intéressant à la formation de l’opinion des électeurs, Katz et Lazarsfeld se
sont rendu compte que l’entourage avait une influence sur le choix de vote des personnes.
Qu’il y avait, entre la diffusion de l’information des médias aux individus, un filtrage de
l’information effectué par les groupes d’appartenance. Ceux-ci agissent « comme autant
de filtres qui reprennent, transforment ou rejettent le message des médias » (Proulx et
Jauréguiberry, 2011 : 36). En 1971, Katz procède au rapprochement de la sociologie des
médias et de la sociologie de la diffusion des innovations (Proulx et Jauréguiberry,
2011 : 36). Il souligne l’importance des réseaux sociaux et des leaders d’opinion dans la
décision d’adopter ou non une nouveauté technique. Par la suite, Katz, Blumler et
Gurevitch (1973-1974) s’intéressent aux usages que le public fait des médias et des
gratifications qu’il obtient en retour de ses pratiques médiatiques (la théorie des uses and
gratifications). Leur approche est centrée sur
[…] the social and psychological origins of needs, which generate expectations of
the mass media or other sources, which lead to differential patterns of media
exposure (or engagement in other activities), resulting in need gratifications and
other consequences, perhaps mostly unintended ones 7 (Katz, Blumler et
Gurevitch, 1973-1974 : 510).
7 « Des besoins d’origines sociales et psychologiques suscitent des attentes vis-à-vis des mass médias ou
d’autres sources, ce qui induit différents modes d’exposition aux médias ou des engagements dans d’autres
activités ce qui entraîne la gratification de besoins ainsi que d’autre conséquences souvent inattendues. »
(traduction de Sylvie Capitant, 2008 : 101)
21
Les travaux de Katz ont ainsi permis de faire avancer les études sur les publics. En
bref, ce que nous apprennent les travaux de Katz et la théorie diffusionniste, c’est que pour
qu’une l’adoption d’une innovation, il faut tenir compte de la globalité du réseau auquel
appartient le public désiré. Il faut s’intéresser aux relations, aux habitudes, aux besoins et
aux usages du public cible. Il ne faut donc pas penser qu’aux effets qu’aura l’adoption
d’une innovation.
Sur une note plus négative, la théorie de Rogers a fait l’objet de plusieurs critiques.
D’une part, comme le souligne Boullier (1989, In Proulx et Jauréguiberry, 2011 : 39), le
modèle diffusionniste ne prend pas en compte les transformations de l’innovation durant
sa diffusion. D’autre part, la résistance au changement de certains usagers n’a pas été
considérée, par Rogers, comme un refus, mais comme une résistance, une sorte de retard
dans la compréhension de l’avancement technologique. L’innovation revêt toujours pour
lui une signification positive, car les derniers adoptants sont considérés comme des
retardataires et non pas comme des réfractaires, une vision sous-entendant « un a priori
favorable à l’innovation » (Proulx et Jauréguiberry, 2011 : 39). Le problème « consiste ici
à surveiller le degré d’acceptation du milieu réceptif qui l’adoptera plus ou moins
rapidement » (Proulx et Jauréguiberry, 2011 : 39).
2.1.2 Conception et utilisation
La deuxième approche classique s’est construite au fil des décennies. Jusqu’au
début des années 1970, les recherches étaient centrées sur le « facteur humain, c’est-à-dire
l’étude des conditions d’obtention des meilleures performances humaines dans le contexte
de l’organisation industrielle » (Proulx et Jauréguiberry, 2011 : 41). Autrement dit, l’être
humain était un élément du système technique. Il était contraint de se soumettre à la
machine dans sa relation avec celle-ci. Dans les décennies 1970-1980, les approches des
chercheurs se sont dirigées vers l’interaction humain-machine. Les attitudes des
utilisateurs vis-à-vis des machines furent prises en compte. Regroupées sous l’expression
« Computer Supported Cooperative Work, soit des approches orientées vers l’analyse et
l’appui à des activités humaines se réalisant dans des contextes de pratiques coopératives
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ou collaboratives au sein d’entreprises et des organisations » (Proulx et Jauréguiberry,
2011 : 42), de nouvelles pistes de recherche se développèrent pendant la décennie 1980.
L’approche de l’innovation (Millerand, 1998 : 10) regroupe des recherches qui
« s’attachent à l’étude des processus d’innovation technique, c’est-à-dire au moment
particulier de la conception des innovations, qui implique des prises de décision et des
choix d’ordre technique, social, économique et politique ». Dans ce paradigme, on
retrouve Akrich, Callon et Latour (1988a et 1988b) avec leur théorie de l’acteur-réseau ou
modèle de la traduction. Dans leur schème, ces chercheurs présentent l’utilisateur au centre
même du processus de l’innovation. Leur idée est qu’un système sociotechnique peut être
stable seulement lorsqu’un déploiement des actions a été effectué pour mobiliser les
usagers intéressés par l’innovation. Par exemple, il faut favoriser des rapprochements entre
les utilisateurs, engager des porte-parole ou constituer des relations (alliances ou
oppositions) afin de faire avancer l’innovation (Proulx et Jauréguiberry, 2011 : 44). Dans
la théorie de l’acteur-réseau, il existe une médiation supposée, un code symbolique qui
rendrait « réalisable » une communication entre utilisateurs et inventeurs. Pour rendre ce
rapport réel, Bardini met en place son concept d’affordance, une instance de médiation,
« qui réintroduit la possibilité d’un rapport physique et concret entre le dispositif et
l’usager » (1996 : 142, In Proulx et Jauréguiberry, 2011 : 48).
Les travaux de Patrice Flichy font aussi partie de l’approche de l’innovation tout
comme ceux de Josiane Jouët (1993). Flichy définit un « cadre de fonctionnement » qui
renvoie à l’usage technique d’un objet et un « cadre d’usage » qui est associé au côté social
du dispositif (Millerand, 1998 : 13). Mis ensembles ces deux cadres constituent un « cadre
socio-technique », seulement lorsque le nouvel objet est stable. Pour sa part, Jouët (1993)
introduit, dans son étude sur les technologies de communication, le concept de double-
médiation. Cette notion « est à la fois technique car l’outil structure la pratique, mais aussi
sociale car les formes de d’usage et le sens accordé se ressourcent dans le corps social »
(Jouët, 1993 : 101). Du côté technique, la médiation n’est pas neutre. Par le biais des
technologies digitales, elle technicise les tâches ordinaires (Jouët, 1993 : 117). Cela « se
traduit par des incidences cognitives et l’élaboration de nouveaux modes de faire y compris
dans les usages les plus profanes. La rationalité de la technique structure la pratique qui
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adopte en retour les valeurs de performativité de l'objet » (Jouët, 1993 : 117). Cependant,
il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une double-médiation. La technicité amène sa part de
subjectivité et a une multitude d’usages. Il y a ainsi une partie de social d’incluse dans le
côté technique. Cette dimension sociale « constitue souvent le cadre de référence, l’univers
de motivations et de désirs qui insuffle sa dynamique à la pratique » (Jouët, 1993 : 117).
Dans l’emploi des technologies de communication, cette double-médiation se manifeste
d’une part par le rôle d’organisateurs de la production sociale joué par les technologies et,
d’autre part, par la création, simultanément, d’une socialisation qui leur donne vie. Au
final, « la construction de l’usage social de ces techniques repose donc sur des processus
complexes de rencontre entre l’innovation technique et l’innovation sociale » (Jouët,
1993 : 117-118).
2.1.3. Usages et appropriation
La troisième approche classique est bâtie sur « l’image d’un utilisateur résistant,
actif et inventif » (Proulx et Jauréguiberry, 2011 : 51). De nombreux chercheurs ont remis
en cause bien des prémisses établies, dont l’évolutionnisme et l’idéologie du progrès. Ils
dénoncent les usages prescrits par les promoteurs institutionnels. Ils vont à l’encontre de
la vision des usagers comme étant de simples « récepteurs de stratégies politiques et
économiques » (Proulx et Jauréguiberry, 2011 : 51). Ils s’orientent vers une pensée où
l’acteur social est autonome. Ils ne renient pas les dispositifs techniques, mais les usages
qui en sont faits. Ils préconisent une approche comme celle qu’avait élaborée de Certeau
à l’égard des pratiques quotidiennes :
[…] elle permet à la fois d’aborder les usages des technologies par le biais d’une
sociologie attentive aux usagers pensés non plus seulement comme de simples
consommateurs passifs, mais aussi comme des acteurs, et d’échapper à la vision
totalisante et pessimiste "d’enfermement des pratiques par le pouvoir" (Proulx et
Jauréguiberry, 2011 : 53).
L’usager « est replacé dans sa capacité d’acteur» et n’apparaît plus « sous la forme d’un
militant mû par une idéologie et s’inscrivant dans une stratégie » (Proulx et Jauréguiberry,
2011 : 53). Il est simplement lui avec ses valeurs et besoins. Les recherches qui découlent
de cette façon de penser les usages de la technologie sont plus axées sur le qualitatif. Les
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chercheurs recourent à des méthodes participantes, où leur implication peut laisser des
traces dans la vie de ceux qu’ils étudient. Ils observent, écoutent, s’appliquent à repérer et
à modéliser les usages (Proulx et Jauréguiberry, 2011 : 54).
Les études des « approches classiques » ont leurs limites. Selon Jauréguiberry
(2008, In Proulx et Jauréguiberry, 2011 : 55-56), elles sont repérables à trois niveaux : par
l’oubli que l’innovation est déjà un objet social; par son opposition trop systématique entre
la technique et l’usager; et par la surestimation de l’autonomie de l’usager.
2.1.4 Introduction aux nouvelles études des usages
Les trois précédentes approches ont illustré l’évolution des études des usages
pendant les années 1980 à 1995. Depuis, un éventail de travaux ont été réalisés dans ce
domaine. On a assisté à une pluralisation des modèles d’études. Proulx et Jauréguiberry
(2011) dégagent cinq registres d’interprétation (cinq nouvelles approches) des pratiques
d’usage, qui ne sont pas mutuellement exclusives par ailleurs. Le premier est une approche
centrée sur l’interaction entre l’utilisateur et le dispositif. Il s’agit des interactions présentes
lorsqu’un usager interagit avec le dispositif technique. Par exemple, Akrich (1998) présente
quatre formes d’intervention que les utilisateurs peuvent faire sur les dispositifs constitués :
- déplacement : modification, par l’utilisateur, du spectre des usages prévus sans
introduire de modifications majeures dans le dispositif ;
- adaptation : introduction de modifications dans le dispositif permettant
l’ajustement de l’usage de l’utilisateur sans changer la fonction initiale de l’objet ;
- extension : ajout d’éléments à un dispositif afin d’enrichir sa liste de fonctions ;
- détournement : utilisation d’un dispositif pour des usages n’ayant rien à voir avec
ceux qui étaient prévus.
Le deuxième registre est centré sur la coordination entre l’usager et le concepteur.
Il faut qu’il y ait une « coordination entre, d’une part les représentations que l’usager se
fait du dispositif à travers sa pratique des interfaces et, d’autre part, les représentations du
concepteur à l’égard des utilisateurs potentiels du dispositif qu’il élabore » (Proulx et
Jauréguiberry, 2011 : 85). Notons le travail du chercheur Hugh Mackey (In Proulx et
25
Jauréguiberry, 2011 : 89) qui a introduit la notion de « l’utilisateur-concepteur », pour
montrer que l’utilisateur a un rôle actif dans « le processus de conception mené au sein
d’équipes de travail collaboratif composées dans le cadre des méthodes dites du ˝user-
centered design˝ ».
Le troisième registre renvoie à l’objet technique prescripteur de normes politiques
et morales. Chaque dispositif technique est empreint d’une historicité (représentations,
valeurs et significations) rattachée à sa conception et à son utilisation. Donc, la technologie
peut avoir une influence ou un pouvoir dans le milieu où elle est employée. L’étude
d’Akrich (1987) met de l’avant l’idée qu’il y a un « script » contenu dans le design d’un
objet technique. Ce script agit comme un scénario qui prédétermine « les intérêts, les
habilités, les compétences et les comportements des usagers potentiels du dispositif »
(Proulx et Jauréguiberry, 2011 : 96). Cependant, si les acteurs ne jouent pas leur rôle,
l’objet technique reste au stade de l’idée, car « seule la confrontation réalise ou irréalise
l’objet technique » (Akrich, 1987 : 3).
Le quatrième registre comprend les formes socio-historiques de l’usage. Plus
spécifiquement, chaque usage fait partie de séries structurelles (des formations discursives,
matrices culturelles, systèmes de rapports sociaux de pouvoir) qui en constituent les formes
(Proulx et Jauréguiberry, 2011 : 96). Des études ont été faites pour voir en quoi et comment
l’emploi d’anciens dispositifs techniques a influencé l’emploi des nouveaux. Dominique
Boullier (1992) donne l’exemple du télécopieur qui a été associé au téléphone au lieu du
photocopieur ou encore du magnétoscope, qui avait été imaginé pour être utilisé pour les
montages vidéo, mais qui a été finalement associé au téléviseur.
Le cinquième registre est l’usage situé dans une quotidienneté. Il est celui, selon
Proulx et Jauréguiberry (2011), qui s’inscrit le mieux dans la suite de la première sociologie
des usages. Comme le soulignent Proulx et Jauréguiberry (2011 : 90), « les usages et
logiques d’usage des technologies de communication […] se situent dans un contexte
spécifique de pratiques quotidiennes liées aux principales activités des individus (travail,
loisirs, consommation, famille) ». Autrement dit, l’usage est celui de l’utilisateur dans sa
vie de tous les jours. Cette utilisation produit des significations. L’objet technique est
associé à l’expérience de l’usager. Le projet, The Household Uses of Information and
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Communication Technologies de Silverstone et de son équipe (Proulx et Jauréguiberry,
2011 : 92), mené dans les années 1980, s’inscrit dans ce registre d’usage. Il visait à
comprendre le phénomène de domestication des technologies.
À un degré collectif, quand un usage quotidien devient partagé, notamment avec
l’arrivée d’Internet, des « communautés d’usagers » se créent. Proulx (2006) traite de
l’aspect relationnel de ces communautés virtuelles. Le chercheur s’intéresse aux conditions
qui favoriseraient la création d’un lien d’appartenance au sein d’un collectif en ligne
suffisamment fort pour que ses membres se reconnaissent être à part entière dans ce groupe.
D’après Proulx, il serait intéressant de s’interroger sur la forme que prendrait la force
mobilisatrice d’une action sociale et politique dans une communauté virtuelle. Notre travail
de réflexion tentera de répondre, en partie, à cette question.
Les études d’usage ont mis en lumière les liens qui unissent les usagers et les
dispositifs techniques. Avec Internet et, par la suite, le Web social, de multiples innovations
(blogues, réseaux socionumériques, chats, etc.) ont permis aux utilisateurs de participer à
la création d’interactions en ligne. Des communautés se sont créées, ont donné lieu à des
rencontres virtuelles ou en face à face et certaines de ces communautés se sont mobilisées.
Dans les prochaines sections, nous allons aborder l’aspect relationnel qui ressort de
l’emploi d’Internet par des communautés virtuelles et de ses applications contemporaines
que sont les blogues et les réseaux socionumériques. Ensuite, notre propos sera axé sur les
usages originaux médiatisés (répertoires d’action) par ces dispositifs techniques,
notamment à des fins de mobilisation.
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2.2 Les communautés virtuelles
Cardon (2010a) situe l’émergence des premières « communautés virtuelles » du
Web dans les années 1980. The Well (Whole Earth ‘Lectoctronic Link) est certainement
l’une des communautés virtuelles les plus connues. Ces espaces « apparaissent alors
comme un refuge pour les orphelins des communautés hippies qui se disloquent dans le
conflit et l’amertume » (Cardon, 2010a : 24). Ces nouveaux lieux favorisent de longues
interactions en ligne entre plusieurs types de personnes : hackers, journalistes, musiciens,
universitaires, etc. (Cardon, 2010a : 24).
Plusieurs travaux ont été effectués sur les communautés virtuelles. Le chercheur
Rheingold (1995 : 6) les définit comme:
des regroupements socioculturels qui émergent du réseau lorsqu’un nombre
suffisant d’individus participent à ces discussions publiques pendant assez de
temps en y mettant suffisamment de cœur pour que des réseaux de relations
humaines se tissent au sein du cyberespace.
La recherche sur les communautés virtuelles a mené à l’établissement de différentes
catégories de regroupements. Selon Burnett (2006), il y a des communautés d’objectifs,
de pratique, circonstancielles et d’intérêts. La première est de type fonctionnel et elle est
motivée par une raison analogue (ex : EBay). La deuxième se caractérise par la motivation
reliée à la profession des participants. Par exemple, il y a des sites sur la santé pour les
professionnels de la santé ou encore des sites s’adressant plus spécifiquement aux artistes.
La troisième dépend des circonstances ou des expériences de vie des membres, comme les
sites s’adressant aux adolescents, les sites de nouvelles ou encore des groupes de soutien.
Enfin, la dernière catégorie de communautés partage des buts et intérêts communs. Les
communautés d’intérêts - celles du sport, de la musique, du cinéma, etc. - offrent un
anonymat accru en plus d’être « étroitement liées ». Les communautés de fans qui vont
nous intéresser dans le cadre de notre essai font donc partie des communautés d’intérêt.
2.2.1 Internet
28
Comme nous l’avons déjà souligné, l’intérêt pour le hockey est omniprésent au
Québec. Il s’incarne chez les collectionneurs de produits dérivés, chez les participants à
des pools8 et chez les amateurs regardant, écoutant ou pratiquant leur sport favori. Ces
multiples facettes de l’amateurisme amènent certaines personnes à évoluer dans des
sphères où elles fréquentent d’autres gens ayant des goûts similaires. La communauté du
hockey s’est perpétuée au fil des générations. Aujourd’hui, avec l’avènement d’Internet,
elle n’en est que plus grande en devenant « virtuelle ».
Les individus se regroupent de plus en plus sur la Toile pour échanger sur leur sujet
d’intérêt : sport, musique, littérature, etc. Ils se retrouvent pour discuter sur des forums,
des blogues ou sur des pages de réseaux socionumériques. Beaucoup de communautés se
créent. Certains membres ne font qu’échanger, d’autres utilisent ces plateformes pour se
mobiliser. Mais cela n’est possible qu’en raison du développement très rapide d’Internet.
Internet a en effet pris une place prépondérante dans la société actuelle. Il a amené
des changements dans la mentalité populaire au même titre que l’adoption des précédentes
innovations techniques comme le téléphone, la radio et la télévision. Internet a pénétré
trois différentes sphères : la sphère domestique ou familiale; la sphère professionnelle du
monde des entreprises et de l’organisation de la production à l’échelle locale autant
qu’internationale; et la sphère personnelle de l’individu nomade pouvant se connecter
directement au réseau indépendamment du lieu ou du moment de l’interconnexion (Proulx,
2006). Ce réseau, en constante mouvance, est utilisé par des millions d’individus voguant
et interagissant à chaque seconde. Internet est vu par plusieurs chercheurs comme un
espace d’échange d’informations, autrement dit, un média. Pour Maigret (2003 : 250) :
Internet est bien un média au sens restreint du terme, c’est-à-dire un support
technique pour la communication. Ses possibilités gigantesques tiennent plus
précisément à son caractère de multimédia réunissant le son, l’image et le
texte : un seul ordinateur branché sur le réseau mondial peut transmettre et
recevoir des messages écrits, de l’image fixe ou animée, de la musique, consulter
des banques de données.
8 Selon l’Office québécois de la langue française, un pool (jeu du directeur général) est un « jeu d'amateurs
de sports se créant chacun une équipe fictive de joueurs de hockey professionnels dans le but de remporter
une cagnotte commune en obtenant le maximum des points réellement accumulés par ces joueurs au cours
d'une saison ».
29
Mais Internet est plus qu’un simple média d’information « puisqu’il permet à la fois de
trouver ce que l’on aime et de rendre publiques ses propres créations » (Maigret,
2003 : 251). Il favorise une communication à plusieurs sens, bidirectionnelle ou
multidirectionnelle. Il constitue donc aussi un « média de conversation » (Cardon,
2010b : 316), car il n’est pas « un espace public univoque, transparent et lisse » (Cardon,
2010b : 322). C’est un endroit malléable où les usagers échangent et discutent via des
forums, des blogues ou des chats. De fait, il constitue un « média de l’intimité » (Maigret,
2003 : 264), où tout point de vue et ressenti peut être exposé. Il permet aussi l’accès à une
multitude de sources et ressources. Bref, Internet est un « multimédia, média à tout faire,
mais pas unimédia » (Maigret, 2003 : 263).
Internet, au même titre que d’autres innovations telles que le Minitel 9 , a été
pressenti pour remplir certains rôles. Cependant, entre usages prescrits et usages effectifs,
il y a parfois une grande différence. Maigret (2003 : 263) souligne que l’appropriation du
Web
[…] fait apparaître de nouvelles logiques individualistes et de communautés, en
renforçant également de plus anciennes. Vecteur d’un puissant utilitarisme
capitaliste qui pousse à consommer et à produire le plus efficacement possible, si
possible gratuitement, il est en même temps celui de l’aspiration à une société où
les échanges seraient plus égalitaires, horizontaux, à forme réticulaire ou de
réseau, dans une opposition qui n’est réelle que pour partie.
La Toile favorise les discussions et les interactions de ses utilisateurs. De plus, Internet est
un lieu où il y a des discussions d’ordre privé, mais aussi des prises de position sur des
enjeux sociaux. Nous y retrouvons des sujets variés comme la dernière victoire des
Canadiens de Montréal, l’augmentation des droits de scolarité ou encore le retrait du
Canada de l’accord de Kyoto. Les internautes peuvent interagir avec une certaine liberté.
Cependant, il y a des codes de conduites qui régissent, par exemple, des forums ou des sites
de réseaux socionumériques. Il existe aussi une charte des règles de conduite sur le Web :
9 Le Minitel, un terminal de communication conçu à l’origine pour consulter des banques de données, a
finalement été utilisé à des fins de divertissement et de messageries (Proulx et Jauréguiberry, 2011 :50).
30
la Netiquette. Rédigée en 1995 par Sally Hambridge d’Inter Corp, elle a été mise en ligne
pour proposer une bonne marche à suivre pour les usagers du Web.
Comme nous l’avons déjà souligné, les individus peuvent exposer leur opinion,
prendre part à des débats ou à des discussions en tout genre sur Internet. La Toile permet
ainsi de créer des relations entre différents utilisateurs. Des interactions se développent
entre plusieurs personnes de divers horizons. Un lien relationnel se tisse peu à peu. Cet
aspect relationnel est à la base du nouvel environnement qu’est le Web social. Proulx et
Millerand (2010) soulignent que le Web social est un sujet de recherche en pleine
effervescence qui soulève maintes interrogations. Mais qu’est-ce qu’est le Web social?
Cette expression désigne, d’une part, l’émergence de nouveaux dispositifs
numériques indissociables de l’évolution d’Internet (regroupé sous le vocable
« Web 2.0 ») et, d’autre part, le développement d’usages originaux médiatisés par
ces dispositifs et centrés sur la participation active des usagers dans la production
et la diffusion des contenus circulant sur la Toile (Millerand, Proulx et Rueff,
2010 : 2).
Dans sa dimension technique (Web 2.0), le Web social renvoie plus particulièrement aux
développements
des fonctionnalités incitant les utilisateurs à collaborer entre eux, dans le but de
créer et de partager des contenus par l’intermédiaire d’outils tels que les blogues,
wikis, sites de réseaux sociaux (comme Facebook ou LinkedIn), sites de partage
de musiques, d’images ou de vidéos (comme MySpace, Flickr ou Youtube),
métaverses (comme Second Life), ou encore les fonctions de syndication de
contenu (fil RSS) ou d’étiquetage (comme del.icio.us) (Millerand, Proulx et Rueff,
2010 : 2).
Avec l’apparition des nouvelles plateformes du Web social, les internautes peuvent plus
aisément produire eux-mêmes des contenus. Ils peuvent ensuite les rendre disponibles
pour les autres utilisateurs. Ils jouent les rôles d’émetteurs et de récepteurs. C’est
l’émergence d’une « culture participative » (Jenkins, 2006a) où des individus se
rassemblent pour créer, partager et interagir.
2.2.2 Le Web 2.0
Le Web social a participé à l’éclosion de nouvelles formes de socialisation grâce à
des interfaces plus interactives et aux usages qui en sont faits. Le Web 2.0, « qui représente
31
simultanément un réseau de production, de distribution et de consommation de données de
tout type » (Brouillé, 2010 : 58), structure les communautés virtuelles et « cela influe sur
le développement des communautés en ligne, qu’elles aient trait ou non à la consommation
citoyenne ». Les usagers se regroupent de plus en plus en fonction de leurs besoins. Ils
communiquent avec des personnes ayant des intérêts similaires aux leurs. Ils utilisent les
dispositifs techniques numériques mis à leur disposition pour pouvoir interagir plus
facilement sur les sujets qui les préoccupent.
Concrètement, dans les groupes qui se forment en ligne, la force qui unit les
membres d’une communauté est le sentiment d’appartenance qui se dégage au sein de
celle-ci. Les membres d’un collectif peuvent être liés de différentes manières. Certains
partagent des valeurs, des croyances ou des intérêts communs, tandis que d’autres
s’unissent sous la bannière d’une appartenance culturelle, ethnique, familiale,
générationnelle, sexuelle ou religieuse (Proulx, 2006). Ainsi, l’établissement d’une
appartenance mène à la construction d’un sentiment d’identité à un nous commun (Proulx,
2006 : 19). À un autre niveau, ce sentiment d’appartenance peut « aussi conduire à
l’élaboration de projets d’actions collectives effectuées au nom de la communauté »
(Proulx, 2006 :19).
Le Web 2.0 contient plusieurs types de dispositifs qui se regroupent sous le vocable
de médias sociaux10. Ces derniers permettent aux utilisateurs de communiquer, d’échanger,
de partager, etc. Il en existe diverses sous-catégories. Les applications telles que Facebook
et Twitter s’inscrivent dans la sous-catégorie des réseaux socionumériques.
2.2.3 La blogosphère
Avec l’apparition du Web 2.0, nombre de dispositifs sont apparus, tandis que
d’autres ont évolué vers une interactivité potentiellement plus grande. Le blogue est l’un
de ces outils. Ce dispositif, « tout comme les réseaux sociaux, les plates-formes de partage
10 « L’expression «médias sociaux» regroupe sous la même enseigne une grande variété de dispositifs, tels
les blogues (indépendants, Blogger, Thumbler), les wikis (Wikipédia, WikiTravel), les sites de réseaux
sociaux numériques (Facebook, LinkedIn), les microblogues (Twitter, Jaiku), le bookmaking collectif
(del.icio.us, Diigo), le partage de contenus médiatiques comme la musique (Blip.fm, Las.fm), les photos
(Flickr, Instagram) et les vidéos (YouTube, Vimeo). » (Proulx, Millette et Heaton, 2012 : 4)
32
ou de microblogage, participe à relier les individus, les organisations et parfois les
machines entre eux, favorisant le partage de connaissance, le développement des identités
numériques, l’échange d’idées, de valeurs, mais aussi une nouvelle forme de propagande
politique » (Réguer, Couton-Wyporek et Legris-Desportes., 2009 : 10).
Le blogue peut être vu comme une sorte de journal intime où son auteur livre ses
secrets, partage ses critiques et alimente ses lubies. Il doit aussi être regardé « comme un
répertoire de contacts permettant aux individus de tisser des liens avec d’autres autour
d’énoncés à travers lesquels ils produisent de façon continue et interactive leur identité
sociale » (Cardon et Delaunay-Téterel, 2006 : 17). En effet, les commentaires laissés par
les autres blogueurs favorisent la rétroaction et la participation des membres d’une même
communauté. Pour que cette interactivité se perpétue, il faut qu’une relation se tisse entre
un blogueur et le contenu qu’il diffuse. Cardon et Delaunay-Téterel (2006) ont distingué
quatre aspects qui favoriseraient cette relation : 1- révéler son intériorité; 2- mettre en
partage des traces d’activités communes; 3- évoquer une même passion, signe de
compétence à propos d’un même sujet et 4- échanger des jugements et des critiques.
Lorsque quelqu’un cherche des personnes qui s’intéressent aux mêmes choses que
lui, il lui suffit de quelques clics en ligne et c’est fait. Les blogueurs se regroupent en
fonction de leurs affinités : passionnés de bandes dessinées, de la santé, du sport ou de la
littérature. En ce sens, les regroupements de blogueurs d’intérêts similaires ou connexes
rejoignent les caractéristiques des communautés virtuelles.
[…] Les blogs répondent de manière simple et efficace à un besoin de
l’Homme : dans la hiérarchie de Maslow, celui d’appartenir à une communauté,
d’échanger et de se sentir aimé avant d’envisager une réalisation de soi et une
éventuelle professionnalisation de son activité d’expression (Réguer, Couton-
Wyporek et Legris-Desportes., 2009 : 23).
Bloguer est un investissement de soi et une ouverture aux autres. C’est se livrer et être
ouvert à la critique. À l’instar des réseaux socionumériques, les blogues « peuvent faciliter
les rencontres et permettre des passages plus aisés d’un univers à l’autre, du réel au virtuel
et vice versa. Ils imposent progressivement un « esprit », de nouvelles façons d’interagir
33
et de voir les choses en réseau ». (Réguer, Couton-Wyporek et Legris-Desportes,
2009 : 23)
2.2.4 Les réseaux socionumériques
Sur la Toile, il est facile de trouver ce que l’on cherche. Il y a des hyperliens qui
amènent les utilisateurs d’un site à un autre. Les internautes peuvent être sur un blogue et
être référés à une page Facebook, à un article sur Wikipédia, à une vidéo sur Youtube ou
encore à des billets sur Twitter. Les médias sociaux sont autant de nouveaux mécanismes
pour permettre aux gens d’interagir, de partager et de communiquer avec plus de facilité.
Fréquemment utilisés par des usagers ordinaires pour socialiser, les blogues et les
réseaux socionumériques servent également aux entreprises (plateformes publicitaires),
aux employeurs (interfaces de recrutement) et aux politiciens (plateformes électorales).
Ils peuvent aussi être employés pour la publication d’un curriculum vitae, pour une
autopromotion ou pour attirer l’attention. Par exemple, en 2008, l’actuel Président des
États-Unis, Barack Obama, a modifié la façon de mener des campagnes présidentielles en
utilisant les réseaux socionumériques. L’équipe d’Obama a pris d’assaut le Web; « [it]
was heralded for his clever campaigning on blogs, social network sites and Youtube to
organize supporters, raise money, and get his message out to voters »11 (Nagourney, 2008,
In Kaye 2011).
De plus, les réseaux socionumériques permettent à Monsieur et Madame tout le
monde d’accéder à un moyen de se mettre en scène (Cardon, 2010a : 59). Tous n’ont pas
les capacités et le capital culturel pour tenir et mettre à jour un blogue qui suscitera
l’attention populaire. L’interface de rédaction des réseaux socionumériques, comme
Facebook, est plus aisée. Les formes des écrits sont « plus brèves, légères et faciles »
(Cardon, 2010a : 59).
11 « [Elle] a été saluée pour sa campagne intelligente sur les blogs, les sites de réseaux sociaux et Youtube,
car elle a su organiser les partisans, amasser de l'argent et faire passer son message aux électeurs »
(traduction libre).
34
Selon Cardon (2010a), nous assistons à la démocratisation d’Internet, de plus en
plus de personnes y ayant accès. De multiples éléments témoignent de cette réalité :
[…] on le voit dans le développement des blogs et des réseaux sociaux, la
généralisation des usages du web par les jeunes de toutes origines, la pénétration
des outils numériques dans un nombre de plus en plus important de sphères
sociales, la diversification des usages commerciaux, ludiques ou pratiques web
(Cardon, 2010a : 27)
Au début d’Internet, il y avait une distance entre les usagers et le contenu publié.
Maintenant, celle-ci s’amenuise. Les internautes laissent plus facilement filtrer des
informations concernant qui ils sont et ce qu’ils font. Les sites de réseaux socionumériques
constituent un exemple parfait de « cette juxtaposition entre identités et contenus publiés »
(Cardon, 2010a : 29). Un « statut » (énoncé) Facebook peut devenir le point de départ
d’une grande conversation.
2.2.5 Les communautés de fans
Internet a changé de bien des façons les activités quotidiennes de ses utilisateurs.
Les gens s’abordent désormais sur des sites de rencontres ou de réseaux socionumériques
et discutent sur des chats ou des sites de microblogage. D’autres effectuent leurs achats
en ligne au lieu d’aller dans les épiceries et les centres commerciaux. Même l’amateurisme
s’est métamorphosé. Désormais, « fans use digital technology not only to create, to change,
to appropriate, to poach, or to write, but also to share, to experience together, to become
alive with community12 » (Booth, 2010 : 39). Le Web et ses dispositifs permettent ainsi à
des communautés d’amateurs d’échanger de multiples manières sur leur objet d’affection.
De fait, les fans deviennent une part d’un tout, une passion personnelle se transforme en
une passion collective.
12 « les fans utilisent la technologie numérique non seulement pour créer, échanger, s’approprier, braconner
ou pour écrire, mais aussi pour partager, expérimenter ensemble, pour prendre vie dans la communauté »
(traduction libre).
35
Dans son livre, Digital Fandom, Paul Booth (2010 : 37) explique, entre autres, que
le fandom13 numérique se rapproche des études de fans (fan studies), qui examinent la
relation entre les communautés de fans et l’Internet. Ce domaine d’études s’inscrit dans
l’approche moderne de penser l’usage dans l’utilisation quotidienne qu’en fait l’utilisateur
(Proulx et Jauréguiberry, 2011). Booth (2010) mentionne quelques auteurs ayant travaillé
sur le sujet. Par exemple, Baym met l’accent sur l’interaction entre les technologies et les
pratiques des communautés de fans, ce qu’on a appelé plus tôt à la suite de Millerand,
Proulx et Rueff (2010), le Web social. Jenkins et Hills tentent d’illustrer comment les fans
utilisent Internet14 et le World Wide Web15 (les applications d’Internet) pour créer des
textes. Jenkins (2006b) montre comment les babillards et les forums deviennent des
connaissances sur un objet en particulier. Dans le cas de l’émission Survivor, diffusée sur
les ondes de CBS, les « Survivor's spoilers gather and process information. As they do so,
they form a knowledge community. [They] are experimenting with new kinds of
knowledge that emerge in cyberspace » 16 (Jenkins, 2006b : 28). Ils récupèrent des
informations avant même que les producteurs ne les dévoilent. Ils font du « spoiling ».
Dans un autre texte, Jenkins traite de l’usage qui est fait d’Internet par les fans de Star Wars
(Jenkins, 2002). Il ressort de cette étude que le Web « n’est pas uniquement un vecteur de
libre-échange entre fans; il représente également un enjeu crucial pour les compagnies
cinématographiques qui détiennent les droits des films et exercent leur contrôle sur les sites
Web et les fanzines » (Le Guern, 2002 : 35). Hills, quant à lui, décrit comment les fans de
X-Files (une ancienne télésérie américaine) « have become increasingly enmeshed within
the rhythms and temporalities of broadcasting, so that fans now go online to discuss new
episodes immediately after the episode’s transmission time – or even during ad-breaks »17
13 Terme anglais pour désigner l’expérience fan. 14 Selon l’Office québécois de la langue française, le terme « Internet » est un « réseau informatique mondial
constitué d'un ensemble de réseaux nationaux, régionaux et privés, qui sont reliés par le protocole de
communication TCP-IP ». 15 Selon l’Office québécois de la langue française, le terme « World Wide Web » (Web) réfère au « système
basé sur l'utilisation de l'hypertexte, qui permet la recherche d'information dans Internet, l'accès à cette
information et sa visualisation. » 16 « Les révélateurs de Survivor recueillent et traitent de l’information. Ils se constituent ainsi comme
communauté de savoir. Ils expérimentent de nouveaux types de savoirs, qui émergent du cyberespace. »
(traduction libre) 17 « Sont devenus de plus en plus intégrés aux rythmes et temporalités de la radiodiffusion, de sorte que les
fans vont maintenant en ligne pour discuter des nouveaux épisodes immédiatement après le temps de
diffusion de l’épisode – ou même pendant les pauses » (traduction libre).
36
(Hills, 2002 : 178). Les dialogues sur les forums et sur les listes de diffusion créent une
signification pour les membres de la communauté, distincte de la signification contenue
(ou lue) dans l’objet existant. Enfin, la thèse de doctorat de Boese (1997, In Booth, 2010)
sur Xenaverse (l’univers créé sur la série télévisée Xena : La Princesse Guerrière) a permis
de découvrir que les « textes des fans construisent une culture sociale particulière » en
ligne. En effet, les « sériphiles » (Combes, 2011) tissent des relations entre eux sur le Web
et débattent de leurs séries favorites. Ils vont même jusqu’à créer et partager leurs créations,
des fan’art (fanfictions, fanvidéos, filk music), pour prolonger, enrichir et compléter, selon
leur bon vouloir, leur série favorite (Combes, 2011 : 149).
Mais les études de fans ne se résument pas aux individus qui se passionnent pour
des objets culturels comme des séries télévisées ou des films. Selon Le Guern (2009 : 23),
un fan doit avoir un « certain niveau d’engagement dans l’admiration, supérieur à ce qui
est habituellement attendu du public ordinaire ». Le fan constitue une élite par rapport au
large public de consommateurs passifs (Grossberg, 1992). Des éléments le différencient
du simple amateur. Sa consommation est énorme. Il se choisit « un domaine auquel il se
consacre intensément. Il en devient le spécialiste » (Flichy, 2010 : 30).
Dans les communautés de fans, les individus partagent des éléments communs qui
les amènent à définir individuellement et collectivement une identité. Cette notion
d’identité est complexe. Selon Le Guern (2009 : 42),
Elle repose sur la différence et l’appartenance commune, elle sollicite deux pôles
convergents ou parfois opposés que sont l’identité revendiquée (pour soi) et
l’identité attribuée (pour autrui) et elle oscille entre la posture essentialiste
(identité permanente) ou variable (identité évolutive).
L’appartenance à un groupe se construit ainsi à partir des identités individuelles incluses
et partagées dans une identité organisationnelle en constante évolution. Il n’y a pas
d’identité sans altérité, car l’une comme l’autre varie dans l’espace-temps et dépend de
son contexte d’émission (Dubar, 2007 : 3). Les gens changent avec le temps. Donc, ce sont
les interactions et la communication qui favorisent l’acquisition d’un sentiment identitaire.
À travers celles-ci, les normes et les valeurs d’un fan-club se déclinent (Le Guern, 2002).
37
Le Guern (2002 : 13) introduit le « culte » d’une œuvre. Il le définit comme un
élément qui « désigne aujourd’hui des œuvres jugées à un titre ou un autre
"exceptionnelles" ». Ce caractère exceptionnel est déterminé à partir de la valeur accordée
à un objet ou à un phénomène culturel par les individus. Par l’engouement ou la passion
suscitée, l’œuvre prendra place dans la hiérarchie d’intérêts d’une personne. Aussi, Le
Guern (2002 : 22) décline les éléments constitutifs d’un idéal-type du culte :
1- l’œuvre doit offrir une ressource identitaire forte;
2- elle doit pouvoir produire et rassembler des collectifs ou des communautés
spectatorielles;
3- les groupes ainsi formés doivent pouvoir fédérer des membres partageant des traits
sociaux communs et/ou d’une même génération;
4- et dont la manifestation concrète se traduirait généralement par la pratique de rituels
(concerts, collection, etc.).
Une œuvre culte a une forme de rareté, d’unicité, un petit quelque chose d’authentique qui
n’aura aucun sens (ou pas le même), une fois sortie de son contexte d’interaction. Enfin,
le culte d’un objet ou d’une œuvre reste malléable, incertain. Il renvoie
« à l’univers des pratiques de fans, lui-même diversifié, mais aussi à la formation
de larges communautés d’admirateurs et à la valorisation d’œuvres branchées,
déjà élitistes… Le culte se situe au croisement du rejet des cultures scolaires (de
la figure du lettré) et de la défense de ce qui réunit de petits ou de grands groupes
affinitaires » (Maigret, 2002 : 101).
Le sport est l’un des centres d’intérêt qui rejoignent la majorité des membres d’une
société (Lyotard, 1997). Plusieurs communautés de fans lui sont rattachées (ex : Fan-club
du Canadien de Montréal ou la Nordiques Nation, pour les Nordiques). Les gens d’une
même communauté se retrouvent virtuellement ou en face à face pour échanger, participer
à des événements, etc. Le sport offre un univers affectif et imaginaire. Les héros mythiques
d’une équipe et l’histoire d’une organisation sportive font ressortir les valeurs et intérêts
d’une population (Lyotard, 1997). Pour le retour de leur équipe, de leurs guerriers sur
patins, des gens se mobilisent, agissent pour favoriser un sentiment d’attachement et
regrouper les passionnés pour l’atteinte d’un but commun. Le côté affectif, selon Grossberg
38
(1992), pousse les fans à s’investir dans une organisation et à participer à des
manifestations. Le fandom est un site de l’optimisme, de dynamisation et de passion.
2.3 Les répertoires d’action collective
Pour livrer leurs messages, les regroupements comme les communautés virtuelles
favorisent l’exploitation de différents canaux et s’adonnent à des actions de visibilité.
Dans le cas qui nous intéresse, la Nordiques Nation utilise maintes stratégies pour occuper
l’espace public. D’une part, lors de leurs multiples déplacements dans les arénas de la
LNH, les membres de la Nordiques Nation occupent les gradins. Ils se servent aussi des
médias traditionnels comme Radio-X pour faire passer leurs messages. Ces deux tactiques
relèvent des répertoires d’action classiques. D’autre part, la transmission des informations
de la Nordiques Nation à ses membres se fait aussi via son blogue et sa page Facebook.
Ces deux applications du Web 2.0 sont incluses dans les nouveaux répertoires d’action
collective. Avant d’élaborer sur les différents types d’action collective, nous
commencerons par expliquer et définir ce concept.
2.3.1 Le concept de répertoire d’action collective
C’est l’historien sociologue Charles Tilly qui a développé le concept de répertoire
d’action collective. Ce terme « suggère l’existence de formes d’institutionnalisation
propres aux mouvements sociaux » (Neveu, 1996). Dans son article, « Les origines du
répertoire de l’action collective contemporaine en France et en Grande-Bretagne », Tilly
procède à l’analyse des transformations des formes d’action populaire dans ces deux pays
entre le XVIIe et le XXe siècles. Il compare la composition de l’ancien répertoire et celle
du nouveau. Le répertoire le plus ancien comportait :
« 1. l'utilisation fréquente et temporaire par des gens ordinaires des
moyens d'action normaux des autorités, soit en dérision soit
délibérément; la saisie des prérogatives du pouvoir au nom de la
communauté locale;
39
2. l'apparition fréquente de participants qui se manifestent comme
membres de corps et de communautés constitués plutôt que comme
représentants d'intérêts spécialisés;
3. la tendance à s'adresser à des patrons puissants pour obtenir le
redressement des torts, et surtout pour devenir des interlocuteurs des
autorités extérieures;
4. l'utilisation de fêtes et d'assemblées publiques autorisées pour la
présentation des doléances et des exigences;
5. l'adoption répétée d'un symbolisme riche de la rébellion, en forme
d'effigies, de mimes et d'objets rituels;
6. la concentration de l'action sur les demeures de malfaiteurs et sur les
lieux des méfaits plus que sur les sièges et les symboles de la puissance
publique » (Tilly, 1984 : 97).
L’ancien répertoire était « localisé et patronné ». Notons, par exemple, des pratiques telles
que des blocages, des invasions collectives de champs et de forêts, les sérénades, les
expulsions d’agents fiscaux et autres étrangers, l’invasion, etc. Le nouveau répertoire,
toujours employé de nos jours, se caractérise par :
1. « l'utilisation de moyens d'action plutôt autonomes, différents de
ceux dont font usage les autorités ;
2. l'apparition fréquente d'intérêts définis comme tels, dans un cadre
associatif ou quasi associatif (« Coalition pour la Justice », « Citoyens
Unis Contre », etc.) ;
3. les défis directs aux concurrents ou aux autorités, surtout nationales,
et à leurs représentants, plutôt que des appels à des patrons puissants ;
4. la tenue délibérée d'assemblées pour l'élaboration de programmes ;
5. la présentation publique de programmes ; des slogans, l'exhibition
d'insignes d'appartenance et de solidarité ;
6. une préférence pour l'action en espace public » (Tilly, 1984 : 97).
40
Comme le souligne Tilly, les différences entre ces deux répertoires sont de degré et non
de nature. Les traits des nouveaux répertoires d’action tendent vers une action « nationale
et autonome » (Tilly, 1984 : 98) et non pas « localisée et patronnée ». Comme exemples
de pratique, nous retrouvons les grèves d’entreprise, les manifestations, les meetings, les
insurrections organisées, etc.
La notion de répertoire a plusieurs usages. Dans son acception la plus faible, le
répertoire renvoie à la métaphore du répertoire musical (initiée par Tilly). Celle-ci
« revient à assimiler la notion de répertoire à un moyen d’action ou à la somme des moyens
d’action effectivement utilisés ou utilisables par une organisation ou un mouvement, par
une catégorie sociale » (Offerlé, 2008 : 182). Selon Offerlé, il faut désormais parler de
« répertoires au pluriel » (Offerlé, 2008 : 182) en faisant référence au développement du
répertoire dit moderne. Dans son usage le plus fort, le répertoire est assimilable à une
« stylisation macrosociologique de la transformation des formes de domination
économique et politique (le marché et l’État) » (Offerlé, 2008 : 82). Enfin, dans son
utilisation moyenne, l’idée de répertoire « présente un modèle où l'expérience accumulée
d'acteurs s'entrecroise avec les stratégies d'autorités, en rendant un ensemble de moyens
d'action limités plus pratique, plus attractif, et plus fréquent que beaucoup d'autres moyens
qui pourraient, en principe, servir les mêmes intérêts » (Tilly, 1984 : 99).
2.3.2 Les répertoires d’action classiques
Quel que soit le lieu, la cause à défendre ou la dénonciation à faire, tous peuvent
avoir accès à un répertoire d’action collective répondant à leurs besoins. Le choix des
moyens s’effectue « sur la base de la préférence pour la familiarité, mais sous contraintes,
en fonction non seulement des ressources de tous ordres dont dispose ou prétend pouvoir
disposer le groupe, mais aussi de la concurrence des autres groupes et des contraintes
situationnelles » (Offerlé, 2008 : 183). Les plus fréquemment employés sont les
manifestations et les réunions publiques. De nombreuses variantes peuvent en découler.
La manifestation sert surtout « à l’affirmation physique d’une opinion : en donnant corps
à une revendication, elle contribue à transformer une simple opinion individuelle en idée-
force » (Champagne, 1990 : 62). La Marche Bleue, à laquelle plusieurs membres de la
41
Nordiques Nation ont participé, a joué aussi ce rôle. L’idée de revoir les Nordiques à
Québec et d’avoir un amphithéâtre pour les recevoir trottait dans l’esprit populaire depuis
des années. Ce grand rassemblement a fait germer un espoir qui désormais est en train de
se bâtir.
L’occupation des gradins
L’un des répertoires d’action classiques qui nous intéresse est l’occupation ou
l’action occupante. Sit-down aux États-Unis lors des grèves de l’industrie automobile en
1936-1937 (Fine, 1969), occupations multiples dans le cadre de mai 68 en France
(Pennisat, 2005) et occupation des gradins de plusieurs amphithéâtre de la LNH par la
communauté de fans la Nordiques Nation, l’occupation est employée dans différents
contextes, par différents groupes et de différentes manières.
L’action occupante se définit comme « l’investissement momentané, par plusieurs
personnes, d’un bâtiment ou d’une propriété, privés ou publics et qui comporte directement
ou indirectement l’expression d’opinions politiques » (Pennissat, 2009 : 386). En occupant
des lieux, les protestataires choisissent un mode d’action en fonction de l’atteinte de leurs
objectifs. Moins fréquemment utilisé avant la Seconde Guerre, le mode d’action de
l’occupation est réapparu et s’est réinventé après le mouvement de mai 68 (Pennissat,
2005). Pennissat (2005) montre l’évolution de l’action occupante à travers trois
événements survenus en France. D’abord, il y a eu des occupations des mines et des usines
lors d’une grève dans les aciéries lorraines en 1967. L’occupation était alors utilisée comme
« une prolongation ou protection de la grève » (Pennissat, 2005 : 75). Par la suite, vient
Lip, l’occupation « maison de verre », en 1973. Cette action occupante a été vue comme
un modèle dans les années soixante-dix. Au lieu d’être associée au schème d’une
occupation « forteresse ouvrière » (Pennissat, 2005 : 77), « l’usine fonctionna à la fois
comme un objet de revendication (le maintien de l’emploi), mais aussi comme technologie
de luttes et de mobilisation ». Il en ressort des effets symboliques et des effets matériels
tels que le blocage de la production (Pennissat, 2005 : 78). Enfin, le troisième événement
est survenu à Longwy en 1979. Pennissat (2005 : 80) mentionne qu’il faut prendre en
compte une double dimension dans cette lutte. D’un côté, les protestataires s’opposent aux
42
mesures du gouvernement en occupant des bâtiments institutionnels. De l’autre, ils veulent
exprimer un certain leadership sur leur région en temps de crise économique (causée par
un licenciement massif dans les usines de sidérurgie) en investissant tout lieu pouvant
l’être. En ce sens, « les occupations ne sont plus des occupations d’usines en grève mais
de bâtiment symboliques » (Pennissat, 2005 : 81).
Aujourd’hui, les occupations empruntent à l’une ou l’autre des formes présentées
précédemment. Elles ne sont pas des étapes de la transformation de l’action occupante,
elles coexistent. Chaque groupe protestataire peut utiliser le mode qu’il désire
« l’occupation par modalité », « l’occupation pour occuper » ou encore « l’occupation
symbolique d’espace » (Pennissat, 2005 : 83). La Nordiques Nation, en investissant les
gradins d’amphithéâtres de la LNH pour montrer son appui au retour d’une équipe à
Québec, a usé de l’occupation symbolique d’espace. En effet, en arborant leurs couleurs
Nordiques, les fans voulaient se faire voir et faire comprendre aux dirigeants de la LNH
qu’ils sont prêts à soutenir de nouveau une équipe dans leur ville.
Les médias traditionnels
L’utilisation des médias traditionnels comme la radio ou la télévision peut profiter
aux organisations ou aux personnes voulant faire connaître leurs messages ou
revendications. Il est donc essentiel de maîtriser ces canaux pour atteindre l’opinion
publique. Comme le souligne Champagne (1993 : 61), « les malaises sociaux n’ont une
existence visible que lorsque les médias en parlent ». Le proverbe « parlez-en en bien,
parlez-en en mal, mais parlez-en » prend tout son sens. Pour qu’un mouvement social
suscite l’attention, il doit privilégier une approche sortant du commun. Certains doivent
« transformer le malaise vécu en injustice, en scandale, le légitimer au regard d’un système
de normes et de valeurs » (Neveu, 1996 : 89). D’autres optent pour des stratégies
d’intéressement ou collaborent avec des médias dominants pour s’assurer d’une visibilité
maximum et l’accès aux faveurs de l’opinion publique (Granjon, 2009 : 351).
La Nordiques Nation a utilisé les médias traditionnels pour faire circuler ses
informations. L’un de ses principaux partenaires est Radio X qui a fortement participé à la
43
promotion des différents événements organisés par la Nordiques Nation. De fait, Radio X
a joué un rôle important dans le partage d’information avec la population.
2.3.3 Les nouveaux répertoires d’action
Au cours des dernières années, de nouveaux répertoires d’action sont apparus,
suivant les derniers développements technologiques. Il est notamment question d’un
« répertoire de troisième génération » (Neveu, 2002 : 24, In Offerlé, 2008 : 193) qui serait
fondé sur « l’internationalisme », « l’expertise » et « la réinvention d’une activité
symbolique de mise en scène de l’identité du groupe ». Ollitrault (1999) va dans le même
ordre d’idées lorsqu’elle donne comme exemples le Web et l’internationalisation des outils
de communication. Nous pourrions alors penser aux différents dispositifs créés avec
l’apparition du Web 2.0, soit les blogues, les réseaux socionumériques ou encore les
forums. Dans cette section, notre attention sera plus spécifiquement portée sur les deux
premières, car la Nordiques Nation transmet ses informations et mobilise ses membres en
utilisant un blogue et une page Facebook.
Les blogues
Les blogues et les réseaux socionumériques sont des interfaces qui permettent à une
multitude de personnes d’être liées et d’échanger. En effet, avec ces outils, Internet a élargi
l’espace public « en découplant les notions de visibilité et de publicité » (Cardon,
2010a : 36). L’espace de parole s’est agrandi. Les blogues ont favorisé l’éclosion des
prises de position d’individus « ordinaires » dans les débats publics produits par les médias
centraux (Cardon et Delaunay-Téterel, 2006 : 59). Désormais, les internautes émettent des
commentaires sur les sujets controversés de l’heure.
Ce phénomène a permis à des individus d’émettre leur opinion et de participer à des
discussions sur des idées phares comme le changement climatique, l’énergie nucléaire,
etc. Comme nous l’avons déjà mentionné plus tôt (rubrique 2.2.3) les blogueurs se
réunissent autour d’intérêts communs. Leurs activités permettent même le développement
de mobilisations. Cardon et Delaunay-Téterel (2006) donnent en exemple la mobilisation
d’habitants sur la critique des politiques municipales. Tout comme les blogues, les sites
44
de réseaux socionumériques, dont Facebook, ont été utilisés dans l’élaboration de
mouvements à petite et à grande échelles.
Facebook
Le réseau Facebook, fondé en 2004, par deux étudiants de l’Université Harvard, est
aujourd’hui devenu le plus grand site mondial de réseau social avec 901 millions
d’utilisateurs actifs mensuel (Facebook Inc., 2012 : 1). Il offre plusieurs fonctionnalités
dont font partie un « espace news »; un « espace photo » ; un « posted items », qui reprend
les informations envoyées par les membres du groupe; un « discussion board », qui reprend
le principe du forum; un « annuaire des membres inscrits dans le groupe »; et un « wall »,
forum de communication non structuré populaire, où chacun est libre de déposer des
questions ou des liens et obtient généralement une réponse (Boullier, Le Bayon et Philip,
2010 : 177).
Ce réseau socionumérique permet l’interaction entre des milliers d’internautes. Il
sert aux retrouvailles entre amis, à la création de nouvelles sociabilités et à la discussion
sur des sujets qui peuvent être anodins ou encore d’intérêt général comme la politique.
Facebook est mis à la disposition de tous. Il est utilisé à toutes les sauces même pour les
mobilisations de masse.
Différentes études, Faris (2012) et Enjolras, Steen-Johnsen et Wollebaek (2012),
ont montré l’importance du rôle joué par les réseaux socionumériques, notamment
Facebook, dans diverses manifestations tenues un peu partout sur la planète. Dans son
article, Faris parle de soulèvements populaires survenus durant le « printemps arabe18 ».
Il donne l’exemple de l’Égypte et de la Tunisie. Dans le premier cas, les Égyptiens avaient
à leur compte une dizaine d’années d’activisme numérique de protestation dans la
blogosphère égyptienne, contre les agissements du régime égyptien. Cependant, rien
n’avait changé sur le plan politique. La révolution égyptienne a donc débuté avec
l’organisation, sur Facebook, de manifestations qui ont été attribuées « aussi bien au
18 Le « Printemps arabe » est un ensemble de contestations populaires qui ont eu lieu dans de nombreux
pays du monde arabe en 2010-2011.
45
Mouvement du 6 avril (qui avait commencé sous la forme d’un groupe Facebook en mars
2008) qu’au groupe Facebook « Nous sommes tous des Khaled Saïd », ainsi nommé en
hommage à un jeune homme d’Alexandrie tué par la police en juin 2010 » (Faris,
2012 : 102). Dans le cas de la Tunisie, Internet était sévèrement contrôlé et censuré.
Personne ne pouvait diffuser d’images ou parler en mal du gouvernement en place.
L’immolation de Mohammed Bouazizi a surpris tout le monde. À la suite de ce geste, le
régime a autorisé l’utilisation de Facebook. Dès lors, tout pouvait circuler : des photos aux
opinions populaires. Tous voyaient alors l’arrière-scène des actions de l’État. La résultante
fut alors l’organisation de plusieurs mobilisations sur Facebook et Twitter. Il apparaît donc
que « les médias sociaux peuvent à la fois donner de l’élan à des réformes politiques et
sociales et fonctionner à plein en temps de crise comme instruments de mobilisation et
banques d’information » (Faris, 2012 : 108).
Dans leur recherche, Enjolras, Steen-Johnsen et Wollebaek (2012) ont examiné les
effets du développement des médias sociaux sur les mobilisations civiques et politiques
hors ligne. Plus spécifiquement, leur étude a démontré que Facebook a été une plateforme
d’information importante pour la population lors the Rose marches en Norvège. Rappelons
qu’une voiture piégée avait explosé devant les bureaux du gouvernement, faisant huit
morts. Soixante-neuf adolescents avaient été sauvagement massacrés dans un camp de la
jeunesse du Labor party à Utøya en dehors d'Oslo. Dans les jours qui ont suivi, les médias
sociaux ont tenu un rôle de premier plan dans la diffusion des informations. Par la suite, à
l’initiative d’une personne sur Facebook, un « événement Facebook » a été organisé, la
manifestation massive du 25 juillet 2011 à Oslo19, pour rendre hommage aux victimes.
Au terme de leur travail de recherche, Enjolras, Steen-Johnsen et Wollebaek
(2012 : 10) ont conclu que Facebook avait joué un rôle clé dans la diffusion de la première
information et avait fourni un espace pour permettre aux gens d’exprimer leur soutien aux
victimes et à leurs proches. Cependant en comparant les différents médias (traditionnels et
19 Au départ, l’événement prévu était une procession aux flambeaux. En raison de l’attente d’une
participation massive, les autorités ont décidé que l’utilisation de torches était trop dangereuse. Les
participants ont donc été encouragés à porter des roses (symbole du Labor party). Par la suite, la Roses
marches s’est répandue dans toute la Norvège. Fait intéressant, trente-quatre pourcent des répondants à
l’étude avaient participé aux manifestations.
46
sociaux), ils ont estimé qu’il était clair que les réseaux socionumériques ne remplaçaient
pas les médias traditionnels, mais les complétaient. Ainsi ne faut-il pas écarter la
télévision, la radio ou les journaux pour la transmission d’informations. Les médias
sociaux ne sont pas les seules méthodes offertes pour permettre les mobilisations. Ils
facilitent les échanges et la création de mouvement. Ils sont des compléments aux outils
déjà établis.
Enfin, Ollitrault (1999 :159) trouve important d’avoir un répertoire médiatique qui
se « compose des formes d’action destinées à attirer les médias ou celles visant à construire
ses propres moyens de communication ». Internet peut servir à attirer l’attention sur le
mouvement et à le rendre visible. « Plus complémentaire qu’opposé aux médias de masse,
Internet sert donc d’expression individuelle et de groupe. En donnant de nouvelles forces
à l’amateurisme, aux mouvements associatifs, aux fans et aux groupes contre-culturels, il
pluralise plutôt qu’il n’émiette les espaces publics antérieurs » (Maigret, 2007 : 265).
Enfin, le concept de répertoire évolue toujours. Les formes d’action changent en fonction
des acteurs qui les utilisent. Le répertoire, de « par son caractère flexible, reflète l’identité
du groupe et s’inscrit dans son histoire » (Ollitrault, 1999 :156).
47
3. RECENSION MÉTHODOLOGIQUE
Les répertoires d’action collective servent aux communautés à des fins stratégiques.
Ils permettent l’occupation de l’espace public « réel » et « virtuel ». Comme nous l’avons
mentionné plus tôt, il existe des répertoires d’action classique et des nouveaux répertoires
d’action. Dans cette section, nous présenterons différentes techniques d’enquête qui
peuvent nous permettre d’étudier les répertoires d’action utilisés par la Nordiques Nation.
3.1 Pour étudier les répertoires d’action collective classiques
La communauté de fans la Nordiques Nation a eu recours à deux des moyens
associés au répertoire d’action classique. Elle a tout d’abord occupé les gradins de certains
arénas de la LNH pour rendre visibles les couleurs des Nordiques et faire entendre sa
revendication de ravoir cette même équipe à Québec. Ensuite, la Nordiques Nation a utilisé
les ondes radiophoniques de Radio-X, un de ses partenaires, à des fins promotionnelles et
mobilisatrices. Dans cette rubrique, nous nous présenterons les méthodes employées pour
étudier « l’occupation » ou « action occupante » (Penissat, 2009 : 386) et l’utilisation des
médias traditionnels.
3.1.1 Méthodes utilisées pour étudier l’occupation des gradins
Pennissat (2009) présente sommairement l’historique de l’occupation souvent
associé aux mouvements de grève. Plusieurs dimensions ou approches sociologiques
peuvent permettre d’analyser le recours à l’occupation. La première dimension est d’ordre
stratégique, « elle envisage l’occupation comme une tactique de désordre » (Piven et
Cloward, 1979, In Penissat 2009 : 390). Elle s’adresse aux mouvements à faibles
ressources humaines ou à faibles capitaux (médiatiques, intellectuels, financiers…). La
seconde dimension est plus structurelle et permet l’interprétation de l’occupation par des
groupes ayant plus de ressources comme « les étudiants, les employés et les militants
pacifistes, écologistes ou autonomes » (Penissat, 2009 : 390). Enfin, la dernière approche
met de l’avant que « les réinventions d’un mode d’action dépendent aussi des conflits et
48
des stratégies à l’intérieur de l’espace des mouvements sociaux » (Penissat, 2009 : 390-
391).
Fillieule et Tartakowsky (2008 : 14-15) associent pour leur part quatre éléments au
« fait manifestant » : l’occupation de lieux physiques ouverts; l’expressivité, le nombre de
participants et la nature politique de la démonstration. L’expressivité, qui rend visible
l’affirmation d’un groupe et de ses demandes aux yeux de ses participants comme à ceux
de ses publics, nous semble particulièrement bien correspondre aux objectifs visés par
l’occupation des gradins.
Pour étudier cette occupation des gradins, nous pourrions donc nous référer aux
méthodes d’enquête utilisées lors de manifestations. Les manifestations tout comme
l’occupation découlent de phénomènes sociaux observables comme la construction d’un
nouvel amphithéâtre à Québec qui a vite été associé au retour des Nordiques et qui a suscité
un engouement populaire immense. Cependant, le répertoire étudié par les spécialistes des
mouvements sociaux aborde l’occupation dans la perspective de son illégalité présumée,
ce qui n’est pas le cas ici20. L’occupation des gradins n’est pas un acte illégal et ne constitue
donc pas une provocation.
Comme le souligne McPhail (1991, In Favre 2009 : 346)
« une manifestation peut faire l’objet d’une description ethnographique minutieuse
par observation sur le terrain, enregistrement vidéo systématique, relevé des
banderoles, interviews de manifestants, des organisateurs et des responsables de
maintien de l’ordre, etc. ».
Le chercheur peut aussi avoir recours, si l’événement est de grande ampleur, à une revue
de presse détaillée qui relate les événements qui se sont déroulés. Il faut toutefois s’assurer
que l’analyse se fasse selon des critères bien définis pour éviter les biais journalistiques.
Enfin, nous pourrions aussi utiliser des questionnaires lors des rassemblements afin de
connaître « les caractéristiques sociales et les orientations » (Favre, 2009 : 347) de
l’occupation des gradins.
20 À ce sujet, voir la rubrique Occupation des locaux par É. Penissat, dans Fillieule, Mathieu et Péchu (dir.),
Dictionnaire des mouvements sociaux, pp. 386-393
49
.
3.1.2 Méthodes utilisées pour étudier l’utilisation des médias traditionnels
Utiliser les médias traditionnels permet à différents regroupements ou organisations
d’atteindre l’opinion publique et de faire parler d’eux. Le recours aux médias comme
Radio-X pour la Nordiques Nation permet « l’ouverture à la communauté plus globale des
citoyens (mobilisation de consensus), de contribuer à l’élargissement du potentiel de
mobilisation de l’action et […] l’éventuelle imposition d’un sens partagé » (Granjon,
2009 : 350).
Parmi les techniques d’enquête utilisées pour analyser l’utilisation des médias
traditionnels, plus spécifiquement radiophoniques, nous pensons qu’il serait possible de
réaliser des entrevues avec les responsables et les animateurs de la station afin de connaître
l’ampleur de l’implication de Radio-X dans la promotion des événements de la Nordiques
Nation. Nous pourrions aussi utiliser un questionnaire auprès des membres de la Nordiques
Nation pour savoir où ils ont trouvé l’information concernant les différentes activités.
3.2 Pour étudier les répertoires d’action collective classiques
Pour joindre ses membres, la communauté de fans la Nordiques Nation a
notamment eu recours à deux des dispositifs numériques associés au nouveau répertoire
d’action, soit une page Facebook et un blogue. Les interactions qui s’y déroulent nous
semblent riches de sens. Pour observer les relations qui s’établissent grâce à ces
applications, nous explorerons les techniques d’enquête qui peuvent être mobilisées pour
étudier les nouveaux répertoires d’action collective des communautés virtuelles. Ces
techniques sont d’autant plus intéressantes que les nouveaux répertoires d’action sont
moins documentés que les répertoires d’action classique.
L’apparition des digital methods ne remonte qu’à quelques années en effet (Rogers,
2010). Pour Rogers (2010), il s’agit de réorienter les méthodes de recherche traditionnelles
(qualitative et quantitative) vers les médias sociaux et culturels d’Internet. Les méthodes
numériques sont « très hétérogènes et encore peu intégrées », « elles partagent toutes le fait
50
de se baser sur les traces numériques comme source d’information pour l’étude des
phénomènes sociaux » (Venturini et Latour : 2010, In Severo, 2012 :1).
Dans les pages qui suivent, nous présenterons différentes approches susceptibles de
nous permettre d’étudier les répertoires d’action de la communauté de fans Nordiques
Nation : des approches quantitatives, des approches qualitatives et l’approche sociologique
de Serge Proulx. Surtout utilisées en marketing, les approches quantitatives comprennent
la cartographie et l’analyse des réseaux sociaux, qui, à certains égards, se recoupent au
point qu’il peut paraître difficile de les distinguer. Les approches qualitatives comprennent,
pour leur part, la netnographie, l’observation non participante, l’observation mécanique,
l’entretien individuel, l’analyse de contenu, etc. Enfin, l’approche sociologique de Serge
Proulx combine des méthodologies quantitatives et qualitatives.
3.2.1 Approches quantitatives
La cartographie sur le Web
La cartographie du Web est employée dans l’analyse des réseaux sociaux (ARS).
Sur le plan technique, elle « s’appuie sur l’idée que les liens hypertexte [sic] créés sur le
Web peuvent être utilisés comme proxy des liens sociaux » (Severo, 2012 : 2). Plus
précisément, il faut, dans un graphe, retrouver le réseau qui se construit à partir des liens
hypertextes disponibles sur plusieurs pages Internet (Severo, 2012 : 2).
Selon Severo (2012), la cartographie se révèle une aide importante pour
comprendre les interactions entre les sites, mais aussi celles des acteurs qui se dissimulent
derrière ces pages Web. Cette technique ne peut cependant pas fournir de description
complète « de la nature et de la raison de ces liens », mais « elle peut aider les chercheurs
à explorer les liens sociaux virtuels et à les représenter » (Severo, 2012 : 3).
La cartographie utilise deux types d’outils, ceux de l’exploration du Web et ceux
de la représentation (Severo, 2012). Les outils servant à explorer le Web (crawlers) – des
logiciels permettant la navigation et le traçage des liens hypertextes sur un ensemble de
pages Web – peuvent être automatisés ou manuels. Les logiciels automatisés, disponibles
gratuitement sur Internet, permettent de répertorier l’entièreté des liens d’un site, « puis
51
tous les liens des sites qu’il rencontre ainsi de suite » (Severo, 2012 : 4). Les logiciels
manuels sont utilisés lorsqu’il faut déterminer un réseau de thèmes pour faire une recherche
plus spécifique. Par exemple, Navicrawler, une extension du navigateur Firefox, permet
l’accomplissement de deux tâches (Severo, 2012 : 10). D’une part, il garde les traces de
tout ce qu’un individu visite et les hyperliens associés D’autre part, il offre la possibilité
d’inclure ou d’exclure des éléments de son réseau thématique.
Les outils de la représentation sont des graphes. Chaque graphe représente
visuellement les sites Web par un nœud et les hypertextes, par un arc (Severo, 2012 : 3).
Les représentations graphiques permettent la visualisation de plusieurs éléments présents
sur les réseaux explorés :
- deux nœuds sont rapprochés par l’algorithme de spatialisation du
graphe si les sites web qu’ils représentent sont directement ou
indirectement liés (Jacomy et al., 2011[11]) ;
- la taille des nœuds est proportionnelle à l’in-degree du site web,
c’est-à- dire au nombre de liens qu’il reçoit des autres sites du réseau.
Cette mesure peut être considérée comme représentative de l’autorité
du site web dans le réseau ;
- la couleur des nœuds peut être changée pour montrer différentes
catégories que le chercheur décide d’attribuer aux sites web pour
décrire différents phénomènes (Severo, 2012 : 3).
D’après Severo (2012), les cartes (graphes) peuvent être difficiles à comprendre,
mais servent aux chercheurs à établir des constats généraux quant aux liens d’un
phénomène sur le Web. Pour étudier plus en profondeur les interactions, il faut combiner
la cartographie à d’autres méthodes employées dans l’analyse des réseaux sociaux, une
« méthode de contextualisation des comportements » (Lazega, 2007 : 116).
L’image ci-dessous, tirée du site lemonde.fr, est une cartographie de la blogosphère
politique française de 2012.
52
Figure 1 : Exemple de cartographie : la blogosphère politique française de 2012
l’analyse de contenu, qui ne nécessite pas d’adopter un protocole éthique de recherche22.
Plus spécifiquement, nous esquisserons l’analyse de la page Facebook de la Nordiques
Nation. Nous considérons le réseau socionumérique Facebook comme un moyen
participant d’un nouveau répertoire d’action qui permet de rendre visibles d’autres
répertoires d’action. À l’instar d’associations comme Greenpeace qui usent d’Internet pour
« construire un réseau mondial d’antennes militantes, de développement d’un discours
planétaire » (Ollitrault, 1999 : 165), le fan-club des Nordiques utilise en effet la plate-forme
Facebook pour construire ses propres moyens de communication plutôt que de transiter
uniquement par les médias.
La page Facebook de la Nordiques Nation constituera donc notre terrain. Au départ,
nous nous intéressions aussi au blogue de la Nordiques Nation, mais celui-ci a été délaissé
alors que sa page Facebook compte 30 362 abonnés (qui « aiment » la page). Tous peuvent
y exprimer leurs opinions. De plus, la page sert de babillard. Toutes les actions du fan-
club y sont annoncées et des réactions y sont notées (commentaires). Depuis sa création
en décembre 2010 au 27 avril 2013, le babillard a ainsi annoncé dix actions de visibilité 23.
Rappelons qu’il s’agit de rassembler le plus grand nombre de fans possible de l’ancien club
de la LNH, les Nordiques, dans le cadre d’une joute de hockey. Créer et alimenter une page
Facebook permet donc à la Nordiques Nation de générer d’autres actions pouvant s’inscrire
dans des répertoires classiques ou nouveaux, comme l’occupation (des gradins).
L’échantillon que nous proposons est constitué des différents billets et des
commentaires associés à ceux-ci publiés le 11 février 2012. La date retenue est celle d’une
action de visibilité de la Nordiques Nation. Le 11 février 2012, plusieurs centaines de fans
des Nordiques se sont mobilisés et se sont déplacés à Ottawa pour montrer leur appui au
retour de leur équipe à Québec.
22 Ce qui entraînerait des délais considérables excédant la durée de nos études. 23 Saison 2010-2011 : 11 décembre 2010, N.N. à New York (Islanders); 12 février 2011, N.N. à Montréal
(Canadiens); 10 avril 2011, N.N. au New Jerseys (Devils). Saison 2011-2012 : 5 novembre 2011, N.N au
New Jerseys (Devils); 5 décembre 2011, N.N. en Floride (Panthers); 11 février 2012, N.N. à Ottawa
(Sénateurs); 3 mars 2012, N.N. à Boston (Bruins); 7 avril 2012, N.N à Détroit (Red Wings).
65
Pour les besoins de notre essai, notre corpus24 sera constitué d’un billet rédigé par
La Nordiques Nation (par le responsable - anonyme - de la page Facebook de la Nordiques
Nation) ainsi que des 67 commentaires associés. Nous nous intéresserons aussi aux auteurs
des commentaires au moment de nous pencher sur l’expérience des usagers. Le billet se lit
comme suit (nous avons reproduit l’orthographe) : « La nordiques nation quitte maintenat
quebec pour aller se faire voir et surtout entendre à ottawa ! Dans quel autobus êtes-vous
!? »
4.3 Indicateurs et grille d’analyse
Pour construire notre grille d’analyse, nous nous sommes inspirée des indicateurs
des différentes dimensions de l’analyse sociologique pour caractériser une plateforme de
réseaux socionumériques. Ces derniers sont présentés dans Proulx et Jauréguiberry (2011)
et Proulx (2012). Ils entrecoupent certaines modalités de la netnographie. Pour notre
analyse, nous retiendrons les indicateurs qui visent à documenter l’architecture technique,
la structure des interactions, l’expérience des usagers ainsi que la qualité des contributions
dans l’univers numérique. Ces indicateurs nous permettront de comprendre d’une part, le
niveau d’engagement des abonnés de la page Facebook de la Nordiques Nation via les
fonctionnalités offertes sur la plateforme; d’autre part, la qualité des interactions, via
l’étude du contenu des différents billets et commentaires.
4.3.1 L’architecture technique
Dans chaque plateforme Web, comme l’interface de Facebook, l’architecture
technique constitue le cadre qui amènera des possibilités ou des contraintes aux utilisateurs.
La plateforme Facebook offre une panoplie de fonctionnalités à ses utilisateurs : « création
d'un profil, constitution d'un réseau d'amis, création de groupe, publication de
commentaires sur le mur, insertion de photos, intégration de contenus générés par les
utilisateurs dans les profils, etc. » (Proulx, 2012 : 19). De plus, les usagers de Facebook ont
le loisir de personnaliser leur page en choisissant leur photo de profil et de couverture, en
mentionnant des informations personnelles dans la section « à propos » (ex : employeur,
24 Billet et commentaires analysés en annexe.
66
date d’anniversaire, lieu de scolarité, point de vue politique, etc.) ou en publiant un
« statut » (énoncé) pouvant décrire leur état d’âme, leur dernière pensée ou lubie du
moment. Pour les pages des groupes et des associations, il est possible d’ajouter un petit
résumé de qui ils sont ou de ce qu’ils représentent dans leur section « à propos ».
Cependant, cette liberté d’action s’accompagne aussi de limites : « les
fonctionnalités offrent des ressources et des possibilités de création en même temps
qu’elles contraignent la nature des interactions et des productions » (Proulx, 2012 : 19). En
ce sens, certains critères qui servent pour l’évaluation de l’architecture technique
influencent les dimensions de l’analyse de la structure des interactions entre les membres
d’une plateforme, celle de la qualité de la contribution dans l’univers numérique ainsi que
celle de l’expérience de l’utilisateur. Les quatre dimensions sont donc fortement liées.
Dans notre analyse, il faut garder à l’esprit qu’il y a possibilité pour le responsable d’une
page de contrôler ce qui sera montré sur celle-ci. Sur Facebook, il est notamment possible
de paramétrer le niveau de confidentialité des informations publiées sur un « mur » et de
supprimer des photos ou des commentaires indésirables. La liberté des membres n’est donc
pas totale : « le dispositif n’est pas neutre » (Proulx, 2012 : 19). De plus, la flexibilité de
l’interface, sa facilité d’usage et sa capacité à intégrer des contenus jouent sur les
interactions s’y déroulant et sur les contributions des usagers.
Dans le cas de la page Facebook de la Nordiques Nation, le devis technique est
constitué de plusieurs éléments. Tout d’abord, pour pouvoir y accéder, il faut détenir une
page Facebook. Par la suite, il est possible de trouver la page de la Nordiques Nation en la
cherchant dans l’onglet de recherche de Facebook. Après, il faut « aimer » la page de la
Nordiques Nation pour « s’abonner ». Dès lors, les abonnés ont accès à la page du groupe.
Ils peuvent voir le logo de la Nordiques Nation en photo de couverture et de profil. Dans
le bandeau d’entête, on trouve, dans la section « à propos », un message incitant 25 les
abonnés de la page Facebook à s’inscrire au fan-club de la Nordiques Nation. En cliquant
25 « Inscivez-vous (sic) immédiatement au fan-club des Nordiques de Québec au
http://www.nordiquesnation.com/ . Cela est gratuit et ne prends (sic) que 30 secondes à faire. Faites
circuler!!! Merci! » (Page Facebook de la Nordiques Nation, 2013). Le lien mène au site Web de la
Nordiques Nation. Sur le site, l’utilisateur a la possibilité de se joindre au fan-club en s’inscrivant dans la