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Jean Paul Forest Marcel Otte UNE FUTILE AUDACE Préface de .... Maison d’Édition
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Une futile audace

Apr 30, 2023

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© Maison d’Edition

ISBN

Droits de reproduction et traduction réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductios destinées à une utilisation collective.

Toute représentation intégrale ou partielle, faite par quelque procédé que ce soit, photographie, photocopie ou autre, sans l'accord écrit des auteurs est

illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

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« Une futile audace » est publié à l'occasion de l'exposition éponyme,

présentée au printemps 2009 au Musée national de préhistoire

aux Eyzies-de-Tayac, France

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SOM

MA

IREPréface de ...... 9

Fragmenter 10

Réparer 22

Recomposer 60

Une futile audace 74

Légendes des illustrations 86

Les auteurs 87

Bibliographie générale - Remerciements 88

SOMMAIRE

Textes :Tous textes Marcel Otte, excepté « Une futile audace » M. Otte & J.P. Forest

Crédits photographiques :Toutes oeuvres et photographies Jean Paul Forest

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L’exposition « Une futile audace », au Musée National de Préhistoire au printemps 2009, tente une mise en perspective de la trajectoire de l’Homme dans l’espace et le temps, et de son rapport au monde. La réflexion scientifique et philosophique de Marcel Otte articule les collections lithiques du musée avec le travail sur pierre de Jean Paul Forest, les oeuvres matérielles du sculpteur faisant écho aux recherches théoriques et conceptuelles du professeur de l’Université de Liège. Action et réflexion s’entremêlent et s’épaulent pour suggérer une trajectoire chaotique mais sensible, favorisant une réflexion plus intemporelle et métaphysique sur les rapports entre l’esprit, le geste et la matière. Deux approches - et deux langages - se combinent pour nous inciter à prendre du recul avec la vision immédiate que nous impose notre civilisation, et ouvrir une perspective plus philosophique du rôle de la création dans les sciences humaines. Cette volonté de mise à distance est le fil conducteur du projet : les recherches de Marcel Otte portent essentiellement sur la Préhistoire, et Jean Paul Forest travaille dans une île isolée de l’Océan Pacifique. Outre leur intérêt commun pour les liens entre matérialité et spiritualité, cette volonté de s’extirper temporellement ou géographiquement de l’emprise de l’ " actualité " les a paradoxalement réunis. Et effectivement sous cet angle, toute entreprise humaine, de l’histoire de l’humanité à cette exposition en passant par chacune des productions matérielles ou intélectuelles qui la compose, semble bien relever d’ " une futile audace "...

Prologue

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FRA

GM

ENTE

RFRAGMENTER

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La masse et l’harmonie d’un galet se devinent encore dans cet ensemble d’éclats patinés aux cassures anguleuses. Les blessures impitoyables, rugueuses et cruelles, rejoignent des dômes naturels et lisses. À l’opposé de la roche produite par le magma, un câble conçu et façonné par l’homme s’offre tel un remède qui tente de démythifier, d’offrir, de tout refaire : " c’est un jeu ". Personne n’est dupe, tout le monde consent : les blocs entiers ne pouvaient qu’être fracassés et dispersés avec le temps ; ils demeureront lambeaux et s’en font une gloire, suppliant leur défaite, implorant nos regards, eux aussi tenus d’y croire. Aujourd’hui, seul le lien demeure, il indique le sens, restitue l’opération, mais nous perd encore car il n’est qu’illusion, à la fois vaine et nécessaire. Lutte de masses et de forces, celles des cohérences magmatiques transposées du cosmos, avec celles éphémères mais audacieuses dont l’homme s’est emparé, combats perpétuels entre la matière et le temps : dans ces infinies tentatives, enfin dire " non ", mais pour si peu de temps ...

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Toute évolution est la combinaison de deux événements : décomposition et réorganisation. Du cosmos à l’atome en passant par le biologique, ces deux phénomènes ne s’interrompent jamais, et toute l’histoire de l’humanité raconte nos émerveillements et nos effrois, nos luttes et nos acceptations, nos astuces et nos maladresses face à ce flot qui nous emporte. La déchirure de cette matière la plus banale, la pierre, nous renvoie à la violence fondatrice de toute création. Dès les premiers galets aménagés par l’enlèvement de quelques éclats, l’Homme s’est immiscé dans ce mécanisme de l’Univers pour conduire la matière là où son esprit la voyait : certes vers des objets fonctionnels, mais surtout vers les improbables possibilités qu’il a perçu en elle. La précision et la variété des infimes points d’impact nécessaires à ce façonnage, révélés aujourd’hui par l’imagerie scientifique, forcent notre admiration pour la subtilité des connaissances, du sens esthétique et des gestes que ces précurseurs déployèrent pour obtenir de tels résultats.

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Quelques millénaires plus tard, perforations et éclatements s’exhibent, et avec elles la préméditation du traumatisme annonçant la brisure, nous replaçant ainsi face à la violence initiale. Comment accepter qu’une mutilation, la " défiguration " d’une cohérence et d’une harmonie soient aussi l’annonce d’une réorganisation, d’une autre structure, d’un autre état ? La rigidité confortable et douce du galet devient pourtant fluidité et ouverture vers une infinité de possibilités et d’aventures. Chaque fragment à la fois garde l’empreinte de ce qu’il fut et acquiert l’indépendance d’une entité à part entière. Le fil conducteur, mémoire d’un ordre antérieur, suspend le temps à cet instant fugitif du morcellement, entre fracture, dispersion et d’autres fragmentations. Ici, en effet, demeure la règle même de tout l’éphémère : il ne s’agit plus d’espérer ou de croire, il suffirait d’admettre, comme les câbles y invitent.

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Large, ouverte, la rivière déchire le volcan qui y déverse ses eaux, y rejette ses blocs démantelés. En perpétuelle mouvance, ils se déplacent comme des hommes tranquilles, les pieds dans les flots. Autant d’âmes sans doute y circulent, avancent lentement et pourtant sans cesse, peuple de pierre désenchanté, récemment disparu bien que naguère si prolifique. Cette marche vers les eaux océanes anéantit tout autant le signe, gravé par l’homme et intégré lui aussi dans l’ère de l’éphémère. Ce que l’on sait des époques les plus reculées de notre espèce évoque une telle errance, autant dans le temps, l’espace, les innovations. Les traces matérielles reconstituent cette audace, de la pierre à l’épieu, de l’habitat au foyer, des sépultures à l’art, étalées sur des millions d’années. Elles nous sont précieuses car fragiles et fugitives, et pourtant l’esprit perce par ces " anomalies " marquées par l’homme sous les forêts, dans la montagne. De tels vestiges résument et renouvellent la nature profonde de la destinée humaine : évanescente quant à ses origines, aléatoire quant à son destin. Mieux que comprendre, ces œuvres dans le naturel nous font sentir, en un résumé fulgurant, le maximum auquel nous puissions prétendre dans la pérennité. Ainsi les arts traditionnels se présentent sous une forme très coercitive : leur sacralité y entrave toute fantaisie. Le regard rétrospectif que nous y jetons reconstitue immédiatement cette articulation cohérente et permanente de signes plastiques : icônes, formes, couleurs, textures, que l’on appelle le style. Ces " manières de faire " propres à un groupe sont alors une clef de lecture dont l’emprise s’étend à toute la gamme d’activités, du purement technique au proprement symbolique, de la hache de l’artisan à l’image religieuse. Formes, textures, matières obéissent à des conventions qui régissent toute production matérielle pour exprimer un système de valeurs partagé par l’ensemble d’une collectivité. Dans leur matérialité spectaculaire, ils sont moins le produit d’une pensée qu’ils ne tendent à perpétuer celle-ci, mais de subtiles variations dans ce code expriment pourtant le talent, la sensibilité et la personnalité de chaque artiste. La notion de beauté s’y identifie alors, par la conformité à un idéal plastique, lui-même issu de convictions métaphysiques profondes, liant l’homme à son destin, selon des formules infiniment variables mais en perpétuelle cohérence, d’un bout à l’autre de la terre et au fil des modifications dans le temps. Ces cultures dites " premières " établissent leurs propres valeurs esthétiques et spirituelles afin de s’autodéfinir, d’exprimer un système référentiel et de s’y identifier. L’art contemporain occidental fait de même, si l’on admet que les références actuelles soient l’abandon des certitudes, la recherche d’une évolution constante,

les Arts

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la quête de nouvelles valeurs. Cette mutation de l’affirmation au questionnement, faite individuellement depuis toujours, se propage lentement vers le grand public, qui pour l’essentiel garde cependant des goûts " classiques " traduisant une nostalgie d’un temps des certitudes immuables. L’art exprimant un désarroi, un conflit, posant des questions, ou étalant publiquement une sensibilité intime, est bien l’expression de notre époque désenchantée. Doute, quête, remises en question individuelles et collectives sont les nouvelles conventions : à travers elles, le monde artistique se reconnaît, et les sociétés postindustrielles les favorisent afin de se régénérer ou du moins de se prolonger. Dans cette démarche, il n’y a de sens que dans cette perpétuelle remise en cause de nos aptitudes et de notre détermination : les productions métaphysiques - philosophiques ou religieuses - constituent et ont toujours constitué la clef de voûte d’une pensée qui, sans elles, retomberait dans l’absurdité. Cette métaphysique, en perpétuelle expansion, est constitutive de notre humanité : elle n’en est pas seulement le produit éphémère, elle en est surtout l’activité fondatrice et permanente.

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oeuvresPAriétAles

La chute est une percée, un jet, une révolte ; elle taille, elle casse, elle s’insurge. Dans ces univers sombres, profonds, mystérieux, le temps a perdu son sens : les phénomènes sont continus et s’expriment eux-mêmes par leurs contrastes, de la brume à la roche, des ténèbres aux illuminations. Là se marque le signe universel du cercle rayonnant, à mi-hauteur, inaccessible, en concurrence avec la force de l’eau, comme une connotation complémentaire, appelée par la faille elle-même qui intègre ce signe spirituel au contexte naturel qui l’attendait. Entre l’œuvre pariétale et son milieu naturel sont tissés des liens cruciaux et significatifs. " Land art " des origines, les oeuvres sur parois rocheuses se sont développées dans toutes les cultures, et certainement dès l’apparition de nos activités symboliques. Deux grandes tendances se dégagent. D’une part une activité de plein air, suscitée par notre sensibilité à une harmonie particulière de certains paysages et notre volonté d’y participer en leur imprimant une trace significative de notre existence. L’art pariétal se développe alors face à la collectivité et s’organise en fonction de codes culturels qui rendent perceptibles les intentions des créateurs et la tradition qu’ils représentent. Narratives, signalétiques, revendicatives, les images déposées sur la roche s’adressent à des spectateurs, humains ou mythologiques ; elles affirment et transmettent les valeurs constitutives d’une culture et restent, en ce sens, prisonnières d’un langage convenu et codifié. D’autre part s’est développé un art pariétal " hors lumière ", en grottes profondes, accessible uniquement à des individus particuliers voire aux seuls artistes, et qui semble refléter un travail plus personnel, intime et expérimental. Le trajet vers les profondeurs, matériellement difficile, éventuellement périlleux, émotionellement marquant par son étrangeté et la rupture avec les vivants, en était l’étape initiale : se retirer du monde par une action physique et métaphorique. La réalisation d’une image n’était certainement que le prétexte d’une démarche englobant des préparations à cet isolement, un cheminement souterrain, une action picturale et un retour vers la

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30collectivité, cette globalité constituant une cérémonie. La véritable oeuvre artistique est l’ensemble de ce vécu, perceptible uniquement par son auteur, et les images que nous contemplons aujourd’hui ne sont que des artefacts non destinés à un public. Se trouvent également en grottes profondes des ensembles extrêmement élaborés plastiquement, à la fois dans leurs détails et dans leur structure globale. Faits de gestes fortement structurés par un contexte esthétique et métaphysique, mais plastiquement exploratoires et expérimentaux dans nombre de cas, ils attestent d’une composante introspective de l’art dès ses origines. Les coutures de Jean Paul Forest renouvellent le décodage dans cette grille de lecture. En bordure de l’expansion humaine sur des sites destinés à disparaître, ou au contraire dans des lieux difficiles d’accès et non fréquentés, le geste initial est bien cette

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31mise à l’écart du monde social et de la réalité domestique de l’existence. A l’air libre, exposé aux forces qui le transformeront et l’effaceront, c’est un échange personnel avec la matière qui le supporte, et auquel il est destiné. En alimentant les besoins existentiels propres à l’artiste, il permet aussi l’élaboration d’autres travaux répondant ceux-là à des implications publiques, telles les photographies. Celles-ci, en extrayant l’oeuvre de son contexte, relatent une aventure humaine dans des dimensions de temps et d’espace sans limites, et donc sans valeur extrinsèque : tout est question d’angle de vue, de distance, d’éclairage. Un point de vue esthétique suggère un équilibre possible, inscription poétique jetée à travers l’espace et le temps : quelque part il existe des traces cachées dans et par la nature, afin qu’elles soient absorbées par elle, et qui ne nous sont pas destinées.

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La sérénité sinueuse du plateau rocheux guide l’abondance des flots. Une trace rectiligne en souligne la puissance, comme si la rive allait s’en détacher. L’atmosphère humide, la lumière diaphane font jaillir la couture comme un repaire, un axe, un signe, bien illusoire. Inscrit dans la réalité du flot, le tracé métallique en accompagne les méandres ; il s’y installe pour témoigner l’accord de l’esprit sur cette harmonie naturelle. L’intégration à la nature fut une des voies expérimentées par l’humanité, et certaines sont arrivées jusqu’à nous. Ainsi les Aborigènes australiens apprennent à leurs enfants à ne pas laisser traîner leur lance au sol, afin de ne pas marquer inutilement la terre : celle-ci est considérée comme une entité à ne pas désorganiser, et la vie comme le passage dans un espace où l’homme n’est qu’un invité. Leur culture a évolué au cours des millénaires, ne serait-ce que par nécessité de s’adapter aux variations écologiques, mais l’équilibre entre la pression exercée par l’homme et le respect des milieux naturels en fut un des fils conducteurs. La longévité des civilisations préhistoriques ou des peuples traditionnels actuels n’est pas signe de fatalisme, d’inertie ou de manque d’imagination. La transmission avec une grande stabilité de traditions techniques, sociales et religieuses nécessite avant tout que celles-ci restent « efficaces « à chaque nouvelle génération, c’est-à-dire qu’elles continuent d’apporter à la conscience une satisfaction métaphysique à laquelle elle puisse adhérer. Cette voie de l’intégration ayant majoritairement été abandonnée, on peut supposer que l’homme, souvent ballotté par un écosystème fluctuant et y répondant par des innovations techniques successives, enclencha un cercle incontrôlable d’ " actions-réactions ". Certains ne purent se résoudre aux contraintes souvent douloureuses mais nécessaires au respect des milieux naturels, n’y trouvèrent pas les réponses existentielles que réclame notre conscience, ou furent emportées par la vanité de leurs conquêtes techniques. D’autre part - phénomène on ne peut plus " naturel ", l’Univers se renouvelant par sa constante auto-destruction partielle - notre esprit nous pousse perpétuellement à nous confronter à la nature, la nôtre y compris. Cette déchirure fut originelle,

FAce à lA nAture

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peut-être même est la véritable définition de l’homme : son esprit l’entraîne, par un besoin impérieux d’existence, à s’opposer à toute règle instituée, échapper à la loi et retrouver un sens à ses propres valeurs dans les arts, l’aventure ou la poésie. Depuis des millions d’années, ce glissement des valeurs, du naturel au culturel, n’a jamais cessé au gré des situations, toujours organisé selon un mécanisme identique. Considérée globalement, l’histoire humaine peut se résumer à ce mouvement : de la force au moulin, de la domestication à la cavalerie. Ainsi l’avion a servi pour rencontrer un rêve bien avant qu’il ne soit récupéré pour la guerre puis le transport. Tel un indicateur de la pensée, des " images " précèdent à chaque fois les innovations techniques utilitaires : polissage d’objets rituels avant les haches, statuettes d’argile modelée et cuite avant les poteries, représentations taurines avant la domestication. À mesure que la conscience étend son emprise, dans le même mouvement l’action tend à l’accompagner, à la conforter, voire à la précéder car elle en est la première manifestation : il s’agit d’un des universaux les plus constants, propre à toute humanité. Comme l’oeuf et la poule, pensée et action se génèrent et s’alimentent réciproquement dans un processus évolutif devenu incontrôlable. Cet emballement provoque notre propre angoisse, et peut-être notre extinction. Notre exponentielle évolution scientifique et technologique peut être considérée non pas comme la réussite exemplaire de notre intelligence, mais comme une hyperactivité effrénée et compulsive destinée à créer une ivresse masquant le questionnement inhérent à la condition humaine.

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La rupture nette, où se brise l’eau noire en tombant, transforme la roche en écume. Le tumulte végétal règne, vierge, chaotique, impitoyable, seulement vaincu par les tables rocheuses, autorisées à quelques points. Les forces s’y affrontent, de la brutalité du courant contre l’orgueil végétal. Cette cassure marque le champ de bataille dont la nature se nourrit. Elle appelle les réparations éphémères et fragiles qui luttent, sans espoir, pour la perpétuation, la permanence, tandis que le temps poursuit sa destruction. La couture s’impose, rêveuse et solidaire, elle signale la contribution humaine à la confrontation de la roche et des eaux. Le signe de l’homme est là : maintenir ce qui n’est que mouvement, combat, transformation. Situé à l’interface du passé et du futur, le présent seul existe. Mais il est fluide et capricieux ; le dompter est certainement le plus vain défi dans lequel se soit lancée l’humanité. Pourtant tout en est imprégné, de nos plus humbles projets à la constitution des souvenirs, photographiés à la hâte. La maîtrise du temps obsède et ce défi inflexible provoque les plus délirants fantasmes, de l’élixir de jouvence aux amours éternelles... Telles les pyramides, tout édifice contient à sa mesure l’intention de subsister au-delà des constructeurs. Les monuments mégalithiques s’inscrivent dans le paysage comme pour l’éternité et les peintures en grottes profondes sont faites pour toujours. Dépasser sa propre fragilité contre le temps " qui ronge " fit naître bien des œuvres, engendrant par exemple l’idée de progrès, si encourageante et si rassurante, pour soi comme pour ses proches : réorganisation du passé afin de le percevoir comme une progression vers un " toujours mieux ", et garder ainsi le regard tourné vers le futur. Cependant cette conception est loin d’être universelle. Les Polynésiens, par exemple, considéraient que, ne voyant que ce que l’on connaît, notre passé est donc face à nous et s’éloigne avec le temps, alors que notre avenir restant inconnaissable vient dans notre dos. Mais par son caractère implacable le temps peut être stimulant : faire maintenant car chaque occasion est unique. Souvent, notre esprit rejette l’abîme ouvert dans les deux sens, aux origines et vers l’avenir, en préférant s’imaginer comme l’aboutissement ultime d’une évolution grandiose. Les plus sages d’entre nous inscrivent leur œuvre dans l’éphémère : le monde restera le même après mon passage ; la répercussion

le temPs

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est directement existentielle, elle donne un sens immédiat à qui ne peut posséder l’éternité. Sans le sentiment d’un " destin " autonome, choisi puis subi, à assumer à la fois par chaque individu et par la société en général, le temps n’aurait pas plus d’importance que dans une société bouddhique ou animiste, pour lesquelles il n’y a qu’illusion du temps. Vouloir le maîtriser a amené certaines civilisations à passer de l’expression orale à l’expression écrite, donnant l’impulsion à la naissance des " grandes religions ". Sociétés, religions, et écritures sont inextricablement liées. Instrument de pouvoir, l’écriture prétendait fixer dans la matière des " vérités " dès lors théoriquement immuables et incontestables. Outil de mémoire, elle a aussi permit, en facilitant l’activité intellectuelle, de créer d’autres territoires abstraits, eux-même générateurs de nouveaux conflits, nos contradictions et nos remaniements devenant visibles dans l’accumulation des documents. Le temps, devenu " historique " par l’écriture, n’en a donc pas été moins inquiétant, au contraire : en voulant figer le passé, le futur est devenu plus incertain que jamais.

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les signes

Tenace contre les marées et les vents, la roche impose sa masse, tel un défi opposant deux univers : les fluides face à la matière dure, le mouvement face à l’immobilité, l’éphémère face à la perpétuité. Une simple modification des textures fait surgir la présence spirituelle de l’homme, celui précisément qui a su intégrer les uns et les autres en désignant l’harmonie générale de cette dualité. Les agencements spontanés des matières de l’univers sont les sources de notre éveil à l’émerveillement, à l’effroi et au questionnement. Le signe circulaire parfait s’inscrit sur les masses de corail dressées devant l’infini des eaux et des airs, pour nous inciter à reconsidérer le monde. La pensée proprement humaine ne se révèle pas que par la lucidité et le raisonnement. Une bonne partie se trouve liée à la sensibilité et l’émotion : elle ne trouve aucune justification pratique, seulement une source de satisfaction esthétique. Parmi nos innombrables innovations, apparaissent avec l’homme des formes nouvelles. Leur caractère systématique prouve qu’elles furent conçues et réalisées intentionnellement, en complément à la nature qui n’en possédait pas de pareilles. Sous des contours tout à fait nouveaux, ces formes imposées élaborent un inventaire de traces figées, articulées, agencées. Le signe constitue un relais, un " symbole ", entre le moment de sa conception et le reste du temps qui lui succède. Il est donc porteur de sens, à l’origine comme aux aboutissements, qui peuvent être multiples. Le jeu des signes ne se limite pas à leur contour, mais inclut matériau, support et dimensions. Il se bâtit donc, en aval, une " sémiotique " fondée sur les agencements, soit avec d’autres signes, soit dans contextes particuliers où ils sont inscrits. Qu’importe le sens d’origine s’il n’y en eut jamais un ; rapprochons-nous du sens induit, bâti, maintenu, restitué et que notre propre regard lui injecte. Le signe oppose son evironnement une présence insolite, incongrue, mais qui démontre une fois de plus le défi relevé contre la dureté de la roche, la disposition des lieux, et affirme le contresens d’une expérience géométrique dans un contexte dépourvu de structure. Le contraste saisit et trouble, ici particulièrement par le matériau métallique, industriel, élaboré, dont toute Nature est vierge. Le geste créateur s’inscrit

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ainsi clairement dans son époque mais n’intervient cependant que comme signature mystérieuse pour singulariser ce lieu. Quelle raison a pu pousser à le marquer d’une empreinte, alors que par essence il se suffit à lui-même pour générer son " mana " ? Désir de se soumettre à son pouvoir, d’y participer, ou d’en vaincre la puissance ? Les lieux ayant un " esprit " très marqué ont toujours attiré les hommes selon des critères essentiellement subjectifs et pourtant réaffirmés au fil du temps, des individus et des

corriger le vert des coco

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cultures. Cependant les réponses que suscite pour nous cette attraction ont varié avec l’évolution de notre conception du monde, de la sacralisation à l’utilisation domestique. Ce cercle atteste la présence de l’humain dans cet espace ouvert sur l’infini, de sa sensibilité et de son trouble face à celui-ci. Ainsi, l’image primitive ne reproduit rien, elle ne fait que produire : de la pensée, des mythes, du sacré. Alors nous y percevons l’invisible.

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L’ouverture : la plage cristallisée, l’océan impérial, le cosmos capricieux où l’émotion naît par l’appel au vide, à l’infini, au néant. La barre laineuse d’embruns s’anime, elle arbitre les différentes formes qu’a prises l’immensité. Sinueuse et hésitante, la faille rocheuse s’insinue vers ces tumultes entre géants démesurés. La couture, entre les lèvres du récif corallien, matérialise une éphémère audace, telle le sillage du navigateur aventureux, défiant l’espace, la force et le flot. Au nom de quelle autre pulsion l’homme aurait-il marché sur la Lune ? Il s’agissait de défier à nouveau des contraintes, apparemment fatales, au profit d’un mystérieux soulagement, en réponse à la tyrannie de la conscience qui secrète la toute puissance du sacré. Le sacré est si important qu’il nous permet de penser : la raison doit entretenir l’illusion qu’il existe une vérité par rapport à laquelle elle se situe. Cette " vérité " peut être de toute nature, mais elle constitue un idéal auquel l’homme se rattache sous une forme ou une autre. Le rôle du sacré fonctionne comme une référence, inaccessible mais désirable, pur produit d’une conscience en action, fascinée par la zone obscure où sa logique ne s’exerce pas encore. Aussi l’esprit humain balance-t-il entre l’exercice de ses fonctions par sa volonté, et la reconnaissance de phénomènes incompréhensibles mais " vrais " qui forment le sacré. Selon les cas, on parlera de mystère ou de certitude, d’inconnu ou de vérité, mais un principe rigoureux le définit : le sacré est inaccessible car sa nature se déplace, telle la carotte de l’âne, avec l’extension de l’emprise consciente et délibérée. L’espace sacré est à la fois la contrepartie de la réalité accessible et l’espace où la raison se trouve soulagée : elle touche à ses limites. Y-a-t-il une fin à la quête du sens, au risque d’anéantir l’humanité dans sa propre substance ? Une sorte de malaise fondamental nous pousse à cette recherche perpétuelle, comme si notre conscience s’arrachait lentement de notre fatalité biologique. La notion de sacré qui nous habite est à la fois le fruit et le prix de cette évolution enclenchée il y a quelques millions d’années, et qui nous singularise sans cesse davantage du reste de la vie, pénétrés néanmoins par l’intuition de ne s’en détacher jamais totalement. Dans nos sociétés, la notion de sacré revient donc à définir l’une ou l’autre " vérité supérieure ", intangible et inaccessible, et certainement non contestable, sans quoi toute l’élaboration des valeurs s’écroulerait et tout acte deviendrait indifférent,

le sAcré

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devant le vide absurde des références. Les sociétés modernes n’ont donc jamais combattu la notion de sacralité (en supposant même qu’elles puissent le faire) : elles en ont déplacé l’objet, vers par exemple les notions plus laïques de liberté, de justice ou de démocratie, voire triviales tel l’argent. Le sacré par définition ne se justifiant pas, ces mots prennent une valeur " magique " qu’il est impensable de remettre en cause : le plus puissant des concepts étant celui qui recueille le plus large assentiment collectif et requiert le moins d’explication, il paraît donc proprement " incontestable " dans son bien-fondé et son aspect salutaire. La " Science " jouit aujourd’hui de cette situation confortable, quasi miraculeuse. Elle investit, sur le plan anthropologique, le domaine de l’inaccessible et de l’incontestable ; c’est pourquoi chacun y croit et personne n’en conteste la légitimité. La pensée individuelle y suscite de nouvelles " explications " qui sont autant de satisfactions, de soulagement aux interrogations perpétuellement renouvelées. Mais ces " découvertes " successives ne deviennent des " vérités " que lorsqu’elles sont intégrées par la règle, qui les justifie et les perpétue. La notion de science implique l’existence de vérités, réelles mais inaccessibles dans le quotidien, et l’on est ainsi passé subrepticement d’une quête à une loi morale. Son statut est proprement de nature religieuse et la valeur de ce concept semble supérieure à la notion de bonheur : savoir serait-il devenu plus important qu’exister ?

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La roche et le bois, choisis ici pour leur valeur texturale, leur densité contrastée et leur symbolisme symétrique, du minéral au biologique, nous imposent d’emblée des impressions tactiles brutes, portées par les matériaux les plus naturels mais les plus opposés. La netteté des coupures et l’ambiguïté insolante des sutures désignent ensuite la tension imposée par un dialogue forcé, rendu manifeste, démonstratif, " exemplatif ". Puis viennent l’union, la combinaison, l’intégration dans une silhouette simple et harmonieuse : l’ove. Finalement, la rudesse de l’acte devient fragilité, création provocante défiant l’histoire des formes, et en opposition téméraire à l’impermanence. L’oeuvre est là, autant physique que spirituelle, aussi bien conçue par la technique que par l’art : elle est finalement le condensé paradoxal de la vie elle-même. Mais, à la différence de la pensée, celle-ci s’offre dans sa totalité immédiate, tel un poème qui possède à la fois sa justification théorique et son incarnation plastique.

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Les documents photographiques ressuscitent les étapes pour donner la clef, approcher le code, moins pensé que gestuel : en ce sens l’artiste se livre, il ne veut pas tricher. Mais la démonstration apporte-t-elle un complément d’harmonie ? Si c’est le cas, il s’agit d’esthétique intellectuelle, un soulagement par la compréhension dont la perplexité était le ressort : on y perçoit d’ailleurs le point d’achèvement et le but, comme la résolution d’une équation complexe soulage le mathématicien. Chaque moment de cette genèse se trouve isolé, étalé, scandé comme des appels à témoignages, des provocations : offerte dans sa fragilité et dans son défi, on en saura tout, hésitations incluses. L’impression d’une plénitude surgit autant du jeu plastique entre formes et textures que du réseau d’interconnexions conscientes et significatives : le choix, la découpe, la couture s’offrent dans leur déroulement, leur intention, leur direction. Les rouages ainsi disséqués accentuent la vulnérabilité donc le flou, le provisoire et le doute : ils font trembler l’œuvre dans sa précarité. Toute autre formule d’assemblage eût été concevable à chaque étape de l’élaboration et la genèse eût continué son cours sur d’autres voies, offertes maintenant à notre imaginaire.

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Lorsque l’objet se trouve opposé à l’historique de ses constituants, un dialogue s’amorce alors entre l’affect, directement senti dans l’œuvre finale, et l’agencement de concepts, contenus dans la planche composite. De cet entretien surgit une séduction neuve, comme une complicité proposée par l’auteur à chacun des autres regards qui lui est porté. Cette invitation est sans retour : l’acte créateur s’y livre totalement, autant dans sa production que par sa justification, son cheminement. Il agit alors tel un dialogue fictif entretenu entre une œuvre et son analyste, comme pour compléter l’une par l’autre. Cependant, l’interface ainsi installée entre l’art et sa critique est elle-même créatrice, puisqu’elle nous est donnée à son terme. Elle subira désormais la même trajectoire que tout acte lâché par un artiste : une source éphémère d’émotions que seuls de nouveaux regards pourront aviver.

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Archéologiquement, l’espèce humaine se caractérise moins par l’acquisition de la bipédie - les poules aussi marchent sur deux pattes - que par les traces produites par le refus de sa condition : nous reconnaissons comme ancêtres ceux qui ont agi sur la matière afin de dépasser leurs limites anatomiques. Cet acte, prémédité et non accidentel, systématique et non occasionnel, existe aussi dans le règne animal, mais des galets aménagés il y a 3 millions d’années symbolisent cette rupture tant désirée, et qui ferait de nous les êtres particuliers que nous voudrions être. Ces outils rudimentaires indiquent qu’il y eut, consciemment ou non, un refus d’accepter la place accordée par la biologie dans la nature : un primate évolué transforme un matériau à sa portée et le dote par l’astuce d’un pouvoir inaccessible à son corps. Cette taille grossière contenait à travers son aspect utilitaire une première et radicale profession de foi métaphysique : je ne resterai pas comme je suis, je ne peux me contenter de cette place d’où je perçois le monde. Ces galets aménagés furent dépositaires d’un désir, en furent l’expression. Il s’agissait certes d’une invention technique, mais aussi d’une oeuvre d’art. À ce titre elle agit encore sur nous avec autant de puissance : matérialisant un défi contre l’ordre de l’Univers, dès son origine elle contient beaucoup plus que l’habileté du geste déposé dans un souci fonctionnel.

Pendant un million et demi d’années, la stabilité formelle et la diffusion de ce premier galet aménagé, à travers des territoires et des climats diversifiés, attestent que l’être humain avait à cette époque trouvé un statut qui lui convenait, sa curiosité se satisfaisant d’exploration géographique plutôt que technique. Les productions se modifièrent ensuite, traduisant l’appel à l’imagination pour compléter une réalité insatisfaisante. La domestication du feu fut une étape à la fois technique et intellectuelle cruciale, laissant jusqu’à nous des traces traumatiques dans la mythologie de tous les peuples. Cet événement suscita, comme beaucoup d’autres ultérieurement, le sentiment d’une transgression de l’ordre " naturel ", l’être humain redoutant de modifier le rôle des forces de l’Univers. Certains groupes ont pu refuser de franchir le pas, et dispaître du fait de la suprématie technologique des adeptes du progrès. Progressivement, la densité démographique nécessita le démarquage par rapport à d’autres groupes potentiellement concurrents, induisant la prolifération des traditions. En relais à l’évolution biologique quasiment stable depuis environ 100.000 ans, la multiplication des styles techniques reflète la diversification des concepts spirituels élaborés tels les langages, mythologies, coutumes. Ils expriment le besoin non seulement de se distancier d’une place donnée par la Nature, mais surtout de se distinguer parmi la masse des humains. Chaque étape évolutive de l’espèce engendre une nouvelle conscience d’être, une nouvelle manière de se voir

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et de considérer le monde. Des modifications pratiques traduisent l’évolution de ce regard, toute recherche dans la matière exprimant de nouveaux désirs. Mais le support technique n’est pas seulement le résultat de cette pensée en évolution, il en constitue l’un des moteurs essentiels : l’esprit se bâtit par le geste.

La Nature a ainsi produit, avec l’Humanité et ses multiples traditions, un moyen d’accélérer et de prolonger le processus fondamental de l’Univers : engendrer en permanence de nouveaux arrangements au sein de la matière. Tout n’est que combustion, passage vers une autre complexité ; aucune formule n’est stable, tout se transforme pour permettre l’exploration de nouveaux agencements, l’émergence de nouvelles formes. Il n’y a en ce sens pas de rupture entre l’Homme et la Nature, celui-ci alimentant le mouvement incessant de celle-là. Cette aventure a cependant induit progressivement chez l’Homme, fasciné par ses propres réalisations, la vanité de se considérer au-delà de l’emprise des lois naturelles. La déception actuelle semble surtout due à l’étonnement de ne pas exclusivement être des agents de construction, mais d’avoir inconsidérément mis en péril un monde pourtant admiré. Croyant n’obéir qu’à nous-mêmes et échapper ainsi par la volonté et l’astuce au cycle destructeur, nous l’aurions finalement alimenté. Après nous être longtemps considérés comme chefs d’oeuvre de la Nature, un regard rétrospectif pourrait donc suggérer que nous en sommes plutôt les outils. Disposons-nous d’une marge de liberté, de la responsabilité et du choix de notre avenir, ou sommes-nous toujours contraints par un " destin " dont la globalité nous échappe ? À ce titre, l’archéologie apporte quelques éléments de réflexion. D’abord biologique puis culturelle, la progression de l’humanité s’est faite de manière convergente à partir de souches distinctes. L’origine unique de l’humanité moderne s’avère plus relever d’un rêve biblique que d’une réalité. De nombreuses découvertes attestent l’émergence en différents points de la planète d’humains au final tous interféconds, c’est-à-dire similaires même si nous nous attachons davantage aux détails singuliers et distinctifs. Ensuite les civilisations produisent de manière séparée une infinité de variations locales selon des schémas constants, dont les mêmes modes finissent invariablement par dominer. Comme l’Europe, les Amériques connurent l’invention de l’arc, des mégalithes, de la poterie, l’agriculture, l’élevage, l’écriture, l’architecture monumentale, les métaux, les dictatures militaires et religieuses, et selon le même ordre d’apparition. La succession identique d’événements similaires dans des espaces distincts tend à montrer un élan inexorable de l’humanité vers une maîtrise toujours plus grande du monde à sa portée, et l’élimination progressive des cultures recherchant un

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équilibre avec les milieux naturels. Celles-ci, même éphémères, sont pourtant un sommet d’Humanité précisément par leur refus de contribuer au mouvement incessant de la Nature. Tenter de se glisser, sans l’influencer, dans sa complexité fluctuante est finalement plus " contre-nature " que d’en modifier l’évolution. La conception dominante fut de se soustraire à ce mouvement par le contrôle de ses forces : c’est là un choix. Vivre dans un monde modelé par notre emprise et dépendre de nous-mêmes plutôt que de contingences externes est l’option sans cesse réaffirmée au fil du temps et des civilisations, avec le passage à la consommation carnée, l’outillage, la chasse, l’habitat, l’agriculture, la médecine, la science, etc.

Comment considérer globalement cette aventure en ce début du XXIe siècle ? L’existence même de l’Univers implique un déséquilibre, une déchirure, une dérive dans laquelle l’humanité recherche une place, un rôle, une distraction afin de conjurer son vertige et son effroi. La nécessité de modèles virtuels et matériels pour structurer notre volumineux cerveau nous façonne clairement comme un animal curieux, inquiet, et en recherche permanente d’une transformation ou d’un oubli de sa condition. L’acceptation de celle-ci porte d’ailleurs le titre peu flatteur de fatalisme, c’est à dire d’archaïsme, ignorance et défaitisme. La culture occidentale en mouvance permanente, inscrite ainsi dans la mouvance universelle, est dès lors très efficace au niveau collectif et individuel. Elle induit une ivresse faite d’inventions continues, d’attentes et de nouveautés, de conviction d’une progression où nous serions à la fois spectateurs et acteurs. Il ne s’agit plus de gérer l’angoisse existentielle mais de l’oublier voire la nier : l’hyperactivité nous permet de nous en détourner de manière pratique, avec une certaine désinvolture. Le besoin de donner un sens à toute chose est essentiellement comblé par les significations surgies du domestique, étendu à tout l’espace de notre vie et de nos pensées. Inventer, produire, diffuser, consommer, comptabiliser sont avant tout destinés à occuper l’esprit. Les mêmes thèmes - le temps, la mort, l’infini - sont abordés selon des problématiques concrètes et immédiates, masquant partiellement leur pouvoir anxiogène. Le temps généré par une montre plutôt que le mouvement des astres produit certes des individus pressés et débordés, mais relègue les problèmes d’infini de l’espace et du temps au niveau de distraction intellectuelle. La prédominance et la diffusion de la culture industrielle et technologique sur l’ensemble de la planète n’est pas simplement due à sa puissance matérielle, mais surtout au pouvoir de fascination exercé par ses solutions, simplistes mais efficaces, opposées au questionnement inhérent à la condition humaine. Le

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mouvement centripète, initié il y a trois millions d’années avec les galets aménagés, recentre un peu plus chaque jour l’être humain sur lui-même, et finalement nous ne nous intéressons plus qu’à nous-même, à travers nos productions matérielles ou virtuelles. En rompant le contact direct avec le reste de la nature, en instaurant un environnement produit et agencé exclusivement par l’homme, nous confirmons que la vision du monde nous perturbe. Bientôt nous ne le verrons plus qu’à travers les images obtenues par nos instruments d’observation, ou dans le cadre contrôlé d’une " nature " sécurisée et domestiquée. La fascination exercée par les moyens de communication et de transport, les nouveautés techniques et les mégapoles montre que la majorité adhère à ce projet implicite d’évolution, favorisant les individus aptes à la vie en grandes collectivités hétérogènes et capables d’utiliser une technologie omniprésente. Cette autodomestication s’est ajoutée à la sélection biologique dès l’émergence de notre espèce, et tend à la remplacer totalement : s’il y eut jamais une sélection naturelle chez l’homme, elle a porté sur ses aptitudes à saisir et développer les notions abstraites. Il n’existe pas de point biologique correspondant à l’émergence de l’homme : nous participons à un processus d’origine naturelle qui est toujours en cours. Seul le degré de complexité atteint par notre esprit le distingue, non sa nature primordiale. En d’autres termes, la culture constituée au fil des millions d’années nous échappe dans sa complexité ; elle fonctionne de manière autonome, extérieure à chacun de nous. Au fond, rien ne subsiste de rationnel dans l’évolution de la pensée du point de vue de ses acteurs : tous sont mus par un désir d’existence qui les pousse à se justifier à leurs propres yeux et aux yeux des autres.

Notre peu d’empressement à modifier un mode de vie que nous soupçonnons pourtant de mettre en péril notre survie confirme que, en deçà d’une certaine futilité, la vie ne nous est plus acceptable. Considérer chacun de nos gestes, chacune de nos actions, chaque élément de notre environnement avec sérieux et respect rendrait le poids de l’existence insupportable. En ce sens nous avons rompu avec les sociétés traditionnelles, où la pression du sacré était omniprésente et où les individus étaient structurés par un rapport monoculturel au monde : ces contraintes seraient insoutenables pour un Occidental, qui en supporte pourtant d’autres. Le monde, débarrassé des présences invisibles qui le peuplaient, a perdu de sa puissance pathétique - du moins jusqu’au questionnement écologique de ces dernières années - mais aussi de son pouvoir d’émerveillement. Aussi avons-nous réinventé de nouvelles entités abstraites dont nous fabriquons des images : lois, argent, frontières... Ce déplacement permanent des références s’apparente donc plus à un

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changement de forme que de fond : l’idolâtrie persiste, seules changent les idoles. L’emprise croissante des humains sur le monde à leur portée, selon des rythmes variables, reproduit et prolonge l’universelle puissance de la réalité matérielle. Nos aspirations doivent prendre corps, des plus triviales - confort traduit en habitat, puissance en armes, pouvoir en attributs de fonction - aux plus insaisissables : mémoire en écriture et images, sentiments en cérémonies, imaginaire en mythes. Certes l’Homme s’est construit par l’esprit, mais celui-ci s’architecture à travers ses rapports à la matière. Toute construction mentale cherche sa transcription dans une matérialité tangible. Ce processus s’auto-alimente : chaque concrétisation, en permettant une expression multipliée de sa pensée fondatrice, engendre d’autres espaces virtuels imprévus, et réciproquement toute modification du contexte technique induit des variations du rapport au monde et donc un glissement des valeurs morales. Ce mécanisme finit par s’emballer ou s’épuiser, ouvrant périodiquement la voie à un renouvellement des formes. L’art lui-même, langage des virtualités les plus hermétiques, s’appuie directement sur la matière (dans les arts plastiques) ou par l’intermédiaire de ses outils : instruments de musique, chorégraphies, ordinateurs ... La sensibilité des origines, attestée par la collecte d’éléments troublants tels les fossiles, fut prolongée par l’introduction de critères esthétiques dans l’action utilitaire, puis par la mise au service de l’action utilitaire à des fins symboliques et métaphysiques. De nouveaux canons esthétiques sont alors générés, et lorsque les concepts utilisés pour leur élaboration sont oubliés, il reste les émotions les plus directes qui raniment la continuité des sensibilités humaines, le pressentiment d’un sens profond et mystérieux - cette " intelligence du monde " - car le mythe fait directement écho en nous. Les arts, nés de l’impact de certaines harmonies et du sens que nous leurs avons attribué, ont ainsi pu devenir un langage autonome capable de se détacher de leur problématique esthétique fondatrice : comme la pensée, ils la bâtissent plus encore qu’ils ne la reflètent.

Au fil des millénaires, l’accumulation de ces gestes - d’autant plus significatifs a posteriori avec l’effacement des prétextes conceptuels les ayant générés - dévoile progressivement un mouvement de l’espèce humaine. Liant l’esprit à l’action et celle-ci aux traces matérielles qu’elle nous laisse, tout geste n’est pas aléatoire mais est susceptible de révéler une intention, une prévision, une estimation. Seul, au fond, notre regard rétrospectif (créateur lui aussi) restitue une évolution globale de ces " progrès " en les alignant les uns après les autres. Notre pensée actuelle se retourne sur sa propre nature et y cherche logique et cohésion. Ces tâtonnements idéologiques et techniques explorent ce que nous voulions être :

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en dehors des contraintes biologiques, il existe en nous un espace que nous voulons découvrir. N’acceptant pas la réalité matérielle telle qu’elle se présente, nous la modelons selon nos aspirations intimes dans la marge, infime ou illimitée, dont nous disposons. Sommes-nous capables d’assumer les conséquences de ce comportement, dans quelle mesure sommes-nous conditionnés par son inertie, lui donnons-nous une direction particulière ou faisons-nous l’expérience de tous les possibles ? C’est cependant la conviction d’une trajectoire, réelle ou fictive, individuelle et collective, qui crée notre spécificité depuis quelques millions d’années. Nous avons, comme beaucoup d’autres avant nous, le sentiment de vivre l’époque d’une rupture. Derniers témoins directs de civilisations paléolithiques et d’espaces où l’homme n’avait pas imprimé sa présence, nous sommes fascinés à la fois par la contemplation de ce qui disparaît et par le dévoilement de ce qui apparaît. Gestes résolument inutiles, fragmenter, réparer ou appareiller des pierres ne possèdent aucune autre portée, hommages illusoires à un monde agonisant et participations actives au changement annoncé. La trace laissée ne produit qu’une image symbolique, efficace sur notre seul regard. Elle rappelle que toute action incarne certes une audace, mais bien futile face à la perpétuité : reste cependant l’élégance du geste pour tenter de donner un peu de panache et de noblesse à l’inéluctable disparition de toute chose.

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légendes desillustrAtionsCouverture : page 1 : Sans titre - 8 coutures en câble d’acier sur rocher - 8 x 20 cm chacune - Tahiti 2005page 90 : Sans titre - galet éclaté, trois câbles reliant les fragments dans l’ordre originel, dimensions variable (35 x 30 x 20 cm environ) - 1995

Fragmentations : pages 10 à 21 : galets éclatés, un ou plusieurs câbles reliant les fragments dans l’ordre originel, dimensions de 25 x 30 x 9 cm à 200 x 300 x 50 cm environ - 1994 à 2008

Réparations :pages 22 à 27, 34 à 45 et 56 à 59 : coutures in situ, câbles d'acier de 2,5 à 6 mm de diamètre, dimensions de 3 à 8 cm de large et 10 à 2150 cm de long - Tahiti & Raiatea - 1997 à 2005pages 28 à 33 : cercles de pierre polie et cousue, câble d'acier, diamètre 60 à 125 cm - Tahiti - 2001pages 46 et 48-49 : « l’oeil de Tyrone », cercle de corail poli et lacé, câble de cuivre, diamètre 75 cm - Tikehau - 2002pages 50 à 55 : laçage in situ, fibre de cocotier tressée et bois, 750 cm - Tikehau - 2000

Recompositions :pages 60-61, 62, 65, 71 et 72-73 : galets trouvés cassés, appareillés avec une prothèse de bois, sutures en fibre de cocotier tressée, dimensions de 9 x 5 x 3 cm à 52 x 37 x 25 cm - 2003 à 2007 pages 63, 64 et 70 : planches photographiques noir et blanc, tirages originaux 15 x 30 cm et 20 x 40 cm - 2003 à 2007pages 66-67 et 68-69 : planches générales des appareillages, tirages originaux 80 x 120 cm - 2006 et 2008

Une futile audace :pages 76, 79 et 83 : multitudes de galets avec chacun une coupure et une couture en câble d'acier ou de cuivre, dimensions variables - 2004 à 2008pages 74 et 84 : détails de diverses coutures in situ - Tahiti, Moorea, Raiatea - 1997 à 2007

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Marcel Otte est docteur en Histoire de l'art et en Archéologie, qu'il enseigne à l'université de Liège (Belgique), directeur du Centre de recherche sur les civilisations préhistoriques européennes, représentant du Bénélux à l'UNESCO pour les commissions « Histoire scientifique et culturelle de l'humanité » et « Le Paléolithique supérieur en Europe », et administrateur de nombreuses sociétés scientifiques à travers le monde. Il a notamment publié : Cro Magnon, Perrin, Paris, 2008 Arts protohistoriques, L’aurore des dieux, De Boeck, Bruxelles, 2007 Arts préhistoriques, L’articulation du langage, De Boeck, Bruxelles, 2006 La Protohistoire, De Boeck, Bruxelles, 2002 Les origines de la pensée, Pierre Mardaga Éditeur, Sprimont, 2001 La Préhistoire, De Boeck, Bruxelles, 1999

les Auteurs

Jean Paul Forest vit et travaille en Polynésie française, où il explore l’introduction de la trace humaine dans la matérialité du monde, à travers des pièces mobilières et dans les paysages. Son oeuvre est un questionnement sur nos rapports avec les éléments constitutifs de la réalité, et leurs liens avec nos structures mentales. Il a notamment exposé :2007 « le premier Pavillon Tahiti » avec A. Dettloff - 52e Biennale de Venise - Italie2006 « Identité, altérité, paysages » - Université française du Pacifique - Tahiti « Réparations ? » - Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain - Liège - Belgique « Minéralités » - Centre Tjibaou - Nouméa - Nouvelle Calédonie2005 « Latitudes : Art contemporain des terres du Pacifique » - Hôtel de Ville - Paris - France2004 « Rocks and stitches » - Centro Camuno di Studi Preistorici - Valcamonica - Italie 2002 « L’impossible couture du temps » - Musée de Tahiti et des Îles - Tahiti2001 « Des roches, des coutures » - Université de Liège - Belgique1999 « Jean Paul Forest » - Musée d’Archéologie Préhistorique & Galerie Flux - Liège - Belgique « Stone Works » - Musée Gauguin - Tahiti

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Jean-Jacques Cleyet-Merle, directeur, et toute l’équipe du Musée National de Préhistoire

Corinne Cimmerman, Andreas Dettloff, Tiarenui Ebb, Marie-Joëlle Guillert, Valérie Lecomte, Olivier et Gala Mirimanoff, Vaihere Niebojewski, Étienne Monier, Rositsa & Ulysse Otte, Riccardo Pineri, Iona et Nita Teriiatetoofa, Marie-Hélène Villerme

remerciements

Cassirer Ernst, La philosophie des formes symboliques, Paris, éd. Minuit, 1972Coppens Yves, Le singe, l’Afrique et l’homme, Paris, Fayard, 1983Clottes Jean, Les cavernes de Niaux, Paris, Seuil, 1995Descolas Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, NRF, Gallimard, 2005Garraud Colette, L’idée de nature dans l’art contemporain, Paris, Flammarion, 1995Jimenez Marc, La querelle de l’art contemporain, Paris, Folio essais, 2002Leroi-Gourhan André, Préhistoire de l’art occidental, Paris, Mazenod, 1965Leroi-Gourhan André, Le geste et la parole, Paris, Albin Michel, 1965Lévi-Strauss Claude, Anthropologie Structurale, Paris, Plon, 1958Rigo Bernard, Conscience occidentale et fables océaniennes, Paris, L’Harmattan, 2005Lorblanchet Michel, Les grottes ornées de la préhistoire, Paris, Errance, 1995Schefer Jean Louis, Questions d’art paléolithique, P.O.L, 1999Vialou Denis, La Préhistoire, Paris, Gallimard, 1998

BiBliogrAPhie générAle

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Chargée d’édition

Conception graphique : Jean Paul Forest & Basile Bernard

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Photogravure :

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L'exposition « Une futile audace », au Musée National de Préhistoire au printemps 2009, tente une mise en perspective de la trajectoire de l'Homme dans l'espace et le temps, et de son rapport au monde. La réflexion scientifique et philosophique de Marcel Otte articule les collections lithiques du musée avec le travail sur pierre de Jean Paul Forest, les oeuvres matérielles du sculpteur faisant écho aux recherches théoriques et conceptuelles du professeur de l'Université de Liège. Action et réflexion s'entremêlent et s'épaulent pour suggérer une trajectoire chaotique mais sensible, favorisant une réflexion plus intemporelle et métaphysique sur les rapports entre l'esprit, le geste et la matière. Deux approches - et deux langages - se combinent pour nous inciter à prendre du recul avec la vision immédiate que nous impose notre civilisation, et ouvrir une perspective plus philosophique du rôle de la création dans les sciences humaines. Cette volonté de mise à distance est le fil conducteur du projet : les recherches de Marcel Otte portent essentiellement sur la Préhistoire, et Jean Paul Forest travaille sur une île isolée de l'Océan Pacifique. Outre leur intérêt commun pour les liens entre matérialité et spiritualité, cette volonté de s'extirper temporellement ou géographiquement de l'emprise de l' " actualité " les a paradoxalement réunis. Et effectivement sous cet angle, toute entreprise humaine, de l'histoire de l'humanité à cette exposition en passant par chacune des productions matérielles ou intélectuelles qui la compose, semble bien relever d' " une futile audace "...