AFRATAPEM Association Française de Recherche & Applications des Techniques Artistiques en Pédagogie et Médecine Une expérience d’art-thérapie à dominantes peinture, collage, et photographie auprès de personnes en situation de précarité Mémoire professionnel réalisé pour l’obtention du titre d’art-thérapeute répertorié par l’Etat au niveau II Présenté par Anessa BOUSMINA Année 2016 Sous la direction de : Marie-Astrid JOLY Médecin Praticien Hospitalier Lieu de stage : Halte Santé – CHU Toulouse Hôpital la Grave 31059 Toulouse cedex 9
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AFRATAPEM Association Française de Recherche & Applications des Techniques Artistiques
en Pédagogie et Médecine
Une expérience d’art-thérapie à dominantes
peinture, collage, et photographie auprès de
personnes en situation de précarité
Mémoire professionnel réalisé pour l’obtention du titre d’art-thérapeute
répertorié par l’Etat au niveau II
Présenté par Anessa BOUSMINA
Année 2016
Sous la direction de :
Marie-Astrid JOLY
Médecin Praticien Hospitalier
Lieu de stage :
Halte Santé – CHU Toulouse
Hôpital la Grave
31059 Toulouse cedex 9
AFRATAPEM Association Française de Recherche & Applications des Techniques Artistiques
en Pédagogie et Médecine
Une expérience d’art-thérapie à dominantes
peinture, collage, et photographie auprès de
personnes en situation de précarité
Mémoire professionnel réalisé pour l’obtention du titre d’art-thérapeute
répertorié par l’Etat au niveau II
Présenté par Anessa BOUSMINA
Année 2016
Sous la direction de :
Marie-Astrid JOLY
Médecin Praticien Hospitalier
Lieu de stage :
Halte Santé – CHU Toulouse
Hôpital la Grave
31059 Toulouse cedex 9
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REMERCIEMENTS
Mes remerciements se dirigent tout d´abord aux résidents de la Halte Santé de Toulouse qui
ont participé aux séances d’art-thérapie grâce à qui j’ai beaucoup appris et sans qui ce travail
n’aurait pas pu aboutir.
Je tiens à exprimer ma gratitude envers Marie-Astrid Joly, ma directrice de Mémoire, pour
son soutien tout au long de ce projet.
Je remercie également toute l’équipe médico-sociale de la Halte Santé, et plus particulièrement
mon Maître de stage Graciela pour son implication et son grand intérêt pour les bienfaits de
l’art-thérapie auprès des résidents. J’ai apprécié ses conseils et sa passion pour son métier. Un
grand merci à Yann et Johan qui ont suivi de près l’avancé de ce projet pour leur aide, leurs
conseils, leur disponibilité et leur bonne humeur. Je remercie la cadre de santé Madame
Lamaison et le Dr Estecahandy médecin coordinateur qui m’ont acceptée dans la structure et
qui ont soutenu ce projet.
Je tiens également à dire merci à toute l’équipe pédagogique de l’AFRATAPEM, pour la
richesse de leur enseignement en particulier Fabrice Chardon, directeur pédagogique, pour
son accompagnement tout au long de la formation.
Pour finir, je remercie mon amie Isabelle Walczak et mon conjoint Clément Trédez, pour
leurs encouragements et leurs soutiens dans cette aventure.
PLAN ...................................................................................................................................................... 2
Tous les mots en gras suivis d’un astérisque lors de leur première apparition dans le texte du
mémoire sont définis ci-dessous. En l’absence de référence, les définitions sont extraites du
Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL1). Les termes spécifiques à
l’art-thérapie signalés par la mention [AT] sont extraits des enseignements instruits à
l’AFRATAPEM et des ouvrages2 relatifs à ceux-ci .
Anamnèse : Reconstitution de l'histoire pathologique d'un malade.
Anxiété : État de trouble psychique, plus ou moins intense et morbide, s'accompagnant de phénomènes
physiques (comportement agité ou immobilité complète, pâleur faciale, sueurs, irrégularités du rythme
cardiaque, sensation de constriction épigastrique, spasmes respiratoires), et causé par l'appréhension de
faits de différents ordres.
Affirmation de soi : [AT] Capacité à percevoir le monde extérieur comme un enrichissement propre à
développer sa personnalité. L’affirmation de soi se révèle en Art par la détermination du goût.
Amour de soi : [AT] considération que l’on porte à soi-même, la capacité à s’aimer de manière
inconditionnelle et à ressentir du plaisir à être.
Autonomie : Faculté de se déterminer par soi-même, de choisir, d'agir librement.
Art : [AT] Activité humaine volontaire orientée vers l’esthétique.
Art I : [AT] Activité artistique non orientée vers l’esthétique mettant en évidence le ressenti corporel
sur le savoir-faire et la technique.
Art II : [AT] Activité artistique se traduisant par une action organisée à but esthétique, nécessitant
l’apprentissage d’un savoir-faire.
Art-thérapie : [AT] Exploitation de potentiel artistique dans une visée humanitaire et thérapeutique.
Beau : [AT] Action réfléchie qui va de l’œuvre au ressenti humain et inversement, désigne l’impression
ou le sentiment éprouvé à la suite d’une satisfaction esthétique suivant son goût. Le Beau est associé à
l’affirmation de soi.
Bien : [AT] Passage de l’intention à la production, phase de l’activité proprement dite. Le Bien est à
même de réguler l’action au regard de la cohérence entre ce que veut l’artiste et ce qu’il est en train de
produire, c'est-à-dire son style. Le Bien est associé à la confiance en soi.
Bien-être : Sentiment général d'agrément, d'épanouissement que procure la pleine satisfaction des
besoins du corps et/ou de l'esprit.
Bon : [AT] Désigne ce qui est relatif à l’engagement de la personne dans la production artistique. Il met
en jeu le plaisir esthétique de la personne et son intérêt dans l’activité artistique. Le Bon est associé à
l’amour de soi.
Boucles de renforcement : [AT] Procédé qui augmente la probabilité de répétition d’un mécanisme de
manière positive.
Cachexie : État caractérisé par une maigreur extrême et une atteinte grave de l'état général
Cible thérapeutique : [AT] Mécanismes sur lesquels l’Art-thérapeute va s’appuyer pour atteindre les
objectifs fixés.
Confiance en soi : [AT] Capacité à agir et à se projeter dans l'avenir. En Art, la confiance en soi permet
à l’œuvre d’exister et au style de s’imposer à la matière.
Cube harmonique : [AT] Outil original d’autoévaluation des aspects caractéristiques de l’Art.
Emotion : Conduite réactive, réflexe, involontaire vécue simultanément au niveau du corps d'une
manière plus ou moins violente et affectivement sur le mode du plaisir ou de la douleur.
Engagement : [AT] envie d’une personne d’assumer ou de réaliser une attitude face à l’art (contempler
ou produire). L’engagement qui se fonde sur le désir et l’envie d’une personne, est relié en art-thérapie
à l’amour de soi.
1 Disponible sur le World Wide Web : « http://www.cnrtl.fr » 2 Forestier, R. Tout savoir sur l’art-thérapie. 7é éd. Lausanne : Favre, 2012.
Forestier, R. Tout savoir sur l’art occidental. Lausanne : Favre, 2004.
Forestier, R. Le métier d’art-thérapeute. Lausanne : Favre, 2014.
Forestier, R. Petit dictionnaire raisonné de l’Art en médecine. Tours : Édition AFRATAPEM, 2015
8
Esthétique : [AT] Domaine des gratifications sensorielles pures relatives à la beauté et des modalités
sensibles de nature à provoquer ces sensations. Peut être artistique ou naturelle.
Exclusion : Éviction de quelqu'un ou de quelque chose (d'un lieu où il avait primitivement accès, d'un
groupe ou d'un ensemble auquel il appartenait).
Fierté : Souci de sa dignité, respect de soi-même. En art-thérapie, capacité à être fier d’être.
Fond : [AT] Ce que présente et contient l’œuvre. Le fond a besoin d’une forme pour apparaître. Partie
subjective de l’art.
Forme : [AT] Elle est redevable de la technique mise en œuvre. Elle se rapporte principalement à la
partie objective de l’art.
Goût : Faculté humaine d’apprécier qualitativement d’un point de vue sensoriel son environnement. En
art-thérapie, le goût concerne l’affirmation de soi.
Idéal esthétique : Adéquation complète entre l’idée et sa forme en tant que réalité concrète, d’après
Hegel. [AT] Juste rapport Fond/Forme.
Item : [AT] Plus petite unité appréciable d’un niveau d’organisation. Il peut être observé, ressenti ou
interprété.
Objet social3 : Chose concrète que l’on a ou que l’on n’a pas, comme l’emploi, l’argent, le logement,
les diplômes, la formation.
Opération artistique : [AT] Interface entre les mécanismes humains et les mécanismes artistiques
Partie saine : [AT] Capacités préservées physiques, mentales, et sociales du patient.
Précarité : du latin « precarius » qui signifie « obtenu par prière ». Caractère ou état de ce qui est
incertain, instable, fragile, dont l’avenir et la durée ne sont pas assurés.
Qualité de vie4 : Perception qu'a un individu de sa place dans l'existence, dans le contexte de la culture
et du système de valeurs dans lesquels il vit en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses
inquiétudes.
Santé5 : Etat de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une
absence de maladie ou d'infirmité.
Saveur existentielle : [AT] Capacité à ressentir la qualité de vie.
Sites d’action : [AT] Localisation sur l’opération artistique des mécanismes défaillants.
Stratégie thérapeutique : [AT] Organisation théorique des méthodes et moyens thérapeutiques au
regard des éléments de l’anamnèse et de l’état de base qui permettra de répondre aux objectifs
thérapeutiques.
Style : [AT] Personnalité de l’auteur qui s’exprime par et dans l’œuvre artistique. Le style concerne
l’expression. En art-thérapie le style est relié à la confiance en soi.
Acronymes
ACT : Appartement de Coordination
Thérapeutique
ACP : Approche Centrée sur la Personne
AFRATAPEM : Association Française de
Recherche et Applications des Techniques
Artistiques en pédagogie et Médecine
AME : Aide médicalisé de l’Etat
AS : Assistante sociale
ATS : Art-thérapeute stagiaire
CAF : Caisse d’Allocation Familiale
CCAS : Centre Communal d’Action Social
CHU : Centre Hospitalier Universitaire
CMP : Centre Médico Psychologique
CMU : Couverture Maladie Universelle
CPAM : Caisse Primaire d’Assurance Maladie
CRAM : Caisse Régionale d’Assurance Maladie
MDPH : Maison Départementale des Personnes
Handicapées
EHPAD : Etablissements d'hébergement pour
personnes âgées dépendantes
FAM : Foyers d'accueil médicalisés
LHSS : Lits Haltes Soin Santé
OMS : Organisation Mondiale de la Santé
PASS : Permanence d’Accès aux Soins de Santé
RSA : Revenu de Solidarité Active
3 FURTOS J., L’apparition du sujet sur la scène sociale et sa fragilité, In FURTOS J., Les cliniques de
la précarité. 4 Définition de l’Organisation Mondiale de la Santé 5 Définition de l’Organisation Mondiale de la Santé
9
INTRODUCTION
Sans jamais savoir pourquoi, l’Art* a toujours occupé une place importante dans ma vie. Je ne
parle pas de l’Histoire de l’Art, mais bien de l’Art, cette activité humaine volontaire orienté
vers l’esthétique*. En autodidacte, je peins, je dessine, j’expose, consciente des effets
bénéfiques que cette activité a sur moi.
Mon parcours professionnel est parfois qualifié d’atypique. Je me suis pourtant contentée de
faire comme tous les Hommes : chercher le bonheur. Mon bonheur professionnel se
caractérisait tout simplement par la satisfaction de mes besoins que j’avais depuis longtemps
identifiés : être utile, soigner, aider, le tout à mon échelle et évoluer dans un univers créatif,
rempli de beauté.
Pourtant, j’ai suivi une formation d’ingénieur Telecom puis j’ai travaillé en France et à
l’étranger. Ce métier qui ne me procurait pas directement de satisfaction m’a tout de même
apporté énormément d’un point de vue humain : j’ai vécu à l’étranger. Le Burkina Faso, la
Malaisie, le Vietnam, le Chili, le Pérou et les Etats-Unis m’ont permis de faire des rencontres
qui ont changé mon regard sur le monde. Je me suis impliquée dans des projets associatifs : j’ai
accompagné des personnes en situation de handicap en vacances et j’ai organisé pour eux des
ateliers artistiques, j’ai travaillé comme bénévole au sein d’une association d’un petit village
péruvien.
Progressivement, au fil des rencontres, j’ai commencé ma reconversion professionnelle.
Allier le soin et l’Art m’aurait paru idyllique à l’époque. En effet, ce n’est qu’en 2012 que j’ai
entendu parlé pour la première fois de l’art-thérapie*. Il était donc possible d’amener l’Art dans
le soin, et mieux encore, d’exploiter son potentiel dans une visée humanitaire et thérapeutique.
Le tout dans un cadre rigoureux, permettant à l’art-thérapeute de faire partie de l’équipe
paramédicale. Après avoir mûri le projet, j’ai décidé de suivre la formation d’art-thérapie enseignée à
l'A.F.R.A.T.A.P.E.M (Association Française de Recherche et d'Applications des Techniques
Artistiques en Pédagogie et Médecine) en vue d’obtenir le titre officiel d’Art-thérapeute
répertorié par l’Etat. J’ai choisi cette formation pour les valeurs qu’elle prône qui reposent sur
le courant humaniste ainsi que pour le cadre et la rigueur scientifique qu’elle défend.
Particulièrement sensible aux changements qui s’opèrent dans notre société tels que les
mutations que subit le monde du travail, la crise financière, les problèmes de logements, j’ai
souhaité m’intéresser à ces personnes qui étaient dans la difficulté suite à la perte de plusieurs
sécurités comme le logement ou le travail. Ces personnes sont désignées « en situation de
précarité* » bien que nous verrons dans ce travail que le terme « précarité » reste une notion
très subjective.
Ce mémoire relate donc d’une expérience d’art-thérapie auprès de personnes en situation de
précarité hébergé à la Halte Santé de Toulouse, une structure médico-sociale d’hébergement
temporaire.
Cette expérience sera retracée en trois parties distinctes :
La première partie aborde les problématiques que rencontrent les personnes en situation de
précarité qui ont souvent un parcours de vie très complexe. Les épreuves difficiles de la vie
appelées blessures de vie entrainent des comportements souvent passifs et moroses et une perte
d’envie et d’engagement* dans les projets est souvent observée. Ces comportements sont la
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conséquence de souffrances telles que la perte de la saveur existentielle* et la difficulté à se
projeter dans l’avenir. Du handicap social peut s’ajouter et provoquer un sentiment d’être
inadapté, hors norme. Cette partie démontre comment l’art-thérapie est susceptible
d’accompagner ces personnes de manière pertinente et participer ainsi à leur parcours vers la
réinsertion sociale. L’hypothèse posée est que l’art-thérapie peut redonner aux personnes en
situation de précarité une place de sujet en renforçant la confiance en soi*, en l’avenir et en
l’autre.
La seconde partie présentera la structure d’accueil ainsi que la manière dont l’art-thérapie a été
intégrée au parcours de soin des résidents. Les expériences cliniques réalisées auprès de deux
résidents, Marc et Hector, seront présentées dans le détail. Les résultats encourageants des
évaluations permettront de valider en partie l’hypothèse.
Enfin, la troisième partie abordera un regard critique sur cette expérience mettant en évidence
les limites de la pratique art-thérapeutique auprès de ce public.
Une discussion s’ouvrira autour des facteurs clés de succès nécessaires à un projet de réinsertion
réussi et de la place que l’art-thérapie peut y occuper. Des axes de travail seront proposés
jusqu’à imaginer une prise en charge art-thérapeutique au sein de programmes de prévention.
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PARTIE I – L’art-thérapie à dominantes peinture, collage, et
photographie permet de redonner une place de sujet aux personnes en
situation de précarité en renforçant la confiance en soi, en l’avenir et en
l’autre.
A. La précarité et l’exclusion sociale entrainent des souffrances physiques,
psychiques et sociales qui affectent l’estime de soi
1°) L’être-humain aspire à être heureux
1.1 Les besoins fondamentaux de l’être-humain sont décrits et hiérarchisés par plusieurs
professionnels
À la base des théories humanistes, l'humain est vu comme un être fondamentalement bon se
dirigeant vers son plein épanouissement.
Afin de trouver son équilibre, l’être-humain va souhaiter répondre à ses besoins. Un besoin est
une nécessité ressentie, une exigence qui nait d’une sensation interne de manque, il est d’ordre
physique, mental, ou social. Lorsqu’un besoin est satisfait, l’être-humain ressent une sensation
agréable. Plusieurs professionnels se sont intéressés aux besoins fondamentaux de l’Etre-
humain, dont le célèbre Abraham Maslow (1908-1970), psychologue humaniste américain, qui
reste une référence dans le monde entier. Dans les années 1940, Maslow élabore une
représentation pyramidale des besoins hiérarchisés et classés en 5 catégories. (Schéma 1)
Schéma 1- Pyramide des besoins de Maslow
Selon lui, ce serait l’accomplissement
de ces besoins qui serait à l’origine des
motivations humaines, et ce, dans leur
ordre hiérarchique. Autrement dit,
derrière chaque motivation ou chaque
objet de désir se cache un besoin
fondamental. Pour passer à un niveau
supérieur de la pyramide il faut que le
niveau précédant ait été satisfait.
Ce modèle, bien que vivement critiqué
pour son aspect hiérarchique, reste
intéressant et globalement valable en
première approche. Il ne faut
cependant pas se limiter à cette
représentation statique des besoins qui
sont tous interdépendants.
Les travaux de Maslow présentent
surtout l’Homme comme un « tout »,
présentant des aspects physiologiques,
psychologiques, sociologiques et
spirituels.
Dans le milieu du soin, Virginia Henderson (1897-1996), infirmière, enseignante, et chercheuse
américaine, inspirée par les travaux de Maslow, présente quant à elle le modèle des 14 besoins
fondamentaux de tout être humain. (Annexe 1). Ces quatorze besoins entrent dans les cinq
catégories de Maslow car chaque besoin est dépendant de facteurs physiologiques,
psychologiques, sociaux ou culturel. Virginia Henderson définit ainsi qu'il n'est pas possible de
soigner une partie sans tenir compte de l'ensemble, de la globalité de l'être.
12
1.2 La bonne santé* est un état de complet bien-être physique, mental et social tel que le décrit
l’Organisation Mondiale de la Santé
En 1946, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS*) définit la santé comme « un état de
complet bien-être physique, mental et social, et ne consistant pas seulement en une absence de
maladie ou d'infirmité. »
Cette définition, qui n’a pas été modifiée depuis, propose une approche globale de la santé. En
effet, la dimension physique n’est plus suffisante pour apprécier l’état de santé d’une personne.
De plus, la notion de bien-être* ajoute à la santé une dimension subjective. Le bien-être est un
sentiment général d'agrément, d'épanouissement que procure la pleine satisfaction des besoins
du corps et/ou de l'esprit.
Cependant, dans son aspiration à être heureux, la bonne santé à elle seule ne suffit pas à
l’Homme. La vie proprement humaine est avant tout une existence, c’est-à-dire une vie
consciente d’elle-même. La conscience d’être permet de savoir que l’on existe, ce que l’on est,
quel sens veut-on donner à la vie. L’Homme va se lancer dans une quête de qualité, apparait
ainsi la notion de qualité de vie*. L’OMS, en 1993, tente d’en donner une définition, qui vient
s’imbriquer à celle de la bonne santé : « La qualité de vie est la perception qu'a un individu de
sa place dans l'existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lesquels
il vit en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. » Il est en effet
tout à fait possible d’avoir une santé altérée par une maladie mais d’avoir une bonne qualité de
vie. La qualité de vie, notion totalement subjective, permet à l’Homme de définir un bonheur
et un équilibre qui lui ait propre. De plus, elle ne considère pas uniquement l’individu, mais
introduit le contexte environnemental.
1.3 Pour s’épanouir pleinement, l’être humain a besoin de relations avec les autres et la
« précarité normale » décrite par le psychiatre Jean Furtos va favoriser ce lien social
Aujourd’hui, les sciences de l’homme et de la société s’accordent pour dire que l’être humain
est un être social, au sens où il se construit et il évolue dans et par les relations aux autres.
Comme le dit Aristote, l’Homme est « un être politique »6 c'est-à-dire un être qui ne peut
atteindre la plénitude de sa nature que dans la société et la somme des relations que cette société
engendre. La socialisation débute dès la naissance, se poursuit toute la vie et ne connaît son
terme qu'avec la mort.
A la demande de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), John Bowlby (1907-1990),
psychiatre et psychanalyste britannique, réalisa des observations7 sur la santé mentale des
enfants sans foyer au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il en conclut l’importance
capitale d’un besoin d’une relation chaleureuse, intime et continue entre l’enfant et sa figure
maternelle. « La relation mère-enfant est aussi vitale pour le développement général du bébé
que les vitamines ou les protéines pour le développement physique ».
Bowlby décrit l’attachement comme étant le produit des comportements qui ont pour objet la
recherche et le maintien de la proximité d’une personne spécifique. C’est un besoin social
primaire et inné d’entrer en relation avec autrui. En ce sens, il s’éloigne de Freud pour lequel
les seuls besoins primaires sont ceux du corps, l’attachement de l’enfant n’étant qu’une pulsion
secondaire qui s’étaye sur le besoin primaire de nourriture.
La petite enfance est sans aucun doute la période la plus intense de socialisation qui se prolonge
jusqu'à l'adolescence. Une fois passée cette période intense de socialisation, l'adulte poursuit
encore sa socialisation tout le reste de sa vie.
D’après Jean Furtos, psychiatre spécialiste de la souffrance psycho-sociale, les premières
relations sociales naissent lorsque le bébé demande de l’aide. « Ce petit être qui ne peut manger
6 ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, I, 5, 1097b. 7 BOWLBY J., Soins maternels et santé mentale, 1951
13
seul, qui ne peut se changer, ne peut marcher, peut demander, et le fait qu’il demande et qu’il y
ait des personnes tutélaires qui entendent sa demande va créer les premières relations
sociales »8. Furtos introduit alors la notion de précarité normale ou ordinaire. Les relations
naissent à partir de la précarité et de la détresse qui produisent, quand le processus se passe
bien, de la confiance en soi, confiance en autrui, confiance dans l’avenir.
2°) Au cours de sa vie, l’être humain peut être confronté à une blessure de vie telle
que la perte effective ou possible des « sécurités de base » définies par Wresinski
2.1 Il est important de faire la distinction entre pauvreté, exclusion* et précarité
Pauvreté, exclusion et précarité sont des termes différents qu’il faut dissocier. En effet, il est
possible d’être pauvre sans être précaire et inversement d’être précaire sans être pauvre. Un
individu n’est pas forcément pauvre ou précaire lorsqu’il est exclu (d’un groupe, d’un lieu…).
Sans réduire la pauvreté à des données purement objectives, la pauvreté est mesurable et
mesurée. La pauvreté est l’état d’une personne qui a peu de ressources, de bien, d’argents. Elle
est souvent déterminée par un seuil de ressource monétaire. En France, et en Europe, le seuil
de pauvreté désormais utilisé est équivalent à 60 % du revenu médian. Ce revenu médian est de
1 680 euros mensuels pour un célibataire. Le seuil de pauvreté est donc de 1 008 euros pour
une personne seule (60 % de 1 680 euros). En-dessous de ce seuil, une personne est considérée
comme pauvre9. Ce seuil est relatif puisqu’il dépend du niveau de vie de l'ensemble de la
société. De plus, les instituts de statistiques utilisent parfois un seuil à 50%, et même un seuil à
40%. Pauvreté ne rime pas forcément avec souffrance, mais dans nos sociétés capitalistes, la
pauvreté peut entrainer du handicap social.
La précarité vient du mot latin precarius qui veut dire « supplier, prier pour avoir ».
Dans son sens le plus simple, être précaire signifie avoir absolument besoin de l’autre, des
autres, pour vivre ; sous réserve, bien sûr, qu’il y ait un autre, des autres en position d’y
répondre, dans le respect et la réciprocité. Ceci faisant écho à la « précarité normale » décrite
précédemment. Ainsi, dans nos sociétés précaires où tout est aléatoire, la personne qui va bien
saura rebondir, demander de l’aide, surmonter ses difficultés.
Pourtant aujourd’hui, le sens premier positif de la précarité s’est estompé au profit d’une
« mauvaise » précarité.
C'est à Joseph Wresinski (1917-1988), prêtre français, que l'on doit la définition officielle du
terme "précarité", telle que le Conseil Economique et Social français l'a adopté.
« La précarité est l'absence d'une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et aux
familles d'assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux.
L'insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou
moins graves et définitives. Elle conduit le plus souvent à la grande pauvreté quand elle affecte
plusieurs domaines de l'existence, qu'elle tend à se prolonger dans le temps et devient
persistante, qu'elle compromet gravement les chances de reconquérir ses droits et de réassumer
ses responsabilités par soi-même, dans un avenir prévisible. »10. Les sécurités dont il est
question sont le travail, les revenus, le logement, l’accès aux soins, l’école et l’accès à
l’instruction, l’accès à la culture, le lien familial, le lien social...
La précarité induit la notion de temps, d’incertitude, d’insécurité et de vulnérabilité.
8 FURTOS J., De la précarité à l’auto-exclusion, Edition Rue Ulm, Paris 2009, p12 9 Selon l’INSEE, Institut national de la statistique et des études économiques, données 2014 10 WRESINSKI J., Grande pauvreté et précarité économique et sociale. Paris, Journal Officiel, 1987, p
14.
14
L’exclusion est l’action d’exclure, soit l’action de ne pas compter quelque chose dans un
ensemble. Le défaut de ce terme est d'induire une frontière entre les inclus et les exclus (On est
dedans ou dehors). Si l'exclusion est un processus, il est par définition difficile de comptabiliser
« les exclus ». Nous sommes tous à un moment « exclus », exclu d’un groupe, d’une discussion.
D’après le psychiatre Jean Maisondieu, « L’exclusion n’est pas en soi pathogène. Toutes les
sociétés et tous les groupes fonctionnent à l’inclusion et à l’exclusion. Tout exclu ou inclu peut
trouver une place ailleurs, sauf s’il est exclu de l’humanité. »11
L’exclusion de l’humanité, qui peut amener au syndrome d’auto-exclusion définit par Furtos,
ne sera pas développée dans ce travail.
Bien entendu, la réalité nous amène à des situations complexes propres à chaque individu et
variables dans le temps. Le sociologue Robert Castel a proposé une modélisation12 du processus
de précarisation que Furtos a ensuite repris et revisité13 (Annexe 2). Il ne s’agit pas de définir
des entités figées mais bien des trajectoires possibles.
Nous nous intéressons dans ce mémoire aux personnes dites « en situation de grande précarité ».
Ces personnes sont, dans la majorité des cas, sans domicile fixe, et ne jouissent pas ou de peu
de revenu. Elles naviguent entre la rue, un habitat précaire, ou des structures d’hébergement
social. La vulnérabilité de ces personnes est croissante. Du découragement et de la passivité
dans le comportement sont souvent observés, mais persistent les liens sociaux, ne serait-ce
qu’avec les organismes sociaux. Nous pouvons les situer dans la zone « d’assistance et
d’insertion » définie par Furtos. (Annexe 2). Furtos précise : « Les personnes ont toujours un
désir qui permet d’animer un projet, soit par l’ambition de « s’en sortir » et de repasser dans
une zone d’insertion moins précaire, soit par l’espoir de s’organiser convenablement et
durablement dans cette zone d’assistance (avec ou sans système D) qui permet de vivre… Il
suffit que la personne honteuse ou découragée entre dans une relation de respect et d’aide pour
qu’elle retrouve courage et fierté. Nous sommes dans une pathologie qui réagit aussi bien à ce
qui va mal qu’à ce qui va bien, donc assez proche de la santé ».14
2.2 Bien souvent, les personnes en situation de précarité cumulent les pénalités telles que les
blessures de vie et le handicap social
La grande précarité ne survient pas brutalement mais résulte d’épreuves sociales. Elle touche
les individus issus de tous les milieux sociaux mais frappe plus fortement les catégories les plus
démunies. La personne va vivre une épreuve difficile, qu’on appelle blessure de vie, telle que
le chômage, la perte du logement, le deuil, le divorce, des violences morales ou physiques, qui
va très vite entrainer une autre difficulté. La perte d’un emploi qui entraine un isolement puis
une rupture des liens familiaux jusqu’à la perte du logement et une vie à la rue, les récits
tragiques ne manquent pas. Sans oublier les problèmes d’alcoolisme, de toxicomanie, les
pathologies psychiatriques, qui viennent complexifier la situation. La solitude et l’absence de
solidarités familiales n’aideront pas. On parle de spirale de précarisation. De ces blessures de
vie va souvent naître une autre pénalité : le handicap social. La personne ne sera plus «
socialement adaptée » à son environnement.
11 MAISONDIEU J., De l’exploitation à l’exclusion, un progrès ? Le temps des cerises, Pantin, 2002, p6. 12 CASTEL R., Les métamorphoses de la question sociale, Galimard, 1995 13 FURTOS J., Epistémologie de la clinique psychosociale, la scène sociale et la place des psy, Pratiques
en Santé Mentale, n°1, 2000 14 Ibid.
15
2.3 Les personnes en situation de précarité voient très vite voir leur santé physique et psychique
se dégrader
En France, les données épidémiologiques permettant de caractériser la mortalité des personnes
sans domicile se font rares. Ce manque de données traduit bien la complexité de la situation.
Nous rappelons encore une fois qu’il n’est pas possible de désigner les personnes en situation
de précarité comme un groupe homogène.
L’ONPES, Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale, a sorti un rapport
sur « La mortalité des personnes sans domicile en France entre 2008 et 2010 ». Selon ces
données, l’âge moyen au décès de la population sans domicile est de 49 ans, ce qui représente
en moyenne un écart de presque 30 ans avec la population générale présentant des
caractéristiques similaires en termes de genre.
L’état de santé général des personnes en situation de précarité est souvent dégradé, bien que
des possibilités d’accès aux soins de santé existent. Malheureusement, il ne suffit pas que les
personnes aient accès à une consultation dans un cabinet ou à l’hôpital pour qu’elles soient
soignées correctement. Certaines maladies nécessitent la prise de médicaments de façon
régulière et pendant une longue période. Suivre ce type de traitement est difficile pour ceux et
celles dont l’existence est déstructurée et précaire. De plus, ces personnes ont souvent recours
aux soins qu’en cas d’extrême urgence, laissant ainsi des problèmes bénins s’empirer. La santé
dentaire en est un exemple. On observe alors un vieillissement précoce chez de nombreuses
personnes. Au terme d’une hospitalisation, (après une opération chirurgicale par exemple),
l’état du patient nécessite souvent une période de repos et de convalescence, et parfois d’autres
soins. Encore une fois, des solutions existent mais le nombre de places est bien souvent
insuffisant par rapport à la demande croissante.
Des couvertures maladies sont possibles pour ces personnes en situation de grande précarité
mais nombre d’entre elles ne le savent pas. Quand bien même elles le sauraient, les démarches
leurs paraissent si complexes qu’elles ne sauraient s’y attaquer sans l’aide d’un professionnel.
La dégradation de l’état de santé ne s’arrête pas là puisqu’un autre mal va naître : un mal-être.
Certaines personnes utilisent parfois le mot « stress », mais il s’agit en fait d’une réelle
souffrance psychique d’origine sociale. Ces situations de souffrance sur l’individu s’expriment
principalement par une fatigue chronique, de l’anxiété*, une morosité associée à des
comportements d’agressivité ou de repli sur soi, à des difficultés de concentration et de
mémorisation. Déjà analysée par Freud en 1930, la souffrance d’origine sociale était pour lui le
type de souffrance le plus difficile à accepter par le sujet humain : « La souffrance issue de cette
source (les relations avec d’autres hommes), nous la ressentons peut-être plus douloureusement
que tout autre… ».15
3°) Les parcours de vie des personnes en situation de précarité sont multiples et
variés, cependant l’estime de soi est toujours dégradée
3.1 La précarité amène des souffrances telles que la perte de la saveur existentielle*, la difficulté
à redonner du sens à sa vie et à se projeter dans l’avenir, et la perte de sensation d’être sujet
De la diversité des parcours des personnes en situation de précarité naissent des problématiques
communes. Les différentes blessures de vie rencontrées sont des changements subis où la
personne n’a pas réussi à rebondir. De la passivité et de la morosité se sont installés et le rythme
des journées ralenti. Ce mal-être, par opposition au bien-être, ne permet plus la sensation
agréable provoquée par la satisfaction des besoins du corps et de l’esprit. La saveur
15 FREUD S., Malaise dans la culture, 1930
16
existentielle, cette sensation agréable qui donne le goût de vivre, est alors altérée. Les personnes
se trouvent très vite dans l’incapacité à redonner du sens à leur vie et à se projeter dans
l’avenir. Le handicap social qui peut naître va entrainer un autre sentiment : celui d’être
inadapté à cette société. L’individu va se sentir hors-norme et perdre la sensation d’être sujet
et acteur de sa vie.
Ces différentes souffrances vont avoir des conséquences néfastes sur la valeur que l’individu
s’attribue à lui-même : l’estime de soi.
3.2 Il existe plusieurs modèles définissant l’estime de soi
Nous présentons trois modèles de l’estime de soi sans le tableau 1 ci-dessous : Tableau 1- Trois modèles présentant l'estime de soi
Auteur Modèle
André.C et Lelord.F - 200216 Amour de soi – Confiance en soi – Vision de soi
Bernhard H. et Millot C. - 200617 Amour de soi – Confiance en soi – Affirmation de soi
Forestier R. et Fanger F. 2010 Estime de soi – Affirmation de soi – Confiance en soi
Le modèle choisi pour l’étude des cas cliniques présentée en seconde partie est celui de
Bernhard et Millot.
L’estime de soi comporte trois composantes interdépendantes :
- L’amour de soi* : considération que l’on porte à soi-même, la capacité à s’aimer de manière
inconditionnelle et à ressentir du plaisir à être. Ne dépend pas des performances.
- La confiance en soi* : compétences personnelles, capacité à faire et à refaire.
- L’affirmation de soi* : capacité à percevoir le monde extérieur comme un enrichissement
propre à développer sa personnalité, capacité à affirmer ses goûts*.
3.3 Dans un contexte de précarité, l’estime de soi et plus particulièrement la confiance en soi,
en l’avenir, et en l’autre sont touchées
Nous pouvons grâce au modèle choisi faire le lien entre les trois composantes de l’estime de
soi et les souffrances des personnes en situation de précarité (Tableau 2)
Tableau 2- Conséquences des souffrances que vivent les personnes en situation de précarité sur les trois
composantes de l'estime de soi
Estime de soi
Amour de soi Confiance en soi Affirmation de soi
Conséquences
dans un
contexte de
précarité
> Dégradation
- Difficulté à
éprouver du plaisir à
être
- Perte de la saveur
existentielle
- Diminution de
l’envie
> Perte ou dégradation
- Atteinte de la triple
confiance : en soi, en
l’avenir, en l’autre - Difficulté à se mettre
en action, à s’engager
dans un projet
> Dégradation
Conséquences de la
dégradation de l’amour
et la confiance
- Capacités
relationnelles pouvant
être perturbées
Les trois composantes de l’estime de soi étant interdépendantes, elles sont toutes trois atteintes.
Cependant, c’est l’atteinte de la triple confiance décrite par Furtos qui est la plus dégradée.
16 ANDRE C., LELORD F, L’estime de soi, Odile Jacob, Paris, 2002 17 BERNHARD H., MILLOT C., L’apport spécifique de l’auto-évaluation par le cube harmonique dans
la restauration de l’estime de soi In FORESTIER R. L’évaluation en Art-thérapie, pratique internationales,
Elsevier Masson, Issy-les-Moulineaux, 2007
17
Cette dégradation entraîne des comportements passifs et subits. Il devient difficile de faire face
aux cascades de problématiques. La personne en situation de précarité perd l’envie de s’engager
dans un projet.
B. L’Art est un moyen privilégié d’expression qui incite l’être humain à se mettre
en action
1°) L’Art est une activité humaine volontaire orientée vers l’esthétique
1.1 L’Art se distingue des autres activités par sa dimension esthétique et se distingue de
l’artisanat
Il existe de nombreuses activités auxquelles l’Homme peut s’adonner mais la grande
particularité de l’activité artistique est qu’elle est orientée vers l’esthétique.
Le mot esthétique est dérivé du grec aisthesis signifiant beauté/sensation. Bien qu’il ait une
racine grecque, ce mot était inconnu de l’Antiquité. Il a été inventé par le philosophe Allemand
Baumgarten (1714 – 1762). Etymologiquement, l’esthétisme est la « science du sensible ».
L’usage donne aujourd’hui au mot une autre signification « la science du Beau », pouvant être
perçue et admise dans l’Art mais aussi dans la nature. L’Homme n’étant donc pas le seul
producteur de l’esthétisme.
Il faudra attendre le XVIIème siècle pour que l’artiste et l’artisan soient différenciés. On
distinguera l’art, l’activité de l’artisan, de l’Art, l’activité de l’artiste.
On reconnait l’artisan comme un homme de métier qui va réaliser une production utile. Il se
charge de donner une fonctionnalité à la chose qu’il produit. L’artisan s’inscrit dans une
dynamique technicienne, il est propriétaire d’un savoir-faire qu’il a acquis.
L’Artiste, lui, exprimera le Beau de manière désintéressée. L’Art ne sert pas à autre chose qu’à
lui-même, il est une fin en soi. Sa seule « utilité » est le plaisir des sens, la stimulation de la
sensorialité humaine. Lorsqu’une œuvre nous plait, un tableau par exemple, ce n’est pas son
utilité qui nous plait, mais la seule présence de l’objet, soit la gratification sensorielle relative
au traitement de l’information. Cette gratification sensorielle caractérise le plaisir perçu : c’est
le plaisir esthétique. Charles Pépin évoque un plaisir étrange, une plénitude, une satisfaction
gratuite, fascinante et superficielle. « Comment ce qui est superficiel peut-il donc avoir le
pouvoir de nous toucher profondément ? »18. L’artiste aussi se base sur un savoir-faire
technique, mais celui-ci ne suffit pas, il n’est qu’une base pour arriver au réel objectif qu’est
l’idéal esthétique*, propre à chacun.
Le sujet de la Beauté est au cœur de débat philosophique depuis l’Antiquité, avec des
philosophes déterminants comme Platon, Aristote, Kant, ou encore Heideger. La question étant
de savoir si la Beauté est absolue, donc extérieure à l’être-humain, ou si c’est l’être humain qui
génère cette Beauté. Nous ne chercherons pas dans ce travail à définir ce qu’est la Beauté, mais
nous nous intéresserons aux effets de cette Beauté sur l’être humain. De la même manière,
puisque la Beauté est associée à l’Art, nous partirons du constat que l’Art existe, et que certaines
personnes y sont sensibles.
1.2 La réalisation d’une production est un acte d’expression volontaire en réponse à une
impression
L’œuvre d’Art peut donc produire sur l’être humain un impact émotionnel.
Cette capacité de l’être humain à recevoir des informations de l’extérieur fait appel à un premier
mécanisme fondamental : l’impression. L’impression est la perception et l’intégration des
éléments de notre environnement par nos sens : on parle de captation sensorielle. Ces
18 PEPIN C., Quand la beauté nous sauve, Marabout, 2013, p17.
18
stimulations sensorielles provoquent des sensations, qui sont véhiculées jusqu’au cerveau. Les
sensations vont être traitées et des émotions* vont leur être associées. C’est ici que va naître le
plaisir ou déplaisir à contempler un tableau ou écouter une musique.
En réaction à l’impression, le mécanisme d’expression peut s’opérer chez l’être humain.
L’expression, se définit comme le traitement extériorisé des informations intérieures, elle peut
être volontaire ou involontaire. L’activité artistique est considérée comme un acte
volontairement dirigé. L’artiste a la volonté de produire dans une orientation esthétique, il s’agit
de l’intention esthétique qui l’amènera à ressentir un plaisir esthétique.
1.3 La réalisation d’une production est un effort de l’être humain pour atteindre son idéal
esthétique
L’artiste a la volonté de produire dans une orientation esthétique, il donne une intention
esthétique à sa production qui l’amènera à ressentir un plaisir esthétique. Pour cela, il va devoir
adapter ses moyens. Cette recherche détermine un effort certain de l’être humain et un ensemble
d’interactions entre le corps et l’esprit. L’Art est représenté par son œuvre qui est constituée
d’un fond* et d’une forme*. Le fond est le contenu, le sujet de la production. Ainsi, une
peinture peut représenter un paysage, ou un ensemble de tâches colorées. Une danse peut
raconter une histoire, ou présenter un certain nombre de mouvements.« Le fond se rapporte
principalement à la partie subjective de l’Art »19. Il concerne le domaine des affects et de la
sensibilité. La forme est le contenant, elle se rapporte à la technique mise en œuvre. Cela peut-
être une sculpture, grande ou petite, en terre ou en bois, ou encore une musique, de longue ou
courte durée. « La forme se rapporte principalement à la partie objective de l’Art »20. Il relève
du domaine de l’intellect et de la connaissance. L’idéal esthétique sera atteint lorsqu’il y aura
un juste équilibre entre le fond et la forme.
1.4 On distingue l’Art I*, activité artistique orientée vers le ressenti corporel, de l’Art II*,
activité artistique orientée vers l’esthétique et nécessitant un savoir-faire et une technique
Il est possible de différencier deux phases durant l’activité artistique :
- l’Art I : cette phase est archaïque et accès avant tout sur le ressenti corporel. Prenons
l’exemple de l’enfant qui découvre son environnement, trempe sa main dans peinture, tape sur
une feuille et s’enchante du son ainsi produit. L’Art I est sans régulation ni maitrise gestuelle.
Il trouve le corps comme médiateur privilégié.
- l’Art II : cette phase est spécifique et ordonné. Elle nécessite la maitrise d’un savoir-faire. Le
corps est là aussi le médiateur privilégié.
Ces différences phases se succèdent durant la production. Le corps, médiateur commun, va
permettre une dynamique ArtI/ArtII qui, comme le cite Richard Forestier « sera le moyen
d’aller et venir des profondeurs de l’âme et de l’instinct au geste artistique le plus
remarquable »21.
1.5 L’Art dispose d’un pouvoir d’entrainement, d’un pouvoir éducatif et d’un pouvoir
relationnel
L’Art existe depuis que l’Homme existe et on lui reconnait de nombreuses spécificités.
Le pouvoir d’entrainement est très souvent observé dans nos vies quotidiennes dans le
domaine musical par exemple. En entendant une musique entrainante, nous tapons des pieds,
tapotons des mains, ou fredonnons. La musique invite à l’action et stimule le corps.
19 FORESTIER R., Regard sur l’Art – Approche épistémologique de l’activité artistique, SeeYouSoon,
2006,p 9 20 Ibid, p10. 21 FORESTIER R., Tout savoir sur l’Art-thérapie, Favre, 7ème édition, 2012, p56.
19
Ce pouvoir d’entrainement amène le spectateur à contempler encore et encore et l’artiste à
produire sans cesse.
Le pouvoir éducatif de l’Art est reconnu depuis l’Antiquité. L’Art éduque aussi bien le corps
que l’esprit. Ainsi, l’activité artistique développe la sensorialité, la motricité fine, l’équilibre,
l’attention, la mémorisation, le traitement mental de l’information et son analyse, etc.
Enfin, on reconnait un troisième pouvoir à l’Art qui est le pouvoir relationnel. Nous
distinguerons bien la relation de la communication. La communication est un échange
d’informations grâce à un code commun entre un émetteur et un récepteur. Nous sommes dans
le champ de la signification. La relation est le lien qui existe entre deux personnes qui vont
vivre une émotion en même temps. Prenons par exemple deux personnes qui vont assister à une
pièce de théâtre : elles vont rire, se laisser surprendre, ou pleurer en même temps. Elles vont
partager des émotions communes. L’Art a cette capacité à lier les Hommes entre eux, à
regrouper des personnes d’âge, de milieu, ou de culture différente.
2°) L’Art mobilise le corps et l’esprit et fait appel à la confiance en soi, en l’avenir
et en l’autre
2.1 L’activité artistique peut être décrite par le Bien*, le Beau* et le Bon* qui constituent la
théorie des 3B
La théorie des 3B22, ou théorie de l’Art opératoire, repose sur les travaux tourangeaux de
Richard Forestier et s’intéresse aux fondements humains de l’esthétique. Tout Homme
recherche le bonheur23. C’est pourquoi l’Homme ne réalise pas des actions au hasard mais des
activités réfléchies. Dans le cadre de l’activité artistique, un ensemble de processus vont être
activés impliquant le corps et l’esprit. L’ensemble de ces processus va être représenté par trois
notions que sont le Bon, le Bien et le Beau. L’objectif étant, durant et à l’issu de l’activité
artistique, la valorisation de la saveur existentielle qui, rappelons-le, est cette capacité à ressentir
la qualité de vie, cette sensation agréable qui donne le goût de vivre. Ces trois composantes sont
présentées de manière distinctes mais sont indissociables. (Schéma 224)
- Le Bon est le principe fondateur et la notion la plus difficile à cerner. Le Bon représente le
plaisir, l’intérêt pour l’activité. Il représente cette « poussée fondamentale » par laquelle tout
homme est animé puisqu’il recherche le bonheur. Le bon se fonde sur l’interaction entre ce qui
compose l’intérieur de l’homme et ce qui compose son extérieur. Le Bon est l’articulation
progressive entre l’état d’être, une tension archaïque, une tension orientée et une tension
volontaire dirigée vers un but : l’intention.
22 FORESTIER R., Tout savoir sur l’Art-thérapie, Favre, 7ème édition, 2012, p47 23 PLATON, Euthydème 278 d e. 24 FORESTIER R., Regard sur l’Art, Approche épistémologique de l’activité artistique, SeeYouSoon,
2006, p10.
Vie
Qualité de vie
Beau
Bon Bien
Schéma 2 - Dynamique relative à la
théorie des 3B
20
- Le Bien est le passage de l’intention à la production : c’est la phase d’activité proprement dite,
qui fait appel à la technique et au savoir-faire. Du geste anarchique initial, le mouvement
s’ordonne. Le Bien est à même de réguler l’action au regard de la cohérence entre ce que veut l’artiste
et ce qu’il est en train de produire.
- Le Beau est la qualité esthétique. Comme décrit précédemment, l’œuvre est caractérisée par
un fond et une forme. Le rapport harmonieux entre le fond et la forme détermine l’idéal
esthétique. Si la forme est objective, le fond distingue et concerne les hommes dans leur
singularité et sensibilité. Ainsi plusieurs personnes peuvent être émues à des degrés différents
par une même œuvre. Le Beau est relatif au fond, il est le sentiment éprouvé à la suite d’une
satisfaction esthétique suivant son goût.
2.2 L’activité artistique implique l’engagement de la personne et permet l’expression du style*
et du goût
L’activité artistique implique l’esprit, par l’engagement, le style et le goût, et elle est
directement liée à l’estime de soi.
L’engagement est « l’envie d’une personne d’assumer ou de réaliser une attitude face à l’Art
(contempler ou produire). »25, c’est l’intention de s’exprimer face à l’Art. Cela ne se résume
pas à un objectif fixé mais à une présence active.
Pour s’engager, la personne doit avoir de la considération pour ce qu’elle réalise, mais aussi
autant de considération pour elle-même. Ainsi l’engagement implique le Bon et l’Amour de
soi.
Le style est l’expression de la personnalité de l’auteur exprimée par et dans l’œuvre. C’est
l’empreinte de l’artiste, sa marque de fabrique. Il est relatif à l’activité artistique et concerne le
Bien. L’élaboration de la production et la production elle-même doivent résister au temps pour
que le style s’imprègne. Pour se projeter dans le temps (penser l’avenir), il est nécessaire de
croire en cet avenir. Le style fait donc appel à la confiance en l’avenir. Pour que le style
s’affirme, l’artiste doit croire en ses capacités à faire et à refaire, ainsi le style est associé à la
confiance en soi. Enfin, pour que l’œuvre soit considérée, elle doit être montrée. L’artiste révèle
alors son style, sa personnalité, sa sensibilité. Cette affrontement de la critique extérieur fait
alors appel à la confiance en l’autre.
Enfin, le goût est « la faculté humaine à se déterminer dans l’appréciation qualitative sensorielle
des choses qui nous entourent »26. Comme abordé précédemment, le goût concerne le Beau.
Ainsi chacun peut apprécier ou nom une musique, une peinture ou une pièce de théâtre, le plaisir
sera propre à chacun. Voilà pourquoi le goût entraîne une détermination de la personne et
sollicite la faculté d’assumer cette détermination. Le goût implique alors l’affirmation de soi.
2.3 L’Art mobilise le corps physique en passant par le ressenti corporel, la structure corporelle,
et la poussée corporelle
Durant l’activité artistique, le corps est constamment sollicité.
L’énergie nécessaire à l’engagement dans l’activité et à l’expression a été dénommée par
Richard Forestier comme la poussée corporelle. Elle a le pouvoir d’entrainer la masse
corporelle. Elle puise son énergie dans la tension existentielle. Elle est donc associée au Bon.
En vue de l’activité, les segments corporels (bras, mains, doigt, etc.) s’organisent : on parle de
la structure corporelle. Elle est associée à la phase d’activité, au Bien. Enfin, des sensations
25 FORESTIER R., Tout savoir sur l’Art-thérapie, Favre, 7ème édition, 2012, p161 26 Ibid, p160
21
seront ressenties devant l’œuvre produite en fonction du goût : c’est le ressenti corporel qui
est associé au Beau. Ce ressenti permet l’autorégulation du corps et donc de la structure
corporelle.
2.4 L’implication du corps et de l’esprit agit sur le rapport saveur/savoir
Les premières pages de ce chapitre nous ont rappelé que la vie humaine est avant tout une
existence où l’être humain cherche à tendre vers l’épanouissement. Il est alors doté d’une
conscience d’être.
Son corps fonctionne de manière mécanique, physique et biochimique. La physiologie est la
science qui étudie ces fonctionnements. Cet acquis génétique des mécanismes fondamentaux
est le savoir. Cependant cet aspect mécanique est régulé par des sensations archaïques : la
saveur. Le bon épanouissement de l’être humain dépend de l’harmonie du rapport
saveur/savoir. Ce rapport est le fondement de la conscience d’être.
L’activité artistique est le savoir-faire au service du savoir ressentir. La combinaison des deux
va agir sur le savoir-être, qui est la capacité à se sentir en vie et à répondre à ses besoins.
L’ensemble sera régulé par les sensations liées à ces mécanismes : la saveur. C’est ainsi que
l’être humain peut s’épanouir en rapport avec sa nature. (Schéma 3)
2.5 L’activité artistique, dans son rapport à l’action et aux autres, mobilise la confiance en soi,
en l’avenir, et en l’autre
Les passages 2.1, 2.2, 2.3, et 2.4 démontrent comment l’Art, cette activité humaine volontaire
orientée vers l’esthétique, va impliquer le corps et l’esprit et en faisant appel aux 3 composantes
de l’estime de soi. Pour mieux intégrer ces notions plus ou moins complexes il est utile de les
résumer dans un tableau (Tableau 3).
Tableau 3- Théorie de l’Art-opératoire : implication de l’être humain confronté à l’Art
Théorie de l’Art-opératoire :
Implication de l’être humain confronté à l’Art
Fondements humains de l’esthétique
Bon
Intérêt, plaisir pour l’activité Bien
Technique, savoir-faire Beau
Qualité esthétique
Implication de l’esprit
Engagement
Style
Goût
Implication du corps physique
Poussée corporelle
Structure corporelle
Ressenti corporel
Implication du corps physique et de l’esprit
Savoir être
Savoir-faire
Savoir ressentir
Lien avec les composantes de l’estime de soi
Amour de soi
Confiance en soi
Affirmation de soi
Savoir ressentir
Savoir-faire Savoir être saveur
Schéma 3- La saveur régule le savoir
22
L’activité artistique après des personnes en situation de précarité pourrait participer à la
revalorisation des 3 composantes de l’estime de soi, et plus particulièrement à celle de la triple
confiance qui est fortement atteinte. Il faudrait pour cela que les pouvoirs et spécificités de l’Art
soient correctement exploités.
3°) La peinture, le collage et la photographie peuvent s’adresser et s’adapter à des
profils variés de personnes
Nous avons évoqué jusqu’à présent l’activité artistique dans son ensemble. Pourtant, il existe
un grand nombre de dominantes : la musique, la peinture, la sculpture, le théâtre, la
photographie, etc. Chaque dominante à ses spécificités et impacts sur l’être humain d’un point
de vue physique, psychique et social. Nous nous intéressons dans ce travail à la peinture, le
collage et la photographie car ces trois dominantes ont un impact sur les pénalités et souffrances
identifiées chez les personnes en situation de précarité.
3.1 La peinture, le collage et la photographie sont des disciplines diachroniques ayant la
particularité de laisser une trace tangible et concrète, preuve de la présence de l’artiste au monde
La peinture, le collage et la photographie ont la particularité d’être des disciplines
diachroniques, c’est-à-dire qu’il existe dans le temps une phase d’activité, puis une production
qui est dissociée. (Par opposition aux arts synchroniques comme le théâtre par exemple où,
quand l’activité est terminée, l’œuvre l’est aussi).
Cette production « à part » instaure une distance entre l’artiste et son œuvre. Cette distance dans
un premier temps peut être rassurante pour des individus qui se portent peu de considération
(Altération de l’amour de soi). On ne parle pas d’eux, mais d’autre chose. Pourtant cette
production permet très vite d’affirmer son style et son goût, et donc sa personnalité et sa place
de sujet.
La personne peut avancer sur sa production, la corriger, faire une pause, la poursuivre le
lendemain, dans 2, 3 jours. Elle renforce sa capacité à faire et à refaire, et donc sa confiance en
elle et en parallèle sa capacité à se projeter dans l’avenir.
Enfin, lorsque l’activité est terminée, l’œuvre continue d’exister. Elle est visible, palpable, elle
est une emprunte de la présence de l’artiste. Pour des personnes qui ont leur saveur existentielle
dégradée, une attitude passive et une présence qui s’efface, cette œuvre représente une preuve
de l’existence. (Renforcement de l’affirmation de soi).
3.2 La peinture, le collage et la photographie sont un moyen d’expression non verbal autorisant
l’utilisation d’un autre langage
«Si vous pouviez le dire avec des mots, il n’y aurait aucune raison de le peindre »27
Le langage est une expression verbale. Le milieu social d’assistance aux personnes en situation
de précarité essaie comme il le peut d’alléger les souffrances. Parfois les mots ne sont pas
suffisants ou les mots ne sont tout simplement plus là. La personne découragée ne se contente
que d’un minimum d’expression verbale. La peinture, le collage et la photographie propose une
autre forme d’expression qui se situe dans le champ du hors verbal, permettant tout à fait
l’expression, mobilisant le corps et l’esprit et instaurant une relation entre l’artiste et le
contemplateur.
De manière plus concrète encore, auprès du public en grande précarité sociale se trouve un
certain nombre de personnes qui ne parle pas le Français. Demandeurs d’asile, travailleurs
venus d’autres pays, étrangers malades ou autre. La perte de la sensation d’être sujet est
encore plus intense. Si les personnes étaient découragées par la barrière de la langue, peut-être
27 Edward Hopper (1882-1967), peintre et graveur Américain.
23
retrouveront-elles l’envie de s’exprimer par cette autre forme de langage. Ces trois dominantes
permettent une forme d’expression, de communication et de relation non verbale.
3.3 La peinture et le collage disposent d’une multitude de spécificités qui peuvent s’adapter à
l’individu et à l’environnement
La peinture et le collage font appel à de la matière : peinture, pinceaux, feuilles, toiles, colle,
ciseaux, papier, etc. Le matériel est varié mais surtout il impose un cadre, ne serait-ce que par
le format de la toile ou du papier qui délimite déjà la production. Disposé sur une table, il cadre
l’atelier et participe au renforcement du sentiment de sécurité. Sentiment que notre public a
souvent perdu. Plus le public va être confronté au rayonnement de ce matériel, plus son
sentiment de confiance en lui va se renforcer, surtout si le matériel est toujours disposé au
même endroit. Des rituels vont se mettre en place, l’installation de la peinture sur la palette,
l’eau dans le récipient, les allers et venus au point d’eau. L’assurance des personnes sera
développée.
De plus, la grande spécificité de ces dominantes est qu’elles salissent. Il est rare de se sortir
d’une activité de peinture ou de collage sans avoir les mains sales. Elle force donc à adapter ses
gestes, sa structure corporelle, pour effectuer un travail soigné et propre. L’hygiène est un sujet
important auprès des personnes en situation de précarité. C’est un critère qui nous permet
d’évaluer la considération que la personne porte à elle-même. C’est pourquoi on l’associe à
l’amour de soi.
La peinture propose un éventail de matériel mais surtout de structure, de matière, et d’odeur qui
favorisent les gratifications sensorielles. La douceur des pinceaux qui effleure la peau, l’odeur
de l’acrylique qui sort du tube, les couleurs disposées sur la table. L’Art I, rappelons-le, cette
Art où le ressenti corporel est favorisé, est facilement abordable. Il permet aux personnes de se
concentrer sur l’instant, sur leur ressenti corporel pur, de ressentir du plaisir à être afin de
réactivité cette saveur qui fait défaut. En connaissant bien cette dominante, il est possible de
trouver la structure et la taille du papier, le modèle, les pinceaux, les conseils, qui procureront
un maximum de ressenti corporel positif, à condition bien-sûr, de pouvoir réactiver l’envie.
Le collage permet d’élargir le champ des matériaux à l’infini. Une photographie oubliée dans
une salle d’attente, une vieille publicité trouvée par terre. La matière est transformée et réutilisée
pour former une production esthétique. Cette transformation permet un autre regard sur le
monde extérieur, il permet de regarder les choses sous un autre angle. Auprès de notre public
qui se retrouvent coincé dans des spirales de précarisation, cette transformation qui passe du
quelconque au beau, permet de changer de point de vue et offre de nouvelles possibilités.
D’un point de vue physique, le collage nécessite une certaine dextérité. Il est associé au
découpage (avec ou sans ciseaux), et engage donc tout le corps. Les morceaux obtenus sont
souvent de taille relativement petite. Quant à la colle, elle colle ! L’artiste développera sa
patience, et sa concentration.
3.4 La photographie permet au sujet de porter un regard différent sur son environnement
Claire Giboureaux, Art-thérapeute, a présenté dans son mémoire de fin d’étude un tableau
complet28 présentant les mécanismes humains impliqués dans la photographie d’Art. (Annexe
3).
Nous allons présenter les spécificités utilisées pour les personnes en situation de précarité.
28 GIBOUREAU C., La pratique de l’Art-thérapie à dominante modelage et photographie auprès
d’enfants déficients auditifs en classe pour l’inclusion scolaire. Afratapem, 2014.
24
Comme évoqué en partie A.3), le manque d’envie et la passivité sont des comportements
fréquemment observés, d’un point de vue physique avec des gestes qui deviennent plus lents et
d’un point de vue psychique avec le manque d’implication et d’engagement. La photographie
a la particularité de demander peu d’efforts physiques, et donc adaptée aux personnes qui
auraient une santé altérée et une fatigue générale.
Cette technique est attrayante. Tout d’abord par son aspect technologique qui évoque la
curiosité, mais aussi par la facilité de compréhension. L’impact esthétique est agréable est
donne envie. « Créer une atmosphère, véhiculer une nostalgie, immortaliser le moment,
apporter un point de vue personnel et laisser son empreinte sur ce qui l’entoure, constituent la
motivation profonde du photographe d’Art. »29
La photographie, tout comme le collage, permet un regard différent sur son environnement. Là
encore il est question de trouver de la beauté là où les personnes avaient l’habitude de voir de
la morosité. La photographie ouvre le champ des possibles en permettant d’exploiter différents
lieux et recoins. Elle peut amener une personne à se déplacer de l’endroit où elle est. Elle
participe à redonner à la personne une place d’acteur, avec une présence active.
3.5 La photographie instantanée facilite l’engagement, ancre un moment dans l’instant T, et
mobilise le corps et l’esprit
Lorsque l’envie est vraiment très peu présente, la photographie instantanée peut être très
intéressante. Par son côté « gadget », elle intrigue. La personne s’y intéresse d’abord comme
un jeu, mais très vite elle est touchée par le résultat esthétique. La production est instantanément
terminée et, par son côté unique, le photographe y accorde de la valeur. D’un point de vue
physique, le photographe doit être minutieux puisque le viseur est petit. Le côté instantané (et
le coût de la pellicule) oblige le photographe à accorder du temps à la préparation de la scène à
photographier. D’un point de vue sociale, la simple présence de l’appareil crée un lien entre les
personnes puisque cet appareil attire et suscite l’intérêt.
C. L’art-thérapie est une discipline paramédicale qui exploite le potentiel artistique
dans une visée humanitaire et thérapeutique
1°) L’art-thérapie se situe entre les sciences humaines et les sciences fondamentales
1.1 L’art-thérapie est l’Art au service du soin
L’art-thérapie est la profession paramédicale qui permet l’exploitation du potentiel artistique
dans une visée humanitaire et thérapeutique30. Elle est basée sur le courant humaniste, c’est-
à-dire qu’elle place l’être humain au centre de la démarche de soin. Le courant humaniste fait
ressortir l’idée du potentiel humain : la personne, animée par un élan vital, a la capacité de
s’autodéterminer et de grandir. Pour cela, l’expérience et le ressenti sont valorisés. La
dimension corporelle est intégrée.
L’art-thérapie fait partie intégrante du soin, pour autant elle ne guérit pas, mais donne envie de
guérir. C’est une discipline à part entière qui tient une place originale dans le soin. Le
professionnel de cette discipline est l’art-thérapeute. Il est sous l'autorité médicale dans le
secteur sanitaire, ou sous l'autorité administrative de l'institution dans le secteur social ou
éducatif.
Pour être dans une démarche thérapeutique, l’art-thérapeute respectera quatre points
fondamentaux qui sont développés dans ce mémoire :
- la souffrance : l’art-thérapie s’adresse à des personnes en souffrance
29 GRIL, Julien. Oeil sur la Photographie d’Art. France : Editions Books on Demand, 2013. Préface p4 30 FORESTIER R, Tout savoir sur l'art-thérapie, Ed. Favre, Lausanne, 2000
25
- l’indication : l’art-thérapeute travaille sur indication médicale (ou sur indication de l’autorité
référente dans le cadre du social)
- le protocole : l’art-thérapeute respecte un protocole de soin
- l’évaluation : elle est indispensable pour évaluer l’efficacité et la pertinence de la prise en
charge
1.2 L’art-thérapie moderne se différencie de l’art-thérapie traditionnelle et ne doit pas être
confondue avec d’autres disciplines qui utilisent l’Art dans le soin
La pratique présentée dans ce mémoire fait référence à l’art-thérapie moderne, née en 1979
fondée sur les travaux tourangeaux de l’Afratapem. Elle est à dissocier de l’art-thérapie
traditionnelle qui est une forme de psychothérapie à médiation artistique (née dans les années
60). L’art-thérapie traditionnelle est une approche analytique ou interprétative centrée sur
l’expression symbolique de la souffrance.
Ainsi il est important de rappeler que l’art-thérapie moderne n’est en rien une psychothérapie.
L'ergothérapeute est un professionnel de santé qui fonde sa pratique sur le lien entre l'activité
humaine et la santé. Son objectif est de maintenir, de restaurer et de permettre les activités
humaines de manière sécurisée, autonome et efficace. Si l’ergothérapeute utilise souvent
l’activité artistique, il se situe dans le champ du savoir-faire.
L’animateur à un objectif occupationnel. Il se doit de faire passer un moment agréable sans
objectif thérapeutique ni éducatif.
Enfin, l’atelier d’Art permet l’apprentissage d’une technique, d’un savoir-faire. Il n’est pas
voué au soin et s’adresse à tous. Des ateliers d’Art dit « adaptés » peuvent d’adresser à des
publics déficients mais encore une fois l’objectif ne sera pas thérapeutique.
1.3 L’art-thérapie est indiquée pour les troubles de l’expression, de la relation et de la
communication
L’Art-thérapie est indiquée pour des personnes en souffrance physique ou psychique ayant des
troubles de l’expression, de la communication et de la relation, et de manière générale, des
pénalités existentielles. Ce cadre définit un vaste champ d’intervention.
1.4 L’art-thérapie a la particularité de valoriser les parties saines* de la personne afin de créer
des boucles de renforcement* positives
Une des grandes caractéristiques de l’art-thérapie moderne est la valorisation de la partie saine
du patient. La partie saine caractérise ce qui fonctionne chez la personne, d’un point de vu
physique, psychique, et social, sans chercher à en expliquer la cause.
En se basant sur les parties saines, l’art-thérapeute met tout en œuvre pour accompagner la
personne en travaillant sur le ressenti, les gratifications sensorielles, et le plaisir esthétique.
Il est ensuite supposé que la répétition d’expériences positives va modifier la saveur (la qualité
de ressenti de la sensation perçue). Cette répétition d’expériences positives va créer une boucle
de renforcement positive « je prends du plaisir dans l’activité donc je continue l’activité, je
prends du plaisir dans l’activité donc je recommence l’activité, je m’engage dans l’activité donc
je prends du plaisir dans l’activité ».
En cela l’art-thérapie se rapproche parfois des théories comportementales. Il est cependant
important de rappeler la grande particularité de l’art-thérapie : la partie saine. Contrairement à
certaines thérapies comportementales et cognitives (TCC), l’art-thérapie ne confronte jamais le
patient ni à ses difficultés ni à ses peurs.
26
2°) Les outils de l’art-thérapeute sont spécifiques et originaux et utilisent l’Art
comme processeur thérapeutique
2.1 La prise en charge en art-thérapie s’organise grâce au protocole de soin
Le protocole de soin est l’ensemble des éléments qui constituent l’intérêt, la faisabilité, et la
réalisation de la prise en charge thérapeutique. Le protocole thérapeutique est commun à toutes
les disciplines paramédicales, le protocole art-thérapeutique propose ses moyens, méthodes et
outils spécifiques.
Tableau 4- Le protocole de soin en art-thérapie
Indication
Rencontre
Etat de base
Objectifs thérapeutiques
Séances
Bilan
L’art-thérapeute reçoit une indication pour
un patient qui est orienté pour une prise en
charge en art-thérapie. Une première
rencontre permet à l’'art-thérapeute de faire
connaissance avec le patient de manière
informelle. Il remplit une fiche d’ouverture
avec les premières informations collectées.
L’art-thérapeute constitue un état de base* à
partir des éléments de l’anamnèse* du
patient et ceux de la fiche d’ouverture. L’état
de base recueille les informations sur les
capacités sensorielles, motrices, cognitives,
relationnelles de la personne, des notes sur
son comportement (en faisant au mieux la
distinction entre ce qui est de l’ordre de la
personnalité et ce qui est de l’ordre de la
pathologie ou encore des effets secondaires
de traitements médicamenteux), ainsi que des
informations sur ses goûts, ses intentions
sanitaires et artistiques.
L’art-thérapeute définit les objectifs thérapeutiques généraux et intermédiaires qui
permettront de répondre à l’indication et aux souffrances de la personne. Il met au point une
stratégie thérapeutique*.
Les séances permettent d’atteindre les objectifs et d’établir l’évaluation générale à l’aide
d’observations répertoriées dans la fiche d’observation. En parallèle, un programme
d’accompagnement de soin (PAS*) peut être mis en place avec l’équipe pluridisciplinaire.
Le bilan général de la prise en charge est transmis à l’équipe en mentionnant les conclusions
et limites de la prise en charge, ainsi que d’éventuelles recommandations.
2.2 L’opération artistique* est un outil théorique qui permet de déterminer les sites d’actions*
et les cibles thérapeutiques* afin de déterminer une stratégie thérapeutique
L’un des outils principaux de l’art-thérapeute est l’opération artistique (OA). C’est un outil
théorique qui représente l’interface entre les mécanismes humains et les mécanismes
artistiques. (Schéma 4)
Il permet de localiser les sites d’actions (SA), soit les difficultés ou problématiques liées au
patient, ainsi que les cibles thérapeutiques (CT), soit les mécanismes sur lesquels l’Art-
thérapeute va s’appuyer pour atteindre les objectifs fixés.
Dans la suite de ce travail, nous nous baserons sur cet outil théorique en faisant référence aux
phases de l’opération artistique. Nous utiliserons des chiffres entre parenthèse pour se localiser
27
sur le schéma. (Exemple : (6) : correspond à la phase où la personne se met en action. Elle
utilise un savoir-faire ou une technique).
L’avant : histoire du patient, contexte socio-culturel, familial
1: Une œuvre d’Art existe, c’est le point de départ
2 : L’œuvre d’Art rayonne d’un point de vue physique
3 : L’œuvre d’Art est captée par nos sens, c’est un traitement archaïque effectué au niveau du système limbique, de
l’ordre du ressenti corporel. Si notre intégrité physique ou psychologique est mise en danger, il peut y avoir un
réflexe et un arrêt de la captation.
4 : Traitement sophistiqué : mémoire, connaissances, capacités cognitives. C’est le début de l’intention, le corps se
structure
5 : Elan et poussée corporelle. Le corps, structuré, réponds aux intentions.
5’ : La contemplation de l’œuvre. Elle implique une intention.
6 : Action : savoir-faire et technique, impliquant la motricité du corps dans une activité orientée vers l’esthétique
(ou au contraire un acte volontaire non orienté vers l’esthétique).
7 : Production artistique
8 : Traitement mondain. L’œuvre est montrée à l’autre, avec éventuellement des critiques en retour
1’ : La nouvelle œuvre ainsi produite rayonne à son tour
La stratégie thérapeutique est l’organisation théorique des méthodes et moyens
thérapeutiques au regard des éléments de l’anamnèse et de l’état de base qui permettra de
répondre aux objectifs thérapeutiques.
Il s’agit donc au vue de l’état de base de repérer les sites d’actions pour cibler son travail
thérapeutique. Après avoir défini des objectifs généraux, l’art-thérapeute, suit un cheminement
thérapeutique. Au cours de la prise en charge, l’Art-thérapeute peut donc être amené à
redéfinir des objectifs intermédiaires pour atteindre les objectifs généraux, rajoutant ainsi des
niveaux d’organisation (NO) sur ce cheminement thérapeutique.
Le phénomène artistique représente la partie visible de l’OA, il correspond à l’intention,
l’action et la production.
4
1
3
2
5’
5
6
7 1’
Monde extérieur
Monde intérieur
8
Impression Expression
L’avant
(Histoire, culture)
Schéma 4- L'opération artistique
Acte Volontaire Non
Orienté vers l’Esthétique Réflexe
INTENTION
ACTION
PRODUCTION
28
2.3 La fiche d’observation adaptée à chaque patient est un outil de suivi et contrôle de l’art-
thérapeute
La fiche d’observation est l’outil qui accompagne l’art-thérapeute à chaque séance. Elle
permet de réaliser une évaluation grâce à des items* devant être le plus objectifs possible. Elle
sert de mémoire à l’Art-thérapeute, synthétise le travail de chaque séance, et permet de constater
l’évolution du patient au fur de la prise en charge. Une fiche existe pour chaque patient, elle
peut comporter des items spécifiques à la personne et elle est évolutive. Les items de la fiche
d’observation nous permettent d’évaluer les objectifs fixés pour la prise en charge.
La fiche d’observation sert de base à la rédaction des bilans transmis à l’équipe
pluridisciplinaire.
2.4 Le cube harmonique* permet une auto-évaluation du Bon, du Bien et du Beau, basée sur la
théorie de l’Art opératoire
Le cube harmonique est un outil d’auto-évaluation basé sur la théorie des 3B à l’initiative de
Richard Forestier.
Le but de cet outil est de synthétiser par une forme cohérente et connue les trois composantes
de la spécificité artistique : le Bon, le Bien et le Beau. « C’est une modalité objective qui permet
de mettre à jour la subjectivité des personnes »31.
Ainsi, la personne répond à 3 questions, en donnant une note de 1 à 5, 1 étant la note minimale.
Ces 3 cotations peuvent être représentées sous la forme d’un cube ou de manière simplifiée
(histogramme).
Le cube harmonique peut avoir une fonction de processeur sur le patient, c’est-à-dire
provoquer une réaction positive devant la possibilité d’épanouissement de son goût, son style
et son engagement personnel dans l’activité. Il participe alors au développement de la faculté
critique.
Tableau 5- L'autoévaluation du Bon, du Bien et du Beau
Notion Description Question posée à la personne
Bon Relatif au plaisir éprouvé, à l’envie de
recommencer
"Est-ce que j’ai éprouvé du plaisir ?"
Bien Relatif aux techniques et au savoir-
faire
"Est-ce bien fait ?"
Beau Relatif au jugement esthétique "Est-ce que cela me plaît ?"
3°) La pratique de l’art-thérapie auprès d’un public de personnes en situation de
précarité permet grâce aux pouvoirs de l’Art de mettre la personne en action en
retrouvant l’envie et l’élan
3.1 L’art-thérapie à dominantes peinture, collage et photographie instaure un cadre et une
relation bienveillante
En plus du cadre instauré par la dominante, l’art-thérapie instaure un cadre plus large : celui de
la séance. Une prise en charge est cadrée par un nombre de séances, une fréquence, une tranche
horaire, une durée de séance, et un lieu ou espace dédié. Tous ces points qui instaurent une
certaine routine renforcent le sentiment de sécurité de la personne accueillie.
Auprès d’un public qui présente un comportement passif, et où l’envie de s’engager dans un
projet est encore faible voire inexistant, la durée de la séance est importante. En effet, il est plus
31 FORESTIER R, Tout savoir sur l'art-thérapie, Ed. Favre, Lausanne, 2012
29
facile de faire un effort quand l’on sait que l’activité sera terminée dans 45 minutes par exemple.
Un jour et une fréquence fixe pour les séances sont également nécessaires pour favoriser
l’engagement.
Enfin, la bienveillance dans la relation thérapeute/patient est une qualité fondamentale que doit
posséder l’art-thérapeute. Associée au non jugement de la personne, elles sont deux principes
nécessaires pour que la personne puisse s’exprimer et pour que les effets de l’Art puissent
opérer. La bonne relation thérapeute/patient, appelée l’alliance thérapeutique, doit s’établir
très vite afin de renforcer le sentiment de confiance en l’autre et de poursuivre la prise en
charge.
3.2 L’art-thérapie à dominantes peinture, collage et photographie, par l’impression artistique,
stimule les mécanismes sensoriels humains
C’est la multiplication d’impressions gratifiantes qui va orienter le patient vers l’intention
esthétique et la volonté de se mettre en action. Pourtant il ne suffit pas de présenter un tableau
de Picasso à une personne sans domicile qui vient de se faire opérer des dents pour que celui-
ci se mette en action.
Le début de la prise en charge est un moment délicat à bien préparer quand l’art-thérapie
s’adresse aux personnes en situation de grande précarité. L’art-thérapeute va devoir dans un
premier temps analyser les mécanismes humains et identifier les mécanismes défaillants. Il ne
cherchera pas à les corriger mais il est important de les identifier pour ne pas mettre la personne
en situation d’échec, ou pire, pour ne pas voir la personne abandonner la prise en charge. En
parallèle, il va récolter un maximum d’informations dans son état de base pour proposer des
stimulations adaptées aux goûts et aux capacités de la personne.
Progressivement, par la mise en place d’une stratégie thérapeutique, l’art-thérapeute pourra
exploiter les spécificités de la peinture, du collage ou de la photographie pour obtenir un
maximum de gratifications sensorielles.
3.3 L’art-thérapie à dominantes peinture, collage et photographie, par la réalisation d’une
production, stimule la capacité à faire et à refaire
La capacité à faire et à refaire est directement liée à la confiance en soi. Ainsi, à partir du
moment où la personne se met en action, elle est déjà en mesure de développer sa confiance en
elle. L’action commence par la contemplation. En effet, la simple contemplation d’une œuvre
est un acte volontaire orienté vers l’esthétique. Cependant, l’art-thérapeute va favoriser
l’engagement dans la réalisation d’une production basée sur des techniques et savoir-faire.
L’enrichissement des connaissances va directement participer au renforcement de la confiance.
C’est parce que la personne maitrise de mieux en mieux la technique de l’acrylique où la
maitrise de l’appareil photo numérique qu’elle aura envie de continuer. Une première boucle
de renforcement apparait qui vient renforcer la confiance : Action (6) > Production (7) >
Enrichissement des connaissances (4) > action (6) > Production (7).
Grâce aux variétés de possibilités de travail de la peinture, du collage et de la photographie,
l’art-thérapeute pourra favoriser les choix de la personne, ce qui participera au renforcement
de son autonomie*.
3.4 L’art-thérapie à dominantes peinture, collage et photographie, par l’accompagnement
personnalisé vers la recherche de l’esthétique, favorise les gratifications sensorielles qui
viennent renforcer l’engagement dans l’activité et la réalisation d’une production
L’art-thérapeute va favoriser les gratifications sensorielles en utilisant tous les outils dont il
dispose. La personne verra sa production correspondre de plus en plus à son idéal esthétique et
sa propre production lui procurera des gratifications sensorielles. Il s’agit ici d’une autre boucle
de renforcement possible : Gratification sensorielles (3) > Action (6) > Production (7) >
Gratification sensorielles (3).
30
3.5 Cette production, comme affirmation de la personnalité, est source de relation avec l’autre
et avec l’environnement
La production ainsi obtenue appartient à l’artiste. Lui seul peut décider de son devenir. L’art-
thérapeute, en fonction de l’indication et de l’objectif thérapeutique, peut orienter ou non la
personne vers la mise en valeur de sa production de manière sécurisée, voir progressive. Cette
étape correspond au traitement mondain de l’OA. L’exposition et l’acceptation des critiques en
retour peut créer une nouvelle boucle de renforcement valorisante. Puisque l’œuvre (7) est
montrée (8), elle existe et elle témoigne de la présence et de la personnalité de l’artiste. Cela
vient renforcer la saveur existentielle (3) et donc l’amour de soi (3), la confiance en soi et en
l’autre (6)(7)(8). L’exposition peut créer un lien avec son environnement et être source de
relation (8).
D. Au regard des différents éléments observés, nous posons l’hypothèse suivante :
L’art-thérapie à dominantes peinture, collage et photographie permettrait de
redonner une place de sujet aux personnes en situation de précarité en renforçant
la confiance en soi, en l’avenir et en l’autre.
1°) Plusieurs mémoires relatent des effets positifs de l’art-thérapie auprès des
personnes en situation de précarité mais aussi des limites
Tableau 6 - Comparaison de deux mémoires d'art-thérapie
Nom, Prénom, Année,
Diplôme
Cédric LEFEVRE
2011, Diplôme Universitaire
Sandie MEILLERAIS 2015,
Certification Afratapem
Hypothèse L’art thérapie peut aider à
l’amélioration de la qualité de vie des
personnes en situation de précarité et
d’exclusion sociale
La pratique des arts plastiques avec les
personnes souffrant d’exclusion sociale
facilite la communication et réengage
la personne dans l’espace, le temps et
la relation avec autrui par la
revalorisation de son estime
personnelle.
Public Personnes en situation de précarité et
d’exclusion sociale
Personnes souffrant d’exclusion sociale
dans un CCAS*
Dominantes Arts plastiques Arts plastiques
Bilan Estime de soi sensiblement améliorée
qui a participé à l’émergence d’envie,
de désir et de projet
Renforcement de la confiance des
personnes, et de leur capacité de
projection autonome dans l’avenir
Limites - Limites liée à la structure elle-même
et à son fonctionnement (absence d’une
équipe pluridisciplinaire, pauvreté de
l’information au sujet des
Participants)
- Limites liées au public et à la
difficulté du suivi (faible nombre de
participations régulières, 4
essentiellement, participation incertaine
d’une séance à l’autre)
- Limites liées à l’évaluation elle-même
des séances d’art-thérapie (
difficulté à discerner l’impact de
l’atelier de celui de l’environnement
très prégnant pour ce public.
Le volontariat et le libre accès aux
soins favorisent l’absentéisme aux
séances d’art-thérapie.
L’estime de soi est renforcée mais trop
fragile pour obtenir de meilleure
relation sociale
31
2°) Dans tout projet de réinsertion, reprendre sa place de sujet est indispensable
2.1 La notion de sujet est liée à la notion de « conscience de soi »
La notion de sujet évoquée dans l’hypothèse fait écho à la notion de « conscience d’être », qui
a été abordée par de nombreux philosophes, à commencer par Descartes au XVIIème siècle.
Il n’est pas question dans ce travail d’entrer dans des débats philosophiques, psychologiques,
ou psychanalytiques, mais de définir la « place de sujet » telle qu’elle est entendue dans ce
mémoire, auprès du public ciblé.
Devant l’attitude « passive » des personnes en situation de précarité, il est question de les
amener à une attitude où elles seront « actrices ». Pour cela, l’action seule n’est pas suffisante,
puisqu’il est possible d’agir de manière désintéressée ou de manière assistée. Il faut également
agir avec intention, être capable d’engagement, de présence active. Occuper une place de sujet,
c’est retrouver une meilleure harmonie entre la saveur et le savoir. (Voir paragraphe 2.4 p.12).
Ainsi l’art-thérapie, en se basant sur les propriétés de l’activité artistique (B .2°.2.2 page 11)
et les spécificités de la peinture, du collage et de la photographie (3°page 13), qui peuvent
tous deux améliorer la confiance en soi, en l’avenir et en l’autre, permettrait aux personnes
en situation de précarité d’agir à nouveau avec intention, et de s’engager dans un projet en
tant que sujet.
2.2 Dans un contexte où la notion d’assistance n’a pas toujours bonne réputation, l’art-thérapie
propose une approche basée sur l’action
Dans les structures d’aide médico-sociales, le public est toujours dans l’attente d’une aide. Une
aide pour ses démarches administratives, une aide financière, une aide alimentaire, ou encore
une aide psychologique. La notion « d’assistanat » a parfois mauvaise réputation car l’on
pourrait croire qu’un aidant de plus viendrait renforcer cette attitude passive.
Furtos évoque ce point : « Je reste stupéfait », ajoute-t-il, « que la notion d’assistance soit
devenue aussi dévalorisée depuis quelques années, comme s’il s’agissait d’une perversion
avérée. Assister une personne en difficulté n’a rien de péjoratif. Par contre, il convient d’en
connaître les effets pervers, comme l’on parle des effets iatrogènes de certaines thérapeutiques
médicales. La chronicité, l’impression de « tonneau des danaïdes » à remplir en permanence
peut d’autant plus décevoir qu’on se trouve en pleine idéologie de l’autonomie. Par contre, on
insiste avec juste raison sur l’intérêt de faire « avec » les gens qui ont des droits, des devoirs et
des compétences à ne pas sous-estimer »32.
La prise en charge en art-thérapie respecte tout à fait les recommandations de Furtos.
L’engagement de la personne dans le projet artistique est d’ailleurs indispensable pour obtenir
les effets voulus sur le renforcement de la confiance en soi, en l’avenir et en l’autre.
32 FURTOS J., Epistémologie de la clinique psychosociale, la scène sociale et la place des psy, Pratiques
en Santé Mentale, n°1, 2000
32
PARTIE II – Une étude clinique auprès de deux adultes en situation
précaire accueillis au sein d’une structure médico-sociale d’hébergement
temporaire nous permet d’évaluer l’impact de l’art-thérapie sur
l’accompagnement vers un projet de sortie.
A. La Halte Santé est une structure médico-sociale d’hébergement temporaire qui
accueille des personnes en situation de grande précarité
1°) La Halte santé est un acteur majeur dans la prise en charge de la précarité à
Toulouse
1.1 Les Lits Haltes de Soin Santé sont nés d’une expérience du fondateur du Samu social
Les ancêtres des Lits halte soins santé (LHSS*) ont été mis en place à titre expérimental en
1993 par le Docteur Xavier Emmanuelli, fondateur du Samusocial. Il s’agissait de Lits
d’hébergement de soins infirmiers pour accueillir « des personnes en situation de grande
exclusion dont l’état de santé physique ou psychique nécessitait un temps de repos ou de
convalescence sans justifier d’une hospitalisation » afin de les soigner.
Deux textes sont ensuite venus pérenniser ces lits d’hébergement sous l’appellation Lits halte
soins santé (LHSS). Il y eut d’abord la loi 2005-1579 du 19 décembre 2005 relative au
financement de la sécurité sociale pour 2006, puis le décret 2006-556 du 17 mai 2006, relatif
aux conditions d’organisation et de fonctionnement des structures dénommées « Lits halte soins
santé ».
A Toulouse, c'est en 1995 que l'Association Soleil crée des lits infirmiers dénommés « Halte
Santé » et en assure la gestion jusqu’en 2006. Le CHU de Toulouse, qui était déjà impliqué
dans le projet dès son démarrage, prendra ensuite le relais de la gestion de cet établissement.
1.2 La Halte Santé fait partie de l’unité fonctionnelle Santé Précarité du pôle santé publique et
médecine sociale du CHU de Toulouse
La Halte Santé est rattachée au pôle santé publique et médecine sociale, l’un des 5 pôles
médicotechniques du CHU de Toulouse (sur les 25 pôles que comptent l’établissement). Elle
fait partie au sein du pôle d’une unité fonctionnelle Santé Précarité, regroupant la PASS*
(Permanence d’accès aux soins de Santé), l’EMSS* (Equipe Mobile Sociale et de Santé) et la
Halte Santé. Le pôle est sous la direction du chef de pôle Pr Jean-Marc SOULAT.
1.3 La Halte Santé se place au cœur du dispositif de prise en charge médico-sociale de la
précarité à Toulouse
La précarité en Midi-Pyrénées, ne cesse de s’accroître depuis plusieurs années. Cette région est
particulière puisque son poids démographique repose essentiellement sur le département de la
Haute Garonne, où l’agglomération toulousaine joue un rôle primordial.
La Halte Santé s’inscrit dans une démarche de prise en charge globale et se place ainsi au cœur
du dispositif de prise en charge médico-sociale de la précarité à Toulouse.
Elle intervient aussi bien dans la promotion de l’accès aux droits, aux soins et à la citoyenneté.
Elle est en lien étroit avec l’EMSS et les autres acteurs de rue pour favoriser la continuité des
prises en charge. Elle travaille à accompagner le retour des personnes en situation de précarité
vers le droit commun : renouer avec la médecine de ville, favoriser l’accès en structure adaptée
si besoin (FAM, EHPAD*, ACT*…).
33
Schéma 5- La Halte santé au cœur des dispositifs de la précarité à Toulouse
2°) Au-delà du soin, l’équipe pluridisciplinaire a pour mission l’accompagnement
vers la réinsertion sociale
2.1 Une équipe pluridisciplinaire travaille au service des résidents au sein des locaux de
l’Hôpital La Grave dans le centre-ville de Toulouse
L’équipe pluridisciplinaire est composée de 3 médecins cliniciens, 2 infirmiers, une assistante
sociale, un éducateur spécialisé, un maître de maison et des veilleurs de nuits.
L’encadrement est assuré par un médecin coordonnateur, un cadre supérieur de santé, un cadre
de santé et le directeur de pôle.
La Halte Santé est située au sein de l’Hôpital La Grave. L’établissement dispose de 8 chambres
simples avec cabinets de toilette communicants, de 2 chambres doubles pouvant accueillir un
couple si besoin, et de 4 chambres individuelles, soit 16 places. Les résidents y sont accueillis
24h/24 et 365 jours par an.
En dehors des espaces privatifs, un espace collectif regroupe : une pièce à vivre, une cuisine,
une salle télévision, un fumoir, deux sanitaires avec douche, deux wc, une buanderie, quatre
bureaux, un local de rangement.
2.2 Le public accueilli à la Halte Santé est hétérogène
La Halte Santé accueille en moyenne 118 personnes différentes chaque année pour environ 175
séjours avec des durées moyennes de séjour de 3 semaines et un taux de remplissage optimum.
Certaines personnes sont accueillies pour des longs séjours de plusieurs mois voire années.
Le profil type des personnes accueillies se déclinerait comme suit :
L’accès à l’hébergement/
logement Centre d’hébergement d’urgence
(Escale, la Ramée, Antipoul,
Riquet, Vélane etc.)
Places rue
CDEF
Maison Goudouli
Maison tremplin (PACT)
Structures d’hébergement,
d’insertion et de logement adapté
Halte de nuit…
L’accès aux soins Le SAMU
Les urgences hospitalières
CHU Toulouse
Hôpital Marchand
Hôpital Joseph Ducuing
PASS
CMP
Cliniques
Infirmiers libéraux
Médecins du monde
…
L’accès aux droits Service des tutelles
Maison des solidarités (conseil
départemental)
CCAS de Toulouse
Services sociaux des hôpitaux
CPAM*
CRAM*
CAF*
MDPH*
Pôle emploi…
Les acteurs de la rue Médecins du monde/GAF
Croix rouge
Secours catholiques
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Secours populaire
Boutique solidarité
Point Santé
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Veille sociale EMSS
115
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Halte
Santé
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.
34
Un homme (81,5 % d’hommes)
Entre 26 et 50 ans (âge moyen des accueillis : 45 ans)
Vivant à la rue ou dans un habitat précaire dans 81% des cas
Ne jouissant pas de revenus (43% des personnes accueillies)
Bénéficiant de la CMU* (de base voir de la CMU-C (43% bénéficient de la CMU de
base et 35% de la CMU-C).
18% des accueillies bénéficient d’une AME* (Aide Médicale de l’Etat).
Leur état de santé est généralement très dégradé :
20% des personnes sont admises pour altération de l’état général (problématique de
santé justifiant l’admission)
Il existe des poly-pathologies - dont des troubles psychiques - pour 46% des
personnes
La majorité présente des conduites addictives, dont 35% liées à la consommation
d’alcool
Bien que ces tendances permettent de décliner un profil type des personnes accueillies, ce public
reste très hétérogène, présentant notamment une importante diversité culturelle.
Le cumul de problématiques qui caractérise certaines personnes en situation de précarité
demande une offre de prestation diversifiée, personnalisée, pluridisciplinaire et coordonnée.
2.3 Les missions de la Halte Santé dépassent la simple vision biomédicale
La Halte Santé accueille des femmes et des hommes majeurs, sans résidence stable, quelle que
soit leur situation administrative et dont l’état de santé nécessite des soins ponctuels et un suivi
médical, mais ne relèvent pas d’une hospitalisation.
Il y a une offre de soins médicaux ou paramédicaux, un suivi thérapeutique, un
accompagnement social, une offre de prestations d’animation et une éducation sanitaire
La Halte Santé s’inscrit dans un objectif global de promotion de la santé, décrit dans la charte
d’Ottawa.33. La santé est appréhendée dans sa dimension médico-psycho-sociale.
L’équipe sociale aide le résident dans l’accès à ses droits de santé et ses droits sociaux. Elle
accompagne la personne vers l’autonomie et la citoyenneté, et travaille sur la sortie qui est
dans la plupart des cas un moment difficile. L’équipe médico-sociale s’assure également du
bien-être du résident et lui offre un espace de parole, d’écoute et de soutien.
Dans cette optique de « prendre soin » et d’accompagner vers la réinsertion, la prise en charge
en art-thérapie trouve tout à fait sa place.
33 Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé - 21 novembre 1986 : La promotion de la santé est le
processus qui confère aux populations les moyens d'assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé, et
d'améliorer celle-ci. La santé est perçue comme une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la
vie ; il s'agit d'un concept positif mettant en valeur les ressources sociales et individuelles, ainsi que les capacités
physiques. Ainsi donc, la promotion de la santé ne relève pas seulement du secteur sanitaire : elle dépasse les
modes de vie sains pour viser le bien-être. Les conditions et ressources préalables sont, en matière de santé : la
paix, un abri, de la nourriture et un revenu. Toute amélioration du niveau de santé est nécessairement solidement
ancrée dans ces éléments de base.
35
B. Des ateliers d’art-thérapie ont vu le jour à la Halte Santé
1°) Une prise en charge en art-thérapie a complété le programme de soin de quatre
résidents
1.1 L’art-thérapie a été présentée à l’équipe médico-sociale
L’art-thérapie était très peu connue de l’équipe administrative et médico-sociale. La discipline
et les intérêts pour les résidents de la Halte Santé ont été présenté afin d’obtenir l’accord pour
la mise en place de ce stage. De manière plus générale, l’art-thérapie moderne est très peu
représentée dans la région Midi-Pyrénées. Deux diplômes universitaires d’art-thérapie existent
à Toulouse mais sont orientés vers l’art-thérapie traditionnelle avec des pratiques très éloignées.
De plus, ces diplômes ne délivrent pas la certification officielle pour le titre d’art-thérapeute
validé par l’Etat. Dans ce contexte, il est primordial que la discipline soit présentée de manière
claire pour éviter toute confusion. C’est ainsi qu’une expérience d’art-thérapie s’est mis en
place pour la première fois auprès des résidents de la Halte Santé de Toulouse. Le stage s’est
déroulée du 24 août 2016 au 19 octobre 2016, représentant un total de 90 heures. L’art-
thérapeute stagiaire sera désigné ATS* dans ce mémoire.
1.2 La réunion médico-sociale a permis une première présentation des résidents
Chaque mardi après-midi, l’équipe médico-sociale se réunit pour discuter du parcours de soin
des résidents. C’est à cette occasion que l’assistante sociale (AS*), autorité référente pour cette
expérience d’art-thérapie, a donné les indications pour 4 résidents, en collaboration avec
l’équipe médico-sociale.
1.3 Des indications ont été données pour quatre résidents
Tableau 7- Indications reçues pour quatre résidents de la Halte Santé
Résident Anamnèse résumée Indication
Marc 48 ans. A été retrouvé à la rue dans un état
déplorable de santé en perte d’autonomie
totale. A la Halte depuis 3 mois suite à une
hospitalisation de plus d’un mois.
Diminuer l'anxiété et développer l'autonomie de
Marc afin de l’accompagner dans sa transition
vers un nouveau logement.
Hector 62 ans. A la Halte depuis 4 ans, en
demande de régularisation de séjour en
France pour se soigner. Ne parle pas
Français. Gros problèmes pulmonaires.
Favoriser un autre type d’expression car Hector
n'a pas l'occasion de s'exprimer étant donné la
barrière de la langue. L’impliquer dans une
activité qui lui fasse plaisir.
Sarah 27 ans. Polytoxicomane. A effectué 2
séjours de 2 semaines à la Halte suite à
une intervention chirurgicale (ablation de
plusieurs dents + traitement d’un abcès).
Sevrée depuis quelques semaines mais
situation fragile. S’énerve vite, peut être
agressive et violente.
Travailler sur les comportements agressifs et
violents. Accompagner Sarah vers la sortie,
garder un lien avec elle le temps de la transition
vers sa nouvelle situation.
Fabien 40 ans. Alcoolisme. Tumeur au cerveau.
Séjour à la Halte de 2 mois et demi et
sortie vers un appartement thérapeutique.
Sevré depuis quelques mois.
Travailler la gestion de la frustration et de
l’agressivité. Travailler le respect du cadre et des
limites. Accompagner Fabien dans cette phase de
transition pour qu’il s’adapte à son nouvel
hébergement en maintenant un lien avec la Halte-
Santé.
1.4 Les séances d’art-thérapie doivent s’adapter au cadre institutionnel
Le public accueilli souffrant d’un manque de confiance en soi et en l’autre, la prise en charge a
été souhaitée en atelier individuel pour ces 4 personnes.
36
Le bureau des médecins a été mis à disposition les matins ou après-midi où il était disponible.
Il s’agit d’un espace clos de 9m2 donc relativement petit mais comportant un point d’eau
(nécessaire pour la dominante peinture). Cet espace privé a permis d’instaurer un cadre
sécuritaire rassurant et de favoriser la relation entre l’ATS et le résident.
D’un point de vue matériel, la Halte Santé a pris en charge une commande de matériel divers
en Arts plastiques.
2°) Un protocole de soin est mis en place pour assurer les prises en charge
2.1 Un tableau présente le protocole mis en place pour les résidents qui ont reçu une indication
en art-thérapie
Tableau 8- Protocole de soin art-thérapeutique
mis en place à la Halte Santé
Indication
Donnée par l’AS, validée par l’équipe médico-
sociale en réunion d’équipe
1ère Rencontre
(Résident + AS + ATS)
Etat de base
Echange avec les infirmières
Accès aux dossiers médicaux sociaux
Séance d’ouverture d’une heure
Objectifs thérapeutiques
Stratégie thérapeutique unique pour chaque
résident
Moyens et méthodes
Séances
Fiche d’observation
Evaluation, autoévaluation si possible
Bilan écrit transmis à l’AS
Présentation orale à l’équipe
La première rencontre avec le résident s’est
faite en présence de l’AS. C’est elle qui a
présenté l’indication et qui a expliqué au
résident dans quel intérêt elle souhaitait
l’orienter vers cette prise en charge, dans le
contexte de son séjour et de sa réinsertion.
Cette étape était importante pour favoriser
l’engagement de la personne dans le projet.
Un entretien individuel avec l’AS, puis
l’infirmière a permis de récolter un maximum
d’informations afin de compléter l’état de
base du résident. Un dossier médico-social
était également à la disposition de l’ATS.
Malgré les efforts de l’équipe, l’anamnèse
n’est pas toujours complète pour certains
résidents aux parcours complexes.
Une séance d’ouverture permet de
compléter l’état de base et de se renseigner
sur les goûts et capacités du résident.
Etant donné la variété des profils et des
problématiques, la stratégie thérapeutique
a été élaborée pour chaque personne.
L’auto-évaluation a été proposée dans la
mesure du possible. En effet, la barrière de la
langue l’a parfois rendue impossible (voir cas
de Hector).
2.2 Une séance d’ouverture est programmée pour chacun des résidents
La séance d’ouverture est la première rencontre avec le résident, c’est un moment clé de la
prise en charge. Les objectifs sont multiples :
- Compléter l’état de base comme expliqué précédemment, mais surtout :
- Poser un cadre thérapeutique
- Etablir une alliance thérapeutique
- Présenter l’atelier d’art-thérapie
- Découvrir les goûts de la personne
37
Etant donné que le public présente un manque d’envie, parfois de l’anxiété face aux situations
nouvelles, et surtout un manque de confiance en soi, la séance d’ouverture doit être cadrée,
dirigée, et rythmée. Pour certaines personnes présentant de fortes personnalités et des risques
de comportement agressif, la séance doit également leur permettre d’exprimer leur personnalité.
Cette séance est décisive car les résidents décident ou non de leur participation et n’hésitent pas
à abandonner le projet. Il faut observer un maximum d’éléments afin d’adapter la séance à la
personne. Ces éléments correspondent à des items récoltés dans une fiche d’ouverture.
Certains seront repris dans la fiche d’observation utilisée pour chaque séance.
La séance d’ouverture a été organisée en 5 séquences, sous forme d’exercices. (Tableau 9)
Tableau 9- Organisation de la séance d'ouverture
Séq. Description Items observés 1
Accueil, rencontre, présentation de
l’atelier d’art-thérapie, discussion autour
des objectifs sanitaires et artistiques du
résidents
Capacités
d’expression,
de
communication,
de relation.
Anxiété
Attitude corporelle
2 Contemplation d’œuvres plastiques
(peintures, dessins, photos, objets) et
sélections des œuvres qui me plaisent/qui
ne me plaisent pas.
Plaisir exprimé (verbalement,
corporellement)
Plaisir ressenti d’après l’ATS
Souvenirs évoqués
Compréhension des consignes
Difficultés à réaliser l’exercice
Capacité à exprimer ce qu’il aime
Capacité à exprime ce qu’il n’aime pas
3 Ecoute d’œuvres musicales et expression
de ses goûts (j’aime, je n’aime pas),
donner une couleur et un pays qui nous
fait penser à la musique
4 Test de différents supports et mediums
artistiques (papiers, peintures, feutres,
crayons, fusain, collage…).
Investissement de l’espace
Mobilisation de son corps
Engagement dans l’exercice
Curiosité
Pose des questions
Demande de l’aide
Exprime ses préférences d’outils
Prise d’initiatives
5 Bilan et projection vers les prochaines
séances
Capacités de projection
Intérêt pour le projet
2.3 Des outils d’évaluation sont mis en place pour suivre l’avancée de la prise en charge
Pour suivre l’évolution des prises en charge, une fiche d’observation générale est utilisée.
(Annexe 4) Cette fiche d’observation est tirée du modèle de C.Lefèvre34, art-thérapeute, adapté
par J.Athané35, art-thérapeute. Des faisceaux d’items ont été modifié pour mieux s’adapter à la
prise en charge. De nombreuses informations sont observées, mais seuls les items relatifs à
l’évaluation des objectifs généraux et intermédiaires sont utilisés. En fonction des individus,
des items spécifiques sont ajoutés à la fiche d’observation. Nous rappelons que celle-ci est
individuelle et évolutive en fonction de l’évolution de la prise en charge.
34 LEFEVRE, C. Evaluation de l’impact de l’Art-thérapie à dominante arts plastiques sur l’estime de soi
auprès de personnes en situation de précarité et d’exclusion sociale, Mémoire de fin d’études du Diplôme
Universitaire d’Art-thérapie de la Faculté de Médecine de Grenoble, 2011 35 ATHANE J., La saveur en Art et sa fonction régulatrice de l’estime de soi dans la pratique Art-
thérapeutique, Intervention, Fondements théorique et pratiques, Lyon 2016
38
C. Les suivis de Marc et Hector confrontent la pratique clinique à l’hypothèse de
travail
1°) Marc a reçu une indication en art-thérapie dans le but de développer son
autonomie en vue de préparer sa sortie dans un nouveau logement
1.1 L’anamnèse de Marc révèle un parcours de vie difficile et un enchainement de difficultés
entre schizophrénie, vie à la rue et isolement social
Marc a 48 ans. De nationalité Algérienne, il vit en France depuis de nombreuses années (plus
de 15 ans, durée exacte inconnue). Il est en possession d’un titre de séjour. Marc est atteint de
schizophrénie paranoïde, syndrome délirant avec hallucinations auditives et idées
persécutrices. Il se serait retrouvé à la rue il y a quatre ans suite à un divorce. Il aurait donc
perdu son logement et arrêté son traitement neuroleptique.
Il a un jour été trouvé par l’équipe mobile dans la rue dans un état déplorable de santé.
L’équipe mobile l’a amené aux urgences le 13 avril 2016 et il a été hospitalisé pendant un mois
et demi pour altération massive de l’état général avec cachexie* et perte d’autonomie totale.
(Descendu à 31kg pour 1m65).
A sa sortie le 26 mai 2016, Marc a été hébergé à la Halte Santé. Il a fait de gros progrès dès le
premier mois. Il s’est correctement alimenté et s'est intégré à la structure, bien qu’il soit une
personne très discrète qui reste en retrait. Depuis son hospitalisation, Marc prend un traitement
neuroleptique et il est stabilisé. Une nette amélioration a été observée très rapidement. Il est
suivi par un psychiatre dans un CMP*. Son comportement présente aujourd’hui peu de signes
liés à sa pathologie psychique.
D’un point de vue familiale, Marc n’a pas de famille à Toulouse. Ses parents très âgés vivent
dans son pays d’origine, ainsi que sa sœur qui prend de temps en temps de ses nouvelles.
L'assistante sociale travaille avec lui sur un projet de sortie et sur l'accès à un logement mais
ce projet rend Marc très anxieux. Avant chaque visite d’appartement, il panique et cherche
parfois à annuler le rendez-vous. La sortie est un évènement qui l’angoisse. L’équipe a préféré
autoriser une extension de séjour pour Marc jugeant les risques de rechute trop élevés.
Traitement médicamenteux : Zyprexa pour le traitement de la schizophrénie.
Il prend également un anxiolytique chaque soir (Seresta)
Antécédents : poly-toxicomanie sevrée depuis novembre 2015. Alcolo-dépendance ancienne
sevrée.
Le 25 août, nous recevons l’indication de Marc :
Indication : Diminuer l'anxiété et développer l'autonomie de Marc afin de
l’accompagner dans sa transition vers un nouveau logement.
1.2 Les informations récoltées durant la séance d’ouverture viennent compléter l’état de base
de Marc qui révèle un comportement passif, une absence de motivation et une anxiété devant
les nouveaux projets
Les informations récoltées auprès de l’équipe, dans le dossier médico-social, et à l’issue de la
séance d’ouverture (Tableau 10) permettent de réaliser l’état de base de Marc (Tableau 11).
Tableau 10- Bilan de la séance d'ouverture de Marc
Marc est arrivé timidement à la séance (regard fuyant, attitude en retrait, peu d’expression verbale et
non verbale, peu d’échange). Il ne semble pas à l’aise dans l’expression, la communication et la
relation ce qui laisse supposer un manque de confiance en soi et d’affirmation de soi.
Il a compris et réalisé tous les exercices proposés sans difficulté technique. Néanmoins, son attitude
était désinvestie. Il semble considérer l’activité comme un devoir qu’il subit. Il n’a pas manifesté de
plaisir particulier à contempler les différentes œuvres proposées (musicales et picturales). Cette
39
attitude passive peut traduire une perte de la saveur existentielle. Elle peut également être renforcée
par l’effet inhibant des neuroleptiques.
Marc n’a posé aucune question et s’est contenté d’appliquer la consigne. Il n’a pris aucune initiative
et a montré peu de désir à faire des choix, ce qui traduit une faible capacité d’autonomie. Marc n’a
pas investi l’espace disponible. Il est resté dans un coin de la table pour tester timidement le matériel.
Il n’a évoqué aucun souvenir ou anecdote personnelle suite à la contemplation d’œuvres visuelles et
musicales. Il n’a pas cherché le dialogue ni la relation avec l’ATS. La confiance en l’autre est
certainement touchée.
L’activité artistique a un effet opérant sur Marc (geste de plus en plus net, le corps se détend) même
si celui-ci n’a pas manifesté de plaisir.
Marc accepte poliment le prochain rendez-vous mais le manque d’intérêt est évident.
Durant la séquence 1 et sur sollicitation, Marc a confirmé son attitude anxieuse quand il s’agissait de
visiter un logement. Il n’a pas développé. Il n’a fait aucune projection pour les séances suivantes. La
confiance en l’avenir semble elle aussi altérée.
Tableau 11- Etat de base de Marc
Bilan sensoriel : Bon, rien à signaler
Bilan moteur : Bon. Remarque : Marc est gaucher
Bilan cognitif : Bonne compréhension générale. Peu de références au passé ou aux souvenirs.
Capacités d'expression : S'exprime clairement, en français correct, mais très peu, d’une voie
faible.
Capacités de communication : Présentes mais minimes. Engage rarement une discussion.
Capacités relationnelles : Faibles. Attitude en retrait. Ne cherche pas la compagnie des autres
résidents.
Bilan psychoaffectif : Anxiété/stress devant une situation nouvelle.
Goûts de la personne : Aime le football, jouait dans sa jeunesse dans un club. Passe beaucoup de
temps dans la salle télévision.
Intention sanitaires/thérapeutiques : Diminuer son anxiété
Intentions artistiques : Sur sollicitation, dit être d’accord pour faire de la peinture, car il n'a jamais
essayé. Peu de sensibilité artistique.
Comportement : Calme, poli, timide, en retrait. Exécute pour faire plaisir aux autres. Peu
d’initiatives. Regard fuyant. Participe sur sollicitation aux sorties organisées par la Halte mais en
restant en retrait.
Autoévaluation : Capable d’exprimer ses goûts (ce qu’il aime, ce qu’il n’aime pas)
1.3 Marc a subi des pénalités en cascade mais la blessure de vie quand il s’est retrouvé à la rue
semble être la pénalité la plus importante
La pénalité principale retenue pour Marc est la blessure de vie. Se retrouver à la rue a été une
rupture considérable dans son parcours avec comme conséquence une perte de la saveur
existentielle (en (3) sur l’OA). Marc se retrouve en difficulté à redonner du sens à sa vie et à se
projeter dans l’avenir. En témoigne son comportement anxieux devant son projet de sortie vers
un nouveau logement. L’amour et la confiance en soi sont touchés.
Nous retenons également comme pénalité le handicap social. La perte progressive des liens
sociaux (8) a entrainé une diminution de l’implication dans des activités (5-6), qui a elle-même
provoqué une perte de motivation (4) avec comme souffrance la perte de sensation d’être sujet.
L’amour de soi est touché ce qui renforce le manque de confiance et d’affirmation de Marc.
En résumé, les trois composantes de l’estime de soi, à savoir l’amour, la confiance et
l’affirmation de soi sont touchées. Nous retrouvons ici les schémas décrits par Furtos évoqués
en partie I de ce travail. Ainsi la perte de la triple confiance se retrouve chez Marc.
40
1.4 Une stratégie thérapeutique est mise en place afin de répondre à l’indication et vise à
renforcer la confiance en soi de Marc par l’apprentissage d’une technique et d’un savoir-faire
Les problématiques liées à Marc sont complexes et toutes liées. Afin de définir une stratégie,
il est important de choisir une porte d’entrée, et de fixer un objectif thérapeutique réaliste et
réalisable dans le temps imparti.
Dans le cas de Marc, nous avons vu qu’un travail (sur le long terme) serait nécessaire afin de
renforcer les trois composantes de l’estime de soi. Cependant le parallèle avec l’indication reçue
nous permet de cibler notre travail. En effet, l’AS nous demande de travailler sur l’autonomie.
L’autonomie est la faculté de se déterminer par soi-même, de choisir, d'agir librement. En art-
thérapie, la capacité à faire des choix se travaille pendant la phase d’activité artistique. Pour
que Marc s’implique dans un projet artistique, nous décidons de travailler sur le renforcement
de la confiance en soi par l’apprentissage d’une technique et d’un savoir-faire. (OTG)
Quant à l’anxiété, elle est liée aux situations inconnues non maitrisées. En renforçant la
confiance en soi, mais aussi en l’autre (relation avec l’ATS), et en l’avenir (engagement dans
un projet artistique), l’anxiété diminuera.
OTG : Renforcer la confiance en soi par l’apprentissage d’une technique et d’un savoir-faire
OI1 : Diminuer l’anxiété que ressent Marc par rapport à l’atelier (CT : 2-4-6)
OI2 : Renforcer le savoir-faire et la technique de Marc (CT : 6)
OI3 : Impliquer Marc dans la réalisation d’une production artistique qui corresponde à son idéal
esthétique (CT :7)
Les sites d’action au regard des pénalités sont localisés sur l’OA :
Sites d’actions :
- Perte de la saveur existentielle, difficultés à ressentir du plaisir à être, perte d’envie :
origine : (3) ; expression : (6)-(7)-(8)
- Anxiété, manque de motivation : origine : (3)-(4) ; - expression : (5),(6),(7),(8)
possède une dimension existentielle. […] “habiter” c’est […] construire votre personnalité,
déployer votre être dans le monde qui vous environne et auquel vous apportez votre marque et
qui devient vôtre. […] C’est parce qu’habiter est le propre des humains […] qu’inhabiter
ressemble à un manque, une absence, une contrainte, une souffrance, une impossibilité à être
pleinement soi, dans la disponibilité que requiert l’ouverture »41.
1.2. Un spécialiste des questions sociales s’intéresse aux ingrédients de la réussite pour sortir
une personne de la difficulté
Jean-Baptiste de Foucauld, spécialiste des questions d'emploi, de lutte contre le chômage et de
solidarité, a exposé son point de vue afin de sortir quelqu’un de la difficulté.42
D’après lui, il faut travailler simultanément sur plusieurs dimensions de la personne :
- La « dimension professionnelle » : la capacité de chacun à maîtriser le travail, à accéder
aux normes du travail rémunéré d’aujourd’hui, qui sont des normes exigeantes. Il faut
désormais faire preuve de qualification, d’abstraction, de capacité de relation, etc.
- La « dimension relationnelle » : développer la capacité de la personne à donner, à
recevoir, à créer du lien, trouver sa place. Créer du capital social dans une société
individualiste.
- La « dimension éthique » : pour sortir quelqu’un de la difficulté, il faut qu’il retrouve
sens à sa vie, qu’il ait un certain goût de vivre, une estime de lui-même.
40 HEIDEGGER M., Essais et conférences, Gallimard, 1958. 41 PAQUOT Thierry, LUSSAULT Michel, YOUNÈS Chris (2007). Habiter le propre de l’humain, villes,
territoires et philosophie. La découverte, coll. Armillaire. 42 Colloque organisé par le Conseil économique et social régional Rhône-Alpes « L’exclusion : pour s’en
Pour Foucauld, l’équilibre entre les dimensions professionnelles, relationnelles et éthiques est
la clé du succès. L’art-thérapie s’intéresse exactement à cette dimension éthique qui est la
plupart du temps la dimension la moins traitée dans les structures d’aides sociales.
A ces trois conditions, le spécialiste ajoute qu’il faut se donner du temps afin d’agir en
profondeur. Foucauld parle de créer des espaces de communication désintéressés, « où
l’efficacité n’est pas le but premier, où l’on cherche le sens ».
1.3 L’art-thérapie ne guérit pas ; cependant, elle peut donner envie de guérir
Si l’on se base sur les concepts évoqués précédemment, la prise en charge en art-thérapie peut
être vue comme un maillon manquant de la chaine dans le processus d’aide à la réinsertion
sociale.
Les fondements enseignés à l’AFRATAPEM nous apprennent très vite que « l’art-thérapie ne
guérit pas, mais elle peut donner envie de guérir ». Dans le milieu du social, l’art-thérapie peut
donner envie à la personne de s’en sortir, afin qu’elle vive consciemment, qu’elle ait conscience
de son existence. Pour cela, l’art-thérapeute exploite des mécanismes défaillants mais existants,
il stimule des potentialités enfuies ou oubliées. Il s’agit de « restaurer » la qualité existentielle
des personnes.
La partie II de ce mémoire a mis l’accent sur les outils de l’art-thérapeute et sur le protocole
thérapeutique qu’il met en place. A cette technique nécessaire qui caractérise le métier à part
entière de l’art-thérapeute, s’ajoute une condition indispensable : la bonne relation
aidant/aidé.
2°) L’art-thérapeute doit trouver la juste distance avec le résident
2.1 Le concept de la relation d’aide est étudié par le psychologue Carl Rogers
Carl Rogers (1902-1987), psychologue Américain Humaniste, a travaillé sur la qualité de la
relation entre le thérapeute et le patient en proposant l’Approche Centrée sur la Personne
(ACP*).
Au lieu d’agir en expert qui comprend le problème et décide de la façon dont il doit être résolu,
le thérapeute doit, selon lui, libérer le potentiel que possède le « client » pour résoudre par lui-
même ses problèmes personnels. Carl Rogers a remplacé le mot patient par "client" pour
souligner le rôle actif de ce dernier : lui seul sait ce qui lui convient.
Tout individu possède ce potentiel et ce, de façon innée. C’est un système de motivation appelé
la tendance actualisante, à savoir que l’être profond est orienté positivement vers la
maturation, l’autonomie et les rapports constructifs avec autrui.
Pour que la tendance actualisante soit favorisée, le thérapeute doit s’impliquer en tant que
personne, ce qui nécessite des compétences et attitudes particulières. Il s’agit d’un échange à la
fois verbal et non verbal qui favorise la création d’un climat de compréhension et l’apport d’un
soutien dont la personne a besoin au cours d’une épreuve. L’aidant cherche donc la croissance
de l’autre, son développement et sa maturité.
Toute la théorie de l'approche centrée sur la personne repose sur une confiance fondamentale
dans l'être humain.
2.2 La relation d’aide privilégie le savoir-être du thérapeute plutôt que son savoir-faire.
Pour Carl Rogers, le thérapeute doit adopter trois attitudes fondamentales, nécessaires et
suffisantes :
72
- La congruence (ou l’authenticité) du thérapeute : plus le thérapeute est lui-même dans la
relation, n'affichant pas de façade professionnelle ou d'image personnelle, plus grande est
la probabilité que le client changera et se développera de manière constructive. Cela
signifie que le thérapeute est ouvert sur les sentiments et les attitudes qui circulent en lui
au moment présent. La congruence est perceptible par l’autre, consciemment ou
inconsciemment. Il y a concordance entre le message communiqué verbalement et
l’expression corporelle, les micro-attitudes de la communication non verbale. La
congruence n’est possible que si l’authenticité est présente. Cette perception de la
congruence contribue au sentiment de confiance et de sécurité que peut éprouver une
personne aidée face à l’aidant. Elle facilite la communication entre deux personnes.
- La considération positive inconditionnelle : acceptation totale et inconditionnelle du
client tel qu’il apparaît à lui-même dans le présent. Il est donc essentiel que le client se
sente respecté sans jamais avoir l’impression d’être jugé ou évalué selon une théorie
quelconque. La confiance, source de liberté d’expression et de relation dynamique, est en
effet l’élément moteur de la thérapie.
- La compréhension empathique : c’est la capacité du thérapeute à restituer ce qu’il a
compris de l’autre. Le thérapeute essaie de percevoir le monde du client sans se laisser
submerger par celui-ci. Il en accepte toutes les colorations, les contradictions, en faisant
abstraction de tous ses préjugés et de toutes ses valeurs. Il aura pour objectif de
transmettre au client sa compréhension de ce qui se passe à un moment précis.
2.3 Le résident doit adhérer au projet avant tout pour le bienfait que lui procure la prise en
charge en art-thérapie et non pour la relation établie avec l’art-thérapeute
Dans ses travaux, Rogers explique comment ces trois attitudes peuvent favoriser le changement
chez le client :
« Comment le climat que je viens de décrire peut-il être facteur de changement ? Brièvement
je dirai que lorsque les personnes sont acceptées et estimées, elles ont tendance à être davantage
bienveillantes vis-à-vis d'elles-mêmes. Lorsque les personnes sont entendues avec empathie
elles peuvent écouter avec plus de justesse le flot de leurs experiencings43 internes. Dans la
mesure où une personne comprend et estime son propre soi, le soi devient plus congruent avec
les experiencings. La personne devient plus réelle, plus authentique. Ces tendances, réciproques
des attitudes du thérapeute, permettent à la personne d'être un acteur encore plus efficace dans
l'accomplissement de son propre développement. A être vraie et totalement elle-même la
personne jouit d'une plus grande liberté. »44
Un certain nombre de principes décrits par Rogers se retrouve dans les fondements de l’art-
thérapie (l’humanisme, la bienveillance, le respect, etc.). Les trois attitudes qu’il décrit peuvent
faire partie d’une démarche auprès de l’art-thérapeute. L’activité artistique est un générateur
d’expériences où la personne a l’opportunité de faire et de refaire. Elle renouvelle les
expériences en trouvant en elle les ressources nécessaires pour atteindre son idéal esthétique.
43 Experiencing : terme qui n'a pas d'équivalent lexical en français. Il signifie une expérience interne qui
est en train de se faire. 44 ROGERS C. Les caractéristiques d’une approche centrée sur la personne, par Carl Rogers, Revue
francophone internationale de l’approche centrée sur la personne,1962. http://www.acp-pr.org
73
Le savoir-faire de l’art-thérapeute associé à son savoir-être permettront l’accompagnement de
la personne. Son savoir-être peut se baser sur les attitudes recommandées par Porter.
Auprès d’un public en situation de précarité ayant un parcours de vie très complexe, la
considération positive inconditionnelle est indispensable au sein de l’atelier. L’art-thérapeute
se doit, d’une manière authentique, de faire abstraction de tout jugement concernant la
personne, et de l’accepter et l’accueillir telle qu’elle se présente au moment présent. Durant le
déroulement de la séance, l’art-thérapeute adopte la compréhension empathique, afin de se
mettre à la place de la personne et de ressentir avec justesse les sentiments et les significations
de ce dont la personne est en train de faire l'expérience. Ainsi, la personne pourra s’exprimer et
évoluer, et l’art-thérapeute pourra adapter sa stratégie thérapeutique de manière efficace.
L’art-thérapeute adopte une attitude humaine, bienveillante et chaleureuse, mais il est
indispensable qu’il sache garder la bonne distance entre lui et le patient. Cette distance est
de fait instaurer par le cadre de l’atelier (un début de séance, une fin de séance) ainsi que le
cadre de la prise en charge (un début, une fin de prise en charge). L’art-thérapeute doit être clair
et replacer s’il le faut l’atelier d’art-thérapie dans son contexte de soin. Auprès d’un public
fragile où les trois composantes de l’estime de soi sont touchées, l’art-thérapeute doit être
vigilant à ce que ce ne soit pas la relation avec l´art-thérapeute que le la personne recherche
avant tout.
Grâce à ces items d’observation, l’art-thérapeute est capable de s’assurer du bon déroulement
de la stratégie thérapeutique.
C. L’art-thérapie peut occuper une place transverse dans le paysage complexe de
l’aide aux personnes en situation de précarité
1°) L’art-thérapie pourrait être indiquée dans des passages délicats comme celui
de la rue à « l’après-rue »
1.1 La réinsertion par le logement, par le travail ou par le soin doit être accompagnée d’une
prise en charge globale de la personne
Les personnes en situation de précarité sans logement voyagent souvent d’une structure à une
autre : foyer de jour, foyer de nuit, hôpital, logement précaire, passage à la rue.
Durant ces épreuves de plus ou moins longues durées, la dégradation de l’état de santé physique
et psychique est rapide. Pourtant, ces personnes ont encore des liens sociaux, certains
rencontrent leur référent social, d’autres sont en lien avec des associations ou des médecins.
Pour les personnes qui ont la chance de trouver un logement, le pari n’est pourtant pas gagné.
Se retrouver livré à soi-même n’est pas chose aisée et ces personnes n’en restent pas moins
vulnérables.
Dans un rapport de la Fondation Abbé Pierre45, des associations témoignent dans le cadre d’un
projet d’accompagnement de personnes (ex)SDF en grande précarité logées dans des
appartements en diffus en Ardèche : « Car le logement, s’il est primordial dans un processus de
stabilisation, ne règle pas pour autant les souffrances de ces personnes. Pour beaucoup, la
période de désillusion consécutive à l’entrée dans le logement a été douloureuse. Elle arrive à
plus ou moins long terme et fragilise beaucoup la personne accompagnée. Cette période se
concrétise par des ré-alcoolisations massives, une démobilisation sur le projet de vie, de
nombreux doutes et questionnements qui nécessitent de la part de l’accompagnant écoute,
45 Fondation Abbé Pierre, L’accès à l’habitat des personnes sdf en situation de grande précarité, 2013,
p.14.
74
soutien, et une disponibilité importante afin de ne pas laisser la personne à nouveau
s’abandonner. »
Que la réinsertion sociale ait lieu par le logement, le soin, ou la santé, une prise en charge
personnalisée de l’individu est nécessaire sur du long terme. Elle doit prendre en compte les
souffrances de la personne et s’assurer de l’amélioration de sa qualité existentielle. C’est dans
ce contexte que l’art-thérapie peut être intéressante et complémentaire aux démarches
existantes.
1.2 L’essai thérapeutique réalisé auprès de Sarah et Fabien pourrait être généralisé afin que la
prise en charge en art-thérapie permette d’accompagner les personnes dans leur projet de sortie
Le cas de Sarah a été présenté dans la partie II de ce travail. Celle-ci avait reçu une indication
comportant deux objectifs :
- Prévenir ses comportements agressifs et violents
- L’accompagner dans son projet de sortie, garder un lien avec elle le temps de la
transition vers sa nouvelle situation.
Nous allons nous intéresser ici au deuxième objectif.
Le bilan du séjour de Sarah a été positif. Elle a eu un comportement approprié et de bonnes
relations avec les travailleurs sociaux. Lorsqu’elle est sortie de la Halte Santé, la jeune fille
n’avait pas défini de projet précis pour son avenir, mais elle avait relancé un certain nombre de
démarches administratives pour régulariser sa couverture de santé et faire une demande de
RSA*. Toujours sans logement, Sarah a rejoint un foyer de nuit, passant ses journées à la rue.
Dès le lendemain de sa sortie de la Halte Santé, elle a assisté à l’atelier d’art-thérapie et un
changement net a été observé dans son comportement : anxiété, geste brusque, irritabilité,
manque de concentration, fatigue. A la séance suivante, Sarah est arrivée en retard et a avoué
avoir pensé à tout arrêter.
Elle présentait pourtant depuis le début de la prise en charge une forte implication dans le projet.
Sans développer, Sarah nous a confié « qu’elle rencontrait beaucoup de difficultés dans sa vie,
qu’elle ne savait plus par quoi commencer ni vers qui se tourner ».
Elle était pourtant au rendez-vous. Elle a trouvé en elle les ressources nécessaires pour terminer
son projet d’art-thérapie. Si Sarah s’est engagée, c’est tout simplement parce ce projet lui
procurait du plaisir. En le terminant, il lui a procuré de la satisfaction, de la fierté et lui a peut-
être même redonné de l’espoir.
Nous ne pouvons pas évoluer l’impact de cette prise en charge dans la vie de Sarah. Il aurait
tout d’abord fallu prolonger le temps d’accompagnement afin d’avoir plus de recul. Cependant,
si nous nous basons sur le retour de l’équipe sociale et sur celui de Sarah, cette expérience fut
bénéfique et a permis une transition plus douce vers la sortie.
Si l’expérience pouvait être généralisée, elle permettrait de répondre à un besoin exprimé par
l’équipe. En effet, la sortie est un moment difficile que l’équipe médico-sociale prépare dès
l’arrivée du résident. Pourtant, le personnel rencontre souvent de la frustration devant son
impuissance quand certaines personnes qui présentent du potentiel « pour s’en sortir » quittent
si rapidement la structure. Certains individus reviennent parfois quelques mois plus tard pour
un nouveau séjour, dans un état de santé qui s’étant dégradé depuis leur sortie.
Dans le cas de Fabien, l’expérience n’a pas fonctionné puisque celui-ci n’a pas honoré les
séances. Il démontre les limites de cette proposition. Contrairement à Sarah, Fabien avait déjà
75
quitté la Halte Santé quand la prise en charge en art-thérapie lui a été proposé. Il n’avait donc
pas encore montré d’engagement dans le projet.
Pour que cette expérience soit efficace, il faudrait intégrer l’art-thérapie dès l’arrivée du résident
à la Halte Santé. Il faudrait également définir dans quelle situation cette prise en charge pourrait
être proposée. Bien que l’expérience de Sarah fut positive, elle présentait également un risque :
celui qu’elle abandonne la prise en charge, ce qui aurait renforcé le sentiment de découragement
et de désorientation qu’elle a exprimé. Devons-nous pour autant la priver de cette prise en
charge ?
Pour minimiser ce risque, une solution serait de proposer ce type d’accompagnement aux
personnes qui sortiraient de la Halte Santé vers un logement. Ce logement permettrait un
minimum de sécurité et de stabilité, donc plus de disposition à s’engager.
Le cas de Marc aurait pu être un bon exemple.
Rappelons en effet que Marc a été retrouvé à la rue, en perte totale d’autonomie, dans un état
de santé extrêmement dégradé. Il a fait des progrès considérables en quelques mois seulement
à la Halte Santé mais reste très anxieux quant à son projet de sortie. La prise en charge en art-
thérapie a permis de faire un premier travail sur son autonomie en renforçant la confiance en
soi. Malheureusement, l’accompagnement a été clôturé avant la sortie effective de Marc, le
stage arrivant à sa fin. Dans ce cas précis, maintenir un lien et poursuivre le travail sur
l’autonomie parait nécessaire et bénéfique.
Il s’agit ici de pistes de réflexion qui mériteraient d’être approfondies avec l’équipe de la Halte
Santé. L’assistante sociale, à l’initiative de cet essai, s’est montrée très satisfaite de ces premiers
essais réalisés.
2°) L’art-thérapie pourrait également être indiquée en prévention de souffrances
naissant de situation de précarité
2.1 La précarité est une notion subjective et les souffrances qui en découlent parfois peuvent
toucher toutes les classes sociales
Pour avoir une action préventive, encore faut-il pouvoir identifier les personnes à risque.
Quelles sont les personnes qui se retrouvent à la rue ? L’image du « sans-abri clochard
alcoolique » est dépassée.
De manière plus générale, quelles sont les personnes susceptibles de souffrir d’une situation
précaire ?
Rappelons que la précarité est liée à une incertitude de conserver ou de retrouver une situation
acceptable. Elle induit les notions d’incertitude, d’insécurité et de vulnérabilité.
Elle ne doit pas être durable au risque d’entrainer de lourdes souffrances. Dans notre expérience
clinique, nous avons travaillé avec des personnes sans résidence. Mais la précarité touche tout
le monde, avec ou sans logement, avec ou sans travail. Bien entendu, elle aura souvent des
conséquences plus lourdes chez les plus démunis.
Lors d’une interview46accordée à un journaliste, Furtos affirme même que « Cadres et SDF sont
atteints de la même pathologie ». Dans le contexte économique difficile de notre société, une
transformation s’est opérée dans le monde du travail induisant des souffrances psychiques. Les
personnes qui ne réussissent pas à s’en sortir en construisant un réseau, du lien, sont dans la
46 Interview publiée dans le numéro d’avril 2009 de Lyon Capitale, magazine mensuel Lyonnais.
76
zone de vulnérabilité. L’anticipation de la perte des objets sociaux peut alors provoquer une
grande souffrance.
Le défi est donc de pouvoir repérer les souffrances naissantes avant que les situations ne se
dégradent. La difficulté dans la prise en charge de la souffrance liée à la précarité est qu’elle
n’a pas de nom. Elle peut être dénommée fatigue, tristesse, angoisse, anxiété, stress, mal-être,
etc. mais on ne parle pas de maladie. Lorsque la maladie arrive, comme par exemple la
dépression, il est déjà trop tard. Puisqu’il ne s’agit pas d’une maladie, cette souffrance sort
souvent du domaine d’intervention du médecin, malgré la définition de la santé ne consistant
pas seulement « en une absence de maladie ou d'infirmité ».
Pourtant le médecin généraliste, le médecin du travail ou le médecin de structures d’aides
sociales paraissent être les personnes les plus aptes à repérer les mal-être naissants. Ils ont
d’ailleurs un rôle de soin mais aussi de prévention.
Se pose bien entendu la question du financement.
Les disciplines telles que l’art-thérapie qui pourraient être des solutions de prévention
intéressantes ne sont malheureusement pas prises en charge par la sécurité sociale.
Heureusement, la vision de la santé évolue chaque année et l’art-thérapie moderne, malgré ses
40 ans d’existence, reste une discipline nouvelle qui tend de plus en plus à se développer.
2.2 « Il faut veiller à ne pas descendre de la marche car il est bien plus difficile de remonter » a
dit François Soulage, ancien président du secours catholique lors du colloque « Démocratiser
l’accès à la prévention » de 2015
En France, le système de santé reste centré sur le curatif bien que des initiatives s’intéressent
au passage du « cure »47 au « care »48 pour inciter les concitoyens à « prendre soin » d’eux. Les
projets de prévention et les financements associés dépendent de nos politiques.
Lors du colloque « Démocratiser l’accès à la prévention » organisé par l’Institut Pasteur de Lille
et la Fondation PiLeJe à l’Assemblée Nationale en octobre 2015, des débats sur la
problématique santé-précarité-prévention ont eu lieu. Pour le Dr Jean-Michel Lecerf, il faut
faire attention à ne pas stigmatiser les personnes les plus défavorisées : « Si les gens ne font pas
ce qu’il faut en matière de prévention, c’est qu’ils ne le peuvent pas toujours. Il faut aider ces
gens, pas les pénaliser ». Valoriser, redonner confiance, restaurer l’estime de soi... La fraternité
et la solidarité doivent être, selon lui, les éléments moteurs de ce changement de paradigme, du
« cure » vers le « care ».
Pourquoi ne pas imaginer un professionnel, comme l’art-thérapeute, dont la principale mission
serait justement cette restauration de l’estime de soi, qui semble être une des conditions
nécessaires à une bonne qualité de vie ?
47 Terme anglais, relatif au curatif 48 Terme anglais, relatif au « prendre soin »
77
CONCLUSION
L’idée de proposer une prise en charge art-thérapeutique auprès de personnes en situation de
précarité qui n’ont ni logement stable, ni ressources financières peut paraitre décalée. En effet,
comment une personne peut-elle s’impliquer dans un projet artistique alors qu’elle ne sait pas
où elle dormira le lendemain ? Et pourtant… Il ne s’agit pas de faire de ces personnes des
artistes, mais bien de mettre l’Art au service de l’être-humain et du soin.
Ce mémoire s’est attaché à rendre compte des bénéfices apportés par l’art-thérapie auprès de
personnes en situation de précarité accueillies dans un centre médico-social d’hébergement
temporaire à Toulouse : la Halte Santé. Ces personnes ayant cumulé un certain nombre de
difficultés dans leurs parcours ont fini par perdre cette sensation agréable que donne le goût de
vivre : la saveur existentielle. Elles se retrouvent dans la difficulté à donner du sens à leur vie.
Quand le handicap social s’ajoute, il peut entraîner un sentiment d’être inadapté à la société.
L’individu perd alors la sensation d’être sujet. La confiance en soi, en l’avenir et en l’autre est
altérée. On observe souvent chez ces personnes des comportements passifs et une certaine
morosité.
La Halte Santé propose aux personnes accueillies une prise en charge à la fois médicale et
sociale. La santé est abordée dans sa dimension globale en vue de « prendre soin » de l’individu
et donc de le considérer dans sa dimension médico-psycho-sociale. Les équipes ont des
missions purement sanitaires et sociales, mais s’assurent également du bien-être des résidents,
travaillent sur l’autonomie, la citoyenneté, le « bien-vivre » ensemble afin de favoriser leur
réinsertion sociale.
Nous avons fait l’hypothèse dans ce mémoire qu’une prise en charge en art-thérapie permettrait
à ces personnes de reprendre une place de sujet, en renforçant la confiance en soi, en l’avenir
et en l’autre. La place de sujet se traduit par un engagement et un investissement dans un projet
par une présence active.
L’art-thérapie offre un espace sécurisé où le potentiel artistique peut s’exprimer librement. La
gratification sensorielle, inhérente à l’activité artistique, recentre la personne sur ses sensations.
Elle lui permet d’exprimer son style et ses goûts. L’expérience positive de l’action favorise
l’envie et donc l’engagement dans le projet.
Les résultats observés grâce à l’analyse des cas cliniques ont été encourageants : les évaluations
montrent un renforcement de la confiance en soi, une baisse de l’anxiété, une manifestation du
plaisir esthétique, une capacité à se projeter dans l’avenir ainsi qu’un engagement et un
investissement dans le projet. Les prises en charge ont montré cependant plusieurs limites :
l’engagement n’a pas été effectif avec Fabien qui ne s’est pas présenté aux rendez-vous, les
durées de prises en charge étaient trop courtes pour pouvoir assurer un changement durable, le
nombres de prises en charges étaient insuffisant, et les modalités d’évaluation sont encore à
améliorer.
De manière générale, les résultats sont très favorables même si dans cette démarche
scientifique, ils ne permettent pas de valider entièrement l’hypothèse.
Cette expérience originale a été appréciée par l’équipe médico-sociale qui a jugé la prise en
charge nécessaire et complémentaire aux soins proposés. L’idéal serait de pouvoir poursuivre
le travail effectué sur du plus long terme.
Ce travail a permis un questionnement sur la place que pourrait occuper l’art-thérapie dans le
milieu de l’accompagnement des personnes en situation de précarité. En effet, que la réinsertion
passe par le logement, le travail, ou la santé, de nombreux spécialistes s’accordent à dire qu’un
travail sur la revalorisation de l’estime de soi est indispensable.
78
LISTE DES SCHEMAS, FIGURES ET TABLEAUX
Schéma 1- Pyramide des besoins de Maslow .................................................................................................... 11
Schéma 2 - Dynamique relative à la théorie des 3B .......................................................................................... 19
Schéma 3- La saveur régule le savoir ................................................................................................................ 21
Schéma 5- La Halte santé au cœur des dispositifs de la précarité à Toulouse ................................................... 33
Schéma 6- Facteurs agissant sur l'efficience de la prise en charge art-thérapeutique ........................................ 68
Figure 1- Evolution de l’item « participation à l’atelier » ................................................................................. 45
Figure 2- Evolution de l'item "auto-évaluation de l'anxiété" ............................................................................. 46
Figure 3- Evolution de l'item « structure corporelle et investissement de l'espace » ........................................ 46
Figure 4- Evolution de la moyenne des faisceaux d'items correspondants à l'OI1 ............................................ 46
Figure 5- Comparaison de l'évolution de 2 items .............................................................................................. 47
Figure 6- Evolution de l'item "Autonomie dans l’acte artistique / demande de l’aide" ..................................... 47
Figure 7- Comparaison de l'évolution de 2 items .............................................................................................. 47
Figure 8- Evolution de la moyenne des faisceaux d'items correspondants à l'OI2 ............................................ 47
Figure 9 - Evolution de l’item « Recherche de l’idéal esthétique / correction » ............................................... 48
Figure 10 - Evolution de l'item "Soin apporté à sa production" ........................................................................ 48
Figure 11 - Evolution de l'item "Faculté critique sur sa production .................................................................. 48
Figure 12- Evolution de la moyenne des faisceaux d'items correspondants à l'OI3 .......................................... 48
Figure 13- Auto-évaluation du Bon ................................................................................................................... 49
Figure 14- Auto-évaluation du Bien .................................................................................................................. 49
Figure 15 - Auto-évaluation du Beau ................................................................................................................ 49
Figure 16- Evolution de l'item "Investissement dans l'activité" ........................................................................ 58
Figure 17- Evolution de l'item "Implication relationnelle avec l'ATS" ............................................................. 58
Figure 18- Evolution de la moyenne des faisceaux d'items pour l'OI3 ............................................................. 59
Tableau 1- Trois modèles présentant l'estime de soi ......................................................................................... 16
Tableau 2- Conséquences des souffrances que vivent les personnes en situation de précarité sur les trois
composantes de l'estime de soi .......................................................................................................................... 16
Tableau 3- Théorie de l’Art-opératoire : implication de l’être humain confronté à l’Art.................................. 21
Tableau 4- Le protocole de soin en art-thérapie ................................................................................................ 26
Tableau 5- L'autoévaluation du Bon, du Bien et du Beau ................................................................................. 28
Tableau 6 - Comparaison de deux mémoires d'art-thérapie .............................................................................. 30
Tableau 7- Indications reçues pour quatre résidents de la Halte Santé.............................................................. 35
Tableau 8- Protocole de soin art-thérapeutique mis en place à la Halte Santé .................................................. 36
Tableau 9- Organisation de la séance d'ouverture ............................................................................................. 37
Tableau 10- Bilan de la séance d'ouverture de Marc ......................................................................................... 38
Tableau 11- Etat de base de Marc ..................................................................................................................... 39
Tableau 12- Moyens et méthodes mis en œuvre pour la stratégie thérapeutique de Marc ................................ 41
Tableau 13- Synthèse du déroulement des séances de Marc ............................................................................. 42
Tableau 14- Evaluation de l’OI1 ....................................................................................................................... 45
Tableau 15- Evaluation de l’OI2 ....................................................................................................................... 47
Tableau 16- Evaluation de l'OI3 ........................................................................................................................ 48
Tableau 17- Bilan de Marc – Le 20/10/2016 ..................................................................................................... 49
Tableau 18- Bilan de l'entretien entre Hector, l'ATS, un éducateur spécialisé, par l'intermédiaire d'un interprète
Tableau 19- Bilan de la séance d'ouverture d'Hector ........................................................................................ 52
Tableau 20- Etat de base d'Hector ..................................................................................................................... 52
Tableau 21- Moyens et méthodes mis en œuvre pour la stratégie thérapeutique d'Hector ................................ 55
Tableau 22- Synthèse du déroulement des séances d'Hector ............................................................................. 55
Tableau 23- Evaluation de l'OI1 ........................................................................................................................ 58
Tableau 24- Evaluation de l'OI2 ........................................................................................................................ 58
Tableau 25- Evaluation de l'OI3 ........................................................................................................................ 59
Tableau 26- Bilan d’Hector, le 19/10/2016 ....................................................................................................... 59
Tableau 27- Synthèse des prises en charge ....................................................................................................... 61
Tableau 28- L'art-thérapie peut répondre aux exigences du projet d'établissement de la Halte Santé .............. 63
79
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages
AFRATAPEM, Discipline assimilée paramédicale exercée avec toute forme d’art, Repère Métier,
AFRATAPEM, Ecole d’Art-thérapie de Tours, 7ème édition, 2014.
ANDRE C., LELORD F, L’estime de soi, Odile Jacob, Paris, 2002
ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, I, 5, 1097b.
ATHANE J., La saveur en Art et sa fonction régulatrice de l’estime de soi dans la pratique Art-
thérapeutique, Intervention, Fondements théorique et pratiques, Lyon 2016
BOWLBY J., Soins maternels et santé mentale, 1951
BERNHARD H., MILLOT C., L’apport spécifique de l’auto-évaluation par le cube harmonique dans
la restauration de l’estime de soi In FORESTIER R. L’évaluation en Art-thérapie, pratique