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Article original Une dent humaine perforée découverte en contexte Gravettien ancien à l’abri Pataud (Dordogne, France) A perforated human tooth found in Early Gravettian context at the abri Pataud (Dordogne, France) Carole Vercoutère a, * , Giacomo Giacobini b , Marylène Patou-Mathis a a Département de préhistoire du Muséum national d’histoire naturelle, CNRS-UMR 5198/USM 103, institut de paléontologie humaine, 1, rue René-Panhard, 75013 Paris, France b Laboratoire de paléontologie humaine, département d’anatomie, pharmacologie et médecine légale, université de Turin, 52, Corso Massimo d’Azeglio, 10126 Turin, Italie Disponible sur Internet le 12 mars 2008 Résumé Le réexamen des objets en matières dures d’origine animale du niveau 5, Gravettien ancien, du gisement de l’abri Pataud (Dordogne, France) a révélé l’existence d’une dent humaine perforée. Bien que son aménagement ne diffère pas de celui des autres dents animales percées découvertes dans le même niveau, cette pendeloque devait être chargée d’une signification particulière. # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract The existence of an Early Gravettian perforated human tooth at the abri Pataud came to light thanks to the reexamination of the osseous artefacts from the level 5. Even if the method of perforation of this tooth is analogous to the one used to pierce the animal teeth discovered in the same level, this pendant would have a particular meaning. # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Abri Pataud ; Dordogne ; Paléolithique supérieur ; Gravettien ancien ; Dent humaine perforée ; Homo sapiens Keywords: Abri Pataud; Dordogne; Upper Palaeolithic; Early Gravettian; Perforated human tooth; Homo sapiens http://france.elsevier.com/direct/ANTHRO/ Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com L’anthropologie 112 (2008) 273283 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Vercoutère). 0003-5521/$ see front matter # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anthro.2008.02.002
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Une dent humaine perforée découverte en contexte Gravettien ancien à l’abri Pataud (Dordogne, France)

May 01, 2023

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Article original

Une dent humaine perforée découverte en contexteGravettien ancien à l’abri Pataud (Dordogne, France)

A perforated human tooth found in Early Gravettiancontext at the abri Pataud (Dordogne, France)

Carole Vercoutère a,*, Giacomo Giacobini b, Marylène Patou-Mathis a

a Département de préhistoire du Muséum national d’histoire naturelle, CNRS-UMR 5198/USM 103,institut de paléontologie humaine, 1, rue René-Panhard, 75013 Paris, France

b Laboratoire de paléontologie humaine, département d’anatomie, pharmacologie et médecine légale,université de Turin, 52, Corso Massimo d’Azeglio, 10126 Turin, Italie

Disponible sur Internet le 12 mars 2008

Résumé

Le réexamen des objets en matières dures d’origine animale du niveau 5, Gravettien ancien, du gisementde l’abri Pataud (Dordogne, France) a révélé l’existence d’une dent humaine perforée. Bien que sonaménagement ne diffère pas de celui des autres dents animales percées découvertes dans le même niveau,cette pendeloque devait être chargée d’une signification particulière.# 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

The existence of an Early Gravettian perforated human tooth at the abri Pataud came to light thanks to thereexamination of the osseous artefacts from the level 5. Even if the method of perforation of this tooth isanalogous to the one used to pierce the animal teeth discovered in the same level, this pendant would have aparticular meaning.# 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Abri Pataud ; Dordogne ; Paléolithique supérieur ; Gravettien ancien ; Dent humaine perforée ; Homosapiens

Keywords: Abri Pataud; Dordogne; Upper Palaeolithic; Early Gravettian; Perforated human tooth; Homo sapiens

http://france.elsevier.com/direct/ANTHRO/

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

L’anthropologie 112 (2008) 273–283

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (C. Vercoutère).

0003-5521/$ – see front matter # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.anthro.2008.02.002

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1. Introduction

Lors du réexamen des objets en matières dures d’origine animale provenant du gisement del’abri Pataud (Vercoutère, 2003, 2004), nous avons découvert, parmi les éléments de parure duGravettien ancien, une dent humaine perforée non répertoriée jusqu’alors.

Une telle pièce est assez rare dans les sites du Paléolithique supérieur européen et constitue uncas unique pour l’abri Pataud, ce qui justifiait à nos yeux la rédaction d’un article. L’objectif de cedernier sera donc de présenter la dent humaine perforée de l’abri Pataud en la replacant dans soncontexte archéologique et de réaliser un examen technologique de son mode de suspension.

2. Le Gravettien ancien de l’abri Pataud

Le gisement de l’abri Pataud est situé sur la commune des Eyzies-de-Tayac en Dordogne(Fig. 1). À l’issu des fouilles conduites, entre 1958 et 1964, par l’équipe du professeurH.L. Movius (université de Harvard, États-Unis), le remplissage de l’abri a été divisé en 14principaux niveaux archéologiques (Fig. 2) allant de l’Aurignacien ancien (environ 34.000 B.P.)au début du Solutréen (environ 20.400 B.P.).

Au sein du gisement, les occupations du Gravettien ancien sont regroupées en un seul niveau,5 (Périgordien IV), qui s’est déposé, d’après les données paléoécologiques, lors d’un épisodeclimatique froid, mais non rigoureux et relativement humide (Farrand, 1995 ; Théry-Parisot,1998 ; Vannoorenberghe, 2004). Quant au paysage, il était ouvert de type steppique avec desespaces boisés dans les vallées. Le niveau 5 est daté à environ 28.000 B.P. (Bricker et Mellars,1987 ; Bricker, 1995 ; Pirouelle, 2000).

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Fig. 1. Localisation géographique du gisement de l’abri Pataud, Les Eyzies-de-Tayac, Dordogne, France.Fig. 1. Geographical localisation of the abri Pataud, Les Eyzies-de-Tayac, Dordogne, France.

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La zone fouillée pour le niveau 5 était divisée en deux secteurs (Rear et Front) par un côned’éboulis orienté nord–sud. D’après H.L. Movius (1977), le secteur Rear aurait été la zoned’occupation principale, tandis que le secteur Front aurait correspondu, au moins pour certainespériodes, à une zone dépotoir pour les déchets provenant de l’arrière. Cette hypothèse estcorroborée par l’étude de la faune du Gravettien ancien (Vannoorenberghe, 2004), selon laquellela partie arrière de l’abri constituait la zone d’habitation principale, à l’abri derrière les blocsd’éboulis, tandis que l’avant peut être assimilé à une zone de boucherie, de traitement des peauxet de vidange de la partie arrière.

Le niveau gravettien ancien de l’abri Pataud a livré un riche matériel archéologique à la foispour ce qui concerne les industries (lithique et osseuse) et les restes fauniques. En outre, troisdents humaines y ont été découvertes (Legoux, 1971, 1972 ; Ciffreo, 1998 ; Vercoutère, 2004).

3. La parure du Gravettien ancien de l’abri Pataud

Cinquante-quatre éléments de parures, de nature (os, dents, ivoire de Mammouth, coquillesmarines) et de formes (ovale-aplatie, globuleuse, tronquée, crochue, en bâtonnet, . . .) variées, ontété découverts dans le niveau 5 (Tableau 1). Parmi ces derniers, les dents aménagées représententla majorité (31/54).

En ce qui concerne les modes d’acquisition des dents d’animaux supports de pendeloques,deux hypothèses peuvent être proposées :

� matière première provenant des animaux consommés (Renard, Cerf élaphe, Renne, Boviné,Bouquetin) ;� dents (canine de Loup, incisive d’Ours) acquises pour des raisons totalement déconnectées des

considérations alimentaires (échanges, rites, etc.).

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Fig. 2. Coupe stratigraphique de l’abri Pataud. La couche 5 est divisée en deux secteurs : Front et Rear (dessin : L. Chiotti,d’après Movius, 1977).Fig. 2. Stratigraphical sequence of the abri Pataud. Level 5 is divided in two areas: Front and Rear (drawing: L. Chiotti,after Movius, 1977).

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Quant à la dent humaine, elle provient probablement de la mandibule d’un individu adulte.Aucune marque, présente sur sa surface, ne permet de conclure à une action liée à son extractionde l’alvéole (fracturation de la paroi de l’alvéole, sciage, etc.). Elle aurait pu être facilementextraite ou même être tombée naturellement d’une alvéole aux parois endommagéespostérieurement, par des phénomènes taphonomiques.

Le choix de ces matériaux semble donc avoir été fait à la fois pour des raisons pratiques(proximité de la matière première) et esthétiques (formes crochue, globuleuse, ou tronquée etaspect lustré des craches), mais aussi symboliques dont la signification nous échappe.

Signalons enfin qu’aucune répartition particulière des éléments de parure, et en particulier, desdents aménagées n’a pu être observée pour les occupations du niveau 5. Qui plus est, certaines deces dents, dont la dent humaine percée, n’ont pas été coordonnées lors des fouilles, ce quiempêche toute discussion quant à une éventuelle localisation particulière.

4. La dent Humaine perforée

Seuls deux restes humains, attribués à Homo sapiens, ont été initialement reconnus pour leGravettien ancien de l’abri Pataud (Legoux, 1971, 1972) :

� un fragment de molaire lactéale supérieure gauche d’un individu d’environ neuf ans (Legoux,1972 : p. 307, Fig. 4h, i) ;� une première incisive lactéale supérieure gauche d’un individu de dix mois à un an (Legoux,

1972 : p. 307, Fig. 4j, k).

Quant à la dent humaine perforée, elle avait été classée parmi les éléments de parure etidentifiée comme perforated incisor of Ursus sp.1.

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Tableau 1Inventaire des pièces de parure du niveau 5, Gravettien ancien, de l’abri PataudTable 1Inventory of the body adornments from abri Pataud Level 5, Early Gravettian

Type d’objet NR Matière première

Matrice et ébauche (3) Ébauche de pendeloque 1 Os ou ivoireBaguette 1 IvoirePetite lame polie 1 Os ou ivoire

Pendeloque (47) Pendeloque « en formede graine de courge »

11 Ivoire (3) ; ivoire ? (3) ; os ou ivoire (5)

Pendeloque 3 Os ou ivoire (2) ; os plat (esquille, 1)Dent aménagée 31 Canine humaine (1) ; canine de renard (11) ;

canine de loup (1) ; incisive d’ours (1) ;incisive de renne (1) ; crache de cerf élaphe (3) ;incisive de boviné/grand cervidé (5) ;incisive de boviné (5) ; incisive de bouquetin (3)

Coquille percée 2 Littorine (2)

Perle (4) Perle à gorge 1 OsTube 3 Os longs de lièvre et/ou de renard

Total 54

1 D’après la fiche correspondant à cet objet et établie par l’équipe du professeur Movius.

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4.1. Identification

Ce troisième reste humain correspond à une canine, probablement inférieure droite, d’unhomme d’anatomie moderne adulte2 (M-D : 7 mm, V-L : 9 mm et hauteur : 25 mm ; Fig. 3). Lacouronne est peu usée. La racine est fermée et présente, à proximité de son apex, une perforationcirculaire dont nous examinerons ci-après la réalisation.

4.2. Technique de perforation

4.2.1. Observations macroscopiquesLa préparation de l’apex de la racine a été réalisée par grattage au niveau des deux faces

(stries). Puis, la dent a été perforée, dans le sens mésio-distal et à partir des deux faces, par unmouvement rotatif à l’aide d’un silex tenu à la main.

Une légère trace d’usure peut être observée au niveau de la face mésiale, du côté proximal dutrou. Cette usure a été engendrée par l’attache d’un lien et prouve donc que la canine a été portée.En outre, le fait que cette usure soit unifaciale peut être rapproché de la courbure naturelle de laracine qui devait favoriser le frottement du lien à cet endroit.

L’intérieur de la perforation est légèrement « ocré » ce qui peut être attribué soit à unepollution du sédiment du niveau 5-Rear riche en poudre d’hématite, soit à l’utilisation de cetoxyde lors de la phase de perforation de la dent ou comme enduit du lien de suspension.

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Fig. 3. Dent humaine perforée du niveau 5, Gravettien ancien, de l’abri Pataud (la pièce est orientée comme unependeloque). De gauche à droite : faces vestibulaire, mésiale, linguale et distale.Fig. 3. Perforated human tooth from abri Pataud Level 5, Early Gravettian (piece presented as a pendant). From left toright: buccal, mesial, lingual and distal faces.

2 Madame D. Henry-Gambier, DR-CNRS, laboratoire d’anthropologie des populations du passé (UMR5199-PACEA),a accepté d’examiner cette dent, en a confirmé la nature humaine et en a précisé la détermination, nous l’en remercionsvivement.

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Nous avons comparé le mode de perforation de la dent humaine avec les techniquesemployées pour aménager les dents animales. Tout comme pour la dent humaine, la morphologienaturelle de ces dents n’a pas été modifiée, elles ne sont pas décorées et le seul aménagement deces pièces consiste en leur moyen de suspension. Ce dernier correspond dans tous les cas à uneperforation, exception faite d’une incisive de bouquetin dont la racine a été rainurée. Lesperforations ont été en général obtenues par :

� un mouvement rotatif pour les dents aux racines les plus robustes (canine de Loup, craches deCerf élaphe, incisives de Boviné, incisive de Boviné/grand Cervidé) ;� des enlèvements successifs d’esquilles pour les autres (canines de Renard, incisives de

Bouquetin).

4.2.2. Identification des traces technologiques et d’utilisation en microscopieL’étude micromorphologique des surfaces de la dent humaine perforée a été conduite au

stéréomicroscope et au microscope électronique à balayage (MEB). Pour l’observation au MEB,des répliques de surface ont été réalisées (empreinte en élastomère siliconique Provil L, Bayer,Leverkusen, Allemagne ; réplique en résine Araldit LY 554, CTS France, Paris). Elles ont étéobservées avec un microscope Cambridge Stereoscan 120. Ces répliques, la résine étanttransparente, ont également été observées au stéréomicroscope en lumière transmise.

À proximité du bord de la perforation, en direction de la couronne et sur les deux faces dela racine (mésiale et distale), des traces indiquant des actions d’un instrument lithique sontvisibles. Ces traces, sur la face distale (Fig. 4[A]), correspondent à des sillons parallèles augrand axe de la dent. La micromorphologie interne de ces sillons, dont quatre sont mieuxvisibles, est mal conservée. Sur la face mésiale de la racine (Fig. 5[A]), une large zoned’enlèvement de matière est visible. Elle s’arrête brusquement en direction de la couronne etprésente quelques fines stries légèrement recourbées et parallèles entre elles. Ces caractéristiquescorrespondent à une action de raclage par un instrument lithique, avec un mouvementlongitudinal par rapport à la dent. La ligne d’interruption brusque pourrait correspondre soit aupoint d’appui de l’instrument sur la surface de la dent au début de son action, soit au pointd’interruption de cette action à la fin du mouvement. Quelques fines stries produites par uninstrument lithique sont également présentes entre le bord de la perforation et l’apex de la racine(Fig. 5[A]).

La perforation a une forme biconique, évasée vers les deux faces (mésiale et distale). La paroide la perforation est mieux conservée du côté distal. Des faisceaux de stries, parallèles entre elleset subparallèles au bord du trou, sont bien visibles (Fig. 4[A, D]). Ces faisceaux présentent unezone de croisement dans la partie orientée vers la couronne (Fig. 4[D, E]). Du côté opposé, endirection de l’apex de la racine, les stries s’effacent graduellement (Fig. 4[B, C]). À ce niveau,quelques rares stries sont encore visibles, même si presque effacées (Fig. 4[C]). Sur la facemésiale, les stries apparaissent moins évidentes sur toute la surface de la perforation (Fig. 5[A,C]). Dans ce cas, elles s’effacent également en direction de l’apex de la racine, où elles ontcomplètement disparu (Fig. 5[B]) ; la surface interne de la perforation et la surface limitrophe dela racine ont un aspect poli.

Cet ensemble de traces observées sur les deux faces de la racine (paroi de la perforation etsurface de la racine proche de son bord) résulte d’actions techniques et d’usure d’utilisation.

Le mode de perforation de cette dent correspond à celui observé sur des dents percéesprovenant de plusieurs sites du Paléolithique supérieur. Une riche série de craches percées deCerf provenant des niveaux épigravettiens de l’Abri Tagliente (Vérone, Italie du N–E), a permis,

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Fig. 4. Dent humaine perforée du niveau 5, Gravettien ancien, de l’abri Pataud. Partie apicale de la face distale de laracine avec la perforation d’origine anthropique (A, D). Détails de la partie vestibulaire (B), apicale (C) et coronale (E) dubord du trou. A = photographie au stéréomicroscope en lumière transmise de réplique transparente. B–E = photographiesau microscope électronique à balayage.Fig. 4. Perforated human tooth from abri Pataud Level 5, Early Gravettian. Apical part of the distal aspect of the rootshowing the perforation of anthropic origin (A, D). Close-up of the buccal (B), apical (C) and coronal (E) portions of the

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grâce à la présence de perforations inachevées, d’identifier une chaîne opératoire (Cilli et al.,2006). Sur la dent de l’Abri Pataud, comme sur celles de l’Abri Tagliente, les traces présentes surla surface de la racine à proximité du bord de la perforation indiquent des actions de raclage dansle but d’amincir la racine, mais surtout pour produire une sorte de cupule pour guider l’action duperçoir et éviter son dérapage au début de l’action de perforation. Les traces circulaires, présentessur la paroi du trou et plus ou moins parallèles à son bord, sont typiques d’une action deperforation par un instrument lithique (de type perçoir) tenu dans la main (et non par une perceuseà arc). Le « croisement » bien visible au niveau de la partie coronale de la paroi du trou (facedistale) (Fig. 4[D, E]) correspond au point où, au cours de l’action de perforation, le sens derotation de l’instrument et du mouvement de la main s’inversent. L’effacement des traces liées àla perforation sur une partie du bord (Fig. 4[A, C] et 5[A, B]) est à corréler avec l’utilisation de ladent comme pendeloque, et donc à l’action d’un lien de suspension. Le fait que cette zone d’usuresoit orientée vers l’apex de la racine, correspond bien à une action de suspension (plutôt qu’à

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Fig. 5. Dent humaine perforée du niveau 5, Gravettien ancien, de l’abri Pataud. Partie apicale de la face mésiale de laracine avec la perforation d’origine anthropique (A). Détails de la partie apicale (B) et linguale (C) du bord du trou.A = photographie au stéréomicroscope en lumière transmise de réplique transparente. B–C = photographies au micro-scope électronique à balayage.Fig. 5. Perforated human tooth from abri Pataud Level 5, Early Gravettian. Apical part of the mesial aspect of the rootshowing the perforation of anthropic origin (A). Close-up of the apical (B) and lingual (C) portions of the perforation’swall. A = transmitted light stereomicroscope photograph of transparent replica. B–C = scanning electron microscopephotographs.

perforation’s wall. A = transmitted light stereomicroscope photograph of transparent replica. B–E = scanning electronmicroscope photographs.

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celle de la couture sur un vêtement), puisque le centre de gravité de l’objet se trouve du côtéopposé.

La canine humaine a donc été perforée selon la même technique que celle utilisée pour percercertaines dents animales. Il semble que cette similarité dans le mode de confection despendeloques puisse être due à une contrainte imposée par le support, la canine humainepossédant, tout comme certaines dents animales, une racine relativement robuste.

L’examen technologique ne permet donc pas ici de dire si l’artisan qui a perforé la denthumaine découverte dans le Gravettien ancien de l’abri Pataud est le même, ni s’il a appartenu aumême groupe humain, que celui qui a aménagé les dents animales du niveau 5. De même, nous nepouvons émettre aucune hypothèse en ce qui concerne le statut de la canine humaine percée auregard de celui des autres pendeloques.

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Tableau 2Dents humaines aménagées du Paléolithique supérieur européen (I : incisive ; C : canine ; P : prémolaire ; M : molaire ; D :droite ; G : gauche). Les dents percées issues des gisements de Bédeilhac (Ariège) (Malvesin et al., 1953), du Placard(Charente) et de Chaffaud (Vienne) ne figurent pas dans ce tableau car il persiste un doute sur leur attribution culturelle etleur nature humaineTable 2Modified human teeth from the European Upper Palaeolithic (I: incisor; C: canine; P: premolar; M: molar; D: right; G:left). Pierced teeth from Bédeilhac (Ariège) (Malvesin et al., 1953), Placard (Charente) and Chaffaud (Vienne) areexcluded due to remaining doubts about their cultural and human attribution

Site Attribution culturelle Nature Aménagement Référence

La Combe(Dordogne)

Aurignacien M1 ou 2 inf G Couronne gravée Le Mort (1981, 1985)Racine perforée White et al. (2003)

Les Rois(Charente)

Aurignacien I Racine perforée Henry-Gambier et al. (2004)Mouton et Joffroy (1958)Vanhaeren et d’Errico (2006)

Brassempouy(Lande)

Aurignacienancien

P2 inf D/G Racine en coursde perforation

White et al. (2003)Henry-Gambier et al. (2004)

P1 ou 2 supD/G

Racine perforéesous le collet

M2 sup D Racinemésiovestibulaireperforée

P2 inf D Racine travaillée

Isturitz(Pyrénées-Atlantiques)

Aurignacienancien

Dent Racine perforée White et al. (2003)Henry-Gambier et al. (2004)

Tarté(Haute-Garonne)

Aurignacienancien

Dent Racine perforée White et al. (2003)

Abri Pataud(Dordogne)

Gravettienancien

C (inf D ?) Racine perforée Vercoutère (2004)

Les Vachons(Charente)

Gravettien M Racine rainurée Le Mort (1981)

Dolni Vestonice(République Tchèque)

Gravettien I Racine perforée Le Mort (1981, 1985)Vlcek (1992)

Saint-Germain-la-Rivière

(Gironde)

Magdaléniensupérieur

P2 sup D Racine perforée Le Mort (1981, 1985)

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5. Discussion

À ce jour, « aucune perforation intentionnelle de racine de dent n’a été signalée chez leshommes d’anatomie moderne du Paléolithique moyen ou chez les Néandertaliens » (Henry-Gambier et al., 2004 : p. 78).

La parure du Paléolithique supérieur européen compte très peu d’exemples de dents humainesaménagées (Tableau 2). Ces dernières ont toutes appartenues à des hommes d’anatomie moderneadultes. Leur mode de suspension correspond, le plus souvent, à une perforation, qui est le seulaménagement anthropique visible sur ces dents, à l’exception de la présence d’une gravure sur lamolaire de La Combe.

Que ce soit d’un point de vue morphologique ou technologique, rien ne différencie la denthumaine percée de Pataud des dents animales perforées découvertes dans le même niveaugravettien ancien. Si cet élément de parure avait une signification particulière, celle-ci est donc àrechercher uniquement dans la nature anthropique de son support. Le port de ce type particulierde pendeloque pourrait-il être rapproché d’une pratique funéraire ? Cette hypothèse a notammentété évoquée pour l’Aurignacien européen, période pour laquelle aucune sépulture primaire n’aencore été mise au jour (Henry-Gambier et al., 2004). S’il est vrai que le Gravettien ancien del’abri Pataud montre des similitudes avec l’Aurignacien du même gisement, et notamment pource qui concerne les éléments de parures (Vercoutère, 2004), nous ne disposons pasd’informations suffisantes pour démontrer la pratique de sépulture en deux temps. En effet,le niveau 5 de l’abri Pataud n’a livré que trois vestiges anthropiques : trois dents, dont la canineperforée qui a été découverte isolée parmi des restes fauniques.

Cependant, même si le statut exact de la dent humaine perforée du Gravettien ancien de l’abriPataud reste à établir, cet élément de parure a permis de révéler la pratique, par les occupants del’abri, de rituels particuliers autour de certains ossements humains.

Références

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Bricker, H.M., Mellars, P.A., 1987. Datations 14C de l’abri Pataud (Les Eyzies, Dordogne) par le procédé « accélérateur-spectromètre de masse ». L’Anthropologie 94, 227–234.

Ciffreo, J., 1998. Paléodémographie comparée de trois sites préhistoriques : la Caune de l’Arago (Tautavel, Pyrénéesorientales), la grotte de l’Hortus (Valfaunes, Hérault) et l’abri Pataud (Les Eyzies, Périgord, Dordogne). Mémoire deDEA, Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris.

Cilli, C., Giacobini, G., Guerreschi, A., Gurioli, F., 2006. L’industria e gli oggetti ornamentali in materia dura animaledell’epigravettiano di Riparo Tagliente (Verona). Atti XXXIX Riunione Scientifica, « Materie prime e scambi nellapreistoria italiana », éditions de l’Istituto Italiano di Preistoria e Protostoria, Florence, 843–854.

Farrand, W.R., 1995. Étude sédimentologique du remplissage de l’abri Pataud. In : Bricker, H.M., (Ed.), Le Paléolithiquesupérieur de l’abri Pataud (Dordogne) : les fouilles de H.L. Movius. Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme,Paris, Documents d’Archéologie Française 50, p. 31–65.

Henry-Gambier, D., Maureille, B., White, R., 2004. Vestiges humains des niveaux de l’Aurignacien ancien du site deBrassempouy (Landes). Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, n.s. 16, 49–87.

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cycle et atlas (éditions de l’auteur).Legoux, P., 1972. Étude odontologique des restes humains périgordiens et proto-magdaléniens de l’abri Pataud

(Dordogne). Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris 9, série XII, 293–330.Le Mort, F., 1981. Dégradations artificielles sur des os humains du Paléolithique. Thèse de 3e cycle, université Pierre et

Marie Curie, Paris VI, 2 tomes.Le Mort, F., 1985. Un exemple de modification intentionnelle : la dent humaine perforée de Saint-Germain-la-Rivière.

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