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Une approche philosophique de la ville numrique : mthodes
numriques et golocalisation Alberto Romele, Universidade do Porto
Marta Severo, Universit de Lille 3 Biographie Marta Severo est
matre de confrences lUniversit de Lille 3 (quipe Geriico) en
sciences de la communication et de linformation. Elle travaille sur
les thmes de la communication du territoire. Elle contribue au
dveloppement de nouvelles mthodes numriques pour tudier les donnes
internet concernant le territoire. Aprs un doctorat en gestion et
technologies de patrimoine culturel lEcole des Hautes Etudes IMT
Lucca, elle a t chercheuse post-doctorante Sciences Po Paris (2010)
et au Politecnico de Milan (2009). Pendant deux ans, elle a t
ingnieur de recherche pour le GIS CIST de Paris. Depuis 2012, elle
est responsable de laxe de recherche mdias et territoire du CIST.
Alberto Romele est chercheur postdoctoral en philosophie lUniversit
de Porto, boursier de la FCT (Fundao para a Cincia e a Tecnologia).
Ses recherches actuelles portent sur les interprtations
philosophiques du numrique. En particulier, il travaille sur
lapplication des thories hermneutiques au domaine de nouvelles
technologies. Aprs un doctorat en philosophie lUniversit de Vrone,
il a t boursier du Fonds Ricur de Paris (2011/2012) et chercheur
postdoctoral lUniversit de Vrone (2013). Rsum Ces dernires annes,
les nouvelles technologies ont chang profondment la vie de la
ville. Un des changements les plus rvolutionnaires concerne la
diffusion du numrique, et notamment du rseau Internet. Ce qui rend
ce changement particulirement intressant est le fait quil affecte
la fois la ville elle-mme et la faon de ltudier et de la grer. En
effet, lintrt des medias numriques est que toute interaction qui
les traverse laisse des traces qui peuvent tre facilement
enregistres et aisment traites travers de nouvelles mthodes
numriques. Cet article rflchit sur la valeur et lemploi des traces
numriques dans le contexte danalyses urbaines. En particulier, nous
nous interrogeons sur la relation que les mthodes numriques gnrent
entre le numrique et la ralit (sociale). Larticle est organis en
deux parties. Dans une premire partie thorique, nous
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aborderons le sujet du point de vue philosophique. Dans une
deuxime partie empirique, nous mettrons lpreuve notre pense travers
le cas pratique de la golocalisation. Abstract In recent years, new
technologies have profoundly affected the life of the city. One of
the most revolutionary changes concerns the widespread availability
of digital technologies, especially the Internet. This change is
particularly interesting insofar it has relevant consequences both
on the city itself and on its study and manages. Indeed, the
interest of digital media is that any interaction, which passes
through them, leaves a trace that can be easily stored and treated
with digital methods. This article reflects on the value and use of
digital traces in the context of urban analysis. In particular, we
investigate the relations that digital methods generate between the
digital and the (social) reality. The reflection will be developed
in two steps. Firstly, we will discuss the topic from a
philosophical point of view. Secondly, we will test our theoretical
insights through the practical case of geolocation. Introduction
Ces dernires annes, les nouvelles technologies ont chang
profondment la vie de la ville. Un des changements les plus
rvolutionnaires concerne la diffusion du numrique, et notamment du
rseau Internet. Ce qui rend ce changement particulirement
intressant est le fait quil affecte la fois la ville elle-mme et la
faon de ltudier et de la grer [Benkler, 2007]. En effet, lintrt des
medias numriques est que toute interaction qui les traverse laisse
des traces qui peuvent tre facilement enregistres, massivement
stockes et aisment rcupres [Rogers, 2009]. Cette traabilit
intrinsque aux mdias numriques promet, si elle contrle par une
mthodologie adquate, de fournir une source nouvelle de donnes pour
l'tude de la vie collective [Lazer et al, 2009]. Au cours de
dernires annes, un nouveau groupe de mthodes, appeles mthodes
numriques [Rogers, 2013a], a t dvelopp pour traiter ce type de
donnes. Ces mthodes ont t appliqu plusieurs terrains de recherche
et se sont montres trs adaptes aux tudes urbaines [Silva, 2012].
Cependant, au de l des enthousiasmes initiaux, lusage de ces
mthodes et en gnral des traces numriques aujourdhui sollicite
plusieurs questions thoriques et mthodologiques [Marres et
Weltevrede, 2013]. Cet article rflchit sur la valeur et lemploi des
traces numriques dans le contexte danalyses urbaines. En
particulier, nous nous interrogeons sur la relation que les mthodes
numriques gnrent entre le numrique et la ralit (sociale). Les tudes
urbaines sont un terrain idal. Le cas
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de la ville est de ce point de vue trs intressant parce que le
devenir numrique y est particulirement fort. Comme le dit Helen
Couclelis [2004], les villes numriques ne sont pas seulement une
phnomne d'ordre technologique et li aux donnes, mais sont une
construction qui est trs ancre dans l'idologie, la culture et les
processus sociaux. Ce n'est pas seulement un outil qui offre de
nouvelles possibilits de faire des choses, mais un mdium offrant
des types spcifiques d'exprience, un acteur social qui modifie le
discours urbain, et une idologie incarnant une vision particulire
de la socit urbaine. Ainsi quand on tudie un phnomne urbain travers
des traces que les acteurs lis ce phnomne ont laiss sur un blog ou
un rseau social, la question se pose de savoir si ce que lon tudie
a lieu uniquement dans lespace hors ligne de la ville? Ou bien
sommes-nous seulement en train dtudier la projection
technologiquement mdiatise du phnomne en ligne ? La question se
pose pour nous de savoir si cette distinction doit tre compltement
abandonne ? Larticle sera organis en deux parties. Dans une premire
partie thorique, nous aborderons le sujet du point de vue
philosophique. Aprs avoir prsent brivement les approches au rapport
entre technologie et monde quon considre les plus utiles pour notre
recherche, nous approfondirons les problmatiques lies aux mthodes
numriques. Nous nous appuierons en particulier sur la rflexion dj
mene par Noortje Marres et Esther Weltevrede [2013]. Enfin, nous
arriverons au contexte spcifique de la ville et lapplication de ces
mthodes dans les tudes urbaines. Dans une deuxime partie empirique,
nous mettrons lpreuve notre pense travers un cas pratique. Nous
avons choisi lexemple des analyses des golocalisations dans la
ville parce que ce phnomne se trouve exactement sur la frontire
entre en ligne et hors ligne et quil semble tre le processus le
plus intressant pour observer les problmatiques gnres par
lapplication des mthodes numriques. 1. Relations hermneutiques,
mthodes numriques et ville Ce qui se trouve en jeu dans les pages
suivantes nest pas tellement de nature ontologique mais plutt
pistmologique. Dans le cas de la ville, nous ne sommes pas intresss
donner les traits de son devenir numrique. Dans le cas dInternet,
nous nous ne soucierons pas de savoir quel genre despace nous avons
faire ni quel genre de diffrences il entretient avec le territoire
[Beaude, 2012]. Nous nous limiterons ici donner une dfinition
minimale, i.e. par dfaut (ou par excs, comme nous argumenterons) de
lurbain par rapport lespace numrique. Pour ce qui est de la
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philosophie, nous ne chercherons pas interroger le statut dune
pense de la technologie de la communication et de linformation
[Brey & Sraker, 2009] applique ces questions. Au contraire,
nous avons lintention de nous interroger philosophiquement1 sur la
potentialit et les limites des mthodes numriques pour les sciences
sociales dans la connaissance de la ville et de ses dynamiques.
Dans ce paragraphe, nous avancerons ainsi en trois tapes.
Premirement, nous montrerons les implications philosophiques dune
connaissance de la ralit technologiquement mdiatise. Deuximement,
aprs avoir dit quelque chose des mthodes numriques en gnral, nous
appliquerons ce domaine nos considrations philosophiques prcdentes.
Troisimement, nous introduirons la question pistmologique sur la
ville numrique qui sera envisage dans la partie empirique de cet
essai. a. Les relations hermneutiques Selon le philosophe amricain
Don Ihde [1990], le but dune phnomnologie de la technique est de
montrer les diffrentes relations technologiquement mdiatises entre
le sujet et son environnement. Bien entendu, la mdiation
technologique ne reprsente pas une forme drive de notre
tre-au-monde, comme sil y avait des intentionnalits primaires, dans
lesquelles le rapport avec les choses serait immdiat, et des
intentionnalits secondaires, pour lesquelles un instrument
deviendrait ncessaire. Comme il le dit Franois Sigaut, il est banal
aujourdhui dobserver que nous vivons dans un monde artificiel. Mais
cest une ralit ancienne, aussi ancienne que lhumanit elle-mme.
Lhomme ne sest jamais content du monde tel quil tait, ou plus
exactement, cest en apprenant ne pas sen contenter quil est devenu
ce quil est [2012 : 121]. Similairement, dans le sillage des
humanits numriques, Stphane Vial a rcemment dit que le temps des
appareils nest pas seulement celui de la modernit. Le temps des
appareils, cest celui de lhumanit. Nous vivons depuis toujours dans
une ralit augmente [2013 : 137]. En particulier, Don Ihde distingue
parmi trois relations Soi-Technologie-Monde : [1] [Soi-Technologie]
!Monde 1 Nous pensons ici la distinction entre philosophie et
sociologie de la connaissance propose par Luckmann et Berger : Le
philosophe [] est professionnellement oblig de ne rien considrer
comme vident, et dobtenir la plus grande clart possible en tant que
position fondamentale, sur ce que lhomme de la rue crot tre la
ralit et la connaissance . En dautres termes, le philosophe est
amen dcider quel endroit les guillemets sont leur juste place et
quel endroit ils peuvent tre omis, cest--dire faire la diffrence
entre les affirmations valides et non-valides concernant le monde.
Cela, le sociologue ne peut pas le faire. Logiquement, sinon
stylistiquement, il est condamn aux guillemets [Berger &
Luckmann, 2006 (1966) : 42-43].
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[2] Soi ! [Technologie-Monde] [3] Soi ! Technologie-[-Monde] La
premire relation, quil appelle incarne (embodied) , est exemplifie
par lutilisation dinstruments de (micro)perception tels que
lunettes, audioprothses, etc. La premire fois que nous mettons une
paire de lunette, par exemple, nous avons besoin dapporter des
petits ajustements, au niveau de raction au reflet, de petits
changements de motilit spatiale, etc. mais, une fois apprise , la
technologie devient quasiment transparente. A ce propos, Dominique
Boullier [2000] se concentre sur les microprocesseurs qui mettent
en crise la distinction entre humain et technique, intrieur et
extrieur. Trs prsente dans des nombreuses discussions sur le
post-humain, cette relation ne sera pourtant pas traite ici. La
troisime relation, quil dit d altrit (alterity) , trouve son
paradigme dans les jeux vido qui nous font interagir avec quelque
chose dautre par rapport nous, savoir le comptiteur technologique.
Nous laissons de ct ce genre de relations aussi, en se limitant
dire que le dbat se fait aujourdhui entre les pessimistes, selon
lesquels certaines machines ne font que simuler la capacit humaine
de faire du sens [Turkle, 2011], un peu comme certains perroquets
imitent notre langage2, et les optimistes, qui voient dans les mmes
machines des vrais (co)producteurs de sens [Latour, 2005 ; Floridi,
2010]3. La deuxime relation, laquelle nous nous intressons dans ce
contexte, est celle quIhde appelle hermneutique (hermeneutical) .
Le terme renvoie une branche de la philosophie qui soccupe des
problmes pistmologiques, existentiels et ontologiques ressortant de
linterprtation de textes au sens large4. Comme cest dj le cas des
relations incarnes, ce genre aussi a comme terme ultime la rfrence
au monde. Pourtant, dans les relations hermneutiques, lattention
perceptive et interprtative est primairement oriente vers la
technologie elle-mme, comme cest le cas dune carte gographique, qui
entretient encore un certain isomorphisme avec la chose signifie,
ou du thermomtre. En lisant la temprature extrieure, nous voulons
sans doute connatre quelque chose du monde, mais nous navons pas
forcement envie douvrir la fentre pour sentir sil fait froid ou
non. De mme, en lisant une carte gographique, nous avons bien
videmment lintention de
2 Cette comparaison nest pas sans raison : ce genre de
discussions se rassemble aux dbats parmi les stociens sur la
prsence chez les animaux dun verbe intrieur [Romele, paratre]. 3
Notoirement, laction-network theory (ANT) admet la prsence dactants
non-humains. Floridi, de son ct, observe que la plupart des
oprations qui regardent la production, le traitement et le stockage
de linformation advient de manire massivement automatise. Le
philosophe dorigine italienne parle alors de quatrime rvolution
[Floridi, 2014]. 4 Ihde lui-mme a propos ailleurs d tendre
lhermneutique au-del du model textuel au sens classique [Ihde,
1998].
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connatre quelque chose au del de la carte elle-mme mais nous
navons pas toujours la possibilit de nous rendre effectivement sur
place. La spcificit des relations hermneutiques nous semble encore
plus vidente l o la rfrence est pour quelque raison empche, comme
cest le cas dun pilote davion qui doit sorienter en conditions
atmosphriques difficiles ou dune centrale nuclaire dans laquelle
les techniciens ne peuvent pas accder directement la temprature du
racteur. Bien que la rfrence ne soit pas toujours ncessaire,
possible, souhaitable, etc., elle reste quand-mme la chose la plus
importante, comme il la dmontr laccident la centrale de Three Mile
Island ou les plusieurs accidents ariens dus au mauvais
fonctionnement des technologies disposition. b. Les mthodes
numriques Or, notre premire hypothse est que les mthodes numriques
sont prcisment des techniques qui tablissent des relations
hermneutiques avec certaines choses du monde. En deux sens, au
moins. Premirement, dans la mesure o, comme lhermneutique, elles
sintressent non pas linformation ou la communication en soi
[Floridi, 2010] mais se concentrent sur les traces (numriques)
[Jeanneret, 2011] que les pratiques informationnelles et
communicationnelles laissent travers les TIC (technologies de
linformation et de la communication), qui sont des machines
rtention tertiaire [Stiegler, 2001]. Nous reviendrons sur ce point
une autre occasion. Deuximement, car le chercheur en SHS (sciences
humaines et sociales), bien quintress la ralit (sociale), oriente
toute son attention sur la technologie qui mdiatise son rapport au
monde5. A partir de lide selon laquelle des phnomnes tels que la
rgionalisation du Web ont dtermin la fin du virtuel [Rogers, 2009],
i.e. ont fait sauter la distinction entre espace virtuel et rel,
les mthodes numriques se prsentent comme une srie de techniques
visant explorer les classes dinteractions en ligne en tant que
source valide pour la comprhension de la ralit (sociale) [Rogers,
2013]. La premire preuve du potentiel de ces mthodes a t fournie
par la clbre tude de Google sur les pidmies de grippe aux tats-Unis
[Ginsberg et al., 2009]. Les mthodes numriques sont appliques
aujourdhui avec succs dans plusieurs terrains de recherche, tels
que les tudes urbains et damnagement, de migration et des
mouvements sociaux, lanalyse des rseaux sociaux, des vnements
mdiatiques et des controverses. Nanmoins, le souci pour des
rsultats pratiques est
5 Une autre voie denvisager des questions semblables
consisterait prendre en considration la structure de
magnification/rduction des relations technologiquement mdiatises.
Selon Ihde, les technologies exaltent des traits du monde tout en
excluant des autres, et cest prcisment cette rduction qui est
souvent nglige. On trouve une description plus articule de la mme
structure chez Bruno Latour [2007 (1999) : 71-72].
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souvent all au dtriment des proccupations thoriques sur leurs
potentialits et limites ventuelles pour la connaissance de la ralit
(sociale). Rcemment, Noortje Marres et Esther Weltevrede se sont
intresses aux problmes lis au scraping, une opration technique
dextraction dinformation qui rentre dans le domaine du traitement
automatis des donnes. En parlant mtaphoriquement , elles disent, on
peut dire que le scraping structure la collection de donnes comme
dans un procs de distillation, ce qui implique la slection de
donnes formates partir dun ocan, relativement opaque et sous-dfini,
de matriaux disponibles en ligne [Marres & Weltevrede, 2012 :
5]. Le scraping ne peut pas tre considr comme une technique native
de la recherche en SHS et le but des chercheurs en SHS est alors de
le rcibler pour la comprhension de la ralit (sociale). Nous ne
sommes pas intresss ici la manire dont le scraping fonctionne
effectivement, mais au procs pistmologique dans lequel il sinsre,
que nous reprsentons travers le cercle (hermneutique ?) de la
figure 1.
Figure 1. Cercle [hermneutique ?] des mthodes numriques
Les deux autrices affirment que le problme majeur de cette
technique rside dans limpossibilit dtablir une frontire nette entre
le medium et son objet : Jusqu'o devons-nous aller en prenant les
outils en ligne en compte comme lments notables dans nos recherches
? Pouvons-nous les comprendre dans le cadre de notre mthodologie,
ou devrions-nous reconnatre qu'ils font partie de l'objet de notre
analyse? [Marres & Weltevrede, 2012 : 10]. Nous pouvons alors
dire que les mthodes numriques sont des techniques relation
hermneutique, dans la mesure o elles trouvent leur point aveugle ,
leur position dnigme
Environnement numrique (Plasma)
Donnes grattes (Distillation)
Reciblage des donnes grattes (Comprhension)
Ralit (sociale)
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comme le dit Don Ihde, au point du croisement entre la technique
et le monde6. En voulant regarder certaines choses du monde, les
chercheurs en SHS, travers les mthodes numriques, ne peuvent faire
autre chose quorienter leur attention sur le medium technique. Soit
dit en passant, nous ne voulons pas affirmer ainsi que nous sommes
en face un cas particulier de se porter vers le monde car, comme
nous venons de le dire, toute intentionnalit passe par des
mdiations techniques, commencer par le langage et lcriture. Plutt,
nous pensons aux mthodes numriques comme un cas paradigmatique de
relations hermneutiques, qui ont porte universelle. Dans la
tentative de donner une premire rponse ces limites des mthodes
numriques, Marres et Weltevrede affirment quil faudrait se rfrer
lide, ressortant des tudes en STS (sciences, technologies et
socit), selon laquelle, si nous abordons la recherche du point de
vue de son quipement, certaines distinctions habituelles deviennent
vraiment difficiles soutenir, comme celles entre les techniques,
les mthodes et les objets de recherche. En dautres termes, il faut
accepter une certaine fluidit de la distinction entre la technique,
la mthode et lobjet et, nous ajoutons, la quasi-disparition de ce
dernier. De cette manire, les deux autrices sapprochent de
certaines thses de Bruno Latour, qui parle dune thorie
quasi-promthenne de laction [Latour, 2008], ou encore de Peter
Sloterdijk, selon lequel lhomme est le seul designer de soi-mme et
des mondes/sphres quil habite [Sloterdijk, 2004]. Ce nest pas un
hasard, dailleurs, si Latour se montre plusieurs reprises un
partisan enthousiaste des mthodes numriques pour les sciences
sociales [Venturini & Latour, 2010] ou sil refuse une approche
seulement reprsentationiste mimtique des cartes gographiques
[November et al, 2010] c. La ville Face la difficult de dterminer
les frontires entre techniques, mthodes et objets dans ce domaine,
deux voies soffrent nous. La premire consiste tout simplement nier
la possibilit de cette distinction, soit selon un approche
optimiste, soit selon un approche pessimiste par rapport au
potentiel des mthodes numriques. Dans la deuxime, par contre, il
sagit d expliquer plus, pour comprendre mieux , selon la fameuse
devise du philosophe Paul Ricur. Marres et Weltevrede choisissent
prcisment cette dernire, en refusant dattribuer lindcidabilit entre
technique,
6 Nous appliquons ici une sorte de principe de charit face au
discours de Marres et Weltevrede. En effet, nous pourrions nous
demander si ce quelles envisagent cest dj quelque chose du monde
comme nous admettons dans ce contexte ou si, en ralit, elles
soccupent seulement du plasma numrique, sans se demander dans
quelle mesure ceci cest une reprsentation de la ralit (sociale).
Dans ce deuxime cas, nous serions devant ce quEmmanuel Souchier
[2013] appelle une divination du monde . La philosophie aurait
alors la fonction qui lui attribuent Berger et Luckmann, i.e. de
dcider quel endroit les guillemets sont leur juste place et quel
endroit ils peuvent tre omis et trouverait ainsi son rle spcifique
dans la redistribution des mthodes (ou des comptences) dont Marres
[2012] parle ailleurs.
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mthode et objet la rponse ultime leur problmatique. En
particulier, elles suggrent de transformer cette faiblesse en
vertu, en mettant prcisment la question de la rfrence, parmi
dautres, au centre du dbat sur les mthodes numriques. Cest
prcisment cette voie longue que nous nous apprtons parcourir avec
la question de la ville. En particulier, notre deuxime hypothse est
que ltude des ralits urbaines travers les mthodes numriques
appliques des instruments tels que la golocalisation souffre, avec
une vidence tout fait particulire, de la mme limite qui caractrise
toutes relations hermneutiques. Avant denvisager cette question
pistmologique, qui sera dveloppe dans la deuxime partie de notre
essai, nous devons toutefois prendre une position ontologique
minimale sur la nature de lurbain et sa spcificit par rapport
lespace de Internet. Autrement dit, lurbain jouera dans ce contexte
le rle de concept-limite pour la comprhension numrique, selon ce
que Eco appelait dun point de vue pragmatiste les limites de
linterprtation [Eco, 1990]. La ville et le numrique ont sans doute
quelque chose en commun. Depuis la nuit des temps , le sociologue
Antonio A. Casilli crit que les hommes ont amnag leurs territoires
afin de les faire ressembler un espace de beaut, de confort,
defficacit. Linvention de lespace numrique serait dun certain point
de vue une forme originale de cette mme volont [Casilli 2010 : 66].
Selon Boris Beaude, qui reprend certains intuitions de Jaques Lvy
[1994], la ville et Internet naissent pour donner une rponse au mme
problme : la distance. Et pourtant, ils le font de manire
diffrente. Localisation et communication sont les deux grands
moyens pour grer la distance. Internet se place clairement du ct de
la communication, tandis que la ville avoir avec les deux.
Localiser notre rsidence, une cole, notre travail, etc., sont des
actes qui engagent beaucoup de temps. En outre, localiser renvoie
ncessairement encore au communiquer, dans la mesure o il suppose de
prendre en compte des aspects tels que les infrastructures et
loffre de transport. A bien y regarder, la cooptition la plus
puissante nest pas tellement entre la localisation et la
communication, mais entre deux formes de communication, le
dplacement et la transmission. La premire consiste dplacer la
matire, tandis que la deuxime regarde la transmission de
linformation. La premire aurait lexclusivit de la communication des
corps et des objets, tandis que la deuxime aurait lavantage de la
vitesse en labsence de masse [Beaude, 2012 : 37]. Dans la
perspective de Beaude, il faut reconnatre que la transmission nest
pas une alternative appauvrie du dplacement, mais une option qui
prsente des avantages qui lui sont propres. La qualit de lune ou de
lautre ne peut tre apprcie quau regard dune question spcifique : Un
courriel peut tre impropre la communication de bananes, mais
parfait pour confirmer lheure et le lieu dun rendez-vous. Skype
peut contrarier les amants qui souhaitent senlacer, mais apaiser
ceux qui, loigns, y trouvent un rconfort que le dplacement ne
permet [sic] pas [Beaude, 2012 : 37-38].
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Or, le souci de lauteur est ici celui de dfendre lespace
dInternet du matrialisme qui confond rel et matriel, espace et
territoire [Beaude, 2012 : 14] ou encore du paradigme territorial
dominant [Beaude, 2012 : 41]7. Comme il le dit, le territoire est
un espace qui se distingue pour sa mtrique particulire, i.e.
topographique. Cest lui aussi un espace, mais dont la relationalit
relve de la contigut et non pas de la connexit. Dans notre
perspective, au contraire, nous utilisons les mmes considrations
pour nous interroger sur la spcificit du territoire urbain face au
[post]structuralisme dominant dans les humanits numriques.
Autrement dit, si nous admettons que lespace dInternet diffre de la
ville qui, parmi les territoires, comme nous venons de le dire, est
la plus proche au numrique (en ce qui concerne son approche la
distance), alors nous pouvons nous demander aussi, en paraphrasant
Pascal, si la ville a ses raisons que la raison numrique ne connat
point . 2. La golocalisation dans la ville Nous intressons prsent
au cas des traces numriques gorfrences. Ce qui rend ce type de
traces intressant pour notre recherche est le fait quelles se
trouvent sur la frontire entre en ligne et hors ligne, ces traces
tant spatialement [et temporellement] situes. En effet, elles sont
des indices privilgis pour la comprhension de certains aspects de
la ralit (sociale). Dans la ville la golocalisation de certaines
informations en ligne est de plus en plus prsente et la numrisation
du territoire massive. Il sagit de la base hautement urbaine de
lutilisation de Internet dont il parlait ngativement Matthew A.
Zook [2001]. Comme dans le paragraphe prcdent, nos analyses seront
conduites en trois tapes. Premirement, nous dirons quelque chose
autour de ce type particulier et rcent de trace en ligne. Nous
montrerons ensuite pour quelle raison la gorfrenciation des traces
numriques reprsente un phnomne particulirement attractif pour les
chercheurs en SHS qui font recours aux mthodes numriques.
Troisimement, nous avancerons nos doutes face la possibilit de
connatre de manire approfondie la ville travers les mthodes
numriques appliques aux donnes en ligne gorfrences. Comme dans le
cas de Marres et Weltevrede, notre intention nest pas tout
simplement dconstructive ou, encore pire, destructive. Nous avons,
au contraire lintention de transformer cette limite en opportunit
pour penser de plus,
7 Il sagit dune affirmation tout fait trange, sinon du point de
vue philosophique la renonce certaines exagrations du linguistic
turn remonte aux annes 1990 , du moi du point de vue des SHS au
sens large, o cest encore le paradigme (post)structuraliste tre
notre avis dominant. Pour une approche diffrente, nous renvoyons au
travail de Emmanouil Tranos [2013].
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voir autrement, le potentiel de la comprhension numrique de la
ville et, plus gnralement, de la ralit (sociale). a. Les traces
numriques gorfrences Quand on laisse un message sur Twitter avec
notre portable, [si le senseur GPS est activ] le message sera
associ notre position gographique, cest dire aux coordonnes
gographiques du lieu dont on a envoy le message. De nombreuses
plateformes offrent aujourdhui la possibilit de faire une
dclaration de position gographique, cest dire de lier notre action
dans lespace numrique un point dans lespace physique travers
lattribution volontaire ou involontaire (gnre en manire automatique
par la plateforme quon utilise) de coordonnes gographiques. La
dclaration de position peut tre faite dans deux contextes daction
diffrents. Le cas le plus commun est la dclaration ou partage de
notre golocalisation, cest dire notre position dans lespace.
Lexemple typique est le check-in sur Facebook ou sur dautres rseaux
sociaux. Quand on arrive dans un restaurant ou quand on atterrisse
la rentre de vacances, pour plusieurs le premier reflet est de
partager leur position gographique avec leur contacts en ligne pour
faire leur savoir quils sont en train de profiter dun bon diner ou
quils sont bien rentrs. Un autre cas consiste lier un contenu (un
texte, une photo, une vido, etc.) quon est en train de publier sur
la Toile une position dans lespace gographique concernant un
restaurant ou un htel sur une plateforme de conseil touristique ou
de conseil du quartier, ou encore en participant des initiatives de
net activisme en signalant des abus prcis [Severo et al., 2011], en
signalant une problme urbain en contribuant une plateforme de
cartographie participative de notre ville. Un exemple intressant
encore est lapplication smartphone Dans-Ma-Rue , lance rcemment
Paris, qui reprend le model anglais de FixMyStreet. A travers ce
dispositif, les usages peuvent signaler des anomalies constates sur
lespace public (objets abandonns, malpropret, tags, etc.), que la
mairie pourra grer plus facilement. Dans les deux cas, travers ces
actions, on produit des traces prcieuses pour le chercheur en
amnagement ou pour le dcideur public qui pourra trouver des
informations ponctuelles sur le territoire quil tudie et/ou gre. b.
Les mthodes numriques et les traces numriques gorfrences Les
mthodes numriques ont trouv dans ces nouvelles donnes un matriau
trs riche. Non seulement linformation golocalise fournit une
rfrence apparemment indiscutable entre le
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numrique et la ralit (sociale), mais galement elle rend la donne
(sociale) beaucoup plus riche et prcise en permettant dobserver le
dveloppement de phnomnes collectifs dans lespace. Pour ce lien
troit entre espace numrique et lieu physique, lanalyse des donnes
golocalises travers les mthodes numriques est devenue de plus en
plus populaire non seulement dans le contexte acadmique, mais aussi
dans les usages dautres acteurs publics et privs. Dans le
paragraphe suivant, nous prsenterons les usages de Twitter lis au
catastrophes, mais on peut mentionner nombreux dautres exemples
intressants. La plupart de travaux se sont concentrs sur lanalyse
du partage de localisation sur les rseaux sociaux en ligne [Nan et
Gauling, 2010] et encore plus sur Location-based Online Social
Network services, cest dire de plateformes de rseautage social
comme Foursquare et Gowalla [ferm en 2012] dont le but principal
est le partage de spots , localisations favorites [Berjani et
Strufe, 2011], et ensuite sur Facebook Places, qui a t rcemment
intgre Facebook. Les chercheurs ont utilis les donnes gorfrences
disponibles sur ces plateformes pour tudier les distances sociales
[Scellato et al., 2010], la structuration des communauts [Wang et
al., 2012], le dveloppement de commerces et nombreux autres aspects
lis ltude social et conomique de lespace. Et plusieurs se sont
intresss aux espaces urbains (o ces donnes sont videmment plus
abondantes) et notamment sur les mcanismes de recommandation et
didentification de points dintrt (urban Points-Of-Interest POI en
anglais) en cherchant voir quels facteurs sociaux, environnementaux
et techniques influencent le choix du point de check-in [voire par
exemple Ying et al, 2012, figure 2].
Figure 2. Rseau social bas sur la localisation [Ying et al.,
2012 : 1]
Ces types dtudes ont port sur la diffusion du concept de urban
computing propos par Zheng et al. [2011], selon lequel chaque
appareil, personne, vhicule, btiment, et de la rue dans la zone
urbaine peut tre un capteur permettant de comprendre la dynamique
de la ville [Yuan et al., 2012].
-
Cependant, bien que les mthodes numriques bases sur lanalyse des
golocalisations aient t beaucoup utilises dans les tudes urbaines,
rarement lenquteur a soulev le problme du sens des rsultats quil
obtient en analysant ces traces grce ces mthodes et notamment la
question du rapport entre ces rsultats et la ville. Il convient
selon nous de rflchir ce que le chercheur en SHS peut vraiment
tirer de ces traces et quelle valeur leur attribuer. Peut-il faire
ainsi merger de nouvelles gographies susceptibles denrichir les
tudes urbaines classiques ? Ou plutt doit-il se mfier du mcanisme
parfois problmatique de la golocalisation ? Autrement dit, dans
quelle mesure le chercheur en SHS peut-il prendre en compte la
technologie qui le rend disponible tout le modifiant? Cest
prcisment ce genre de questions que nous allons soulever dans le
paragraphe suivant. b. La ville numriquement comprise A bien y
regarder, on peut identifier deux couches de complexit dans nos
rflexions sur la golocalisation. Avant darriver aux problmes gnrs
par lapplication des mthodes numriques, il est important en effet
de rflchir sur les limites ventuellement lies lopration de
golocalisation en elle-mme. A ce propos, Alain Mille rcemment
propos de distinguer entre lempreinte, i.e. linscription de quelque
chose dans lenvironnement informatique au temps du processus, et la
trace numrique en tant quobservation savante dune srie dempreintes
[Mille, 2013]. Il faut dabord sinterroger alors sur les problmes
lis aux intentions de lutilisateur . Lexpression renvoie videmment
la notion, clbre parmi les hermneutes, des intentions de lauteur et
nous conduit reprendre le questionnement qui lui est attach ? Mme
si lon doit reconnatre tout lintrt de la monte en puissance
lamatorat [Flichy, 2010] grce au numrique et tout lintrt de
labondance des traces quil peut produire, on doit aussi reconnatre
que la trace en elle-mme nous donne rarement des informations sur
le point de vue de lutilisateur qui laisse la trace et quelle est
la signification quil est en train de donner son action. Est-il en
train dentreprendre une action dans lespace physique ou numrique ?
De plus, la golocalisation sur une plateforme du Web 2.0 peut tre
une action volontaire mais souvent elle est le rsultat dun artefact
technologique : la plateforme rcupre en automatique la position GPS
de la personne qui envoie un message sans quelle sen rend compte,
ou, dans le cas dune photo, les coordonnes gographiques peuvent tre
attribues directement par lappareil photo qui a t utilis, ou,
action encore plus violente , la plateforme peut convertir le nom
dune
-
localit (par exemple Paris ) dans une longitude et latitude
prcises (les coordonnes de Notre de Dame). Cela est par exemple le
cas de Whatsapp qui permet de partager une localisation.
Lapplication propose de partager la position exacte, mais elle
propose surtout un cran rempli d'une liste des lieux proximit que
vous pouvez slectionner. Lorsque vous partagez un nom de lieu, un
lien spcial sera envoy votre destinataire avec des informations
supplmentaires sur le lieu, en utilisant les donnes fournies par
Google ou Foursquare. Cela signifie que la rfrence lespace de la
ville gnre par laction de golocalisation dune personne ne peut plus
tre considre comme une information sre et prcise sur laction de
cette personne dans lespace de la ville comme cela pouvait sembler
tre le cas premire vue. Par exemple, si sur Whatsapp, une personne
choisit rapidement le premier lieu proximit propos, cela ne
signifie pas ncessairement que la personne est dans ce lieu ou quil
sidentifie avec ce lieu. De manire similaire, si un utilisateur
veut ajouter une critique dune attraction sur Tripadvisor [un site
de conseil et rservation touristique], et sil veut donner une
information lchelle de la ville en spcifiant seulement le nom, la
plateforme le forcera choisir une attraction prcise qui sera lie un
point gographique gnr par le systme informatique [par exemple sil
choisit Paris Bus le pointeur sera localis aux dbut des
Champs-Elyses]. Cependant, il est fortement probable quil ne
voulait pas forcement se rfrer ce point gographique ou, mme sil
voulait choisir un point spcifique, il est possible que la
plateforme na pas lui permit de choisir exactement la position quil
aurait voulu, mais elle la forc slectionner un des points dj
rfrencs proche lui. Aprs avoir prsente la complexit qui est cache
dans lopration technique de la golocalisation, on peut maintenant
ajouter le deuxime niveau li laction des mthodes numriques. A titre
dexemple, on peut prendre une des mthodes les plus rpandues, la
cartographie des localisations collectes sur de sites de microblog
(notamment Twitter). Twitter est en gnral un des terrains o les
golocalisations sont les plus exploites. Cela est du principalement
la facilit dextraction et traitement de ces donnes. Les tweets, en
tant publics, ne posent pas de problmes de droit la vie prive comme
les donnes Facebook. En outre, ils sont un contenu simple o le
sujet est clairement identifiable grce aux hashtag et la
golocalisation est une donne fiable et facile extraire. Cette
mthode a trouv un succs particulier dans ltude des dsastres
naturels [Murthy, 2013]. En effet, le succs de Twitter pendant un
tsunami ou un tremblement de terre joue aujourdhui un rle crucial
pour la couverture mdiatique de ces vnements et pour lorganisation
des secours. Si ce phnomne peut sembler surprenant en considrant
que les conditions extrmes lies aux dsastres provoquent gnralement
des problmes de connexion au rseau, il est encore plus intriguant
de noter que normalement beaucoup de nouveaux comptes sont crs dans
ces situations. Cependant,
-
Murthy [2013], dans son analyse, souligne que les tweets ne
portent pas beaucoup plus dinformation que dautres sources
dinformations plus classiques (comme par exemple les images
satellitaires) sur lvolution du dsastre, mais ce qui est intressant
est que ces donnes garantissent une couverture totale dvnement en
temps rel. Plusieurs chercheurs ont essay transposer cette mthode
lanalyse de contextes ordinaires et, entre autres, ltude de la
ville. Mme sil ne faut pas oublier les nombreux travaux qui
soulignent les limites de couverture gographique et sociale des
tudes bases sur Twitter8, on considre que cette plateforme peut tre
un capteur efficace des phnomnes qui ont lieu dans les zones
urbaines [Hetch et Stepens, 2014]. Un exemple intressant est ltude
de Wakamiya et al. [2011] qui ont identifi des rgularits des villes
sur la base de lactivit Twitter golocalise dans ces villes. En
mesurant la quantit des tweets envoys dans les diffrents moments de
la journe, ils arrivent construire une typologie des zones urbaines
(ville dortoir, ville bureau, ville nocturne, ville
multifonctionnelle, voire figure 3).
Figure 3. Processus de caractrisation des villes [Wakamiya et
al., 2011 : 4]
8 On est daccord notamment avec Dhiraj Murthy [2013] sur le fait
quon nassiste pas vraiment un largissement du village global de
Marshall McLuhan, comme avait prvu en manire optimiste Tee Morris
[2009], mais plutt laffirmation dun global marketvillage , fond sur
les gros groupes commerciaux comme Facebook, Google et Twitter.
-
Il est intressant de remarquer que cette technique dfinit limage
de la ville simplement sur la base de certaines activits de foule
(crowd activities en anglais) forcment rductrices. En effet, tant
quon considre des contextes exceptionnels comme les dsastres ou
dautres contextes ordinaires comme la vie quotidienne de la ville,
Twitter permet de relever et dinterprter seulement les pics
dactivits et non les vides qui sont galement une partie importante
dun phnomne. Ltude de Wakamiya et al., [2011] est alors
particulirement utile pour notre argumentation parce que, si dans
les intentions de ses auteurs, il met bien en vidence toute la
puissance des mthodes numriques pour les tudes urbaines, les
reprsentations urbaines obtenues quoique efficaces sont partielles.
Comme le disait le philosophe Walter Benjamin, la ville ne peut pas
tre comprise seulement comme objet dinvestigation sociologique.
Elle est dabord, pensait-il un lieu doppression et de souffrance,
et cest pour cette raison quil voyait dans les outsiders, dont
flneur est une sorte de prototype, les acteurs principaux dune
rdemption urbaine profane [Simay, 2011: 73]. Conclusion Notre
posture partiellement critique face au potentiel du numrique et,
plus prcisment, du numrique gorfrenc, pour la connaissance et la
construction des lieux urbains, nest pas isole loin de l. Selon
Serge Wachter, la ville, les lieux et les morphologies qui la
composent nenregistrent que des changements mineurs face au
numrique et ils ne sont pas vraiment touchs par les pousses de la
socit de linformation [Wachter, 2010 : 17]. Llasticit dune ville,
il observe-t-il, est trs infrieure 1 . Pour cette raison, Nicolas
Nova crit que lespace numrique offre seulement une reprsentation
partielle du territoire. Toute carte, comment lenseigne De la
rigueur de la science de Jorge Luis Borges et comme la montr
Umberto Eco en appliquant ce bref rcit le paradoxe de Russel [Eco,
1992] ne peut qutre une simplification de la ralit [Nova, 2009 :
149]. Le mme auteur se demande alors : Comment reprsenter ce qui
nest pas enregistrable ? Comment, galement, cartographier limprvu ?
Comment prendre en compte les imperfections qui feront disparatre
de la carte les capteurs abims, en panne ou volontairement dtruits
? [Nova, 2009 : 150]. Similairement, Eric Gordon et Adriana de
Souza e Silva affirment que, en croyant de contrler le monde
travers les cartes et les supports de golocalisation, nous
finissons pour le perdre : le monde cest trop avec nous (the world
is too much with us) , cest leur devise [Gordon et de Souza e
Silva, 2011 : 37].
-
De mme, ne sommes nous pas les seuls souligner les limites des
analyses des phenomenes sociaux travers les mthodes numriques
appliques aux plateformes de rseautage social tels que Twitter. Dj
Richard Rogers [2013b], un des chercheurs qui plus ont contribu au
dveloppement et la promotion des mthodes numriques, a rcemment mis
en avant le besoin de dbanaliser le recours Twitter. Notre
intention toutefois tait de relancer en manire positive ce
questionnement. En reprenant ce quil a dit lhistorien Carlo
Ginzburg propos de ses collgues, nous croyons que les chercheurs en
SHS qui utilisent les mthodes numriques risquent de confondre la
documentation quils connaissent avec la documentation disponible,
la documentation disponible avec la documentation qui a t produite,
et cette dernire avec la ralit sociale qui la produite [Ginzburg,
2007 : 42]. Pourtant, ce que nous avons nomm le point aveugle au
croisement entre la chose et le medium technologique est notre avis
un aspect indpassable de nos attitudes, naves ou savantes, envers
le monde. En somme, rejeter les puissances du numrique face la
connaissance et la construction de la ralit (sociale), sous le
prtexte de lexistence dun mythe de la trace [Casati, 2013], serait
un peu comme jeter le bb avec leau du bain. Il sagit plutt de
mettre le point aveugle du numrique au centre du dbat et de ne pas
le negliger dans le cadre des applications empiriques des mthodes
numriques. Comme nous lavons vu, lemploi de ces mthodes est srement
profitable pour les tudes urbaines et il peut ltre encore plus si
accompagn par une reflexion sur leur sens en rapport la ralit
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