UN PEU DHISTOIRE...
Madame du Chtelet, Gabrielle-milie Le Tonnelier de Breteuil
Jean-Nol Terry
Rsum : Madame du Chtelet (1706-1749) traduit les Principia de
Newton en franais et Mary Somerville (1780-1872) traduit la
Mcanique cleste de Laplace en anglais. Les deux annoteront et
referont les calculs. 5 ans de travail pour la premire, 4 pour la
seconde Nest-il pas temps de rappeler ce que la science doit
certaines femmes ?
tant thoriquement responsable de la rubrique Lecture pour la
Marquise , je me devais de parler de celle dont le nom est
indissociable de celui de Clairaut.
Une biographie, au fil de la chro-nologie milie nat Paris, le 17
dcembre 1706. Elle est la fille de Louis Nicolas Le Tonnelier,
baron de Breteuil, qui tait introducteur des ambassadeurs de Louis
XIV et de sa seconde pouse Gabrielle Anne de Froulay. Cinquime de
six enfants, elle seule et deux frres survcurent. Elle sentendit
particulirement avec son frre abb, qui vint souvent Cirey.
Elle manifeste trs tt le got pour ltude, et
elle a la chance davoir un milieu porteur. Son pre linstruit,
fait rare pour une fille lpoque, comme ses deux frres. Elle apprend
le latin, le grec et lallemand au lieu dentrer au couvent ! Elle
aurait commenc une traduction de Virgile. Elle lit Fontenelle qui
est un cartsien. Il faut patienter avant de voir milie rencontrer
les ides de Newton, Neuton comme on dit lpoque.
Elle joue du clavecin, pratique le chant et la
danse. Elle apprend monter cheval et pratique la gymnastique. On
la dit dune beaut moyenne, mais ayant de grands yeux
expressifs.
Madame du Chtelet : peinture par Marianne Loir (~1713- aprs
1779), portrait vers 1745. Marianne Loir tait mule de Nattier, qui
avait dj fait un portrait de Madame du Chtelet.
6 CC n116 hiver 2006
UN PEU DHISTOIRE...
Madame du Chtelet,
Gabrielle-milie Le Tonnelier de Breteuil
Jean-Nol Terry
Rsum : Madame du Chtelet (1706-1749) traduit les Principia de
Newton en franais et Mary Somerville (1780-1872) traduit la
Mcanique cleste de Laplace en anglais. Les deux annoteront et
referont les calculs. 5 ans de travail pour la premire, 4 pour la
seconde Nest-il pas temps de rappeler ce que la science doit
certaines femmes?
tant thoriquement responsable de la rubrique Lecture pour la
Marquise, je me devais de parler de celle dont le nom est
indissociable de celui de Clairaut.
Une biographie, au fil de la chro-nologie
milie nat Paris, le 17 dcembre 1706. Elle est la fille de Louis
Nicolas Le Tonnelier, baron de Breteuil, qui tait introducteur des
ambassadeurs de Louis XIV et de sa seconde pouse Gabrielle Anne de
Froulay. Cinquime de six enfants, elle seule et deux frres
survcurent. Elle sentendit particulirement avec son frre abb, qui
vint souvent Cirey.
Elle manifeste trs tt le got pour ltude, et elle a la chance
davoir un milieu porteur. Son pre linstruit, fait rare pour une
fille lpoque, comme ses deux frres. Elle apprend le latin, le grec
et lallemand au lieu dentrer au couvent! Elle aurait commenc une
traduction de Virgile. Elle lit Fontenelle qui est un cartsien. Il
faut patienter avant de voir milie rencontrer les ides de Newton,
Neuton comme on dit lpoque.
Elle joue du clavecin, pratique le chant et la danse. Elle
apprend monter cheval et pratique la gymnastique. On la dit dune
beaut moyenne, mais ayant de grands yeux expressifs.
Madame du Chtelet: peinture par Marianne Loir (~1713- aprs
1779), portrait vers 1745. Marianne Loir tait mule de Nattier, qui
avait dj fait un portrait de Madame du Chtelet.
Elle ne ddaigne pas les plaisirs de la vie, collectionnant
robes, chaussures, bijoux, porcelaines, got pour le maquillage,
influenc peut-tre par sa visite la cour de Versailles en 1722.
Paris, son pre reoit Fontenelle, qui lui donnera des leons de
sciences. Le baron de Breteuil recevait aussi Voltaire, et
partageait ses ides. En particulier celles portes par dipe, uvre
qui est un rquisitoire contre les dieux, et qui influena
certainement la jeune milie qui ne savait pas que son destin
rencontrerait celui de lauteur
1725
Le 20juin 1725, elle est marie au marquis Florent Claude du
Chtelet. Mariage arrang comme souvent. Il est militaire, passionn
de chasse; elle aime la socit, les salons et la vie de cour. Elle a
19 ans, il en a 30. Son poux tant gouverneur de Semur-en-Auxois,
elle y sjourne et y rencontre le mathmaticien Mzires.
Elle eut 3 enfants de son mari. Une fille le 30 janvier 1726,
Gabrielle Pauline, qui pousera un prince italien, un garon le 20
novembre 1727, Florent Louis Marie, qui sera guillotin en 1794, et
un autre garon, Victor Esprit, en 1733, qui dcdera en aot 1734.
1728
Le 24 mars son pre dcde en son htel des Tuileries. milie en est
trs affecte, sa mre se retire au chteau du Buisson Crteil o elle
mourut en 1740. milie ntait pas trs proche de sa mre. Lorsquelle se
rend son chevet en septembre 1735, pour cause de maladie, elle crit
Maupertuis: Le devoir ma fait faire cinquante lieues en poste sans
me coucher Elle est heureusement hors daffaire. Je men retournerai
de mme ds que le quatorzime jour de la maladie sera pass.
1730
Elle a 24 ans, elle prend pour amant le duc de Richelieu,
amateur de littrature et de philosophie, qui trouve en milie du
rpondant. Cela dure un an et demi. Il lencourage prendre des leons
de mathmatiques.
1732
Moreau de Maupertuis, membre de lAcadmie des Sciences, lui
enseigne la gomtrie et elle devient sa matresse.
Maupertuis est astronome et physicien. En 1732, il rdige
Discours sur les diffrentes figures des astres. Une exposition
abrge des systmes de M. Descartes et de M. Newton o il prsente en
franais les ides de Newton. Car il faut avouer que jusquici lon na
pu encore accorder, dune manire satisfaisante, les Tourbillons avec
les phnomnes. Donc au-del dune certaine prudence, un engagement du
ct de Newton il devra partir en expdition en Laponie pour prouver
aux cartsiens que la Terre est aplatie aux ples. milie fut donc,
ici, forme dans lesprit newtonien.
Elle ne peut assister aux sances de lAcadmie du mercredi, car
cest une femme. De mme pour les rencontres entre scientifiques et
philosophes du caf Gradot. Elle se fait faire des habits dhomme et
sinstalle la table de Maupertuis. Personne nest dupe, mais elle est
accepte!
1733
En janvier Monsieur du Chtelet rejoint son rgiment pour la
guerre de succession de Pologne.
milie rencontre alors Voltaire chez la marquise de Saint-Pierre.
Ce dernier vient de publier en Angleterre les Lettres
philosophiques qui lui vaudront de fuir Paris prcipitamment.
Ils vont ensemble lopra, au thtre et aux audiences royales sans
soccuper des rgles de biensance!
1734
Lettre Maupertuis, le dimanche janvier 1734: Mon fils est mort
cette nuit; jen suis profondment afflige; je ne sortirai point,
comme vous croyez bien. Si vous voulez venir me consoler, vous me
trouverez seule: jai fait dfendre ma porte; mais il ny a point de
temps o je ne trouve un plaisir extrme vous voir.
Toujours en janvier 1734: Jai pass la soire avec des binmes et
des trinmes.
1735
Elle accueille Voltaire chez elle, Cirey-sur-Blaise en
Haute-Marne. milie veillera sur Voltaire, lui vitant dcrire
lirrparable, se dmenant pour plaider sa cause auprs des personnes
influentes. Voltaire avait envisag de rester en Angleterre: Lamiti
seule ma fait entirement changer de rsolution, et ma rendu ce
pays-ci (la France) plus cher que je ne lesprais. Quaurait crit
Voltaire dAngleterre?
Cirey est un refuge o ils vont vivre 4 ans dtude, de promenade,
en recevant les chtelains du voisinage. Voltaire la pousse traduire
Newton et penser par elle-mme.
Il avait dcouvert Newton Londres, il avait assist aux funrailles
du savant, et avait t frapp de sa renomme. Il contacta alors
Maupertuis, La Condamine, Clairaut. Maupertuis avait crit en 1732,
un Discours sur les figures des astres o il prsentait les ides de
Descartes et de Newton.
Cette anne-l, milie reoit aussi Francesco Algarotti,
scientifique italien, qui rdige Le Newtonianisme pour les dames.
Ses entretiens avec Voltaire et milie servent de base une
vulgarisation de la thorie de la lumire qumilie trouvera trop lgre,
d'autant plus que louvrage ne lui est pas ddicac. On la voit
cependant sur le frontispice en conversation avec Algarotti qui
crivit Les attraits de la Marquise minvitaient parler dautres
choses que de Philosophie.
On tudie beaucoup, il y a deux repas par jour signals par le
tintement dune cloche (le chteau est grand), le soir on lit, on
discute des lectures ou on sadonne au thtre.
Voltaire a de largent, il paie des rnovations au chteau. Il fait
mme ajouter une aile avec terrasse et dessinera un jardin!
Le soir on joue souvent une pice de thtre, milie chante des airs
dopra, elle travaille une partie de la nuit. Elle dort peu, 3 ou 4
heures par nuit!
Cirey
1737
Ds cette anne-l le matriel scientifique senrichit. Il y avait
dj, dans une pice de lancien chteau, une pice obscure pour les
expriences doptique. Une galerie contenait des appareils de
physique. On achte quatre miroirs concaves, un grand miroir ardent
convexe des deux cts, un baromtre, deux thermomtres, des terrines
rsistant au feu le plus violent, des creusets
Le 15 aot 1737, Maupertuis rentre Paris, aprs son expdition pour
mesurer laplatissement de la terre aux ples. Il se heurte
lopposition de lAcadmie et des cartsiens: Cassini, Mairan, Raumur,
Fontenelle. milie lui crit: On ne veut pas en France que M. Neuton
(sic) ait raison, nous sommes des hrtiques en philosophie. Voltaire
soutient aussi: Songez Galile, et consolez-vous.
1738
Devant le refus de laisser paratre les crits de Newton, elle
crit le 11 janvier 1738, Cirey: Nous sommes des hrtiques en
philosophie. Jadmire la tmrit avec laquelle je dis nous; mais les
marmitons de larme disent bien: nous avons battu les ennemis.
Cirey, milie a un assez beau cabinet de physique, des tlescopes,
des quarts de cercle, des montagnes, du haut desquelles on jouit
dun vaste horizon; un thtre, une troupe comique et une troupe
tragique (lettre Maupertuis pour linciter venir -11 dcembre 1738).
Elle ne cessera de prier Maupertuis de venir il ira voir les
Lapones!! Elle minaude parfois: Je me casse la tte et je ne
comprends rien (22 mai 1738), Jen attrape quelque mot, par-ci,
par-l, mais cela ne sert qu me faire dire des choses fort ridicules
(21 mai 1738), Mon Dieu! Quil me reste encore des tnbres dissiper
dans mon esprit, et que votre prsence mest ncessaire (29 septembre
1738). Elle cherchera toujours lenseignement dun mathmaticien. Il y
aura Koenig, elle essaiera davoir Jean Bernoulli qui se
dfilera.
Cest lanne o elle concourt pour le prix de lAcadmie des Sciences
sur la nature du feu.
Le feu pose problme, noublions pas que nous sommes avant
Lavoisier, le feu pse-t-il?
Ce sont Lonard Euler, le Pre Lozeran de Fiesc et le comte de
Crquy qui se partageront le prix. Dans une lettre Maupertuis (28
mai 1736), milie ne semble pas connatre Euler quelle orthographie
Fuller. Les traits ne sont pas passionnants, nous avons du mal,
aujourdhui, les considrer comme de la physique. Mme Euler
considrait le feu comme un fluide lastique, mais il donnait la
formule de la vitesse du son, ce qui lui valut sans doute le
prix.
Voltaire sest aussi inscrit. Il suit la thorie dAristote: le feu
est une substance matrielle. Il va exprimenter, pendant prs de deux
ans, aux forges de M. du Chtelet dans la fort de lAillemont, au
nord de Cirey: il fait peser du fer en fusion et remarque que le
poids reste le mme aprs refroidissement. Mais quil nen est pas de
mme de la fonte! Alors phlogistique ou?
milie nest pas convaincue. Elle rdige en cachette sa
Dissertation sur la nature du feu, en cachette signifie aussi sans
expriences. Ce qui ne lempche pas de plonger des vers luisants dans
leau froide pour voir si la lumire est attnue. Le trait est une
compilation de connaissances, mais napporte rien doriginal, sur prs
de 150 pages!
Contrairement ce qucrit lauteur: Je vous jure que je nesprais
point le prix, je sentais merveille que la hardiesse seule de mes
ides me linterdisait.
Ses crits introduisent des postulats plutt de lordre de la
mtaphysique. Le feu est un tre particulier qui ne serait ni esprit
ni matire et assure au monde lgret et mouvement. Cest presque de
lanti-Newton!
La rarfaction que le feu opre sur tous les corps quil pntre
parat tre une des lois primitives de la Nature, un des ressorts du
crateur, et la fin pour laquelle le Feu a t cr. Sans cette proprit
du Feu, tout serait compact dans la Nature; toute fluidit et
peut-tre toute lasticit vient du Feu, et sans cet agent universel,
sans ce souffle de vie que Dieu a rpandu sur son ouvrage, la Nature
languirait dans le repos et lUnivers ne pourrait subsister un
moment tel quil est.
Lattraction ne fait que dcaler le Feu que les corps contiennent
dans leur substance Tout le Feu ne vient pas du Soleil Chaque corps
et chaque point de lespace a reu du crateur une portion de Feu en
raison de son volume; ce Feu renferm dans le sein de tous les
corps, les vivifie, les anime, les fconde.
Le briquet reste une nigme: Cest sans doute un des plus grands
miracles de la nature que le feu le plus ardent puisse tre produit
en un moment par la percussion des corps les plus froids en
apparence.
Les exemples inspirs par lastronomie sont frquents avec quelques
remarques intressantes:
Il y a des corps qui nous donnent une grande lumire sans
chaleur: tels sont les rayons de la Lune, runis au foyer dun verre
ardent (ce qui fait voir en passant labsurdit de lAstrologie).
(sic)
Donc si le Soleil tait un globe de feu, sil ntait pas un corps
solide, un seul instant dmanation suffirait pour le dtruire, et il
aurait t dissip ds le premier moment quil a commenc dexister.
milie souligne aussi le problme pos par la gravitation: si le
feu a un poids, il devrait tendre vers le centre du soleil, et il
ny aurait pas de lumire. Pour comprendre ce qui se passe dans le
Soleil et commencer avoir des rponses, il faudra encore attendre
deux sicles
Cet essai nest donc pas lcrit le plus intressant de Madame du
Chtelet. Remarquons cependant que, si elle ne gagne pas, son mmoire
est publi, fait unique pour une femme. LAcadmie reconnat le travail
et la culture quoiquelle ne puisse approuver lide que lon en donne
(de la nature du feu).
1739
partir de 1739 jusqu sa mort, Madame du Chtelet va beaucoup
voyager: Bruxelles, Versailles, Paris et les mondanits, le jeu, les
sances publiques de lAcadmie, Fontainebleau, la cour de Stanislas
Lunville, Commercy, Sceaux Plus que jamais Cirey sera ltape pour
travailler et se reprendre un peu.
Avec Voltaire, elle part, le 11 mai, pour Bruxelles afin de
rgler un procs: un hritage contest des terres de Beringhen et
Ham.
Madame du Chtelet va plaider pour de petites terres (V-1739). (V
signifiera par la suite Correspondance de Voltaire).
Voltaire est accompagn de Koenig, mathmaticien recommand par
Maupertuis et Bernoulli. milie est ravie: Je suis venue ici la plus
forte en amenant M. de Voltaire et M. de Koenig.
Le procs trane en longueur. Le 8 aot 1741, elle se plaint quil
la empche de dormir pendant 15 jours!
Cest Koenig qui linitiera la mtaphysique de Leibniz quelle plaa
alors en ouverture de ses Institutions de physique crites pour son
fils en 1738.
1740
Le but tait donc dcrire un ouvrage pour son fils Louis Marie
Florent. Elle cherche dailleurs un prcepteur pour son fils: Cest un
enfant de 14 ans qui fait dj fort rondement son Euclide
(V-1740).
Elle incite son fils tudier ds sa jeunesse: Vous tes, mon cher
fils, dans cet ge heureux o lesprit commence penser, et dans lequel
le cur na pas encore des passions assez vives pour le troubler.
Cest peut-tre prsent le seul temps de votre vie que vous pourrez
donner ltude de la nature, bientt les passions et les plaisirs de
votre ge emporteront tous vos moments; et lorsque cette fougue de
la jeunesse sera passe, et que vous aurez pay livresse du monde le
tribut de votre ge et de votre tat, lambition semparera de votre
me; et quand mme dans cet ge plus avanc, et qui souvent nen est pas
plus mr, vous voudriez vous appliquer ltude des vritables Sciences,
votre esprit nayant plus alors cette flexibilit qui est la partage
des beaux ans, il vous faudrait acheter par une tude pnible ce que
vous pouvez apprendre aujourdhui avec une extrme facilit. Leon
mditer en tous temps.
Le prologue est intressant, milie explique ce que doit tre le
travail scientifique, en fait:
Planches 6, 7 et 9 des Institutions de Physique
Nous nous levons la connaissance de la vrit, comme ces gants qui
escaladaient les cieux en montant sur les paules les uns des
autres.
Quand il sagit dun livre de Physique il faut demander sil est
bon, et non pas si lauteur est anglais, allemand, ou franais.
Elle souligne limportance de lhypothse utilise avec prudence,
sans la prendre pour la ralit, donnant en exemples lvolution du
systme gocentrique vers celui de Kepler ou, plus proche, Huyghens
et le modle de lanneau de Saturne. Il en est de mme de limportance
de lexprience: le bton que la nature a donn nous autres aveugles,
pour nous conduire dans nos recherches.
Sachant que: Une exprience ne suffit pas pour admettre une
hypothse, mais une seule suffit pour la rejeter lorsquelle lui est
contraire. milie veut faire une sorte de synthse de Descartes,
Newton et Leibniz. Elle rend hommage Descartes. Cest justice en
effet. Souvenons-nous quun sicle plus tt, sa thorie des tourbillons
voulait dfinir le mouvement selon un contact et non selon une
proprit intrinsque au corps. Ctait un pas franchi dans les ides. Le
seul inconvnient est que, tout tant contact, il ne peut y avoir de
vide!
Elle traite de lespace, du temps, de la loi de Newton avec
applications au plan inclin, aux pendules, aux projectiles, aux
forces.
Jai voulu donner une ide de la mtaphysique de Leibniz, que
javoue tre la seule qui mait satisfaite, quoiquil me reste encore
bien des doutes (lettre Maupertuis, 29 septembre 1738).
Elle complte en esprant quil sera content du morceau sur la
figure de la terre, et du chapitre des Forces Vives et de mme pour
le systme de Monsieur de Leibniz.
Koenig fera courir le bruit quil est lauteur. Lacadmie
cartsienne sera fche, Voltaire qui naime pas Leibniz sera contrari.
Par contre Maupertuis et Clairaut prennent sa dfense et Le Journal
des Savants publie deux articles logieux.
Voltaire crira, en octobre 1744, Charles-Marie de la Condamine:
Cest Madame du Chtelet qui mrite toute votre attention en qualit de
sublime gomtre. Elle sest mise claircir Leibniz, ce qui est trs
difficile, et moi embrouiller Newton, ce qui est trs ais.
Remarquons que cet ouvrage rend disponible en franais les ides
essentielles de lpoque.
1741
Cest lanne de la dispute avec Dortous de Mairan, secrtaire de
lAcadmie des Sciences, sur les forces vives. Mairan, dans une
lettre de 52 pages, lui reproche davoir chang davis: davoir lou son
raisonnement sur les forces vives dans son article sur la nature du
feu, puis, tant devenue leibnizienne, davoir envoy un erratum pour
aller dans lautre sens! milie dfend, dans sa rponse depuis
Bruxelles en avril 1741, le calcul de Bernoulli et de Leibniz comme
quoi la force correspond
2
mv
alors que Mairan associe
mv
(Voltaire est de lavis de Mairan).
milie crit Maupertuis, le 29 mai 1741: Je suis honteuse davoir
ml des plaisanteries dans une affaire si srieuse, ce nest assurment
ni mon caractre, ni mon style, mais il fallait rpondre des injures,
sans en dire, sans se fcher, et cela ntait pas ais.
La querelle est vive. Tous les grands esprits de lpoque sen
mlent. Buffon ne fait pas dans la nuance Jai toujours regard
lestimation de forces par le carr comme une erreur de Leibnits
(sic) et un malentendu misrable de la part de ses adhrents.
Voltaire conclut: Il est triste pour des gomtres que lon se soit
si longtemps battu sans sentendre. On les aurait presque pris pour
des thologiens.
Cest lanne de la publication des lmens de gomtrie de Clairaut.
On a dit que le livre avait t crit pour Madame du Chtelet, or cest
un livre dinitiation qui ne correspond pas au niveau atteint par la
marquise. Il aborde la gomtrie par le biais des mesures de
distances sur le terrain. Dans une lettre Frdric de Prusse,
Voltaire dclare avoir lu, en 1739, un ouvrage, un cours de gomtrie,
par M. Clairaut Louvrage nest pas prt dtre fini; mais le
commencement me parat de la plus grande facilit, et par consquent
trs utile. Il sera publi en 1741. Par contre lauteur aimait
enseigner, il sagit donc dun livre pdagogique.
1743
Les Institutions de Physique sont traduites en italien. Voltaire
est de retour de Prusse. milie crit, un peu dsabuse Il y a toujours
perdre pour lamour dans une absence de 5 mois, le cur se
dsaccoutume daimer.
1744
Voltaire est infidle! Il trompe milie avec Mademoiselle Gaussin
et Madame Denis. Elle ne peut retenir Voltaire qui ne pense qu
aller visiter le roi de Prusse. Pourtant, elle a des dettes de jeu,
et elle demande de largent Voltaire en avril. cette poque ses
meubles manquent dtre saisis!
1745
Elle traduit Newton. Cest luvre de sa vie. Il lui faudra 5 ans
de travail: traduire du latin au franais, refaire les calculs,
commenter. Une partie plus technique, inspire des travaux de
Clairaut tudie les orbites suivant des lois diffrentes et termine
par un rsum des travaux de Bernoulli sur les mares. Ldition finale
sera publie en 1759, dix ans aprs sa mort. Clairaut aidera mettre
la dernire main, mais il seffacera avec lgance, ne faisant pas tat
de son intervention.
Clairaut avait beaucoup destime pour Madame du Chtelet, ayant eu
aussi Voltaire comme lve, il aurait crit: Javais l deux lves de
valeur trs ingale, lune tout fait remarquable, tandis que je
Principia avec comte de 1680
nai pu faire entendre lautre ce que sont les mathmatiques.
Ce travail nempche pas quelques dtentes:Madame du Chtelet joue
au cavagnole Versailles. (5 avril, V-1745) Et quelques soucis
familiaux, avec une visite Chalon, son fils tant malade de la
petite vrole.
1746
Cest lanne probable de la rdaction du Discours sur le bonheur
qui sera publi en 1779.
Elle est lue et inscrite sur le registre des membres de lAcadmie
de Bologne, le 1er avril 1746.
1748
la cour du roi Stanislas Leszczynski, Lunville, milie rencontre
Saint-Lambert, pote qui na rien voir avec Voltaire. Pourtant, elle
perd sa lucidit et cde la passion. Elle crit alors Saint-Lambert
des lettres enflammes, allant jusqu dire Je passerai ma vie avec
vous, cela est sr; tout le reste deviendra ce quil pourra. ou,
pire, Newton ne mest plus de rien. Un comble pour milie du
Chtelet!
1749
milie est enceinte de Saint-Lambert, elle regagne Paris puis,
avec Voltaire, Lunville en juillet pour accoucher. Lattente dure:
Madame du Chtelet nest point encore accouche. Elle a plus de peine
mettre au monde un enfant quun livre. (31 aot, V-1749)
Elle accouche dune fille, le 4 septembre 1749. Aussitt, dans
plusieurs lettres, Voltaire fait le rcit suivant, sans se douter de
ce qui va arriver: Elle tait son secrtaire deux heures aprs minuit,
selon sa louable coutume. Elle dit, en griffonnant du Newton: Mais
je sens quelque chose! Ce quelque chose tait une petite fille, qui
vint au monde beaucoup plus aisment quun problme. On la reut dans
une serviette; on la dposa sur un gros in-quarto, et on fit coucher
la mre pour la forme.
Au-del du badinage, il est vrai qumilie a dautres proccupations
lesprit.
Elle demande alors labb Sallier, bibliothcaire du Cabinet des
manuscrits de la Bibliothque royale, denregistrer son manuscrit sur
Newton, afin quil soit conserv avant sa publication. Cest, en tout
cas, la preuve de son travail qui fut parfois attribu Clairaut.
Le manuscrit du commentaire est envoy le 9 septembre et elle
meurt quelques heures aprs.
Il semblerait que lt 1749 ait t tardif et chaud. Madame du
Chtelet tait incommode par la chaleur, ce qui cacha la fivre. On
dit quelle voulut, pour se rafrachir, boire de lorgeat la glace,
elle ne leut pas plus tt bu quelle se sentit accable dun violent
mal de tte..
Cest Voltaire qui se chargera de faire publier la traduction en
1759.
milie est alle au-del de la simple traduction. Elle ajoute des
commentaires aux travaux de Newton et une solution analytique des
principaux problmes qui concernent le systme du monde, cette tude
mathmatique des solutions est trs moderne. Voltaire dcrit la mthode
de travail pour cette partie: lgard du commentaire algbrique, cest
un ouvrage au-dessus de la traduction. Madame du Chtelet y
travailla sur les ides de M. Clairaut: elle fit tous les calculs
elle-mme, et quand elle avait achev un chapitre, M. Clairaut
lexaminait et le corrigeait. Ce nest pas tout, il peut dans un
travail si pnible chapper quelque mprise; il est ais de substituer
en crivant un signe un autre; M. Clairaut faisait encore revoir par
un tiers les calculs, quand ils taient mis au net, de sorte quil
est moralement impossible quil se soit gliss dans cet ouvrage une
erreur dinattention.
Une remarque amusante montre le souci de rigueur apport
louvrage. Celui-ci souvre par une lettre en vers de Voltaire. Or
Maupertuis critique deux vers: Terre, change de forme, et que la
pesanteur, abaissant tes cts, soulve lquateur. Ils furent corrigs
en Change de forme, terre! et que ta pesanteur, augmentant sous les
ples, lve lquateur. Ce qumilie commente ainsi: Sils ne sont pas
beaux, du moins ils sont plus justes.
Voltaire dclarera Je nai point perdu une matresse, jai perdu la
moiti de moi-mme, une me pour qui la mienne tait faite, une amie de
vingt ans que javais vu natre. ou encore Ctait le gnie de Leibniz
avec de la sensibilit. (V-1749)
la rvolution en 1793, les patriotes de Lunville brisent la dalle
de sa spulture lglise, pillent la tombe et volent les bijoux, puis
dispersent ses restes.
Un portrait physique:
On nest jamais mieux servi que par ses amis? Voici le portrait
de Madame Du Deffand : Repr-sentez-vous une femme grande et sche,
sans cul, sans hanches, la poitrine troite, deux petits ttons
arrivant de fort loin, de gros bras, de grosses jambes, des pieds
normes, une trs petite tte, le visage aigu, le nez pointu, deux
petits yeux vert-de-mer, le teint noir, rouge, chauff, la
bouche
Elmens de Gomtrie (couverture et planches extraites de
louvrage)
plate, les dents clairsemes et extrmement gtes. Voil la figure
de la belle milie. (Correspondance littraire de Grimm, Paris,
1879).
Ce portrait si mchant ntait guid que par la jalousie. Les
peintures que nous avons en sont fort loignes, et de la part de
peintres comme Nattier, Loir ou La Tour, moins partisans.
Madame du Chtelet et Voltaire:
Au-del de la passion amoureuse, il y a l une grande complicit
intellectuelle.
Madame du Chtelet le protge, le dfend. En 1738, elle crit,
propos de labb Desfontaines, auteur du libelle La Voltairomanie:Les
naturalistes recherchent avec soin les monstres que la nature
produit quelques fois, et les recherches quils font sur leurs
causes nest quune simple curiosit qui ne peut nous en garantir;
mais il est une autre sorte de monstres dont la recherche est plus
utile pour la socit, et dont lextirpation serait bien plus
ncessaire. En voici un dune espce toute nouvelle; voici un homme
qui doit lhonneur et la vie un autre homme, et qui se fait une
gloire, non seulement doutrager son bienfaiteur, mais mme de lui
reprocher ses bienfaits. Par malheur pour la nature humaine, il y a
eu de tout temps des ingrats, mais il ny en a peut-tre jamais eu
qui aient fait gloire de ltre (Mmoires sur Voltaire).
Un esprit tolrant:
Elle est dj au-dessus des moqueries venant des mdiocres et des
jaloux, en particulier de ces dames (de toute faon, elle ne tient
pas salon).
Elle a rsist avec courage aux impertinences des caillettes, et
passera dans la postrit pour un gnie respectable. Si elle navait
pas mpris les mauvaises plaisanteries, elle naurait pas fait des
choses admirables que les ricaneurs nentendront pas.
Elle est de plus trs tolrante. Alors quelle cherche un prcepteur
pour son fils, Voltaire crit Vous ne doutez pas que dans le royaume
de Madame du Chtelet il ny ait une libert absolue de conscience.
Elle a un aumnier Cirey, mais cest plus pour prserver les
apparences.
Une passion pour ltude:
Jaime ltude avec plus de fureur que je nai aim le monde. (lettre
du 24 octobre 1738). Cette passion est aussi motive par un certain
sens du devoir. Arriver la gloire et se rendre utile au pays, hors
la guerre et le gouvernement rservs aux hommes: Il est certain que
lamour de ltude est bien moins ncessaire au bonheur des hommes qu
celui des femmes. Les hommes ont une infinit de ressources pour tre
heureux, qui manquent entirement aux femmes.
Lonchamp, qui fut au service de Madame du Chtelet, puis de
Voltaire, raconte dans ses mmoires: Madame la marquise du Chtelet
passait une grande partie de la matine au milieu de ses livres et
de ses critures, et elle ne voulait pas y tre interrompue. Mais au
sortir de ltude, il semblait que ce ntait plus la mme femme: son
air srieux faisait place la gat, et elle se livrait avec la plus
grande ardeur tous les plaisirs de la socit.
La recherche de la vrit:
Madame du Chtelet et Voltaire constiturent une bibliothque de
21000 ouvrages, dauteurs anciens et contemporains, une partie du
temps tait consacre la lecture et lanalyse. Il y avait de nombreux
sujets:
La mtaphysique: Lhomme est-il libre? A-t-on des preuves de
lexistence de Dieu? Que sont nos penses?
La philosophie: Quest-ce que le bonheur? Comment cohabitent
raison et passion?
Le bonheur:
Le Discours sur le bonheur na rien de trs original, mais il nous
en apprend plus sur la marquise. On nest heureux que par des gots
et des passions satisfaites.
Et Madame du Chtelet fut une femme passionne.
milie avait la passion de la comdie, de lopra, du jeu, o elle
perdait beaucoup dargent dailleurs: Madame du Chtelet qui joue ou
lopra ou la comdie ou la comte (il sagit dun jeu de cartes pratiqu
la cour du roi Stanislas, et non dastronomie!) vous fait mille
compliments (V1748).
Passion extrme, son dcs elle laissait 165000 de dettes, une
somme considrable.
Elle avait la passion des jolies choses: Une bote, une
porcelaine, un meuble nouveau, sont une vraie jouissance pour
moi.
Lessentiel est la sant, et on se rsout sans peine faire quelques
sacrifices pour conserver la sienne. Jai un trs bon temprament;
mais je ne suis point robuste, et il y a des choses qui srement
dtruiraient ma sant. Tel est le vin, par exemple, et toutes les
liqueurs; je me les suis interdits ds ma premire jeunesse, jai un
temprament de feu, je passe toute la matine me noyer de liquides;
enfin, je me livre trop souvent la gourmandise dont Dieu ma doue,
et je rpare ces excs par des dites rigoureuses que je mimpose la
premire incommodit que je sens, et qui mont toujours vit des
maladies.
Lautre source de bonheur, cest dtre exempt de prjugs, et il ne
tient qu nous de nous en dfaire.
Le sens de lamiti:
Elle continue garder le lien, elle reste fidle en amiti. Il en
est ainsi avec Maupertuis, le duc de Richelieu, mme Voltaire, quand
il va voir en Prusse ou ailleurs.
Avec cela, elle ne soccupe pas des mchancets qui ne manquent pas
autour delles. Mais ne dit-elle pas: La plus grande vengeance quon
puisse prendre des gens qui nous hassent est dtre heureux.
En guise de conclusion:
Laissons le dernier mot Voltaire, qui a lart de dcrire en
quelques lignes cette femme passionne et combien attachante:
Tout lui plat, tout convient son vaste gnie;
Les livres, les bijoux, les compas, les pompons,
Les vers, les diamants, les bibis, loptique,
Lalgbre, les soupers, le latin, les jupons,
Lopra, les procs, le bal et la physique.
Le nom du Chtelet a t donn un cratre de Vnus en 1994 (lat: 21,5,
long: 165, diam: 18,5km) (voir la carte ci-dessous).
uvres:
Institutions de la Physique (Paris-1740)
Rponse la lettre de Mairan sur la question des forces vives
(Bruxelles-1741)
Dissertation sur la nature et la propagation du feu
(Paris-1744)
Doutes sur les religions rvles adresss Voltaire (Paris-1792)
Rflexions sur le bonheur (dans Opuscules philosophiques et
littraires-1796)
Principes philosophiques de la philosophie naturelle (trad. de
Newton, Paris-1766)
De lexistence de Dieu ( la suite de ses lettres-1806)
Des ditions de ses lettres en (1782-1806-1818-1878)
Emiliana (seraient des mmoires perdues).
Bibliographie:
Il convient dtre prudent avec les sources. Il vaut mieux se
contenter des crits des intresss, mme si bon nombre de lettres de
Madame de Chtelet ont t perdues. Cela vite des dconvenues du style
de celles rencontres dans une biographie o on nous montre milie
dcouvrir la Croix du Sud sur la route de Cirey!
Bibliographie astronomique de De La Lande (Paris-1803)
Lettres indites de Madame la Marquise du Chtelet
(Paris-1818)
Mmoire sur Voltaire, par Longchamp et Wagnire (Paris-1826)
milie, milie ou lambition fminine au XVIIIe sicle par lisabeth
Badinter (1983, rdit en mars 2006) (lautre milie est Madame
dpinay)
DArouet Voltaire, par Ren Pommeau (1988)
Avec Madame du Chtelet, par Ren Vaillot (1988)
Correspondance de Voltaire, par Thodore Besterman
Madame du Chtelet, la femme des Lu-mires, direction . Badinter
(BnF-2006)
Cratre du Chtelet sur Vnus. Frontispice du livre dAlgarotti.
PAGE
_1218873995.unknown
_1218874019.unknown
Georges PaturelN03chatelet.doc