UNIVERSITE DE BRETAGNE OCCIDENTALE SKOL VEUR BREIZ IZEL RANSKOL AL LIZIRI HA SKIAΝCHOU AN DUD FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES SOCIALES VICTOR SEGALEN Un exemple de plurilinguisme. Facteurs sociaux et faits langagiers à Onklou, village du nord Bénin. Mémoire de maîtrise de sociologie réalisé par Nadine PALUT Sous la direction de Madame la Professeur Anne GUILLOU Janvier 2000
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UNIVERSITE DE BRETAGNE OCCIDENTALE SKOL VEUR BREIZ IZEL
RANSKOL AL LIZIRI HA SKIAΝCHOU AN DUD
FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES SOCIALES VICTOR SEGALEN
Un exemple de plurilinguisme. Facteurs sociaux et faits langagiers à Onklou, village du nord
Bénin.
Mémoire de maîtrise de sociologie réalisé par Nadine PALUT
Sous la direction de Madame la Professeur Anne GUILLOU
Janvier 2000
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A tous ceux qui m’ont livré un peu d’eux-mêmes.
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Table des matières Introduction P. 8 I- Le Bénin, mosaïque linguistique. P. 10 A- Géographie linguistique. P. 10
1- Un petit pays au cœur de l’Afrique • L’Afrique et ses langues • Les groupes de langues
2- Le territoire • Géographie • La République du Bénin • La notion de territoire
B- Histoire et langues. P. 12 1- Les peuples
• Du nord au sud • Le Mono • Les « Brésiliens », les Fons et les Gouns
2- La colonisation 3- De l’indépendance à nos jours
• Politique • Religions • Démographie • Education
C- Un répertoire de langues. P. 19 1- Définitions ou précisions langagières
• Langue, langage • Les langues • Les disciplines
2- Présentation sociolinguistique du Bénin • Les familles de langues • Rapports entre langues • Des locuteurs et des langues • Statut des langues
3- La place du français • Dans les faits • Causes • En conséquence
II- Onklou, terrain d’enquête. P. 26 A- Le cadre général. P. 26
1- L’Atacora • Le milieu physique
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• Le milieu humain • La langue et le peuple
2- Onklou • Le milieu physique • Historique • Milieu humain
B- Hypothèses de travail. P. 33 1- Postulat : la pratique de la langue est un fait social
• Le schéma de communication d’après Jakobson • La révolution Saussurienne • La diglossie selon Ferguson • La diglossie selon Fishman • Labov et la fonction sociale • Bernstein, langue et classe sociale • Ce que parler veut dire d’après Bourdieu
2- Hypothèses • Chaque langue est particulière • Il existe des pratiques langagières différentielles
C- Méthodologie. P. 37 1- La pré-enquête
• Recherches bibliographiques • Rencontres • Plan
2- Premiers contacts avec le terrain • Au départ ... • Contacts • La brousse : Onklou
3- L’observation participante • La phase d’exploration • L’installation sur le terrain • Le quotidien • L’observation
4- Sondage et entretiens • Le sondage • Des entretiens longs
III- Présentation des données socio-culturelles de l’enquête. P. 49 A- Les faits sociaux. P. 49
1- L’âge • Les chiffres • Observations
2- Le sexe • Les femmes • Les hommes
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3- L’activité sociale • Les cultivateurs • Les artisans • Les ménagères
B- Les faits culturels. P. 51 1- La religion
• Les Fétichistes • Les Chrétiens • Les Musulmans
2- Les migrations • Le Ghana • Le pays bariba • Le Nigeria • Le Niger • Les causes
3- Les groupes ethniques • Les différents groupes • Les mariages mixtes • Remarques
4- Les Yowas • Histoire • Lignée • Scarifications
IV- Les langues, un phénomène singulier. P. 58 A- Les langues à Onklou. P. 58
1- Le yom • Situation géographique • Situation linguistique • A Onklou
2- Le français • Dans les faits • Représentations
3- Les autres langues en présence • Le dendi • Bariba, yoruba et haoussa, germa, achanti • Les autres
B- La variété de la langue. P. 62 1- Des variations langagières
• Variations structurelles • Des variations externes • L’évolution de la langue
2- Des contextes d’usage • L’usage privé, l’usage public
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• Des contextes d’apprentissage 3- Des rôles
• La cohésion culturelle • La sociabilité • L’affirmation de son identité • La promotion sociale • Chaque langue joue un rôle particulier
4- Statuts et valeurs associées • Chaque langue a un statut particulier • Elle incarne des valeurs • La langue au singulier
C- L’exemple du français. P. 73 1- Les variétés du français
• La francophonie • Le français standard • Le français élémentaire • Le français régional
2- L’usage • Privé • Public
3- Statuts et valeurs • Utilité • Prestige • Absence de concurrence • La négation
V- Des pratiques plurielles. P. 77 A- La socialisation linguistique : entre déterminisme et liberté. P. 77
1- Première socialisation • Langue première et socialisation • La socialisation comme incorporation des habitus • Le rôle de la famille dans l’apprentissage du langage
2- L’interaction sociale, son rôle dans la construction de soi • La socialisation secondaire ou la construction de son identité sociale • Le groupe des pairs • Les institutions • La consolidation de l’identité culturelle
B- Une pratique individuelle ou la mise en place de stratégies. P. 84
1- L’identité pour soi • La théorie interactionniste • Mise en place de stratégies extra-linguistiques : la mobilité géographique • L’acculturation
2- Des Hommes, des stratégies
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• La langue unique • L’atout du véhiculaire • Le plurilinguisme ou l’obligation d’apprendre
C- Entre pratiques et représentations, la construction sociale de la réalité
linguistique. P. 91 1- La langue comme définition
• L’apprentissage • Soi et les autres
2- La langue comme représentation • Conscience des langues • Discours sur les langues
3- Qu’est ce que la réalité linguistique ? • Une construction • Des facteurs • Des pratiques différentielles
Conclusion P. 99 Bibliographie P. 102 Annexes P. 105 1 : Le Bénin, situation géographique P. 106 2 : Carte linguistique du Bénin P. 108 3 : Circonscription urbaine de Djougou P. 110 4 : Cartes du village P. 112 5 : Grille d’entretiens des Béninois rencontrés en France P. 115 6 : Entretien avec Youf P. 117 7 : Entretien avec Foudou P. 137
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D’après la Bible, de la Genèse à Babel, les hommes communiquaient grâce à
la langue que Dieu leur a livrée. Mais, en l’an 2200 Avant Jésus Christ les éléments
se modifièrent.
La tour de Babel construite par les fils de Noé pour atteindre le Ciel fut
anéantie par le Créateur. Et la punition divine de cet effort insensé eut pour
conséquence l’éclatement des langues et l’origine des nations. L’équité était
cependant respectée puisque chaque peuple possédait sa propre langue.
Ce mythe de création nous livre une explication de la présence du
plurilinguisme sur cette terre.
Personnellement, plusieurs expériences ont aiguisé mon attention vers cette
question de langues multiples.
En tant que Bretonne native du Haut-Léon, j’ai des grand-parents de langue
maternelle celtique, des parents qui oscillaient entre breton et français pour ne plus
parler que français et des petits frères qui ne comprennent pas un mot de breton. Au
contraire, mes amis de l’université, qui ont appris le breton, le revendiquent
(politiquement, culturellement) comme marqueur d’identité. Ce recul d’une langue
au profit d’une autre, cette négation de la langue première et l’affirmation d’une
identité par le biais linguistique sont autant de faits que j’ai pu ressentir.
Un séjour en Afrique élargit mon expérience linguistique. C’est l’Ethiopie qui
me révéla le caractère plurilingue du continent. Je fus frappée par la quantité de
langues présentes dans un espace donné, par le nombre de parlers maîtrisés par les
locuteurs que j’interrogeais et par les changements perpétuels de langues. Qu’est-ce
qui justifie l’existence du plurilinguisme ? Comment les locuteurs le gèrent-ils au
quotidien ?
Par la suite, au cours de mes études de sociologie, j’ai eu l’occasion de réaliser
ma licence à La Corogne (ou A Corua) en Galice. Dans cette région espagnole qui
connut une forte présence celtique cohabitent aussi deux langues. Mais, cette
situation diffère de la nôtre. Par exemple, le galicien est une langue encore
majoritairement parlée mais, c’est aussi une langue romane linguistiquement proche
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de l’espagnol. De plus, ce parler est reconnu et employé par l’administration. Le
choix d’une langue, son lien par rapport aux autres, son statut sont autant de
conceptions qui m’attiraient.
Juillet 98, la licence obtenue, je rentrais de Galice avec une envie
démangeante de repartir découvrir d’autres horizons. L’occasion se présenta lorsque
fin juillet, je fis la connaissance d’un ancien professeur de mon père. C’est un
missionnaire issu de la congrégation des Frères de Ploërmel qui officie au Bénin. A
force d’arguments et de patience, je réussis à lui faire accepter ma future présence
au Bénin. Avec son consentement il fut décidé que je lui rendrais visite pendant la
saison des pluies de juin à octobre 1999.
A partir de là je me penchai plus sérieusement sur mon projet de maîtrise en
sociologie. Mon terrain d’enquête serait le Bénin. Mon sujet porterait sur les
langues.
Elargissant mes connaissances en sociologie du langage et en socio-
linguistique, je décidai d’étudier le plurilinguisme en analysant comment il se gère
au quotidien dans un espace restreint. Autrement dit, quels sont les rapports existant
entre le locuteur et sa ou ses langue(s) ? Pour répondre à cette question une enquête
de terrain me permettra d’établir une monographie linguistique du village. Sur cette
base concrète je pourrai par la suite construire une analyse.
Ainsi, par souci d’appréhension globale du sujet, je me suis d’abord attachée à
connaître la situation linguistique de l’Afrique et du Bénin. Onklou, petite commune
du nord s’imposa comme terrain d’enquête. Je présenterai le village avant d’exposer
plus précisément mes hypothèses de travail et ma méthodologie. Une troisième
partie développera les données de l’enquête en s’attachant à présenter les locuteurs.
Ce qui me conduira par la suite à définir la notion de langue et d’analyser ainsi les
pratiques différentielles.
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I- Le Bénin, mosaïque linguistique.
L’objectif de cette première partie est de situer le sujet dans son contexte global.
Pour la rédiger, je me suis essentiellement basée sur trois documents : la brochure
« Découvrir ... le Bénin » de l’ambassade du Bénin en France, l’encyclopédie
Encarta sur Microsoft et le livre de Philippe David Le Bénin.
Ainsi, il s’agira d’aborder l’Afrique d’un point de vue linguistique avant de
présenter le Bénin et sa variété de langues.
A- Géographie linguistique.
1- Un petit pays au cœur de l’Afrique
• L’Afrique et ses langues
Plus de 1000 langues différentes sont parlées en Afrique. A côté de l’arabe,
qui n’est pas limité au continent africain, les langues africaines les plus parlées sont
le swahili (Afrique centrale et orientale) et le haoussa (Tchad, Niger, Nigeria), qui
comptent plus de 10 millions de locuteurs chacune. De très nombreuses langues ne
sont parlées que par quelques milliers, voire quelques centaines de personnes. En
moyenne, une langue africaine compte environ 200 000 locuteurs. Seules une
douzaine de langues sont parlées par plus de 1 million de personnes. Et, si les
langues africaines ayant une littérature écrite sont très peu nombreuses, en revanche,
la majorité d’entre elles possède une riche littérature orale traditionnelle. De plus, de
nombreux Africains parlent plusieurs langues : la leur et celles de leurs voisins ainsi
que celles des anciennes administrations coloniales européennes.
• Les groupes de langues
Selon l’usage le plus récent et le plus largement accepté, les langues d’Afrique
sont classées en 4 familles : la famille afro-asiatique (anciennement appelée
chamito-sémitique), la famille nilo-saharienne, la famille khoisane et la famille
nigéro-kordofanienne. On appelle famille un groupe de langues ayant une origine
commune. Une famille est souvent subdivisée en branches, constituées de langues
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plus étroitement apparentées. Seule la moitié des langues d’Afrique possède un
système d’écriture. A l’exception de l’arabe et de certaines langues d’Ethiopie,
l’alphabet de la plupart des langues africaines écrites consiste en une adaptation de
l’alphabet latin introduit par les missionnaires. D’ailleurs, les premiers Européens à
avoir étudié les langues africaines furent généralement des missionnaires, dont les
buts de prosélytisme rendaient indispensable la communication avec les populations
indigènes.
2- Le territoire
• Géographie
Le Bénin, officiellement appelé République du Bénin, est un pays d’Afrique
occidentale (Cf. Annexe 1). Il est situé dans la zone inter-tropicale et s’étend de
l’océan Atlantique au fleuve Niger sur une longueur de 700 kilomètres. Il est situé
entre le Nigeria et le Togo et se trouve limité au nord par le Niger et le Burkina
Faso. De plus, placé dans le Golfe de Guinée il a l’avantage d’avoir une ouverture
sur l’océan Atlantique au sud sur 125 kilomètres de rivages. Avec une superficie de
112 622 km2, le Bénin est un petit pays à l’échelle de l’Afrique et représente un
cinquième de la France. Comme presque tous les pays du continent, il résulte d’un
découpage colonial.
• La République du Bénin
Colonie française du Dahomey depuis 1894, le Bénin a accédé à
l’indépendance complète en 1960, sous la dénomination de République du
Dahomey, avant de prendre son nom actuel en 1975.
D’un point de vue administratif la République du Bénin comprend 6
départements : l’Atacora, l’Atlantique, le Borgou, le Mono, l’Ouémé, le Zou. Ces
départements sont divisés en 68 sous-préfectures et 9 circonscriptions urbaines,
elles-mêmes divisées en communes rurales et urbaines. La commune comprend
plusieurs villages ou quartiers de ville.
La capitale Porto-Novo partage avec Cotonou, distante de 30 kilomètres, les
ministères et les services.
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La capitale officielle est Porto-Novo ; Cotonou étant la capitale politique et
économique.
Le français est la langue officielle, mais les Béninois parlent aussi des langues
nationales et ethniques.
• La notion de territoire
Les conséquences du découpage arbitraire des frontières sont très présentes sur
un plan humain. En effet, de nombreuses ethnies se sont retrouvées séparées. Ce qui
provoqua et provoque encore quelques conflits.
D’un point de vue linguistique, cette nouvelle frontière engendra quelques
modifications dans l’évolution des langues. Certaines, à cause d’une division des
locuteurs, disparurent peu à peu ; d’autres se métissèrent par les contacts. Ainsi, par
exemple, les Yorubas sont un peuple du sud séparés par la frontière Togo-Bénin. Ils
ont une langue commune qui est elle même dénommée yoruba. Mais, depuis
l’imposition de la frontière on note une évolution de la langue. Du côté béninois, le
yoruba s’enrichit au contact des langues en présence, dont le français, tandis que du
côté Nigérian on note une pénétration de l’anglais tant dans le vocabulaire que la
syntaxe. C’est-à-dire que dorénavant la langue évolue dans un pays, et non plus une
ethnie, et dans un système politique particulier avec une politique linguistique
déterminée. Cependant, pour l’heure, la notion d’ethnie demeure prédominante. Les
Yorubas s’identifient comme Yoruba et non Béninois francophones ou Nigérian
anglophones.
En conséquence, la notion de territoire se justifie pour ces peuples par rapport
à l’espace ethnique et non aux frontières. Or, la notion de territoire pour nous
Occidentaux se borne souvent à celle des frontières.
B- Histoire et langues.
Les langues au Bénin, comme ailleurs, sont le fruit d’une histoire, de l’histoire de
leurs locuteurs. En ce sens une mise au point historique est nécessaire. Tout d’abord,
il s’agira de faire une longue présentation des principaux groupes ethniques du
Bénin. Puis, chronologiquement, je décrirai les périodes de la colonisation et de
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l’indépendance avant de conclure sur un exposé de la société contemporaine
béninoise.
1- Les peuples : situation géographique, histoire et particularités
• Du nord au sud
Les Dendis peuplent le nord. Ils se sont installés au nord-ouest du Bénin dans
les régions de Malanville, Kandi et Djougou et sont actuellement environ 125 000.
Arrivés par la vallée du Niger au XVIème siècle, au XIXème, ils ont été rejoint par
des cavaliers Zarmas. Ce sont eux qui ont, pour l’essentiel, en même temps que les
Peuls et les Haoussas, introduit l’islam par le nord du Bénin actuel.
Les 430 000 Baribas sont venus aux XIIIème et XIVème siècles du nord du
Nigeria actuel fonder plusieurs petits royaumes à Nikki, Kandi, Parakou et Kouandé.
Ils étaient autrefois guerriers. Ils s’occupent aujourd’hui de la culture et de la
cueillette du karité et du kapok.
Au nord-ouest, les 300 000 Sombas ou Bétammaribes (qui signifie les bons
maçons) sont installés dans l’Atacora depuis des temps très anciens et fractionnés en
de nombreux sous-groupes que rien, sinon la frontière, ne sépare de leurs cousins du
Togo, les Tambermas.
Les Peuls, au nombre d’environ 300 000 également, sont arrivés par petites
vagues et se sont bien intégrés, notamment à la société bariba.
Infatigables cavaliers pour les besoins de leur négoce, toujours en va-et-vient
entre les savanes du nord et de la côte, les Haoussas (ou Gamgaris), originaires des
confins du Niger et du Nigeria actuels, sillonnent toute la région Ghana-Togo-Bénin
depuis fort longtemps. A défaut de groupements humains denses, ils ont laissé leurs
marques sur les marchés par les pratiques commerciales et leur langue véhiculaire.
Le sud et le centre sont majoritairement occupés par les Yorubas dont tous les
berceaux historiques sont situés au Nigeria. Ils sont venus eux aussi par vagues
successives à partir du XIIème siècle. Commerçants redoutables, les Yorubas
musulmans règnent aujourd’hui, au besoin par confréries très fermées, sur le
commerce d’import-export officiel et clandestin dans le sud du pays et pèsent donc
très lourd dans l’économie formelle et informelle. Les Yorubas de nos jours
demeurent en grosse majorité nigérians. Ceux du Bénin, environ 600 000, dominent
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fortement dans le sud-est de Porto-Novo à Kétou et Savé. Leur présence est sensible
aussi à Dassa et Savalou. Les groupes du sud les plus occidentaux, submergés par
les migrations adjas aux XVII et XVIIIèmes siècles, n’en ont pas moins fortement
contribué à l’organisation des sociétés fon d’Abomey et goun de Porto-Novo. Sont
aussi Yorubas d’origine les Sohoués du Mono. En revanche, l’unanimité ne s’est pas
faite encore sur l’origine véritable des Aïzos déjà éparpillés dans tout le sud lorsque
les Adjas sont venus s’y installer.
On discute aussi pour savoir s’il faut prendre les noms de Yoruba et Nagot
comme de parfaits synonymes. Par Nagot on désignerait plus particulièrement les
Yorubas musulmans.
De plus, les Yorubas se sont toujours interposés entre le Bénin actuel et le
Bénin historique. En effet, on les retrouve à la fois au Togo, au Bénin et au Nigeria.
Ils représentent actuellement 30% de la population béninoise. Le commerce est leur
domaine de prédilection. Ils constituent la communauté la plus riche du pays.
• Le Mono
Le petit sud-ouest (plus exactement les deux tiers du sud entre l’Ouémé et la
frontière togolaise), c’est-à-dire l’actuel département du Mono, a une situation
ethno-historique particulièrement complexe. Cette région est occupée par des
populations du groupe adja-éwé, à peu près 800 000 personnes, venues par petites
vagues de Tado (au Togo actuel). Ce groupe se compose encore aujourd’hui de dix
peuples ethniquement homogènes.
Les Popos ou Plas se sont fixés à Agbanakin, à l’extrémité sud-ouest du
Bénin. L’endroit sera propice pour le contact avec les Blancs.
Leurs cousins, les Houèdas, se sont d’abord centrés sur Sahè fondée au milieu
du XVIème siècle, puis bousculés et éclatés en sous-groupes difficiles à suivre. Quoi
qu’il en soit, entre 1520 et 1550 ils fondent leur capitale : Savè.
Les Ouatchis, installés autour de Comè sont venus de Notse et demeurent
encore aujourd’hui plus nombreux au Togo qu’au Bénin.
Les Sès sont installés autour du Sè actuel et l’on ne connaît pas encore leur
histoire.
Les Adjas, ancêtres des Fons, ne représentent que 10% de la population. Ils
occupent le sud-ouest du Bénin. Ils sont cultivateurs et pêcheurs.
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Les Dogbos, de Dogbo-Tota et Kouékanmè, « sortis de terre », et les Houés
pourraient ne pas être des Adjas mais des autochtones méconnus par l’histoire.
Viennent aussi trois groupes d’Aïzos dérivant également des Adja-Tados mais
soumis à une forte pression des Aboméens. Ce sont les Gbessis sur la rive droite du
lac Ahémé, les Tchis dans sept villages à l’ouest du Kouffo, les Kotafons entre
Athiémé et le Kouffo.
Les derniers et les seuls à être indiscutablement étrangers à la nébuleuse adja-
éwé-fon-aïzo sont les Sahouès, d’origine nagot-yoruba, venus à l’est s’installer en
pays houèda au début du XVIIIème siècle.
Dans le sud, après une première vague de Guin, du littoral du Ghana actuel,
les Minas se sont accrochés tout au long de la côte du Togo et du Bénin. Cette
minorité active, entreprenante, polyglotte, riche de ses contacts avec les Européens,
est assimilable elle aussi à la nébuleuse adja-éwé sa langue, véhiculaire d’Accra à
Lagos, s’est essentiellement forgée à partir des différents dialectes du groupe éwé et
imposée du même coup dans tout le bas Mono.
• Les « Brésiliens », les Fons et les Gouns
Les « Brésiliens » sont des esclaves affranchis du Brésil qui ont amorcé vers
1830-1835 un spectaculaire mouvement de retour vers l’Afrique. Métissés ou non,
parfois déjà islamisés, relativement instruits et disposants même de capitaux, ces
rapatriés volontaires se taillent vite sur le littoral des situations économiques et
politiques considérables. Ils ont imprimé aussi leur marque spécifique sur
l’architecture civile et religieuse, la gastronomie et la vie socioculturelle.
Au delà des dix petits peuples du Mono, les Fons constituent un groupement
ethnique d’une grande magnitude et le plus important du Bénin : plus de 2 millions
d’habitants, 42% de la population au recensement de 1994. Nous retrouvons
longuement à l’époque coloniale ces héritiers en ligne directe du groupe alladanou
venus s’installer à Abomey vers 1645 et devenus par l’histoire les « Dahoméens »
par excellence. Les Fons ont donc marqué l’histoire et restent très nombreux
aujourd’hui dans la vie politique et artistique du pays. Leur vie religieuse est
dominée par le culte du vaudou.
Comme eux, les Gouns de Porto-Novo descendent des Alladanous fixés à la
fin du XVIIème siècle à Hogbonou, ainsi que les Ouémés/Ouéménous, cultivateurs
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de marais, installés sur les deux rives du bas Ouémé qui a littéralement façonné leur
civilisation. Grands producteurs de manioc, les Gouns exploitent aussi
judicieusement le palmier à huile.
Au groupe fon moderne se rattachent aussi les Gens-de-l’eau Toffinous et
Aguégués (au nombre d’environ 30 000), réfugiés sur le lac Nokouè et ses alentours,
et célèbres pour leurs villages lacustres et leurs activités de pêcheurs.
Cette jeune nation, qu’est le Bénin, est constituée d’une vingtaine de groupes
socio-culturels possédant une assise territoriale. En résumé, on retrouve :
Extrait de la brochure publiée par l’ambassade du Bénin en France intitulée
« Découvrir ... le Bénin », Ed. CAEB, Paris, 1996.
109
2 : Carte linguistique du Bénin
110
CONFEMEN, Promotion et intégration des langues nationales dans les systèmes
éducatifs : Bilan et inventaire, Vol. 2, Ed. Gouvernement du Québec, Ministère
de l’éducation, Montréal, 1983.
111
3 : Circonscription urbaine de Djougou
112
La « Carte sanitaire du département de l’Atacora » est extraite de l’ouvrage publié par le Ministère de la santé publique et la direction départementale de l’Atacora. Cette deuxième version a été publiée à Natitingou en octobre 1998.
113
4 : Cartes du village
114
115
116
5 : Grille d’entretiens des Béninois
rencontrés en France.
117
« Pratiques et représentations des locuteurs quand aux langues en usage dans leur
pays d’origine : le Bénin : »
I- Les faits de langues.
A- Description de l’état général linguistique du pays.
B- Où les parle t on (pays, régions, villes, ethnies) ?
II- Les pratiques.
A- Les différentes langues du locuteur.
B- Les différents usages (géographiques, sociaux, générations ...).
C- Les contextes d’usages (famille, école, religion, administration, travail ...).
III- Les représentations.
A- Niveau de conscience des langues du locuteur (intérêts, goûts, pourquoi ?
...).
B- Guerre des langues (conscience, description, pourquoi ? ...).
C- Les politiques linguistiques (présentation, pourquoi, réponse à quoi ? ...).
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6 : entretien Youf
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Le 12 mars en fin d’après midi j’ai enfin rencontré Youf.
Trois semaines auparavant, j’avais consulté les fichiers de la Cité universitaire de
Lanredec à perte, il n’y avait personne de nationalité béninoise. Alors, je m’étais
dirigé vers Kergoat où la concierge me dit qu’il y avait un Béninois. Je vais frapper à
la porte de sa chambre : personne. Au secrétariat le personnel me dit que c’est le
seul Béninois dans la cité. Je lui laisse un message. Il me contacte le soir même. On
prend rendez-vous.
L’accueil fut cordial. Il m’ouvrit grand la porte de sa petite chambre et me serra
la main. Je lui explique mon projet de voyage, comment j’en suis venue là ainsi que
mon plan de maîtrise.
Et, il se mit à parler posément avec un accent très prononcé : « commençons par
un petit peu de géographie ... ». Prenant un papier et un stylo il me schématisa
l’Afrique, y plaça le Bénin et les pays frontaliers. Il enchaîna sur les grandes villes
m’en disant quelques mots à chaque fois. Ceci étant fait, il me dessina le Bénin « et
un petit peu d’histoire ... ». Je fus donc rapidement au courant de la colonisation, des
départements administratifs et du contexte politique. On en vint alors à parler des
langues. Il me présenta brièvement l’état linguistique de sa région. 19H00
approchant, et malgré le grand intérêt de la discussion, chacun de nous devait vaquer
à ses occupations. De fait, on fixait un rendez-vous pour un entretien enregistré.
Le 17 mars, je passais ma soirée de Saint Patrick avec Youf. L’entretien dura 45
minutes.
Il faut tout d’abord savoir qui est Youf. Il a 38 ans. Il est marié et père de famille.
Il a rencontré sa femme alors qu’ils étudiaient tous deux la médecine. Lui est
cardiologue. Youf est actuellement en France pour une durée de 4 mois. Il fait un
stage de perfectionnement à l’Hôpital de la Cavale Blanche. Il habite Cotonou et
travaille à Abomey, dans le centre. Il est musulman, d’origine nagot, donc, yoruba,
c’est-à-dire de l’est du pays.
• L’entretien
Nadine :L’entretien va porter sur les pratiques et représentations des locuteurs
quant aux langues en usage dans leur pays d’origine, donc au Bénin. Et, j’aimerais
120
que tu me présentes dans un premier temps l’état linguistique du Bénin. Si tu sais
quelles langues on parle là-bas.
Youf : Quelles langues au pluriel puisque en fait si tu veux, grossièrement, on
peut distinguer le nord-le sud. En sachant que dans l’actuel découpement territorial
il y a 4 départements dans le nord et il y en a 6 dans le sud. C’est ça ? Non. Il y en a
4 dans la nord et puis 4Χ2, 8 dans le sud. Ce qui fait 8+4, il y a 12 départements.
Bon, disons que ... au sud ... la plupart des langues tournent autour d’une langue
principale que l’on appelle le fon. D’accord. Et puis ... les autres langues que l’on
rencontre au sud sont plus ou moins des dérivés de cette langue principale qu’est le
fon. Donc, on va considérer comme langue principale du sud le fon. Maintenant, à
ma connaissance, mais je ne suis pas linguiste, donc ce que je dis ça peut prêter à
caution dans une certaine mesure, parce que en fait, ce que je dis je le tiens de la
culture et de la connaissance que j’ai du pays ...
C’est ce qui m’intéresse.
Youf : Donc, de ce fait découlent en fait ces autres langues qui sont considérées
comme langues du sud. Donc, la première langue qui découle de ça, c’est le « gon ».
Le gon, ça s’écrit G-O-U-N. D’accord. Donc, on trouve le goun au sud. On va
trouver également le « aisok ». A-Ï-Z-O. On va trouver le aïzo. On va trouver
également le « oli ». H-O-L-I. Et, je crois qu’à ma connaissance, c’est en gros les
langues qui dérivent un peu du fon. Bon, je dis « qui dérivent un peu du fon » parce
que en fait je crois que il y a des ... si tu veux des, une communauté linguistique.
Cette langue-là est le fon. J’ai déjà dit que, en fait, le fon pouvait être considéré
comme la langue principale et autour de ce fon gravitent certaines autres langues
comme celles que je viens de parler. Mais également au sud il y a une autre langue
que on appelle le « mina » qui est relativement importante, qui est relativement
différente du fon, qui est moins proche du fon que les autres langues que j’ai déjà
citées ; donc qui peut être considérée comme une entité à part entière d’autant que
cette langue-là, le mina elle est connue au Bénin et au Togo voisin. D’accord.
Ça s’écrit comment ?
Youf :M-I-N-A. Maintenant le mina, il y a quelques autres langues qui
s’apparentent au mina et qui dans ma classification peuvent être inféodées au mina
comme les autres langues qui ont été inféodées au fon. Donc, ce sera par exemple, le
« watchi ». W-A-T-C-H-I. Ce sera le watchi, ce sera le « adja ». A-D-J-A. Ce sera le
121
« kotofon ». K-O-T-A-F-O-N. Voilà, comme le fon. Bon, en gros, voilà à peu près
ce que je sais par rapport aux langues du sud. Donc, si tu veux, en disant ça, on
regroupe à peu près les principales langues du sud. Maintenant, en dehors de ces
langues-là. Au sud, ils ont voulu séparer le sud du nord, les Européens sont venus.
Ils étaient mal à l’aise en disant le sud, le centre et le nord puisque en fait, le fon est
basé au centre. Maintenant, le centre comme je l’ai déjà dit, il est divisé en centre
nord et en centre sud. En fait le fon c’est en centre sud. Dès que tu vas en centre
nord, tu vas avoir, au centre nord et puis dans tout l’est, tu vas avoir en fait d’autres
langues qui vont avoir comme langue maîtresse le « yourouba ». « Yourouba », Y-O,
comme mina, yorouba, voilà, Y-O-R-O-U, c’est comme ça qu’on écrit en français
B-A. Sinon en yorouba, puisque le yorouba est écrit, la Bible est même traduite en
yorouba, en yorouba, on écrit : Y-O-R-U-B-A. Maintenant donc, le yoruba c’est un
peu la langue mère comme le fon, comme le mina à laquelle vont se satelliser
d’autres langues qu’on va appeler le « nago », d’autres langues qu’on va appeler le
« nago ». J’ai dit « d’autres langues », et puis j’ai dit le « nago », puisque en fait, le
« nago » varie selon les régions. Tu vas à Savé, tu vas avoir le « nago » de Savé, tu
vas à « Bambé », tu vas avoir le « nago » de « Bambé », tu vas à Dassa, tu vas avoir
le « nago » de Dassa, à « Kétou » ... Donc en fait il y a des « nagos » qui sont
inféodés plus ou moins au yoruba. Plusieurs « nagos » qui sont T, T, j’écris nagoT,
c’est T, voilà, nagot, c’est ça. Voilà un peu pour les langues. Donc, j’ai regroupé en
fait le sud, en prenant le sud entièrement, en prenant le centre aussi. Maintenant
dans les 2 nords, il y a 2 langues principales. Deux langues principales au nord.
C’est le « déli » D-E-N-D-I, et puis la deuxième langue principale c’est le « bariba ».
B-A, voilà, bariba, c’est le plus simplement bariba. C’est le plus simplement
possible. Et donc le bariba est le ... le dendi et le bariba en fait, c’est les 2 langues
principales du nord. Mais, il y a des variétés de dendi suivant la région où l’on se
trouve. Parce que la langue évolue en fait avec la région où l’on se trouve. Mais, il y
a beaucoup d’autres langues qui sont parlées également dans le nord. Surtout dans le
nord, nord-ouest, donc d’autres langues dont je ne connais pas de liens avec ces
deux langues.
D’accord.
Youf : Et je vais citer en vrac, comme ça, c’est par exemple le « ouama ». W-A-
M-A. C’est par exemple le wama. C’est le, c’est le « ditamali ». C’est le, c’est le
122
« ditamali ». D-I, le plus simplement possible « ditamari ». Voilà, ditamari. Et, il y a
le « berba », c’est pas comme bariba, c’est « derba ». D-E-R-D-A. Bon, et, à ma
connaissance, le ditamari, le derda, il y a également le « youm » Y-O-M. Le wama,
le derda, le ditamari, le yom ... De l’autre côté, du côté du Niger ... Sachant bien que
le dendi se parle également au Niger voisin. (...)
Donc, en gros, à chaud, comme ça, sur le vif, voilà ce que je peux te dire par
rapport aux langues qui existent dans le pays.
Et est -que ces langues sont rattachées à des ethnies ?
Youf : Oui les langues , en fait, au Bénin les langues sont toutes rattachées à des
ethnies. Et ce qui fait que pour, par exemple, quand tu prends l’exemple du yoruba
qu’est celui que je connais le mieux.
Hum.
Youf : La langue s’appelle le yoruba, et l’homme s’appelle aussi le Yoruba.
D’accord. La langue s’appelle le yoruba, et l’homme s’appelle le Yoruba et il
appartient à l’ethnie Yoruba. Comme Wole Soyinka, le prix Nobel de littérature.
Voilà. Comme Fela Randsome, le chanteur, célèbre chanteur que tout le monde
connaît et qui chante « Chshkara ». Il est Yoruba. Donc, l’homme est yoruba, la
langue est yoruba et la culture est yoruba. Donc, les langues se rattachent la plupart
du temps à des ethnies.
Et, les ethnies se rattachent au territoire.
Youf : Heu ..
A la ville ou à la région ...
Youf : Oui, à la ville. Les ethnies se rattachent à la ville parce que en fait, comme
je t’ai expliqué la dernière fois, le découpage territorial est un découpage en fait que
nous avons hérité de la colonisation. Et le colon blanc quand il est venu il a fait un
découpage qui répondait en fait à ses besoins à lui. Ses besoins d’administration, ses
besoins de contrôler éventuellement les rebellions. Donc ils ont fait des découpages,
ils ont fait des découpages qui correspondaient à un intérêt particulier qui ne
correspondait pas forcément aux regroupements, en fait d’aires ethniques. Et,
aujourd’hui, le gouvernement, la prise de conscience fait qu’on essaye, dans une
certaine mesure de créer, en fait des territoires administratifs qui soient un peu le
reflet des aires culturelles. Pour que les gens, pour que les gens en fait, si tu veux,
unient une solidarité nationale, pour créer une nation. Une nation est bâtie sur un
123
certain nombre de points communs : la culture, les hommes c’est vrai, le territoire
où ils gravitent c’est vrai, mais également la culture. Donc pour essayer de renforcer
en fait cette, ce sentiment de solidarité entre les gens. Les réformes administratives
essayent aujourd’hui de prendre en compte les aires culturelles en fait pour créer des
aires administratives. C’est vrai que d’un autre côté aussi il y a un inconvénient.
L’inconvénient c’est que, d’un autre point de vue ça exacerbe le régionalisme parce
que ça empêche en fait les gens d’avoir un brassage entier. C’est comme avec le
breton. En Bretagne, il n’y a que des Bretons, et du coup, ils ont un sentiment, ils
ont comme l’impression en fait ils appartiennent à une entité à part et rien ne les
unit. Ça c’est un détail mais, c’est sûr que les gens en fait, quand ils se retrouvent
entre eux ils se sentent peut-être certainement mieux. Ils ont l’impression qu’ils ont
quelque chose à partager ensemble. Voilà.
Et, maintenant, en ce qui te concerne, quelles langues tu parles ?
Youf : Moi je parle le nagot. Le nagot est ma langue maternelle.
Et tu ne parles que le nagot ?
Youf : Ah non ! Je parle le nagot mais, je crois que je parle, que je peux
suffisamment m’exprimer en fon, qui est la langue véhiculaire dans le pays.
Oui, d’accord. Plus le français.
Youf : Plus le français.
Et qu’est-ce que tu parles comme autres langues ?
Youf : Heu, comme autre langue du Bénin ?
Hum.
Youf : Heu, non, je crois. Bon, je balbutie, ma femme étant goun, je parle un peu
le goun. Et, quand tu sais qu’il y a une similitude entre le fon et le goun, on peut dire
que j’ai même pas beaucoup de mérite. Ça me sert de parler le goun mais je parle et
je crois que je peux passer du fon au goun sans difficultés.
Ça, ça m’intéresse. Et, comme tu peux passer encore d’autres langues comme
ça ? Ça t’arrive de discuter avec d’autres, avec quelle autre ...
Youf : Avec quelles autres langues ? Bon, discuter vraiment, pas loin, mais je
peux dire bonjour, je peux par exemple identifier quelqu’un qui parle une autre
langue. Identifier. Mais, parler, je ne crois pas.
124
Hum. D’accord. Et, est ce que, selon toi, il y a des usages différents des langues.
Tu parles une langue suivant un contexte. Bon, on l’a vu géographiquement, par
rapport aux ethnies aussi ...
Youf : Hum, hum.
Et, est ce que par rapport aux classes sociales ou par rapport à l’âge, est ce que tu
crois qu’il y a des usages différents ?
Youf : Non. Je crois pas. On ne parle aux gens, que aux gens qui comprennent.
Les langues ne sont pas liées ni à l’âge ni au contexte social. Non.
Elles sont liées à l’ethnie.
Youf : Elles sont liées aux ethnies. Donc, tu parles à quelqu’un ... Ecoute, nous
sommes 6 millions d’habitants et sur les 6 millions d’habitants il y a à peu près 2
millions qui sont à Cotonou où la langue véhiculaire que tout le monde sait, que tout
le monde parle couramment est le fon. Donc il y a de grandes chances que si tu te
retrouves en fait à Cotonou tu ... te ... tu saches bien que si tu ne peux pas balbutier
un mot du fon tu es peut-être un peu quelque part pénalisé. Tu te feras pas
comprendre. Donc, en arrivant à Cotonou, tout le monde essaye si tu veux , la
langue qu’on parle spontanément à quelqu’un qu’on ne connaît pas, c’est le fon.
D’accord.
Youf : Ce qui fait que, bon, écoute, je peux rencontrer quelqu’un qui est de chez
moi, parce que je ne le savais pas de chez moi, je serai amené à lui parler fon en
croyant qu’il est fon, parce que en fait, la plupart des gens qui se trouvent dans cette
grande ville qui est la mégalopole un peu parle fon. Si tu veux, c’est l’utilisation de
la langue liée au contexte dans lequel on trouve ça. Avant de m’apercevoir peut-être
que l’intéressé en fait, on a une langue commune. Commune. Heu, ici, en France, on
a tendance, spontanément à s’adresser à quelqu’un en français parce que on est
français. Mais, quand je vois un noir, j’ai tendance à l’apostropher aussi en français
alors que lui alors que lui peut être parfaitement ( ?), alors que lui peut être par
exemple de chez moi. Je l’aborderai en français quitte à me rendre compte que après
que en réalité il est de la même région que moi. Donc on pourra parler après.
Hum, hum.
Youf : Donc, voilà le seul aspect lié en fait aux circonstances.
Et quelles langues tu parles encore ?
Youf : Où ?
125
Là-bas. Au Bénin. Chez toi. Quand tu y es.
Youf : Quand j’y suis. Heu, je parle la langue de là-bas, je parle le français.
Oui.
Youf : Et, quand je suis en famille, je parle le fon, heu, je parle le nagot. Et,
quand je suis avec des amis, ou quand je suis avec des autres qui ne connaissent ni
français ni nagot, et qui sont fon, je parle fon avec eux.
Et avec ta femme ?
Youf : Avec ma femme je parle, la plupart du temps je parle français.
Hum, hum.
Youf : La plupart du temps je parle français. La plupart du temps je parle
français. Il m’arrive de lui parler ma langue, à cause des enfants. Mes enfants ne
parlent pas très bien ma langue. Ils comprennent un certain nombre de choses parce
que, bon, pendant, pendant, vivant donc dans le noyau, dans la famille, nucléaire,
comme on dit, heu ... la tendance spontanée était de parler français. Donc, quand je
suis à la maison, je parle, je m’exprime très facilement en français. Et tout le monde
s’exprime facilement en français. Maintenant, il y a une bonne à la maison, elle ne
comprend pas forcément le français. Il faut lui parler la langue qu’elle comprend.
Dans la plupart des cas, on parle le fon.
Elle comprend le fon ?
Youf : Oui. C’est la langue véhiculaire que tout le monde essaye de comprendre.
Maintenant, une de mes soeurs vient, bon, naturellement je ne parle plus ni français
même si, quand bien même elle comprend français. Je ne parle plus ni français ni
fon. Je parle nagot parce que spontanément, quand je vois un de mes parents, je
parle spontanément ma langue maternelle.
Et dans quels cas tu ne parles pas français alors en fait ?
Youf : quant je me retrouve par exemple avec mes parents qui ne parlent pas
français. Tu vois la tendance naturelle, ma tendance naturelle déjà était de ne pas
parler français quand je me trouve en famille. A plus forte raison quand je me trouve
avec quelqu’un de mes parents qui ne comprennent pas du tout français. Donc, je
parle pas français.
Et avec ta femme, tu parles français.
Youf : (signe de tête affirmatif)
Avec tes enfants aussi.
126
Youf : Avec mes enfants aussi.
Tout le temps ?
Youf : A non, pas tout le temps. Il m’arrive de leur parler nagot.
Dans quelles ..
Youf : Dans quelles circonstances ? Non, il n’y a pas de circonstances
particulières ...
Quand tu es en colère ?
Youf : Comment ?
Quand t’es en colère ?
Youf : Heu ... non, quand je suis en colère, non. Quand je suis en colère, non, je
parle toujours français. Mais, plutôt quand je suis content.
Oui.
Youf : Oui, quand je suis content, quand j’ai envie de ressasser en fait ma culture,
quand j’ai envie d’exprimer des choses que je ne peux pas exprimer en français.
Oui.
Youf : Parce que il y a des choses que je ne peux pas exprimer en français, parce
que quand je les exprime en français, ça perd quelque chose. Et dans ces cas-là, je
m’exprime nagot quitte à chercher à essayer d’expliquer ce que je dis.
D’accord. (7 secondes de silence.). Très bien. Et ta femme, et à tes enfants, tu
leur parles français.
Youf : Oui, à mes enfants, je leur parle français.
Ta femme aussi.
Youf : Oui, ma femme aussi leur parle français.
Et, vous ne voulez pas leur apprendre votre langue ...
Youf : Ah, si !
... les éduquer dans ...
Youf : Ah, si, on veut, on veut leur apprendre ... Disons que, voilà ... Ce qui s’est
passé, c’est ... (6 secondes de silence) Vivant dans un milieu où on veut, où nos
langues ont cours, et, il y a des enfants qui sont obligés d’aller apprendre le français
en fait à l’école, donc qui apprennent en fait comme une ... Ils vont travailler toute
leur vie si tu veux en français. C’est la langue du travail. Moi je me suis dit que, de
toutes les façons, le milieu va s’imposer aux enfants. Donc, les enfants vont
apprendre forcément au contact du milieu les langues locales. Ce qui n’est pas
127
forcément le cas du français. Donc, du coup, la maison était devenue un peu comme
une seconde école pour lui permettre en fait de mieux assimiler le français. Mais je
crois que je n’avais pas raison de parler français parce que, finalement ... Bon,
j’aurais été plus heureux si tu veux, j’aurai été plus en ... j’aurais été plus heureux si
en fait ils avaient travaillé dans mon milieu à moi. Parce que je crois que ce serait, je
regretterais beaucoup que mes enfants n’arrivent pas à parler ma langue. Parce que,
j’estime qu’elle véhicule des richesses, qu’elle véhicule une culture et que, qu’on ne
peut saisir que dans la mesure ou on comprend, cette langue-là. C’est vrai que la
théorie quelque part était juste puisque élevés dans un milieu fon, mes enfants
spontanément parlent fon, comprennent fon, ils savent parler fon. Ils savent parler
aussi goun qui est leur langue maternelle, mais qui est proche en fait du fon.
Hum.
Youf : Donc, le milieu dans lequel je vis tous les jours est un milieu fon et donc,
effectivement, ils ont appris à parler le fon comme tout le monde, à parler le fon
comme tout le monde. Par contre, comme on n’a jamais vécu dans la région qui est
la mienne, cette théorie n’était plus valable en fait pour qu’ils apprennent le nagot.
Donc, le seul effort qui me reste à faire, c’est que moi, qui suis seul à parler nagot à
la maison, leur apprenne à parler nagot. Et, dans ce cadre-là bon, ben, ils vont en
vacances chez mes parents, chez mes tantes et tout ça, essayer, essayer en fait.
Aujourd’hui, je crois qu’ils comprennent, mais ils ne veulent pas toujours
s’exprimer. De temps en temps, je les amène en fait à parler leur langue. Et puis
quant on doit avoir du personnel domestique, je préfère toujours donner la priorité à
quelqu’un qui peut parler effectivement le nagot pour que ils puissent comprendre.
Malheureusement, comme les enfants parlent spontanément français et que bon,
comprenant le français aussi, quelque part, on peut gagner des, on peut avoir des, un
emploi ... Malheureusement, ce qu’il passe c’est l’inverse. Vis-à-vis des enfants, le
personnel domestique est embauché pour pouvoir leur apprendre à parler nagot,
c’est plutôt ces gens qui essayent de parler, qui essayent de comprendre, qui
essayent d’apprendre le français. Mais, je désespère pas et j’espère qu’ils vont
l’apprendre.
C’est très bien. Et, à l’école, quelle langue tu parlais ?
Youf : A l’école je parlais, heu, le français. Et, pour te dire jusqu'à quel point on
a été aliéné, c’est qu’il nous était interdit de parler le nagot. Il nous était interdit.
128
Parce que j’ai été à l’école dans ma région. Donc, la plupart des enfants de l’école
parlaient, donc étaient de souche nagot, donc parlaient nagot à l’école. Mais, il nous
était formellement interdit de parler nagot à l’école. Parce que quand on parlait
nagot, on était puni. Et, pour te raconter une anecdote, il y avait ce que l’on appelait
un « signal ».
En Bretagne, tu connais l’histoire ?
Youf : Ah, non, je connais pas l’histoire.
C’est exactement la même chose.
Youf : Absolument. Pour là au moins où j’ai été à l’école, c’était, quand tu as
parler un mot nagot, on te donne le signal.
Ici, c’est pareil. [Je lui conte l’expérience scolaire de mes 4 grands-parents dont
la langue maternelle est le breton et l’usage du « symbole » en Basse Bretagne.]
Youf : Ah, ben oui, c’est exactement ça, sauf que nous, on appelle ça le signal.
C’est comme ça en fait que le colon blanc, c’est comme ça que nous on dit, que le
colon blanc à réussi à faire de nous des peaux noires-masques blancs. Et, tellement
c’est que dans certaines familles, moi je ne fais pas la lutte contre le fait que mes
enfants parlent français. Je t’ai expliqué dans quelles conditions. Mais il y a des
familles de cadres surtout ceux qui ont été à la transition c’est-à-dire, à partir de la
colonisation à l’indépendance il y avait des gens qui interdisaient complètement à
leurs enfants de parler leur langue, de parler leur langue sous prétexte que, en fait, ça
ne leur apporterait rien. C’est qu’il faut parler français, c’est en parlant français que
vous pouvez trouver du boulot, que vous pouvez devenir fonctionnaire. Et, à l’école,
il y a des maîtres qui étaient austères, ils te donnent le signal. C’était, sous forme de,
de, on prenait le fémur de, de d’un bœuf, on allait à l’abattoir prendre le fémur d’un
bœuf. Donc on a attaché une ficelle autour comme un collier. Donc, dès que l’on se
voit, on se dit « voilà ».
Donc, à l’école, tu étais obligé de parler français.
Youf : Ah oui.
Obligé. Et, ça, c’était durant toute ta scolarité ?
Youf : Oui, bien sûr.
Et, à l’université aussi ?
Youf : A l’université non. Bon, ma scolarité, uniquement durant le primaire. Au
secondaire, ce n’était plus obligatoire. Au secondaire, si tu veux, on était devenu un
129
peu, on avait réussit à nous inculquer que de toute façon, on avait intérêt à parler
français. Donc, plus personne n’était occupé. Mais, c’était plus obligatoire. On
pouvait discuter, et, dans la langue que tu voulais.
Et, au travail, tu parles tout le temps français.
Youf : Ah, non. Au travail, quand je dois répondre officiellement. C’est-à-dire,
dans le cas des responsabilités qui sont les miennes, je dois parler à un Allemand, je
parle effectivement français. Mais, j’exerce sur la personne, sur des êtres humains
et, il faut qu’ils me comprennent. Donc, j’accède à leurs langues. J’essaye de parler
leurs langues.
Où est ce que tu exerces ? A Cotonou ?
Youf : Non, pas à Cotonou. A Abomey, dans le centre d’Abomey. Donc, on parle
le fon là-bas. Donc, c’est surtout là où j’ai appris à, à améliorer mon fon. Donc,
parce que tout ceux qui viennent, je ne sais pas quelle est la proportion de gens qui
parlent français au Bénin, mais, ça doit pas être, ça ne doit pas être très important.
Peut être 25, 20, 25%
C’est vrai !
Youf : Oh, oui. Peut être 20, 25%. Qui parlent, oui, ça doit pas être plus que ça.
Je ne sais pas, mais ça ne doit pas être loin de là.
Ah, bon, moi je pensais que tout le monde parlait français.
Youf : Ah, non.
Ah, ben, c’est bien ça. Et, donc, suivant les personnes tu changes de langue.
Youf : Je parle la langue que la personne comprend. Dans la mesure que je
comprends cette langue. Maintenant, si je comprends pas, et bien, j’appelle un
interprète. Un interprète qui comprend français, ou qui comprend une des langues
que moi je comprends.
Et tu as fait l’armée ?
Youf : Oui.
Et quelle langue on parle à l’armée ?
Youf : A l’armée on parle le français.
Obligatoire.
Youf : Obligatoire.
Et dans les administrations : le français.
Youf : Obligatoire. C’est la langue de travail. Donc, c’est la langue du pays.
130
Et à l’église ? Tu es catholique ?
Youf : Non, je suis musulman.
Musulman.
Youf : A l’église, bon, à la mosquée, justement, à la mosquée, rien ne se fait,
presque dans aucune mosquée, on ne prêche dans, dans une mosquée maintenant à
Cotonou à ma connaissance. Mais parce que il comprend bien français, il essaye de
faire un sermon en français. Mais, mais dans ma région, c’est en arabe. On n’a pas
essayé de traduire. Ce qui à mon avis était plutôt mieux, parce que, il y a beaucoup
de gens qui, à l’église catholique regrettent la messe en latin. Aujourd’hui parce que
ça avait quelque chose de vivifiant, ça avait quelque chose de, de solennel. Donc,
quelqu’un de musulman, on fait la prière en arabe. Les sermons, les communiqués
se font dans les langues locales. Donc, si dans un quartier il y a une mosquée, on
utilisera dans cette mosquée la langue de la majorité des gens.
Et, tu parles, tu comprends l’arabe ?
Youf : Je ne comprends pas l’arabe. C’est-à-dire, je ne comprends pas l’arabe,
heu ... pour en parler. Je connais les prières en arabe qu’on m’a apprises quand
j’étais enfant. Que je récite sans pour autant les comprendre, mais, je récite avec la,
la, comment dire, la , la foi, voilà. C’est vrai que en grandissant, j’ai essayé, tu vois
de, par le biais des traductions de comprendre en fait ce que ... mais, les traductions
ne me disent rien.
Et est-ce-que tu vois d’autres circonstances dans lesquelles tu changes de
langue ? Tu parles pas français, tu parles pas ... Je ne sais pas, peut être quelque
chose que j’aurai oublié.
Youf : D’autres circonstances ? Heu, non, je vois pas, sauf si je rencontre moi-
même des Anglais parce que nous sommes à, nous sommes au Nigeria.
Tu parles anglais ?
Youf : J’essaye. J’ai appris l’anglais au secondaire mais, bon, ne pratiquant pas
toujours, on oublie. Mais, bon, écoute on essaye, on cherche ses mots et, on fini
toujours par les trouver pour exprimer ce que l’on veut.
Et est ce que il y a d’autres langues que tu parles ?
Youf : Oui, un peu l’espagnol, j’ai fait l’espagnol pendant deux ans. Je dis
« bonjour » mais, en dehors de ça ...
131
Bon, c’est très bien. Et, donc ton, ton goût, ton affectif va vers le, vers le fon, ou
plutôt vers le nagot.
Youf : Vers le nagot. L’affectif va vers le nagot. Je connais ça par, si tu veux,
profondément. Je connais le nagot, je connais ses richesses, je connais ses racines.
Je connais ... Je trouve à travers les chants, à travers les complaintes, à travers le
quotidien, la façon d’exprimer les choses. Je trouve en fait qu’il y a une richesse
commune dans le yoruba. Je suppose qu’il y en a aussi dans d’autres langues ...
Dans le yoruba ?
Youf : Dans le yoruba, dans le nagot. Tu vois, le nagot et le yoruba sont
apparentés.
Le nagot ... J’ai pas trop compris. Le nagot dérive du yoruba.
Youf : Oui, tu peux le dire.
Ta langue maternelle c’est le yoruba.
Youf : Ma langue maternelle, si tu veux parler en terme de langue.
Oui.
Youf : Du coup, c’est le yoruba.
Mais, c’est le nagot que tu parles.
Youf : C’est le nagot que je parle. On peut dire que je suis nagot.
Oui.
Youf : On peut dire que je suis nagot. Mais on peut dire aussi que je suis yoruba.
C’est-à-dire que si on veut me classer dans un grand groupe, on me classera parmi
les yoruba.
D’accord.
Youf : Mais si on veut être plus spécifique, on dira que je suis nagot.
D’accord. Et tu parles aussi yoruba.
Youf : Oui, je peux passer moi, du nagot au yoruba. Il va avoir peut être un
accent.
Hum, hum.
Youf : Mais, je peux passer du nagot au yoruba. Et je comprendrai, tout, je
comprendrai en général tout ce que le yoruba dit. Quand un yoruba chante, j’ai pas
besoin d’interprète pour comprendre ; ou quand un yoruba s’exprime, j’ai pas besoin
d’un interprète pour comprendre. Par contre, si moi je m’exprime, le yoruba pourrait
132
avoir des difficultés nées de ce que certains mots nagot peuvent se glisser dans ce
que je vais dire.
Et, quant aux intérêts, ton intérêt à été d’apprendre le français.
Youf : Bien sûr, bien sûr.
Et, tu n’as pas d’intérêts particuliers pour d’autres langues ?
Youf : Pour l’anglais aujourd’hui.
Ouais.
Youf : Ben, forcément parce que c’est la première langue. Ecoute, moi je dis aux
Français : vous avez créé la francophonie, mais, en réalité, personne en France ne
parle français pour dire des choses sérieuses, pour dire des choses scientifiquement
sérieuses. Quand il s’agit de faire des publications scientifiques, les Français se
mettent à parler anglais ; parce qu’ils estiment que le français, bon... Et pendant ce
temps-là, on nous demande, nous Africains de porter haut le flambeau de la
francophonie et d’abandonner nos langues. Et, je pense que toute personne, tout
scientifique aujourd’hui qui ne programme pas sa mort intellectuelle doit apprendre
l’anglais. T’as qu’à regarder les ordinateurs, tous les programmes sont fait en
anglais. Naturellement. Quitte à être traduit ensuite secondairement en français.
Donc, il y a un intérêt majeur à apprendre l’anglais.
Et par rapport aux langues de ton pays, le fon pour toi, c’est important.
Youf : C’est important parce que, bon, il y a quand même une bonne, un bon
pourcentage, c’est la langue véhiculaire.
Oui. Et, est-ce que, personnellement, tu as l’impression qu’il y a des conflits
entre les langues ?
Youf : Entre les langues de chez moi ?
Hum.
Youf : Des conflits entre les langues non. Des conflits entre les ethnies, peut être.
Pas des conflits ouverts. Mais du fait du poids de l’histoire, du fait de l’histoire, et
de la façon dont les uns se sont comportés par rapport aux autres, il n’y a pas
toujours bonne intelligence entre les différentes ethnies du pays.
Et toi, dans les langues que tu parles, est-ce que il y a des conflits entre les
ethnies ? Est-ce que tu sens qu’il n’est pas bon de parler une certaine langue parce
que toi tu es yoruba ou nagot. Est ce que, par exemple, tu es nagot, ça ne pose aucun
problème que tu parles yoruba ?
133
Youf : Non, pas du tout, nagot et yoruba, on peut les assimiler.
D’accord.
Youf : Nagot et yoruba, on peut les assimiler. Si on fait pas attention, ça ne
choquerait personne, ça ne se remarque même pas à la limite qu’un nagot parle
yoruba, ça ne se remarquerait même pas. Tu comprends.
Hum.
Youf : Je ne sais pas comment je pourrais ...
Si, si, c’est ...
Youf : Tu comprends.
Oui, oui. Oui, oui.
Youf : Ça ne, c’est normal ...
Mais, moi, en fait ...
Youf : Par contre ... quelqu’un, qu’un nagot aille parler fon ...
Oui.
Youf : ... dans un milieu nagot, ce serait pas bien vu.
Bien sûr.
Youf : Voilà.
Par ce que, en fait, je pensais au breton. En breton, tu as plusieurs dialectes et,
moi je suis du nord ouest, je suis léonarde. Et, à côté de nous, on a le bigouden, dans
le sud, le trégorois à l’est.
Youf : Oui.
Et, on se comprend sans problème ...
Youf : Oui.
... même si c’est pas tout à fait la même chose
Youf : Oui.
Mais, quand il y a des blagues à faire, c’est tout le temps sur les bigoudens, quoi.
Youf : Voilà.
Ah, les bigoudens ils sont radins, les bigoudens ils sont fourbes ...
Youf : Voilà. Oui, ça, ça existe, mais pas entre nagot et yoruba. Ça existe entre
fon et nagot par exemple. Bon, mais ça, je crois que ce n’est pas lié à la langue, ce
n’est pas lié au voisinage, c’est lié à l’histoire. C’est comme si tu dis, le royaume
d’Abomey. C’est un royaume qui était relativement plus grand au 17ème siècle et
qui a cherché la guerre à plusieurs régions du pays, dont la région nagot. Donc,
134
forcément, on ne cohabitait pas. Il y a une ethnie, il y a une langue que j’ai oublié là,
qu’on peut assimiler au fon, dans le sud, à laquelle je pense maintenant. C’est le
« mai ». M-A-H-I.
Et du yoruba il n’y a que le nagot.
Youf : Il n’y a que les nagots.
Ah oui, les nagots, c’est vrai. Les nagots.
Youf : Voilà. Et comme tu dis tout à l’heure, les léonards, les bigoudens ... c’est
pareil ; voilà.
Mais, c’est pour ça, j’ai l’impression de comprendre. C’est pour ça, c’est ma
culture la Bretagne, et puis je vois, je vois que le modèle peut se transposer.
Youf : Tout à fait.
Oui, et ça ne vient pas de la langue, ça vient de l’histoire.
Youf : Ça vient de l’histoire.
D’accord.
Youf : Maintenant il y a des relations de ce genre aussi qui viennent de la langue,
qui viennent de la langue. Parce que, par exemple, quand tu prends un nagot. Tu
peux avoir des variétés, comme les variétés de breton. Et de ce côté-là on peut se
chamailler un petit peu. Tu vois, tel mot au lieu de le prononcer comme ça, ils le
prononcent d’une autre manière. On dit « ah ! », dès que tu parles comme ça, on dit
« ah ! celui-là, c’est un nagot de tel endroit, c’est un nagot de tel endroit ça,
regardez ! ».
(rires). Nous c’est comme ça. C’est comme ça aussi.
Youf : Voilà exactement.
Même dans le Léon, il y a des endroits, nous, moi j’habite à Plouvorn, c’est un
petit village. Juste à côté, d’un bord il y a Landivisiau, et de l’autre Guiclan. Et ben
d’un côté on dit un mot, et de l’autre côté on le prononce différemment.
Youf : Voilà.
Alors on dit « Ah, les chel ...
Youf : ils viennent de là-bas. Pour bien dire, on dit « Ah, c’est nos amis de là-
bas ! ».
(Rires). Oui. d’accord, et, une dernière. C’est par rapport aux politiques. Est-ce-
que il y a des politiques linguistiques, au Bénin ? Est-ce-que tu en connais, est ce
que ...
135
Youf : Oui. Je sais qu’il y a une politique linguistique. Je t’ai dit qu’il y en a un
centre qu’on appelle le CEBELAE. Le centre béninois de linguistique.
Le directeur m’a écrit, j’ai reçu une lettre ce week-end.
Youf : Ah bon.
En fait, il m’a répondu parce que je lui avais écrit.
Youf : Il s’appelle Akofa quelque chose ?
Oh, je sais plus, peut être.
Youf : Il s’appelle Akofa, je le connais.
[Discussion par rapport à cette correspondance.]
Oui, et donc, les politiques linguistiques.
Youf : Je dis, il doit y en avoir certainement une. Heu, très élaborée dans le cadre
du centre là, dont on a parlé. Mais il faut dire qu’il y a des efforts aussi dans le cadre
de l’alphabétisation. C’est-à-dire, qu’on veut alphabétiser les gens dans leur propre
langue. Donc, il y a une politique qui est faite de la part de la direction nationale de
l’alphabétisation. Donc, et à un moment donné même, malheureusement, ça n’a pas,
ça n’a pas abouti. A un moment donné, on avait imposé que dans les écoles
maternelles la langue enseignée ne soit pas le français. Donc, suivant les régions ...
C’est très moderne.
Youf : Oui, suivant les régions, mais, malheureusement, ça a échoué parce que,
ceux qui avaient intérêt à ce que ça échoue n’ont pas ménagé leurs moyens. Et parce
que en fait si les langues locales prenaient de l’importance, ce serait au détriment en
fait du français. Et, de ce côté-là, on n’a pas beaucoup de chance. Malheureusement
les nationaux aussi, peut être n’ont pas fait ce qu’il fallait non plus pour faire
avancer les choses. Donc, à un moment donné, pendant des années, on a, pendant les
3 années que j’étais en maternelle, c’était obligatoire, on appelle ça les CESE, les
centres d’éveil et de stimulation de l’enfant. Donc, c’est une façon d’appeler ça
maternelle, c’est les CESE. Et tout se faisait dans les langues locales, ça se passait
dans la langue de la région, même si vous n’êtes pas de la région. Et les enseignants
avaient été recrutés en fonction de leur capacité, de leur ethnie pour pouvoir parler
en fait ces langues. Malheureusement, ça n’a pas été, ça n’a pas marché.
Et tes enfants ont ...
Youf : Mes enfants, justement, au moment ou mes enfants allaient à l’école,
c’est-à-dire que c’est depuis 14 ans à peu près qu’on a changé à nouveau. Donc, on
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n’a pas pu bénéficier de ça. Et quand bien même en fait, heu, ils auraient pu
bénéficier de ça, n’étant pas dans ma région d’origine, ils auraient appris une autre
langue, celle de la région où je travaille moi. Donc, ils auraient appris le fon. Tu
comprends.
Oui, oui.
Youf : Parce que pour qu’ils apprennent le nagot qui est la langue de chez moi, il
aurait fallu vivre, tu vois.
Et, ça t’aurais gêné qu’ils apprennent le fon au lieu du nagot ?
Youf : Oui, ça m’aurai gêné. Ça m’aurait gêné parce que je ... je me dis, je ne
suis pas fon et je ne vois pas pourquoi mes enfants en fait. Déjà la rue leur apprenait
le fon. Et, moi je, dans mon intime conviction, ça m’aurai gêné un peu ... J’aurais
pas aimé que mes enfants apprennent le fon, à l’école ; parce que je ne me sens pas
fon ...
D’accord.
Youf : Ça m’aurait gêné autant que ... le français si tu veux, dans une certaine
mesure. Encore que le français, bon, ben écoute, le français permet quand même
d’accéder à, si tu veux au conseil des nations, à la communauté internationale et tout
ça. Et je vis déjà mal ça. Je vis déjà mal de ne pas pouvoir .. Je vis déjà mal en fait
quelque part notre assimilation au français. Alors, j’aurais vécu en fait qu’on impose
une autre langue à mes enfants comme une seconde domination.
Et toi tes parents parlaient nagot.
Youf : Les deux.
Tes deux parents parlaient nagot.
Youf : Oui. Mes parents étaient nagot de souche.
Et tes grands-parents aussi.
Youf : Aussi.
Et nagot, c’est un territoire, heu ...
Youf : Heu ...
C’est grand ?
Youf : Oui, si tu prends le nagot de Savè, oui, c’est un territoire. Ça correspond à
un territoire géographique.
Et, il est assez vaste comme territoire ?
137
Youf : Heu, il doit faire ... Je ne connais pas l’étendue mais, en fait, je sais que du
sud au nord, ça doit faire 40 sur à peu près 60 kilomètres. 60 kilomètres. Si tu
multiplies 60 kilomètres par 40 kilomètres, ça fait à peu près 2400 kilomètres carrés.
Et t’as pas rencontré ta femme dans le territoire nagot.
Youf : Ah non, je l’ai pas rencontré dans le territoire nagot. Je l’ai rencontré au
sud. Parce que en fait, allant à l’école, j’ai été à l’école au sud.
Où tu as fait tes études ?
Youf : Dans le centre, dans la région d’Abomey, pour le premier cycle. Le second
cycle, je l’ai fait à Porto-Novo. J’ai fait le second cycle là. Et ma femme, elle est
native de là. Porto-Novo.
D’accord. Le second cycle, c’est le collège ?
Youf : Oui, seconde, première, terminale.
Et la faculté ?
Youf : La faculté, je l’ai faite à Cotonou pour la médecine générale. Et puis j’ai
fait la spécialisation en Côte d’Ivoire.
Ah oui ! Et tu n’as pas appris des langues de Côte d’Ivoire ?
Youf : Oh, en Côte d’Ivoire, de toute façon, il y a quasiment 60 langues, peut être
plus, différentes. Et il y a une langue véhiculaire aussi qu’est le dioula.
Bon, et bien c’est très, très bien.
Youf : Si j’ai pu être utile quelque part ...
Tout est clair, c’est vraiment parfait. Je crois qu’on a tout vu. Tu aurais quelque
chose à rajouter ?
Youf : Non, sauf si tu me demandes de développer autre chose. Mais, il me
semble que l’on a tout vu. [fin de la cassette].
Nadine : Bon, et bien alors, merci pour tout.
Cet entretien m’a apporté énormément de choses. Tout d’abord un complément
de connaissances sur le pays, son histoire et sa culture. D’autre part, l’exposé de
Youf m’a permis d’appréhender le Bénin d’un point de vue purement
sociolinguistique, de vérifier quelques hypothèses et d’en élaborer d’autres avant de
me rendre sur le terrain.
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7 : entretien Foudou
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Alors, d’abord, je vais vous poser les questions que je pose à tout le monde dans
le village. Ensuite, je vous poserai des questions sur votre rôle, sur le Maire, ensuite
des questions sur Onklou, sur les Yowa et enfin, des questions sur les langues.
Voilà, donc d’abord les questions que je pose à tout le monde. Comment vous
appelez-vous ?
• Je m’appelle Foudou Zakari.
Quel âge ?
• Oh, je suis de 65. Mais actuellement je suis né en 65 puisque j’ai été à l’école
un peu âgé. Bon, mais mon acte, je suis de 58.
Religion ?
• Bon, je suis Yowa.
Non, l’église.
• Ah, bon, je suis ... Vous avez parler de quoi ?
Religion.
• Ah, je suis musulman.
Vous avez combien de femmes ?
• Deux.
Combien d’enfants ?
• Six.
Et, c’est quoi votre activité, votre travail ?
• Je suis cultivateur.
Quelle langue est ce que vous parlez ?
• Je parle le yom, le dendi, le cura, le français.
Est ce que vous avez fait le Ghana ?
• Jamais.
Où est ce que vous avez appris le yom ? Vos parents sont Yom ?
• Non, ils sont Cura, mais je suis né ici. Quand ils ont fait l’exode rural ils sont
venus ici.
Cura, c’est d’où ?
• Cura ? C’est de Pélébina.
Très bien. Où est ce que vous avez appris le dendi ?
140
• Le dendi est un peu éparpillé. Je l’ai apprise mais c’est une langue facile à
apprendre. Disons que tout le monde parle dendi parce que c’est la région. La
circonscription urbaine de Djougou, c’est dendi.
Et pourquoi c’est dendi ?
• C’est la colonisation ...
Comment ça ?
• C’est les ... les musulmans, la religion musulmane qui a gagné toute la région.
Voilà. Et, tout ceux qui ont colonisé parlent dendi et c’est des étrangers. Sinon c’est
les Yom qui ont Djougou, la région de Djougou. Mais par manque d’instruction ils
ont laissé le terrain aux colonisateurs qui sont des Dendi, des étrangers. Et le Dendi
dit « celui qui a traversé ». Den-di. J’ai traversé. Ça veut dire « j’ai traversé ». C’est
des gens qui ont traversé, qui ont gagné du terrain et ils sont des musulmans ceux
qui ont traversé là. Ils ont traversé le fleuve Niger, ils sont rentrés par Malanville.
Et ils viennent du Niger ?
• Non, ils viennent du Mali. Et avec la religion musulmane, ils ont gagné
Parakou. Dès qu’ils ont traversé le fleuve Niger, c’est de là-bas qu’on leur a
demandé leur religion, heu, leur langue. Ils ont dit qu’ils sont des « den-di ». Ils ont
traversé.
Très bien, très bien. Et vos parents, ils parlaient dendi ?
• Tous.
Et, est ce qu’ils vous parlaient dendi ? Quelles langues ils vous parlaient ?
• Ils me parlent notre langue, de mon origine. Je viens de Yarakéou plus
précisément. Mon père et mon grand-père sont venus de Yarakéou. Mon père, mon
grand-père le transportait sur l’épaule pour arriver ici parce que il paraît qu’il a
perdu sa femme quand il était très jeune si bien que mon père est parti en aventure
comme ça. Il est venu ici transportant mon père sur l’épaule. Donc, c’est ici que
mon père à marier une femme et que je suis né ici. Et ma mère est morte au moment
où j’allais au CP en 1970. Si bien que moi je sais que je suis d’ici. Ma mère est
Yom. Mon père est de Yarakéou mais j’ai tout fait, on m’a reconnu là-bas.
Ah, bon.
• Ah, hey, sinon on ne connaît pas là-bas.
Et donc vous vous parlez la langue de là-bas que votre père vous parlait.
141
• Jusqu’ici oui. Même tous mes enfants, on les force à parler la langue. Tous
parlent.
D’accord. Et vos parents parlaient aussi dendi.
• Ils parlent dendi.
Et yom.
• Correctement.
Bon, et jusqu'à quelle classe vous avez fréquenté ?
• J’ai fait la seconde.
Où ça ?
• A Cotonou.
Est ce que vous parlez le fon ?
• Un peu.
Très bien. Depuis quand êtes-vous Maire ?
• Depuis 90.
C’est quoi votre travail de Maire, votre rôle ?
• Mon rôle c’est de résoudre ... En tout cas, j’embrasse un peu de tout. Bon, je
fais un peu la sécurité. Quand ça me dépasse je transmets à mon chef supérieur.
Bon, en tout cas j’embrasse un peu de tout mais je rends compte à mon supérieur de
la circonscription urbaine de Djougou.
Très bien. Et, la commune de Onklou...
• Tout d’abord, Onklou veut dire « tout est caché dedans », dans le sous-sol. Les
bonnes choses sont dans le sous-sol, c’est dans le sous-sol.
Et ça veut dire quoi ça ?
• Il faut se baisser, fouiller, le trésor est caché dedans. Voilà que le trésor est
dedans, sous le sous-sol. Ça veut dire que si vous venez ici, il faut labourer, faut
travailler ; vous savez, vous allez rentrer bien dans le sous-sol et l’argent est en
dessous. Si il faut interpréter la langue « l’argent est enterré ».
Très bien. Et, vous pourriez me faire un court historique maintenant de la
commune de Onklou ?
• Oui. La ville de Onklou a été créée en 1917 par Worou Béréga qui est de
Soubouroukou. Dans le conflit avec sa population là-bas, étant roi, il est venu voir
l’administrateur civil de Djougou pour lui demander qu’il voudrait entrer en brousse.
142
Il a demandé les raisons. Il s’est expliqué, bon, on ne pouvait pas le contrecarrer
pour éviter les dangers. C’est ainsi que l’administrateur civil, Monsieur Mississante,
l’a dirigé vers ici, ne serait-ce que pour favoriser le percement de la voie Djougou-
Parakou. L’administrateur lui présenta le roi de Sérou, le premier village, 7
kilomètres de Djougou. Ils se sont connus et c’est ainsi que le roi, il comprenant un
peu le français, c’était un ancien élève. Mais de ce temps-là, il était le meilleur.
Etant roi c’est lui qui interprétait (traduisait) la langue sur la ligne (la route). C’est
ainsi qu’on lui a montré la route à suivre. Il a avancé, avancé, avancé. Arrivé au
niveau de Vanhoui, la piste est finie et celui qui est à Vanhoui, là, c’était un, il était
déjà en mésentente avec ses parents de Sérou. Et, dans la colère, il est venu fonder
Vanhoui. Pour abandonner ses parents, quoi, il est parti créer le village de Vanhoui.
Il était là, seul. Donc, Worou Béréga a suivi la piste jusqu'à Vanhoui pour trouver un
seul qui était logé là. Bon, il a avancé, avancé jusqu’au niveau de Onklou II actuel.
C’est au niveau de la forêt, c’est là où il s’est installé. Les bêtes féroces l’embêtaient
de tel manière qu’il est obligé de se retourner pour chercher son confrère de, du
village de Sérou, à côté de Soubouroukou, un grand chasseur qui a des produits
chimiques pour renvoyer les bêtes. C’est les bêtes féroces qui l’embêtaient. Il l’a
appelé pour s’installer à côté de lui, pour l’aider à s’installer ici. Donc, c’est ici
qu’ils se sont installés. Lui, grâce à ses produits chimiques il a pu installer son
village qui était dans le temps à Danogou. Le village s’appelait Danogou. Et, c’est là
où actuellement il y a l’église de la foi apostolique. C’est là. On ne pouvait pas
rentrer jusqu’ici. C’était la forêt ici. Ils se sont installés là pour renvoyer les bêtes.
Quand ils ont eu de la paix, ils ont dit « bon, maintenant ça va, mon frère, comme tu
es le plus courageux, on ne peux pas rester côte à côte parce que d’un jour à l’autre
il y aura bagarre entre toi et moi. Va t’installer là-bas, je serai ici ». Et il a mis
encore en profondeur pour s’installer là-bas, près de l’école et c’est là qu’on appelle
Séra fonga.
Et ça veut dire quoi Séra fonga ?
• La forêt des fauves. Donc c’est là où il a fait avancer le chasseur, le
courageux, lui, il était là. Un instant après, il a dit « non, ça ne peut pas. Quand je
viens de Djougou, quand le roi de Djougou m’invite aux réunions, je mets du temps
à marcher. Si ce n’est pas Vanhoui, je ne trouve pas un village pour me reposer et,
j’ai vu un site là, très intéressant ; il va falloir que tu rebrousses chemin pour
143
s’installer là-bas. Là, lors de mes voyages, je prendrai repas chez toi ». Et c’est ainsi
qu’il a indiqué Partago. Et effectivement, il est retourné pour construire à Partago,
l’homme de Séra fonga. C’est les gens de Sérou là, c’est eux qui ont de tout.
Et ça veut dire quoi Partago ?
• Partago, ça veut dire « rentre définitivement ». Cora-pata, pata veut dire
« définitivement » et cora veut dire « rentre ». Pata-gora. Bon, dans un premier
temps, il était déjà habitué à Onklou qu’il ne voulait pas s’installer définitivement.
Et ça a donné le nom de « rentre définitivement ». Et c’est ainsi que je connais
l’histoire.
C’est très bien. Et quelle population il y a à peu près à Onklou ?
• Au moins 11 000, au moins.
Combien d’ethnies ?
• Les ethnies. Oh, d’abord les Yom, le Dendi, le Lokpa, le Ditammari, le Peulh,
le Yoruba et le Soroba.
Et au départ, c’était un Yom qui a fondé Onklou.
• Oui.
Pourquoi est ce que il y a d’autres ethnies qui sont venues ?
• Bon, ils sont à la conquête de la terre fertile, de la terre fertile. Ce n’est pas
pour rien qu’il y a la forêt classée à Onklou. Jusqu’ici la forêt classée, là, grâce à
elle, parce que il y a le PGRN qui gère la forêt classée ...
Le PGRN ?
• Le PGRN c’est un projet chargé des ressources naturelles, qui gère maintenant
la forêt classée. Donc maintenant, il faut que les paysans soient dedans avec les
structures adéquates organisées. Donc ce sont ces paysans qui sont dedans, on les a
délimité une part pour cultiver. Et c’est cette portion qui fait envier la plupart des
populations qui viennent s’installer au niveau, autour de la forêt classée pour
l’exploiter. Bon, voilà, la terre est fertile. Il y a des scieurs, les charbonniers, les
cultivateurs ... En tout cas, il y a tout dedans pour exploiter la forêt classée. C’est
pourquoi il y a une multitude de races qui entoure maintenant aujourd’hui la
commune pour pouvoir exploiter.
Très bien. Ça parle donc yom, tout ceux-là parlent yom.
• Oui. (5 secondes de silence)
144
Heu, alors, les Yowa, ils sont donc originaires de Soubouroukou et ils sont
venus ici avec le roi pour la terre fertile.
• Oui.
Qu’est ce que veut dire Yowa ?
• Yowa veut dire « berceur ».
Berceur ?
• Oui, c’est quelqu’un qui berce. Le Yowa veut dire, en un mot, hein, je
m’explique, à nous d’avoir l’idée pour avoir le vrai mot. Yowa veut dire, « celui qui
berce l’enfant ». Le Yowa, c’est comme ça, c’est le berceur. Le Yowa c’est
quelqu’un qui chérit un étranger qu’il ne connaît pas. N’importe qui, qu’il ne connaît
pas, il l’accueille gentiment.
C’est vrai.
• Voilà, c’est ça le Yowa. Yowa veut dire le berceur. Il berce, qu’il te connaisse
ou pas. C’est ça « ma yowa » veut dire « je le berce ».
Et Yowa c’est le pluriel de Yom ?
• Non. Les Yowa, le Yora. Le Yora c’est le singulier, Yowa c’est le pluriel, yom
c’est la langue.
Et que veut dire yom ?
• Yom c’est la langue, c’est tout.
Et yom et pila-pila, c’est la même chose ?
• Non, Pila-pila c’est un surnom. Pila pila c’est une salutation, c’est comme
merci merci. Pila pila c’est comme merci merci. Si bien que au sud, là-bas, quand
les Pila-pila, les Yowa sont partis là-bas, ils se saluent, ils disent « pila pila », merci
merci. Et les Fon les ont surnommés là-bas, Pila-pila. C’est tel que le littéraire Jean
Pliya. Son nom, il a quitté ici pour s’inscrire à l’école, auprès de ces parents. Mais, il
a été naquis à Djougou. C’est un Fon son papa. Son papa c’est Jean. Et lui-même,
bon, sa maman est une Yom, d’ici, parce que son papa a œuvre pour les activités, les
travaux de l’ancien temps, quoi. Les travaux de percement de la route venant du sud.
Bon, c’est ainsi qu’il s’est connu avec la maman de Jean, heu, la maman de Pliya.
Et, il a granditquand il a l’âge d’aller à l’école son papa l’a expédié, disons à ses
parents pour fréquenter parce qu’ici, il n’y avait pas d’école. Et il voudrait que son
enfant fréquente. Il est parti là-bas et arrivé là-bas, pour l’inscrire, les parents là-bas
savaient que c’est l’enfant de Jean. Et comme ils savent que il est parti là-bas, il ne
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parle que le pila, le yom. Ils ont dit que c’est l’enfant de Jean. On dit « quel Jean ? ».
On dit que cet enfant-là c’est Pila, Pila, merci. Et ça a été Jean Pliya, au lieu de
répéter Pila pila.
D’accord, donc pila pila c’est une salutation qui veut dire merci merci. Et c’est
un surnom pour les Yom.
• Oui, c’est une salutation, c’est un surnom.
Est ce que les Yom sont de la même famille qu’une autre langue ?
• Ils sont de la même famille que les Taneca. Le taneca c’est le yom mais
l’expression diffère. On parle la même langue mais, il faut être attentif pour
comprendre le taneca. C’est la même chose.
Et comment ça se fait ? C’était la même famille au début ?
• Oui, je peux même dire, c’est la même famille. Je peux même dire, c’est le
taneca qui a naquit le yom. Le yom même c’est une modération. C’est le taneca qui,
à ma connaissance, en tant qu’alphabétiseur de carrière, toutes les sources de yom
on les retrouve dans le taneca. C’est les Tanecas qui arrivent à nous expliquer
correctement les sources de chaque langue. Donc, il semble que l’origine du yom,
c’est le taneca pour moi.
Et le dendi par rapport au yom, ce n’est pas de la même famille ?
• Non, non, non, non. Le dendi vient du Mali en passant par Malanville. Arrivé
à Malanville c’est là où on lui a dit « den-di ». Dendi veut dire traverser. Ils ont
« dendi », ils ont traversé le fleuve Niger pour arriver à Malanville. C’est pourquoi le
dendi du Niger est très fin et celui de Malanville est un peu ouvert parce que il y a
un peu de bariba qui rentre. Quand il a traversé, on a dit « d’où viens-tu ? ». Il a dit
« den di ». C’est de là qu’on l’a surnommé au Bénin, ici dendi, le traversé. Ça veut
dire celui qui a traversé, le dendi. Et au fur et à mesure le dendi de Parakou n’est pas
trop près et le dendi de Djougou c’est un empereur, un empereur. C’est un empereur.
Un empereur ?
• Oui, c’est quelqu’un, quand j’appelle empereur, quelqu’un qui est venu
conquérir la population pour la convertir en une religion. C’est un religieux. Il faisait
son petit chemin, l’homme, venant du Mali et il est parti à Djougou. Il a pu
conquérir Djougou à sa religion. C’est pourquoi la religion musulmane en majorité,
c’est le dendi. Et, ils ne font que parler sa langue, le dendi, le traversé, là. Et le dendi
de Djougou est un peu plus clair rapprochant du yom. Et c’est le yom qui a pu
146
modérer le dendi de Djougou. Et c’est clair, c’est le yom. Le Yom c’est un étranger
et c’est pourquoi à Djougou, les Dendi en yom ils ont leur nom partout. Le fondateur
de Djougou c’est un yom. Il était à Killir. Killir veut dire « celui qui court ». Avant
de l’installer là on l’a chaîné sinon il vient, il court, il rentre à Bullum. Il vient, il
court, il rentre à Bullum et on est obligé de l’attacher. C’est pour ça, on appelle
Killir, celui qui court. On l’a attaché parce qu’il était jeune. Il s’est installé dans la
forêt. Et c’est ainsi que l’empereur là qui est venu il a vu le roi pour s’installer. Le
roi dit « non, comme vous êtes des étrangers installez-vous là-bas ». C’est là où la
ville de Djougou est. Il s’est installé là en tant qu’étranger. « Moi je suis dans ma
ville ici à Killir en paix ». Il a montré là-bas et quand les administrateurs sont venus
ils ont demandé « comment on appelle ici ? ». Il a dit non que lui n’a rien à dire que
lui est étranger « celui qui appartient la ville il est là-bas, il est dans « Zougou » ». Et
l’administrateur, les Blancs ont écrit « Djougou ». Mais zougou veut dire « la forêt »
alors que le fondateur est dans la forêt à Killir. Il est là-bas. Et le blanc écrit
« Djougou » ça dit forêt. C’est ainsi que l’administrateur a écrit « Djougou » pour
faire la plaque et venir placer ça « Djougou forêt ».
Donc le dendi c’est une langue qui change.
• Il y a des différences mais, c’est le même dendi. C’est l’expression, le langage
qui diffère.
Le dendi de Djougou, il y a du yom dedans.
• C’est plus clair, c’est plus transparent. Le dendi de Parakou il y a un peu de ...
de sons là. Or le dendi de Malanville c’est un dendi qu’il faut parler dans les narines.
C’est pas, ça ne sort pas comme ça, le son n’est pas clair. On ne sait pas quelle
langue qui intervient. C’est un dendi de narines. Et à Parakou c’est un petit peu plus
transparent. Mais le dendi de yom, heu de Djougou, c’est clair. C’est pas avec des,
ça ne se parle pas avec le nez. On n’entend pas le vent, l’air qui sort du nez. C’est
clair et on a su que le dendi de Djougou c’est le dendi de Yom. Le dendi de Parakou
c’est le dendi de Bariba. Le dendi de Malanville c’est un dendi de Bariba encore.
Très bien. Et le dendi du Niger c’est le germa ?
• C’est le germa, c’est le même dendi, c’est le même dendi.
Très bien. Et ça va jusqu’au Mali.
• Oui.
Au Burkina aussi ?
147
• Burkina non. Moi je sais que l’origine c’est du Mali vers ici et ça se modifie.
Et c’est venu avec les Musulmans.
• Oui.
Très bien. Donc, vous êtes Cura, vous parlez yom, vous parlez aussi le dendi
parce que vous êtes musulman. Et les autres langues. Pourquoi est ce que vous
parlez pleins de langues comme ça ? J’ai du mal à comprendre.
• Heu.
Parce que quand j’interroge les gens, je vois qu’ils parlent 4, 5, 6 langues.
• Bon, actuellement, bon, vous avez vu, la plupart de nos parents bon
l’ignorance a fait que quand ils savent que vous êtes aventurier hein, quand vous
êtes aventurier, c’est vous qui êtes civilisés. Quand on a manqué la civilisation c’est
l’aventure qu’on préfère. Voilà. Nous qui ont été à l’école, on peut pas être
aventurier. Mais ceux qui ont manqué l’école, hein, pour se faire civiliser il faut
qu’ils aillent à l’aventure. Si bien qu’il va au Nigeria pour se cultiver, il revient avec
la langue du Nigeria, le yoruba. D’autres, pour les filles, c’est le Niger. Elle revient
au bout d’un an ou deux ans et elle est civilisée, la civilisation nigérienne et, elle
parle le Germa. C’est pourquoi il y a une multitude de langues.
Et pourquoi, j’ai remarqué que les jeunes hommes vont en pays Bariba.
Pourquoi en pays Bariba ? pourquoi pas ailleurs ?
• Bon, ils ont compris que le pays Bariba, au nord, ici c’est le pays qui a
bénéficié de la culture industrielle avant l’Atacora, la culture de coton. Et bon, à la
fin de l’année, les Bariba, les Bariba gagnaient fortement le prix de leur coton. Et
nos parents ont commencé par aller là-bas pour cultiver avec les Bariba et à la fin de
la campagne ils gagnent globalement une forte somme pour revenir ici et construire.
C’est tout à l’heure, ça ne fait pas plus de deux ans que la culture du coton est venue
ici. Voilà, c’est à cause de la culture du coton.
Et pourquoi les jeunes femmes vont au Niger ou au Nigeria ?
• Non, c’est la même chose. Elles vont là-bas, hein, c’était la civilisation qui
manquait ici. Et la première personne qui est partie au Niger et au Nigeria est
revenue civilisée alors qu’elle n’a pas été à l’école. Elle revient gaie, elle marche,
non, tout le monde sait ... En deux ans elle est civilisée ... venant du Niger.
Ça veut dire quoi être civilisé ?
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• Ben, être civilisé c’est être, ben, elle comprend la vie, l’hygiène, bon,
l’habillement. Elle vient là gaie, propre. Elle n’est plus une paysanne. Quand elles
vont là-bas, elle est engagée dans des activités ménagères pour une bourgeoise. Elle
berce les enfants, on la paie à la fin du mois, elle mange là, elle est payée par mois
pour garder les enfants, pour faire tout, pour faire ci. Mais à la fin de l’année on la
paie mois par mois elle est éduquée là-bas. Elle revient ici propre, avec son habit,
avec une petite somme. Il semble que c’est elle alors qu’elle était illettrée ici. Elle
vient là, on la classe parmis les civilisés. Les civilisés c’est ceux qui ont été un peu à
l’école pour être instruit. C’est ça que j’appelle civilisé, ceux qui sont instruits. Ceux
qui ont manqué l’inscription il faut aller au Niger pour gagner l’éducation et revenir.
Bon elle est belle, hein, mais nous sommes des agriculteurs ici. Pour ne pas aller aux
champs, les activités champêtres, il faut aller en aventure pour gagner l’instruction
civile.
Très bien. Et pourquoi les vieux ils ont été au Ghana ?
• C’est la même chose. C’est le premier chemin d’abord. Quand quelqu’un allait
au Ghana, quand il vient mais il, pour dire qu’il va au Ghana mais il se retourne avec
dix femmes, hein. (Rires). Non, ah, non, celui qui a fait le Ghana dans le temps, bon,
pour enlever une fille il faut la dire que tu vas au Ghana, dans le temps. « Mais si tu
m’aimes on ira au Ghana, et c’est fini ! ». Et c’est une nuit qu’ils s’en vont à pied.
Mais ils reviennent un jour là, on dit que vraiment ils reviennent civilisés. Alors
qu’on les a engagés pour garder les plantations et les payer mois par mois. Il revient
là gai, propre, civilisé. Mais les gens l’enviaient comme ça. Si bien que un jour qu’il
dit qu’il se retourne il y a des filles qui le suivent, hein. Telle dit « je vais aller avec
toi », telle dit « je vais aller ». Si il ne dit pas non, il emportera plusieurs femmes.
Non, c’est le Ghana d’abord.
Et pourquoi le Ghana ?
• Ben, je dis, la civilisation.
Mais pourquoi pas le Burkina ou le Niger ?
• Non le Ghana, hein, le Ghana, c’est un pays, je peux dire, tel que je dis, on
revient à Onklou. Pourquoi les gens viennent à Onklou ? Et bien il paraît que au
Ghana il y a des plantations, il y a des terres fertiles. C’est à la conquête, terres
fertiles, plantations, les pays industrialisés. C’est ça il y a les cacaotiers, tout, tout,
tout, tout. Quand ils allaient là-bas ils font pas les champs comme ici. Ils gardaient
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les plantations et on les paye. Ils étaient là-bas comme gardiens alors que le
Ghanéen lui, il a sa plantation, lui il veut trouver un gardien et il faut un courageux
et le Yom est courageux. On le met là avec sa femme pour garder la plantation de
cacaotiers. C’est tout.
Et j’ai remarqué qu’ils sont tous revenus à une certaine date, pourquoi ?
• Bon, il y avait tellement, l'exode rural, là que il n’arrivait pas à contrôler son
pays. Les étrangers avaient envahi le pays. Il ne contrôlait même plus son pays, il y
avait du désordre.
Qui ça ?
• C’était Achampon.
Achampon ?
• Oui, Monsieur Achampon.
Qui était à l’époque Président de la République du Ghana.
• Oui, il a tout fait. Mais il y a eu pas mal de morts. Non, on a enterré au moins
cinq ici. C’était dans les années 69, 70. Hum, on voyait les 10 tonnes là qui
transportaient des gens qui étaient entassés comme des sardines, les enfants anémiés
mouraient dedans. On s’arrête pour enterrer et il continue. C’était comme ça le long
de la route. On entassait les gens comme ça.
Très bien. Je crois que l’on a fait le tour. Vous avez quelque chose à rajouter ?