HAL Id: dumas-02387150 https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02387150 Submitted on 29 Nov 2019 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Étude de la corrélation entre sévérité d’un état dépressif caractérisé et durée d’hospitalisation Thomas Husson To cite this version: Thomas Husson. Étude de la corrélation entre sévérité d’un état dépressif caractérisé et durée d’hospitalisation. Médecine humaine et pathologie. 2019. dumas-02387150
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Étude de la corrélation entre sévérité d'un état dépressif ...
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HAL Id: dumas-02387150https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02387150
Submitted on 29 Nov 2019
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L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.
Étude de la corrélation entre sévérité d’un état dépressifcaractérisé et durée d’hospitalisation
Thomas Husson
To cite this version:Thomas Husson. Étude de la corrélation entre sévérité d’un état dépressif caractérisé et duréed’hospitalisation. Médecine humaine et pathologie. 2019. �dumas-02387150�
DSM-IV-TR : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 4th edition, text
revision
EDC : Etat Dépressif Caractérisé
HAM-D : Hamilton Depression rating scale
OMS : Organisation Mondiale de la Santé
RIM-P : Recueil d’Information Médicalisée en Psychiatrie
21
I- Introduction
Le système de santé est soumis prioritairement à une exigence de performance, c’est-à-
dire d’efficacité, de sûreté et d’accessibilité des soins (Braithwaite et al., 2017). Le système de
santé Français a été reconnu comme le plus efficace au monde par l’Organisation Mondiale de
la Santé (OMS) en 20011. Cet objectif de performance a eu un coût important : la part de la
consommation de soins et de biens médicaux dans la richesse nationale Française a été
multipliée par 2,5 entre 1950 et 1980 puis, plus modestement, par 1,3 jusqu’en 20002 pour
atteindre 8% du produit intérieur brut. La modération de l’augmentation des dépenses de santé
avait été obtenue par la définition d’un objectif secondaire de contrôle des dépenses par les
pouvoirs publics dès les années 1980². Depuis, la part de la consommation de soins et biens
médicaux dans la richesse nationale Française n’a crût que d’1%. Il faudra attendre une nouvelle
comparaison des systèmes de santé par l’OMS pour définir si ces efforts budgétaires ont
effectivement amélioré l’efficience – c’est à dire le rapport coût-efficacité – du système de santé
Français. En tout état de cause, le ralentissement de la croissance économique combiné à un
vieillissement de la population et à un renchérissement de soins médicaux de plus en plus
personnalisés continue à imposer de nouvelles tensions sur le financement du système de santé.
L’OMS estimait qu’à l’horizon 2020 les pathologies neuropsychiatriques, et tout
particulièrement les troubles de l’humeur, seraient la première cause de morbidité mondiale
(Lopez et Murray, 1998). Cette prédiction semble aujourd’hui se réaliser en France où les
pathologies psychiatriques sont la principale cause d’invalidité (Cuerq et al., 2008) et le premier
poste de dépense de l’assurance maladie (Chevreul et al., 2013) : les coûts sociétaux de ces
1 WHO: The World Health Report 2000. Health systems: improving performance. Geneva, Switzerland: World
Health Organization; 2000 2 Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques. Les dépenses de santé depuis 1950.
Juillet 2017. Rapport disponible sur https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/er1017.pdf
22
pathologies sont majeurs. Les efforts des pouvoirs publics pour réduire les dépenses de santé
s’appliqueront donc, pour partie, aux soins psychiatriques.
Les soins hospitaliers représentent la moitié des dépenses de soins et biens médicaux².
L’impératif d’efficience passe donc, pour partie, par une rationalisation de la dépense
hospitalière. Afin d’atteindre cet objectif, les thématiques du récent plan d’efficience et de
performance du système de santé annoncent un « virage ambulatoire » assurant la promotion
des alternatives à l’hospitalisation chaque fois que cela est possible. La réduction de la Durée
Moyenne de Séjour (DMS) des patients hospitalisés est l’objectif chiffré émanant naturellement
de cette politique qui s’appliquera à l’ensemble des structures de soins, y compris dans le
domaine de la santé mentale.
L’hospitalisation s’impose, en médecine, lorsque la densité de soin nécessaire pour un
patient dépasse les capacités du système de soin ambulatoire. L’intensité symptomatologique
lors de décompensations aigües, la mise en place de procédures thérapeutiques complexes et/ou
la nécessité d’une évaluation diagnostique poussée peuvent justifier une hospitalisation.
Quelques soient les efforts réalisés en faveur d’une réduction de la DMS, un temps minimal et
incompressible pour la réalisation des objectifs de soin est nécessaire. Une réduction de la durée
d’hospitalisation d’un patient en-deçà de cette limite théorique entraînerait une diminution de
la performance des soins à son égard. A l’inverse, une prolongation de l’hospitalisation au-delà
de ce qui améliorerait son pronostic diminuerait l’efficience du système, c’est-à-dire
augmenterait le coût sans en améliorer la performance.
En psychiatrie, il n’existe pas de recommandation des sociétés savantes permettant
d’éclairer sur la durée d’hospitalisation nécessaire de chaque patient. Celle-ci est donc laissée
à l’appréciation clinique du médecin en fonction de son expérience. La compréhension des
facteurs explicatifs de la variabilité de la durée d’hospitalisation des patients permettrait aux
cliniciens une meilleure optimisation de la durée d’hospitalisation à l’échelle individuelle. C’est
23
également un préalable nécessaire à la formulation de recommandations de bonnes pratiques
sur ce sujet.
Pour essayer de répondre à cette problématique, nous débuterons cette thèse par un bref
rappel historique concernant la genèse, en France, des hôpitaux psychiatriques afin d’en illustrer
leur singularité. Nous détaillerons ensuite la littérature sur les différents facteurs pouvant faire
varier la durée d’hospitalisation d’où nous essayerons de dégager des recommandations
méthodologiques pour l’étude de la DMS.
Parmi les pathologiques psychiatriques, l’épisode dépressif est le trouble de l’humeur le
plus fréquent avec une prévalence vie entière dépassant les 21% en France (Kessler et Bromet,
2013). Bien qu’une minorité des patients souffrant d’épisodes dépressifs soient hospitalisés
(Fagot et al., 2016), ceux-ci totalisent le deuxième plus grand nombre de journées cumulées
d’hospitalisation (c.f chapitre I-iii). La variabilité importante de la sévérité symptomatologique
des patients hospitalisés peut être appréciée à l’aide de questionnaires standardisés comme
l’Hamilton Depression rating scale (HAM-D). Nous avons posé l’hypothèse que la sévérité
symptomatologique était un facteur explicatif de la variabilité de la DMS des patients
dépressifs. Nous présenterons en deuxième partie de cette thèse un travail original mené au sein
de l’hôpital psychiatrique du Rouvray visant à étudier la corrélation entre la sévérité d’un Etat
Dépressif Caractérisé (EDC) et la durée d’hospitalisation.
24
i. Historique de l’hôpital psychiatrique : de l’asile au secteur
L’organisation des soins psychiatriques en France est indissociable, dans son expression
moderne, de la volonté de promotion des soins ambulatoires. Toutefois, les hôpitaux
psychiatriques présentent des particularités, tenant aux conditions de leur genèse, qu’il est
nécessaire de prendre en compte lors de l’évaluation de la DMS des patients. Un bref rappel
historique permettra d’éclairer ces singularités actuelles qui les différencient des établissements
de santé somatique.
a- Des asiles aux hôpitaux psychiatriques
L’origine de la psychiatrie médicale date du premier quart du 19ème siècle, dans le
contexte des travaux de Philippe Pinel. Son observation d’un « reste de raison chez tout
insensé » (Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale, 1809) autorise le traitement
moral de celui qu’on appellera désormais « aliéné »3. Ce changement de paradigme justifie la
création, en France, des premiers asiles par la loi du 30 juin 1838 sous l’instigation du psychiatre
Jean-Etienne Esquirol. Ces nouveaux établissements ont comme double objectif affiché de
permettre un traitement humain et bienveillant de la folie et d’être un lieu de refuge pour les
malades.
Dès l’origine, l’asile se définit comme une suppléance aux structures sociales ou au
support familial en fournissant un lieu où les demandes sociétales sont moindres. Certains
auteurs notent que cette fonction asilaire n’est pas synonyme du concept contemporain de
réhabilitation (Lamb et Weinberger, 2016). En réalité, elle procure un lieu où le patient sera
disponible à la réhabilitation. Le fonctionnement en synergie entre lieu de refuge et lieu de soin
promouvant la ré-autonomisation est nécessaire pour limiter l’institutionnalisme – c’est-à-dire
3 Pinel, Philippe « Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale », Paris, 1809.
25
la dépendance à l’institution avec soumission à son autorité induisant apathie et évitement du
monde extérieur.
L’intérêt devient également sociétal en offrant une alternative à la marginalisation ou à
l’incarcération des individus lorsque la réhabilitation échoue à apporter un niveau suffisant
d’autonomie. Malheureusement, et par suite d’une pression de la société civile en faveur de
l’isolement des aliénés, l’institutionnalisation des malades psychiques devint la condition à leur
traitement et non plus une des modalités possibles4.
La révolution pharmacologique et la diffusion des soins psychiatriques vers des patients
présentant une sévérité moindre a permis l’amorce du mouvement de désinstitutionalisation à
partir des années 1950 (Engstrom, 2012). C’est à cette époque que les troubles mentaux ont
complètement intégrés le champ de la maladie comme le suggère l’inclusion de la santé mentale
dans la définition de la santé par l’OMS (1946).
Les conditions de création des premiers établissements de santé mentale les ont donc, à
l’origine, conduits à prioriser une fonction de refuge pour les patients et de protection de la
société. Ce sont les évolutions thérapeutiques qui ont permis à la fonction de soin de devenir
l’objectif principal de l’hôpital psychiatrique contemporain. Cependant, ces établissements sont
les héritiers des asiles et, à ce titre, offrent aux patients, une soustraction temporaire aux stress
environnementaux. Cette fonction pourrait justifier l’observation fréquente d’un apaisement
rapide de la symptomatologie de certains patients dès l’admission avec rechute rapide après la
sortie mais la valeur thérapeutique intrinsèque de l’hôpital psychiatrique n’a jamais été
directement évaluée, à notre connaissance.
L’évaluation de la DMS en psychiatrie, pour être valide, ne peut donc s’en tenir aux
variables cliniques et anamnestiques liées à la pathologie dont souffre le patient. Elle doit
4 Guelfi Julien-Daniel et Rouillon, Frédéric « Manuel de psychiatrie, 2ème édition », Elsevier Masson, 2012.
26
prendre en compte les facteurs de stress environnementaux et les variables socio-
démographiques influant sur la résilience des patients pour lesquels la fonction asilaire est
toujours pertinente. L’offre de soin locale en termes de réhabilitation psycho-sociale doit
également être évaluée car elle peut fournir une alternative à la poursuite de l’hospitalisation.
b- Le virage ambulatoire précoce de la psychiatrie française
En France, le fonctionnement moderne du secteur public psychiatrique est indissociable
de la politique de sectorisation initiée par la circulaire du 15 mai 1960. Ce texte emblématique
de la psychiatrie française prend place dans un contexte de progrès thérapeutiques majeurs.
L’invention en une décennie des premiers antidépresseurs (Iproniazide en 1952, Imipramine en
1957), des premiers antipsychotiques (Chlorpromazine en 1952), et l’observation des propriétés
thymorégulatrices des sels de lithium (en 1949 mais avec une définition plus tardive de
l’intervalle thérapeutique) fondent les principes toujours en vigueur de la
psychopharmacologie. Ces molécules autorisent le traitement médical « d’aliénés » devenus à
cette époque « patients ». Leur rémission permet la fin du confinement ce qui est illustré par
une augmentation du renouvellement des patients dans les hôpitaux (fig. 1). La poursuite du
traitement, ou même son initiation, peut désormais avoir lieu en ambulatoire.
L’essor des psychotropes puis les progrès des psychothérapies offrent également des
possibilités de soin pour des pathologies où le temps de soin majeur sera ambulatoire car :
(i) L’objectif thérapeutique est la rémission syndromique, illustré par les troubles
de l’humeur ;
(ii) L’impact en termes de handicap est compatible avec une bonne adaptation socio-
professionnelle, particulièrement les troubles anxieux ;
(iii) L’hospitalisation ne doit être qu’un temps limité de la prise en charge dans
l’exemple des troubles de la personnalité.
27
Figure 1. Renouvellement des patients hospitalisés en psychiatrie, de 1934 à 1978, classés par
diagnostic. 1a. Taux de patients admis pour 1000 000 habitants. 1b. Taux de patients sortis pour
100 000 habitants. Adapté de Coldefy, M. (2007) La prise en charge de la santé mentale, recueil d’études
statistiques. (p. 138). Disponible en ligne sur http://drees.solidarites-sante.gouv.fr.
Fig 1b.
Fig 1a.
Pour exemple, en 2011 en France, près d’un million de personne ont initié un traitement
antidépresseur et seuls 3% d’entre eux ont été hospitalisés dans les 12 mois (Fagot et al., 2016).
28
La politique de secteur prend acte de ces évolutions et définit un modèle organisationnel
où des dispensaires en hygiène mentale appelés Centre Médico Psychologiques (CMP)
prennent une place pivot dans l’articulation des soins. Ces centres de consultation ont un rôle
de prévention, de dépistage et de soin puis de prévention des rechutes, au plus proche de la
communauté du patient. Ils dépendent au sein d’une aire géographique d’un service hospitalier
– les médecins travaillant théoriquement dans les deux lieux et assurant ainsi une continuité des
soins. Dans ce nouveau modèle, plus équitable en termes d’accès au soin à l’échelle du
territoire, l’hospitalisation devient une étape éventuelle du parcours de soin et non la seule
condition au traitement des patients. Elle doit être évitée ou écourtée lorsqu’un suivi
ambulatoire est jugé suffisant.
Cette organisation des soins, préfigurant dès les années 60 le virage ambulatoire
contemporain a fait preuve de résilience. Ce modèle est toujours en activité et assume encore
la majeure partie du coût des soins psychiatriques (Chevreul et al., 2013), avec une certaine
disparité régionale en fonction de l’offre de soins privés. Le secteur possède un budget commun
pour l’hospitalisation et les structures ambulatoires. Ces deux temps de la prise en charge
entrent donc en compétition en cas de pression sur les ressources. Les moyens alloués aux CMP
et autres structures ambulatoires ont donc un impact sur la DMS, puisqu’ils influeront sur la
décision de poursuite ou non d’une hospitalisation chez un patient en rémission partielle.
29
ii. Revue des variables associés à la DMS en psychiatrie
Une première partie de cette revue de littérature s’attachera à évaluer l’impact de la
durée d’hospitalisation sur la qualité des soins. Puis, nous synthétiserons les nombreuses études
menées sur un modèle rétrospectif retrouvées dans la littérature. Nous détaillerons plus
précisément les études prospectives dont le design s’apparente à notre l’étude. Enfin nous
illustrerons la grande variabilité de la DMS en psychiatrie en fonction des institutions malgré
le caractère constant de certaines variables explicatives.
a- Durée d’hospitalisation et risque de ré-hospitalisation
Le temps hospitalier offre, comme nous l’avons vu, une plus grande densité de soins
avec une présence constante de l’équipe soignante. Un allongement de la DMS, et donc de
l’exposition du patient à cette plus forte densité de soin, pourrait être considéré comme un
facteur pronostic positif. La réduction de la DMS, sur des arguments économiques, serait donc
éthiquement discutable en terme médical. Elle exposerait au risque de « revolving door
syndrome », soit la ré-hospitalisation rapide d’un patient sorti trop précocement avec une
symptomatologie insuffisamment améliorée.
Les données de la littérature sont hétérogènes quant à l’effet pronostic de la durée
d’hospitalisation en elle-même. Une méta-analyse Cochrane conclue que les projets
d’hospitalisations courtes n’induisent pas de hausse des ré-hospitalisations ni de dégradation
des autres facteurs pronostics (Babalola et al., 2014) par rapport aux soins standards.
Néanmoins, les conclusions de cette méta-analyse se basent sur des études limitées en nombre
et en qualité avec en particulier une variabilité de la définition d’une hospitalisation courte
(allant de ≥ 7 jours à ≥ 28 jours). De plus, la méta-analyse inclue essentiellement des études
anciennes (antérieures à 1980) réalisées avant la commercialisation des antidépresseurs et
30
antipsychotiques de seconde génération. Les algorithmes thérapeutiques utilisés ne sont donc
pas généralisables à la pratique actuelle.
Plus récemment, deux études ont mesuré l’impact de l’organisation de service
hospitaliers en faveur des séjours plus courts sur le risque de ré-hospitalisation.
- La première équipe montre que la DMS plus courte de l’unité « court séjour » (de 20,2
à 6,2 jours) par rapport à l’unité « traditionnelle » ne s’accompagne pas d’un surrisque
de ré-hospitalisation à 36 mois sauf pour le sous-groupe de patients psychotiques
(Thomas et al., 1996).
- La seconde montre que la réorganisation d’un service avec mise en place
d’hospitalisations de jour réduit effectivement la durée des hospitalisations à temps
plein sans augmenter le taux de ré-hospitalisation à un mois. Les auteurs ne constatent
pas de modification significative de la sévérité symptomatologique des patients en
fonction du temps. En revanche le niveau de fonctionnement socio-professionnel des
patients hospitalisés après la mise en place du programme est moins bon (Lieberman et
al., 1998).
Plus récemment, et de manière contradictoire, il a été retrouvé une corrélation inverse
entre la durée de séjour et le risque de ré-hospitalisation à un mois (Figueroa et al., 2004). Ces
données sont limitées à des hospitalisations de moins de 10 jours (7,09 jours en moyenne) avec
un effet non linéaire : le risque semble maximal pour les hospitalisations très courtes mais paraît
s’atténuer par la suite. De plus, Wickizer et Lessler ont observé en 1998 un plus fort taux de ré-
hospitalisation lorsque la durée de séjour de patients (souffrant d’EDC et/ou d’addiction à
l’alcool) était réduite du fait d’une politique d’optimisation des ressources (Wickizer et Lessler,
1998).
31
A notre connaissance, le seul autre facteur associé à un surrisque de ré-hospitalisation
dans la littérature est une plus longue durée de l’hospitalisation index, sans que les suivantes
n’aient d’effet pronostics (Gastal et al., 2000; Zhou et al., 2014; Tulloch et al., 2016). Ces
résultats ont été partiellement répliqués lors d’une étude prospective récente analysant
spécifiquement une large population de patients primo-hospitalisés (Barros et al., 2016) avec
un suivi sur 8 ans des ré-hospitalisations. Dans cette étude, toute chose égale par ailleurs, la
durée de cette première hospitalisation n’était pas associée au risque de ré-hospitalisation. Elle
était, cependant, associée à des diagnostics plus sévères eux-mêmes indépendamment associés
à un plus fort risque de ré-hospitalisation. On note, dans cette étude, que les durées
d’hospitalisations très courtes (d’un ou deux jours) sont associées à un moindre risque de ré-
hospitalisation, contrairement à l’étude de Figueroa citée plus haut.
Ces études sont limitées en nombres et difficilement comparables en raison de contextes
locaux disparates mais il nous semble possible de dégager la tendance suivante :
- La réduction de la DMS à l’échelle d’une unité de soin dans le cadre d’un projet
thérapeutique cohérent n’augmente pas le risque de ré-hospitalisation ;
- Il est plus difficile de statuer sur l’effet de la durée d’hospitalisation sur le risque de ré-
hospitalisation à l’échelle du patient. Néanmoins, une hospitalisation raccourcie pour
des motifs économiques semble être un facteur pronostic négatif.
Sous réserve du faible niveau de preuve dans la littérature, il n’y a donc pas d’éléments de
certitude en faveur d’un effet pronostique négatif d’un objectif de réduction de la DMS à
condition que celui-ci s’intègre dans un projet de soin cohérent.
b- Variables associées à la DMS en psychiatrie
Une revue systématique de littérature publiée en 2011 analyse spécifiquement les
variables associées à la DMS dans les unités de psychiatries aux Etats-Unis (Tulloch et al.,
32
2016). Les publications datant de 1976 et 2008 ont été systématiquement examinées et 17
articles ont finalement été retenus totalisant 20 analyses de régression. Parmi celles-ci, comme
présenté dans la figure 2, on observe une hétérogénéité importante des DMS ainsi que de la
nature des structures de soin.
Les auteurs classent les variables étudiées selon leur nature socio-démographique,
clinique ou liée au lieu de soin. Dans cette méta-analyse, les variables démographiques associés
à une augmentation de la DMS sont le sexe féminin malgré un effet modeste (retrouvé 11 fois
sur 18 analyses dans lequel le sexe était inclus, 11/18), alors que les sujets mariés (5/10) ou
purgeant une peine carcérale (3/4) présentent une DMS plus courte. L’effet de l’âge est plus
difficile à étudier car il ne semble pas linéaire avec une DMS la plus courte pour les sujets d’âge
Fig 2 : Hétérogénéité des durées d’hospitalisation et des structures de soins psychiatriques dans l’étude. Adapté de Tulloch et al.
(2011). Lieu de recrutement : aUnité de psychiatrie d’hôpital général ; bUnité de psychiatrie en milieu fermée ; cHôpital universitaire ; dUnité de long séjour ; eHôpital psychiatrique ; fAdmissions volontaires ; gUnité d’hospitalisation non spécialisée en psychiatrie. 17
sevrages en alcool ; 13 névroses ; 17 psychoses
33
moyen (12/20). Les deux facteurs cliniques associés à une diminution de la DMS sont une sortie
contre avis médicale (4/4), un diagnostic de schizophrénie ou autre psychose (11/20) et une
comorbidité addictive (2/5). Enfin, la présence d’une comorbidité médicale semble allonger la
DMS mais cette variable, comme la variable comorbidité addictive, est peu étudiée (2/5).
Considérant le lieu de soin, les auteurs observent une augmentation de la DMS dans les hôpitaux
de plus grande taille (6/7 avec un effet non linéaire pour une étude). Les résultats concernant le
nombre de psychiatres par patients et le statut universitaire ou non de l’unité sont
contradictoires. Certaines études associent ces variables avec une augmentation de la DMS,
d’autres avec une réduction.
Cette revue systématique montre quelques-unes des difficultés rencontrées lors de
l’évaluation des variables associées à la durée d’hospitalisation en psychiatrie. Les études
sélectionnées sont uniquement états-uniennes, mais cela ne suffit pas pour tendre vers une
homogénéisation des organisations de soin et des populations. Au contraire, on observe des
structures de diverses natures et les DMS observées y sont très variable. C’est donc sans surprise
que l’on observe des associations inconstantes et une direction de l’effet parfois contradictoire.
Cette variabilité des résultats est très probablement aggravée par des tailles de cohortes très
hétérogènes. D’autre part, certaines variables n’ont été que peu étudiées.
Les études inclus étant limitées aux Etats-Unis et aux travaux précédent 2011, nous
l’avons complété par notre propre revue de littérature. Nous avons utilisé les mots clés « lenght
of stay » et « psychiatry » dans le moteur de recherche Pubmed5 interrogeant la base de données
Medline. Les propositions d’articles similaires à ceux jugés pertinents ont également été
explorés. Seules les publications de langue anglaise explorant la durée d’hospitalisation de
patients en unité spécialisée en psychiatrie adulte ont été conservées. La grande majorité des
5 https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/
34
articles sélectionnés traitaient d’études rétrospectives. Les variables associées à la durée
d’hospitalisation en psychiatrie sont résumées dans la figure 3. Les références des études sont
indiquées en annexe.
Concernant les variables démographiques, un âge élevé est le facteur le plus souvent
retrouvé associé à une augmentation de la durée d’hospitalisation. La présence de comorbidités
somatiques, la nécessité d’une titration plus prudente des psychotropes, des difficultés liées à
l’autonomie lors du retour à domicile voire la nécessité de transfert vers des établissements
d’hébergements semblent expliquer ces observations.
Le célibat est également retrouvé plusieurs fois associé à un allongement de la DMS. Il
s’agit d’un marqueur d’isolement social, lui-même facteur de mauvais pronostic en psychiatrie
(Vink et al., 2008; Hölzel et al., 2011; Vázquez Morejón et al., 2018).
Enfin, l’effet du statut socio-économique sur la DMS des patients est plus équivoque.
Le sens de l’effet doit être interprété en fonction du système de protection social et de
financement des hôpitaux de chaque pays.
Les variables cliniques et anamnestiques sont les plus souvent cités dans la littérature.
Un diagnostic de schizophrénie (ou autre trouble délirant chronique) est le plus fréquemment
rapporté comme associé à une augmentation de la DMS. Cela peut être interprété comme une
marque de la sévérité importante de ces pathologies dont les patients présentent un faible taux
de rémission fonctionnelle (Jobe et Harrow, 2005).
Plusieurs autres variables cliniques associées à une augmentation de la DMS sont des
marqueurs directs ou indirects de sévérité symptomatologique. On peut citer les hospitalisations
sous contrainte, les mesures thérapeutiques de 2ème ligne ou le nombre élevé d’hospitalisation
dans les antécédents.
35
Une comorbidité addictive est plusieurs fois retrouvée comme réduisant la durée
d’hospitalisation. L’expérience montre qu’un sous-groupe de ces patients présentent une
résolution de leur symptomatologie dès la fin de l’intoxication aigüe permettant une sortie
précoce d’hospitalisation (Breslow et al., 1996; Chai et al., 2013). Les prises en charge
hospitalières longues centrées sur cette pathologie – type postcure – ne sont habituellement pas
effectuées dans les unités de psychiatrie standard et n’ont donc pas été inclues dans la revue.
Concernant l’organisation de l’offre de soin, il est notable que la DMS des patients soit
inversement proportionnelle à l’activité ambulatoire des services et à la disponibilité de
structures de réhabilitation psycho-sociale, c’est-à-dire à la possibilité d’alternatives à
l’hospitalisation à temps complet.
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37
c- Détail des études prospectives analysant la durée moyenne de séjour en psychiatrie
Les études conçues sur un modèle rétrospectif sont souvent privilégiées du fait de leur
faible coût. Elles interrogent les bases de données informatisées des hôpitaux concernés et
présentent donc des biais de recrutement et d’information qui en limitent la validité.
Un modèle d’étude prospectif est considéré comme de meilleure qualité pour les études
épidémiologiques. En effet, il s’affranchit, pour partie, de ces biais. Les données obtenues sont
plus fiables et donc plus aisément généralisables. Seules trois études prospectives analysant les
variables associées à la DMS en psychiatrie ont été retrouvées dans la littérature. Leur
supériorité méthodologique justifie une analyse plus détaillée.
La plus ancienne est datée de 2007. Les auteurs ont recruté 67 patients hospitalisés
consécutivement dans l’unité de psychiatrie d’un centre hospitalier universitaire à Taïwan. Le
critère d’inclusion était un EDC sans caractéristiques psychotiques. Les auteurs ne retrouvent
pas d’association entre la sévérité à l’admission et la durée d’hospitalisation. La durée de
l’épisode n’est pas non plus associée à l’augmentation de la DMS chez ces patients. Après
analyse de régression logistique, le sous-groupe de patient hospitalisé plus de 25 jours présente
plus fréquemment des antécédents familiaux de troubles de l’humeur et un nombre plus
important d’épisodes dépressifs. Malheureusement, tant d’un point de vue de la validité
statistique qu’à fin de comparaison avec les données de la littérature, le détail des variables
testées n’est pas précisé dans le texte (Cheng et al., 2007). La puissance de cette étude est
limitée par la taille modérée de son effectif.
Dans la seconde étude, Rocca et collaborateurs ont inclus 310 patients hospitalisés
consécutivement dans un service universitaire de Turin (Italie). Les patients présentaient des
troubles de l’humeur (uni- ou bipolaire) et des troubles psychotiques (schizophrénies et autres
délires chroniques). Les diagnostics étaient réalisés par deux cliniciens en fonction des critères
38
du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders,4th edition, text revision, (DSM-IV-
TR). Ils évaluaient également la sévérité symptomatique à l’aide de la Brief Psychiatric Rating
Scale alors que les variables socio-démographiques étaient recueillies à l’aide d’un
questionnaire semi-structuré. Le recrutement comprend 195 patients (62,9%) présentant un
EDC, 40 (12,9%) un trouble bipolaire et 75 (24,2%) un trouble psychotique. Dans cette étude,
les patients EDC présentent une DMS significativement plus longue que les patients
psychotiques (11 vs 12,9 jours, p = 0,008) et l’intensité de la symptomatologie dépressive
corrèle positivement avec la durée d’hospitalisation. Il s’agit d’une donnée singulière, puisque
l’intégralité des études rétrospectives retrouvent le diagnostic de schizophrénie ou de trouble
psychotique comme associés à une augmentation de la DMS. De manière également étonnante
au vu de son association fréquente retrouvée dans les études rétrospectives, il n’est pas observé
d’association entre l’âge et la durée de séjour (Rocca et al., 2010).
Enfin, l’étude de Dimitri et collaborateurs est la plus ambitieuse des trois. Il s’agit d’un
travail multicentrique à l’échelle européenne. Dans 57 centres hospitaliers, 7302 patients ont
été recrutés consécutivement sur une durée de 14 mois (Dimitri et al., 2018). Malheureusement,
aucun établissement Français n’était représenté. Les variables significativement associées à une
hausse de la DMS dans ces travaux sont les suivantes :
- Pour les variables démographiques, l’absence éducation supérieure, l’absence d’une
activité professionnelle, le fait de vivre seul, l’absence d’entourage social, être
bénéficiaire d’allocations sociales sont associés à une augmentation de la durée
d’hospitalisation. Le sens de l’association varie en fonction du pays pour les patients
sans domicile fixe. En revanche, il n’est pas montré de corrélation entre la durée
d’hospitalisation et l’âge, le genre, le statut marital ou le statut de migrant.
- Pour les variables cliniques et anamnestiques, le diagnostic de psychose, une 1ère
hospitalisation pour le patient, une hospitalisation sous contrainte et un score élevé
39
à la Clinical Global Impression severity scale sont significativement associés à une
augmentation de la DMS des patients inclus. La comorbidité addictive n’est pas
associée à la durée d’hospitalisation.
Bien que les conclusions tirées par cette étude paraissent solides du fait de son caractère
prospectif, multicentrique et de la taille de l’échantillon, le recueil des variables cliniques sont
limitées. En particulier aucune analyse fine de la sévérité symptomatologique n’a été effectuée.
En somme, de nombreuses variables cliniques, socio-démographiques ou liées au lieu
de soin ont été montrées comme associées à la DMS dans la littérature. Néanmoins, les
associations ne sont pas constamment répliquées et le sens de l’association est parfois différent
selon les études.
On peut avancer l’hypothèse que cette hétérogénéité des résultats est le reflet de la
diversité :
i) Des populations étudiées du fait de leurs nationalités, des diagnostics représentés et
de leurs caractéristiques socio-économiques ;
ii) Des structures d’inclusion qui peuvent êtres des unités universitaires ou non, au sein
d’hôpitaux généraux ou d’hôpitaux psychiatriques avec une variabilité de l’offre de
soin ambulatoire locale ;
iii) Des paradigmes de recherches avec des études où l’inclusion et les évaluations sont
effectuées par des praticiens dédiés et d’autres où les données sont issues de requêtes
sur le système informatique.
De plus, le détail des analyses statistiques réalisées n’est généralement pas précisé. Pour
beaucoup d’études, seules les variables significativement associées à la DMS sont publiées sans
qu’il ne soit possible de définir si une variable n’apparaissant pas dans la publication n’a pas
été inclus dans l’analyse ou si l’analyse ne montrait pas d’association statistique. De fait, la
40
majorité des variables ne sont citées que dans un petit nombre d’études ce qui limite les
possibilités de comparaison et ne permet pas d’estimer la problématique des tests multiples.
Les modèles prédictifs construits à partir de ces variables n’expliquent qu’une part
minoritaire (entre 17 et 37%), de la variance de la durée hospitalisation des patients (Blais et
al., 2003; Jiménez et al., 2004). Pris dans leur ensemble, ces différentes variables clinico-
démographiques n’expliquent qu’une part de la variabilité de la DMS. Une portion de la
variance est « manquante » au regard des données de la littérature.
Les variables associées à la DMS en psychiatrie sont majoritairement étudiées à l’échelle
du patient : ses caractéristiques cliniques et socio-démographiques propres et leur influence sur
la variabilité de la durée d’hospitalisation. Ce qui ne tient pas compte de l’existence d’une
variabilité majeure de la DMS entre les services hospitaliers de différents pays – dont les
pratiques sont pourtant théoriquement fondées sur une même littérature scientifique
internationale.
Pour tenter d’éclairer cette variabilité, nous allons revenir en détail sur les déterminants de
la DMS en Italie et au Japon. Ces deux pays représentent les deux pôles extrêmes de cette
variabilité de la DMS en psychiatrie entre nations puisqu’ils présentent les DMS respectivement
la plus courte et la plus longue des pays développés.
d- Variabilité de la DMS en psychiatrie entre pays. Exemples du Japon et de l’Italie.
L’étude de Dimitri et collaborateurs est un exemple frappant de la variabilité de la DMS
entre pays présentant des caractéristiques socio-culturelles relativement proches. La DMS varie
du simple au triple : 17,9 jours en Italie à 55,1 jours en Belgique. Plusieurs centres hospitaliers
de chaque pays sont inclus dans l’étude, il ne s’agit donc pas de valeurs extrêmes issues d’un
service aux pratiques non représentatives de celles du reste du pays.
41
Cela pose la question de l’importance des habitudes de pratiques, des politiques de soins
locales et du contexte historique national dans lequel se situe l’hôpital psychiatrique.
L’Italie est le pays présentant la DMS en psychiatrie la plus courte des pays développés.
Cet état de fait est indissociable du contexte historico-politique dans lequel la psychiatrie
italienne moderne c’est construit.
Au sein de la communauté scientifique italienne du début du 19ème siècle, on observe
une place prépondérante de l’organicité pour théoriser les maladies mentales (Babini, 2014).
C’est ce postulat qui a soutenu localement la théorisation de l’anthropologie criminelle –
aujourd’hui largement décriée – mais également l’invention de l’électro-convulsivothérapie,
stratégie thérapeutique qui a depuis prouvé son efficacité. Dans le contexte de la montée du
fascisme, ce cadre théorique a été dévoyé pour justifier l’isolement et l’obligation de soins des
patients souffrant de maladies psychiatriques. Considérer ces personnes comme
biologiquement différentes faisait écho aux théories eugéniques de l’époque.
Les théories psychodynamiques n’ont pénétré que tardivement en Italie, parallèlement
à la révolution médicamenteuse des années 1950 dans un contexte de démocratisation de la
société civile (Babini, 2014). Dans cet environnement, les asiles étaient considérés comme un
reliquat du fascisme. Sous l’impulsion du psychiatre et directeur d’asile Franco Basaglia,
plusieurs expérimentations locales de désinstitutionalisation avec intégration des patients dans
la société ont vu le jour. Ces initiatives régionales ont conduit à un mouvement socio-politique
de fermeture des asiles à partir de la loi 180 de 1978. Dans l’Italie de l’après-guerre, les asiles
ont été assimilés aux camps de concentrations. Il était donc de la responsabilité éthique de la
société civile de les fermer (Foot, 2014).
42
Cette prise de position politico-médicale contraste avec le reste de l’Europe occidentale
où, à l’exemple de la France, les asiles ont progressivement évolué vers les hôpitaux
psychiatriques modernes. En Italie, ils ont été remplacés par de petites unités de soin aigüe au
sein des hôpitaux généraux (Pycha et al., 2011). Néanmoins, le décès prématuré du Dr Basaglia,
principal inspirateur de cette réforme, et les difficultés économiques des années 1980 ont
entravé le développement d’alternatives ambulatoires aux asiles : le budget de la psychiatrie a
constamment diminué et les personnels des asiles ont été très peu formés lors de leurs transferts
vers les centres ambulatoires (Burti et Benson, 1996). Si le système de soin psychiatrique italien
a permis une indéniable réintégration des patients dans la société et a eu une influence notable
dans toute l’Europe, il fait porter un poids important aux familles et il est suspecté, selon
l’hypothèse Penrose, que cela ait favorisé une augmentation des incarcérations (Barbui et al.,
2018).
Figure 4. Lits d’hospitalisation en psychiatrie pour 100 000 habitants parmi les pays de l’OECD
en 2012. (Kanata, 2016) à partir de données de l’Organization for Economic Co-operation and
Development
Par contraste, le Japon présente le plus grand nombre de lits d’hospitalisation en psychiatrie
par habitants à l’échelle mondiale (fig. 4). La DMS des patients y est également la plus longue
(272 jours). Le pattern des diagnostics des patients en 2012 paraît similaire à celui des hôpitaux
psychiatriques Français des années 1950 avec une surreprésentation des patients présentant une
43
schizophrénie (57,4 %) alors que les troubles de l’humeur sont peu présents (10,3%) (Kanata,
2016). La majorité des patients (71%) sont hospitalisés pour une durée supérieure à un an, avec
dans ce sous-groupe une DMS de 8,5 ans (Oshima et al., 2003). Ces hospitalisations à très long
terme semblent être secondaires à un manque de structures de soins médico-sociaux
ambulatoires puisque 60% des patients souhaiteraient une sortie d’hospitalisation et 30 à 60%
des patients présenteraient une symptomatologie compatible avec une réintégration dans leur
communauté selon leurs psychiatres (Oshima et al., 2003).
Tout comme dans l’exemple italien, cette DMS est également explicable par le contexte
politico-historique particulier de la création de la psychiatrie hospitalière au Japon. Celle-ci
était inexistante lors de la première moitié du 20ème siècle. La gestion des patients était alors
laissée à la charge des familles et non médicalisée. L’archipel a connu un développement tardif
mais massif des hôpitaux psychiatriques à partir des années 1950, alors que le processus de
désinstitutionalisation en Europe s’amorçait. La croissance du nombre de lit d’hospitalisation a
été continue tout au long de la deuxième moitié du 20ème siècle, contrairement aux autres pays
développés (Fig. 5).
Cette hypertrophie du secteur hospitalier a été soutenue par le financement public de
nombreux établissements privés de santé au détriment de structures de soin communautaires ou
de réhabilitation psycho-sociales. Par ailleurs, les mécanismes de financement favorisaient les
hospitalisations longues et sous-contraintes. La politique de désinstitutionalisation a été très
tardive et partielle au Japon avec des freins de la société civile secondairement à des faits divers
très médiatisés impliquant des patients souffrant de maladies mentales (Kanata, 2016).
44
Figure 5. Evolution du nombre de lits d’hospitalisation en psychiatrie pour 100 000 habitants de
1960 à 1998. Extrait de Kanata, 2016, à partir de données de l’OECD
Plusieurs équipes de recherche tant japonaises qu’italiennes se sont intéressées aux
variables associées à la DMS des patients en psychiatrie. Les résultats sont synthétisés dans le
tableau 1. Ces études ont des conceptions hétérogènes et les conclusions que l’on peut tirer de
leurs comparaisons sont donc limitées. Néanmoins quelques points de similitude se dégagent.
Dans les deux populations, les marqueurs de chronicité de la maladie (dépressions récurrentes,
hospitalisations itératives…), les marqueurs de sévérité de l’épisode (utilisation de stratégies
thérapeutiques de seconde ligne, hospitalisations sous contrainte…) et un projet de transfert
vers une structure de réhabilitation psycho-sociale sont associés à un accroissement de la DMS
des patients.
On peut former l’hypothèse que des facteurs historiques, culturels et politiques
expliquent une part majeure de la DMS en psychiatrie à l’échelle du pays. Dans le même temps,
des variables socio-démographiques, anamnestiques et cliniques expliquent la variance de la
durée d’hospitalisation à l’échelle individuelle.
45
Tableau 1. Comparaison des données bibliographiques expliquant la durée d'hospitalisation en
psychiatrie en Italie et au Japon.1Pauselli et al., 2017 ; 2Rocca et al., 2010 ; 3Shinjo et al., 2017 ; 4Imai
et al., 2005 ; 5Matsumoto et al., 2014. *Tentative de suicide ou idéation suicidaire comme motif
d’hospitalisation
e- Variabilité de la durée moyenne de séjour au sein d’une même institution
psychiatrique
Au sein d’un même pays, on observe également une variabilité de la DMS entre les
services hospitaliers. Elle est, d’ailleurs, supérieure dans les soins psychiatriques par rapport
aux soins somatiques aux Etats-Unis (National Center for Health Statistics (US), 2010).
Deux équipes de recherche ont publié des données concernant la variabilité de la DMS
au sein d’unités d’hospitalisation d’un même pays, aux fonctionnement théoriquement
standardisés.
Italie Japon
Caractéristiques socio-
démographiques
Célibat1 Âge3
Activité professionelle5
Allocataire aide sociale4
Anamnèse & clinique Hospitalisation sous contrainte1 Hospitalisation sous contrainte3,4,5
≥ 3 hospitalisations1 Dépression récurrente5
Diagnostic d’épisode dépressif2 Deuil récent5
Intensité de la symptomatologie2 Séjour en chambre d’isolement3
Présence de symptômes
psychotiques1
Faible fonctionnement socio-
professionnel3
Absence d’abus-dépendance1 EDC intensité modérée à sévère5
EDC avec caractéristiques
mélancoliques5
Thérapeutique ≥ 3 classes pharmacologiques
prescrites1
Prescription
d’électroconvulsivothérapie2,3
Prescription de tricycliques,
tétracycliques ou sels de lithium3
Organisation de l’offre
de soin
Transfert vers une structure de
réhabilitation1
Transfert vers une structure de
réhabilitation3
Importance de l'activité de
consultation de l’hôpital4
Taille de l’hôpital3,4
Ratio soignants/patients 4
Structures de soin ambulatoire
locales 4
46
L’équipe de (Fortney et al., 1996), a mené une étude de vaste ampleur incluant
l’ensemble des hôpitaux psychiatrique du département des anciens combattants des États-Unis.
Les variables clinico-démographiques de 6374 patients, vétérans de l’armée états-unienne et
souffrant d’EDC, ont été recueillies rétrospectivement dans 107 établissements hospitaliers. Les
services présentent une même structure administrative et les mêmes mécanismes de
financement. De plus seul le diagnostic d’EDC, était retenu. Les auteurs ont donc posé
initialement l’hypothèse d’une homogénéité des DMS entre ces établissements.
Dans cette étude, la DMS globale est de 17,9 jours avec une variance importante (σ =
11,6, étendue : 7,3-31,8 jours). Les DMS des différents hôpitaux inclus dans l’étude sont
représentées dans la figure 7. On observe un ratio de 4 entre les valeurs extrêmes. Toute chose
égale par ailleurs, 29 centres (27,1%) présentent une DMS significativement différente de la
moyenne.
Dans la mesure où :
i) Les caractéristiques des centres hospitaliers (nombre de lit, taux d’occupation) ne
sont pas associées aux DMS ;
ii) Le modèle de régression construit à partir des variables sociodémographiques et
cliniques n’explique qu’une faible part de la variance de la DMS ;
iii) Les auteurs ont fait un effort d’homogénéisation en se concentrant sur un cadre
diagnostique et une seule institution ;
Ces derniers concluent à un effet majeur des habitudes de pratique des praticiens sur la
DMS.
Le niveau socio-économique des patients ainsi que les indicateurs de pauvreté locaux n’ont
pas été pris en compte dans l’analyse. L’accessibilité locale des soins ambulatoires et la
disponibilité de structures de réhabilitation psycho-sociale pour chacun de ces centres
47
hospitaliers n’ont pas non plus été inclus dans l’étude. Ces différents éléments ont déjà été
associés à une variabilité de la DMS des patients et des différences socio-économiques
régionales pourraient donc expliquer en partie ces résultats.
Figure 6 : Durée d’hospitalisation moyenne prédite et observée des 107 centres de l’étude de
Fortnez et collaborateurs. L’intervalle de confiance représente la durée d’hospitalisation prédite par le
modèle de régression en fonction des caractéristiques sociodémographiques et cliniques des patients.
Les carrés noirs représentent les centres hospitaliers présentant une durée d’hospitalisation
significativement différente du reste de l’échantillon, considérés comme outliers par les auteurs.
La deuxième étude a été menée en France, (Gandré et al., 2017), au sein du secteur
psychiatrique. L’équipe a analysé les données de 413 secteurs hospitaliers dans 122 hôpitaux
psychiatriques représentant 51,4 % des secteurs de France métropolitaine. 182 230 séjours de
107 668 patients ont été extraits de la base de données nationale Recueil d’Information
Médicalisée en Psychiatrie (RIM-P). La DMS globale est de 36 jours pour les 413 secteurs. On
retrouve des DMS s’étendant de 11 à 247,9 jours avec un coefficient de variation de 60 %. Entre
les secteurs au 10ème et 90ème percentiles pour les DMS, on observe un ratio de 3.
Une fois pris en compte la variabilité des diagnostics, des indicateurs socio-
démographiques des patients, des indices socio-économiques locaux, des possibilités d’accès
aux soins médicaux et aux structures sociales et des caractéristiques institutionnelles, les auteurs
concluent que 30% de la variance de la DMS serait expliquée par les habitudes de pratique des
secteurs.
48
Ces études nationales et au sein d’une même institution permettent de se soustraire des
facteurs politico-historiques déjà cités et de favoriser une harmonisation des pratiques.
Cependant ces deux études expliquent une part importante de la variabilité de la DMS par un
effet intrinsèque de la pratique des praticiens.
f- Conclusion
Notre analyse de la littérature scientifique retrouve de nombreux articles portant sur
l’évaluation de la DMS en psychiatrie. Malheureusement, les données publiées sont
hétérogènes quant à leurs conceptions scientifiques et aux populations étudiées. Les
comparaisons sont donc difficiles et il ne faut pas surestimer leurs portées. Il apparaît
néanmoins que les facteurs influençant la DMS des patients en psychiatrie peuvent être définies
sur trois échelles.
Tout d’abord, des éléments politico-historiques définissent une DMS globale au sein du
pays à travers l’organisation du système de soin en général et du système hospitalier
psychiatrique en particulier. A un deuxième niveau, il existe une variabilité de la DMS des
patients entre les unités d’hospitalisation d’une même nation du fait de l’organisation de l’offre
de soin local, des caractéristiques socio-économiques des populations locales et d’habitudes de
pratique des professionnels de santé. Enfin, et à l’échelle du patient, ses propres caractéristiques
socio-démographiques, cliniques et anamnestiques influent in fine sur la durée
d’hospitalisation.
Cette dernière échelle – celle de l’individu – a été la plus étudié. Néanmoins, les
différentes variables associées à la variabilité de la DMS à l’échelle du patient sont retrouvées
de manière inconstante, avec parfois un sens de l’effet variable. Les modèles statistiques
construits avec ces différentes variables n’expliquent qu’une part faible de la variance de la
DMS même au sein d’un seul service.
49
Deux hypothèses peuvent être formulées pour expliquer ces données. Soit, l’effet
cumulé des variables socio-démographiques, cliniques et anamnestiques est effectivement
faible voir négligeable. Soit, leur effet se trouve minimisé par la grande hétérogénéité des
patients inclus. Nous avons vu, par exemple, qu’une même variable sociale, l’absence de
domicile, pouvait prolonger ou raccourcir la DMS selon le pays (Dimitri et al., 2018). Il est
possible que chacune des variables individuelles d’un patient influent ou non sa durée de séjour
en fonction à la fois du pays d’hospitalisation, de l’unité d’hospitalisation et de l’interaction
avec ses autres caractéristiques individuelles.
Pour optimiser la puissance des études sur les variables socio-démographiques,
cliniques et anamnestiques associées à la DMS des patients en psychiatrie, un échantillonnage
plus homogène est donc nécessaire. Nous formulons, dans ce but, les recommandations
suivantes :
- Concentrer l’inclusion sur un cadre diagnostic unique sur lequel les conclusions
s’appliqueront ;
- Inclure des patients issus d’un même bassin de population et au sein d’une même
institution hospitalière ;
De plus, pour favoriser la validité et la comparabilité des tests statistiques, il est important de :
- Concevoir l’étude sur un modèle prospectif pour limiter les biais de recueil ;
- Définir a priori une hypothèse clinique qui sera le critère de jugement principal de
l’étude ;
- Publier les résultats de l’ensemble des comparaisons effectuées pour limiter les biais
dû aux comparaisons multiples. Ces comparaisons doivent être considérés comme
exploratoires.
50
Ces recommandations atténueront l’effet des facteurs extrinsèques au patients sur la
DMS et diminueront le « bruit » statistique causé par l’inclusion de patients de populations
différentes. Les conclusions inférées seront plus solides mais limitées au sous-groupe de
patients inclus. C’est la multiplication et la comparaison de telles études sur des populations et
dans des contextes de soin différents qui permettraient d’éclairer la communauté médicale sur
les variables associées ou non à un allongement ou un raccourcissement de la DMS, dans quels
contextes et chez quels patients.
51
iii. Rationnel à l’étude de l’état dépressif caractérisé
« C’est une notion facile à entendre mais difficile à définir que celle de l‘humeur, à savoir cette
disposition affective fondamentale, riche de toutes les instances émotionnelles et instinctives, qui donne
à chacun de nos états d’âme une tonalité agréable ou désagréable, oscillant entre les deux pôles
extrêmes du plaisir et de la douleur. »6
En lien avec les profondes mutations déjà détaillées, la population de patients accueillis
dans les hôpitaux psychiatriques s’est très largement modifiée depuis les années 1950.
L’évolution du nombre de patients admis par diagnostics entre 1934 et 1978 est représenté dans
la figure 1, reproduite ci-dessous.
6 Jean Delay (1946), Les dérèglements de l’humeur. Presses universitaires de France.
Fig 1a. Renouvellement des patients hospitalisés en psychiatrie, de 1934 à 1978 par diagnostic. 1a.
Taux de patients admis pour 1000 000 habitants. 1b. Taux de patients sortis pour 100 000 habitants.
Adapté de Coldefy, M. (2007) La prise en charge de la santé mentale, recueil d’études statistiques. (p. 138).
Disponible en ligne sur http://drees.solidarites-sante.gouv.fr.
52
En 1978, on observe que les motifs d’hospitalisation sont, par ordre d’importance,
l’alcoolisme, la schizophrénie et autres troubles psychotiques, les démences et le retard mental.
Les patients souffrant de « névroses » étaient encore minoritaires en intra-hospitalier mais leur
nombre avait augmenté d’un facteur 30 depuis 1950. Ce cadre nosographique est aujourd’hui
abandonné dans la classification internationale des maladies et dans le DSM-V. Il regroupait,
entre autres, l’essentiel de ce qui est appelé troubles de l’humeur dans les classifications
contemporaines. La figure 7 présente les diagnostics posés à la sortie d’hospitalisation en 2016
Les patients présentant un trouble de l’humeur (à l’exclusion du trouble bipolaire)
représentent actuellement 22.92 % des journées cumulées d’hospitalisation. Ce chiffre ne prend
pas en compte les dépressions du trouble bipolaire ni les fréquentes comorbidités dépressives
des troubles anxieux d’indications hospitalières. Les troubles de l’humeurs représentent donc
la seconde catégorie diagnostique avec diminution en proportion des diagnostics d’alcoolisme,
de retards mentaux et de démences. Les patients souffrant de schizophrénies restent la première
Figure 7 : Répartition des diagnostics d’hospitalisation psychiatrique en 2016. Données extraites du
site http://www.scansante.fr/ décrivant l’activité hospitalière à partir du programme de médicalisation des
systèmes d’information piloté par l’agence technique de l’information sur l’hospitalisation.
53
catégorie en termes de jours cumulés d’hospitalisation. Cependant, ces derniers sont
surreprésentés parmi les patients aux très longs séjours (Holloway et al., 1999).
Le principal représentant des troubles de l’humeur est l’épisode dépressif caractérisé
(EDC), définit dans le DSM-V comme suit :
- A. Au moins cinq des symptômes suivants sont présents pendant une même période
d’une durée de 2 semaines et représentent un changement par rapport au
fonctionnement antérieur ; au moins un des symptômes est soit (1) une humeur
dépressive, soit (2) une perte d’intérêt ou de plaisir
1. Humeur dépressive présente quasiment toute la journée, presque tous les
jours, signées par la personne (par exemple se sent triste, vide, sans espoir)
ou observée par les autres (par exemple pleure) ;
2. Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque toutes
les activités quasiment toute la journée, presque tous les jours. ;
3. Perte ou gain de poids significatifs en l’absence de régime ou diminution ou
augmentation de l’appétit presque tous les jours ;
4. Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours ;
5. Agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les jours ;
6. Fatigue ou perte d'énergie presque tous les jours ;
7. Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée (qui
peut être délirante) presque tous les jours ;
8. Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision, presque
tous les jours ;
9. Pensées de mort récurrentes (pas seulement une peur de mourir), idées
suicidaires récurrentes sans plan précis, tentative de suicide ou plan précis
pour se suicider.
54
- B. Les symptômes induisent une détresse cliniquement significative ou une
altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines
importants.
- C. L’épisode n’est pas imputable aux effets physiologiques d’une substance ou à
une autre affection médicale.
- D. La survenue de l’épisode dépressif caractérisé n’est pas mieux expliquée par un
trouble schizo-affectif, une schizophrénie, un trouble schizophréniforme, un trouble
délirant ou d’autres troubles spécifiées ou non spécifiées du spectre de la
schizophrénie ou d’autres troubles psychotiques.
Ce syndrome peut être isolé, s’intégrer dans un trouble dépressif récurrent (aussi appelé
trouble unipolaire) ou dans un trouble bipolaire. Les caractéristiques cliniques d’un épisode ne
permettent pas de définir dans laquelle de ces trois présentations situations syndromiques le
patient se trouve.
L’EDC a un impact fort sur la mortalité – directement via le risque suicidaire et
indirectement via de nombreuses comorbidités somatiques et psychiatrique (Laursen et al.,
2016). Par ailleurs, sa prévalence augmente (+ 18% entre 2005 et 2015 (Vos et al., 2016)) ce
qui en fait un problème de santé publique d’autant plus préoccupant.
En France, les données épidémiologiques du baromètre santé de 2017 disponibles en
ligne (http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/32-33/2018_32-33_1.html) corroborent la
tendance à l’augmentation de la prévalence du trouble (Léon et al., 2018). Parmi un échantillon
de 25 139 Français âgés de 18 à 75 ans, 9,8% (IC95% : [9,3-10,2]) ont déclaré un EDC dans
l’année ce qui représente une augmentation de 1,8% depuis 2010. Les populations les plus
fréquemment touchés dans cet échantillonnage sont les femmes âgées de 35 à 44 ans, les
personnes inactives professionnellement ou à faible revenus et les sujets divorcés ou veufs. Les
55
auteurs affirment que l’EDC est impliqué dans 35 à 45% des arrêts de travails. Le coût des
troubles de l’humeur est estimé à 14 milliards d’euros en France, en 2004, dont la moitié est dû
aux coûts directs de prise en charge (Andlin-Sobocki et al., 2005). A l’échelle européenne,
l’hospitalisation représente ¼ de ces coûts directs (Sobocki et al., 2006).
L’EDC est donc un syndrome fréquent avec un impact important en termes de morbi-
mortalité dans la population. Ces patients représentent une grande partie du turn-over actuel
des hôpitaux psychiatriques français ce qui implique un coût important pour la société.
La durée d’hospitalisation des patients souffrant d’EDC est très variable. Fortnez et
collaborateurs retrouvent une variabilité des DMS de patients souffrant d’EDC entre différents
hôpitaux s’étendent de 7,3 à 31,8 jours (Fortney et al., 1996). Les études menées au sein d’une
même unité montrent une durée d’hospitalisation s’étendant de quelques jours à plusieurs mois
(Lauber et al., 2006; Ruaño et al., 2013). Les facteurs associés à la variabilité de la durée
d’hospitalisation des patients souffrant spécifiquement d’EDC sont très imparfaitement connus
et n’ont à notre connaissance jamais été évalués de manière prospective.
Nous avons défini dans notre revue de littérature que la sévérité symptomatique,
directement mesurée via des échelles cliniques ou indirectement par la prescription de
thérapeutique de 2ème ligne, était le facteur clinique le plus fréquemment associé à une
augmentation de la DMS pour les patients de psychiatrie en général, en dehors du diagnostic
lui-même (cf. supra). En France, seul 3% des patients présentant une prescription
d’antidépresseurs sont hospitalisés dans l’année (Fagot et al., 2016). Il s’agit donc d’une
pathologie majoritairement prise en charge en ambulatoire. Comme nous l’avons défini
précédemment, le temps hospitalier est réservé aux patients pour lesquels la densité de soin
ambulatoire est insuffisante. Théoriquement, une des causes majeures d’hospitalisation des
patients souffrant d’EDC devrait être l’intensité de la symptomatologie ou la résistance
56
thérapeutique. En sélectionnant la sévérité symptomatologique comme critère de jugement
principal, nous testerons l’association entre les caractéristiques cliniques intrinsèques de la
maladie et la DMS.
L’objectif de notre étude est de tester l’hypothèse d’une corrélation entre à la durée
d’hospitalisation de patients souffrant d’EDC et la sévérité symptomatologique à l’entrée. Nous
avons suivi les recommandations suivantes, formulées à l’issue de notre revue de littérature :
i) Inclusion des patients présentant un EDC quelques soit leurs comorbidités ;
ii) Sur un modèle prospectif pour limiter les biais de rappel et de recueil ;
iii) Au sein des quatre unités d’un même pôle d’hospitalisation pour obtenir un bassin
de population homogène et représentatif ;
iv) Testant l’hypothèse d’un effet de la sévérité de l’EDC à l’entrée sur la durée
d’hospitalisation : critère de jugement principal de l’étude ;
v) Explorant l’effet des autres variables cliniques et démographiques recueillies sur la
durée d’hospitalisation.
Ce travail permettra d’évaluer la pertinence de ces recommandations, les difficultés à
leur application et leur capacité à générer des résultats pertinents à partir d’un échantillon limité
de patients.
57
II- Matériels & méthodes
i. Création d’un questionnaire standardisé
Le recueil des données socio-démographiques, cliniques et anamnestiques propres à
chacun des patients a été réalisé à l’aide d’un questionnaire structuré. Celui-ci a été conçu à
partir des facteurs pronostics de l’EDC retrouvé dans la littérature.
En plus des 10 variables issues d’une revue de littérature de 2012 (Carter et al., 2012),
exposés dans la figure 8, les variables suivantes ont été ajoutées :
- Evolution chronique du trouble (troubles dépressifs récurrents ou troubles
bipolaires), car le nombre d’épisode et d’hospitalisation est retrouvé associé à une
augmentation de la DMS dans certaines études ;
- Antécédent psychiatrique familial, également retrouvé associé à la DMS ;
- Antécédents suicidaires, le risque suicidaire précipitant fréquemment les
hospitalisations (Beard et al., 2016) ;
- Présence dans l’année d’un des facteurs de stress suivants : deuil, perte d’emploi,
rupture sentimentale, problème de santé ou déménagement.
Une comorbidité anxieuse a été définie par la présence concomitante à l’EDC d’un
trouble panique, d’un syndrome de stress post-traumatique, d’un trouble obsessionnel-
compulsif, d’une phobie sociale ou d’un trouble anxieux généralisé.
Une catégorie unique « comorbidité somatique » a été définie par la présence d’une
maladie chronique induisant un handicap fonctionnel, une douleur chronique ou une
comorbidité cardiovasculaire, toutes associés à l’EDC dans certains travaux (Van der Kooy et
al., 2007 ; Luppino et al., 2010).
58
La présence d’une comorbidité addictive excluait l’addiction tabagique et les addictions
sevrées depuis plus de 2 ans.
Des travaux précédemment menés au sein du Centre Hospitalier du Rouvray7 ont servi
de base à l’évaluation de difficultés sociales. Brièvement, les éléments suivants sont
responsables de la majorité des hospitalisations à très longue durée au CH du Rouvray : mise
en place d’une mesure de protection, isolement social, difficultés d’accès aux droits, situation
de handicap ou de dépendance, difficultés financières ou difficulté d’hébergement.
7 Clémence Dallemagne-Delanoy « Description des patients à séjour long en psychiatrie au Centre Hospitalier du Rouvray, Métropole-Rouen-Normandie. » Thèse d’exercice sous la direction du Dr Sadeq haouzir, Rouen, Faculté de Médecine et Pharmacie de Rouen, 2016.
Figure 8 : Résumé de la direction de l’effet des différents facteurs pronostics du traitement
d’un état dépressif. Adapté de Carter et al., 2012. Le niveau de preuve de chacune des études n’est
pas indiqué sur le graphique.
59
ii. Recrutement des patients
Le recrutement des patients a eu lieu dans le pôle Rouen rive-droite du CH du Rouvray
dont la zone de soin s’étend des rues situées sur la rive droite de la ville de Rouen jusqu’aux
communes au nord de la ville de Rouen. La zone de soin, qui représente un bassin de population
de 150 000 habitants, est illustrée en figure 9.
Figure 9 : Découpage des secteurs psychiatriques du CH du Rouvray. Source Agence Régionale
de Santé. En rose la sectorisation du pôle Rouen rive-droite.
Les unités d’hospitalisation concernées étaient les secteurs G03 (service
universitaire), G05 et G08 situé au CH du Rouvray. Les patients sont hospitalisés dans ces
services après consultation ou hospitalisation courte à l’unité d’accueil et d’orientation situé
également au CH du Rouvray. Les patients y consultent spontanément ou sont transférés d’un
autre service d’urgence (principalement le service des urgences du CHU Charles Nicolle de
60
Rouen). Les patients présentant un diagnostic de troubles de l’humeur sont les plus représentés
à l’Unité d’Accueil et d’Orientation du CH du Rouvray. Ils totalisent 17 033 passages entre
2013 et 2018 devançant les patients souffrant de schizophrénie et autres troubles délirants
(10 258 passages).
Une deuxième phase de recrutement a eu lieu à l’unité d’hospitalisation intersectorielle
– également appelée unité Lucien Colonna – située au CHU Charles Nicolle et dédiée aux courts
séjours avec une activité de suicidologie. Cette unité dépend administrativement du secteur
G03. Les patients y séjournent lors d’hospitalisations programmées ou sont transférés des
services d’urgences ou des unités médico-chirurgicales via l’activité de liaison assurée par
l’équipe médicale du service.
Le recrutement des patients a été effectué, une ou deux après-midis par semaines, lors
de deux périodes distinctes :
- De Mars 2016 à Février 2017 aux secteurs G03, G05 et G08 ;
- De janvier 2018 à Mars 2018 à l’unité Lucien Colonna.
Sur l’avis de l’équipe médicale de l’unité, les dossiers des patients dont la
symptomatologie évoquait un EDC ont été, dans un premier temps, consultés puis les patients
ont été rencontrés, dans un second temps, pour compléter le questionnaire standardisé. Les
patients ont été effectivement inclus s’ils répondaient aux critères d’inclusion quel que soit leur
secteur d’origine. L’entretien durait approximativement 30 minutes en chambre ou dans un
bureau médical en fonction de l’organisation de l’unité et du souhait du patient. Celui-ci était
informé de l’objectif de l’étude et de son droit à refuser de participer à l’étude sans que cela ne
modifie sa prise en charge.
Les critères d’inclusion sont les suivants :
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- EDC selon les critères du DSM-IV-TR, évalué par le questionnaire Mini
International Neuropsychiatric Interview (Sheehan et al., 1998) ;
- Début de l’hospitalisation dans les 7 jours précédant l’inclusion.
Les critères de non-inclusion étaient les suivants :
- Présence d’un diagnostic de schizophrénie ou autre trouble délirant ;
- Patient mineur au premier jour de l’hospitalisation ;
- Refus de participation ;
- Capacités de compréhension insuffisantes.
iii. Extraction des données
La durée d’hospitalisation a été manuellement extraite du logiciel médical du CH du
Rouvray. Chaque patient était identifié par son numéro Identifiant Permanent du Patient (IPP).
La durée d’hospitalisation prenait en compte les journées d’hospitalisation dans les unités en
avals de celle où l’inclusion a été effectuée (l’unité d’accueil et d’orientation ou un autre secteur
du CH du Rouvray). Les journées d’hospitalisation aux urgences générales ou en service de
médecine où les soins effectués n’étaient pas spécialisés en psychiatrie n’ont pas été inclus.
La présence ou l’absence de ré-hospitalisation à court terme a été définie en consultant
la liste des hospitalisations du patient au CH du Rouvray, à 6 mois de la date de la dernière
inclusion. Il n’est pas possible d’infirmer la ré-hospitalisation d’un patient dans un autre centre
hospitalier publique (après déménagement, par exemple) ou dans une clinique.
iv. Analyse statistique
L’analyse statistique a été effectuée à l’aide du logiciel libre R (http://www.R-project.org/).
Pour chaque variable binomiale, la comparaison de moyenne entre le groupe porteur et le