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TRIOMPHE DEL'ÉCRITURE ~ FEMME II
MLF recherchedinosaures ou dynasties
par Jean Perrot
« Aila... son visage caché,ce visage qu'il leur restait à
reconnaître. »
Histoire de mon filsNadine Gordimer, Prix Nobel de
Littérature
Artémis : une femme libre, « auxyeux de clairière »
L'article précédent s'est conclu sur l'imaged'Orphée, émergeant
de profondeurs danslesquelles Eurydice est censée
demeurer,enveloppée par la Terre-Mère, une femmefleur, chair,
musique de sphères. En réalité,aujourd'hui, c'est Eurydice qui
sauve et quiagit : on le voit bien avec le roman significa-tif de
Nadine Gordimer, Histoire de monfils l, chronique de la lutte des
Noirs enAfrique du Sud, mais surtout récit del'émergence d'une
femme, de deux femmessur la scène de l'Histoire : Aila, la
mèreabandonnée par son mari (le Père, ce seralui, le dinosaure de
cet article, évidemment),est entraînée dans le combat de
libérationpolitique par sa fille « Baby ». D'une maniè-re tout
aussi significative, la « Beurette »Samira de Samira des
Quatre-Routes de
Jeanne Benameur (Castor Poche, 1992)assiste le jeune François
traumatisé par uneagression fasciste, le « ramène à la vie »(p. 78)
et le tire de l'enfer névrotique danslequel l'a plongé la violence
sociale. Samiraaussi n'est pas très éloignée des héroïnesd'Agnès
Desarthe (comme elles, elle veutcombattre avec les poings, p. 49)
et nous faitcomprendre incidemment que le refus deSartre dans Les
Peurs de Conception sous-tend en fait une implicite mise en avant
de sacompagne, l'auteur du Deuxième Sexe,Simone de Beauvoir. Pour
Jeanne Bena-meur, en effet, les revendications féministesne sont
pas périmées : l'homme est au pou-voir, parce que les femmes «
acceptent lafamille comme on la faisait chez nous »(p. 126), une
famille où la mère est aux cui-sines. Ainsi Fatima, l'aînée de
Samira, seplie aux volontés de Kaddour qui pense quesa « femme
n'aura pas besoin de travailler
(1) Gordimer, Nadine : Histoire de mon fils, 1990, trad. fr.
Christian Bourgois Editeur, Paris : 1992
60 /LA REVUE DES LIVRES POUR ENFANTS
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dehors », Kaddour qui est content, si « elleélève ses enfants
selon les justes principes duCoran »(p. 24). C'est pourquoi,
dansSamira des Quatre-Routes, l'antithèse mili-tante de la famille
traditionnnelle est donnéepar Aune, la jeune artiste divorcée qui
élèveseule ses deux fils. De toute évidence, la libé-ration
féminine recoupe les questions declasses et de cultures, car c'est
devant cettefemme que le père de Fatima, le travailleurémigré, se
sent « ému et intimidé ».D'une manière similaire, dans Histoire
demon fils, le père noir se laisse impressionnerpar une
intellectuelle blanche, tandis que safemme et sa fille s'imposent
progressivementet relèguent au second plan ses effets de tri-bune,
gommant, d'une part, le masque debeauté conventionnelle que la
première avaitadopté et, d'autre part, les provocationschaotiques
d'une adolescente, d'abordoutrageusement maquillée. Aline, de
même,a « un visage très fin », une main « petitecomme une main
d'enfant, mais très ferme »(p. 65) et « des yeux de clairière » (p.
71). Sibien que le masque d'Orphée, dans cedeuxième article,
s'efface aussitôt devantcelui, plus séduisant, de Diane déjà
entrevuedans la précédente étude, ou plutôtd'Artémis, divinité des
marges culturelles etdes clairières, comme le Petit ChaperonRougè,
l'initiatrice des jeunes filles de laCité, la seule déesse qui
s'avance masquée,comme le rappelle Jean-Pierre Vernant :surgit
aussi le masque de Kelek aussi impres-sionnant que celui de la
Méduse qui n'est passans rapport avec Artémis, comme le
suggèreencore l'auteur de La Mort dans les yeux 2.Fin d'Orphée
donc, Orphée marqué parl'emprise de la femme, dans le mythe et
*•+*:
ill. Maya Bell, in : Obliques, n° 14-15« La Femme surréaliste
»
aujourd'hui, si toute écriture pour la jeunes-se dans le système
éditorial contemporainn'est qu'une variante de « l'écriture
fémini-ne », comme Margaret Higonnet, avec PerryNodelman, semble le
suggérer dans unrécent article3.L'œuvre de Nadine Gordimer, en tout
cas,devait être mentionnée, parce qu'elle paraîtrassembler
emblématiquement - avec plus deforce que celle de Jeanne Benameur
pourqui le Père est encore l'objet d'une vénéra-tion sacrée - trois
traits de l'écriture fémini-ne de notre époque : une certaine
dérision« postmoderne » d'abord, qui, à des degrésdivers,
accompagne l'affirmation volontaired'une identité spécifique;
ensuite le recoursà l'enfance comme ressourcement, pour lafemme et
l'homme, de forces vives un instantdétournées et perverties, comme
garantie
(2) Vernant, Jean-Pierre : La Mort dans les yeux, Voir aussi mon
étude « L'Ogre de l'altérité ou l'émer-gence d'Artémis» in : La
Littérature de jeunesse au croisement des cultures, Le Perreux :
CRDP(Collection Argos), 1993.(3) Higonnet, Margaret : « La
Politique dans la cour de récréation » in : « Culture, texte et
jeune lec-teur», présentation de Jean Perrot, Actes du 10^me
congrès de l'IRSCL, Nancy : PressesUniversitaires, 1993, p.
116.
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Dedans les gens, ill. N. Claveloux, Gallimard/Le Sourire qui
mord.
utopique d'un contrat d'union fondatrice;enfin, depuis ce point
névralgique, une cri-tique incisive des aberrations de la Cité,
etplus particulièrement de celles que l'hommeimpose à la famille.
Examinons les trois uni-tés de ce théâtre qui ne manque pas
d'af-fecter l'esprit des œuvres diffusées dans lechamp de l'édition
pour la jeunesse.
Levez masques et bergamasques :la danse des dinosauresC'est bien
le terme « théâtre de l'intime »qu'emploie Nicole Claveloux pour
qualifiersa dernière œuvre Dedans les gens(Gallimard-Le Sourire qui
mord). On nepeut rester indifférent devant cette sorte debacchanale
qui surgit de derrière une drape-rie aux teintes plus nuancées que
celles durideau de Rouge bien rouge et qui est guidéepar le
gnome-enfant-clown de Quel genre debisous : on remarque, dans ce
défilé à laJérôme Bosch où se mêlent des musiciens -mais pas Orphée
! - que les hommes ici sevoient attribuer des formes de clowns,
d'ani-maux, de robots ou de mages chargés depesants livres, tandis
qu'une indécision pèsesur le féminin, indécision bien vite levée
parles fonctions nourricières que suggèrent desattributs
indiscutables, et, par exemple,cette cruche qui verse un lait
crémeux dansune jatte. On est frappé aussi par des« chaînes » de
personnages aux têtes en
forme de cornues qui distillent des élixirsdans un échange aussi
mystérieux que celui -relevé dans notre article précédent - qui
ins-pirait Colette. Enfin ce Carnaval est couron-né par
l'apparition d'une guenon portant unœuf et entourée de personnages
à l'identiténébuleuse et notamment, d'un Prométhée ausexe en
érection, mais au visage indistinct.Par un effet de zoom, l'image
finale se perddans l'obscurité du regard vide d'un gardesous son
casque. Ultime vision du désir mas-culin aveuglé, transposant
peut-être l'hor-reur qui s'exprime sous le casque de la«Chute des
anges rebelles » de Pieter Brueghelreproduit dans Petit Musée
(L'Ecole desLoisirs, 1992) par Alain Le Saux et GrégoireSolotareff.
La dérision du postmoderne,quoi qu'il en soit, sous-tend le constat
fémi-niste de la chute à travers ce jeu de masquesterrifiants (une
défense contre le regardd'Actéon ?) qui inclut dans son« triomphe »
et sa danse macabre des crânesde mammouths et autres
tératosaures.
Chronique des dynasties :le spectre et la poupée
La même tératologie du regard anime sur unregistre moins
allégorique le roman deValérie Dayre, Le Pas des fantômes (Cas-cade
Aventure, Rageot Editeur, 1992), qui
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montre comment « l'honneur » d'une famillea entraîné le
sacrifice d'un amour de femmeet la destruction d'un couple :
Marianne,victime d'un « froid tueur d'amour qui, àdéfaut d'avoir su
vivre, avait su se faire dessouvenirs » (p. 151), n'est plus que le
fantô-me d'elle-même :« C'étaient de vieux yeux de folle qui
mefouaillaient, de vieux yeux perçants, tropbrillants, qui étaient
restés l'unique souve-nir de jeunesse dans un visage ravagé parun
temps qui y avait exercé toutes ces vio-lences » (p. 140).«
L'amoureux » de Marianne prénomméRomain, l'homme d'une Décadence
qui ren-voie autant à celle de Rome qu'à La Chutede la Maison Usher
d'Edgar Poe, possède,lui, des yeux changeants « mats et « opa-ques
», avec des « iris grisés » (pp. 20-21),aussi insondables que ceux
de l'homme aucasque dans l'illustration de NicoleClaveloux. Ces
yeux redoublent le regard dupère, Edouard Troël-Pym, l'ancêtre,
lemonstre comme sorti d'une galerie deportraits au dénouement, et
qui regardetriomphalement brûler le domaine, dans unincendie aussi
dévastateur que celui deMetzengerstein du même Edgar Poe.
Lesaventures du narrateur généreux derrièrelequel se cache Valérie
Dayre sont donccelles d'un « Gordon Pym », témoin del'horrible et
du scandaleux : la ruine de lamaison Troël-Pym reporte sur une
femme etsur les gens d'un pays tout entier spectral laperversion
des « capitaines d'industrie ».Comme Madeline, la folle, et Usher,
le châte-lain au domaine désolé, Marianne et Romainvivent
l'enfermement d'un narcissismegémellaire et la lettre, retrouvée à
trentetrois ans d'intervalle (une vie de Christ ?)par le narrateur,
permet l'accomplissementd'un drame de la répétition et de la
coïnci-
dence : celui d'une transposition de LaLettre volée. D'une
lettre qui, Lacan l'amontré dans une analyse célèbre, a été
avanttout « retardée »4. On admirera la subtilitéde « l'effet final
» et la construction duroman de Valérie Dayre qui croise fiction
etcorrespondance, comme étaient exploitéesles techniques du journal
intime dans C'estla vie, Lili (Rageot Editeur, 1991) : larecherche
féminine de l'authenticité ainsidébouche sur une remise en cause
politiquede tout le système de la « représentation »masculine.
Cette contestation met l'accent,au premier titre, sur la conscience
des impli-cations politiques mêmes de la fiction et surl'acuité
critique des romancières.A la sombre vision rétrospective de
ValérieDayre s'opposent sans doute dans l'éditionpour la jeunesse
des utopies projectives etdes « planètes » féminines plus
souriantes :celle par exemple, aux antipodes, deCatherine
Missonnier dans Extraterrestreappelle CM1 (Cascade, Rageot
Editeur,1992), où la « préhistoire » (p. 9) renvoiesimplement au
quotidien de notre terre, unheu que le narrateur trouve archaïque
pourdes raisons technologiques, mais où l'oncleGaspard « traite »
toujours (tante Lucie)« comme une poupée fragile et précieusequ'il
aurait peur de casser » (p. 11). L'imagede la femme-objet
transitionnel, à laquelle,en un sens, Aila sacrifie aussi au début
deHistoire de mon fils, atteste bien de la per-manence de l'homme
de La Gradiva aucœur même de la comédie moderne, maisrévèle en même
temps un adulte qui n'a pasquitté la scène de l'enfance : Orphée
serait-ilporté à jouer à la poupée ? Ou plutôt, lavalorisation de
la femme dans la perspectiveféministe ne commencerait-elle pas,
dans lesfictions construisant une nouvelle Personne,par la
restauration et l'intronisation
(4) Lacan, Jacques, « Le Séminaire sur la lettre volée », in :
Ecrits, 1966, Le Seuil (Le Champ freu-dien) pp . 11-60.
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magique de « l'enfant merveilleux » que cha-cun porte en soi et
dont, selon SergeLeclaire, il faut faire le deuil, pour atteindrela
maturité5? Des voix innombrablesd'enfants et d'adolescents bavards
nous par-viennent ainsi à travers les récits à la pre-mière
personne, écrits par les femmes princi-palement : la vivacité et la
théâtralité desdialogues très développés y alternent avecdes
échanges de lettres - on remarquera leslettres que l'on se donne de
main à maindans Samira des Quatre-Routes - et avec lescommentaires
restreints des romancièresidentifiées à leurs porte-paroles.On
comprend que cette forme de fictionconvienne mieux à l'expression
des droits dela femme que le journal intime, dont la forcede
persuasion est moins directe à l'heure descommunications rapides :
le « modèle »du Journal d'Anne Frank a aujourd'hui unpeu perdu de
sa qualité de « manifeste »littéraire, après la vague des récits de
vieconsacrés à l'évocation de la Seconde Guerremondiale. Il se
trouve néanmoins mentionnédans quelques fictions récentes, comme
dansQuand je pense à la Résistance de SophieChérer (L'Ecole des
Loisirs, 1993, p. 38), aumême titre que Le Journal de la France
enguerre, comme élément suggérant une atmo-sphère d'époque et un
état d'esprit : celui del'adolescente qui, placée devant «
l'horreur »absolue (les restes macabres, un tibia et uncrâne de
déporté russe, reliques du Musée del'occupation allemande de
Jersey), refuse unecertaine hypocrisie des commémorations
offi-cielles. D est donc repris et redistribué dansun récit plus
ouvert avec d'autres référencesaux lectures disparates d'une
adolescente, àBelle du seigneur, aux Mémoires de SaintSimon et à la
collection des Oui-Oui (p. 14).La rencontre des tons et des genres
litté-raires est la marque d'un refus de la légiti-mité
traditionnelle et d'un travail de libéra-
tion formelle que nous allons considérermaintenant.
Nouvelles « séries » :la femme, l'enfant et le pantin
« J'entrai. Merde ! Que des mouflets. Unqui a bien trois mois et
qui geint sur le seinde sa mère. Des jumeaux qui m'ont toutl'air de
s'être refilé la varicelle. Une gaminequi se mouche dans les
coussins du divan.Calamitas, elle m'a repéré. J'ai toujours
eubeaucoup de succès auprès des filles demoins de deux ans... »Cet
extrait du récit Un Séducteur-né deMarie-Aude Murail (L'Ecole des
loisirs,1991, p. 37) caractérise au mieux le retour-nement
carnavalesque d'une écriture quiaffecte autant la parole des
enfants que celledes adultes et, de préférence, celle des
mâlesvisés en première ligne. Alors que l'homme,en effet,
n'apparaît que d'une manière épiso-dique dans l'univers de Susie
Morgenstern, le« pantin » aux prises avec « la femme » offreune
cible d'élection dans la « saga »d'Emilien, le jeune héros de
Marie-AudeMurail. Ce garçon est orphelin de père, et vitavec sa
mère, une personne généreuse etartiste, comme Aline dans Samira
desQuatre-Routes, mais assez fantasque dansles errances qu'entraîne
son désir d'indé-pendance affective et financière : assailliepar
les « prétendants », mais liée à son fils,elle doit aussi faire
face à un compte bancai-re en perpétuel découvert.... Les
démêléscocasses de ce couple témoignent de l'isole-ment difficile
de la femme et de l'enfant dansle foyer monoparental et
constituentl'intrigue centrale des nombreux volumespubliés par le
même éditeur : Baby-sitterblues (1988), Le Clocher d'Abgall (1989),
LeTrésor de mon père (1989), Au bonheur deslarmes (1990), Sans
sucre merci (1992).
(5) Leclaire, Serge : On tue un enfant, Paris : Le Seuil, 1975
(Le Champ freudien).
64 /LA REVUE DES LIVKES POUR ENFANTS
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Le dernier « épisode » qui vient de paraître,Nos amours ne vont
pas si mal (L'Ecole desLoisirs, 1993), joue sur cet effet
d'accumula-tion, et Marie-Aude Murail, dans un retourcritique hardi
sur ses propres pratiques, yjuxtapose en permanence les
développe-ments fantaisistes de l'intrigue et un com-mentaire
humoristique : très sensible auxdiscours publicitaires (ici la
réclame deNesquick) qu'elle fustige dans maint récit,mais pour en
tirer des effets burlesques, laromancière, en effet, révèle à la
fois la proxi-mité de son œuvre avec la littérature popu-laire des
séries télévisées et la distance paro-dique conférant à ses
histoires un nouveaustatut littéraire :
« Si ma mère jouait dans Santa Barbara, jepourrais raconter que
son ex-mari (celui quia reçu une brique sur la tête lors d'une
visitede chantier au 123° épisode) a fait kidnap-per le bébé pour
que le nouvel amant de sonex-femme ne se charge pas de son
éducation,vu qu'on peut se poser des questions sur samoralité, car
tout le monde a pu voir au155° épisode qu'il couchait avec la
deuxièmefemme de l'ex-mari de sa nouvelle maî-tresse... » (p.
23)Que le « détrônement du roi » (selon la for-mule de Bakhtine)
qui en résulte, soit celuide la « Majesté » traditionnelle - et,
curieu-sement, le loup d'Yvan Pommaux reçoit, lui-aussi, une brique
sur la tête pour avoir enle-vé le petit Chaperon Rouge dans
JohnChatterton, détective - paraît évident à lalecture du Clocher
d'Abgall : là, HenriLeroy qui brigue un instant la place royaledu
mari, abandonne la partie en manifestantun odieux égoïsme et une
inhumaine indiffé-rence à l'égard d'un ami d'Emilien en péril.La
phrase qu'il lance avant de s'éclipsermontre bien l'engagement de
Marie-AudeMurail :
« J'en ai assez de subir les caprices de cegamin, assez d'être
un pantin entre vousdeux. ASSEZ » (p. 152).
L'appel à la générosité suscité par le dramede l'enfance
malheureuse libère donc danscette fiction une femme qui,
autrement,courrait le risque d'être « squattée », unterme
qu'emploie Emilien dans Sans sucre,merci (p. 42). Depuis Pierre
Louys, l'enfantest ainsi passé entre « la femme et lepantin »,
s'est glissé entre les deux protago-nistes de la comédie des mœurs
et, souvent,se voit le délégué des désirs féminins enexprimant une
« raison » du cœur que lesadultes en folie ont tendance à oublier.
Lesintermittences de la passion des amants pas-sent dès lors par le
relais de la fantaisieenfantine : « Les petits mômes ont le géniede
dénouer toutes les situations », ditEmilien très significativement
dans Le clo-cher d'Abgall (p. 133) au cours d'une scèneparodique
dans laquelle la gêne d'Emilien etde Martine-Marie, son « amoureuse
»,est dispersée par le « bon mot » du petitfrère qui mime et
caricature l'égoïsme desadultes : « Ze donne pas mon socolat à lui
»,dit Charles-Aurèle préventivement » (p. 133)De la même manière le
Maximidou deBrigitte Smadja dans Maxime fait de lapolitique
(L'École des Loisirs, 1991) saitdétendre l'atmosphère familiale par
ses bonsmots, lorsque le père s'impatiente de ne pasvoir rentrer sa
femme : « Je dis que tuaurais dû la quitter. Un papa divorcé,
c'estmoins grave qu'un papa fou », déclare-t-ilavec un grand
sérieux qui déclenche le rirede son père (p.17).
La satire féministe du style :Santa Barbara ou
BarbaraCartland
On sait que l'écrivain féministe Gyp s'étaitdéjà essayée à une
utilisation assez sem-blable de l'humour enfantin involontaire
audix-neuvième siècle dans sa satire de l'insti-
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tution du mariage6. L'originalité de Marie-Aude Murail qui a
rédigé une thèse surCharles Dickens est de reprendre le flam-beau
de l'hujiour dans le contexte des luttesMLF qui placent les soins
accordés auxenfants par les parents au centre du débatpolitique :
les enfants des bourgeoises éman-cipées de Gyp, en effet, étaient
encoreconfiés aux domestiques.Cette mutation implique un changement
deperspective, et même de style, de l'enfant,lui-même : dans la
page de Sans sucre,merci que nous venons de citer, Emilien,
imi-tant la romancière populaire sentimentale,Barbara Cartland,
s'entraîne à l'écriture etretranscrit dans une autre langue,
l'épisodeburlesque pendant lequel son oncle en per-sonne, le frère
de son père mort, a courtisésa mère :
« Etait-il possible que d'aussi douces parolestombassent de ces
lèvres railleuses ?- Hélas, reprit-il d'une voix amère,
vousapparteniez alors à cet infâme HenriLeroy »- Je n'ai jamais
appartenu à qui que ce soit,répliqua maman, et celui qui
prétendrait lecontraire serait un sombre crétin.Ma mère est trop
MLF pour les romans deBarbara Cartland... » (p. 42).La solidarité
de la femme et de l'enfant dansle combat commun de libération
s'accom-pagne bien d'une haute conscience de l'abé-nation imposée
par le langage et par laconstruction d'une histoire même. Dans
Nosamours ne vont pas si mal, cette réflexion seprécise à la mesure
de l'aggravation desconflits évoqués dans la parodie de
Santa-Barbara : Emilien écarte encore une foisLeroy (tout entier
dominé par « les lois dumarché » qui poussent l'individu à se
vendre) et prend le parti de « l'amoureuxnouveau », Valentin, le
frère de son père,capable de larmes. Son action aboutit, defait, à
l'examen des implications idéolo-giques de tout récit : en voulant
devenirauteur de bandes dessinées, l'adolescenttranscrit et
transforme le scénario desamours de sa mère. Cette activité
esthétiqueagit en retour sur l'histoire des amoursd'Emilien et
associe le lecteur aux choix exis-tentiels (et narratifs) que le
garçon est amenéà faire :
« Leroy quitte les Centres Leclerc et partservir les
chiffonniers du Caire aux côtés deSœur Emmanuelle. Happy end pour
tout lemonde et surtout pour moi qui ne l'encaissepas comme
beau-père. Je vais soumettre lescénar à ma mère.. »( p. 87)Ainsi,
comme dans L'Insoutenable légèretéde l'être de Milan Kundera, le
personnageapparaît ici comme « indissociable de l'uni-vers fictif
auquel il appartient »7. L'écriturede l'œuvre inclut une réflexion
sur sespropres formes : la bande dessinée d'Emiliendont des
extraits sont reproduits dans levolume, est l'occasion d'une
parodie desrapports de l'auteur et de l'éditeur dans lessystèmes de
la production contempo-raine. C'est donc une théorie de la
produc-tion littéraire pour la jeunesse qui estprésentée
indirectement dans Nos amours nevont pas si mal : la romancière
associe ainsil'essai et le roman et exerce le métier de cri-tique
dans une complète autarcie. Enfin labande dessinée du garçon ménage
la pudeurde l'écrivaine en permettant à celle-ci d'évo-quer,
derrière la chute d'un ours - toujoursl'objet transitionnel - ce
qui n'est pas la« chute d'un ange », mais qu'il est
peut-êtredélicat, pour elle, de reproduire à travers un
(6) Voir mon étude « Eveil de la sensibilité et censure de la
voix de l'enfant chrétien » in : L'Enfance etles ouvrages
d'éducation, sous la direction de P.M. Pénigaut-Duhet, Nantes :
Presses de l'Université,1985, vol. II , pp. 323-343.(7) Voir le
très complet article de Jacques Le Marinel: « La Conception
romanesque chez Kundera »,in : L'Ecole des Lettres II, n°
12,1992-1993, pp. 64-77.
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Nos amours ne vont pas si mal, ill.Dupuy/Berberian, Ecole des
loisirs
point de vue masculin (p. 55). Marie-AudeMurail profite ici de «
l'InsoutenableLégèreté du livre » qu'elle revendiquedans un récent
article " : une légèreté para-doxale, qui, nous allons le voir,
repose sur« le poids » d'enfants de plus en plus« lourds » et qui
appellent l'invention de« porte-bébés » de plus en plus
sophistiqués,porte-bébés qui font la gloire de la mèred'Emilien et
sont conçus pour le « holding »des « hommes », comme le montre très
plai-samment la planche de la page 31.
Marivaudage : le jeu des bébés àgogo et à 210 francsDans
l'identification tacite qui unit Emilienà sa mère, une grande part
des scènesretranscrites par le jeune héros porte sur lafinesse
psychologique ou sur l'inconsciencedes enfants qui miment les
travers ou lesexcès de leurs géniteurs. Ainsi la petite fillede Un
Séducteur-né qui a « repéré » Emilien
chez le pédiatre entreprend aussitôt desmanœuvres de séduction
:« ça y est, elle me tend le playmobil qu'ellevient de
mâchouiller... Gluant. Je le jettediscrètement sous ma chaise. La
gaminevient de ramasser un cube. Le temps quellele lèche un peu et
ça va être pour mapomme... Justine a franchement le béguinpour moi
: elle me tend son doudou, uneloque grisâtre qui a vaguement la
formed'un ours » (p. 38).La comédie des bébés ne concerne pas
lesseules passions amoureuses et la scène virefacilement au « drame
» de la jalousie :Justine, furieuse de voir un des jumeauxgrimper
sur les genoux d'Emilien lui assèneun coup de ce même doudou,
déclenchantdes réactions en chaîne:« Julien, viens mon chéri, dit
la mère enjetant un regard haineux à l'autre mère quifeuillette une
revue, avec un air de sournoi-se satisfaction. Le nourrisson vient
dedéclencher sa sirène d'alarme. Sa mère lesecoue comme un panier à
salade :Là, là, mon bébé, c'est rien, c'est tes vilaineszoreilles
qui zont bobo » (p. 39).La reprise du parler enfantin par les
adultesqui bêtifient et qui vivent par procuration àtravers les
réactions de leurs rejetons n'estpas absolument neuve : ce qui est
surpre-nant en revanche ici, c'est la participationde l'adolescent
(« Je craque toujours pourles bébés », déclare Emilien dans Sans
sucre,merci, p. 82) qui devient ainsi le double del'auteur dont il
reproduit le point de vuemoral et les activités maternantes.En
fait, l'éducation féministe transformeEmilien en un futur père
exemplaire, sem-blable à Valentin (un « Saint-Valentin » quiaurait
lu Winnicott ?) pour qui le bébéJustine éprouve un « attachement »
existen-tiel. L'adolescent, qui emprunte à la biblio-thèque « un
livre sur la façon d'élever les
(8) Murail, Marie-Aude : « L'Insoutenable légèreté du livre »,
in : L'Ecole des Lettres I, n° 5,1990, pp. 3-10.
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bébés » dans Sans sucre, merci (p. 26), rêveaux enfants qu'il
aura avec Marie-Martine.On appréciera la scène du bain du
Clocherd'Abgall dans laquelle le regard amusé duhéros est habité
par celui de la romancièrecontemplant les gesticulations des
tout-petits :« Je veux mon gant de toilette en lapin,réclama
Pierre-Etienne, papa ! Mon gant !Heu... Emilien, mon gant !Je
rigolai. J'aimerais bien avoir un gamincomme Pierre-Etienne avec sa
biMe de clownendormi. Je sais que Marie-Martine
préfèreCharles-Aurèle » (p. 137).Le bain, à travers cette vision,
n'a pas lesérieux, ni le cérémonial sensuel que luiconférait George
MacDonald, spectateur desrituels de l'enfant-roi victorien9 et
cultiveune verdeur de langage provocante :« les frères ennemis
étaient dans la baignoi-re, jouant à s'éclabousser et comparant
leurquéquette.
- C'est tout petit le tien, commenta Charles-Aurèle.- Le tien,
c'est plus petit, renchérit Pierre-Etienne » (p. 136).Jamais le
réalisme de la « nursery », tel quele pratiquait Louisa May Alcott,
n'avait étépoussé si loin : en fait, à travers la parodiedes
manières enfantines, une régression déli-bérée s'empare de la
romancière qui, souscouvert du point de vue d'un adolescentformé
par son expérience de baby-sitter, faitsauter tous les tabous et
bafoue allègrementles conventions. Particulièrement « zozées »pour
une oreille habituée au style châtié dudiscours académique
paraîtront lesremarques de deux bambins de Sans sucremerci :
« Encore un peu de caca, Madame Pipi ?demandait le petit
neveu.Oui, monsieur Cucu, répondait la petite-
nièce, avec de la crotte en merde-boudin.Mademoiselle Sainfoin
me jeta un regardnavré » (p. 48)Avec une fausse commisération,
Marie-AudeMurail qui a estompé les limites entre le par-ler
enfantin et celui de son narrateur, pré-sente ses excuses au
lecteur. En réalité, c'estl'éducation des sensibilités étrangères
àl'univers de l'enfance qui est recherchée ici,avec une volonté de
provocation encore plussystématique que dans Miranda s'en va
deValérie Dayre. Il en résulte un style débridé,où le « mauvais
goût » délibéré repose surl'absence de distance entre les
fantasmesarchaïques de l'enfance et leur expression :la comédie
alors prend un tour surréaliste,mais s'écarte peu des situations
fondamen-tales du jeu et des rituels du premier âge.Ces turbulences
linguistiques qui apparen-tent l'imaginaire de l'œuvre à celui de
la« bêtise » et qui assument donc des fonctionsde sublimation
affective transparaissentaussi dans le choix des thèmes : ainsi
dansMon bébé à 210 francs, le jeu de la poupéedes petites filles,
un jeu littéraire que l'ontrouve déjà dans Les Jeux de la
petiteThalie de Monsieur de Moissy (1769)10, sevoit supplanté un
instant par le jeu à lacarabine offert par la tante Kali qui est
un« garçon manqué » (p. 29) (il y a du Mokasous roche dans
l'épisode). Pourtant la dis-pute et les jalousies qui s'ensuivent
sontfinalement supplantées par la manipulationdes vrais bébés à qui
on donne le biberon :« C'est tout chaud, un bébé. C'est mille
foismieux qu'une poupée » (p. 22). Encore unefois, les jeux
passionnés de l'enfance et lanarration qui les rapportent, non
seulementsont l'occasion d'une effusion de tendresse,mais
conduisent aussi au sentiment d'untemps maîtrisé par les vertus de
l'allaitementdans la gloire de la maternité. L'écriture
(9) Cf. le compte rendu « Un Victorien à redécouvrir, George
MacDonald « in : La Revue des livrespour enfants, n° 137-138, Hiver
1991, p . 37.(10) Article cité, note 5, « Eveil de sensibilité...».
Op. cit. p . 327.
68 /LA REVUE DES LIVRES POUR ENFANTS
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rejoint ainsi l'action d'une féministe commeNancy Huse11, par
exemple, dans la mesureoù elle lie la femme et l'enfant dans un
dia-logue porteur de libération.
La sœur sublime et le gentildinosaure reconverti
De ces effusions multipliées résulte, dans cesrécits, une
tendance généralisée à la glorifi-cation de la relation maternelle
qui devientsentiment religieux, béatitude entière. Un teltrait nous
a poussé à comparer Marie-AudeMurail à un abbé dans l'article
précédent :un abbé qui parle latin et qui a des aspira-tions
séraphiques, comme le montre le récitLes Secrets véritables
(L'Ecole des loisirs,1990) où le jeu fantastique -
l'évocationpeut-être des grands jeux d'une enfance per-sonnelle ? -
consiste à se rendre invisible àl'aide d'une potion magique en
prononçantla formule « Invkibilus sum voluntate Dei »(p. 4.) : au
dénouement, le « véritable secret »de ce jeu avec le frère est
celui de la magiematernelle, magie suprême, « mariale »,d'une
évocation qui exorcise l'angoisse de laséparation. Et sans doute,
le sentimentmaternel qui préside aux destinées des per-sonnages de
ces récits n'est-il rien d'autreque celui de Marie-Aude Murail,
elle-même,qui confie volontiers ses garçons « aux sœursde Sion »
(Le Clocher d'Abgall p. 128), quienvisage de convertir finalement
Leroy àl'action humanitaire pour l'envoyer auCaire chez Sœur
Emmanuelle et qui laisse leséducateurs faire des merveilles « avec
leurcœur » (p. 123) dans Au bonheur des larmes.L'humour est ainsi
le masque assumé par lapudeur d'une femme qui exorcise le
tragiquede l'existence (« L'humour est la politesse du
Un Dimanche chez les dinosaures, ill. P. Dumas,Ecole des
Loisirs
désespoir », sujet sur lequel planche Emiliendans Nos amours ne
vont pas si mal, p. 120)par le culte d'un absolu réunissant
enfanceet liberté sous le signe du dérisoire : le déri-soire,
parfois, d'histoires belges, commedans Un Séducteur-né et, plus
générale-ment, d'un jeu avec le signifiant, comme,par exemple, dans
Le Hollandais sans peine.Marie-Aude Murail prend le théâtre
pourréférence explicite de cette représentationbouffonne et
entraîne son lecteur dans defantasques imbroglios : « incognito.
Commechez Marivaux », comme elle l'écrit dans UnSéducteur-né (p.
89). A cet égard, l'une desintrigues les plus réussies est celle
qui livreun père de famille à ses enfants dans UnDimanche chez les
dinosaures (L'Ecole desloisirs, 1991) : l'accumulation des
maladressesde l'adulte culmine avec « la gifle », aveud'une
impuissance, d'une autorité malemployée dont l'enfant appelait
inconsciem-ment « le retournement »? Le mot d'espritinvolontaire du
benjamin qui détend l'atmo-sphère et fait éclater de rire toute la
famillerévèle le propos ultime de l'œuvre : les
(11) Voir l'article de Nancy Huse : « L'Energie des racines : le
féminisme et la littérature de jeunesse ;in : Culture, texte et
jeune lecteur, op. cit. pp. 131-132.
N° 153 AUTOMNE 1993/ 69
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« dinosaures » sont sans doute ces « faussesgrandes personnes »
que la romancière« n'encadre » pas et livre en pâture à sesjeunes
lecteurs impitoyables, comme Ionescolivre les Smith au public
(ainsi, dans Unséducteur-né, ce « monsieur congestionnéjusqu'à la
racine des cheveux. Ce dernierprit dans sa poche un mouchoir
grandcomme une serviette de table avec lequel ils'épongea le front,
s'essuya les mains, net-toya ses lunettes et se moucha. Je
redoutaiun moment qu'il ne se la nouât ensuiteautour du cou », p.
29). Ce sont surtout lespères incapables d'assumer tout seuls
lagarde des enfants : celui d'Un dimanchechez les dinosaures se
rachète pourtant parsa gentillesse, mais, avec le modèle
maternelpour seule référence, appelle une nouvelle« archéologie du
savoir » et du sentiment.Marie-Aude Murail confie qu'il y a
derrièreces mises en scène le souvenir d'une blessurequi fait
boîter les êtres et la vie (ces handica-pés « couchés dans une
étable avec « le petitJésus » dans Au bonheur des larmes
?).Boitement œdipien des générations qui sesuivent et ne se
comprennent pas, un dys-fonctionnement généralisé auquel les
femmes
n'échappent pas, comme la jeune mère qui,dans Un Dimanche chez
les dinosaures, s'estabsentée, elle-aussi, pour passer undimanche
avec son père « aussi désagréableque d'habitude » (p. 56). Mais
cette coupuren'est-elle pas nécessaire dans la conquête del'état
adulte?
Sous le masqueL'esprit d'enfance, tout compte fait, offre
àl'Artémis légère un antidote contre la sénes-cence et la
fossilisation de l'humain, l'aide àlutter contre « l'insoutenable
lourdeur » desêtres : comme il apparaît dans le dernieralbum
publié, Son Papa est roi (Milan,1993), c'est « dans la tête d'une
grande per-sonne » sous le masque donc, que vit la peti-te fille,
jusqu'à ce que le « roi » qui est iciune sorte de « roi des Aulnes
» emporte « surson destrier » et « dans son royaume »
l'irré-ductible et merveilleuse enfant devenue une« vieille dame ».
Le livre, en effet, est labaguette magique qui ouvre un
espaceaérien, radieux pour tout dire, un nouveauromantisme,
dépassement du mal de vivre.Pas un simple divertissement, mais
aussi lemanifeste d'un engagement humaniste. •
Dans la perspective du colloque d'Eaubonne (Mars 1994) sur
L'Ecriture féminine et lalittérature de jeunesse, prochain article
pour une autre Odyssée, à paraître dans la revueArgos12 (numéro de
décembre), sous le titre : « Qui n'a plus peur de Virginie Lou, et
del'Autre ?
(12) Diffusée par le CRDP du Perreux, 20 rue Danièle Casanova,
94300 le Perreux.
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