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O6 Trimestriel :Octobre/Novembre/Décembre 2011
L E MAG A Z I N E D E L A C H I R U R G I E F R A N CO P H O N
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LES CAHIERS AVENIR
RECHERCHEFONDATION DE
L’AVENIR
TRIBUNE LITTÉRAIRE 26
Chirurgie conceptuelle, chirurgie factuelle
Bernard Devauchelle
O6
Jean-Paul Marie
P. Vayre, Ch. Grapin, S. FaccaOlivier Sterkers
MISE À JOUR THÉRAPEUTIQUE
Réinnervation laryngée
Evolution des indications de l’implantation cochléaire vers le
traitement des maladies de l’oreille interne
17POINT DE VUE DU JEUNE CHIRURGIEN
Tribune intergénérationnelle
ÉDITORIALFRANCIS
BRUNELLE
HISTOIRE DE LA CŒLIOSCOPIE
FRANÇOIS DUBOIS
COMPTE RENDU DE
LA SEANCE A NANTES
22
-
ÉditorialFrancis BRUNELLE et Iradj GANDJBAKHCH
En janvier 2011 a été créée la section interventionnelle de
l’Académie de Chirurgie, à l’initiative d’Iradj Gandjbakhch,
Président de l’académie nationale de chirurgie 2010 ; cette
initiative répond à une évidence issue de l’évolution des
spécialités médicales et chirurgicales. Les approches diagnostiques
et thérapeutiques sont pratiquement toujours multidisciplinaires.
La recherche médicale déborde les limites actuelles des disciplines
traditionnelles. Les mathématiques, l’ingénierie biologique,
cellulaire sont devenus des partenaires d’Hippocrate. Il s’agit là
d’une révolution copernicienne. La médecine n’est plus le centre du
monde, mais l’individu normal ou porteur d’une pathologie autour
duquel tournent et travaillent l’ensemble des sciences. Les
frontières des disciplines construites au 18° siècle autour des
pathologies d’organe s’effacent pour faire place à la notion de
médecine intégrée.La notion de parcours du patient est aujourd’hui
acceptée et il ne tient qu’à nous que ce parcours ne devienne pas
celui du « combattant ».Le cancer, les pathologies
materno-fœtales, les maladies cardiovasculaires etc. voient les
médecins, les chirurgiens, les biologistes, les radiologues, les
psychothérapeutes, les soignants collaborer pour améliorer la
qualité de la prise en charge, l’efficience du système, la qualité
du regard de la société sur ces pathologies. Au sein de ce
bouleversement, l’interventionnel joue un rôle central.Qu’entendons
nous par interventionnel ?Ce sont toutes les techniques et
tous les moyens qui permettent une action thérapeutique peu ou non
invasive. Comme l’indique le PV de la réunion fondatrice.
« Il est créé au sein de l’ANC une section regroupant les
patriciens de toutes spécialités utilisant pour le traitement des
maladies tous les moyens en passant par les voies naturelles ou
percutanées. » Cela va de la stimulation magnétique
transcranienne à l’embolisation des fibromes utérins, en passant
par la chirurgie mini invasive et les thérapies percutanées par
ultrasons.
Ces techniques sont depuis longtemps dans le champ de la
médecine. La radiothérapie en est un exemple. Ces techniques
partagent des concepts et des outils qui possèdent des traits
communs.Ces points communs dont la liste n’est pas exhaustive
sont :1. l’identification de la cible thérapeutique,
l’imagerie moderne joue ici un rôle majeur,2. la définition de
l’effet recherché, exérèse, réduction, altération de la cible,3.
l’élaboration du chemin de la voie d’abord, percutanée,
endovasculaire, per orale, orificielle,4. l’évaluation des
résultats.
Chacune des disciplines a ainsi élaboré des « moyens »
propres. Le but des réunions mensuelles de la section
interventionnelle de l’académie de chirurgie est de croiser ces
talents et de créer une université transdisciplinaire.Le terme
anglosaxon de « cross fertilization » dans notre esprit
« métissage » disciplinaire répond à ce besoin.Nous avons
tout à apprendre de l’autre et il est temps de sortir de nos
services, de nos départements, de nos pôles, de nos salles
d’angiographie, de nos blocs opératoires de nos laboratoires pour
se frotter aux autres spécialités. Les bio-ingénieries, les
interfaces homme-machines sont à portée de main.Progressivement
l’ensemble des travaux de la section interventionnelle de
l’académie nationale de chirurgie constituera un corpus de
connaissances dessinant un nouveau paysage médical.
Les 3 premières séances ont montré que, lorsqu’il s’agit de
prendre en charge un patient, les praticiens savent collaborer pour
choisir l’approche la plus efficace, la moins invasive.La valeur de
nos actes médicaux se mesure par le rapport entre le résultat et le
coût.Le progrès médical c’est moins de douleurs, moins de temps
d’hospitalisation, moins de morbi-mortalité, moins de dépense.
C’est la mesure de toute « valeur » ajoutée.
Les procédés mini invasifs interventionnels visent cet
objectif
« Nous ne dormirons que pour faire de nouveau rêves »
auteur anonyme. Francis BRUNELLE
Francis BRUNELLE
02 ÉDITORIAL
Sommaire
-
03ACADÉMIE DE CHIRURGIE MAGAZINELe magazine de LA CHIRURGIE
FRANCOPHONE
Sommaire
O2 ÉDITORIAL
15 HISTOIRE DE LA CŒLIOSCOPIE
15 HISTOIRE DE LA CŒLIOSCOPIE
O6Chirurgie conceptuelle, chirurgie factuelleB. Devauchelle
F. Dubois
F. Dubois
P. Vayre, Ch. Grapin, S. Facca
11 LES CAHIERS AVENIR RECHERCHEFondation de l’Avenir
17
MISE À JOUR THÉRAPEUTIQUE
POINT DE VUE DU JEUNE CHIRURGIEN
O. Sterkers
J.-P. Marie
Réinnervation laryngée
Evolution des indications de l’implantation cochléaire vers le
traitement des maladies de l’oreille interne
Tribune intergénérationnelle
22
26 TRIBUNE LITTÉRAIRE
24 CHIRURGIEN DU MONDE
28 COMPTES RENDUS DES SÉANCES À NANTES ET VAL DE GRACE
C. Mathoulin, H. Judet
T. Benzakour
32 PROGRAMME DES SÉANCES
-
04 LE CERCLE DES AMIS DE L'ANC
-
Adhérer au Cercle des Amis de l’Académie Nationale de Chirurgie
- Voir page 29 -
05ACADÉMIE DE CHIRURGIE MAGAZINELe magazine de LA CHIRURGIE
FRANCOPHONE
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CHIRURGIE CONCEPTUELLE, CHIRURGIE FACTUELLEB. DEVAUCHELLE, J-M.
DUBERNARD 06
Chirurgie conceptuelle,chirurgie factuellePar B. Devauchelle*,
J-M. Dubernard ***Institut Faire Face - Amiens.Service de Chirurgie
Maxillo-faciale - CHU Amiens, Université Picardie Jules Verne -
Amiens.** Service urologie-transplantation HCL - Lyon.«
Dois-je souligner que je n’ai pas la moindre ambition théorique, et
que tout ce livre n’est que la confession d’un praticien ?
L’œuvre de chaque romancier contient une vision implicite de
l’histoire du roman, une idée de ce qu’est le roman ; c’est
cette idée du roman, inhérente à mes romans, que j’ai essayé de
faire parler »Milan KUNDERA, 1986 (réf 1)
Cette sentence qui introduit l’ouvrage de Milan KUNDERA,
« L’art du roman », où les mots chirurgiens et chirurgie
pourraient commodément se substituer aux mots romancier et roman,
situe d’emblée la vision du dedans que l’auteur veut donner à son
propos : l’analyse d’une pratique (à la fois mimesis, praxis
et techne) par un praticien.
Dire d’abord qu’il n’y a pas de chirurgie sans chirurgien, c’est
d’emblée poser la question du savoir faire chirurgical.
De Paul VALERY à propos des chirurgiens dans son discours
inaugural au congrès de chirurgie de 1938 : « Un artiste
est en vous à l’état nécessaire … si le chirurgien doit être
qualifié d’artiste, c’est que son ouvrage ne se réduit pas à
l’exécution uniforme d’un pro-gramme d’actes impersonnels. Un
manuel opératoire n’est pas un chirurgien … toute la science du
monde n’accomplit pas un chirur-gien. C’est le faire qui le
consacre » (réf 2). Il ne sera donc pas possible de totalement
s’abstraire de cette définition de la chirurgie : oeuvre de la
main, science de l’immédiat, art de l’imprévu (réf 3).Voilà donc le
savoir faire chirurgical. Mais ce-lui-ci n’est pas figé. A la
chirurgie immédiate, la main palpant, cernant, disséquant, s’est
substituée une chirurgie médiate (micros-copique, endoscopique,
robotique…) et le
corps est devenu transparent. La chirurgie diagnostique,
exploratrice, disparaît.
Le savoir faire chirurgical est-il transmissible ? Le
savoir, peut-être. Le « faire » jamais, car le chirurgien
est un autodidacte en dépit d’une formation souhaitée lourde et
difficile, d’un long apprentissage où le compagnonnage est
primordial. Car l’élève est rarement à l’image du Maître : ou
pâle reflet s’il manque de personnalité, ou alors sujet original
dont il a puisé ailleurs l’héritage : dans l’esprit
chirur-gical, une volonté de faire et une certaine façon de
faire.Car si le geste chirurgical (la tenue de l’instru-ment, la
manière de disséquer) peut être ap-pris comme n’importe quel pas de
danse, il ne vaut qu’appliqué au malade. Et le savoir faire le
geste ne résume pas le savoir faire chirur-gical. Au-delà du geste,
se situe la gestique, cette capacité à travailler à plusieurs mains
et à diriger de la main les mains des assis-tants et de
l’instrumentiste. L’analogie avec l’interprète musical s’impose dès
lors : le sa-voir faire chirurgical c’est déchiffrer d’abord,
rendre la partition, et quand celle-ci laisse libre cours à
l’imagination improviser parfois (l’art de l’imprévu), de toute
manière y mettre sa touche… Mais pour être efficace, le geste doit
être beau à voir et à faire : « La vérité du savant, du
docteur, bref du spécialiste, est incapable de devenir la vérité de
tous si elle se contente de son exposé technique. Pour atteindre le
lieu où elle est unanimement perçue, la vérité doit renoncer à
l’orgueil de sa spécialité pour se faire éloquence » (M.
FUMAROLI) (réf 4).
L’affirmation d’une dimension artistique obligée de la
chirurgie, condition de sa sur-vie, sera illustrée ici en prenant
appui sur la
greffe de visage et, reprenant son histoire et celle des
différentes équipes qui s’y son impli-quées, inviter le lecteur à
mettre face à face dans un premier temps ce qui sera appelé
chirurgie conceptuelle et chirurgie factuelle, un peu à la manière
dont, en leur temps, dog-matisme et empirisme, de manière
caricatu-rale, furent opposés.
CANGUILLEM (réf 5) écrit dans sa conférence consacrée à l’idée
de médecine expérimen-tale chez Claude BERNARD : « Depuis
100 ans que des philosophes la lisent et la commen-tent, le
paradoxe de conception et d’exécu-tion auquel la célèbre
Introduction doit son existence et son style n’a jamais fait
l’objet de leur part d’une exposition et d’une élucida-tion
systématique ».
Ce paradoxe ici transposé dans une première double partie,
l’histoire même de la première transplantation en sert alors
d’illustration. On peut dire qu’elle reproduit dans son esprit ce
qu’il en fut des greffes rénales, cardiaques, des greffes de la
main, c’est-à-dire qu’elle s’affranchit d’autant plus d’une
expérimenta-tion animale, cadavérique, virtuelle préalable, qu’elle
fut en soi expérimentation et que, comme toute chirurgie, pratique
clinique et démarche de recherche sont, sous certaines conditions
d’exigence, intimement mêlées et confondues.
De la chirurgie conceptuelleRebondissant sur cet adjectif, il
faut dire com-ment la démarche de recherche (dite scienti-
B. DEVAUCHELLE
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07ACADÉMIE DE CHIRURGIE MAGAZINELe magazine de LA CHIRURGIE
FRANCOPHONEfique) de nombreuses équipes dans le champ de la
transplantation faciale, en inversant but et moyen, les a en
quelque sorte paralysées de passer à l’acte, oubliant par là même
la leçon de Vesale de concevoir la connaissance « comme une
opération et non plus comme une contemplation, d’effacer la
frontière de dignité qui sépare la théorie de la pratique »
(réf 6).C’est ainsi que WALTON, à Chicago, intervertit le
revêtement cutané du visage d’un cadavre sur un autre cadavre et
s’interroge à la fois sur la faisabilité d’une telle inversion,
d’un tel échange et sur la ressemblance possible entre donneur et
receveur (la question de l’identité) : procédé proche des
préoccupa-tions d’une certaine science fiction mais tota-lement
stérile scientifiquement : un visage n’est pas un masque.
* L’équipe de Cleveland a réalisé en 2008 la première
transplantation faciale aux Etats-Unis
A Cleveland, Madame SIEMIONOV fait état d’une expérimentation de
transplantation faciale sur le rat sans égal (réf 7). Ses résultats
sont probants et magnifiques. Elle pointe ici quelques
impossibilités techniques dont on se serait douté (comment sans
risque priver le receveur de la vascularisation de ses deux
carotides externes ?), mais se montre dans l’incapacité
d’extrapoler à l’homme*.Cette incapacité de l’expérimentation
animale à asseoir une reproductibilité chez l’homme est
connue : « L’analogie ne donne que le pro-bable »
disait SPALLANZANI en 1783, outre le fait que la science des bêtes
n’est pas réponse aux problèmes divers posés par l’expérimen-tation
animale. Et c’est oublier toute l’histoire de la transplantation
d’organes : les condi-tions dans lesquelles se déroula la
première greffe de rein le 24 décembre 1952 chez le petit Marius
RENARD sont de celles non rares où se conjugue volonté de vivre du
malade, foi et confiance inébranlables d’une famille, don de la
mère à son enfant et folie éclairée d’une équipe
médico-chirurgicale. Oser, telle était la question. Dans beaucoup
d’esprits ce jour là, la vie, le monde et toutes ses énergies se
sont concentrées autour du petit malade. Il n’y avait de place qu’à
l’action.
En décembre 1967, Chris BARNARD osa à son tour et ce fut la
première transplantation car-diaque chez l’homme. Certes, on
reprocha à
BARNARD d’avoir volé la vedette à CHAMWAY qui avait une longue
expérience de l’expé-rimentation animale, mais cette première
greffe eut le mérite de relancer le débat sur les traitements
anti-rejets, c’est ainsi que vint la Cyclosporine.Et il en fut de
même de la transplantation cœur-poumon et du « Il fallait
oser » de Jean-Michel DUBERNARD après la première greffe de
mains.
Ces premières chirurgicales qui ponctuent l’histoire des greffes
sont justifiées non pas tant parce qu’elles sont porteuses
d’espoir, repoussant en quelque sorte les frontières du possible,
que parce que, provocantes, elles vont susciter nombre
d’interrogations qui, résolues, seront autant de progrès.Il y a peu
à dire de Peter BUTLER (réf 8) en Grande Bretagne, dont le flot des
publi-cations après qu’il eut importé l’idée de la greffe de visage
d’un séjour à Boston, porte essentiellement sur les questions
d’ordre psy-chologique, éthique… Ici même, en France, TOURE (réf 9)
relevait que la littérature sur le sujet s’intéressait dans la
plupart des cas à cet aspect. Mais comment les spécialistes de
l’éthique médicale peuvent-ils se situer en amont d’un
évènement ? Revient alors la réflexion d’OPENHEIMER en 1949,
longtemps après avoir mis au point la bombe atomique : «
Les objections qui se présentaient en de-hors de l’institution et
de la pratique scienti-fique étaient très exactement hors
sujet ».Il faut reconnaître au Professeur LANTIERI le mérite
d’avoir été le premier en France à évoquer la possibilité d’une
greffe de la face, non sans voir rappelé que son élève, François
PETIT, était à Boston avec Peter BUTLER. C’est donc de Créteil que
le Comité Consultatif National d’Ethique fut saisi en 2002, avec la
réponse que l’on sait. Plus intéressante, mais aussi impuissante,
est la thèse de médecine du Docteur BOUHANNA (réf 10) qui multiplie
dans un travail de dissection anatomique les cas de figure d’une
possible greffe de visage.Certes, dans la droite ligne de HUNTER,
la chirurgie se fonde sur l’anatomie et il n’y a pas de science
plus humaine que l’anatomie qui fait de l’individu tout à la fois
l’exemple de la règle et l’exception à la règle. Mais, reprenant
une fois de plus les propos du poète : « L’idée n’est
rien, et en somme ne coûte rien » (réf 11).La chirurgie
conceptuelle est donc vaine : d’Henri BERGSON à propos de
Claude BER-
NARD en 1913 : « Nous nous trouvons devant un homme de
génie qui a commencé par faire de grandes découvertes et qui s’est
demandé ensuite comment il fallait s’y prendre pour les faire
: marche paradoxale en apparence, et pourtant seule naturelle, la
manière inverse de procéder ayant été tentée beaucoup plus souvent
et n’ayant jamais réussi » (réf 12).
De la chirurgie factuelleCe néologisme vient à point nommé, non
pas tant comme volonté d’exacerber l’opposition entre le concept et
le faire, mais parce qu’il voudrait être aujourd’hui, pour la
chirurgie, ce qu’est « l’evidence based medecine » qui
fait le bonheur d’une certaine éthique médi-cale.Par définition, la
médecine factuelle est « L’utilisation consciencieuse et
judicieuse des meilleures données actuelles de la recherche
clinique dans la prise en charge personnali-sée de chaque
patient » (B. TRUMBIC) (réf 13).
C’est l’entrée dans un nouveau mode de pensée rationnelle, la
disparition d’un cer-tain romantisme médical, le passage de l’art
subjectif au jugement mathématique**. C’est une méthodologie qui
gouverne une éthique, toutes deux indissociables des
ca-ractéristiques du monde moderne, intégrées dans les réseaux
informatiques et liées aux sciences exactes.Pleins de bonnes
intentions, les domaines de la médecine factuelle sont cependant
limi-tés, et le risque existe aussi de faire considé-rer ceux qui
lui sont étrangers comme dan-gereusement inutiles. Comment apporter
les preuves de l’efficacité des pratiques trop simples ou trop
complexes, de l’urgence vitale ou de la fin de vie ? C’est le
potentiel réducteur d’une médecine mathématique, privilégiant le
diagnostic biologique et le sys-tème expert à l’intuition,
l’analyse statistique à la démarche compassionnelle. J. EMMA-NUELLI
s’exprime ainsi : « La machine ne peut guère se
substituer à la perception sublimi-nale, inconsciente, du patient
par le médecin. Il faudrait quantifier l’inquantifiable » (réf
14).
Empruntant également à François FOURRIER (réf 15), il ne peut y
avoir « d’exercice médi-cal sans qu’un degré de liberté
important soit laissé au praticien, celui du risque solitaire, de
l’éclair intuitif et de l’incertitude que passent sous silence les
titres réducteurs de bien des études ».
-
08 CHIRURGIE CONCEPTUELLE, CHIRURGIE FACTUELLEB. DEVAUCHELLE,
J-M. DUBERNARD Indépendamment des limites ici énoncées de la
médecine dite factuelle, un fort mou-vement se manifeste donc à
l’extension de la méthode au domaine chirurgical. Le direc-teur de
la Haute Autorité de Santé écrivait en 2005 : « La
question est de savoir comment favoriser l’evidence based medecine
dans la pratique courante ? » (réf 16). Or,
l’applica-tion des règles dites de bonne pratique va se heurter en
chirurgie à d’évidents obstacles : c’est l’objet des
interrogations parues en mars 2005 dans les Annales de Chirurgie
(réf 17) :
** Mathématique : c’est le sens de l’adjectif qui sera
retenu ici, réducteur et rigide par rapport au substantif.
- Qu’entend-on par meilleures preuves en chirurgie, dès lors que
non seulement les essais cliniques randomisés sont rares (3,4 % des
publications), mais qu’en plus toutes les méta-analyses dans le
domaine chirurgical ont une méthodologie critiquable ?- En
quoi la meilleure preuve est difficile à appliquer en
chirurgie ? Les difficultés sont en rapport, d’une part avec
la faisabilité de la randomisation, les problèmes éthiques, le
cadre de l’urgence, les soins palliatifs, d’autre part la courbe
d’apprentissage des chirur-giens, la standardisation des procédures
opé-ratoires, le problème de l’évaluation des per-formances
chirurgicales et enfin la relation chirurgien – patient.Dès lors,
est-il possible, à défaut de rando-misation, d’établir une
méthodologie rigou-reuse qui garantisse à la chirurgie pour un
patient donné l’assurance d’une réponse factuelle ? La voie
est étroite. Utiliser les meil-leures études pour prendre une
décision à propos du cas d’un patient implique de for-muler une
question claire, chercher dans la littérature les études cliniques
(la meilleure preuve), évaluer la valeur des essais et enfin
appliquer les réponses apportées par la litté-rature au cas
toujours singulier d’un patient et inscrire cela dans une approche
plus géné-rale de sa pratique clinique.
Telle fut l’esprit de la démarche appliquée à la première
transplantation faciale :- formuler la question, c’est-à-dire
préciser le but de l’opération : restaurer une compé-tence
stomodéale ;- chercher les études cliniques et les réfé-rences
bibliographiques : elles figurent dans le
« protocole » ;
- évaluer la valeur des essais : il n’en existait pas hors
les essais dans d’autres domaines de l’allotransplantation ;-
la singularité de la patiente : elle donne chaque jour la
preuve que les expertises psy-chiatriques étaient
pertinentes ;- enfin, l’équipe chirurgicale : c’est la
limite de son savoir faire qui l’a incitée à sortir par le haut en
quelque sorte, et lui a imposé de mener l’expérience.Autrement dit,
la dimension factuelle de la démarche, et il en fut tout autant de
la démarche des transplanteurs, sa crédibilité
scientifique, ne pouvaient s’inscrire que dans le
« faire » qui consacre le chirurgien, quand bien même
s’agissait-il d’une première.
De la première greffe du visage et des conditions dans
lesquelles elle fut réaliséeRelisant le tiré-à-part de cette
observation venue de Suisse d’une jeune enfant mordue au visage et
réimplantée car le fragment de peau avait été conservé, l’analogie
s’impose. En recevant en mai 2005 Isabelle, cette pa-tiente
défigurée elle aussi par son chien, la réaction première fut de
l’ordre de l’instinct, de ce mouvement naturel qui porte nos mains
à attaquer le mal que nous sentons.
Dès lors, tout ne fut « qu’inexpérience » dans cette
acception que lui donne Milan KUNDE-RA de la qualité de la
condition humaine, « La terre de l’homme est la planète de
l’inexpé-rience » (réf 18).
Davantage que la procédure imposée (sou-mission d’un protocole à
différentes ins-tances, demandes d’autorisations, respect des
réglementations…), lourde et longue et à laquelle les auteurs
étaient mal préparés, c’est la manière quelque peu kafkaïenne dont
s’établit la relation avec certaines institutions et qu’il faut
dénoncer publiquement.
Pire, le passage devant le comité d’experts réunis par l’AFSSAPS
s’est déroulé à l’aveugle, au cours d’une conférence téléphone.
Il
2001 2007
-
09ACADÉMIE DE CHIRURGIE MAGAZINELe magazine de LA CHIRURGIE
FRANCOPHONEn’était pas possible de regarder les yeux dans les yeux
l’expert qui questionnait, jaugeait (non pas sur pièce : il
n’avait jamais vu la ma-lade) et qui « prononçait la
sentence ».
Il y aurait beaucoup à s’interroger sur les buts et les modes de
fonctionnement de ces insti-tutions, certes utiles et voulues par
la loi, mais dont on ne sait, des personnes à protéger et au nom de
quelle éthique s’il s’agit des ma-lades réels ou potentiels ou des
membres de l’institution elle-même.
Ailleurs, l’accueil fut différent, mais parce qu’il y eut
d’emblée volonté de rencontre et de la patiente et des équipes qui
la soignaient. Dénoncer l’imbroglio des procédures d’auto-risation
telles qu’elles ont été imposées, c’est avec François DELAPORTE
dire que : « Délibé-rer sur un cas de figure et non sur
une défigu-ration, c’est se mettre en position de non-as-sistance à
personne en danger » (réf 19).
Il fallait bien, cependant, qu’il y eut entre les mains des
interlocuteurs un document, un texte, un manuel opératoire
aurait-on dit hier, un protocole dirait-on aujourd’hui. Il y eut
donc, mais n’est-elle pas fiction (?) l’idée d’évaluation d’une
situation fictive.
Il fallut donc vaincre les résistances et s’il y eut
autorisation accordée, prononcée du bout des lèvres après quatre
mois de tergiversa-tions, et si l’issue est heureuse, c’est qu’il y
eut de la part de l’ensemble des membres des équipes non pas
seulement volonté d’abou-tir, mais reprenant le mot d’HEIDEGER,
« vo-lonté de volonté ».
La transplantation réalisée, le devoir scien-tifique commence
alors. Référence faite à l’Introduction à la médecine expérimentale
de Claude BERNARD, chacun prend la me-sure de la formidable
exploitation possible de cette première dans des domaines aussi
différents que les neurosciences ou l’histo-dermatologie et les
demandes de Protocole de Recherche Clinique s’inscrivent dans cette
même logique, celle d’un savoir faire qui s’ai-
guise au fil de l’expérimentation, qui indisso-ciablement lie
pratique clinique et démarche de recherche et qui extrapole de
manière ex-ponentielle de son propre sujet de recherche d’autres
champs d’investigation.
Visualisant les images de la patiente (avant, après et ce qui
aurait pu être sans la trans-plantation), la tentation est grande
de dire qu’étant dans la beauté on est dans le vrai. Au moment où
un peu moins de vingt greffes de visage ont été officiellement
entreprises dans le monde, c’est, faut-il espérer, le sens premier
donné à la démarche des quelques équipes impliquées.
Si l’idée même de la greffe de visage n’est plus guère
contestable en soi et par les multiples travaux de recherche
qu’elle a pu susciter, le temps peut-être est venu d’aller au-delà
et de juger avec l’humilité qui sied au fait chirur-gical lui-même,
son indication, sa technique, son résultat. Passer alors d’une
éthique de concept stérile et inutile à une éthique de
pratique.
ConclusionDôme et coupole désignent en architecture le même
objet hémisphérique, selon que l’on regarde du dessus, de la
convexité ou du dessous de la concavité. Ainsi en est-il de
l’éthique, quelque chose qui est vu à la fois du dedans et du
dehors, inhérent à la fonc-tion même du chirurgien et en même temps
exigence de celui qui, offrant ses organes à la science, souhaite
que les yeux qui le scrutent ne soient pas seulement les yeux d’un
corps mais aussi les yeux d’une âme. C’est de trans-parence qu’il
faut parler ici. Transparence de la chair qui livre
parcimonieusement ses se-crets sous la lame du bistouri,
transparence de la peau qui la recouvre et dont l’incision marque
définitivement l’esprit de celui qui la porte.
Bibliographie1) Milan KUNDERA. L’art du romanGallimard, Paris,
19862) Paul VALERY. Discours aux chirurgiens
La Pleïade, tome I, Etudes philosophiques, Galli-mard, Paris,
Octobre 19383) Bernard Marie DUPONT. Dimensions philoso-phiques de
la chirurgie ou la règle de trois de la chirurgie.In Ethique des
pratiques en chirurgie, Christian Hervé, L’Harmatan, Paris, 20034)
Marc FUMAROLI. Lieux de mémoire.In P. Nora, Gallimard, Paris,
19845) Georges CANGUILLEM. Théorie et technique de
l’expérimentation chez Claude Bernard.In Etudes d’histoire et de
philosophie des sciences concernant les vivants et la vieVrin,
Paris, 20026) Georges CANGUILLEM. Ibid7) SIEMIONOV M., OZMEN S.,
DEMIR Y. Propects for facial allografts transplantation in
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Paris, 197411) Paul VALERY. Ibid12) BERGSON. La pensée, le
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Contre l’evidence based medicine.www.institutmauricerapin.org16)
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La chirurgie factuelle et ses difficultés.Annales de Chirurgie,
2005, 130, 541-54618) Milan KUNDERA. Ibid19) François DELAPORTE. Un
visage, œuvre de la main.Le Monde Diplomatique, mars 2006
-
ÉditorialCombattre la maladie sur tous les fronts : de
l’innovation à l’application clinique
36. c’est le nombre de projets que la Fon-dation de l’Avenir
financera cette année grâce à la générosité de ses donateurs et
partenaires. Je vous invite à en découvrir le contenu dans ce
numéro des Cahiers Avenir Recherche exclusivement consa-cré aux
équipes que nous soutenons.
Parce qu’une ne nos missions consistent à valoriser la
recherche, nous ne man-quons pas d’associer les équipes aux
événements que nous organisons. Ainsi, des Cafés Avenir Recherche
et des visites de laboratoires seront organisés du 11 au 18
octobre, dans le cadre de notre cam-pagne de mobilisation :
« Recherche : il y urgence ! ».
Comme chaque année, nous vous don-nons également rendez-vous
pour les Prix des Chirurgiens de l’Avenir, dont la 4ème édition se
déroulera le 24 novembre. Toujours organisée avec le concours de
l’Académie Nationale de Chirurgie, ces prix récompenseront les
meilleurs travaux réalisés dans le cadre du master de Sciences
Chirurgicales des universités Paris XI et XII. Enfin, nous vous
donnons également rendez-vous le 6 décembre prochain pour le
Congrès de la Fondation, dont le programme a été préparé avec
l’académie.
Très bonne lecture
Cette année, la Fondation de l’Avenir sou-tient les travaux de
36 chercheurs dans des domaines extrêmement variés, du diagnostic
précoce à la réparation des organes lésés... Nous avons sélectionné
ici de nouvelles pistes prometteuses, qui feront certainement
évo-luer les approches chirurgicales du futur.
Le CHU de Saint-Étienne est devenu un centre de référence pour
la collecte et la conservation des gref-fons de cornées. Il serait
cependant possible d’amé-liorer encore la qualité et le nombre de
cornées utilisables en augmentant le nombre de cellules cornéennes
et leur survie, mais la difficulté est de faire pénétrer des
molécules actives dans les cellules de la cornée. Le docteur Nelly
Campolmi, ophtalmo-logiste, et l’équipe du laboratoire BiiGC du CHU
de Saint-Étienne ont eu l’idée de recourir à des nano-particules
« carbon black », chargées de molécules réparatrices, qui
peuvent être activées avec un laser femtoseconde, plutôt que
d’utiliser des vecteurs vi-raux plus délicats à manipuler et dont
les risques sont avérés. Cette technique pourrait aider à pallier
le manque chronique de ce type de greffons : 4 000 à 5 000 patients
en attente de cornée chaque année.
Préserver l’auditionLa maladie de Menière touche l’oreille
interne et provoque des crises de vertige aiguës et invalidantes,
des acouphènes et une perte de l’audition. Les vertiges, souvent
intenses et accompagnés de nausées et vomissements,
peuvent durer jusqu’à plusieurs heures et récidiver plusieurs
fois par mois entraînant une incapacité durable à se livrer à toute
acti-vité professionnelle et sociale. On compte 100 000 malades en
France et 5 000 nouveaux cas chaque année. Le diagnostic et le
suivi restent difficiles, et les traitements proposés peu
efficaces. Le professeur Paul Avan, avec les équipes de physiologie
et d’ORL du CHU de Clermont Ferrand met au point une méthode de
diagnostic simplifiée, non invasive, basée sur les otoémissions et
la mesure de l’activité électrique de la cochlée, qui pourrait être
utili-sée pour détecter mieux et plus tôt la maladie, et mieux
évaluer de nouveaux traitements.Les acouphènes chroniques affectent
près de 15% de la population et sont essentiellement liés au
vieillissement prématuré des cellules de l’audition. Chez certains
patients, ils sont ag-gravés par l’activation anormale de zones
céré-brales qui les amplifient. Le docteur Frédéric Venail, avec
l’équipe d’ORL et l’unité Inserm U1051 du CHU de Montpellier
cherche à uti-liser l’imagerie fonctionnelle pour déterminer la
meilleure cible thérapeutique: soit l’oreille interne ou
l’acouphène prend sa source (par action électrique ou
pharmacologique), soit par stimulation électrique de la zone du
cer-veau où se fait l’interprétation anormale des sons.
Recouvrer la vue
Fonctions sensorielles : de la greffe à la stimulation
11N°3 Octobre 2011
Dominique LetourneauDirecteur Général
de la Fondation de l’Avenir
LES CAHIERS AVENIR RECHERCHE
-
Neurologie et muscles : stimuler, réparer, compenserStimuler le
cerveauLa neurostimula-tion, couplée à une méthode d’imagerie
fonctionnelle, pourrait également trouver des applications pour
trai-ter la dépression, dont le nombre de cas ne cesse de croître,
à tel point qu’elle pourrait devenir la première maladie
handicapante d’ici 20 ans. La persis-tance d’une apathie a été
identifiée comme un facteur majeur de récidive. Le professeur
Dominique Drapier (psychiatrie et unité URU-EM 425 du CHU de
Rennes) recourt à une technique avan-cée d’imagerie fonctionnelle
pour déterminer quelles zones du cerveau pourraient être stimulées
pour améliorer l’état de ces patients et rompre le cercle vicieux
dépression-apathie-dépres-sion.
A la suite d’un coma grave, le plus souvent après traumatisme
crânien, certains patients se stabilisent, mais restent
incons-cients. Dans cette situation complexe, leur état est
considéré comme « végétatif » s’ils n’ont apparemment pas de
contact relationnel, et si quelques contacts relationnels sont
établis, il s’agit alors d’un état dit «pauci relationnel». Le
professeur Jean-Jacques Lemaire, spécialiste en neurochirurgie
fonctionnelle au CHU de Clermont Ferrand tente de recourir à la
stimulation cérébrale profonde, à basse fréquence, pour favoriser
la réappa-rition de comportements, dits conscients, chez ces
malades lour-dement handicapés.
Vaincre les paralysiesLe professeur Jean-Paul Marie, chirur-gien
ORL, et l’équipe du laboratoire de chirurgie expérimen-tale EA3830
du CHU de Rouen, étudient le potentiel réparateur de cellules
souches prélevées dans la mu-queuse nasale et les bulbes olfactifs.
Son équipe a montré que la combinaison de ces deux types de
cel-lules permet d’améliorer la réparation des nerfs périphériques.
Il tente aujourd’hui d’en étudier le bénéfice sur des lésions de la
moelle épinière responsables de paralysie partielle ou totale.
Pour compenser des déficits moteurs, le professeur
Alim-Louis
Benabid, met au point au centre de recherche CEA-LETI Clina-tec
de Grenoble, une nouvelle génération d’effecteurs robotisés comme
un « exosquelette » (carapace motorisée externe) afin de compenser
les déficits fonctionnels dus à l’interruption des voies
neurologiques dans la tétraplégie. Il tente de mettre au point une
interface cerveau-machine, qui recueille les signaux électriques
sur le cortex et les renvoie par radio vers un boîtier de commande
extra-cérébral. Le but final est d’arriver à contrôler le mouvement
du système d’aide directement par la pensée.
Cœur et vaisseaux : restaurer les fonctions et réparer les
tissus lésésRéparer les artères L’anévrisme de l’aorte, troisième
cause de mor-talité cardiovasculaire, est une des seules
patho-logies vasculaires pour laquelle le nombre de décès augmente.
La pose d’une endoprothèse, en passant par l’intérieur des artères,
constitue un trai-tement alternatif beau-coup moins invasif que la
chirurgie pour laquelle il est nécessaire d’ouvrir l’abdomen,
particulière-ment chez les patients les plus fragiles. Cependant
avec le temps, des fuites de sang peuvent survenir autour de
l’endopro-thèse et parfois obliger à proposer une chirurgie lourde.
Le professeur Eric Allaire, chirurgien vasculaire et son équipe au
CNRS EAC 7054 à Créteil, mettent au point une préparation de
cellules souches répara-trices pour renforcer la paroi autour de
l’endoprothèse et réparer ces fuites, sous anesthésie locale à
l’aide d’un cathéter.
L’ischémie ou occlusion des artères des membres inférieurs est
une maladie cardiovasculaire particulièrement grave : elle aboutit
à l’ampu-tation dans 40 % des cas. Le taux de mortalité à 5 ans
étant compris entre 50 et 75 %. Pour le traitement de l’artérite
des membres inférieurs, on peut utiliser des méthodes de
dilatation, avec la pose de stents « actifs » afin d’empêcher leur
resténose. Malheureusement, les subs-tances utilisées dans ces
stents empêchent la cicatrisation de l’artère et le risque de
thrombose à long terme reste plus élevé que pour le traitement des
artères du cœur. L’équipe du docteur Véronique Eder du laboratoire
LABPART, à la Faculté de Médecine de Tours, développe un stent
chargé d’une molécule prometteuse, l’hémine, pour que les artères
puissent cicatriser correctement et durablement.Ces techniques
mécaniques de revascularisation sont difficilement applicables sur
les plus petites artères. Une autre approche thérapeu-tique
consiste à créer de nouveaux petits vaisseaux à partir de cellules
souches. Le docteur Hanna Hlawaty et son équipe de l’unité Inserm
U698 à Bobigny, tente d’améliorer l’implantation de ces nouveaux
vaisseaux grâce à une matrice 3D qui guidera la recolonisation
cellu-laire.
Dans de nombreuses cardiopathies congénitales, la voie de sortie
du ventricule droit vers l’artère pulmonaire doit être réparée. Du
fait de la
LES CAHIERS AVENIR RECHERCHE12
Trajet d’électrodes pour la stimulation cérébrale pro-fonde
Anévrisme de l’aorte
-
croissance de l’enfant, les prothèses doivent être changées pour
suivre la croissance lors d’interventions chirurgicales lourdes et
grevées de complications parfois graves. Le docteur David Kalfa,
chirurgien car-diaque, et l’équipe du laboratoire Inserm U633 du
centre de recherche cardiovasculaire à l’HEGP à Paris, mettent au
point un tube valvé bio-dégradable. Celui-ci contient des cellules
souches du cordon ombilical et est capable de grandir avec l’enfant
après résorption de la matrice. Ceci permettrait de réduire le
nombre d’interventions et les séquelles.
Des cellules réparatrices pour les articulations, la peau et les
dentsReconstruire l’osLa reconstruction des pertes osseuses de la
mandibule en cancérologie ORL, surtout après une radiothérapie,
reste extrêmement diffi-cile même si les techniques chirurgicales
ont fait des progrès. Le professeur Jean-Christophe Fricain avec
l’équipe de l’unité Inserm U1026, et le docteur Erwan de Mones Del
Pujol, ORL au CHU de Bordeaux, tentent d’utiliser des cellules de
la moelle osseuse, qui peuvent être prélevées chez le patient lui
même, associés à une matrice phosphocalcique pré-formée, pour
reconstruire l’os manquant.
Réparer les dentsLorsque la dent est atteinte par une carie
dentaire ou subit un trauma-tisme, ses tissus sont détruits de
manière irréversible et cela aboutit fré-quemment à une
dévitalisation, qui fragilise la dent. Le but du docteur Sibylle
Vital, odontologiste à Paris Descartes Montrouge et à l’unité
U698-IFR2 est de développer une thérapie permettant de maintenir la
vitalité de la dent, en reconstituant une pulpe à partir de
cellules souches dentaires. Une étape préalable indispensable est
la mise au point de mé-thodes d’imagerie innovantes permettant le
suivi des cellules implan-tées dans la dent.
Reconstituer la peauLes greffes de peau ont permis une
amélioration de la prise en charge des grands brûlés et des plaies
étendues. Cette thérapie a néanmoins des limites et pose des
problèmes de rétractation de la peau. En outre, elle ne peut être
utilisée sur des brûlures très étendues. Le docteur Mi-chel Drouet,
de l’Institut de Recherche Biomédicale des Armées CRSSA, à
Grenoble, met au point un biogel réparateur contenant des cellules
souches, qui permettrait la reconstruction d’une peau
revascularisée et limiterait la rétractation mécanique de la
peau.
De nouvelles applications pour la thérapie cellulaire et la
thérapie géniqueLutter contre l’incontinenceLes formes sévères
d’incontinence anale touchent 350 000 personnes et constituent un
véritable handicap psycho-social. Les seuls traitements sont
chirurgicaux et souvent incomplets. Le professeur Olivier Boyer,
directeur de l’unité Inserm U905 et l’équipe de chirurgie du CHU
de
Rouen, tentent de reconstruire le sphincter anal en y injectant
des cel-lules souches musculaires prélevées sur le patient. Les
premiers résultats précliniques s’avèrent prometteurs et le projet
pourrait être rapidement appliqué aux premiers patients.L’ablation
de la prostate suite à un cancer est une cause majeure
d’in-continence urinaire chez l’homme. L’apport de cellules souches
muscu-laires permettrait de réparer le sphincter. Mais ces cellules
doivent être cultivées plusieurs semaines, ce qui limite leur
utilisation en clinique. Le professeur Gilles Karsenty et l’équipe
du centre de recherche chirurgi-cale (CERC) du CHU de Marseille,
travaillent sur une nouvelle technique d’isolation des cellules
souches, qui éviterait cette étape de culture et permettrait de
généraliser le traitement en le simplifiant.
Améliorer la greffe de reinLorsque les reins sont trans-plantés,
leurs vaisseaux san-guins subissent des lésions liées à la
conservation de l’organe hors du corps. Ils peuvent se boucher au
mo-ment de la réimplantation et conduire à la perte du greffon. Le
docteur Nicolas Chatauret et l’équipe de l’unité Inserm U927 à
Poi-tiers, cherchent à bloquer le mécanisme à l’origine de ce
phénomène en admi-nistrant, dans le liquide de conservation des
greffons, une molécule (siRNA) qui empêche l’activation des
cellules qui tapissent l’inté-rieur des vaisseaux sanguins. Une
méthode qui pourrait s’appliquer à tous les greffons vascularisés
comme le cœur, le foie, les poumons.Dans la greffe de rein, malgré
les progrès des médicaments anti-rejet, le rejet chronique demeure
un problème majeur. Aujourd’hui, le seul moyen de détecter un début
de rejet est la biopsie régulière, lourde pour le patient et qui
peut entraîner des complications. Le professeur Jean-Michel
Correas, radiologue au CHU Necker à Paris, cherche à appliquer une
nouvelle technique d’imagerie par ultrasons qui permettrait de
dé-pister la fibrose débutante et de déterminer si cette technique
pourrait éviter des biopsies.
Traiter les diabétiquesLa greffe des îlots pancréatiques est un
espoir pour les patients diabé-tiques insulinodépendants, mais elle
contraint à prendre un traitement immunodépresseur à vie. Le
docteur Sophie Conchon, avec les équipes Inserm U948 et U643 à
Nantes, cherchent, par un protocole de théra-pie génique, à induire
chez le receveur une tolérance au greffon, à long terme, sans
traitement immunodépresseur et sans rejet. Dans le diabète de type
2, la chirurgie « bariatrique » a montré son effi-cacité dans le
traitement des personnes en obésité majeure. Mais beau-coup de
patients dont le diabète n’est pas contrôlé par les médicaments,
n’ont pas un surpoids aussi massif, et ces procédures chirurgicales
se-raient trop lourdes et inadaptées. C’est pourquoi l’équipe du
professeur Fabrizio Andreelli, hôpital de la Pitié Salpêtrière, et
l’équipe CNRS EAC 4413 à Paris, étudient une nouvelle technique
d’intervention chirur-
13N°2 Juin 2011
-
gicale métabolique plus simple, qui pourrait améliorer le
diabète sans influence majeure sur le poids.
Réparer le foieLa maladie de Wilson entraîne des cirrhoses
précoces et des troubles neuropsychiatriques graves, liés à une
accumulation de cuivre dans l’organisme, du fait d’un défaut d’une
enzyme du foie. Le traite-ment médicamenteux est lourd et ne répare
pas les lésions ins-tallées. Le professeur Guillaume Podevin,
chirurgien pédiatrique à Angers, et l’équipe Inserm U948 à Nantes,
envisagent de remplacer l’enzyme touchée en appliquant un protocole
de thérapie génique directement dans le foie lors d’une
intervention chirurgicale.
Mieux voir pour mieux opérerLe docteur Jean-Luc Coll, de
l’uni-té Inserm U823 à l’Institut Albert Bonniot de Grenoble
travaille sur des systèmes d’imagerie en fluo-rescene. Il a mis au
point un com-plexe de molécules contenant un agent fluorescent qui
se fixe sur des protéines surexprimées dans la néo-vascularisation
tumorale et qui permet de mieux les voir en cours d’intervention.
Ces « sondes optiques fluorescentes » marquent visuellement la
tu-meur et ses bords et permettent au chirurgien d’adapter son
intervention pour l’éliminer totalement. Après le cancer des os,
l’équipe s’intéresse aujourd’hui aux cancers de la sphère ORL.
Prévenir les récidives des cancersLes molécules
antiangiogéniques, qui bloquent la vascularisation des tumeurs, ont
montré leur efficacité dans le traitement des métastases hépatiques
du cancer du côlon. Le professeur Marc Pocard, chirurgien viscéral
à l’hôpital Lariboisière et son équipe de l’unité Inserm U965 à
Paris développe une approche qui permettrait de les utiliser
efficace-ment pour prévenir les récidives à distance, qui restent
un défi majeur de ce cancer.
Pour améliorer la péné-tration des molécules de chimiothérapie
dans les métastases périto-néales, fréquentes dans les cancers de
l’ovaire, il est possible d’adminis-trer la chimiothérapie
directement dans le péritoine. Lorsque cette solution est
administrée à 41°C, on parle de Chimiothérapie Intrapéritonéale
Hyperthermique (CHIP). L’équipe du docteur Laurent Poulain, du
GRECAN, EA1772 et IFR146 à Caen, dans le cadre d’un essai clinique
dirigé par le professeur Classe, cherche à mieux caractériser
l’effet de la CHIP sur les cancers de l’ovaire.
Restaurer après une ablationCertaines maladies de l’œsophage
nécessitent une ablation chirur-gicale. Pour la remplacer, les
professeurs Alain Wurtz et Christophe Mariette, chirurgiens
viscéraux, avec l’équipe IFR114, EA2693 du CHU de Lille, pensent
recourir à une greffe d’aorte de banque de tissu, qui présente
l’avantage de ne pas provoquer de rejet. Ils mettent au point une
technique qui permet de revasculariser l’aorte avant
transplanta-tion, afin de maintenir sa viabilité. L’utilisation de
ce greffon permettrait d’éviter des interventions beaucoup plus
lourdes et complexes, notam-ment pour le traitement des cancers de
la partie supérieure de l’œso-phage et du pharynx.
La chirurgie d’exérèse pour cancer colorectal entraîne la perte
d’une partie du côlon ou du rectum et de leur fonc-tion, qui peut
altérer la qualité de vie des pa-tients. Le docteur Quen-tin
Denost, chirurgien viscéral, avec l’équipe de l’UMR1026 à Bordeaux,
cherchent à remplacer les tissus manquants par ingénierie
tissulaire, grâce à une matrice ensemencée par des cellules
prélevées sur le patient lui même. L’objectif du travail actuel est
de sé-lectionner la meilleure matrice d’origine biologique pour
favoriser la régénération tissulaire colorectale. Cette matrice
servira de support à l’ensemencement cellulaire afin de recréer une
paroi colorectale iden-tique à la structure native.
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LES CAHIERS AVENIR RECHERCHE14
-
Histoire de la cœlioscopiePar François DUBOIS
15ACADÉMIE DE CHIRURGIE MAGAZINELe magazine de LA CHIRURGIE
FRANCOPHONE
De tous temps les médecins cher-chèrent à explorer l’intérieur
du corps humain ; Abulcassis, médecin arabe du Xème siècle n’est-il
pas crédité de la première exploration du col utérin grâce à un
speculum et une lumière réfléchie. Plus récemment, au XIXème siècle
la vessie fut explorée à travers de multiples variétés de
cystoscopes utilisant une lumière extérieure puis plus tard une
ampoule en bout d’ins-trument appelée « lumière chaude ». Des
progrès ultérieurs : lumière froide grâce aux fibres optiques,
cameras, etc. facilitèrent ces explorations.C’est précisément grâce
à un cystoscope (Fig.1) que fût explorée pour la première fois la
cavité péritonéale du porc en 1901 par Kel-ling, qui créa le mot de
cœlioscopie. La pre-mière exploration de la cavité péritonéale chez
l’homme (dite également laparoscopie) est attribuée au suédois
Jacobeus en 1910.Dès lors dans les années suivantes quelques
tentatives accompagnées d’améliorations instrumentales se
développèrent timide-ment. En fait, c’est grâce à Palmer en
gynéco-logie dès 1950 et ensuite en gastroentérolo-gie (en France
par Mlle Ricordeau chez Caroli) que la laparoscopie devint pratique
courante. Laparoscopie diagnostique d’abord puis ac-compagnée de
quelques gestes opératoires: ponctions, biopsies, radiomanométrie,
coa-gulation des trompes...Il faut reconnaître que ce sont les
gynécolo-gues qui furent en pointe pour le développe-ment de la
cœlio-chirurgie.Entrainés à la cœlioscopie diagnostique, ils
développèrent instruments et techniques pour réaliser de véritables
actes chirurgicaux ; ce fût le mérite de K. Semm en Allemagne et de
l’école de M.A. Bruhat à Clermont-Ferrand. Toute une
instrumentation fût imaginée et fabriquée : aiguilles
atraumatiques, trocarts, insufflateur à pression contrôlée,
ciseaux, pinces, coagulation mono ou bipolaire, serre-nœud,
lasers... Ainsi purent être pratiquées des interventions de plus en
plus complexes : salpingectomies, kystectomies, hystérec-tomie
d’abord par voie vaginale assistée par cœlioscopie (K. Semm en
1984) puis totale-ment cœlioscopique (Reich 1989).
Paradoxalement ce furent ces mêmes gyné-cologues qui initièrent
la cœlioscopie diges-tive : K. Semm et Ph. Mouret (Lyon) libèrent
des adhérences péritonéales puis dès 1980 enlevèrent des
appendices. Curieusement l’appendicectomie cœlioscopique ne se
dé-veloppa qu’en Allemagne. La bénignité de l’appendicectomie par
Mac Burney l’explique peut-être. Il est plus probable que la
spécia-lisation progressive de la chirurgie excluant pratiquement
les chirurgiens digestifs de la gynécologie en fût la cause par
méconnais-sance des développements de la cœliosco-pie ; on touche
là une des conséquences fâcheuses de la segmentation de la
chirurgie viscérale.Il ne fait aucun doute que c’est la
cholecys-tectomie qui est à l’origine du développe-ment de la
cœlioscopie digestive. On a vu que l’appendicectomie cœlioscopique
s’était un peu développée en Allemagne mais sans aucune diffusion
en dehors de ce pays. En 1986 Mühe rapportait la première
cholecys-tectomie endoscopique mais faite à travers un gros
endoscope opératoire introduit par un seul orifice, elle ne se
faisait pas dans les règles de la chirurgie et n’eut aucun
reten-tissement. C’est Ph. Mouret, qui avait pris la bonne habitude
d’explorer la totalité de la cavité abdominale lors de ses
interventions gynécologiques par cœlioscopie, qui eût l’audace en
1987 de disséquer une vésicule comme il le faisait pour libérer une
trompe, un appendice ou une anse intestinale et de réaliser ainsi
la première cholecystectomie cœlioscopique « à la manière d’un
chirurgien » (Fig. 4). Une autre voie était alors cherchée par J.
Périssat (Bordeaux) pratiquant à travers
François DUBOIS
Fig. 1 : Cystoscope – J. Grünfeld
Fig. 2 : Opérateur cœlio
Fig. 3 : Vue instruments cœlio
Fig. 4 : Cholecystectomie
-
16 HISTOIRE DE LA COELIOSCOPIEF. DUBOISune cholecystostomie, une
lithotritie et une obstruction cystique.
Ces pratiques ne furent pas appréciées au début par
«l’establishment chirurgical»! Ph. Mouret fut traduit devant le
Conseil de l’Ordre. Lorsqu’en 1988 un article rapportant nos 63
premières cholecystectomies cœliosco-piques faites enfin selon les
«règles de l’art», fut proposé à la revue médicale française de
référence, il fût refusé au motif qu’il s’agissait d’une «technique
dangereuse à surtout ne pas diffuser». Il fallut que l’engouement
pour cette technique se développe aux Etats-Unis, où une revue
avait bien voulu publier notre article, pour qu’en France on
veuille bien s’y intéresser. En effet, à la même époque E. Red-dick
prôna la dissection vésiculaire au laser et il fut un temps où on
opposa la dissection classique, Technique française, à la Laser
cho-lecystectomy, technique américaine symbole de haute technologie
; celle-ci fut vite aban-donnée et les chirurgiens américains, très
« fair play », reconnurent la priorité française,
qualifiant même la cholecystectomie cœlio-scopique de « second
French revolution » !Dès lors, et avec une rapidité rarement
obser-vée en chirurgie, qualifiée de véritable «raz de marée», la
voie cœlioscopique devint le «gold standard» pour la
cholecystectomie.
Rapidement cette voie cœlioscopique fut uti-lisée pour les
autres interventions de chirur-gie abdominale, au point qu’il n’est
guère d’intervention digestive, gynécologique, uro-logique ou même
vasculaire qui ne soit réali-sable et largement pratiquée en
cœlioscopie et il serait fastidieux de toutes les évoquer.
Certaines s’imposent cependant : Au début seules les exérèses
simples étaient envisagées, puis les exérèses «à risque» :
splé-nectomie (Delaitre), surrénalectomie; puis
vinrent les exérèses suivies d’anastomoses (colectomie,
gastrectomie) enfin les interven-tions dites «majeures» :
hépatectomie, pan-créatectomie, prostatectomie radicale...Les
tumeurs cancéreuses furent au début considérées comme une
contre-indication à la cœlioscopie. On sait maintenant que cette
technique, pratiquée selon les règles classiques de la chirurgie
carcinologique, ne favorise pas la diffusion carcinomateuse, comme
certains l’avaient prétendu ; les can-cers peuvent donc en
bénéficier.
La cœlioscopie ne doit pas être réservée aux « pays riches ».
Certes avec les lourdes contraintes de nos pays (instruments
je-tables, réglementations multiples) l’acte de cœliochirurgie en
lui-même coûte cher, bien que compensé par ses avantages. Mais tout
peut être fait à moindre frais et en toute sécu-rité avec une
instrumentation simple banale et réutilisable. La simplicité des
suites et les courtes hospitalisations sont très appré-ciables dans
les pays en voie de développe-ment. La courte durée ou même
l’absence d’hospitalisation dans ce qu’on appelle la «chirurgie
ambulatoire» est en effet un des atouts de cette technique et se
développe.La formation des chirurgiens à la cœliochirur-gie n’est
plus un problème alors que c’était le grand handicap du début,
cause de déboires et de polémiques. Les jeunes chirurgiens sont
d’emblée formés « à la coelio » et c’est au contraire la formation
à la «chirurgie ouverte» qui fera de plus en plus problème !La
cœliochirurgie a bénéficié depuis 20 ans de formidables progrès
techniques qui l’ont rendue plus simple et plus sure : dissecteur à
ultra-sons, endo échographe, agrafeuses mé-caniques camera 3D,
commandes vocales... sans parler de la télétransmission (dite à
tort robots). Ces derniers permettent une préci-sion, une mobilité
et une aisance qui ne fe-
ront que progresser quand cessera le mono-pole actuel d’un seul
modèle, la concurrence aiguisant l’inventivité et la baisse des
prix actuellement prohibitifs !
Que dire de certaines tendances actuelles ? La réduction de la
voie d’abord à un seul ori-fice, souvent ombilical, est-elle un
progrès ? La miniaturisation et la flexibilité des nou-veaux
instruments le permettent mais ses avantages s’affirmeront-ils ? Il
en est de même pour la chirurgie par les orifices naturels (dite
NOS).Seul l’avenir dira si l’avantage esthétique de l’ablation d’un
organe abdominal à travers l’estomac, le rec-tum ou de façon moins
risquée par le vagin justifiera ce nouvel avatar de la
cœliochirur-gie.
Pour conclure il faut constater que la cœlio-chirurgie s’est
développée en gynécologie avec 15 ans d’avance par rapport à son
appli-cation au reste de la chirurgie abdominale et ceci à cause
d’une spécialisation abusive ; c’est à cause de sa pratique
gynécologique que Ph. Mouret a eu l’idée de sa première
cholecystectomie. La réglementation ta-tillonne actuelle, si elle
avait été respectée dans les années 70 et 80, aurait certainement
considérablement retardé sinon empêché le développement de la
cœliochirurgie.
Fig. 5 : Téléopération
-
Mise à jour thérapeutique
Par Olivier STERKERS1 Service d’ORL, Hôpital Beaujon, AP-HP,
92110 Clichy2 Centre referent Paris Ile de France : Implants
cochléaires at auditifs du tronc cerebral chez l’adulte3 Unité
INSERM UMR-S867, Université Paris VII, aculté de médecine Xavier
Bichat, 75018 Paris
Evolution des indications de l’implantation cochléaire vers le
traitement des maladies de l’oreille interne
17ACADÉMIE DE CHIRURGIE MAGAZINELe magazine de LA CHIRURGIE
FRANCOPHONE
L ’implantation cochléaire est à l’heure actuelle, le procédé
validé pour réhabiliter les surdités profondes bilatérales ne
pouvant bénéficier d’une correction par des prothèses auditives
amplificatrices. Cela concerne tous les âges de la vie, de la
surdité néo-natale à celle du grand âge. De la découverte en 1957
de l’obtention de sensations auditives par une simulation
électrique d’une cochlée cophotique (1) à la réalisation des
premiers implants il aura fallut plus de 20 ans (2). Pour que ces
différents dispositifs chirurgi-caux implantés soient fiables et
efficaces, 10 à 20 ans ont encore été nécessaires. Ce n’est qu’à
partir de 2009 qu’ils ont été pris en charge par l’Assurance
Maladie dans des Centres Référents nommés par les Agences
Régionales de Santé suivant des critères établis par la Haute
Autorité de Santé (3).
Les indications ont évolué durant la der-nière décennie.
L’implantation cochléaire ne devait être réalisée que sur la
dernière oreille ayant bénéficiée d’une amplification
audioprothétique pour s’assurer du délai le plus court de privation
auditive chez le devenu sourd. Cela était le critère le plus
reconnu de garantie d’un bénéfice auditif certain avec un implant
cochléaire. Depuis peu, l’implantation cochléaire est envisa-gée
dès que le sourd appareillé ne com-prend plus dans le silence à 60
dB, voire
dans le bruit. C’est là un changement radi-cal dans la
compréhension de l’évolution de la surdité : un sourd doit
rester dans la communication dans le bruit pour éviter
l’installation du handicap auditif signifiant le retrait de la vie
active.
Il n’y a pas de limite d’âge à l’indication de l’implant
cochléaire. Dans le cadre des sur-dités congénitales ou
néo-natales, dès que la preuve de la surdité profonde sans
béné-fice audioprothétique est faite, l’implanta-tion cochléaire
est réalisée pour permettre le développement du langage et une
inté-gration en milieu scolaire. Dans la majorité des Centres
Pédiatriques, l’implantation cochléaire est effectuée vers l’âge
d’un an et au mieux avant deux ans (4). Chez les sujets âgés il n’y
a pas non plus de limite, le rapport coût-bénéfice étant tout à
fait fa-vorable. De plus dans une étude multicen-trique française,
nous avons récemment montré que les tests cognitifs étaient
net-tement améliorés un an après implantation dans une population
de plus de 75 ans sans altération des fonctions supérieures
déce-lable avant la prise en charge de la surdité profonde.
Enfin, la restauration d’une audition binau-rale est souhaitable
dès que cela est pos-sible. Le but est de restituer la localisation
sonore, premier système d’alerte d’une
part et d’améliorer l’audition dans le bruit d’autre part (5).
Schématiquement les im-plantations bilatérales sont faites durant
le même temps opératoire en cas de risque d’ossification cochléaire
(fracture du rocher, méningites) ou dans le syndrome d’Usher chez
l’enfant, qui associent handicap visuel et surdité. Dans la
majorité des cas, l’im-plantation bilatérale est séquentielle, le
deuxième côté étant implanté lorsque dis-paraît le bénéfice
audioprothétique.
Durant les dix dernières années, un effort remarquable a été
mené pour tenter de préserver l’audition résiduelle. Il s’agit de
restes auditifs sur les fréquences graves qui ne permettent pas la
reconnaissance de la voix et de son message mais par contre
l’analyse du rythme. Cela a amené le concept de stimulation
électrique (implant cochléaire) et acoustique (prothèse audi-tive),
les deux stimulations réunies opti-misant les capacités d’écoute
dans le bruit. Les techniques chirurgicales ont évolué pour essayer
de préserver ces reliquats au-ditifs. C’est la miniaturisation de
l’électrode qui a permis un progrès décisif faisant pas-ser la
conservation de l’audition résiduelle d’environ 80% (6) à plus de
95% avec des électrodes de diamètre plus fin. Il est bien établi
maintenant que les électrodes dont le diamètre a une extrémité de
l’ordre de 0.25 à 0.35 mm contre 0.5-0.8 mm pour les
Olivier STERKERS
-
18 MISE À JOUR THÉRAPEUTHIQUEO. STERKERSélectrodes
conventionnelles, permettent de préserver l’audition dans plus de
95% des cas (fig 1). La notion de longueur de l’électrode est moins
importante et l’audi-tion peut être conservée avec des élec-trodes
de 20 mm voire plus (fig 2). La péné-tration dans la cochlée se
fait à travers la fenêtre ronde moins traumatisante que la
réalisation manuelle d’une cochléostomie.De ces études ont découlés
trois champs d’application novateurs.1 – l’administration
concomitante de trai-tements in situ, soit par injection
intra-co-chléaire de différentes molécules à effet
anti-inflammatoire et/ou antiapoptotique, au premier rang desquels
les corticoïdes, soit à partir d’une électrode enrobée de solutions
véritables « électrodes actives ». Les modèles animaux
d’implantation co-chléaire sont d’une grande aide pour
l’iden-tification des molécules actives (7, fig 3).2- Par
extension, l’utilisation de ces molé-cules n’est plus réservée qu’à
un traitement adjuvant de l’implantation cochléaire mais aussi au
traitement des symptômes et maladies de l’oreille interne, lorsque
ces dernières peuvent être identifiées (8). En effet, l’oreille
interne est protégée comme le cerveau par une barrière
hémato-péri-lymphatique qui limite la pénétration des molécules
hydrosolubles administrées par voie générale (9). La membrane de la
fenêtre ronde est perméable et permet l’entrée dans les liquides de
l’oreille interne de molécules qui diffusent des lors dans la
cochlée. La mise au point de gel contenant le ou les principes
actifs et appliqué sur la membrane de la fenêtre ronde est un
pro-grès certain. Cependant ces traitements restent relativement
approximatifs quant à la cible cochléaire et à la concentration
obtenue au niveau de celle-ci. L’utilisation in situ de Gentalline
dans le traitement des vertiges au cours de la maladie de Ménière
reste l’indication phare de cette technique. L’effet bénéfique de
l’application in situ de corticoïdes dans le traitement des
surdités brusques reste à démontrer. Des espoirs sont permis de
pouvoir traiter sélective-ment des lésions de l’oreille interne par
l’administration de micro cathéters avec des systèmes
d’administration in situ ou
enduit de principes actifs dès lors que l’on a démontré
l’innocuité de leur insertion intra cochléaire. dans l’Unité
intitulée « chirurgie otologique mini-invasive
robotisée »3 – Enfin, la main est-elle le moyen le plus
approprié pour introduire les microélec-trodes, que se soit pour
restaurer l’audi-tion avec un implant cochléaire ou traiter
Figure 2 : (A) Audiogrammes avant et 3 mois après 3 mois
après l’implantation à gauche d’un implant Medel flex EAS.
Figure 2 : (B) Noter l’enroulement de l’électrode sur au
moins 360° sur le scan en coupe coronal .
Figure 3 : (A) Modèle d’implantation chez le cobaye avec
une électrode de 3 mm de long et de 300 µ de diamètre en silicone
pourvu d’un réservoir et d’un canal d’admi-nistration de 110 µ.
Figure 3 : (B) Scanner vérifiant la position de l’électrode
dans la cochlée.
les maladies de l’oreille interne avec des micro-cathéters
? Si belle soit la main du « chirurgien », il est
manifeste qu’une aide motorisée ou robotisée (10) permettra
d’atteindre le seuil de sécurité rendant ces techniques applicables
au quotidien. C’est le travail mené dans notre laboratoire
inti-tulé « chirurgie otologique mini-invasive
robotisée » et qui permet d’envisager à court terme cette
éventualité.
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Al. Surg Innov. 2011 :Apr 18
Figure 1 : Electrodes d’implants cochléaires = le grand
diamètre correspond à celui de l’électrode au niveau de la
cochléostomie et le petit à celui de son extrémité (voir Schéma
A)A : Conventionnelle (Contour Advance de Cochlear :
électrode perimodulaire)B : Flex EAS (Medel pour implant
électro-acoustique)C : Hybrid (Cochlear pour implant
électro-acoustique)
-
Jean-Paul MARIE
Le larynx est impliqué dans trois fonctions principales: la
protection des voies aé-riennes, la respiration, et la phonation.
Dé-nervé, il perd une ou plusieurs de ses fonctions. Or, sa
structure et la complexité de son innervation sont un obstacle à sa
réinnervation. Ce défi mobi-lise les laryngologistes depuis des
décennies. L’innervation motrice de chaque hémi-larynx est assurée
par des branches du nerf pneumogas-trique (X), en particulier le
nerf laryngé inférieur (NLI) encore appelé nerf récurrent qui
innerve les muscles qui permettent l’ouverture et la ferme-ture des
cordes vocales.Or, les axones destinés à ces différents muscles ne
sont pas distribués en fascicules distincts à l’inté-rieur du nerf,
mais ont une disposition plexiforme [54] [22]. Ainsi, en cas de
section du nerf récurrent, la suture bout à bout de ses extrémités
conduit à une erreur d’aiguillage des axones régénérés, et donc à
la réinnervation erronée de muscles anta-gonistes : ce sont
les syncinésies ou co-contac-tions [52] [21]. La corde vocale ne
récupère pas ses mouvements d’ab et d’adduction et se place le plus
souvent en position paramédiane.Si la lésion nerveuse est
unilatérale, les consé-quences sont modérées, essentiellement
vocales. Les perturbations phonatoires sont fonction de la position
de la corde vocale (paramédiane ou en abduction), de sa trophicité.
Si l’atteinte est bilatérale et que les cordes vocales sont en
position de fermeture (cas général), la réduction de l’aire
glottique entraine une dys-pnée inspiratoire qui impose souvent la
réalisa-tion d’une trachéotomie. Pour l’éviter, il existe de
nombreux procédés d’élargissement glottique, actuellement réalisés
par voie endoscopique : aryténoidectomie, aryténoidopexie,
cordotomie transverse postérieure. Ils s’accompagnent
inva-riablement d’une détérioration de la voix, parfois de fausses
routes; les débits ventilatoires restent perturbés.Réinnerver les
muscles antagonistes du larynx et restituer leur fonction d’ab ou
d’adduction per-mettrait idéalement de réhabiliter au mieux les
paralysies récurrentielles bilatérales, en respectant la capacité
vibratoire de la corde vocale, mais aus-si de résoudre un des
problèmes qui s’opposent à la transplantation du larynx. En effet,
la revas-cularisation du larynx est possible chez l’animal. Des
progrès considérables ont été réalisés dans le domaine de la
tolérance immunitaire. C’est la
Mise à jour thérapeutique (suite)Par Jean-Paul MARIEService ORL
et Chirurgie Cervico-faciale, CHU Rouen,Laboratoire de Chirurgie
Expérimentale,EA 3830, GRHV (Groupe de Recherche sur le Handicap
Ventilatoire), Institut de Recherche et d’Innovation biomédicale de
Haute NormandieFaculté de Médecine et Pharmacie, Université de
Rouen, France
Réinnervation laryngée
19ACADÉMIE DE CHIRURGIE MAGAZINELe magazine de LA CHIRURGIE
FRANCOPHONE
réinnervation du larynx transplanté qui pose un problème
actuellement non résolu.
Les premières tentatives de réinnervation des paralysies
laryngées bilatérales datent du début du siècle dernier. Elles ont
d’abord conduit à des échecs, car les nerfs transplantés étaient
anasto-mosés au tronc du nerf récurrent : pour les raisons
expliquées ci dessus, il n’y avait pas de récupéra-tion de la
mobilité cordale.Depuis les années 70, en expérimentation ani-male,
on a compris qu’il fallait réinnerver sélec-tivement les muscles
laryngés antagonistes. Le muscle cricoaryténoidien postérieur
(CAP), seul muscle dilatateur de la glotte, activé en inspira-tion,
est devenu ainsi la cible principale de la réin-nervation.
Plusieurs méthodes sont utilisables pour parvenir à cet objectif
:a) Implantation d’un transplant nerveux dans la musculature
intralaryngéeLes premiers travaux ont été réalisés chez le chien ou
le chat. Le nerf implanté était soit le NLI lui même, soit le nerf
phrénique avec plus ou moins de succès [7, 18, 20, 55]. Cette
stratégie a ensuite été appliquée exceptionnellement chez l’homme
par Wigand [62] ou Crumley [10] sans succès. b) Technique du
pédicule neuro musculaireA la fin des années soixante, à l’occasion
de travaux sur la transplantation laryngée, Takenouchi, Ogu-ra et
col. [56] proposent une nouvelle technique de réinnervation : elle
consiste à isoler un pédicule nerveux avec une portion de son
muscle effecteur (pédicule neuromusculaire) pour le réimplanter
dans le muscle laryngé receveur. L’objectif est de conserver le
maximum de jonctions neuro-mus-culaires. Cette technique est
ensuite appliquée par Hengerer et Tucker en 1973 [25] à la
réinner-vation du crico-aryténoidien postérieur (CAP) par une
branche du nerf grand hypoglosse. Elle fait ensuite l’objet de
nombreux travaux expérimen-taux [42] [51] [29] [49] de succès
variables. Tucker présente en 1989 les résultats obtenus à long
terme chez l’homme: 214 interventions avec un suivi de plus de deux
ans chez 202 malades [58]. 180 (soit 89 %) ont montré un bon
résultat initial permettant une décanulation. 31 d’entre eux ont
présenté la récidive d’une dyspnée conduisant à une réintervention
sur un mode classique. Dans 74 % des cas, il semblait exister un
bon résultat à
long terme.Malgré ces succès cliniques, cette technique a été
très critiquée puisque différents auteurs[44] [15] [50],
reproduisant des techniques identiques chez l’animal, n’ont obtenu
qu’un faible pourcentage de succès. L’abduction cordale n’était
observée qu’en dyspnée inspiratoire et disparaissait après section
du nerf laryngé supérieur ; le transplant nerveux n’était pas
stimulable électriquement [9]. La discordance observée entre les
résultats expé-rimentaux et la difficulté à obtenir chez l’homme
les résultats publiés par Tucker ont conduit bon nombre d’équipes à
abandonner cette technique. c) Réinnervation motrice par un procédé
im-posant la dissection des branches intralaryn-gées du
récurrentCes interventions ont en commun, chez l’animal, la
dissection des branches intralaryngées du NLI. Elles sont de deux
types : - soit neurorraphie simple du tronc du NLI ou son
anastomose avec un nerf de voisinage, suivie d’une section
sélective d’une branche intralaryn-gée (afin de privilégier en
général l’abduction cor-dale) [2, 43] [6] [8, 28] - soit
anastomoses du NLI, d’une branche du nerf hypoglosse [1, 19], ou du
nerf phrénique [3, 9] avec les branches intralaryngées du NLI.
Elles peuvent concerner de manière immédiate ou différée la
réinnervation simultanée des deux groupes musculaires [11, 37, 57,
59, 60].Les études animales ont prouvé que la réinnerva-tion
laryngée était possible, avec restitution des fonctions d’ab ou/et
d’adduction, que le trans-plant nerveux le plus adapté à la
réinnervation du CAP était le nerf phrénique.Mais depuis les
travaux de Tucker, aucune publi-cation ou presque n’a fait état de
réinnervation fonctionnelle obtenue chez l’homme dans les
paralysies laryngées bilatérales.Les succès obtenus sur l’animal
nous ont encou-ragé à poursuivre nos travaux. En vue d’une
appli-cation humaine, un préalable indispensable était de prouver
la relative inocuité du prélèvement d’un greffon phrénique. Nous
avons étudié suc-
-
20 MISE À JOUR THÉRAPEUTHIQUEPr. J-P. MARIEcessivement chez
l’animal les effets respiratoires des lésions partielles du nerf
phrénique [35, 38-40], [36]. La résection unilatérale de la racine
supé-rieure d’un nerf phrénique (qui en comporte cou-ramment trois)
entraine un handicap fonctionnel minime. Afin de nous approcher
d’un modèle clinique de paralysie laryngée bilatérale ou de
transplanta-tion laryngée, et combinant diverses techniques
décrites dans la littérature, nous avons proposé chez le chien une
technique originale. Il s’agissait d’utiliser la racine supérieure
d’un ou des deux nerfs phréniques pour réinnerver les deux CAP, en
réalisant simultanément la réinnervation bila-térale des muscles
adducteurs par la branche du nerf hypoglosse (XII) destinée au
muscle thyro-hyoidien, activé en phonation (figure 1)[34]. Nous
avons obtenu par ce procédé une réhabi-litation des fonctions
laryngées d’ouverture et de protection des voies aériennes dans
plus de la moitié des cas. Paradoxalement, les résultats étaient
cliniquement meilleurs si une seule racine du phrénique était
utilisée pour la neurotisation des deux CAP, probablement à cause
du caractère limité de la réinnervation des muscles antago-nistes
(syncinésies) [30] [33].Nous avons appliqué cette technique chez
l’homme dans le cadre d’une étude prospec-tive financée par un PHRC
(Plan Hospitalier de Recherche Clinique) [32, 41]. Nous
rapporterons notre expérience au congrès français d’ORL en octobre
2011 : 25 patients (dont 3 enfants) ont été opérés à ce jour.
Il s’agissait de séquelles chirur-gicales, le plus souvent après
thyroidectomie (n=21), ou de paralysies laryngées congénitales
(n=3). 19 patients ont un recul supérieur à un an.La voix, jugée
par auto questionnaire, évaluation perceptuelle, ou analyse
informatique, était pré-servée ou améliorée dans tous les cas sauf
un. 16/19 patients sont décanulés. Les paramètres ventilatoires
sont améliorés sauf dans 2 cas (qui ont justifié une
aryténoidectomie complémen-taire ou un élargissement laryngé
postérieur par la technique de Rethi). Une abduction
aryténoi-dienne active est visible au moins d’un côté chez 10/19
patients, bilatérale chez 5/19 (figure 2 et 3). Le nerf phrénique
reste stimulable dans tous les cas, avec une mobilité inspiratoire
du diaphragme proche de la normale dans ¾ des cas.Ainsi, une
amélioration ventilatoire: a été obtenue dans 16/19 cas (très
améliorée: 6/19) (figure 4), avec une voix préservée ou améliorée
dans 18/19 cas, ce qui fait tout l’intérêt de cette technique. Du
fait des modalités de son innervation [61], les séquelles
diaphragmatiques du prélèvement phrénique partiel sont discrètes et
autorisent l’uti-lisation de ce greffon nerveux.
Nous considérons actuellement, que dans les paralysies laryngées
bilatérales, qu’elles soient congénitales, ou plus souvent
acquises, séquelles de thyroïdectomie, la réinnervation laryngée
doit être envisagée comme traitement de première intention, avant
tout geste endoscopique irréver-sible dont les conséquences
fonctionnelles (vo-cales et respiratoires) restent imprévisibles.
Une trachéotomie d’attente, ou une ventilation non
invasive, ou un appareillage par CIPAP peuvent être utilisés en
cas de mauvaise tolérance de la dyspnée. En cas d’échec de la
réinnervation, les techniques conventionnelles d’élargissement
laryngé (endos-copiques ou chirurgicales) peuvent être
réalisées.Nous allons appliquer ces techniques de réinner-vation en
seconde intention chez les patients qui présentent des séquelles
phonatoires ou respira-toires des techniques endoscopiques des
paraly-sies laryngées bilatérales (nouveau PHRC obtenu en
2011).
Les problèmes posés par les paralysies laryngées unilatérales
sont tout à fait différents. Les étiologies des paralysies
unilatérales sont nombreuses : pathologie ou chirurgie de la
thy-roide, pathologies thoraciques (néoplasies bron-chopulmonaires
ou oesophagiennes, séquelles de chirurgie cardiothoracique),
parfois a frigore. Le handicap est ici la dysphonie ; parfois
quelques fausses routes sont observées lorsqu’il existe un trouble
de la sensibilité ou des atteintes nerveuses associées. L’évolution
est souvent spontanément favorable, grâce à la régénération du NLI
et/ou à la compensation par l’hémilarynx controlatéral. Lorsqu’elle
ne l’est pas, de nombreuses techniques sont utilisées avec succès
pour médialiser passi-vement la corde vocale paralysée et permettre
l’affrontement de la corde controlatérale.Plusieurs travaux ont
montré dès 1969 que la réinnervation de l’hémilarynx paralysé
pouvait permettre une amélioration vocale [5]. En effet, la
réinnervation non sélective des muscles antago-nistes du larynx, si
elle ne permet pas la restitution d’une mobilité cordale, évite
l’atrophie des thy-roaryténoidiens, et évite ainsi la diminution de
la masse cordale vibrante et permet la stabilisation de
l’aryténoide.Depuis 1986, Crumley défend la réinnervation par
l’anastomose de la branche descendante du
Figure 1 : Réinnervation laryngée bilatérale par la racine
supérieure du nerf phrénique droit et les branches
thy-rohyoidiennes des hypoglosses [30, 31]. Vue postérieure.
Figure 2 : Vue laryngoscopique d’une patiente, 7,5 mois après
réinnervation laryngée sélective bilatérale, en phonation (voix
normale).
Figure 3 : Méme patiente, 7,5 mois après réinnervation
laryngée sélective bilatérale : abduction active en
ins-piration, plus marquée du côté droit.
Figure 4 : Méme patiente, exploration fonctionnelle
respiratoire, boucle débit volume, avant et 7,5 mois après
réinnervation laryngée sélective bilatérale : amé-lioration
des débits inspiratoires et expiratoires.
-
21ACADÉMIE DE CHIRURGIE MAGAZINELe magazine de LA CHIRURGIE
FRANCOPHONEXII avec le tronc du NLI[16] [12] [13] [14], Paniello
avec le tronc du XII, comme on le fait dans la réha-bilitation des
paralysies faciales [45, 46]. La plus grande série publiée est
celle de Lorenz et col. sur 46 patients [27]. La supériorité de
cette réinnerva-tion sur les techniques de médialisation semble
maintenant démontrée, sur une petite série chez l’adulte jeune
[47]. Nous développons cette technique depuis 1998, et notre
expérience est maintenant de 20 patients. La paralysie laryngée
était la séquelle d’une lésion de la base du crâne (n=2), d’une
thyroidectomie (n=8), d’une section du nerf vague au cou (n=2) ou
d’une chirurgie thoracique (n=6). La réinnerva-tion était réalisée
en première intention, ou après échec d’autres techniques de
réhabilitation (n=5). Tous les patients sauf un ont un recul
supérieur à 6 mois. Les paramètres vocaux sont améliorés après un
délai de 4 à 6 mois nécessaires à la repousse axonale, et
deviennent comparables à ceux d’une voix normale. L’examen laryngé
montre une amélioration de la trophicité cordale, sans
récu-pération de sa mobilité. L’EMG laryngée prouve la
réinnervation et son origine. Ces résultats sont améliorés au cours
du temps (recul de 3 à 5 ans pour quelques patients). Applicable
dans presque toutes les situations de dénervation laryngée
unilatérale, la réinnervation permet la restitution d’une
trophicité cordale, gage d’une excellente récupération vocale et de
sa pérennité. Les résultats sont meilleurs que ceux obtenus après
thyroplastie dans notre expérience mais une étude comparative reste
à réaliser.
En conclusion, il est désormais possible de réin-nerver le
larynx, et de restituer une mobilité cor-dale. Ces travaux vont
contribuer à la réalisation de transplantations laryngées
fonctionnelles, après les premières tentatives de Strome en 1998,
puis de Birchall en 2010 [53] [4, 26]. Elles vont modifier les
algorithmes de prise en charge des paralysies laryngées.En
complément des transferts nerveux, d’autres voies de recherche
apparaissent: facteurs de crois-sance axonale, cellules gliales
olfactives qui per-mettent d’améliorer la repousse axonale du nerf
périphérique [24] et favoriser sa sélectivité. Ces techniques
pourront être appliquées à la répara-tion du nerf récurrent [17,
23] [48], mais aussi du nerf facial.Il n’est pas exclu que les
stratégies d’avenir fassent appel à des techniques mixtes,
combinant les transplants nerveux, les systèmes de stimulation
(actuellement principalement développées chez l’animal), les
cultures cellulaires appliquées à la repousse axonale, mais aussi à
la régénération de la muqueuse ou du cartilage.
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