UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DE PHILOSOPHIE ET LETTRES SECTION HISTOIRE HIST-B4225-Séminaire de recherche : Epoque Contemporaine Histoire du Droit International Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique Tendance communiste et tendance modérée du Conseil Mondial pour la Paix, de l’Association Internationale des Juristes Démocrates, d’Henri Rolin et d’Isabelle Blum entre 1949 et 1963 Pieter Lagrou Alexiou Yoanna HIST4H 000326646 Année académique 2013-2014 (Première session)
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Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique
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UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES
FACULTE DE PHILOSOPHIE ET LETTRES
SECTION HISTOIRE
HIST-B4225-Séminaire de recherche : Epoque
Contemporaine
Histoire du Droit International
Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et
politique
Tendance communiste et tendance modérée du Conseil Mondial pour la Paix, de l’Association
Internationale des Juristes Démocrates, d’Henri Rolin et d’Isabelle Blum entre 1949 et 1963
Pieter Lagrou
Alexiou Yoanna
HIST4H
000326646
Année académique 2013-2014 (Première session)
1
Table des matières
Table des matières __________________________________________________________ 1
Table des abréviations _______________________________________________________ 2
AIJD Association Internationale des Juristes démocrates
An. Année(s)
CMP Conseil Mondial pour la Paix
C.-R. I. Compte-rendu intégral
RDA République Démocratique d’Allemagne
RFA République Fédérale d’Allemagne
Sess. Session
3
Introduction
Une question qui aura des difficultés à trouver son chemin dans l’argumentaire
juridique du droit international qui suit la Seconde Guerre Mondiale pourrait certainement
être celle de l’usage militaire de l’énergie nucléaire, du désarmement et de la non-prolifération
des armes atomiques. L’apparition d’une arme nouvelle qui ne trouve pas d’équivalent
législatif permettant d’assurer un usage ou une utilisation définie par un cadre légal dans le
domaine du Droit International va ouvrir la porte à une série de débats entre juristes. Cela, dès
1947, une fois que les effets secondaires des explosions de « Little Boy » et « Fat Man » sur
Hiroshima et Nagasaki de 1945 commenceront à apparaitre sur la population japonaise.
Dans une tentative de mettre en perspective historique l’évolution d’une série
d’argumentaires à ce sujet, l’accent sera mis en premier lieu sur les propos émis par les
membres du Conseil Mondial des Partisans pour la Paix (CMP) dont les explications relatives
à sa création et à ses fonctions respectives seront explicitées au cours de l’exposé. L’objet de
recherche pour le CMP se fera au travers des publications de leur congrès mondiaux de 1949,
1950, 1952 et 19551. En effet, suite au décès de Staline et à la déstalinisation de l’URSS qui
s’en suit, le comité perdrait peu à peu de sa structure et ne se réunira plus que de façon
ponctuelle dans les années suivantes comme il le sera expliqué dans le prochain chapitre2. De
fait, les sources qui y sont relatives s’en trouvent réduites, d’autant plus que les documents
correspondant aux congrès ayant eu lieu entre 1958 et 1963 ne sont pas disponibles. En
second lieu, l’article se penchera sur l’argumentaire des membres de l’Association
Internationale des Juristes Démocrates (AIJD) à partir de leurs diverses publications,
notamment des articles dédiés au droit international du désarmement. A cet effet, leur revue
publiée sous le nom de « Le droit au service de la paix » de 1954 à 1957 et ensuite de « Droit
international contemporain » de 1958 à 1963 a été dépouillée3. Pour compléter la recherche,
une série de publications « hors-série » relative à la question du désarmement ont également
été étudiées. L’historique de cet argumentaire contre la prolifération de l’arme nucléaire et de
ses expériences se terminera sur la vision de juristes belges démocrates et de parlementaires,
1COMITE MONDIAL POUR LA PAIX (CMP), Congrès Mondial des Intellectuels pour la paix, Wroclaw-
Pologne, 25-28 août 1948, compte-rendu présenté par le Bureau du Secrétaire général de Varsovie, Varsovie,
Ed., 1949 ; -, Congrès mondial des partisans pour la paix Paris-Prague 20-25 avril 1949, Paris, Ed. Français
Réunis, 1949 ; -, 2e Congrès mondial des partisans de la paix Varsovie 16-22 novembre 1950, Ed. Français
réunis, Paris, 1951 ; -, Congrès des peuples pour la paix Vienne 12-19 décembre 1952, Ed. Défense de la Paix,
Paris, 1953 ; -, Congrès des peuples pour la paix, 1955. 2M. PINAULT, « Le Conseil mondial de la paix dans la Guerre Froide », in J. VIGNEUX et S. WOLIKOV (dir.),
Cultures communistes au XXe siècle : entre guerre et modernité, La Dispute, Paris, 2003, pp. 143-156. 3AIJD, Droit au service de la paix- Revue de l’AIJD, Bruxelles, Ed. AIJD, 1954-1957 ; -, Revue de Droit
Contemporain, Bruxelles, Ed. AIJD, 1958-1965.
4
membres actifs des deux associations citées précédemment. Cependant, il a été difficile de
trouver des publications écrites par ces acteurs belges qu’ils soient juristes ou membres du
comité des partisans pour la paix. Ceux-ci étant simplement cités dans les listes des membres
du CMP ou dans les articles de juristes démocrates étrangers. Pour cela, le dépouillement
d’une partie des annales parlementaires du Sénat4 entre 1951 - année qui ouvrirait les
discussions relatives à l’énergie atomique à usage militaire - et 1963 était nécessaire. Cela a
permis de se focaliser sur deux Belges en particulier : Isabelle Blum (1892-1975)5 députée à
la Chambre et membre du CMP et Henri Rolin (1891-1973)6, sénateur et juriste. 1963 apparait
comme une date-clé pour conclure cette recherche. D’une part, car les sources concernant les
trois chapitres étudiés commencent à se tarir dès cette année et d’une autre, car c’est l’année
de la signature du Traité de Moscou7. Traité qui consacrera l’arrêt temporaire des expériences
nucléaires, un des sujets le plus discutés par les différents intervenants concernés par cette
étude. Par conséquent, 1963 apparait comme une année charnière où les discussions
concernant l’arme atomique, ses expériences et ses usages semblent laisser le pas aux
questions internationales de droit des gens, décolonisation et pays en voie de développement.
Il aurait été intéressant d’analyser les sessions des annales de la Chambre des Représentant
auxquelles Isabelle Blum a participé. Cependant, cette recherche aurait porté le travail dans
une dimension qu’il n’est pas question d’étudier ici. Pour cela, elles ont été laissées de côté
mais pourraient être étudiées dans le cadre d’une recherche plus étendue afin d’apporter
éléments et subtilités complémentaires à cette étude.
Y-a-t-il eu une évolution de l’argumentaire de ces différentes parties ? Pour ce qui est
des membres du CMP, l’optique serait de démarquer l’existence possible d’arguments
spécifiquement présentés comme non-juridiques dans leur discours et qui pourraient, au
regard d’un juriste, s’avérer avoir une portée juridique. En effet, ce conseil pourrait être lié à
l’Association Internationale des Juristes démocrates car il semblerait que quelques membres
4Sénat de Belgique, Compte-rendu analytique des sessions, Annales 1951-1963. [En Ligne] <senate.be>. Pour le
détail des annales étudiées cf. p.31. 5Isabelle Grégoire-Blum est députée bruxelloise, pacifiste, présidente du CMP de 1966 à 1969. Elle siègera à la
Chambre en tant qu’indépendante dès 1951 suite à son exclusion du PSB et recevra le Prix Staline de la Paix en
1953. Cf. Institut Liégeois d’Histoire sociale <ilhs.e-monsite.com>. 6Henri Rolin est un avocat, professeur de Droit à l’Université Libre de Bruxelles et sénateur belge qui prendra
part aux questions de droit international humanitaire, du droit des gens et des populations et au problème du
réarmement de la RFA dans le cadre de l’OTAN. Cf. R. DEVLEESHOUWER, « Henri Rolin », Biographie
Nationale, T.41, pp.694-698, pdf [En Ligne] <www.academieroyale.be>. 7Ce traité met fin à l’expérimentation nucléaire dans l’espace aérien, l’atmosphère, l’espace et la Haute Mer. Il
est ratifié par l’URSS, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis en 1973. Cf. NATIONS UNIES (DEPARTEMENT
DES AFFAIRES POLITIQUES ET DES AFFAIRES DU CONSEIL DE SECURITE), Les Nations Unies et le
désarmement: 1945-1970, s.l., Nations Unies, 1971 et -, Les Nations Unies et la non-prolifération nucléaire, s.l.,
conséquent, cela augmenterait la tension internationale en temps de Guerre Froide37
. À cela,
John Bernal (1901-1971)38
lui répondra que ce n’est pas au CMP d’établir un plan de
désarmement mais que sa prérogative est plutôt de pousser autant qu’il le peut l’ONU à en
produire un39
. La conception atypique de Russel sur la mise en place d’un appel par
d’éminents scientifiques ne fera pas non plus l’unanimité. En effet, il sera critiqué car, pour la
majorité des membres du CMP qui interviennent sur la question du nucléaire, c’est l’opinion
publique et la force de la masse qui est capable de faire bouger l’ONU dans sa prise de
décision plutôt que des adresses rédigées par des scientifiques détenteurs de prix Nobel40
.
L’argumentaire du CMP semble donc avoir évolué simultanément aux contingences de
la vie politique qui bat son plein dans la question du nucléaire militaire à cette époque. Bien
que certains membres, comme J. Bernal et H. Moore par exemple, regrettaient le manque
d’implication de pays occidentaux tels que les Etats-Unis et l’Angleterre en matière de
subsides, le congrès n’aura pas réussi à s’ouvrir comme il le souhaitait au monde entier et
verra son déclin commencer dès 1955. « Le CMP est financé presque entièrement par des
gouvernement communiste. Pour en faire un mouvement universel, il faudrait trouver une
place dans l’organisme directeur pour des hommes opposés au communisme »41
. Bien que le
CMP se réunisse encore en 1958 et en 1961, les archives qui concernent ces congrès ne sont
plus disponibles. Il n’a donc pas été possible d’étudier l’évolution des propositions des
membres du CMP pour ces années. Pour rappel, en ce qui concerne la position des
intervenants belges au sein de ce comité, elle sera discutée en dernier lieu dans cet article au
sein d’un chapitre consacré à la position des pacifistes et des juristes démocrates belges sur
cette question de prolifération nucléaire, de course aux armements et d’utilisation pacifique de
l’énergie atomique. Pour ce faire, il convient d’expliquer d’abord la position des juristes de
l’AIJD sur la question, qui se rapprochera en partie des propos avancés par les membres du
CMP qui viennent d’être exposés.
Evolution historique de l’argumentaire en droit international des
juristes de l’Association Internationale des Juristes Démocrates (1954-1963)
L’Association Internationale des Juristes Démocrates est créée le 24 octobre 1946 à
l’initiative du Mouvement National Judiciaire français qui invitera les juristes du monde à se
37
CMP, « Discours de BERTRAND RUSSEL », in ibid., p. 81-86. 38
John Bernal est un physicien anglais. D’après, CMP, « Discours de J. BERNAL », in ibid., p.902. 39
CMP, « Discours de J. BERNAL », in ibid., p. 201-206. 40
CMP, « Discours de J. BERNAL », p. 201-206, « Discours de J.P. Sartre », in ibid., p.224. 41
CMP, « Discours de H. MOORE », in ibid., p.448.
14
réunir au sein d’une conférence internationale42
. Cette organisation aurait pour prérogative de
promouvoir un ensemble de juristes défenseurs de la paix qui soutiendrait l’ONU en
s’appuyant sur « les principes de la Charte des Nations Unies, du droit international et de la
défense des droits fondamentaux de l’homme et des peuples »43
. L’AIJD définit le terme
« démocratique » de son acronyme comme « le souhait des peuples qui décident en toute
souveraineté de leur régime politique, économique et social, défini l’autodétermination des
peuples et le droit à l’indépendance et au développement (…) dans un droit qui correspond
aux instruments mis au service de la paix et du progrès international »44
.
A l’origine, l’association comprenait des juristes européens. Dès les années 50, elle
commence à accueillir en son sein des juristes du monde entier et d’obédience politique,
religieuse et philosophie diverses. A sa création en 1947, l’AIJD revêt la forme d’une
organisation non-gouvernementale affiliée à l’ONU. Elle possède un statut de consultante
auprès du Conseil Economique et Social de celle-ci et travaille au sein de la commission
spéciale pour le désarmement conventionnel du CMP. L’AIJD va se positionner pour
l’interdiction de l’armement atomique et en faire part aux Nations Unies. Pour les juristes
démocrates, cette implication dans les questions du nucléaire aidera à voir naitre le 03
novembre 1947 une des premières résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU qui
concerne principalement une série de mesures à appliquer contre ceux qui encourage à la
propagande de guerre45
En ce qui concerne les questions relatives à l’utilisation militaire du nucléaire et à son
expérimentation, différents arguments vont être évoqués au cours des discussions des
commissions spéciales de l’AIJD mais aussi de divers articles publiées dans la revue de
l’ONG. Ces argumentaires évoluent au fur et à mesure des discussions qui se déroulent en
parallèle au sein de l’ONU et des différentes commissions politiques créées par rapport à la
question du désarmement. En outre, l’évolution de leur argumentaire ou l’appui de certains
éléments juridiques sera propre à leurs nations de même qu’il diffèrera selon leur position
géographique et les impacts que l’usage du nucléaire aurait sur leur nation dans le cadre
d’expérimentation militaire ou de la course aux armements. Etant donné l’absence d’un droit
réglementant spécifiquement l’usage de l’énergie atomique à des fins militaires, différentes
42
AIJD, L’Association Internationale des Juristes Démocrates : ses origines, ses caractéristiques, ses activités,
Bruxelles, Ed. AIJD, 1981, pp.4-11. 43
Ibid., p.4. 44
Ibid., p.7. 45
ONU, « Résolution 110 (II) AG Résolutions adoptées par l’Assemblée Générale au cours de la deuxième session », ONU.org [En Ligne] http://www.un.org/french/documents/ga/res/2/fres2.shtml (Consulté le 15 mai 2014)
15
notions du droit international, déjà existantes, vont être utilisées. Parfois, celles-ci remontent
jusqu’au 17e siècle comme la conception de Grotius sur le droit des peuples et de la guerre
46.
« L’usage de la violence en temps de guerre n’est pas illimité et doit respecter l’homme et sa
dignité pour que le civil et le combattant soient épargnés dès que cela est possible »47
.
De manière analogue aux questions politiques, le droit international posera comme
problématique la définition de la nature d’une arme atomique. Certains la caractérisent
comme une arme défensive, ce qui, pour rappel, n’est pas admissible pour le CMP, et ne le
sera pas non plus pour l’AIJD. Les juristes démocrates vont tenter de déterminer la nature de
l’arme atomique comme une arme d’agression au vu de ses effets secondaires à long terme sur
l’être humain. Cependant, cette question de savoir si l’arme atomique est une arme
conventionnelle ou non posera problème en droit international comme au sein de l’ONU lors
des discussions politiques. En effet, mettre en place un accord de désarmement entre les deux
blocs intriqués dans la Guerre Froide semble complexe car ceux-ci n’ont pas la même
définition de ce que doit être un désarmement général. En 1947, avant que L’URSS ne
découvre la bombe atomique, elle demandait d’abord un désarmement nucléaire complet en
même temps que le contrôle de celui-ci, tandis que les Etats-Unis proposaient en premier lieu
un désarmement progressif des armes conventionnelles et par après l’application d’un
contrôle. De cette manière, le désarmement nucléaire ne s’opèrerait que suite au désarmement
conventionnel. Cette question évoluera au sein des débats de l’ONU et des différentes sous-
commissions qui ont été évoquée précédemment. Par conséquent, il apparait que les débats et
les arguments mis en avant par l’AIJD évoluent au diapason des décisions et des propositions
politiques sur cette problématique. ( Cf. Annexe 5)
Dans les premières années, les juristes affirmeront que « le droit international ne suit
pas l’évolution du progrès technique »48
. Son but étant « le maintien et le renforcement de la
paix dans le monde »49
. Pour cela, l’AIJD va tenter de définir le droit international relatif aux
armements atomiques et aux expériences au travers de la coutume et de la jurisprudence déjà
existantes50
. En effet, selon le juriste japonais Hirano, « le droit de la guerre élaboré à
46
W. M. STANDARD, « Les explosions atomiques et le droit international », p.31 et R. BYSTRICKY, « Le
problème du désarmement en droit international », in AIJD, Contribution à l’étude des problèmes du
désarmement, Bruxelles, Ed. AIJD, 1958, p.7. 47
W.M. STANDARD, Ibid., p.31. 48
B. VITANYI, « Les armes et objectifs prohibés selon le droit international public», AIJD, Contribution à
l’étude, 1958, p.50. 49
R. BYSTRICKY, « Le problème du désarmement en droit international », AIJD, Contribution à l’étude, 1958,
p.11. 50
T. CYPRIAN, « L’interdiction des armes de destruction massive et la sécurité collective », AIJD, Droit au
service de la paix- Revue de l’AIJD, Bruxelles, Ed. AIJD, 06/1955, n°1, p.17; J.N. MALLIK, « Problème de
droit international », in AIJD, Problèmes juridiques nés du développement et de l’utilisation de l’énergie
16
l’époque pré-atomique doit être refondu »51
. Alors que les débats des cinq grandes puissances
au sein de l’ONU se penchent sur la question de savoir si le désarmement des armes
conventionnelles doit se faire avant le désarmement des armes nucléaires tout autant qu’ à
quel moment son contrôle devrait être institué, l’URSS découvre le moyen de construire la
bombe thermonucléaire. Suite à cela, en 1954, la politique de l’Occident à propos du
désarmement nucléaire se modifie. Désormais, celle-ci proposera un désarmement nucléaire
progressif en même temps qu’une baisse progressive des armes conventionnelles. Le débat
entre les deux blocs se déplacera donc autour de la question d’un désarmement progressif
(pour les Etats-Unis, la France et l’Angleterre) ou d’un désarmement complet (pour l’URSS).
En parallèle, et ce entre 1954 et 1960, un argument régulièrement mis en avant par les
juristes démocrates est celui de la liberté des mers52
. Il prend place plutôt dans la question de
l’expérimentation militaire des bombes atomiques et des bombes à hydrogène par les Etats-
Unis dans le Pacifique, l’URSS dans les mers de Sibérie et la Grande-Bretagne dans les îles
Christmas53
. Les juristes attachés à cette définition de la liberté des mers et du commerce en
Haute mer sont ceux des nations directement atteintes par les effets secondaires des
expériences nucléaires. Ils sont Japonais, Indiens et parfois Tchécoslovaques pour les juristes
provenant de nations directement touchées par les expériences54
. Des juristes anglais,
américains et soviétiques prennent également ce parti étant donné l’action de leur
gouvernement dans l’usage des explosions nucléaire en haute mer55
. Cette conception appuie
atomique, Travaux de la deuxième commission, VIIe congrès de l’AIJD à Sofia 10-14 octobre 1960, Bruxelles,
Ed. AIJD, 1960, pp. 80-84. 51
Y. Hirano, « Pour un accord international sur l’interdiction des armes nucléaires », in AIJD, Contribution à
l’étude, 1958, p.72. 52
W. M. STANDARD, « Les explosions atomiques et le droit international », p.31 et B. VITANYI, « Les armes
et objectifs prohibés selon le droit international », AIJD , Contribution à l’étude, 1958, p.46-58 , S. SHIELDS
« Experimentation with Thermonuclear Weapons and International Law », pp.12-19 ; M. ZeiDin pp.21-25 ; Y.
HIRANO « Our Experience and The Effects of Explosion Experiments of H-Bombs in the Pacific» pp.27-33, I.
YAMANOUCHI, « Appeal for Prohibition of Atomic and Hydrogen Weapons » et J. JODLOWSKI, p.34-40, in
AIJD, Les juristes prennent position,1954, pp.5-11; K. YASUI, « L’interdiction de toutes les armes atomiques, à
hydrogène et autres armes de destruction massive », pp.7-9 et T. CYPRIAN, « Interdiction des armes de
destruction massive et sécurité collective », pp.13-15 in AIJD, Droit au service de la paix, 06/1955, n°1; G.
FISCHER, « Le droit international et les expérimentations des armes nucléaires », in AIJD, Droit au service de
la paix, 06/0957, n°1, pp.13-23. 53
Cf. LEGUELTE G., Histoire de la menace nucléaire, Paris, Hachette, 1997. 54
I. YAMANOUCHI, « Appeal for Prohibition », pp.5-11 et Y. HIRANO Y. HIRANO « Our Experience and The
Effects» pp.27-33, in AIJD, Les juristes prennent position, 1954 ; I. YAMANOUCHI, « Pour la prohibition de
l’Arme atomique et de l’arme thermo-nucléaire », AIJD, Droit au service de la paix, 1954, pp.103-107; K.
YASUI, « L’interdiction de toutes les armes», in AIJD, Droit au service de la paix, 06/1955, n°1, pp.7-9; Y.
POKSTEFL, « Evolution et situation des pourparlers sur le désarmement », pp.16-30 et D.N. SHINA,
« L’expérimentation des bombes thermo-nucléaires est-elle légale ? », AIJD, Contribution à l’étude des
problèmes du désarmement, Bruxelles, Ed. AIJD, 1958, pp.59-65. 55
W. M. STANDARD, « Les explosions», AIJD, Contribution à l’étude des problèmes du désarmement, 1958,
p.31-45; S. SHIELDS, « Experimentation with Thermo-nuclear» pp.12-19 in AIJD, Les juristes prennent
17
notamment l’interdiction des expériences nucléaires en Haute Mer considérées par l’AIJD
comme une atteinte au droit international56
. Ce préjudice intéresse notamment les eaux
pacifiques proches du Japon qui va voir une série de pêcheurs japonais touchés par les
expériences des îles Marshall, que ce soit les villages japonais connexes ou les eaux
territoriales atteintes entravant le commerce japonais du poisson57
. De cette manière, la
création de zone maritime fermée est considérée comme une violation du droit international
de la liberté de navigation et de commerce en Haute mer58
. L’argument de la violation de la
charte de l’ONU sera aussi avancé à propos des effets des explosions sur les populations
civiles mises sous tutelle.59
« Les îles Marshall ont été placées par l’ONU sous tutelle
stratégique des Etats-Unis. Cela veut dire que la sécurité des civils doit être considérée par le
gouvernement tuteur »60
. Ainsi, il est inscrit dans la charte que les gouvernements s’occupant
de la tutelle doivent assurer la sécurité des populations. Cependant, cette tutelle stratégique ne
leur prête pas pour autant les compétences pour délimiter des zones d’essais nucléaires. Pour
Hirano toujours, « les expériences atomiques ne peuvent être considérées comme une
recherche scientifique. Ce sont des manœuvres militaires de préparation de guerre atomique
et donc d’une guerre camouflée »61
. Les juristes considèrent la fermeture des mers comme un
abus de droit d’un Etat sur un autre même si celui-ci justifie que cela se fait pour protéger la
population des émissions radioactives62
. De plus, « l’explosion expérimentale est comme un
procédé de Guerre Froide destiné à intimider par la supériorité des armes atomiques un
position, 1954; G. FISCHER, « Le droit international et les expérimentations des armes nucléaires », in AIJD,
Droit au service de la paix, 06/1957, n°1, pp.13-23. 56
W. M. STANDARD, « Les explosions», p.32 et B. VITANYI, « Les armes et objectifs prohibés selon le droit
international public», p.57, in AIJD, Contribution à l’étude des problèmes du désarmement, 1958; D. N. SINHA,
« L’expérimentation des bombes», pp.59-65 et R. KIEFI « La position des juristes en France sur les
conséquences juridiques des expériences nucléaires », pp. 39-42, B. N. BARNEJEE, pp.75-76, in AIJD,
Problèmes juridiques nés du développement, 1960. 57
B. VITANYI, « Les armes et objectifs prohibés», AIJD, Contribution à l’étude, 1958, p.57; I. YAMANOUCHI,
« Appeal for Prohibition of Atomic and Hydrogen Weapons », pp.5-11 et J. JODLOWSKI, p.34-40, in AIJD, Les
juristes prennent position, 1954. 58
I. YAMANOUCHI, « Appeal for Prohibition», pp.5-11et S. SHIELDS « Experiments with Thermonuclear
Weapons and International Law », p.16-19, in Les juristes prennent position, 1954 ; Y. HIRANO, « Quelques
observations sur l’illégalité des explosions expérimentales en haute-mer », in VIe Congrès de l’AIJD à Bruxelles
du 22 au 25 mai 1956, compte-rendu des débats et rapport de la Commission, Bruxelles, Ed. AIJD, 1956, pp.60-
63. 59
I. YAMANOUCHI, « Appeal for Prohibition», in AIJD, Les juristes prennent position,1954, pp.5-11; K.
YASUI, « L’interdiction de toutes les armes atomiques, armes à hydrogène et autres armes de destruction
massive », in AIJD, Droit au service de la paix, 06/1955, N°1, p. 7; G. FISCHER, « Le droit international et les
expérimentations des armes nucléaires », in AIJD, Droit au service de la paix, 06/1957, N°1, p. 13-15. 60
S. SHIELDS « Experiments with Thermonuclear Weapons and International Law », in AIJD,Les juristes
prennent position, 1954,p.16. 61
Y. HIRANO, « Droit à l’âge atomique », in AIJD, Droit au service de la paix, 06/1957, N°1, p. 8. 62
W. M. STANDARD, « Les explosions atomiques», AIJD, Contribution à l’étude, 1958, p.39 ; Y. HIRANO
« Our Experience and The Effects of Explosion Experiments of H-Bombs in the Pacific », pp.27-33;J.
JODLOWSKI, pp.34-35, in AIJD, Les juristes prennent position, 1954.
18
ennemi supposé et encourager les états alliés du même bloc militaire »63
.William Standard,
juriste anglais et conseiller auprès de la reine résumera cet argument comme suit : « La
fermeture d’une large étendue de la haute mer pour des explosions nucléaires ne peut
juridiquement se justifier »64
.
Un autre élément juridique qui apparait dans les discussions et les publications des
juristes démocrates est celui du droit des gens. Cet argument sera utilisé – tout comme le
précédent – pour justifier l’interdiction des expérimentations nucléaires en temps de paix car
celles-ci auraient un impact sur les populations civiles en raison des effets secondaires de la
radioactivité. Ceux-ci feront en premier lieu usage de traités, conventions et diverses clauses
relatives au droit des populations civiles mais aussi aux règlementations légales concernant
l’utilisation des armes chimiques, bactériologiques et de destructions massives comme, entre-
autres, le Protocole de Genève de 1925 et la Convention de Genève de 194965
. Dans l’usage
de cette législation internationale existante, il est également possible de remarquer une
évolution des propos juridiques jusque dans les années 1955. De fait, à partir de 1954, les
publications feront une référence presque systématique à la Convention de Genève conclue en
1949 concernant la protection de la population civile66
. Pour les juristes démocrates, celle-ci
possède une valeur positive en droit. Et ce, même si elle n’a pas été ratifiée par les Etats-Unis,
ni par le Japon. Pourtant, ils affirment que cette convention aurait permis d’endiguer l’usage
d’armes de destruction de masses, bactériologiques et chimiques durant la Seconde Guerre
mondiale. À cette image, elle devrait s’étendre aux armes nucléaires considérées par l’AIJD
comme instrument de destruction de masse, bactériologique et chimique67
.
Directement corrélé au précédent argument, le droit international relatif au droit de la
guerre. Pour ce faire, différentes références seront faites au droit international déjà existant - à
63
Y. HIRANO, « Quelques observations sur l’illégalité», in VIe Congrès de l’AIJD, 1956, pp.63; K. YASUI,
« L’interdiction de toutes les armes », in AIJD, Droit au service de la paix, 10/1955, n°2, pp.8-10; G. FISCHER,
« Le droit international et les expérimentations», AIJD, Droit au service de la paix, 06/1957, N°1, pp.13-23. 64
W. M. STANDARD, « Les explosions atomiques », AIJD, Contribution à l’étude, 1958, p.37. 65
W. M. STANDARD, « Les explosions atomiques», p.31, et B. VITANYI, « Les armes et objectifs prohibés», in
AIJD, Contribution à l’étude, 1958, p.50; S. SHIELDS, « Experimentation with Thermonuclear Weapons and
International Law » pp.12-19, M. ZEIDIN, pp.21-25, Y. HIRANO, « Our Experience and The Effects», pp.27-
33, I. YAMANOUCHI, « Appeal for Prohibition», pp.5-11 et J. JODLOWSKI, p.34-40, in AIJD, Les juristes
prennent position, 1954; K. YASUI, « L’interdiction de toutes les armes», pp.7-9 et T. CYPRIAN, « Interdiction
des armes de destruction massive et sécurité collective »,pp.13-15, in AIJD, Droit au service de la paix, 06/1955,
n°1; G. FISCHER, « Le droit international et les expérimentations», in AIJD, Droit au service de la paix,
06/0957, n°1, pp.13-23. 66
D.N. PRITT, Le droit international et les armes atomiques, AIJD, juillet 1950, p.1-15 ; R. BYSTRICKY, « Le
problème du désarmement en droit international », AIJD, Contribution à l’étude, 1958, pp. 12-14. 67
M. ZEIDIN, in AIJD, Les juristes prennent position, 1954, p.22.
19
commencer par celui proposé par de Grotius dans « de mare bellum »68
. A cela s’ajoutent des
références au droit international émis au XIXe siècle comme la déclaration de Saint-
Pétersbourg (1868) qui condamne l’usage de projectiles explosifs ainsi que la déclaration de
la Haye (1899) interdisant l’usage de balles dum-dum et des gaz asphyxiants ou délétères.
Pour le droit international du début du XXe siècle, les juristes démocrates s’appuyaient sur la
Convention de la Haye (1907) qui interdit pour un certain temps la projection d’explosifs par
ballons - notamment la clause Martens relatives aux droits et coutumes de la guerre sur terre
et sur le Protocole de Genève (1925) interdisant l’utilisation d’armements chimiques,
bactériologiques et de destruction massive de la population civile. Tous les juristes
démocrates - peu importe leur nationalité - feront usage de ce droit international positif déjà
existant. Il semble être le discours central au sein des publications de l’AIJD entre 1954 et
196069
. L’ensemble de ces traités et conventions trouveraient leur justification dans la
conception du droit international autour de la bombe atomique définie comme arme aveugle
par la majorité des juristes démocrates70
. Dans le droit de la guerre, pour ce qui est relatif au
volet répressif, les juristes démocrates signalent que les différentes législations relevant du
droit international déjà existant à l’époque ne suffisent pas à l’assurer en cas d’usage de
l’arme atomique. Pour cela, des références constantes aux Tribunaux Internationaux de
Nuremberg et Tokyo sont exposées afin d’affirmer que le premier gouvernement qui utiliserait
une bombe atomique devra être considéré comme un criminel de guerre pour avoir commis un
crime contre l’humanité71
. Certains juristes, comme le Polonais Jodlowski, iront jusqu’à
affirmer que l’utilisation de la bombe atomique relève du génocide72
.
Aux cours des dernières années étudiées, et ce, dès 1958, quelques juristes démocrates feront
référence aux bombardements indiscriminés déjà punis par la législation internationale
existante dans le but de confirmer l’illégalité de l’arme atomique. Cette partie du droit de la
68
Grotius écrit « De Mare Bellum » en 1625. Cet ouvrage de droit concerne les règlementations de la guerre en
mer et est considéré comme une base par les juristes du droit international. 69
S. SHIELDS, « Experimentation with Thermonuclear Weapons and International Law », pp.12-19, M. ZEIDIN,
pp.21-25, Y. HIRANO, « Our Experience and The Effects» pp.27-33, I. YAMANOUCHI, « Appeal for
Prohibition », pp.5-11 et J. JODLOWSKI, p.34-40, in AIJD, Les juristes prennent position,1954; K. YASUI,
« L’interdiction de toutes les armes», pp.7-9 et T. CYPRIAN, « Interdiction des armes», pp.13-15, in AIJD, Droit
au service de la paix, 06/1955, n°1; G. FISCHER, « Le droit international et les expérimentations», AIJD, Droit
au service de la paix, 06/0957, n°1, pp.13-23; D.N. PRITT, Le droit international et les armes atomiques, AIJD,
juillet 1950, p.1-15; R. BYSTRICKY, « Le problème du désarmement en droit international », pp. 5-9, W. M.
STANDARD, « Les explosions atomiques», p.31, B. VITANYI, « Les armes et objectifs», p.50, Y. HIRANO, «
Pour un accord international sur l’interdiction des armes nucléaires », pp.66-70, A. BRAMSON, « Le droit
international et la dénucléarisation », AIJD, Contribution à l’étude, 1958. 70
I. YAMANOUCHI, « Appeal for Prohibition», in AIJD, Les juristes prennent position, 1954, pp.5-11; Y.
HIRANO, « Pour un accord international sur l’interdiction des armes nucléaires », AIJD, Contribution à l’étude,
1958, p.67. 71
Cf. Supra note 68. 72
J. JODLOWSKI, in AIJD, Les juristes prennent position, 1954, p.34-35.
20
guerre établit la distinction entre une ville considérée comme une base militaire et les effets
qu’une bombe peut avoir sur une ville composée d’une population civile73
. Cela leur permet
également de faire référence aux bombes d’Hiroshima et Nagasaki qui, à cette époque, ont
déjà commencé à voir fleurir toute une série de rapports et de publications historiques et
juridiques sur les évènements d’août 1945. Ainsi, le règlement de la Haye rend injustifiable
les bombardements sur une ville non-défendue. Le droit international de la guerre définit une
ville défendue comme « une base de résistance aux forces armées de l’un des belligérants »74
.
De 1954 à 1959, un quatrième thème apparait dans les publications. Il sera celui du
réarmement de l’Allemagne Occidentale tandis que ces mêmes débats au sein de l’OTAN
commenceraient à voir des divisions se former parmi ses membres dans les années 195075
.
Comme il a été précisé précédemment, au sein du CMP cette question était déjà débattue en
1950. En parallèle, ce débat se déplace au sein de l’AIJD dès 1954. Pourtant, la place
accordée dans les discours des juristes concernant le réarmement de l’Allemagne s’accroit
dans les années 1958 et 1959. Au vu de leur proximité géographique, les juristes qui porteront
cette question dans la sphère du droit international sont principalement ceux de nationalité
française, polonaise et allemande76
. En 1959, un représentant de l’Allemagne Occidentale non
identifié publie dans la revue de droit international un rapport sur le réarmement de la
République Fédérale d’Allemagne. Celui-ci prend position contre les armes atomiques
entreposées sur le territoire allemand. Cela est contraire au droit et transgresse principalement
les accords de Yalta et de Potsdam. En effet, « les accords de la communauté européenne de
défense atomique autorise la RFA à faire de la recherche dans les armements militaires dont
font parties les armes atomiques »77
. Même si ces mesures sont justifiées comme moyen de
défense en cas d’agression, elles seraient contraires au droit international78
. Ainsi, les juristes
démocrates entreverront la possibilité de considérer la réunification de l’Allemagne au travers
du problème de désarmement79. Il semble que ce soit suite à la présentation du « Plan
73
Y. HIRANO, « Pour un accord international», Contribution à l’étude, 1958, p.70. 74
Y. HIRANO, ibid., p.70. 75
A. BRAMSON, « Le droit international et la dénucléarisation », pp. 75-81 et J. JODLOWSKI, « Quelques
considérations sur la plan Rapacki », pp.83-87, in AIJD, Contribution à l’étude des problèmes du désarmement,
1958. 76
A., « Rapport d’un représentant de l’Allemagne Occidentale sur la préparation de la guerre atomique en
Allemagne », in AIJD, Les juristes prennent position, 1954, pp.42-48. 77
Ibid., p.44. 78
Ibid., p.46. 79
G. REINTANG, « L’ONU, les pactes régionaux, le désarmement et la question allemande », AIJD, VIe
Congrès de l’AIJD, 1956, p.51.
21
Rapacki »80
en 1958 que cet élément sera porté en lumière du droit international. Dès ce
moment, les juristes démocrates vont s’intéresser plus longuement à la question de
l’Allemagne au travers de l’analyse argumentaire du plan polonais. Le plan Rapacki est une
proposition du ministre des Affaires Etrangères polonais Adam Rapacki (1909-1970) en vue
de créer une zone dénucléarisée en Europe qui comprendrait les deux Républiques
allemandes, la Pologne et la Tchécoslovaquie. Au regard du droit international, l’adoption de
ce plan provoquerait l’abandon d’une partie de la souveraineté des Etats de la zone
dénucléarisée. Pourtant, il est vu comme une possibilité nouvelle en droit international de
faire avancer la question de désarmement généralisé. Le juriste polonais Jadolwski résume la
position des juristes démocrates en ces mots : « Toute solution partielle comme le Plan
Rapacki permet de contribuer à renforcer le sentiment de sécurité et à rapprocher du but de
l’organisation d’un système de sécurité collective et le désarmement universel »81
. Au sein de
cet article, il est également possible de trouver une référence à un juriste démocrate belge,
Henri Rolin. Celui-ci met en avant qu’Henri Rolin était favorable au « Plan Rapacki » et
considérerait l’application d’une zone dénucléarisée comme le premier pas vers le
désarmement total et général82
.
Dès 1957, un cinquième argument commence à peser dans les justifications avancées
par quelques juristes de l’AIJD. Il s’agit de la théorie de la souveraineté de l’Etat83
. Selon les
juristes, les Etats souverains sont contraints à adhérer à l’un des deux blocs militaires, ce qui
atteint leur droit de souveraineté84
. « Le fait que les états adhèrent à des pactes pour assurer
leur sécurité limite leurs champs d’action et leur liberté souveraine »85
. Cet argument prendra
place dans les explications pour arrêter les expérimentations nucléaires mais aussi dans le cas
où une bombe atomique serait envoyée sur un pays. De cette façon, ils justifient le fait que les
dégagements radioactifs dans l’espace aérien toucheraient automatiquement les pays voisins
et ce qui ne permet donc pas un usage de la bombe atomique en tant qu’arme tactique et
stratégique ciblée86
. De fait, la bombe atomique est considérée comme une arme aveugle87
.
80
Pour de plus amples informations sur ce plan Cf. E.N. DZELEPY, Désatomiser l'Europe? : La vérité sur le
"Plan Rapacki.", Bruxelles, Ed. Politiques, 1958 ; A. ALBRECHT, Le plan Rapacki : nouveaux aspects,
Warszawa : Zachodina Agencja Prasowa, 1964. 81
J. JODLOWSKI, « Quelques considérations sur le plan Rapacki », in AIJD, Contribution à l’étude des
problèmes du désarmement, 1958, pp.83. 82
Y. HIRANO, «Pour un accord international sur l’interdiction des armes nucléaires », pp.73 et J. JODLOWSKI,
«Quelques considérations sur le plan Rapacki », pp. 88, in AIJD, Contribution à l’étude des problèmes du
désarmement, 1958. 83
Y. HIRANO, « Droit à l’âge atomique » AIJD, Droit au service de la paix, 06/1957, n°1, p. 6-8. 84
Ibid., p. 10-11. 85
Ibid., p. 6. 86
D.N. PRITT, Le droit international et les armes atomiques, AIJD, juillet 1950, p.5.
22
Les juristes justifient cette atteinte au droit international au travers des conventions de Paris
du 13 octobre 1919 sur la navigation aérienne et de Chicago de 1944 sur l’aviation civile
internationale88
. Ils appuient le principe que la souveraineté de l’Etat est appliquée à l’espace
aérien et maritime. De fait, en cas d’expérience ou d’usage de la bombe atomique, une
pollution des émissions radioactives dans l’espace aérien et maritime voisin est à prévoir. Par
conséquent, au travers de cette notion de souveraineté de l’Etat se pose une nouvelle fois la
question de savoir si l’arme nucléaire est une arme conventionnelle comme les armes à feu
ainsi que le contingentement de l’armée ou une arme extraordinaire à portée de destruction de
masse. Dans les années 1960, les juristes démocrates feront brièvement une critique du Traité
Euratom instauré en 1956. Ceci toujours dans l’idée de justifier le concept de souveraineté
d’un Etat. D’après eux, il n’explicite pas clairement l’utilisation du nucléaire dans la
recherche et l’expérimentation dans un cadre pacifique et permettrait donc un usage militaire
de celui-ci par les pays signataires89
. Il est perçu comme l’exemple « d’une collaboration
basée sur un principe d’inégalité, la suppression de la souveraineté, la méfiance et l’esprit de
concurrence »90
.
Un dernier type d’argumentaire apparaitra entre 1960 et 1963. Ce sera celui de
l’utilisation de l’énergie atomique à des fins pacifiques qui, dans la conception des juristes
démocrates, est endiguée et restreinte par l’usage du nucléaire militaire. En effet, ceux-ci
s’identifient de plus en plus aux arguments avancés par le CMP dès 1949 - comme il a été
explicité précédemment- avec une approche de la science qui pourrait servir au progrès et à
l’amélioration du bien-être de l’humanité ainsi qu’à l’impératif de transformer les stocks
d’armes militaires pour l’usage des industries dans l’énergie atomique pacifique. Dès ce
moment, les juristes démocrates vont commencer, quand ils parleront de la question du
nucléaire - ce qui se fera rare dès ces années- à positionner le droit international plutôt dans un
droit international privé portant sur la question de protection des civils et des travailleurs
scientifiques dans l’usage et le transports des matières radioactives. Cette conception du
nucléaire civil dans le droit international sera appuyée par des affirmations concernant le droit
des peuples et la souveraineté des Etats. Celles-ci appuieraient l’argument que les ressources
87
I. YAMANOUCHI, « Appeal for Prohibition», in AIJD, Les juristes prennent position, 1954, pp.5-11. 88
W. M. STANDARD, « Les explosions atomiques», AIJD, Contribution à l’étude, 1958, p.31 et p.40. 89
W. M. STANDARD, « Les explosions atomiques, p.31, B. VITANYI, « Les armes et objectifs prohibés», p.50,
Y. HIRANO, «Pour un accord international», pp.66-69, A. BRAMSON, «Le droit international et la
dénucléarisation », AIJD, Contribution à l’étude, 1958. 90
J. PETRZELKA, « Aspect juridiques nés de l’utilisation pacifique de l’énergie atomique », in AIJD, VIIe
congrès de l’AIJD, 1960, p.12.
23
nationales doivent rester la possession de la nation91
. C’est à ce moment que les juristes vont
faire le plus de références aux discours du CMP. Pour rappel, l’opinion publique dans le droit
international est d’une importance primordiale pour ces juristes. Pour cela, ils appuieront leurs
arguments juridiques par des références aux appels de Stockholm et de Vienne de même que
sur l’importance du rôle du CMP dans la transmission d’information à la masse populaire.
Bien que ces références ponctuelles étaient déjà présentes dans un ou deux articles dès 1954,
leur apogée sera bel et bien dans les dernières années de publication de l’AIJD autour de la
question du désarmement nucléaire et ce, jusqu’en 196092
.
Enfin, au tournant de cette même année, les discussions des juristes démocrates autour
de la question du nucléaire militaire s’essoufflent jusqu’à disparaitre de leur publication en
196393
. Bien qu’il semble toujours en être question dans une chronique sur le désarmement,
elle adoptera une tournure plutôt politico-historique que juridique. En 1963, l’AIJD cesse de
publier des éditions spéciales portant sur la question du désarmement ainsi que des articles
dans la revue biannuelle. La question du droit international commence à se porter de plus en
plus vers celle des pays en voie de développement, du droit des peuples, des questions
économiques et sociales mais aussi de la décolonisation. Bien que la chronique sur le
désarmement fasse référence à l’évolution des débats de l’ONU autour de l’arrêt des
expériences nucléaire entre 1961 et 1962, aucune analyse juridique ne sera apportée au sein
des publications de l’AIJD sur cette question. De même, il ne sera fait aucune référence au
Traité de Moscou de 1963 qui voit les grandes puissances se mettre d’accord sur l’arrêt des
expériences nucléaires, question qui avait pourtant été débattue dès 1954 au sein des revues de
l’association.
L’usage militaire du nucléaire une question absente du Droit
International chez les juristes démocrates et « partisans pour la paix »
belges ? (1949-1963)
Les intervenants belges au sein du CMP sont principalement des physiciens, mineurs,
syndicalistes ou dessinateurs qui font de brèves allocutions94
. Leur questionnement principal
91
J. PETRZELKA, Ibid., p.9-22 ; P. ROMACHKINE, pp.22-23 & p.29-30 et « Résolution sur l’utilisation de
l’énergie atomique », AIJD, VIIe congrès de l’AIJD, 1960, p.150. 92
T. CYPRIAN, « L’interdiction des armes», AIJD, Droit au service de la paix, 06/1955, p.24; D.N. PRITT, Le
droit international et les armes atomiques, 1950, p.12; « Proposition juridique née du développement de
l’énergie atomique », AIJD, Revue de Droit Contemporain, Bruxelles, Ed. AIJD, 06/60, n°1, pp.4-5. 93
La dernière chronique politico-historique trouvée est publiée en 1963 dans la Revue de droit contemporain. 94
CMP, « Discours de M. COSYNS », p.361, « Discours de BRUNFAUP », p. 505-509, in 2e Congrès mondial
des partisans 16-22 novembre 1950, 1951;« Discours de M. COSYNS », pp.513-514, « Discours de
24
concerne les scientifiques belges qui n’ont pratiquement pas accès à des étalons d’uranium
congolais en suffisance pour progresser dans la recherche nucléaire industrielle et pacifique95
.
Cet argument sera émis par Max Consyns, physicien et directeur de l’Institut de recherche de
physique nucléaire belge. Ce scientifique regrette que l’uranium congolais belge soit utilisé à
des fins militaires par les Etats-Unis alors que la science belge ne dispose pas d’assez
d’uranium que pour pouvoir continuer ses recherches dans le domaine de l’industrie
pacifique. Une autre question, qui n’est pas l’objet de l’étude, sera celle des conditions de
travail dans les mines ouvrières en Belgique96
. De manière générale, les Belges sont peu
présents au sein des congrès mondiaux pour la paix. De plus, quand ils le sont, ils prennent
rarement la parole sur la question du nucléaire militaire.
Une personnalité particulière du CMP est Isabelle Blum (1892-1975). Professeur
d’Histoire à l’Université Libre de Bruxelles, membre du Parti Socialiste belge, députée au
sein de la Chambre des Représentants et membre active du CMP, elle prendra part aux
discussions de la Chambre et des congrès mondiaux pour la paix autour de questions aussi
diverses que le désarmement, les guerres du Vietnam et de Corée ou les problèmes de
décolonisation. Pour ce qui est du désarmement, elle fera peu d’interventions au sein de la
Chambre97
. Il est possible de définir son point de vue concernant cette question au travers de
la lecture de cette adresse. Dès 1951, Isabelle Blum s’investira dans le CMP ce qui ne sera pas
vu d’un bon œil le PSB dont elle sera exclue98
. Cependant, sa participation en tant que
présidente de la commission spéciale du CMP pour le désarmement est attestée en 1952. Au
diapason avec les idées du CMP, elle se positionne pour une interdiction de l’usage militaire
de l’énergie nucléaire. D’ailleurs, elle signera tous les appels dont il a été question dans la
première partie de l’article. En faveur d’un contrôle du désarmement régional nucléaire pour
arriver à un désarmement général mondial, sa position défendra également la mise en place
d’une législation internationale concernant les punitions relatives au premier gouvernement
qui utiliserait l’arme atomique. Cette députée militante donne une priorité à l’interdiction de
la bombe atomique et des armes de destruction massive. En ce qui concerne la question
A.MASQUELIER », pp.635-638, « F. LECOCQ », pp.639-641, in Congrès des peuples pour la paix 12-19
décembre 1952, 1953. 95
CMP, « Discours de M. COSYNS », in 2e Congrès mondial des partisans de la paix 16-22 novembre 1950,
1951, p.361. 96
CMP, « Discours de BRUNFAUP », in 2e Congrès mondial des partisans de la paix 16-22 novembre, 1951, p.
505-509; « Discours de F. LECOCQ », in Congrès des peuples pour la paix 12-19 décembre 1952, 1953,
pp.639-641. 97
GOTOVITCH J., BLUME I., « Document 28 tiré du journal Le Peuple du 05/12/1950 », Isabelle Blume:
entretiens / recueillis et présentés par José Gotovitch, Bruxelles, Ed. J. Jacquemotte, 1976, p. 128. 98
Ibid., p. 191.
25
allemande, elle est - tout comme Henri Rolin, les juristes de l’AIJD et les membres CMP -
d’accord sur le fait que l’unification de l’Allemagne ne peut se faire dans la paix et la sécurité
si la partie ouest est réarmée99
. « Il faut commencer par ne pas réarmer l’Allemagne »100
.
Suite au second congrès, elle sera envoyée dans la délégation du CMP à l’ONU pour présenter
les idées du comité où elle défendra notamment sa position contre le résarmement allemand et
les expérimentations nucléaires.101
En mai 1958, elle tiendra à Bruxelles le discours
d’ouverture d’un colloque sur le désarmement et la coopération internationale à propos de
l’arrêt des expériences nucléaires et de la création de zones désatomisées en Europe. C’est
notamment au cours de cette allocution en qu’elle appuiera le plan Rapacki102
.
En ce qui concerne les juristes belges, un homme politique, sénateur, juriste démocrate
et professeur de droit à l’Université Libre de Bruxelles sera mis avant. Il s’agit d’Henri Rolin
qui, au travers de l’ouvrage publié par Robert Devleeshouwer103
et des diverses discussions
relatives à la course aux armements - auxquelles il a pris part lors des sessions du Sénat de
1955 à 1963 -, semble faire partie des Belges à avoir pris position. L’intérêt pour la question
du nucléaire militaire semblait absente des discussions en Belgique. En effet, dans les
publications de l’AIJD étudiées, il n’y a pas d’articles publiés par des juristes belges. Bien
qu'ayant participé aux débats du Sénat sur cette question, Henri Rolin reste tout de même le
spécialiste du droit international privé et du droit des gens104
. Cela, même s’il a rédigé un
article sur la bombe atomique en 1955 qui n’a pu être étudié ici105
.
En 1945, lors de la Conférence de San Francisco crééant l’ONU, Henri Rolin est
défavorable au droit de veto accordé aux cinq grandes puissances au sein du Conseil de
Sécurité des Nations Unies. Il rappellera à cet effet l’échec de la Société des Nations avant la
Seconde Guerre Mondiale. Cependant en 1949, il change de position en affirmant qu’ « il
serait une erreur de donner des votes égaux à l’Assemblée Générale et au Conseil de Sécurité
à des puissances de portées aussi incomparables que les USA et la République San
Salvador »106
. Ce spécialiste du droit international des gens est désappointé face à l’échec des
diverses tentatives pour assurer le désarmement alors que l’Article 8 du Pacte de Genève
99
« Document 28 05/12/50 », in Ibid., p.129. 100
Ibid., p.129. 101
Ibid., p.192. 102
Ibid., p.193. 103
DEVLEESHOUWER R., Henri Rolin 1891-1973, Une voix singulière, une voix solitaire, Éditions de
l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1994. 104
D’après l’article biographique écrit par R. Devleeshouwer et publié dans la Biographie Nationale de Belgique.
Cf. <academieroyale.be> 105
Henri Rolin « Outlaw the just bomb », the Nation, New York, 1955. 106
Cité dans DEVLEESHOUWER R., Henri Rolin 1891-1973, Une voix singulière, une voix solitaire, Éditions
de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1994. p.423.
26
reconnait la nécessité d’une baisse progressive des stocks107
. Pour ce sénateur, il ne serait pas
possible de demander aux pays possesseurs de la connaissance relative à l’énergie atomique
dans le but de construire des armes, de déstocker et éliminer ce stock sans instaurer un
contrôle de ce désarmement. D’autant plus que le passage de l’utilisation du nucléaire
militaire à un usage civil ne peut se faire de manière rapide108
. Ainsi, il prendra position pour
une diminution progressive et contrôlée des stocks d’armements atomiques 109
. Pour lui, un
Etat doit posséder « les garanties que si les bombes atomique lui ont été enlevées, elles le sont
aussi à son adversaire éventuel »110
. D’après Devleeshouwer, la politique employée par Henri
Rolin s’inscrit dans l’idée d’un pacifisme relatif. Lui-même se définit comme un
« internationaliste de tendance universaliste »111
. Ainsi, il souhaitait garder des contacts entre
les deux blocs et voir se développer le commerce à l’aide de l’organisation d’un désarmement
lié à une interdiction de l’arme atomique112
. Dans les débats au Sénat, il se positionne de
manière favorable autour de l’idée d’interdire l’arme atomique, l’arme bactériologique ainsi
que pour le contrôle du désarmement par un corps d’expert indépendant dans l’idée que les
Etats facilitent l’accès à leur territoire pour que celui-ci soit effectif113
.
Il soulèvera donc aux cours des débats du Sénat la question du réarmement de
l’Allemagne Occidentale et de son entrée au sein de l’OTAN. Dans son optique, « la détente
ne peut que passer par le règlement du problème allemand qui passe aussi par le
désarmement régional »114
. Son idée se rapproche de celle des membres du CMP quand il
énonce que ce fait concernant la RFA entraverait son unification. Unification qui, dans leur
conception, serait pourtant la seule solution assurant la paix en Europe. Henri Rolin se
positionne d’une manière qu’il dit la plus objective possible dans une tentative de ne prendre
parti pour aucun des deux blocs. Il remettra en question le rôle de défense de l’OTAN et le fait
que l’obligation à un service militaire de deux ans pousserait l’organisation - qui se veut
défensive et pour la sécurité de l’Europe - vers un militarisme. Ses prises de position
concernent donc la sécurité de l’Europe et de la Belgique. Il sera contre l’usage d’arme
nucléaire par les militaires de l’OTAN notamment en cas d’offensive. De plus, il refuse que la
Belgique stocke des armements ou des outils de lancement de bombe nucléaire au sein de son
107
Ibid., p. 425. 108
Cité dans DEVLEESHOUWER R., Henri Rolin 1891-1973, Une voix singulière, une voix solitaire, Éditions
de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1994 p. 427. 109
Ibid., p.428. 110
Cité dans Ibid., p. 429. 111
« Allocation Henri Rolin », An. Se., 1955/1956, 20/03/56, p.875. 112
DEVLEESHOUWER R., Henri Rolin 1891-1973,1994, p. 434. 113
Ibid., p.438. 114
Ibid., p.440.
27
territoire115
. Il avancera pour cela l’idée que la Belgique pourrait soutenir la sécurité et
s’affirmer dans le pacte de l’OTAN en poussant d’autres pays à ne pas posséder d’armes
nucléaires. Cela éviterait à ces petits pays d’être la cible toute choisie des belligérants en cas
de conflit.
En 1958, à la même période où les juristes démocrates s’expriment sur la question, il
affirmera son accord envers le Plan Rapacki. « Le plan peut constituer un point de départ
objectif pour certains car seul le désarmement atomique et pas classique est concerné. Il
conduirait à la neutralisation de l’Allemagne bien que ce plan reste muet sur la question de
neutralité »116
. Il mettra - tout comme les membres du CMP et les juristes de l’AIJD - en
exergue le fait que la création d’une zone dénucléarisée en Europe serait l’assurance d’une
sécurité relative et un premier pas vers le désarmement nucléaire autant que vers le
désarmement général total. Pour ce faire, en 1963, il demandera au gouvernement belge de
s’engager en faveur du plan Rapacki117
. Quelques années plus tôt, en 1960, Henri Rolin
revenait sur l’échec de la conférence au sommet pour le désarmement. « Chaque proposition
sur le désarmement ne pouvait que provoquer le rejet car aucune des deux parties
n’accepterait de voir l’autre avoir l’honneur d’avoir trouvé »118
. (Cf. annexe 5) Une peur
dont il fait part au sein du Sénat est que le lancement d’une bombe nucléaire provoque une
guerre suite à la négligence des gouvernements, qui dans l’idée d’une riposte rapide,
laisseraient les commandes aux officiers militaires. Pour lui, les militaires, pas toujours
soumis aux gouvernements, n’en ont que faire du droit international et du bien-être de la
population. Par conséquent, ils sont susceptibles de déclencher une guerre par bellicisme119
.
De cette manière, sa conception du droit international est très proche des juristes démocrates
et des interventions du CMP. « Tous les juristes du droit international diront que l’intérêt de
la transformation d’une règle coutumière en règle écrite est qu’on lui donne une précision et
une certitude qui sont d’un grand intérêt pour les praticiens »120
. En effet, pour Henri Rolin,
le droit international - bien que critiqué - est la mise en application concrète de traités et
d’accords et permet de rendre officielle une règle coutumière en tant que règle de droit
international acceptée unanimement par les juristes du monde entier.
115
Ibid., p.439. 116
« Discours Henri Rolin », A. S., an. 1957/1958, C.-R. I. sess. 26/03/1958, p.1174. 117
« Discours Henri Rolin », A. S., an. 1962/1963, C.-R. I. sess. 21/02/1963, p.652. 118
« Discours Henri Rolin », A. S., an. 1959/1960, C.-R. I. sess. 19/05/1960, p.1418. 119
« Discours Henri Rolin », A. S., an. 1961/1962, C.-R. I. sess. 01/03/1962, p.748. 120
« Discours Henri Rolin », A. S., an. 1962/1963, C.-R. I. sess. 21/02/1963, p.645.
28
Conclusion
Cette étude permet de mettre en lumière plusieurs notions dans la question de
l’Histoire du droit international autour du désarmement nucléaire entre 1949 et 1963. Pour
commencer, bien que les membres du CMP et les juristes fassent référence constamment à des
évènements antérieurs et positionnent les bombes lancées sur Hiroshima et Nagasaki comme
le commencement de « l’ère atomique », le préambule de leur prise de position se fait
respectivement dès 1949 et 1954. La période durant laquelle ils vont réellement prendre parti
pour l’interdiction de l’usage nucléaire militaire et des expérimentations se fait donc durant un
laps de temps réduit. Cependant, ce positionnement correspond à l’Histoire des relations
internationales qui se déroule en parallèle au sein des différentes commissions et assemblées
générales relatives à l’ONU. De cette manière, il est possible d’affirmer que, dans la question
du désarmement, le droit international est intrinsèquement lié et contemporain aux conditions
et aux évènements politiques. Les arguments utilisés relèvent généralement des propositions
présentées par les représentants des différents gouvernements appartenant à l’ONU. Ce sont
également celles qui sont débattues du point de vue de la législation internationale déjà
existante par les juristes au cours de leur participation à l’élaboration du cadre juridique de ce
début d’ère atomique. Ainsi, les juristes démocrates sont régulièrement au diapason et en
faveur des plans présentés par les pays « socialistes » mais s’avèrent également critiques face
aux propositions présentées par le « coté occidental ». Cette étude révèle donc une prise de
position juridique qui se reflète dans le conflit opposant le bloc Ouest et le bloc Est dans cette
période. Elle est en quelque sorte la transposition des relations internationales au niveau du
débat juridique, puisque les arguments avancés sont du même type que les gouvernements
communistes. En outre, les juristes qui prennent part à ces discussions au sein de la revue sont
de par leur nationalité quasiment de facto influencés par l’orientation politique de leur partie.
De fait, l’étude de la vision des juristes pro-usage du nucléaire militaire serait un champ de
recherche intéressant à mettre en relation avec la vision proposée dans cet exposé.
Il en est quelque peu de même pour l’évolution argumentaire des membres du CMP
qui se calque elle-aussi bien souvent sur le modèle des propositions politiques présentées par
le bloc Est. Ainsi, les appels de Stockholm, de Vienne et d’Helsinki sont en quelque sorte - et
à quelques mots près - les propositions effectuées par l’URSS en 1950, 1952 et 1954 au sein
des assemblées générales de l’ONU, du Conseil de Sécurité et du comité qui réunit les cinq
29
grandes puissances121
. Tandis que dans les premières années des congrès mondiaux pour la
paix, ils étayaient foncièrement des propos plutôt scientifiques et humanitaires, ils auront dans
l’évolution de leur discours - durant la courte période de 1949 à 1955 – un glissement vers des
arguments de portée de plus en plus juridique. Pourtant, ils seront les premiers, bien avant les
juristes de l’AIJD, à faire référence à l’entrave qu’apportent les recherches pour le nucléaire
militaire dans le développement de l’énergie atomique pacifiste à vue industrielle et de « bien-
être » pour la population. Ainsi, au fur et à mesure des contacts entre juristes et membres du
CMP, cet argument, proposé d’abord par les pacifistes du conseil, prend de plus en plus de
place dans la conception juridique des membres de l’AIJD. Pourtant, le rôle de ce comité est
influencé autant de par les subsides provenant des Etats communistes que par leur politique.
Les congrès ont lieu généralement sur un territoire qui n’est pas neutre politiquement parlant.
De plus, lors du premier congrès, la réunion a du se dérouler dans deux pays différents, une
partie des intervenants n’étant pas autorisés par leur gouvernement à se déplacer dans une
nation considérée comme politiquement contraire à la leur.
Enfin, en ce qui concerne la participation belge à ces débats, autant du côté du CMP
que de l’AIJD, elle apparait comme limitée aux cours de ces années dans la mesure où les
préoccupations principales ont été soit l’économie et l’usage qui tournait autour de l’uranium
congolais belge - qui n’appartenait plus à la Belgique suite aux accords signés pendant la
Seconde Guerre Mondiale avec les Etats-Unis et l’Angleterre - , soit sur les conditions de
travail des mineurs ou encore sur le droit des femmes ou les problèmes que la décolonisation
du Congo commencera à poser dès 1960 à l’économie du pays. Pour Henri Rolin, dès qu’il
s’agira de parler d’énergie d’atomique, l’inquiétude sera de mise concernant le réarmement de
l’Allemagne, le placement de matériel militaire atomique en frontière belge, la création d’une
armée supranationale avec l’augmentation du service militaire à deux années et le traité
économique et de marché qu’est l’EURATOM dès 1956. Ainsi, cette question ne sera pas
réellement étudiée par ce juriste belge en tant que problématique relevant du droit
international dans le contexte de course aux armements et de tension entre deux blocs
ennemis mais comme un aspect politique et économique relevant de la vie politique belge
plutôt qu’internationale. Les questions de droit international pour Henri Rolin seront
principalement celles du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ainsi que les
problématiques engendrées par la colonisation. Enfin, bien qu’ayant des contacts avec les
juristes démocrates comme le signalent certaines références le concernant dans les
121
Etats-Unis, Angleterre, France, URSS, République populaire de Chine.
30
publications, Henri Rolin n’a pas pris part activement à la réflexion sur la question de
l’armement nucléaire au sein de la revue. Comme il l’a été signalé, ce sénateur était plutôt
favorable au désarmement mais restait tout de même nuancé quant à un quelconque
positionnement dans l’un ou l’autre des deux blocs. Concernant Isabelle Blum, son
engagement au sein du CMP et dans ses diverses commissions spéciales pour le désarmement
ne fait aucun doute bien qu’une fois au sein de la Chambre, son discours se soit porté plus
régulièrement sur les conditions de vies ouvrières ainsi que sur les effets de la guerre
bactériologique en Corée et au Vietnam. Quelques années après la période étudiée ici, elle
assurera la présidence du CMP alors que celui-ci se sera déjà tourné vers les questions
entourant les pays nouvellement indépendants en pleine émergence. Isabelle Blum sera donc
un membre belge très actif de ce comité et soutiendra les causes qu’il défend. Une étude des
Annales de la Chambre des Représentant dans la période où Isabelle Blum y participe, aurait
peut-être permis de nuancer ce propos et de découvrir un discours plus présent à propos de la
question de la bombe atomique et des expériences qui y sont relatives. Cela permettra
d’étendre la recherche quant à savoir si les juristes, hommes et femmes politiques belges
auraient pris ou non une position plus affirmée sur la question du désarmement et de l’arme
nucléaire. Mais également, découvrir si les juristes belges ont publié des communiqués à
l’instar de leur comparses japonais, tchécoslovaques, anglais, américains, allemands, polonais
et soviétiques. Au regard de cet exposé, il semble que de manière générale les Belges aient été
discrets à propos du désarmement dans une perspective d’alignement au bloc occidental au
sein de la Guerre Froide.
Ainsi, il faut remarquer qu’au travers des discours replacés dans leur historicité, la
prise de position des juristes, des membres du CMP mais aussi d’Isabelle Blum est orientée
idéologiquement vers les doctrines communistes, - appelées socialistes par les intervenants
étudiés. Seul Henri Rolin tenterait de ne prendre aucun des deux partis au travers de ses
discours. De fait, il serait intéressant de mettre en perspective cette vision juridique du droit
international en opposition ou en complémentarité avec celle des juristes « non-
communistes ». De surcroît, les différents argumentaires sur la question du désarmement se
positionneraient en corrélation avec la nationalité des intervenants. En effet, les différentes
conceptions avancées - autant par les participants du CMP que les juristes démocrates -
semblent intrinsèquement liées à la position géographique et à leur nationalité. De manière
telle que les questions des expérimentations nucléaires seront principalement défendues par
les juristes des nations touchées par celles-ci comme le Japon ou l’Inde, de même que la
31
question de la souveraineté des nations liées à la ressource naturelle qu’est l’Uranium sera
portée par les délégations belges et canadiennes, autour de la table de discussions des CMP.
Le manque de législation en droit international verra donc jongler ces juristes
démocrates avec les conventions, les accords, la jurisprudence et les règles de droit mises en
place depuis le « De mare bellum » de Grotius au 16e siècle jusqu’aux Conventions de
Genève de 1949 et aux Tribunaux Internationaux de Nuremberg et Tokyo. Finalement, suite à
la décolonisation et l’implication de nouvelles nations dans la recherche scientifique, en 1960,
les juristes commenceront à se tourner vers la conception d’un corpus juridique de droit
international privé. La problématique prendra place autour de la question des émanations
radioactives sur la population civile que peut provoquer une centrale nucléaire ainsi que les
transports de matières radioactives vers une industrie de type atomique. Conception évoquée
dès 1949 par les membres du CMP. En 1963, et ce malgré les dix années de discussions à ce
sujet, ces juristes démocrates n’auront pas réussi à trouver de solution au vide juridique relatif
au droit international qu’ils évoquent, ni à émettre un nouveau texte de loi international
entrant dans le domaine du droit international positif qui légiférerait de manière concrète
l’usage de l’énergie atomique à des fins militaires. Leur action principale aura été d’émettre
des propositions et des adresses envoyées aux AG de l’ONU grâce à la présence d’une
délégation de l’AIJD en son sein. Bien que ce droit international soit intrinsèquement lié à la
science politique et à la « vie politique » qui se déroule à cette période, cette « vie politique »
semble ne prêter que peu d’attention à l’apport des arguments juridiques et évolue sans
grandes interférences de la part du droit international. Le Traité de Moscou de 1963 mettra en
place un arrêt des expériences nucléaires durant une période déterminée et ce, de la part de
tous les possesseurs de matériel militaire atomique. Bien que ce Traité fasse office de
première convention en droit international concernant l’utilisation militaire du nucléaire en
temps de paix, il ne semble pas que les juristes aient joués un rôle réel dans son élaboration.
En effet, ce traité s’est conclu entre les cinq grandes puissances autour de discussions
politiques et idéologiques entre les deux blocs. Il est possible que les actions du CMP et de
l’AIJD aient influencé la prise de décisions des gouvernements au sein de l’ONU. Cependant,
aucune source qui n’ait été étudiée dans ce cadre ne permet d’affirmer une quelconque
influence de ces juristes démocrates, ni des partisans pour la paix du CMP au sein des prises
de décisions politiques autour de la question du désarmement général et nucléaire. Et ce, bien
qu’ils siègent aux différentes commissions de l’ONU en tant qu’ONG et malgré le fait que
leurs divers appels et adresses aient été envoyées à celles-ci.
32
Dans sa continuité, l’influence du CMP sur les argumentaires des juristes et les relations
internationale – et inversement- peut poser question. Puisque dès 1956 ses subsides sont
diminués suite à la déstalinisation que reste-il de son « influence » et de son poids dans la
sphère internationale au-delà de cette année ? Bien qu’il n’ait pas été possible de consulter les
publications des congrès mondiaux pour la paix au-delà de 1955, le fait que l’AIJD et le CMP
s’influencent mutuellement peut poser la question de savoir si dans sa continuité celui-ci n’a
pas également délaissé la question atomique pour s’intéresser de manière prioritaire à la
problématique des pays en voie de développement et de ce qui est communément appelé à
l’époque « le Tiers-monde ». Enfin, ces deux ONG ont affirmé à plusieurs reprises
l’importance d’informer l’opinion publique autant que le poids que celle-ci peut avoir sur
certaines décisions politiques. Elles se positionneraient donc en tant qu’intermédiaires entre
les débats au sein de la scène politique internationale et une information relayée à la
population mondiale dans le but de faire agir les consciences en faveur du désarmement
nucléaire. Des juristes et des pacifistes belges peu présents dans la question de l’interdiction
de l’arme atomique, un droit international et un pacifisme dépendants de l’histoire politique et
de ses tensions autour de la course à l’armement mais une histoire politique en période de
Guerre Froide « autonome » du droit international et du mouvement pacifique du CMP, tel
semble être la conclusion de la mise en perspective historique de l’argumentaire des juristes
démocrates, des pacifistes du CMP et des belges présents au sein de ces deux ONG.
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Sources
AIJD, Droit au service de la paix- Revue de l’AIJD, Bruxelles, Ed. AIJD, 1954-1957.
-, Revue de Droit Contemporain, Bruxelles, Ed. AIJD, 1958-1965.
-, Les juristes prennent position contre l’expérimentation et l’utilisation des armes atomiques,
Bruxelles, Ed. AIJD, 1954.
-, VIe Congrès de l’AIJD à Bruxelles du 22 au 25 mai 1956, compte-rendu des débats et
rapport de la Commission, Bruxelles, Ed. AIJD, 1956.
-, Contribution à l’étude des problèmes du désarmement, Bruxelles, Ed. AIJD, 1958.
-, Problèmes juridiques nés du développement et de l’utilisation de l’énergie atomique,
Travaux de la deuxième commission, VIIe congrès de l’AIJD à Sofia 10-14 octobre 1960,
Bruxelles, Ed. AIJD, 1960.
Annales parlementaire du Sénat de Belgique – Compte-rendu intégral, 1955-1963