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UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DE PHILOSOPHIE ET LETTRES SECTION HISTOIRE HIST-B4225-Séminaire de recherche : Epoque Contemporaine Histoire du Droit International Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique Tendance communiste et tendance modérée du Conseil Mondial pour la Paix, de l’Association Internationale des Juristes Démocrates, d’Henri Rolin et d’Isabelle Blum entre 1949 et 1963 Pieter Lagrou Alexiou Yoanna HIST4H 000326646 Année académique 2013-2014 (Première session)
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Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

Mar 31, 2023

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Page 1: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES

FACULTE DE PHILOSOPHIE ET LETTRES

SECTION HISTOIRE

HIST-B4225-Séminaire de recherche : Epoque

Contemporaine

Histoire du Droit International

Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et

politique

Tendance communiste et tendance modérée du Conseil Mondial pour la Paix, de l’Association

Internationale des Juristes Démocrates, d’Henri Rolin et d’Isabelle Blum entre 1949 et 1963

Pieter Lagrou

Alexiou Yoanna

HIST4H

000326646

Année académique 2013-2014 (Première session)

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1

Table des matières

Table des matières __________________________________________________________ 1

Table des abréviations _______________________________________________________ 2

Introduction _______________________________________________________________ 3

Apport des intervenants du Conseil Mondial des Partisans pour la Paix (1949-1955) _____ 7

Evolution historique de l’argumentaire en droit international des juristes de l’Association

Internationale des Juristes Démocrates (1954-1963) ______________________________ 13

L’usage militaire du nucléaire une question absente du Droit International chez les juristes

démocrates et « partisans pour la paix » belges ? (1949-1963) ______________________ 23

Conclusion ________________________________________________________________ 28

Sources __________________________________________________________________ 33

Bibliographie ______________________________________________________________ 34

Sitographie _______________________________________________________________ 35

Annexes _________________________________________________________________ i-xii

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2

Table des abréviations

A.S Annales du Sénat

AG Assemblée générale

AIJD Association Internationale des Juristes démocrates

An. Année(s)

CMP Conseil Mondial pour la Paix

C.-R. I. Compte-rendu intégral

RDA République Démocratique d’Allemagne

RFA République Fédérale d’Allemagne

Sess. Session

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3

Introduction

Une question qui aura des difficultés à trouver son chemin dans l’argumentaire

juridique du droit international qui suit la Seconde Guerre Mondiale pourrait certainement

être celle de l’usage militaire de l’énergie nucléaire, du désarmement et de la non-prolifération

des armes atomiques. L’apparition d’une arme nouvelle qui ne trouve pas d’équivalent

législatif permettant d’assurer un usage ou une utilisation définie par un cadre légal dans le

domaine du Droit International va ouvrir la porte à une série de débats entre juristes. Cela, dès

1947, une fois que les effets secondaires des explosions de « Little Boy » et « Fat Man » sur

Hiroshima et Nagasaki de 1945 commenceront à apparaitre sur la population japonaise.

Dans une tentative de mettre en perspective historique l’évolution d’une série

d’argumentaires à ce sujet, l’accent sera mis en premier lieu sur les propos émis par les

membres du Conseil Mondial des Partisans pour la Paix (CMP) dont les explications relatives

à sa création et à ses fonctions respectives seront explicitées au cours de l’exposé. L’objet de

recherche pour le CMP se fera au travers des publications de leur congrès mondiaux de 1949,

1950, 1952 et 19551. En effet, suite au décès de Staline et à la déstalinisation de l’URSS qui

s’en suit, le comité perdrait peu à peu de sa structure et ne se réunira plus que de façon

ponctuelle dans les années suivantes comme il le sera expliqué dans le prochain chapitre2. De

fait, les sources qui y sont relatives s’en trouvent réduites, d’autant plus que les documents

correspondant aux congrès ayant eu lieu entre 1958 et 1963 ne sont pas disponibles. En

second lieu, l’article se penchera sur l’argumentaire des membres de l’Association

Internationale des Juristes Démocrates (AIJD) à partir de leurs diverses publications,

notamment des articles dédiés au droit international du désarmement. A cet effet, leur revue

publiée sous le nom de « Le droit au service de la paix » de 1954 à 1957 et ensuite de « Droit

international contemporain » de 1958 à 1963 a été dépouillée3. Pour compléter la recherche,

une série de publications « hors-série » relative à la question du désarmement ont également

été étudiées. L’historique de cet argumentaire contre la prolifération de l’arme nucléaire et de

ses expériences se terminera sur la vision de juristes belges démocrates et de parlementaires,

1COMITE MONDIAL POUR LA PAIX (CMP), Congrès Mondial des Intellectuels pour la paix, Wroclaw-

Pologne, 25-28 août 1948, compte-rendu présenté par le Bureau du Secrétaire général de Varsovie, Varsovie,

Ed., 1949 ; -, Congrès mondial des partisans pour la paix Paris-Prague 20-25 avril 1949, Paris, Ed. Français

Réunis, 1949 ; -, 2e Congrès mondial des partisans de la paix Varsovie 16-22 novembre 1950, Ed. Français

réunis, Paris, 1951 ; -, Congrès des peuples pour la paix Vienne 12-19 décembre 1952, Ed. Défense de la Paix,

Paris, 1953 ; -, Congrès des peuples pour la paix, 1955. 2M. PINAULT, « Le Conseil mondial de la paix dans la Guerre Froide », in J. VIGNEUX et S. WOLIKOV (dir.),

Cultures communistes au XXe siècle : entre guerre et modernité, La Dispute, Paris, 2003, pp. 143-156. 3AIJD, Droit au service de la paix- Revue de l’AIJD, Bruxelles, Ed. AIJD, 1954-1957 ; -, Revue de Droit

Contemporain, Bruxelles, Ed. AIJD, 1958-1965.

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membres actifs des deux associations citées précédemment. Cependant, il a été difficile de

trouver des publications écrites par ces acteurs belges qu’ils soient juristes ou membres du

comité des partisans pour la paix. Ceux-ci étant simplement cités dans les listes des membres

du CMP ou dans les articles de juristes démocrates étrangers. Pour cela, le dépouillement

d’une partie des annales parlementaires du Sénat4 entre 1951 - année qui ouvrirait les

discussions relatives à l’énergie atomique à usage militaire - et 1963 était nécessaire. Cela a

permis de se focaliser sur deux Belges en particulier : Isabelle Blum (1892-1975)5 députée à

la Chambre et membre du CMP et Henri Rolin (1891-1973)6, sénateur et juriste. 1963 apparait

comme une date-clé pour conclure cette recherche. D’une part, car les sources concernant les

trois chapitres étudiés commencent à se tarir dès cette année et d’une autre, car c’est l’année

de la signature du Traité de Moscou7. Traité qui consacrera l’arrêt temporaire des expériences

nucléaires, un des sujets le plus discutés par les différents intervenants concernés par cette

étude. Par conséquent, 1963 apparait comme une année charnière où les discussions

concernant l’arme atomique, ses expériences et ses usages semblent laisser le pas aux

questions internationales de droit des gens, décolonisation et pays en voie de développement.

Il aurait été intéressant d’analyser les sessions des annales de la Chambre des Représentant

auxquelles Isabelle Blum a participé. Cependant, cette recherche aurait porté le travail dans

une dimension qu’il n’est pas question d’étudier ici. Pour cela, elles ont été laissées de côté

mais pourraient être étudiées dans le cadre d’une recherche plus étendue afin d’apporter

éléments et subtilités complémentaires à cette étude.

Y-a-t-il eu une évolution de l’argumentaire de ces différentes parties ? Pour ce qui est

des membres du CMP, l’optique serait de démarquer l’existence possible d’arguments

spécifiquement présentés comme non-juridiques dans leur discours et qui pourraient, au

regard d’un juriste, s’avérer avoir une portée juridique. En effet, ce conseil pourrait être lié à

l’Association Internationale des Juristes démocrates car il semblerait que quelques membres

4Sénat de Belgique, Compte-rendu analytique des sessions, Annales 1951-1963. [En Ligne] <senate.be>. Pour le

détail des annales étudiées cf. p.31. 5Isabelle Grégoire-Blum est députée bruxelloise, pacifiste, présidente du CMP de 1966 à 1969. Elle siègera à la

Chambre en tant qu’indépendante dès 1951 suite à son exclusion du PSB et recevra le Prix Staline de la Paix en

1953. Cf. Institut Liégeois d’Histoire sociale <ilhs.e-monsite.com>. 6Henri Rolin est un avocat, professeur de Droit à l’Université Libre de Bruxelles et sénateur belge qui prendra

part aux questions de droit international humanitaire, du droit des gens et des populations et au problème du

réarmement de la RFA dans le cadre de l’OTAN. Cf. R. DEVLEESHOUWER, « Henri Rolin », Biographie

Nationale, T.41, pp.694-698, pdf [En Ligne] <www.academieroyale.be>. 7Ce traité met fin à l’expérimentation nucléaire dans l’espace aérien, l’atmosphère, l’espace et la Haute Mer. Il

est ratifié par l’URSS, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis en 1973. Cf. NATIONS UNIES (DEPARTEMENT

DES AFFAIRES POLITIQUES ET DES AFFAIRES DU CONSEIL DE SECURITE), Les Nations Unies et le

désarmement: 1945-1970, s.l., Nations Unies, 1971 et -, Les Nations Unies et la non-prolifération nucléaire, s.l.,

Nations Unies, 1995.

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fassent partie des deux associations. Une question importante sera de découvrir si ces juristes

démocrates dans leur intervention aux congrès du CMP possèdent une influence juridique sur

les argumentaires et si les discours des membres en son sein ne sont pas plutôt de nature

politique, philosophique, humanitaire ou scientifique. Un autre point intéressant sera de

rendre compte si la nationalité des intervenants, autant du côté de l’AIJD que du CMP, a un

impact sur les propos émis concernant les différentes positions autour du désarmement

atomique. Ainsi, différentes lois internationales seront présentées par les deux parties au sein

de leur discussion comme le droit de la guerre, le droit des gens mais aussi divers accords

comme celui de Potsdam par exemple, dès que la proposition de réarmer l’Allemagne de

l’Ouest se fera. Dans le cas où cet argumentaire est évolutif, il serait intéressant de marquer

les différents points du droit international mis en avant par les juristes démocrates et les

membres des partisans pour la paix dans le but de découvrir s’ils sont comparables ou non,

identiques sur certains points éventuellement, voire complètement opposés. Puisqu’il a été

précisé qu’il n’existait pas, à l’époque, de droit international légiférant explicitement la

question de la bombe atomique et de ses expériences nucléaires, il parait intéressant

également de traverser les différents discours afin de mettre en avant les éléments du droit

international et de la jurisprudence qui seront évoqués pour justifier les arguments de ces

« défenseurs » de la paix. Les discours d’Isabelle Blum et d’Henri Rolin sont-ils dans la veine

des juristes de l’AIJD et des membres du CMP ? Pour tenter de répondre à cette question,

étudier leur appartenance idéologique ainsi que leurs arguments politiques, juridiques et

scientifiques sera une tentative intéressante de positionner la Belgique, principale fournisseur

d’Uranium aux Etats-Unis, dans cette question d’utilisation militaire de la recherche nucléaire

et des expériences atomiques8.

Pour ce qui est de l’historiographie existante, elle concerne rarement l’histoire du droit

international sur la question de l’utilisation militaire du nucléaire. Un ouvrage français

contextualise cette histoire au travers de l’analyse de l’Annuaire Français de droit

international mais en ce qui concerne le cas belge, peu de recherches semblent avoir été

effectuées9. Il existe également une série d’ouvrages en droit international démontrant les

conceptions juridiques au travers de l’évolution des pourparlers au sein de l’ONU10

. Pourtant,

la plupart des recherches actuelles analysent principalement le volet histoire politique de la

8J. E. HELMREICH, Gathering Rare Ores: The Diplomacy of Uranium Acquisition, 1943-1954, New Jersey,

Princeton University Press, 1986. 9J.-M.LAVIEILLE, Droit international du désarmement et de la maîtrise des armements, Paris, L’Harmattan,

1997. 10

A.MIATELLO, L'arme nucléaire en droit international, Bern, Peter Lang, 1987 ; A. SAYED, Quand le droit

est face à son néant: le droit à l'épreuve de l'emploi de l'arme nucléaire, Bruxelles, Bruylant, 1998.

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course aux armements ou l’évolution chronologique des différents accords et traités mis en

place par l’ONU - comme l’EURATOM (1956) - ou encore l’histoire d’organisation comme

l’OTAN (1949) ou son parallèle du bloc Est qui découle du traité de Varsovie11

. Pour ce qui

est de l’AIJD, seul un ouvrage écrit par l’Association Internationale des Juristes Démocrates

elle-même est disponible et retrace son histoire et ses actions12

. Il en est de même pour le

CMP qui voit un chapitre dédié à son histoire dans un ouvrage portant sur « la culture

communiste »13

. Afin de simplifier la recherche et certaines notions-clés au niveau de la

sémantique, des ouvrages traitant du contrôle et du désarmement en général ont également été

utilisés en complément14

.

Dans ce contexte de début de Guerre Froide, où deux blocs s’opposent, où les

discussions politiques au niveau de l’Organisation des Nations Unies, la création d’accords

internationaux et d’organisations comme le Pacte Atlantique, la Communauté Européenne de

Défense et les divers accords bilatéraux entre grandes puissances se mettent en place, la

question de la possession de la bombe atomique et de la bombe hydrogène a été étudiée en

long et en large dans le domaine de la science politique et de l’histoire politique. De fait,

poser cette question du désarmement au travers du regard d’une organisation pacifique sans

but lucratif, de juristes de droit international, ainsi que de la vision de deux parlementaires

belges, pourrait offrir une approche inédite sur ce qui a déjà été produit. D’autant plus, que les

deux ONG possèdent un droit de consultation aux AG des Nations Unies tout comme les deux

représentants belges qui sont envoyés régulièrement au sein de délégation à l’ONU. Cela

mettra également en lumière le rôle de ces pacifistes et du droit international dans la mise en

place des relations internationales durant cette période souvent décrite comme critique de

l’histoire contemporaine.

11

Cf. Annexe 5 et G. BERLIA, Problème nucléaire et relations internationales, Paris, Les Cours de droit, 1972.

M. F. FURET, Le Désarmement nucléaire, Paris, A. Pedone, 1973. M. J. SHERWIN, A World Destroyed: the

Atomic Bomb and the Grande Alliance, New York, Knopf, 1975. M.VAISSE, Les relations internationales

depuis 1945, Paris, Armand Colin, Coll. U Histoire, 2008. L. S. WITTNER, The Struggle Against the Bomb,

Stanford, Stanford University Press, 1993, v. 1-2. 12

AIJD, L’Association Internationale des Juristes Démocrates : ses origines, ses caractéristiques, ses activités,

Bruxelles, Ed. AIJD, 1981. 13

M. PINAULT, « Le Conseil mondial de la paix», in J. VIGNEUX et S. WOLIKOV, Cultures communistes au

XXe siècle : entre guerre et modernité, La Dispute, Paris, 2003, pp.143-156. 14

J.A. LARSEN, J.M. SMITH, Historical Dictionary of Arms Control and Disarmement, Maryland, The

Scarecrow Press, 2005.

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Apport des intervenants du Conseil Mondial des Partisans pour la

Paix (1949-1955)

Le Conseil Mondial des Partisans pour la paix voit sa création en 1949 et son siège

social installé à Athènes, capitale de la Grèce. Il est créé autour de la question du

désarmement suite à son premier congrès à Worclaw en 1948. Dans les premières années, il

sera subventionné par les partis communistes mais suite à la déstalinisation qui se mettra en

place dès 1956, le Conseil Mondial des Partisans pour la Paix verra son financement

amenuisé. Alors qu’entre 1949 et 1955, se mettaient en place des congrès annuels, dès 1956

ceux-ci vont s’espacer de plus en plus dans le temps et ne se feront plus que de manière

ponctuelle. Son premier président était Frédéric Joliot-Curie (1900-1958)15

, physicien

français, qui, dès 1946, prendra le parti de la science pour le progrès et la paix dans le monde.

Cependant, d’autres questions relatives aux problématiques internationales, scientifiques et au

droit international seront discutées en son sein qui regroupe plus de 40 pays différents. Par

exemple, le droit des peuples colonisés, la guerre de Corée, la guerre du Vietnam ou encore

les problèmes en Malaisie16

. (Annexe 1.1-1.3)

Les membres du CMP sont de toute profession, scientifiques, savants, médecins,

professeurs, écrivains, artistes, politiciens et dès 1950, ouvriers et syndicalistes. Ils prennent

part via des interventions dans le cadre de journées d’études et de discussion organisées

annuellement ou de commissions spéciales relatives à certains sujets en particulier. Par

exemple, la commission spéciale pour le désarmement et l’interdiction des armes nucléaires.

Son but est de mettre sur pied différents appels de même que des propositions - appelées

« adresses » - sur des questions touchant l’humanité. Ces « adresses » seront envoyées à

Assemblée Générale de l’ONU. En effet, le CMP est une organisation internationale sans but

lucratif qui possède le droit de siéger aux Assemblées Générales des Nations Unies. Pour ce

faire, une délégation du bureau directeur du CMP est envoyée au sein de l’ONU quand y sont

abordées des questions le concernant. Les membres de ce conseil font référence au droit

international au travers d’arguments de portées politique, humanitaire et scientifique. Ce sera

dès 1952 que les juristes démocrates appartenant au CMP remarqueront la portée juridique

des arguments évoqués lors des Congrès et des commissions spéciales de l’ONG. Ces

discussions auront un impact relatif sur les délibérations au sein de l’ONU mais également de

15

Frédéric Joliot-Curie est un physicien français, détenteur du prix Nobel de chimie en 1935, membre de

l’Académie Française des sciences et de l’Académie de Médecine. Il s’occupera aussi du développement du

centre de Physique Nucléaire d’Orsay. D’après : <http://www.nobelprize.org> 16

M. PINAULT, « Le Conseil mondial de la paix», in J. VIGNEUX et S. WOLIKOV, 2003 p.145; pp.151-155.

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l’AIJD. En effet, comme il le sera exposé par la suite, plusieurs juristes démocrates feront

référence aux différents appels du CMP et à la consultation populaire dans les questions de

droit international contemporain. « Le droit international est important parce qu’il repose sur

l’opinion publique au service de ce [droit]»17

.

Entre 1950 et 1955, le conseil publiera ainsi différents appels en faveur de

l’interdiction de l’usage militaire de l’énergie nucléaire et d’un contrôle du désarmement. Le

premier appel – et le plus célèbre – est lancé en 1950 sous le nom d’ « Appel de Stockholm »

(Annexe 2). Cet appel se positionnera en faveur de l’interdiction d’utiliser des armes

atomiques. D’abord, pour l’interdiction de l’utilisation d’arme atomique en cas de déclaration

de guerre car considérée comme « arme d’épouvante ». Ensuite, pour la destruction des stocks

d’armes atomiques déjà existants qui devraient être reconvertis dans le cadre de l’industrie

pacifique. Cette élimination devrait prendre place autour d’un contrôle international effectué

par un organe extérieur comme la Commission pour le Désarmement Conventionnel de

l’ONU mis en place en 1947. De cette manière, le premier gouvernement qui ferait usage de

l’arme atomique devrait être considéré comme perpétrant un crime contre l’humanité et de

facto comme criminel de guerre. Enfin, cet appel dénonce le réarmement de l’Allemagne et

du Japon dans leur appartenance à des alliances de défense comme l’OTAN pour la RFA. En

1953, un deuxième appel, « l’appel de Vienne » portera une nouvelle fois les prérogatives du

CMP en matière de désarmement au sein de l’ONU. Enfin l’ « Appel d’Helsinki » de 1955

évoquera la question de la Guerre de Corée et de l’utilisation d’armement bactériologique

dans le cadre de l’intervention militaire des USA au sein du pays. De plus, il reviendra sur les

déclarations de l’Appel de Stockholm en réitérant les demandes d’interdiction d’utilisation

l’énergie atomique à des fins militaires ainsi que le contrôle d’un désarmement total, général

et mondial (Annexe 4).

Pour ce qui est des arguments avancés par les membres du CMP, ils semblent en

général orientés idéologiquement et politiquement. Pour rappel, tout au long des congrès, les

arguments avancés étaient de tendance humaniste. La science est perçue comme une question

morale pour le scientifique. Pour cette raison, elle se doit d’être orientée vers le « bien » et

donc vers la paix et l’utilisation pacifique des ressources18

. Dès 1949, et ce bien avant que les

juristes démocrates n’avancent cet argument, les membres du CMP évoquent déjà le fait que

l’utilisation militaire de l’énergie atomique entrave le développement scientifique de même

17

Discours de D.N. PRITT in CMP, Congrès des peuples pour la paix, 1955, p.64. 18

CMP, « Discours G. NADJAKOV », in. Congrès Mondial des Intellectuels pour la paix, Wroclaw-Pologne, 25-

28 août 1948, compte-rendu présenté par le Bureau du Secrétaire général de Varsovie, Varsovie, Ed., 1949, p.

90.

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9

que le développement de l’industrie. De cette manière, leur conception de l’industrie nucléaire

à but pacifique permettrait l’accroissement du bien-être des peuples par une recherche

pacifique progressant à l’aide de cette énergie. Afin d’appuyer cet argument, les membres du

CMP proposent tout au long de leurs discours que les stocks d’armes nucléaires soient

transformés et récupérés pour la recherche industrielle. Egalement dans une tentative de

justifier de ce point de vue, ils avancent l’importance de la communication libre des

recherches scientifiques entre savants19

.

En corrélation au raisonnement précédent, le constat d’un effet négatif du secret

scientifique sur la tension mondiale est également un point de discussion abordé. Pour le

CMP, ce silence résultant de la recherche militaire dans le domaine du nucléaire est une

entrave à la paix, à la détente et à la découverte scientifique. Il rend les pays méfiants les uns

envers les autres et, de fait, devient un moteur à la course aux armements. « Il existe un

climat de méfiance depuis Hiroshima (…) il est difficile de séparer l’application pacifique et

l’application militaire de l’énergie atomique »20

. Pour cette raison, dès 1949, ils prônent la

coopération scientifique au niveau de la recherche via des échanges ainsi que des

déplacements de chercheurs partout dans le monde dans l’intention d’améliorer l’économie et

le sort de l’humanité. De cette façon, la vision d’une recherche dans le nucléaire à des fins

pacifiques se met en place dans les discours du CMP. Celle-ci résoudrait les problèmes de

famines actuelles et offrirait la possibilité aux pays en voies de développement d’accroitre

leur économie et de prospérer socialement et culturellement. De telle sorte que le secret autour

de la recherche militaire est perçu comme une entrave certaine à l’échange culturel,

intellectuel, scientifique et politique entre pays. Par conséquent, durant l’année 1949, les

prérogatives du CMP viseraient l’interdiction du nucléaire autant qu’une prohibition de la

propagande de guerre21

. « Il est important d’interdire la propagande de guerre »22

.

Contrairement à l’argument de l’interdiction de l’usage militaire des ressources d’uranium qui

fera l’objet de discussions et d’approbation jusqu’en 1955, les arguments concernant la

propagande de guerre disparaitront des discours dès 1950 pour laisser place à une série de

19

CMP, « Manifeste du CMP », p. 608, CMP, « Discours de J.D. BERNAL », p. 457, CMP, « Discours de F.

JOLIOT-CURIE », p.71 et « Discours de C. INGFELD », p.79, Congrès mondial des partisans pour la paix

Paris-Prague 20-25 avril 1949, Paris, Ed. Français Réunis, 1949. 20

CMP, « Discours de J. HERMAND », Ibid., p.814. 21

CMP, « Discours de J.D. BERNAL », p. 180, « Discours de M.D. KOSTOV », p. 185, « Discours de J. BOYD-

ORR », p. 188, « Manifeste du CMP », p. 205-206, in Congrès Mondial 25-28 août 1948, 1949; CMP,

« Discours de J. HERMAND », p.814, « Discours d’ouverture de F. JOLIOT-CURIE », p.71, « Discours de C.

INGFELD », p.79,« Discours de J. DEBOWSKI », p.391, « Discours de M. MOORE », p.576 et « Adresse à

l’ONU », p.942, in Congrès mondial des partisans pour la paix 20-25 avril 1949,1949. 22

CMP, « Discours de S. Hector », Ibid., p.214.

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constatations différentes. Dès 1952, il en sera de même pour ceux concernant le secret

scientifique corrélé à l’augmentation de la tension internationale entre les deux blocs.

Déjà en 1950, Frédéric Joliot-Curie insiste sur le fait qu’il faudrait se baser sur les

verdicts des Tribunaux de Nuremberg et de Tokyo afin de juger le premier gouvernement qui

lancerait la bombe atomique en tant que criminel de guerre. Cet argument sera également

utilisé par les juristes démocrates dès 1954, comme il le sera précisé ci-après dans l’exposé.

Frédéric Joliot-Curie mettra également en avant d’autres arguments utilisés par l’AIJD. Par

exemple, le fait que la bombe atomique ne peut être considérée comme une arme défensive au

vu de ses effets sur le long terme et de fait, qu’il faudrait prohiber cette arme d’agression. Un

autre raisonnement similaire à l’AIJD est que le désarmement partiel permettrait d’ouvrir la

voie au désarmement général et qu’il est une première étape à prendre en compte pour les

membres du CMP. Dès 1950, le CMP émet l’idée que le pacte de défense de l’OTAN est en

réalité une alliance militaire qui ne favorise pas la détente en cette période de Guerre Froide.

Ces alliances militaires seront considérées comme rendant caduque la charte des Nations

Unies. Plusieurs demanderont également la formation d’un organisme de contrôle et de

discussion sur les questions atomiques au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU.23

En effet, le

Comité de désarmement institué en 1947 s’occupe de la problématique relative aux armes

conventionnelles. Pour ce faire, en 1949 le CMP proposera la création d’un sous-organe

considérant la question de l’interdiction des armes atomiques. Enfin, une dernière critique

émise dans le congrès de 1950, est le manque de respect de la Charte de l’ONU et

l’inefficacité de l’ONU en elle-même en rapport à la question du nucléaire militaire.

Dès 1951, le CMP dénonce le réarmement de l’Allemagne occidentale et du Japon au

travers de la création de différents pactes militaires de défense comme le Pacte Atlantique

Nord. « Ce réarmement de l’Allemagne dans un bloc de la Communauté de Défense

Européenne est un danger à la paix »24

. Il met également en exergue le fait que les principes

de Potsdam et de Yalta sont bafoués quand l’Occident décide de réarmer la RFA. Cette année-

là, le congrès verra les arguments contre le réarmement de l’Allemagne et son intégration au

sein de l’OTAN – évoqués brièvement l’année précédente – prendre une place conséquente

dans les discours. Le CMP indiquera que ce réarmement empêcherait en réalité l’Allemagne

de s’unifier alors que l’unification du pays est la seule garantie réelle de paix et de sécurité en

23

CMP, « Discours d’ouverture de F. JOLIOT-CURIE », p.71, « Discours D’ASTIER DE LA VIRGERIE »,

p.447, p. 121, CMP, « Adresse à l’ONU », p. 844, p.143, in 2e Congrès mondial des partisans de la paix

Varsovie 16-22 novembre 1950, 1951. 24

CMP, « Discours d’ouverture de F. JOLIOT-CURIE », Ibid., p.35.

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11

Europe25

. « Le Pacte Atlantique Nord menace de perpétuer la coupure de l’Allemagne et

empêche sa réunification »26

. Contrairement aux juristes démocrates, les membres du CMP ne

vont presque jamais faire appel à l’argument du droit contre les expériences nucléaires à des

fins militaires. Leur principal objectif est l’interdiction des bombes atomiques et hydrogène

dans le stock d’armement ainsi que le contrôle du désarmement généralisé. Cela sans qu’ils ne

s’occupent - contrairement aux juristes - de la question des mauvais effets de l’expérience

nucléaire sur les populations civiles avoisinantes. Cependant, les membres du congrès pour la

paix feront un lien entre le nucléaire militaire et les guerres bactériologiques de Corée, de

Chine, de Malaisie et de Vietnam. Parvenir à un accord de paix et arrêter ces guerres sera

également une des prérogatives importantes de ces pacifistes d’obédience communiste dès

cette année (Annexe 3).

Cette même année, des intervenants du métier juridique prennent place pour la première fois

au sein du CMP. Ainsi, Joe Nordmann (1910-2005)27

, par exemple, affirmera que sans le

réaliser, les participants du congrès pour la paix se rapportent à des paradigmes du droit

international28

. Pour lui, l’Appel de Stockholm aura permis de faire « pénétrer dans les

consciences populaires la question du nucléaire militaire »29

. Cet appel recèle de références

au droit international telles que le droit des peuples à l’indépendance, la souveraineté de l’Etat

ou encore l’atteinte à la Charte de l’ONU, aux accords de Potsdam et de Yalta30

. Un autre

juriste appartenant au CMP, Heinrich Branweisser fera, quant à lui, un lien avec la

jurisprudence et les différents traités et protocoles concernant le droit de la guerre. Les juristes

de l’AIJD avanceront également des propos similaires durant toute leur campagne contre le

désarmement, comme il sera expliqué dans le chapitre suivant31

. Pour ce qui est de trouver

une solution au problème de désarmement, une commission spéciale travaillait sur la

question sous l’égide d’Isabelle Blum lors de ce congrès. (Annexe 3)

C’est pourtant en 1955 que l’impact des juristes démocrates commencerait à obtenir

une visibilité au sein du CMP au travers de la participation du président et du vice-président

25

CMP, « Discours d’ouverture de F. JOLIOT-CURIE », p.35 et « Discours de Y. FARGE », p. 83, p.54, p.57,

« Discours d’A. TRAPP », pp.297-302, in Congrès des peuples pour la paix 12-19 décembre 1952, 1953. 26

« Discours d’A. TRAPP », Ibid., p.298. 27

Joë Nordmann, avocat français, a fondé l’AIJD en 1946. D’après D. DAILLEUX, « Portrait de Joë

Nordmann », in Libération.fr., 27/05/96. [EN LIGNE]<www.liberation.fr> (Consulté le 31/03/2014) 28

CMP, « Discours de J. Nordmann », Congrès des peuples pour la paix Vienne 12-19 décembre 1952, Ed.

Défense de la Paix, Paris, 1953, p. 813. 29

Ibid., p. 813. 30

Ibid., p. 815. 31

CMP, « Discours d’Heinrich Branweisser », in Ibid., p.899.

Page 13: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

12

de l’AIJD, D.N. Pritt (1887-1972)32

et J. Nordmann. Ceux-ci se positionnent en faveur de

l’appel d’Helsinki – pour rappel, lancé en 1954 - et apportent une vision juridique des

arguments avancés par les participants du CMP33

. En effet, D.N. Pritt, principalement, semble

favorable au contrôle de la destruction des stocks d’armements nucléaires par l’intermédiaire

d’un organe international : la Sous-Commission pour le Désarmement de l’ONU. Cette sous-

commission qui était une demande du CMP en 1950, se voit instituée en 1953 au sein de

l’ONU. D.N. Pritt affirme également que bien que ce contrôle réduise la souveraineté des

nations, celle-ci n’en perdrait pas pour autant son indépendance nationale. Le contrôle est

donc « un mal nécessaire » à la survie de la paix mondiale. Enfin, ce juriste démocrate

rappelle que ce n’est pas au CMP, ni aux juristes de droit international de mettre en place des

mesures pour le désarmement général et le désarmement nucléaire. Pour lui, c’est

principalement l’opinion publique qui fait pression sur les gouvernements pour les pousser à

mettre en place ce genre de décision politique. Ainsi, les décisions politiques que l’ONU

pourrait adopter, inscriraient l’interdiction de l’usage des armements nucléaires dans le droit

international coutumier34

.

Pour ce qui est des arguments des non-juristes au CMP, ils ont également sensiblement

évolués au cours du congrès de 1955. Les expériences de Bikini, réalisées par les Américains

dès 1951, porteront l’argument du danger du nucléaire dans une sphère nouvelle. Ils feront de

cette manière référence aux expériences nucléaires pour demander leur interdiction. « L’arme

atomique est une arme de Guerre Froide »35

. Un propos avancé sera celui de l’interdiction de

la guerre purement et simplement. Cependant, il sera contredit au sein même du congrès

notamment par Bertrand Russel(1872-1970)36

qui considère que même si l’arme atomique est

interdite en temps de paix - que ce soit sa production ou la destruction des stocks déjà existant

- une fois la guerre déclarée, les pays belligérants s’empresseraient de produire de nouvelles

bombes atomiques. Ceci étant donné la découverte du secret de confection des armes

atomiques. De plus, à son égard, la confidentialité qui entoure la fabrication de ce type

d’armes ne permet pas au pays de savoir si l’opposant a bien éliminé son stock. Par

32

Denis Nowel Pritt était un juriste démocrate anglais, vice-président de l’AIJD et éditeur en chef de leurs

revues, professeur de droit à l’Université du Ghana et membre du Labour Party. D’après LSE LIBRARY

SERVICE, « PRITT - Pritt; Denis Nowell (1887-1972); politician, lawyer and author », archives.lse.ac.uk [EN

LIGNE] <www.archives.lse.ac.uk > (Consulté le 31/03/2014) 33

CMP, « Discours de D.N. PRITT », p.64-67, « Discours de J. NORDMANN », pp. 272-275, in Congrès des

peuples pour la paix, 1955. 34

CMP, « Discours de J. BERNAL », in ibid., p.206. 35

CMP, « Discours inaugural de F. JOLIOT-CURIE, in ibid., p.25. 36

Bertrand Russel est un mathématicien, philosophe, écrivain et politicien britannique détenteur du prix Nobel de

la Littérature en 1950. Nobel Media AB « Bertrand Russell – Biographical ». Nobelprize.org. 2013. [EN LIGNE]

<http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/literature/laureates/1950/russell-bio.html> (Consulté le 31/03/2014)

Page 14: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

13

conséquent, cela augmenterait la tension internationale en temps de Guerre Froide37

. À cela,

John Bernal (1901-1971)38

lui répondra que ce n’est pas au CMP d’établir un plan de

désarmement mais que sa prérogative est plutôt de pousser autant qu’il le peut l’ONU à en

produire un39

. La conception atypique de Russel sur la mise en place d’un appel par

d’éminents scientifiques ne fera pas non plus l’unanimité. En effet, il sera critiqué car, pour la

majorité des membres du CMP qui interviennent sur la question du nucléaire, c’est l’opinion

publique et la force de la masse qui est capable de faire bouger l’ONU dans sa prise de

décision plutôt que des adresses rédigées par des scientifiques détenteurs de prix Nobel40

.

L’argumentaire du CMP semble donc avoir évolué simultanément aux contingences de

la vie politique qui bat son plein dans la question du nucléaire militaire à cette époque. Bien

que certains membres, comme J. Bernal et H. Moore par exemple, regrettaient le manque

d’implication de pays occidentaux tels que les Etats-Unis et l’Angleterre en matière de

subsides, le congrès n’aura pas réussi à s’ouvrir comme il le souhaitait au monde entier et

verra son déclin commencer dès 1955. « Le CMP est financé presque entièrement par des

gouvernement communiste. Pour en faire un mouvement universel, il faudrait trouver une

place dans l’organisme directeur pour des hommes opposés au communisme »41

. Bien que le

CMP se réunisse encore en 1958 et en 1961, les archives qui concernent ces congrès ne sont

plus disponibles. Il n’a donc pas été possible d’étudier l’évolution des propositions des

membres du CMP pour ces années. Pour rappel, en ce qui concerne la position des

intervenants belges au sein de ce comité, elle sera discutée en dernier lieu dans cet article au

sein d’un chapitre consacré à la position des pacifistes et des juristes démocrates belges sur

cette question de prolifération nucléaire, de course aux armements et d’utilisation pacifique de

l’énergie atomique. Pour ce faire, il convient d’expliquer d’abord la position des juristes de

l’AIJD sur la question, qui se rapprochera en partie des propos avancés par les membres du

CMP qui viennent d’être exposés.

Evolution historique de l’argumentaire en droit international des

juristes de l’Association Internationale des Juristes Démocrates (1954-1963)

L’Association Internationale des Juristes Démocrates est créée le 24 octobre 1946 à

l’initiative du Mouvement National Judiciaire français qui invitera les juristes du monde à se

37

CMP, « Discours de BERTRAND RUSSEL », in ibid., p. 81-86. 38

John Bernal est un physicien anglais. D’après, CMP, « Discours de J. BERNAL », in ibid., p.902. 39

CMP, « Discours de J. BERNAL », in ibid., p. 201-206. 40

CMP, « Discours de J. BERNAL », p. 201-206, « Discours de J.P. Sartre », in ibid., p.224. 41

CMP, « Discours de H. MOORE », in ibid., p.448.

Page 15: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

14

réunir au sein d’une conférence internationale42

. Cette organisation aurait pour prérogative de

promouvoir un ensemble de juristes défenseurs de la paix qui soutiendrait l’ONU en

s’appuyant sur « les principes de la Charte des Nations Unies, du droit international et de la

défense des droits fondamentaux de l’homme et des peuples »43

. L’AIJD définit le terme

« démocratique » de son acronyme comme « le souhait des peuples qui décident en toute

souveraineté de leur régime politique, économique et social, défini l’autodétermination des

peuples et le droit à l’indépendance et au développement (…) dans un droit qui correspond

aux instruments mis au service de la paix et du progrès international »44

.

A l’origine, l’association comprenait des juristes européens. Dès les années 50, elle

commence à accueillir en son sein des juristes du monde entier et d’obédience politique,

religieuse et philosophie diverses. A sa création en 1947, l’AIJD revêt la forme d’une

organisation non-gouvernementale affiliée à l’ONU. Elle possède un statut de consultante

auprès du Conseil Economique et Social de celle-ci et travaille au sein de la commission

spéciale pour le désarmement conventionnel du CMP. L’AIJD va se positionner pour

l’interdiction de l’armement atomique et en faire part aux Nations Unies. Pour les juristes

démocrates, cette implication dans les questions du nucléaire aidera à voir naitre le 03

novembre 1947 une des premières résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU qui

concerne principalement une série de mesures à appliquer contre ceux qui encourage à la

propagande de guerre45

En ce qui concerne les questions relatives à l’utilisation militaire du nucléaire et à son

expérimentation, différents arguments vont être évoqués au cours des discussions des

commissions spéciales de l’AIJD mais aussi de divers articles publiées dans la revue de

l’ONG. Ces argumentaires évoluent au fur et à mesure des discussions qui se déroulent en

parallèle au sein de l’ONU et des différentes commissions politiques créées par rapport à la

question du désarmement. En outre, l’évolution de leur argumentaire ou l’appui de certains

éléments juridiques sera propre à leurs nations de même qu’il diffèrera selon leur position

géographique et les impacts que l’usage du nucléaire aurait sur leur nation dans le cadre

d’expérimentation militaire ou de la course aux armements. Etant donné l’absence d’un droit

réglementant spécifiquement l’usage de l’énergie atomique à des fins militaires, différentes

42

AIJD, L’Association Internationale des Juristes Démocrates : ses origines, ses caractéristiques, ses activités,

Bruxelles, Ed. AIJD, 1981, pp.4-11. 43

Ibid., p.4. 44

Ibid., p.7. 45

ONU, « Résolution 110 (II) AG Résolutions adoptées par l’Assemblée Générale au cours de la deuxième session », ONU.org [En Ligne] http://www.un.org/french/documents/ga/res/2/fres2.shtml (Consulté le 15 mai 2014)

Page 16: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

15

notions du droit international, déjà existantes, vont être utilisées. Parfois, celles-ci remontent

jusqu’au 17e siècle comme la conception de Grotius sur le droit des peuples et de la guerre

46.

« L’usage de la violence en temps de guerre n’est pas illimité et doit respecter l’homme et sa

dignité pour que le civil et le combattant soient épargnés dès que cela est possible »47

.

De manière analogue aux questions politiques, le droit international posera comme

problématique la définition de la nature d’une arme atomique. Certains la caractérisent

comme une arme défensive, ce qui, pour rappel, n’est pas admissible pour le CMP, et ne le

sera pas non plus pour l’AIJD. Les juristes démocrates vont tenter de déterminer la nature de

l’arme atomique comme une arme d’agression au vu de ses effets secondaires à long terme sur

l’être humain. Cependant, cette question de savoir si l’arme atomique est une arme

conventionnelle ou non posera problème en droit international comme au sein de l’ONU lors

des discussions politiques. En effet, mettre en place un accord de désarmement entre les deux

blocs intriqués dans la Guerre Froide semble complexe car ceux-ci n’ont pas la même

définition de ce que doit être un désarmement général. En 1947, avant que L’URSS ne

découvre la bombe atomique, elle demandait d’abord un désarmement nucléaire complet en

même temps que le contrôle de celui-ci, tandis que les Etats-Unis proposaient en premier lieu

un désarmement progressif des armes conventionnelles et par après l’application d’un

contrôle. De cette manière, le désarmement nucléaire ne s’opèrerait que suite au désarmement

conventionnel. Cette question évoluera au sein des débats de l’ONU et des différentes sous-

commissions qui ont été évoquée précédemment. Par conséquent, il apparait que les débats et

les arguments mis en avant par l’AIJD évoluent au diapason des décisions et des propositions

politiques sur cette problématique. ( Cf. Annexe 5)

Dans les premières années, les juristes affirmeront que « le droit international ne suit

pas l’évolution du progrès technique »48

. Son but étant « le maintien et le renforcement de la

paix dans le monde »49

. Pour cela, l’AIJD va tenter de définir le droit international relatif aux

armements atomiques et aux expériences au travers de la coutume et de la jurisprudence déjà

existantes50

. En effet, selon le juriste japonais Hirano, « le droit de la guerre élaboré à

46

W. M. STANDARD, « Les explosions atomiques et le droit international », p.31 et R. BYSTRICKY, « Le

problème du désarmement en droit international », in AIJD, Contribution à l’étude des problèmes du

désarmement, Bruxelles, Ed. AIJD, 1958, p.7. 47

W.M. STANDARD, Ibid., p.31. 48

B. VITANYI, « Les armes et objectifs prohibés selon le droit international public», AIJD, Contribution à

l’étude, 1958, p.50. 49

R. BYSTRICKY, « Le problème du désarmement en droit international », AIJD, Contribution à l’étude, 1958,

p.11. 50

T. CYPRIAN, « L’interdiction des armes de destruction massive et la sécurité collective », AIJD, Droit au

service de la paix- Revue de l’AIJD, Bruxelles, Ed. AIJD, 06/1955, n°1, p.17; J.N. MALLIK, « Problème de

droit international », in AIJD, Problèmes juridiques nés du développement et de l’utilisation de l’énergie

Page 17: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

16

l’époque pré-atomique doit être refondu »51

. Alors que les débats des cinq grandes puissances

au sein de l’ONU se penchent sur la question de savoir si le désarmement des armes

conventionnelles doit se faire avant le désarmement des armes nucléaires tout autant qu’ à

quel moment son contrôle devrait être institué, l’URSS découvre le moyen de construire la

bombe thermonucléaire. Suite à cela, en 1954, la politique de l’Occident à propos du

désarmement nucléaire se modifie. Désormais, celle-ci proposera un désarmement nucléaire

progressif en même temps qu’une baisse progressive des armes conventionnelles. Le débat

entre les deux blocs se déplacera donc autour de la question d’un désarmement progressif

(pour les Etats-Unis, la France et l’Angleterre) ou d’un désarmement complet (pour l’URSS).

En parallèle, et ce entre 1954 et 1960, un argument régulièrement mis en avant par les

juristes démocrates est celui de la liberté des mers52

. Il prend place plutôt dans la question de

l’expérimentation militaire des bombes atomiques et des bombes à hydrogène par les Etats-

Unis dans le Pacifique, l’URSS dans les mers de Sibérie et la Grande-Bretagne dans les îles

Christmas53

. Les juristes attachés à cette définition de la liberté des mers et du commerce en

Haute mer sont ceux des nations directement atteintes par les effets secondaires des

expériences nucléaires. Ils sont Japonais, Indiens et parfois Tchécoslovaques pour les juristes

provenant de nations directement touchées par les expériences54

. Des juristes anglais,

américains et soviétiques prennent également ce parti étant donné l’action de leur

gouvernement dans l’usage des explosions nucléaire en haute mer55

. Cette conception appuie

atomique, Travaux de la deuxième commission, VIIe congrès de l’AIJD à Sofia 10-14 octobre 1960, Bruxelles,

Ed. AIJD, 1960, pp. 80-84. 51

Y. Hirano, « Pour un accord international sur l’interdiction des armes nucléaires », in AIJD, Contribution à

l’étude, 1958, p.72. 52

W. M. STANDARD, « Les explosions atomiques et le droit international », p.31 et B. VITANYI, « Les armes

et objectifs prohibés selon le droit international », AIJD , Contribution à l’étude, 1958, p.46-58 , S. SHIELDS

« Experimentation with Thermonuclear Weapons and International Law », pp.12-19 ; M. ZeiDin pp.21-25 ; Y.

HIRANO « Our Experience and The Effects of Explosion Experiments of H-Bombs in the Pacific» pp.27-33, I.

YAMANOUCHI, « Appeal for Prohibition of Atomic and Hydrogen Weapons » et J. JODLOWSKI, p.34-40, in

AIJD, Les juristes prennent position,1954, pp.5-11; K. YASUI, « L’interdiction de toutes les armes atomiques, à

hydrogène et autres armes de destruction massive », pp.7-9 et T. CYPRIAN, « Interdiction des armes de

destruction massive et sécurité collective », pp.13-15 in AIJD, Droit au service de la paix, 06/1955, n°1; G.

FISCHER, « Le droit international et les expérimentations des armes nucléaires », in AIJD, Droit au service de

la paix, 06/0957, n°1, pp.13-23. 53

Cf. LEGUELTE G., Histoire de la menace nucléaire, Paris, Hachette, 1997. 54

I. YAMANOUCHI, « Appeal for Prohibition », pp.5-11 et Y. HIRANO Y. HIRANO « Our Experience and The

Effects» pp.27-33, in AIJD, Les juristes prennent position, 1954 ; I. YAMANOUCHI, « Pour la prohibition de

l’Arme atomique et de l’arme thermo-nucléaire », AIJD, Droit au service de la paix, 1954, pp.103-107; K.

YASUI, « L’interdiction de toutes les armes», in AIJD, Droit au service de la paix, 06/1955, n°1, pp.7-9; Y.

POKSTEFL, « Evolution et situation des pourparlers sur le désarmement », pp.16-30 et D.N. SHINA,

« L’expérimentation des bombes thermo-nucléaires est-elle légale ? », AIJD, Contribution à l’étude des

problèmes du désarmement, Bruxelles, Ed. AIJD, 1958, pp.59-65. 55

W. M. STANDARD, « Les explosions», AIJD, Contribution à l’étude des problèmes du désarmement, 1958,

p.31-45; S. SHIELDS, « Experimentation with Thermo-nuclear» pp.12-19 in AIJD, Les juristes prennent

Page 18: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

17

notamment l’interdiction des expériences nucléaires en Haute Mer considérées par l’AIJD

comme une atteinte au droit international56

. Ce préjudice intéresse notamment les eaux

pacifiques proches du Japon qui va voir une série de pêcheurs japonais touchés par les

expériences des îles Marshall, que ce soit les villages japonais connexes ou les eaux

territoriales atteintes entravant le commerce japonais du poisson57

. De cette manière, la

création de zone maritime fermée est considérée comme une violation du droit international

de la liberté de navigation et de commerce en Haute mer58

. L’argument de la violation de la

charte de l’ONU sera aussi avancé à propos des effets des explosions sur les populations

civiles mises sous tutelle.59

« Les îles Marshall ont été placées par l’ONU sous tutelle

stratégique des Etats-Unis. Cela veut dire que la sécurité des civils doit être considérée par le

gouvernement tuteur »60

. Ainsi, il est inscrit dans la charte que les gouvernements s’occupant

de la tutelle doivent assurer la sécurité des populations. Cependant, cette tutelle stratégique ne

leur prête pas pour autant les compétences pour délimiter des zones d’essais nucléaires. Pour

Hirano toujours, « les expériences atomiques ne peuvent être considérées comme une

recherche scientifique. Ce sont des manœuvres militaires de préparation de guerre atomique

et donc d’une guerre camouflée »61

. Les juristes considèrent la fermeture des mers comme un

abus de droit d’un Etat sur un autre même si celui-ci justifie que cela se fait pour protéger la

population des émissions radioactives62

. De plus, « l’explosion expérimentale est comme un

procédé de Guerre Froide destiné à intimider par la supériorité des armes atomiques un

position, 1954; G. FISCHER, « Le droit international et les expérimentations des armes nucléaires », in AIJD,

Droit au service de la paix, 06/1957, n°1, pp.13-23. 56

W. M. STANDARD, « Les explosions», p.32 et B. VITANYI, « Les armes et objectifs prohibés selon le droit

international public», p.57, in AIJD, Contribution à l’étude des problèmes du désarmement, 1958; D. N. SINHA,

« L’expérimentation des bombes», pp.59-65 et R. KIEFI « La position des juristes en France sur les

conséquences juridiques des expériences nucléaires », pp. 39-42, B. N. BARNEJEE, pp.75-76, in AIJD,

Problèmes juridiques nés du développement, 1960. 57

B. VITANYI, « Les armes et objectifs prohibés», AIJD, Contribution à l’étude, 1958, p.57; I. YAMANOUCHI,

« Appeal for Prohibition of Atomic and Hydrogen Weapons », pp.5-11 et J. JODLOWSKI, p.34-40, in AIJD, Les

juristes prennent position, 1954. 58

I. YAMANOUCHI, « Appeal for Prohibition», pp.5-11et S. SHIELDS « Experiments with Thermonuclear

Weapons and International Law », p.16-19, in Les juristes prennent position, 1954 ; Y. HIRANO, « Quelques

observations sur l’illégalité des explosions expérimentales en haute-mer », in VIe Congrès de l’AIJD à Bruxelles

du 22 au 25 mai 1956, compte-rendu des débats et rapport de la Commission, Bruxelles, Ed. AIJD, 1956, pp.60-

63. 59

I. YAMANOUCHI, « Appeal for Prohibition», in AIJD, Les juristes prennent position,1954, pp.5-11; K.

YASUI, « L’interdiction de toutes les armes atomiques, armes à hydrogène et autres armes de destruction

massive », in AIJD, Droit au service de la paix, 06/1955, N°1, p. 7; G. FISCHER, « Le droit international et les

expérimentations des armes nucléaires », in AIJD, Droit au service de la paix, 06/1957, N°1, p. 13-15. 60

S. SHIELDS « Experiments with Thermonuclear Weapons and International Law », in AIJD,Les juristes

prennent position, 1954,p.16. 61

Y. HIRANO, « Droit à l’âge atomique », in AIJD, Droit au service de la paix, 06/1957, N°1, p. 8. 62

W. M. STANDARD, « Les explosions atomiques», AIJD, Contribution à l’étude, 1958, p.39 ; Y. HIRANO

« Our Experience and The Effects of Explosion Experiments of H-Bombs in the Pacific », pp.27-33;J.

JODLOWSKI, pp.34-35, in AIJD, Les juristes prennent position, 1954.

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18

ennemi supposé et encourager les états alliés du même bloc militaire »63

.William Standard,

juriste anglais et conseiller auprès de la reine résumera cet argument comme suit : « La

fermeture d’une large étendue de la haute mer pour des explosions nucléaires ne peut

juridiquement se justifier »64

.

Un autre élément juridique qui apparait dans les discussions et les publications des

juristes démocrates est celui du droit des gens. Cet argument sera utilisé – tout comme le

précédent – pour justifier l’interdiction des expérimentations nucléaires en temps de paix car

celles-ci auraient un impact sur les populations civiles en raison des effets secondaires de la

radioactivité. Ceux-ci feront en premier lieu usage de traités, conventions et diverses clauses

relatives au droit des populations civiles mais aussi aux règlementations légales concernant

l’utilisation des armes chimiques, bactériologiques et de destructions massives comme, entre-

autres, le Protocole de Genève de 1925 et la Convention de Genève de 194965

. Dans l’usage

de cette législation internationale existante, il est également possible de remarquer une

évolution des propos juridiques jusque dans les années 1955. De fait, à partir de 1954, les

publications feront une référence presque systématique à la Convention de Genève conclue en

1949 concernant la protection de la population civile66

. Pour les juristes démocrates, celle-ci

possède une valeur positive en droit. Et ce, même si elle n’a pas été ratifiée par les Etats-Unis,

ni par le Japon. Pourtant, ils affirment que cette convention aurait permis d’endiguer l’usage

d’armes de destruction de masses, bactériologiques et chimiques durant la Seconde Guerre

mondiale. À cette image, elle devrait s’étendre aux armes nucléaires considérées par l’AIJD

comme instrument de destruction de masse, bactériologique et chimique67

.

Directement corrélé au précédent argument, le droit international relatif au droit de la

guerre. Pour ce faire, différentes références seront faites au droit international déjà existant - à

63

Y. HIRANO, « Quelques observations sur l’illégalité», in VIe Congrès de l’AIJD, 1956, pp.63; K. YASUI,

« L’interdiction de toutes les armes », in AIJD, Droit au service de la paix, 10/1955, n°2, pp.8-10; G. FISCHER,

« Le droit international et les expérimentations», AIJD, Droit au service de la paix, 06/1957, N°1, pp.13-23. 64

W. M. STANDARD, « Les explosions atomiques », AIJD, Contribution à l’étude, 1958, p.37. 65

W. M. STANDARD, « Les explosions atomiques», p.31, et B. VITANYI, « Les armes et objectifs prohibés», in

AIJD, Contribution à l’étude, 1958, p.50; S. SHIELDS, « Experimentation with Thermonuclear Weapons and

International Law » pp.12-19, M. ZEIDIN, pp.21-25, Y. HIRANO, « Our Experience and The Effects», pp.27-

33, I. YAMANOUCHI, « Appeal for Prohibition», pp.5-11 et J. JODLOWSKI, p.34-40, in AIJD, Les juristes

prennent position, 1954; K. YASUI, « L’interdiction de toutes les armes», pp.7-9 et T. CYPRIAN, « Interdiction

des armes de destruction massive et sécurité collective »,pp.13-15, in AIJD, Droit au service de la paix, 06/1955,

n°1; G. FISCHER, « Le droit international et les expérimentations», in AIJD, Droit au service de la paix,

06/0957, n°1, pp.13-23. 66

D.N. PRITT, Le droit international et les armes atomiques, AIJD, juillet 1950, p.1-15 ; R. BYSTRICKY, « Le

problème du désarmement en droit international », AIJD, Contribution à l’étude, 1958, pp. 12-14. 67

M. ZEIDIN, in AIJD, Les juristes prennent position, 1954, p.22.

Page 20: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

19

commencer par celui proposé par de Grotius dans « de mare bellum »68

. A cela s’ajoutent des

références au droit international émis au XIXe siècle comme la déclaration de Saint-

Pétersbourg (1868) qui condamne l’usage de projectiles explosifs ainsi que la déclaration de

la Haye (1899) interdisant l’usage de balles dum-dum et des gaz asphyxiants ou délétères.

Pour le droit international du début du XXe siècle, les juristes démocrates s’appuyaient sur la

Convention de la Haye (1907) qui interdit pour un certain temps la projection d’explosifs par

ballons - notamment la clause Martens relatives aux droits et coutumes de la guerre sur terre

et sur le Protocole de Genève (1925) interdisant l’utilisation d’armements chimiques,

bactériologiques et de destruction massive de la population civile. Tous les juristes

démocrates - peu importe leur nationalité - feront usage de ce droit international positif déjà

existant. Il semble être le discours central au sein des publications de l’AIJD entre 1954 et

196069

. L’ensemble de ces traités et conventions trouveraient leur justification dans la

conception du droit international autour de la bombe atomique définie comme arme aveugle

par la majorité des juristes démocrates70

. Dans le droit de la guerre, pour ce qui est relatif au

volet répressif, les juristes démocrates signalent que les différentes législations relevant du

droit international déjà existant à l’époque ne suffisent pas à l’assurer en cas d’usage de

l’arme atomique. Pour cela, des références constantes aux Tribunaux Internationaux de

Nuremberg et Tokyo sont exposées afin d’affirmer que le premier gouvernement qui utiliserait

une bombe atomique devra être considéré comme un criminel de guerre pour avoir commis un

crime contre l’humanité71

. Certains juristes, comme le Polonais Jodlowski, iront jusqu’à

affirmer que l’utilisation de la bombe atomique relève du génocide72

.

Aux cours des dernières années étudiées, et ce, dès 1958, quelques juristes démocrates feront

référence aux bombardements indiscriminés déjà punis par la législation internationale

existante dans le but de confirmer l’illégalité de l’arme atomique. Cette partie du droit de la

68

Grotius écrit « De Mare Bellum » en 1625. Cet ouvrage de droit concerne les règlementations de la guerre en

mer et est considéré comme une base par les juristes du droit international. 69

S. SHIELDS, « Experimentation with Thermonuclear Weapons and International Law », pp.12-19, M. ZEIDIN,

pp.21-25, Y. HIRANO, « Our Experience and The Effects» pp.27-33, I. YAMANOUCHI, « Appeal for

Prohibition », pp.5-11 et J. JODLOWSKI, p.34-40, in AIJD, Les juristes prennent position,1954; K. YASUI,

« L’interdiction de toutes les armes», pp.7-9 et T. CYPRIAN, « Interdiction des armes», pp.13-15, in AIJD, Droit

au service de la paix, 06/1955, n°1; G. FISCHER, « Le droit international et les expérimentations», AIJD, Droit

au service de la paix, 06/0957, n°1, pp.13-23; D.N. PRITT, Le droit international et les armes atomiques, AIJD,

juillet 1950, p.1-15; R. BYSTRICKY, « Le problème du désarmement en droit international », pp. 5-9, W. M.

STANDARD, « Les explosions atomiques», p.31, B. VITANYI, « Les armes et objectifs», p.50, Y. HIRANO, «

Pour un accord international sur l’interdiction des armes nucléaires », pp.66-70, A. BRAMSON, « Le droit

international et la dénucléarisation », AIJD, Contribution à l’étude, 1958. 70

I. YAMANOUCHI, « Appeal for Prohibition», in AIJD, Les juristes prennent position, 1954, pp.5-11; Y.

HIRANO, « Pour un accord international sur l’interdiction des armes nucléaires », AIJD, Contribution à l’étude,

1958, p.67. 71

Cf. Supra note 68. 72

J. JODLOWSKI, in AIJD, Les juristes prennent position, 1954, p.34-35.

Page 21: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

20

guerre établit la distinction entre une ville considérée comme une base militaire et les effets

qu’une bombe peut avoir sur une ville composée d’une population civile73

. Cela leur permet

également de faire référence aux bombes d’Hiroshima et Nagasaki qui, à cette époque, ont

déjà commencé à voir fleurir toute une série de rapports et de publications historiques et

juridiques sur les évènements d’août 1945. Ainsi, le règlement de la Haye rend injustifiable

les bombardements sur une ville non-défendue. Le droit international de la guerre définit une

ville défendue comme « une base de résistance aux forces armées de l’un des belligérants »74

.

De 1954 à 1959, un quatrième thème apparait dans les publications. Il sera celui du

réarmement de l’Allemagne Occidentale tandis que ces mêmes débats au sein de l’OTAN

commenceraient à voir des divisions se former parmi ses membres dans les années 195075

.

Comme il a été précisé précédemment, au sein du CMP cette question était déjà débattue en

1950. En parallèle, ce débat se déplace au sein de l’AIJD dès 1954. Pourtant, la place

accordée dans les discours des juristes concernant le réarmement de l’Allemagne s’accroit

dans les années 1958 et 1959. Au vu de leur proximité géographique, les juristes qui porteront

cette question dans la sphère du droit international sont principalement ceux de nationalité

française, polonaise et allemande76

. En 1959, un représentant de l’Allemagne Occidentale non

identifié publie dans la revue de droit international un rapport sur le réarmement de la

République Fédérale d’Allemagne. Celui-ci prend position contre les armes atomiques

entreposées sur le territoire allemand. Cela est contraire au droit et transgresse principalement

les accords de Yalta et de Potsdam. En effet, « les accords de la communauté européenne de

défense atomique autorise la RFA à faire de la recherche dans les armements militaires dont

font parties les armes atomiques »77

. Même si ces mesures sont justifiées comme moyen de

défense en cas d’agression, elles seraient contraires au droit international78

. Ainsi, les juristes

démocrates entreverront la possibilité de considérer la réunification de l’Allemagne au travers

du problème de désarmement79. Il semble que ce soit suite à la présentation du « Plan

73

Y. HIRANO, « Pour un accord international», Contribution à l’étude, 1958, p.70. 74

Y. HIRANO, ibid., p.70. 75

A. BRAMSON, « Le droit international et la dénucléarisation », pp. 75-81 et J. JODLOWSKI, « Quelques

considérations sur la plan Rapacki », pp.83-87, in AIJD, Contribution à l’étude des problèmes du désarmement,

1958. 76

A., « Rapport d’un représentant de l’Allemagne Occidentale sur la préparation de la guerre atomique en

Allemagne », in AIJD, Les juristes prennent position, 1954, pp.42-48. 77

Ibid., p.44. 78

Ibid., p.46. 79

G. REINTANG, « L’ONU, les pactes régionaux, le désarmement et la question allemande », AIJD, VIe

Congrès de l’AIJD, 1956, p.51.

Page 22: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

21

Rapacki »80

en 1958 que cet élément sera porté en lumière du droit international. Dès ce

moment, les juristes démocrates vont s’intéresser plus longuement à la question de

l’Allemagne au travers de l’analyse argumentaire du plan polonais. Le plan Rapacki est une

proposition du ministre des Affaires Etrangères polonais Adam Rapacki (1909-1970) en vue

de créer une zone dénucléarisée en Europe qui comprendrait les deux Républiques

allemandes, la Pologne et la Tchécoslovaquie. Au regard du droit international, l’adoption de

ce plan provoquerait l’abandon d’une partie de la souveraineté des Etats de la zone

dénucléarisée. Pourtant, il est vu comme une possibilité nouvelle en droit international de

faire avancer la question de désarmement généralisé. Le juriste polonais Jadolwski résume la

position des juristes démocrates en ces mots : « Toute solution partielle comme le Plan

Rapacki permet de contribuer à renforcer le sentiment de sécurité et à rapprocher du but de

l’organisation d’un système de sécurité collective et le désarmement universel »81

. Au sein de

cet article, il est également possible de trouver une référence à un juriste démocrate belge,

Henri Rolin. Celui-ci met en avant qu’Henri Rolin était favorable au « Plan Rapacki » et

considérerait l’application d’une zone dénucléarisée comme le premier pas vers le

désarmement total et général82

.

Dès 1957, un cinquième argument commence à peser dans les justifications avancées

par quelques juristes de l’AIJD. Il s’agit de la théorie de la souveraineté de l’Etat83

. Selon les

juristes, les Etats souverains sont contraints à adhérer à l’un des deux blocs militaires, ce qui

atteint leur droit de souveraineté84

. « Le fait que les états adhèrent à des pactes pour assurer

leur sécurité limite leurs champs d’action et leur liberté souveraine »85

. Cet argument prendra

place dans les explications pour arrêter les expérimentations nucléaires mais aussi dans le cas

où une bombe atomique serait envoyée sur un pays. De cette façon, ils justifient le fait que les

dégagements radioactifs dans l’espace aérien toucheraient automatiquement les pays voisins

et ce qui ne permet donc pas un usage de la bombe atomique en tant qu’arme tactique et

stratégique ciblée86

. De fait, la bombe atomique est considérée comme une arme aveugle87

.

80

Pour de plus amples informations sur ce plan Cf. E.N. DZELEPY, Désatomiser l'Europe? : La vérité sur le

"Plan Rapacki.", Bruxelles, Ed. Politiques, 1958 ; A. ALBRECHT, Le plan Rapacki : nouveaux aspects,

Warszawa : Zachodina Agencja Prasowa, 1964. 81

J. JODLOWSKI, « Quelques considérations sur le plan Rapacki », in AIJD, Contribution à l’étude des

problèmes du désarmement, 1958, pp.83. 82

Y. HIRANO, «Pour un accord international sur l’interdiction des armes nucléaires », pp.73 et J. JODLOWSKI,

«Quelques considérations sur le plan Rapacki », pp. 88, in AIJD, Contribution à l’étude des problèmes du

désarmement, 1958. 83

Y. HIRANO, « Droit à l’âge atomique » AIJD, Droit au service de la paix, 06/1957, n°1, p. 6-8. 84

Ibid., p. 10-11. 85

Ibid., p. 6. 86

D.N. PRITT, Le droit international et les armes atomiques, AIJD, juillet 1950, p.5.

Page 23: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

22

Les juristes justifient cette atteinte au droit international au travers des conventions de Paris

du 13 octobre 1919 sur la navigation aérienne et de Chicago de 1944 sur l’aviation civile

internationale88

. Ils appuient le principe que la souveraineté de l’Etat est appliquée à l’espace

aérien et maritime. De fait, en cas d’expérience ou d’usage de la bombe atomique, une

pollution des émissions radioactives dans l’espace aérien et maritime voisin est à prévoir. Par

conséquent, au travers de cette notion de souveraineté de l’Etat se pose une nouvelle fois la

question de savoir si l’arme nucléaire est une arme conventionnelle comme les armes à feu

ainsi que le contingentement de l’armée ou une arme extraordinaire à portée de destruction de

masse. Dans les années 1960, les juristes démocrates feront brièvement une critique du Traité

Euratom instauré en 1956. Ceci toujours dans l’idée de justifier le concept de souveraineté

d’un Etat. D’après eux, il n’explicite pas clairement l’utilisation du nucléaire dans la

recherche et l’expérimentation dans un cadre pacifique et permettrait donc un usage militaire

de celui-ci par les pays signataires89

. Il est perçu comme l’exemple « d’une collaboration

basée sur un principe d’inégalité, la suppression de la souveraineté, la méfiance et l’esprit de

concurrence »90

.

Un dernier type d’argumentaire apparaitra entre 1960 et 1963. Ce sera celui de

l’utilisation de l’énergie atomique à des fins pacifiques qui, dans la conception des juristes

démocrates, est endiguée et restreinte par l’usage du nucléaire militaire. En effet, ceux-ci

s’identifient de plus en plus aux arguments avancés par le CMP dès 1949 - comme il a été

explicité précédemment- avec une approche de la science qui pourrait servir au progrès et à

l’amélioration du bien-être de l’humanité ainsi qu’à l’impératif de transformer les stocks

d’armes militaires pour l’usage des industries dans l’énergie atomique pacifique. Dès ce

moment, les juristes démocrates vont commencer, quand ils parleront de la question du

nucléaire - ce qui se fera rare dès ces années- à positionner le droit international plutôt dans un

droit international privé portant sur la question de protection des civils et des travailleurs

scientifiques dans l’usage et le transports des matières radioactives. Cette conception du

nucléaire civil dans le droit international sera appuyée par des affirmations concernant le droit

des peuples et la souveraineté des Etats. Celles-ci appuieraient l’argument que les ressources

87

I. YAMANOUCHI, « Appeal for Prohibition», in AIJD, Les juristes prennent position, 1954, pp.5-11. 88

W. M. STANDARD, « Les explosions atomiques», AIJD, Contribution à l’étude, 1958, p.31 et p.40. 89

W. M. STANDARD, « Les explosions atomiques, p.31, B. VITANYI, « Les armes et objectifs prohibés», p.50,

Y. HIRANO, «Pour un accord international», pp.66-69, A. BRAMSON, «Le droit international et la

dénucléarisation », AIJD, Contribution à l’étude, 1958. 90

J. PETRZELKA, « Aspect juridiques nés de l’utilisation pacifique de l’énergie atomique », in AIJD, VIIe

congrès de l’AIJD, 1960, p.12.

Page 24: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

23

nationales doivent rester la possession de la nation91

. C’est à ce moment que les juristes vont

faire le plus de références aux discours du CMP. Pour rappel, l’opinion publique dans le droit

international est d’une importance primordiale pour ces juristes. Pour cela, ils appuieront leurs

arguments juridiques par des références aux appels de Stockholm et de Vienne de même que

sur l’importance du rôle du CMP dans la transmission d’information à la masse populaire.

Bien que ces références ponctuelles étaient déjà présentes dans un ou deux articles dès 1954,

leur apogée sera bel et bien dans les dernières années de publication de l’AIJD autour de la

question du désarmement nucléaire et ce, jusqu’en 196092

.

Enfin, au tournant de cette même année, les discussions des juristes démocrates autour

de la question du nucléaire militaire s’essoufflent jusqu’à disparaitre de leur publication en

196393

. Bien qu’il semble toujours en être question dans une chronique sur le désarmement,

elle adoptera une tournure plutôt politico-historique que juridique. En 1963, l’AIJD cesse de

publier des éditions spéciales portant sur la question du désarmement ainsi que des articles

dans la revue biannuelle. La question du droit international commence à se porter de plus en

plus vers celle des pays en voie de développement, du droit des peuples, des questions

économiques et sociales mais aussi de la décolonisation. Bien que la chronique sur le

désarmement fasse référence à l’évolution des débats de l’ONU autour de l’arrêt des

expériences nucléaire entre 1961 et 1962, aucune analyse juridique ne sera apportée au sein

des publications de l’AIJD sur cette question. De même, il ne sera fait aucune référence au

Traité de Moscou de 1963 qui voit les grandes puissances se mettre d’accord sur l’arrêt des

expériences nucléaires, question qui avait pourtant été débattue dès 1954 au sein des revues de

l’association.

L’usage militaire du nucléaire une question absente du Droit

International chez les juristes démocrates et « partisans pour la paix »

belges ? (1949-1963)

Les intervenants belges au sein du CMP sont principalement des physiciens, mineurs,

syndicalistes ou dessinateurs qui font de brèves allocutions94

. Leur questionnement principal

91

J. PETRZELKA, Ibid., p.9-22 ; P. ROMACHKINE, pp.22-23 & p.29-30 et « Résolution sur l’utilisation de

l’énergie atomique », AIJD, VIIe congrès de l’AIJD, 1960, p.150. 92

T. CYPRIAN, « L’interdiction des armes», AIJD, Droit au service de la paix, 06/1955, p.24; D.N. PRITT, Le

droit international et les armes atomiques, 1950, p.12; « Proposition juridique née du développement de

l’énergie atomique », AIJD, Revue de Droit Contemporain, Bruxelles, Ed. AIJD, 06/60, n°1, pp.4-5. 93

La dernière chronique politico-historique trouvée est publiée en 1963 dans la Revue de droit contemporain. 94

CMP, « Discours de M. COSYNS », p.361, « Discours de BRUNFAUP », p. 505-509, in 2e Congrès mondial

des partisans 16-22 novembre 1950, 1951;« Discours de M. COSYNS », pp.513-514, « Discours de

Page 25: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

24

concerne les scientifiques belges qui n’ont pratiquement pas accès à des étalons d’uranium

congolais en suffisance pour progresser dans la recherche nucléaire industrielle et pacifique95

.

Cet argument sera émis par Max Consyns, physicien et directeur de l’Institut de recherche de

physique nucléaire belge. Ce scientifique regrette que l’uranium congolais belge soit utilisé à

des fins militaires par les Etats-Unis alors que la science belge ne dispose pas d’assez

d’uranium que pour pouvoir continuer ses recherches dans le domaine de l’industrie

pacifique. Une autre question, qui n’est pas l’objet de l’étude, sera celle des conditions de

travail dans les mines ouvrières en Belgique96

. De manière générale, les Belges sont peu

présents au sein des congrès mondiaux pour la paix. De plus, quand ils le sont, ils prennent

rarement la parole sur la question du nucléaire militaire.

Une personnalité particulière du CMP est Isabelle Blum (1892-1975). Professeur

d’Histoire à l’Université Libre de Bruxelles, membre du Parti Socialiste belge, députée au

sein de la Chambre des Représentants et membre active du CMP, elle prendra part aux

discussions de la Chambre et des congrès mondiaux pour la paix autour de questions aussi

diverses que le désarmement, les guerres du Vietnam et de Corée ou les problèmes de

décolonisation. Pour ce qui est du désarmement, elle fera peu d’interventions au sein de la

Chambre97

. Il est possible de définir son point de vue concernant cette question au travers de

la lecture de cette adresse. Dès 1951, Isabelle Blum s’investira dans le CMP ce qui ne sera pas

vu d’un bon œil le PSB dont elle sera exclue98

. Cependant, sa participation en tant que

présidente de la commission spéciale du CMP pour le désarmement est attestée en 1952. Au

diapason avec les idées du CMP, elle se positionne pour une interdiction de l’usage militaire

de l’énergie nucléaire. D’ailleurs, elle signera tous les appels dont il a été question dans la

première partie de l’article. En faveur d’un contrôle du désarmement régional nucléaire pour

arriver à un désarmement général mondial, sa position défendra également la mise en place

d’une législation internationale concernant les punitions relatives au premier gouvernement

qui utiliserait l’arme atomique. Cette députée militante donne une priorité à l’interdiction de

la bombe atomique et des armes de destruction massive. En ce qui concerne la question

A.MASQUELIER », pp.635-638, « F. LECOCQ », pp.639-641, in Congrès des peuples pour la paix 12-19

décembre 1952, 1953. 95

CMP, « Discours de M. COSYNS », in 2e Congrès mondial des partisans de la paix 16-22 novembre 1950,

1951, p.361. 96

CMP, « Discours de BRUNFAUP », in 2e Congrès mondial des partisans de la paix 16-22 novembre, 1951, p.

505-509; « Discours de F. LECOCQ », in Congrès des peuples pour la paix 12-19 décembre 1952, 1953,

pp.639-641. 97

GOTOVITCH J., BLUME I., « Document 28 tiré du journal Le Peuple du 05/12/1950 », Isabelle Blume:

entretiens / recueillis et présentés par José Gotovitch, Bruxelles, Ed. J. Jacquemotte, 1976, p. 128. 98

Ibid., p. 191.

Page 26: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

25

allemande, elle est - tout comme Henri Rolin, les juristes de l’AIJD et les membres CMP -

d’accord sur le fait que l’unification de l’Allemagne ne peut se faire dans la paix et la sécurité

si la partie ouest est réarmée99

. « Il faut commencer par ne pas réarmer l’Allemagne »100

.

Suite au second congrès, elle sera envoyée dans la délégation du CMP à l’ONU pour présenter

les idées du comité où elle défendra notamment sa position contre le résarmement allemand et

les expérimentations nucléaires.101

En mai 1958, elle tiendra à Bruxelles le discours

d’ouverture d’un colloque sur le désarmement et la coopération internationale à propos de

l’arrêt des expériences nucléaires et de la création de zones désatomisées en Europe. C’est

notamment au cours de cette allocution en qu’elle appuiera le plan Rapacki102

.

En ce qui concerne les juristes belges, un homme politique, sénateur, juriste démocrate

et professeur de droit à l’Université Libre de Bruxelles sera mis avant. Il s’agit d’Henri Rolin

qui, au travers de l’ouvrage publié par Robert Devleeshouwer103

et des diverses discussions

relatives à la course aux armements - auxquelles il a pris part lors des sessions du Sénat de

1955 à 1963 -, semble faire partie des Belges à avoir pris position. L’intérêt pour la question

du nucléaire militaire semblait absente des discussions en Belgique. En effet, dans les

publications de l’AIJD étudiées, il n’y a pas d’articles publiés par des juristes belges. Bien

qu'ayant participé aux débats du Sénat sur cette question, Henri Rolin reste tout de même le

spécialiste du droit international privé et du droit des gens104

. Cela, même s’il a rédigé un

article sur la bombe atomique en 1955 qui n’a pu être étudié ici105

.

En 1945, lors de la Conférence de San Francisco crééant l’ONU, Henri Rolin est

défavorable au droit de veto accordé aux cinq grandes puissances au sein du Conseil de

Sécurité des Nations Unies. Il rappellera à cet effet l’échec de la Société des Nations avant la

Seconde Guerre Mondiale. Cependant en 1949, il change de position en affirmant qu’ « il

serait une erreur de donner des votes égaux à l’Assemblée Générale et au Conseil de Sécurité

à des puissances de portées aussi incomparables que les USA et la République San

Salvador »106

. Ce spécialiste du droit international des gens est désappointé face à l’échec des

diverses tentatives pour assurer le désarmement alors que l’Article 8 du Pacte de Genève

99

« Document 28 05/12/50 », in Ibid., p.129. 100

Ibid., p.129. 101

Ibid., p.192. 102

Ibid., p.193. 103

DEVLEESHOUWER R., Henri Rolin 1891-1973, Une voix singulière, une voix solitaire, Éditions de

l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1994. 104

D’après l’article biographique écrit par R. Devleeshouwer et publié dans la Biographie Nationale de Belgique.

Cf. <academieroyale.be> 105

Henri Rolin « Outlaw the just bomb », the Nation, New York, 1955. 106

Cité dans DEVLEESHOUWER R., Henri Rolin 1891-1973, Une voix singulière, une voix solitaire, Éditions

de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1994. p.423.

Page 27: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

26

reconnait la nécessité d’une baisse progressive des stocks107

. Pour ce sénateur, il ne serait pas

possible de demander aux pays possesseurs de la connaissance relative à l’énergie atomique

dans le but de construire des armes, de déstocker et éliminer ce stock sans instaurer un

contrôle de ce désarmement. D’autant plus que le passage de l’utilisation du nucléaire

militaire à un usage civil ne peut se faire de manière rapide108

. Ainsi, il prendra position pour

une diminution progressive et contrôlée des stocks d’armements atomiques 109

. Pour lui, un

Etat doit posséder « les garanties que si les bombes atomique lui ont été enlevées, elles le sont

aussi à son adversaire éventuel »110

. D’après Devleeshouwer, la politique employée par Henri

Rolin s’inscrit dans l’idée d’un pacifisme relatif. Lui-même se définit comme un

« internationaliste de tendance universaliste »111

. Ainsi, il souhaitait garder des contacts entre

les deux blocs et voir se développer le commerce à l’aide de l’organisation d’un désarmement

lié à une interdiction de l’arme atomique112

. Dans les débats au Sénat, il se positionne de

manière favorable autour de l’idée d’interdire l’arme atomique, l’arme bactériologique ainsi

que pour le contrôle du désarmement par un corps d’expert indépendant dans l’idée que les

Etats facilitent l’accès à leur territoire pour que celui-ci soit effectif113

.

Il soulèvera donc aux cours des débats du Sénat la question du réarmement de

l’Allemagne Occidentale et de son entrée au sein de l’OTAN. Dans son optique, « la détente

ne peut que passer par le règlement du problème allemand qui passe aussi par le

désarmement régional »114

. Son idée se rapproche de celle des membres du CMP quand il

énonce que ce fait concernant la RFA entraverait son unification. Unification qui, dans leur

conception, serait pourtant la seule solution assurant la paix en Europe. Henri Rolin se

positionne d’une manière qu’il dit la plus objective possible dans une tentative de ne prendre

parti pour aucun des deux blocs. Il remettra en question le rôle de défense de l’OTAN et le fait

que l’obligation à un service militaire de deux ans pousserait l’organisation - qui se veut

défensive et pour la sécurité de l’Europe - vers un militarisme. Ses prises de position

concernent donc la sécurité de l’Europe et de la Belgique. Il sera contre l’usage d’arme

nucléaire par les militaires de l’OTAN notamment en cas d’offensive. De plus, il refuse que la

Belgique stocke des armements ou des outils de lancement de bombe nucléaire au sein de son

107

Ibid., p. 425. 108

Cité dans DEVLEESHOUWER R., Henri Rolin 1891-1973, Une voix singulière, une voix solitaire, Éditions

de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1994 p. 427. 109

Ibid., p.428. 110

Cité dans Ibid., p. 429. 111

« Allocation Henri Rolin », An. Se., 1955/1956, 20/03/56, p.875. 112

DEVLEESHOUWER R., Henri Rolin 1891-1973,1994, p. 434. 113

Ibid., p.438. 114

Ibid., p.440.

Page 28: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

27

territoire115

. Il avancera pour cela l’idée que la Belgique pourrait soutenir la sécurité et

s’affirmer dans le pacte de l’OTAN en poussant d’autres pays à ne pas posséder d’armes

nucléaires. Cela éviterait à ces petits pays d’être la cible toute choisie des belligérants en cas

de conflit.

En 1958, à la même période où les juristes démocrates s’expriment sur la question, il

affirmera son accord envers le Plan Rapacki. « Le plan peut constituer un point de départ

objectif pour certains car seul le désarmement atomique et pas classique est concerné. Il

conduirait à la neutralisation de l’Allemagne bien que ce plan reste muet sur la question de

neutralité »116

. Il mettra - tout comme les membres du CMP et les juristes de l’AIJD - en

exergue le fait que la création d’une zone dénucléarisée en Europe serait l’assurance d’une

sécurité relative et un premier pas vers le désarmement nucléaire autant que vers le

désarmement général total. Pour ce faire, en 1963, il demandera au gouvernement belge de

s’engager en faveur du plan Rapacki117

. Quelques années plus tôt, en 1960, Henri Rolin

revenait sur l’échec de la conférence au sommet pour le désarmement. « Chaque proposition

sur le désarmement ne pouvait que provoquer le rejet car aucune des deux parties

n’accepterait de voir l’autre avoir l’honneur d’avoir trouvé »118

. (Cf. annexe 5) Une peur

dont il fait part au sein du Sénat est que le lancement d’une bombe nucléaire provoque une

guerre suite à la négligence des gouvernements, qui dans l’idée d’une riposte rapide,

laisseraient les commandes aux officiers militaires. Pour lui, les militaires, pas toujours

soumis aux gouvernements, n’en ont que faire du droit international et du bien-être de la

population. Par conséquent, ils sont susceptibles de déclencher une guerre par bellicisme119

.

De cette manière, sa conception du droit international est très proche des juristes démocrates

et des interventions du CMP. « Tous les juristes du droit international diront que l’intérêt de

la transformation d’une règle coutumière en règle écrite est qu’on lui donne une précision et

une certitude qui sont d’un grand intérêt pour les praticiens »120

. En effet, pour Henri Rolin,

le droit international - bien que critiqué - est la mise en application concrète de traités et

d’accords et permet de rendre officielle une règle coutumière en tant que règle de droit

international acceptée unanimement par les juristes du monde entier.

115

Ibid., p.439. 116

« Discours Henri Rolin », A. S., an. 1957/1958, C.-R. I. sess. 26/03/1958, p.1174. 117

« Discours Henri Rolin », A. S., an. 1962/1963, C.-R. I. sess. 21/02/1963, p.652. 118

« Discours Henri Rolin », A. S., an. 1959/1960, C.-R. I. sess. 19/05/1960, p.1418. 119

« Discours Henri Rolin », A. S., an. 1961/1962, C.-R. I. sess. 01/03/1962, p.748. 120

« Discours Henri Rolin », A. S., an. 1962/1963, C.-R. I. sess. 21/02/1963, p.645.

Page 29: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

28

Conclusion

Cette étude permet de mettre en lumière plusieurs notions dans la question de

l’Histoire du droit international autour du désarmement nucléaire entre 1949 et 1963. Pour

commencer, bien que les membres du CMP et les juristes fassent référence constamment à des

évènements antérieurs et positionnent les bombes lancées sur Hiroshima et Nagasaki comme

le commencement de « l’ère atomique », le préambule de leur prise de position se fait

respectivement dès 1949 et 1954. La période durant laquelle ils vont réellement prendre parti

pour l’interdiction de l’usage nucléaire militaire et des expérimentations se fait donc durant un

laps de temps réduit. Cependant, ce positionnement correspond à l’Histoire des relations

internationales qui se déroule en parallèle au sein des différentes commissions et assemblées

générales relatives à l’ONU. De cette manière, il est possible d’affirmer que, dans la question

du désarmement, le droit international est intrinsèquement lié et contemporain aux conditions

et aux évènements politiques. Les arguments utilisés relèvent généralement des propositions

présentées par les représentants des différents gouvernements appartenant à l’ONU. Ce sont

également celles qui sont débattues du point de vue de la législation internationale déjà

existante par les juristes au cours de leur participation à l’élaboration du cadre juridique de ce

début d’ère atomique. Ainsi, les juristes démocrates sont régulièrement au diapason et en

faveur des plans présentés par les pays « socialistes » mais s’avèrent également critiques face

aux propositions présentées par le « coté occidental ». Cette étude révèle donc une prise de

position juridique qui se reflète dans le conflit opposant le bloc Ouest et le bloc Est dans cette

période. Elle est en quelque sorte la transposition des relations internationales au niveau du

débat juridique, puisque les arguments avancés sont du même type que les gouvernements

communistes. En outre, les juristes qui prennent part à ces discussions au sein de la revue sont

de par leur nationalité quasiment de facto influencés par l’orientation politique de leur partie.

De fait, l’étude de la vision des juristes pro-usage du nucléaire militaire serait un champ de

recherche intéressant à mettre en relation avec la vision proposée dans cet exposé.

Il en est quelque peu de même pour l’évolution argumentaire des membres du CMP

qui se calque elle-aussi bien souvent sur le modèle des propositions politiques présentées par

le bloc Est. Ainsi, les appels de Stockholm, de Vienne et d’Helsinki sont en quelque sorte - et

à quelques mots près - les propositions effectuées par l’URSS en 1950, 1952 et 1954 au sein

des assemblées générales de l’ONU, du Conseil de Sécurité et du comité qui réunit les cinq

Page 30: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

29

grandes puissances121

. Tandis que dans les premières années des congrès mondiaux pour la

paix, ils étayaient foncièrement des propos plutôt scientifiques et humanitaires, ils auront dans

l’évolution de leur discours - durant la courte période de 1949 à 1955 – un glissement vers des

arguments de portée de plus en plus juridique. Pourtant, ils seront les premiers, bien avant les

juristes de l’AIJD, à faire référence à l’entrave qu’apportent les recherches pour le nucléaire

militaire dans le développement de l’énergie atomique pacifiste à vue industrielle et de « bien-

être » pour la population. Ainsi, au fur et à mesure des contacts entre juristes et membres du

CMP, cet argument, proposé d’abord par les pacifistes du conseil, prend de plus en plus de

place dans la conception juridique des membres de l’AIJD. Pourtant, le rôle de ce comité est

influencé autant de par les subsides provenant des Etats communistes que par leur politique.

Les congrès ont lieu généralement sur un territoire qui n’est pas neutre politiquement parlant.

De plus, lors du premier congrès, la réunion a du se dérouler dans deux pays différents, une

partie des intervenants n’étant pas autorisés par leur gouvernement à se déplacer dans une

nation considérée comme politiquement contraire à la leur.

Enfin, en ce qui concerne la participation belge à ces débats, autant du côté du CMP

que de l’AIJD, elle apparait comme limitée aux cours de ces années dans la mesure où les

préoccupations principales ont été soit l’économie et l’usage qui tournait autour de l’uranium

congolais belge - qui n’appartenait plus à la Belgique suite aux accords signés pendant la

Seconde Guerre Mondiale avec les Etats-Unis et l’Angleterre - , soit sur les conditions de

travail des mineurs ou encore sur le droit des femmes ou les problèmes que la décolonisation

du Congo commencera à poser dès 1960 à l’économie du pays. Pour Henri Rolin, dès qu’il

s’agira de parler d’énergie d’atomique, l’inquiétude sera de mise concernant le réarmement de

l’Allemagne, le placement de matériel militaire atomique en frontière belge, la création d’une

armée supranationale avec l’augmentation du service militaire à deux années et le traité

économique et de marché qu’est l’EURATOM dès 1956. Ainsi, cette question ne sera pas

réellement étudiée par ce juriste belge en tant que problématique relevant du droit

international dans le contexte de course aux armements et de tension entre deux blocs

ennemis mais comme un aspect politique et économique relevant de la vie politique belge

plutôt qu’internationale. Les questions de droit international pour Henri Rolin seront

principalement celles du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ainsi que les

problématiques engendrées par la colonisation. Enfin, bien qu’ayant des contacts avec les

juristes démocrates comme le signalent certaines références le concernant dans les

121

Etats-Unis, Angleterre, France, URSS, République populaire de Chine.

Page 31: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

30

publications, Henri Rolin n’a pas pris part activement à la réflexion sur la question de

l’armement nucléaire au sein de la revue. Comme il l’a été signalé, ce sénateur était plutôt

favorable au désarmement mais restait tout de même nuancé quant à un quelconque

positionnement dans l’un ou l’autre des deux blocs. Concernant Isabelle Blum, son

engagement au sein du CMP et dans ses diverses commissions spéciales pour le désarmement

ne fait aucun doute bien qu’une fois au sein de la Chambre, son discours se soit porté plus

régulièrement sur les conditions de vies ouvrières ainsi que sur les effets de la guerre

bactériologique en Corée et au Vietnam. Quelques années après la période étudiée ici, elle

assurera la présidence du CMP alors que celui-ci se sera déjà tourné vers les questions

entourant les pays nouvellement indépendants en pleine émergence. Isabelle Blum sera donc

un membre belge très actif de ce comité et soutiendra les causes qu’il défend. Une étude des

Annales de la Chambre des Représentant dans la période où Isabelle Blum y participe, aurait

peut-être permis de nuancer ce propos et de découvrir un discours plus présent à propos de la

question de la bombe atomique et des expériences qui y sont relatives. Cela permettra

d’étendre la recherche quant à savoir si les juristes, hommes et femmes politiques belges

auraient pris ou non une position plus affirmée sur la question du désarmement et de l’arme

nucléaire. Mais également, découvrir si les juristes belges ont publié des communiqués à

l’instar de leur comparses japonais, tchécoslovaques, anglais, américains, allemands, polonais

et soviétiques. Au regard de cet exposé, il semble que de manière générale les Belges aient été

discrets à propos du désarmement dans une perspective d’alignement au bloc occidental au

sein de la Guerre Froide.

Ainsi, il faut remarquer qu’au travers des discours replacés dans leur historicité, la

prise de position des juristes, des membres du CMP mais aussi d’Isabelle Blum est orientée

idéologiquement vers les doctrines communistes, - appelées socialistes par les intervenants

étudiés. Seul Henri Rolin tenterait de ne prendre aucun des deux partis au travers de ses

discours. De fait, il serait intéressant de mettre en perspective cette vision juridique du droit

international en opposition ou en complémentarité avec celle des juristes « non-

communistes ». De surcroît, les différents argumentaires sur la question du désarmement se

positionneraient en corrélation avec la nationalité des intervenants. En effet, les différentes

conceptions avancées - autant par les participants du CMP que les juristes démocrates -

semblent intrinsèquement liées à la position géographique et à leur nationalité. De manière

telle que les questions des expérimentations nucléaires seront principalement défendues par

les juristes des nations touchées par celles-ci comme le Japon ou l’Inde, de même que la

Page 32: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

31

question de la souveraineté des nations liées à la ressource naturelle qu’est l’Uranium sera

portée par les délégations belges et canadiennes, autour de la table de discussions des CMP.

Le manque de législation en droit international verra donc jongler ces juristes

démocrates avec les conventions, les accords, la jurisprudence et les règles de droit mises en

place depuis le « De mare bellum » de Grotius au 16e siècle jusqu’aux Conventions de

Genève de 1949 et aux Tribunaux Internationaux de Nuremberg et Tokyo. Finalement, suite à

la décolonisation et l’implication de nouvelles nations dans la recherche scientifique, en 1960,

les juristes commenceront à se tourner vers la conception d’un corpus juridique de droit

international privé. La problématique prendra place autour de la question des émanations

radioactives sur la population civile que peut provoquer une centrale nucléaire ainsi que les

transports de matières radioactives vers une industrie de type atomique. Conception évoquée

dès 1949 par les membres du CMP. En 1963, et ce malgré les dix années de discussions à ce

sujet, ces juristes démocrates n’auront pas réussi à trouver de solution au vide juridique relatif

au droit international qu’ils évoquent, ni à émettre un nouveau texte de loi international

entrant dans le domaine du droit international positif qui légiférerait de manière concrète

l’usage de l’énergie atomique à des fins militaires. Leur action principale aura été d’émettre

des propositions et des adresses envoyées aux AG de l’ONU grâce à la présence d’une

délégation de l’AIJD en son sein. Bien que ce droit international soit intrinsèquement lié à la

science politique et à la « vie politique » qui se déroule à cette période, cette « vie politique »

semble ne prêter que peu d’attention à l’apport des arguments juridiques et évolue sans

grandes interférences de la part du droit international. Le Traité de Moscou de 1963 mettra en

place un arrêt des expériences nucléaires durant une période déterminée et ce, de la part de

tous les possesseurs de matériel militaire atomique. Bien que ce Traité fasse office de

première convention en droit international concernant l’utilisation militaire du nucléaire en

temps de paix, il ne semble pas que les juristes aient joués un rôle réel dans son élaboration.

En effet, ce traité s’est conclu entre les cinq grandes puissances autour de discussions

politiques et idéologiques entre les deux blocs. Il est possible que les actions du CMP et de

l’AIJD aient influencé la prise de décisions des gouvernements au sein de l’ONU. Cependant,

aucune source qui n’ait été étudiée dans ce cadre ne permet d’affirmer une quelconque

influence de ces juristes démocrates, ni des partisans pour la paix du CMP au sein des prises

de décisions politiques autour de la question du désarmement général et nucléaire. Et ce, bien

qu’ils siègent aux différentes commissions de l’ONU en tant qu’ONG et malgré le fait que

leurs divers appels et adresses aient été envoyées à celles-ci.

Page 33: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

32

Dans sa continuité, l’influence du CMP sur les argumentaires des juristes et les relations

internationale – et inversement- peut poser question. Puisque dès 1956 ses subsides sont

diminués suite à la déstalinisation que reste-il de son « influence » et de son poids dans la

sphère internationale au-delà de cette année ? Bien qu’il n’ait pas été possible de consulter les

publications des congrès mondiaux pour la paix au-delà de 1955, le fait que l’AIJD et le CMP

s’influencent mutuellement peut poser la question de savoir si dans sa continuité celui-ci n’a

pas également délaissé la question atomique pour s’intéresser de manière prioritaire à la

problématique des pays en voie de développement et de ce qui est communément appelé à

l’époque « le Tiers-monde ». Enfin, ces deux ONG ont affirmé à plusieurs reprises

l’importance d’informer l’opinion publique autant que le poids que celle-ci peut avoir sur

certaines décisions politiques. Elles se positionneraient donc en tant qu’intermédiaires entre

les débats au sein de la scène politique internationale et une information relayée à la

population mondiale dans le but de faire agir les consciences en faveur du désarmement

nucléaire. Des juristes et des pacifistes belges peu présents dans la question de l’interdiction

de l’arme atomique, un droit international et un pacifisme dépendants de l’histoire politique et

de ses tensions autour de la course à l’armement mais une histoire politique en période de

Guerre Froide « autonome » du droit international et du mouvement pacifique du CMP, tel

semble être la conclusion de la mise en perspective historique de l’argumentaire des juristes

démocrates, des pacifistes du CMP et des belges présents au sein de ces deux ONG.

Page 34: Travail de séminaire - Le désarmement nucléaire : histoire d’un discours pacifiste, juridique et politique

33

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