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ee
La conciliation des temps,une question plusieurs dimensions
Organisation Sant galit
Bimestriel du rseau Anact-Aract pour lamlioration des conditions
de travail
Travail &
N355mai/juiN2014
changement
ArgumentS (p.59)Genevive Bel (CGPME)Carole Couvert
(CFE-CGC)Pierre-Yves Montlon (CFTC)Agns Parent-Thirion
(Eurofound)Ariane Pailh (INED)Franoise Milewski (OFCE)Ccile
Kanitzer (FHF)Laurence Weibel (chronobiologiste)Dominique Royoux
(Tempo territorial)
Ct entrepriSeS (p.1014)Services
Les mdecins ont rendez-vous avec une journe plus fluideSant
La philosophie planetree lpreuve du terrainServices
Dpoussirer les horai res dcalsindustrie
ngocier des compromis bien profils
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2 TRaVaiL&CHaNGEmENTN355mai/juin2014
ENjEuX
Sous-estime par les acteurs sociaux, la question de la
conci-liation des temps commence trouver droit de cit dans les
entrepri-ses. Un dbut dintrt gagn sous la pression dun double
facteur : dune part, linjonction faite aux entreprises de
simpliquer davantage dans des mesures de soutien la parentalit et
de promotion de lgalit hommes-femmes, dautre part, la persistance
voire le dveloppement de phnomnes tels que les risques psycho
sociaux, labsentisme, la baisse de la qualit de service, la
dgradation de la cohsion des collectifs, les difficults de gestion
des plannings pour les managers.
> une question souvent individualise Traditionnellement,
temps partiel ou jours enfant malade sont prsents comme des mesures
facilitant la concilia-tion des temps pour les mres de famille.
Avec la fminisation du march du tra-vail et les volutions
lgislatives sur la dure du temps de travail, les formules
damnagement du temps de travail se sont multiplies : semaine
compresse, horaires la carte, horaires variables, etc. Or il
apparat que toutes ces formules contribuent principalement
installer les femmes dans leur double journe. Signe dune volution
des murs et des modles familiaux, la promotion de la paternit a
encourag de nouveaux dis-positifs ciblant les pres de famille. Pour
autant, dans les faits, cong paternit et partage des droits au cong
parental restent encore trs peu utiliss.
Il apparat en outre que ces formules sinscrivent dans une
logique de primaut du choix individuel. Elles sont en effet avant
tout conues comme des rponses censes satisfaire des besoins de plus
en plus divers en matire darticulation des temps. Composantes de
loffre sociale des entreprises, elles sont actives comme des
droits, sans vraiment de corrlation avec le fonctionnement des
quipes ni les contraintes de production ou de ralisation des
services. Face la monte en puissance de la thmatique de la
conciliation des temps, les grandes entreprises ont commenc
proposer leurs salaris une palette de services divers : plateformes
dinforma-tion et dorientation sur la prise en charge de proches
dpendants (jeunes enfants, parents gs), services de conciergerie,
crches dentreprise Si nul ne doute de lintrt de ces dispositifs
pour les salaris qui les utilisent, force est de constater que les
populations bnficiaires sont minoritaires. Il sagit donc de
mesures
la marge . Dune part, elles ne ren-voient pas aux sources des
difficults de conciliation et ne permettent pas de les rduire
durablement ; dautre part, leur cot en limite significativement le
dve-loppement toutes les entreprises (PME incluses), ainsi qu tous
les champs de la vie hors travail. Face ces constats et pour
dpasser les limites dune gestion individualise, il est important de
prendre en compte que tous les dispositifs visant la
conciliation
des temps ne sont pas quivalents et napportent pas la mme
souplesse. On distingue ainsi : les mesures qui amliorent
lquipe-ment du territoire ; les amnagements individuels du temps de
travail ; le travail dorganisation du travail, qui est le cur de
lapproche porte par le rseau Anact-Aract.
> Quatre champs de contraintes Le plus souvent, la question
de la conciliation des temps est rduite lquation entre vie
professionnelle et vie familiale. Ctait sans doute opportun il y a
dix ou vingt ans. Mais aujourdhui, lorganisation du temps de
travail est soumise des contraintes nouvelles, lies aux
transformations des mar-chs, des entreprises, des attentes des
salaris, des caractristiques des territoires. La faible
articulation entre
ces dimensions aboutit des horaires de travail atypiques qui
explosent, des dures de travail difficiles valuer, une charge de
travail parfois trop intense , explique Julien Pelletier,
responsable de la mission Prospective et international de lAnact.
March, entreprise, salaris, territoire : lAnact runit ces quatre
champs de contraintes pour construire une grille de lecture
systmique : le compromis temporel .
Longtemps rduite lquation vie professionnelle-vie familiale, la
question de la conciliation des temps appelle une vision plus
systmique, prenant en compte les dimensions temporelles lies
lentreprise, ses marchs, ses salaris et aux territoires. Cest le
compromis temporel , une grille de lecture plusieurs dimensions
labore par lAnact.
La conciliation des temps, une question plusieurs dimensions
Organisation Sant galit
Aujourdhui, lorganisation du temps de travail est soumise des
contraintes nouvelles, lies aux transformations des marchs, des
entreprises, des attentes des salaris, des caractristiques des
territoires. Julien Pelletier, responsable de la mission
prospective et international de lAnact
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1) March. Ces dix dernires annes sest opre une intensification
significative des contraintes temporelles lies au march : alas de
la demande, saisonnalit, dlais raccourcis, ouverture le dimanche Le
donneur dordre exige de plus en plus de ractivit de la part du
sous-traitant ; le client supporte de moins en moins la file
dattente ; linternaute demande tre livr dans les 24 heures , etc.
Il sensuit un dveloppement des horaires atypiques.2) Entreprise.
Les contraintes tem-porelles lies au fonctionnement de
lorganisation sont galement prendre en compte. Emergence de la
chirurgie ambulatoire dans le secteur de la sant, flux tendu dans
le secteur automobile, exigences accrues de scurit et chemin
critique lors des arrts de tranche dans le nuclaire, explosion de
la vente dis-
La conciliation des temps, une question plusieurs dimensions
Organisation Sant galit Jachte une paire de lunettes 22 heures,
dimanche soir sur Internet, je serai livr
mardi. Quelquun traite ma commande
immdiatement ; quelquun, quelque
part, prpare le colis ; un livreur se met
en route. Cela marrange car je serai en
dplacement la semaine prochaine et
rentrerai vers 20 heures 30 tous les soirs.
Reste trouver une solution pour la garde
des enfants. Sauf jeudi : je tltravaille,
mais 15 heures, jai une confrence
tlphonique avec lquipe projet
Lquation est de plus en plus complexe
entre les exigences dun march
constamment en veil, des organisations
ajustes au plus prs, une socit civile
en qute dadaptation (services publics)
et des salaris devant au bout du compte
tenir tous les bouts.
Faire reposer la rsolution de cette
quation sur les seuls individus risque
de conduire des impasses personnelles
(la fameuse double journe), voire
des frictions organisationnelles car
lorganisation de lentreprise ne peut tre
la somme des arrangements individuels
quelle concde.
Un dfi que les partenaires sociaux se sont
donn les moyens de relever avec laccord
du 19 juin 2013 sur la QVT, renforc par
la loi du 5 mars dernier sur la formation
professionnelle, dont un article permet
dinnover, par la voie dune approche
globale, en concluant un accord unique sur toutes ces
questions.
DiTORiaL
Herv Lanouzire, directeur gnral de lAnact
tance : autant de tendances qui viennent renforcer les pressions
sur le temps de travail.3) Salaris. Il apparat impossible de
ngli-ger la diversit des situations individuelles (devoirs
familiaux, engagements citoyens, associatifs, aspirations aux
loisirs) ni les nouveaux enjeux lis lallongement de la vie. Outre
le soutien de leurs enfants et jeunes adultes, de plus en plus
dactifs ont galement prendre en charge leurs propres parents ou
assurer une pr-sence auprs des petits-enfants. 4) Territoires.
Enfin, autre catgorie constitutive du compromis temporel : les
contraintes lies lurbanisation, aux temps de transport, laccs ou
non aux services publics. Avec, ici, un facteur aggravant de
rptition dans la pression exerce sur les individus.
Un dfi que les partenaires sociaux se sont donn les moyens de
relever avec laccord du 19 juin 2013 sur la QVT, renforc par la
loi
du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle.
3
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4 TRaVaiL&CHaNGEmENTN355mai/juin2014
ENjEuX
Explosion des horaires atypiques, omni-prsence des nouvelles
technologies, culte de la performance, march de lemploi en berne :
les facteurs de ds-tabilisation se sont multiplis, jusqu alimenter
une tension parfois dltre qui pose mme des questions de justice
organisationnelle. Si lquilibre des temps apparat comme un sujet
prioritaire, cest, dune part, parce que les salaris
ressentent de plus en plus de difficult concilier leurs
responsabilits profes-sionnelles et personnelles et, dautre part,
parce que les entreprises grent la tension entre qualit de service
et qua-lit de vie au travail. Si les exigences de lactivit voluent,
les pratiques anciennes perdurent. Il nest donc pas surprenant que
lorsquon demande aux Franais de prciser ce quils associent la
qualit de vie au travail, la conciliation entre vie prive et vie
professionnelle arrive en deuxime position, juste aprs la nature du
travail (enqute Anact, mai 2013). Or, parce quelle se pose dans un
monde glo-balis, parce quelle dcrit des situations qui
interagissent dans la construction des parcours de vie, la rflexion
sur lquilibre des temps appelle un angle de vue mul-tidimensionnel.
Cest dans cette logique que sinscrit la dynamique du compromis
temporel.
> une approche concerte Lapproche organisationnelle du
com-promis temporel propose dactualiser les exigences auxquelles
les entre-prises sont confrontes et de revoir en consquence les
modes dutilisation des quipements, loffre de service, les choix
dorganisation du travail Ne pas sdimenter les contraintes au fil
des volutions, questionner rgulirement leur pertinence en lien avec
la stratgie de lentreprise permet de mieux adapter les ressources
et de trouver de nouvelles solutions organisationnelles , explique
Florence Loisil, charge de mission du dpartement Changements
technolo-giques et organisationnels lAnact.
Avec toujours un mme objectif : per-mettre aux entreprises de
renouveler les termes de lquation liant performance et qualit de
vie au travail.Vision globale oblige, ce travail de diagnos-tic et
de refonte repose sur une approche concerte : tous les acteurs du
dialogue social au sein de lentreprise de mettre en perspective les
principaux objectifs viss, les contraintes majeures, les points
forts
et les points faibles de lorganisation, les besoins des salaris.
En ligne de mire : la rduction de labsentisme, la prvention du
stress et des risques psychosociaux, la progression de la qualit de
service, une meilleure cohsion des collectifs, une gestion facilite
des plannings par les managers.
> Laccord QVt : une opportunitPar sa dimension systmique, la
notion de compromis temporel mobilise au-del de lentreprise. Dans
le cas du secteur des services la personne, pour-
Les horaires atypiques occupent une place majeure dans les
rflexions sur la conciliation des temps. Temps partiel, travail de
nuit, horaires clats sont souvent prsents comme des facteurs
daltration de la sant. Quen est-il rellement ? Les tudes sur le
sujet sont rares. Une enqute de lInstitut national de la sant et de
la recherche mdicale (Inserm) publie en juin 2012 a mis en lumire
une forte prvalence du cancer du sein chez les femmes ayant
travaill la nuit. De mme, une quipe de chercheurs du Centre
INRS-Institut Armand-Frappier et du Centre de recherche du Centre
hospitalier de luniversit de Montral a conclu en 2012 une
augmentation du risque de cancer, notamment de la prostate,
chez
les hommes travaillant la nuit. Mme si les tudes scientifiques
ne permettent pas de systmatiser une relation de cause effet entre
horaires et sant, cela reste un enjeu de prvention de la pnibilit
et de lusure profession-nelle : Les horaires dcals agissent comme
une contrainte sur la situation de sant des salaris qui y sont
sou-mis. Le temps est une source parmi dautres dexposition aux
risques, dont linteraction avec dautres sources est fonction de
chacun, de son horloge biologique, de son secteur dactivit, de son
environnement familial. En termes de sant, certaines expositions
nont pas les mmes effets sur les salaris , souligne Pascale
Mercieca, charge de mission lAnact.
Horairesatypiquesetsant
Lapproche organisationnelle du compromis temporel propose
dactualiser les exigences auxquelles les entreprises sont
confrontes et de revoir en consquence les modes dutilisation des
quipements, loffre de service, les choix dorganisation du travail
Florence Loisil, charge de mission du dpartement Changements
technologiques et organisationnels de lAnact
quoi continuer denvoyer les salaries cinquante kilomtres de chez
elles quand des besoins existent dans le primtre de leur domicile ?
Pour fournir un travail de qualit, il sera ncessaire de se pencher
sur lorganisation territoriale de ce sec-teur dactivit. Des
solutions organisationnelles existent. Autre exemple : dans une
fromagerie, le travail de nuit sest historiquement
impos pour traiter la matire premire dans les meilleurs dlais.
Larrive de femmes fromagres a remis en question le travail de nuit.
Les volu-tions technologiques de la rfrigration ont permis de
remettre
au lendemain la transformation de la matire. Cela a t loccasion
de revoir toute lorganisation du temps de travail des
quipes.Laccord national interprofessionnel du 19 juin 2013 relatif
la qualit de vie au travail (QVT) propose de nouvelles manires de
traiter des questions dga-lit, de conciliation, de ngociation et de
performance et peut offrir aux entre-prises un cadre opportun de
rflexion pour construire une approche organi-sationnelle des
compromis temporels.
muriel Jaoun (journaliste)
aRGumENTS
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5
aRGumENTS
Pas facile pour les petites entreprisesPour les PME et TPE, il
existe des solutions envisageables dans les services
inter-entreprises. Nous en avons un bel exemple dans les Vosges
dans le bassin de Saint-Di o, en 2009, sous limpulsion de la CGPME,
une tude dopportunit concernant la cration dune crche
interentreprises a t ralise.
Dans les PME, quels sont les publics les plus exposs un mauvais
quilibre des temps ?Nous savons bien quil existe une ingalit entre
les femmes et les hommes. Celle-ci vaut galement dans les PME, o
les femmes prouvent, comme ailleurs, des difficults dans
larticulation des temps, certaines narrivant pas concilier leur vie
personnelle et leur vie au travail, allant jusqu se retirer plus ou
moins longtemps du monde du travail. Il ne fait pas de doute quune
volution est en route. Mais il faut absolument changer les
mentalits. Il est important dagir sur les freins culturels
La conciliation des temps nest pas encore vraiment un sujet
central de rflexion dans les entreprises. Et les portes dentre
cette rflexion apparaissent diverses : galit professionnelle,
absentisme, impact des horaires atypiques
et socitaux qui contribuent largement maintenir les ingalits
entre les femmes et les hommes dans le monde du travail. A travers
ses clubs Entrepreneuriat au fminin, la CGPME tente de soulever et
de corriger certains de ces freins, notam-ment les strotypes dans
lesquels nous baignons depuis notre enfance et que nous
reproduisons inconsciemment. Mais, de son ct, le chef dentreprise
nest responsable que de la gestion du temps de travail, pas de la
gestion des autres temps de vie.
Vous avez mis en place un label mixitPour lobtenir, les
entreprises doivent, dune part, dmontrer un progrs signi-ficatif au
cours des dernires annes sur au moins deux des domaines suivants :
recrutement (pourcentage hommes/femmes), rmunration, formation,
pro-motion, conditions demploi, soutien la parentalit-quilibre des
temps. Elles doivent aussi poser au moins un objectif dvolution et
de moyens mis en uvre pour les deux ou trois ans venir.
Le point de vue des partenaires sociaux propos recueillis par
muriel Jaoun
L
La conciliation des temps, une porte peine entrouverte
La question de la conciliation des temps de vie est-elle une
priorit au sein des PME ?Proccups par le maintien de leurs parts de
march et la prennit de leurs entre-prises, les patrons de PME ont
plus que jamais besoin de toutes leurs troupes plein temps. Il leur
est donc difficile de met-tre en place du temps partiel ou du temps
de travail choisi . La problmatique de la conciliation des temps
est davantage lapanage de socits ou de groupes de taille dj
respectable qui bnficient dun service RH ou dune DRH.
Lorsque la question se pose nanmoins, cest par quelle entre ? Si
les PME sont confrontes cette probl-matique dquilibre entre vie
personnelle et vie professionnelle, lentre naturelle nest ni
lgalit, ni la sant et scurit au travail, ni la productivit, mais
plutt lab-sentisme. Comment grer labsence dun collaborateur qui a
notamment des probl-mes de sant (ceux-ci ntant pas, dans la majeure
partie du temps, lis au travail) ? Comment grer les problmes de
garde denfants ? Mme si la France est plutt en pointe par rapport
dautres pays sur ce terrain, il manque 350 000 places de garde. Et,
souvent, ces modes de garde sont trop chers pour les familles. Il
faut multiplier les places en crche, en halte-garderie. Il est
ncessaire doffrir aux familles des choix diffrents pour faire
garder leurs enfants, de dvelopper des structures multi-accueil
avec des horaires souples.
geneViVe BeL, vice-prsidente CGPME dlgue lentrepreneuriat au
fminin
CArOLe COuVert, prsidente de la CFE-CGC
donc dix ans que cette question des temps est lordre du jour de
nos rflexions. Demble, jai plac la rflexion sous langle de la
mixit, pour lextraire du prisme fmi-niste o elle se trouvait et qui
en faisait trop souvent un sujet de railleries. Le rseau a t
rejoint par des hommes et des femmes, ce qui est, mes yeux,
essentiel.
Voyez-vous sur ce sujet des volutions significatives dans les
pratiques des employeurs ?Franchement, les choses ne bougent pas.
Les entreprises considrent, en priode de crise a fortiori, que la
question de la conci-liation des temps de vie est une question
gadget, qui plus est, source de cots.
DDepuis quand la CFE-CGC sintresse-t-elle la question de la
conciliation des temps ?Lorsque jai rejoint la confdration en 2004,
jai t nomme dlgue nationale en charge du dossier galit
professionnelle . Ma premire action a t la cration du rseau
Equilibre, ddi lgalit professionnelle et la conciliation des temps
de vie. Cela fait >
5
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aRGumENTS
TRaVaiL&CHaNGEmENTN355mai/juin20146
DDbut 2013 la CFTC a saisi lANSES sur la question des horaires
atypiques. Quel est lobjet de cette saisine ?Nous avons demand
lAgence natio-nale de scurit sanitaire de lalimen-tation, de
lenvironnement et du travail (ANSES) dmettre un avis concernant les
effets des horaires atypiques sur la sant des travailleurs.
Celle-ci devrait rendre prochainement son rapport. Nous savons
dores et dj que les experts de lagence ont ax une partie de leurs
recherches sur le travail de nuit, dont plusieurs tudes ont montr
quil tait nfaste pour sant.
En attendant lavis de lANSES, quel est le constat de la CFTC en
matire dhoraires atypiques ?Tout dabord, nous entendons par
aty-piques les horaires qui ne correspondent pas peu prs ce quil
est convenu dappeler des horaires de bureau. Nous pensons que les
horaires atypiques dont la pratique du travail post sont en
forte
augmentation dans les modes dorgani-sation du travail. La CFTC
est en effet de plus en plus frquemment alerte par des travailleurs
sur ces questions.
Quel est le lien entre le dveloppement des horaires atypiques et
la logique de conciliation des temps professionnel et priv ? Du ct
des employeurs, linflation des horaires atypiques rpond bien
davantage une logique conomique de productivit qu une stratgie de
conciliation des temps professionnel et priv. Prenons le cas du
secteur des services : la pratique gnralise des horaires atypiques
y est trs clairement une rponse la continuit de lactivit. On peut
certes arguer que la continuit dactivit relve dune mission de
service public, a fortiori dans le secteur hospitalier. Reste que
les organisations en deux fois douze heures, frquentes chez les
infirmires ou les sages-femmes, ne rpondent pas seulement une
continuit de service au public, mais aussi, bien sou-vent, une
continuit conomique.
Les horaires atypiques sont-ils prjudiciables lquilibre entre
vie professionnelle et vie personnelle ?Dans de nombreux cas de
figure, sans aucun doute. Prenons le cas des caissires
dhypermarchs, qui commencent le matin,
puis cessent de travailler pour reprendre en fin daprs-midi et
qui, compte tenu de lemplacement excentr des points de vente, nont
pas la possibilit de profiter de leur interruption de travail en
journe pour rentrer chez elles. Qui plus est, elles sont
contraintes de passer plusieurs heures dans un environnement qui ne
leur offre aucune source doccupation, de confort ou dpanouissement
personnel. Il est cet gard essentiel de rappeler que la question de
la conciliation des temps est indissociable dune rflexion sur
lam-nagement du territoire.
Quelle place a cette question de la conciliation des temps la
CFTC ? La CFTC a toujours t trs engage sur les questions
familiales. La conciliation des temps est pour nous un sujet
histori-que. Mais nos interrogations sont dautant plus fortes
aujourdhui que nous avons tout lieu destimer que ces pratiques se
dveloppent en dehors de lassentiment total des salaris qui y sont
soumis. Bien souvent, ces horaires concident avec de nouveaux
postes ou de nouvelles organisa-tions. Pour les travailleurs, sy
soumettre devient alors une condition ncessaire pour obtenir
lemploi ou sy maintenir. Dautres travailleurs acceptent ces
horaires atypi-ques parce que des horaires normaux ne leur
permettraient pas dassurer la subsistance de leur foyer.
pierre-YVeS mOntLOn, responsable CFTC sant au travail
La question nen est que plus urgente. Et la bataille doit
notamment porter sur les strotypes. Car il y a encore un norme
travail faire sur ce terrain des repr-sentations.
Au-del des strotypes, sur quels axes comptez-vous orienter votre
action ?Sur le terrain des services, par exemple. Nous militons
bien sr pour le dvelop-pement des crches, mais aussi pour le
dveloppement de services daccompa-gnement la scolarit et aux tudes.
Nous encourageons galement la cration de conciergeries au sein des
entreprises dont la taille le permet. Il faut galement veiller la
dfinition et au respect de rgles dhygine de vie en groupe dans les
organisations du travail. Lutter contre le prsentisme, mettre en
place et commu-niquer sur des horaires de dbut et de fin de
runions, proposer dans le cadre des
variables de rmunration qui concernent 80 % des cadres des
objectifs ralistes et atteignables, dfinis en concertation avec les
salaris.
La conciliation des temps de vie dpasse le seul champ daction
des entreprises. Elle concerne aussi les politiques publiquesDans
le cadre des discussions sur le pacte de responsabilit, nous
exigeons une rforme de la fiscalit des mnages. La CFE-CGC est la
seule centrale syndicale mener le combat sur le terrain du pouvoir
dachat des classes moyennes, via une baisse des prlvements,
notamment via une dduction fiscale sur les services la personne.
Car si lEtat ne prend pas de mesures incitatives dans ce sens, il y
a fort parier que, dans nombre de mnages, lun ou lautre des
conjoints en vienne faire tt ou tard le choix de se retirer de
lemploi. Il faut aussi travailler sur les questions de
logement et de transports. Promouvoir, dans le cadre du 1 %
logement , la construction dhabitations proximit des
centres-villes. Promouvoir galement le covoiturage, dans le cadre
du plan national sur la transition nergtique.
Y a-t-il des champs de revendications qui vous semblent plus
difficiles faire valoir ?Il est un sujet sur lequel la socit na pas
avanc, alors quil va vite surgir comme un sujet majeur : la
dpendance. La gnra-tion Y sera la premire tre confronte des enjeux
aigus en matire non seulement de garde denfants, mais aussi de
garde des parents. Pourquoi ne pas imaginer de nouveaux amnagements
dans les contrats de travail, qui permettraient aux salaris, par
exemple, de sabsenter durant un an ou deux, le temps de grer cette
prise en charge parentale, ou de ngocier un temps partiel ?
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7
Quelles pistes damlioration peut-on imaginer ?Il me semble que
le niveau local est fondamental pour laborer le meilleur compromis.
Lvolution vers davantage de flexibilit du temps de travail contient
en soi des lments positifs quand elle est mobilise au bnfice des
salaris, car elle redonne de limportance au contexte local. La
conciliation des temps doit se faire en priorit au niveau local,
par exemple, au
Les entreprises, les territoires, en France, en Europe, se
posent-ils la question de lquilibre des temps professionnel et
personnel ? Et comment ? Tel est langle dattaque de certains
chercheurs, tandis que dautres analysent limpact des horaires
atypiques ou du temps partiel dans cette articu-lation du
temps.
travers de bureaux des temps. On peut galement rflchir de
nouveaux droits pour les salaris en termes dadaptation du temps de
travail au cycle de la vie. Une forme de flexibilit qui me parat
indispen-sable si lon veut surmonter nos problmes conomiques et
sociaux actuels et remplir les engagements dEurope 2020. Pour
autant, sans intervention extrieure du lgislateur ou par la
ngociation le prisme local ne suffira pas.* Stratgie sur dix ans
lance en 2010 par la Commission europenne afin de relancer lconomie
europenne.
** Institu par les lois sur lemploi et le salaire de 1996 et
1998 au Royaume-Uni, le contrat zro heure est un contrat de travail
qui ne prcise aucune dure, aucun horaire de travail et prvoit que
le salari se rende disponible nimporte quel moment de la journe.
Chaque heure travaille est rmunre au salaire minimum soit 7,30
euros.
Le point de vue des invits du Rseau Anact-Aract propos
recueillis par muriel Jaoun
L
Lquilibre des temps, le sujet est dans la balance
AgnS pArent-tHiriOn, coordinatrice de lquipe Conditions de
travail dEurofound
AriAne pAiLH, directrice de recherches lInstitut national des
tudes dmographiques (INED)
LLenqute Familles et employeurs a rcemment t prsente au Conseil
conomique, social et environnemental. Que dit-elle de larticulation
des temps au sein des entreprises ? Les entreprises franaises
apparais-sent relativement peu impliques dans le domaine de
larticulation de la vie familiale avec la vie professionnelle.
Culture de lEtat social oblige, laide la famille relve
principalement de laction publique. Dans les entreprises,
les questions familiales sont souvent per-ues comme relevant du
domaine priv.
Les employeurs ne se proccupent pas de lquilibre entre vie
professionnelle et vie personnelle ? Si. Larticulation de la vie
familiale avec la vie professionnelle est considre comme une vraie
question. Dans leur grande majorit, les employeurs ont connaissance
de la situation familiale de leurs salaris. Ils sont en outre 77 %
revendiquer une responsabilit en matire de conciliation
travail-famille. Les employeurs du secteur priv but non lucratif,
du secteur nationa-lis et de la fonction publique hospitalire tant
les plus nombreux estimer quils ont un rle jouer. En revanche, ds
lors quon interroge les employeurs sur les mesures concrtes
envisages, on voit apparatre un premier dcrochage : si les trois
quarts disent vouloir sinvestir,
La question de lquilibre entre-temps professionnels et temps
personnels est-elle traite de manire homogne en Europe ?Non. Tout
le monde se rend compte que la question est importante notamment
pour russir augmenter la participation des hommes et des femmes en
Europe selon les objectifs de la stratgie dEurope 2020*. Mais les
priorits nationales peuvent tre diffrentes. Par endroits, on
insiste sur les crches, par exemple en Allemagne. Ailleurs, comme
en Belgique, on essaie din-citer les parents en cong parental
garder le contact avec leur entreprise et limiter la dure
dloignement du monde profes-sionnel. Les Pays-Bas semblent revenir
en arrire dans le droit accord aux salaris de moduler leurs heures
de travail tout au long du cycle de vie. Au Royaume-Uni, on discute
sur les contrats zro heure **, dans dautres pays, lattention se
porte sur la dure de la vie au travail.
Les dures moyennes de travail ne sont pas non plus les mmes dun
pays lautreLa dure moyenne de travail en France est parmi les plus
basses en Europe, comme au Danemark et aux Pays-Bas, pays o les
temps partiels sont trs courants. En Grce, Roumanie, Bulgarie, la
dure moyenne est beaucoup plus leve.
Constatez-vous en revanche une homognit dans les catgories les
plus exposes en termes de sant ?Oui. Il sagit des indpendants et
des tra-vailleurs de lconomie de la connaissance, qui sont les plus
concerns par les longues dures de travail, des personnes en travail
de nuit et en travail post, qui sont les plus exposes au risque
sant, et des personnes qui travaillent peu dheures principalement
des femmes dans certaines activits de service. >
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aRGumENTS
8
LLe dveloppement du temps partiel est-il, au moins en partie, le
produit dune rflexion sur les temps sociaux ?Dans certains pays,
comme les Pays-Bas, cest historiquement le cas. Mais pas en France,
o le dveloppement des temps partiels est essentiellement le rsultat
dune volution des systmes productifs, elle-mme en grande partie lie
lexplo-sion du secteur tertiaire. De plus, dans les annes 1990, les
pouvoirs publics, voulant limiter le chmage, ont encourag le
par-tage du travail et donc le temps partiel.
Il y a pourtant une rsonance directe entre la question des temps
partiels et la question des temps sociauxLanalyse des temps
partiels interroge effectivement lquilibre des temps
profes-sionnels et personnels. Ceux-ci ne devant dailleurs pas tre
rduits, comme cest trop souvent le cas, aux tches parentales ou
domestiques. Il ne faut pas ngliger les temps civils et civiques
(loisirs, activits associatives). La question de lextension des
horaires douverture des activits de service est galement
importante. Au cur dune quation offre-demande, pro-
ducteurs-consommateurs, elle interroge directement larticulation
temps partiels-temps privs.
De manire gnrale, les temps partiels facilitent-ils
larticulation entre-temps professionnels et temps familiaux ?Dans
les faits, cest souvent le contraire. Le dveloppement du temps
partiel sest dou-bl dune augmentation de lamplitude des horaires
atypiques, dune intensification de limprvisibilit horaire, dune
multiplica-tion des emplois clats sur plusieurs lieux. Le
dveloppement du temps partiel est majoritairement synonyme dune
dgra-dation des conditions de travail et dune augmentation de la
prcarit conomique, notamment pour les femmes.
Face ce constat, quelle est la position des entreprises ? Il y a
deux tendances contradictoires. Dun ct, on voit de grandes
entreprises, dans le secteur de la distribution par exemple,
prendre certaines initiatives pour limiter les horaires
imprvisibles, rduire les coupures, donner aux salaris davantage
dautonomie dans la dfinition de leur emploi du temps. Dun autre ct,
on assiste la promotion dune hyper-flexi-bilit de lemploi : les
entreprises veulent avoir toute disposition de la gestion des
horaires et de leur fluctuation. Va-t-on aller jusquaux pratiques
extrmes comme le contrat zro heure, en cours en Allemagne ou aux
Pays-Bas ? Ce qui est certain, cest que du point de vue de la
ngociation sociale, larticulation des temps sociaux nest toujours
pas, loin de l, une question centrale.
FrAnOiSe miLewSki, conomiste lOFCE, centre de recherche en
conomie de Sciences Po, auteure de nombreux travaux sur le travail
temps partiel
LLe travail sur douze heures se dveloppe dans la fonction
publique hospitalire. La demande mane-t-elle des salaris ou des
directions ?Des salaris. La dure annuelle de travail ntant pas
extensible, travailler douze heures, cest diminuer le nombre de
jours o lon vient travailler. Cest donc avoir plus de jours pour
soi. Cest aussi, mcaniquement, diminuer la dure globale de trajet
domicile-tra-vail. Les douze heures apparaissent donc comme une
formule intressante pour concilier vie professionnelle et vie
personnelle. Je nai pas connais-sance de cas initis par une
direction dtablissement. Prvention contre la pnibilit oblige, les
directions seraient plutt en ce moment dans une logique de rduction
de la dure de travail.
Que dit la loi ?La loi pose clairement que lallonge-ment
journalier de la dure du travail ne peut excder douze heures et
quil est expressment conditionn une requte de continuit de service.
Or, si la logique de continuit de service est vidente pour les
services de ranima-tion, gyncologie ou chirurgie lie une activit de
bloc en continu, toutes les units et tous les agents hospitaliers
ny sont pas soumis. Les agents de service hospitalier, de catgorie
C, souvent affects lentretien des locaux, ne peuvent pas se
prvaloir dune obliga-tion de continuit de service.
Les organisations en douze heures ne sont donc de facto pas si
courantesElles sont marginales. Pour des rai-sons lgales, mais
aussi cause des contraintes en termes dorganisation. Un exemple :
mettre en place les douze heures le jour a ncessairement un impact
sur lorganisation du travail la nuit. Or, la nuit, lexposition aux
risques est plus forte et le temps de travail est souvent dune dure
maximale de dix heures. Cest dailleurs pourquoi la demande mane
essentiellement de salaris en poste de jour.
CCiLe kAnitzer, conseillre paramdicale la Fdration hospitalire
de France (FHF)
seulement un quart pense des mesures concrtes. Les motivations
sont le plus souvent dordre conomique : rduction de labsentisme,
attraction de la main-duvre, amlioration de la productivit ou
encore image de lentreprise.
Quelle est la nature des aides accordes ?Elles sont
principalement dordre financier. Il sagit en outre souvent de
prestations ponctuelles (prime de naissance, chque vacances) ou non
lies la parentalit (restaurant dentreprise, mutuelle). Ct aides
sous forme de services, la crche est la plus souvent cite : 28 %
des mesures auxquelles pensent les employeurs pour aider leurs
salaris mieux articuler vie
familiale et vie professionnelle ont trait aux places en
crche.
Quid des amnagements dhoraires ?Alors que les salaris sont
demandeurs en priorit dune plus grande souplesse dans leur emploi
du temps, les arrange-ments horaires rguliers sont plus rares que
les arrangements exceptionnels : 40 % des tablissements permettent
des amnagements dhoraires pour se caler sur les horaires des crches
ou des coles. Les arrangements exceptionnels (jour de la rentre
scolaire) ou durgence (enfant malade) sont plus frquents. Les
mesures offertes ne sont pas toujours adaptes aux besoins rels et
rcurrents des parents.
TRaVaiL&CHaNGEmENTN355mai/juin2014
-
9
LAurenCe weiBeL, docteur en neurosciences, chronobiologiste,
charge de prvention RPS/horaires atypiques, Carsat
Alsace-Moselle
DOminiQue rOYOux, prsident de lassociation Tempo territorial
T
Q
Quest-ce qui suscite alors le dbat ?La question de la pnibilit.
Dans certains services, comme la ranimation, o les soignants sont
en charge de patients grabataires, souvent plus gs, souvent en
situation de polypathologie, la charge de travail sur douze heures
devient trs lourde. Et encore plus soixante ans qu trente ans.
Travailler douze heures de suite aprs cinquante ans, cest vite
insupportable.
Quelle est la position de la FHF ?Plusieurs tudes ont t menes
sur le sujet, aucune ne conclut de manire unila-trale au bien-fond
ou la non-pertinence a priori des douze heures. Le dbat nest donc
pas tranch. A la FHF, nous recom-mandons la vigilance : les
initiatives doivent tre lances sur la base dune analyse prcise et
pertinente des organisations et des publics concerns et, bien sr,
ne pas droger au cadre rglementaire.
Quel est lobjet de la chronobiologie ?La chronobiologie est une
discipline scien-tifique tudiant lorganisation temporelle des
organismes. Comme tous les tres vivants, les hommes mettent en
place des stratgies journalires pour sadapter une alternance
lumire-obscurit. Pour ce faire, ils mobilisent une horloge
biolo-gique centrale, situe dans le cerveau, et des horloges
priphriques, situes dans les diffrents organes. Lensemble de ce
systme est remis lheure sur exactement vingt-quatre heures tous les
jours.
Y a-t-il une lecture chronobiologique des horaires atypiques
?Dun point de vue strictement physiologi-que, travail de nuit et
travail post ne sont pas naturels. Notre schma biologique ne peut
pas sinverser dun coup. Aussi, quand on travaille de nuit,
lorganisme subit le plus souvent une dsynchronisation interne et
lhorloge biologique reoit des messages contradictoires. Ceux-ci
peuvent entraner des symptmes (somnolence, altration de la
vigilance, anxit, troubles
du sommeil), voire, terme, des patho-logies parfois lourdes
(obsit, maladies cardio-vasculaires, cancer).
Peut-on tablir un lien direct entre horaires atypiques et
maladies ?Plusieurs tudes sur le sujet concluent une forte
suspicion de lien. La difficult, cest quil sagit toujours deffets
diffrs, dix ans, quinze ans
Quelles mesures prventives prconisez-vous en termes
dorganisation ?Pour le travail post, il faut tout dabord privilgier
les rotations rapides. Au bout de deux jours, lhorloge biologique
na pas encore boug. Au bout de cinq jours, si. Il faut donc
programmer des alternances tous les deux jours plutt que toutes les
semaines. La priode de notre horloge biologique dpassant lgrement
les
vingt-quatre heures, il faudrait galement programmer le travail
post dans le sens horaire : deux premiers jours le matin, deux
jours ensuite laprs-midi, deux jours enfin le soir.
Et pour le travail de nuit ?Sur un plan biologique, mieux
vaudrait quil soit permanent sil ne dure pas des annes, ce qui
tuerait toute sociabilit et si les travailleurs de nuit sont
correcte-ment sensibiliss (besoin de sommeil, horaires des repas,
protocole dexposition la lumire). Un travail de nuit altern est en
effet plus mme de gnrer des dsynchronisations. Une mesure de
pr-vention promouvoir imprativement dans les entreprises franaises
concerne les micro-siestes, de quinze vingt minutes, qui sont le
seul mdicament aujourdhui connu contre certains effets dltres du
travail de nuit.
Tempo territorial accompagne les dmarches de conciliation
temporelle lchelle des territoires. O en sont les collectivits sur
cette question ?Si elle fait partie des prrogatives de la vie
publique, la prise en considration de la conciliation des temps
profes-sionnel et priv est aujourdhui moins flagrante au sein des
collectivits que dans la socit. Mme les entreprises ont sans doute
un petit train davance sur les administrations territoriales.
Collectivits et dcideurs publics nont pas encore vraiment pris
conscience que la fragmentation spatiale et la fragmentation de
lemploi gnrent de la fragmentation temporelle.
Sur quels terrains les choses sont-elles plus avances ? On peut
identifier trois champs majeurs o laction des collectivits a ouvert
des opportunits de coopration avec les acteurs conomiques.
Premirement, les horaires. Les schmas horaires hrits de lre
industrielle (8 h-12 h, 14 h-18 h) ne sont plus adapts nos socits
modernes, caractrises par de fortes
extensions urbaines et des temps de trajet allongs. Des
initiatives vont dans ce sens, comme les concerts sandwi-ches
permettant au public davoir accs des manifestations musicales de
haute qualit durant leur pause djeuner. Deuximement, les pratiques.
Il sagit de privilgier une logique daccs pour viter la saturation
des infrastructures. Certaines universits ont par exemple travaill
sur une programmation dca-le des cours pour faciliter laccs aux
campus. Trosimement, la cration de nouveaux services. Par exemple,
la ville de Rennes a ouvert des guichets uniques de services
sociaux dans les quartiers populaires.
Peut-on parler dune dmarche de concertation entre collectivits,
entreprises et grands acteurs de la vie publique et conomique
?Cette dynamique de concertation est la condition majeure dune
prise en compte partage de la problmatique lchelle de tout
lcosystme conomique. Lide tant de faire travailler ensemble
len-semble des gnrateurs de temps sur un mme territoire :
collectivits, entreprises, Education nationale Nous ny sommes pas
encore, mais on voit merger quelques dmarches dans ce sens. Je
viens de finaliser un contrat de recherche avec la ville de Niort,
qui a construit son plan local durbanisme partir dune topographie
des diffrents gnrateurs de temps.
9
-
CT enTreprises
10 TRaVaiL&CHaNGEmENTN355mai/juin2014
L e remde prend parfois des contours inattendus. En confiant la
plateforme tl-phonique Gesflandres-Gesnord le soin dorganiser leur
agenda, les mdecins gnralistes nimaginaient sans doute pas amliorer
lquilibre entre leur vie professionnelle et vie personnelle. Ils
sont quelque 200 sur le territoire avoir fait ce choix
dex-ternaliser les appels des patients, pour ne plus faire de
secrtariat en mme temps que leurs consul-tations. Notre service est
ouvert de 7 h 19 h, prcise Mohamed El Manani, qui a cr lentreprise
en 2004. Nous rpondons au besoin des mdecins de travailler avec
moins de
stress. Notre proccupation est de fournir un service sur mesure
et haut de gamme. Gesflandres-Gesnord entend ainsi casser les codes
des centres dappel. Ici, pas de disque dattente ou daccueil
impersonnel. De surcrot, un systme dinforma-tion permet au
tloprateur de dis-poser dun historique des appels.
En sinterrogeant sur son modle conomique, un centre dappel grant
le planning de mdecins a fait voluer son service pour les
conseiller sur lorganisation de leur temps de travail.
Les mdecins ont rendez-vous avec une journe plus fluide
des horaires mieux tenus. Nous contribuons optimiser le temps de
travail des mdecins, affirme Mohamed El Manani. Les mdecins femmes,
qui sont dj trs organises et mnent de front vie professionnelle et
personnelle, sont trs lcoute de nos conseils. Pour les hommes, cela
requiert encore du changement.
Un cercle vertueux
Dans un secteur ultra-concurren-tiel, Gesflandres-Gesnord
parvient se dmarquer en proposant cette plus-value. Cest en
participant un accompagnement avec Atemis sur lconomie de la
fonctionnalit (lire lencadr) que le dirigeant du centre dappel a
franchi ltape de sintres-ser aux conditions de travail de ses
clients. Nous avons commenc par analyser les limites de notre modle
conomique, se souvient-il. Quand on visualise cela, il faut
chercher la valeur immatrielle de ce que lon offre comme service.
Nous qui accumulons donnes et connaissances, cest le big data. Nous
pouvions apporter un dveloppement durable de lactivit, de celle de
nos clients et un mieux pour les patients comme pour les
secrtaires, bref, un vritable cercle vertueux. Pour les salaris,
qui ne sont pas de simples tlconseillers, le mtier prend en effet
plus de sens. Ils sont lcoute, force de proposition et tissent une
relation de confiance avec les mdecins quils aident mieux
sorganiser. A la voix du mdecin le matin, elles savent lhumeur du
jour , rsume Mohamed El Manani.
Caroline Delabroy, journaliste
Nous sommes rvlateurs de ce que le mdecin vit au quotidien,
poursuit Mohamed El Manani. Il a souvent le nez dans le guidon, est
dbord ; aucun moment, il ne peut prendre de recul. De notre ct,
nous avons une vision des tensions que peuvent connatre les
cabinets mdicaux, soit du fait dun problme dorganisation du mdecin,
soit de patients mal orien-ts. Au lieu de simplement grer un
planning, la plateforme apporte ainsi une dimension de conseil
pour orga-niser et fluidifier le flux des patients . Par exemple,
les rendez-vous pour simple renouvellement de traitement sont mieux
rpartis sur la semaine, et des crneaux sont laisss vacants pour les
malades du jour ou aprs les sorties dcole 16 h 30. Rsultat :
geSFLAnDreS-geSnOrDSecteur : servicesActivit : plateforme
tlphonique grant lagenda de mdecinseffectif : 17 salarisrgion :
Nord-Pas-de-Calais
>
Notre service est ouvert de 7 h 19 h. Nous rpondons au besoin
des mdecins de travailler avec moins de stress. Mohamed El Manani,
dirigeant de Gesflandres-Gesnord
PATRICE VUIDEL, consultant associ au laboratoire de recherche et
dintervention Atemis (Analyse du travail et des mutations
industrielles et des services)
Nous avons travaill Christian du Tertre de chez Atemis et
Christophe Sempels, professeur de gestion Skema [cole suprieure de
commerce] Sophia Antipolis avec Gesflandres-Gesnord dans le cadre
dun dispositif mis en place par le Rseau Alliances et le Centre des
jeunes diri-geants du Nord-Pas-de-Calais pour accompagner les
entreprises vers un modle plus durable. Nous leur avons fait
prendre conscience quils possdaient une information extraordinaire
travers la gestion des agendas des mdecins. En
travaillant cette matire, ils avaient la capacit de dvelopper
les effets utiles pour les mdecins, et aussi le territoire.
Lconomie de la fonctionnalit cest cela, prendre en compte les
dimensions immatrielles, les enjeux environnementaux et sociaux et
faire voluer le travail, dans une logique de coopration. Les chefs
dentreprise, qui se rendent compte quils ne sont pas alls au bout
des choses avec des dmarches de respon-sabilit sociale, sont de
plus en plus rceptifs ces modles.
Lconomiedelafonctionnalit,unedmarchedurable
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11
Quel type de soignant et de collgue suis-je ? Est-ce que je
prends assez de temps pour moi ? Ces questions, et bien dautres
encore, le per-sonnel du Centre de rducation et de radaptation
fonctionnelle (CRRF) Andr-Lalande, gr par la Fondation Caisses
dEpargne pour la solidarit, est dsormais invit se les poser lors
dateliers, par groupe de 10 15 personnes. Situ Noth (Creuse), une
vingtaine de kilomtres de Guret, ltablisse-ment est en effet engag
dans une dmarche inspire dune philosophie de soins nord-amricaine,
baptise Planetree . Cette philosophie de soins, de services aux
patients et de gestion du personnel concentre toutes ses attentions
sur lhumain, en plaant lindividu au centre de tout , explique
Patrice Filloux, coordon-nateur gnral des soins. Elle invite par
exemple prendre en compte le fait que, en raison de lloignement
gographique, beaucoup demploys ne rentrent pas chez eux entre deux
plages horaires de travail.
Un espace de pause
Nous sommes ainsi en train dam-nager un espace o les personnes
pourraient bnficier dun vrai temps de pause , avance Patrice
Filloux. Il sinspire de ce quil a pu voir au Qubec, au centre de
rducation Estrie, Sherbrooke, o il a rcem-ment pass un mois la
suite dune formation. Jai pu mesurer les effets positifs de la
philosophie Planetree en termes de prise en charge des patients
mais galement de fidlisa-tion des professionnels , dclare-t-il. A
son retour, il convainc la direction, les mdecins et ses quipes de
se lan-cer dans laventure. Ltablissement est le premier en France
adhrer
Pour affirmer sa place dans un contexte dloignement gographique,
un tablissement de sant sest engag dans une dmarche o lindividu,
quil soit patient ou soignant, est plac au centre des
attentions.
La philosophie Planetree lpreuve du terrain
passs 67 % , se flicite Patrice Filloux. Pour le moment, ce sont
essentiellement des petites choses modifiant le quotidien qui ont t
mises en place, telles quun nouvel agencement des tables dans la
salle de restaurant afin de dcloisonner les services ou la
rintroduction de plantes pour un cadre plus humain. Lun des thmes
que nous allons travailler en comit de pilotage, car il ressort
beaucoup des demandes des salaris, cest lquilibre entre vie
professionnelle et vie person-nelle , affirme le coordonnateur des
soins. Au Qubec, ils ont multipli le nombre de temps partiels
adap-ts aux demandes des salaris, en rorganisant par exemple sur
quatre jours le service dune mre de famille, poursuit-il. Nous
pourrions envisager sur le long terme de faire la mme chose
ici.
Caroline Delabroy
* http://reseauplanetree.org
au Rseau Planetree Qubec*, le 1er janvier 2013. Dici la fin de
lan-ne, lensemble du personnel doit tre form cette philosophie.
Rflchir au temps choisi
Si Planetree a pu germer, cest que ltablissement avait un
terreau favorable , assure Patrice Filloux. Et de rappeler la
cration du CRRF, la fin des annes 1990, dans un territoire marqu
par les fermetures dusines : Eloign de Guret, le centre de
rducation a d simposer pour tre reconnu comme un tablissement de
sant part entire. En 2008, un prix sur la qualit de la prise en
charge des patients est venu rcompenser ce parcours. Quand nous
avons commenc notre dmarche pour adhrer au Rseau Planetree, le
comit dentreprise a fait une enqute et 48 % des salaris se
sentaient concerns par cette phi-losophie, aujourdhui nous
sommes
CrrF AnDr-LALAnDeSecteur : santActivit : centre de rducation et
de radaptation fonctionnelle effectif : 130 salarisrgion :
Limousin
>
JULIETTE RAYNAUD, infirmire au CRRF Andr-Lalande depuis trois
ans et demi
Jai fait partie du premier groupe de formation Planetree. Cela
nous paraissait assez utopique comme concept, nous avions du mal
nous reprsenter ce que ctait vraiment. Jtais, au sein du groupe,
avec des collgues que je navais pas lhabitude de voir. Cela nous a
permis de nous connatre. Nous sommes une petite struc-ture, et
pourtant, nous avons du mal parfois communiquer. Travailler sur
cette philosophie,
cest se mettre dans un tat desprit, celui dune grande famille
qui vivrait ensemble en harmonie. Des choses ont t faites, une
collgue sest, par exemple, forme aux soins esthtiques, un service
dsormais propos gratuitement aux patients. Sur lquilibre entre vie
prive et vie professionnelle, nous nen sommes quau dbut. Il y a
beaucoup dattente, notamment sur le fait davoir les plannings plus
tt.
Cettephilosophie,cestuntatdesprit
-
CT enTreprises
12
de la propret et de ses acteurs , indique Michle Marchais,
directrice rgionale adjointe de la Direccte. La rgion est galement
lun des terri-toires dexcellence et dexprimen-tation sur lgalit
professionnelle femmes-hommes .
Source dingalits
Le problme de la conciliation des temps de vie est la source de
beaucoup dingalits entre les hommes et les femmes, poursuit Michle
Marchais. Cela semble souvent une question anecdotique, voire un
luxe, mais le travail rend parfois la vie infernale aux femmes. Or
il suffirait de rinterroger des organisations dcides de faon
arbitraire, comme en loccurrence, ici, les horaires dcals. Mais
comme lorganisation du travail peut provoquer des nuisances, pas
forcment justifies mais pas faciles changer , ltude porte sur des
exemples concrets. Avec le cabinet de conseil Arc-en-Ciel, nous
allons voir ce qui se fait dans les autres rgions, en particulier
dans lagglo-mration nantaise, en pointe sur le sujet , dtaille
Catherine Coquillat, charge de mission lAract Centre. Lide est de
connatre les cueils viter , ajoute-t-elle.
Sortir de lombre
Les rsultats de ltude-valua-tion doivent tre publis lors de la
Semaine pour la qualit de vie au travail. Pour Christophe Simonet,
qui connat bien la problmatique ,
TRaVaiL&CHaNGEmENTN355mai/juin2014
L e travail en journe, cest pour lui une vidence. Depuis quil a
fond en 1992 lentreprise Pithiviers Nettoyage, Christophe Simonet
na de cesse de porter cette ide. Il fait de la qualit de vie au
travail son credo, convaincu que les prestations nen seront que
meilleures avec des salaris reconnus et motivs. Les donneurs dordre
sont les premiers nous
obliger travailler avant 8 heures et aprs 19 heures,
affirme-t-il. Je me bats pour expliquer aux clients que notre
personnel a galement une vie personnelle, familiale.
Une tude-valuation sur le travail en journe dans le secteur de
la propret est mene dans la rgion Centre, laquelle participe
lentreprise Pithiviers Nettoyage, trs active sur la conciliation
des temps. Elle vise notamment impliquer les grands donneurs dordre
publics sur le sujet.
Dpoussirer les horai res dcals
Il nest ainsi pas tonnant de le voir participer au comit de
pilotage de ltude-valuation commande sur le sujet par la Direccte*
Centre. Ce
travail se situe dans la prolongation de nos actions sur la
prvention des TMS (troubles musculo-squeletti-ques), qui nous a
permis dacqurir une bonne connaissance du secteur
DAMIEN HNAULT, dlgu rgional FARE (Fonds daction pour la
rinsertion et lemploi) Propret
Le travail en journe est devenu un vrai axe de travail pour la
branche professionnelle dans le secteur de la propret. Les intrts
patronaux et salariaux sont en la matire troitement lis. Une
entreprise de propret prfrera toujours avoir 100 salaris temps
plein que 300 salaris temps partiel, pour des facilits de gestion
mais galement de formation du personnel. Cest juste par conve-nance
des donneurs dordre que les horaires sont dcals. Il faut une volont
politique pour faire voluer les choses, expliquer aux
collaborateurs le bien-fond du travail en journe. La commande
publique reprsente 30 % du march au plan national, les
institu-tionnels ont un vrai poids. En rgion Centre, nous en sommes
encore aux balbutiements, contrairement une agglomration comme
Nantes o plus de mille salaris sont passs des horaires diurnes ou
en continu. Des
entreprises motives, nous en avons sur le territoire. Cela fait
partie de ma mission de trouver des impulsions politiques. Reste
que tout ceci ncessite du temps et de laccompagnement. Il y a dans
la propret un phnomne de multi-employeurs. Les salaris travaillant
ainsi ont une vie particulirement organise, minute. Le moindre
changement, ft-il pour leur bien-tre, peut tre trs dif-ficile vivre
pour eux. Le travail en journe peut sembler une ide magique, mais
cela ne peut se faire du jour au lendemain, dans lintrt de tout le
monde. Il faut y aller par tapes, lchelle dabord dun btiment, dun
service, avant de penser une collectivit dans son ensemble. De son
ct, la branche professionnelle sest outille. Nous avons ainsi rdig
un cahier destination des donneurs dordre, ainsi quun DVD, bote
outils pour les entreprises de propret.
ilfautyallerpartapes
Il suffirait de rinterroger des organisations dcides de faon
arbitraire, comme en loccurrence, ici, les horaires dcals. Michle
Marchais, directrice rgionale adjointe de la Direccte Centre
pitHiVierS nettOYAgeSecteur : servicesActivit : socit de
nettoyageeffectif : 150 salarisrgion : Centre
>@ COntACtCatherine Coquillat [email protected]
-
13
de service comme la ntre, situe au milieu des champs entre
Orlans et Paris, il y a aussi le souci de recru-ter du personnel,
sachant que la profession na pas, au dpart, une image attirante ,
dclare Christophe Simonet. Pour lattribution des chantiers ,
lentreprise tient ainsi compte du lieu dhabitation de ses
collaborateurs et des ventuelles contraintes horaires lies la
vie de famille. Nous essayons dapporter des temps pleins, indique
par ailleurs le directeur de Pithiviers Nettoyage. Sur 150
collaborateurs, nous en avons prs de 120 qui bnficient dun contrat
temps plein, les autres tant en temps partiel choisi. Et de se
fliciter : Mis part des dmissions pour cause de dmnagement, nous
navons aucun turn-over . Laccent est galement mis sur la formation
et la monte en comptences des salaris. Reste que la majorit des
clients de Pithiviers Nettoyage proviennent du secteur priv.
Lentreprise de pro-
Dpoussirer les horai res dcalspret sest associe dautres pour
pouvoir rpondre des appel doffres publics. Cest l que le bt blesse.
Les donneurs dordre publics ont tendance choisir le moins-disant,
sans tenir compte des conditions de travail et demploi assures par
les entreprises de nettoyage , regrette Christophe Simonet. Pour
Michle
Marchais, directrice rgionale adjointe de la Direccte,
ltude-va-luation ne doit ainsi pas sen tenir des prconisations.
Jattends plus que cela, affirme-t-elle. Je souhaite que nous
allions rencontrer les don-neurs dordre publics prfecture et
conseil rgional pour voir avec eux si le passage des prestations de
nettoyage en horaires de journe, plutt que sur des horaires dcals
le matin ou le soir, est envisageable dans la rgion Centre.
Caroline Delabroy
* Direction rgionale des entreprises, de la concurrence, de la
consommation, du travail et de lemploi.
lattente porte surtout sur laprs . Il faudrait prendre un ou
deux sites pilotes et faire voir, tude lappui, que le travail en
journe fonctionne , prconise-t-il. Lui-mme a un argumentaire taill
sur mesure. Jorganise rgulirement des runions avec des clients,
dans une entreprise qui a dj fait le saut du tra-vail en journe,
explique Christophe Simonet. Je leur parle des relations humaines,
de limportance de sortir de lombre un personnel qui peut ainsi
renouer le dialogue avec les gens dans les bureaux. Je leur montre
aussi les conomies quils peuvent faire sur leau : on a aujourdhui
la mthodologie et le matriel pour faire un sol sec en deux minutes,
avec beaucoup moins deau quaupa-ravant. Des aspirateurs silencieux
et un matriel idoine permettent de nettoyer un bureau complet en
dix ou quinze minutes, le temps pour un collaborateur de faire une
pause sil souhaite quitter les lieux pendant le mnage.
Fidliser les salaris
Chez Pithiviers Nettoyage, le travail en journe reprsente
actuellement 60 % des activits. Cette organisation rpond aussi un
enjeu de fidlisation des salaris. Pour une entreprise
SAMANTHA LECLERC, 27 ans, agent qualifi de service
Jai commenc travailler pour Pithiviers Nettoyage 16 ans, pour de
courts contrats pendant les vacances scolaires. A la fin de mes
tudes, jai t embauche. Jai la chance davoir toujours eu un temps
complet de 35 heures. Je vais chez un premier client de 8 h 11 h et
chez un autre de 15 h 19 h 45. Quand un poste sest libr prs de chez
moi, lentreprise a tout de suite accept de me le confier. Jai ainsi
peu de trajets : le site le plus loin se situe trois kilomtres
de
mon domicile. Nayant pas encore denfants, les horaires ne mont
jamais drange. Mme si on peut ressentir la fin du service que la
journe a t longue, cela ne mem-pche pas de prendre des rendez-vous,
davoir une vie personnelle. Jai pu voluer au sein de la socit. Jai
commenc comme agent de service de niveau 1, aujourdhui, je suis
agent qualifi de niveau 3. Laprs-midi, je travaille dans une
entreprise de 200 salaris. Je suis amene grer les demandes
exceptionnelles des clients. En ayant une bonne communication
avec eux, jai russi faire voluer le contrat la suite de
limplantation de bureaux supplmentaires. Cest comme pour les
salaris, quand je leur explique quil faut me librer le bureau pour
telle heure, et quand je leur montre le cahier des charges, la
fiche mthode par type de poste, leur opinion sur mon travail
change. Faire de lentretien, cest un vrai mtier, qui demande de la
prcision, de la rigueur, on traite l dhygine.
jaipuvoluerauseindelasocit
Les donneurs dordre sont les premiers nous obliger travailler
avant 8 heures et aprs 19 heures. Je me bats pour expliquer aux
clients que notre personnel a galement une vie personnelle,
familiale. Christophe Simonet, directeur de pithiviers
nettoyage
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CTENTREpRiSES
14 TRaVaiL&CHaNGEmENTN355mai/juin2014
u n homme et une femme sont la tte du groupe Clisson. Ils sont
les petits-enfants du fondateur de cette entreprise dont le cur de
mtier est, depuis 1968, le ngoce de produits mtallurgiques. Aude
Moreau, cogrante, aime souligner ce symbole de parit la tte mme du
groupe. Pour autant, avant lobligation lgale dlaborer un plan
daction sur lgalit pro-fessionnelle, le sujet navait pas
t abord de manire structure , reconnat-elle. Afin dtre
accom-pagne dans cette dmarche, la direction a sollicit lAract
Poitou-Charentes avec lobjectif diden-tifier les points
daction-rflexion . Lentreprise tant multi-sites, le diagnostic a
port sur la situation des
Une entreprise familiale de mtallurgie a pris le parti daccepter
les demandes dhoraires individua-liss et de congs parentaux de ses
salaris, trouvant toujours le bon compromis. En vue dlaborer un
plan daction sur lgalit, elle tudie la faisabilit du tltravail pour
certains mtiers.
Ngocier des compromis bien profils
hommes et des femmes dans trois services : lun mixte
(commercial), lautre plutt fminin (administratif) et un dernier
uniquement masculin,
celui de la dcoupe laser de tubes en acier. Une commission
Egalit a aussi t mise en place pour suivre la dmarche.
Des temps de vie varis
Ce travail a permis de mettre en vidence les carts existants,
indique Aurlie Marloie, charge de mission lAract. Du fait de la
rpartition sexue des mtiers, les hommes et les femmes ne sont pas
soumis aux mmes contraintes et nont pas la mme possibilit
darticuler leurs temps de vie. Dans les postes administratifs, le
diagnostic a en effet rvl des pratiques avances concernant les
horaires individua-liss. Concrtement, les heures dembauche et de
dbauche ne sont pas les mmes pour tout le monde dans les bureaux, o
les 35 heures sont rparties sur quatre jours et demi. Nous partons
du souhait des salaris et avons toujours russi trouver le bon
compromis , dclare Aude Moreau. Par exemple, len-treprise a
rcemment accd la demande dune jeune maman, dont lenfant venait dtre
scolaris, de prendre laprs-midi du mercredi
CLiSSOn Secteur : mtallurgieActivit : ngoce de produits
mtallurgiques, faonnage darmatures et usinage laser de
tubeseffectif : 170 salarisrgion : Poitou-Charentes
>
plutt que celle du vendredi. Dans notre mtier de ngociant, nous
avons besoin davoir une large plage horaire commerciale, la
ractivit tant lune de nos forces , souligne-t-elle par ailleurs.
Lentreprise accepte en outre toujours les demandes de temps partiel
choisi, formules 90 % au retour dun cong parental.
Tltravail ltude
Une rflexion sur le tltravail a ga-lement t engage dans le cadre
de la dmarche. Nous avons une pra-tique trs isole, qui concerne
trois salaris une fonction commerciale, la plus compatible avec ce
type dor-ganisation, prcise la cogrante du groupe Clisson. Nous
allons tudier si lon peut toucher dautres mtiers. Le plan daction,
en cours de rdac-tion, doit inclure une tude de faisa-bilit sur ce
thme. Dores et dj, Aude Moreau souligne la ncessit dassocier
lencadrement, lun des axes de progrs selon elle. Sur des sujets
transversaux comme lgalit professionnelle, nous avons du mal faire
en sorte que lencadrement, qui est principalement dans
lopration-nel, se les approprie , dclare-t-elle. Et dajouter : Il
faut sensibiliser et communiquer en interne, ne pas luder les
contraintes . Car il y en a, quand, par exemple, il sagit de
rem-placer, pour un cong familial, une personne qui assure part
entire et elle seule un mtier.
Caroline Delabroy
PIERRE BELLAMY, responsable transports, lu du CE et dlgu
syndical CFE-CGC
Pierre Bellamy a particip la commission galit profes-sionnelle.
Notre groupe a dj avanc sur les questions lies la qualit de vie au
travail, la pnibilit. La venue de lAract sur le thme de lgalit nous
a permis de pr-ciser les choses, notamment sur la dfinition mme de
lgalit. La prsence au sein de la commission de gens de latelier
tait une bonne chose. Sur les horaires choisis, ils nen faisaient,
par exemple, pas la demande, pensant la chose rserve aux activits
de bureau. De mme, pour le tltravail, beaucoup pensent que la
personne sera partie 100 %, or il peut sagir seulement dune journe.
On se met des freins tout seuls, moi le premier, en tant
quencadrant et dlgu syndical. Il faut tre accompagn, sinon chacun
reste dans ses certitudes. Les mentalits ont dans lensemble volu.
Le changement se fait touche par touche, rien nest impos.
Onsemetdesfreinstoutseuls
Sur des sujets transversaux comme lgalit professionnelle, nous
avons du mal faire en sorte que lencadrement se les approprie. Aude
Moreau, cogrante de Clisson
@ COntACtAurlie Marloie [email protected]
-
aLLERpLuSLOiN
tablir un compromis temporel adapt et adaptableFace aux
difficults rencontres tant par les salaris pour concilier vies
professionnelle et prive que par les entre-prises pour atteindre
leurs objectifs stratgiques, diffrents outils et solutions peuvent
tre mobiliss et combins. Les formules de compromis temporel ainsi
obtenues ne sont pas quivalentes. Une question permet den apprcier
la valeur : dans quelle mesure le compromis permet-il de sadapter
durablement aux contraintes actuelles et venir, de les rengocier,
de crer de nouvelles solutions organisationnelles ?
Rorganisation des horaires, des dures, des charges de travail
et/ou des modes de fonctionnement interne :horaires des postes du
matin 6 h-14 h au lieu de 5 h-13 h, plages de travail moins
fragmentes, passage des agents de propret en journe, limitation des
runions et reportings
Temps partiel hebdomadaire ou annualis, semaine compresse,
horaires variables, horaires la carte, jours enfant malade ,
tltravail un jour par semaine
Services de conciergerie, salles de sport, crches dentreprise ou
interentreprises, plateformes dinformation et daide la prise en
charge de proches dpendants (jeunes enfants, parents gs)
+ Remise plat des contraintes auxquelles lentreprise est expose,
sans les laisser se sdimenter au fil du temps+ Recherche de
nouvelles solutions organisationnelles
- Le consensus absolu est impossible et les conflits dintrts
nombreux- Une articulation complexe entre les temps du march, de
lentreprise, du salari et du territoire
+ Des amnagements individuels varis
- Le point de vue des salaris peut lemporter sur les besoins de
lentreprise
+ Une aide quotidienne aux salaris sur des sujets hors travail
proximit du lieu de travail
- Du fait de leur cot, ces dispositifs ne sont gnralisables ni
pour tou-te-s les salari-e-s, ni pour toutes les entreprises
> Il peut y avoir de relles difficults modifier : des
quilibres de vie constitus parfois de longue date ; les
connaissances de lentreprise sur les attentes actuelles des clients
; loffre commerciale, les produits, les services
> Il existe un risque que lorganisation soit liquide au
profit de choix individuels si le recours ces amnagements est
dconnect du fonctionnement des quipes.La dfinition de critres
prioritaires nempche pas lexistence de conflits dintrts entre
lentreprise et le salari, mais aussi au sein des quipes. Les
arbitrages managriaux, en premier lieu sur les demandes
damnagements du temps de travail, ne sont pas facilits.
> Il sagit de mesures priphriques, sans lien avec les
contraintes des marchs ni les choix dorganisation du travail. Cela
na pas deffet sur lorganisation, noffre pas de piste de solution
sur labsentisme, les risques psychosociaux, les problmes de qualit,
la gestion des plannings, laffaiblissement des collectifs de
travail
Une mthode du rseau Anact-Aract
Exemple Avantages-inconvnients Points de vigilance
15
1 - trAVAiL DOrgAniSAtiOn Du trAVAiL
2 - AmnAgementS inDiViDueLS Du tempS De trAVAiL
3 - meSureS Qui AmLiOrent LQuipement Du territOire
Exemple Avantages-inconvnients Points de vigilance
Exemple Avantages-inconvnients Points de vigilance
Fiche ralise par Florence Loisil [email protected] et Florence
Chappert [email protected]
-
LObservatoire de la parentalit en entreprise a pour objectif de
promouvoir lengagement des entreprises dans la conciliation vie
professionnelle-vie familiale au sein des entreprises. Il publie un
baromtre annuel mesurant les attentes des salaris et limplication
des employeurs.www.observatoire-parentalite.com
Lassociation Tempo Territorial a pour objet de favoriser lchange
entre acteurs des dmarches tem-porelles
territoriales.http://tempoterritorial.free.fr/
OuVrAgeS et rAppOrtS
Le travail temps partiel, Franoise Milewski, Les tudes du
conseil conomique, social et environnemental, Les editions des
journaux officiels, dcembre 2013, 157 p.
Horaires atypiques de travail, Institut national de recherche et
de scurit, coll. Le point des connaissances sur, 2013, 4 p.
Working time and worklife balance in a life course perspective :
A report based on the fifth European Working Conditions Survey,
Dominique Anxo, Christine Franz, Angelika Kummerling, Fondation
europenne pour lamlioration des conditions de vie et de travail,
2013, 76 p.
Soutien la parentalit et performance des entreprises : quel
retour sur investissement ?, Livre blanc de Filapi-Observatoire de
la parentalit en entreprise, 2012, 28 p.
Temps de travail et temps de vie : les nouveaux visages de la
disponibilit temporelle, Paul Bouffartigue, Jacques Bouteiller,
PUF, coll. Le travail humain, 2012, 240 p.
Rythmes de vie et organisation du territoire : Quelles tensions
? Quelles mdiations ? Quelles politiques publiques mettre en uvre
?, guide mthodologique, tempo territorial, sept. 2010, 204 p.
Le travail de nuit : impact sur les conditions de travail et de
vie des salaris. Franois Edouard, rapport du conseil conomique,
social et environnemental, La Documentation franaise, 2010, 152
p.
Travailler mieux pour vivre plus : comment concilier vie
professionnelle et vie familiale ? Jrme Ballarin, nouveaux dbats
publics, 2010, 252 p.
lire
Entre famille et travail : des arrangements de couples aux
pratiques des employeurs, Ariane Pailh, Anne Solaz, La Dcouverte,
2009, 514 p.
ArtiCLeS
Seniors en emploi et conciliation travail-famille , Marie-Agns
Barrre-Maurisson, in temporalits sociales, temps prescrits, temps
institutionnaliss, g.-g.tremblay (ed)., PUQ, canada, 2013,
pp.153-167.
La fabrique des normes temporelles du travail , Jens Thoemmes,
La nouvelle Revue du travail, n 1, 2012.
Arrts sur le temps de travail, hesamag [european trade Union
Institute], n 5, 1er semestre 2012, pp. 12-39.
Conflits de temporalits dans les organisations, temporalits :
revue de sciences sociales et humaines, n 16, 2012.
Horaires atypiques : contretemps de travail , Gregory Brasseur,
Antoine Bondelle, Jol Clergiot. travail et scurit, n 717, mai 2011,
pp. 22-37.
Tltravail : codes et enjeux dune organisation hors les murs,
travail & changement, n 353, janvier/fvrier 2014.
Nouvelles organisations : les temps changent, travail &
changement, n 335, janvier/fvrier 2011.
Du temps de travail au temps des marchs , Jens Thoemmes,
temporalits : revue de sciences sociales et humaines, n 10,
2009.
Horaires dcals : salaris contretemps, Sant et travail, n 61,
janvier 2008.
sur le web
TRAVAIL & CHANGEMENT, le bimestriel du Rseau Anact-Aract
pour lamlioration des conditions de travail.Directeur de la
publication : Herv Lanouzire - directeurs de la rdaction :
Dominique Vandroz et Stphanie Da Costa directrice technique et
scientifique : Pascale Levet. Contributeurs au dossier : Florence
Chappert, Catherine Coquillat, Florence Loisil, Aurlie Marloie,
Pascale Mercieca, Julien Pelletier. Ralisation All Contents chef de
projet : C. Girard ; journalistes : C. Delabroy, M. Jaoun ;
secrtaire de rdaction : M.-C. Martineau ; directrice artistique :
A. Ladevie ;
illustratrice : S. Allard ; fabrication : R. Galrao 23 bis, rue
de Turin 75008 Paris impression : imprimerie Chirat, 744, rue
Sainte-Colombe, 42540 Saint-Just-la-Pendue. Dpt lgal : 3e trimestre
2014. Une publication de lAgence nationale pour lamlioration des
conditions de travail, 192, avenue Thiers-CS 800 31-69457 Lyon
Cedex 06, tl. : 04 72 56 13 13, email :
[email protected]
ConcilierviepriveetvieprofessionnelleLa Semaine pour la qualit
de vie au travail aura lieu du 16 au 20 juin 2014. Cre en 2004 par
le rseau Anact-Aract, la Semaine pour la qualit de vie au travail a
pour objectif de mobiliser les DRH, consultants, managers, mdecins
du travail, chargs de prvention, partenaires sociaux ou
institutionnels et tous les salaris dsireux de sinformer, de
tmoigner et dagir pour amliorer les conditions de travail.Elle
portera cette anne sur la conciliation vie prive-vie
professionnelle. Au programme : un sondage ralis par TNS-Sofres :
Concilier vie prive et vie professionnelle : sant, galit et
organisation du travail en questions ; un colloque sur le mme thme,
le 16 juin, 14 h, Paris ; plus de 100 vnements organiss par les
Aract en rgion : Vis mon travail , Destination travail , Pass
Conseil , Rencontres Expertes , dbats, colloques, tmoignages
dentreprises, concours de nouvelles, expositions
Retrouvez le programme : www.qualitedevieautravail.org
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