École Doctorale n° 136 : EDOGEST Réseaux sociaux et compétence de l’auditeur de terrain Le cas du Cabinet Audit & Co Thèse présentée et soutenue publiquement le 22 juillet 2011 en vue de l’obtention du DOCTORAT EN SCIENCES DE GESTION Par Hasnae RAZGANI JURY Directeurs de recherche : Monsieur Elie COHEN, Professeur des universités Université Paris-Dauphine Monsieur Gilles DAVID Professeur des universités Université Paris-Dauphine Rapporteurs : Monsieur Jean-Luc MORICEAU Professeur Institut Télécom/Télécom Ecole de Management Monsieur Yvon PESQUEUX Professeur des universités CNAM Suffragants : Madame Nihel CHABRAK
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École Doctorale n° 136 : EDOGEST
Réseaux sociaux et compétence de l’auditeur de terrain
Le cas du Cabinet Audit & Co
Thèse présentée et soutenue publiquement le 22 juillet 2011en vue de l’obtention du
DOCTORAT EN SCIENCES DE GESTIONPar
Hasnae RAZGANI
JURY
Directeurs de recherche : Monsieur Elie COHEN,Professeur des universités Université Paris-DauphineMonsieur Gilles DAVIDProfesseur des universitésUniversité Paris-Dauphine
Rapporteurs : Monsieur Jean-Luc MORICEAUProfesseur Institut Télécom/Télécom Ecole de ManagementMonsieur Yvon PESQUEUXProfesseur des universités CNAM
Suffragants : Madame Nihel CHABRAKProfesseur Institut Télécom/Télécom Ecole de ManagementMonsieur Olivier CHARPATEAUMaître de conférencesUniversité Paris-Dauphine
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L’université de PARIS IX – Dauphine n’entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans cette thèse. Ces opinions doivent être considérées
comme propres à l’auteur.
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Remerciements
Je remercie le regretté Professeur Elie Cohen d’avoir accompagné mes premiers pas
dans cette recherche.
Que ce travail soit l’occasion d’exprimer ma profonde reconnaissance et gratitude à
mon directeur de thèse, le Professeur Gilles David, pour avoir accepté de diriger ma
recherche et de m’avoir accompagné et guidé tout au long de ce travail. Son soutien,
ses échanges riches et fructueux, ses conseils, sa disponibilité, son expérience
académique et sa curiosité intellectuelle ont amplement enrichi cette recherche.
Je remercie très chaleureusement le Professeur Jean-François Casta pour la richesse
de son apport, ses encouragements et ses nombreux conseils lors de ma pré-
soutenance.
Je souhaite également remercier le Professeur Nihel Chabrak, le Professeur Olivier
Charpateau, le Professeur Jean-Luc Moriceau et le Professeur Yvon Pesqueux pour
avoir accepté de me faire l’honneur de participer au jury de cette thèse.
Je tiens à adresser mes sincères remerciements à l’ensemble des personnes
interrogées au sein du cabinet Audit & Co, qui ont pu m’offrir une partie de leurs
temps, et de leurs « convictions » sur un sujet aussi sensible.
Je remercie aussi tous les amis qui m’ont apporté directement ou indirectement leur
soutien.
Je réserve une pensée particulière et affectueuse à ma famille qui m’a encouragé
pendant la réalisation de ce travail passionnant et enrichissant.
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Sans l’aide de tous, ce travail n’aurait jamais aboutit, un grand merci.
Les principaux fondements de la discipline..............................................................................................................31I. L’audit............................................................................................................................................................32II. La qualité de l’audit, indépendance et compétence...................................................................................60III. Compétence de l’auditeur et introduction des réseaux sociaux dans les recherches en audit...............96
La théorie des réseaux sociaux.................................................................................................................................106I. Le cadre général des réseaux sociaux.............................................................................................................107II. La confiance comme principal objet d’étude des réseaux...........................................................................122III- Focus sur les trois éléments caractéristiques de l’analyse des réseaux : le capital social, la confiance et la réputation......................................................................................................................................................127
Cadre méthodologique..............................................................................................................................................156I. Positionnement épistémologique et choix méthodologiques.........................................................................158II. Les entretiens exploratoires : Analyse de données et résultats...................................................................178III. Le recueil et l’analyse de données de l’étude de cas du cabinet Audit & Co : observation participante...........................................................................................................................................................189
PARTIE 2.....................................................................................................................203
ÉTUDE DE CAS DU CABINET AUDIT & CO..............................................................203
Le cabinet Audit & Co : Présentation générale et interprétation de la période d’étude...................................206I. Présentation du Cabinet Audit & Co..............................................................................................................208II. Notre histoire au sein du cabinet Audit & Co..............................................................................................248
Analyse de la relation des réseaux sociaux et la compétence au sein du cabinet Audit & Co...........................280I. La construction des réseaux - origines et développement.............................................................................282II. Valeurs du cabinet et leurs supports de diffusion-valeurs dans les réseaux..............................................287III. Intérêts des réseaux.......................................................................................................................................292IV- La constitution du capital social au sein du cabinet Audit & Co, moteur de l’évolution.......................301
La profession de l’audit légal s’affirme comme un monde en évolution, même si son rôle
premier demeure inchangé : contrôler la sincérité et la régularité des comptes annuels établis
par une société. Ce métier a semblé connaître ces dernières années de profondes mutations
liées à l’internationalisation des affaires, au développement rapide des technologies de
l’information et à l’évolution du statut de l’audit dans la gouvernance de l’entreprise. Outre la
satisfaction des obligations légales et réglementaires, l’information comptable et financière
apparaît incontournable pour apprécier l’entreprise, son activité, sa situation financière et ses
résultats par toutes les parties prenantes concernées. Dépassant de toute évidence ses objectifs
de conformité, elle est devenue un véritable outil de communication stratégique. Il en résulte
que les entreprises doivent être très attentives à la qualité des informations qu’elles diffusent.
Une des raisons d’être des cabinets d’audit se trouve affirmée.
Une pensée critique à l’encontre de l’audit légal de l’information comptable a pu connaître
ces dernières années un nouvel essor de légitimité. Les événements économiques et les
différents scandales ainsi que l’évolution erratique des marchés financiers ont sans doute
contribué à accroître, voire à généraliser une crise de confiance. Celle-ci affecterait à la fois
les entreprises, les dirigeants et tous ceux qui interviennent dans la production, le contrôle et
l’analyse de l’information d’entreprise. La fin du cabinet d’Audit Andersen a montré que
toute organisation est mortelle.
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Dans cette perspective, la qualité de l’audit s’est trouvée questionnée, encourageant en même
temps un renforcement de la législation. La révision des normes d’audit intervenue en 2003
accentue les diligences en matière de documentation, de communication et d’« esprit
critique ». La loi sur la sécurité financière du 1er août 2003 accroît les exigences en matière de
formation professionnelle. Une refonte du système universitaire est en cours. La qualité de la
certification rendue par les cabinets d’audit financier est un élément important de leur survie à
long terme et, plus largement, de la transparence des activités économiques. Cependant, cette
qualité présenterait un caractère relativement ambigu et indémontrable la rendant
particulièrement sensible au comportement des individus qui exécutent concrètement les
missions d’audit.
L’auditeur financier externe (en France le commissaire aux comptes)1 apparaît comme un
acteur clé dans la réalisation de l’objectif de qualité de l’audit. On pourrait pratiquement le
placer au dessus voire au cœur d’une cartographie des risques de la qualité du processus
d’audit légal. En formulant une opinion sur les comptes et sur les états financiers des
entreprises ainsi que sur les diverses informations fournies aux actionnaires, cet auditeur est le
garant de la régularité et de la sincérité des informations, attestant qu’elles sont présentées
conformément aux normes édictées par la profession. L’auditeur constitue un régulateur de la
qualité de l’information comptable et financière. Les auditeurs assument un rôle central dans
des relations sociales complexes, multi-personnelles, multidimensionnelles, et peuvent se
trouver au cœur de nombreux conflits d’intérêts et peut-être parfois de dilemmes éthiques.
Les recherches académiques mettent en exergue deux caractéristiques majeures de l’auditeur :
l’indépendance et la compétence, conditionnant un audit de qualité. L’approche de De Angelo
(1981a, p. 186)2 est généralement retenue pour cela comme référence. Elle définit la qualité
d’un audit financier comme « la probabilité conjointe qu’un auditeur donné découvre une
infraction dans le système comptable du client et qu’il rende compte de cette infraction ».
Cela revient à considérer le produit de deux probabilités : découvrir
1 On parlera indifféremment de commissaire aux comptes ou d’auditeur dans cette thèse.2 De ANGELO L.E. (1981a), « Auditor independence, ‘low balling’, and disclosure regulation », Journal of Accounting and Economics, n° 3, pp. 113-127.
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l’anomalie (la compétence), et la révéler (l’indépendance). Habituellement, on
considère que la première condition dépend des capacités technologiques et intellectuelles de
l’auditeur alors que la seconde est liée à son positionnement par rapport à la société. Cette
vision reste empreinte d’une forme de rationalité obscurcissant la vision d’un acteur pensant
et agissant dans un environnement social interactif.
Dans le cadre de cette thèse, nous avons choisi de nous intéresser au fonctionnement d’un
cabinet et de situer la compétence de l’auditeur dans le cadre de la théorie des réseaux sociaux
Cette recherche se focalise sur l’organisation interne et ne traite pas des interactions avec les
réseaux externes au cabinet. Plus précisément, l’auditeur de terrain sera au
centre de la réflexion et positionné dans une structure sociale facilitant et
limitant son champ de réflexion et d’action. Cette recherche contribuera
en particulier à une meilleure connaissance du métier d’auditeur et au
positionnement de l’acteur par rapport à sa pratique socialisée3.
La thèse s’articule finalement autour d’une question centrale : quelle est l’importance des
réseaux sociaux dans la carrière de l’auditeur de terrain ? Par ailleurs, quelle est la place
de la compétence par rapport aux réseaux ? Autrement dit, c’est à partir d’un détour que nous
aborderons la question de la compétence. La thèse n’a donc pas vocation à épuiser la notion
de compétences. Elle vise dans un premier temps à comprendre de l’intérieur une organisation
et à saisir l’influence des réseaux sociaux sur la vie de l’auditeur et sur sa progression au sein
de l’organisation. Dans un second temps, nous pourrons, en fonction de la force du réseau,
poser la question de la compétence par rapport à celui-ci. Quelle peut être la place donnée à la
compétence par rapport aux réseaux sociaux ? Le réseau peut il masquer des incompétences ?
La capacité à intégrer et à fonctionner au sein d’un réseau est elle une compétence ?
3 Le progrès dans la connaissance constitue au demeurant une activité de recherche légitime. Colasse B. (1995), À quoi sert la recherche comptable ? Revue Française de Comptabilité.
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Pour tenter de répondre à cette problématique et à travers ces questions, nous mobiliserons
donc un cadre de recherche autour de la théorie des réseaux sociaux. Au préalable, il peut être
intéressant de préciser l’origine de notre questionnement et de situer sa perspective.
1. L’origine et les objectifs de cette recherche
1.1 Un questionnement personnel
Depuis 2005, au cours de notre activité d’auditeur financier au sein du cabinet Audit & Co 4,
nous avons souvent eu l’occasion de nous interroger sur l’une des composantes de la
proposition de De Angelo à savoir « la compétence », au regard du poids de la méthodologie
procédurale utilisée dans le cabinet. Un des points qui a retenu tout particulièrement notre
attention, concernait la définition de la compétence.
En effet, la production de la certification au sein de ce cabinet reflétait une
division du travail entre les associés – copropriétaires du capital – et leurs
collaborateurs salariés. Dans ce cabinet, on assiste à une séparation des
tâches poussée : la responsabilité de la certification qui incombe aux
associés est considérablement dissociée des travaux réalisés sur le terrain
par des équipes de jeunes collaborateurs salariés. Dans ce contexte, la
certification construite par l’associé d’audit (principal) est fondée sur des
dossiers d’audit constitués par les collaborateurs (agents), sans
directement connaître la constitution des dossiers de travail à partir de la
comptabilité de l’entreprise. Des premières interrogations sont nées et
sont restées déterminantes pour la suite de notre réflexion. Dans ce
contexte, quelles catégories la définition classique de la compétence
concerne-elle ? Et comment limiter les inconvénients de la relation
d’agence pour garantir la qualité de l’audit en maintenant un niveau de
4 Société d’expertise comptable – commissariat aux comptes et conseil. Il a rejoint un des big four courant la
dernière décennie. Son portefeuille est diversifié (Grandes entreprises, PME-TPE). Il est implanté sur l’ensemble
du territoire national au travers d’une trentaine d’établissements et à l’étranger au travers d’une quarantaine de
bureaux. Le métier de l’audit (commissariat aux comptes) est le principal métier du cabinet Audit & Co.
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compétence adéquat ? Le mode de contrôle des travaux réalisés entre collaborateurs et
la transgression aux normes prédéfinies au sein du cabinet peuvent-ils garantir et maintenir la
compétence de l’auditeur ?
Finalement, la compétence a souvent été considérée dans la littérature comme une assurance
de la capacité de détection de l’auditeur. Flint (1998) considère que les auditeurs doivent
posséder des connaissances, une formation et une expérience suffisantes pour mener à bien
leur mission. Ainsi, cette qualité de détection est représentée par la qualification et
l’expérience des auditeurs qui lui permet de réaliser un travail technique sans effort, de
manière fluide et en ne commettant pratiquement pas d’erreurs (Abdolmohammadi et
Shanteau (1992)).
Dans ce sens nous rejoignons les conclusions de Bertin (2004) qui attribue à ces visions un
caractère un peu limitatif, dans la mesure où elles ne prennent pas en compte la capacité de
révélation de l’auditeur, ni la composante émotionnelle, relationnelle, voire « affective » de la
certification des comptes.
1.2 L’importance de l’observation des relations entre auditeurs
À l’issue de huit entretiens exploratoires menés entre février et octobre 2005, principalement
auprès d’auditeurs financiers, nous avons été sensibilisés à l’importance des relations sociales
au sein d’un cabinet d’audit et à l’influence de celles-ci sur la compétence de l’auditeur. Nous
avons jugé délicat de pouvoir apprécier cette notion relationnelle à partir de questionnaires ou
d’autres techniques de mesures, sans rejeter la possibilité de réaliser des travaux de ce type.
Le sujet, selon les auditeurs financiers interviewés, était néanmoins trop « sensible
politiquement » ou « trop subjectif ».
Ce constat rejoint les conclusions d’un certain nombre de chercheurs qui, désireux d’observer
le comportement réel des individus en situation, ont privilégié l’expérience en laboratoire
comme approche méthodologique (Chow, Cooper et Waller, 1988 ; Cooper et Haddad, 1991 ;
Libby, 1996 ; Stevens, 1998 ; Waller, 1988 ; Young, 1985). D’autre part, la majorité des
travaux de recherche en audit légal accompagnent l’effort de codification accompli par la
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profession, et aboutissent à des recommandations centrées sur le travail prescrit aux auditeurs. Ces
travaux qui suivent souvent une logique hypothético-déductive, procèdent généralement à des
expériences de laboratoire ou à l’envoi de questionnaires pour recueillir leurs données . Or, les
résultats de nos entretiens exploratoires nous ont confortés dans l’idée d’intégrer le monde du
travail de l’audit afin de vivre de plus près le sujet de notre problématique de recherche et
pleinement ce relationnel dans lequel les auditeurs financiers exercent leur métier.
Les auditeurs travaillent en petits groupes ce qui favorise les interactions et la surveillance
mutuelle. De plus, en fonction de la nature et les spécificités du dossier, la composition de
l’équipe est amenée à changer, les professionnels dans ces conditions peuvent développer une
connaissance des compétences et des contributions de tous leurs collègues (Fama et Jensen,
1983). Néanmoins, de nombreuses recherches soulignent l’importance de l’influence de la
composante émotionnelle sur la construction de la certification d’audit. Pour Pentland (1993),
c’est le fait de ressentir la satisfaction de ses collègues – et en particulier de ses supérieurs
hiérarchiques – qui valorise le travail qu’il a effectué, autant que sa pertinence intrinsèque qui
demeure difficile à démontrer. Herrbach (2000) met en évidence l’importance des relations
interindividuelles entre auditeurs. La qualité de la certification dépend du soin et de la
compétence déployés par chaque maillon de la chaîne. L’auteur met en exergue l’importance
de la confiance accordée à un auditeur pour permettre aux autres d’évaluer la qualité de son
travail. Ainsi, il n’est pas possible de faire reposer l’audit sur des règles purement rationnelles.
L’affectif se substitue à une rationalité difficile. Cet aspect concerne tant la préparation d’un
audit que son exécution (Humphrey et Moizer, 1990).
Le jugement de l’auditeur apparaît comme un phénomène complexe qui repose sur les
aptitudes cognitives intrinsèques de l’auditeur, ses connaissances techniques et générales, son
expérience ainsi que des éléments organisationnels, relationnels et psychologiques que l’on
peut difficilement disjoindre.
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1.3 Le cadre théorique des réseaux sociaux et une mise en relation avec la carrière de
l’auditeur et ses compétences
La notion de compétence est large : elle intègre le fait que l’audit n’est pas seulement un
métier, mais aussi une activité économique, et que les cabinets d’audit sont des organisations
sociales5. On peut affirmer que « Les méthodes d’audit ne sont pas seulement des techniques
objectives mais aussi un produit social » (Humphery et Moizer, 1990 ; Power, 1995 ; Fischer,
1996).
Dans des cabinets, des membres peuvent sembler empreints d’une rationalité technique et
peut-être taylorienne trouvant en particulier son origine dans les normes et les référentiels de
travail. Véritable vecteur de confiance et contrepoids experts aux agissements potentiellement
opportunistes des dirigeants, pour reprendre les termes de la théorie de l’agence, les auditeurs
n’en restent pas moins des hommes et des femmes dont l’action collective constitue un
construit social. Ceci nous a conduit à élargir la notion de la compétence au-delà d’une simple
technicité et à la restituer au cœur d’un contexte organisationnel où les individus sont
contraints et moteurs dans le développement de réseaux sociaux.
Les réseaux sociaux sont ainsi considérés comme une source importante de ressources
diversifiées pour l’individu. La notion de réseaux sociaux renvoie à celle de capital social.
L’idée qu’« avancer dans sa carrière n’est pas un acte solitaire » (Cerdin, 2000, p. 58) n’est
pas nouvelle. En effet, le capital social est perçu comme le complément du capital humain
(Burt, 1995) et son utilité pour l’évolution professionnelle des salariés n’est pas contestée. Il
semble cependant important de s’y intéresser dans la mesure où il fait partie de la nouvelle
donne du travail.
Par ailleurs, la confiance a été définie comme étant une source de la vie en réseau (Amblard,
1996, p. 154) et elle est indissociable de celle de capital social (Coleman, 1998 et Putman,
2000). Il est à remarquer que ce que l’on sait d’une personne n’est pas uniquement issu d’une
relation duale. Cette dernière est souvent parasitée par ce qu’on nomme communément la
réputation, qui n’est rien d’autre qu’une information véhiculée par d’autres, et qui, venant 5 Bertin 2004
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s’ajouter à l’information directement acquise, peut inciter à la confiance ou au contraire à la
méfiance. La dynamique de la confiance ne peut en effet se construire que dans une
complexité relationnelle associant confiance et méfiance. Dans ce sens, la réputation est
considérée comme une garantie à la confiance.
2. Les réseaux sociaux et la compétence de l’auditeur : fruit d’une démarche
participative
Les résultats des huit entretiens exploratoires réalisés au début de notre recherche nous ont
surtout sensibilisé à l’intérêt de vivre au cœur de la communauté des auditeurs financiers
en intégrant un cabinet d’audit pour une étude plus proche du phénomène étudié.
L’étude de l’impact des réseaux sociaux sur la compétence de l’auditeur peut difficilement
s’entreprendre à distance hors contexte. Ce phénomène né des interactions entre les individus,
ne peut, selon nous, être appréhendé complètement sans une compréhension et une
observation des comportements dans la durée. La mise en confiance des interviewés et
l’obtention de données sensibles nécessaires à ce type d’étude sont autant d’éléments qui
confortent ce type de démarche.
Certains sociologues et anthropologues affirment leurs désirs de comprendre la construction
des réalités des individus au travail dans leur environnement moderne quotidien. Latour et
Woolgar (1979) regrettaient la rareté d’analyses de terrain pour les activités emblématiques de
notre société. Les deux sociologues citent l’industrie, la technique, la science et
l’administration comme étant des activités si typiques et pourtant étudiées d’une façon
inappropriée. De nombreux travaux dans plusieurs disciplines sont venus répondre à cette
frustration. Néanmoins, Guenin (2008) considère que l’audit mériterait aujourd’hui de figurer
dans cette liste de manière explicite : « alors que celui-ci occupe désormais une place tout à
fait centrale au sein de nos économies, son élément le plus représentatif, l’audit légal,
continue de n’être soumis à presque aucune étude fondée sur l’observation des pratiques en
situation de travail. ».
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Afin de vivre de plus près le sujet de notre problématique de recherche, nous avons donc
intégré le monde du travail de l’audit en tant qu’auditeur financier débutant au sein du cabinet
Audit & Co et nous y sommes restés pendant une durée de quatre ans. Lors de notre activité
professionnelle, nous avons pu observer les auditeurs financiers sur le terrain, et avons
cherché à comprendre le lien entre la compétence et le cabinet d’audit en tant qu’organisation
sociale.
De ce fait, notre étude est le fruit d’un long travail d’observation des pratiques réalisées sur le
terrain qui s’inscrit dans une approche qualitative à dominante constructiviste. La
compréhension d’un tel contexte et la révélation de données sensibles ont semblé ne pouvoir
s’entreprendre sans un minimum de temps passé au sein d’une organisation et une réelle
proximité avec ses acteurs, voire même d’en faire partie.
Le cadre méthodologique de notre recherche réside dans la possibilité qu’il offre de
conceptualiser des pratiques « souterraines » et de nous éclairer sur des facettes jusqu’à
présent demeurées dans l’ombre. Les travaux en audit suivent souvent une logique
hypothético-déductive, et reposent généralement sur l’analyse de dossiers d’audit, la conduite
d’entretiens, les documents officiels plus facilement accessibles ou procèdent à l’envoi de
questionnaires pour recueillir leurs données. Les études fondées sur l’observation directe des
auditeurs sont extrêmement rares. Notre méthodologie de recherche, une méthode qualitative
à dominante constructiviste, place les pratiques des relations des auditeurs sur le devant de la
scène.
3. Le plan de la thèse
La première partie de la thèse sera consacrée à la présentation de la revue de littérature et à
l’élaboration de notre cadre théorique de recherche.
Le chapitre 1 sera l’occasion d’expliciter une vision que nous qualifierons de « classique » de
l’audit et de sa qualité. Par ailleurs, appréhender la qualité de l’audit nécessite, selon nous,
d’en comprendre les déterminants (l’indépendance et la compétence). Ainsi, ces derniers
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feront l’objet d’une présentation au travers des différents travaux de recherche menés sur le
sujet.
Le chapitre 2 développera la théorie des réseaux qui constitue dans la présente thèse notre
cadre original de recherche. Ainsi, la première section s’attachera à présenter le cadre général
de la théorie des réseaux. La seconde présentera les théories qui y sont associées. Enfin, dans
la troisième et dernière section, nous ferons un « focus » sur les trois concepts clés de notre
cadre de recherche : le capital social, la confiance et la réputation. Et pour conclure, nous
proposerons une première conceptualisation de l’impact des réseaux sociaux sur la
compétence de l’auditeur. Il s’agira dans un premier temps d’établir un parallèle entre les
réseaux sociaux et la compétence, avant de dresser notre proposition de cadre d’analyse.
Le chapitre 3 sera dédié à la présentation de notre méthodologie de recherche. Nous
détaillerons dans une première section notre dispositif général de recherche, avant de
présenter, dans une deuxième section, les résultats des entretiens exploratoires et, dans une
troisième et dernière section, les modalités d’analyse des données de l’étude de cas. Ce
chapitre nous permettra notamment de présenter notre posture épistémologique et les raisons
qui nous ont orientés à conduire notre recherche sur la base d’une observation participante.
La deuxième partie de la thèse sera consacrée à l’étude de cas. À partir de notre observation
participante et des entretiens menés, nous analyserons l’impact des réseaux sociaux selon
notre cadre d’étude défini dans le chapitre 3.
Le chapitre 4 s’attachera à présenter le cabinet Audit & Co, son organisation et notre histoire
au sein de sa structure. La présentation de ce matériau n’est pas une simple description brute
des données du cas. Il s’agit d’une mise en relief des éléments-clés qui caractérisent, selon
nous, les principales caractéristiques du cas. Ainsi, nous avons souhaité faire un récit vivant
du contexte relationnel d’ensemble et de certains moments observés au cours d’interactions
avec les acteurs qui influencent selon nous la compétence de l’auditeur et donc,
potentiellement, la qualité de l’audit.
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Le chapitre 5 constituera une mise en relief de notre étude de cas à partir de notre analyse
détaillée dans le chapitre 4.
La conclusion générale de la thèse s’attachera à présenter les contributions théoriques de
cette recherche, ses limites et les perspectives à venir.
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Schématisation du plan de la thèse
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Introduction générale
Chapitre 1L'audit et sa qualité à travers la littérature
Chapitre 2 La théorie des réseaux
sociaux
Chapitre 3Méthodologie de
recherche
Chapitre 4La cabinet Audit & Co: Présentation générale et
interprétation de la période d'étude
Chapitre 5Analyse de la relation des
réseaux sociaux et la compétence au sein du
cabinet Audit & Co
Conclusion générale
Première partie: Revue de la littérature et
proposition d'un cadre théorique de recherche
Deuxième partie: Étude de cas du cabinet Audit & Co
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Partie 1
Cadre théorique et méthodologique
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Introduction
Les travaux de recherche en audit légal sont relativement récents. Les premiers datent en effet du
début des années 1970 (Gendron et al., 2001, p. 342). Les articles de recherche publiés
en comptabilité et en audit sont davantage présents dans les revues
américaines ou britanniques que dans les revues françaises. Dans leur
majorité, ces travaux accompagnent l’effort de codification accompli par la profession, et
aboutissent à des recommandations centrées sur le travail prescrit aux auditeurs. Les
modalités concrètes de l’activité d’audit financier ont reçu un intérêt
certain de la part de chercheurs en comptabilité américains d’abord, puis
anglo-saxons en général, alors qu’elles n’ont pas encore fait l’objet de
publications nombreuses dans les revues en langue française. Ceci
s’explique probablement par la forte sensibilité de ces pays à la notion de
qualité de l’information financière. Cette sensibilité les a amenés à
considérer le comportement des cabinets d’audit et des collaborateurs de
cabinets comme un sujet de recherche devant être pris en compte pour
s’assurer de la qualité des comptes certifiés et, partant, de l’efficience des
marchés6.
L’objectif de cette première partie sera de délimiter le contexte général de
notre étude en réalisant une revue de la littérature constituée
essentiellement des revues américaines ou britanniques de comptabilité
et d’audit, et aussi en définissant notre cadre d’analyse théorique. Dans le
premier chapitre, nous analyserons l’environnement de l’audit financier et
mettrons en lumière les déterminants de la qualité de l’audit légal. Pour
répondre à la question de recherche indiquée dans l’introduction générale, le premier chapitre
6 Un autre facteur explicatif est le niveau élevé de collaboration entre les universités et les cabinets d’audit aux États-Unis, qui se manifeste en particulier par le financement de programmes de recherche (Power, 1995).
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de notre thèse consistera à présenter les éléments de revue de littérature nécessaires à la
compréhension générale de notre objet de recherche qui est la qualité de l’audit légal.
La théorie des réseaux sociaux, s’appuyant entre autres sur des éléments conceptuels comme
le capital social, la confiance ou la réputation, propose, à notre sens, un cadre d’analyse
original de ce phénomène qu’il convient d’expliciter, et qui fera l’objet d’une présentation
détaillée au travers du deuxième chapitre.
Enfin, l’analyse du travail réel telle exige d’observer les acteurs en situation. Le dernier chapitre
de cette première partie consistera à présenter notre méthodologie de recherche dont
l’observation participante est capitale.
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Chapitre 1
Les principaux fondements de la discipline
Introduction
Parmi les différentes branches de la pratique comptable, l’audit financier constitue un secteur
spécifique. Dédié au contrôle, par un professionnel extérieur, de la fiabilité des comptes
publiés par les entreprises, il repose davantage sur des techniques d’observation, de
recoupements, de sondages, que sur des enregistrements comptables « classiques ». L’audit7
conduit à la formation d’un jugement sur la qualité des comptes, et non à l’élaboration d’états
financiers8.
L’audit exigerait des qualités professionnelles spécifiques. Et même si, dans le cadre français,
le commissaire aux comptes chargé de l’audit légal a souvent la même formation que l’expert-
comptable qui a élaboré les comptes, un système très complet de règles et de normes,
techniques et déontologiques, encadre son intervention.
Tout d’abord, l’audit en tant que domaine de recherche sera mis en avant (I), en insistant sur
sa légitimité théorique et sur ses mécanismes de réglementation qui garantissent aux
utilisateurs l’information comptable et financière de la fiabilité du contrôle confié aux
auditeurs. Ensuite, nous présenterons la qualité en audit et une revue de la littérature relative à
ce concept (II). Enfin, nous ferons un focus sur la rareté des recherches portant sur la
compétence fondées sur des observations en situation, et l’application des réseaux sociaux en
audit. Ceci fera l’objet d’une présentation en troisième partie (III).
7 Nous utiliserons « audit » dans sa dimension légale, c’est-à-dire le commissariat aux comptes.8 BEDARD.J, GONTHIER.N et RICHARD.C (2001), « Quelques voies de recherche en audit », in Faire de la
recherche en comptabilité financière, Vuibert FNEGE, pp. 55-83.
31
I. L’audit
Le terme d’audit désigne, au sens large, l’examen a posteriori d’une situation en comparaison
avec un référentiel préétabli. Dans les domaines comptables et financiers, il représente un
ensemble de diligences destinées à fournir une assurance raisonnable sur la fiabilité et la
pertinence des états financiers et des informations communiquées aux actionnaires. Le
référentiel de contrôle se compose de la réglementation comptable, complétée par
d’éventuelles dispositions émanant d’organes de tutelle comme l’AMF (Autorité des marchés
financiers) pour les sociétés cotées.
1.1 L’audit, légitimité théorique dans un environnement économique
L’audit est souvent considéré dans la littérature académique comme une dépense qui peut
répondre à l’asymétrie d’information entre actionnaire et dirigeant et instaurer la confiance
des investisseurs.
Jensen et Meckling (1976)9 ont envisagé quels pouvaient être les moyens de réduire les coûts
d’agence et l’asymétrie d’information entre ces différents groupes d’acteurs. Pour les deux
auteurs, il est possible de limiter l’opportunisme des dirigeants en faisant appel à divers
moyens de contrôle, lesquels sont définis entre autres comme « l’audit, les systèmes formels
de contrôle, les restrictions budgétaires » (p. 323).
L’identification de l’audit comme moyen de régulation des asymétries d’information par
Jensen et Meckling (1976) a été validée par Watts and Zimmerman (1983)10. Les deux auteurs
retracent l’historique de l’audit au Royaume-Uni et aux États-Unis afin de montrer la
complémentarité des origines de l’audit et de la théorie contractuelle de la firme :
9 JENSEN, M. C., & MECKLING W (1976), «Theory of the firm : Managerial behavior, agency costs and
10 WATTS, R. L., & ZIMMERMAN, J. L (1983), « Agency problems, auditing, and the theory of the firm: some evidence » Journal of Law & Economics 26: 613-633.
32
858
« la survie […] des pratiques d’audit […] est en accord avec l’existence de
conflits d’agence et l’utilisation de moyens de surveillance mis en place par les
actionnaires et de dédouanement des dirigeants afin de réduire les coûts
d’agence. » (p. 633).
Les utilisateurs de l’information comptable et financière ont besoin de s’assurer de sa fiabilité
et de sa pertinence. À cet effet, l’intervention d’un tiers, l’auditeur, permettra d’instaurer la
confiance et l’assurance de la communauté financière.
L’audit trouve une partie de sa légitimité théorique à la fois dans la théorie de l’agence (1.1.2)
et la théorie de l’assurance (1.1.3), mais ce besoin de vérifier les informations financières
produites s’est fait sentir très tôt, impliquant une vérification des comptes et un jugement sur
les performances des dirigeants (1.1.1).
1.1.1. L’audit légal et son historique
Le terme « Audit », selon Mikol (2000)11, vient du latin audire qui signifie écouter (auditoire,
auditorium, manque un mot auditif…) ; le verbe anglais to audit est traduit par « contrôler,
vérifier, surveiller, inspecter ».
On peut rappeler que Charlemagne institua des missi dominici (littéralement : « envoyés du
maître »), inspecteurs chargés de surveiller la gestion des vassaux de l’Empereur.
Généralement, les définitions de l’audit données par les auteurs convergent vers une mission
d’opinion :
confiée à un professionnel « indépendant » (auditeur interne ou externe),
utilisant une méthodologie spécifique,
et justifiant un niveau de diligence acceptable par rapport à des normes.
11 MIKOL A (2000), « Formes d’audit », in Encyclopédie de comptabilité, contrôle de gestion et audit, sous la
direction de B.COLASSE, pp. 732-742.
33
Mikol12 distingue différentes formes d’audit. Aujourd’hui, auditer signifie étudier une
entreprise pour en apprécier les processus ou les comptes (audit financier), pour améliorer ses
performances (audit opérationnel) ou pour porter un jugement sur la gestion des dirigeants
(audit de la gestion). La mission d’audit peut également être qualifiée par son domaine
d’investigation (audit des achats, des stocks…), par l’entité auditée (audit des associations…),
ou encore par ses intervenants (auditeurs internes, auditeurs externes).
L’audit externe est mené par un commissaire aux comptes, un fonctionnaire, ou un tiers à
l’entreprise par un contrat.
Cependant, la loi du 24 juillet 1966 impose aux sociétés anonymes, aux sociétés dépassant
certains critères de taille et à de nombreuses autres entités (associations, groupements sportifs,
partis politiques…) qui atteignent des critères fixés par la loi de nommer un ou plusieurs
commissaires aux comptes.
Le commissaire aux comptes est une personne physique ou morale inscrite auprès d’une
compagnie régionale des commissaires aux comptes et, à ce titre, est membre de la CNCC
(Compagnie nationale des commissaires aux comptes). Seul un commissaire aux comptes
peut exercer la mission de certification de l’image fidèle des comptes prévue par la loi du 24
juillet 1966.
Le commissaire aux comptes est également qualifié de contrôleur légal (expression française
utilisée dans les textes officiels de l’Union européenne) ou auditeur légal (l’expression
statutory auditor est celle utilisée dans les textes britanniques officiels de l’Union
européenne), car sa mission est décrite dans la loi.
L’audit légal comprend :
Une mission d’audit financier conduisant à la certification.
12 MIKOL A (2000), « Formes d’audit », in Encyclopédie de comptabilité, contrôle de gestion et audit, sous la
direction de B.COLASSE, pp. 732-742.
34
936
Des vérifications spécifiques dont la liste figure dans la loi du 24 juillet 1966.
Et le cas échéant des interventions connexes.
L’objectif de l’audit des comptes est de permettre au commissaire aux comptes de formuler
une opinion exprimant si ces comptes sont établis, dans tous leurs aspects significatifs,
conformément au référentiel comptable. Cette opinion est formulée, selon les dispositions
prévues par l’article L.225-235 du Code de commerce, en termes de « régularité, sincérité et
image fidèle ».
Au final, l’audit légal a été défini comme,
« l’examen auquel procède un professionnel indépendant et externe à
l’entreprise en vue d’exprimer une opinion motivée sur la régularité et la
sincérité du bilan et des comptes de résultats de celle-ci. Elle aboutit tout
naturellement à la certification des informations comptables »13.
Si l’on veut dresser une brève histoire de l’audit, il serait apparu le jour où un propriétaire a
confié la gestion de son bien à un intendant, car il est de prudence universelle de contrôler
celui à qui l’on a confié l’exploitation de son bien.
L’audit était à l’origine mené par le propriétaire lui-même et avait un double objet :
D’une part, contrôler que l’intendant travaillait correctement.
D’autre part, contrôler qu’il traduisait fidèlement le résultat de son travail dans les
comptes annuels.
Puis, parce qu’il n’a plus le temps, soit parce qu’il ne dispose plus des compétences
nécessaires, le propriétaire est ensuite conduit à confier à un professionnel compétent le soin
de contrôler, inspecter, surveiller et vérifier l’intendant. Ainsi naît une nouvelle profession,
13 OECCA, Encyclopédie permanente, in « L’audit financier », J. Raffegeau, P. Dufils et D.de Ménoville, Que
sais je ? PUF.
35
celle des auditeurs, dont les fonctions, exercées pour le compte de leurs mandataires,
comprennent deux objectifs :
Porter un jugement sur la pertinence de la gestion menée par les dirigeants et sur les
résultats obtenus.
Certifier que l’activité de l’entreprise, que celle-ci soit bonne ou mauvaise, a été
fidèlement traduite dans les comptes annuels conformément à un référentiel comptable
identifié. Depuis 1863, cette vérification comptable est, en France, confiée par la loi au
commissaire aux comptes14.
Le mot de « commissaire » serait apparu pour la première fois dans la législation française
avec la loi du 23 mai 1863, même si, auparavant, des fonctions de surveillance étaient parfois
tenues pour le compte des actionnaires ou associés. La loi de 1863 indique que :
« L’assemblée générale annuelle désigne un ou plusieurs commissaires,
associés ou non, chargés de faire un rapport à l’Assemblée générale de
l’année suivante sur la situation de la Société, sur le bilan et sur les
comptes présentés par les administrateurs. La délibération contenant
approbation du bilan et des comptes est nulle, si elle n’a pas été précédée
du rapport des commissaires. » (art. 15).
C’est vers la deuxième moitié du XIXe siècle que les sociétés commerciales ont pris
l’habitude de soumettre leurs comptes à la vérification d’experts étrangers à l’entreprise. Le
mouvement se dessina d’abord en Grande-Bretagne d’où il gagna les États-Unis, l’Allemagne
puis la France. La loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés commerciales prévoyait dans les
sociétés anonymes la nomination par l’assemblée générale d’un ou plusieurs commissaires
chargés de vérifier les comptes et de présenter un rapport à la prochaine assemblée. Ces
commissaires dénommés commissaires aux comptes ou commissaires de surveillance, ce
14 Ces deux objectifs assignés au contrôle de l’entreprise (vérifier que l’activité est traduite fidèlement dans les
comptes annulés, et apprécier les activités et les résultats) existent toujours aujourd’hui dans toutes les formes
d’audit.
36
second titre étant emprunté au droit de la commandite, étaient nommés pour un exercice et,
selon Georges Ripert (Traité de droit commercial, LGDJ, 1959),
« sans garantie de compétence, n’exerçant leurs fonctions que dans la
courte période précédant l’assemblée, dépendant en fait des
administrateurs, ne pouvaient utilement remplir leurs fonctions de
surveillance. Trop souvent, leur rapport était une brève approbation
donnée sans un contrôle sérieux ».
La profession de commissariat aux comptes s’est développée en même temps que l’expertise
comptable. Cette vérification des comptes ne voit le jour réellement en France qu’après la
guerre de 1914-1918. La forte poussée économique qui se produisit alors, l’utilisation de la
comptabilité comme instrument d’information fiscale, le besoin, né de la concurrence, de
connaître très exactement et rapidement les prix de revient et les résultats accrurent
l’importance des missions de professionnels et la nécessité de leurs interventions.
Aujourd’hui, en France, les professions d’expert-comptable et de commissaire aux comptes
sont organisées conformément à l’ordonnance du 19 septembre 1945 et au décret du 12 août,
puis en application de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales qui ont fait la
distinction entre expert-comptable et commissaire aux comptes.
Selon l’article 2 modifié de l’ordonnance du 19 septembre 1945,
« Est expert-comptable celui qui fait profession de réviser et d’apprécier
la comptabilité des entreprises et organismes auxquels il n’est pas lié par
un contrat de travail. Il est également habilité à attester la régularité et la
sincérité des bilans et des comptes de résultat. L’expert-comptable peut
aussi organiser les comptabilités et analyser, par les procédés de la
technique comptable, la situation et le fonctionnement des entreprises
sous leurs aspects économique, juridique et financier. Il fait rapport de
ses constatations, conclusions et suggestions. L’expert-comptable fait
aussi profession de tenir, centraliser, ouvrir, arrêter, surveiller, redresser
37
1014
et consolider les comptabilités des entreprises et organismes auxquels il
n’est pas lié par un contrat de travail ».
L’article 218 modifié de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales précise, quant
à lui, que le contrôle est effectué, dans les sociétés anonymes, par un ou plusieurs
commissaires aux comptes. Leur mission est définie en particulier par l’article 228 de la
même loi :
« Les commissaires aux comptes certifient que les comptes sont réguliers
et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de
l’exercice écoulé ainsi que la situation financière et du patrimoine de la
société à la fin de cet exercice. »
Les professions d’expert-comptable et de commissaire aux comptes, organisées en France de
manière indépendante, sont des professions libérales dont la mission essentielle consiste donc
à réviser et à certifier les comptes.
Si la notion de révision comptable est apparue en France avec la profession d’expert-
comptable et a trouvé droit de cité depuis 1965 par la publication d’un ouvrage de doctrine
par le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables à l’occasion de son congrès
annuel, le vocable audit se fit jour bien plus tard et lui est maintenant souvent substitué dans
le monde des affaires. Ce terme, d’origine latine, employé en France depuis fort longtemps à
la Cour des comptes, a ensuite été utilisé par les Anglo-Saxons avant de nous revenir dans les
acceptions variées qu’on lui connaît aujourd’hui.
Ainsi, en 1319, dans l’ordonnance de Philippe le Long qui codifia ce qui devint la Cour des
comptes, la fonction d’auditeur désignait déjà le premier grade de la hiérarchie. Les normes
de révision, édictées par l’American Institute of Certified Accountants (AICPA), l’équivalent
de notre Ordre des experts-comptables, ont fait l’objet dès 1992 de Statements on Auditing
Standard (SAS). La Grande Bretagne créa en 1976 un Auditing Practie Committe (APC)
chargé de publier des auditing standards (normes d’audit). Puis, l’International Federation of
38
Accountants (IFAC), créée en 1977, a mis en place à cette date une commission permanente,
l’International Auditing Pratices Comittee (IAPC), chargée d’analyser les pratiques d’audit
dans le monde.
Enfin, signe des temps (ou influence du monde anglo-saxon), le nouveau référentiel des
normes professionnelles de l’Ordre des experts-comptables adoptées en juillet 1990 par le
Conseil supérieur dans les missions normalisées, à côté des missions de présentation (des
comptes) et d’examen, la mission d’audit.
De la révision comptable vers l’audit financier
L’opérationnalisation de l’approche par les risques15 réalisée par de grands cabinets (les Big
Eight à l’époque) a été opérée pour l’essentiel sur la période 1950-1970. En France, c’est dans
les années 70 que ce type d’approche commence à se répandre auprès d’une profession
comptable libérale française éparpillée : dans un premier temps, les cabinets représentant en
France les réseaux anglo-saxons bénéficient d’accords techniques. Progressivement,
l’approche s’est diffusée auprès d’une vingtaine de grands cabinets franco-français. Cette
nouvelle démarche a ensuite été véhiculée par les recommandations des instances
professionnelles (Ordre des experts-comptables et CNCC) à un plus grand nombre de la
profession comptable libérale.
Pendant ces dernières décennies, la technologie utilisée par l’auditeur financier afin d’émettre
une opinion a connu une évolution considérable. Jusqu’aux années trente, l’activité des
auditeurs financiers a été considérée comme une vérification, le plus souvent exhaustive, des
enregistrements comptables. Durant la période 1940-1960, une approche structurée de l’audit
a été développée par les praticiens. Dès les années 50, cette approche moderne a intégré une
perception du risque issue de la théorie statistique de la décision.
Le mot « audit » devint à la mode en France à partir des années 1960, puis les cabinets d’audit
diversifièrent leurs catalogues de produits à partir des années 1970.
15
39
1092
La Chambre des comptes, née d’une ordonnance de Saint Louis (1256), qui devient Cour des
comptes en 1807, voit ses principes principaux établis par l’ordonnance de Vivier-en-Brie
(1320). L’auditorat a été créé en 1856. La mission d’auditeur à la Cour des comptes est
double :
Vérifier la régularité formelle des comptes.
Porter un jugement sur la qualité de la gestion et la pertinence des objectifs.
Malgré sa tradition, son talent et son prestige, ce n’est pas la Cour des comptes qui a
popularisé le mot « audit » en France mais, à partir des années 1960, les « cabinets anglo-
saxons d’audit », comme on les appelait alors. Leur activité principale était à l’époque de
contrôler la traduction fidèle de l’activité de l’entreprise dans les comptes annuels, autrement
dit la vérification comptable. Ces cabinets, fortement structurés, qui appliquaient avec
compétence et indépendance une méthodologie et des techniques d’audit alors inconnues en
France, ont su rapidement se faire apprécier des entreprises et lancer la mode du mot
« audit ».
Les choses étaient simples jusque vers 1970, époque où l’activité des Big Eight correspondait
principalement à la vérification comptable, soit dans le cadre d’un contrat, soit dans le cadre
légal du commissariat aux comptes, mais elles évoluèrent rapidement sous l’effet de deux
facteurs principaux :
De nombreux cabinets d’audit, Big Eight en tête, créaient des structures annexes ayant
pour rôle d’apprécier des opérations particulières, de donner des conseils en fiscalité,
d’aider les groupes à mettre en place la consolidation de leurs comptes (la 7e directive
européenne relative aux comptes consolidés date de 1983), et d’assister leurs clients
dans des missions d’organisation (principalement informatiques). La raison de la
création de ces structures annexes est une conséquence de la loi française : celui qui
certifie l’image fidèle des comptes annuels d’une entreprise en tant que commissaire
aux comptes n’a pas le droit d’exercer d’autres fonctions dans cette entreprise.
Les dirigeants d’entreprises confiaient volontiers aux auditeurs des structures annexes,
créées par leur commissaire aux comptes, des missions complémentaires éloignées de
la vérification comptable, prit ainsi, dès 1980, une deuxième signification : le conseil.
40
La mode de l’audit et la transformation progressive des cabinets d’audit en multinationales de
services aux entreprises et à d’autres entités économiques (associations, mairies…) font
qu’aujourd’hui le mot « audit » résiste à toute définition exhaustive.
« Le “schéma général d’une révision” n’aurait quasiment pas évolué en
dix-neuf ans. Seul un outil aurait changé (on pourrait presque écrire :
apparu), celui de l’ordinateur en tant qu’outil d’aide à l’audit, mais le
mémento comptable semble délaisser volontairement cet aspect.
La place faite aux normes a pu changer. L’auditeur de 1980 retirait
l’impression qu’il existait des normes (appelées à l’époque des
recommandations) peu coercitives et simplement destinées à le guider,
tandis que l’auditeur de 1999 ne peut ignorer qu’il existe des normes
relatives à la mission du commissaire aux comptes qui ont un caractère
obligatoire. » (J.Casta et A.Mikol, 1999).
Figure 1: L’évolution de l’approche d’audit
41
1.1.2. L’audit et la théorie de l’agence
1.1.2.1. L’audit et la relation d’agence
Une des principales causes de la relation d’agence entre dirigeants et actionnaires est
l’asymétrie d’information. Si les actionnaires avaient une connaissance parfaite des actes des
dirigeants et des éléments d’information dont ces derniers disposent, ils seraient à même
d’apprécier la pertinence des décisions de gestion. La transmission d’information, et en
particulier l’établissement des comptes annuels ou des situations trimestrielles, a pour objet de
réduire l’asymétrie d’information en mettant à la disposition des actionnaires une partie de
l’information dont dispose le dirigeant.
La pratique traditionnelle de l’audit financier relève de la compétence de vérificateurs
externes. Watts et Zimmerman (1983)16 observent, à travers l’histoire, que le recours
16 WATTS, R. L., & ZIMMERMAN, J. L (1983), « Agency problems, auditing, and the theory of the firm:
some evidence », Journal of Law & Economics 26: 613-633.
SERVICES INTERNES DE L’ENTREPRISE
• PRODUCTION • DIRECTION• COMMERCIAL• PERSONNEL
COMPTABILITE
• JOURNAL• GRAND LIVRE• BALANCES
• COMPTES ANNUELS
APPROCHE PAR LES SYSTEMES
APPROCHE TRADITIONNELLE
42
1170
volontaire à l’audit professionnel et indépendant a très nettement précédé l’institution de
l’audit légal par le législateur aux États-Unis et au Royaume-Uni 17. La théorie de l’agence
analyse le recours à l’audit externe comme un moyen de réguler les conflits, notamment entre
actionnaires et dirigeants.
L’audit externe trouve donc une légitimité théorique dans la réduction des coûts d’agence
(Grand, 1996)18, pouvant affecter lourdement l’équilibre financier des grandes organisations.
Son rôle consiste à réduire l’asymétrie d’information pour minimiser la perte résiduelle –
partie implicite des coûts d’agence (Jensen et Meckling, 1976)19 – due au comportement
opportuniste des gestionnaires. En effet, plus l’asymétrie informationnelle est importante, plus
la propension des dirigeants à adopter un comportement opportuniste est forte. Par
conséquent, sur un plan purement économique et en l’absence de facteur réglementaire, le
recours aux services d’un auditeur externe sera bénéfique dès lors que le gain attendu au
niveau de la réduction des coûts implicites couvre le coût explicite de cette prestation.
La théorie de l’agence reconnaît l’audit comme l’un des principaux mécanismes de gestion
des conflits et de réduction des coûts d’agence. En conséquence, une modification dans
l’intensité des conflits d’agence devrait influencer, dans le même sens, le niveau de qualité
requise sur l’audit. Cette qualité ne dépend que de l’auditeur dans un cadre purement
économique.
1.1.2.2. L’auditeur et l’asymétrie d’information
17 Ce n’est pas le cas en France. Ce pays porte en effet une imposante tradition réglementaire : la nomination
d’un « commissaire de sociétés », ancêtre du commissaire aux comptes, est prévue dès la loi de 1863, de manière
concomitante à la révolution industrielle et au développement des grandes organisations. Aux États-Unis, l’audit
légal n’est généralisé qu’en 1933.
18 GRAND, B. 1996, « Approches théoriques de l’audit », Working Paper n° 469, Centre d’Études et de Recherches sur les Organisations et la Gestion (CEROG), IAE Aix-en-Provence, Université Aix-Marseille III.
19 JENSEN, M. C., & MECKLING W (1976) « Theory of the firm: Managerial behavior, agency costs and
24PIGE, B. 1998, « Performance, audit et gouvernement d’entreprise ». Actes du XIXe congrès de l’Association
Française de Comptabilité. Nantes. Vol. 1 : 227-242.
25 FAMA, E. F., & JENSEN, M. C. (1983a), « Separation of ownership and control », Journal of Law &
Economics 26 : 301-325.
45
conseil d’administration (ou de surveillance) intervient dans le système de contrôle pour
ratifier les décisions stratégiques, puis pour en évaluer les résultats. Les actionnaires
conservent la prérogative de désigner l’auditeur externe en assemblée générale, et ce dernier
dispose des pouvoirs les plus étendus en matière d’accès à l’information pour accomplir sa
mission et protéger les intérêts de ses mandants26.
Par conséquent, un audit de qualité peut être considéré comme l’une des composantes d’un
système de contrôle complexe chargé de compenser la relative incapacité d’un actionnariat
diffus à surveiller et contrôler la politique comptable des managers. À l’inverse, dans les
sociétés dites contrôlées, l’actionnaire majoritaire accède directement à l’information
privilégiée et se substitue au conseil d’administration pour apprécier les décisions
managériales (Pochet, 1998)27. Dans ce cas, le rôle de l’auditeur indépendant consiste
davantage à défendre les intérêts d’éventuels actionnaires minoritaires. Sa nomination
résultant directement du vote de l’actionnaire majoritaire, la recherche de notoriété ne devrait
pas constituer une priorité.
Le cas des appels publics à l’épargne
Ce troisième niveau existe quand des actionnaires d’une entreprise souhaitent ouvrir leur
capital et faire appel public à l’épargne. Les auditeurs doivent viser la note transmise aux
investisseurs potentiels afin d’assurer une certaine fiabilité aux informations fournies.
Dans le cas d’un appel public à l’épargne, les entreprises doivent déposer une notice auprès de
l’AMF (Autorité des marchés financiers) indiquant non seulement leur situation actuelle et
passée qui fait l’objet de comptes soumis à certification par les auditeurs, mais également 26 En pratique, cette procédure a ses limites. Grand (1996) souligne que la nomination du commissaire aux
comptes se traduit bien souvent par un simple vote de ratification de la part des actionnaires ainsi que du cabinet
sélectionné et proposé par la direction de la société. L’enquête Dafsa réalisée début 1997 précise que dans 87 %
des cas, l’auditeur est choisi par le plus haut niveau hiérarchique de l’entité ou du groupe (La Profession
Comptable, n° 172, mai 1997, page 32).
27 POCHET, C (1998), « Inefficacité des mécanismes de contrôle managérial : le rôle de l’information
comptable dans le gouvernement de l’entreprise ». Comptabilité – Contrôle – Audit, vol 2, pp. 71-88.
46
1248
leurs prévisions d’activité pour les années à venir. Dans le cas d’une introduction en bourse,
l’asymétrie d’information entre les dirigeants-propriétaires et les investisseurs potentiels est
maximum puisque la valeur d’une entreprise ne dépend pas tant de sa valeur comptable nette
que de l’évaluation de ses flux de liquidité futurs (cash-flow) actualisés.
Pour valider l’information fournie aux investisseurs et attester de sa crédibilité, les
entrepreneurs peuvent envoyer au marché un signal à travers la validation de ces informations
fournies par l’auditeur.
L’importance de la qualité de l’audit lors de l’introduction en bourse est confirmée par les
résultats de Menon et Williams (1991) (d’après Pigé, 2000), qui observent que la majorité des
changements d’auditeurs préalables à une introduction en Bourse concerne un changement
vers des auditeurs plus importants (échantillon de 1 105 introductions en Bourse aux États-
Unis en 1986 et 1987).
1.1.3. L’audit et la théorie d’assurance/ parties prenantes
Si l’information financière est destinée à plusieurs utilisateurs, ces derniers ont besoin de
s’assurer de sa fiabilité et de sa pertinence. Dans cette perspective, l’intervention d’un tiers,
l’auditeur, permettra d’instaurer la confiance et l’assurance de la communauté financière.
1.1.3.1. L’utilité de l’information financière et le besoin de confiance
Les nombreux utilisateurs de la comptabilité (les actionnaires, les investisseurs, les créanciers
qui peuvent être des particuliers, des banques, des clients de l’entreprise, ses fournisseurs, son
personnel, des collectivités publiques, des hommes politiques, l’appareil d’État…) s’attendent
à trouver dans les comptes une information qui leur serve et qui soit la bonne. L’utilité de
cette information financière justifie leur besoin de faire confiance à la comptabilité qui traduit
cette information sous forme d’états financiers.
En effet, la comptabilité est :
47
« un fournisseur d’information pour l’analyse financière dont un des
premiers domaines d’application est celui de l’analyse crédit qui consiste
dans l’évaluation par un banquier ou un créancier des risques de
défaillance attachés à un débiteur » (Cohen, 2000)28.
Selon Colasse (1997)29, la comptabilité s’offre à l’examen sous trois aspects principaux :
Comme instrument de description et de modélisation de l’ensemble.
Comme système de traitement des informations nécessaires à cette modélisation.
Comme pratique sociale inscrite dans un jeu de contrastes juridiques plus au moins
stricts.
La publication des états financiers est un des éléments de communication de l’entreprise
vis-à-vis de ses partenaires. Le rôle de la comptabilité est de :
« produire de l’information afin de satisfaire une demande interne et
externe : sur le plan interne, la demande émane principalement des
dirigeants qui souhaitent pouvoir piloter le processus de création de
valeur et disposer d’un outil permettant de trancher les éventuels litiges
avec les différentes parties prenantes ; sur le plan externe, l’information
comptable doit permettre aux tiers d’informer sur l’intérêt de la
transaction et des risques encourus » (Charreaux, 2000)30.
Dans le passé, on a souvent cherché, dans l’application des règles juridiques ou fiscales et des
principales comptables faites par des professionnels indépendants, les qualités d’objectivité et
28 E. COHEN « Analyse financières et comptabilité », in Encyclopédie de comptabilité, contrôle de gestion et
audit, sous la direction de B. Colasse, Economica, pp. 17-28.
29 B. COLASSE « Qu’est ce que la comptabilité ? », in Encyclopédie de gestion, sous la direction de Y. Simon et
P. Joffre, Economica, pp. 2715-2729.
30 G. CHAREAUX « Gouvernement d’entreprise et comptabilité », in Encyclopédie de comptabilité, contrôle de
gestion et audit, sous la direction de B. Colasse, Economica, pp. 743-756.
48
de sincérité de la comptabilité ; et cela restera longtemps encore la bonne façon d’élaborer et
de contrôler les états financiers utilisés dans la vie des affaires. Depuis une vingtaine d’années
cependant, la réflexion sur les cadres conceptuels31 a permis de mieux éclairer la qualité
comptable en révélant les critères à respecter pour que l’information financière soit utilisable
par les parties intéressées.
Selon Hauret (2000)32, l’information financière doit posséder différentes propriétés (Evraert,
1998) :
L’intelligibilité (l’information doit être compréhensible).
La pertinence (l’information doit permettre à l’utilisateur de réagir en fonction de
l’information donnée et de prendre des décisions).
L’importance significative (l’information importante figure dans les comptes de
l’entreprise).
La fiabilité (l’information doit être vérifiable).
L’image (la prééminence du fond sur la forme)
La neutralité (les états financiers ne doivent pas influencer positivement ou
négativement de manière systématique une catégorie d’utilisateurs de l’information
comptable).
La prudence et la comparabilité (principe de permanence des méthodes pour permettre
la comparabilité d’un exercice sur l’autre).
Par ailleurs, dans le cadre d’une relation d’agence, le besoin en information manifesté par les
actionnaires et l’utilité de celle-ci engendrent des coûts : coûts de surveillance (monitoring
costs) supportés par les actionnaires afin de réduire l’asymétrie d’information et de s’assurer
du bon agissement de leurs mandataires. En effet, les dirigeants, à qui on a attribué des postes
de confiance, doivent être néanmoins soumis à l’examen minutieux d’un tiers, l’auditeur.
31 « Cadres comptables conceptuels » B. COLASSE, Encyclopédie de comptabilité, contrôle de gestion et audit,
Economica 2000.
32 PRAT. C DIR HAURET (2000), « L’indépendance du commissaire aux comptes : cadre conceptuel et analyse
empirique », Thèse de doctorat ès Science de Gestion, 584 p, pp. 108-214.
49
1326
Lorsque la relation actionnaire-dirigeant ne peut plus être soutenue par la confiance,
l’auditeur, personne extérieure et indépendante, restaure cette confiance en donnant une
validation ex post des actions de l’audité.
1.1.3.2. L’auditeur, réputation et signalisation
La confiance dans un commissaire aux comptes est construite en référence à une médiation
sociale, la réputation. Cette dernière, dans la perspective de C. Richard (2000)33, est fondée sur
des événements passés, c’est-à-dire les précédents rapports de certification et toutes les
transactions conséquentes à celle-ci. Le cabinet d’audit, auquel appartient le commissaire aux
comptes, devient le support de réputation, ce qui permet de rendre crédible les états financiers
par l’entreprise auditée.
Comme la qualité de l’audit ne peut être observée directement, les cabinets cherchent à
acquérir la réputation d’être des auditeurs de qualité et performants. Le phénomène de
réputation est une incitation essentielle à la qualité de l’audit, et ceci même en l’absence de
tout système d’incitation institutionnelle (Watts et Zimmerman, 1983)34.
Ces derniers soulignent qu’à l’origine du développement des entreprises en Angleterre, les
auditeurs étaient incités à rester indépendants, et ceci même en l’absence de toute
réglementation. Leur motivation première était le maintien de leur réputation. La réputation
créée et entretenue par le cabinet est un signal adressé aux acheteurs potentiels d’une
certification des comptes annuels. L’auditeur se comporterait de manière indépendante par
crainte de perdre sa réputation qu’il aurait construite au fil des années.
33 RICHARD.C (2000), « Contribution à l’analyse de la qualité du processus d’audit : le rôle de la relation entre
directeur financier et le commissaire aux comptes », Thèse pour le doctorat ès science de gestion, université de
Montpellier II, 244 p, pp. 7-80.
34 WATTS, R. L., & ZIMMERMAN, J. L (1983), « Agency problems, auditing, and the theory of the firm:
some evidence » Journal of Law & Economics 26: 613-633.
50
51
1.2 L’audit, « gage » de la légitimité théorique par un environnement encadré
L’activité de l’audit se déroulant dans le cadre d’un marché de services « ultra-compétitif », la
définition du degré optimal de réglementation de ces prestations constitue l’une des bases de
la réflexion relative à l’environnement de la qualité de l’audit (Bédard et al., 2001)35. Très liés
aux caractéristiques locales, historiques et économiques, ces questionnements prennent par
ailleurs une importance accrue, compte tenu de la mondialisation croissante de ces activités.
Le rôle « primordial » que joue le cadre réglementaire pour assurer que l’audit légal réponde à
son rôle social est garanti par un ensemble de règles qui encadrent l’exercice de la profession.
À cet effet, une première partie sera consacrée à expliquer comment, par ces règles techniques
et déontologiques, le cadre réglementaire36 est un « gage » pour la communauté financière de
la fiabilité du contrôle confié aux auditeurs (1.2.1).
Mais au-delà du contour des règles techniques et déontologiques et de leur niveau de
contrainte, la responsabilité des auditeurs constitue sans nul doute un réel mode de
réglementation de la profession. Elle apparaît pour beaucoup comme l’un des éléments
essentiels de la garantie de la qualité des prestations fournies. Nous envisagerons dans une
seconde section les développements relatifs à la responsabilité des auditeurs (1.2.2).
1.2.1 Le cadre réglementaire
En France, l’organisation de la profession de commissaire aux comptes résulte du décret du
12 août 1969, modifié par celui du 27 mai 2005. Cette organisation « a pour objet le bon
exercice de la profession, sa surveillance ainsi que la défense de l’honneur et de
l’indépendance de ces membres » (décret du 12-8-1969, art. 1).
Elle repose sur les commissions régionales d’inscription, les chambres disciplinaires, la
CNCC (Compagnie nationale des commissaires aux comptes), les CRCC (Compagnies 35 BEDARD.J, GONTHIER.N et RICHARD.C (2001), « Quelques voies de recherche en audit », in Faire de la
recherche en comptabilité financière, Vuibert FNEGE, pp. 55-83.
36
52
régionales de commissaires aux comptes), et le Haut Conseil du commissariat aux comptes
(H3C).
Comme l’expliquent Willekene et al. (1996) (cités par Bédard et al., 2001), le marché de
l’audit se caractérise par une asymétrie d’information entre la qualité attendue (par les
utilisateurs), payée (par les managers) et produite (par les auditeurs). Dans ce cadre, le
caractère non observable de la qualité réelle de l’audit justifie la réglementation de son
exercice : celui-ci est sujet à un ensemble très complet de règles émises par divers organismes
régulateurs tels que l’État, l’Autorité des marchés financiers (AMF), la Compagnie nationale
des commissaires aux comptes (CNCC) et le Haut Conseil des commissaires aux comptes
(H3C). Ces règles portent tant sur l’obligation de faire auditer les comptes, que sur l’accès à la
profession, les normes de travail, l’éthique, le contrôle de l’activité et la discipline.
Pigé (2000) coopère avec ces propos en soulignant que, entre le cabinet d’audit et le marché
existe une asymétrie d’information coûteuse à réduire, car le marché ne peut pas directement
observer les procédures d’audit mises en place ni l’indépendance réelle du cabinet d’audit
(Pigé, 2000)37. Néanmoins, il existe des substituts permettant de réduire cette asymétrie
d’information. On peut ainsi mentionner :
Le contrôle exercé par des instances de réglementation : le contrôle de la Compagnie
bancaire de France pour les cabinets d’audit assurant l’audit d’établissements
financiers (les établissements de crédit doivent faire connaître à la Commission
bancaire les noms des commissaires aux comptes qu’ils se proposent de choisir et
celle-ci dispose d’un mois pour s’opposer à a désignation envisagée, article 29 du
décret n° 84-709) et le contrôle de l’AMF pour les cabinets d’audit auditant des
sociétés cotées.
Le contrôle exercé par les pairs : en France, la Compagnie nationale des commissaires
aux comptes assure un contrôle de qualité en faisant contrôler par échantillonnage les
dossiers de commissariat aux comptes des différents cabinets d’audit par des
commissaires aux comptes membres d’autres cabinets38.
37 « Qualité de l’audit et gouvernement d’entreprise : une remise en cause du cadre réglementaire du commissaire
aux comptes », Comptabilité, Contrôle, Audit, vol 2, pp.133-151.
53
1404
156
La loi du 1er août 2003 relative à la sécurité financière crée le Haut Conseil du
commissariat aux comptes (H3C) qui a pour mission d’assurer la surveillance de la
profession avec le concours de la Compagnie nationale des commissaires aux
comptes. Le H3C est chargé :
d’identifier et de promouvoir les bonnes pratiques professionnelles,
d’émettre un avis sur les normes professionnelles,
d’assurer comme instance d’appel des décisions des CRCC.
Le rôle social de l’auditeur apparaît très encadré, réglementé, normalisé de manière à assurer
que l’audit légal réponde à son rôle premier. L’auditeur, néanmoins, dans son travail
quotidien de révision légale des comptes, doit aussi intégrer les exigences de la direction de
l’entreprise. Dans ce sens, Richard (2000) explique que ces règles forment une structure à
plusieurs niveaux de commande, qui peuvent se présenter sous la forme d’un modèle
hiérarchisé :
Figure 2: Modèle hiérarchisé du cadre réglementaire de l’audit légal, adapté de
Richard (2000)
38 Les statistiques relatives aux résultats de ces contrôles ne sont pas communiquées. Ces résultats ne sont pas
rendus publics, ce qui est peut être préjudiciable à l’image de marque de la profession, car cela ne permet pas de
mettre en évidence l’étendue des contrôles effectués.
La notion de « paraître » renvoie à tous les moyens mis en œuvre pour renforcer
l’indépendance des auditeurs et la perception que peuvent en avoir l’ensemble des parties de
la gouvernance des entreprises. Paraître indépendant garantit la légitimité de la mission de
l’auditeur légal.
Paraître indépendant, ou encore l’indépendance d’apparence est la perception de cette notion
par les utilisateurs, les investisseurs, les actionnaires et plus généralement le marché financier.
Cette notion d’indépendance est depuis quelques années au cœur de nombreuses discussions.
La littérature relie cette notion à différents facteurs. Richard (2003)53 fait la distinction entre
indépendance financière et indépendance organisationnelle. Farmer et al. (1987)54 analysent
l’impact des honoraires conditionnels, les autres prestations de service proposées par le
53RICHARD.C (2003) « L’indépendance de l’auditeur : pairs et manques », Revue française de gestion, pp. 119-
131.
54 Cité par BEDARD.J, GONTHIER.N et RICHARD.C (2001), « Quelques voies de recherche en audit », in
Faire de la recherche en comptabilité financière, Vuibert FNEGE, pp. 55-83.
76
2028
cabinet ou encore les appels d’offres à prix réduits sur les décisions de l’auditeur. Une autre
étude a été faite en mesurant l’impact de ces paramètres sur l’indépendance perçue des
auditeurs (Bartlett, 1993 ; Canning et Guilliam, 1999). B. Pigé (2003)55 considère que
l’indépendance d’apparence de l’auditeur dépend étroitement de sa réputation, telle qu’elle se
reflète à travers la taille du réseau, c’est-à-dire le volume des honoraires effectués. Au final,
Prat dit Hauret (2000)56, en se basant sur les modèles de Nichols et Price (1976)57, de Goldman
et Barlev58 et ceux de Shockley (1982)59, a bâti un cadre conceptuel de l’indépendance perçue
en affinant certains facteurs et en en intégrant de nouveaux afin de regrouper un grand nombre
de facteurs pouvant expliquer la perception des utilisateurs de l’information comptable et
financière, susceptibles d’influencer favorablement ou de manière défavorable le niveau
d’indépendance du commissaire aux comptes.
Nous avons résumé dans la figure suivante les principaux facteurs relatifs à l’indépendance,
en s’inspirant principalement du cadre conceptuel proposé par Prat dit Hauret (2000).
55 PIGE.B (2003), « Les enjeux du marché de l’audit », Revue française de gestion, pp. 87-103.
56 PRAT.C DIT HAURET (2003), « L’indépendance perçue de l’auditeur », Revue française de gestion, pp.
105-117.57 Nichols D.R et Price K.H. (1976), « The auditor-fir conflict: an analysis using concepts of exchange theory »
The Accounting Review, April, pp. 335-346.
58 Goldman A et Barlev B. (1974), « The auditor-firm conflict of interests: its implications for independence »
The Accounting Review, October 1974, pp. 707- 718.
59Shockley R.A (1982), « Perception of audit independence: a conceptual model », Journal of Accounting
Auditing and Finance, Winter, pp. 126-143.
77
234
Figure 6: Les facteurs afférents à l’indépendance perçue
Inspiré du cadre conceptuel de l’indépendance perçue par les tiers et proposé par Christian
Prat dit Hauret (2000) et « les enjeux du marché de l’audit » Benoît Pige (2003)
1.1.1.6.[2.2.2.2.] Être indépendant, perspective philosophique
« Les comportements ont peur du vide et
la quantité sans conscience occupe un
désert sans repères, où seuls comptent les
comptes. » (Alain Etchegouyen, La valse
des éthiques, 2. François Bourin, 1991).
Selon Jean Trial (Bull. CNCC n° 1, 1971),
« Il faut veiller à ce que le commissaire reste entièrement maître de ses
décisions prises selon sa conscience, et qu’en aucun cas il ne puisse être
78
influencé par un élément extérieur autre que l’obligation pour lui de rendre
compte à ses pairs de son comportement ».
La notion d’être indépendant, ou encore l’indépendance de fait, selon Hauret (2003)60,
correspond au comportement effectif et à la capacité réelle de l’auditeur à résister aux
pressions des dirigeants pour exprimer son opinion, son âme et sa conscience. Elle se réfère
au processus mental de l’auditeur, à son attitude d’impartialité et d’objectivité.
L’indépendance de fait, ou encore « indépendance psychologique » (Mautz et Sharaf, 1961),
se comprend comme la manière dont l’auditeur en tant que praticien professionnel approche
une situation d’audit et dont il analyse, de manière non biaisée, les différentes preuves d’audit
(Mautz et Sharf, 1961, p. 205)61.
Selon un point de vue « philosophique », l’indépendance doit tout d’abord être comprise
comme un « état d’esprit », c’est-à-dire une attitude de l’auditeur dans ses relations avec les
dirigeants et les actionnaires (Mautz et Sharaf, 1961). Dans ce sens, elle est avant tout une
attitude morale.
Cependant, l’indépendance en tant qu’ « état d’esprit » dépend de l’individu, auditeur en tant
que personne, et donc d’être humain. On est tous différents l’un de l’autre. L’ « état d’esprit »
est une notion relative à chacun de nous, et de ce fait l’indépendance d’esprit est
inquantifiable, dans le sens où l’on ne peut pas la mesurer en se référant à des règles, des
normes ou même une loi. Alors peut-on parler d’une définition absolue et universelle de
l’indépendance psychologique ?
60 PRAT.C DIT HAURET (2003), « L’indépendance perçue de l’auditeur », Revue française de gestion, pp.
105-117.
61 MAUTZ R.K, SHARAF H.A (1961), « The philosophy of auditing », American Accounting Association.
79
2106
Dans ce sens, l’indépendance d’esprit étant inobservable par les tiers, il est dès lors très
difficile de vérifier les conditions permettant à cet esprit indépendant de se développer
(Wolnizer, 1987, p. 123-124).
La perception par les utilisateurs de l’information comptable et financière de l’indépendance
de l’auditeur, ainsi que celle de son travail, se fonde essentiellement sur le rapport d’audit
produit par les commissaires aux comptes. Dans la troisième partie de ce chapitre, nous
traiterons de la communication de cette qualité par le biais du rapport d’audit.
1.5[2.3] Le rapport d’audit, vecteur de communication de la qualité
L’objectif essentiel du rapport d’audit est d’informer les parties concernées sur la régularité,
la sincérité et la conformité à la notion d’image fidèle des états financiers de l’entreprise.
Dans cette optique, on peut considérer que l’opinion de l’auditeur sur ces états financiers, en
qualité de professionnel comptable indépendant, tient une grande place dans la prise de
décision des investisseurs ou dans la procédure d’octroi de crédit. L’avis que l’auditeur émet
et le rapport qu’il rédige constituent, parmi d’autres informations disponibles, un indicateur
pertinent du degré de confiance que l’on peut accorder à ces états financiers.
Le rapport d’audit représente le seul lien qui existe entre les auditeurs et les destinataires de
leurs missions qui sont un groupe hétérogène avec différents besoins (2.3.2). Il est de ce fait
l’unique vecteur de communication de la qualité de l’audit pour les actionnaires (2.3.3).
Cependant, la principale caractéristique de ce rapport réside dans son contenu qui a un
caractère formel, ce qui permet de lui adresser un certain nombre de commentaires (2.3.1).
1.5.1[2.3.1] Le rapport d’audit, un contenu formalisé
80
Le travail du commissaire aux comptes doit déboucher sur une opinion devant être clairement
exprimée : les comptes sont, ne sont pas ou sont partiellement réguliers, sincères et fidèles.
Toute erreur de jugement peut déboucher sur une mise en cause de sa responsabilité civile et
éventuellement pénale. S’il a certifié des comptes entachés d’erreurs, les tiers peuvent avoir
été trompés et demander une réparation du préjudice (exemple : un créancier qui ne serait pas
payé en cas de difficultés financières de l’entreprise). Inversement, s’il émet des réserves ou
refuse de certifier des comptes qui sont exacts, le préjudice sera subi par l’entreprise (2.3.1.2).
Le contenu du rapport est donc un élément essentiel de la mission. C’est la raison pour
laquelle il a été normalisé par la Compagnie des commissaires aux comptes (2.3.1.1).
1.5.1.1[2.3.1.1] Les normes concernant les rapports du commissaire aux comptes
La plupart des normes d’audit appliquées en France ont été établies par des lois et des décrets.
Les normes de présentation du rapport des commissaires aux comptes n’échappent pas à cette
règle. La loi impose à ces derniers de présenter un rapport dans lequel ils relatent
l’accomplissement de sa mission. Celle-ci s’articule principalement autour de :
La certification des comptes annuels et, le cas échéant, consolidés, assortie d’une
justification des appréciations (article L. 823-9 du Code de commerce).
La vérification de la sincérité et de la concordance avec les comptes annuels et, le cas
échéant, consolidés, des informations données dans le rapport de gestion et dans les
documents adressés aux actionnaires ou aux associés sur la situation financière et les
comptes (article L. 823-10 du Code de commerce).
La vérification du respect de l’égalité entre les actionnaires ou les associés (article L.
823-11 du Code de commerce).
Le signalement à l’assemblée générale ou à tout organe compétent des irrégularités et
inexactitudes relevées par lui au cours de l’accomplissement de sa mission, la
révélation au procureur de la République des faits délictueux dont il a eu connaissance
ainsi que la mise en œuvre des obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des
capitaux et le financement du terrorisme (article L. 823-12 du Code de commerce).
81
Le commissaire aux comptes doit :
Vérifier que les comptes annuels sont réguliers, sincères et qu’ils donnent une image
fidèle du résultat des opérations de l’exercice écoulé ainsi que de la situation
financière et du patrimoine de la société à la fin de l’exercice.
S’assurer que l’égalité a été respectée entre les actionnaires.
Signaler à l’assemblée générale les modifications apportées dans la présentation des
comptes annuels comme dans la méthode d’évaluation des actifs.
Depuis la loi du 3 janvier 1985, l’obligation de certification s’applique également aux
comptes consolidés. En application de l’article L. 823-9 alinéa 2 du Code de commerce, les
commissaires aux comptes vérifient que les comptes consolidés sont réguliers et sincères et
donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que du résultat de
l’ensemble constitué par les entreprises comprises dans la consolidation. Ils précisent dans
leur rapport qu’ils ont effectué les diligences estimées nécessaires selon les normes de la
profession. Il convient de noter que la septième directive européenne ne fait pas de distinction
selon qu’il s’agit de comptes consolidés ou de comptes combinés, la combinaison n’étant
qu’une modalité de la consolidation.
Le commissaire aux comptes prépare deux types de rapports sur les comptes annuels, un dit
« général » et l’autre dit « spécial ». Le rapport général contient les opinions ou constatations
dont le commissaire aux comptes a eu connaissance à l’occasion de ses contrôles. Le rapport
spécial porte sur les conventions réglementées dont le commissaire aux comptes a été avisé ou
dont il a eu connaissance à l’occasion de ses contrôles.
Ce rapport est destiné à informer les actionnaires ou les associés appelés à approuver ces
conventions lors de la prochaine assemblée générale (SA et SARL) et répond à une double
nécessité :
Assurer la transparence des opérations sociales effectuées directement ou
indirectement avec les dirigeants de la société (associés dans les SARL), de manière à
faire respecter le principe de l’égalité entre actionnaires (associés dans les SARL), en
informant ces derniers, et notamment les actionnaires minoritaires, de certaines
opérations conclues entre la société et les dirigeants ou toute autre personne.
82
2184
Prévenir les éventuels abus des dirigeants qui, par leur position dans la société,
peuvent conclure des opérations dans leur intérêt personnel, étant précisé que
l’application stricte de la procédure n’exclut pas le recours à la commission des délits.
Il est important de mentionner que, dans son rapport spécial, le commissaire aux comptes ne
doit en aucun cas donner une opinion personnelle sur l’opportunité des conventions, ce qui
aurait pour effet de substituer son jugement à celui des actionnaires qui peuvent en
l’occurrence demander aux dirigeants des informations complémentaires. Si le volume des
conventions le nécessite, le commissaire aux comptes peut porter en annexe l’analyse des
dites conventions, mais cette annexe fait partie intégrante et indivisible du rapport.
Le contenu et la forme du rapport général ont beaucoup évolué ces vingt dernières années.
L’examen des rapports d’audit de 1978 à 1991 montre que, jusqu’en 198562, la forme de la
plupart des rapports des sociétés publiés par les commissaires aux comptes n’était pas
homogène. Or, pour la bonne compréhension de leur activité par les utilisateurs, il est
nécessaire que les commissaires aux comptes s’expriment autant que possible dans un langage
homogène. C’est pourquoi, depuis cette date, les diverses normes qui ont été élaborées ont été
assorties, pour ce qui concerne la structure et les formules essentielles, de modèles de rapports
auxquels les commissaires aux comptes doivent se référer. Grâce à ces normes, les opinions
exprimées par ces derniers sont plus élaborées et fournissent donc aux parties intéressées des
informations de bien meilleure qualité. Le rapport contient désormais, outre une introduction
générale, trois parties distinctes :
Dans la première partie, certification des comptes, les commissaires aux comptes,
après avoir expliqué en termes généraux l’étendue du contrôle qui a été effectué,
expriment leur opinion sur les comptes annuels ou consolidés.
Dans la seconde partie qui a été introduite par la loi de la sécurité financière, partie
ouverte à la « Justification de l’appréciation », on laisse le libre choix au commissaire
aux comptes de justifier toutes les appréciations portées dans son opinion, ou
d’apporter d’autres remarques et observations lors de son contrôle.62 Note d’information et des recommandations relatives aux rapports–CNCC-points 4.12 et 4.16 à 4.18.
83
La troisième partie63 est consacrée aux vérifications et informations spécifiques
prévues par les textes légaux et réglementaires. Les commissaires aux comptes
présentent en trois paragraphes distincts les observations résultant des diverses
vérifications spécifiques prévues par la loi. Ces trois paragraphes sont relatifs aux trois
points suivants :
vérification des informations données,
autres vérifications spécifiques,
informations prévues par la loi.
Cependant, un certain nombre de commentaires ont été adressés à ce rapport type :
L’opinion sur les comptes annuels est précédée d’une explication sur ce qu’est un
audit. Il est rappelé que le résultat ne peut être qu’une assurance « raisonnable » et non
une certitude. Le travail de contrôle est limité par l’usage d’un seuil de signification et
de sondages.
La référence aux normes de la profession rappelle que le commissaire aux comptes n’a
qu’une obligation de moyen. La jurisprudence et la doctrine sont unanimes sur ce
point.
Les vérifications et informations spécifiques peuvent également faire l’objet de
réserves. Il est rappelé que les travaux de contrôle ont été faits conformément aux
normes de la profession, ce qui ramène, là aussi, l’obligation du commissaire aux
comptes à une obligation de moyen.
Toutefois, pour les missions qui ne laissent place à aucun aléa, il y a une obligation de
résultat. C’est le cas pour la certification du montant global des rémunérations versées aux
personnes les mieux rémunérés, le contrôle de l’observation des formalités concernant les
actions gratuites et le contrôle de la régularité des modifications statutaires.
63 Selon le communiqué CNCC du 6 février 2009, les irrégularités et inexactitudes portant sur le rapport de
gestion et/ou les documents adressés aux membres de l’organe délibérant, sont signalées dans la partie
Vérifications et informations spécifiques du rapport concerné (comptes annuels ou comptes consolidés).
84
1.5.1.2[2.3.1.2] Les différentes formes du rapport général du commissaire aux
comptes
Les normes d’audit en France prévoient que la formulation de l’opinion du commissaire aux
comptes sur les comptes annuels ou consolidés de la société peut prendre les trois formes
suivantes :
la certification sans réserve et sans observation,
la certification sans réserve avec observation,
la certification avec réserve,
et le refus de certifier.
En raison de leurs conséquences potentielles, les différentes formes possibles de l’opinion
formulée dans le rapport sont en effet complètement définies (Mikol, 1999) :
La « certification sans réserve » répond à l’objectif initial de l’auditeur, qui est de
certifier que les comptes annuels sont réguliers, sincères et donnent une image fidèle.
La « certification avec réserve » doit être émise lorsqu’un désaccord sur un point
comptable ou une limitation dans l’étendue des travaux de contrôle ne permet pas à
l’auditeur d’exprimer une opinion sans réserve, sans que l’incidence de cette réserve
soit suffisamment importante pour entraîner un refus de certifier.
Le « refus de certifier » doit être exprimé lorsque l’effet d’un désaccord ou d’une
limitation des travaux est tel que l’auditeur considère qu’une réserve est insuffisante
pour révéler le caractère trompeur ou incomplet de l’information comptable. Il est
également exprimé en cas d’incertitudes très graves sur les comptes.
La NEP64700 relative aux rapports du commissaire aux comptes sur les comptes annuels et sur
les comptes consolidés a été homologuée, puis codifiée dans le Code de commerce à l’article
A.823-26. Cette norme est applicable aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2008.
La Compagnie nationale des commissaires aux comptes a mis à jour les exemples de rapports
sur les comptes annuels et sur les comptes consolidés. Ces derniers sont résumés dans
l’arborescence ci-dessous :
64 Normes d’exercice professionnel.
85
2262
Figure 7: Les différentes formes du rapport général du commissaire aux comptes selon
les préconisations de la CNCC (Compagnie nationales des commissaires aux
comptes)
La certification sans réserve et sans observation
La certification sans réserve et sans observation des comptes annuels ou consolidés intervient
lorsque le commissaire aux comptes peut exprimer son opinion dans la première partie du
rapport comme suit :
86
« Nous certifions que les comptes annuels sont, au regard des règles et
principes comptables français, réguliers et sincères et donnent une image
fidèle du résultat des opérations de l’exercice écoulé ainsi que de la
situation financière et du patrimoine de la société à la fin de cet
exercice. »
La certification sans réserve avec observation
La certification sans réserve et avec observation s’exprime dans la première partie du rapport
comme suit :
«[…] Nous certifions que les comptes annuels sont, au regard des règles et
principes comptables français, réguliers et sincères et donnent une image
fidèle du résultat des opérations de l’exercice écoulé ainsi que de la
situation financière et du patrimoine de la société à la fin de cet exercice.
Sans remettre en cause l’opinion exprimée ci-dessus, nous attirons votre
attention sur le point suivant exposé dans la note […] de l’annexe
concernant […] »
Si l’observation concerne le rapport de gestion ou autre vérification spécifique, l’observation
est introduite au niveau de la troisième partie.
La certification avec réserve
En cas de certification avec réserve pour désaccord, la première partie du rapport après
description des travaux effectuée comprend le paragraphe suivant :
« [Décrire de manière motivée les désaccords sur les règles et méthodes
comptables faisant l’objet de la réserve et quantifier au mieux les
incidences sur les comptes des anomalies significatives identifiées et non
corrigées ou bien indiquer les raisons pour lesquelles il n’est pas possible
de les quantifier].
Sous cette (ces) réserve(s), nous certifions que les comptes annuels sont,
au regard des règles et principes comptables français, réguliers et
87
2340
sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de
l’exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la
société à la fin de cet exercice. »
Le rapport avec certification avec réserve pour limitation prend le même format décrit ci-
dessus. La limitation est décrite avant de se prononcer sur l’opinion.
Le refus de certifier
Et enfin, le refus de certifier se formalise de la manière suivante :
« […]
En cas de désaccords :
Au cours de notre audit, nous avons fait les constatations suivantes qui
s’opposent à la certification :
[Décrire de manière motivée les désaccords sur les règles et méthodes
comptables et quantifier, lorsque cela est possible, les incidences sur les
comptes des anomalies significatives identifiées et non corrigées].
En cas de limitations :
[Indiquer et décrire les limitations conduisant au refus de certification].
En cas de multiples incertitudes :
[Décrire de manière motivée les incertitudes multiples conduisant au refus
de certification].
En raison des faits exposés ci-dessus, nous sommes d’avis que les comptes
annuels ne sont pas, au regard des règles et principes comptables
français, réguliers et sincères et ne donnent pas une image fidèle du
résultat des opérations de l’exercice écoulé ainsi que de la situation
financière et du patrimoine de la société à la fin de cet exercice […] »
1.5.2[2.3.2] Diffusion et utilisation du rapport d’audit
88
La diffusion et l’utilisation du rapport d’audit sont un élément clé de la communication
financière. À notre avis, il serait opportun, dans un premier temps, de tenter de faire un focus
sur les principales composantes de la communication financière.
En premier lieu, une distinction entre information comptable et financière n’est pas évidente.
Cependant, on peut retenir les définitions suivantes : l’information comptable est régie par le
droit qui définit les règles de sa production (les états financiers de base : les comptes annuels),
mais aussi par la nature et la quantité des données à publier obligatoirement (les publications
au BALO par exemple). Elle fournit des indications rétrospectives. Tandis que l’information
financière se présente sous la forme de recueils statistiques dans lesquels la structuration
comptable de l’information se trouve occultée.
En deuxième lieu, on distingue la production de la diffusion de l’information comptable et
financière. Selon le Code de commerce, « les comptes annuels ou les comptes sociaux
comprennent trois documents de synthèse : le bilan, le compte de résultat et l’annexe. Ils
doivent être approuvés par les associés en même temps que le rapport de gestion ». La
production de l’information comptable et financière résulte de règles ou de principes
relativement homogènes. En effet, les comptabilités des entreprises, du fait qu’elles soient
soumises à une normalisation, « s’appuient sur une terminologie et des règles communes, et
produisent des documents de synthèse dont les représentations sont identiques d’une
entreprise à l’autre » (Colasse, 1996). Quant à la diffusion, elle tient son origine à
l’obligation imposée par le droit et les règlements : « les personnes morales doivent publier
chaque année l’état de leur fortune… ou de leur infortune. » (D 23 mars 1967, art 44-1 et
293).
À cet égard, il faut souligner qu’on attend de l’information comptable et financière un certain
nombre de qualités : la conformité au référentiel comptable, la fiabilité, la pertinence… Cette
qualité est directement liée à la qualité du contrôle externe et à la validation de la production
de l’information comptable et financière par le commissaire aux comptes avant sa diffusion
aux utilisateurs.
89
Il existe un consensus pour affirmer que les états financiers doivent fournir à ceux qui les
utilisent les informations dont ils ont besoin pour prendre des décisions. Cependant, bien qu’il
s’agisse d’une question essentielle pour la détermination des objectifs assignés aux états
financiers, il est difficile de cerner ces utilisateurs et de spécifier leurs besoins. Avant de
dresser un aperçu sur la typologie des utilisateurs et leurs besoins (3.2.2) nous allons tout
d’abord présenter le concept de besoin d’information (3.2.1).
1.5.2.1[2.3.2.1] Le concept de besoin d’information
La notion de « besoin d’information », et en particulier pour les investisseurs, renvoie à
l’utilité de l’information comptable en matière de prise de décision. Le système comptable
trouve sa légitimité dans sa capacité à saisir, à traiter et à synthétiser l’information nécessaire
aux investisseurs pour évaluer les perspectives de la rentabilité de l’entreprise. Dans les
années 1973, à la suite du rapport Trueblood65, les objectifs du reporting financier ont été
orientés vers les besoins en information prévisionnelle des utilisateurs de la comptabilité. Ceci
a ultérieurement conduit le Financianl Accounting Standards Board (FASB) à énoncer, dans
son cadre conceptuel, le principe de l’utilité de l’information comptable pour la prise de
décision par les investisseurs ou, de façon plus générale, pour le marché. Ce mouvement,
visant à mieux traduire l’incertitude pouvant affecter les prévisions de cash-flow et les
opportunités d’investissement, s’est développé sur fond de déréglementation de l’économie et
a été qualifié de « révolution comptable » par Breaver (1989). Il a conduit, dans ce contexte
d’accroissement des risques, à affirmer la supériorité de la comptabilité d’engagement
(charges/produits) sur la comptabilité de trésorerie (dépenses/recettes) en raison de sa capacité
à transformer des flux de trésorerie et des données économiques « réelles » en éléments de
reporting (revenus, charges, résultat) intégrant une appréciation de l’exposition aux risques.
1.5.2.2[2.3.2.2] La Typologie des besoins et des utilisateurs
65 Rapport de l’AICPA (1973) (American Institute of Certified Public Accountants, équivalent de l’Ordre des
experts-comptables pour les États-Unis) sur les objectifs des états financiers.
90
2418
De nombreuses recherches ont été menées aux États-Unis et récemment au Canada afin
d’élaborer une typologie des utilisateurs d’information comptable et leurs besoins. Ces
travaux mettent en évidence plus de quinze catégories d’utilisateurs et autant de besoins
hétérogènes.
Le tableau ci-dessous synthétise les principaux utilisateurs et leurs besoins :
Tableau 1: L’information comptable et financière : principaux utilisateurs et
leurs besoins
1.5.3[2.3.3] Le rapport d’audit, support de la perception de la qualité d’audit
Utilisateurs Besoins
Dirigeants
Ils préfèrent la comptabilité analytique ou doivent corriger la comptabilité financière (effets de l’inflation, coût deremplacement), utilisent dans les grandes entreprises un reporting financier parallèle à la comptabilité générale(mais indépendant des contraintes réglementaires) fournissant périodiquement des synthèses à la hautedirection.
Associés et actionnaires
Apporteurs de capitaux, les associés ont en général délégué une partie important de la gestion aux dirigeants.Afin de leur permettre de suivre l’évolution de la situation financière de l’entreprise, d’apprécier la qualité decette gestion et de participer aux décisions les plus importantes (approbation des comptes annuels,augmentation du capital, affectation du résultat, nomination des dirigeants...), la loi sur les sociétéscommerciales prévoit un droit d’information et de consultation des documents comptables.Ils ont un droit d’information et de consultation sur les documents comptables (obligations légalessupplémentaires pour les sociétés faisant APE), ils veulent connaître le montant des bénéfices que l’entrepriseva leur apporter. Ils vont pouvoir trouver des informations en examinant le résultat de l’entreprise et sonpatrimoine.
Les salariés et leurs
représentants
Ils veulent savoir si l’entreprise va pouvoir payer leurs salaires. Ils ont besoin d’examiner la trésorerie del’entreprise
Etat
Il assure une qualité minimale de l’information financière en tant que garant de l’intérêt général mais utiliseaussi l’information comptable pour le fisc (et éventuellement subventions etc.), puis s’en sert pour l’élaborationde la comptabilité nationale.L’administration fiscale a besoin de connaître le montant des impôts dus par l’entreprise.Pour cela, elle a besoin de connaître :- Le résultat de l’entreprise (pour déterminer le montant de l’impôt sur les sociétés par exemple).- Le montant de la TVA collectée et déductible de l’entreprise.
Les banquiers
La banque accorde des prêts à l’entreprise et lui procure des moyens de paiement. Pour savoir si elle va prêterdes fonds à l’entreprise, elle examine :- Le montant des dettes existantes de l’entreprise.- Le montant des emprunts déjà contractés.- La capacité à rembourser de l’entreprise.
Les partenaires commerciaux
Les tiers se focalisent sur la solvabilité et la pérennité de l’entreprise, ils sont à la recherche de touteinformation disponible dans la presse spécialisée ou au greffe du tribunal de commerce etc..pouvant lesconforter dans leurs choix.Les fournisseurs ont besoin de savoir si l’entreprise va pouvoir les payer régulièrement. Ils vont examiner sil’entreprise dispose ou non de trésorerie.Les clients ont besoin de savoir si l’entreprise va livrer régulièrement. Ils vont examiner la situation financièrede l’entreprise en analysant le patrimoine de cette entreprise et son résultat (bénéfice ou perte).
91
Le destinataire du rapport d’audit est un groupe hétérogène de parties intéressées qui sont
différentes et qui présentent des niveaux de connaissances et des intérêts divergents. Ceci
représente l’une des caractéristiques particulières de l’audit. Il est donc complexe à déterminer
quelles sont les dimensions concrètes de la perception de la qualité d’un audit (Warning-
Rasmussen & Jensen, 1998)66. De plus, l’audit constitue une intervention difficilement
observable par les tiers, et notamment les actionnaires, auxquels il est prioritairement adressé.
Ainsi, le seul lien qui existe entre les auditeurs et les destinataires de leurs missions réside
dans le rapport d’audit unique vecteur de communication de la qualité de l’audit. Il constitue
pour les tiers la seule manifestation visible de la mission de vérification.
Dans une étude portant sur les rapports des commissaires aux comptes (et particulièrement les
rapports spéciaux sur les conventions réglementées), Geniteau (1999)67 montre que le contenu
informatif de ces rapports est le plus souvent très faible, voire même inexistant. Sachant que
ces conventions impliquent des sociétés ayant des dirigeants ou des administrateurs communs,
et qu’elles doivent être approuvées par les actionnaires, on peut s’interroger sur la réalité de la
réduction de l’asymétrie d’information.
Dans ce sens, Lee et al. (1975)68 dans leur recherche relative à l’utilisation faite par les
investisseurs des différentes sources d’information mises à leur disposition, ont généralement
indiqué que les utilisateurs d’informations comptables financières n’accordent qu’une très
faible attention aux rapports publiés par les auditeurs. Les études de Geniteau, Lee et al. sont
corroborées par les résultats de Gonthier (1998)69 selon lesquels, pour la France, le contenu
informatif des rapports d’audit ne serait pas très marqué.
66 « Quality Dimension in External Audit Services. An external user Perspective », The European Accounting
Review, vol. 7, n° 1, pp. 65-82.
67 « Les besoins d’information des actionnaires et de la communauté financière », Forum régional des
commissaires aux comptes de la compagnie de Versailles, n° 43, octobre, pp. 8-15.
68 LEE T.A & TWWEEDIE D.P (1975), « Accounting Information: an Investigation of private shareholder
usage », Accounting and Business Research, automne, pp. 280-291, hiver, pp. 3-13.
92
Gonthier (1999)70 explore les raisons de ce manque d’intérêt et dont le but est de mesurer
l’information perçue au travers des rapports d’audit. Elle se base principalement sur les
travaux de Holt et Moizer (1990) 71qui distinguent deux séries de recherche :
Une première, « les études de réaction », destinée à identifier un éventuel contenu
informatif des rapports d’audit en observant les réactions des investisseurs à leur
publication. Cela concerne principalement les actionnaires dans le cadre des marchés
financiers, mais également les banquiers en situation d’octroi de crédit.
Une autre approche, celle des « études d’interprétation », consiste à interroger
directement les différents acteurs sur leur perception du rapport publié par les
auditeurs. De tels travaux ont été menés afin de mesurer l’interprétation des
utilisateurs et destinataires de l’information transmise par le rapport d’audit dans
différents contextes.
Cependant, plusieurs travaux dans ce sens ont démontré l’existence d’un écart entre les
attentes des utilisateurs d’information comptable et financière en matière d’audit et la réalité
de la mission menée par l’auditeur.
Si la perception du rapport d’audit est différente d’un destinataire à un autre, et si le rapport
d’audit est tout simplement le résultat du travail et de l’indépendance de l’auditeur, alors la
perception de l’indépendance de l’auditeur et de son travail varie d’un destinataire à un autre.
La perception des utilisateurs du rapport d’audit est relative, elle est donc en fonction de
chacun.
69 GONTHIER-BESACIER.N (1998), « Contribution à l’analyse de l’information transmise par les rapports
d’audit », Actes du 19e congrès de l’Association Française de Comptabilité, Nantes, vol. 1, pp. 259-275.
70 « L’efficacité de la communication établie par les rapports d’audit : une revue des méthodologies de mesure
développées dans la littérature », Comptabilité, Contrôle, Audit, vol. 1, pp. 109-128.
71 HOLT G. ET MOIZ P. (1990), « The meaning of audit reports », Accounting and Business Research, vol. 20,
n° 2, pp. 133- 177.
93
2496
Faisant suite aux différentes recommandations et réformes internationales, « le rapport
général des commissaires aux comptes » a fait l’objet, en 1995, d’une reformulation ainsi que
d’une redéfinition approfondie du cadre conceptuel de sa rédaction. Parmi « les innovations »
apportées, figure la possibilité pour l’auditeur d’ajouter, après la formule standard
d’expression de son opinion, un paragraphe d’observations librement rédigées, destiné à
attirer l’attention des tiers sur toute information significative sur les états financiers.
Cette modification semble répondre à certaines des faiblesses de forme et de fond relevées
dans la formulation précédente du rapport (Gonthier, 1996)72. Le rapport d’audit a connu
récemment de nouveaux changements suite à l’introduction de « justification des
appréciations » par la LSF en 2003, la loi de sécurité financière.
72 GONTHIER-BESACIER.N (1998), « Contribution à l’analyse de l’information transmise par les rapports
d’audit », Actes du 19e congrès de l’Association Française de Comptabilité, Nantes, vol. 1, pp. 259-275.
94
III. Compétence de l’auditeur et introduction des réseaux sociaux dans les
recherches en audit
Cette partie de la thèse sera consacrée à expliquer la rareté des deux notions de notre
problématique, la compétence et les réseaux sociaux, dans la recherche en audit.
1.6[3.1] La compétence et la recherche en audit
Comme nous l’avons expliqué dans la partie précédente, la qualité du travail de l’auditeur
dépend de son travail et de sa compétence (De Angelo, 1981). Cependant, la plupart des
travaux sur la qualité de l’audit portent quasi-exclusivement sur l’indépendance. La notion de
la compétence est très peu traitée par la littérature. Ainsi, G. Hotteginder et C. Lesage (2009)
nous confirment que, dans la littérature française, ils n’ont trouvé qu’une seule référence
explicite à la compétence de l’auditeur (Mikol, 2004) analysant les dispositions prises par la
réglementation pour renforcer la compétence de ce dernier. De même, les réglementations
post Enron s’intéressent prioritairement à l’indépendance, notamment le Sarbanes Oxley Act
aux États-Unis et la LSF (la loi de sécurité financière) en France. La littérature de recherche,
aussi bien que la littérature professionnelle, montre un déséquilibre important : les travaux sur
la non-dépendance dominent très largement ceux sur l’incompétence.
G. Hotteginder et C. Lesage (2009) ont recensé un ensemble de données qui illustrent la
différence de traitement entre ces deux notions de la qualité de l’audit. Leur requête consiste à
mettre en lumière cette différence de niveau de la recherche, de la littérature professionnelle
ainsi qu’au niveau de la réglementation. Leurs résultats sont les suivants73 :
« - Littérature de recherche : une requête faite sur Business Source Complete
(uniquement sur les articles figurant en peer reviewed) en juillet 2007 donne
73 Les mots soulignés et mis en italique l’ont été par les auteurs.
95
878 articles avec les mots clés “Audit*” et “indépendance” contre 156 avec
les mots “Audit*” et “Compétence”, soit quasiment un rapport de 1 à 6 (5,6).
- Littérature professionnelle : une requête faite sur Lexis Nexis (uniquement
sur les titres) en juillet 2007 donne 227 articles avec les mots clés “Audit*” et
“Indépendance” contre 7 avec les mots clés “Audit*” et “Compétence”, soit
un rapport de 1 à 33.
- Réglementation : les modifications “post Enron” des réglementations de
l’audit traitent principalement de l’indépendance74 : Loi sur la Sécurité
Financière, Sarbanes Oxley Act, 8e directive européenne. »
Leur étude a consisté à déterminer l’importance des facteurs d’indépendance et de
compétence sur la qualité de l’audit à partir des décisions disciplinaires faite à l’encontre des
commissaires aux comptes en France. Leurs résultats montrent que le facteur d’indépendance
représente 32,2 % des causes de non-qualité de l’audit. Ce qui signifie que près de 70 % des
causes de non-qualité concernent des facteurs qui sont peu (compétence, défense de l’intérêt
des membres de la profession) ou pas du tout (autres) traités par la littérature. Les auteurs
rejettent les travaux des années 1980 (par exemple ceux de Campisi et Trotman, 1985) qui
considèrent que la compétence est un élément acquis. Ils rejoignent, dans ce sens, l’idée de
Mikol (2004) qui confirme le besoin de réglementation sur la compétence d’auditeur.
Après avoir précisé que l’évaluation de la compétence en audit doit relever d’un jugement de
conformité, il nous appartiendra de déterminer les niveaux et les procédures de
reconnaissance de la compétence en audit. Curtis et Turley (2007) ont posé récemment une
question intéressante à ce sujet : à quelles conditions les nouvelles approches et techniques
produisent-elles effectivement les gains attendus ? Une méthodologie structurée accroît-elle la
compétence des auditeurs ?
74 Le Code de commerce comporte neuf articles dont le but est d’assurer l’indépendance du commissaire aux
comptes (L820-6, L820-7, L822-3, L822-9, L822-10, L822-12, L822-13, L822-14) et un seul article (L822-4)
dont le but est d’assurer la compétence du commissaire aux comptes. La LSF, quant à elle, traite de
l’indépendance à trois reprises (articles 100, 102 et 104) et une fois de la compétence (article 103).
96
2574
Les comportements de réduction de la qualité de l’audit sont souvent assimilés, dans la
littérature, à une mauvaise exécution des procédures prescrites. Les recherches centrées sur
cette réduction de qualité font généralement référence à la typologie proposée par Alderman
& Deitrick (1982) et complétée par les propositions de McNair (1991) et Malone & Roberts
(1996). Herrbach (2000, p. 184) illustre cette typologie de la manière suivante75 :
« - réduire la quantité de travail sur une étape au-delà de la normale
(reduction of work below what would normally be considered
reasonable). Lors de la revue d’un compte de trésorerie, l’auditeur peut
ne pas vérifier sur les relevés bancaires post-clôture que les éléments
significatifs en suspens sont correctement apurés ;
- effectuer des revues superficielles de documents du client (superficial
review of client documents). Par exemple, lors d’un contrôle de
procédures du cycle achats, un auditeur pourra ne pas vérifier la totalité
des éléments se rapportant à une facture (commande, autorisation,
imputation comptable, règlement…), mais se limiter au contrôle du
montant global. La portée du contrôle s’en trouve diminuée ;
- accepter des explications insuffisantes ou légères de la part du client
(weak client explanations). Lors de l’examen de la variation du poste
« Créances clients », cela peut consister à obtenir du client comme
explication sur l’augmentation du montant de clôture par rapport à
l’exercice précédent : “Les créances clients ont augmenté à la clôture,
car les ventes ont augmenté au dernier trimestre”, sans chercher à voir
s’il n’y a pas une augmentation générale du délai de règlement des
clients ou bien des impayés significatifs concernant certains clients ;
- ne pas approfondir un point technique (failure to research an
accounting principle). Certains postes tels que les stocks dans l’industrie
ou les provisions en assurance peuvent nécessiter des connaissances
spécifiques dont la mobilisation sur le terrain nécessite un temps non
négligeable qui n’y est peut-être pas toujours consacré ;
75 Les mots soulignés et mis en italique l’ont été par l’auteur.
97
- frauder (premature signoff ou false signoff) sur une étape de travail
revient pour un auditeur à déclarer avoir effectué un travail qu’il n’a en
fait pas réalisé. Par exemple, lors d’un contrôle d’inventaire, l’auditeur
peut déclarer avoir vérifié la présence d’un bon de comptage sur la
totalité du stock de l’entrepôt, alors qu’il n’a en réalité pas procédé à
cette vérification ou qu’il ne la faite que très superficiellement.
- ne pas approfondir un problème d’audit inattendu survenu au cours
d’une mission (failure to pursue a questionable item). Par exemple, des
erreurs de comptabilisation, même si elles ont été corrigées par
l’entreprise, peuvent être le signe de problèmes plus graves qui ne seront
pas détectés si l’auditeur ne cherche pas à les investiguer. »
Comme nous l’avons précisé en introduction, la thèse n’a donc pas vocation à
épuiser la notion de compétence. Elle vise dans un premier temps à comprendre de l’intérieur
une organisation et à saisir l’influence des réseaux sociaux sur la vie de l’auditeur et sur sa
progression au sein de l’organisation. Dans un second temps, on pourra en fonction de la force
du réseau poser la question de la compétence par rapport à celui-ci.
1.7[3.2] Les réseaux sociaux et la recherche en audit
La notion des réseaux sociaux dans la recherche en audit a été évoquée uniquement pour
expliquer la constitution des réseaux entre cabinet d’audit. Dans cette partie, nous allons
résumer l’historique de ce rapprochement entre les cabinets les plus représentatifs de la
profession.
98
Encadré 2 : Le développement en France des réseaux d’audit anglo-saxons
(repris de De Beelde et al. (2003), p. 11).
Les processus d’expansion des cabinets anglo-saxons en France ont suivi deux
modèles totalement opposés. Le processus majoritairement suivi repose sur un
développement interne complété par des rachats de cabinets locaux76, par exemple
Andersen avec GPA vers 1980 (Peyronnet Gauthier), Price Waterhouse avec le
BEFEC en 1989 ou Deloitte avec Calan Ramolino en 1997.
L’expansion de KPMG repose sur un processus totalement différent puisque c’est le
développement de cabinets à l’origine local qui a donné lieu à la constitution d’un
cabinet d’envergure internationale. Le développement de KPMG remonte en France
à la création de la Fiduciaire de France à Grenoble en 1922. Vingt-cinq ans plus tard,
la Fiduciaire de France est implantée dans toute la France et, en 1955, elle ouvre son
100e bureau (Source : fascicule rédigé par la Fiduciaire de France). En 1979 est créé
KMG (Klynveld Main Goerdeler), fédération des n° 1 nationaux d’Europe
(Hollande, Allemagne, UK, France) et du 9e cabinet américain Main Hurdam. En
1980, la Fiduciaire de France (KMG) achète77 Frinault Fiduciaire, mais des associés
et le nom Frinault rejoindront rapidement Andersen.
76 Le mot « rachat » a été utilisé dans un sens générique, car il est très difficile de déterminer la nature juridique
des opérations de croissance externe.77 Ibid.
99
2652
Encadré 2 : Le développement en France des réseaux d’audit anglo-saxons
(repris Beelde et al. (2003), p. 11). (Suite).
Création de KPMG en 1986 par la fusion de Peat Marwick Mitchell (Audit
Continental en France) et de KMG, avec adoption du modèle fédératif KMG et non
pas du modèle intégré PMM, à savoir méthode et nom communs, mais individualités
économiques nationales. En 1998, KPMG Fiduciaire de France devient KPMG S.A.,
membre de KPMG International, sans lien capitalistique avec le réseau mondial,
mais avec contribution à un budget international (Source : www.kpmg.fr, 2002, et
entretien).
Dans les tableaux ci-dessous, nous avons synthétisé l’historique de l’évolution de ces
cabinets ainsi que leur classement en 1997 et dix ans plus tard :
100
Tableau 2: Des Big 8 aux Big 4 avec l’absorption des principaux cabinets français
2002199819891970Big 8 Big 6 Big 5 Big 4
Deloitte & Touch
Touche Ross
Deloitte, Haskins& Sells
Les cabinet Franco
Français
Constantin
Salustro Reydel
Gendrot
Arthur Young & Company
Ernst and Young
1970
1970
2002
KPMGKPMG
Price waterhouseCoopers
Pricewaterhouse Price waterhouse
Coopers & Lybrand
Price waterhouse
Coopers & Lybrand
KPMG
Ernst and Young
Deloitte & Touch
Coopers & Lybrand
Ernst & Whinney
Ernst and Young
KPMG(Fusion de Peat
Marwick International et KMG
Group)
Touche Ross
Arthur Andersen
Deloitte, Haskins& Sells
Fiduciaire de France
BEFEC
Calan Ramolino
Cogero Fillipo
XXXX St Pierre
Mazars
Guerard XXXXX
1989
1997
1922
78
Tableau 3: Classement des réseaux sociaux internationaux de cabinet d’audit en
2007
Source : la profession comptable de mars 2006
Tableau 4: Classement des réseaux internationaux de cabinet d’audit en 1997
(La dénomination sociale 2009 figure entre parenthèses)
Source : la profession comptable
Rang CA HT (K€) Effectifs Cabinet d’audit
1 692 705 6 639 KPMG France
2 522 000 3 000 Ernst & Young France
3 438 400 2 690 Price Water House Coopers France
4 427 441 3 200 Deloitte France
Rang CA (Millions $) Effectifs Cabinet d’audit
1 9 120 79 750 Ernst & Young
2 9 000 85 291 KPMG
3 7 541 82 250 Coopers & Lybrand (Price Water House Coopers)
4 7 400 72 200 Deloitte Touche Tohmatsu
5 5 620 60 000 Price Waterhouse (Price Water House Coopers)
6 5 200 n.c Arthur Andersen (hors Andersen Consulting)
7 1 450 16 022 BDO
8 1 403 18 562 Grant Thornton
9 1 063 15 911 Moores Rowland
10 1 060 14 101 RSM Interantional
Synthèse du chapitre 1
Dans une vision théorique classique, un audit financier de qualité repose sur une mission
menée par un auditeur compétent et indépendant. La compétence de l’auditeur se
décline en termes techniques (connaissances et savoir-faire) et personnels
(comportement et relationnel). Cette approche classique de la qualité de l’audit légal
nous sert comme fondement pour notre thèse. En effet, toute problématique portant sur
la qualité suppose alors de réfléchir conjointement à ces deux éléments. Bien que
s’analysant de manière distincte, ces deux déterminants de la qualité de l’audit sont, par
leur définition même, inextricablement liés.
La profession d’auditeur fait l’objet depuis plusieurs années d’un mouvement de remise
en cause. Or, les auditeurs, en tant que créateurs de légitimité sociale par l’intermédiaire
de leur certification, ne pourraient continuer à jouer ce rôle que si leur propre légitimité
ne souffre pas de questionnement (Pasewark et al., 1995). L’approche traditionnelle du
contrôle des comptes est critiquée à la fois par les entreprises contrôlées – qui tendent
pour certaines à percevoir les honoraires de certification qu’elles versent comme une
charge dont l’utilité est douteuse – et par le marché qui s’interroge sur la validité même
de cette certification.
En effet, même si peu d’enseignements définitifs ont pu être tirés des recherches
réalisées sur le jugement en audit, un point qui émerge des travaux est l’importance de
l’environnement, c’est-à-dire la manière dont les circonstances liées à la position
organisationnelle et sociale de l’individu affectent le jugement. Ces facteurs sociaux
peuvent avoir une influence déterminante sur l’exercice du jugement en audit (Carpenter
et al. 1994). La prochaine étape de notre réflexion sera donc d’aborder les auditeurs en
tant qu’individus et les cabinets d’audit non plus en tant que globalités, mais en tant
qu’organisations sociales.
103
104
156
Chapitre 2
La théorie des réseaux sociaux
« De la même manière que les entreprises utilisent
les réseaux organisationnels pour faciliter
l’acquisition de connaissances dans le but d’avoir un
avantage concurrentiel, les individus peuvent utiliser
des réseaux de mentor pour faciliter l’accès aux
connaissances et aux expériences des autres afin de
bénéficier d’un avantage de carrière. » (De Janasz et
al. 2003, p. 81).
La société actuelle, axée sur la performance, la flexibilité, l’initiative, la réactivité et
l’adaptabilité, impose le recours à ensemble de compétences nouvelles qui permettront à
l’individu de développer son potentiel et de prendre les meilleures décisions. En considérant que
l’efficacité de ces mobilisations singulières construit elle-même la compétence de la société, ces
compétences particulières doivent permettre à chacun d’avoir accès aux ressources les plus
appropriées dans la succession des actions qui construisent sa trajectoire de vie et de pouvoir les
mobiliser. Les ressources auxquelles les individus ont accès, qui en définissent ainsi les
contraintes et les possibilités, orienteraient ses choix, ses stratégies et leur aboutissement. Les
réseaux sociaux, dans ce sens, se retrouvent ainsi considérés comme une source importance de
ressources diversifiées pour l’individu.
L’approche relationnelle de la carrière a depuis longtemps permis de mettre l’accent sur
l’existence d’acteurs incontournables dans le développement de la carrière de l’individu.
Dans une première section, nous présenterons ce qui caractérise la théorie des réseaux sociaux.
Nous détaillerons en particulier le concept du capital social en prenant soin de mettre en avant ses
105
liens fondamentaux avec le monde professionnel. La deuxième section de ce chapitre sera
consacrée au principal objet d’étude des réseaux : la confiance. La troisième et dernière section
sera consacrée à l’approfondissement de trois éléments fondamentaux de la théorie des réseaux
sociaux : le capital social, la confiance et la réputation. Ce « triptyque » constituera par la suite
l’ossature de notre cadre de recherche.
I. Le cadre général des réseaux sociaux
1.1. Définition et origine
1.1.1. Définition
Selon le petit Robert un réseau est :
« - [Un] [e]nsemble de lignes, de bandes, de fils, etc., entrelacés plus ou moins régulièrement. Le réseau des mailles d’un filet, réseau de veines apparentes sous la peau.
- [Un] [e]nsemble de voies de communication, conducteurs électriques, etc., qui desservent une même unité géographique, dépendent de la même compagnie. Un réseau ferroviaire, routier, le réseau téléphonique.
- [Une] [r]épartition des éléments d’une organisation en différents points, ces éléments. Réseau commercial. Réseau de télévision (stations émettrices et relais). –Organisation clandestine formée par un certain nombre de personnes obéissant aux mêmes directives. Organiser un réseau d’espionnage, de résistance.
- Ce qui retient, serre comme un filet. Un réseau d’habitudes. »
La définition du petit Robert s’attache aux réseaux « physiques ». Or, dans notre recherche, nous
nous intéressons aux réseaux « sociaux », même si entre ces deux réseaux il y a certainement des
relations de détermination réciproque. Notre recherche ne traite pas les infrastructures qui
permettent aux individus de se rencontrer ou de communiquer, mais des relations que, par ces
moyens comme par de nombreux autres, ces individus et les groupes sociaux qu’ils composent
entretiennent les uns avec les autres.
Le réseau social renvoie à l’ensemble de relations entre deux individus. À chaque moment, il y a
un réseau dans lequel les individus sont plus ou moins connectés selon leur niveau de priorité,
d’échange et d’émotions qui les accompagnent (Burt 2001). Lemieux (1999) définit le réseau
social comme étant :
106
234
« Un ensemble de relations entre un ensemble d’acteurs. Cet ensemble peut être
organisé (une entreprise, par exemple) ou non (comme un réseau d’amis) et
ces relations peuvent être de nature fort diverse (pouvoir, échanges de
cadeaux, conseil, etc.), spécialisées ou non, symétriques ou non » (Lemieux,
1999).
Dans ce sens Lazega (1994) confirme qu’
« Un réseau social est généralement défini comme un ensemble de relations
d’un type spécifique (par ex. de collaboration, de soutien, de conseil, de
contrôle ou d’influence) entre un ensemble d’acteurs ».
Selon Pierre Mercklé (2005), le réseau peut être défini comme
« constitué d’un ensemble d’unités sociales et des relations que ces unités sociales
entretiennent les unes avec les autres, directement ou indirectement, à travers
des chaînes de longueurs variables. Ces unités sociales peuvent être des
individus, des groupes informels d’individus ou bien des organisations
formelles… ».
Les acteurs sont le plus souvent des individus, mais il peut aussi s’agir de ménages,
d’associations, etc. L’essentiel est que l’objet d’étude soit bien la relation entre éléments,
autrement dit l’interaction ou l’action réciproque entre ces éléments.
Le concept des réseaux sociaux a émergé dans les années 1950. Il a favorisé le développement
d’une perspective d’analyse centrée sur les caractéristiques des liens entre les personnes, plutôt
que les rôles que les individus occupent dans la structure sociale (Donati, 1994). À ce titre, il est
souvent présenté comme un concept substitutif à celui de la communauté, mettant en évidence le
fait que les liens librement choisis, entretenus et changeants, ont succédé aux « milieux de vie »
107
stables où les rapports avec les autres étaient définis par des règles strictes et précises
d’obligation (Charbonneau, 1998).
Néanmoins, le réseau ne se réduit pas à une somme de relations. Sa structure ne peut être
dégagée. C’est dans ce sens que l’analyse structurale tente de trouver les régularités de
comportements, et les groupes qui présentent ces régularités, après avoir analysé une totalité de
relations dans une population finie et seulement sur cette base (M. Forsé).
Selon Lemieux et Ouimet,
« L’analyse structurale a pour objet les réseaux et leur structuration. Pour les
acteurs sociaux, leurs relations avec d’autres acteurs et la forme de ces
relations importent davantage que leurs attributs, leurs fonctions et leurs
actions ainsi que l’interprétation qu’ils font du monde ou des événements
historiques dont ils sont à la fois témoins et participants ».
Dans cette perspective, l’analyse des réseaux sociaux est un moyen d’élucider des structures
sociales et de s’interroger sur leurs rôles (Mercklé, 2004). Au-delà de la méthodologie (Lazéga,
1998), il s’agit de comprendre dans quel sens une structure contraint concrètement des
comportements, tout en résultant des interactions (Degenne et Forsé, 2004) entre les éléments qui
la constituent. Dans ce sens, Mercklé propose l’approche suivante :
« L’analyse des réseaux sociaux est un ensemble de méthodes, de concepts, de
théories, de modèles et d’enquêtes, mis en œuvre en sociologie comme dans
d’autres disciplines des sciences sociales (anthropologie, psychologie sociale,
économie…), qui consistent à prendre pour objets d’étude non pas les attributs
des individus, mais les relations entre les individus et les régularités
structurales qu’elles présentent, pour les décrire, rendre compte de leur
formation et de leurs transformations, et analyser leurs effets sur les
comportements individuels. »
108312
Par ailleurs,
« L’analyse des réseaux est une méthode de description et de modélisation de la structure
relationnelle de cet ensemble.
L’analyse de réseaux suppose une analyse structurale des relations et non des attributs
comme nous pouvons rencontrer dans d’autres raisonnements catégoriels » (Lazega,
1994).
1.1.2. La genèse de l’analyse des réseaux sociaux
« Les fondations de ces différents édifices ont été construites entre les années 1940 et les
années 1960 (outre les textes de certains auteurs classiques de la fin du XIXe et du début
du XXe siècle, comme ceux de Bouglé et de Simmel.) Dans les années 1960 et 1970 se
sont développées des recherches méthodologiques destinées à assurer la mise en œuvre
rigoureuse. Des années 1980 à aujourd’hui, elles ont été amendées et perfectionnées,
parfois par leurs auteurs eux-mêmes, parfois par d’autres et dans le même temps de
nouvelles pistes se sont ouvertes. » 78
L’analyse des réseaux sociaux est une approche sociologique qui a actuellement près de soixante-
dix ans d’histoire. Elle joue depuis longtemps un rôle important dans la sociologie. Elle peut être
divisée en trois grandes périodes. Nous allons tout d’abord exposer les fondements avant de
détailler l’articulation de la méthode pour enfin présenter le développement actuel de l’approche.
Figure 8: « L’arbre généalogique » de l’analyse des réseaux sociaux
78 DEGENNE. A, FORSE. M (1994) : « Les réseaux sociaux », p. 15.
109
312
Source : d’après Scott (1991, p. 8). Ce schéma est reproduit et traduit en français par Gribaudi (1998, p. 11), mais en « oubliant » la flèche qui va de la théorie des graphes à Mitchell dans le schéma initial.
Des recherches pionnières ont été menées sur ces questions tant par des sociologues, comme
Georg Simmel (1908) ou Jacob Moreno (1934), que par des ethnologues, comme Radcliffe-
Brown, Firth, Barnes (1954) ou Bott (1971). Elles sont à l’origine de l’important développement
de l’analyse des réseaux sociaux auquel on assiste depuis le début des années 1970 et au travers
duquel les bases de ce que l’on désigne souvent aujourd’hui par le terme d’analyse structurale
ont été jetées.
1.2 Les déterminants des réseaux dans le monde professionnel – le capital social
110
L’analyse des réseaux sociaux a apporté une contribution fondamentale à la sociologie
économique par le biais du domaine des « ressources informationnelles ». Celle-ci en particulier a
retenu l’attention de l’analyse structurale, par l’émergence de la notion de « capital social », qui
est allégorique de l’analyse des réseaux sociaux.
1.2.1 Le capital social principale ressource des réseaux
La notion de réseaux sociaux renvoie à celle de capital social. L’idée qu’« avancer dans sa
carrière n’est pas un acte solitaire » (Cerdin, 2000, p. 58) n’est pas nouvelle. En effet, le capital
social est perçu comme le complément du capital humain (Burt, 1995) et son utilité pour
l’évolution professionnelle des salariés n’est pas contestée. Il semble cependant important de s’y
intéresser dans la mesure où il fait partie de la nouvelle donne du travail. De nombreux travaux
en sociologie et management qui se sont appuyés sur les théories du capital social (Burt, 1992 ;
Granovetter, 1973 ; Lin et al., 1981) ont mis en avant le rôle de ce dernier, c’est-à-dire
« l’ensemble des ressources sociales encastrées dans une structure sociale, auxquelles on a accès
et/ou qui sont mobilisées lors d’actions intentionnelles » (Lin, 2001). Ces recherches ont permis
de comprendre l’influence positive de l’insertion dans un réseau de relations sur la carrière d’un
individu.
Le capital social représente les ressources relationnelles que les acteurs individuels peuvent
mobiliser à travers leurs réseaux de relations sociales (Bourdieu, 1980 ; Burt, 1997 ; Lin, 1995).
Ces ressources sont généralement très variées et peuvent consister en des informations, des
opportunités ou toute autre forme de soutien moral ou matériel. Il est défini comme « l’ensemble
des qualités sociales que possède un individu, le charisme, les contacts humains…, tout ce qui
l’enrichit dans ses relations avec les autres » (Glaeser, 2001). Le capital social se mesurerait
pour certains en fonction du nombre de « contacts » qu’une personne possède. On désigne par
« contact » un autre acteur avec qui la personne étudiée serait en relation directe (Coleman,
1988).
La notion de capital social est assez ancienne. Hobbes (1951) affirmait déjà qu’ « avoir des amis,
c’est avoir du pouvoir ».
1.2.2 Les théories du capital social
111
Les théories du capital social nous permettent de comprendre le fonctionnement des réseaux et
selon quels processus ils profitent au salarié. Elles s’interrogent sur les dimensions à prendre en
compte pour évaluer les caractéristiques du réseau utile aux individus. Il existe principalement
deux approches : d’une part, celle développée par Pierre Bourdieu et d’autre part, celle
développée par les sociologues des réseaux sociaux. Il s’agit principalement de la théorie de la
force des liens faibles (Granovetter, 1973) et de celle des trous structuraux (Burt, 1992).
1.2.2.1 Approche de Pierre Bourdieu
Bourdieu met en œuvre la notion de capital social au même plan que les capitaux économiques,
culturels ou symboliques, comme un instrument de domination dans le cadre d’une société
stratifiée. Le capital social (et le capital en général) prend donc son sens dans les rapports de
pouvoir entre les groupes sociaux. De ce fait, la source de capital social n’est pas simplement
dans la structure sociale, mais aussi dans les raccordements sociaux :
« Le capital social est l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont
liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins
institutionnalisées d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance ; ou, en
d’autres termes, à l’appartenance à un groupe, comme ensemble d’agents qui
ne sont pas seulement dotés de propriétés communes (susceptibles d’être
perçues par l’observateur, par les autres ou par eux-mêmes) mais sont aussi
unis par des liaisons permanentes et utiles. Ces liaisons sont irréductibles aux
relations objectives de proximité dans l’espace physique (géographique) ou
même dans l’espace économique et social parce qu’elles sont fondées sur des
échanges inséparablement matériels et symboliques dont l’instauration et la
perpétuation supposent la re-connaissance de cette proximité. Le volume du
capital social que possède un agent particulier dépend donc de l’étendue du
réseau des liaisons qu’il peut effectivement mobiliser et du volume du capital
(économique, culturel ou symbolique) possédé en propre par chacun de ceux
auxquels il est lié. Ce qui signifie que, quoiqu’il soit relativement irréductible
au capital économique et culturel possédé par un agent déterminé ou même
112
390
par l’ensemble des agents auxquels il est lié (comme on le voit bien dans le cas
du parvenu), le capital social n’en est jamais complètement indépendant du
fait que les échanges instituant l’inter-reconnaissance supposent la
reconnaissance d’un minimum d’homogénéité “objective” et qu’il exerce un
effet multiplicateur sur le capital possédé en propre. »
Pierre Bourdieu accorde au capital social un rôle secondaire. Il reste de ce fait métaphorique et n’a
pas abouti à l’élaboration d’outils analytiques. En effet, la notion de capital social a connu sa
reconnaissance fondamentale au sein d’un certain nombre de champs spécifiques, et très largement
anglo-saxons.
1.2.2.2 Approche des sociologues
Pour les sociologues des réseaux (Burt, 1992 ; Lin, 1995), le capital social renvoie aux réseaux,
aux contacts et aux ressources auxquelles les individus peuvent accéder pour acquérir des
positions ou de l’information qui vont leur donner un avantage dans la compétition avec les
autres. De ce fait, ils s’intéressent essentiellement à la position d’un individu dans son réseau.
Cette approche qui s’inscrit dans la perspective initiée par les travaux de Maks Granovetter
(1973) sur « la force des liens faibles » met l’accent sur la position des individus dans un réseau,
sur la densité de ce dernier et sur l’intensité des liens.
Selon Becker, le travail est un bien comme les autres, qui s’échange sur un marché, les
travailleurs se distinguant par les investissements qu’ils réalisent en se formant, c’est-à-dire en
accroissant leur « capital humain ». La théorie du capital humain suppose une information
parfaite sur les emplois offerts (pour les travailleurs) et sur la main-d’œuvre disponible (pour les
employeurs). Or, si l’on peut démontrer que le capital social constitue une ressource spécifique,
autrement dit si à un niveau de diplôme égal (c’est-à-dire à capital humain égal) la possibilité
d’utiliser ses relations pour trouver un emploi produit encore des effets, cela veut bien dire que
l’information sur les emplois n’est pas parfaite, mais au contraire justement qu’elle inégalement
distribuée.
113
Néanmoins, Mercklé confirme que la valeur du capital social d’un individu, loin de dépendre
seulement du nombre et des ressources de ses relations, dépend en réalité des caractéristiques
structurales du réseau qu’elles forment autour de lui et entre elles, en tenant compte y compris
des relations indirectes. Autrement dit, le capital social d’un individu ne se limite pas aux
relations directes, mais intègre également les relations indirectes, et par conséquent les ressources
dont disposent les connaissances d’amis et les amis de connaissances…
L’exploration des effets théoriques de ce dernier principe et la recherche de sa vérification
empirique ont vu le jour grâce à Granovetter (1973 ; 1982) avec la théorie de la « force des liens
faibles », puis Burt (1992 ; 1995) avec celle des « trous structuraux ». Ces deux théories ont
permis à l’analyse des réseaux sociaux de faire quelques-unes de ses progressions les plus
théâtrales, à partir d’une réflexion sur la nature du capital social et les processus par lesquels il
produit ses effets. Ces études ont montré que les acteurs peuvent exploiter les réseaux sociaux de
façon stratégique et que ces derniers apportent des informations indispensables à la réalisation
des objectifs et à l’amélioration des chances de survie. Il convient toutefois de souligner que les
principaux aspects non instrumentaux de la vie sociale sont également le fruit des interactions au
sein des réseaux sociaux (Granovetter, 2001). Selon Granovetter, la confiance et le pouvoir
constituent les deux dimensions non instrumentales les plus importantes. La confiance (et son
corollaire comportemental, la coopération) est liée aux rapports symétriques ou horizontaux,
tandis que le pouvoir (et son corollaire comportemental, l’obéissance) relève des rapports
asymétriques ou verticaux.
Granovetter – La force des liens faibles
L’étude qui aurait eu le plus fort impact sur la réflexion théorique du capital social serait celle de
M. Granovetter qui s’est intéressé très tôt au concept de réseau social. Dans sa thèse de Doctorat
soutenue à Harvard en 1970, il affirme l’intérêt des réseaux sociaux dans la recherche d’emploi
des salariés.
Mark Granovetter (1973, 1995) étudie les interactions sociales à travers les liens interpersonnels.
Son analyse des réseaux sociaux est fondée sur le contenu plus au moins fort des liens. Ses
114
468
travaux portent essentiellement sur le processus de recherche d’emploi des individus
(Granovetter, 1973, 1995). L’auteur va mettre en avant l’importance des contacts personnels, des
liens interpersonnels dans cette démarche de recherche d’emploi et, en particulier, l’importance
d’un certain type de lien qu’il appelle les liens faibles.
L’idée sous-jacente à la théorie de Granovetter est que chaque individu a des contacts multiples,
mais que tous ne sont pas identiques. Certains vont être des proches, des amis et d’autres, de
simples connaissances. C’est la force du lien qui va permettre de catégoriser ces relations.
Dans son article fondateur, Granovetter (1973) part d’une définition de la force d’un lien comme
« Une combinaison (probablement linéaire) de la quantité de temps, de l’intensité émotionnelle,
de l’intimité (la confiance mutuelle) et des services réciproques qui caractérisent ce lien ».
Il classe donc les liens interpersonnels en fonction de leur « force » sur la base de quatre critères :
La durée de la relation ; derrière ce critère il y a une double idée : d’une part l’ancienneté
de la relation, d’autre part le temps passé ensemble.
L’intensité émotionnelle.
L’intimité.
Les services réciproques que se rendent les partenaires79.
Pour cet auteur, les personnes avec qui l’individu est relié par un lien faible (c’est-à-dire que l’on
voit rarement, ou avec qui on a peu de relations intimes, ou encore de simples connaissances)
sont plus utiles que les personnes avec qui on entretient une relation basée sur un lien fort i.e. des
amis proches. C’est en effet à travers ses liens faibles que l’individu va pouvoir acquérir de
nouvelles informations et avoir connaissance de nouvelles opportunités. Les liens forts, au
contraire, ont tendance à créer des zones fermées dans lesquelles l’information circule certes
rapidement mais est redondante (les amis de mes amis sont mes amis parce que les chances que je
les vois souvent et que je les apprécie sont grandes). Autrement dit, les liens forts ne sont jamais
des « ponts », puisqu’ils ne permettent pas de relier entre eux des groupes d’individus autrement
disjoints. L’auteur en déduit qu’une information qui ne circulerait que par des liens forts risquerait
certainement de rester circonscrite à l’intérieur de « cliques » restreintes, et qu’au contraire ce sont 79 Alain Degenne et Michel Forsé (1994), « Les réseaux sociaux », p. 128.
115
des liens faibles qui lui permettent de circuler dans un réseau plus vaste, de clique en clique. Pour
Granovetter, avoir des contacts nombreux et en dehors des cercles auxquels on appartient est
générateur d’opportunités. Par contre, les gens des cercles proches seront plus motivés pour
apporter une aide et pour fournir des informations, même si ces dernières sont déjà connues. Par
conséquent, ce sont leurs liens faibles qui procurent aux individus des informations qui ne sont pas
disponibles dans leur cercle restreint : « Les individus avec qui on est faiblement lié ont plus de
chances d’évoluer dans des cercles différents et ont donc accès à des informations différentes de
celles que l’on reçoit. »
Son étude montre le rôle des liens faibles. Il précise que si les liens à l’intérieur d’un groupe ont
toutes les chances d’être forts, ceux qui relient ces groupes, techniquement des « ponts », ont toutes
les chances d’être faibles.
Merklé (2005, p. 60) nous décrit la vérification empirique Granovetter, en l’appliquant à l’étude
des processus de recherche d’emploi, au-delà des principes théoriques énoncés fondés sur la
« force des liens faibles » :
« L’échantillon de l’étude est composé d’environ 300 cadres, techniciens et
gestionnaires ayant récemment changé d’emploi. Premier constat, ces salariés
américains trouvent plus souvent leur emploi par leurs relations personnelles
que par n’importe quel autre moyen : c’est le cas de 56 % des personnes
interrogées dans cette enquête. Ensuite, Granovetter s’intéresse à la fréquence
de leurs contacts avec l’individu qui leur avait donné l’information leur ayant
permis de trouver cet emploi. Or il apparaît qu’à la question “combien de fois
avez-vous vu le contact au cours de la période où il a fourni l’information
pour l’emploi ?”, les réponses sont : souvent (au moins deux fois par semaine)
pour seulement 16,7 % des personnes interrogées, contre occasionnellement
(moins de deux fois par semaine) pour 55,6 % et rarement (une fois par an ou
moins) pour 27,8 % d’entre elles respectivement. À partir de ces résultats, et
de ceux obtenus dans d’autres enquêtes, Granovetter (1973, p. 72) concluait
que les liens faibles, souvent dénoncés comme source d’anomie et de déclin de
116
la cohésion sociale, pouvaient apparaître au contraire comme “des
instruments indispensables aux individus pour saisir certaines opportunités
qui s’offrent à eux, ainsi que pour leur intégration au sein de la
communauté”, alors que les liens forts engendraient de la fragmentation
sociale. »
Encadré 3 : La triade interdite de Mark Granovetter (1/2)
La notion de « triade interdite » retenue par Granovetter est au sens statistique, et non pas
normatif. Son hypothèse de base qui considère trois personnes, A, B et C, est la
suivante : « d’une part, A et B sont fortement liées, d’autre part, A possède un autre lien
fort, avec un ami C, mais où cependant le lien entre C et B est absent. »
Figure 9: La triade interdite
Il y a donc de fortes chances que B et C se rencontrent en compagnie de A. Une fois qu’elles
se reconnaîtront un ami commun et auront été mises en présence, elles noueront
certainement une relation entre elles. De plus, deux personnes entre lesquelles il existe
un lien fort ont tendance à se ressembler, c’est-à-dire à avoir les mêmes habitudes, les
mêmes goûts, etc. Donc si B et C ressemblent à A, elles vont tendre à avoir également
des points communs entre B et C, ce qui est un facteur favorable à l’apparition d’un lien
A
C
B
117
546
Encadré 3 : La triade interdite de Mark Granovetter (2/2)
fort entre elles. On peut enfin invoquer des ressorts psychologiques : si B est liée fortement à
A et n’est pas fortement liée à C alors que A et C sont unies par un lien fort, cela induit
une dissonance qui va conduire B et C à rendre le système cohérent et donc à se
rapprocher. Inversement, si A est liée fortement à B mais faiblement à C, il y a peu de
chances que B et C se rencontrent. S’ils se rencontrent, ils n’auront probablement pas de
points communs et rien ne les conduira particulièrement à se rapprocher. Le lien entre B
et C pourra demeurer absent ou de faible intensité. 80
Le concept de « pont » a été emprunté à la théorie des graphes. Dans un graphe, une arête
constitue un pont entre deux parties du graphe, si elle est le seul lien, le « passage
obligé », entre ces deux parties, c’est-à-dire si cette arête est obligatoirement comprise
dans toute chaîne reliant le sommet d’une partie à celui d’une autre. Dans le graphe ci-
dessous, l’arête 9-7 constitue un pont.
Source : Alain Degenne et Michel Forsé (1994), « Les réseaux sociaux », p. 129
Burt – les trous structuraux : l’acteur dans le réseau – passerelle entre les réseaux personnels et
les réseaux complets.
Burt (2005), dans son ouvrage, entend faire du capital social un outil d’analyse performant
permettant de décrire et d’expliquer, à partir de la structure des réseaux, l’existence de
80 Alain Degenne et Michel Forsé (1994), « Les réseaux sociaux », p.128- 129.
8 4
1
9 7
5
2
63
118
performance inégales (en termes de salaires et promotions pour les individus, de profits pour les
firmes) au sein des entreprises et des marchés.
Ronald Burt (1992a) utilise la notion de trou structural qu’il définit de la manière suivante :
« J’utilise le terme de trou structural pour désigner l’absence de liaison entre
des contacts non redondants. Des contacts non redondants sont donc
connectés par des trous structuraux. »
En d’autres termes,
« un trou structural consiste en une relation non redondante entre deux
contacts ».
Burt (2005) affirme que
« Un trou structural désigne l’espace vie entre deux relations dans un
groupe : il est une absence de relation. Cette absence de relation entre deux
personnes permet à une tiers personne de se placer en intermédiaire et donc
de tirer avantage de la situation. Ses avantages sont de trois sortes : un accès
plus rapide à l’information (l’information ne suit plus les voies formelles et
hiérarchiques de diffusion) ; une information de meilleure qualité
(l’information est non redondante de part et d’autre trou) ; un contrôle sur la
diffusion de l’information (l’intermédiaire peut choisir quand et à qui il
diffuse l’information).
Le capital social représente donc l’avantage créé par la présence de trous
structuraux au sein d’un réseau ».
Burt souligne l’importance des réseaux complets dans le mécanisme de réputation et de
confiance.
119
Malgré cette divergence fondamentale, l’approche de Bourdieu et celle des sociologues ont en
commun de concevoir le capital social comme le résultat de stratégies délibérées et
directement intéressées d’investissement dans les relations pour accéder à des ressources
spécifiques (Ponthieux).
Depuis les années 1990, la notion de capital social s’est imposée dans la littérature pour désigner
les ressources auxquelles les individus peuvent accéder du fait de leur réseau relationnel, ou les
propriétés des relations (confiance, réciprocité) au sein d’une structure sociale. Charbonneau et
Molgat (2002) montrent, au travers de leurs études auprès de certaines populations en difficulté,
l’influence du contexte de l’enfance dans la construction et le maintien des relations sociales
fonctionnelles. En effet, l’analyse des trajectoires de vie des enfants marquées par d’importantes
ruptures de liens (instabilité conjugale des parents, déménagements fréquents…) révèle le
développement de la méfiance chez ces enfants. Ces derniers vont apprendre à se méfier pour se
protéger de la souffrance associée aux pertes relationnelles. D’autres réflexions (Coleman, 1998
et Putman, 2000) rejoignent ces propositions et considèrent que la notion de confiance est
indissociable de celle de capital social.
II. La confiance comme principal objet d’étude des réseaux
120
624
« [...] la confiance de tous envers tous […] est une condition de vie du réseau. » (Amblard, 1996, p. 154).
La confiance varie en intensité. Elle dépend notamment des formes et du niveau d’information ou
de croyance. On doit donc parler de degré de confiance, de méfiance et de défiance, car la
confiance n’est qu’exceptionnellement totale ou nulle sauf pour les mystiques ou les héros
mythiques, tel Abraham offrant son fils en sacrifice à Yahvé81. L’individu qui n’accorde sa
confiance ni aux être ni aux choses, qui prétend en conséquence s’isoler des jeux de l’amour et de
l’amitié comme la jeune Angela d’Henry James, se met hors du monde82. En conséquence :
D’une part, il existe des degrés hiérarchisés positifs ou négatifs de confiance que l’on peut
appréhender d’un point de vue ordinal sur une ligne allant de la totale confiance à la foi et
la confiance quasi-absolue (la notion de défiance ajoute à celle de méfiance le défi).
Figure 10: Les degrés hiérarchisés de la confiance83
Et d’autre part, dans la mesure où la confiance peut être remise en cause et mise à
l’épreuve, elle implique toujours incertitude, risque, anticipation et calcul probabiliste,
une sorte de pari.
81 Sur la confiance par le sacrifiant dans l’efficacité du rite sacrificiel et ce qui lui est intiment lié, la confiance dans
le sacrificateur, opérateur du sacrifice, voir : Charles MALAMOUD, « Terminer le sacrifice : remarques sur les
honoraires rituels dans le brahmanisme », in : Madeleine Biardeau, Charles MALAMOUD, Le sacrifice dans lnde
Ancienne, Paris : PUF, 1976, p. 161.
82 Henry James, Confiance [Roman 1880], trad. Paris Albin Michel, 1988, p. 90-91, 212-215.
83 Servet, JM (1997) ; L’introduction de la construction sociale de la confiance sous la direction de Philippe
BERNOUX et Jean- Michel SERVET.
Défiance Méfiance Confiance Foi
- +
121
2.1. La définition et la place de la confiance au sein des organisations
L’histoire d’un mot est une première façon de reconstruire ses sens en révélant un certain nombre
de parentés et de significations cachées (J.M. Servet, 1997). Selon Servet,
« Le mot confiance vient du latin classique confidentia qui évoque la
confiance en soi, l’assurance, une ferme espérance voire l’audace ; via
l’ancien français fiance nous vient de l’idée de foi qui devra être pris ici dans
un sens non pas culturel mais laïc et psychologique. Le mot confidence a la
même origine et les deux mots confiance et confidence se séparent en français
au XVIIe siècle seulement pour atteindre leurs sens actuels distincts mais dont
on voit bien qu’ils sont liés.
La confiance est le sentiment qui permet de se fier à quelqu’un ou à quelque
chose.
La confidence est au niveau des sentiments et des projets et ajoute l’idée du
secret ».
2.1.1. Définition de la confiance
Les états de la littérature sur la confiance (Ross, 1996 ; Calton, 1998 ; Mothe, 1999 ; Bigley et
Pearce, 1998) reconnaissent à la définition du concept de la définition son caractère
incommensurable : d’une part, la recherche exhaustive se retrouve limitée du fait de l’extrême
complexité et de la pluralité des situations de confiance. D’autre part, certaines dimensions de la
confiance risquent de réduire une définition abstraite.
La littérature dresse plusieurs représentations de la confiance : elle est une attente sociale
inconsciente (Zucker, 1986), un trait de personnalité (Rotter, 1981), un résultat (Zaheer, Perrone,
Mc Evily, 1995), une décision rationnelle (Gambetta, 1988). La confiance peut être expliquée par
différents termes et concepts qui lui ont été rattachés : bon vouloir, équité, opportunisme (Sako,
85 GRANOVETTER Mark, « The strength of weak ties », American Journal of Sociology, 1973, p. 1361.
126
représentation permet de donner une vision globale des pratiques de sociabilité et de la manière
dont elles s’analysent en fonction des principales variables sociodémographiques.
Figure 11: Intensité et formes de la sociabilité (selon l’âge et la catégorie sociale)
Volume de la sociabilité
Extériorité de la sociabilité
Intériorité de la sociabilité
Classes supérieures
Classes moyennes
Classes populaires
Source: Forsé (1981a)
127
Par ailleurs, l’activité professionnelle est aussi considérée comme importante source de
sociabilité. Le réseau social est une notion omniprésente dans l’activité économique et les
occasions de rencontrer du monde sont multiples. C’est ainsi que J.-C. Kaufmann nous confirme
que le chômeur est,
« doublement perdant. Il ne peut avancer pour élargir son intégration, et
parce qu’il ne peut avancer, il recule : son réseau se rétrécit »86.
Pour Martin,
« les actifs s’opposent nettement aux inactifs du point de vue de l’idée qu’ils se
font de leur sociabilité : près de 57 % des inactifs se considèrent isolés, contre
un peu moins de 25 % des actifs »87.
86 KAUFMANN Jean-Claude, « Vie hors du couple, isolement et lien social : figures de l’inscription relationnelle », Revue Française de Sociologie, 1994, p. 604.
87 MARTIN Claude, « Solidarités de la parentèle après la désunion », in Association internationale des démographes de langue française(AIDELF), Séminaire international d’Aranjuez (27-30 septembre 1994), 1996, Paris, INED PUF, p. 514.
L’extériorité est assimilée à une distance d’un foyer, non seulement
physique mais aussi symbolique. La sociabilité tournée vers
l’extérieur, qui est plus fréquente chez les jeunes (les bals, les cafés,
les sorties entre amis, les sorties nocturnes…), se voit s’intérioriser
avec la création du foyer, l’installation du couple et surtout la
naissance des enfants. Chez les personnes âgées, la sociabilité tend à
se centrer sur le voisinage, les relations avec la parentèle et les
associations religieuses.
128
858
La sociabilité joue un rôle important dans le processus de « reproduction sociale »88. Ce
phénomène décrit « l’homogamie » sociale et géographique, mise en évidence, par exemple, dans
les travaux de Girard89. L’auteur exilique que le choix du conjoint ne se fait jamais vraiment au
hasard, et qu’il correspond à une alliance sélective, amenant à réunir deux individus « proches » à
la base, soit qu’ils appartiennent à la même classe sociale ou qu’ils partagent les mêmes valeurs,
soit qu’ils vivent au même endroit.
Degenne et Forsé90 soulignent ainsi que les membres du réseau affinitaire présentent souvent les
mêmes caractéristiques d’âge, de diplôme, de profession, etc. Autrement dit, les amis qui se
ressemblent s’assemblent. Rigot, dans ce sens, confirme que « La sociabilité apparaît alors
comme un support de la reproduction sociale ».
3.1.2. La nécessité d’une structure
Le rapport entre individus ne suffit pas à donner un sens à une relation. La fonction d’une relation
dépend de sa position structurale, et ceci est également vrai pour le statut et le rôle d’un acteur
(Degenne, Forsé, 2004, p. 10). Tandis que la psychologie s’intéresse à l’individu ou la relation
entre individus, la sociologie n’isole pas le contexte structural de cette relation et s’interroge sur
le rapport qui peut exister entre la forme du système des liens et la capacité de certains groupes à
atteindre leurs buts (Degenne, Forsé, 2004, p. 175). Dans ce sens, Burt (1991, p. 4) affirme que
« le moteur causal derrière ce que les gens ressentent, croisent et font, repose dans les formes
des relations entre acteurs au sein d’une situation sociale donnée ».
88 Régis RIGOT 2001, « Quelques aspects de la sociabilité des Français », Cahier de recherche numéro 169, Centre
de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie.
89 GIRARD Alain, Le choix du conjoint. Une enquête psycho-sociologique en France, Paris, PUF-INED, 1981
l’inexistence d’une définition qui fait consensus. Nous allons partir d’une discussion autour de la
confiance afin de nous guider dans le choix de la définition à adopter pour la présente thèse.
Ensuite, nous examinerons deux points qui font encore débat dans la littérature managériale et
sociologique, à savoir la relation entre confiance et contrôle et celle entre confiance et méfiance.
3.2.1. Panorama de définition et typologie
« Essayer d’intégrer toutes les approches de la
confiance sous un même chapeau ne peut produire
de concept simple et opérationnel. » (Bigley &
Pearce, 1998).
La confiance est un concept qui a fait l’objet de multiples approches. On identifie dans la
littérature de nombreuses définitions de la confiance. Plusieurs auteurs ont tenté de dresser des
états de la littérature sur la confiance afin d’approcher une définition (Ross, 1996 ; Calton, 1998 ;
Mothe, 1999). En effet, il n’existe toujours pas d’accord sur la définition de ce concept, d’où sa
complexité.
On la considère souvent comme l’une des valeurs centrales de notre société,
essentielle pour le bon fonctionnement des organisations où elle apparaît
comme un facteur de stabilisation indispensable (Granovetter, 1985). Bigley
et Pearce (1998) concluent à l’incommensurabilité de ce concept : d’une part, l’extrême
complexité et la pluralité des situations de confiance n’autorisent pas une recherche exhaustive et,
d’autre part, une définition abstraite risque d’être réductrice de certaines dimensions de la
confiance.
Ainsi, Bennis (1985) définit la confiance comme,
« le lubrifiant qui fait fonctionner la machine » et en la présentant comme «
l’unité de mesure de la légitimité du chef par rapport à ses collaborateurs
qui ne peut ni s’exiger, ni s’acheter mais qui doit se gagner ».
132
Pour Withener et al. (1998),
« la confiance est l’attente que l’autre partie va réagir de la manière
souhaitée sans qu’il soit possible de la contrôler ou de la forcer à remplir
cette attente ».
Hosmer (1995) définit la confiance comme étant
« l’anticipation effectuée par une personne, un groupe ou une entreprise
d’un comportement éthiquement justifiable – c’est-à-dire des décisions et des
actions moralement correctes et basées sur des principes d’analyses éthiques
– de la part de l’autre personne, groupe ou entreprise dans le cadre d’un
effort conjoint ou d’un échange économique ».
Arrow (1974) met en évidence l’importance du côté social de la confiance. Selon lui,
« la confiance est un lubrifiant important du système social ; elle est
extrêmement efficiente ; elle évite de se donner la peine d’avoir à apprécier
le crédit que l’on peut accorder à la parole des autres ».
La confiance dans ce sens est considérée comme un bien commun, un moyen d’atteindre un
certain résultat. Elle pourrait donc être assimilée à un vecteur pouvant avoir ses effets dans la
structure sociale. La saisie de l’ensemble des réseaux de socialisation des individus permet de
comprendre la construction sociale de la confiance. C’est ainsi que Servet (1994) définit la
confiance comme étant
« l’état d’une personne, d’un groupe ou d’une institution face à un objet, un
mécanisme, un animal, un environnement physique, un groupe ou une
institution ; cet état est fondé sur des éléments affectifs, intuitifs ou sur un
133
ensemble d’informations ; il permet d’anticiper une réaction ou un
comportement dans telle ou telle situation ».
Par ailleurs, la littérature dresse un panorama de typologie de la confiance. Nous retenons ici la
distinction de L. Zucker (1986) qui définit trois formes de confiance en fonction de leur mode de
production :
La confiance intuitu personae (characteristic based trust) qui est attachée à une personne
en fonction de caractéristiques propres comme l’appartenance à une famille, une ethnie ou
un groupe donné.
La confiance relationnelle (process based trust) qui repose sur les échanges passés ou
attendus en fonction de la réputation ou d’un don/contre don.
La confiance institutionnelle (institutional based trust). Dans ce cas, la confiance est
attachée à une structure formelle qui garantit les attributs spécifiques d’un individu ou
d’une organisation.
Cela souligne la différence entre les définitions proposées par les sociologues qui se concentrent
sur les normes partagées au sein du groupe, et celles proposées par les économistes qui mettent en
exergue la prise de risque et la répartition du gain.
Encadré 4 : La confiance – Définition retenue
Dans le cadre de notre recherche, c’est la confiance organisationnelle au sein d’un cabinet
et entre auditeurs qui nous intéresse. En pratique, le processus de l’audit, et
l’organisation d’une mission d’audit, avec la participation de plusieurs acteurs pour
atteindre un seul objectif, impose l’instauration d’une « confiance organisationnelle », la
confiance est dans ce contexte considérée comme étant un état d’esprit par rapport au
comportement de l’autre. La confiance dans ce contexte est basée sur les relations
interpersonnelles au sein de l’organisation (Bigley & Pierce, 1998). En effet, la
confiance est présente à chaque maillon de la chaîne : l’associé fait confiance au
manager, qui fait confiance au senior, celui-ci fait confiance aux assistants.
134
1014
Ceci dit, la définition qui semble être la plus complète et la plus citée est celle de Mayer,
Davis et Schoorman (1995, p. 712) qui définissent la confiance comme étant « la
volonté d’une partie à être vulnérable aux actions d’une autre partie basée sur l’attente
que l’autre partie va accomplir un acte particulier important pour celui qui accorde la
confiance indépendamment de la capacité de ce dernier de contrôler cette autre
partie ». C’est cette dernière définition que nous allons adopter pour le présent travail et
cela parce qu’elle recouvre les éléments cruciaux de vulnérabilité, d’attente et de non-
contrôlabilité de l’autre.
3.2.2. Les déterminants organisationnels de la confiance
Une relation de confiance implique l’existence de deux partenaires en interaction dans un
contexte particulier. En l’absence d’interactions passées entre les individus, la
formation initiale de la confiance est une phase-clé. Comme le rappellent
McKnight et al. (1998), la phase la plus critique du développement de la
confiance est le début de la relation.
La littérature sur la confiance s’intéresse à un certain nombre de facteurs relatifs aux individus et
à l’environnement qui influent l’apparition et la perpétuation de la confiance. Nous avons
procédé à des regroupements pour trouver des lignes de cohérence qui souvent fragmentées.
Nous proposons donc ci-après une grille d’analyse construite autour de trois grands groupes de
déterminants ou antécédents de la confiance :
Les prédispositions personnelles à la confiance représentent les traits de personnalité de la
personne et une tendance générale d’un individu à faire confiance aux autres.
Les caractéristiques du partenaire et les « processus cognitifs » qui représentent des
phénomènes tels que le recours à des stéréotypes ou la prise en compte de la réputation de
135
l’autre. Ces caractéristiques représentent l’information sociale comme base de la
confiance à la façon dont cette personne va construire sa représentation de la situation.
Le fait que la rencontre se fasse dans un contexte donné est gage de
confiance. La confiance semble être un trait culturel soumis à des règles normatives
et à la dynamique du processus de confiance lui-même. La confiance dans ce sens
représente la croyance que des dispositifs organisationnels sont en
place pour permettre la confiance : structures, culture
organisationnelle, politiques de ressources humaines.
3.2.2.1 Les prédispositions de la confiance
Toutes les personnes ne sont pas égales devant la confiance. Certaines sont portées à accorder
plus aisément leur confiance, alors que d’autres sont plutôt méfiantes. La prédisposition à faire
confiance, ou au contraire à être méfiant est considérée comme un trait de personnalité.
Plusieurs auteurs (Bigley & Pearce, 1998 ; Sztompka, 1999 ; Drucker, 1999) confirment que
l’origine de cette confiance, ou méfiance, se trouve dans l’histoire passée des relations vécues par
l’individu au sein de sa famille et d’autres groupes de socialisation (école, associations,
organisations). La prédisposition de l’individu de faire confiance est le fruit de l’histoire
personnelle et des expériences passées qui ont été enracinées, encastrées et intériorisées dans la
personnalité.
Dans le même sens, Rotter (1980)91 considère que la prédisposition à la confiance est une
croyance stable basée sur les extrapolations de l’individu des expériences vécues au début de la
vie. Il affirme que l’effet de cette prédisposition sur les décisions et les comportements dépend du
caractère inédit et nouveau de la situation dans laquelle l’individu se trouve. Quand les situations
confrontées sont non-familières, l’influence des prédispositions personnelles devient plus
importante et plus déterminante. Inversement, quand on a à faire à des gens qu’on connaît bien et
qui nous sont familiers, notre connaissance personnelle d’eux et l’histoire de nos interactions
avec eux prennent le dessus et déterminent nos décisions et nos actions.
91 Rotter, J. B. (1980). Interpersonal trust, trustworthiness and gullibility. American Psychologist, 26, 1-7; cité par
Bigley,G. & Pearce,J.(1998). Straining for shared meaning in organizational science: Problem of trust and distrust.
The Academy of Mangement Review, 405-421.
136
1092
Rotter (1971) met en évidence un autre facteur lié aux prédispositions à la confiance : les
paradigmes à l’égard d’autrui. Certains auteurs (McKnight, Cummings & Chervany, 1998)
confirment que plus le degré de « foi dans l’humanité » sera élevé, plus il manifestera une
propension à établir une relation de confiance. De nombreuses définitions illustrent l’intérêt porté
à ce paradigme. Par exemple, Bidault (1998) estime qu’
« une relation de confiance existe dès lors qu’il y a présomption qu’en
situation d’incertitude, l’autre partie va, y compris face à de situations
imprévues, agir en fonction de règles de comportement que nous trouvons
acceptables ».
Hart et Johnson (1999) vont dans le même sens en retenant comme définition de la confiance
« le fait pour une personne d’avoir la certitude que l’autre partie ne profitera
de ses faiblesses ».
Par ailleurs, de nombreux chercheurs confirment l’existence des liens entre la capacité à obtenir
un haut niveau de performance professionnelle (incluant la capacité à créer de la confiance) et les
caractéristiques comportementale de la personne.
Au plan strictement individuel, les travaux les plus récents proposent de retenir cinq dimensions
fondamentales suffisamment globales pour être utilisables dans de multiples environnements
(Ivanchevich & Mateson, 1999), et pour lesquelles les termes anglo-saxons ont été traduits de la
manière suivante :
le sens du contact (« agreableness »),
l’extraversion (« extraversion »),
la stabilité émotionnelle (« emotional stability »),
le sens des responsabilités (« concientiousness »)
la vivacité d’esprit (« resourcefulness »).
3.2.2.2 Les caractéristiques du partenaire
137
Sztompka (1999) confirme que la base la plus commune et la plus importante de la confiance est
très certainement l’estimation de la loyauté de la cible potentielle, c’est-à-dire du partenaire. À
travers la littérature, nous avons décliné deux principales familles de sources d’informations qui
permettent d’évaluer les caractéristiques du partenaire. Généralement, on peut penser que, pour
juger quelqu’un, il existe deux possibilités :
Soit on dispose d’un accès direct matérialisé par rapport de face à face avec la personne :
sources de liaisons directes.
Soit on n’a qu’un accès indirect aux informations requises, c’est-à-dire par le moyen
d’autres agents : sources de liaisons indirectes.
Les sources de liaisons directes
Les expériences antérieures : l’accumulation des interactions passées donne lieu à ce que
Kramer (1999) intitule la confiance basée sur l’histoire. Le nombre d’expériences antérieures, les
résultats de ces expériences (succès/échecs) et le degré d’homogénéité de ces résultats
conditionnent l’apparition et la pérennisation de la confiance (McKnight, Cummings &
Chervany, 1998). Cette familiarité procure les informations nécessaires sur les préférences, les
intérêts, les dispositions, les compétences et les intentions du partenaire. Le fait qu’un individu
accorde toujours plus d’importance à ce qu’il a vécu qu’aux informations qui peuvent lui être
fournies par des tiers a pour conséquence de donner un poids important à ces éléments. Ce qui
s’est passé précédemment est stocké dans la mémoire à l’image d’une base de données qui est
réactivée, utilisée et réactualisée lors de chaque nouvelle expérience (Servet, 1994). Servet (1994)
confirme que,
« Les expériences passées, l’histoire, la routine qui permettent de penser que
les bonnes relations passées et l’intérêt de les renouer feront qu’il n’y aura
pas de rupture des engagements pris, qu’il y aura fidélité ».
Par ailleurs, il faut noter que la fiabilité de ces anticipations est d’autant plus limitée que le
niveau de confiance atteint antérieurement avait été soit très élevé, soit très faible (McKnight,
Cummings & Chervany, 1998).
L’apparence : l’apparence renvoie à plusieurs facteurs : la physiologie, le langage
corporel, l’intonation de la voie, la tenue vestimentaire, les traits du visage (Sztompka,
138
1170
1999). Certaines de ces caractéristiques ont une valeur symbolique indiquant le rang
social, le pouvoir… D’autres peuvent être esthétiquement attirantes ou répulsives,
évoquant la spontanéité, la confiance ou au contraire la méfiance et la suspicion. La
confiance induite à partir de telles données est évidemment irrationnelle et ne peut être
qu’affective. Creed & Miles (1996) nous confirment que la règle générale est que les gens
tendent à voir positivement ceux qu’ils perçoivent comme leur étant similaires. La raison
est peut-être qu’on pense pouvoir mieux prédire les comportements des personnes qui
nous ressemblent le plus.
La performance actuelle : la performance réfère aux actions, comportements et
résultats actuels du partenaire. C’est l’observation de l’autre, de sa façon de faire et de se
comporter (Sztompka, 1999). Construire la confiance sur la base d’une extrapolation
d’épisodes observés momentanément est moins fiable, et donc plus risquée, que de se
baser sur l’histoire des interactions passées. La raison est que l’observation de la conduite
actuelle se fait sur le court terme et ne peut rendre compte de la continuité, de la
cohérence et de l’intégrité de l’autre, connues uniquement sur le long terme par le biais
d’interactions répétées qui s’étalent dans le temps (Sztompka, 1999). Dans ce sens, la
performance peut être assimilée à un jugement instantané, alors que l’historique des
interactions passées se rapproche d’un jugement construit sur la base d’une relation
durable.
Les sources de liaisons indirectes
La réputation : fondée sur les informations sur l’Autre fournies par d’autres
individus, réfère aux informations procurées par les parties tierces non engagées
directement dans la relation. Ces personnes agissent comme des conditions de confiance
en constituant des relais d’informations sur les qualités des uns et des autres (McKnight,
Cummings & Chervany, 1998). La réputation, pour sa part, est issue de la conjonction de
messages multiples, mais convergents, portant sur les compétences et/ou les
comportements. Elle est souvent liée à l’appartenance de l’individu à un groupe considéré
comme digne de confiance, mais peut aussi s’appuyer sur des informations
139
personnalisées. Les informations ainsi collectées peuvent être biaisées parce que ces
personnes ont tendance à rapporter et mettre en valeur des informations et les histoires
qu’elles privilégient.
La catégorisation sociale : est l’appartenance de l’Autre à un groupe auquel l’individu appartient
lui-même. Selon Kramer (1999),
« La catégorisation sociale réfère au fait que les individus ont tendance à accorder leur
confiance (ou au contraire être méfiant) à une personne pour la simple raison qu’elle
appartient à une certaine catégorie sociale ou organisationnelle (confiance basée sur
les catégories) ou qu’elle tient un certain rôle (confiance basée sur les rôles) ».
L’univers commun de jugement pourrait être considéré comme un fondement de la notion de
groupe d’appartenance. Par exemple, Boltanski et Thevenot (1991), quant à l’évaluation des
compétences par rapport à l’appartenance à un groupe donné, font remarquer qu’il est primordial
que tous les individus concernés aient la même échelle de valeur quant aux performances à
atteindre.
Néanmoins, si le niveau de confiance est en général relativement élevé lorsqu’il s’agit de faire
face à un environnement défavorable ou hostile, il peut par contre fluctuer considérablement en
fonction des jeux de pouvoir internes au groupe. De ce fait, le niveau de confiance entre des
individus rattachés au même groupe d’appartenance est très variable.
Ces processus de catégorisation donnent lieu à une confiance dépersonnalisée qui se base
essentiellement sur des stéréotypes (McKnight, Cummings & Chervany, 1998).
Les stéréotypes : lorsqu’un individu n’a que très peu d’informations sur son
interlocuteur, les stéréotypes peuvent servir d’hypothèses. Ils positionnent l’Autre dans
une catégorie générale. Les stéréotypes vont entraîner des phénomènes de filtrage des
informations, selon qu’ils sont jugés au départ comme positifs ou négatifs par l’individu
concerné. Les informations complémentaires recueillies in vivo vont influencer la rapidité
de l’apparition de la confiance.
140
Les normes culturelles et sociales : la conformité aux normes culturelles et
sociales constitue une solide base de sécurité du fait de la lenteur des évolutions dans ces
domaines. Par contre, il est parfois difficile de se référer à ces repères du fait de leur
caractère souvent implicite. L’articulation entre identité et confiance a ainsi été mise en
évidence par Ramanantsoa (2001), qui montre bien que le partage d’une identité – et donc
de schémas d’interprétation – facilite l’apprentissage de la confiance, et qu’inversement le
développement de cette confiance renforce le lien social qui structure l’identité.
Les éléments d’assurance et de garantie : l’appréciation du caractère sécurisant du contexte va
être influencée par l’existence d’un cadre formel structurant le comportement d’autrui (Zucker,
1986). Ce sont les organismes, les institutions ou tout autre élément qui atteste ou garantit la
« trustworthiness » du partenaire en question (diplôme, certificat de qualité…) (Servet, 1994).
D’autres cas de figure sont envisageables (McKnight, Cummings & Chervany, 1998) :
L’inscription de l’activité d’autrui dans des normes et des standards de fonctionnement,
définis et contrôlés par une autorité indépendante.
L’existence de garanties offertes par les personnes impliquées (statut social).
La possibilité de recours juridiques pour obtenir réparation d’un éventuel préjudice.
3.2.2.3 Des dispositifs organisationnels gages de confiance
« La confiance est une règle culturelle qui est le
propre des “collectifs sociaux” plutôt que des
relations ou des individus. » (Sztompka, 1999).
Brousseau et al. (1997) distinguent la « confiance personnelle », basée sur un face à face, de la
« confiance système » qui englobe l’ensemble du contexte économique social dans lequel
s’inscrit la relation. À un niveau organisationnel, la culture d’équipe constitue un support culturel
pour la construction de relations de confiance. L’individu selon cette approche est considéré
comme indissolublement lié à son environnement social et institutionnel. Celui-ci est alors
141
1248
considéré comme un acteur qui se situe obligatoirement dans un contexte social dont il connaît
les règles et qui guide ses choix (Rausch, 2001).
La culture de la confiance est définie comme étant un système de règles, normes et valeurs qui
régulent l’accord, le retour et la réciprocité de la confiance et qui résultent d’un processus
d’accumulation et de codification des expériences passées des membres de la société (Sztompka,
1999). « Dans le même sens que la pulsion de confiance est un produit de la biographie
(personnelle), la culture de la confiance est un produit de l’histoire (sociale) ». (Sztompka,
1999).
Pour résumer ce point, nous reprenons les propos de Sztompka (1999) :
« Une fois que la culture de la confiance émerge et devient fortement enracinée dans le
système normatif d’une société, elle devient un facteur puissant influençant les décisions de
faire confiance, aussi bien que les décisions d’honorer ou d’agir réciproquement à la
confiance prise par plusieurs agents, dans différents rôles sociaux, et dans diverses
situations. » (Sztompka, 1999, p. 68).
Pour conclure sur ce paragraphe, notons que chaque courant de recherche privilégie un angle
d’attaque sur un autre. Néanmoins, le phénomène de la confiance pourraient être relevé
simultanément par plusieurs regards. Usunier (2000) retient aussi cette dualité de la dynamique
de la confiance en écrivant qu’ « [elle] a une double nature : il s’agit d’un acte (faire confiance)
mais aussi d’un sentiment (avoir confiance) ».
3.2.3. Conséquences organisationnelles de la confiance
« La confiance est essentielle, non seulement pour
améliorer la performance, mais aussi pour la
soutenir pendant les temps difficiles. Le plus de
confiance vous engendrez, le plus d’individus seront
engagés dans la mission, les objectifs et les résultats
à atteindre. Sans confiance, il n’y a pas de prise de
142
risque, pas d’implication, pas d’empowerment et pas
de travail de collaboration en équipe. » (Buzotta,
1998, p. 8)
Dans cette partie, nous allons discuter des conséquences de la confiance pour les deux partenaires
en interaction, ainsi qu’au niveau de l’organisation (confiance –contrôle et évaluation).
Bénéfices de la confiance pour les deux partenaires
Plusieurs chercheurs confirment les bénéfices qu’apporte une relation de confiance pour les deux
partenaires. Si l’installation de la méfiance donne naissance à l’isolement et la perte
d’opportunités, la confiance au contraire permet d’avoir des résultats inaccessibles autrement,
favorise le partage de l’information et engendre un sentiment de sécurité (Gilbert & Li-Ping
Tang, 1998). Néanmoins, la confiance ne peut être bénéfique que si elle s’avère bien placée,
comme la méfiance n’est désavantageuse que si elle s’avère injustifiée.
Certains auteurs mettent en avant le lien entre la confiance et la réputation au sein d’un groupe, et
considèrent la réputation comme étant le premier avantage marquant de la confiance. Le
« trustee » qui gagne le développement d’une réputation positive lui permettra de créer d’autres
relations avec d’autres opportunités futures (Sztompka, 1999). Ceci n’exclut pas les
inconvénients de cette relation (confiance-réputation). En effet, celui qui a abusé de la confiance
de l’autre se verra exclu du groupe ou de la communauté à laquelle il appartenait (Elangovan &
Shapiro, 1998). Dans ce contexte, bien que jouissant des gains associés au comportement
opportuniste, il verra sa réputation atteinte, ce qui limitera les opportunités futures d’interaction
qui s’offriront à lui (Drucker, 1999).
D’autre part, Sztompka (1999) nous explique que la méfiance qui s’avère justement placée
permet au « trustor » de se protéger et de se prémunir contre les actes d’abus du partenaire et est
donc dans ce sens une action justifiée et bénéfique. Une méfiance qui s’avère être mal placée va,
143
1326
quant à elle, priver les deux partenaires des bénéfices éventuels de la collaboration et, peut être
source d’isolement pour le « trustor ».
La confiance et le contrôle
La relation entre confiance et contrôle a fait débat dans la littérature. Certains chercheurs
(Rousseau & al., 1998) ne considèrent pas la confiance comme un mécanisme de contrôle, mais
plutôt comme un substitut au contrôle qui reflète une attitude positive concernant les motifs de
l’autre. Ces auteurs suggèrent que le contrôle n’entre en jeu que si le niveau de confiance requis
n’est pas présent. Pour eux, le contrôle apparaît comme le signe de l’absence de confiance et peut
même faire obstacle à son émergence en limitant le degré d’indépendance entre les partenaires.
Par ailleurs, la définition donnée par Mayer et al. (1995) montre que c’est dans l’impossibilité de
prédire et de contrôler les actions de l’autre que la confiance naît. Il explique que pour être en
confiance, la volonté d’être vulnérable doit exister indépendamment des possibilités de contrôle.
La confiance, dans ce sens, semble constituer un substitut fonctionnel du contrôle plutôt qu’un
troisième mécanisme de contrôle.
Une confiance sociale assise de l’évaluation
Au sein d’une organisation, et notamment les cabinets d’audit, l’évaluation se rattache à des
objectifs individuels ou à des standards prédéterminés. Elle représente un contrôle anticipé qui
suit déclinaison de la stratégie. L’évaluation définit les termes des sanctions et des récompenses
destinées aux acteurs suite à la recherche des objectifs collectifs. Pour cela, l’axe de l’évaluation
est renforcé par une confiance sociale de nature comportementale afin d’impliquer et de favoriser
la justice et l’intégrité. (Khlif, 2000)92.
92 « Processus de construction de la confiance et configuration de contrôle de gestion ». Publié dans "Revue Tunisienne des Sciences de Gestion 7 (2000) 2-14"
144
D’une part, au sein d’une organisation le système de rôles, de règles et de structures créé par le
sommet hiérarchique déterminent les normes et les règles de la confiance. A travers ces
processus organisationnels, le sommet de la hiérarchie impose les règles que les acteurs doivent
adopter et reproduire socialement pour construire la confiance au sein de l’organisation.
La confiance développée légitime la relation d’autorité. On passe d’une autorité imposée
(mécanismes de la coordination hiérarchique) à une autorité acceptée (fondements de son
application par ceux qui s’y soumettent) (Jameux, 1998). Ce type de confiance accroît
l’acceptation des procédures et des dénouements des situations conflictuelles interindividuelles.
D’autre part, l’engagement dans l’action managériale se trouve conditionné par la constitution de
la confiance sociale. Elle pourrait donc être considérer comme un support et la manifestation du
lien social qui a pour effet de « garantir les contre-valeurs concrètes des marques symboliques
pour lesquelles les acteurs ont cédé le produit de leur travail » (Tiran, 1996). Khlif 2000 nous
confirme que,
Le contrôle est enrichi d’une relation de confiance qui aide à la visibilité que
chacun offre de son comportement dans le groupe et qui en assure la
régularité. D’une part, l’évaluation est acceptée grâce à un mécanisme
d’activation de la confiance sociale. Cette dernière est donc la garante de la
régulation sociale au sein de l’organisation. Il y a dans cette forme de
confiance une mobilisation des valeurs de transparence, d’engagement et
d’implication des partenaires.
D’autre part, l’évaluation équitable renforce l’assise de la confiance sociale.
Le mécanisme de renforcement traduit la négociation qui se développe entre
les acteurs. Cette boucle est validée dans le temps, mais peut se rompre dès
lors que l’un des deux mécanismes est fragilisé.
3.3- La réputation, médiation sociale et garantie à la confiance
145
Il est à remarquer que ce que l’on sait d’une personne n’est pas uniquement issu d’une relation
duale. Cette dernière est souvent parasitée par ce qu’on nomme communément la réputation qui
n’est rien d’autre qu’une information véhiculée par d’autres, et qui, venant s’ajouter à
l’information directement acquise, peut inciter à la confiance ou au contraire à la méfiance. La
dynamique de la confiance ne peut en effet se construire que dans une complexité relationnelle
associant confiance et méfiance.
3.3.1. Confiance et réputation selon le modèle de Kreps
La théorie des jeux, dans les modèles dits à réputation, repose sur des jeux répétés avec asymétrie
de l’information entre les joueurs, où la construction d’une réputation de comportement peut
inciter à la coopération (D. Kreps, P. Milgrom, J. Roberts et R. Wilson, 1982).
146
1404
390
Encadré 5 : Le modèle de Kreps (repris de S. GUENNIF)93
Kreps analyse les jeux répétés infiniment entre n joueurs. Dans ce cadre, il soutient
que la répétition des transactions permet d’introduire un mécanisme auto-
renforçant pour fonder la confiance et garantir le déroulement des échanges
dans le cadre d’un arrangement privé. La réputation est ce mécanisme.
Les jeux analysés par Kreps sont particuliers. Ils tiennent à la fois du jeu à un coup
et du jeu répété infiniment. Les hypothèses du modèle de Kreps sont les
suivantes :
(i) Le jeu est, à première vue, ponctuel dans la mesure où un individu A i doit
décider d’accorder sa confiance à B. On considérera que l’individu B est un
producteur de drogue et l’individu Ai est un acheteur. La transaction comporte
un risque de hold-up : les partenaires peuvent se montrer opportunistes pour
capter la rente. Ce risque de hold-up mobilise la confiance94.
En effet, Ai sait que s’il décide d’interagir avec B, celui-ci peut opter pour un
comportement opportuniste. Dans ce cas, B obtiendrait une part considérable de
la rente et infligerait des pertes plus ou moins importantes à A i. En ce sens, la
confiance de Ai est une prise de risque liée aux intentions possiblement
malhonnêtes et préjudiciables de B (Luhmann, 1979 ; Coleman, 1990).
(ii) Le jeu est répété : le producteur B doit décider d’honorer ou de trahir la confiance
des acheteurs A1, A2, A3, …, An. Le jeu commence par une transaction ponctuelle
93 S.GUENNIF, « Cadre d’analyse et mode de coordination des transactions illicites de drogue : Réseau et confiance - Une relecture d’un modèle de réputation », Crei-Leii, Cnrs-Fre 2148.Université Paris-Nord.
94
147
Encadré 1 : Le modèle de Kreps (repris de S. GUENNIF)95 (Suite 1/3)
entre A1 et B et se poursuit par une transaction entre A2 et B, etc. Ainsi, « au lieu
d’avoir un individu qui offre sa confiance et un second qui l’honore ou la trahit,
nous avons une série d’individus A qui doivent choisir d’accorder ou non leur
confiance à un seul partenaire B » (Kreps, 1990a, p. 106).
(iii) Enfin, Kreps suppose que le jeu est infiniment répété : il y a une
probabilité p de 90 % qu’une nouvelle transaction succède à celle en cours.
Ces trois hypothèses établies, Kreps définit la réputation comme l’histoire
du comportement d’un individu envers ses partenaires. Elle véhicule
l’information pertinente sur le comportement de B lors des transactions
précédentes vers les acheteurs qui envisagent d’accorder leur confiance et
d’échanger avec lui. La réputation admet deux valeurs : intacte ou souillée. Le
producteur B a une réputation intacte lorsqu’il a honoré la confiance des
acheteurs lors des transactions précédentes. En revanche, si au cours de ces
transactions, le producteur B a abusé de la confiance d’un seul de ses
partenaires, alors il acquiert à jamais une réputation souillée.
95 S.GUENNIF, « Cadre d’analyse et mode de coordination des transactions illicites de drogue : Réseau et confiance - Une relecture d’un modèle de réputation », Crei-Leii, Cnrs-Fre 2148.Université Paris-Nord.
148
Suivant le modèle de Kreps, la réputation produit un lien de confiance entre chaque
Ai et B. Cette confiance motive les comportements coopératifs des acteurs et
permet le déroulement de l’échange illicite. Or, le raisonnement est plus
complexe qu’il n’y paraît. Toute échange entre chaque Ai et B se déroule à la
faveur de multiples liens de confiance. Pour expliciter au mieux ce point,
considérons un échange illicite particulier : l’acheteur A2 doit décider
d’échanger avec le producteur B.
Encadré 5 : Le modèle de Kreps (repris de S. GUENNIF) 96 (2/3)
Cette confiance première entre A2 et A1 est une condition nécessaire pour que
la confiance entre A2 et B s’établisse. En ce sens, A1 est ce que Coleman appelle
un « intermédiaire en confiance » (1990, p. 180). La confiance qui lie A2 et B
est de nature médiate. Elle passe par l’établissement d’un lien préalable de
confiance entre A2 et A1. Dans le cas du narco-trafique, on peut avancer que B
pourra échanger avec A2 si et seulement s’il honore la confiance de A1 et si
celui-ci accepte de le mettre en contact avec d’autres acheteurs potentiels, à
commencer par A1. Autrement dit, l’échange entre B et A2 est tributaire d’un
parrainage de la part de A1.
Dès lors que sont révélés deux liens de confiance pour assurer le déroulement
de la transaction, on doit envisager l’existence d’une « chaîne de confiance »
(Coleman, 1990).
En conclusion, le déroulement de la transaction illicite entre chaque acheteur A i et
le producteur B n’est pas conditionné par un lien unique et unilatéral de
confiance entre ces deux individus comme le propose Kreps. La transaction est
96 S.GUENNIF, « Cadre d’analyse et mode de coordination des transactions illicites de drogue : Réseau et confiance - Une relecture d’un modèle de réputation », Crei-Leii, Cnrs-Fre 2148.Université Paris-Nord.
149
1482
tributaire d’une multitude de liens de confiance unilatéraux et mutuels : A2
accorde sa confiance à B et échange de façon illicite avec lui s’il fait confiance
à ses pairs, les Ai et si ses pairs, les Ai, lui font confiance. Si l’une de ces
conditions est levée, A2 n’accorde pas sa confiance à B, n’échange pas avec lui
et renonce finalement à la rente.
Encadré 5 : Le modèle de Kreps (repris de S. GUENNIF) 97 (3/3)
Figure 12: Une synthèse sur le contenu restreint et élargi du modèle de réputation de Kreps
97 S.GUENNIF, « Cadre d’analyse et mode de coordination des transactions illicites de drogue : Réseau et confiance - Une relecture d’un modèle de réputation », Crei-Leii, Cnrs-Fre 2148.Université Paris-Nord.
150
3.3.2. La réputation dynamique de la confiance
J. Brewer et L. Fontaine (1997) confirment que le souci de l’apparence est un des moyens
privilégiés que le marchand migrant utilise pour attirer la confiance : elle est son premier
« capital », le reflet de son avoir et, par là même, elle témoigne du crédit qui peut lui être accordé.
Il précise que le bon négociant, en plus de ses qualités de la rationalité économique, doit projeter
un certain type de personnalité. Dans ce sens ils confirment que The tradesman’s Director publié
en 1756 s’exprime ainsi :
Étapes de l'échange illicite dans unevision atomistique
Étapes de l'échange illicite dans unevision holiste
A 2 accorde saconfiance à B
l'échange illicitede drogue a lieu
B valorise saréputation
Les A iobserventdes règles
sociales
B valorise saréputation
A 2 accorde saconfiance à B
l'échange illicite dedrogue a lieu
La réputation, mécanisme auto-exécutoire, est le fondement de laconfiance.La confiance entre A 2 et B assure ledéroulement de l'échange illicite.Les motivations égoistes sont le moteurde l'action économique.
Réputation et confiance entre les A iproduisent la confiance entre A 2 et B.Cette confiance débouche sur l'échangeillicite.Les motivations égoïstes (maximisation desgains) et les motivations non égoistes(solidarité) sont le moteur de l'actionéconomique.
151
« Le crédit, ce bijou du commerce, cette fleur si fragile, ne peut être cultivée avec trop de
soin et comme sa possession si précieuse dépend du bon vouloir des autres, la conduite
du marchand dans son entourage et envers ses pairs doit être telle, qu’outre la
connaissance des règles du calcul, il cultive une bonne volonté générale et l’amitié pour
s’attirer le respect et se concilier l’affection des autres ; de cette bonne renommée
dépendra dans de nombreuses occasions la justice et la courtoisie qui lui sera
donnée. »98
Par ailleurs, la réputation est issue de la conjonction de messages multiples, mais convergents,
portant sur les compétences et/ou les comportements. Dans ce sens, Blois (1999) confirme que la
réputation favorise plusieurs croyances de la confiance, comme la compétence, la bienveillance,
l’honnêteté et la prévisibilité (Blois, 1999). Elle est souvent liée à l’appartenance de l’individu à
un groupe considéré comme digne de confiance, du simple fait d’appartenir à une structure
réputée comme compétente, mais peut aussi s’appuyer sur des informations personnalisées. Ceci
peut favoriser la perception de la dignité de confiance et de la compétence vis-à-vis de la
personne en face.
D’autre part, B. Baudry (1995) parle de la répercussion d’un capital bonne réputation,
« La réputation représente un stock important de valeur qui peut être détruit
par des comportements opportunistes. La réputation est donc une incitation
forte à un comportement loyal qui doit produire la confiance. » (B. Baudry,
1995, p. 92).
La réputation permet de détecter tout comportement potentiellement opportuniste et de
construire la confiance dans les relations à long terme (Blois, 1999).
98 The Tradesman’s Director, or the London and Country shopkeeper’s Companion, London, W. Ower, 1756, p. 9-
10.
152
Ensuite, la réputation se construit sur le long terme, afin de sauver des coûts futurs. La réputation
est, dans ce sens, considérée comme étant un investissement qui impose de renoncer à des gains à
court terme. Ce n’est que sur la base d’une expérience durable que les parties peuvent être
certaines de la tricherie ou de la non-tricherie d’un agent, car la tricherie est souvent une pratique
couverte. La réputation la plus précieuse paraît être la réputation de patience réciproque : ne
jamais être le premier à abandonner, mais toujours réprimander celui qui triche. (P.J. Buckley et
M. Casson, 1988).
Enfin, la réputation fournit une partie des informations relatives à une organisation avant la
prise de contact. Elle consiste dans le résultat du comportement passé de l’organisation (Misztal,
1996). Elle permet d’anticiper le comportement futur de l’autre (Blois, 1999). Ensuite, c’est cette
réputation qui va permettre l’instauration de la confiance (Anderson et Weitz, 1989 ; Granovetter,
1985 ; Shapiro, 1987).
153
1560
Synthèse du chapitre II :
À travers ce chapitre, nous avons développé notre cadre d’analyse – les réseaux sociaux –
autour de la notion des trois éléments que nous avons jugés pertinents pour l’analyse de
notre problématique : le capital social, la réputation et la confiance.
Ce cadre permet de se détacher des concepts abstraits de l’école classique autour de la
qualité de l’audit légal et de jeter un regard nouveau sur le fonctionnement d’un cabinet
d’audit. En même temps, cette conception que nous qualifions de classique représente le
point de départ incontournable de notre travail et de notre questionnement. Partant d’une
vision traditionnelle de l’audit, de la qualité de l’audit pour en arriver aux compétences de
l’auditeur, nous chercherons in fine à réinscrire ces compétences dans le tissu de relations
sociales internes à un cabinet.
L’analyse du réseau social sera mise au centre de la méthodologie et de l’étude de terrain.
En se fondant sur le modèle de Kreps, la confiance et la réputation sont apparues comme
les principaux ingrédients de la constitution du capital social, une des principales
ressources des réseaux. La confiance et la réputation aideraient à la constitution des
réseaux permettant ainsi l’intégration de l’auditeur dans un ou des réseaux.
Par ailleurs, à travers la revue de la littérature, le capital social s’impose comme un moyen
aidant à la progression dans la vie sociale.
Nous utilisons un détour pour interroger l’acquisition, le développement et la valorisation
des compétences telles que définies dans la littérature en lien avec la progression de
l’auditeur dans sa carrière professionnelle ; ces compétences étant destinées en partie à
assurer un audit de qualité, il semble naturel qu’elles soient un élément essentiel de la
promotion de l’auditeur. Pour reprendre plus précisément notre questionnement : quelle est
l’importance des réseaux sociaux dans la carrière de l’auditeur ? Quelle peut être la place
donnée à la compétence par rapport aux réseaux sociaux ? Le réseau peut-il masquer des
incompétences ? La capacité à intégrer et à fonctionner au sein d’un réseau est-elle une
compétence ?
154
Chapitre 3
Cadre méthodologique
Introduction
Comme nous venons de le présenter, nous nous proposons, dans le cadre de cette thèse, d’étudier
le comportement des auditeurs et leur interaction en termes de réseaux et son impact sur la qualité
de l’audit légal dans la pratique du cabinet Audit & Co. Après avoir examiné les résultats des
recherches théoriques et empiriques antérieurs, et assemblé les outils théoriques pour analyser
notre objet, nous présentons dans ce chapitre la démarche méthodologique que nous avons suivie
pour atteindre notre objectif de recherche.
Huit entretiens exploratoires menés notamment auprès d’auditeurs financiers nous ont permis de
confirmer l’intérêt d’un tel sujet et d’affiner notre appréhension de ce phénomène. En outre, au
regard de la sensibilité du sujet, ils nous ont confirmé l’intérêt d’étudier ce phénomène dans le
cadre d’une étude longitudinale. En effet, ce phénomène né des interactions entre les individus,
ne peut, selon nous, être appréhendé complètement sans une compréhension de l’environnement,
du contexte et de ses acteurs. L’observation des comportements dans la durée, la mise en
confiance des interviewés et l’obtention de données sensibles nécessaires à ce type d’étude sont
autant d’éléments qui confortent ce type de démarche de recherche.
Ainsi, le présent chapitre a été structuré en trois parties. Nous commencerons par exposer notre
positionnement épistémologique par rapport aux différentes approches en sciences de gestion et
nos choix méthodologiques (I). L’objectif de la première partie sera de présenter le socle
épistémologique de notre démarche de recherche. La deuxième partie (II) abordera les méthodes
de collecte et d’analyse des entretiens exploratoires et leurs résultats. Enfin, la troisième et
155
dernière section présentera (III), de façon détaillée, la méthodologie employée dans le cadre de
notre étude de cas. Nous préciserons, à chacune des étapes, les précautions prises pour nous
assurer de la validité et de la fiabilité de la recherche.
156
I. Positionnement épistémologique et choix méthodologiques
Cette section vise à présenter le positionnement épistémologique et le choix méthodologique de
notre recherche. Elle s’organise en trois sous-parties. Nous présenterons : le cadre général des
recherches en sciences de gestion (1.1), le positionnement épistémologique (2.2) et les choix
méthodologiques afférents (1.3).
1.1. Les démarches de recherches en sciences de gestion – Panorama épistémologique
Selon Herman (1998) (cité par Wacheux, 199699, p. 38), l’épistémologie est une science des
sciences ou une philosophie de la pratique scientifique sur les conditions de la validité des savoirs
théoriques. Dans le quotidien du chercheur, c’est simplement pouvoir à tout moment légitimer sa
recherche sur le phénomène étudié. Dans ce sens, Wacheux (1996) précise que :
« L’épistémologie est une autorisation de parler et de se faire entendre. Enfin,
adopter une épistémologie, donc des guides pour l’action de recherche, permet
de se démarquer des consultants, des dirigeants ou des journalistes qui parlent
de l’entreprise au seul titre de leur praxis ou de leurs expériences ». (Wacheux,
1996).
Au moment de l’élaboration d’une recherche, la discussion épistémologique se concrétise par une
prise de position pour l’un des quatre grands paradigmes principaux présentés dans le tableau ci-
dessous :
99 Frédéric WACHEUX (1996), « Méthodes qualitatives et recherche en gestion », Ouvrage, Economica.
157
Tableau 5: Les principaux paradigmes de l’épistémologie
Source : À partir de De Bruyne et al. (1974), cités par Wacheux (1996)
Commençons par préciser en introduction, avant de revenir sur la distinction entre positivisme et
constructivisme que cette thèse ne s’inscrit pas dans le cadre de la sociologie compréhensive,
dans le sens où nous ne cherchons pas à expliquer le sens de l’activité individuelle ou sociale qui
s’exprime par les intentions des acteurs (conscience, valeur, normes, motivations, contraintes).
Notre recherche ne s’insère pas non plus dans le courant fonctionnaliste, puisque nous ne
cherchons pas à découvrir les fonctions de l’entité observée et les rôles qu’elle assume.
1.1.1. Paradigme positiviste
Avec leur article de 1978, Ross L. Watts et Jerold L. Zimmerman, deux professeurs de
l’université de Rochester, ont initié un puissant courant de recherche désigné sous l’expression de
théorie positive ou de théorie politico-contractuelle de la comptabilité. Ils ont en outre fondé en
1979 le Journal of Accouting and Aconomics, qui est l’un des vecteurs de diffusion de ces
recherches.
Watts et Zimmerman proposent le développement d’une théorie positive de la comptabilité dont
l’objet est, selon la définition énoncée par Jensen (1976),
Epistémologie Approche du réel
PositivisteRechercher les lois et les régularités qui gouvernent les faitssociaux par l'observation de données d'expériences.
Sociologie compréhensiveExpliquer le sens de l'activité sociale des individus, des groupesou de la collectivité par la réalisation des intentions conscientesou inconscientes des acteurs.
FonctionnalisteRepérer les formes permanentes de la vie sociale et culturelle,par l'émergence des rôles, des normes et des structuressociales.
Constructiviste (Structuraliste)Repérer et expliquer les propriétés intrinsèques de certainsordres sociaux et poser les problèmes en termes de méthode.
158
1638
« d’expliquer pourquoi la comptabilité est ce qu’elle est, pourquoi les
comptables font ce qu’ils font, et quels effets ces phénomènes ont sur les gens
et sur l’allocation des ressources ».
Évaluant toute théorie à son aptitude explicative et prédictive, l’école de Rochester a délaissé
l’étude des objets comptables (états financiers, principes ou méthodes comptables) et focalise son
attention sur les choix effectués par les acteurs – dirigeants ou normalisateurs – de la
comptabilité. La théorie positive de la comptabilité tend à expliquer et à prédire le comportement
des producteurs et des utilisateurs de l’information comptable, dans le but ultime d’éclairer la
genèse des états financiers (Casta, 2000)100.
Dans leur article de 1978, publié dans the Accouting Review et intitulé « Towards a positive
theory of the determination of accouting standards » [« Vers une théorie positive de la
détermination des normes comptables »], ils exposent la problématique de recherche devant
conduire à cette théorie positive suggérée par Jensen. Cette problématique, empruntée à la fois à
la théorie de l’agence et à la théorie de la réglementation, se focalise sur les choix comptables de
l’entreprise.
Leur démarche se présente comme suit :
100 J.F Casta, « Théorie positive de la comptabilité », in Encyclopédie de Comptabilité, Contrôle de gestion et Audit,
sous la direction de B.COLASSE, Economica, pp. 1221-1232.
159
Observation des pratiques
Modélisation
Formulation d’hypothèses testables
Construction de tests
Empirisme
Validation (ou infirmation) des différentes propositions
Inspiré de : « Théorie positive de la comptabilité » J.C Casta, 2000
1.1.2. Paradigme constructiviste
Nous optons pour un paradigme de recherche à dominante constructiviste. Selon Piaget (1968), la
pensée humaine, fruit d’un construit progressif de l’individu, naît de contacts répétés avec le
monde, permettant le développement d’unités élémentaires de l’activité intellectuelle, appelés
schèmes. Ces derniers, définis comme l’organisation d’une action, permettent de conforter une
première expérience lorsque cette dernière se répète, peuvent la modifier ou vont contredire les
faits déterminés a priori. Le sujet devient le cœur du processus de recherche, l’incitant à revêtir le
rôle d’acteur principal puisque ce dernier construit sa connaissance en fonction d’interactions
avec son environnement.
Le chercheur produit des explications, qui ne sont pas la réalité, mais un construit sur le construit
de réalité des acteurs, susceptible de l’expliquer (Wacheux, 1996). L’environnement se construit
dans les représentations des acteurs. Les conceptualisations, les discours des acteurs, donc toutes
les manifestations visibles sont des représentations du réel à l’origine de l’émergence du
questionnement.
160
Dans ce sens, Giddens (1984, cité par Wacheux, 1996) précise que le projet de connaissances
suppose d’expliciter les expériences individuelles et collectives perpétuellement mobilisées dans
les actions quotidiennes.
1.2. Positionnement épistémologique
Notre recherche consiste à étudier les déterminants clés de la compétence à chaque étape du
processus de l’audit et à chaque grade dans un cabinet d’audit.
Selon Usinier et al. (1993 p. 33)101 la démarche hypothético-déductive se définit comme la
science qui procède en posant comme hypothèses des lois fondamentales et ensuite en déduisant
quels types d’observations démontreront la vérité ou la fausseté de ces hypothèses. Nous n’avons
pas émis d’hypothèse, nous cherchons plutôt à définir ce qui peut déterminer la qualité de l’audit
légal à chaque étape du processus de l’audit, en s’intéressant plus particulièrement au concept de
la compétence.
Wacheux (1996) précise que pour les positivistes, la connaissance se base sur l’observation et
l’expérience des faits sociaux, considérés comme des choses. Le chercheur construit un système
hypothético-déductif (De Bruyne et al., 1974, cités par Wacheux, 1993) avant de le confronter à
des situations empiriques supposées représentatives.
Notre étude est loin de cette démarche, nous nous situons plutôt dans le courant constructiviste
dans la mesure où, par les entretiens et l’observation participante, nous essayons de repérer et
d’expliquer les déterminants de la compétence dans le processus de l’audit et l’impact des
réseaux sociaux sur cette notion.
1.2.1. Une perspective interprétative
L’interprétativisme propose une démarche de recherche compréhensive, telle qu’elle a été fondée
par Weber (1965) avec la notion de Verstehen (comprendre) :
101 J.C. USINIER, M.E.EASTERBY-SMITH, R.THORPE (1993), « Introduction à la recherche en gestion »,
Ouvrage, Economica.
161
1716
« Par opposition au positivisme, la sociologie compréhensive postule que l’étude
du social suppose une volonté réelle de le comprendre, avant de l’expliquer.
Les activités individuelles ou sociales s’expriment par les intentions des
acteurs (conscience, valeurs, normes, motivations, contraintes). Le sens que les
personnes donnent à leurs actes constitue le véritable objet de recherche. »
(Wacheux, 1996).
Le critère de validité d’une telle étude résulte de deux critères principaux selon Pierret et Séville
(2003, p. 29) :
« Du caractère idiographique102 des recherches et d’autre part des capacités
d’empathie que développe le chercheur. » (Perret et Séville, 2003, p. 29).
La compréhension de la réalité sociale par le chercheur passe notamment par la compréhension
des intentions et des motivations des individus participant à la création de leur réalité sociale et
du contexte de cette construction, compréhension qui, seule, permet d’assigner un sens à leurs
comportements (Schwandt, 1984).
Le cadre paradigmatique de notre recherche est donc d’essence interprétativiste. Nous
considérons en effet, que ce phénomène né des interactions entre les individus, ne peut être
appréhendé complètement sans une compréhension de l’environnement, du contexte et des
acteurs. De surcroît, la revue de littérature (chapitre I) révèle que les approches positivistes sur ce
domaine, n’ont pas permis d’aboutir à des théories suffisamment robustes pour expliquer
totalement ce phénomène.
On notera que la principale limite attribuée aux recherches interprétativistes est le manque de
généralisation des résultats. Toutefois, certains chercheurs contestent cette affirmation. C’est le
102 Les recherches idiographique se distinguent des recherches de type nomothétique par le fait qu’elles s’intéressent
à des évènements singuliers, alors que les secondes se concentrent sur la recherche de lois générales en étudiant
l’aspect général, régulier et récurrent des phénomènes. Une recherche présente un caractère idiographique si les
phénomènes sont étudiés en situation. La compréhension du phénomène est alors dérivée du contexte.
162
cas de Walsham (1995), qui suggère que la nature de la généralisation est différente entre
approche positiviste et interprétativiste. Et même en nous focalisant sur un seul cas, les
conclusions seront dans tous les cas non généralisables et encouragent en prolongement de la
thèse l’ajout d’autres terrains de recherche.
1.2.2. L’abduction comme démarche de recherche
Nous adoptons la définition de Koenig (1993, p. 7) :
« L’abduction est l’opération qui, n’appartenant pas à la logique, permet
d’échapper à la perception chaotique que l’on a du monde réel par un essai de
conjecture sur les relations qu’entretiennent effectivement les choses. Alors
que l’induction vise à dégager des régularités indiscutables, l’abduction
consiste à tirer de l’observation des conjectures qu’il convient ensuite de tester
et discuter. » (Koenig, 1993).
L’approche abductive est ainsi définie comme un mode de raisonnement spécifique dont
l’objectif est d’élargir la connaissance scientifique par l’exploration des faits que l’on peut
qualifier de surprenants et qui se distinguent par un processus d’itérations successives entre la
théorie et la pratique. Notre démarche de construction théorique peut ainsi être qualifiée
d’abductive (Koening, 1993), où des allers et retours entre le cadre conceptuel et les données
issues du terrain se font en permanence.
En effet, si nous avions une idée de notre sujet de recherche au début de notre travail – Le rapport
du commissaire aux comptes produit final du processus de l’audit légal – nous n’avions pas de
cadre conceptuel prédéterminé, ni une problématique figée, comme c’est le cas de la démarche
hypothético-déductive. Nous n’avons pas non plus adopté une démarche inductive qui consiste à
faire table rase des connaissances antérieures sur un sujet donné. Tout au long du processus de
collecte des données, nous nous sommes efforcés de nous laisser guider par nos observations et
d’analyser les données au fur et à mesure de leur recueil, en procédant à des allers-retours entre
les données du terrain et la littérature. Cette démarche d’exploitation est adaptée à notre
recherche, puisque notre thèse porte sur un domaine mal connu : la compétence des auditeurs du
terrain.
163
Notre question de recherche a ainsi émergé progressivement et s’est précisée au fur et à mesure
de la collecte et de l’analyse des données, selon un cycle itératif d’induction et de déduction, avec
une prise en compte déterminante en fin de thèse de la théorie des réseaux pour questionner in
fine la notion de la compétence de l’auditeur. Nous présenterons de façon détaillée le processus
itératif qui caractérise notre démarche de recherche dans les sections de ce chapitre consacrées à
la collecte et l’analyse des données.
1.3. Les choix méthodologiques
L’objectif de ce paragraphe est de présenter nos choix méthodologiques et notamment notre
stratégie d’accès au « réel » pour réaliser notre projet. Nous mobilisons une méthode qualitative,
qui nous conduit à étudier en profondeur un cas unique sur une durée de quatre ans.
1.3.1. Choix d’une méthode qualitative
Nos choix méthodologiques ont largement été influencés par les caractéristiques du matériau
théorique à partir duquel nous avons construit notre recherche. Notre cadre théorique est à la fois
nourri par une analyse de la littérature concernant la qualité de l’audit légal et sur la théorie des
réseaux sociaux en se fondant sur le modèle de Kreps. Notre recherche vise dans un premier
temps à comprendre de l’intérieur une organisation et à saisir l’influence des réseaux sociaux sur
la vie de l’auditeur et sur sa progression au sein de l’organisation.
Pour l’étude d’un tel phénomène, Blanchette (2001) confirme la nécessité d’avoir recours à un
mode de recherche fondé sur une observation pour une durée relativement longue, plutôt que
l’administration de questionnaires.
« L’idéal aurait été une étude en cours de processus budgétaire, ce qui aurait
possiblement permis une description et une évaluation plus précise des marges
de manœuvre budgétaires souhaitées et créées... Pour ce faire, il aurait fallu
consacrer une période de temps plus ou moins longue (selon le processus
budgétaire en place dans l’entreprise) à l’observation du comportement des
individus. » (Blanchette, 2001, p. 249).
164
1794
Briers et Hirst (1990) soutiennent que les études quantitatives avec utilisation de questionnaires
transversaux échouent pour une part quant à rendre compte de la dynamique des systèmes de
gestion dans le temps :
« Les questionnaires donnent très rarement de l’information valable sur des
variables sensibles et confidentielles comme celle liées aux comportements
politiques, irrationnels et/ou dysfonctionnements. » (Briers et Hirst, 1990).
Nous optons pour une démarche qualitative. L’analyse qualitative, définie comme
« une démarche discursive de reformulation, d’explication ou de théorisation
d’un témoignage, d’une expérience ou d’un phénomène », ne nécessite aucune
quantification pour être valide même si cette dernière peut être mobilisée,
souhaitant davantage poursuivre un objectif de « découverte » et de
« construction de sens » » (Paillé, Mucchielli, 2003).
Wacheux confirme que
« La mise en œuvre d’un processus de recherche qualitatif, c’est avant tout
vouloir comprendre le pourquoi et le comment des événements dans des
situations concrètes » (Wacheux 1996, p. 15).
Notre recherche tente également de comprendre la place de la compétence par rapport à la
constitution des réseaux sociaux au sein d’un cabinet d’audit.
« L’approche qualitative admet à la fois, la subjectivité du chercheur et celle
des sujets. Elle offre l’opportunité d’une confrontation avec les réalités
multiples car elle expose plus directement la nature de la transaction entre
l’investigation et le sujet, et permet une meilleure évaluation de sa posture
165
d’interaction avec le phénomène décrit. » (Lincon et Guba, 1985, cités par
Thietart, 1999).
Dans cette perspective, la confrontation avec la réalité nous permettra d’approfondir notre
recherche exploratoire, en l’absence de théories mobilisables, comme première étape d’une
reconfiguration des connaissances dans le domaine.
« L’éthique méthodes qualitatives est un terme général couvrant une batterie
de techniques interprétatives qui cherchent à décrire, décoder, traduire,
autrement dit s’attacher au sens, et pas à la fréquence, de certains
phénomènes sociaux plus au moins naturels. Opérer dans un mode qualitatif
c’est traiter avec des symboles linguistiques et, en faisant cela, tenter de
réduire la distance entre ce qui est indiqué et l’indicateur, entre la théorie et
les données, entre le contexte et l’action. Le matériau brut des études
qualitatives est ainsi généré “in vivo”, proche du point d’origine. » (Van
Maanen, 1979b, p. 520).
Les méthodes qualitatives sont des méthodes des sciences humaines qui recherchent, explicitent,
analysent des phénomènes (visibles ou cachés). Ces derniers, par essence, ne sont pas mesurables
(une croyance, une représentation, un style personnel de relation à autrui, une stratégie face à un
problème, une procédure de décision…). Ils ont des caractéristiques spécifiques des « faits
humains » (Mucchielli, 1994).
Le choix d’une démarche qualitative s’inscrit également dans le prolongement de notre
positionnement épistémologique interprétatif. Comme le soulignent Charreire et Durieux (2003),
bien que l’exploration ne présuppose pas le choix a priori d’un dispositif méthodologique
qualitatif ou quantitatif, les méthodologies qualitatives sont plus courantes pour l’exploration
parce que plus efficaces, compte tenu de la finalité de la recherche dans ce cas, à savoir la
construction d’un cadre théorique plutôt que son test.
166
1872
Au final, dans le cadre de notre recherche, les méthodes qualitatives de recueil de données se sont
donc imposées comme un des moyens les plus pertinents d’accès au réel.
1.3.2. Analyse longitudinale
Le recours à l’analyse longitudinale, qui consiste à étudier un phénomène au cours du temps,
nous a paru comme un moyen pertinent permettant l’instauration d’un climat de confiance avec
les acteurs étudiés. En effet, eu égard à sa sensibilité, l’étude de la constitution des réseaux
nécessite l’instauration d’un climat de confiance entre le chercheur et les sujets capables de
dévoiler certaines informations riches pour le sujet de notre recherche. Ce climat de confiance
serait conditionné par une proximité avec ces interlocuteurs.
Forgues et al. (2003, p. 422) qualifient de longitudinale
« Une famille d’analyse visant à l’étude d’évolutions au cours du temps. Les
évolutions peuvent concerner des organisations, des individus, des concepts
ou des variables ; elles constituent l’origine des données à analyser (Forgues
et al., 2003, p. 422).
En reprenant la définition de Menard, Forgues et al. (2003, p. 423) l’étude longitudinale est
caractérisée par les éléments suivante :
1- Les données recueillies portent sur au moins deux périodes distinctes.
2- Les sujets sont identiques ou au moins comparables d’une période à l’autre.
3- L’analyse consiste généralement à comparer les données entre (ou au cours de) deux périodes
distinctes ou à retracer l’évolution observée.
En outre, Ferreira et Merchant (1992), confirment l’utilité des études de terrain en comptabilité et
contrôle de gestion, et concluent sur la capacité à rendre compte de problèmes complexes. Dans
le même sens, Hamel (1998) souligne l’intérêt de ce type de recherche en considérant que :
« Le qualitatif est assurément excessif, sauf à considérer qu’il désigne un lien encore
trop souvent ténu avec le terrain ou, dans tous les cas, une insuffisance globale de
167
recherches longitudinales, d’immersions durables dans les entreprises et de mise à
l’épreuve réelle et évaluée des concepts et outils élaborés. » (Hamel, 1998).
Il convient de noter par ailleurs, que pour Zrihen (2002, p. 165), la recherche historique, la
recherche ethnologique et les études longitudinales peuvent être considérées, d’une certaine
façon, comme des formes particulières d’études de cas.
La période d’analyse
La période d’analyse revient à s’interroger sur les bornes de l’intervalle de temps au sein duquel
les données concernant le phénomène étudié sont recueillies. Pour fixer ces limites, Forgues et al.
(2003, p. 425) considèrent que le premier élément à considérer est la problématique.
Le nombre de points de collecte de données et les intervalles de temps les séparant
La qualification de l’étude longitudinale est liée à l’existence de deux points de collecte de
données. Il existe deux façons de les déterminer, soit la collecte des données se limite à deux
points, soit elle est composée d’une multiplication de points de collecte, et dans ce cas de figure,
il convient de déterminer l’intervalle de temps les séparant.
Dans notre étude de cas, notre problématique est sur une période de collecte de données
continue et délimitée dans le temps.
1.3.3. Les techniques mises en œuvre
Au cours de notre recherche, nous avons principalement eu recours à deux sources de données
adaptées à notre méthodologie de recherche : l’observation et les entretiens. Nous présentons au
cours de cette section la définition de chacune des notions, de les placer dans leur cadre théorique
afin de retirer le maximum de leurs avantages et d’éviter leurs inconvénients dans une recherche
telle que la nôtre.
1.3.3.1. Les entretiens
168
Nous avons eu recours à l’une des méthodes couramment utilisées dans une méthode de
recherche qualitative : l’entretien. Il reste l’axe de sources d’évidence qui a demandé plus de
technicité et de savoir-faire. À cet effet, nous considérons que la connaissance de cette technicité,
avant d’aller sur le terrain, est primordiale.
L’entretien se définit comme,
« une technique destinée à collecter, dans la perspective de leur analyse, des
données discursives reflétant notamment l’univers mental conscient ou
inconscient des individus » (Thiétart et al., 2003).
Selon Baumard et al. (2003, p. 235),
« Un entretien est une technique destinée à collecter, dans la perspective de leur analyse,
des données discursives reflétant notamment l’univers mental conscient ou inconscient
des individus. Il s’agit d’amener les sujets à vaincre ou à oublier les mécanismes de
défense qu’ils mettent en place vis-à-vis du regard extérieur sur leur comportement ou
leur pensée. » (Baumard et al., 2003, p. 235).
Nous l’avons employé comme moyen privilégié d’accéder aux faits, aux représentations du
concept de la compétence et aux interprétations des acteurs. Notre recherche qualitative
s’alimente aux « mots des acteurs » pour comprendre les pratiques et les représentations.
Selon Blanchet et Gotman (1992, cité par Wacheux, 1996),
« L’entretien est une démarche méthodologique qui fait construire un discours.
Ces discours recueillis par entretien ne sont pas provoqués ni fabriqués par la
question mais -bien que construits par le processus interlocutoire- le
prolongement d’une expérience concrète ou imaginaire. Le discours de
l’acteur n’est jamais, à priori, la réalité, mais la manière dont il a perçu les
événements. Il restitue les éléments présents dans sa mémoire au moment de la
rencontre, ou livre une analyse sur une situation précise » (Wacheux, 1996).
169
1950
Mucchielli (1991) confirme que :
« La plupart des auteurs s’accordent sur le fait que l’interview n’est pas un simple
enregistrement de faits supposés réels. C’est d’abord une relation d’échange,
dans laquelle les deux intervenants acquièrent un rôle, un statut. La
communication est possible, s’il existe une confiance réciproque. L’entretien a
donc un caractère factice. C’est une situation provoquée en face à face, où le
chercheur à des attentes précises, auxquelles l’acteur accepte de répondre ».
Par ailleurs, chaque entretien contribue significativement à répondre aux questions de recherche.
Pris isolément, il ne signifie rien. Ceci justifie la multiplication des interviews qui donne une vue
plus large et plus détaillée.
Cette technique correspond à un projet de connaissance des comportements humains et des
interactions sociales à partir du discours des acteurs. Elle permet d’adopter une approche
compréhensive dont le principe est de considérer les individus comme des
« Producteurs actifs du social, donc des dépositaires d’un savoir important
qu’il s’agit de saisir de l’intérieur » (Kaufmann, 1996).
Dans ce sens, si l’on veut avoir accès au rôle, au-delà de l’activité, une certaine proximité devrait
être créée entre l’intervieweur et l’interviewé.
Par ailleurs, la validité de la recherche entreprise corrobore avec l’analyse de Hugues (1997).
Celle-ci nous a amené à développer notre réflexion quant au type d’entretien utilisé dans la
recherche, notamment en termes de liberté accordée à l’interviewé et d’implication du chercheur.
Hugues (1997) souligne l’importance de la liberté octroyée aux interlocuteurs. Ces derniers
peuvent avoir tendance, inconsciemment ou non, à transformer la réalité dans leurs discours.
« Une partie des problèmes de méthode que rencontre l’étude des comportements au
travail réside dans le fait que ce sont ceux qui exercent un métier qui le connaissent
le mieux et qui fournissent les données de l’analyse. Ils risquent de joindre une
170
connaissance très sophistiquée et tactique des relations sociales appropriées à une
très forte volonté de refouler et de dénier la réalité profonde de ces relations,
auxquelles s’ajoute, chez les professions de statut élevé, une grande habileté
verbale pour interdire aux autres de penser et de discuter ces relations. » (Hugues,
1997, p. 76).
Dès lors, quel degré de liberté doit-on laisser à répondant et quelle influence le chercheur doit-il
avoir sur son interlocuteur ?
Nous pouvons considérer l’analyse de Romelaer (2000) comme une réponse à cette question.
Selon lui l’entretien « semi-directif centré » apparaît comme l’arbitrage optimal entre la liberté
d’expression de l’interviewé et la structure de la recherche. Kaufmann encourage l’intervieweur à
s’impliquer, voire de donner son opinion dans les interviews. En effet, la question de l’influence
de l’intervieweur semble moins défavorable que celle du non-engagement de l’interviewé.
Notre perspective dans cette recherche s’est finalement apparentée à celle préconisée par
Baumard et al. (2003), considérant qu’il faille se montrer flexible, en fonction de l’attitude des
interlocuteurs et des sujets abordés.
Selon Wacheux (1996), la technique de l’entretien est complexe. On ne s’improvise pas
intervieweur. À cet effet, nous étions minutieux sur les moyens de préparer un entretien, de le
conduire et d’obtenir des données utiles à notre analyse. Pour ce faire, l’objectif de notre
recherche est de comprendre le comportement des auditeurs dans leur milieu, les entretiens dans
une telle perspective ne se suffisent jamais à eux-mêmes (Wacheux, 1996), ils prennent place
dans un dispositif plus large, où au moins deux sources d’évidence seront utilisées. Dès lors, nous
avons utilisé une autre source d’évidence qui est : l’observation participante.
1.3.3.2. L’observation participante
Elle a été définit par Bogdan et Taylor (1975) comme suit :
« une recherche caractérisée par une période d'interactions sociales intenses
entre le chercheur et les sujets, dans le milieu de ces derniers. Au cours de
cette période des données sont systématiquement collectées (...) »
171
2028
Lapassade nous confirme que,
« les observateurs s'immergent personnellement dans la vie des gens. Ils
partagent leurs expériences. L'expression "observation participante" tend à
désigner le travail de terrain en son ensemble, depuis l'arrivée du chercheur
sur le terrain, quand il commence à en négocier l'accès, jusqu'au moment où il
le quitte après un long séjour ».
Martinet (2000) fait remarquer que les chercheurs du « MIT’s Industrial Performance Center »
opposent la perspective analytique traditionnelle à l’approche interprétative.
« La première trouve ces préceptes dans le discours cartésien de la méthode (objectifs,
identification des ressources-division en parcelles affectées à des spécialistes-intégration
en une combinaison optimale), la seconde apparaît indispensable en situation d’incertitude
forte, qui se comprend comme un processus ouvert dans lequel il s’agit d’écouter, de
converser avec des clients, des experts, pour interpréter et discerner les nouvelles
possibilités qui surgissent des interactions. »
Tableau 6: Cadre intégrateur pour quatre démarches de recherches en sciences de
gestion (A. David, 2000)
172
L’observation non participante (case I) peut prendre trois formes :
La première consiste à observer la réalité en « caméra cachée » ; c’est le cas par exemple,
lorsque des chercheurs en marketing étudient le comportement des clients d’une grande surface
devant un linéaire de boissons à partir d’une séquence filmée à leur insu.
La deuxième consiste à interroger la réalité par voie d’entretiens, d’administration de
questionnaires ou d’expérimentations en laboratoire.
La troisième correspond à l’étude longitudinale, qui consiste, par l’analyse de documents et par
entretiens, à reconstituer sur une longue période l’histoire et la logique gestionnaire des
transformations d’une ou de plusieurs organisations.
L’observation participante (case I également) peut prendre elle aussi trois formes principales :
- La première reprend le principe de la « caméra cachée », à ceci près que le chercheur est
sur le terrain parmi les observés, sans que ces derniers le sachent.
- La participation directe : le chercheur fait le même travail et vit les mêmes situations que
les acteurs qu’il observe, mais ces derniers savent qu’il est un chercheur et qu’il va
produire un certain nombre d’analyses et de résultats d’une autre nature.
- La participation comme observateur : dispositif dans lequel le chercheur suit les acteurs
partout où ils vont et dans tout ce qu’ils font, mais en se contentant d’être un observateur.
La construction « en chambre » de modèles et outils de gestion (case IIa) :
Objectifs
Construction mentale de la réalité Construction concrète de la réalité
Dém
arche
Partir de l'existant (observation des faits ou travail de groupe sur son propre comportement
Observation participante ou non (I)Élaborer un modèle descriptif du fonctionnement du système étudié
Recherche-action (IIb)Aider à transformer le système à partir de sa propre réflexion sur lui-même, dans une optique participative
Partir d'une situation idéalisée ou d'un projet
concret de transformation
Conception "en chambre" de modèles et outils de gestion (IIa)Élaborer des outils de gestion potentiels, des modèles possibles de fonctionnement, sans lien direct avec le terrain
Recherche intervention (III)Aider, sur le terrain à concevoir et à mettre en place des modèles et outils de gestion adéquats, à partir d'un projet de transformation plus ou moins complètement défini
173
Celle-ci peut prendre différentes formes suivant la nature des modèles conçus et le type de
savoirs à partir desquels le chercheur travaille.
David (1995, 1966a, 1998) repère trois dimensions qui permettraient de situer les différentes
innovations managériales : orientation relation ou connaissances, degré de formalisation, degré
de contextualisation.
La recherche intervention :
Ce courant désigne toute recherche dans laquelle il y a intervention directe du chercheur dans la
construction concrète de la réalité.
La recherche-action est historiquement ancrée dans les travaux de Lewin et Dewey, qui
constituent le fondement, entre autres, de l’OD (Organizational Development) puis avec Argyris
et Schon (1978), de l’apprentissage organisationnel. Cette vision « militante » de la recherche a
notamment été reprise et systématisée par Argyris et al. en 1985, dans un ouvrage intitulé Action
Science. (David, 2000)
1.3.3.3. La démarche générale de collecte de l’information
La démarche générale de la collecte d’information s’articule sur quatre phases :
Une phase d’entretiens « exploratoires » (de mars à octobre 2005) :
La collecte de données se fonde sur des entretiens exploratoires, avec principalement des
auditeurs financiers.
Une phase d’observation « participant complet » (d’octobre 2005 à octobre 2007) : La
collecte de données est réalisée à partir de l’observation et du recueil de documents
internes.
Une phase d’observation « participant direct » (de novembre 2007 à novembre 2009) :
La collecte de données est réalisée à partir de l’observation et des entretiens semi-directifs.
Figure 13: Représentation schématique de notre démarche générale de recherche
174
2106
Ainsi, une triple « triangularisation » a été menée (méthode, sources de données, types de
données). Comme Miles et Huberman (2003, p. 482), nous l’envisageons davantage comme une
alternative à la validation et un moyen de corroboration des informations.
Mars 2005
Octobre2007
Octobre2005
Octobre2009
Ob
se
rva
tio
n
pa
rtic
ipa
nte
Ob
se
rva
tio
n
no
n
pa
rtic
ipa
nte
“Participant complet”
Date Date
Entretiens semi directifs
“Participant direct”
Etude Longitudinale
Entretiens exploratoires
Entretiens semi directif
Recueil de documents
Observation in situ
Entretiens exploratoires
175
Tableau 7: Les trois typologies de triangularisation des données utilisées dans notre
recherche
Afin de laisser le lecteur juger de la pertinence de l’analyse proposée, nous avons intégré, pour
l’ensemble des éléments clés de notre réflexion, des extraits des entretiens susceptibles de
fiabiliser notre recherche.
Triangularisation des méthodes
Triangularisation des sources de données
Triangularisation des types de données
Entretiens exploratoires
Entretiens
Interlocuteurs de différents grade (associés, managers, chefs de mission…)
Interlocuteurs de différentes cabinets d’audit
Enregistrement des entretiens
Participant complet
Analyse de discours
Analyse de documents écrits
Entretiens
Observations
Interlocuteurs de différents grade (associés, managers, chefs de mission…)
Période de temps
Documents internes
Textes qualitatifs (notes de revue, fiches dévaluation,...)
Le quotidien de notre vie d’auditeur
Enregistrement des entretiens
Participant direct
Analyse de discours
Analyse de documents écrits
Entretiens
Observations
Interlocuteurs de différents grades (associés, managers, chefs de mission…)
Période de temps
Documents internes
Le quotidien de notre vie d’auditeur financier
Enregistrement des entretiens
176
II. Les entretiens exploratoires : Analyse de données et résultats
Cette section vise à présenter les éléments de recueil et d’analyse des entretiens exploratoires
menés en amont de l’étude de cas (2.1) et à détailler les résultats de l’analyse et leurs
conséquences sur notre recherche (2.2).
2.1. Le recueil et l’analyse de données des entretiens exploratoires
2.1.1 Le guide d’entretien
À partir de notre synthèse des travaux théoriques et des premiers entretiens, nous avons construit
progressivement les principaux thèmes autour desquels nous délimitons notre recherche. Nous
avons réalisé une grille de questions souples visant à faciliter le bon déroulement de l’entretien.
La rédaction de cette grille d’entretien ne constitue qu’un guide, rassurant, déclenchant une
dynamique lors de l’interview. Les questions ne sont pas posées les unes après les autres, seuls
les thèmes principaux sont abordés, ils se présument au nombre de trois axes principaux :
(Kaufmann 1996)
Le concept de la compétence.
Les différents déterminants de la compétence pour l’auditeur du terrain.
L’action collective de l’auditeur.
2.1.2. Analyse du contenu
La démarche qualitative porte en elle la construction des outils d’analyse. Un degré de liberté
important a pour contrepartie des incertitudes fortes (Wacheux, 1996). À cet effet, quelques
techniques d’analyse du sens sont proposées.
Bardin (1991, cité par Wacheux, 1996) donne un panorama assez complet de l’analyse des
communications. Il distingue trois grandes catégories :
L’analyse singulière d’un entretien : repose sur l’hypothèse que chaque singularité est
porteuse du processus, soit psychologique, soit sociologique que l’on veut analyser.
177
L’analyse propositionnelle du discours (APD) : identifie l’univers de référence des
auteurs à partir de leurs structures argumentaires.
L’analyse des relations par opposition (ARO) : la parole véhicule des symboles, l’objectif
de l’analyse consiste à les mettre à jour.
Or, Blanchet et al. (1992)103 nous proposent une quatrième catégorie, celle de l’analyse
thématique. Elle consiste à défaire en quelque sorte la singularité du discours et découpe
transversalement ce qui, d’un entretien à l’autre, se réfère au même thème. La manipulation
thématique consiste à jeter l’ensemble des éléments significatifs dans une sorte de sac à thème
qui détruit définitivement l’architecture cognitive et affective des personnes singulières (Bardin,
1991, p. 93, cité par Blanchet et al., p. 98).
Le principe de cette analyse correspond à la méthode des matrices avancée par Miles et
Huberman (1984)104 qui est à la fois simple et rigoureuse.
Dans notre recherche, et pour analyser les résultats de nos entretiens exploratoires nous avons
adopté cette méthode dite « méthode des matrices », qui consiste à analyser les résultats en
dessinant une matrice où tous les axes d’analyse apparaissent en haut de page (en colonne) alors
que les répondants sont identifiés sur le côté de page (en ligne). Le chercheur repasse à travers
toutes les interviews en identifiant les réponses individuelles sur chacun des thèmes abordés.
Visuellement, les thèmes ressortent clairement d’une telle mise en forme, qui peut se faire par
référence directe aux transcriptions d’interviews105.
2.1.3. Le choix justifié de l’échantillon
Avant de contacter les personnes concernées et d’avoir leur avis pour accepter ou refuser notre
demande d’entretien, une sélection est faite au préalable.
103 BLANCHET.A, GOTMAN.A (1992), « L’enquête et ses méthodes : l’entretien », Ouvrage, Nathan université
104 Cités par USINIER et al., 1993, p. 181.
105 WACHEUX, 1996, p. 181.
178
2184
En effet, nos premiers entretiens étaient semi-directifs et en même temps exploratoires avec des
auditeurs financiers (de tous les grades) et un membre de la CNCC (Compagnie nationale des
commissaires aux comptes). Les interviewés exprimaient leurs expériences, leur rationalité
propre et leur cadre de référence :
Les entretiens semi-directifs nous ont permis d’approfondir notre revue de la littérature
sur les deux premiers axes de notre guide, à savoir, le concept de la compétence et ses
déterminants sur le terrain.
Les entretiens exploratoires nous ont permis de mettre en lumière les aspects du
phénomène auxquels nous n’avons pas pu penser spontanément : le réel travail de
l’auditeur du terrain et le rôle de la constitution des réseaux au sein d’un cabinet d’audit.
Nous avions eu recours à ce type d’entretien tout au début de notre enquête lorsque la question de
recherche du départ n’était encore qu’incomplètement formulée. Ces entretiens qui sont eux-
mêmes un processus exploratoire contiennent une possibilité permanente de déplacement du
questionnement et permettent un « processus de vérification continu et de reformulation de la
question de recherche ».
Dans un second temps, nous avions commencé notre enquête par un entretien semi-directif à
usage principal. Cela s’est matérialisé en effectuant un certain nombre d’entretiens avec des
auditeurs financiers. Ce choix était un constat que nous avions pu dégager à partir de notre
premier entretien exploratoire. Cet ensemble d’entretiens constitue le mode de collecte principal
de l’information.
2.1.4. Grille de synthèse
Cette grille permet de regrouper les cas (les interviewés) en fonction de l’usage de leur entretien
et de leur nature.
Huit entretiens exploratoires (semi-directifs, d’une durée comprise entre 45 minutes et 2 h 15) ont
été menés entre février et octobre 2005. Comme précisé supra, ces entretiens ont été réalisés
principalement auprès des auditeurs financiers.
179
Tableau 8: Synthèse des huit entretiens exploratoires menés dans le cadre de notre
recherche
2.2. Les résultats des entretiens exploratoires et l’affinement du cadre de la recherche
Avant de prendre en compte la théorie des réseaux sociaux, les huit entretiens exploratoires
menés dans le cadre de cette recherche visaient à cerner davantage la problématique de la
compétence du terrain. Il nous paraissait important d’étudier certains points, plus particulièrement
pour tenter de répondre à des questions telles que :
- Peut-on définir la compétence de l’auditeur du terrain ?
- Quelle perception ont les auditeurs financiers de cette notion ?
- Comment peut-on qualifier un auditeur du terrain d’un commissaire aux comptes compétent ?
- Plus largement, sur le terrain, à quoi est liée la compétence de l’auditeur, comment se mesure-t-
elle ? Et quels sont les moyens mis en place pour sa maîtrise ?
Entité/ Organisation Activité/ Secteur Fonction Nom Durée de l’entretien
• Industrie des biens d’équipement et intermédiaires• Industries du luxe • Informatique, ingénierie • Logistique, transports • Loisirs, tourisme • Santé, maisons de retraite • Services aux collectivités, aux entreprises et aux
particuliers
209
2886
Figure 15: Les métiers du cabinet Audit & Co
Le métier de l’audit
La partie audit détient plus de 2 500 mandats. Le cabinet Audit & Co est présent dans tous les
secteurs de l’économie nationale. Depuis sa création, il a fait le choix de développer des
compétences pluridisciplinaires afin de permettre à ses collaborateurs une compréhension
approfondie de l’organisation et de l’environnement de l’entreprise.
La complexité croissante des référentiels normatifs et des systèmes d’information semble avoir
confirmé la pertinence de cette stratégie dans le domaine de l’audit, compte tenu des attentes du
marché et des exigences de la réglementation sécuritaire.
Le métier de l’expertise comptable
Le cabinet Audit & Co reste fortement implanté dans certains secteurs tels que le secteur
financier. Il réalise des missions d’expertise comptable pour les clients dont il n’est pas
• Commissariat aux comptes et audit contractuel• Commissariat aux apports et à la fusion• Départements spécialisés:
• Assurances-Mutuelles• Banque-Finance• Transaction support• Secteur non marchand
Audit
• Gestion comptable et administrative• Gestion sociale• Fiscalité de l’entreprise• Consolidation• Organisation et contrôle de gestion
Expertise comptable
• Audit d’acquisition et « due diligence »dans le cadre d’acquisition et de restructuration
• Audit technique (diagnostic et évaluation d’entreprise, participation à la fixation des éléments de prix de garantie, etc.)
Conseil
210
commissaire aux comptes : aide à la mise en place des services d’audit interne, diagnostic et
amélioration des systèmes d’information, prise en charge de fonctions opérationnelles dans les
entreprises.
Le métier du conseil
La division audit d’acquisition et « Due Diligence », appelée Transaction Support, est l’un des
fleurons du cabinet et l’un des leaders de la place de Paris. Dégageant un chiffre d’affaires de 10
M€, elle emploie 42 collaborateurs et s’intéresse à tous les secteurs d’activité, hormis ceux de la
banque et de la finance qui sont traités par une division à part.
1.2.2. Organisation et acteurs
Le cabinet Audit & Co, basé en Ile de France, emploie à peu près 200 auditeurs financiers. Il peut
être schématiquement représenté par une direction, des auditeurs financiers et des fonctions
supports. Nous entendons ici, par activité support et autres fonctions, toutes les activités qui
concourent à la réalisation des activités principales décrites supra. Il s’agit principalement de :
La fonction planning : cette fonction est gérée par une seule personne qui s’occupe de la
planification des auditeurs de terrain (Assistants) sur les missions, ainsi que de toutes les
réservations pour le bon déroulement des missions (hôtel, billets de train et avion, location
de voiture…).
Du secrétariat général : comprend trois collaborateurs chargés principalement de la
préparation des rapports, des reliures…
La fonction informatique : le service est géré par deux personnes qui se chargent de
résoudre toutes les difficultés informatiques des collaborateurs (connexion réseau,
installation des logiciels…).
211
Figure 16: L’organigramme du cabinet Audit & Co
Par ailleurs, le groupe Audit & Co est présent sur tout le territoire national. Il compte 26 bureaux.
Figure 17: Répartition du groupe Audit & Co sur le territoire national en 2005
PDG (Associé- Auditeur) (1)
DG ( Associé –Auditeur)
Conseil de surveillance (Associés -Auditeurs)
Autres fonctions
Informatique
Secrétariat général
Autres services (archivage, fourniture, ..)
Auditeurs
Directeur associés
Responsables de dossiers et responsables de dossiers adjoints
Chefs de mission et
chefs de mission adjoints
Assistants
Seniors
Associés
Fonctions support
Service RH
Service Comptabilité
Service contrôle de gestion
Service Planning
Secrétariat
ConfirmésDébutants Service technique
212
2964
Il est présent sur tous les continents, détenant ainsi 39 bureaux à l’étranger.
Figure 18: Répartition du groupe Audit & Co dans le monde
1.2.3. Fonctionnement général de l’activité du cabinet
Les différentes étapes de l’organisation des trois métiers du cabinet, présentées ci-dessous,
peuvent se résumer en trois principales phases :
La phase d’acceptation de la mission.
La phase d’exécution de la mission.
Et la phase de restitution du compte rendu au client.
Amérique du sud• Buenos Aires• Montevideo•Sao paulo
Figure 19: Synthèse du processus métier du cabinet Audit & Co
Nous allons détailler principalement dans ces phases les activités liées au métier de l’audit légal.
Phase 1 : Acceptation de la mission
Dans le cadre d’une mission légale de commissariat aux comptes, et avant d’accepter le mandat,
le cabinet vérifie s’il est en mesure de répondre positivement à l’appel d’offres. Pour ce faire, il
examine l’environnement professionnel et réglementaire de la société, l’intégrité de la direction
de la société à auditer, ou encore son organisation générale (existence de contrôle en interne) et
examine également l’absence d’incompatibilité au regard de la loi.
Pour les missions qui relèvent des autres métiers, expertise comptable et conseil, le cabinet
vérifie s’il n’est pas dans le cas d’une des incompatibilités régies par les normes professionnelles.
Depuis la dernière loi de sécurité financière, qui renforce la séparation des métiers de l’audit et du
conseil, le commissaire aux comptes ne peut pas réaliser de mission de conseil, y compris
l’expertise comptable, à l’égard d’un client pour lequel il exerce la mission de commissaire aux
comptes.
COMPTE RENDU DE LA MISSIONEXECUTION DE LA MISSIONACCEPTATION DE LA MISSION
PROCESSUS METIER DU CABINET C
Phase 1 Phase 3Phase 2
214
Afin d’éviter toute situation d’incompatibilité, l’acceptation d’un nouveau mandat impose la
consultation de la liste des missions contractuelles ou légales détenues par le cabinet et par les
membres de son réseau. À cette fin, le cabinet Audit & Co a constitué une base de données
consultable par tous les associés de l’organisation et continuellement mise à jour, précisant les
missions réalisées pour les clients du réseau, ainsi que pour leur(s) mère(s) et leur(s) filiale(s).
Avant d’accepter un mandat, un courriel est envoyé aux associés pour qu’ils puissent signaler
tout problème d’incompatibilité susceptible de remettre en cause l’acceptation du mandat. Une
fois la mission de commissariat aux comptes actée, toute réalisation d’une nouvelle prestation par
une entité du réseau doit se voir soumise à l’appréciation préalable de sa compatibilité avec la
mission d’audit (commissariat aux comptes). Par ailleurs, l’associé ainsi que l’ensemble de
l’équipe auditrice doivent signer une déclaration sur l’honneur attestant qu’ils connaissent bien
les procédures du cabinet, ne détiennent pas de participation financière dans l’entité contrôlée, et
n’entretiennent aucune relation prohibée par le Code de déontologie ou les règles générales de la
profession.
Une veille relative au maintien des mandats en cours est opérée par une cellule de documentation.
Cela repose sur la définition des comportements à adopter lorsque surviennent des événements
remettant en cause la poursuite de la mission (changement de direction, d’actionnariat,
proposition d’une mission de conseil à une entité membre du réseau, etc.).
Cette phase est obligatoire avant de préparer toute réponse aux appels d’offres. À l’issue de ces
deux phases, l’équipe auditrice procède à la préparation de la lettre de mission (cette phase sera
plus développée par la suite108).
108 Phase 2 : Exécution de la mission.
215
La figure ci-dessous résume les principales activités de la phase d’acceptation de la mission :
Figure 20 : Détail de la phase acceptation de la mission
Phase 2 : Exécution de la mission
La phase du processus au sein du cabinet Audit & Co peut être déclinée en trois principales
activités :
Orientation et planification.
Répartition et supervision des travaux.
Travaux de contrôle.
Activité 1 : Orientation et planification de la mission
La NEP (Norme d’exercice professionnel) 300 de la CNCC indique : « Le commissaire aux
comptes appelé à certifier les comptes d’une entité fait l’objet d’une planification. Cette
planification est formalisée notamment dans un plan de mission et un programme de travail. »
Examen de « indépendance/ incompatibilité » et de la
compétence1
Réponse à l’appel d’offre2
Préparation de la lettre de mission3
Phase 1 Phase 3Phase 2
PROCESSUS METIER DU CABINET C
ACCEPTATION DE LA MISSION
Associés/ Directeurs associés
Associés/ Directeurs associés
Directeurs associés/
Responsables de dossier
ActeursActivités
216
3042
Les NEP 300 et suivantes, qui ont pour objet de préparer l’exécution de la mission
d’audit, définissent les principales caractéristiques de cette activité, qui peuvent être résumées
en trois phases essentielles :
La prise de connaissance générale de l’entreprise.
Le plan d’audit.
La programmation.
Ces trois étapes consistent à construire progressivement la mission d’audit : la prise de
connaissance générale de l’entreprise permet d’élaborer l’approche globale
de la mission, qui va elle-même se traduire par la définition des procédures à
effectuer.
D’une certaine manière, la planification représente une « répétition » (rehearsal) du travail
d’audit qui sera réalisé (Humphrey & Moizer, 1990).
Au cours de la phase de prise de connaissance, l’auditeur (d’associé à responsable de dossier)
se forge une connaissance générale de l’organisation contrôlée, ou à mettre à jour le savoir dont il
jouit déjà en la matière109. Son but est de comprendre le contexte dans lequel évolue
l’entité et de la situer dans son environnement économique, social et
juridique. Il veille ainsi à bien comprendre :
L’activité de l’entité auditée et le secteur dans lequel celle-ci opère : nature des opérations
réalisées, la composition de son capital et de son gouvernement d’entreprise, les moyens
de production utilisés, son organisation et son financement, les caractéristiques des
principaux clients et fournisseurs, le taux de croissance du marché, l’existence de
réglementations à respecter, etc.
L’organisation interne et la structure de la firme : nature et exigences des propriétaires,
organigramme, agencement du groupe, implantation géographique, description des
principales filiales, etc.
La position concurrentielle, les politiques générales : financière, commerciale, sociale,
etc.
109 NEP 315 Alinéa 19 : « lorsque le commissaire aux comptes utilise les informations qu’il a recueillies au cours des
exercices précédents, il met en œuvre des procédures visant à détecter les changements survenus depuis et
susceptibles d’affecter la pertinence de ces informations. »
217
Les perspectives de développement de l’entreprise, son contrôle interne, son système
informatique et ses politiques comptables.
Les éléments du contrôle interne pertinents pour l’audit…
Pendant cette phase, le commissaire aux comptes acquiert une connaissance suffisante de l’entité,
notamment de son contrôle interne, afin d’identifier et d’évaluer le risque d’anomalies
significatives dans les comptes et pour concevoir et mettre en œuvre des procédures d’audit
permettant de fonder son opinion sur les comptes.
Cette étape est effectuée par l’intermédiaire d’entretiens menés avec les
dirigeants et les responsables, de visites des locaux, de l’étude et l’examen
de la documentation interne de l’entreprise (manuels de procédures,
documents juridiques, organigrammes, notes de service, etc.), de la revue
des comptes annuels, des derniers exercices et de la recherche de
documentation externe sur l’entreprise et son secteur d’activité, ou d’une
rencontre avec le précédent commissaire aux comptes. À travers cette
collecte de données, l’auditeur assimile les principales caractéristiques de
l’entreprise, son organisation, ses responsables, ses spécificités de
fonctionnement…, lui permettant ainsi de détecter et d’identifier les
principales zones de risque éventuelles.
Le cabinet Audit & Co a mis en place un certain nombre de questionnaires qui l’accompagnent
dans l’accomplissement de cette tâche. L’un d’eux permet d’évaluer les risques inhérents sur la
base de la revue du contrôle interne. Un autre programme renseigné par les premières conclusions
de ce travail préliminaire à la mission permet de calculer les différents seuils de signification à
utiliser dans le cadre de sa mission, à savoir le seuil de certification, le seuil d’investigation et le
seuil de remontée des ajustements. L’ensemble de ces questionnaires oriente l’audit vers les
comptes et cycles significatifs, sur lesquels les efforts seront plus concentrés. À l’issue de ces
travaux, l’auditeur, responsable de cette phase, peut alors planifier sa mission, élaborer son plan.
La planification consiste à prévoir :
218
L’approche générale des travaux.
Les procédures d’audit à mettre en œuvre par les membres de l’équipe d’audit.
La nature et l’étendue de la supervision des membres de l’équipe d’audit et la revue de
leurs travaux.
La nature et l’étendue des ressources nécessaires pour réaliser la mission, y compris le
recours éventuel à des experts.
Le cas échéant, la coordination des travaux avec les interventions d’experts ou d’autres
professionnels chargés du contrôle des comptes des entités comprises dans le périmètre de
consolidation.
Le plan d’audit, que l’on appelle également plan de mission ou plan stratégique, est le document
qui décrit l’approche générale des travaux et regroupe de manière synthétique l’orientation de la
mission. Il comprend notamment :
L’étendue, le calendrier et l’orientation des travaux choisie pour la mission ainsi que la
justification de cette orientation.
Le ou les seuils de signification retenus.
Les lignes directrices nécessaires à la préparation du programme de travaux.
Le plan d’audit est destiné à être communiqué et lu par tous les intervenants
afin qu’ils puissent effectuer leurs travaux en ayant à l’esprit les
caractéristiques de l’entreprise qu’ils contrôlent. L’objectif de cette
communication est que chaque membre de l’équipe d’audit appréhende les
risques pouvant exister sur les éléments qu’il est chargé de contrôler et les
conséquences possibles de ses propres travaux sur l’ensemble de la mission.
Dans ce sens, le plan d’audit précise l’identification des risques relevés et
l’approche d’audit retenue pour y faire face.
La planification est souvent considérée comme une phase essentielle de
l’audit en raison de son impact sur la détermination des travaux à réaliser
(Humphrey & Moizer, 1990). L’évaluation des risques et le choix de
l’approche d’audit qui en découle sont une décision primordiale de l’auditeur.
219
3120
Le plan d’audit établi permettra par la suite de définir le programme de
travail qui détaillera les travaux à effectuer par cycle de l’entité auditée.
Le programme de travail commence par exposer, brièvement, les informations obtenues sur
l’entité contrôlée, les risques décelés et les seuils calculés. Il vise à formaliser la stratégie
générale de l’audit à effectuer. Ce document définit les orientations et l’étendue des contrôles à
mener par cycle en précisant la nature des diligences estimées nécessaires au cours de l’exercice
et la mise en œuvre du plan de mission, compte tenu des prescriptions légales et des normes
d’exercice professionnel. Le programme de travail indique de manière plus
détaillée, pour chaque cycle de l’entité auditée, les contrôles à effectuer en
définissant la nature et l’étendue des travaux. Ces derniers vont dépendre du
niveau et de la nature du risque associé à chaque cycle, ainsi que du seuil de
matérialité général de la mission. Le choix des procédures d’audit spécifiques
appliquées à un cycle va également être déterminé par les circonstances de
la mission et par les normes de travail des cabinets.
Le programme de travail indique également :
Le nombre d’heures de travail affectées à l’accomplissement de ces diligences.
Les compétences, il désigne nommément les principaux membres de l’équipe d’audit.
La nature des interventions prévues (intérim, assistance à l’inventaire physique, pré-final,
final, comptes semestriels, etc.).
Les modalités à respecter (dates clés, ventilation du budget par phase, nature et format
des documents à présenter à l’entreprise contrôlée, etc.).
Le budget requis pour accomplir ces diligences et par conséquent les honoraires
correspondants.
C’est sur la base du programme de travail que les auditeurs de terrain effectuent leurs tests de
procédures et leurs contrôles de comptes.
220
Des outils méthodologiques de planification et de programmation des
travaux ont été développés par le cabinet Audit & Co, ainsi que par la
profession en général, pour chacune des trois phases de la planification. Ces
outils comprennent des questionnaires de planification, des manuels d’audit,
des plans d’audit et des programmes de travail standardisés à adapter à
chaque mission. L’aboutissement de cette tendance est le développement de
systèmes experts d’audit censés pouvoir créer des plans d’audit et des
programmes de travail pertinents à partir de questionnaires sur la société
auditée (Bédard & Graham, 1994). Les supports de planification sont conçus
pour faciliter la tâche de l’auditeur et augmenter son efficacité, au prix
toutefois d’une certaine limitation de son initiative (Francis, 1994). Toutefois,
l’existence de ces outils de travail n’exclut pas l’importance du rôle de
l’auditeur utilisateur qui reste primordial et fondamental. En effet, les
supports d’aide à la décision mis à la disposition ne négligent en aucun cas la
marge de liberté dont dispose l’auditeur : à la fois parce que la prise de
décision en audit repose sur des éléments situationnels et cognitifs qui le
dépassent (Hogarth, 1991), mais aussi parce que l’auditeur peut contourner
leurs résultats (Mock & Wright, 1999).
Afin de favoriser le bon déroulement de la mission, l’auditeur établit enfin une lettre de mission,
confirmant à l’entité auditée les termes et les conditions de son intervention. Le contenu de cette
lettre a été défini par la NEP 210 de la CNCC. Elle doit comporter les éléments suivants :
La nature et l’étendue des interventions du commissaire aux comptes.
La façon dont seront communiquées les conclusions de la mission aux organes dirigeants.
Les dispositions relatives aux signataires, aux intervenants et au calendrier.
La nécessité de l’accès sans restriction à tout document comptable, pièce justificative ou
autre information.
Le rappel des informations et documents que l’entité doit adresser au commissaire ou
mettre à sa disposition.
Le souhait de recevoir une confirmation signée par la direction concernant les
déclarations faites à l’auditeur dans le cadre de sa mission.
221
3198
Le budget d’honoraires et les conditions de facturation.
Activité 2 : Évaluation du risque et contrôle interne110
La norme ISA 315 modifiée, relative à la stratégie d’audit, énonce que dans le cadre de son
approche d’audit,
« l’auditeur doit obtenir une compréhension de l’entité et de son environnement, y
compris son contrôle interne, de manière à évaluer les risques susceptibles d’affecter la
sincérité des états de synthèse, que ces risques relèvent de la fraude ou de l’erreur, et de
déterminer les procédures d’audit à appliquer en conséquence »111.
La phase de planification, également nommée intérim, est la première phase de l’audit de terrain.
Durant cette phase, l’auditeur approfondit l’appréciation du contrôle interne et des risques d’audit
réalisée lors de la phase décrite précédemment (Orientation et planification de la mission).
L’évaluation du contrôle interne de la société contrôlée a pour objectif d’identifier les risques liés
à son fonctionnement et d’adapter les travaux d’audit en conséquence. Pour cela, cette phase sert
à évaluer les procédures mises en place par l’organisation contrôlée au sein des cycles
significatifs (circuits de circulation des biens et documents, utilisation de documents normalisés,
instauration de systèmes de contrôle). L’auditeur doit comprendre les principaux processus mis
en place par l’entité pour gérer le contrôle interne, ainsi que la manière avec laquelle l’entité
entreprend les actions correctives qui en découlent. Cette phase vérifie en particulier la séparation
des tâches entre les personnes chargées des fonctions opérationnelles, de la détention des biens,
de l’enregistrement comptable et du contrôle (Mikol, 1999).
Cette phase peut être déclinée en trois principales étapes :
La première étape de l’évaluation du contrôle interne consiste à
décrire les procédures de l’entreprise. Ces procédures peuvent déjà faire
l’objet d’une description, établie par la société ou d’autres auditeurs. Autrement dit, et sur la
110 La norme 2- 301 qui définissait l’évaluation du risque et le contrôle interne a été intégrée dans les NEP 315 et
330.111 Traduction de la norme ISA 315 modifiée.
222
base de narratifs ou de diagrammes de circulation, le commissaire aux comptes doit se
faire expliquer les procédures et les décrire par lui-même. Pour ce faire, l’auditeur
réalise un certain nombre d’entretiens avec les responsables et des
salariés de différents services. Il peut aussi s’appuyer sur la
documentation interne à la société. Pour réaliser cette tâche,
l’auditeur, et souvent les juniors, se font aider par des questionnaires
afin de s’assurer de ne pas avoir oublié un élément important. Ces
questionnaires permettent aussi aux auditeurs de se couvrir en
justifiant leur travail par le respect de documents internes
standardisés.
La deuxième étape consiste en la réalisation de tests de
conformité. Après la description des procédures, l’auditeur doit s’assurer
de sa bonne compréhension des systèmes décrits, approfondir sa connaissance des
procédures et montrer qu’elles sont effectivement mises en œuvre dans
l’entreprise. L’auditeur va donc suivre quelques transactions tout au
long d’une procédure et s’assurer de leur conformité aux contrôles et
aux processus décrits. Par exemple, lors de la réalisation de tests de
conformité sur le cycle achats d’une entreprise, l’auditeur va partir des
achats pris au hasard dans le journal des achats et vérifier la
commande, l’autorisation de la commande en fonction des pouvoirs
octroyés au personnel selon la responsabilité, la réception de la
commande, le règlement du fournisseur et tout autre élément pertinent
dans le contexte de la société auditée.
La troisième étape consiste en l’évaluation du contrôle interne à l’issue des deux
premières étapes réalisées. Afin d’examiner les éléments d’un dispositif de contrôle
performant, la méthode la plus fréquemment utilisée par l’auditeur repose sur l’utilisation
de questionnaires de contrôle interne. Pour chaque cycle et chaque assertion, ceux-ci
fournissent une liste de points forts et/ou faibles à vérifier. L’auditeur va s’attacher à
dégager de sa revue les points forts et les faiblesses du contrôle interne. Cela consiste à
identifier les éléments de procédures assurant le respect de telle ou telle assertion d’audit
223
(points forts), et ceux laissant craindre au contraire que certaines assertions ne seront pas
respectées (points faibles). Le programme de contrôle des comptes sera alors
éventuellement modifié pour tenir compte des risques liés aux faiblesses relevées. Si les
tests menés procurent des résultats satisfaisants, il devient alors possible, compte tenu du
modèle de gestion du risque d’audit, d’effectuer une moindre quantité de tests de détail.
Par contre, si l’auditeur a relevé des faiblesses dans les procédures de suivi de certains
comptes, il renforcera ses vérifications des comptes concernés en fin d’exercice pour
déceler d’éventuels ajustements significatifs. Les points forts vont quant à eux permettre
de diminuer éventuellement les contrôles effectués sur un cycle.
Activité 3 : Exécution des travaux répartis
Les travaux de contrôle sont la dernière phase de l’exécution d’une mission d’audit, durant
laquelle les équipes effectuent les tests et contrôles substantifs jugés nécessaires. Selon la norme
n° 2-401-02 de la CNCC, « le commissaire aux comptes collecte tout au long de sa mission les
éléments probants suffisants et appropriés pour obtenir l’assurance raisonnable lui permettant
d’exprimer une opinion sur les comptes ».
Lors de cette phase, l’encadrement des travaux des auditeurs de terrain est assuré par les
programmes élaborés lors de la planification.
La norme n° 2-401-03 précise que ces éléments probants sont obtenus en associant des tests de
procédures menés sur les procédures de contrôle interne et des contrôles substantifs menés sur les
postes des comptes annuels. Ces contrôles substantifs sont réalisés lors de la phase dite de
révision des comptes, conformément au programme de travail élaboré au terme de l’intérim. Ils
comprennent essentiellement la mise en œuvre de procédures analytiques et de tests portant sur le
détail des opérations et des soldes (travaux de justification et de pointage des comptes). Ces tests
sont effectués le plus souvent par sondage.
En effet, le programme de travail constitue nécessairement une référence structurante de chaque
auditeur, même s’il est supposé devoir s’adapter aux situations rencontrées, (McDaniel, 1990).
Mikol (1999) divise les procédures d’audit en six catégories principales 112:
112 Herrbach, 2000.
224
3276
La vérification physique consiste à s’assurer de l’existence des actifs qui sont inscrits dans
les comptes. Cela revient par exemple à retrouver dans l’usine une machine figurant dans
les comptes d’immobilisations ou à contrôler des stocks.
La vérification sur document consiste à valider les mouvements ou les
soldes des comptes à partir des pièces comptables qui les justifient. On
peut ainsi valider un mouvement de compte d’achat par la recherche
de la facture fournisseur correspondante.
Les confirmations directes, ou circularisations, consistent à obtenir de
tiers extérieurs à l’entreprise la confirmation d’informations. Il s’agit
par exemple de demander à un fournisseur de confirmer le montant
des factures qui lui sont dues à la clôture ou d’écrire aux avocats de
l’entreprise pour leur demander leur évaluation des éventuels litiges
avec des tiers.
Les demandes d’explication auprès de la direction permettent de juger
du caractère raisonnable des options de comptabilisation prises par
l’entreprise. Ces explications doivent faire l’objet d’une évaluation
critique de la part de l’auditeur.
Les calculs, vérifications arithmétiques, recoupements et
rapprochements de documents entre eux consistent, par exemple, à
contrôler un calcul d’amortissement, à recadrer un compte de
trésorerie avec le relevé bancaire correspondant ou à vérifier la
concordance entre la comptabilité générale et la comptabilité
analytique.
L’examen analytique consiste à déterminer le caractère raisonnable
des informations contenues dans les comptes. Il se base sur l’étude des
tendances, fluctuations, ratios tirés des comptes annuels par
comparaison avec les exercices antérieurs, les budgets, les résultats
d’entreprises similaires. L’examen analytique cherche également à
s’assurer de la cohérence réciproque des différentes informations. On
peut ainsi vérifier que l’augmentation du poste « Créances clients » au
225
bilan par rapport à l’exercice précédent est liée à l’augmentation des
ventes et non au rallongement du délai de règlement des clients113.
À l’issue de la phase de révision, l’auditeur a acquis une opinion sur le respect des assertions. Les
conclusions d’un auditeur par cycle se divisent en deux catégories (Herrbach,
2000) :
S’il n’a pas relevé d’anomalie et s’il considère que le niveau des travaux effectués est
satisfaisant, il estimera que les éléments de preuve recueillis sont suffisants pour couvrir
le risque lié à ce cycle.
S’il relève des erreurs ou des anomalies, il va s’efforcer d’évaluer leur impact, de
rechercher des explications à leur sujet et de déterminer si elles sont de nature volontaire
ou involontaire. À la lumière de la connaissance générale qu’il a acquise sur l’entreprise,
l’auditeur estime alors s’il va devoir procéder à des travaux de contrôle supplémentaires
et/ou s’il va demander des « ajustements », c’est-à-dire des corrections dans les comptes
de l’entreprise.
La vérification des différents cycles de l’entreprise et de leur cohérence permet, en bout de
course, de s’assurer de la validité globale des états financiers.
Figure 20: Détail de la phase exécution de la mission
113 En tant que procédure d’audit la plus élaborée, la revue analytique a fait l’objet de nombreux travaux de recherche
dans le monde académique (cf. Mulligan & Inkster, 1999, pour une revue de la littérature).
226
Phase 3 : Restitution
La restitution pour contrôle est une des phases du processus de l’audit. Chaque auditeur doit
rendre des comptes à son supérieur hiérarchique pour validation et contrôle des travaux effectués.
La figure ci-dessous résume les différentes missions de validation et présentation par grade au
sein du cabinet Audit & Co.
Figure 21: Détail de la phase, compte rendu de la mission
Orientation et planification de la mission
1
Evaluation du risque et contrôle interne
2
Réalisation des travaux répartis
EXECUTION DE LA MISSIONPhase 1 Phase 3Phase 2
PROCESSUS METIER DU CABINET C
3
Directeur associé/ Responsable de
dossier
Responsable de dossier/ Chef de
mission
Chef de mission/ Assistants
ActeursActivités
227
3354
1.3. Le métier de l’audit légal au sein du cabinet Audit & Co
L’audit légal est le cœur de métier du cabinet Audit & Co. Cette partie sera consacrée à présenter
l’organigramme du service audit au sein du cabinet, à exposer le profil des auditeurs ainsi que
leurs instruments de travail dans le cadre d’une mission d’audit, avant de détailler la
méthodologie utilisée ainsi que les spécificités d’une saison d’audit.
1.3.1. L’organigramme de l’unité audit
L’unité Audit est organisée autour de cinq équipes, ayant chacune à sa tête un associé. Les
équipes sont plus au moins spécialisées par secteur. Arrivé au cabinet, l’assistant n’est pas affecté
à une équipe. Ce n’est qu’à partir du grade de chef de mission adjoint que l’affectation est
réalisée. Pour être affecté, il faut que l’associé désigne la personne qu’il souhaite intégrer à son
équipe.
Pendant trois années, l’assistant travaille avec toutes les équipes. Il n’a pas de bureau fixe, il reste
dans le « Pool », qui est un grand « open space », où s’installent les assistants quand ils ne sont
pas en mission chez le client.
Validation des travaux réalisés 1
Présentation et validation des travaux réalisés
2
Présentation des travaux réalisés3
COMPTE RENDU DE LA MISSIONPhase 1 Phase 3Phase 2
PROCESSUS METIER DU CABINET C
Associé/ Directeur associé- Responsable
de dossier
Directeur associé-Responsable de dossier/ Chef de
mission
Chef de mission/ Assistants
ActeursActivités
228
Figure 22: L’organigramme de l’unité audit
1.3.2. Le profil des auditeurs
Le cabinet Audit & Co recrute la majorité de ses débutants dans les grandes écoles de commerce
et les meilleures universités, généralement après avoir pu les « tester » lors des stages qu’ils
effectuent à l’occasion de leur scolarité. Ne sont bien sûr retenus que les individus jugés capables
de se conformer au mode de fonctionnement de la firme d’audit.
Les profils les plus demandés
Les écoles de commerce sont traditionnellement les formations les plus demandées au sein du
cabinet Audit & Co, comme c’est le cas dans les grands cabinets anglo-saxons. C’est ainsi que
De Beelde114 et al. (2003) nous confirment que :
« Les grands cabinets anglo-saxons d’audit ont fait preuve d’une innovation
fondamentale en matière de recrutement : par rapport aux firmes françaises qui
embauchaient essentiellement des diplômés de l’enseignement technique (CAP, BTS…),
tous les grands cabinets anglo-saxons d’audit misent dès la fin des années 1960 sur le
114 I. DeBeelde, N. Gonthier, A. Mikol (2003), « Le développement des grands cabinets anglo-saxons d’audit en France, Communication présentée au 24e Congrès de l’AFC (Association Francophone de Comptabilité), Université catholique de Louvain (Belgique), 22 et 23 mai 2003.
PDG A
Equipe A
POOL D’ASSISTANTS
Assistants débutant s Assistants confirmés Assistants Seniors
Equipe B Equipe C Equipe D Equipe E
229
recrutement de collaborateurs ayant un haut niveau général de formation, en particulier
des diplômés des Grandes Écoles de gestion ».
Viennent ensuite les universitaires qui ont suivi une formation spécialisée (master CCA
(Comptabilité, Contrôle, Audit), audit,…)
« En plus des écoles de commerce, nous avons un peu moins de 25 % d’universitaires,
essentiellement de Dauphine, de la Sorbonne, mais on laisse aussi la porte ouverte à
d’autres profils, notamment les titulaires d’une MSTCF… Les universitaires deviennent
de plus en plus présents dans le cabinet Audit & Co. Pendant longtemps, nous avons
privilégié les écoles de commerce aux universitaires, car ils ont déjà pu avoir un peu
d’expérience pendant leurs stages. Or, aujourd’hui, les universités commencent aussi à
proposer ce profil…» (Marie-Christine, Responsable RH).
Au sein du cabinet Audit & Co, nous avons aussi relevé des profils d’ingénieurs. Cette diversité
pourrait s’expliquer par la variété des missions du cabinet.
Le processus de recrutement du cabinet audit & Co
Le processus de recrutement au sein du cabinet Audit & Co se déroule en trois principales
phases :
Entretien dit « technique » : la sélection du CV d’un candidat lui permet de passer un
premier entretien avec un opérationnel (manager ou associé).
Test d’anglais : le candidat subit un test d’anglais ou passe un entretien en anglais. C’est
ainsi que De Beelde115 et al. (2003) soulignent :
« Cette politique d’embauche a pour effet de doter ces cabinets de personnels à fort
potentiel, susceptibles d’obtenir rapidement le diplôme d’expertise comptable et
115 I. DeBeelde, N. Gonthier, A. Mikol (2003), « Le développement des grands cabinets anglo-saxons d’audit en France, Communication présentée au 24e Congrès de l’AFC (Association Francophone de Comptabilité), Université catholique de Louvain (Belgique), 22 et 23 mai 2003.
230
3432
capables de travailler en anglais. Ce dernier point ne doit pas être négligé : les
auditeurs de Price Waterhouse qui, en 1976, établissent les premiers comptes consolidés
de Saint Gobain doivent nécessairement utiliser des ouvrages anglo-saxons : le mot
consolidation est absent du Plan comptable 1957 et, s’il existe quelques textes épars
publiés par la COB et l’OECCA, il n’existe alors aucun ouvrage français relatif à cette
technique comptable. »
Entretien de personnalité : quelques jours ou quelques semaines plus tard, il s’entretient
une nouvelle fois avec les RH (Ressources Humaines) ou un opérationnel.
« Ce qu’on recherche chez un jeune auditeur est d’abord sa capacité à résister à
la pression. Pour les techniques comptables nous avons ce qu’il faut, car on
recherche plutôt un auditeur et pas un comptable. » (Gabrielle. R, chargée du
recrutement, 2007).
Les qualités humaines recherchées
La chargée du recrutement nous confirme que :
« Les principales qualités, dans l’ordre, que nous recherchons chez un auditeur,
c’est d’abord un esprit relationnel et ensuite un potentiel technique, c’est
quelqu’un qui peut travailler en équipe et qui dispose d’une grande curiosité. Je
pense que quelqu’un de renfermé ne peut pas vraiment faire carrière en audit ».
C’est dans ce sens que Marie-Christine. D (responsable RH) nous explique :
« L’audit est avant tout un métier de contact, pour cette raison nous recherchons
des gens qui ont un vrai sens du relationnel. L’auditeur travaille avec l’équipe et
le client, il doit donc disposer d’un fort potentiel relationnel […] nous recrutons
aussi des collaborateurs qui doivent utiliser d’une manière intelligente nos
231
méthodes de travail. Il ne suffit pas d’appliquer à la lettre nos outils de travail, il
faut savoir se poser les bonnes questions à chaque fois… »
Gabrielle. R (chargée du recrutement) ne contredit pas ces propos :
« Il ne suffit pas de comprendre notre méthode de travail et la démarche d’audit,
en plus de bien l’intégrer on recherche des personnes curieuses, des têtes bien
faites et surtout il faut avoir le goût d’apprendre en permanence. L’audit vit un
grand changement ces dernières années : les IFRS, les NEP, les modèles de
rapports qui changent. Pour être à jour l’auditeur doit apprendre et se former
en permanence. »
Enfin,
« D’autres qualités sont recherchées, le courage et l’intégrité, le courage de
pouvoir dire non au client, le courage de pouvoir dire non à un supérieur,
enfin savoir dire un « non » diplomate… ». (Marie-Christine, Responsable
RH).
Selon la responsable RH du cabinet Audit & Co,
« Le meilleur auditeur c’est celui qu’on peut modeler à notre façon et le
positionner par la suite, car tout auditeur chez nous est perçu entre autres
comme un futur client ».
De Beelde116 et al. (2003) corroborent avec ceci :
« Tous ces jeunes recrutés, quand ils quittent leur cabinet, prennent rapidement des
postes de responsabilité chez leurs nouveaux employeurs et n’hésitent pas à faire appel
à leur ancien cabinet : "Tous ceux qui sont partis ont nourri le cabinet !", nous a résumé
un ancien associé d’Andersen.
116 I. DeBeelde, N. Gonthier, A. Mikol (2003), « Le développement des grands cabinets anglo-saxons d’audit en France, Communication présentée au 24e Congrès de l’AFC (Association Francophone de Comptabilité) Université catholique de Louvain (Belgique), 22 et 23 mai 2003.
232
Cette politique d’embauche a un autre effet, encore plus fondamental : la génération des
Français nés entre 1945 et 1950 est, dès la fin des années 1970, aux commandes des
grands cabinets anglo-saxons d’audit. Au début des années 1980, les associés anglo-
saxons ne sont plus qu’une poignée, et si l’on parle encore des grands cabinets anglo-
saxons d’audit, il convient dès lors de se souvenir que la quasi-totalité des personnes qui
y travaillent sont des français diplômés de l’enseignement supérieur qui, en outre, pour
les plus anciens, sont titulaires du diplôme d’expertise comptable. »
1.3.3. Les instruments de travail dans une mission d’audit
Pour chaque société, client du cabinet, sont constitués différents classeurs :
Dossier de contrôle.
Dossier de synthèse.
Dossiers permanents.
Le dossier de contrôle
Les dossiers de contrôle sont à périodicité annuelle. Ils sont établis lors de
l’année N et archivés après le contrôle des comptes de N+1. Ces dossiers
regroupent les contrôles effectués par les auditeurs de terrain.
D’une balance générale à un cycle d’audit
Pour procéder au contrôle des comptes, le premier élément communiqué par le client est la
balance générale. Après un traitement informatique, cette dernière donne naissance à des états
financiers hors annexes, bilan et compte de résultat. Afin de permettre un travail détaillé sur
chaque élément des postes du bilan et du compte de résultat, les comptes de l’entreprise sont alors
décomposés en « cycles ».
233
3510
La décomposition des comptes de l’entreprise en cycle d’audit permet une correspondance entre
les cycles de celles-ci et ses principaux postes de bilan et de compte de résultat. Cette
décomposition en cycles est adaptée à l’entreprise auditée, en fonction de son activité, sa taille et
son environnement. Les banques et les compagnies d’assurance disposent de leurs propres cycles.
Nous avons retenu comme exemple, ci-dessous, la décomposition la plus souvent utilisée, et qui
est basée, d’une manière simplifiée, sur les grandes masses des comptes d’une entreprise
industrielle :
Tableau 10: La décomposition du bilan et du compte de résultat en cycles
Les principaux fondements de la discipline...............................................................................................................31
I. L’audit............................................................................................................................................................32
1.1 L’audit, légitimité théorique dans un environnement économique................................................32
1.1.1. L’audit légal et son historique..............................................................................................................33
1.1.2. L’audit et la théorie de l’agence...........................................................................................................42
1.1.2.1. L’audit et la relation d’agence.............................................................................................................42
1.1.2.2. L’auditeur et l’asymétrie d’information..............................................................................................44
1.1.3. L’audit et la théorie d’assurance/ parties prenantes...........................................................................47
1.1.3.1. L’utilité de l’information financière et le besoin de confiance...........................................................47
1.1.3.2. L’auditeur, réputation et signalisation.................................................................................................50
1.2 L’audit, « gage » de la légitimité théorique par un environnement encadré.................................52
1.2.1 Le cadre réglementaire.........................................................................................................................52
1.2.2 La responsabilité de l’auditeur.............................................................................................................56
II. La qualité de l’audit, indépendance et compétence.........................................................................................60
2.1 La compétence, qualité de détection..................................................................................................61
2.1.1 La compétence relative versus compétence absolue............................................................................62
2.1.2 La technicité et le savoir-faire des auditeurs.......................................................................................66
2.2 L’indépendance, qualité de révélation...............................................................................................67
2.2.1 L’objectivité de l’indépendance............................................................................................................69
358
2.2.1.1. Les règles prévues par la loi.................................................................................................................70
2.2.1.2. La doctrine de la compagnie nationale des commissaires aux comptes.............................................72
2.2.1.3. Les recommandations du groupe de travail sur l’indépendance et l’objectivité des commissaires aux
comptes faisant appel public à l’épargne.......................................................................................................74
2.2.1.4. L’objectivité de l’indépendance, un enjeu européen...........................................................................74
2.2.2 La subjectivité de l’indépendance........................................................................................................75
La théorie des réseaux sociaux.................................................................................................................................106
I. Le cadre général des réseaux sociaux..............................................................................................................107
1.1. Définition et origine...................................................................................................................................107
1.1.2. La genèse de l’analyse des réseaux sociaux...........................................................................................110
1.2 Les déterminants des réseaux dans le monde professionnel – le capital social............................111
1.2.1 Le capital social principale ressource des réseaux............................................................................112
1.2.2 Les théories du capital social..............................................................................................................113
1.2.2.1 Approche de Pierre Bourdieu.............................................................................................................113
1.2.2.2 Approche des sociologues...................................................................................................................114
II. La confiance comme principal objet d’étude des réseaux............................................................................122
2.1. La définition et la place de la confiance au sein des organisations.......................................................123
2.1.1. Définition de la confiance..................................................................................................................123
2.1.2- La confiance au sein des organisations............................................................................................125
2.2. La confiance et la réputation comme une source de capital social dans les réseaux sociaux................126
359
7098
III- Focus sur les trois éléments caractéristiques de l’analyse des réseaux : le capital social, la confiance et la réputation..........................................................................................................................................................127
3.1. Le capital social.........................................................................................................................................127
3.1.1. La sociabilité, principal élément du capital social............................................................................1273.1.2. La nécessité d’une structure..............................................................................................................1303.1.3. Performance et capital social.............................................................................................................131
3.2- La confiance...............................................................................................................................................132
3.2.1. Panorama de définition et typologie..................................................................................................1333.2.2. Les déterminants organisationnels de la confiance..........................................................................1363.2.2.1 Les prédispositions de la confiance.................................................................................................1373.2.2.2 Les caractéristiques du partenaire...................................................................................................1383.2.2.3 Des dispositifs organisationnels gages de confiance......................................................................1423.2.3. Conséquences organisationnelles de la confiance............................................................................143
3.3- La réputation, médiation sociale et garantie à la confiance..................................................................146
3.3.1. Confiance et réputation selon le modèle de Kreps............................................................................1463.3.2. La réputation dynamique de la confiance.........................................................................................151
1.2.1. Une perspective interprétative............................................................................................................162
1.2.2. L’abduction comme démarche de recherche.....................................................................................164
1.3. Les choix méthodologiques.......................................................................................................................165
1.3.1. Choix d’une méthode qualitative.......................................................................................................1651.3.2. Analyse longitudinale.........................................................................................................................1681.3.3. Les techniques mises en œuvre..........................................................................................................1691.3.3.1. Les entretiens...................................................................................................................................1701.3.3.2. L’observation participante..............................................................................................................1721.3.3.3. La démarche générale de collecte de l’information.......................................................................175
II. Les entretiens exploratoires : Analyse de données et résultats....................................................................1782.1. Le recueil et l’analyse de données des entretiens exploratoires............................................................178
2.1.1 Le guide d’entretien.............................................................................................................................1782.1.2. Analyse du contenu............................................................................................................................1782.1.3. Le choix justifié de l’échantillon.......................................................................................................1792.1.4. Grille de synthèse................................................................................................................................180
2.2. Les résultats des entretiens exploratoires et l’affinement du cadre de la recherche..........................181
2.2.1. La perception de la compétence par les praticiens............................................................................1822.2.2. Les déterminants de la compétence...................................................................................................184
360
2.2.3. Le rôle des relations sociales au sein de l’équipe d’audit.................................................................1862.2.4. Bilan des entretiens exploratoires dans le cadre de notre recherche...............................................187
III. Le recueil et l’analyse de données de l’étude de cas du cabinet Audit & Co : observation participante189
3.1. Choix du cas étudié...................................................................................................................................189
3.1.1. La nature de la société........................................................................................................................1893.1.2. La nature de notre statut....................................................................................................................1893.1.3. Les avantages de notre choix du cas étudié.......................................................................................190
3.2.1. Généralités..........................................................................................................................................1913.2.2. Mon observation participante au sein cabinet Audit & Co...............................................................1923.2.3. Participation et distanciation du chercheur......................................................................................193
3.3. Les entretiens réalisés...............................................................................................................................196
PARTIE 2.....................................................................................................................203
ÉTUDE DE CAS DU CABINET AUDIT & CO..............................................................203
Le cabinet Audit & Co : Présentation générale et interprétation de la période d’étude....................................206I. Présentation du Cabinet Audit & Co..............................................................................................................208
1.1.1. Audit & Co Associés, holding réunissant l’expertise comptable et l’audit…..................................2081.1.2. … est sous le contrôle d’un des Big Four, depuis moins de 10 ans.................................................2081.1.3. La situation actuelle du cabinet Audit & Co.....................................................................................209
1.2- Le fonctionnement général du cabinet Audit & Co et les activités des auditeurs..............................209
1.2.1. Le métier et les typologies de clients..................................................................................................2091.2.2. Organisation et acteurs......................................................................................................................2121.2.3. Fonctionnement général de l’activité du cabinet..............................................................................214
1.3. Le métier de l’audit légal au sein du cabinet Audit & Co.....................................................................228
1.3.1. L’organigramme de l’unité audit.......................................................................................................2281.3.2. Le profil des auditeurs........................................................................................................................2291.3.3. Les instruments de travail dans une mission d’audit........................................................................2331.3.4. Une méthodologie de travail structurée.............................................................................................2411.3.5. Une saison d’audit..............................................................................................................................2421.3.5.1. Une saison d’une mission d’audit...................................................................................................2421.3.5.2. Une saison d’auditeur : « Up or Out » légende (mythe) ou réalité...............................................243
II. Notre histoire au sein du cabinet Audit & Co...............................................................................................2482.1- Le cabinet Audit & Co est une organisation sociale..............................................................................248
2.1.1. Le cabinet Audit & Co : Structure et hiérarchie...............................................................................249
2.1.1.1. La hiérarchie du cabinet Audit & Co : Une organisation pyramidale...............................................249
2.1.1.2. La hiérarchie et la relation client.......................................................................................................255
2.1.1.3. La hiérarchie et le cycle d’une mission d’audit.................................................................................257
361
7176
2.1.2. L’auditeur et son environnement.......................................................................................................258
2.1.2.1. L’auditeur et son réseau de contraintes.............................................................................................258
2.1.2.2. L’auditeur et réseau relationnel.........................................................................................................259
2.2- Notre interprétation de la période d’étude.............................................................................................260
2.2.1. Notre vie au sein du cabinet Audit & Co - Deux histoires de compétences, de réputation et de
2.2.2. La vie de l’auditeur.............................................................................................................................270
2.2.2.1. Des horaires « élastiques ».................................................................................................................270
2.2.2.2. Des déplacements fréquents...............................................................................................................271
2.2.2.3. Un contexte stressant..........................................................................................................................272
2.2.2.4. La peur de l’auditeur..........................................................................................................................273
2.2.2.5. Insatisfaction des auditeurs................................................................................................................275
Analyse de la relation des réseaux sociaux et la compétence au sein du cabinet Audit & Co............................280I. La construction des réseaux - origines et développement..............................................................................282
1.1. La socialisation horizontale...............................................................................................................282
1.2. La socialisation verticale...................................................................................................................283
1.2.1. Les assistants et les chefs de mission.................................................................................................283
1.2.2. Les chefs de mission et leurs supérieurs hiérarchiques....................................................................286
II. Valeurs du cabinet et leurs supports de diffusion-valeurs dans les réseaux..............................................2872.1. Les valeurs du cabinet..............................................................................................................................287
2.2. Les supports de diffusion des valeurs......................................................................................................289
2.2.1. La formation........................................................................................................................................289
2.2.2. La communication interne.................................................................................................................291
III. Intérêts des réseaux........................................................................................................................................2923.1. La confiance...............................................................................................................................................292
3.1.1. La confiance se mérite............................................................................................................................293
3.1.2. Les conséquences de la confiance..........................................................................................................296
3.2. La réputation : chaîne de confiance........................................................................................................297
3.3 Réputation et confiance base de la constitution du capital social..........................................................300
IV- La constitution du capital social au sein du cabinet Audit & Co, moteur de l’évolution........................301
CONCLUSION GÉNÉRALE........................................................................................3091. Les contributions de cette recherche...............................................................................................................309
1.1. Les apports théoriques et méthodologiques....................................................................................309
1.2. Les construits théoriques énoncés....................................................................................................311
1.3. Apports dans la formation et dans la pratique...............................................................................312
362
2. Les limites de la recherche..........................................................................................................................3132.1. Les limites théoriques........................................................................................................................313
2.2. Les limites méthodologiques.............................................................................................................314
3. Les perspectives ultérieures esquissées par notre recherche...................................................................3153.1. Vérification des conclusions obtenues à partir d’un seul cas d’étude....................................................3163.2. Les réseaux sociaux entre les cabinets d’audit et leurs clients................................................................3163.3. Les réseaux sociaux et la cooptation des associés dans les cabinets d’audit..........................................317
TABLEAU 10: LA DÉCOMPOSITION DU BILAN ET DU COMPTE DE RÉSULTAT EN CYCLES.................234
TABLEAU 11: LA TABLE DE CORRESPONDANCE DES CYCLES DE L’AUDIT.....................................235
TABLEAU 12: LES DIFFÉRENTS GRADES DU CABINET AUDIT & CO ET LEUR ABRÉVIATION............249
364
Liste des figures
FIGURE 1:L’ÉVOLUTION DE L’APPROCHE D’AUDIT..............................................................42
FIGURE 2:MODÈLE HIÉRARCHISÉ DU CADRE RÉGLEMENTAIRE DE L’AUDIT LÉGAL, ADAPTÉ DE RICHARD (2000)..............................................................................................................55
FIGURE 3:LES ÉTAPES USUELLES D’UNE MISSION D’AUDIT LÉGAL......................................67
FIGURE 4:LES ÉTAPES D’ACCEPTATION D’UNE MISSION D’AUDIT LÉGAL..............................70
FIGURE 5:LA SUBJECTIVITÉ DE L’INDÉPENDANCE SELON LA RÉFLEXION DE HAURET (2000)76
FIGURE 6:LES FACTEURS AFFÉRENTS À L’INDÉPENDANCE PERÇUE....................................78
FIGURE 7: LES DIFFÉRENTES FORMES DU RAPPORT GÉNÉRAL DU COMMISSAIRE AUX COMPTES SELON LES PRÉCONISATIONS DE LA CNCC (COMPAGNIE NATIONALES DES COMMISSAIRES AUX COMPTES).........................................................................................86
FIGURE 8: « L’ARBRE GÉNÉALOGIQUE » DE L’ANALYSE DES RÉSEAUX SOCIAUX...............111
FIGURE 9: LA TRIADE INTERDITE.....................................................................................118
FIGURE 10: LES DEGRÉS HIÉRARCHISÉS DE LA CONFIANCE.............................................122
FIGURE 11:..........INTENSITÉ ET FORMES DE LA SOCIABILITÉ (SELON L’ÂGE ET LA CATÉGORIE SOCIALE).......................................................................................................................128
FIGURE 12:................UNE SYNTHÈSE SUR LE CONTENU RESTREINT ET ÉLARGI DU MODÈLE DE RÉPUTATION DE KREPS..................................................................................................151
FIGURE 13:..................REPRÉSENTATION SCHÉMATIQUE DE NOTRE DÉMARCHE GÉNÉRALE DE RECHERCHE...................................................................................................................176
FIGURE 1: LE CADRE THÉORIQUE D’ANALYSE DE LA COMPÉTENCE, AU COEUR DE LA THÉORIE DES RÉSEAUX SOCIAUX..................................................................................................202
365
FIGURE 14: LES SECTEURS D’ACTIVITÉ DES CLIENTS DU CABINET AUDIT & CO.................210
FIGURE 15: LES MÉTIERS DU CABINET AUDIT & CO.........................................................211
FIGURE 16: L’ORGANIGRAMME DU CABINET AUDIT & CO.................................................213
FIGURE 17: RÉPARTITION DU GROUPE AUDIT & CO SUR LE TERRITOIRE NATIONAL EN 2005.....................................................................................................................................213
FIGURE 18: RÉPARTITION DU GROUPE AUDIT & CO DANS LE MONDE...............................214
FIGURE 19: SYNTHÈSE DU PROCESSUS MÉTIER DU CABINET AUDIT & CO.........................215
FIGURE 20: DÉTAIL DE LA PHASE EXÉCUTION DE LA MISSION...........................................227
FIGURE 21: DÉTAIL DE LA PHASE, COMPTE RENDU DE LA MISSION...................................228
FIGURE 22: L’ORGANIGRAMME DE L’UNITÉ AUDIT............................................................229
FIGURE 23: LES DIFFÉRENTS DOCUMENTS ET INSTRUMENTS DE TRAVAIL DANS UNE MISSION D’AUDIT.........................................................................................................................237
FIGURE 24: ÉVALUATION ET CONTRÔLE DU COLLABORATEUR D’AUDIT.............................245
FIGURE 25: LE CYCLE ANNUEL DES AUDITEURS...............................................................247
FIGURE 26: LA PYRAMIDE DES GRADES SELON LE NOMBRE D’ANNÉES D’EXPÉRIENCE.......255
FIGURE 27: LA HIÉRARCHIE DU CABINET ET LES RELATIONS AUDITEUR-AUDITÉ.................257
FIGURE 28: LA HIÉRARCHIE DU CABINET ET LES DIFFÉRENTES PHASES D’UNE MISSION D’AUDIT.........................................................................................................................257
FIGURE 29: LE RÉSEAU DES CONTRAINTES DE L’AUDITEUR DU TERRAIN...........................259
FIGURE 30: LE RÉSEAU RELATIONNEL DE L’AUDITEUR.....................................................260
FIGURE 31:. .LE CADRE THÉORIQUE D’ANALYSE DE LA COMPÉTENCE, INSPIRÉ DE LA THÉORIE DES RÉSEAUX SOCIAUX..................................................................................................280
FIGURE 2: D’UNE COMPÉTENCE CONCEPTUELLE À UNE COMPÉTENCE PRAGMATIQUE........305
366
7332
367
Liste des encadrés
ENCADRÉ 1 : LE CADRE CONCEPTUEL DES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA COMPÉTENCE EN AUDIT.............................................................................................................................. 65
ENCADRÉ 2 : LE DÉVELOPPEMENT EN FRANCE DES RÉSEAUX D’AUDIT ANGLO-SAXONS (REPRIS DE DE BEELDE ET AL. (2003), P. 11).................................................................100
ENCADRÉ 3 : LA TRIADE INTERDITE DE MARK GRANOVETTER (1/2).................................118
ENCADRÉ 4 : LA CONFIANCE – DÉFINITION RETENUE.......................................................135
ENCADRÉ 5 : LE MODÈLE DE KREPS (REPRIS DE S. GUENNIF)......................................147
ENCADRÉ 6 : LES PRINCIPAUX RÉSULTATS DES ENTRETIENS EXPLORATOIRES..................188
ENCADRÉ 7 : IMPLICATION ET DISTANCIATION DU CHERCHEUR DANS LE CADRE D’UNE OBSERVATION PARTICIPANTE (REPRIS DE ZRIHEN, 2002, P. 192).....................................194
368
Annexe
369
Vu : le Président Vu les suffragants M.M.M.M.
Vu et permis d’imprimer : le Vice-Président du Conseil Scientifique Chargé de la Recherche de l’Université Paris Dauphine.
370
371
7410
Résumé
La compétence de l’auditeur a souvent été considérée dans la littérature comme une assurance de « la capacité de détection » sans prendre en compte la composante relationnelle. A partir d’une observation participante d’une durée de quatre ans au sein du cabinet Audit & Co, nous nous sommes intéressés à comprendre le lien entre un des fondements de la qualité de l’audit, à savoir la compétence, et le cabinet d’audit en tant qu’organisation sociale. En prenant comme cadre d’analyse la théorie des réseaux sociaux selon trois axes : le capital social, la confiance et la réputation.
Les résultats de notre recherche permettent d’aller un peu plus loin que la vision traditionnelle et impersonnelle qu’offre l’approche classique de la compétence de l’auditeur, dans la mesure où le construit social par l’auditeur est aussi une compétence. Sur la base de ces résultats, nous considérons que la constitution d’un capital social, conditionnée par la combinaison confiance-réputation, est déterminante pour l’évolution de la carrière de l’auditeur. Au-delà d’une compétence purement « technique », c’est sa compétence d’être socialement intégré dans un réseau qui lui promet d’avantage d’évoluer au sein du cabinet.
Mots clés : Audit légal, compétence de l’auditeur, théorie des réseaux sociaux, observation participante
Summary
The auditor’s competence has been considered in the literature as an insurance of “detection capability” without taking into account the relational component. From a participant observation of a period of four years within the Audit and Co firm, we are interested in understanding the link between one of the foundations of Audit quality, namely competence and the Audit firm as a social organization. Using as a framework for analyzing social network theory in three ways: social capital, trust and reputation.
The results of our research allow to go a little further than the traditional and impersonal vision which offers classical approach of the auditor’s competence. Insofar the constitution of social capital, conditioned by the combination trust-reputation, is crucial for the evolution of the auditor career. Beyond a purely “technical ” competence, to be socially integrated in a network that allows to evolve more within the firm.
Keywords: Legal audit, Auditor’s competence, social networks theory, participant observation.