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Collection EDYTEM - n° 14 - 2013 97 LE PATRIMOINE NATUREL – GÉOLOGIQUE ET OASIEN – AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT GÉOTOURISTIQUE DANS LA PROVINCE DE SIDI IFNI ET SON ARRIÈRE-PAYS OASIEN MAROC THE NATURAL HERITAGE GEOLOGICAL HERITAGE AND OASIS IN THE SERVICE OF GEOTOURISM DEVELOPMENT IN THE PROVINCE OF SIDI IFNI AND ITS HINTERLAND OASIS MORROCO SIHAM ALBAB ¹, ABDELKRIM EZAIDI ², MOHAMED BENSSAOU ² , BELKACEM KABBACHI ² ¹ Doctorante, Université Ibn Zohr, Faculté des Sciences, BP 8106, 80000 Agadir, Maroc. ² Enseignants chercheurs, laboratoire « Géo patrimoine et Géo matériaux » Université Ibn Zohr, Agadir, Maroc. Contact : [email protected] RÉSUMÉ Milieux fragiles, les oasis de l’Anti-Atlas occidental recèlent des richesses de biodiversité et de géodiversité ; elles sont par ailleurs un espace abritant un patrimoine phoenicicole varié et ayant un rôle socio-économique important dans le développement des zones arides et semi-arides du sud marocain. Mais ces espaces sont aussi caractérisés par une hypersensibilité à la désertification et à toute intervention anthropique : extraction minière, développement touristique inapproprié, etc. Cet article met l’accent sur la mise en place d’une approche territoriale visant à valoriser les ressources géologiques et géomor- phologiques des oasis. Ciblée sur la province de Sidi Ifni et son arrière pays oasien, notre démarche repose sur la question sui- vante : comment protéger les ressources, produire de la richesse et valoriser les potentialités territoriales, sans pour autant porter atteinte à la biodiversité et la géodiversité de ces espaces vulnérables ? MOTS-CLÉS : OASIS, PATRIMONIALISATION, DÉVELOPPEMENT TOURISTIQUE, ÉCOTOURISME, GÉOTOURISME. ABSTRACT Fragile environments, the oases of the Western Anti-Atlas contain not only the wealth of biodiversity within them but also a geodi- versity around ; Indeed, oases appear as a space full of rich phoenicicole heritage and having an important role in the socio-eco- nomic development of arid and semi-arid areas. However, these areas are characterized by their hypersensitivity to desertification and any human intervention: extraction, inappropriated touristic development, etc. The aim of this article is to develop a territorial approach with the preservation and the development of the geological and geo- morphological heritage in the oasien context. Focused on the Sidi Ifni Province and its hinterland oasis, this study analyses how to protect the resources to produce wealth, and enhancing the potential land without risking biodiversity and geodiversity of these vulnerable areas? KEYWORDS: OASIS, PATRIMONIALISATION, TOURIST DEVELOPMENT, ECOTOURISM, GEOTOURISM.
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The naTural heriTage – geological heriTage and oasis – in The service of geoTourism developmenT in The province of sidi ifni and iTs hinTerland oasis morroco

Apr 21, 2023

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Collection EDYTEM - n° 14 - 2013 97

Le patrimoine natureL – géoLogique et oasien – au service du déveLoppement géotouristique

dans La province de sidi ifni et son arrière-pays oasien

maroc

The naTural heriTage – geological heriTage and oasis – in The service of geoTourism developmenT in The province of sidi ifni and iTs hinTerland oasis

morroco

Siham ALBAB ¹, abdelkrim EZAIDI ², mohamed BENSSAOU ² , belkacem KABBACHI ²

¹ Doctorante, Université Ibn Zohr, Faculté des Sciences, BP 8106, 80000 Agadir, Maroc.² Enseignants chercheurs, laboratoire « Géo patrimoine et Géo matériaux » Université Ibn Zohr, Agadir, Maroc.

Contact : [email protected]

Résumé Milieux fragiles, les oasis de l’Anti-Atlas occidental recèlent des richesses de biodiversité et de géodiversité ; elles sont par ailleurs un espace abritant un patrimoine phoenicicole varié et ayant un rôle socio-économique important dans le développement des zones arides et semi-arides du sud marocain. Mais ces espaces sont aussi caractérisés par une hypersensibilité à la désertification et à toute intervention anthropique : extraction minière, développement touristique inapproprié, etc. Cet article met l’accent sur la mise en place d’une approche territoriale visant à valoriser les ressources géologiques et géomor-phologiques des oasis. Ciblée sur la province de Sidi Ifni et son arrière pays oasien, notre démarche repose sur la question sui-vante : comment protéger les ressources, produire de la richesse et valoriser les potentialités territoriales, sans pour autant porter atteinte à la biodiversité et la géodiversité de ces espaces vulnérables ?

Mots-clés : oasis, paTrimonialisaTion, développemenT TourisTique, écoTourisme, géoTourisme.

AbstRAct

Fragile environments, the oases of the Western Anti-Atlas contain not only the wealth of biodiversity within them but also a geodi-versity around ; Indeed, oases appear as a space full of rich phoenicicole heritage and having an important role in the socio-eco-nomic development of arid and semi-arid areas. However, these areas are characterized by their hypersensitivity to desertification and any human intervention: extraction, inappropriated touristic development, etc. The aim of this article is to develop a territorial approach with the preservation and the development of the geological and geo-morphological heritage in the oasien context. Focused on the Sidi Ifni Province and its hinterland oasis, this study analyses how to protect the resources to produce wealth, and enhancing the potential land without risking biodiversity and geodiversity of these vulnerable areas?

Keywords: oasis, paTrimonialisaTion, TourisT developmenT, ecoTourism, geoTourism.

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Ressources patrimoniales et alternatives touristiques : entre Oasis et Montagne

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Si les oasis ont été pendant longtemps considérées comme des espaces isolés dans des milieux déser-tiques ou fortement marqués par l’aridité clima-tique (Mainguet et al., 2005), elles sont aujourd’hui confrontées, plus que jamais, à des défis qui risquent à terme de bouleverser les équilibres façonnés au cours des siècles. En effet, les oasis connaissent une pression accrue résultant de l’action anthropique (surexploitation, surpâturage, pompage excessif de l’eau) sur des ressources fragilisées par l’effet notamment des périodes récurrentes de sécheresse et des attaques pathogènes des palmiers (maladie du baayoud). Ces processus portant atteinte aux

écosystèmes et géosystèmes avoisinants pourraient conduire à terme à la diminution des biens et services produits dans les espaces oasiens, et par la suite, à la dégradation du niveau de vie et à la déstabilisation sociale et culturelle des communautés locales.

De plus, comme d’autres systèmes territoriaux, les oasis sont soumises à la pression d’une mondia-lisation croissante qui fait d’elles un lieu touristique de plus en plus prisé. Ingénieurs et promoteurs du tourisme peuvent décider du devenir de ces milieux et, par des actions de développement inappropriées, mettre en danger le caractère remarquable de leur biodiversité et de leur géodiversité.

IntRoductIon

Figure 1 - Localisation de la zone d’étude. Dessin A. Ezaidi, S. Albab, 2012.

ALGÉRIE

MAROC

50 km

BouAmtoudi

Province de Guelmim-Es Semara

Province de Souss-Massa-Drâa

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Collection EDYTEM - n° 14 - 2013 99

siham alBaB et al. Patrimoine naturel et développement géotouristique dans la province de Sidi Ifni

encadré 1 - La région de sidi ifni et son arrière pays oasien : les oasis de taghjijt et d’amtoudi, province de guelmim

La zone étudiée (Figure 1) est centrée sur deux oasis de l’Anti-Atlas occidental marocain qui font partie de la région de Guelmim - Es Smara (sud-ouest du Maroc), région dont la superficie dépasse 142 000 km 2. Son territoire peut être scindé en trois grandes zones géographiques :

– une zone de montagnes qui forme le prolongement de l’Anti-Atlas au nord et nord-est (zone abritant les oasis de Taghjijt et d’Amtoudi). À l’échelle du pays, cette zone d’oasis de montagne peut être qualifiée de site géologique remarquable. Elle constitue un domaine montagneux, sec et aride sur sa retombée saharienne du côté de l’océan Atlantique. Directement adossées au versant sud de l’Anti-Atlas, Taghjijt et Amtoudi sont deux oasis de transition entre montagne et plaine. Ce sont des oasis aux portes du désert qui offrent des ressources naturelles multiples : forêts de montagne (Blerot et Mhirit, 1999), zones humides et pelouses d’altitude abritant une avifaune particulière-ment riche (Direction provinciale de l’agriculture, 2007) : chauve-souris (Rhinopoma hardwickii et Tadarida tenio-tis), buse variable (Buteo buteo), guêpier d’Europe (Merops apiaster), une faune résiduelle de mammifères, avec par exemple la gazelle dorcas (Gazella dorcas), le chacal doré (Canis aureus), le rat à trompe (ou macroscélides de Rozet, Elephantulus roseus). À cela s’ajoute une flore diversifiée avec une végétation arbustive (Rhus tripartitum, Zyziphus lotus, Euphorbia echnus, E. régis-jubae, E. balsemifera). L’ensemble de ces ressources se prête au déve-loppement d’un écotourisme et géotourisme diffus ; – une zone semi-désertique au centre, constituée de plaines que traversent des reliefs de faible altitude ; – une zone désertique au sud.

Notre terrain d’étude se situe également, pour partie, dans la province de Sidi Ifni (partie occidentale de l’Anti-Atlas). Cette dernière est limitée au nord par la plaine de Tiznit, au sud par la plaine de Guelmim - Bou Izakarne, à l’ouest par l’océan Atlantique et l’est par le plateau de Lakhssass qui la sépare de la boutonnière de Kerdous (sud-ouest de la région Souss - Massa - Drâa). La province de Sidi Ifni s’étend sur 3 190,7 km 2. Sa population est actuellement de 127 781 habitants avec une densité de 49 ha / km 2.

Dans son ensemble, l’Anti-Atlas est une succession géomorphologique de crêtes de type appalachien et de dépres-sions, appelées respectivement jbels (principalement le Bani 1 et 2, Zini, Rich) et feijas, combes fortement entaillées par un réseau hydrographique composé essentiellement par les oueds Drâa, Saoura et Ziz. Ces cours d’eau prennent nais-sance dans le Haut-Atlas et sont souvent canalisés par la direction structurale des feijas. Cependant, ils peuvent couper transversalement les reliefs par des cluses étroites appelées foums, et soit rejoindre l’océan Atlantique comme l’oued Drâa, soit se perdre dans les étendues subsableuses pour alimenter les nappes alluviales ou former des gueltats autour desquelles se développent des oasis. Le paysage dominant dans ces régions se partage entre une série de reliefs formant des cuestas à l’aplomb des boutonnières et de vastes étendues tapissées de cailloutis, de dunes ou de regs.

Enfin, il est à signaler que cette chaîne s’érige en une barrière naturelle et contribue à l’adoucissement du climat aride par le maintien des influences océaniques contre les vents secs qui viennent du Sahara et du cordon des grandes Hamadas.

Des pratiques alternatives se développent cepen-dant, telle que la valorisation patrimoniale des res-sources oasiennes dans l’Anti-Atlas occidental qui vise à favoriser le développement géoécotouristique des oasis et des géosites potentiels. Des programmes locaux, nationaux et internationaux de développe-ment encouragent la mise en patrimoine des oasis du sud marocain et la promotion de l’activité touristique. Celle-ci demeure encore modeste, notamment dans la zone des oasis de Taghjijt et d’Amtoudi (Encadré 1, Figure 1), objet de notre étude.

Nous présenterons dans un premier temps les caractéristiques de ces espaces oasiens, en mettant l’accent sur leur vulnérabilité écologique, économique et sociale. Nous examinerons ensuite les stratégies visant à protéger et à promouvoir les ressources des sites naturels dans le cadre de programmes de valori-sation patrimoniale des géosites dans le sud marocain et d’actions de développement, qui révèlent l’intérêt croissant pour des formes de tourisme intégré.

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I - Les enjeux de LA pAtRImonIALIsAtIon dAns Les oAsIs de L’AntI-AtLAs

Les enjeux de la patrimonialisation des oasis ren-voient à la notion de « patrimoine » qui est à la fois un mot, une notion et un discours. Sous ces trois formes, le patrimoine est omniprésent dans la société dès qu’il s’agit de parler du passé conservé ou détruit, de la mémoire entretenue ou abandonnée, de la transmis-sion dite ou tue (Paveau, 2009). Il devient ainsi une donnée constitutive de l’identité de la société dont la perte est jugée irremplaçable. Rejoignant l’étymolo-gie patrimonium qui fait référence « aux biens hérités du père » (Bloch et al., 1994), les objets patrimoniaux sont identifiés et leur reconnaissance s’accompagne de mesures de protection. Ils s’inscrivent dans une double dynamique, laquelle vise à les transmettre dans le temps long aux générations futures tout en les inscrivant dans une logique de mise en tourisme sur le court terme (Duval, 2007).

Dès la mise en tourisme des oasis, la question de leur protection se pose. Le tourisme est alors perçu à la fois comme argument de conservation de l’au-thenticité de ces milieux et comme révélateur de leur vulnérabilité. Cette vulnérabilité est ressentie par les acteurs de la vie locale des oasis d’Amtoudi (Encadré 2) et de Taghjijt (Encadré 3). L’observation de la dégradation du milieu et des ressources natu-relles, et ses conséquences en termes de pauvreté, de désertification et de dysfonctionnement des systèmes oasiens, ont incité les acteurs et développeurs locaux à œuvrer pour inverser cette situation qualifiée « de crise ». Dans le cadre des activités de l’Agence de Développement Social (ADS) et du programme de l’Initiative Nationale du Développement Humain (INDH), la commune rurale de Taghjijt a été retenue comme localité pilote pour la conception et l’élabora-tion d’un diagnostic territorial. Ainsi, plusieurs activi-tés se rapportant à la sensibilisation et à l’information des partenaires, la préparation d’une monographie et la mise en place d’un fonds de développement local, ont été mises en œuvre. Le programme de lutte contre la désertification et la pauvreté, par la sauve-garde et la valorisation des oasis Guelmim - Assa - Tata, s’inscrit dans la même perspective (Agence du Sud, 2008). Dans ce cadre, et pour la première fois au Maroc, la commune rurale de Taghjijt a été rete-nue pour mettre en oeuvre la démarche Agenda 21 au niveau des oasis. Outre la mise en place de cette nouvelle approche territoriale, le programme prévoit le recours à plusieurs techniques et démarches valo-risant les atouts et potentialités de la localité à même de contribuer efficacement à son développement.

1 - Les oasis : un patrimoine naturel et culturel

Les oasis sont des écosystèmes qui existent grâce à l’utilisation judicieuse de l’eau captée, au niveau des résurgences qui bordent les oueds généralement secs, et acheminée vers les lieux d’utilisation. En associa-tion avec l’exploitation de l’eau, les populations des oasis ont développé un savoir-faire en termes d’amé-nagement de l’espace pour disposer de parcelles planes pourvues de suffisamment de terre pour permettre la conduite de cultures vivrières, même les plus exi-geantes. En zone de montagne, ces parcelles sont éta-gées en terrasses de faible largeur. Les efforts déployés nécessitent une maîtrise des techniques d’irrigation (captage et distribution de l’eau) et l’optimisation de l’espace exploité. C’est pour cela que les oasis sont des espaces où la densité de végétation est remarquable-ment élevée.

Ces oasis étaient déjà habitées il y a plus de 3 000 ans par des peuples en provenance du Sahara et du sud marocain. Ce fait est attesté par les nombreuses gravures rupestres, qui peuvent être réparties en trois périodes : une plus ancienne, dont les représentations ne peuvent être ni expliquées ni interprétées par des documents écrits (style de Tazina) ; une deuxième figu-rant des thèmes mentionnés ou décrits dans les textes anciens d’auteurs classiques (art rupestre bovidien) ; une troisième documentée par des sources ethnogra-phiques (art rupestre libyco-berbère).

Par leur histoire et leurs atouts socioculturels, les oasis de l’Anti-Atlas occidental offrent un cadre appro-prié pour un développement local. Mais le potentiel patrimonial oasien est encore mal identifié du fait de l’insuffisance des efforts déployés par les partenaires locaux et nationaux pour l’étudier et le conserver.

En plus de leurs potentialités historiques et cultu-relles, les oasis recèlent des ressources agrospatorales encore peu valorisées (Naggar, 2000). Les produits du terroir (miel, arganier, cactus, etc.) ainsi qu’une dou-zaine de filières agroéconomiques et pastorales ouvrent de grandes possibilités pour un écotourisme à partir d’une gamme de produits diversifiés (Ezaidi, 2007). Ce patrimoine vivant, mais encore non considéré comme tel du fait de l’absence de dispositifs de labellisation de classement ou de protection (comme peuvent l’être les labels IGP), constitue autant d’atouts à même de pro-mouvoir la culture oasienne et de participer au déve-loppement économique et social des zones oasiennes et désertiques.

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siham alBaB et al. Patrimoine naturel et développement géotouristique dans la province de Sidi Ifni

Pour l’heure, l’exploitation de ce potentiel touris-tique reste très réduite. Différents facteurs limitatifs peuvent être évoqués : la quasi-absence d’infrastruc-tures et de systèmes de communication, des lacunes dans l’organisation des services publics, la non-maî-trise des nouvelles technologies de l’information et l’absence d’une formation de qualité des ressources humaines.

2 - une économie oasienne basée sur des pratiques agropastorales fragiles

L’économie oasienne est une économie multi-variée : production phoenicicole, cultures annuelles de céréales (blé dur, orge, maïs), légumes cultivés à l’ombre en sous-étage des palmiers dattiers, arbres fruitiers (oliviers, amandiers, figuiers, grenadiers…). La luzerne, très répandue en raison de son caractère relativement pérenne, sert de fourrage pour l’éle-vage sédentaire de bovins, d’ovins et de caprins. En retour, l’élevage, pratiqué à l’étable ou transhumant, permet de fournir aux parcelles cultivées la matière organique nécessaire pour assurer la durabilité de la production (Figure 2).

Ces deux piliers de l’économie oasienne (agricul-ture et élevage) connaissent des mutations profondes

essentiellement dues à la pression démographique, à l’explosion des besoins et à la récurrence des années de sécheresse. Les terres cultivables sont très rares. Elles représentent moins de 2 % de la surface totale (Direction Régionale de l’Agriculture, 1996). En dehors des oasis traditionnelles, les sols sont géné-ralement asséchés, pauvres et peu évolués. Les sols irrigués se concentrent autour des sources d’eau superficielles et des points de pompage. Ils représen-tent 63,2 % du total de la superficie agricole utile. La stratégie des paysans oasiens repose essentiellement sur une mise en culture des terres intégrant la gestion des risques et des aléas par la répartition des par-celles entre plusieurs quartiers agricoles et par une relative diversification des productions.

Parmi les arbres fruitiers (amandiers, oliviers et abricotiers), le palmier demeure l’arbre-roi. À l’échelle de la région de Taghjijt, l’ensemble des palmeraies totalise entre 60 000 et 70 000 pieds de palmiers dattiers. Dans cette zone, ils présentent un large éventail de variétés en fonction de leur qua-lité physionomique, nutritive et de leur résistance à la fusariose. La production annuelle de la région est estimée à environ 1 000 tonnes de dattes. Les dattes sont vendues aux intermédiaires qui viennent les chercher dans les ksour ou sur la place des marchés locaux.

Figure 2 - Vue d’ensemble sur les différentes strates végétales de l’oasis d’Amtoudi. Photo A. Ezaidi, 2011.

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encadré 2 - L’oasis d’amtoudi

Ce milieu oasien se présente comme un milieu spécifique où l’homme, la faune et la flore co-évoluent depuis des siècles sans altération notable. Cette oasis se situe aux portes du désert, au fond d’un canyon où vivent environ 300 familles sur la commune d’Amtoudi (Haut Commissariat au Plan, 2004). Celle-ci est à environ 260 km au sud d’Agadir et comprend deux villages, Id Aïssa et Aguellouy et une source nommée Aïn Bougaa, située à une heure trente de marche au fond du canyon.

La végétation est constituée de figuiers, d’amandiers, d’abricotiers, d’oliviers, d’orangers et de palmiers. Les villageois vivent principalement de l’agriculture : petits champs de maïs et d’orge, jardins potagers plantés de carottes, tomates, piments... (Figure 3).

Les principaux attraits d’Amtoudi sont cette végétation, la source et les gorges grandioses (Figure 4), ainsi que les greniers fortifiés qui dominent la région : les igoudars (singulier : agadir) (Figure 3). Patrimoine emblématique de l’Atlas (Naji, 2006), ils sont ici bâtis au sommet des falaises du canyon de l’oued Id Aïssa.

Le village dispose d’une mosquée, de deux petites boutiques, d’une école primaire et d’une petite mairie. Le lieu de rencontre des villageois se fait sous le plus grand oranger d’Amtoudi, à l’abri du soleil. L’été, la température peut atteindre facilement 45°C à 50°C, mais le temps est plus clément en hiver où la température est de l’ordre de 20°C.

Figure 3 - L’oasis d’Amtoudi, village d’Id Aissa. À droite, sur le piton rocheux se détache l’agadir (grenier collectif du village). Photo D. Cadeau, 2008, avec son aimable autorisation.

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3 - une vulnérabilité écologique couplée aux contraintes sociales et économiques

Les oasis marocaines vivent depuis les dernières décennies un déclin généralisé. Alors qu’elles jouent un rôle prépondérant dans le maintien de l’équilibre écologique du milieu environnant sec et aride, elles sont, aujourd’hui, menacées de disparition.

L’agonie des oasis – le mot n’est pas trop fort – est une réalité à prendre sérieusement en compte. La disparition des oasis est annoncée, à plus ou moins long terme selon les espaces considérés. Les aléas naturels, la sécheresse en particulier, ne sont pas les seules causes ; l’action humaine est largement partie prenante dans ce processus.

Dans l’environnement proche des deux oasis étu-diées, ce qui frappe de prime abord, c’est l’absence de végétation sur de grandes étendues, aussi bien sur la pénéplaine que sur les flancs des montagnes, qui témoigne d’une dégradation avancée de la couver-ture végétale. Cette dégradation est due à la coupe des arbres, en particulier de l’arganier, aux défriche-ments (qui ont provoqué la disparition des plantes

comme l’euphorbe cactiforme), et au surpâturage. La situation ne fait qu’empirer avec l’augmentation de la fréquence des années de sécheresse qui entraîne l’ar-rivée de troupeaux étrangers (dromadaires des tribus sahariennes sud marocaines) et augmente la pression sur les maigres ressources forestières et pastorales.

À cela s’ajoute le constat du tarissement des sources. La majorité d’entre elles connaît une impor-tante diminution du débit et un certain nombre de résurgences se sont complètement taries. Le manque d’eau est aggravé par le recours de certains produc-teurs, ou associations d’agriculteurs, au creusement de puits pour le pompage de l’eau à usage d’irriga-tion. Cette diminution des ressources hydriques a notamment pour conséquence l’abandon de parcelles de culture et le dessèchement de beaucoup d’arbres fruitiers dans toutes les oasis du sud marocain.

Les palmeraies marocaines connaissent, dès lors, une sévère dégradation, perdant près des trois quarts de leurs palmiers, pertes qui se sont fortement accé-lérées ces dix dernières années. L’exploitation crois-sante et irrationnelle de la ressource hydrique a, en effet, précipité l’assèchement. Aujourd’hui, la raré-faction de la ressource en eau est un problème majeur

Figure 4 - Le canyon, la source et les gorges d’Amtoudi. Photo A. Ezaidi, 2012.

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encadré 3 - L’oasis de taghjijt

Située à 190 km au sud-est d’Agadir, la commune de Taghjijt fait partie de la province de Guelmim ; elle est limi-tée au nord par la province de Tata, au sud par la province de Assa Zag, au nord-ouest par la commune d’Ifrane dans l’Anti-Atlas. Cette région est la plus grande de la province ; sa superficie est d’environ 1 684 km2. La population totale de la commune de Taghjijt a été estimée au dernier recensement disponible à 6 983 habitants avec 1 360 foyers (Haut Commissariat au Plan, 2004). Cette région est marquée par l’aridité qui y règne. La température moyenne annuelle enregistrée à Taghjijt est de 21,6°C. En été, la température maximale s’élève à 48°C et le minimum hivernal absolu atteint 3°C. Les amplitudes thermiques sont très prononcées et les tempêtes de sable très fréquentes.

Les précipitations sont rares. Les pluies tombent entre septembre et mars, souvent sous forme d’averses violentes concentrées sur un laps de temps très court. Le paysage ne montre pas d’eau de surface. Le niveau des eaux souterraines est variable, avec des puits d’une dizaine de mètres de pro-fondeur en moyenne.

Du fait de l’aridité, la végétation se réduit à une steppe discontinue de graminées, d’eu-phorbes, d’armoise et de plantes éphémères dont la dynamique reste liée au régime des pluies. En dehors des îlots de verdure liés aux productions oasiennes, les arbustes qui peuplent encore ces contrées sont quelques arganiers, des touffes du jujubier et quelques acacias (Figures 5 et 6). Les principales cultures et productions sont constituées de dattes, de blé tendre, de blé dur, d’orge, de maïs et de luzerne. Figure 6 - Vue d’ensemble sur l’oasis de Taghjijt. Photo B. Florea García,

2007, avec son aimable autorisation.

Figure 5 - L’oasis de Taghjijt, province de Guelmim. Photo A. Ezaidi, 2012.

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Collection EDYTEM - n° 14 - 2013 105

siham alBaB et al. Patrimoine naturel et développement géotouristique dans la province de Sidi Ifni

de l’espace oasien, amenant une remise en question des systèmes hydroagricoles.

Les effets liés aux modifications des usages de l’eau et du sol sont d’ores et déjà perceptibles : la pol-lution menace les points d’eau et les canaux de dis-tribution, notamment par le rejet des eaux usées dans des puits perdus. S’ajoute le problème du rejet des déchets solides et ménagers où prédominent désor-mais les plastiques et les emballages. Ces déchets sont déversés le long des chemins dans la palmeraie, mais aussi dans les fonds des vallées qui se trouvent à proximité des habitations. Ils constituent une véri-table menace pour la qualité paysagère et environne-mentale de la région de l’Anti-Atlas occidental.

La dégradation environnementale, les pertes de terres cultivées, et à terme le risque de l’abandon d’oa-sis entières, sont devenus les symptômes d’une réalité alarmante qui met en jeu l’existence de l’unique bar-rière écologique contre la désertification que repré-

sente le chapelet des oasis du sud marocain, depuis les territoires atlantiques de Guelmim, jusqu’aux zones désertiques orientales des hauts plateaux de Figuig. Chaque oasis abandonnée devient une porte grande ouverte où peuvent s’engouffrer sable et aridification.

Face à l’urgence et à l’ampleur du problème, qui concerne non seulement la survie de tout un patri-moine mais aussi la protection du territoire national contre la désertification, le gouvernement marocain a effectué un diagnostic et élaboré une stratégie. Un programme Oasis a été élaboré pour favoriser et sur-tout initier le regroupement des compétences et des efforts des différents acteurs investis dans la gestion des espaces oasiens. Ce programme encourage les ini-tiatives locales soucieuses de protéger les oasis tout en étant durables sur le plan du développement local. La valorisation patrimoniale des ressources est une des voies actuellement privilégiée, avec notamment des actions dans le domaine du géotourisme.

II - stRAtégIes de vALoRIsAtIon des RessouRces en contexte oAsIen

Les richesses géologiques et géomorphologiques figurent au titre des ressources pouvant faire l’objet d’une mise en tourisme durable, via l’élaboration de produits géotouristiques. Pour cela le patrimoine doit être identifié, inventorié, valorisé (Cayla, 2009). De telles actions se mettent aujourd’hui en place, portées par des passionnés de géologie. À une autre échelle, les actions publiques se déploient à partir des projets de développement en faveur de la reconnaissance de l’intérêt national des milieux oasiens et d’un intérêt croissant pour le géotourisme.

1 - Les caractéristiques des géosites dans le sud maroc

L’Anti-Atlas sud-occidental se distingue par l’abondance de formations du Protérozoïque infé-rieur cratonisées au cours du cycle éburnéen dans les boutonnières de Kerdous, Ifni, Ighrem, Tagragra d’Akka, le sud de Bou Azzer, etc. (Choubert, 1963 ; Leblanc et al., 1980 ; Gasquet et al., 2008). Notre zone d’étude, et notamment la région d’Ifrane, pré-sente donc un fort potentiel de géosites et géomor-phosites. Mais ceux-ci souffrent d’une exploitation marchande accrue qui conduit à leur dégradation, telles que les archéocyathes de l’Anti-Atlas occiden-tal qui font l’objet d’une véritable extraction minière. La diversité morphologique des archéocyathes et des communautés microbiennes associées sont à l’ori-gine de leur aspect ornemental très recherché dans le commerce des roches (Encadré 4). Ces roches sont

le témoin d’une histoire géologique de plusieurs cen-taines de millions d’années qui embellit aujourd’hui les façades des maisons.

Par ailleurs, les géomorphosites, présents locale-ment sous la forme de grottes et gouffres (Encadré 5), souffrent du vandalisme et de la pollution, qui portent atteinte à la biodiversité et à la géodiversité de ces espaces souterrains. Leur préservation passe dans un premier temps par un inventaire précis, suivi d’un état des lieux en vue d’une protection. Leur valorisa-tion pourra ensuite être envisagée sous la forme d’un circuit géotouristique des grottes et des gouffres. La préservation de ce patrimoine unique en son genre au Maroc permettrait d’en faire un site d’intérêt géolo-gique et de l’intégrer dans un voyage géotouristique retraçant l’histoire de la terre depuis les origines.

2 - Les programmes de patrimonialisation et de développement des sites géo- et écotouristiques des oasis de l’anti-atlas occidental

Il s’agit aujourd’hui pour le gouvernement maro-cain d’inscrire les territoires des oasis du sud Maroc dans une démarche qui permette d’une part de répondre à l’objectif principal de maintenir les oasis vivantes, et d’autre part de créer et de développer une nouvelle économie dont le tourisme pourrait être porteur.

La stratégie nationale de développement et d’amé-nagement des oasis au Maroc en 2004 a dressé le dia-gnostic suivant : une dégradation des patrimoines,

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une saturation de certains sites (notamment celui de Merzouga ; Dekkari, 2013), un produit touristique mal défini et des potentialités peu exploitées. Par ailleurs, l’offre reste mal organisée, les structures d’héberge-ments sont inadaptées et l’accueil manque de sécu-rité et d’hygiène. Les opérateurs touristiques ont une méconnaissance des marchés potentiels et des procé-dures administratives et plus généralement manquent de professionnalisme et de formation. En conséquence, la durée des séjours touristiques reste très limitée. Le constat est aggravé par l’absence de politique régio-nale favorable à l’investissement touristique.

Pourtant, le ministère du Tourisme annonçait 10 millions de visiteurs pour l’horizon 2010, dont 1 million susceptible de concerner le tourisme rural. Cette perspective, très quantitative, présente le tou-risme rural comme une niche importante à valoriser, notamment à travers le concept des Pays d’Accueil Touristiques qui fait référence à une approche territo-riale et participative du tourisme. À l’échelle des oasis, plusieurs projets visent à valoriser les produits du ter-roir, les filières agroéconomiques ainsi que le tourisme oasien. Ces projets ont eu un impact positif sur le développement local. En plus de l’organisation socio-professionnelle des filières et la mise en place d’une douzaine d’unités de valorisation / conditionnement, ces réalisations ont fortement contribué à la création d’emplois et à la génération de revenus, notamment en direction des populations les plus jeunes.

Le tourisme oasien nécessite cependant une adap-tation et une gestion qui demanderont plusieurs années avant d’être efficientes. Sans un tel effort, cette région, qui possède pourtant des atouts inesti-mables à plus d’un titre, restera en dehors des circuits touristiques du Maroc. On la traversera pour joindre la côte atlantique à la vallée du Drâa, sans pour autant s’y arrêter.

Citons aussi le programme de lutte contre la déser-tification et contre la pauvreté par la sauvegarde et la valorisation des oasis – Programme de Sauvegarde et de Développement des Oasis Sud (POS) – piloté par l’Agence du Sud et le PNUD. Dans ce cadre, le projet Tourisme Oasien a débuté en 2006 par une étude de faisabilité du développement touristique de la zone. Cette étude a permis la réalisation d’un diagnostic d’ensemble puis la sélection de sept sites1 ayant un fort potentiel touristique, présentant un bon degré d’organisation et ayant une bonne motivation pour le projet. Il s’agit aujourd’hui de construire une Destination Touristique Durable mettant en avant la richesse des oasis de la région Guelmim - Assa - Tata et qui concerne plus exactement les oasis de l’Anti-Atlas occidental, Amtoudi et Taghjijt.1 Les sept sites à même de s’organiser selon un fil conduc-teur incitant à la découverte du chapelet d’oasis du Sud du Maroc : Asrir - Tighmert, Taghjijt, Tamanart - Fam El Hisn, Assa, Akka, Tata, Foum Zguid.

L’objectif de ces programmes est de contribuer à la réhabilitation et au développement de ces milieux fragilisés et vulnérables. C’est en prenant en considé-ration leur rôle, à la fois patrimonial, social, écono-mique et environnemental, que les oasis occuperont une place de choix dans la promotion et le dévelop-pement touristique des provinces du sud du Royaume. Dès lors, il s’agit pour le gouvernement marocain de développer un programme touristique intégré et d’ac-compagner les actions entreprises dans le cadre de la stratégie nationale et du programme oasis.

Des pistes de réflexion et des voies d’actions ont été amorcées en vue de mettre en valeur le patrimoine oasien de l’Anti-Atlas occidental. Dans ce cadre, le développement géo- et écotouristique semble être une perspective via des programmes de développe-ment nationaux et internationaux visant la mise en patrimoine des oasis du sud marocain et la promotion de l’activité touristique en milieu rural. La patrimo-nialisation se construit alors même que l’économie oasienne est elle-même en crise et que les conditions de sa valorisation s’annoncent difficiles.

L’enjeu de la patrimonialisation dans la zone d’étude est complexe. Le but est à la fois de préserver et de mettre en valeur le patrimoine naturel, en vue de développer la fréquentation touristique. Il s’agit d’assurer la mise en valeur écotouristique des oasis de l’Anti-Atlas occidental et la valorisation géotouris-tique des monticules archéocyathidés, des grottes et des gouffres, tout en les préservant des impacts de la fréquentation touristique. L’objectif est ainsi d’orien-ter les acteurs du secteur touristique vers de nouvelles formes de patrimonialisation dans la mesure où ce potentiel culturel et naturel, non négligeable, peut autoriser une mise en valeur avec un bénéfice à la fois économique et environnemental.

La mise en place d’activités éducatives et de forma-tion au profit des populations locales permettrait, dans le même temps, de renforcer leur sentiment d’appar-tenance à leur région et les aiderait à s’impliquer dans la promotion de leur territoire via la gestion et le déve-loppement durable du patrimoine géologique (géotou-risme, géoparc). L’implication des acteurs locaux est, en effet, une des pierres angulaires de la valorisation des ressources locales (Tag, 1996). La mise en place de telles dynamiques touristiques appelle aujourd’hui la réalisation d’inventaires des patrimoines paléon-tologique et préhistorique, l’instauration d’un cadre juridique, une clarification du rôle des associations et des musées dans la préservation et la valorisation du patrimoine géologique, ainsi que le développement de la recherche dans les domaines de la paléontologie et de la préhistoire.

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Collection EDYTEM - n° 14 - 2013 107

siham alBaB et al. Patrimoine naturel et développement géotouristique dans la province de Sidi Ifni

Figure 7 - Archéocyathes se présentant sous forme de roches sédimentaires blanchâtres ou violacées. Photos S. Abab, 2011.

a b

encadré 4 - Les archéocyathes d’ifrane de l’anti-atlas occidental : un intérêt à la fois scientifique et patrimonial

La région d’Ifrane, dans l’Anti-Atlas occidental, abrite des bioconstructions à archéocyathidés pouvant être qua-lifiées de constructions récifales (Benssaou et Hamoumi, 2003 et 2004), datant du Cambrien inférieur (- 540 millions d’années). Ce sont les premiers métazoaires constructeurs de récifs. Ils apparaissent sous la forme de monticules d’archéocyathidés. Ils sont présents dans des roches sédimentaires blanchâtres (Figure 7 a) ou violacées (Figure 7 b) d’origine volcano-clastique riches en fer (responsable de la couleur violacée des archéocyathes). Ces organismes à morphologie de type éponge, actuellement considérés comme une classe éteinte du groupe des démosponges, appa-raissent au cours du Tommotien (environ 10 millions d’années au-dessus de la limite Précambrien / Cambrien). En fait, les recherches montrent que leur rôle constructeur est secondaire et généralement subordonné au développement des calcimicrobes qui leur sont associés. L’archéocyathe type correspond à un double cône inversé, poreux, l’espace entre les deux cônes étant rempli par des structures squelettiques variées (le squelette est formé de calcite microgranulaire). Dans l’Anti-Atlas occidental, les bioconstructions à archéocyathes prolifèrent sous des conditions hydrodynamiques relativement agitées (Wood, 1997) et de préférence le long des bordures de pentes des plates-formes marines. Le déve-loppement important dans l’Anti-Atlas occidental des stromatolithes, des thrombolites, des récifs à archéocyathes et des barres oolithiques, au Cambrien inférieur, indique l’instauration d’un climat chaud.

Aujourd’hui, ces roches font l’objet d’un commerce important et servent pour l’ornementation et la décoration des façades des maisons, de plans de travail de cuisines modernes et traditionnelles...

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encadré 5 - Les géomorphosites : les grottes et les gouffres de la province de sidi ifni

L’intérêt manifesté envers les grottes et les gouffres de Sidi Ifni, se traduit par l’élaboration d’inventaires des géomorphosites (de surface ou souterrains) (Figure 8).

Ces inventaires sont réalisés par des doctorants adeptes de spéléologie et des associations de spéléologie qui organisent des visites guidées ou encore des formations au profit d’un public d’initiés attirés par la découverte de la faune et de la flore souterraines.

Ces paysages souterrains (Figures 9 et 10), composés de grottes et de gouffres (formations schisto-calcaires), se concentrent essentiellement sur le plateau de Lakhssass qui longe les deux boutonnières de Kerdous et d’Ifni.

Figure 8 - Les grottes et les gouffres de la province de Sidi Ifni. Dessin A.Ouanaim, 2011.

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Collection EDYTEM - n° 14 - 2013 109

siham alBaB et al. Patrimoine naturel et développement géotouristique dans la province de Sidi Ifni

Figure 10 - Galerie souter-raine de la grotte Aabou dans la commune de Sidi M’Bark. Photo A. Ouanaim, 2011.

Figure 9 - Gouffre Agujegual de la commune de Sidi Hssayen ou Ali. Photo A. Ouanaim, 2011.

concLusIon

Les oasis du sud marocain risquent de disparaître peu à peu. Elles sont aujourd’hui confrontées à deux dynamiques exacerbées : d’un côté, les pressions agricoles du pays conduisent les oasis les plus per-formantes à se spécialiser davantage formant ainsi de véritables lieux de productions intensives, tandis que les autres oasis, ne pouvant concurrencer les zones de grandes productions, souffrent d’un exode de leur

population. Ces deux phénomènes poussent à la déser-tification du milieu oasien, laissant la porte ouverte à l’avancée du désert.

Mais alors que l’économie des oasis (écosystèmes anthropiques) est en crise, leur patrimonialisation se construit progressivement. Pourtant, les conditions de la valorisation des géosites et des géomorphosites s’annoncent difficiles car leur état est alarmant. Les

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efforts déployés par les acteurs régionaux et natio-naux n’ont pas pu jusqu’à l’heure actuelle apporter une véritable valeur ajoutée territoriale ; on assiste plutôt à une intensification du pillage des ressources forestières et géologiques qu’à une protection et patrimonialisation.

Cette situation de profonde vulnérabilité vécue par les populations oasiennes pousse à réfléchir sérieu-sement sur le sort de ces sites qu’aucune loi ne pro-tège, notamment en matière d’exploitation des roches.

Le temps presse… Le jour où ces sites deviendront réellement un espace à respecter, il sera peut-être trop tard pour leur conservation. En l’absence d’une réglementation de leur accès et d’un cadre patrimonial imposant le respect de la géodiversité comme faisant partie de l’identité nationale, l’exploitation minière et le tourisme pourraient conduire à la destruction de ce patrimoine géologique et karstique qui risque d’être irrémédiablement perdu.

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