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Universit de Franche-Comt
Facult des Lettres et Sciences Humaines
Mmoire de master II de philosophie
La doctrine de lme chez Saint Thomas dAquin Soutenu par M.
Alejandro Maria Sosa Laprida
Sous la direction de M. le Professeur Herv Touboul
Anne universitaire 2006-2007
Table des matires Introduction 4
1. La vie, lme et ses facults 14 a. Caractres distinctifs du
vivant 14
b. Les degrs de limmanence vitale 15
c. La dfinition de lme 19
d. Les puissances de lme 26
e. Lme vgtativee 31
2. Lme sensitive 34 a. La connaissance sensible 34
A. Acte de connaissance et immatrialit 34
B. Les sens externes 37
I. Distinction et nombre 37
II. Infaillibilit 39
III. Classification 41
C. Les sens internes 43
I. Le sens commun 44
II. Limagination 46
III. Lestimative 46
IV. La mmoire 48
b. Lapptit sensible 49
A. Nature de lapptit 49
B. Le concupiscible et lirascible 52
C. Les passions 55
3. Lme intellectuelle 58
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a. La connaissance intellectuelle 58
A. Lintelligence : nature et objet 58
B. Les trois oprations de lesprit 62
I. La simple apprhension : concept et abstraction 62
II. Le jugement : existence et vrit 71
III. Le raisonnement : les limites de lintellection 75
C. Les objets indirects de lesprit 77
I. La conscience intellectuelle 77
II. La connaissance du singulier 81
III. La connaissance des tres immatriels 86
b. Lapptit intellectuel 93
A. La volont : nature et objet 93
B. Libre arbitre et ncessit 94
C. Finalit et souverain bien 99
Conclusion 110 Bibliographie 113 Expos de soutenance 116
Les tres vivants sont des objets tranges (Jacques Monod, Le
hasard et la ncessit , p. 34)
A lintention dune Psych sest substitue la traduction dun message
(Franois Jacob, La logique du vivant , p. 10)
Rien ne soppose plus dsormais, sur le plan thorique, ce que les
conduites de lhomme soient dcrites en termes dactivits neuronales.
Il est grand temps que lHomme Neuronal entre en scne. (Jean-Pierre
Changeux, Lhomme neuronal , p. 169)
Introduction.Le mot me fait partie des plus usits de la langue.
Quand on dit de quelquun quil est l me dun vnement, on veut
signifier que cest lui qui lanime. Et il est intressant de noter
que le verbe animer ne veut dire autre chose que donner de la vie,
du mouvement. Par ailleurs, il vient du latin anima , qui signifie
justement me . La notion dme est ainsi indissociable de celle de
vie, puisquon entend par me le principe en vertu duquel ce qui est
vivant possde la vie, et que tout tre nen possdant pas ferait
partie des corps bruts, incapables de tout
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mouvement mergeant de leur propre intriorit et ne pouvant que le
recevoir de lextrieur, dune faon purement mcanique. Il arrive
frquemment que les mots qui reviennent le plus souvent dans le
langage et dont lemploi ne soulve aucun problme smantique, savrent
particulirement malaiss une conceptualisation rigoureuse. Tout le
monde connat ce que disait saint Augustin concernant le temps,
savoir quil savait trs bien ce que ctait, condition quon ne lui
demande pas de lexpliquer. Il en va de mme pour ce qui est des mots
me et vie . Allez demander un biologiste quelle est la dfinition de
la vie que propose la biologie, tymologiquement science de la vie ,
et il vous rpondra que de telles notions relvent de la mtaphysique,
une science exprimentale telle que la biologie ne soccupant que de
phnomnes de nature physico-chimique chez les animaux. Et il va sans
dire que si tout animal possde une anima qui lui donne dtre en vie,
il vaut mieux sabstenir de senqurir sur lavis du savant propos dune
telle me , car elle, pas plus que la vie, ne tombe pas sous
lobservation empirique et ne constitue pas davantage un concept
oprationnel lintrieur de sa science.Si le concept de vie continue
de mriter lattention des philosophes, il en va tout autrement de
celui dme, malgr le lien qui unit ces deux termes dans toute la
tradition philosophique occidentale. Le mot me , au sens classique
de principe de vie, ne fait plus partie du vocabulaire
philosophique contemporain, en dehors du contexte prcis dhistoire
de la philosophie, et il est clairement relgu au domaine du
discours religieux ou du vocabulaire mystique. Et pourtant, force
est de constater que pendant plus de deux mille ans, depuis Platon
jusquau sicle des Lumires , il tait incontournable. A premire vue,
cet abandon du mot me pourrait sembler paradoxal, puisque il allait
toujours de pair avec celui de vie , et que ce dernier nest pas
tomb en pareil discrdit aux yeux des philosophes. Il me semble que
la rponse passe par la faon dont ces deux mots sont penss par
rapport celui de corps . En effet, la vie, qui se manifeste travers
les corps des tres vivants, en est venue tre conue comme une
proprit de la matire dont ces corps sont constitus, dcoulant du
haut degr de complexit qui est le leur, tandis que lme, en tant que
principe de vie extrieur la matire, et justement grce auquel
celle-ci devenait vivante, nest plus considre que comme un concept
vide de sens, une qualit occulte des mtaphysiciens et des
scolastiques et utilise la manire dun Deus ex machina venant
pallier lignorance dont ils se trouvaient lendroit du sujet qui
nous occupe. Mais, avant de nous attarder sur la pertinence ou non
dun tel concept, il faudrait essayer de comprendre, de faon trs
sommaire, la gnalogie dun tel renversement conceptuel dans la
philosophie occidentale.Dans la philosophie scolastique, linstar
dAristote, lme humaine tait conue comme la forma substantielle du
corps, qui lui fait remplir toutes ses fonctions et accomplir tous
ses mouvements. De mme, l me raisonnable , spcifie par lintellect,
ntait quune facult ou puissance de cette me humaine qui comportait,
par ailleurs, une partie vgtative, assurant les fonctions de
nutrition, croissance et
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reproduction, et une partie sensitive, comportant les puissances
cognitives et apptitives sensibles. Avec Descartes une vritable
rvolution a eu lieu. Lme sest vue dpossder de tous ses rles dans
les fonctions vitales organiques et elle a t identifie la seule
fonction intellectuelle, ce qui jusqualors ntait lapanage que des
formes pures, savoir, les anges : Je ne suis donc, prcisment
parlant, quune chose qui pense, cest--dire un esprit, un
entendement ou une raison. ( II Mditation , AT IX, 21). Avec la
distinction entre la res cogitans , substance pensante, et la res
extensa , substance tendue, lunit bio-psychique de lhomme, que
sauvegardait la thorie hylmorphique dAristote, est brise. Lunit du
compos substantiel humain est rendue aportique, car on aura beau
tenter de rendre compte de cette union par une prtendue action de
lme sur le corps travers la glande pinale, par lintermdiaire de
laquelle le corps communique galement lme ses ractions et sa
disposition interne. Dsormais, entre deux substances radicalement
htrognes, on ne parviendra plus rendre compte dun commerce
quelconque, et encore moins faire ressortir lintrt quaurait une
me-pense , seule vraiment vivante, se retrouver unie de manire
accidentelle un corps-tendue , obissant aux mmes principes
mathmatiques que ceux de la mcanique rgissant les corps inertes. A
lunit substantielle aristotlicienne suivra une problmatique union
accidentelle entre deux substances nayant strictement aucun lien
entre elles, et, surtout, pour ce qui regarde lme, nayant nul
avantage fonctionner ensemble, lopacit de la matire ne pouvant
quencombrer lactivit intellectuelle dune me dont la seule fonction
vitale est de penser toujours. Lme ntant plus considre comme un
principe danimation du corps, les lois mcaniques de la matire et du
mouvement local suffiront rendre compte de lactivit des corps
vivants qui dsormais seront assimils des machines, qui ne devront
leurs mouvements aucun souffle vital cens produire leur
organisation et expliquer leur unit : je dsire que vous considriez
que toutes les fonctions que jai attribues cette machine () suivent
toutes naturellement de la seule disposition de ses organes, ni
plus ni moins que font les mouvements dune horloge, ou autre
automate, de celle de ses contrepoids et de ses roues ; en sorte
quil ne faut point leur occasion concevoir en elle aucune autre me
vgtative ni sensitive, ni aucun autre principe de mouvement et de
vie, que son sang et ses esprits, agits par la chaleur du feu qui
brle continuellement dans son cur, et qui nest point dautre nature
que tous les feux qui sont dans les corps inanims. ( Trait de
lhomme , AT XI 202)Lordre de la pense est ainsi radicalement spar
de lordre physiologique, dont les seules lois physiques suffisent
en rendre compte de faon exhaustive, sans avoir recours un
quelconque principe formel, source dordre, dunit et
dintelligibilit. Cette sparation radicale et artificielle du
psychique et du biologique chez Descartes finira par aboutir,
paradoxalement, leur identification, celle qui a cours de nos jours
dans le domaine de la philosophie de lesprit et des neurosciences,
lesquelles entendent rendre compte du psychisme par les seules
donnes de la physiologie crbrale, et dont les trois savants franais
cits en exergue sont tout fait
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reprsentatifs.Quelques auteurs des objections qui suivaient les
Mditations mtaphysiques , notamment Gassendi et Hobbes, avaient
remarque la difficult : comment se fait-il que deux substances
compltement htrognes agissent lune sur lautre ? car il semblerait
bien que laction rciproque exige une homognit de nature.
Malebranche, conscient de la gravit de la difficult, essaya de la
rsoudre par la doctrine de l occasionalisme . En effet, soucieux de
neutraliser la thse matrialiste hobbsienne sur la nature corporelle
de lme, et afin de protger celle de sa nature spirituelle, le Pre
de lOratoire fut amen nier laction relle du corps sur lme et
inversement. Cest Dieu, selon lui, qui agit directement dans les
deux cas : les cratures ne sont que des occasions fournies Dieu
pour intervenir et produire sur lme une sensation dtermine lorsque
le corps est modifi dune certaine faon, et cest Dieu encore qui
transmet un mouvement dtermin au corps quand lme le veut. Les
causes de ces vnements ne sont que les occasions de lintervention
divine, des causes occasionnelles et non pas des causes
efficientes. Seulement, on na toujours pas de rponse la question de
savoir pourquoi Dieu a uni lme, qui pour penser na nullement besoin
dun corps, un corps qui pour fonctionner na pas non plus besoin
dune me. Ce lien reste non seulement gratuit, mais encore
inintelligible, du moment o le corps constitue un obstacle
lintelligence de la vrit et lactivit de la pense. En outre, sil ny
a de vraie causalit que divine, laction apparente des cratures tant
rapporte Dieu tout comme leur tre, lexistence et lagir des cratures
concidant avec laction divine, plutt que de rsoudre le problme de
la communication des substances, on le dilue dans un panthisme de
la substance unique. Malebranche se garda bien de franchir le pas,
mais par la suite Spinoza, comme on le sait, aura beau jeu de le
faire. Leibniz naccorde pas Malebranche quon ait le droit de faire
intervenir Dieu, cause premire, pour rendre comte de laction des
cratures, causes secondes mais relles, sans quoi on serait dans le
miracle permanent. Mais lui non plus ne parviendra expliquer de
manire satisfaisante la faon dont se droule la communication entre
substances, tant donn que les monades, units mtaphysiques dpourvues
dextension, sont incapables dexercer des actions relles les unes
sur les autres. La seule action relle nest, en dfinitive, que celle
que Dieu ralise en tablissant une correspondance entre ce qui a
lieu lintrieur de chacune des monades : cest la doctrine de l
harmonie prtablie . Il sapproprie ainsi la thorie occasionnaliste,
mais il se trouve que Dieu, au lieu dintervenir sans cesse dans la
cration, a harmonis ds le commencement toutes les cratures entre
elles, de sorte que lorsque lune delles entend agir sur une autre
se ralisent dans celle-ci les effets attendus. Les cratures
deviennent ainsi une sorte dautomates qui ont t rgls une fois pour
toutes par leur crateur, si bien que dans chacune delles est
inscrite toute leur histoire prsente et future, en accord avec
lhistoire de toutes les autres. Mais on voit bien par l que non
seulement la difficult de laction rciproque des substances reste
entire, mais que, de surcrot, dans la solution propose, il ny a pas
de place pour la libert des causes secondes, chaque sujet-monade
contenant de
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faon analytique la totalit des prdicats qui peuvent se dire de
lui, aucune action ne pouvant lui tre attribu la manire dun
accident : Dieu, voyant la notion individuelle dAlexandre, y voit
en mme temps le fondement et la raison de tous les prdicats qui
peuvent se dire de lui vritablement, comme, par exemple, quil
vaincrait Darius et Porus () Ainsi, quand on considre bien la
connexion des choses, on peut dire quil y a de tout temps dans lme
dAlexandre des restes de tout ce qui lui est arriv, et des marques
de tout ce qui lui arrivera, et mme des traces de tout ce qui se
passe dans lunivers, quoique il nappartienne qu Dieu de les
reconnatre toutes. ( Discours de mtaphysique , 8, cit par Bergson
in Cours , vol. 3, p. 238)Spinoza essaiera son tour de dpasser le
dualisme ontologique cartsien et sa distinction entre res extensa
et res cogitans , dont la comprhension de la faon dont elles
communiquent entre elles savrera tre voue lchec. On a vu que
Malebranche, sil refusait lme et au corps toute causalit, il leur
accordait nanmoins une vritable existence en dehors de la substance
divine. Mais cela nest pas soutenable, car comment peut-on
concevoir des substances qui nagissent pas du tout, quel type
dexistence pourrait-on dans ce cas leur attribuer ? Puisque leur
action est entirement attribue Dieu, en toute logique leur
existence devrait ltre aussi. Cette consquence nchappa point
Spinoza, qui est all au bout de ce principe au point den faire la
clef de vote de son systme : si Dieu est la seule cause, il est
forcment la seule substance. Ainsi, pense et tendue sont deux
attributs infinis de lunique substance, les mes et les corps tant
des modes finis, des dterminations particulires de ces deux
attributs divins. Entre un attribut et lautre, tout comme entre
leurs modes, il ny a pas de causalit rciproque, mais seulement un
rapport de correspondance, si bien quentre lme et le corps il y a
paralllisme constant. Mais, comment une telle correspondance entre
tat de la matire et tat de conscience est-elle concevable ? Cest
bien parce que ils sont tous les deux des dveloppements ncessaires,
more geometrico , de ces deux attributs divins que sont la pense et
ltendue. Ils sont indpendants lun de lautre tout en tant symtriques
entre eux, puisque chacun exprime sa faon lidentique substance
divine dont ils sont lexpression parallle et ncessaire. Cest ainsi
que Spinoza pense surmonter la difficult cartsienne insoluble de
laction rciproque entre la pense et ltendue, tout comme
loccasionnalisme inconsquent de Malebranche. Cependant, si les
rapports entre lme et le corps ne posent ainsi plus de difficult,
cest parce quentre eux, non seulement ils ninteragissent pas, comme
ctait dj le cas pour Malebranche et Leibniz, mais, en outre, ils
sont dissous, ainsi que la personne humaine dont ils sont censs tre
les composants, dans lunique substance divine qui se ralise de
manire impersonnelle et gomtrique, assez indiffrente, pour sa part,
quant nos pressantes inquitudes vitales et nos tats dme
existentiels.Le bilan est loquent. Les hritiers de la scission
anthropologique opre par Descartes nont pas pu redonner lunit ltre
humain. Pas moyen dexpliquer linteraction entre lme et le corps.
Impuissance totale rendre intelligible le lien existant entre la
res cogitans et la res extensa . Les thories de loccasionnalisme,
de lharmonie prtablie et du paralllisme modal non seulement
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entrinent la dichotomie aporistique de Descartes, mais en outre,
ils retirent ltre humain toute action relle, libre et personnelle,
le rduisant jouer le rle dun pur pantin dune divinit incapable de
confrer ses cratures une paisseur ontologique et une capacit agir
digne de ce nom. Seulement, face une solution aussi
insatisfaisante, le chemin tait grand ouvert qui conduirait la
ngation de cette caricature de ltre divin, dont lexistence par
ailleurs nest pas chose vidente, ainsi qu celle dune me-substance
pensante totalement htrogne avec lorganisme biologique, au profit
de lexistence exclusive du corps, celle-ci tant, en revanche, tout
fait vidente et indubitable. Mais ce corps ne sera plus inform par
une me raisonnable qui expliquerait la pense, ni par une me
sensitive et nutritive qui rendrait raison de lorganisation et de
la vie que ce corps possde, et qui le rendent si diffrent des corps
bruts. Dsormais, la vie et la pense seront conues comme tant des
proprits inhrentes au corps organiss. Mais, justement, en vertu de
quoi certains corps sont-ils organiss et capables de vie et de
pense, ce en quoi ils manifestent une relle htrognit lgard des
corps inertes? Voil la question laquelle on sefforcera vainement de
rpondre dans ce nouveau contexte pistmologique.Le schma dualiste
cartsien tait la base de la thorie des animaux-machines. Chez , le
dpassement de ce schma, tout en gardant la conception mcaniste du
monde et du vivant, le conduira tout naturellement la thorie de
lhomme-machine, base sur un monisme matrialiste radical. La
division artificielle cartsienne de ltre humain en deux moitis
htrognes et autonomes tait logiquement rcuse, car inintelligible et
contraire toute exprience. Mais au lieu de revenir lhylmorphysme,
qui expliquait lunit du vivant par la conjonction de la forme et de
la matire, principes actif et passif du compos substantiel, les
philosophes des Lumires qui se pencheront sur la question ne
retiendront comme principe explicatif que cette dernire. La
conception mcaniste rejetait le finalisme aristotlicien, tax
danthropomorphique et dnonc comme tant une fiction et un prjug
servant sauvegarder lexistence de la providence divine et masquer
lignorance des lois de la nature. En effet, puisque le finalisme
implique un dessein intelligent, et que celui-ci ne peut faire
lobjet dexprimentation scientifique, mais des seules spculations
mtaphysiques, il est banni de la pense scientifique de lpoque, tout
comme lme qui en est le vecteur.assume explicitement cette pense,
dj largement rpandue de son vivant, et quil expose dans son Trait
de lme et dans Lhomme machine . Ce que Descartes a dit des animaux,
il lattribuera sans hsitation lhomme, faisant tat dun monisme
matrialiste qui saccorde fort bien, pour lessentiel, la thorie de
lidentit esprit-cerveau des philosophes de lesprit et des
neuroscientifiques actuels : puisque toutes les facults de lme
dpendent tellement de la propre organisation du cerveau et de tout
le corps quelles ne sont visiblement que cette organisation mme,
voil une machine bien claire ! () Je crois la pense si peu
incompatible avec la matire organise, quelle semble en tre une
proprit, telle que llectricit, la facult motrice, limpntrabilit,
ltendue, etc. () Concluons donc hardiment que lhomme est une
machine, et quil ny a dans tout lunivers quune seule substance
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diversement modifie. ( Lhomme machine , p. 130, 145 et 151)Par
la suite, DHolbach, dans son Systme de la nature dveloppe une
conception rigoureusement matrialiste de la nature, de lhomme et de
la socit. Lagir humain ne sexplique que par un rigoureux
dterminisme, lhomme ntant quun tre naturel sous tous ses aspects :
tout en lui se ramne des causes physiques et chimiques, et le libre
arbitre de la volont nest quune illusion. Le philosophe doit
contribuer montrer lhomme les vrais ressorts de ses actions et
lmanciper de la superstition religieuse, afin de le rendre heureux
et matre de lui-mme. Daprs lui, on a visiblement abus de la
distinction que lon a faite si souvent de lhomme physique et de
lhomme moral. Lhomme est un tre purement physique ; lhomme moral
nest que cet tre physique considr sous un certain point de vue,
cest--dire, relativement quelques-unes de ses faons dagir, dues son
organisation particulire. (op. cit., p. 38) Par l, DHolbach entend
rendre compte de lactivit mentale la manire dont de nos jours le
font ceux qui soutiennent la thorie du double aspect , suivant
laquelle le cerveau est la face objective, lesprit la face
subjective, dune entit qui en comporte deux, savoir, l
esprit-cerveau ; l me ferait ainsi partie du domaine des sciences
naturelles, puisque lhomme, aussi complexe soit-il, ne saurait
constituer une ralit chappant aux lois fondamentales de la
physique, ce en quoi sa position rejoignait dj lpoque celle des
partisans du physicalisme contemporain : ceux qui ont distingu lme
du corps, ne semblent avoir fait que distinguer son cerveau de
lui-mme. En effet, le cerveau est le centre commun o viennent
aboutir et se confondre tous les nerfs rpandus dans toutes les
parties du corps humain : cest laide de cet organe intrieur que se
font toutes les oprations que lon attribue lme ; ce sont des
impressions, des changements, des mouvements communiqus aux nerfs
qui modifient le cerveau ; en consquence il ragit, et met en jeu
les organes du corps, ou bien il agit sur lui-mme et devient
capable de produire au-dedans de sa propre enceinte une grande
varit de mouvements, que lon a dsigns sous le nom de facults
intellectuelles. (op. cit., p. 130)Les vues matrialistes dun grand
nombre des penseurs des Lumires seront reprises et dveloppes par le
groupe des idologues , fortement inspirs par la doctrine
sensualiste de Condillac, qui ramenait la vie intellectuelle et les
ides la seule connaissance sensible, et lensemble de la vie
psychique aux sensations et leurs diffrentes combinaisons. Cabanis,
mdecin et philosophe, tout comme , dans son ouvrage intitul
Rapports du physique et du moral , dfend lidentit entre ces deux
sphres de la vie humaine, la pense et les facults intellectuelles
tirant leur source de la sensation, et par consquent, de la
physiologie du corps humain. En effet, daprs Cabanis, la pense est
produite dans le cerveau, vritable organe de la pense , qui prend
la relve de lillusoire me spirituelle et immortelle si chre aux
croyants : il faut considrer le cerveau comme un organe
particulier, destin spcialement produire la pense () Les
impressions, en arrivant au cerveau, le font entrer en activit ;
comme les aliments, en tombant dans lestomac, lexcitent la scrtion
plus abondante du suc gastrique et aux mouvements qui favorisent
leur
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propre dissolution () Nous concluons avec la mme certitude que
le cerveau digre en quelque sorte les impressions, quil fait
organiquement la scrtion de la pense. (op. cit., p. 137-138, cit
par Besanon in La philosophie de Cabanis , p. 42-43)Lcole
positiviste poursuivra sur la lance rductioniste, clairement
formule par Taine, faisant sienne la doctrine du double aspect dj
entrevue par DHolbach : nous sommes autoriss admettre que lvnement
crbral et lvnement mental ne sont au fond quun seul et mme vnement
deux faces, lune mentale, lautre physique ( De lintelligence , T.I,
p.328, cit par Missa in Les matrialismes philosophiques , p. 145),
tout comme par Ribot : la diffrence du physique et du moral est
subjective et non objective ; elle tient non la nature de chacun
deux, mais la manire dont nous connaissons chacun deux. ( Lhrdit ,
p. 354, cit par Missa, op. cit., p. 146). Encore faudrait-il
expliquer comment partir dun vnement objectif , entirement rattach
des causes physiques, peut-il surgir un vnement subjectif , le
phnomne de la conscience, qui se rvle tre irrductible au
comportement des lments matriels de nature physico-chimique et au
cadre pistmologique propre aux sciences de la nature. Cette
conception physicaliste de lesprit, selon laquelle ltat mental est
rductible ltat neurobiologique du cerveau qui le produit est tout
fait impuissante expliquer la nature de la vie de lesprit, par
exemple, la moralit, lart o lexistence de notions abstraites et
universelles. A la prendre la lettre, il faudrait se rsoudre
admettre, par exemple, que lorsque Dante Alighieri rdigeait La
divine comdie , il ne faisait autre chose quenregistrer par crit
une succession de dcharges lectro-chimiques qui se produisait dans
son cerveau au niveau des synapses, ce qui est loin de constituer
une explication satisfaisante, tellement la disproportion entre
leffet et la cause semble flagrante. Et vrai dire, une telle
explication ne serait prise au srieux par personne.Aussi on ne peut
que rester stupfait devant les prises de position de matrialisme
militant, fortement engages sur le plan mtaphysique, de bon nombre
de prtendus philosophes de lesprit et de neurobiologistes qui
prennent clairement parti pour la thse selon laquelle il y aurait
identit pure et simple entre le cerveau et lesprit. Cest le cas,
parmi beaucoup dautres, de Jean Pierre Changeux, qui affirme que le
clivage entre activits mentales et neuronales ne se justifie pas.
Dsormais, quoi bon parler desprit ? () Lidentit entre tats mentaux
et tats physiologiques ou physico-chimiques du cerveau simpose en
toute lgitimit ( Lhomme neuronal , p. 364), ou bien encore qui, du
haut de son savoir scientifique, se permet de considrer, comme sil
sagissait dune affaire dfinitivement classe, que lhomme na ds lors
plus rien faire de lesprit, il lui suffit dtre un homme neuronal
(ibid., p. 227), ce en quoi il dborde largement le cadre
pistmologique quimpose la recherche neurobiologique, car le statut
de la conscience, qui se drobe l objectivit que postule la science,
ne saurait faire partie de son objet propre, moins de vouloir
revendiquer une place pour la rflexion mtaphysique lintrieur des
sciences positives. Encore faudrait-il en tre averti afin de ne pas
prendre pour argent comptant des affirmations qui ne relvent que
des convictions personnelles de lintress.
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Franois Jacob, dans son ouvrage La logique du vivant , saventure
lui aussi en terrain mtaphysique lorsque, en parlant du rle de
lhrdit dans la reproduction des vivants affirme que ltre vivant
reprsente bien lexcution dun dessein, mais quaucune intelligence na
conu. Il tend vers un but, mais quaucune volont na choisi . (op.
cit., p. 10) Il semble difficile de concevoir lexistence dun plan,
dun projet, dune finalit, en dehors dune intelligence qui puisse
les concevoir. Sur un plan purement logique, cela parat
contradictoire, tout fait absurde, pour le dire sans dtour ; mais
ce qui est encore plus frappant, cest le degr de certitude avec
lequel un tel savant en biologie ose soutenir une pareille hypothse
mtaphysique, par laquelle il carte dun revers de main non seulement
la possibilit que lorganisation et la finalit, quil reconnat
expressment au vivant, puisse tre dues un principe vital unifiant
les lments divers qui le constituent, mais encore, et surtout, le
fait de considrer comme tant impossible quil puisse exister une
intelligence suprieure celle de lhomme, et qui serait lorigine de
lexcution du dessein que reprsente ltre vivant. Chaque fois que les
biologistes parlent de dessein, de projet, de programme,
dorganisation, etc., par rapport aux tres vivants, ils font
lconomie de lme, tout comme celle du crateur de cette me, cela va
sans dire, mais ils nexpliquent pas comment certains lments de
nature physico-chimique, exactement pareils ceux qui composent les
corps bruts, dpourvus de vie et dintelligence, parviennent
prcisment sorganiser en vue de la ralisation dun projet, et ceci
grce un programme gntique dun degr de complexit inou, quils nont
bien videmment pas conu eux-mmes, ce qui suppose forcment un
programmateur , tout comme un logiciel informatique suppose un
ingnieur qui lait conu, fabriqu et install dans lordinateur. Il va
de soi que dans cet exemple, qui se veut analogique et qui, bien
entendu, a ses limites, lordinateur est la matire du vivant ce que
le logiciel est sa forme substantielle ou me, et ce que lingnieur,
qui est lorigine et de lordinateur et du programme, est Dieu,
crateur et de lme et de la matire des tres vivants.Dans son ouvrage
Le hasard et la ncessit , Jacques Monod, qui croit en Dieu et en
lme aussi peu que ses deux illustres collgues que lon vient de
citer, fait un constat qui semblerait devoir lamener conclure des
thses tout autres que ne sont les siennes et celles de la plupart
des biologistes contemporains. Et pourtant, trs tonnamment, il nen
est rien. Dans un passage ou il parle de l appareil tlonomique qui
caractrise les tres vivants, qui sont des objets dous dun projet qu
la fois ils reprsentent dans leurs structures et accomplissent par
leurs performances (telles que, par exemple, la cration dartfacts)
(op. cit., p. 25), il sexclame : cet appareil est entirement
logique, merveilleusement rationnel, parfaitement adapt son projet
: conserver et reproduire la norme structurale. Et cela, non pas en
transgressant, mais en exploitant les lois physiques au bnfice
exclusif de son idiosyncrasie personnelle. Cest lexistence mme de
ce projet, la fois accompli et poursuivi par lappareil tlonomique
qui constitue le miracle . (ibid., p. 37) Il y a bien l une
reconnaissance explicite dun ordre de ralit chez le vivant qui
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dpasse absolument le niveau purement matriel, puisque lappareil
tlonomique , celui qui ordonne tout lorganisme du vivant en vue dun
projet, exploite les lois physiques, les utilise son profit, dune
manire merveilleusement rationnelle. Malheureusement, Jacques Monod
ne tire aucune conclusion dun pareil constat. Il se borne, dans la
page suivante, avouer quil y a une contradiction apparente entre le
constat quil vient de faire et le postulat dobjectivit qui est
consubstantiel la science , dont on ne peut se dfaire sans sortir
de la science elle-mme. Voici ce passage : Lobjectivit cependant
nous oblige reconnatre le caractre tlonomique des tres vivants,
admettre que, dans leurs structures et performances, ils ralisent
et poursuivent un projet. Il y a donc l, au moins en apparence, une
contradiction pistmologique profonde. Le problme central de la
biologie, cest cette contradiction elle-mme, quil sagit de rsoudre
si elle nest quapparente, ou de prouver radicalement insoluble si
en vrit il en est bien ainsi. Contradiction pistmologique, il ny en
a aucune. Comment pourrait-il y avoir une telle contradiction entre
deux objectivits qui relvent dordres diffrents ? Celui de la
science positive exige une objectivit qui rponde sa mthodologie
exprimentale et la nature de son objet empiriquement observable.
Celui de la mtaphysique, requiert une objectivit qui simpose sur un
plan strictement intellectuel, en raison dune vidence
intellectuelle qui simpose lobservateur soit dune faon intuitive,
soit dune faon discursive. Dans le cas prsent, il sagit bien dune
vidence de nature intuitive, lintelligence percevant sans erreur
possible le caractre tlonomique , finalis , que comportent les tres
vivants, ce qui les rend irrductibles aux autres corps de la
nature. Ce nest pas parce quil ne sagit pas l dun constat
ressortissant lobjectivit scientifique que ce constat est dpourvu
dobjectivit, ou quil pourrait compromettre lobjectivit de la
dmarche biologique, puisquil sagit dun constat qui simpose
lintelligence en raison du degr dvidence dun certain objet
intelligible qui soffre son regard et qui nest pas du tout lobjet
propre de la biologie positive.Do quil ny ait strictement aucune
contradiction ni incompatibilit entre les vrits dordre physique,
positif, et celles dordre mtaphysique. Aristote le savait bien, qui
aurait t ravi de contempler les progrs extraordinaires de nos
sciences positives, lesquelles ont rendu caduques aussi bien sa
physique que sa biologie. Et il serait le premier se consacrer, sil
le pouvait, ltude des sciences modernes, et sen merveiller. Mais sa
mtaphysique resterait pour lessentiel la mme, car elle na presque
pas pris de ride. Et il va de soi que dans lappareil tlonomique
entirement logique, merveilleusement rationnel, parfaitement adapt
son projet dont sextasie Jacques Monod, il aurait immdiatement
reconnu la psych sensitive quil dcrit minutieusement dans son De
anima , quelques donnes positives en moins. Psych laquelle sest
substitue, nous assurait Franois Jacob en exergue de cette
introduction, un message qui demande tre dchiffr. Ce qui nest pas
sans susciter un profond tonnement, car cela revient dire que
lexistence de lme, principe vital informateur de la matire et
porteur de lintelligibilit du corps quelle
-
actualise, est purement et simplement carte comme tant une
fiction mtaphysique. Lme tourne en drision, elle que lappareillage
scientifique ne peroit pas, pour finalement tre change contre un
message qui, lui aussi, ne reste pas moins imperceptible toute
observation empirique, ce qui constitue un paradoxe pour le moins
trange. Et cela lest dautant plus que la dcouverte de ce message va
de pair avec le refus catgorique de concevoir un tant soit peu la
possibilit de lexistence dun ventuel metteur , hypothse qui ne
semble tout de mme pas contredire les rsultats de la recherche en
biologie molculaire, et que de surcrot celle-ci ne compromet en
rien le bien-fond de celle-l. A en croire Jacques Monod, les
savants en seraient rduits conclure quun tel message a bel et bien
d se constituer tout seul, la faveur de linteraction du hasard et
de la ncessit . Lavnement de la vie humaine devient alors
tributaire du mme genre dexplication que celle que fournirait un
heureux parieur ayant fait sauter la banque au casino : lunivers
ntait pas gros de la vie, ni la biosphre de lhomme. Notre numro est
sorti au jeu de Monte-Carlo. Quoi dtonnant ce que, tel celui qui
vient dy gagner un milliard, nous prouvions ltranget de notre
condition ? (op. cit., p. 185) Il ny a bien videmment rien dtonnant
cela, car, quoi de plus trange et de plus troublant pour un tre
raisonnable que de se savoir venu de nulle part et dsir par
personne, et cela en vertu de laction conjugue de forces aussi
aveugles quirrationnelles ? Voici maintenant lanalyse que fait Andr
Pichot dans son Histoire de la notion de vie (p. 940) sur la
situation de la biologie contemporaine, et laquelle je souscris
entirement : Aujourdhui, on a limpression que ce que vise la
biologie nest pas tant ltude de la vie (ou des tres vivants en ce
quils ont de spcifique relativement aux objets inanims) que sa pure
et simple ngation, le nivellement et lunification de lunivers par
la physico-chimie. Comme si, pour unifier, il valait mieux nier les
solutions de continuit que les comprendre. Quon ne se mprenne pas :
nous ne mconnaissons pas lintrt de la biochimie ; ce que nous
critiquons, cest cette singulire perversion de la biologie qui
consiste lui donner pour fin la ngation de son objet et, par
consquent, delle-mme en tant que science autonome. Il me semble que
tant que la notion de vie restera scinde de celle dme, au sens de
principe vital organisateur de la matire, on continuera de la
mconnatre. Elle ne peut tre saisie en ce qui la constitue en propre
si lon persiste vouloir lexpliquer par les lois de ce qui nest
quabsence de vie. Si la vie organique prsuppose les lois naturelles
de la physique et de la chimie, elle les transcende radicalement.
Tout comme la vie de lesprit, qui se manifeste dans ce vivant
corporel quest lhomme, transcende radicalement la vie organique.
Quil faille renoncer vouloir tout comprendre en prenant appui sur
les seules ressources quoffrent les sciences positives, cela me
parat incontestable. Ce qui suppose lacceptation du fait que la
ralit ne sidentifie pas purement et simplement la matire. En effet,
la vie et la pense ne se plient gure aux lois physico-chimiques, et
cela me semble tre un argument suffisant pour que ce fait soit
lgitimement tabli. Quil ne puisse ltre de faon empirique, au sens
scientifique du terme, rien de plus
-
normal, puisque la science positive ne soccupe que des ralits
matrielles. Mais soutenir quen raison de cela il ne puisse ltre en
aucune manire, cela reviendrait refuser lhomme toute connaissance
outre quempirique, encore une fois, au sens des sciences positives.
Ce qui me semble ne point saccorder avec lexprience humaine
concrte, telle quelle est vcue au quotidien. On sait avec
certitude, par exemple, que lon pense, ou encore que lon aspire
vivre selon certaines valeurs, et le savoir scientifique ny est
pour rien. Le savoir positif nest donc pas la seule source de nos
connaissances. On sait aussi que la pense ne relve aucunement des
lois de la physique, et quen consquence elle ne peut quavoir une
ralit immatrielle, ce qui bien entendu ne signifie pas que ltre
humain puisse penser sans cerveau, organe qui lui est indispensable
pour former des concepts partir des images sensibles. Mais si la
pense a bien besoin du cerveau pour se manifester, elle nest pas
pour autant produite par lui, tout comme lordinateur ne produit pas
le logiciel dont il est le support qui lui permet doprer. La
comprhension de la vie en ce quelle a dirrductible aux lois de la
matire requiert donc une thorie de lme, sans laquelle ce qui fait
la spcificit des corps vivants par rapport aux corps bruts demeure
insaisissable. Cette thorie doit galement prendre en compte la plus
haute manifestation de la vie, celle de lesprit, qui se manifeste
chez ltre humain. Le choix de saint Thomas dAquin sexplique ainsi
par le fait quil aborde la question avec une prcision, une rigueur
de pense et une cohrence qui nont pas dquivalent, Aristote mis a
part, dont par ailleurs il sinspire largement. Depuis la nutrition
jusqu la conception intellectuelle, en passant par la sensation et
les passions, toutes les activits de lhomme sont passes en revue
dans le dessein de russir intgrer une telle diversit vitale dans le
cadre dune thorie de lme qui soit mme den rendre compte, tout en
respectant lunit substantielle de ltre humain. Dans un premier
temps, seront tudies les notions de vie et dme, afin de parvenir
une dfinition pouvant tre applique tous les vivants, ainsi que les
diffrentes puissances de lme, pour conclure sur celle qui constitue
le fondement ou socle minimal de tous les vivants : lme vgtative.
Par la suite, on abordera la question de la vie sensible, en ayant
soin tout dabord de bien dlimiter la nature de la connaissance en
gnral et ensuite celle qui ressortit lme sensitive, travers les
sens internes et externes, pour conclure sur ltude de la nature de
lapptit sensible et de sa dynamique propre.La troisime et dernire
partie de cette recherche sera consacre ltude de lme humaine. Elle
comportera deux sous-parties, chacune correspondant aux deux
facults de lme raisonnable, savoir, lintelligence et lapptit
intellectuel ou volont.1. La vie, lme et ses facults.
a. Caractres distinctifs du vivant.Avant daborder le problme de
la spcificit de la vie, il convient de ne pas se laisser piger par
le langage et de ne pas oublier que la vie , proprement parler,
nexiste
-
pas. En effet, ce terme ne dsigne pas un tre, une substance, un
tant naturel que lon serait susceptible de trouver dans la nature.
Il sagit dun terme abstrait, comme la bont ou la vitesse, qui se
prdiquent de certains agents dont leurs actions sont bonnes ou
leurs dplacements rapides. Ainsi, par le terme vie on dsigne un
caractre de certains actes et, en consquence, une proprit de ltre
vivant qui accomplit ces actes. Le mot vie se prend dun phnomne
apparent qui est le mouvement autonome ; mais ce nest pas cela quon
entend signifier par ce nom, cest la substance laquelle il
convient, selon sa nature, de se mouvoir elle-mme, ou de se porter
de quelque manire son opration. Daprs cela, vivre nest rien autre
chose que dtre en une telle nature, et la vie signifie cela mme,
mais sous une forme abstraite, comme le mot course signifie
abstraitement le fait de courir. ( Somme Thologique , I, q 2)Pour
se former un concept de ltre vivant, saint Thomas va partir de
lobservation des tres o la vie se manifeste, en considrant lactivit
des vivants et en la confrontant avec celle des non vivants, afin
de dgager une notion empirique de la vie. A la question qui
appartient-il de vivre ? , saint Thomas rpond de la manire suivante
: Cest chez ceux en qui la vie est manifeste que nous pouvons
saisir qui appartient et qui nappartient pas la vie. Or, la vie est
surtout visible chez les animaux ; cest ce que remarque Aristote,
disant que chez les animaux la vie est manifeste . Il faut donc
distinguer les vivants des non vivants daprs ce qui nous fait dire
que les animaux vivent, ce en quoi la vie se rvle dabord et grce
quoi elle persiste en dernier lieu. Or, nous disons quun animal vit
partir du moment o il se meut lui-mme, et on juge quil vit aussi
longtemps que ce mouvement apparat en lui. Ds quil na plus quune
motion trangre, on dit quil est mort par dfaut de vie, il est donc
clair que ceux-l sont vivants proprement parler qui se meuvent
eux-mmes de quelque espce de mouvement ; soit quon prenne le
mouvement au sens propre, comme un acte de limparfait, cest--dire
de ltre en puissance ; soit quon le prenne en un sens plus gnral,
sappliquant aussi lacte du parfait, au sens ou lintelligence et la
sensation sont appels des mouvements, selon Aristote. On appellera
donc vivants tous les tres qui se dterminent eux-mmes un mouvement
ou une opration quelconque. Ceux qui nont pas la capacit naturelle
de se porter deux-mmes quelque mouvement ou opration ne seront dits
vivants que par mtaphore. (S.T., I, q 1) Le vivant se caractrise
ainsi par un mouvement spontan, cest un tre qui se meut lui-mme par
un mouvement lui venant de lintrieur. Cest en effet le motus ab
intrinseco , spontanit ou jaillissement manant de lintrieur, ce qui
caractrise lactivit vitale : le vivant a en lui-mme le principe
efficient de son activit. Lactivit essentielle du vivant nest pas
dagir sur autre chose, quoiquil le fasse souvent, mais dagir sur
lui-mme. Cest ce que marque bien le langage dans les verbes rflchis
: se dplacer, se nourrir, se dvelopper, sadapter. Ainsi donc, la
dfinition qui convient aux vivants est bien tres qui se dterminent
eux-mmes
-
un mouvement ou une opration quelconque , le terme mouvement
tant entendu au sens mtaphysique : un changement quelconque, le
passage de la puissance lacte. Et il convient dajouter que dire que
ce mouvement est spontan ne signifie pas quil sagit dun
commencement absolu sous tous les rapports, laction vitale
dpendant, au contraire, dun grand nombre de facteurs, conditions et
causes extrieures. Cependant, ces facteurs ne suffiraient pas la
produire si ltre ntait pas vivant. Quant son terme, laction est
dite immanente, ce qui sentend par opposition laction transitive
qui passe dans un patient autre que lagent : dans laction
immanente, lagent agit sur lui-mme, il est le terme de son action.
Ds lors quil y a mouvement, entendu au sens de changement, de
passage de la puissance lacte, on rencontre le principe mtaphysique
aristotlicien quidquid movetur ab alio movetur , il est ncessaire
que tout ce qui est m soit m par quelque chose ( Physique , VIII ,
256a 10). Selon ce principe, pour quil y ait changement il faut un
tre comportant une certaine potentialit, une capacit pouvoir
possder en acte ce quil lui manque et envers quoi il est seulement
en puissance dtre. Or, il ne saurait se donner lui-mme ce dont il
manque, puisque autrement il y aurait contradiction, se trouvant
simultanment en acte et en puissance vis--vis dune mme perfection,
vers laquelle il tendrait en vue de se parfaire tout en la possdant
dj. Comment ce principe du mouvement est-il sauvegard dans le cas
du vivant ? Puisquil est compos de parties organises et que le
principe vital unificateur comporte diffrentes facults ou
puissances, ltre vivant est principe immanent de ses mouvements
grce la causalit rciproque exerce par ses diverses facults, chacune
tant moteur et mobile sous des rapports distincts dans la diversit
de ses oprations vitales ou actes seconds , l acte premier tant
celui que lme exerce sur le compos le constituant dans son tre en
tant que forme substantielle. b. Les degrs de limmanence vitale.Les
corps bruts sont inertes, ils reoivent leur mouvement du dehors et
ils le transmettent dautres. Les corps vivants se meuvent et leur
activit est oriente vers leur bien propre, chaque opration tant
finalise , ordonne une fin, en vue de demeurer dans ltre et
datteindre leur plein dveloppement. Leur activit demeure en eux,
actualisant leur potentialit et cooprant la pleine ralisation de
leurs virtualits essentielles. Il y aura ainsi divers degrs de vie
selon le degr dimmanence de lactivit. Se fondant sur une
constatation empirique universellement admise, Saint Thomas
distingue trois grands types dtres vivants dans le monde sensible :
vgtaux, animaux et hommes. Il reconnatra une hirarchie de trois
degrs de vie : vie vgtative dans les plantes, vie sensitive chez
les animaux, vie intellective chez lhomme, lequel constitue par
ailleurs le degr le plus bas dans lchelle des vivants intelligents,
lhomme se trouvant la charnire du monde sensible et du monde des
substances purement spirituelles. Dans un article o Saint Thomas se
demande si la vie convient Dieu, il tablit sa classification des
diffrents degrs de vie daprs lintriorit et lactivit plus ou moins
parfaite que lon retrouve chez les vivants dans la dtermination de
la facult
-
ou puissance opratoire (l agent secondaire , ici appel
instrument ) dclencher laction par lacquisition dune forme qui leur
soit propre (forme accidentelle, secondaire ou intentionnelle , par
opposition la forme principale ou substantielle faisant exister en
acte le compos - appel ici agent principal -, et qui constitue la
source des facults et de leurs oprations ), cest--dire, une forme
acquise par le vivant et qui fournisse la facult linformation
ncessaire en vue de lui permettre de se dterminer laction. Lautre
critre dcisif dans ltablissement de cette hirarchie des vivants
sera celui de la capacit quils ont non seulement dacqurir les
formes qui seront au principe de leurs mouvements, mais encore de
la capacit quils ont de sassigner eux-mmes la fin de leurs
mouvements. La vie est en Dieu au sens le plus formel du terme.
Pour sen convaincre, il faut observer que la vie tant attribue
certains tres en raison de ce quils sont mus par eux-mmes, et non
par dautres, plus cela convient parfaitement quelquun, plus
parfaitement aussi on trouve en lui la vie. Or, dans la srie des
moteurs et des mobiles, on distingue par ordre un triple lment.
Tout dabord, la fin meut lagent ; lagent principal est celui qui
agit par sa forme, et il arrive que celui-ci agisse par le moyen
dun instrument nagissant pas par la vertu de sa forme propre, mais
par celle de lagent principal, et nayant ainsi pour rle que
dexcuter laction.On trouve donc certaines choses qui se meuvent
elles-mmes non en ce qui concerne la forme ou la fin, qui est en
elles par nature, mais seulement quant lexcution du mouvement , la
forme par laquelle elles agissent et la fin vers laquelle elles
tendent leur tant assignes par la nature. Telles sont les plantes
qui croissent et dclinent selon la forme quelles tiennent de la
nature.Dautres vont au-del et se meuvent non seulement quant
lexcution du mouvement, mais quant la forme qui est le principe de
ce mouvement, forme quils acquirent deux-mmes. Et tels sont les
animaux, dont le principe daction est une forme non pas impose par
la nature, mais acquise par les sens. Il sensuit que, plus parfaite
est leur facult de sentir, plus parfaitement aussi ils se meuvent
eux-mmes. Ainsi ceux qui ne sont dous que du toucher nont pour tout
mouvement que la contractilit, comme les hutres, dont la capacit de
se mouvoir ne dpasse gure celle des plantes. Au contraire, ceux qui
sont dous dune facult de sentir complte, cest--dire capables de
connatre non seulement ce qui leur est conjoint ou qui les touche,
mais encore ce qui est au loin, ceux-l se meuvent en progressant
vers ce qui est loign deux.Mais, quoique les animaux de cette sorte
reoivent des sens la forme qui est le principe de leur mouvement,
cependant ils ne se fixent pas eux-mmes la fin de leur opration ou
de leur mouvement ; cette fin est inscrite en eux par la nature,
qui les pousse se mouvoir en vertu de leur forme faire telle ou
telle action. Cest pourquoi au-dessus de tous les autres animaux
sont ceux qui se meuvent eux-mmes, en outre, quant la finalit de
leur mouvement ordonn une fin, quils se fixent eux-mmes. Et cela se
fait par raisonnement et par lintelligence, facult laquelle il
appartient de connatre le rapport entre la fin et le moyen, et
dordonner lun lautre. La manire dont vivent ceux qui sont dous
dintelligence est donc plus parfaite,
-
parce quils se meuvent eux-mmes plus parfaitement ()Mais bien
que notre intelligence se dtermine ainsi certaines choses,
certaines autres lui sont fixes par la nature, comme les premiers
principes, quelle ne peut viter de reconnatre, et la fin ultime
quil lui est impossible de ne pas vouloir. Ainsi, bien quelle se
meuve quelque fin, il faut pourtant qu dautres fins elle soit mue
par un autre. Cest pourquoi celui dont la nature est son
intellection mme et en qui le naturel nest pas fix par un autre,
dtient le degr suprme de la vie. Et tel est Dieu. En Dieu donc il y
a vie au plus haut point. (S.T., I, q 3 ; traduction modifie pour
les deux premiers paragraphes)Il en ressort trois cas clairement
distincts. En premier lieu, celui des plantes, lesquelles ne
possdent pas de forme acquise permettant aux facults de dterminer
leurs oprations, celles-ci se trouvant donc dtermines exclusivement
par la vertu de la forme substantielle du vivant agissant travers
des puissances qui nont dautre rle jouer que celui de simples
instruments ou excutants du programme daction communiqu par la
forme du compos.Ensuite, il y a le cas des animaux. Ceux-ci ne sont
pas rduits au rle de simples excutants dun mouvement qui leur est
entirement impos par leur forme premire : ils sont capables
dacqurir par eux-mmes, travers leurs facults sensitives, les formes
secondaires, intentionnelles , qui seront au principe de leurs
mouvements. En effet, les reprsentations sensibles quils conoivent
commandent leurs oprations, elles sont lorigine de leurs
mouvements, ce qui suppose un degr dactivit immanente bien
au-dessus de celui qui revient aux oprations extrmement rigides et
prdtermines qui caractrisent la vie vgtative. Il nempche que, chez
les animaux, la fin des oprations est directement fixe par
linstinct qui dtermine leurs actions de faon ncessaire daprs la
forme apprhende par les sens. Le troisime cas est celui des tres
humains, chez qui lon discerne, outre les degrs de vie vgtative et
sensitive, celui de la vie intellective. Les hommes, dous
dintelligence, sont la fois capables de prendre possession de la
forme qui est au principe de leurs actions et de se fixer eux-mmes
la fin de leurs oprations. En effet, cest lintelligence quil
revient de connatre la relation existant entre la fin et le moyen
ainsi que dordonner lun lautre.Cependant, cette immanence chez
lhomme est limite : chez lui, tout comme chez les substances
intellectuelles pures par ailleurs, on retrouve encore du
conditionnement : il nappartient pas lhomme, en tant que crature,
cest--dire, en tant quil possde ltre par participation, de se
dterminer de manire absolue et tous points de vue. En effet, avec
sa nature, il reoit les premiers principes de lesprit, quil ne peut
pas ne pas reconnatre, ainsi que sa fin dernire, quil lui est
impossible de ne pas vouloir. Et comme le degr le plus lev d
immanence se trouve dans le domaine de lintelligence, lacte de
connatre demeurant dans le sujet connaissant et constituant sa
dignit ontologique, il sensuit que limmanence absolue, dpourvue de
tout conditionnement, se trouve seulement en Dieu, chez qui sujet
connaissant, objet connu et opration cognitive sidentifient dans la
simplicit de lessence divine, acte pur dexister excluant toute
composition, dont notamment
-
celle dessence et existence, et partant celle dacte et
puissance, ce qui rend impossible toute espce de changement. En
Dieu seul donc la vie ne pourra tre caractrise comme tant un
principe de mouvement, mais comme tant un acte pur dexister possd
par essence : autant dire quen Dieu la vie sidentifie avec ltre
divin lui-mme. Toute la psychologie de Saint Thomas est ainsi
commande de haut en bas par une conception hirarchique de la vie.
Dans un texte clbre du quatrime livre de la Somme contre les
Gentils , traitant de la gnration ternelle du verbe en Dieu, cet
ordonnancement se manifeste trs nettement, daprs les divers types
dmanation vitale, celle-ci tant conue comme un acte surgissant de
manire spontane de lintriorit dun tre, et le degr de vitalit tant
corrlatif celui dimmanence. Le principe dont part Saint Thomas est
le suivant : plus une nature est leve, plus ce qui mane delle lui
est intrieur. Parmi toutes les choses, ce sont les corps inanims
qui occupent le dernier rang : en eux , il ne peut y avoir dautre
manation que celle qui a lieu par action de lun dentre eux sur un
autre. Le feu est ainsi engendr partir du feu, lorsquil altre un
corps tranger et lamne sa qualit et son espce de feu.Parmi les
corps anims, les plantes viennent juste aprs ; en elles, lmanation
procde dj de lintrieur : la sve interne de la plante se change en
graine, et cette graine, confie la terre, grandit en plante. Ici,
on dcouvre donc dj le premier degr de vie : sont en effet vivants
les tres qui se meuvent eux-mmes laction ; en revanche, les tres
qui ne peuvent mouvoir que dautres tres extrieurs eux sont
absolument dpourvus de la vie. Mais dans les plantes, il y a une
preuve de la vie : quelque chose en elles se meut vers une certaine
forme. La vie des plantes est cependant imparfaite : en elles,
lmanation procde bien depuis lintrieur, mais ce qui mane peu peu en
sortant de lintrieur de la plante lui est au bout du compte
compltement extrieur ()Au-dessus des plantes, un degr de vie plus
haut, on trouve la vie de lme sensitive : mme si elle commence
lextrieur, lmanation qui lui est propre sachve lintrieur ; et plus
cette manation se dveloppera, plus son terme sera intrieur. Le
sensible extrieur impose en effet sa propre forme dans les sens
extrieurs ; de l, il passe dans limagination, et enfin dans le
trsor de la mmoire. A chaque tape de ce type dmanation, le principe
et le terme relvent cependant de puissances diffrentes : aucune
puissance sensitive ne peut en effet rflchir sur elle-mme. Ce degr
de la vie est donc dautant plus lev par rapport la vie des plantes
que son opration est davantage situe lintrieur du vivant dont il
sagit. Ce nest pas toutefois une vie absolument parfaite, puisque
cette manation se fait toujours dun tre dans un autre.Le degr
souverain et parfait de la vie, cest donc celui de lintellect : ce
dernier peut en effet rflchir sur lui-mme, et se penser lui-mme.
Mais on trouve aussi diffrents degrs dans cette vie intellectuelle.
En effet, lintellect humain, mme sil peut se connatre lui-mme, tire
toutefois de lextrieur le point de dpart de sa connaissance : cest
quil ny a pas de pense sans image. La vie intellectuelle est
-
donc plus parfaite dans les anges, en qui lintellect, pour se
connatre lui-mme, ne part pas de quelque chose dextrieur : il se
connat lui-mme, par soi. Cependant, la vie des anges natteint pas
encore la perfection ultime : mme si lintention de lintellect (*)
est pour eux totalement intrieure, elle nest pourtant pas leur
substance puisquen eux ltre et la pense ne sont pas identiques. La
perfection ultime de la vie appartient donc Dieu, en qui la pense
ne diffre pas de ltre, de sorte quen lui lintention de lintellect
doit tre lessence divine elle-mme. (C.G., L IV, ch. 11, 2 5) [(*) :
intentio intellecta , synonyme de verbum mentis : verbe mental ou
concept. Il sagit de la parole intrieure par laquelle lesprit se
dit lui-mme ce quil connat, dans lacte mme qui le connat. Jappelle
intention de lintellect ce que lintellect conoit en lui-mme de la
chose pense. (ibidem, 6)]Ainsi, au degr infrieur des choses, se
trouvent les corps inertes, en qui il ne peut y avoir manation que
par un contact extrieur. Ensuite viennent les plantes, pour
lesquelles on peut dj parler dmanation intrieure ; cest en effet
dans lintrieur mme de la plante que la sve est transforme en
semence. Cependant, il ny a pas dintriorit parfaite, lmanation dont
il est question, la semence, finissant par aboutir un tre
entirement distinct. En outre, le principe originel de cette
manation est lui-mme extrieur, la nourriture de la plante tant
monte en elle de la terre par les racines. Plus haut, avec les
animaux, on atteint un degr suprieur de la vie, qui a son principe
dans lme sensitive, dont lmanation aboutit, cette fois, un terme
vraiment immanent : limage perue par les sens, passant par
limagination, finit en effet par atteindre la mmoire o elle est
conserve. Toutefois, principe et terme de lmanation sont encore ici
distincts, car les puissances sensibles ne peuvent rflchir sur
elles-mmes.Avec lintelligence enfin, qui, elle, est rflexive, nous
nous trouvons au degr le plus lev de la vie. Mais ici encore des
gradations doivent tre tablies, lintriorit de lactivit de cette
facult se ralisant encore de faon plus ou moins parfaite suivant
quil sagit de lhomme, de lange ou de Dieu. En effet, en bas de
lchelle intellectuelle se trouve lhomme, qui puise encore lextrieur
le donn premier de sa vie intellectuelle. Plus haut, les natures
angliques, chacune proportionnellement son espce, possdent la
connaissance directe de leurs essences, mais dans une conception
qui est encore distincte de leur substance. Dieu, enfin, dans lunit
et limmanence parfaite duquel lactivit vitale atteint sa
perfection.En dfinitive, activit vitale dune part et immanence ou
intriorit dautre part, sont des termes corrlatifs et dont la
progression parallle correspond la hirarchie de perfection des
tres. En outre, tant ralise de faon proportionnelle aux divers
degrs de cette hirarchie, la notion de vie est une notion
essentiellement analogique : ainsi, la vie dune plante, celle dun
animal, celle dun homme ou celle dun esprit pur ne sont-elles pas
spcifiquement semblables ; et, dans le cas de lhomme, chez qui
plusieurs degrs de vie se rencontrent, il ny a pareillement que
proportion analogique entre les activits de chacun deux.
c. La dfinition de lme.
-
Dans sa dfinition de lme, tout comme dans sa psychologie en
gnral, Saint Thomas suit de prs celle quAristote donne dans sont
trait De lme , dans lequel le Philosophe se sert de sa thorie
hylmorphiste, selon laquelle les tants naturels sont constitus par
lunit de la matire ( hyl ) et de la forme ( morph ), principes
passif et actif entretenant un rapport de puissance et dacte et
constituant dans leur union le compos substantiel. Voyons tout
dabord la dfinition que le Stagirite donne de lme, avant de nous
pencher sur le commentaire quen fait Saint Thomas. Parmi les corps
naturels, les uns ont la vie, cependant que les autres ne lont pas
; et par vie, nous voulons dire la proprit de par soi mme se
nourrir, crotre et dprir. Si bien que tout corps naturel, ayant la
vie en partage, peut tre substance, une substance, cependant, comme
on la dit, compose. Mais, puisque cest prcisment un corps qui a
cette proprit, cest--dire, possde la vie, le corps ne saurait tre
lme. Le corps, en effet, ne se range pas dans les ralits qui se
disent dun sujet, mais se prsente plutt comme sujet ou matire. Il
faut donc ncessairement que lme soit substance comme forme dun
corps naturel qui a potentiellement la vie. Or, cette substance est
ralisation. Donc, elle est la ralisation dun tel corps. ( De lme
II, 1, 12-21)Voici maintenant le commentaire du Docteur Anglique :
La troisime division est que des corps naturels ont la vie, tandis
que dautres ne lont pas. Par ailleurs, ce dont on dit quil a la
vie, cest ce qui a par soi laliment, la croissance et la
dcroissance. On doit savoir, toutefois, que cette explication va
plus par mode dexemple que par mode de dfinition. En effet, ce nest
pas seulement du fait davoir croissance et dcroissance quon vit,
mais aussi du fait de sentir et de penser, et de pouvoir exercer
les autres oprations de la vie. Aussi y a-t-il vie dans les
substances spares, du fait quelles ont intelligence et volont, bien
quil ne se trouve en elles ni croissance ni aliment. Cependant,
chez les vivants gnrables et corruptibles, lme qui se trouve dans
les plantes, laquelle appartient laliment et la croissance, est le
principe de la vie ; aussi a-t-il manifest ici comme par un exemple
le fait davoir la vie par le biais de dtenir aliment et croissance.
La notion approprie de la vie, par contre, tient ce quune chose est
de nature se mouvoir elle-mme, en prenant au sens large le
mouvement, en ce que mme lopration intellectuelle se dit un certain
mouvement. En effet, nous disons que sont sans vie les choses qui
ne peuvent tre mues que par un principe extrieur ()Comme ce sont
les corps naturels qui sont le plus manifestement des substances et
que tout corps dot de vie est un corps naturel, tout corps dot de
vie est ncessairement une substance. Et comme cest un tre en acte,
il est ncessairement une substance compose. Maintenant, quand je
dis corps dot de vie je dis deux choses : il sagit dun corps et il
sagit dun corps de telle sorte, savoir, dot de vie ; on ne peut
donc pas dire que lme soit la partie du corps dot de vie quon nomme
le corps. Par lme, en effet, on entend ce par quoi vit ce qui est
dot de vie ; aussi faut-il quon la conoive comme quelque chose qui
existe en un sujet, en prenant ici le sujet au sens large, non
seulement en tant quon appelle sujet un tre dj en acte,
-
sens en lequel on dit de laccident quil est dans un sujet, mais
en tant quon appelle sujet la matire premire, qui nest quen
puissance. Par contre, le corps qui reoit la vie est plus comme un
sujet et une matire que comme quelque chose existant dans un sujet.
Ainsi donc, comme il y a triple substance - le compos, la matire et
la forme -, et que lme nest pas le compos mme, qui est un corps dot
de vie, ni nest la matire, qui est un corps sujet la vie, il reste
que lme est une substance la manire dun tel corps, savoir, du corps
naturel dot en puissance de vie. Aristote a dit dot en puissance de
vie et non simplement dot de vie , car cest la substance compose
vivante quon conoit comme le corps dot de vie. Or, ce nest pas le
compos qui entre dans la dfinition de la forme, mais la matire. Et
la matire du corps vivant est ce qui se rapporte la vie comme la
puissance lacte ; et lacte par lequel le corps vit, cest lme ()
Pour viter quon croie que lme serait un acte la manire dune forme
accidentelle, il ajoute que lme est un acte la manire dune
substance, cest--dire, dune forme. Et comme toute forme se trouve
dans une matire dtermine, il sensuit quelle est la forme dun corps
tel quon la dit.On doit nanmoins savoir quil y a, entre forme
substantielle et forme accidentelle, cette diffrence que la forme
accidentelle ne fait pas tre en acte absolument, mais tre en acte
ceci ou cela, par exemple grand ou blanc, tandis que la forme
substantielle fait tre en acte absolument. Aussi la forme
accidentelle advient-elle un sujet qui prexiste dj en acte. La
forme substantielle, par contre, nadvient pas un sujet qui prexiste
dj en acte mais qui existe en puissance seulement, savoir, la
matire premire. De l, il appert quil est impossible une seule chose
davoir plusieurs formes substantielles, car la premire ferait tre
en acte absolument, et toutes les autres adviendraient un sujet dj
existant en acte, ne faisant donc pas tre en acte absolument, mais
seulement sous quelque aspect () En effet, la forme plus parfaite
donne la matire la fois ce que donne la forme moins parfaite et
encore plus. Par consquent, lme ne fait pas seulement tre substance
et corps () mais elle fait aussi tre corps anim. On ne doit donc
pas comprendre que lme est lacte du corps et que le corps est sa
matire et son sujet, comme sil tait constitu par une forme qui le
ferait tre un corps auquel surviendrait lme qui lui donnerait dtre
corps vivant. (Commentaire du trait De lme , livre II, leon 1, 220
225 ; traduction lgrement modifie) Dans son commentaire, Saint
Thomas sattache, dans un premier temps, rappeler le caractre
analogique de la vie, qui se ralise de faon proportionnelle selon
les divers degrs de la hirarchie des tants dont la ralisation
vgtale en est le plus bas chelon. En effet, lAquinate rappelle que
ce qui fait la spcificit de la vie rside en la capacit quon
certains tres se mouvoir eux-mmes, dune faon spontane, au lieu que
les corps inertes sont justement ceux que seul une action extrieure
est mme de les faire subir un changement. Ainsi tient-il prciser
que le fait de se nourrir ou de grandir ne saurait constituer une
manire adquate de dfinir la vie, mais seulement de lillustrer par
des exemples pertinents quoique assez loigns de ses manifestations
les plus acheves.
-
Par la suite, Saint Thomas tient faire ressortir le caractre
irrductible que revt lme lendroit du corps. Puisque certains corps
naturels sont vivants et que dautres ne le sont pas, il serait faux
de considrer que dans un corps dot de vie la vie se ramne une
partie de cette ralit vivante, savoir, le corps. Car justement, par
me , on dsigne ce qui fait quun corps dot de vie est tel,
cest--dire, non seulement un corps, mais, en outre, un corps
vivant. Mais tout corps vivant est compos, tout comme nimporte quel
autre corps naturel, tenant son acte dtre de la forme et son
individuation de la matire qui accueille cet acte qui la spcifie.
Or, puisque pour un vivant, tre, cest vivre, ce qui rend un corps
vivant est ce qui le fait tre tel, savoir, sa forme, ce par quoi
vit ce qui est dot de vie. Cette forme donc qui donne au corps dot
de vie de vivre, dtre ce quil est, cest bien ce quon appelle me ,
savoir, le principe vital qui distingue un corps dot de vie dun
corps inerte. Lme donc, en tant que principe formel du corps
vivant, exige la prsence dun sujet, au sens large du terme, la
matire premire, qui lui permettra dexercer son acte vital, dont
rsultera le corps vivant, qui lui, est seul sujet au sens
propre.Aprs, Saint Thomas rcapitule les acquis prcdents, savoir,
quil a t tabli quil y a trois lments qui entrent en jeu dans la
dfinition de lme : la matire, la forme et le compos. Il va sans
dire que le mot substance appliqu aux deux premiers lments est
employ dans un sens large, o par mtonymie lauteur applique aux
parties ce qui, en rigueur, ne convient quau tout, le compos, car
la substance nest autre que ltant, seul apte en tant que sujet
exister en soi, alors que les principes formels et matriels nont
aucune existence spare, le cas de lme humaine constituant lunique
exception, non pas en tant quelle est forme dun corps, mais en tant
quelle est forme intellectuelle : on en reviendra par la suite.
Saint Thomas tient rappeler que lme nest pas la forme dun corps dot
de vie , mais dun corps dot de vie en puissance , tant donn que
seul le vivant, compos de la matire premire actualise par la forme
substantielle, est un corps dot de vie . Ainsi donc, ce nest pas le
compos qui entre dans la dfinition de la forme, mais seulement la
matire, celle-ci gardant lgard de celle-l un rapport de puissance
acte, lacte par lequel le corps vit tant appel me.Enfin, dans le
quatrime et dernier paragraphe de son commentaire, Saint Thomas se
propose de bien tablir lunicit de la forme substantielle des
vivants. En effet, contre ceux qui postulent la pluralit des formes
substantielles, rendant illusoire lunicit des vivants, notamment de
ltre humain, le Docteur Anglique rappelle la diffrence existante
entre la forme substantielle, acte premier du compos qui lui donne
dtre purement et simplement , et les formes accidentelles, actes
seconds du compos, qui le prsupposent, qui trouvent en lui leur
sujet dinhrence et le font tre de telle ou telle manire, sans
modifier son essence, en lui donnant une certaine manire dtre. Les
accidents nont donc pas dexistence propre, leur mode dtre tant
linhrence dans un sujet dj existant en acte premier. Admettre
plusieurs formes substantielles revient dire que tel vivant est la
fois corps, plante et animal, ce qui est absurde. Il faut dire quil
en va tout particulirement de lunicit de ltre humain. A ce propos,
Saint Thomas ne tergiverse pas :
-
Il faut donc dire quil ny a aucune forme substantielle dans
lhomme que lme intellectuelle. Celle-ci contient par sa vertu lme
sensitive et lme vgtative et, de plus, toutes les formes infrieures
; et elle fait elle seule tout ce que les formes moins parfaites
accomplissent dans les autres tres. Il faut en dire autant pour lme
sensitive chez les btes, lme vgtative dans les plantes et de faon
gnrale pour toutes les formes plus parfaites, par comparaison avec
les imparfaites (...) Dans ce que jappelle corps lme est incluse,
comme son acte, de mme que la chaleur est lacte de lobjet chaud, et
la lumire, lacte du corps lumineux. Ce qui ne veut pas dire que le
corps soit lumineux en dehors de la lumire, mais quil est lumineux
par la lumire. Et si lon dfinit lme lacte dun corps naturel organis
qui a la vie en puissance, cest que lme donne la fois dtre un
corps, et dtre organis, et davoir la vie en puissance. (S.T., I, q
4)Dans un cosmos entirement hirarchis, vritable scala naturae ,
dans lequel chaque tre participe lexistence des degrs divers,
chaque tant possde les perfections qui lui sont propres et renferme
en lui celles qui appartiennent aux tants infrieurs, leur forme
substantielle les contenant de manire virtuelle, le caractre
spcifique de la forme suprieure les enveloppant toutes et
garantissant de la sorte lunit de ltant, sans laquelle on serait
face un conglomrat de substances relies entre elles seulement de
manire accidentelle, ce qui va lencontre des donnes empiriques les
plus manifestes. Lme, sensitive, intellectuelle et vgtative, ne
forme donc dans lhomme quune seule et mme me. On comprendra aisment
comment cela peut se faire en considrant les diffrentes espces ou
formes des tres de la nature. Elles se distinguent les unes des
autres par des degrs de perfection croissante ; les tres anims sont
plus parfaits que les tres inanims, les animaux plus que les
plantes, les hommes plus que les animaux. Et il y a encore des
degrs lintrieur de chacun de ces genres. Voil pourquoi Aristote, au
livre VIII de la Mtaphysique , compare les espces dans les tres aux
nombres qui changent despce selon quon ajoute ou retranche une unit
; au livre II du trait De lme , il compare les diffrentes mes aux
figures gomtriques dont lune contient lautre comme le pentagone
contient le carr et possde un plus grand nombre de cts. Lme
intellectuelle contient donc en sa perfection toute la ralit de lme
sensitive des animaux et de lme vgtative des plantes. Une surface
cinq cts na pas deux figures, celle dun pentagone et celle dun carr
; car la figure quatre cts serait inutile puisquelle est contenue
virtuellement dans celle qui en a cinq. (S.T., I, q 3)Dans la
question dispute De anima Saint Thomas se penche galement sur le
sujet , faisant ressortir lune des proprits transcendantales de
ltre, celle dunit ; transcendantal signifie en langage scolastique
ce que lon trouve travers tous les genres, comme ltre lui-mme,
quoique dune manire diverse. Ces proprits de ltre se retrouvent
donc partout o il y a de ltre, quelque niveau que ce soit. Ainsi,
tout tant est res (chose), aliquid (quelque chose), verum (vrai),
bonum (bon) et unum (un). On dit de ltant quil est res considr en
son essence, aliquid, en tant que distinct des autres, verum en
tant que connu, bonum en tant que dsir et unum en tant quil exclut
toute division intrinsque, ce qui est au
-
fondement du principe didentit et de celui de non-contradiction
: dire dun tre quil est un , cest dire quil est indivis. En effet,
si un tre tait divis, il naurait pas dessence dtermine. Sil est
simple, il est indivis et indivisable. Sil est compos, il cesse
dtre lorsquil est divis. ( De Veritate , q 1 ; cf. aussi : S.T., I,
q 1) Ltre et les transcendentaux sont convertibles, cest--dire
quils najoutent rien de positif ltre, mais il ny a pas tautologie,
car chaque transcendantal ajoute notionnellement quelque chose tant
. Quils soient convertibles avec ltre signifie quil sagit de
propositions dont on peut intervertir le sujet et le prdicat, car
il ne sagit pas de notions synonymes, mais de mme extension. Ainsi,
ens et unum convertuntur , revient dire que tout tant est un et que
tout un est un tant ; mais, puisque ltre est lobjet formel de
lintelligence, il lui est impossible dapprhender une chose qui ne
serait pas une , car, tant divise en elle-mme, elle serait et ne
serait pas en mme temps et sous le mme rapport, ce qui est
contradictoire. Et il faut rappeler que pour Saint Thomas les lois
de lintelligibilit se moulent sur celles de ltre, et que pour lui
tablir nettement la ncessit et lobjectivit du principe didentit,
cest tablir le fondement loign de toute preuve de lexistence de
Dieu, qui est lEtre mme subsistant, Ipsum esse subsistens . Montrer
que la loi fondamentale de la pense et du rel est le principe
didentit, cest tre amen conclure que la ralit fondamentale,
lAbsolu, est en tout et pour tout identique lui-mme, Ipsum esse ,
acte pur, et par l ncessairement distinct du monde compos et
changeant. (Reginald Garrigou-Lagrange, Dieu, son existence et sa
nature , p.150) De plusieurs choses existant en acte ne rsulte pas
ce qui est absolument un moins quil ny ait un facteur dunion
susceptible de les lier en quelque faon. Ainsi donc, si Socrate
tait animal et rationnel en raison de formes diverses, pour tre
unies absolument elles auraient besoin dun principe qui leur
donnerait lunit. Par consquent, lhomme ne serait un que par
agrgation, comme le tas, qui est un sous un certain rapport, mais
multiple purement et simplement. Lhomme ne serait donc pas tant
proprement parler, car chacun est tant pour autant quil est un
()Dans lhomme il ny a donc quune me selon la substance, qui est
rationnelle, sensible et vgtative () Aucune forme substantielle
nest unie la matire par la mdiation dune autre forme substantielle,
mais la forme plus parfaite donne la matire tout ce que donnait la
forme infrieure, et bien plus encore. Par consquent, lme
rationnelle donne au corps humain tout ce que donne lme vgtative
aux plantes et tout ce que donne lme sensible aux btes. Pour cette
raison elle est en lhomme la fois vgtative, sensible et
rationnelle. Atteste encore cela le fait que lorsque lopration dune
puissance est intense elle empche dautres doprer, ou encore le fait
quil y ait interfrence dune puissance sur lautre, ce qui
narriverait pas si toutes les puissances ne prenaient leurs racines
dans lunique essence de lme. (Question Dispute De anima , a
11)Autre objection formule contre lunicit formelle du vivant prend
appui sur la
-
difficult que soulve le caractre corruptible de lme des btes,
alors que lme humaine ne lest pas, ce qui parat poser problme, car
une mme substance ne peut tre la fois corruptible et incorruptible
; or, lme intellectuelle ne peut se corrompre, tandis que les
autres mes le peuvent. Il ne peut donc y avoir dans lhomme une
seule essence pour ces trois mes. (S.T., I, q 3, 1re objection) Ce
quoi Saint Thomas rpondra en rappelant le principe de lassomption
par lme intellectuelle des puissances infrieures, qui reoivent
ainsi le type dexistence du principe suprieur : si lme sensitive
est incorruptible, ce nest pas en tant que sensitive. Cest en tant
quintellectuelle que lincorruptibilit lui est due. Quand lme nest
que sensitive, elle peut tre dtruite, mais lorsquen plus elle est
intellectuelle, elle est incorruptible. Le principe sensitif ne
donne pas lincorruptibilit, mais ne peut pas non plus le faire
perdre ce qui est en outre principe dintellection. (ibid., ad 1)
Mais on est fond se demander pourquoi cette prsomption de
corruptibilit concernant lme des tous les vivants autres que
lhomme. Cest que, selon Saint Thomas, lme sensitive, accomplissant
tous ses actes par lintermdiaire des organes du corps, ne peut
survivre sans corps, la diffrence de lme humaine. En effet,
lopration propre de lme intellectuelle ne seffectuant pas en
dpendance intrinsque des organes corporels, bien quil y ait
dpendance extrinsque des sens, en raison de labstraction des
essences partir des phantasmes sensibles, lme humaine, en droit, en
raison de son intellectualit, puisquelle dpasse les ralits
corporelles dans ses oprations, et que lopration suit ltre (
operari sequitur esse ), nest pas dpendante vis--vis du corps dans
sa subsistance. Mais ce point sera dvelopp de faon plus approfondie
plus tard. Voyons maintenant comment Saint Thomas entend prouver la
diffrence spcifique entre sens et intellect et labsence de ce
dernier chez les btes ce qui, par la suite, lui permettra dtablir
la nature prissable de leur me. Tout proches de ceux qui font de
lme un corps, furent ceux des philosophes primitifs qui pensrent
que lintellect ne diffrait pas du sens. Ce qui est, bien sr,
impossible. Le sens, en effet, se trouve chez tous les animaux.
Mais les animaux autres que lhomme nont pas lintellect. Cela se
voit ce quils noprent pas des choses diverses et opposes, comme
sils avaient un intellect ; mais cest comme mus par la nature quils
ralisent des oprations dtermines et uniformes dans chaque espce,
par exemple, toute hirondelle fait son nid de la mme manire () De
plus, le sens nest capable de connatre que les singuliers : en
effet, toute puissance sensitive connat par les espces
individuelles, puisquelle reoit les espces des choses dans des
organes corporels. Or, lintellect est capable de connatre les
universaux, comme on le voit par exprience () En outre, la
connaissance du sens ne stend quaux ralits corporelles. On le voit
ce que les qualits sensibles, qui sont les objets propres des sens,
ne se trouvent que dans les ralits corporelles ; or, le sens ne
connat rien sans elles. Mais lintellect connat les ralits
incorporelles, comme la sagesse, la vrit et les relations des
choses () De mme, aucun sens ne se connat lui-mme, ni ne connat son
opration : en effet, la vue ne se voit pas elle-mme, ni ne voit
quelle voit, mais cela relve dune puissance suprieure. Or,
-
lintellect se connat lui-mme, et connat quil pense () En outre,
le sens se corrompt sous lexcellence du sensible. Mais lintellect
nest pas corrompu par lexcellence de lintelligible, bien au
contraire : celui qui pense de plus grandes choses peut ensuite
mieux penser de plus petites. Le pouvoir sensitif diffre donc du
pouvoir intellectif. (C.G., L II, ch. 66) Cette diffrence de nature
entre les oprations sensibles et intellectuelles, qui fonde la
diffrence spcifique entre me sensible et intellectuelle sera traite
de manire plus dtaille par la suite. Mais voyons maintenant comment
Saint Thomas conclut de cette diversit essentielle entre sens et
intellect au caractre prissable de lme des animaux. Quant la
sensation et aux autres activits de lme sensitive, il est clair
quelles impliquent une modification corporelle ; ainsi, dans la
vision, la pupille est modifie par la reprsentation colore ; il en
est de mme pour les autres puissances. Lme sensitive na donc pas
dopration qui lui convienne en propre, mais toute son activit
procde du compos. Lme des btes, nayant pas dactivit propre, ne peut
tre subsistante, car tout tre existe de la manire dont il agit.
(S.T., I, q 3) Lme sensitive ne permettant dapprhender que lici et
le maintenant, il est impossible quelle apprhende ltre perptuel.
Elle ne peut donc pas non plus le dsirer dun apptit animal. Lme de
la bte nest donc pas capable de ltre perptuel () Les plaisirs des
btes se rapportent la conservation du corps : elles ne tirent en
effet aucun plaisir des sons, des odeurs ou des choses vues, sinon
en tant quindications pour la nourriture ou la sexualit, qui sont
tout ce en quoi elles trouvent leur plaisir. Toute leur opration
est donc ordonne la conservation de leur tre corporel comme leur
fin () Lopration de lme de la bte, qui est de sentir, ne peut tre
sans le corps. Cela apparat bien plus clairement encore pour son
opration qui consiste dsirer. Car tout ce qui relve de lapptit de
la partie sensitive se produit manifestement avec un changement
corporel, aussi parle-t-on alors de passions de lme () Il est donc
vident quaucune opration de lme de la bte ne peut tre sans le
corps. Do lon peut conclure ncessairement que lme de la bte meurt
avec son corps. (C.G., L II, ch. 82, 4, 5, 18 et 20)Saint Thomas
oppose donc une fin de non-recevoir la conception sensualiste, car
elle ramne toute forme de connaissance aux impressions sensitives,
faisant perdre sa spcificit la connaissance intellectuelle, et, par
l mme, la nature humaine, dont lessence dpend de lintellectualit de
sa forme substantielle, sans laquelle son cart vis--vis des vivants
sensitifs ne tiendrait qu une question de degr. Et il en fera de
mme avec les diffrentes thories matrialistes, selon lesquelles le
rel ne compterait que des substances corporelles, suffisant rendre
compte de tous les phnomnes de la nature, y compris celui de la
vie, si bien que lme ne serait autre chose quun certain type de
corps subtil rsultant dune certaine combinaison de particules
lmentaires dont la runion et laction sexpliquerait entirement par
des lois mcaniques, la vie tant ainsi le fruit du hasard et
dpourvue de toute finalit. Voyons comment Saint Thomas rpond-il la
question suivante : lme est-elle une ralit corporelle ? :
-
Pour rechercher quelle est la nature de lme, il faut commencer
par admettre que lme est le premier principe de la vie dans les
vivants qui nous entourent, car nous appelons anims les vivants, et
objets inanims , les tres qui nont pas la vie. Or, la vie se
manifeste surtout par la connaissance et par le mouvement. Les
anciens philosophes, incapables de dpasser limagination,
attribuaient ces actions un principe corporel : il ny avait pour
eux dautres ralits que les corps ; en dehors, il ny avait rien.
Aussi affirmaient-ils que lme est une ralit corporelle. On pourrait
montrer de bien des manires la fausset dune telle opinion, mais on
se servira dun seul argument, la fois le plus universel et le plus
sr.Tout principe dopration vitale nest pas une me, ou alors lil,
principe de la vision, serait une me, et ainsi des autres organes.
Mais cest le premier principe vital qui est une me.