SONNETS EN FRANÇAIS 1 SONNETS Nicolas de Herberay, (- ? – 1557 ?) AU LECTEUR, Bening lecteur, de jugement pourveu, Quand tu verras l’invention gentille De cest autheur : contente toy du stille, Sans t’enquerir s’il est vray ce, qu’as leu. Qui est celhuy, qui peult dire : j ’ay veu Blasmer Homere, ou accuser Virgile, Pour n’estre vrays ainsi que l’Evangile, En escripvant tout ce qu’il leur a pleu ? Quand Appelles * nous a painct Jupiter En Cigne blanc, Thoreau, ou aultre beste : Des anciens il n’a esté repris. Doncq si tu veois en ce Livre, imiter L’antiquité, loue l’effort honneste : Car tout bon œuvre est digne de bon prix (Le second livre d’Amadis de Gaule... par le Seigneur des Essars, Nicolas de Herberay, 1541.) * Apelles : « Le premier lieu où Venus aborda fut Cythère, & de là en Chypre, d’où elle est nommée Cytherée & Cyprienne. A ceste cause les anciens avaient souvent coûtume de la peindre, comme fraîchement née de la mer & nageant à bord dans une coquille. On dit qu’Alexandre le Grand en fit faire un tableau par Apelle, prince de tous les peintres qui jamais furent : & que pour l’inciter à mieux faire, il lui en fit prendre le portrait sur une sienne garce belle à merveille, laquelle il lui fit voir toute nue : & depuis s’apercevant que le peintre contemplant cette garce à son plaisir, en était devenu amoureux, lui en fit present. » Clément Marot (1496-1544) ..A MADAME DE FERRARE Me souvenant de tes bontez divines Suis en douleur, princesse, à ton absence ; Et si languy quant suis en ta presence, Voyant ce lys au milieu des espines. O la doulceur des doulceurs femenines, O cueur sans fiel, o race d’excellence, O traictement remply de violance, Qui s’endurçist pres des choses benignes. Si seras tu de la main soustenue De l’eternel, comme sa cher tenue ; Et tes nuysans auront honte et reproche. Courage, dame, en l’air je voy la nue Qui ça et là s’escarte et diminue, Pour faire place au beau temps qui s’approche. (1536 ?) Mellin de Saint Gelais (1487-1558) Au SEIGNEUR DES ESSARS N De HERBERAY Traducteur du present livre d’Amadis de Gaule Au grand desir, à l’instante requeste De tant d’amys dont tu peux disposer, Vouldrois tu bien (ô amy) t’opposer Par un reffus de chose tres honeste ? Chacun te prie et je t’en admoneste, Que l’Amadis qu’il t’a pleu exposer Vueilles permettre au monde et exposer, Car par tes faitz gloire et honneur acqueste. Estimes tu que Cesar ou Camille Doibvent le cours de leur claire memoire Au marbre, ou fer, à cyseau ou enclume ? Toute statue ou medaille est fragile Au fil des ans, mais la durable gloire Vient de main docte et bien disante plume. 1541 Jacques Peletier du Mans (1517-1582) A TRES ILLUSTRE PRINCESSE MADAME MARGUERITE SŒUR DU ROY Ce que ma Muse en vers a peu chanter Ce qu’en François des autheurs a traduit Et ce qu’ell’a d’elle mesme produit, Elle vous vient maintenant presenter, Et s’elle peut vostre esprit contenter, Ainsi qu’espoir et desir la conduit, De son grand heur, de sa gloire et bon bruit A tout jamais se pourra bien venter Car ceux qui sont coustumiers de medire Vostre grandeur n’oseront pas dedire : Quant au futur, elle ne craint rien tel. Pour ce qu’elle’est certaine et assuree Que vostre nom demeurant immortel, Le sien sera de pareille duree. 1547 PACE NON TROVO, ET NON HO DO FAR GUERRA Paix je ne trouve, et n’ay dont faire guerre : J’espere et crain, je brulle, et si suis glace Je vole au Ciel, et gis en basse place : J’embrasse tout, et rien je ne tien serre. Tel me tient clos, qui ne m’ouvre n’enserre, De moy n’a cure, et me tourne la face : Vif ne me veut, et l’ennuy ne m’efface Et ne m’occit Amour ny ne desserre. Je voy sans yeux, sans langue vais criant : Perir desire, et d’ayde j’ay envie : Je hay moymesme, autruy j’aime et caresse: De deuil me pais, je lamente en riant : Egalement me plaisent mort et vie : En cest estat suis pour vous ma maistresse.
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SONNETS EN FRANÇAIS
1
SONNETS
Nicolas de Herberay, (- ? – 1557 ?)
AU LECTEUR,
Bening lecteur, de jugement pourveu,
Quand tu verras l’invention gentille
De cest autheur : contente toy du stille,
Sans t’enquerir s’il est vray ce, qu’as leu.
Qui est celhuy, qui peult dire : j’ay veu
Blasmer Homere, ou accuser Virgile,
Pour n’estre vrays ainsi que l’Evangile,
En escripvant tout ce qu’il leur a pleu ?
Quand Appelles * nous a painct Jupiter
En Cigne blanc, Thoreau, ou aultre beste :
Des anciens il n’a esté repris.
Doncq si tu veois en ce Livre, imiter
L’antiquité, loue l’effort honneste :
Car tout bon œuvre est digne de bon prix
(Le second livre d’Amadis de Gaule... par le
Seigneur des Essars, Nicolas de Herberay,
1541.)
*
Apelles : « Le premier lieu où Venus aborda fut
Cythère, & de là en Chypre, d’où elle est
nommée Cytherée & Cyprienne. A ceste cause
les anciens avaient souvent coûtume de la
peindre, comme fraîchement née de la mer &
nageant à bord dans une coquille. On dit
qu’Alexandre le Grand en fit faire un tableau
par Apelle, prince de tous les peintres qui
jamais furent : & que pour l’inciter à mieux
faire, il lui en fit prendre le portrait sur une
sienne garce belle à merveille, laquelle il lui fit
voir toute nue : & depuis s’apercevant que le
peintre contemplant cette garce à son plaisir, en
était devenu amoureux, lui en fit present. »
Clément Marot (1496-1544)
..A MADAME DE FERRARE
Me souvenant de tes bontez divines
Suis en douleur, princesse, à ton absence ;
Et si languy quant suis en ta presence,
Voyant ce lys au milieu des espines.
O la doulceur des doulceurs femenines,
O cueur sans fiel, o race d’excellence,
O traictement remply de violance,
Qui s’endurçist pres des choses benignes.
Si seras tu de la main soustenue
De l’eternel, comme sa cher tenue ;
Et tes nuysans auront honte et reproche.
Courage, dame, en l’air je voy la nue
Qui ça et là s’escarte et diminue,
Pour faire place au beau temps qui s’approche.
(1536 ?)
Mellin de Saint Gelais (1487-1558)
Au SEIGNEUR DES ESSARS N De
HERBERAY
Traducteur du present livre d’Amadis de
Gaule
Au grand desir, à l’instante requeste
De tant d’amys dont tu peux disposer,
Vouldrois tu bien (ô amy) t’opposer
Par un reffus de chose tres honeste ?
Chacun te prie et je t’en admoneste,
Que l’Amadis qu’il t’a pleu exposer
Vueilles permettre au monde et exposer,
Car par tes faitz gloire et honneur acqueste.
Estimes tu que Cesar ou Camille
Doibvent le cours de leur claire memoire
Au marbre, ou fer, à cyseau ou enclume ?
Toute statue ou medaille est fragile
Au fil des ans, mais la durable gloire
Vient de main docte et bien disante plume.
1541
Jacques Peletier du Mans (1517-1582)
A TRES ILLUSTRE PRINCESSE
MADAME MARGUERITE SŒUR DU
ROY
Ce que ma Muse en vers a peu chanter
Ce qu’en François des autheurs a traduit
Et ce qu’ell’a d’elle mesme produit,
Elle vous vient maintenant presenter,
Et s’elle peut vostre esprit contenter,
Ainsi qu’espoir et desir la conduit,
De son grand heur, de sa gloire et bon bruit
A tout jamais se pourra bien venter
Car ceux qui sont coustumiers de medire
Vostre grandeur n’oseront pas dedire :
Quant au futur, elle ne craint rien tel.
Pour ce qu’elle’est certaine et assuree
Que vostre nom demeurant immortel,
Le sien sera de pareille duree.
1547
PACE NON TROVO, ET NON HO DO
FAR GUERRA
Paix je ne trouve, et n’ay dont faire guerre :
J’espere et crain, je brulle, et si suis glace
Je vole au Ciel, et gis en basse place :
J’embrasse tout, et rien je ne tien serre.
Tel me tient clos, qui ne m’ouvre n’enserre,
De moy n’a cure, et me tourne la face :
Vif ne me veut, et l’ennuy ne m’efface
Et ne m’occit Amour ny ne desserre.
Je voy sans yeux, sans langue vais criant :
Perir desire, et d’ayde j’ay envie :
Je hay moymesme, autruy j’aime et caresse:
De deuil me pais, je lamente en riant :
Egalement me plaisent mort et vie :
En cest estat suis pour vous ma maistresse.
SONNETS EN FRANÇAIS
2
Joachim du Bellay (1522-1560)
L’Olive (1549-1550)
Ces cheveux d’or sont les liens Madame,
Dont fut premier ma liberté surprise,
Amour la flamme autour du cœur eprise,
Ces yeux le traict, qui me transperse l’ame.
Fors sont les neudz, apre, et vive la flamme
Le coup, de main à tyrer bien apprise,
Et toutesfois j’ayme, j’adore, et prise
Ce qui m’etraint, qui me brusle, et entame.
Pour briser donq’, pour eteindre, et guerir
Ce dur lien, ceste ardeur, ceste playe,
Je ne quier fer, liqueur’ny medecine,
L’heur, et plaisir, que ce m’est de perir
De telle main, ne permect que j’essaye
Glayve trenchant, ny froydeur, ny racine.
Les Antiquitez de Rome
XXV
Que n’ay-je encor la harpe Thracienne,
Pour réveiller de l’enfer paresseux
Ces vieux Cesars, & les Umbres de ceux
Qui ont basty ceste ville ancienne ?
Ou que je n’ay celle Amphionienne,
Pour animer d’un accord plus heureux
De ces vieux murs les ossemens pierreux,
Et restaurer la gloire Ausonienne ?
Peusse-je aumoins d’un pinceau plus agile,
Sur le patron de quelque grand Virgile
De ces palais les portraits façonner,
J’entreprendrois, veu l’ardeur qui m’allume,
De rebastir au compas de la plume
Ce que les mains ne peuvent maçonner.
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Amours, 1552
XXXIX
Quand au matin ma Deesse s’abille
D’un riche or crespe ombrageant ses talons,
Et que les retz de ses beaulx cheveux blondz
En cent façons ennonde et entortille :
Je l’accompare à l’escumiere fille,
Qui or peignant les siens jaunement longz,
Or les ridant en mille crespillons
Nageoit abord dedans une coquille.
De femme humaine encore ne sont pas
Son ris, son front, ses gestes, ny ses pas,
Ny ses yeulx l’une & l’autre chandelle :
Rocz, eaux, ny boys, ne celent point en eulx
Nymphe, qui ait si follastres cheveux,
Ny l’œil si beau, ny la bouche si belle.
CX
Ce ris plus doulx que l’œuvre d’une abeille,
Ces doubles liz doublement argentez,
Ces diamantz à double rang plantez
Dans le coral de sa bouche vermeille,
Ce doulx parler qui les mourantz éveille,
Ce chant qui tient mes soucis enchantez,
En ces deux cieulx sur deux astres antez,
De ma Deesse annonce la merveille.
Du beau jardin de son printemps riant
Naist un parfum qui mesme l’orient
Embasmeroit de ces doulces aleines
Et de là sort le charme d’une voix,
Qui touts ravis, fait sauteler les boys,
Planer les montz & montagner les plaines.
Derniers vers, 1586
II
Ah longues nuicts d’hyver de ma vie bourrelles,
Donnez moy patience, et me laissez dormir,
Vostre nom seulement, et suer et fremir
Me fait par tout le corps, tant vous m’estes cruelles.
Le sommeil tant soit peu n’esvente de ses ailes
Mes yeux tousjours ouvers, et ne puis affermir
Paupiere sur paupiere, et ne fais que gemir,
Souffrant comme Ixion des peines eternelles.
Vieille umbre de la terre, ainçois l’umbre d’enfer,
Tu m’as ouvert les yeux d’une chaisne de fer,
Me consumant au lict, navré de mille pointes :
Pour chasser mes douleurs ameine moy la mort,
Ha mort, le port commun, des hommes le confort,
Viens enterrer mes maux je t’en prie à mains jointes.
Louise Labé (1524 ?- 1566 ?)
Lut, compagnon de ma calamité,
De mes soupirs témoin irreprochable,
De mes ennuis controlleur veritable,
Tu as souvent avec moy lamenté :
Et tant le pleur piteus t’a molesté,
Que, commençant quelque son delectable,
Tu le rendois tout soudein lamentable,
Feingnant le ton que plein avois chanté.
Et si te veus efforcer au contraire,
Tu te destens & si me contreins taire :
Mais me voyant tendrement soupirer,
Donnant faveur à ma tant triste pleinte :
En mes ennuis me plaire suis contreinte,
Et d’un dous mal douce fin esperer.
SONNETS EN FRANÇAIS
3
Jean Antoine de Baïf (1532-1589)
Les Amours, 1552
Ô doux plaisir plein de doux pensement,
Quand la douceur de la douce meslée,
Etreint et joint, l’ame en l’ame mellée,
Le corps au corps accouplé doucement.
Ô douce mort ! ô doux trepassement !
Mon ame alors de grand’joye troublée,
De moy dans toy s’ecoulant a l’emblée,
Puis haut, puis bas, quiert son ravissement.
Quand nous ardentz, Meline, d’amour forte,
Moy d’estre en toy, toy d’en toy tout me prendre,
Par celle part, qui dans toy entre plus,
Tu la reçoys, moy restant masse morte :
Puis vient ta bouche en ma bouche la rendre,
Me ranimant tous mes membres perclus.
Agrippa d’Aubigné (1552-1630)
Le Printemps – L’hécatombe à Diane (1568-1575)
IV
Combattu des vents et des flots,
Voyant tous les jours ma mort preste,
Et abayé d’une tempeste
D’ennemis, d’aguetz, de complotz,
Me resveillant à tous propos,
Mes pistolles dessoubz ma teste,
L’amour me fait faire le poète,
Et les vers cerchent le repos.
Pardonne moy, chere maistresse,
Si mes vers sentent la destresse,
Le soldat, la peine, et l’esmoy :
Car depuis qu’en aimant je souffre,
Il faut qu’ils sentent comme moy
La poudre, la mesche, et le souffre.
XCVI
Je brusle avecq’ mon ame et mon sang rougissant
Cent amoureux sonnetz donnéz pour mon martire,
Si peu de mes langueurs qu’il m’est permis d’escrire
Soupirant un Hecate, et mon mal gemissant.
Pour ces justes raisons, j’ay observé les cent :
A moins de cent taureaux on ne fait cesser l’ire
De Diane en courroux, et Diane retire
Cent ans hors de l’enfer les corps sans monument.
Mais quoy ? puis-je connaître au creux de mes hosties,
A leurs boyaux fumans, à leurs rouges parties
Ou l’ire, ou la pitié de ma divinité ?
Ma vie est à sa vie, et mon ame à la siene,
Mon cœur souffre en son coeur. La Tauroscytienne
Eust son desir de sang de mon sang contenté.
C
Au tribunal d’amour, après mon dernier jour,
Mon cœur sera porté, diffamé de bruslures,
Il sera exposé, on verra ses blesseures,
Pour cognoistre qui fit un si estrange tour,
A la face et aux yeux de la celeste cour
Où se prennent les mains innocentes ou pures ;
Il seignera sur toi, et compleignant d’injures
Il demandera justice au juge aveugle Amour :
Tu diras : C’est Venus qui l’a fait par ses ruses,
Ou bien Amour, son filz. En vain telles excuses !
N’accuse point Venus de ses mortels brandons,
Car tu les as fournis de mesches et flammesches,
Et pour les coups de traict qu’on donne aux Cupidons
Tes yeux en sont les arcs, et tes regards les flesches.
Chanson anonyme (1578)
Las ! ô Pauvre Didon, contre Amour qui s’obstine
Furieux dans ton cœur, ne saurait-on trouver
Quelque piteux secours qui te puisse sauver
Des assauts de la mort jà prête à ta ruine ?
Laisse, laisse forcer les flots de la marine
À ce traitre cruel. Ah! te veux-tu priver
Encor de tout espoir, et toi-même grever,
D’un fort glaive enfonçant ton indigne poitrine ?
S’il te laisse, pourtant il n’échappera pas
La vengeance des dieux qui talonnent ses pas
Eh ! vois avec ta sœur la tombante Carthage ;
Ne crois, hélas, ne crois cet amour déréglé
Qui te force le sens, car il est aveuglé ;
Et ne trompe ton mal par un plus grand hommage.
Héliette de Vivonne (1558-1625)
ÉNIGME
Pour le plus doux ébat que je puisse choisir,
Souvent, après dîner, craignant qu’il ne m’ennuie,
Je prends le manche en main, je le tâte et manie,
Tant qu’il soit en état de me donner plaisir.
Sur mon lit je me jette, et, sans m’en dessaisir,
Je l’étreins de mes bras et sur moi je l’appuie,
Et, remuant bien fort, d’aise toute ravie,
Entre mille douceurs j’accomplis mon désir.
S’il advient, par malheur quelquefois qu’il se lâche,
De la main je le dresse, et, derechef, je tâche
Au jouir du plaisir d’un si doux maniement :
Ainsi, mon bien aimé, tant que le nerf lui tire,
Me contemple et me plaît, puis de lui, doucement,
Lasse et non assouvie enfin je me retire.
(Le luth)
(Vers 1590)
SONNETS EN FRANÇAIS
4
Gabrielle de Coignard (1550-1586),
Œuvres chrestiennes, posthume1595
Invocation
Obscure nuit laisse ton noir manteau.
Va réveiller la gracieuse aurore ;
Chasse bien loin le soin qui me dévore,
Et le discours qui trouble mon cerveau :
Voici le jour gracieux, clair et beau,
Et le Soleil qui la terre décore,
Et je n’ay point fermé les yeux encore,
Qui font nager ma couche toute en eau.
Ombreuse nuit, paisible, et sommeillante,
Qui sais les pleurs de l’âme travaillante,
J’ay ma douleur cachée dans ton sein :
Ne voulant point que le monde le sache
Mais toutefois je te pri’ sans relâche,
De l’apporter aux pieds du Souverain.
Marc Papillon de Lasphrise (vers 1555 - 1599)
Les Premières Œuvres poétiques du Capitaine
Lasphrise (1597-1599)
Quand je sens l’ardent flot (non point extrêmement)
Car toute extrémité n’est saine tant soit bonne,
Ma duisable chaleur atteint plus la personne,
Si mon intérieur sort du trou mollement.
Vénus mère d’Amour me désire ardemment,
La même chasteté ainsi m’affectionne,
Toutefois sans Vénus, qui de son surgeon donne,
Nul ne voudrait jouir de mon bien nullement.
En m’aidant je lui aide avec naïve flamme,
Et de plusieurs façons on use de mon âme,
Rois, Bergers sont remplis de sa fécondité.
Qui sans coût est utile, à la longue on s’en fâche,
Trop de mol fait vomir, trop de dur serre et lâche,
Mais son Ovale engendre œuvre plus souhaité.
explication
C’est un œuf mollet, que l’on a mis en un pot bouillir
qui par sa chaleur é hauffe la personne à luxure, et
qui est fort sain, dont les plus sages en mangent
ainsi : mais sans estre salé on n’en pourroit manger,
l’un s’accommode avec l’autre, le sel seul, ni l’œuf
sans sel ne seroit trouvé bon : on en mange
diversement, de pochez, fricassez, etc. C’est une
viande dont les Princes usent et tous les pauvres gens
comme d’une manne feconde, qui est bonne sans
despense. Mangeant ordinairement des œufs molets
on s’en degouste, ils font mal au cœur et sont
vomitifs, et estans durs ils restreignent le ventre, et
en prenant trop ils le dévoyent et gastent l’estomach.
L’œuf, d’où vient ce mot d’ovale, estant faicte
comme un œuf, engendre un poulet, qui vaut mieux,
et que l’on desire plus que luy.
Philippe Desportes (1546-1606)
Les Amours de Cléonice, 1583
Cléonice
Le temps léger s’enfuit sans m’en apercevoir,
Quand celle à qui je suis mes angoisses console :
Il n’est vieil, ni boiteux, c’est un enfant qui vole,
Au moins quand quelque bien vient mon mal décevoir.
A peine ai-je loisir seulement de la voir,
Et de ravir mon âme en sa douce parole,
Que la nuit à grand pas, se hâte et me la vole,
M’ôtant toute clarté, toute âme et tout pouvoir.
Bienheureux quatre jours, mais quatre heures soudaines !
Que n’avez-vous duré pour le bien de mes peines ?
Et pourquoi vôtre cours s’est-il tant avancé ?
Plus la joie est extrême et plus elle est fuitive ;
Mais j’en garde pourtant la mémoire si vive,
Que mon plaisir perdu n’est pas du tout passé.
François Malherbe (1555-1628)
Il n’est rien de si beau comme Caliste est belle :
C’est une œuvre où Nature a fait tous ses efforts
Et notre âge est ingrat qui voit tant de trésors,
S’il n’élève à sa gloire une marque éternelle.
La clarté de son teint n’est pas chose mortelle,
Le baume est dans sa bouche, et les roses dehors :
Sa parole et sa voix ressuscitent les morts,
Et l’art n’égale point sa douceur naturelle.
La blancheur de sa gorge éblouit les regards :
Amour est en ses yeux, il y trempe ses dards,
Et la fait reconnaître un miracle visible.
En ce nombre infini de grâces, et d’appas,
Qu’en dis-tu ma raison ? crois-tu qu’il soit possible
D’avoir du jugement, et ne l’adorer pas ?
*
Beaux et grands bâtiments d’éternelle structure,
Superbes de matière, et d’ouvrages divers,
Où le plus digne roi qui soit en l’univers
Aux miracles de l’art fait céder la nature.
Beau parc, et beaux jardins, qui dans votre clôture,
Avez toujours des fleurs, et des ombrages verts,
Non sans quelque démon qui défend aux hivers
D’en effacer jamais l’agréable peinture.
Lieux qui donnez aux cœurs tant d’aimables désirs,
Bois, fontaines, canaux, si parmi vos plaisirs
Mon humeur est chagrine, et mon visage triste:
Ce n’est point qu’en effet vous n’ayez des appas,
Mais quoi que vous ayez, vous n’avez point Caliste :
Et moi je ne vois rien quand je ne la vois pas.
SONNETS EN FRANÇAIS
5
Caliste, en cet exil j’ai l’âme si gênée
Qu’au tourment que je souffre il n’est rien de pareil :
Et ne saurais ouïr ni raison, ni conseil,
Tant je suis dépité contre ma destinée.
J’ai beau voir commencer et finir la journée,
En quelque part des cieux que luise le soleil,
Si le plaisir me fuit, aussi fait le sommeil :
Et la douleur que j’ai n’est jamais terminée.
Toute la cour fait cas du séjour où je suis :
Et pour y prendre goût je fais ce que je puis :
Mais j’y deviens plus sec, plus j’y vois de verdure.
En ce piteux état si j’ai du réconfort,
C’est, ô rare beauté, que vous êtes si dure,
Qu’autant près comme loin je n’attends que la mort.
André Mage de Fiefmelin (1560-1603)
Ce monde comme on dit est une cage à fous,
Où la guerre, la paix, l’amour, la haine, l’ire,
La liesse, l’ennui, le plaisir, le martyre
Se suivent tour à tour et se jouent de nous.
Ce monde est un théâtre où nous nous jouons tous
Sous habits déguisés, à malfaire et médire.
L’un commande en tyran, l’autre humble au joug soupire:
L’un est bas, l’autre haut, l’un jugé, l’autre absous.
Qui s’éplore, qui vit, qui joue, qui se peine,
Qui surveille, qui dort, qui danse, qui se gêne,
Voyant le riche saoul et le pauvre jeûnant ?
Bref ce n’est qu’une farce ou simple comédie
Dont la fin des joueurs la Parque couronnant,
Change la catastrophe en triste tragédie.
Jean de la Ceppède (1548 ou 1550 - 1623)
Théorèmes sur le Sacré Mystère de notre
Rédemption (1613-1621, + de 500 sonnets)
Cette rouge sueur goutte à goutte roulante
Du corps de cet athlète en ce rude combat,
Peut être comparée à cette eau douce et lente
Qui la sainte montagne en silence rebat.
L’aveugle-né, qui mit tous les siens en débat
Pour ses yeux, fut lavé de cette eau doux-coulante,
Et dans le chaud lavoir de cette onde sanglante
Toute l’aveugle race en liberté s’ébat.
Et l’un et l’autre bain ont redonné la vue,
Siloë du pouvoir dont le Christ l’a pourvue,
Et celui-ci du sang de son propre pouvoir.
Aussi ce rare sang est la substance même
De son cœur, qui pour faire à nuit ce cher lavoir
Fond comme cire au feu de son amour extrême.
Le Sieur Vital d’Audiguier (1565 ? -1624)
Faire l’amour, alors qu’il me défait,
Et tout défait l’amour même défaire,
Le défaisant, le rendre plus parfait,
Le parfaisant, l’éprouver plus contraire.
Se délecter aux plaies qu’il me fait,
Chanter l’honneur de mon fier adversaire ;
Et de cent maux endurés en effet
Ne rapporter qu’un bien imaginaire.
Cacher son mal de crainte de le voir,
Crier merci de faire son devoir,
En même temps se louer et se plaindre.
Se détester et se faire la cour
Se mépriser et soi-même se craindre
C’est en deux mots la défaite d’amour.
François Maynard (1542-1646)
Les Œuvres (1646)
Contre le Cardinal Richelieu
Par vos humeurs le monde est gouverné,
Vos volontés font le calme et l’orage ;
Et vous riez de me voir confiné
Loin de la cour dans mon petit village.
Cléomédon, mes désirs sont contents ;
Je trouve beau le désert où j’habite,
Et connais bien qu’il faut céder au temps,
Fuir l’éclat et devenir ermite ;
Je suis heureux de vieillir sans emploi,
De me cacher, de vivre tout à moi,
D’avoir dompté la crainte et l’espérance ;
Et si le ciel, qui me traite si bien,
Avait pitié de vous et de la France,
Votre bonheur serait égal au mien.
*
Cloris vit sous les dures lois
D’un mari, dont la rêverie
Le fait même jaloux des rois
Qui sont peints dans sa galerie.
Il lui prêche que le devoir
L’oblige à fuir la rencontre ;
Je serai privé de la voir
Sans le songe qui me la montre.
Ce doux sorcier de mes ennuis
Me l’amène toutes les nuits
Tant il est soigneux de me plaire.
Que mon sort est capricieux !
Pour voir le soleil qui m’éclaire,
Il faut que je ferme les yeux.
SONNETS EN FRANÇAIS
6
Théophile de Viau (1590-1626)
Ministre du repos, sommeil père des songes,
Pourquoi t’a-t-on nommé l’Image de la Mort?
Que ces faiseurs de vers t’ont jadis fait de tort,
De le persuader avecque leurs mensonges!
Faut-il pas confesser qu’en l’aise où tu nous plonges,
Nos esprits sont ravis par un si doux transport,
Qu’au lieu de raccourcir, à la faveur du sort,
Les plaisirs de nos jours, sommeil, tu les allonges.
Dans ce petit moment, ô songes ravissants!
Qu’Amour vous a permis d’entretenir mes sens,
J’ai tenu dans mon lit Élise toute nue.
Sommeil, ceux qui t’ont fait l’Image du trépas,
Quand ils ont peint la mort ils ne l’ont point connue:
Car vraiment son portrait ne lui ressemble pas.
*
Au moins ai-je songé que je vous ai baisée,
Et bien que tout l’amour ne s’en soit pas allé,
Ce feu qui dans mes sens a doucement coulé,
Rend en quelque façon ma flamme rapaisée.
Après ce doux effort mon âme reposée
Peut rire du plaisir qu’elle vous a volé,
Et de tant de refus à demi consolé,
Je trouve désormais ma guérison aisée.
Mes sens déjà remis commencent à dormir,
Le sommeil qui deux nuits m’avait laissé gémir
Enfin dedans mes yeux vous fait quitter la place.
Et quoiqu’il soit si froid au jugement de tous,
Il a rompu pour moi son naturel de glace,
Et s’est montré plus chaud et plus humain que vous.
*
D’un sommeil plus tranquille à mes amours rêvant,
J’éveille avant le jour mes yeux et ma pensée,
Et cette longue nuit si durement passée,
Je me trouve étonné de quoi je suis vivant.
Demi désespéré je jure en me levant
D’arracher cet objet à mon âme insensée,
Et soudain de ses vœux ma raison offensée
Se dédit et me laisse aussi fol que devant.
Je sais bien que la mort suit de près ma folie,
Mais je vois tant d’appas en ma mélancolie
Que mon esprit ne peut souffrir sa guérison.
Chacun à son plaisir doit gouverner son âme,
Mithridate autrefois a vécu de poison,
Les Lestrygons de sang, et moi je vis de flamme.
Phylis, tout est …tu, je meurs de la vérole,
Elle exerce sur moi sa dernière rigueur :
Mon v.. baisse la tête et n’a point de vigueur,
Un ulcère puant a gâté ma parole.
J’ai sué trente jours, j’ai vomi de la colle ;
Jamais de si grands maux n’eurent tant de longueur,
L’esprit le plus constant fût mort à ma langueur,
Et mon affliction n’a rien qui la console.
Mes amis plus secrets ne m’osent approcher,
Moi-même, en cet état, je ne m’ose toucher :
Phylis le mal me vient de vous avoir …tue.
Mon Dieu, je me repends d’avoir si mal vécu :
Et si votre courroux à ce coup ne me tue,
Je fais vœu désormais de ne …tre qu’en cul.
Pierre de Marbeuf (1596-1645)
Recueil de vers, 1628
Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage,
Et la mer est amère, et l’amour est amer,
L’on s’abîme en l’amour aussi bien qu’en la mer,
Car la mer et l’amour ne sont point sans orage.
Celui qui craint les eaux, qu’il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu’on souffre pour aimer,
Qu’il ne se laisse pas à l’amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage ?
La mère de l’amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l’amour, sa mère sort de l’eau
Mais l’eau contre ce feu ne peut fournir des armes.
Si l’eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Que j’eusse éteint son feu de la mer de mes larmes
Antoine Girard, sieur de Saint-Amant (1594-
1661) Les Œuvres, « Railleries à part », 1649
Sonnet sur des mots qui n’ont point de rime
Phylis, je ne suis plus des rimeurs de ce siècle
Qui font pour un sonnet dix jour de cul de plomb
Et qui sont obligés d’en venir aux noms propres
Quand il leur faut rimer ou sur coiffe ou sur poil.
Je n’affecte jamais rime riche ni pauvre
De peur d’être contraint de suer comme un porc,
Et hais plus que la mort ceux dont l’âme est si faible
Que d’exercer un art qui fait qu’on meurt de froid.
Si je fais jamais vers, qu’on m’arrache les ongles,
Qu’on me traîne au gibet, que j’épouse une vieille,
Qu’au plus fort de l’été je languisse de soif,
Que tous les mardi-gras me soient autant de jeûnes,
Que je ne goûte vin non plus que fait le Turc,
Et qu’au fond de la mer on fasse mon sépulcre.
SONNETS EN FRANÇAIS
7
Assis sur un fagot, une pipe à la main,
Tristement accoudé contre une cheminée,
Les yeux fixés vers terre, et l’âme mutinée,
Je songe aux cruautés de mon sort inhumain.
L’espoir qui me remet du jour au lendemain,
Essaie à gagner temps sur ma peine obstinée,
Et me venant promettre une autre destinée,
Me fait monter plus haut qu’un empereur romain.
Mais à peine cette herbe est-elle mise en cendre,
Qu’en mon premier état, il me convient descendre,
Et passer mes ennuis à redire souvent :
Non je ne trouve point beaucoup de différence
De prendre du tabac à vivre d’espérance,
Car l’un n’est que fumée, et l’autre n’est que vent.
Sonnet inachevé
Fagoté plaisamment comme un vrai Simonnet,
Pied chaussé, l’autre nu, main au nez, l’autre en poche,
J’arpente un vieux grenier, portant sur ma caboche