Séjour AEF pages 6 à
Coté politique, l’avenir ne nous laisse pas envisager que du
bon. Un syndicat, l’Union des Populations camerounaises (U.P.C.),
mené par un certain Ruben Um Nyobé entre autres, et par des hommes
politiques tel que Ahmadou Ahidjo, l’homme du Nord, exigent à
partir des années 50, l’indépendance totale et immédiate du
Cameroun. Cette demande rencontre de fortes résistances et les
hommes de l’ UPC passent au maquis. L’insurrection éclate et après
émeutes, assassinats, destruction des mouvements insurrectionnels
Bamiléké, l’indépendance de la partie francophone est acquise le
1er janvier 1960. L’Assemblée nationale est mise en place et
Ahmadou Ahidjo est élu Président de la République du Cameroun. En
1961 lors du référendum sur la réunification, une partie de la zone
anglophone choisit de se rattacher au Cameroun, la partie
septentrionale, le Nord, opte pour le Nigéria.
Je reviendrai sur les évènements dramatiques ayant précédés et
succédés à l’indépendance du Cameroun, dans des rubriques plus
détaillées.
En attendant que s’enchainent les diverses phases de notre
existence en cette période de changements, la vie continue et le 26
juillet notre foyer accueil une petite fille née à Bühl (Allemagne,
Bade). Heureusement que mon départ tarde à être officiellement
fixé, il s’en est fallu de peu pour que je ne connaisse pas ma
fille avant d’embarquer. C’est au début d’août que cette date m’est
communiquée. Je dois être à Paris le 19 pour m’envoler le 20 août
sur un avion cargo de l’Armée de l’Air, un Noratlas 2501. Si
j’avais déjà eu l’occasion de
Noratlas 2501 en approche
« voler », de prendre le baptême de l’air, ça n’était
qu’à bord d’un planeur. C’est à Fribourg où le vol à voile était
très en vogue que j’ai pu gouter à ce sport et planer dans les
airs.
Le grand jour est arrivé, me voici à l’ aéroport du Bourget prêt
à embarquer à bord de cet appareil vers lequel nous nous dirigeons
à présent. Je découvre donc ce Noratlas (contraction de Nord Atlas)
2501, un bimoteur imposant, portant l’indicatif
« FRANG ». Le vol s’effectuera étalé sur 3 jours, il faut
dire que cet appareil ne volait qu’à environ 350 kilomètres/heure,
mais en 1959 c’était là une vitesse de croisière raisonnable.
Le 20/08, premier jour : le Bourget/Istres/Alger. Décollage
13 h. beau temps, visibilité parfaite, altitude 3.000 mètres,
vitesse 320 km/h. Nous survolons Nevers, St-Etienne, l’étang de
Berre et faisons une escale technique à Istres avant de nous lancer
au dessus de la méditerranée. Après 3h10 de vol au dessus de l’eau
nous apercevons les côtes algériennes. Nous nous posons à Alger
vers 17h30. Petite visite rapide de la ville avant de rejoindre la
base pour y passer la nuit.
Le 21/08, deuxième jour : Alger/Aoulef/Niamey (Niger).
Départ d’ Alger à 06h10. Nous survolons l’ Atlas saharien, partie
méridionale du massif de l’ Atlas. Le plus haut pic de la chaine
est le mont Chelia, dans les Aurès, à 2.328 mètres d’altitude.
Petit à petit nous quittons ce relief montagneux, nous survolons
une zone plus aride, la végétation devient inexistante, le sol
prend une teinte plus claire, c’est le désert. Après 4 heures de
vol nous nous posons en plein Sahara à Aoulef pour faire le plein
en carburant. Nous avons un aperçu de ce qu’est le désert et de la
chaleur qui y règne.
J’étais loin de me douter alors qu’ en septembre 1964 je serais
affecté à Reggan (Sud algérien) pour un séjour de 15 mois au cœur
même de ce désert, de ce Sahara, qu’aujourd’hui je survol.
Le plein fini nous redécollons. A peine en l’air, s’élève une
tempête de sable, la visibilité est nulle, nous volons dans un
épais brouillard rougeâtre et nous subissons de sérieuses
turbulences. Le pilote prend de l’altitude et de 3000 nous passons
à 4000 mètres, plafond que nous garderons jusqu’à Niamey ou nous
atterrissons à 16 heures avec ici une visibilité acceptable. Ce
vent de sable ne nous a pas permis de profiter entièrement du
paysage et d’en voir sa transformation, nous avions quitté les
immenses étendues de dunes pour retrouver une végétation naissante.
J’ai le temps d’aller flâner sur les bords du fleuve Niger (pas vu
de crocodiles), mais là, à la tombée de la nuit, le spectacle d’un
superbe coucher de soleil me permet de filmer un ciel enflammé.
Retour à la base toute proche pour une nuit de repos.
Le 22/08, troisième jour : Niamey/Douala. Décollage à
06h20. Le décor change rapidement et nous survolons à présent
d’immenses étendues recouvertes de forêts de plus en plus denses,
pour ressembler ensuite à d’énormes brocolis, une végétation
tropicale défile sous nos yeux. Vers 10 heures, nous avons tout à
coup l’impression de perdre de l’altitude, mais non ! c ’est
le sol qui monte vers nous. En effet, nous sommes au dessus des
contreforts du Mont Cameroun émergeant dans une immense plaine et
culminant à 4070 mètres. Nous ne sommes plus très loin de Douala,
nous apercevons une masse nuageuse très épaisse formant comme une
barrière. Nous arrivions sur le Golf de Guinée et, comme il nous
avait été dit, cette couronne nuageuse due à l’humidité nous
indiquait la position de Douala où nous atterrissions à 10h40.
Mont Cameroun vu du port de Douala. Mont Cameroun émergeant des
nuages.
Je pose le pied sur ce sol d’ Afrique que je ne quitterai plus
avant trois ans. La chaleur ne me semble pas trop accablante, mais
il faut préciser que j’arrive à la saison des pluies et que de
l’eau, il en tombe en trombes.
L’accueil est correct et amical. Les premiers jours sont mis à
profit pour, dans un premier temps me présenter au Commandant de la
base, mon patron, puis faire connaissance des collègues avec qui je
vais partager cette tranche de vie durant ce séjour. Je prends vite
mentalement possession de chaque endroit, me gravant une carte dans
la tête. Je m’attarde sur mon nouveau lieu de travail, la station
radio. m’imprègnant du boulot qu’il me faudra accomplir au mieux.
La base aérienne militaire ne fait qu’ UN avec l’aéroport qui est
mixte, civil et militaire. Tout cela me parait assez
sympa !
En urgence je me mets à la recherche d’un logement. Il parait
qu’à Douala cela n’est pas un problème, il serait assez facile de
trouver un toit. C’est vrai car en peu de temps j’ai trouvé une
petite maison (une case) qu’un douanier camerounais travaillant à
l’aéroport accepte de me louer. Lui vit avec toute sa famille, sa
femme + 2 garçons + sa mère dans une case africaine à l’arrière de
cette maison. Je m’empresse de régulariser la situation en réglant
les diverses formalités nécessaires. Cette case est située non loin
du quartier de la « New-Bell » pas très loin de la base,
près de l’avenue des cocotiers, rue des serpents. Cette rue n’est
pas un nid de reptiles, non ! Il n’y en a ici pas plus ni
moins qu’ailleurs.
Autre nécessité, d’urgence il me faut trouver une voiture, non
seulement pour aller au boulot, mais aussi pour aller faire les
courses, le centre ville est au moins à 8 km. Là, cela s’avère plus
difficile à trouver que le logement. En fin de compte et
provisoirement je trouve à acheter une 2 CV à un sous-off de la
base.
Mi-septembre je reçois l’autorisation de résidence pour toute la
famille. Leur mise en route maintenant ne saurait tarder.
Probablement entre le 10 et le 15 octobre. D’ailleurs, le 27
septembre, bonne nouvelle, Lucienne a été contactée par l’organisme
militaire de Paris, chargé de l’embarquement des familles. Elle
quitte l’Allemagne le 1er octobre pour venir à Woippy passer les
derniers jours avant l’embarquement.
A présent tout se précipite. Sa convocation lui parvient le 5
octobre. La famille au complet doit embarquer à Paris le 12 à bord
d’un avion d’ Air France pour arriver à Douala le 13 au matin. Ma
Mère, venue à Paris avec la petite famille aidera Lucienne qui a
fort à faire, avec les 3 enfants. Tout se passe bien et, alors que
ma mère reprend le train vers Metz, Lucienne et les enfants sont
pris en charge à Balard pour un embarquement très proche.
Cette nuit du 12 au 13 j’ai peu dormi. Je suis anxieux de savoir
toute la petite famille entre ciel et terre. A 5h30 je suis sur le
parking de l’aéroport. Je tends l’oreille, pressé d’entendre
l’avion arriver. A 05h45 il se pose en douceur, l’escalier mobile
est installé, la porte de l’appareil s’ouvre , une hôtesse apparaît
et, d’une voix forte demande « un boy SVP pour descendre un
porte-bébé ». A tout coup c’est pour Jocelyne, elle est la
première à descendre de l’avion et à prendre pied (si l’on peut
dire » sur le sol africain. Suivent Daniel, Roger et Lucienne,
ils ont l’air frais et dispos, après un vol de près de 6.000 Km
avec escales à Marseille et Kano. Quel beau baptême de l’air pour
tous à bord de ce quadrimoteurs un « Super G
Constellation ».
Pour compenser cette expatriation et les éventuelles
conséquences physiques et morales qu’elle peut entrainer, une prime
assez rondelette, appelée « Lamingué » nous est allouée.
Nous en avons perçu une partie au départ, le reste nous sera versé
pour le retour.
La petite famille s’habitue bien au climat. La douche fonctionne
à longueur de journée, seul moyen de se rafraichir pour un temps
souvent trop court, la transpiration reprenant vite le dessus. Il
faut s’entourer de multiples précautions, déjà contre les maladies
de la peau, exemple la « bourbouille » qui ne nous a pas
épargnés. Mais ! c’ est quoi la bourbouille ?
C’est une affection cutanée qui atteint principalement les
enfants non habitués aux zones chaudes et humides. Cette
inflammation des glandes sudorales se traduit par des petits
boutons rouges ou des petites vésicules prurigineuses. Les
surinfections par grattage sont fréquentes. Le soleil, un climat
humide, une sudation abondante, des vêtements mal adaptés, l’abus
de douches ou une hygiène défectueuse sont des facteurs aggravants.
Le traitement repose sur des antiseptiques, par exemple la lotion
de Foucaud, lotion bienfaitrice que nous avons abondamment utilisée
tout au long du séjour.
Il en existe bien d’autres de ces maladies de la peau. Les
mycoses vulgairement appelées « champignons » très
répandues dans les pays au taux d’humidité élevé, se traduisent par
des plaques rougeâtres pouvant s’étendre sur de grandes surfaces du
corps, fortes démangeaisons. Traitement, pommades antimycosiques.
Trouver celle qui vous produira un effet positif.
Et bien d’autres encore, comme ces mouches qui déposent leurs
œufs sous la peau. Les larves donneront des petits vers qui vont
créer des infections, à soigner sérieusement. A une période,
Jocelyne ayant été « victime » de cette mouche, il
nous fallu consulter un spécialiste des maladies tropicales. Grâce
à ses soins et surtout à ses conseils, nous avons pu par la suite
éviter ces infections pouvant s’avérer dangereuses, les petits vers
circulant dans l’organisme.
Plus grave surtout: il fallait éviter de s’exposer aux
piqûres de moustiques. Le paludisme, malaria, est un véritable
fléau dans ces pays humides. Notre principale précaution, le
traitement quotidien à la nivaquine. Nos lits étaient protégés par
des moustiquaires, très efficaces pour éviter d’être piqués pendant
le sommeil. Nous sommes revenus de ce séjour tous les 5 sans
problème coté paludisme.
Autre précaution et non des moindres, l’hygiène alimentaire.
Dans toutes les eaux servant à laver les aliments, pour sa
dépollution, nous ajoutions du « permanganate de
potassium », petits granulés violets, à raison de 0,5 gramme
par litre d’eau. Les eaux pour la consommation, (fabrication de
glaçons, ajout à des boissons) devaient être filtrées dans un
récipient comportant des filtres en céramique qui avaient la
faculté de supprimer de l’eau les micro-organismes dangereux pour
la santé. Voilà les principales précautions qu’il nous a fallu
adopter pour sauvegarder notre santé. Maintenant il y avait
d’autres dangers, les animaux venimeux contre lesquels il fallait
mettre en garde les enfants. Il s’agit des reptiles de toutes
tailles, de toutes catégories, rampant, cachés sous des pierres, ou
se trouvant dans des « arbres » comme le bananier.
Des scorpions moins nombreux mais présents et dangereux. Des
scolopendres, (image ci-dessous), d’une longueur d’environ 20 cm et
d’un diamètre de la grosseur du petit doigt. Peut être cause de
morsures douloureuses.
Nous voici en novembre, nous entrons dans la saison dite
« sèche ». Les pluies ralentissent en intensité d’où un
peu moins d’humidité. L’air est plus respirable, la température,
quoiqu’ un peu plus élevée, reste supportable.
Le Cameroun prépare son indépendance, mais ça n’est pas dans le
calme. Déjà des bandes de hors la loi se forment un peu partout et
essayent d’ameuter l’opinion publique en commettant de nombreux
forfaits, pillages, attentats et plus graves, des assassinats.
Un équipage d’un « Breguet 2 ponts » (armée de l’air)
faisant escale à Douala, descendu en ville pour se divertir, a été
attaqué et lâchement assassiné. Nous devons être vigilants et
redoubler de prudence, surtout depuis que chaque européen a été
destinataire de cette lettre de menaces.
(voir copie page suivante).
Des mesures de sécurité sont mises en œuvre. Le couvre-feu est
instauré. Des patrouilles de militaires et de gendarmes camerounais
sont organisées (nous n’y participons pas, notre mission première
est de protéger la Base).
Lettre de menaces adressée à chaque européen présent sur le
territoire camerounais pour l’indépendance.
Le 30 décembre, premier coup terrible.. Plusieurs commandos de
rebelles s’abattent dans Douala et de sérieux accrochages ont lieu
avec les forces de l’ordre. Un de ces commandos (40 hommes environ)
attaque la base aérienne coté aérogare et tour de contrôle. Notre
section de tirailleurs sur la défensive riposte, l’un d’eux est
tué, un fonctionnaire travaillant à la tour de contrôle également.
Après une fusillade d’une vingtaine de minutes, les rebelles sont
entièrement décimés et laissent une trentaine d’hommes sur le
carreau.
A la maison les enfants étaient couchés quand commença la
fusillade, vers 20 h. Seule Jocelyne insouciante, trouvait la
situation amusante en imitant le bruit des armes à feu en faisant
« tactac tacatac..
Quant à nous, armé de la mitraillette (MAT 49 – 9m/m) qui ne
nous quittait plus depuis cette tension grandissante, (nous
n’allions jamais nous coucher sans avoir l’arme sur la table de
nuit), Lucienne tenant les chargeurs garnis pour éventuellement me
les passer, nous avons monté la garde durant 1 heure 30,
surveillant discrètement tout ce qui se passait autour de la
« case ». A une cinquantaine de mètres, sur l’avenue des
cocotiers, se déroulait un sérieux accrochage.
C’est vers 21 h 30 qu’un groupe de collègues vint nous chercher
à bord d’un véhicule militaire équipé d’une mitrailleuse
« anti-aérienne ». Nous avons embarqué les enfants encore
endormis, en pyjama à bord de notre 2 cv et, sous bonne escorte,
nous sommes allés passer le reste de la nuit sur la base où le
calme était revenu. Nous nous sommes installés tant bien que mal,
dans une chambre de « l’escale » mise à notre
disposition. But de l’opération, rassembler les familles
éparpillées dans la nature et éviter de possibles attaques contre
elles. Drôle de réveillon que celui de ce 31 décembre 1959, toute
la famille est restée sur la base et y couchera encore ce soir.
Nous nous demandons avec anxiété ce que nous réservent les
prochains jours, demain le Cameroun sera indépendant et nous sur
les dents… Consigne : ne pas se montrer en ville, éviter ce
qui pourrait être pris pour une provocation.
Autres massacres perpétrés en ville au fil des jours :
- Au centre ville , un groupe armé entre dans une grande
surface, va au fond du magasin et, en remontant vers la sortie,
fait feu sur tout ce qui bouge.
- Obligé de s’arrêter à un passage à niveau dans le secteur de
la New-Bell, un européen est abattu au volant de sa voiture.
Le peuple camerounais fête son indépendance sans crainte de
possibles incidents.
Des défilés et des manifestations pacifiques ont lieu en divers
points de la ville. Nous entendons les chants, les éclats de voix
de cette foule en liesse mais nous restons discrets, respectant
scrupuleusement les consignes de prudence.
Il est bien rare ces temps-ci qu’une journée, une soirée, se
passe sans un coup de feu. Des protections avaient été installées à
l’entrée de la base : chicanes, sacs de sable, poutres
épaisses empilées et bien sûr postes de garde en alerte maximum.
L’armée de terre française est venue en renfort et, dès l’heure du
couvre feu, effectue des patrouilles à bord de blindés.
Douala – une partie de la ville et du port au bord du Wouri.
Suivent ci-après, quelques coupures de presse, relatant les
principaux incidents survenus dès l’indépendance proclamée.
02 janvier 1960.
02 JANVIER 1960
06 JANVIER 1960 – Nouvelle attaque en masse. Cette fois-ci
contre un camp de gendarmerie. Résultat : 2 gendarmes tués
mais coté rebelles c’est une hécatombe : une cinquantaine perd
la vie.
A l’approche des élections, fixées au 10 avril, la tension monte
au sein des diverses organisations et tendances politiques. Ce soir
du 7 avril, encore une nouvelle descente de commandos sur Douala.
Comme nous sommes bien placés, aux abords des quartiers
« chauds », l’accrochage se déroule aux abords de notre
habitation. Fusillades de 20h à 21h.
Des blindés interviennent et tirent à la mitrailleuse lourde sur
des groupes de rebelles fanatiques et férus de superstitions
Du 19 au 22 AVRIL 1960 : le 19, une vingtaine de
terroristes sont mis en fuite par une patrouille de
gendarmerie.
Le 22, un raid terroriste à fait 11 morts et 4 blessés graves
parmi la population.
DIMANCHE 24 AVRIL 1960 – Violent incendie dans le quartier CONGO
de Douala. Très peuplé, il est entièrement détruit pas le feu. Il
semblerait que cet incendie ait été bien préparé car dirigé contre
les Bamilékés et ce quartier supposé être un point de rassemblement
de la rébellion.
Ces 5, voir 6 premiers mois de l’année 1960, ont été vécus dans
une crainte, une angoisse permanente se transformant souvent en des
moments de peur . Voici en résumé, quelques détails de notre façon
de vivre alors.
Les enfants étaient conduits à l’école dans un mini bus
militaire, protégés par des « tirailleurs sénégalais»
armés.
Il avait fallu entrainer nos épouses à tirer à la mitraillette.
Toutes n’étaient pas volontaires face à cet exercice, éprouvant une
peur compréhensible des armes et de leur utilisation.
Lucienne s’y habitua très bien, sachant que si elle devait
tirer, cela ne serait qu’en cas de légitime défense. Nous allions
donc dans des « marigots » où, à part quelques caïmans,
personne ne pouvait être atteint. Nous commencions par une seule
balle, pour les habituer au bruit et à l’effet de recul de l’arme.
Puis 2, puis 4, là pour maitriser l’effet d’arrosage et apprendre à
bien retenir une arme qui a tendance à balayer l’horizon, et enfin
de petites rafales pour se faire de l’exercice..
Il semblerait que, depuis le violent incendie du 24 avril ayant
ravagé le quartier « Congo », incendie traité de
monstrueux par l’ampleur des dégâts et le nombre de victimes, un
calme tout relatif soit revenu, les nuits sont silencieuses et
doucement les craintes s’estompent. Cela va-t-il durer ?
Hélas non ! Ce 31 Mai à 16 heures, un groupe de rebelles
(encore eux) attaque et incendie plusieurs magasins en ville, dont
le
C’est bien reparti, le 08 juin accrochage entre gendarmes
camerounais et rebelles : 1 gendarme est tué, 13 rebelles sont
abattus.
La série continue : en plein jour, en ville un européen est
abattu alors qu’il descendait de sa voiture.
Au marché, un « Bamoun » (race francophile) est tué.
Par mesure de représailles, les Bamoun attaquent un quartier
Bamiléké. Les résultats ? Ils resteront inconnus, chacun ayant
ramassé ses morts !
La série « noire » continue. Encore en plein jour, une
pharmacie est attaquée. Le pharmacien, 1 client et le boy sont
assassinés. Un rebelle est abattu par les gendarmes, il n’était âgé
que de 17/18 ans.
Suite à ces attentats en série, les européens, commerçants ou
exerçant une activité commerciale (environ 800) décident une grève
générale jusqu’à ce que la sécurité de tous soit assurée. Après 3
jours de grève les magasins ouvrent leurs portes, mais les portes
de service uniquement, et gardées. Les vitrines restent fermées. La
ville semble morte, chacun fait ses achats en vitesse et rentre
chez lui.
Nous faisions nos courses à 2 couples. Si je conduis, le
collègue sa mitraillette posée sur le bord de la vitre, pointée
vers l’extérieur, guette les moindres mouvements de la rue. Et
inversement, si je ne conduis pas j’occupe la place du tireur. Tous
les magasins sont gardés par des hommes en armes.
Le jour du 10 Mai est choisi comme « journée de la fête
nationale du Cameroun ».
Le 1er août, bonne nouvelle. Un logement de l’ Armée de l’Air
vient de nous être alloué. Nous étions sur la liste d’attente mais
n’espérions pas en avoir un aussi vite. Ces logements, au nombre de
4, étaient des maisons de plein pied. Le nôtre mitoyen, était face
à la route rejoignant la ville. Les 2 autres à l’arrière du parc,
étaient espacés de la longueur de notre ensemble. Entourés d’une
clôture formant une petite protection, ils nous assuraient une
certaine sécurité et nous évitaient l’isolement.
Groupés en plein quartier européen, au lieu-dit « la
Résidence » ils nous rapprochaient des petits commerces, des
centres commerciaux, de la poste où nous y avions une boite
postale, notre courrier y étant déposé.
Bâtiment des Postes, à Douala
C’est sans regret que nous quittons la case Ebangué (nom de nos
ex-propriétaires) et ce quartier sensible, situé trop près d’un
secteur « chaud » la New Bell. Ironie du sort, maintenant
que nous déménageons, voilà que le calme semble revenu. La ville
revit, la confiance renait.
Ce 11 septembre 1960, c’est le 31ème anniversaire de Lucienne,
certes, mais c’est aussi un évènement important dans le domaine de
l’aviation civile. C’est l’inauguration de la ligne aérienne
Paris-Douala-Paris, par avion quadriréacteur, un DC8, compagnie
d’alors l’U.A.T mettant Douala à 6 heures de Paris, à la vitesse de
950 km/heure. Capacité : 200 passagers. Voulant fixer cet
événement sur la pellicule, je vais avec Daniel en bout de piste
filmer le décollage de cet engin, à son passage juste au dessus de
nous, nous en prenons plein les oreilles.
1/ U.A.T. à bord d’un DC 8
Le lendemain 12/09, concurrence oblige, Air France inaugure la
même ligne également avec un quadriréacteur, mais un BOEING 707.
Bel appareil, un peu moins fin que le DC8. Vitesse de croisière
1000 Km/h, vitesse maxi 1010 km/h. Nombre de places assises 179, ou
en 2 classes : 110. Je renonce à aller en bout de piste le
filmer et c’est sur le parking que je vais faire un bout de
pellicule.
2/Air France à bord d’un BOEING 707
Fin novembre je revends la 2 cv trop petite pour promener toute
la famille et j’ achète une Panhard PL17. Voiture idéale pour des
pays humides et en bord de mer, la carrosserie en aluminium ne
craignant pas la rouille.
Plus adaptée pour notre petite famille, nous nous risquons, à
plusieurs voitures à faire quelques balades, empruntant des pistes
de terre battue, vraie tôle ondulée, puis un bac de fortune, (genre
radeau ne pouvant passer qu’une voiture à la fois), pour traverser
la rivière « Dibamba ». Nous visitons ainsi à Edéa, le
barrage et la centrale électrique du Cameroun, des plantations
d’hévéas (arbres à caoutchouc) et assistons à la récupération du
latex. Intéressant !
Feuillage d’hévéas
Avec ce retour au calme dans un pays indépendant depuis 11 mois
maintenant, les sorties sont plus fréquentes. Ainsi, un avion
militaire C47, appellation civile Dakota DC3 est mis à la
disposition des familles le dimanche, pour emmener celles qui le
désiraient sur les plages de KRIBI, à une heure de vol au Sud de
Douala, vers l’équateur.
Le DC3 (appellation militaire : C47)
Sur la plus belle des plages de sable fin de ces lieux, s’est
installé un petit « restaurant » nous permettant de nous
alimenter le midi et de nous désaltérer au long de la journée.
Belles prises de vues en commençant par l’approche du C47 qui,
devant se poser dans une clairière sur une piste de terre battue à
environ 7 à 8 km de l’hôtel-restaurant, prévenait l’hôtelier de
notre arrivée en faisant un passage en rase-mottes suivi d’une
remontée à pic, sensations fortes garanties. Moyen de communication
conventionnel mais efficace car, à peine posé et les passagers
débarqués de l’avion, 2 breaks arrivaient pour nous récupérer.
Plages à Kribi
Le premier semestre 1961 nous effectuerons 4 autres sorties vers
Kribi. Je me souviens particulièrement de celle du 4 mars où je
suis revenu avec un terrible coup de soleil sur la figure. Brûlures
au second degré par endroits du visage, comme le nez couleur
aubergine.
Ci-dessous Jocelyne en Mars 1961, sous notre bananier ;
· ti verras Missié, t’ auras un serpent. C’est notre boy qui me
disait ça en me voyant planter ce bananier.
· Eh ben ! peu de temps après cette photo il est venu tout
fier me montrer un serpent bananier qu’il venait de tuer..
· Parait que chaque bananier a son serpent ( ?)
Douala, Jocelyne sous le bananier en mars 1961.
Le 14 juillet, bal et soirée sur la base aérienne. Le 26 aout
réception chez le Commandant de la Base, Cdt Jegoux.
Fin novembre je vais en mission à Brazzaville via :
Libreville, Port-Gentil et Pointe-Noire.
Le 17 décembre organisation d’une grande kermesse à l’issue
d’une journée « portes ouvertes sur la base ».
Le séjour est à présent plus agréable et, agrémenté de ces
petites fêtes et réceptions nous le vivons avec plus de plaisir,
l’éloignement nous pèse moins.
Bal et soirée du 14 juillet 1961
Une danse avec le Commandant Jegoux, et ici avec A/C Bureau.
Nous terminons l’année 1961 avec les copains que nous avions
invités à notre table devant un bon repas, lequel s’est terminé
comme le veut la tradition, avec bûche de Noël et Champagnes
« Cordon rouge ».
Douala – Décembre 1961
Nous avons commencé la nouvelle année en nous disant
« c’est la dernière avant le retour » ! Lucienne
était alors très fatiguée par le climat et Jocelyne nous faisait un
genre de bronchiolite. Après visite médicale et avis du médecin,
toute la famille allait bénéficier d’un séjour de 3 semaines au
centre de repos militaire à N’Gaoundéré au nord Cameroun afin de
pouvoir prolonger le séjour de 6 mois. Alors qu’il aurait du
s’achever en février 1962, le séjour prolongé nous maintiendra à
Douala jusqu’en Août.
Centre de repos à N’Gaounderé, (devenu l’hotel Transcam)
Notre séjour de 3 semaines dans ce centre de repos, fut pour
nous tous d’un bienfait certain, nous apportant repos et
relaxation. Déjà le climat de N’Gaoundéré est reposant, ciel bleu,
température 26°, air sec, oubliée cette forte humidité de Douala.
Nous ne transpirons plus exagérément. De plus la nourriture est
bonne, l’ambiance sympathique, l’ensemble très plaisant, le service
parfait. Nous effectuons de merveilleuses excursions dans la
région. En résumé, de vraies vacances, de belles vacances qui nous
ont requinquées pour ces 6 mois à venir.
Les ennuis respiratoires de Jocelyne semblent s’être dissipés.
Sur ce sujet plane toujours une certaine suspicion dont je ne peux
me débarrasser. Les faits ? Nous étions au centre depuis une
semaine et ce jour là, nous prenions notre repas de midi quand
Jocelyne eut de sérieuses quintes de toux nous contraignant à la
ramener à la chambre. A une table à côté de la nôtre, un équipage
de l’armée de l’air, avec quelques autres militaires, prenaient
également leur repas, lorsqu’un sous/off. se leva, vint vers nous
en expliquant qu’il était « Magnétiseur » et qu’il
partait justement en mission chez un officier supérieure soigner un
enfant atteint de bronchiolite. Il se proposa spontanément et
gratuitement de pratiquer, en ma présence, ses tours de passe-passe
sur Jocelyne m’affirmant qu’il ne la toucherait pas et qu’il n’y
avait aucun danger. Après un moment de discussions je me suis
laissé convaincre cela n’engageant à rien. Toujours est-il qu’après
cette séance de magnétisme, Jocelyne n’eut plus de gène
respiratoire. Je n’en reste pas moins sceptique !
En prévision du retour en métropole, et comme il faut s’y
prendre assez longtemps d’avance, nous commandons une voiture
neuve, une FORD Consul 315 (8 CV), 2 portes ; voiture
imposante et très spacieuse, nous sommes 5, les enfants
grandissent ! Elle nous sera livrée à notre retour,
directement à Paris.
Autre avantage qu’il est bon de mentionner ici et qui nous fut
octroyé avant la fin du séjour, un voyage gratuit vers Brazzaville,
à bord d’un Noratlas militaire, avec escales à Libreville et
Pointe-Noire, pour toute la famille. Nous avons été accueillis avec
plein de gentillesse chez les amis « Laurent » pour une
période de 5 jours (du 05 au 09 juillet 1962). Nous les avions
reçus à Douala en décembre 1961 .
Après ce passage agréable à Brazzaville, pendant lequel nous
avons pu découvrir la ville et ses environs, le fleuve Congo et
Léopoldville sur l’autre rive, nous rentrons à Douala où il nous
faut à présent penser sérieusement au retour en métropole. Deux
énormes caisses en bois : variété d’acajou (appellation
locale : Niangon), nous furent confectionnées et livrées. Nous
pouvions commencer à emballer nos affaires.
Nous entamons le mois d’août avec frénésie. Maintenant nous
comptons, non plus les mois, mais les jours nous séparant de
l’embarquement. Nous sommes informés de sa date, le 13 aout à bord
d’un Boeing 707. Angoisse ! Beaucoup d’accidents de Boeing ces
derniers temps. Pourvu que le nôtre tienne l’air.. Mais ne soyons
pas pessimistes, nous sommes tellement heureux de pouvoir voler à
bord d’un tel appareil.
Nos deux caisses sont déjà parties, expédiées par bateau elles
voguent vers les côtes françaises. Un dernier regard avant de
quitter notre « home », le quartier et de prendre la
direction de l’aéroport. La boucle est bouclée, 3 années se sont
écoulées depuis que nous avons mis le pied sur cette terre
africaine. Avec un retard de 10 heures sur l’horaire prévu (ennuis
techniques, ça commence bien ! ), nous décollons de Douala, il
est minuit. Direction Paris direct sans escale, à bord de cet
appareil de 180 places. Nous volons à l’altitude de 11.200 mètres,
à une vitesse de 1.000 km/h. A 06 heures du matin nous nous posons
à Orly. Brrr ! il fait froid ici !
Et c’est ici que se termine notre aventure africaine. Nous
tournons la dernière page de ce recueil de souvenirs, amassés
durant TROIS années passées loin de la France, loin de nos proches.
Mais elles furent pour nous tous très enrichissantes. Nous avons
ainsi découvert des pays jusqu’alors inconnus pour nous, des
peuples avec leurs us et coutumes. Les enfants eux aussi ramenaient
un tas de souvenirs. Leur esprit s’était ouvert sur un monde
différent.
Nous oublions à présent nos émotions causées par les troubles de
l’ indépendance du Cameroun, la sueur qui nous inondait en
abondance le corps
tout entier, ce climat lourd et particulièrement humide, pour ne
garder en mémoire que les seuls souvenirs des bons moments passés
« là-bas » , à 6.000 kilomètres de notre terre
natale !
Le CAMEROUN – Capitale : YAOUNDE
Jean WLM - 2011